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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Troisième séance du jeudi 28 février 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Christophe Sirugue

1. Instrument de réciprocité sur les marchés publics

Proposition de résolution européenne

Mme Seybah Dagoma, rapporteure de la commission des affaires économiques

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure de la commission des affaires européennes

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes

Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur

Discussion générale

M. Yannick Favennec

Mme Annick Girardin

M. Razzy Hammadi

M. Guy Geoffroy

M. Joaquim Pueyo

M. Jacques Cresta

M. Thomas Thévenoud

Mme Nicole Bricq, ministre

Article unique

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Christophe Sirugue
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Instrument de réciprocité
sur les marchés publics

Proposition de résolution européenne

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne sur l’instrument de réciprocité sur les marchés publics (nos 583, 668).

La parole est à Mme Seybah Dagoma, rapporteure de la commission des affaires économiques.

Mme Seybah Dagoma, rapporteure de la commission des affaires économiques. Madame la ministre du commerce extérieur, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit n’est certes pas au cœur de l’actualité. Pourtant, il soulève des enjeux de fond pour l’économie française et pour l’économie européenne. Le commerce international s’organise aujourd’hui dans un contexte marqué par la crise économique et l’émergence de nouveaux acteurs. Ce nouveau contexte pose un défi majeur à l’Europe.

La liberté des échanges est un principe fondateur de l’Union européenne et la conduite de la politique commerciale en porte la marque. Notre continent a fait le choix de l’ouverture. Il se voulait avant-gardiste en abolissant les frontières intérieures, et en abaissant progressivement les barrières quantitatives et tarifaires aux frontières extérieures.

Depuis une décennie, l’émergence de nouveaux acteurs qui ne partagent pas spontanément notre vision des échanges commerciaux a bouleversé la donne. Leur attitude dément la prédiction européenne d’un monde débarrassé des barrières commerciales et nous contraint à ajuster notre doctrine.

La résolution examinée ce soir par notre assemblée propose de faire un pas vers ce que nous appelons le juste échange. Elle permet de lutter contre une forme d’euro-naïveté qui coûte cher à nos nations, à nos entreprises, à nos territoires, et à travers eux à nos salariés.

La résolution porte sur la réciprocité de l’accès des entreprises européennes aux marchés publics des pays tiers, et inversement, des entreprises des pays tiers aux marchés publics européens.

Les marchés publics sont une première marche essentielle dans la redéfinition de l’approche européenne du commerce international.

Ils sont en effet un secteur important de l’économie mondiale. De l’ordre de 1 000 milliards d’euros par an, ils représentent entre 15 et 20 % du PIB de la plupart des États, l’Europe étant dans la fourchette haute, avec 19 %.

L’asymétrie entre le degré d’ouverture des marchés publics de l’Union européenne et celui de ses principaux partenaires commerciaux est patente. Elle est apparue au grand jour en octobre 2006 dans l’affaire dite Bombardier.

Cette entreprise canadienne avait remporté un contrat de 4 milliards d’euros avec la SNCF pour la rénovation du réseau transilien au détriment d’Alstom. L’entreprise Alstom a quant à elle été empêchée de soumissionner pour la rénovation du métro de Montréal.

Cette asymétrie résulte d’abord de l’application de la seule règle internationale existant en la matière, l’Accord plurilatéral sur les marchés publics. En effet, bien qu’ils l’aient signé, certains pays, et non des moindres, ont décidé soit d’exclure du champ de l’accord les entités sous-centrales – en clair les provinces ou les États – c’est le cas des États-Unis et du Canada, soit d’appliquer des exclusions sectorielles. C’est ainsi que le Japon et les États-Unis ont exclu les chemins de fer et les travaux publics.

Il en résulte notamment que la part des marchés publics potentiellement ouverts est de 90 % pour l’Union européenne, alors qu’elle est de 32 % aux États-Unis, de 28 % au Japon et de 16 % au Canada.

Par ailleurs, au-delà des engagements dans le cadre de cet accord, l’Europe aurait pu restreindre elle aussi l’accès à ses marchés publics ; elle ne l’a pas fait.

Cela signifie que les entreprises de pays émergents dont les marchés sont a priori inaccessibles, comme la Chine ou l’Inde, peuvent soumissionner de facto en Europe.

La Chine l’a ainsi fait pour la construction d’une partie des autoroutes polonaises. L’entreprise indienne Tata intervient pour le compte des autorités locales écossaises.

Pour l’Europe, la conséquence est double : d’abord une perte en termes d’opportunités, que la Commission européenne estime à 12 milliards d’euros ; ensuite, un risque de concurrence déloyale sur les marchés publics européens.

À plus ou moins long terme, les enjeux vont s’alourdir.

Les marchés publics sont en forte expansion dans les pays émergents. La demande en biens va aller croissant, corrélativement au développement du niveau de vie. Dans tous ces domaines, l’Europe, et particulièrement la France, a un intérêt offensif.

Il faut en effet toujours garder en tête que les marchés publics représentent une part significative de secteurs stratégiques européens comme les transports collectifs, la santé ou encore tout ce qui tourne autour de la gestion de l’eau et des déchets. C’est sur ces secteurs que l’Europe va devoir s’appuyer pour sa réindustrialisation. C’est la raison pour laquelle le rapport Gallois fait valoir que l’ambition industrielle doit s’appuyer sur une politique commerciale extérieure basée sur une ouverture équitable et sur le principe de réciprocité.

L’instrument de réciprocité sur les marchés publics proposé par la Commission européenne est donc particulièrement bienvenu. Il consiste en une redéfinition du périmètre d’ouverture des engagements de l’Europe. Pour les entreprises d’un pays dont les marchés publics sont fermés, l’ouverture des marchés publics sera conditionnelle.

La proposition de règlement prévoit deux volets : le premier est un mécanisme d’exclusion ponctuelle en cas de manquement substantiel à la réciprocité, à l’initiative des États membres mais qui devra être approuvé par la Commission européenne. Le deuxième prévoit un mécanisme d’exclusion général à l’égard d’un pays tiers, à l’initiative de la Commission européenne, après enquête et négociations.

Il s’agit bien là de mettre en place une palette d’instruments adaptés aux enjeux pour conjurer cette prophétie d’Hubert Védrine qui ferait de l’Europe « l’idiot du village global », assistant passif et résigné au déclin de sa base productive.

Devons-nous faire semblant de ne pas voir que l’écart entre notre attitude et celle de nos partenaires commerciaux a un coût de plus en plus élevé ? Je ne le pense pas.

La France tente de faire avancer la réciprocité, cette idée juste et utile, qui fait consensus dans notre pays et transcende les clivages partisans.

Avec ma collègue Marie-Louise Fort, nous avons pu le constater lors des travaux préparatoires à la présentation de la résolution conduits par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques. Je tiens d’ailleurs à remercier les responsables de ces commissions, Danielle Auroi et François Brottes.

Pour notre pays, engagé dans un processus de redressement productif visant à enrayer la désindustrialisation et à reconquérir un socle de compétitivité, la perspective d’une nouvelle donne commerciale européenne, veillant au respect des intérêts des entreprises et des travailleurs, est attractive. Elle est un levier qui peut nous permettre d’intensifier nos exportations.

Madame la ministre, dans le cadre de notre discussion, je souhaiterais vous poser plusieurs questions.

Dès le lendemain de votre nomination, vous avez engagé un tour des capitales européennes pour convaincre nos partenaires des autres États membres de la pertinence de l’instrument de réciprocité. Cette initiative a créé une véritable dynamique politique européenne. Pouvez-vous nous dire quelles conclusions doivent être tirées de vos échanges avec vos homologues européens ?

En ce cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée, la France mesure plus que jamais l’importance de sa relation avec l’Allemagne. Très attachée à la conception libérale du commerce international, l’Allemagne exprime des réticences à instituer de nouvelles régulations. À quelles conditions, selon vous, l’Allemagne pourrait-elle adhérer au principe d’un instrument de réciprocité ?

Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement européen dispose de nouveaux pouvoirs pour s’affirmer face aux États. Il a vocation à peser de plus en plus dans la vie de l’Union. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les positions des différents groupes politiques du Parlement européen à ce sujet et l’état d’esprit du rapporteur Daniel Caspary ?

Dans les négociations commerciales bilatérales conduites par l’Union européenne avec les États-Unis, le Japon ou peut-être demain avec l’Inde, la recherche de la réciprocité dans les marchés publics est-elle une priorité et dans quelle mesure l’existence de l’instrument de réciprocité faciliterait-il ces négociations bilatérales ?

Enfin, il ne semble pas que la Chine ou l’Inde aient réagi à ce projet : en avez-vous eu des échos lors de vos voyages ?

Chers collègues, j’en suis convaincue, l’application de la réciprocité dans l’accès aux marchés publics est un combat emblématique qui en appelle d’autres.

Dans ses relations commerciales, dans ses relations monétaires, au sein des instances internationales où se négocient les normes sociales et environnementales, l’Union européenne ne doit pas être naïve.

Alors que le chômage se répand sur notre continent, les peuples européens attendent de nous du volontarisme et de la lucidité.

Promouvoir la réciprocité, c’est bâtir un nouveau cadre de référence permettant de rompre avec la percée néolibérale des trente dernières années.

Comme la taxe sur les transactions financières, la régulation bancaire, le refus de l’austérité généralisée et la rupture avec l’orthodoxie monétaire, la réciprocité peut et doit contribuer à rendre à la régulation et au bon sens leur place dans l’économie mondiale.

En adoptant la résolution européenne soumise ce soir à votre examen, notre assemblée peut épouser ce juste combat. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Louise Fort, rapporteure de la commission des affaires européennes.

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, madame et monsieur les présidents des commissions, chers collègues, je souhaite tout d’abord vous rappeler que le principe de réciprocité est porté par la France depuis quelques années déjà au sein des institutions européennes. Il n’y a sur ce point aucun clivage politique et le dispositif proposé s’inscrit dans la continuité de la vision soutenue par la France. Michel Barnier a été ainsi très actif pour convaincre le commissaire au commerce extérieur, Karel De Gucht, qui était réservé au début, du bien-fondé de l’instrument de réciprocité sur les marchés publics. Il déclarait : « Si nous sommes repliés derrière nos frontières, nous sommes chacun et tous foutus. Il ne s’agit pas de fermer nos marchés ou de se replier. Il y a des milliers d’emplois en France qui dépendent de l’exportation. Il s’agit d’obtenir que les autres ouvrent réciproquement leurs marchés ».

Comme vous madame la ministre, Mme Lagarde, alors ministre de l’économie, avait plaidé pour « plus de fermeté et de réciprocité en matière commerciale au bénéfice de l’Union européenne ».

Je me permets de rappeler que, dans le rapport que nous avions présenté avec Jérôme Lambert sur les rapports entre l’Union européenne et la Chine sous la précédente législature, nous avions appelé la Commission à prendre une initiative de réciprocité pour les marchés publics.

L’enjeu économique des marchés publics est très lourd, de l’ordre de 1 000 milliards d’euros par an et dans des secteurs – transports publics, industries aérospatiales, équipements médicaux – où l’Europe peut faire valoir de réels avantages comparatifs.

Les marchés européens sont les plus ouverts et les plus transparents du monde. Cette ouverture résulte à la fois de l’adhésion de l’Europe à l’Accord plurilatéral sur les marchés publics et de ses engagements bilatéraux. Par ailleurs, l’Europe n’a adopté aucune règle restreignant l’accès de ses marchés publics. Le taux d’ouverture potentiel des marchés européens est d’environ 90 %. Nos partenaires commerciaux n’ont de ce fait aucune incitation à ouvrir leurs marchés et, émergents ou non, ils pratiquent des régimes discriminatoires. Les marchés chinois et indien sont complètement hermétiques. Le Buy american act protège une grande part des marchés publics américains. Le Japon entoure ses marchés publics de normes de sécurité et le gouvernement central canadien se retranche derrière les compétences de ses provinces.

Pour le moment, la perte d’opportunité en terme d’exportations représente environ 12 milliards d’euros mais ce montant sera d’autant plus important que les émergents vont se développer et auront des besoins de commandes publiques croissants. Parallèlement, si les pays tiers n’ont pour l’heure obtenu des marchés publics européens qu’à concurrence de 10 à 15 milliards d’euros, l’Europe a intérêt à ménager l’avenir, comme le montre l’affaire des autoroutes polonaises, qui ont été dans un premier temps confiées à une société chinoise présentant une offre à bas coût.

Cette proposition n’est en aucun cas protectionniste. Elle affirme le principe de l’ouverture des marchés publics européens tout en prévoyant la possibilité d’exclure de la procédure d’appel d’offres les offres de pays dont les marchés sont fermés aux entreprises européennes. Ce projet renforce également la surveillance des offres anormalement basses.

Ce dispositif s’appuiera sur deux piliers. Le premier permettra à un État membre d’exclure d’une offre de marchés publics une société non européenne originaire d’un pays dont les marchés sont fermés. En application du deuxième pilier, la Commission européenne pourra adopter, après enquête et négociations, des mesures restrictives quand elle aura constaté un manque de réciprocité substantielle de la part d’un partenaire commercial.

Une telle mesure permettra notamment à l’Europe de disposer d’un levier dans les négociations bilatérales. Ma collègue Seybah Dagoma a rappelé les difficultés sur lesquelles ont buté les négociations sur le projet d’accord de libre-échange avec le Canada. Cet instrument sera particulièrement bienvenu au moment où vont s’engager des négociations en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis.

Pour l’heure, on peut regretter que les vingt-sept États membres ne soient pas unis. Si l’Europe a reçu le prix Nobel de la paix, il serait peut-être temps qu’elle postule pour le prix Nobel d’économie. (Sourires.) Vous nous le rappeliez il y a peu de temps, madame la ministre : seuls dix États membres soutiennent le projet. Autour de la France, on trouve l’Italie, la Pologne, la Hongrie, le Portugal et la Grèce. Les pays dont le commerce extérieur est solide, comme l’Allemagne, ne voient pas l’intérêt de ce projet et craignent sans doute des mesures de représailles. Les entreprises allemandes constituent un frein à l’adoption du dispositif.

Madame la ministre, je souhaite vous poser quelques questions. Tout d’abord, j’aimerais connaître votre sentiment sur les propos tenus par Pascal Lamy, le directeur général de l’OMC.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Pas de gros mots ! (Sourires.)

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure de la commission des affaires européennes. J’essaierai, mais je ne suis pas sûre d’y parvenir ! (Sourires.)

Pascal Lamy ne semblait pas convaincu du bien-fondé de l’idée selon laquelle l’Union européenne pâtirait de la concurrence déloyale des pays émergents. « L’Europe n’est pas l’idiot du village global », disait-il en ajoutant que la France souffre en Europe là où les conditions de concurrence sont les plus égales, et en mettant en avant la compétitivité comme cause de nos difficultés. Il concevait très bien que les Français veuillent de la réciprocité, mais il nous mettait en garde en expliquant que cette notion comporte deux versants : la réciprocité que nous demandons aux autres et celle que les autres vont nous demander. Il rappelait enfin que ce sont désormais les barrières non tarifaires – standards, normes et exigences de conformité – qui entraînent d’éventuelles différenciations d’accès aux marchés.

Deuxième question, madame la ministre : votre action de diplomatie économique auprès des États ayant marqué leur opposition au projet porte-t-elle ses fruits ? Le rôle du Parlement européen sera déterminant, du fait de ses nouvelles compétences en matière de politique commerciale. Le projet de rapport sera-t-il présenté en juin comme prévu ? Voilà autant de questions auxquelles vous vous attèlerez à nous donner des réponses.

J’en arrive à ma troisième question. Le dispositif proposé par la Commission européenne comporte deux volets : le premier est décentralisé entre les mains des États membres mais sous contrôle de la Commission, tandis que le second donne à la Commission un pouvoir d’enquête et de sanctions restrictives en cas de manque substantiel de réciprocité. Certes, donner une telle marge de manœuvre à la Commission européenne dans les deux cas est de nature à rassurer des pays comme l’Allemagne, mais ne peut-on pas craindre que cela nuise à l’effectivité du dispositif ? En lisant celui-ci, on est frappé par sa relative complexité. Ne pourrait-on pas envisager une simplification de la procédure quant aux délais de consultation et de mise en œuvre ?

Enfin, estimez-vous que l’existence d’un tel mécanisme de réciprocité au niveau européen serait de nature à inciter la Chine à présenter une offre d’adhésion acceptable à l’accord plurilatéral sur les marchés publics ? Cet accord n’assure pas seulement aux États signataires l’ouverture des marchés : il les oblige aussi à des mesures de transparence, ce qui est fondamental, car l’opacité est l’un des facteurs qui nuisent aux entreprises européennes quand elles veulent soumissionner en Chine.

Voilà, madame la ministre, les questions que je voulais vous poser après l’adoption de cette proposition de résolution par notre commission. Je remercie notre présidente, Mme Auroi, d’avoir prêté attention à notre rapport. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires européennes, madame la rapporteure de la commission des affaires européennes, madame la rapporteure de la commission des affaires économiques, chère Seybah Dagoma, chacun sait que vous portez à bras le corps l’exigence d’un partenariat qui respecte le juste échange. Vous, moi et quelques autres avons reçu cette semaine, lors de l’audition de Pascal Lamy, une douche froide. En hiver, ce n’est pas terrible ! (Sourires.)

Cent quatre députés étaient présents lors de cette audition, ce qui témoigne d’un grand intérêt pour les échanges internationaux. La douche froide était d’abord la prise de conscience que l’année 2012 a été marquée par la vitalité économique des pays dits en voie de développement, qui a dépassé la vitalité un peu absente des pays dits développés. Par ailleurs, M. Lamy a expliqué qu’il fallait parfois porter – cela vient d’être dit : madame la rapporteure, pardon de répéter ce que vous avez déjà évoqué – un regard critique sur la notion de juste échange, au prétexte que ce qui peut être juste pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres. Voilà sa formule, à peu près similaire à celle que vous avez utilisée.

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure de la commission des affaires européennes. Je n’ai pas tout dit !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Enfin, M. Lamy a affirmé que plus les échanges sont fluides, sans barrières, sans frontières, plus tout le monde y gagne dans la durée. Cela reste à prouver : nous n’avons pas tous été convaincus par cet argument.

Bien sûr, nous savons combien les bonnes relations commerciales sont nécessaires pour vivre ensemble, pour le progrès social et sociétal – c’est historique –, et pour que les échanges commerciaux favorisent un épanouissement partagé, ce qui est préférable, avouons-le, au contentieux guerrier. C’est la raison pour laquelle le commerce extérieur est une question majeure. Si nous avons le devoir de développer nos relations commerciales, nous ne devons jamais oublier que les États, leurs gouvernements et leurs règles du jeu sont toujours – absolument toujours – en arrière-plan des relations entre les entreprises.

Nous devons être encore plus vigilants lorsqu’il s’agit de marchés publics. Nous le savons tous : plus on constitue des groupements d’achat, plus on écarte les petites et moyennes entreprises ; ce n’est d’ailleurs pas seulement vrai à l’international, d’où l’intérêt du Small business act tant attendu et rarement mis en œuvre autant qu’on le souhaiterait. Plus on élargit le périmètre des entreprises consultées à l’échelle internationale, plus on prend le risque de dépenser l’argent public des appels d’offres sans contrepartie pour l’emploi et la croissance en France, sauf – et c’est bien l’objet de nos débats ce soir – si nos entreprises peuvent répondre dans les mêmes conditions à des marchés publics dans les pays où sont implantées les entreprises qui soumissionnent chez nous.

Ainsi, le rôle des États dans le contrôle des entreprises, des fonds souverains et du fonctionnement des marchés publics nous invite souvent à confondre la géopolitique avec la régulation des marchés. Pourtant, nos destins sont liés. En Europe, 36 millions d’emplois dépendent du commerce extérieur à l’Europe. Les exportations constituent l’un des plus puissants leviers de croissance pour notre pays, et pour l’Europe en général. Madame la ministre, vous portez haut les couleurs de cette révélation, qui n’est pas forcément nouvelle, mais qu’il fallait affirmer. L’aggravation du déséquilibre dans nos échanges en défaveur de l’Europe met en exergue des crispations, qui nous amènent parfois à trouver des coupables plutôt qu’à chercher des partenaires.

Entre les règles d’une concurrence libre et non faussée telle que l’Union européenne la pratique en son sein et les règles d’une concurrence loyale qui posent le principe du juste échange ou de la réciprocité dans les échanges mondiaux, il y a un chemin un peu escarpé où viennent s’enchevêtrer plusieurs enjeux dont nous considérons, nous, qu’ils ont une valeur universelle. Le changement climatique et la lutte contre l’effet de serre nous obligent à ne plus produire n’importe comment. Au-delà de la question environnementale, il y a l’enjeu de la santé publique car l’on constate, décennie après décennie, les conséquences dramatiques de l’usage de tel ou tel composant révélé dangereux pour la santé des hommes. Les triches récentes n’ont rien à voir avec les problèmes de santé, mais elles montrent que les hommes sont parfois prêts à tout par appât du gain. L’environnement, la santé mais aussi les droits de l’homme sont autant d’exigences qui ne doivent pas être perçues par nos partenaires commerciaux comme des contraintes, mais comme une exigence de qualité durable.

S’agissant de l’accès aux marchés publics, je dois vous avouer que je suis de ceux qui pensent que l’Union européenne fait effectivement preuve d’une grande naïveté. C’est pourquoi le texte que nous examinons aujourd’hui est important : le libre-échange ne peut pas – et ne doit pas – se faire en dehors du juste échange. Après tout, le travail de l’OMC est d’y veiller, et l’Union européenne doit se réveiller !

Je tiens à saluer les efforts de notre ministre du commerce extérieur, ministre de plein exercice – c’est un acte posé par le Président de la République et le Premier ministre –, Nicole Bricq, qui a pleinement conscience des enjeux et des efforts nécessaires pour gagner des parts de marché à l’export. Madame la ministre, lorsque vous avez été auditionnée par la commission des affaires économiques, vous nous avez fait part des difficultés que vous rencontriez pour faire instaurer par l’Union européenne des clauses dures de sincérité, qui permettraient de mettre fin à ces marchés de dupes par lesquels l’Europe se fait manger la laine sur le dos par les pays qui dressent des barrières non tarifaires contre nos produits. J’utilise l’expression « manger la laine sur le dos », parce que nous avons vécu une semaine au Salon de l’agriculture, qui donne tout son sens à cette image. (Sourires.)

Madame la ministre, nous soutenons votre action. L’adoption de cette résolution est un peu notre acte de foi, à vos côtés, dans le combat que vous menez pour le juste échange. Je dois le dire : cette résolution a fait l’objet d’un large consensus au sein de notre commission, où nous avons accompli un vrai travail grâce à l’écoute et à la compréhension de madame la rapporteure, et je veux à nouveau l’en remercier.

Cette résolution a pour objet d’inciter à l’ouverture effective des marchés des pays tiers en imposant la réciprocité. Cet élément est essentiel : il ne faut plus que des États puissent s’investir librement dans des marchés publics tout en nous refusant ou en nous restreignant très fortement l’accès aux leurs. Nous devons impulser une nouvelle pratique.

Certes, nous ne nous berçons pas d’illusions et nous savons que ce projet de règlement ne constituera pas une solution à lui seul. J’ai cependant la certitude qu’il aura un impact positif sur notre balance commerciale. Lorsque l’on croit au Père Noël, la naïveté est bonne ; passé un certain âge, elle est un peu dangereuse ou totalement inconsciente ! (Sourires.)

En travaillant sur ce texte, nous avons eu pour objectif d’affirmer davantage notre position, de l’affermir en quelque sorte. Il ne faut pas craindre de dire ce que nous pensons, même si cela doit nous conduire à adopter dans un premier temps des positions différentes de certains de nos alliés européens – je pense bien sûr au Royaume-Uni et à l’Allemagne. Il ne s’agit pas de protectionnisme, mais d’une volonté d’être clairs et transparents. L’addition de la franchise des contrats ne doit avoir d’égale que la qualité des offres. La réciprocité va devenir un préalable indispensable. Personne n’a envie d’être traité ou considéré autrement que comme son partenaire le traite ou le considère : c’est assez simple !

Certes, une résolution n’est pas une révolution, mais, comme disait ma grand-mère qui n’a pas eu le bonheur de beaucoup voyager, qui ne tente rien n’a rien ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires européennes.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, nous ouvrons ce soir le débat pour intégrer dans la perspective plus large du juste échange un sujet essentiel sur lequel nous aurons l’occasion de revenir plus avant au cours des prochains mois. Il s’agit d’une première étape dans le vaste sujet du juste échange. Au bout du compte, c’est bien la logique de l’équité dans nos relations commerciales et économiques que nous devons interroger.

À mon tour, je citerai Pascal Lamy, dont l’intervention nous a beaucoup marqués : il a expliqué hier que l’équité dépendait de la façon dont les États interprétaient cette logique et que, lorsque les États-Unis disaient que la Chine était un pays riche avec beaucoup de pauvres, les Chinois répliquaient que la Chine était un pays pauvre avec quelques riches. C’est une question de point de vue ! Mais je crois justement que l’Union européenne, parce qu’elle a de l’expérience, peut donner une définition beaucoup plus logique à cette équité en commençant par les instruments qui s’offrent à elle, comme aujourd’hui l’instrument de réciprocité.

Je souhaite remercier vivement nos collègues Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort, toutes deux rapporteures de la proposition de résolution qui nous rassemble aujourd’hui et que la commission des affaires européennes a adopté à l’unanimité. À leur initiative, nous avons soutenu le projet de la Commission européenne visant à la mise en place d’un régime d’ouverture conditionnelle des marchés publics européens.

Le Conseil européen a reconnu en septembre 2010 le principe de réciprocité dans les échanges internationaux. Pourtant, presque deux ans auront été nécessaires pour trouver une concrétisation dans ce projet de règlement. Les pays du Nord, jugeant ce texte protectionniste, ont tout fait pour en retarder l’adoption au collège des commissaires, qui ont aussi un peu traîné les pieds. La Haute représentante, Catherine Ashton, s’est personnellement mobilisée contre ce texte, et elle a pu jouer sur les contradictions entre les États. Il est vrai qu’elle s’est appuyée sur la thèse de l’OMC, selon laquelle plus il y a de fluidité dans le commerce, plus il est possible d’effacer la pauvreté. Sauf que cela fait quinze ans que l’on entend cette antienne et, à ma connaissance, la pauvreté dans le monde n’est toujours pas éradiquée.

Aujourd’hui, ce projet n’est pas acquis : quinze délégations y sont opposées, et ce pour des raisons différentes : les pays du Nord y sont hostiles, au nom du tout libre-échange ; les pays comme l’Allemagne, dont la balance commerciale est excédentaire, craignent des représailles ; les pays comme l’Espagne comptent sur leurs perspectives d’exportations pour sortir de l’ornière. Avec des points de vue différents, on observe une convergence de mauvaises raisons, si je puis dire.

Pouvez-vous, madame la ministre, nous préciser les positions de nos partenaires, et sur quels alliés la France peut réellement compter, y compris les pays en difficulté, dont certains semblent penser que la réponse n’est pas du côté du juste échange ?

Le très libéral commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, que la commission des affaires européennes a récemment auditionné, a dit lui-même l’importance de légiférer pour l’avenir. Même lui estime qu’une législation est nécessaire.

Ne nous leurrons pas. On a cité l’exemple du Canada. Une situation semblable à l’appel d’offres polonais remporté par une entreprise chinoise peut se répéter. Or le dumping social, qu’il faudrait d’ailleurs plus sérieusement encadrer à l’intérieur des frontières de l’Union, est contraire à l’esprit de l’Europe que nous souhaitons, mais il est en action. La commission des affaires européennes a d’ailleurs souhaité travailler plus avant sur ces questions d’harmonisation sociale, fiscale et environnementale, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Union. Gilles Savary et Chantal Guittet sont mobilisés sur ce sujet.

Ce rééquilibrage des engagements réciproques est d’autant plus important que ces marchés publics concernent souvent des secteurs stratégiques, comme les industries aérospatiales, la défense, les transports collectifs et les équipements médicaux.

Cette échelle doit aussi s’articuler avec la nécessité de mieux allotir certains marchés publics, afin de donner toutes leurs chances aux PME, aux structures d’insertion et aux produits issus du commerce équitable. C’est toute la dynamique de la transformation écologique de l’économie, créatrice d’emplois, dans le domaine du changement climatique – l’efficacité énergétique est un des sujets essentiels, pas forcément partagé par tous au niveau de l’Union européenne –, des déplacements collectifs, de la gestion des déchets, de l’assainissement et de l’urbanisme. Madame la ministre, avez-vous l’impression qu’une nouvelle logique urbanistique vécue différemment au niveau de l’Union européenne est à l’œuvre aujourd’hui ?

Les États-Unis ont bien un Small Business Act ! Pourquoi n’y a-t-il pas l’équivalent au niveau de l’Union européenne ? D’ailleurs, les États-Unis, comme le Canada, le Japon et les pays émergents ont su mettre leur politique commerciale au service de leur production, et leurs taux de fermeture des marchés publics sont parmi les plus élevés. Pascal Lamy, que nous avons auditionné hier, prétend que l’Union européenne sait se protéger aussi bien. Permettez-moi d’en douter, à moins que vous ne nous apportiez, madame la ministre, des précisions à ce sujet.

Dans le cadre de l’accord avec le Canada, y a-t-il eu la possibilité de marquer des avancées sur cette question, qui va d’ailleurs se poser à nouveau très vite avec les projets d’accord concernant le Japon et les États-Unis ?

Comment appréciez-vous le risque que l’Union consente des concessions dans des domaines comme l’agriculture en contrepartie d’une ouverture des marchés publics, et cela au détriment de nos préférences collectives, comme le refus des OGM ou la protection des indications géographiques ? Les inquiétudes concernant les indications géographiques sont très nombreuses.

Quant aux dispositions concrètes du projet de règlement, il est prévu un mécanisme de surveillance des offres anormalement basses. Ne serait-il pas aussi opérationnel de prendre en compte les conditions sociales et environnementales dans lesquelles ces offres sont présentées ? Ce serait une première étape vers une taxe climatique aux frontières de l’Union européenne.

En effet, les marchés publics sont une commande publique qui n’est pas seulement soumise aux critères de prix. Ce sont aussi des opportunités formidables pour avoir un effet levier, tant sur le plan social qu’écologique. Ces outils sont indispensables pour réorienter l’économie à l’échelle mondiale, européenne, nationale, régionale, même municipale, nous le savons bien ! C’est aussi un outil qui parle à nos concitoyens car, localement, ils peuvent en voir les effets.

Nos concitoyens ont fait le choix, en France, d’un vrai changement, pour mettre fin à la mise en concurrence de tout à tout prix, et à la surexploitation des ressources naturelles.

C’est bien cet esprit de justice et d’équité qui vous anime, madame la ministre, et qui doit irriguer notre débat, pour l’avenir de l’Union, mais aussi pour le développement des pays du sud, dont les normes sociales et environnementales ne sont pas au niveau des nôtres. Ainsi, nous protégerons notre modèle social et environnemental européen tout en favorisant les nécessaires progrès pour les populations des pays les plus pauvres. J’espère que vous nous apporterez des éclaircissements sur l’ensemble de ces sujets. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du commerce extérieur.

Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord de remercier les deux commissions compétentes de s’être saisies du sujet de la réciprocité dans les échanges commerciaux et de la politique de l’Union européenne, en charge de la politique commerciale vis-à-vis des pays tiers.

Je tiens tout particulièrement à saluer le travail de Mme Dagoma et de Mme Fort, qui ont présenté, dans le cadre de leur mission sur le juste échange au plan international, cette proposition de résolution européenne relative à l’instrument de réciprocité dans l’accès aux marchés publics.

Le soutien du Parlement français est très précieux. Si nous ne sommes pas isolés, nous Français, nous ne sommes pas pour autant majoritaires, cela se saurait.

Madame Dagoma, vous m’avez interrogée sur le tour des capitales européennes que j’ai entrepris voilà quelques mois. La semaine dernière, j’étais à Berlin et à Copenhague. À Berlin, j’ai rencontré le ministre Rösler. J’ai, une fois encore, essayé d’expliquer et de convaincre. J’ai eu le sentiment que ce n’était pas impossible, même si c’était difficile, dans la mesure où il m’a paru ouvert à un compromis. Mais, il faut le dire, la discussion aboutira positivement à partir du moment où les États s’en saisiront pleinement et où s’instaurera un débat franc entre les chefs d’État. François Hollande a montré qu’il ne redoutait pas ce genre de débat au sein du Conseil européen.

Mme la présidente de la commission des affaires européennes m’a demandé où nous en étions aujourd’hui. Neuf États membres se sont prononcés en faveur du projet de règlement sur la réciprocité : l’Italie, la France, le Portugal, la Hongrie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, et la Bulgarie. Quinze États membres se sont prononcés contre la proposition : le Royaume-Uni, la Belgique, le Danemark, la Suède, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Autriche, l’Irlande, la Grèce, la Finlande, la Lettonie, la République tchèque et l’Espagne.

Je suis convaincue et j’essaie de convaincre mes homologues de la nécessité d’une législation européenne pour éviter des législations nationales très restrictives qui conduiraient à une fragmentation dommageable du marché intérieur européen. Le point de blocage est du côté de l’Allemagne. Si l’Allemagne était convaincue, je pense que, du côté des chefs d’État, on pourrait avancer. Et il faudrait avancer. La Commission estime à douze milliards d’euros le manque à gagner pour nos entreprises européennes en raison de la fermeture de marchés de la part de pays tiers. Nous avons donc intérêt à cette ouverture.

Au regard de l’ensemble des bilans des accords de libre-échange conclus par l’Union européenne, il est assez étonnant de ne pas faire fond sur la force de marché que nous représentons, nous Européens. Nous sommes tout de même cinq cents millions de consommateurs. L’Union européenne est la première force de marché du monde, le premier exportateur et le premier importateur. Pour un pays tiers, cela ne peut pas être facile de s’opposer à une telle force de marché. Il faudrait pouvoir s’en servir dans les négociations. Telle est ma conviction. Mais l’Europe se fait à vingt-sept.

Le 12 février dernier, l’examen du texte, article par article, s’est achevé au sein du Conseil sans que le texte ne soit ni rejeté, ni adopté. À notre demande et à celle de la Commission, la présidence irlandaise a annoncé que les discussions allaient se poursuivre. Nous pouvons encore faire évoluer la situation. Je compte beaucoup sur le Parlement européen qui, comme chacun sait, a depuis le traité de Lisbonne son mot à dire dans la politique commerciale.

Le Parlement s’est engagé dans l’examen du texte. La semaine dernière encore, la commission du commerce international tenait une audition publique à ce sujet. Les positions sont partagées, mais il existe un calendrier, madame la présidente de la commission. Daniel Caspary, le rapporteur allemand du projet, devrait présenter son rapport et ses amendements à l’automne prochain pour un examen du texte en première lecture début 2014, à l’approche du débat politique, puisque nous aurons bientôt des élections européennes. Il faut que ces élections tiennent compte des vrais enjeux, les enjeux européens, pas forcément les enjeux nationaux. Les peuples demandent, et pas seulement en France, une Europe plus exigeante. Je crois que nous pouvons avancer sur la voie de l’adoption. Comme vous, madame la présidente, j’ai la conviction que la politique commerciale doit être au service des entreprises et des industries de nos pays.

Je ne défends pas, pour autant, l’équivalent d’un Buy american act à l’échelle de l’Union européenne. La préférence protectionniste n’a rien à voir avec la réciprocité et je pense pour ma part que le protectionnisme est une impasse. Nos entreprises doivent s’insérer dans la mondialisation. Elles le peuvent ; elles en ont les atouts, car des relais de croissance importants y gisent. Les chiffres du commerce extérieur pour 2012 montrent que les entreprises françaises sont capables de se porter sur des marchés lointains, en Asie ou en Amérique du nord et du sud.

Ce n’est pas en refusant l’ouverture que nous aiderons nos entreprises, mais en leur donnant des armes égales. La réciprocité se niche ici. La réciprocité, je le rappelle, est un concept ancien. Ce sont les accords du GATT, signés en 1947, qui l’ont mis à l’honneur. À l’époque, il y avait une nécessité évidente de garantir une paix durable pour assurer la reconstruction et retrouver le chemin de la croissance et du progrès. Le projet de règlement vient donc de loin. Mais l’Europe des Vingt-sept n’est plus la Communauté européenne que nous avons connue lorsqu’elle ne comptait que six, douze ou quinze membres. Il devient plus difficile de se mettre d’accord.

Il faut faire confiance aux entreprises européennes, aux entreprises françaises particulièrement. Elles ont une grande capacité d’innovation, je le sais pour rencontrer leurs représentants tous les jours et cela a été le cas encore ce matin. La France n’en est pas toujours consciente mais elle est tout de même une grande puissance économique : la cinquième au monde.

Les uns et les autres, vous avez à plusieurs reprises évoqué les déclarations de Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, lors de son audition hier par votre assemblée.

Sans avoir le compte rendu exact de ses propos, je sais qu’il a souligné que les échanges étaient aujourd’hui marqués du sceau de la multilocalisation. L’étude menée conjointement par l’OMC et l’OCDE montre que, dans le volume global des exportations mondiales, la part des importations représente 40 %. À l’échelle de la France, la part des importations dans les exportations représente 26 %. Autrement dit, il faut d’abord importer pour pouvoir exporter, tout dépend de la position que l’on occupe dans la chaîne de la valeur ajoutée. Nous le savons bien : c’est là que se joue la bataille de la compétitivité à l’export.

M. Lamy a également montré que la division entre flexibilité et réciprocité était beaucoup plus aisée à établir lorsqu’il y avait une nette séparation entre pays pauvres et pays riches : aux pays riches, la réciprocité ; aux pays pauvres la flexibilité. Le problème est que la montée des pays émergents – dont beaucoup sont aujourd’hui émergés – a totalement bouleversé la donne. Ce couple n’est plus opérant, surtout en matière de barrières non tarifaires. Et nous savons très bien que c’est là que résident les enjeux. C’est ce que l’on appelle les préférences collectives. Si l’on abaisse les droits de douane mais que l’on relève les taxes intérieures sur tel ou tel produit d’importation, le résultat est à peu près nul pour les échanges. Le juste échange, la réciprocité renvoient aux barrières non tarifaires.

Cela me donne aussi l’occasion d’évoquer devant vous les négociations des accords de libre-échange, qui constituent des leviers pour mettre en œuvre la réciprocité.

John Kerry était hier à Paris. Vous avez bien noté que le président Obama a consacré un paragraphe de son discours sur l’état de l’Union à la volonté des États-Unis de signer un accord de libre-échange avec l’Union européenne. Cela renvoie bien sûr à des stratégies géopolitiques. Les États-Unis sont ainsi en train de négocier un grand accord de partenariat avec les pays du Pacifique, le Trans-Pacific Partnership Agreement.

Mais avant d’avancer dans la négociation d’un tel accord, il faut donner un mandat à la Commission. La France, au sein du Conseil de l’Union européenne, indiquera clairement ce qui devra être mis hors du mandat : l’exception culturelle, les OGM, la viande aux hormones. Nous ferons jouer nos avantages offensifs, notamment s’agissant des produits laitiers, pour lesquels nous avons un intérêt évident à la conclusion d’un tel accord. Nous ferons jouer aussi des intérêts défensifs. Nous savons bien que la bataille sera avant tout circonscrite aux services et à la propriété intellectuelle, pour lesquels nous n’avons pas la même définition de part et d’autre de l’Atlantique.

Globalement, nous avons intérêt à ce que cette négociation soit bien menée grâce à un bon mandat. L’Irlande veut que nous allions vite et que nous puissions donner un mandat à la Commission au mois de juin, à la fin de sa présidence de l’Union. Cette échéance nous paraît très ambitieuse. Le Conseil européen informel des ministres chargés du commerce extérieur qui aura lieu à Dublin les 17 et 18 avril prochains nous permettra de dire ce que nous voulons. Ce sera une date importante. Il n’est pas évident que nous donnions un mandat à la Commission dans les délais qui nous sont impartis. De toute façon, la négociation sera longue, de l’ordre de cinq à six ans. Et il faut bien voir que c’est dans la négociation que l’on peut exercer la réciprocité.

Je prendrai un autre exemple, celui du Japon. Le 29 novembre, lorsque le mandat de négociation a été adopté, nous avons, nous Français, demandé que certaines conditions soient établies. C’est là que se joue la réciprocité : il faut qu’au fur et à mesure de la négociation les barrières non tarifaires soient abaissées. Il ne faut pas être pressé et il faut pouvoir poser ce que l’on appelle des prérequis.

La France a ainsi exposé les raisons pour lesquelles il n’était pas possible d’engager une négociation avec le Japon. D’une part, ce pays refuse depuis 2000 notre bœuf, à la suite de la crise de la vache folle. D’autre part, il ferme totalement ses marchés publics, la dernière entreprise européenne à avoir pu soumettre une offre pour un marché ferroviaire ayant été Siemens en 1999. Cette méthode a payé. Tout d’abord, les Japonais ont accepté d’ouvrir les exportations pour le bœuf après avoir procédé aux inspections sanitaires qu’ils refusaient de faire depuis des années. Ensuite, nous avons appris que deux entreprises françaises, Thalès et Alstom, ont été sélectionnées pour un marché ferroviaire.

Je ne sais pas si l’Europe a fait jusqu’alors preuve de naïveté ; en tout cas, il est certain qu’elle ne doit pas aller aussi vite que certains le voudraient pour conclure des accords de libre-échange.

Vous m’avez également interrogée sur le Canada, qui est aussi un bon exemple. Il s’agit d’un accord dont la négociation est entamée depuis longtemps, j’arrive donc en fin de discussion. La Commission européenne pensait pouvoir l’achever à la fin de l’année dernière. Demain, nous serons le 1er mars et je constate que nous n’avons toujours pas levé les derniers points de blocage. Nous soutenons une approche très ferme, notamment pour ce qui touche aux questions de quotas agricoles.

Mme Fort a évoqué les conditions d’une adhésion acceptable de la Chine à l’Accord plurilatéral sur les marchés publics. Franchement, ces conditions ne sont pas encore remplies.

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure de la commission des affaires européennes. En effet !

Mme Nicole Bricq, ministre. La Chine doit faire des propositions plus raisonnables.

Bien évidemment, à l’égard de la Chine comme à l’égard d’autres pays, l’adoption du règlement nous donnerait un atout indéniable. Il faut continuer d’avancer avec ce projet de règlement mais il faut aussi être bien conscients que nous disposons d’autres leviers.

Concernant la réciprocité, je rappelle – cela a été peu souligné même si mon collègue Cazeneuve l’a indiqué devant la représentation nationale – que nous avons obtenu au Conseil compétitivité des 10 et 11 décembre derniers la préservation du mécanisme de réciprocité dans le cadre de la révision de la directive dite « secteurs spéciaux » relative à l’eau, à l’énergie, aux transports et aux services postaux. Cette avancée importante préserve la capacité des pouvoirs adjudicateurs d’exclure des offres en provenance de pays fermés. Elle permet en outre au Conseil de restreindre ou de suspendre l’attribution de marchés publics aux entreprises de ces pays. Le Parlement européen a par ailleurs retenu en commission une démarche plus large en intégrant ce principe dans la directive dite « secteurs classiques ». Un compromis doit désormais être dégagé entre les diverses positions. Je veillerai avec mon collègue Bernard Cazeneuve à ce que la réciprocité puisse y être maintenue, voire renforcée.

Nous développons aussi le concept de responsabilité sociale et environnementale. C’était le sens de ma visite auprès de ma collègue danoise la semaine dernière. Les Danois sont très favorables au libre-échange, mais aussi à la responsabilité sociale et environnementale. Nous voulons conduire des politiques qui renforcent les positions nos entreprises européennes et françaises en ce domaine : la RSE peut être un atout de compétitivité bien plus qu’une contrainte ou une entrave. Si celle-ci figure dans les cahiers des charges, ce ne sera pas forcément les entreprises pratiquant le moins-disant qui l’emporteront.

La RSE est l’une des conditions que la France a posée pour la signature de nouveaux accords de libre-échange. Nous entendons bien la voir respectée. Il se trouve que le Premier ministre a engagé, dans le cadre du travail gouvernemental, le chantier de la transition écologique et énergétique. Alors que les exigences des populations à travers le monde se renforcent, nos entreprises peuvent gagner à offrir un mieux-disant en matière d’environnement et de normes sociales. Vous y avez fait largement référence dans votre intervention, madame la présidente de la commission des affaires européennes.

Pour finir, mesdames, messieurs les députés, sachez que je suis prête à répondre à vos questions à l’issue de la discussion générale. Je tiens à vous dire combien l’adoption à une large majorité de la proposition de résolution par la commission des affaires européennes puis par la commission des affaires économiques, où elle a été amendée sans esprit partisan, est un marqueur fort de l’engagement de la France. L’adoption de cette proposition de résolution en séance publique démontrera la mobilisation de l’ensemble de la représentation nationale en sa faveur. Vous joindrez vos forces à celles des sénateurs, lesquels ont adopté en décembre dernier une proposition analogue. Ce soutien m’est très utile dans le travail de conviction que j’effectue. C’est la voix de la France qui s’exprime à travers la représentation nationale et le Parlement français est un Parlement qui compte en Europe. Votre voix portera jusqu’au Parlement européen. Vous apporterez ainsi un appui qui m’est indispensable et dont je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, dans un contexte d’atonie de la croissance française et européenne, les défis de la compétitivité de notre économie et du dynamisme de notre commerce extérieur constituent les principaux leviers qui permettront à notre pays de dégager les marges de manœuvre indispensables à son redressement.

Vous le savez, dans le domaine de la compétitivité, le groupe UDI attendait des réponses beaucoup plus puissantes de la part du Gouvernement. Nous considérons par ailleurs que plusieurs mesures récentes que vous avez prises auront un impact négatif sur nos perspectives de croissance et sur notre balance commerciale.

Je pense à l’explosion de la fiscalité des entreprises, à hauteur de 14 milliards d’euros pour la seule année 2013, ou encore à la suppression de la TVA compétitivité qui aurait permis d’alléger leurs charges de 13 milliards d’euros. Je pense aussi au relèvement du taux intermédiaire de TVA de 7 % à 10 %, qui ne sera appliqué qu’au 1er janvier 2014, mais dont les effets se font déjà dramatiquement sentir dans des secteurs aussi importants que le bâtiment et la construction.

À travers la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, vous n’avez pas pris la mesure de l’urgence de la situation : vous ne proposez rien pour l’année 2013, puisque les entreprises ne seront remboursées qu’à partir de 2014, sur la base de leur imposition 2013.

Nous déplorons que, malgré l’explosion du chômage et la situation critique de la compétitivité de la France, le Gouvernement préfère attendre 2014 pour aider, timidement, nos entreprises, à hauteur de 10 milliards d’euros en 2015, puis 5 milliards d’euros en 2016.

Si ces éléments liminaires peuvent vous sembler éloignés du sujet qui nous occupe ce soir – la réciprocité sur les marchés publics européens –, je crois nécessaire de rappeler ces éléments de contexte qui auront indéniablement un impact direct sur notre commerce extérieur et notre capacité à conquérir des marchés publics à l’international.

Avec la compétitivité, le commerce extérieur constitue l’autre enjeu majeur qui conditionnera notre capacité à nous extraire de la crise qui frappe notre économie depuis maintenant presque cinq ans.

En 2012, le déficit du commerce extérieur de la France s’est élevé à 67 milliards d’euros, en recul de 7 milliards par rapport à 2011. Le déficit hors énergie s’est réduit de moitié, passant de 29 à 15 milliards d’euros. Nous ne devons malheureusement pas nous réjouir trop vite de cette relative embellie car l’année 2013 s’annonce particulièrement difficile ; Bruxelles nous l’a récemment rappelé avec force en estimant la croissance à hauteur de 0,1 %, bien en deçà des prévisions du Gouvernement.

Plusieurs raisons expliquent les difficultés de notre pays à l’export. Je viens d’évoquer le problème de la compétitivité et du coût du travail, mais la question du « juste échange » entre l’Europe et ses principaux partenaires commerciaux constitue également un enjeu central.

Fondement essentiel du système commercial international, ancrée dans les accords de l’OMC sans être pour autant un principe de droit international, la réciprocité est aujourd’hui devenue incontournable dans les débats sur la politique commerciale européenne. Elle se décline en même temps qu’un vœu de moindre naïveté dans les relations économiques internationales.

La part relative de l’Union dans le PIB mondial est en recul tandis que la performance des pays émergents en termes de croissance a été sans précédent ces dernières années. Alors que l’Union réalisait 25 % du PIB mondial en l’an 2000, au moment du lancement de la Stratégie de Lisbonne, elle ne représentera plus que 18 % du PIB mondial en 2020 selon les estimations actuelles.

Même s’il est difficile pour l’Union européenne de s’engager dans des voies plus protectionnistes, elle doit se donner les moyens d’une libéralisation choisie. Or elle n’a jamais vraiment fait du concept de réciprocité un véritable leitmotiv dans le cadre de l’ouverture des marchés, puisqu’elle se révèle beaucoup plus ouverte que ses partenaires commerciaux.

L’Europe a mis longtemps à prendre conscience du caractère déséquilibré des relations commerciales avec ses partenaires extérieurs, à tel point que la Commission a souvent été assimilée à la « Belle au bois dormant ».

Non seulement l’Union européenne se rend compte, depuis peu, que son marché est extrêmement ouvert et que ses partenaires commerciaux n’ont plus grand intérêt à négocier avec elle de nouveaux accords de libre-échange, mais encore elle prend conscience du fait que certains de ses principaux partenaires ne jouent pas le jeu d’une concurrence loyale et ne respectent pas leurs engagements internationaux. Cette prise de conscience a été renforcée par la crise et les difficultés à trouver des leviers de croissance, notamment sur les marchés étrangers.

L’Europe a alors constaté que la valeur des marchés publics octroyés à des entreprises de pays tiers représentait des sommes bien plus élevées en Europe qu’à l’étranger : entre 85 % et 90 % des marchés publics sont potentiellement ouverts en Europe, pour un montant estimé à 352 milliards d’euros. À l’inverse, les marchés publics des États-Unis sont ouverts à 32 %, ceux du Japon à 28 % et ceux du Canada à 16 % ; et je ne parle pas du cas de la Chine qui réserve ses marchés aux seuls soumissionnaires chinois.

Face à cette asymétrie qui pénalise lourdement nos entreprises françaises et européennes, le Conseil européen du 23 octobre 2011 a demandé à la Commission européenne de présenter une proposition d’instrument de l’Union européenne visant à ouvrir les marchés publics, en précisant que l’Europe continuera à favoriser des échanges commerciaux libres, équitables et ouverts tout en défendant avec force ses intérêts dans un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel.

La Commission européenne a ainsi présenté un projet de règlement instaurant le principe de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics au sein de l’Union européenne. Ce projet de règlement du 21 mars 2012 consiste en une redéfinition du périmètre d’ouverture des engagements plurilatéraux et bilatéraux de l’Europe : pour les entreprises d’un pays dont les marchés publics sont fermés, l’ouverture des marchés publics européens serait conditionnelle.

Au groupe UDI, nous avons toujours défendu l’idée d’une Europe lucide, une Europe vigilante, mais surtout une Europe exigeante vis-à-vis de ses partenaires.

En ce sens, nous considérons que d’une façon générale, fermeté, respect et moindre naïveté doivent présider à la mise en œuvre de la réciprocité des échanges commerciaux en général, et en matière de marchés publics en particulier, à l’heure où ces derniers représentent près de 1 000 milliards d’euros dans le commerce international. Cela nécessite une volonté politique sans faille de la part de l’Union européenne et de ses membres, au premier rang desquels la France doit jouer un rôle majeur.

Le groupe UDI ne peut donc qu’apporter son soutien à cette proposition de résolution européenne, et saluer le travail réalisé par nos collègues Marie-Louise Fort et Seybah Dagoma.

Il nous semble effectivement essentiel que le Parlement français rassemblé envoie un message unanime de soutien à la démarche initiée par la Commission européenne, afin que le pragmatisme prenne le pas sur la naïveté dans les échanges entre l’Europe et le reste du monde. L’adoption de cette résolution sera indéniablement un acte symbolique et politique fort envoyé aux autorités européennes.

Nous nous félicitons d’ailleurs que, sur proposition du président Brottes et de la commission des affaires économiques dans son ensemble, nous ayons pu muscler les termes de cette proposition de résolution dont la première version nous semblait peut-être un peu tendre.

Néanmoins, cette mobilisation doit trouver son prolongement dès demain, et jusqu’au vote du projet de règlement par le Parlement européen en 2014. Elle nécessite une détermination sans faille du gouvernement français pour convaincre nos quinze partenaires, dont le Royaume-Uni et l’Allemagne – excusez du peu – qui, malheureusement, jugent ce projet trop protectionniste. Le groupe UDI soutient donc le Gouvernement et l’appelle à faire preuve d’une grande force de conviction à l’égard de nos partenaires aujourd’hui réticents.

Vous le voyez, madame la ministre, sur des sujets qui sont au cœur des préoccupations de nos compatriotes, comme l’emploi, nous sommes capables de transcender les clivages traditionnels. Nous souhaiterions qu’en cette période de ralentissement de l’activité économique, le Gouvernement inscrive à l’ordre du jour des travaux du Parlement plus de projets de loi qui poursuivent cet objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne nous réunit ce soir, dans le cadre de cette semaine de contrôle, pour débattre ensemble de l’instrument de réciprocité sur les marchés publics dans le commerce international.

Je tiens tout d’abord à saluer, car cela n’arrive pas assez souvent, l’examen dans cet hémicycle d’une proposition de résolution présentée par la commission des affaires européennes. J’espère bien que cela se renforcera encore dans les mois et les années à venir, pour que nous puissions porter nos idées auprès des institutions européennes avec le plus de force possible.

Il est certain que le sujet du « juste échange international » appliqué au secteur des marchés publics mérite l’adoption d’une résolution après un examen en séance publique. Je suis convaincue, comme beaucoup l’ont déjà dit ici, que nous partageons tous l’objectif de peser sur les décisions européennes pour adopter des outils qui permettent à nos entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrentes dans le monde.

Depuis l’accélération de l’ouverture des marchés et le phénomène de mondialisation des échanges commerciaux, nous avons toujours eu un train de retard pour réguler avec équité l’abandon du protectionnisme.

La situation préoccupante de nos entreprises nous oblige à nous mobiliser ensemble pour donner les moyens à notre ministre et à notre commissaire d’aboutir à l’adoption d’un règlement efficace. Ainsi j’espère, mes chers collègues, que nous adopterons à l’unanimité cette proposition de résolution que le groupe RRDP soutient avec force et vigueur. Cette proposition marque l’aboutissement d’une volonté de faire face à la dérégulation de la mondialisation déloyale qui mine notre industrie.

Avec plus de 2 millions d’entreprises, 35 millions de salariés et une production de 1 600 milliards d’euros de valeur ajoutée par an, l’Europe représente une puissance industrielle forte dans le monde. Mais si, globalement, elle a relativement mieux résisté à la crise économique que d’autres pôles industriels, la situation de l’industrie française est quant à elle devenue préoccupante : moins de 13 % de notre PIB contre plus de 20 % dans douze pays de l’Union dont l’Allemagne, des pertes d’emplois considérables qui s’aggravent, un manque d’investissement et un déséquilibre commercial massif.

Si nous disposons encore d’atouts importants sur lesquels nous devons concentrer nos efforts pour redevenir une puissance industrielle, la gravité de la crise a mis en lumière des pratiques dans les marchés publics qui faussent la concurrence et nuisent à notre tissu industriel.

Ainsi, le principe de réciprocité, c’est-à-dire l’octroi de concessions en échange de contreparties équivalentes pour aboutir à un échange juste et mutuellement bénéfique, a refait surface dans les débats sur la politique industrielle, en particulier pour les marchés publics.

Depuis deux directives de 2004, les règles européennes en matière de marchés publics imposent des procédures de passation garantissant la transparence, l’égalité d’accès et des conditions de concurrence équitable pour les contrats atteignant un certain seuil.

L’idée de base, que l’on peut comprendre facilement et qui n’est pas mauvaise en soi, consiste à donner les moyens aux acheteurs publics des pays européens d’acheter au prix le plus bas possible leurs équipements. Les achats publics représentent 17 % du PIB de l’Union européenne, laquelle offre ainsi le « plus grand marché public du monde ».

Ces marchés publics font d’ailleurs l’objet d’un accord multilatéral à l’OMC. Mais dans cet accord, certains États ont conditionné leur engagement à l’adoption de limites sur l’ouverture des marchés publics pour les secteurs des transports, de l’énergie, des télécommunications ou encore de l’eau.

L’Union européenne a choisi par principe d’ouvrir ses marchés publics, tout en avertissant qu’elle aurait une attitude dérogatoire pour les fournisseurs et prestataires des pays qui ont fixé des barrières. Mais en pratique, cela n’a eu aucun effet, et la Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs expliqué que la Commission était parfaitement consciente que la clause de réciprocité introduite ne pouvait pas fonctionner car elle n’était pas intégrée dans le corpus juridique du droit issu de l’Union européenne.

Ainsi, que ce soit pour des raisons juridiques ou techniques liées à l’impossibilité de déterminer la nationalité d’une entreprise, ou pour des raisons financières avec la possibilité d’accéder à des équipements à un coût réduit, les conditions de réciprocité n’ont finalement jamais été appliquées. En conséquence, l’Union européenne ouvre aujourd’hui ses marchés publics à toutes les entreprises, quelle que soit leur nationalité d’origine.

Les conséquences de cette ouverture sans contrepartie handicapent une grande majorité de nos entreprises européennes. D’abord, les entreprises européennes sont limitées dans leurs accès aux marchés publics dans de nombreux pays, ce qui représente un manque à gagner considérable. Surtout, les entreprises concurrentes, qui bénéficient d’une forme de subvention cachée par un accès privilégié à leur marché intérieur, peuvent librement venir les assommer en répondant aux appels d’offres sur les marchés européens avec des propositions en dessous de leurs coûts réels, voire avec des offres anormalement basses.

Ainsi, nos entreprises se retrouvent asphyxiées par cette pratique européenne de l’accord sur les marchés publics de l’OMC. Les chiffres sont accablants : 312 milliards d’euros de marchés publics européens étaient totalement ouverts en 2009, soit 15 % du total des marchés publics européens. À tire d’exemple, les États-Unis ont ouvert uniquement 3,1 % du total de leurs marchés publics, le Japon 3,8 % et le Canada 0,9 %.

De nombreux exemples récents démontrent notre candeur : le Japon a réussi à fermer ses frontières pour les appels d’offres dans le secteur ferroviaire ; dans le même temps, ses entreprises remportent des appels d’offres en Europe, le dernier en date étant d’un montant de 8,5 milliards d’euros en Angleterre. Cette situation se reproduit à l’identique pour les hélicoptères.

Pour les lanceurs de satellites institutionnels, c’est presque caricatural : les marchés publics sont totalement fermés dans les pays tiers alors que l’Union fait lancer de nombreux satellites par Soyouz.

La Commission a longtemps fait le choix de tenter de convaincre les pays tiers à revenir sur les exceptions contenues dans l’accord plurilatéral pour les marchés publics. Cette stratégie n’a pas été gagnante, ces pays préférant continuer à pouvoir bénéficier de cette situation rentable qui leur donne un avantage compétitif.

L’Europe doit également être ferme dans la négociation des nouveaux accords bilatéraux, et vous en avez parlé, madame la ministre, ainsi que certains de mes collègues. L’accord économique et commercial global en cours de négociation entre l’Union européenne et le Canada nécessite une grande vigilance de la part de l’Europe mais aussi de notre part. Je vous ai entendue, madame la ministre, mais je crois qu’il faut préciser que le Canada est un pays fédéraliste et, si la négociation actuelle se fait avec le niveau fédéral, c’est à l’échelon subfédéral, commune et province, que la majorité des marchés publics sont attribués – je crois que tout le monde n’a pas compris cela. Vous estimez que les accords de libre-échange sont une chance, mais ils ne le sont que s’ils sont bien négociés et bien compris. Si la France, et j’ai pu le vérifier, ne manque aucune occasion de réaffirmer que le principe de réciprocité doit s’appliquer aux deux niveaux institutionnels, encore faut-il que les provinces canadiennes soient signataires de l’accord. Or pour suivre cet accord depuis un certain nombre d’années, je peux vous dire que ce n’est absolument pas le cas à ce jour. Si c’était le cas, ce serait bien.

Si cet accord n’est pas signé par les provinces, l’Europe serait encore le grand perdant. Surtout, n’oublions pas que cet accord servira de modèle pour la négociation annoncée avec les États-Unis.

Revenons à la résolution. Depuis plus de dix ans, certains dénoncent à voix haute les effets ravageurs de cette ouverture trop souvent unilatérale des marchés publics dans les pays de l’Union.

Mais le débat idéologique et économique autour de ce principe reste difficile en raison de l’opposition de plusieurs États membres – vous avez dit, madame la ministre que neuf étaient pour et quinze contre – et notamment de l’ancien commissaire au commerce extérieur, Peter Mandelson, qui a vivement combattu l’adoption d’outils juridiques efficaces pour l’application de ce principe. Malheureusement, il a fallu attendre le constat indiscutable de l’injustice de l’application des règles en vigueur pour commencer à espérer avancer sur le sujet.

En attendant, avec les effets cumulés de la crise, nos entreprises ont souffert ; beaucoup ont délocalisé leur outil de production et les emplois qui vont avec, et d’autres ont même fait faillite.

Face à l’ampleur de la crise et pour enrayer la chute de nos entreprises européennes, l’une des pistes pour leur redonner de l’air, c’est la conquête des marchés extérieurs où nos entreprises ont un net avantage compétitif, comme pour le secteur ferroviaire souvent cité.

Cette prise de conscience a enfin pris corps progressivement dans les textes de l’Union entre 2010 et aujourd’hui. Mais il a fallu de nombreuses étapes successives, ce qui témoigne à la fois de la difficulté de parvenir à un consensus avec nos partenaires européens et de la lenteur institutionnelle pour mettre en place un outil juridique contraignant.

Mais ni les entreprises, ni les peuples européens ne peuvent se permettre une telle lenteur. Ils réclament une Europe plus réactive, plus efficace pour les protéger d’une concurrence faussée.

La proposition de résolution dont nous débattons vise à affirmer une position claire de la représentation nationale du peuple français pour soutenir le projet de règlement afin de redéfinir les secteurs d’ouverture de l’Europe et garantir l’effectivité de la réciprocité sur les marchés publics.

Pour conclure, j’ai la conviction profonde aujourd’hui que si rien ne change, les entreprises et les peuples d’Europe ne pourront pas continuer à subir passivement les conséquences d’une mondialisation injuste.

L’autorégulation des marchés ne sera jamais source d’équité et de justice. C’est pourquoi l’Union Européenne doit se donner les moyens de se protéger des pratiques commerciales déloyales.

Les géniaux théoriciens du « laisser-faire » ou « laisser-aller » ne tiennent pas assez compte des moyens de fausser la concurrence. Une concurrence forte sans régulateur fort aboutit à des conséquences économiques et sociales insupportables.

Les peuples européens veulent d’une Europe qui reprend son destin économique en main, qui affirme sa volonté de réguler le libre-échange, défendant les principes de loyauté, de symétrie et de réciprocité dans les relations commerciales, pour veiller sur nos intérêts européens collectifs, nos emplois et protéger notre mode de vie et notre cohésion sociale.

Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur le droit du travail, sur les injustices de la régulation monétaire, sur le droit sanitaire, sur le droit de l’environnement, sur le droit de la protection sociale. Lorsque ces droits sont bafoués par nos partenaires commerciaux, alors les règles du principe de réciprocité doivent être appliquées pour rétablir la justice.

Le groupe RRDP votera sans réserve cette proposition de résolution qui traduit la volonté de notre Assemblée de soutenir avec force ce principe et encourage chaleureusement notre ministre à porter haut ce message dans les négociations difficiles qui l’attendent. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi.

M. Razzy Hammadi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui vise à apporter notre plein et entier soutien au projet de règlement européen instaurant le principe de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics au sein de l’Union européenne. Je ne peux que souscrire à l’appel en provenance de tous les bancs de cette Assemblée pour que, dans les mois et les années qui viennent, un nombre croissant de résolutions allant dans ce sens puissent venir de la commission des affaires européennes, dont je salue la présidente Danielle Auroi.

Ce projet de règlement européen prévoit d’exclure des procédures d’appel d’offres au sein de l’Union européenne les entreprises des pays tiers dont les marchés publics resteraient fermés aux entreprises européennes.

Lors des négociations avec les pays tiers, l’Union européenne, sous une impulsion fortement libérale, inspirée par l’ancien commissaire au commerce extérieur, Peter Mandelson, a toujours défendu une ouverture ambitieuse, pour ne pas dire quelquefois ruineuse, des marchés publics internationaux. Or les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’application de cette doctrine libérale ne fonctionne pas. Un quart seulement des marchés publics dans le monde est ouvert à la concurrence internationale. En retour de l’ouverture généreuse de nos marchés publics, les entreprises européennes se voient opposer des pratiques discriminatoires, lorsqu’il ne s’agit pas – quelques-uns l’ont dit du bout des lèvres – de pratiques mafieuses qui les prennent en otage.

Cette situation ne peut plus durer. Avant d’aller plus avant, deux premières raisons peuvent être évoquées.

La première est dictée par l’enjeu essentiel dont il est question ici. Les acteurs publics représentent une part très importante du commerce mondial : 1 000 milliards d’euros par an. Les produits et services achetés par les pouvoirs publics représentent environ 17 % du PIB de l’Union européenne. Selon la Commission européenne, vingt-deux marchés clés de produits et de services seraient concernés par les marchés publics. Les marchés clés, ce n’est pas seulement la compétitivité-coût ou le dumping ; c’est aussi le patrimoine technologique, le savoir-faire, choses pour lesquelles il a fallu parfois des siècles de construction pour parvenir à une expertise et une excellence reconnues sur tous les continents.

Le chiffre d’affaires des entreprises actives sur ces marchés pourrait dépasser 25 % du PIB de l’Union européenne et représenter 31 millions d’emplois.

La seconde raison tient au fait que certains États, dont les États-Unis, le Japon et la Corée, ne respectent pas leur engagement d’ouverture mutuelle de leurs marchés alors même qu’ils sont parties avec l’Union européenne à l’accord AMP, l’accord de l’OMC sur les marchés publics.

Les chiffres sont, là encore, explicites : 85 % des marchés publics de l’Union européenne sont ouverts aux pays tiers alors que seuls 32 % des marchés américains et 28 % des marchés japonais le sont pour les entreprises européennes. Quant aux BRICS, les pays émergents comme le Brésil, l’Inde et la Chine, ils sont tout simplement complètement fermés, ou bien ils suspendent à la négociation, au libre arbitre, l’accord favorable en cas de candidature.

D’aucuns nous diront qu’il s’agit de mesures d’un siècle passé, visant à fermer nos frontières. Cette objection est fausse. Ce serait mal comprendre le double objectif poursuivi par l’exigence de réciprocité.

En premier lieu, cet objectif est d’apporter davantage d’ouverture des échanges. Oui à l’Europe ouverte mais non à l’Europe offerte. L’affirmation du principe de réciprocité vise à inciter nos partenaires commerciaux à abandonner les obstacles de libre concurrence, de juste concurrence et de non arbitraire dans les relations commerciales.

Il ne s’agit donc pas de remettre en cause le principe d’ouverture des marchés publics européens. C’est d’ailleurs pourquoi le projet de règlement ne prévoit d’exclure un marché européen qu’à la condition d’une absence de réciprocité substantielle.

L’objectif de la Commission européenne est bien de se ménager des marges de manœuvre en matière de politique commerciale et de se doter des moyens d’une politique commerciale, car il y a ce que nous discutons ici, il y a les textes, il y a souvent les couloirs feutrés des négociations internationales dans lesquels se niche le diable du détail, comme vous le disiez précédemment. Puis, il y a la pratique et ces milliers d’entreprises françaises livrées à l’arbitraire, à la partialité, que dissimulent des règles claires et transparentes et notamment cette réciprocité qui doit être, par définition, substantielle.

L’objectif de la Commission européenne est bien de se ménager des marges de manœuvre. Naturellement, la réponse ne sera pas la même selon les pays concernés. Les pays les plus en difficulté ne verront pas leurs rapports commerciaux avec l’Union directement remis en cause. Il s’agira de dialoguer, de discuter, de collaborer avec eux. Quant aux pays les moins avancés, il est bien évident qu’ils seront peu touchés ou pas du tout.

En second lieu, il s’agit d’accroître la sécurité juridique – quand ce n’est pas leur sécurité tout court – pour les entreprises européennes, qui aujourd’hui ne savent pas en fonction de quels critères les marchés publics étrangers leur sont ouverts ou fermés simplement en raison de leur nationalité. Les règles à cet égard sont susceptibles de changer d’un pays à l’autre et parfois, au sein d’un même pays, d’une région à l’autre. Certains pays n’ont pris aucun engagement tandis que d’autres ne respectent pas ceux qu’ils ont pris.

Enfin, il faut garder à l’esprit que l’absence d’accès réciproque pénalise gravement les entreprises européennes. Elles subissent non seulement les restrictions d’accès aux marchés des pays tiers mais font également l’objet de la concurrence déloyale d’entreprises qui bénéficient chez elles de mesures protectionnistes, et qui peuvent, par le jeu du dumping tant fiscal qu’environnemental, réglementaire ou social, proposer des offres anormalement basses. C’est le cas des offres des entreprises chinoises qui, dégageant des marges sur leurs marchés intérieurs grâce à la commande publique, se permettent ensuite de venir rogner celles des nôtres au sein du territoire communautaire.

N’oublions pas que le manque à gagner ici pour les exportateurs européens s’élèverait, selon les chiffres de la Commission européenne, à 12 milliards d’euros. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de ce déséquilibre, d’autant que, chacun le sait, le déficit de la balance commerciale de la France atteint 70 milliards chaque année – c’est l’état dans lequel nous avons trouvé le pays, et qui devrait dissuader certains de donner trop de leçons.

Les entreprises européennes pourront bénéficier, grâce à l’exigence de réciprocité, d’une ouverture mieux sécurisée, comparable à celle dont leurs concurrents bénéficient sur le territoire européen.

Il faut inciter ces pays fermés à rejoindre l’accord plurilatéral sur les marchés publics, comme dans le cas de la Chine. Comme vous l’avez fort bien dit, madame la ministre, l’adoption de ce règlement permettra à nos entreprises de jouer à armes égales dans la compétition internationale.

Il est grand temps que l’Union cesse d’être naïve. Les relations commerciales avec nos partenaires sont manifestement déséquilibrées et nous ne pouvons plus continuer à nous offrir au monde sans aucune contrepartie.

Moindre naïveté, mais aussi rationalité. Les chiffres présentés ici, et utilisés comme arguments par la quasi-totalité des orateurs, attestent que, derrière le refus obstiné de certains d’appliquer ce type de règles, il y a non pas une logique cohérente mais tout simplement une nouvelle forme d’obscurantisme, la croyance que l’absence totale de règles fondera un eldorado nouveau, qui se traduit en réalité pour les peuples par toujours plus de régression.

Ne nous voilons pas la face sur de tels sujets : ces réticences sont aussi liées aux échanges bilatéraux qu’entretiennent certains pays de l’Union, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, avec des pays émergents. Ces échanges bilatéraux sont facilités par des politiques fiscales ou sociales avantageuses.

Ce dont il est question ici, et c’est selon moi le cœur du problème, c’est d’une cohérence au sein même de l’Union sur la mise en œuvre de la réciprocité. Il faut déterminer, à l’échelle européenne, la nature du commerce international que ses membres veulent mettre en place. Je sais que ce n’est pas aisé et que l’on se bat au quotidien pour porter la voix de la France – mais pas d’elle seule, et à cet égard l’exemple du Danemark est significatif. Il s’agit là non de choisir entre libre-échange et protectionnisme mais d’opérer un dosage pertinent de développement, ce que l’on appelle le juste échange. Je conseille d’ailleurs à chacun de lire le bel ouvrage À qui profite le protectionnisme ?, qui réédite certains discours de Jaurès.

Le juste échange dépasse cette alternative entre libre-échange et protectionnisme, en poursuivant trois objectifs : maintenir le haut niveau de vie, le modèle social, le développement des pays du sud et préserver notre écosystème.

Je terminerai sur un point important, ce qui me permettra de saluer le travail des rapporteures, et plus particulièrement celui de Seybah Dagoma, parce que j’ai été personnellement le témoin de son engagement dès le début de cette législature sur les questions du juste échange, avec rigueur, objectivité et sans considérer que sur ce thème les slogans et les caricatures servaient d’argument. Nous avançons aujourd’hui sur ces questions de réciprocité : je suis sûr que demain – et je regarde la présidente de la commission des affaires européennes – nous pourrons peut-être le faire aussi sur la question du taux de change. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes peu nombreux, mais nous sommes d’accord. Non pas parce qu’il serait de bon ton d’achever nos travaux, avant quelques jours de repos bien mérités, sur une note moins polémique, mais parce que le sujet dont nous parlons, qui est loin d’être anecdotique, mérite la réflexion conjointe qui a été menée dans notre Assemblée depuis plusieurs semaines. Et il mérite que cette réflexion conjointe soit plus fondée sur la conjugaison de ce qui par ailleurs fait nos différences, plutôt que sur l’exacerbation de clivages qui pourraient altérer nos analyses sur ce sujet essentiel.

À l’heure où le chômage inquiète de plus en plus, où nous cherchons des solutions, des idées nouvelles, nous pourrions penser que la question de la réciprocité dans le cadre des achats publics à l’échelle internationale est bien éloigné des préoccupations de nos concitoyens. Nous aurions tort ! Car avec cette réflexion, avec ce projet de règlement, avec la position unanime, soyez-en assurée, madame la ministre, que va prendre notre Assemblée, nous mettons en évidence à la fois les difficultés et les problèmes, mais également les pistes de solution qui peuvent s’ouvrir à nous si nous nous en donnons les moyens à l’échelle européenne.

Il y a quelque paradoxe, si l’on considère la formidable puissance de nos entreprises, leur grande qualité, leur technicité, la compétence des femmes et des hommes qui contribuent à leur développement, leurs réussites tant au plan intérieur et européen qu’au plan mondial, à devoir faire le constat récurrent d’un commerce extérieur fortement déséquilibré.

Oui, nous gagnons des marchés à l’étranger, nous en gagnons dans tous les domaines et dans les technologies de pointe que nous avons su développer, nous Français et nous Européens, mais le déséquilibre de notre commerce extérieur s’est installé et il devient un de nos talons d’Achille. Il n’est donc certainement pas inutile de s’intéresser à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle européenne qui en est inséparable, à cette question du juste échange et donc de la réciprocité qui doit en faire partie.

Et je voudrais, au nom du groupe UMP, saluer le travail engagé depuis quelques semaines sur le juste échange par nos deux rapporteures de la mission d’information. Je salue ce travail dans sa globalité, puisqu’il s’agit bien sûr de traiter des marchés publics, dont nous parlons aujourd’hui, mais également des questions monétaires et de ces normes sociales et environnementales qui comptent parmi les raisons qui font que, malgré la qualité de nos produits et de nos entreprises, nous peinons à équilibrer nos échanges internationaux.

M. Yannick Favennec. C’est vrai.

M. Guy Geoffroy. Ce travail effectué par nos deux rapporteures se trouve aujourd’hui concrétisé par leurs rapports, pour les deux commissions qui examinent cette question, depuis que la Commission européenne a présenté le projet de règlement destiné à instaurer ce principe de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics au sein de l’Union européenne.

La commande n’est pas récente : elle a dix-huit mois. C’est en octobre 2011 que le Conseil européen a demandé à la Commission de présenter une proposition d’instrument « visant à ouvrir les marchés publics, en précisant que l’Europe continuera à favoriser des échanges commerciaux libres, équitables et ouverts tout en défendant avec force ses intérêts dans un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel ».

Nous sommes aux antipodes de toute volonté de protectionnisme. Ce projet de règlement qui nous est présenté, sur lequel les deux commissions ont bien travaillé, consiste en une redéfinition du périmètre d’ouverture des engagements à la fois bilatéraux et multilatéraux de l’Europe : ainsi, pour les entreprises d’un pays dont les marchés publics sont fermés, l’ouverture de nos marchés publics européens deviendrait conditionnelle.

Afin d’appuyer cette démarche à l’Assemblée nationale, cette proposition de résolution européenne a été étudiée le 15 janvier dernier par la commission des affaires européennes et plus récemment, le 5 février, par la commission des affaires économiques. Je voudrais saluer la décision, que cette commission a prise unanimement, de durcir à bon escient le texte pour affirmer la nécessité d’être ouvert, disponible, mais « ferme sur les prix », si je peux me permettre cette expression un peu triviale.

Les États de l’Union européenne sont désavantagés dans leurs relations commerciales avec leurs partenaires. La base sur laquelle les choses se construisent vaille que vaille, dans le déséquilibre constaté, c’est cet accord plurilatéral sur les marchés publics conclu en 1994, conjointement avec la transformation du GATT au moment des accords de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce. Cependant, il est utile de rappeler que sur les 156 membres de l’OMC, l’engagement ne concerne que 41 membres, un gros quart, dont l’Union européenne, et que, d’autre part, les États même qui y ont souscrit ont eu la possibilité d’inclure des dérogations.

Mes prédécesseurs l’ont dit, le déséquilibre est flagrant : nous ouvrons 85 à 90 % des marchés européens à la concurrence, pour un montant estimé à 352 milliards d’euros ; les États-Unis n’ouvrent qu’à 32 %, ce qui représente un volume de marchés ouverts moitié moindre, 178 milliards d’euros, que ceux de l’Union européenne. Quant aux autres – le Japon, le Canada, la Chine plus encore –, soit prétendent ouvrir et en réalité ferment beaucoup ; soit ils ont l’honnêteté de s’en tenir à un discours qui n’est même pas arrogant, mais qui affirme leur émergence flamboyante, revendiquant l’accès à tous les marchés et la fermeture du leur.

C’est pourquoi le règlement européen serait un instrument utile : il permettrait de faire pression sur nos partenaires commerciaux tout en manifestant notre volonté d’un partenariat équilibré au niveau des marchés publics, qui pour l’instant nous sont beaucoup trop fermés.

Cette problématique de la réciprocité sur les marchés publics aura des conséquences concrètes sur nos entreprises et sur nos emplois. On a parlé de 1 000 milliards d’euros, de 20 millions voire 30 millions d’emplois concernés. Les achats publics représentent 19 % du PIB, dans le haut de la fourchette, pour l’Union européenne.

Madame la ministre, ce ne sera pas une surprise, mais je pense qu’il est important que vous ayez cette tranquille certitude : le groupe UMP votera sans difficulté ce projet de résolution qui a été bien travaillé, qui nous a été bien rapporté et qui mérite maintenant d’être repris comme outil supplémentaire de la volonté de notre gouvernement de combattre à l’échelle européenne. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Qu’il me soit permis, pour conclure, de dire que si cette proposition de résolution confortant la proposition de règlement européen sera un bon outil, cela ne suffira pas pour gagner des marchés publics à l’étranger : ce qui est en jeu, notre collègue Yannick Favennec le disait, c’est aussi la compétitivité profonde, intrinsèque, de nos entreprises.

M. Yannick Favennec. Eh oui !

M. Guy Geoffroy. C’est la question, au-delà de l’ouverture équitable de nos marchés et de l’espoir que nous puissions accéder à d’autres marchés à l’étranger, de notre capacité à réduire le coût du travail pour être plus compétitifs. Vaste sujet, vaste programme, mais comme ce soir nous sommes d’accord sur le fond, je ne prendrai pas le temps de lancer une polémique qui a été esquissée, mais qui me semble plutôt étrangère à l’intérêt qui est le nôtre d’être d’accord, unanimes et combatifs, pour approuver cette résolution et donner à notre gouvernement les moyens de la porter haut et fort à l’échelle européenne. Je vous remercie. (« Très bien ! » sur les bancs des groupes UDI et SRC. Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons ce jour traduit une priorité : répondre dans l’urgence aux défis majeurs qui menacent l’Europe, la récession et la montée fulgurante du chômage.

En effet, il n’existe pas, à ce jour, au niveau de l’OMC ou ailleurs, de socle juridique solide applicable aux marchés publics entre l’Union européenne et ses partenaires commerciaux. Seul existe l’accord plurilatéral sur les marchés publics, signé par une minorité des membres de l’OMC, ainsi que quelques accords bilatéraux.

Le principe de réciprocité, notamment dans le domaine des marchés publics, qui doit permettre l’accès de nos entreprises aux marchés des pays tiers, sera un premier pas en ce sens.

L’accès à ces marchés constitue à mes yeux un enjeu majeur pour l’Union européenne dans le contexte des échanges internationaux.

Alors que les marchés européens sont parmi les plus ouverts au monde, de nombreux pays sont réticents à l’idée d’ouvrir davantage les leurs à la concurrence internationale du fait de mesures protectionnistes.

Nous ne pouvons pas accepter que l’Union européenne, qui a déjà pris des engagements d’ouverture très larges dans le cadre des traités internationaux, accueille de surcroît, sans discrimination, des entreprises étrangères sur les marchés publics non couverts par ces accords.

Peut-on accepter que la valeur des marchés publics attribués en Europe à des entreprises étrangères soit supérieure à 300 milliards d’euros contre seulement 34 milliards aux États-Unis ? Peut-on accepter que 90 % des marchés publics de l’Union européenne fassent l’objet d’une ouverture transparente ? Je ne rappellerai pas les taux constatés aux États-Unis, au Japon, au Canada, en Chine ou au Brésil.

Cette asymétrie doit cesser. Elle n’est pas sans conséquence sur les opportunités commerciales des entreprises européennes – particulièrement dans un certain nombre de secteurs dans lesquels l’Union européenne, et notamment la France, sont très compétitives, comme l’aérospatial et la défense, la construction, les transports publics, la production d’électricité, les appareils médicaux, ou encore les produits pharmaceutiques.

Je suis tout à fait d’accord avec Michel Barnier, lorsqu’il dit que « l’Union européenne doit cesser d’être naïve, et se fixer pour objectifs l’équité et la réciprocité des échanges mondiaux. »

L’adoption de ce règlement permettra à nos entreprises de jouer à armes égales dans la compétition internationale.

Il s’agit de rien de moins que de réindustrialiser l’Europe, à un moment où les chiffres de l’emploi au sein de l’Union sont accablants : 25 % de chômage en Espagne et en Grèce, plus de trois millions de chômeurs en France. En 2012, la zone euro a connu un taux de chômage de 11,4 %, un record historique.

L’adoption de ce règlement s’inscrit donc pleinement dans la bataille pour l’emploi engagée par le Gouvernement.

J’en viens au dispositif proposé. Sa mesure emblématique consiste à prévoir qu’un pays qui applique une discrimination à l’encontre des marchés européens puisse se voir refuser l’accès à ces mêmes marchés.

Ce projet de règlement ne résoudra pas, à lui seul, le problème de l’asymétrie entre l’Union européenne et certains de ses partenaires. À mon sens, il aura cependant un effet incontestablement positif. En effet, il incitera les partenaires commerciaux de l’Union européenne à ouvrir leurs marchés publics aux entreprises européennes. Il placera les entreprises de l’Union européenne sur un pied d’égalité avec les sociétés étrangères au sein du marché intérieur. Il facilitera l’intégration des petites et moyennes entreprises sur les marchés mondiaux. Il stimulera, enfin, l’emploi et l’innovation au sein de l’Union européenne.

Je sais que la France est isolée en Europe sur cette question. Vous l’avez dit, madame la ministre. Elle n’est pas assurée de la solidarité de ses voisins européens. Nous connaissons, par exemple, les réserves de la Grande-Bretagne, attachée à l’idée qu’une large ouverture des marchés publics à la concurrence constitue pour l’Union un facteur de compétitivité. Je connais encore les réserves de l’Allemagne, qui craint des représailles de la part de ses partenaires commerciaux. Il nous faut donc convaincre. Je tiens à saluer à cet égard, madame la ministre, l’engagement dont vous faites preuve auprès de nos voisins européens.

Je comptais vous poser une question sur l’état d’esprit des autres pays, mais vous y avez déjà répondu. Je formulerai simplement une observation, et vous poserai une nouvelle question.

À mon sens, cet instrument ne doit être qu’un premier pas. Il n’est pas supportable que certains pays, pour réduire leurs coûts de production, bafouent les droits humains, notamment les règles édictées par le Bureau international du travail. Je pense en particulier à ces pays qui, pour améliorer leur compétitivité, acceptent le travail forcé, le travail des enfants de moins de 14 ans, des salaires insupportablement bas, et des temps de travail excessifs. Ne faudrait-il pas aller beaucoup plus loin, par exemple en imposant une règle de réciprocité en matière sociale à nos partenaires économiques ? Nous ne pouvons accepter que des produits qui ne répondent pas aux normes européennes soient importés à des coûts très bas et faussent ainsi le marché.

En conclusion, cette résolution permet de franchir une étape indispensable à la réindustrialisation de l’Union européenne, et donc à la sauvegarde de l’emploi. Elle sera comprise et appréciée non seulement par nos concitoyens français, mais également par nos concitoyens européens. Je suis en effet convaincu que ces questions seront largement débattues l’an prochain, lors des élections européennes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Cresta.

M. Jacques Cresta. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier la présidente de la commission des affaires européennes, qui a souhaité que nous puissions débattre en séance de cette résolution. Même si nous ne savons pas toujours ce qu’il advient des résolutions européennes une fois qu’elles sont adoptées, j’ai la certitude – et je crois qu’elle est partagée ce soir – que ce sujet est d’une extrême importance.

Ce projet de règlement proposé par la Commission européenne pourrait bien être un tournant dans la mise en œuvre du juste échange, dont nous parlons depuis si longtemps. Nous le savons, cette idée ne fait pas consensus au sein de l’Union europénne. Malgré cela, elle avance : je salue à cet égard le travail réalisé par nos collègues Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort sur cette question.

La crise majeure que nous traversons impose pragmatisme et lucidité. C’est là le sens, madame la ministre, des priorités que vous avez énoncées devant la commission des affaires économiques. Nous ne pourrons pas rétablir l’équilibre de notre balance commerciale, si dégradée ces dix dernières années, si l’ouverture des marchés européens aux pays tiers n’est pas totalement réciproque. Ce constat vaut pour l’Union européenne dans son ensemble

Le département d’où je suis élu, les Pyrénées-Orientales, est un territoire frontalier. La question de l’attribution des marchés publics y revêt une importance déterminante, d’autant plus que son économie repose essentiellement sur un tissu de TPE et de PME souvent artisanales. Dans notre pays, la commande publique représente 150 milliards d’euros par an. C’est un outil essentiel de développement pour les PME et les TPE innovantes de nos territoires. L’article 7 de la loi de modernisation de l’économie de 2008 avait donné un léger coup de pouce à ces entreprises, mais sa portée est insuffisante au regard de la concurrence actuellement à l’œuvre, qui redouble sous l’effet de la crise.

Cette résolution rappelle utilement les dispositions de l’article 7 de la proposition de règlement. Notre code des marchés publics retient le principe de l’offre économiquement la plus avantageuse, mais force est de constater qu’une place prépondérante est accordée au critère du prix, parfois au détriment de la qualité de la prestation, voire au détriment de critères sociaux ou environnementaux. Cette course au prix le plus bas a de lourdes conséquences sur la rentabilité de nos entreprises et entraîne, parfois à court terme, des licenciements économiques. Cette première étape relative au contrôle des offres anormalement basses est donc la bienvenue.

Certaines entreprises chinoises fournissent un exemple éclairant de cette pratique. Aujourd’hui, près de 90 % du verre solaire utilisé en Europe dans la construction de panneaux photovoltaïques proviennent de Chine. Ce pourcentage extravagant n’a pas été obtenu par l’extraordinaire qualité des produits chinois mais bien par une politique de prix déloyale. En effet, pour conquérir le marché européen, les entreprises chinoises y pratiquent des prix inférieurs à ceux qu’elles pratiquent sur leur propre territoire.

Je sais que je parle d’un géant économique dont les possibles représailles peuvent effrayer certains de nos voisins. Mais nous ne pouvons plus tolérer de telles pratiques. N’oublions pas que la Chine et l’Inde pratiquent un patriotisme économique fermant presque intégralement leurs marchés à nos entreprises. Nous ne pouvons donc plus continuer à leur ouvrir intégralement nos marchés publics sans obtenir en échange une réciprocité effective et contrôlée. À défaut, la persistance de cet état de fait pourrait conduire à un désastre pour nos entreprises et pour notre équilibre économique.

Nous sommes tous bien conscients que le Conseil européen n’est pas unanime à ce sujet. J’aimerais dire qu’il ne l’est pas encore. Permettez-moi de reprendre les propos du chef de l’État, qui disait récemment que « l’Europe doit être ouverte, mais pas offerte ». Pour moi, c’est bien dans cette perspective que s’inscrit cette proposition de règlement de la commission européenne.

Cette proposition de résolution est donc importante. Elle est même indispensable, car elle permet à l’Assemblée nationale d’affirmer clairement sa position politique à ce sujet. C’est un message politique fort. Je sais, Madame la ministre, que vous êtes engagée dans des négociations difficiles. Par ce texte, nous vous manifestons avec force notre total soutien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme Nicole Bricq, ministre. Merci !

M. le président. La parole est à M. Thomas Thévenoud.

M. Thomas Thévenoud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question que nous abordons ce soir est au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Chaque jour, dans nos circonscriptions, nous sommes interrogés, quel que soit notre bord politique, sur la question des échanges internationaux.

La France est une grande nation exportatrice. Pour autant, son commerce extérieur s’est fortement dégradé au cours des dix dernières années. Il y a dix ans, notre balance commerciale était excédentaire ; elle est aujourd’hui largement déficitaire. Le défi lancé à nos chefs d’entreprises, et au-delà à tous les salariés français qui portent l’excellence du savoir-faire national et en particulier du savoir-faire industriel, touche à la réciprocité du commerce international, et au juste échange. Cette notion est issue de réflexions menées par des économistes et des hommes politiques français. Elle a été promue par le Président de la République, François Hollande, qui en a fait un de ses axes de campagne. Il en a également fait un axe de la réorientation de la politique européenne qu’il a souhaité engager depuis qu’il est chef de l’État.

Nous souhaitons donc la réciprocité et le juste échange. Cela revient aussi, j’y insiste, à soutenir le savoir-faire français, le made in France, ce que vous avez appelé, madame la ministre, la « marque France ». Avec plusieurs de vos collègues, vous avez lancé il y a quelques jours une opération autour de cette « marque France ». Je veux insister sur ce point, car c’est aussi un moyen de réaffirmer notre confiance dans nos capacités exportatrices.

Permettez-moi d’insister également sur la stratégie globale du Gouvernement, au-delà de la réciprocité et du juste échange. Cette stratégie vise à renforcer la compétitivité de nos entreprises. Nous devons poser des conditions pour que le juste échange soit respecté, mais il nous faut aussi renforcer la compétitivité de nos entreprises. Le constat dressé par Louis Gallois dans son rapport présenté au Président de la République à la fin de l’année 2012 s’est immédiatement traduit par des décisions courageuses, prises par le Gouvernement dans le cadre du pacte de compétitivité : la mise en place du crédit d’impôt compétitivité emploi, la création de la Banque publique d’investissement, le soutien à certaines filières et à certaines entreprises intermédiaires, le maintien et le renforcement du crédit d’impôt recherche… Toutes ces mesures ont lancé une dynamique de compétitivité pour nos entreprises.

Il faut le juste échange et la réciprocité dans les marchés publics. Il faut surtout que l’Union européenne nous entende sur ce point : c’est l’objet de cette proposition de résolution. Il ne faut pas s’arrêter là, mais également restaurer la compétitivité de nos entreprises. C’est ce que le Gouvernement a décidé de faire.

Comme l’a dit le Président de la République, l’Europe doit être ouverte, mais elle ne doit pas être offerte. Il ne faut pas que l’Europe soit naïve. Dans la compétition économique internationale, qui s’apparente parfois même à une guerre économique entre les continents et les ensembles économiques, l’Europe doit aussi savoir se protéger. La protection de notre industrie, de notre appareil de production, de nos salariés et de notre savoir-faire est nécessaire. Le mot « protection » n’est pas un vilain mot ! À nous de montrer que l’on peut se protéger, se défendre, mais aussi innover, investir, créer, défricher de nouveaux marchés et exporter plus et mieux. C’est ce que nous allons faire, grâce au pacte de compétitivité proposé par le Gouvernement. Nous le ferons d’autant mieux, madame la ministre, si la réciprocité commerciale est effectivement assurée, notamment sur les marchés publics, et plus largement si un échange plus juste est mis en place à l’échelle internationale entre les grands ensembles économiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Monsieur le président, je répondrai simplement aux orateurs avant que vous ne procédiez au vote.

Monsieur Favennec, vous avez commencé votre intervention par une attaque en règle de la politique économique du Gouvernement.

M. Yannick Favennec. C’est normal !

Mme Nicole Bricq, ministre. Vous êtes dans l’opposition, c’est tout à fait votre droit. Je crois par ailleurs que le dernier intervenant du groupe SRC vous a répondu. Je ne veux pas recommencer cette discussion. Permettez-moi simplement de rectifier une erreur : le crédit d’impôt compétitivité emploi est d’ores et déjà financé. Les entreprises recevront donc ce bol d’oxygène dès l’année 2013 : elles peuvent tout à fait le demander.

Vous avez également évoqué le problème de la compétitivité. Vous avez raison, ce n’est pas un mot tabou ! Cependant, à l’export, la compétitivité s’apprécie non seulement par le prix, mais aussi par la qualité des produits considérés. C’est précisément le rapport entre la qualité et le prix qui est déterminant. Il peut être pertinent de payer plus cher un bien ou un service si la qualité est au rendez-vous.

Je veux retenir un élément de votre intervention : vous avez dit à juste titre que les relais de croissance ne sont malheureusement plus suffisants en Europe – les chiffres le montrent – et qu’il faut les chercher dans les exportations vers les pays les plus lointains. C’est un point qui fait l’unanimité. Au moment où la croissance est atone, voire négative, dans certains pays d’Europe, il convient donc de les retrouver dans l’internationalisation des entreprises. C’est ce que les entreprises françaises ont commencé de faire. Si, en 2012, elles ont augmenté de 13 % leur volume d’exportation vers les marchés les plus lointains, notamment vers l’Asie, c’est bien parce qu’elles ont compris que ces relais de croissance étaient essentiels. En 2012, comme vous le savez, la croissance était de 0 %, or le commerce extérieur a apporté 0,6 point. Si nous n’avions pas mené cette bataille du commerce extérieure, la croissance aurait donc pu être négative. En 2013, ce sera un relais de croissance essentiel. Nous sommes tout à fait d’accord sur ce point.

Madame Girardin, vous avez évoqué la négociation avec le Canada dont vous avez, à juste titre, rappelé le caractère fédéral. Vous avez également bien expliqué que l’Europe devait procéder avec sérieux lors de la conclusion de l’accord avec le Canada. En effet, la situation étant la même, les États-Unis pourraient considérer que ce que l’on a accordé au Canada pourrait leur être également octroyé. Je n’ai pas participé au début de cette négociation, mais je pense que l’Europe a déjà fait de nombreux compromis et qu’il conviendrait, donc, de nous en tenir là. Nous rencontrons, en effet, cette difficulté avec les États fédérés. Vous savez qu’un accord de libre-échange est, entre autres, en discussion avec l’Inde. Certes, les composantes d’un État fédéral, associées à la négociation, ne sont pas signataires, mais, à partir du moment où elles seront amenées à donner leur avis sur cet accord, on peut considérer qu’elles seront engagées, même s’ils ne le sont pas juridiquement. Vous avez eu toutefois raison d’insister sur ce point.

M. Hammadi a fait remarquer, avec raison, que le principe était celui de l’ouverture et il a bien démontré que le principe de réciprocité était, finalement, une arme de dissuasion. Ainsi, si les partenaires ne respectent pas cette ouverture, la réciprocité jouera sur les marchés publics européens. Nous ne devons pas cesser de le répéter : les protectionnistes sont ceux qui ne respectent pas ce principe de l’ouverture concernant, entre autres, les marchés publics.

J’ai écouté avec intérêt votre intervention, monsieur Pueyo. Vous avez eu raison de souligner que l’ouverture des marchés publics permettra à nos petites et moyennes entreprises de trouver un espace de croissance. Il est clair que c’est pour elles que nous nous battons.

Monsieur Cresta, vous avez insisté sur les territoires frontaliers et vous avez également parlé des petites et moyennes entreprises. Vous avez évoqué les verres solaires utilisés pour les panneaux photovoltaïques. La Commission a, aujourd’hui, décidé d’engager une procédure antidumping. Plusieurs d’entre vous ont, ainsi, évoqué les offres anormalement basses. La France a essayé d’introduire des dispositions pour barrer la route à de telles offres lors de la révision de la directive sur les marchés publics que j’ai évoquée, comme dans le projet de règlement sur la réciprocité. Nous n’y sommes pas parvenus, car nous n’avons pas été majoritaires. Pour contourner cette difficulté, il convient de développer, notamment dans les appels d’offres, la responsabilité sociale et environnementale. C’est ce que fait la Banque mondiale, laquelle révise tous ses critères de marchés publics et va introduire ces normes pour que ceux qui veulent soumissionner se plient à cette responsabilité sociale et environnementale.

M. Geoffroy a rappelé, à juste titre, que c’était un débat sérieux, qui nous a permis de nous retrouver, et qui va se poursuivre. Nous sommes français, nous défendons nos intérêts ; nous sommes européens et nous défendons les intérêts de l’Europe. Ce n’est pas un choix partisan. Je vous remercie de l’avoir rappelé.

Monsieur Thévenoud, vous avez fermé la marche, en évoquant la marque France. Nous avons effectivement lancé avec mon collègue Montebourg et ma collègue Sylvia Pinel cette mission marque France, qui n’est pas, vous l’aurez remarqué, le made in France. En effet, j’ai parlé précédemment du volume d’importations qu’il faut atteindre pour exporter. Nous savons bien que c’est plus complexe que cela. Au sein du made in the world, comme on dit maintenant, il peut être possible de distinguer des degrés, d’affirmer, selon les cas, que la création est française, que le design est fait en France, etc. C’est ce que nous allons essayer de faire au travers de la marque France. Cette marque ombrelle permettra à de nombreuses régions, qui ont déjà une marque, de bénéficier du pavillon France pour être bien identifiées dans notre offre commerciale. Nous sommes un pays d’ingénieurs, un pays d’inventeurs, un pays de productivité comptant de nombreux sites industriels. Nous devons donc, nous Français, être capables d’écrire cette espèce de « roman économique ». Quand on pense « allemand », on pense solidité et qualité. Il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement pour nous, car nous avons cette qualité. Nos entreprises atteignent de hauts degrés d’excellence. J’ai toute confiance en elles et je suis convaincue que la France peut et doit trouver sa place dans la mondialisation.

Je vous remercie toutes et tous d’avoir pris le temps d’examiner cette proposition de résolution. Je remercie les rapporteures et les présidents. La France s’honore de débats tels que celui que vous avez mené ce soir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Article unique

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de résolution.

(L’article unique est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’ensemble de la proposition de résolution est adopté, à l’unanimité.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, lundi 11 mars 2013 à seize heures :

Discussion du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante.)