XVe législature
Session ordinaire de 2021-2022

Première séance du mercredi 26 janvier 2022

Sommaire détaillé
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Première séance du mercredi 26 janvier 2022

Présidence de M. David Habib
vice-président

M. le président

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à quinze heures.)

    1. Modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes

    Commission mixte paritaire

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi ratifiant l’ordonnance no 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (no 4866).

    Présentation

    M. le président

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    La parole est à Mme Carole Grandjean, rapporteure de la commission mixte paritaire.

    Mme Carole Grandjean, rapporteure de la commission mixte paritaire

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    Le présent projet de loi confère à des travailleurs de plus en plus nombreux – les chauffeurs de VTC, les véhicules de tourisme avec chauffeur, et les livreurs de marchandises à deux roues – le droit de désigner des représentants chargés de dialoguer avec les plateformes numériques auxquelles ils recourent pour leur activité. Il s’inscrit dans le prolongement de la loi El Khomri qui a posé le principe de la responsabilité sociale des plateformes à l’égard des travailleurs indépendants. Il découle aussi de la loi d’orientation des mobilités qui a permis aux plateformes d’établir une charte fixant les conditions et modalités d’exercice de cette responsabilité. Cette dernière loi a impulsé la construction d’un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs indépendants en autorisant le Gouvernement à définir par ordonnance les modalités de représentation de ces travailleurs et les conditions d’exercice de cette représentation.
    C’est ainsi qu’a vu le jour l’ordonnance du 21 avril 2021 que l’article 1er du projet de loi tend à ratifier. En l’état, l’ordonnance traite de la représentation des travailleurs indépendants et confie à un nouvel établissement public, l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), la régulation des relations sociales entre les plateformes et les travailleurs. Par cohérence, l’article 2 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires à la poursuite de la construction du dialogue social dans ces secteurs.
    Le 28 septembre, notre Assemblée adoptait le texte en première lecture, après l’avoir enrichi ; je pense notamment à la précision selon laquelle les représentants des travailleurs et des plateformes pourront recourir à une expertise sur les éléments nécessaires à la négociation des accords de secteur. Peu après, le Sénat adoptait le projet à son tour, non sans l’avoir amendé. Cela n’a pas empêché, et c’est heureux, la commission mixte paritaire réunie le 5 janvier dernier de s’accorder sur le texte que la rapporteure pour le Sénat, Frédérique Puissat, et moi-même leur proposions d’adopter. Permettez-moi d’y revenir brièvement.
    À l’article 1er, il nous est apparu utile, ainsi que le soutenait le Sénat, de recentrer le rôle de l’ARPE sur la régulation du dialogue social entre les plateformes numériques et les travailleurs plutôt que sur la régulation des relations sociales entre les deux parties. Par ailleurs, par souci de simplicité, nous avons souhaité ne pas imposer aux travailleurs qui exerceraient à la fois une activité de conduite de VTC et de livraison de marchandises d’avoir à choisir un secteur plutôt qu’un autre pour exercer leur droit de vote.
    À l’article 2, les divergences entre les deux assemblées ont cédé la place à une rédaction de compromis. Tout d’abord, l’habilitation à légiférer par ordonnance pour organiser le dialogue social au niveau de chacune des plateformes est supprimée. Ensuite, le souci partagé d’encadrer davantage les futures dispositions relatives à la périodicité et au champ de la négociation collective au niveau des secteurs trouve une traduction dans l’habilitation à légiférer par ordonnance plutôt que dans un nouvel article destiné à inscrire d’ores et déjà ces dispositions dans le code du travail. Ainsi, l’ordonnance définira les thèmes et la périodicité de la négociation collective. Ces thèmes incluront notamment les modalités de détermination des revenus des travailleurs, mais aussi les mesures visant à améliorer leurs conditions de travail et à prévenir les risques professionnels auxquels ils peuvent être exposés.
    En outre, les missions de l’ARPE évoluent : son rôle de médiation ne s’exercera pas entre les plateformes et les travailleurs indépendants, mais entre les premières et les représentants des seconds. Enfin, l’ordonnance devra être prise dans un délai de neuf mois. Cela lui permettra d’intégrer les lignes directrices que la Commission européenne aura édictées sur la question de la compatibilité entre le droit de la concurrence européen et les accords issus de la négociation collective entre les travailleurs indépendants et les plateformes numériques d’emploi.
    Mes chers collègues, le présent texte est une avancée pour les quelque 50 000 travailleurs des plateformes de la mobilité et de la livraison. Nous sommes convaincus que le dialogue social est le meilleur moyen de rééquilibrer les relations entre travailleurs et plateformes. C’est toute l’ambition de ce projet dont nous suivrons attentivement la mise en œuvre. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

    Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion

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    Après une première lecture à l’Assemblée en septembre, puis au Sénat en novembre, la commission mixte paritaire est parvenue le 5 janvier à un accord sur ce projet de loi destiné à promouvoir le dialogue social avec les plateformes. Je tiens à remercier particulièrement ses membres, dont le travail a permis d’aboutir à un texte ambitieux et équilibré qui, conformément à l’engagement du Gouvernement, fournit un socle de droits nouveaux aux travailleurs des plateformes.
    Le texte est bâti sur une conviction : la négociation collective est la meilleure méthode pour bâtir une protection sociale adaptée aux travailleurs des plateformes. Je rappelle que le premier objectif du projet de loi est de ratifier l’ordonnance du 21 avril visant à permettre l’émergence d’un dialogue social dans le secteur des plateformes de mobilité. Cette ratification est une première pierre posée en vue de la construction d’une véritable démocratie sociale dans le secteur. Avec elle, nous voulons accompagner le développement des plateformes de mise en relation tout en veillant à mieux protéger les travailleurs qui y recourent. Nous voulons aussi bâtir un dialogue social structuré entre les plateformes et leurs travailleurs afin de faire bénéficier ces derniers de droits nouveaux – relatifs à la rémunération minimale, à la formation professionnelle, à la santé au travail – tout en respectant l’indépendance à laquelle nombre d’entre eux sont attachés.
    L’enjeu est donc aussi d’adapter le droit du travail aux nouvelles formes d’emploi ; le texte s’inscrit à cet égard dans la continuité d’un travail de réflexion et de concertation approfondi, mené d’abord par Jean-Yves Frouin puis par Bruno Mettling, que je tiens à remercier tous les deux une nouvelle fois.
    L’ordonnance du 21 avril prévoit l’organisation d’une élection nationale permettant à près de 100 000 travailleurs des deux secteurs d’activité concernés, c’est-à-dire les chauffeurs de VTC et les livreurs à vélo, d’élire leurs représentants. Cette élection, qui se tiendra du 9 au 16 mai, leur permettra de bénéficier pour la toute première fois d’une représentation syndicale. Sa réussite est au cœur des missions confiées à la nouvelle instance de facilitation du dialogue social dont la création est également prévue par cette ordonnance, l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi. Je me réjouis tout particulièrement d’avoir participé, la semaine dernière, à l’installation de cette autorité et à la tenue de son premier conseil d’administration. C’est une première étape importante qui marque notre volonté de voir s’appliquer rapidement les dispositions du projet de loi que vous êtes appelés à voter aujourd’hui. Au-delà de l’organisation des élections, cette jeune autorité sera chargée d’accompagner les nouveaux représentants dans la réussite des premières négociations qui seront lancées. En effet, l’ARPE a vocation à devenir un facilitateur du dialogue social en même temps qu’un observatoire des évolutions de l’activité du secteur des plateformes.
    Je salue les avancées importantes permises sur le texte par vos deux chambres, qui ont complété utilement les missions attribuées à cette autorité. Dans le projet de loi, de nouveaux rôles lui sont ainsi confiés : un rôle de reconnaissance des organisations représentatives des plateformes et un rôle de médiation en cas de différend entre ces dernières et les représentants des travailleurs. L’enrichissement des missions de l’ARPE lui permettra d’accroître rapidement sa crédibilité et de gagner en efficacité. Par ailleurs, le travail de la commission mixte paritaire a permis de préciser et de mieux définir le rôle d’expertise dévolu à ce nouvel établissement public administratif. Je suis certaine que ces apports permettront à l’ARPE de prendre rapidement la mesure de son portefeuille et de monter pleinement en puissance.
    Au-delà de ces avancées, le texte ouvre la voie à de nouvelles dispositions législatives susceptibles de définir les modalités du dialogue social dans le secteur. C’est tout le sens de l’article 2, qui vous demande d’habiliter le Gouvernement à approfondir par voie d’ordonnance le cadre de la négociation collective entre les représentants des plateformes et ceux de leurs travailleurs. Le recours à cette procédure répond à la nécessité de définir le cadre du dialogue social avant la tenue des élections professionnelles, au mois de mai, pour donner de la visibilité aux travailleurs des plateformes. Je salue à cette occasion le compromis obtenu entre les deux chambres, qui ont réussi à s’entendre sur le champ de la négociation. En effet, le périmètre retenu concernera le dialogue au niveau du secteur des plateformes de mobilité et non le dialogue au sein des plateformes elles-mêmes. Cela permettra d’acter le plus rapidement possible de nouveaux droits pour les travailleurs du secteur.
    Je tiens également à saluer le compromis obtenu sur les thèmes ouverts à la négociation collective : en faisant le choix de renvoyer leur liste aux futures ordonnances, sans figer les choses dans la loi, l’Assemblée nationale et le Sénat démontrent, une fois encore, que leur travail de coconstruction est essentiel pour élaborer des dispositifs équilibrés et utiles. L’apport de l’Assemblée nationale a, là aussi, été décisif et permet de conserver une marge de manœuvre dans le choix des thèmes afin de répondre de la manière la plus efficace aux besoins des travailleurs.
    Enfin, je salue l’esprit de concorde qui a prévalu entre les rapporteures des deux assemblées sur la question des prix affichés par les plateformes et des revenus perçus par les travailleurs qui y recourent. La rédaction retenue dans ce texte est, là aussi, celle du rapport Mettling ; elle permet d’intégrer aux thèmes ouverts à la négociation collective les modalités de détermination des revenus des travailleurs. Il s’agit d’une avancée importante qui permettra au secteur de se pencher sur cette question essentielle grâce au dialogue social, sans préjuger des conclusions qu’il conviendra d’en tirer.
    Enfin, à l’heure de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, je voudrais rappeler que ce texte porte une ambition forte et singulière en Europe. Les choix défendus au niveau national montrent qu’il est possible d’améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes sans pour autant réglementer leur statut. Le projet de directive de la Commission européenne sur les travailleurs des plateformes fait, lui aussi, une place à la représentation collective ; il reconnaît pleinement le rôle des représentants des travailleurs des plateformes. De la même manière, par ses lignes directrices sur le droit de la concurrence, la Commission confirme la possibilité pour ces acteurs de conclure des accords et explicite les situations dans lesquelles une négociation collective des travailleurs indépendants est possible au regard du droit européen de la concurrence ; elle couvre notamment les conventions sur les conditions de travail conclues entre les travailleurs indépendants et les donneurs d’ordre. Les avancées permises par ces deux projets de texte illustrent la complémentarité de nos approches.
    Par ailleurs, la France se félicite des initiatives de la Commission européenne visant à renforcer les droits des travailleurs des plateformes vis-à-vis du management algorithmique. Celle-ci propose de renforcer les obligations de transparence quant à l’utilisation des systèmes de décision automatisés, complétant ainsi les démarches engagées au niveau national. La Commission européenne propose également de garantir le droit de contester auprès d’un interlocuteur physique les décisions prises par ces systèmes automatisés et celui de recevoir une réponse dans un court délai.
    La voie choisie par la France – faire émerger une représentation collective des travailleurs – est donc complémentaire de la proposition de la Commission européenne, qui vise notamment à renforcer la transparence des relations entre les plateformes et leurs travailleurs.
    Vous l’aurez compris, ce texte de compromis pose les jalons d’un dialogue social dans le secteur des plateformes de mobilité. Nous pouvons en être fiers tant nous sommes convaincus que cette méthode permettra de bâtir des protections nouvelles, en répondant au mieux aux aspirations des près de 100 000 travailleurs indépendants concernés. Aussi, je vous invite à approuver les conclusions de la commission mixte paritaire et à voter très largement en faveur de ce projet de loi, pour renforcer les droits réels des travailleurs des plateformes. (Applaudissement sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    Discussion générale

    M. le président

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    Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Six.

    Mme Valérie Six

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    Après l’ère du numérique, voici l’ère des plateformes numériques. Depuis quelques années, nous assistons à une augmentation exponentielle du nombre de plateformes de travail et des travailleurs indépendants qui y proposent leur service. Ces plateformes ont émergé sous l’effet combiné de la création du statut d’autoentrepreneur, du développement d’internet et de l’émergence de besoins spécifiques des urbains. Ils seraient 200 000 chauffeurs de VTC ou livreurs de repas à deux roues.
    Ce modèle offre de nouvelles opportunités professionnelles à de nombreux travailleurs, notamment à celles et ceux qui veulent échapper aux contraintes du salariat avec ses horaires fixes. Ce travail peut constituer leur activité principale ou leur apporter un complément de revenu. Cependant, ces femmes et ces hommes ont un statut bien souvent précaire. Ils n’ont pas de protection sociale, pas de protection en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. La plupart exerçant sous le régime de la microentreprise, ils ne bénéficient pas des garanties accordées par le code du travail en ce qui concerne la rémunération ou encore la rupture du contrat.
    La présente version du projet de loi, issue des débats en commission mixte paritaire, a pour objectif d’accompagner le développement de ce nouveau modèle économique, qui est une source d’emploi, tout en garantissant un socle de droits aux travailleurs concernés. Le groupe UDI et indépendants partage évidemment cet objectif.
    Concrètement, le texte fixe les modalités de désignation des représentants des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et créé l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi, chargée d’organiser de tels scrutins et d’autoriser la rupture de la relation commerciale entre une plateforme et un représentant des travailleurs.
    Nous saluons toute mesure améliorant les droits et les protections des travailleurs des plateformes dans le cadre de la négociation collective. Cependant, avec le présent texte, vous posez seulement les bases et ne traitez pas le problème de fond.
    Concernant la création de l’établissement public dédié à la régulation des relations sociales entre plateformes et travailleurs, l’ARPE, nous vous interpellons une fois de plus sur la prolifération des agences et autres autorités de l’État. La France en compte plus de 1 200 ! Nous devons cesser de fonctionner de cette manière : la multiplication des autorités destinées à réguler et à encadrer est une source de complexité.
    Le point noir de ce texte est qu’il ne résout pas le problème de la caractérisation du statut des travailleurs de ces plateformes et du lien qui les unit à celles-ci. Ils sont considérés comme des indépendants, mais force est de constater qu’ils ne sont pas des indépendants comme les autres, qu’ils n’ont même d’indépendants que le nom. La jurisprudence peine à trancher : dans un arrêt du 4 mars 2020, la Cour de cassation a considéré que le statut d’indépendant d’un chauffeur utilisant la plateforme Uber était fictif en raison du lien de subordination envers celle-ci. Elle est même allée plus loin en qualifiant de contrat de travail le lien unissant le travailleur à la plateforme. Cette jurisprudence a ensuite été contredite par un arrêt de la cour d’appel de Paris. Il nous appartient donc en tant que législateur de déterminer le statut des travailleurs qui recourent aux plateformes, tandis qu’il appartient au dialogue social de faire naître des droits sociaux.
    Au niveau européen, il semble que les choses s’accélèrent. La Commission européenne a présenté le 9 décembre une proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, qui introduit notamment une présomption de salariat et renverse la charge de la preuve au bénéfice de ces travailleurs lorsque certains critères sont satisfaits. Nous restons attentifs à ce sujet et prendrons toute notre part lors des débats.
    Pour toutes les raisons évoquées, nous considérons que ce texte est un acte manqué. Il n’apporte pas de solutions concrètes au problème du statut de travailleurs indépendants recourant aux plateformes numériques pour leur activité. Le groupe UDI et indépendants s’abstiendra donc sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier.

    M. Dominique Potier

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    Avant de prendre du recul géographique en étudiant ce que font d’autres pays européens et les États-Unis, faisons un petit détour par l’histoire.
    Il me plaît de redécouvrir, dans la littérature, la permanence de débats que nous croyons neufs. De fait, même si chaque mouvement politique, quand il arrive au pouvoir, croit incarner la modernité, les débats sur les questions économiques, sociales, sur le travail sont d’une grande permanence.
    Je l’ai constaté à propos d’une loi que nous défendons désormais ensemble, après avoir eu des divergences d’opinions, celle du 27 mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Un collègue me faisait remarquer que, lors des débats qui ont précédé son adoption, nous pouvions presque retrouver mot pour mot les termes de ceux sur l’abolition de l’esclavage. D’un côté, dans des textes fameux de 1823, Henri Grégoire, ancien député de la Constituante, soulignait la responsabilité des assureurs, des affréteurs et des équipages des navires dans la traite négrière, les tenant tous pour complices, jusqu’au dernier matelot. De l’autre, les commerçants du port de Bordeaux, dans leurs plaidoyers, s’élevaient contre une abolition qui aurait signalé la fin d’un modèle économique et la fin d’un monde.
    Je constate la même permanence lors des débats précédant l’adoption de la loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités dans les accidents du travail. Martin Nadaud, au bout de dix ans de combat législatif, fit admettre une limitation de la responsabilité des tâcherons et des journaliers des forges et des industries de l’époque dans les accidents du travail dont ils étaient victimes – jusqu’alors, leur maladresse ou la fatalité étaient mises en cause. Grâce à une telle loi, et à celles, similaires, adoptées par d’autres pays européens à la même époque – voire avec un peu d’avance dans le cas de l’Allemagne –, des caisses pour les accidents du travail ont été créées et des campagnes de prévention ont été menées pour les équilibrer. C’est une révolution sociale, mais aussi technologique, qui a ouvert une nouvelle ère de prospérité.
    Cette révolution s’est appuyée sur un acte politique très fort : la reconnaissance du principe de responsabilité de l’employeur dans les accidents dont sont victimes leurs salariés – qui n’en étaient pas à l’époque, c’étaient pour l’essentiel des tâcherons et des journaliers. Pour tous les intellectuels qui ont observé cette révolution du droit du travail, la démarche de Martin Nadaud annonce la naissance du salariat, c’est-à-dire un rapport marqué à la fois par des droits et par des devoirs.
    J’ai le sentiment profond qu’en la matière, nous sommes en pleine régression, avec l’émergence d’un nouveau phénomène, le capitalisme numérique sans foi ni loi. En se jouant des frontières entre les continents et des contraintes du droit commun, il peut créer un système d’asservissement, de décadence des normes, avec des effets en cascade. Nous observons tous sur le terrain – je suis sûr que vous êtes également attentive au problème, madame la ministre – des pratiques de sous-traitance par les sous-traitants. En effet, une sous-traitance sauvage est permise par cette ubérisation ; d’ailleurs, les clients, aux comportements consuméristes et pour le moins désinvoltes en sont complices et l’on devrait évoquer leur responsabilité.
    Aujourd’hui, c’est bien le droit qui nous réunit. La ligne du groupe socialiste s’inscrit dans la dynamique des travaux précédemment menés par nos collègues, le sénateur de Meurthe-et-Moselle Olivier Jacquin et le député Boris Vallaud ; elle est inchangée. Il faut reconnaître à ces travailleurs le statut de salarié des plateformes. C’est l’horizon, c’est l’avenir. La force du droit nous permettrait de le faire dès aujourd’hui.
    Bien sûr, certains, notamment sur les bancs du groupe Les Républicains, ont invoqué la liberté de choix. Nous y sommes favorables, mais dans la clarté. Certains travailleurs voudront rester indépendants et nous défendons cette forme de travail. Je sais de quoi je parle ; je crois à celle-ci comme à l’esprit d’entreprise, y compris quand il s’agit d’entreprises unipersonnelles. En revanche, ce qu’il convient d’éviter absolument, c’est la confusion liée à un fonctionnement hybride, où les relations ne sont pas claires.
    Madame la rapporteure, dans le rapport sur la version initiale du projet de loi, vous indiquez explicitement que le quatrième objectif de l’ordonnance prévue à l’article 2 est de « réduire le faisceau d’indices » dont la présence impose la requalification du contrat de service en contrat de travail. C’est bien là tout le danger, le poison des dispositions que nous nous apprêtons à adopter. Le groupe socialiste s’y opposera, comme il l’a toujours fait. L’horizon est la requalification en salariat de la relation de travail visée ou la création de véritables unités entrepreneuriales. Pourquoi les travailleurs indépendants ne pourraient-ils pas s’associer dans des systèmes coopératifs ? Des modèles sociaux le permettraient.
    Nous ne saurions soutenir ce projet de loi qui va totalement à contre-courant des déclarations des députés européens de votre propre mouvement politique, qui le combattent à l’échelle européenne. En outre, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie et ailleurs, tous les travaux concourent à la requalification en salariat.
    Bref, ce qui apparaissait comme un petit pas nous éloigne en fait du véritable horizon, celui de la requalification et de la clarification. Nous nous opposerons à ce texte et continuerons le combat. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

    M. le président

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    La parole est à M. Antoine Herth.

    M. Antoine Herth

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    Le groupe Agir ensemble se réjouit que la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord sur ce projet de loi qui vise à sécuriser les droits des chauffeurs VTC et des livreurs à deux roues recourant aux plateformes numériques pour exercer leur activité.
    Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, ces travailleurs représentent plusieurs milliers d’emplois en France ; ils n’ont bien souvent d’indépendant que le nom, tant les conditions d’exercice de leur activité dépendent des règles édictées par les plateformes numériques pour lesquelles ils travaillent. Ils ne choisissent en effet ni le client, ni le prix, ni les conditions d’exécution de la prestation, et sont passibles, en cas de manquement aux obligations fixées par la plateforme, de sanctions pouvant aller jusqu’à la désactivation de leur compte. Ce déséquilibre des pouvoirs est amplifié par la faiblesse du dialogue social et le fait que ces travailleurs ne jouissent pas des droits et protections liés au salariat.
    J’ai bien noté la position de notre collègue M. Potier, qui souhaite que ces travailleurs soient reconnus d’office comme salariés. Quant à nous, nous pensons qu’il faut garder à l’esprit que la plupart d’entre eux sont attachés à leur statut d’indépendant, et ne souhaitent pas une requalification de leur contrat commercial en contrat de travail ; ils ne veulent pas des contraintes liées aux relations hiérarchiques et tiennent à conserver la liberté de choisir leur emploi du temps. Certaines plateformes, dès lors qu’elles ont souhaité salarier les travailleurs, ont d’ailleurs rencontré des difficultés de recrutement.
    S’il nous faut respecter la volonté d’indépendance exprimée par les travailleurs des plateformes, il est en revanche absolument nécessaire de leur permettre de construire des droits collectifs. Et le dialogue social est la bonne méthode, voire la seule voie pour y parvenir.
    L’essor de ces nouvelles formes de travail, qui reposent sur le recours à un algorithme, appelle donc une adaptation de notre législation pour garantir un dialogue social équilibré entre les parties prenantes. Les premiers jalons ont été posés en 2016 par la loi El Khomri qui crée une responsabilité sociale des plateformes à l’égard de leurs travailleurs et autorise la constitution d’organisations syndicales.
    Nous avons poursuivi dans cette dynamique en 2019, avec la loi LOM – d’orientation des mobilités. Grâce à celle-ci, la responsabilité sociale des plateformes a été consolidée et notre majorité a introduit de nouveaux droits spécifiques aux secteurs des VTC et de la livraison, en faveur d’une plus grande autonomie des travailleurs concernés.
    Enfin, les premières briques d’un espace de négociation entre plateformes et travailleurs indépendants ont été posées par l’ordonnance du 21 avril 2021, qui a été prise en application de l’article 48 de la LOM et que nous sommes aujourd’hui appelés à ratifier. Fruit d’un travail de concertation avec les partenaires sociaux, elle crée une nouvelle autorité, l’ARPE, et prévoit l’organisation d’un scrutin national permettant aux travailleurs de ces plateformes de désigner leurs représentants. Le projet de loi nous invite à aller encore plus loin dans la structuration du dialogue social en habilitant le Gouvernement à compléter, par voie d’ordonnance, les règles du jeu de la négociation, les missions de l’autorité de régulation et les modalités selon lesquelles les accords de secteur peuvent être élargis à l’ensemble des plateformes.
    Parce qu’il est urgent de donner corps à ce cadre de négociation, un amendement, défendu en première lecture par notre collègue Agnès Firmin Le Bodo, a ramené de dix-huit à douze mois le délai accordé au Gouvernement pour publier l’ordonnance. Le groupe Agir ensemble se réjouit que l’accord trouvé en CMP aille encore plus loin en ramenant ce délai à neuf mois. De même, nous nous réjouissons que le texte de la CMP conserve certaines précisions utilement introduites au Sénat, concernant notamment les thèmes et la périodicité de la négociation.
    Parce qu’il ne peut y avoir de travailleurs de seconde zone et parce que l’économie des plateformes ne peut s’affranchir des droits sociaux, le groupe Agir ensemble votera avec conviction en faveur des conclusions de la commission mixte paritaire, tout en gardant à l’esprit que ce texte n’est pas la fin de l’histoire et qu’un cadre commun sera probablement élaboré un jour au niveau de l’Union européenne. (Mme Carole Grandjean, rapporteure, applaudit.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Michèle de Vaucouleurs.

    Mme Michèle de Vaucouleurs

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    La commission mixte paritaire réunie le 5 janvier dernier a permis de trouver un accord sur le projet de loi de ratification qui vise à renforcer le cadre juridique et social d’activités dont le développement n’a pas cessé depuis une dizaine d’années. Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés se réjouit de cette issue, au terme d’un travail engagé depuis la loi d’orientation des mobilités il y a trois ans. L’accord trouvé en CMP sur le sujet traduit la volonté du Parlement de consolider la régulation des plateformes et de veiller à la protection des travailleurs qui y ont recours. Je tiens ici à saluer l’implication de notre rapporteure Carole Grandjean sur ce texte important.
    La croissance effrénée du recours aux applications de chauffeurs VTC ou de livraisons alimentaires en deux-roues avait quelque peu décontenancé le législateur, les textes en vigueur ne prévoyant pas d’encadrement juridique et social pour cet écosystème créé ex nihilo. Toutefois, depuis 2016, notre pays s’est peu à peu doté d’un arsenal législatif permettant d’instaurer une régulation des plateformes et une protection des travailleurs qui y ont recours. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels avait posé le principe de la responsabilité sociale des plateformes à l’égard des travailleurs indépendants. Durant la présente législature, la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 a ouvert à tous les travailleurs indépendants recourant à ces plateformes un droit d’accès à l’ensemble des données concernant leurs activités, et a instauré une charte définissant leurs droits et obligations, ainsi que ceux des plateformes avec lesquelles ils sont en relation.
    Le texte vient apporter une pierre de plus à cette construction nécessaire et attendue par l’ensemble des acteurs. Il n’a pas pour objet d’exonérer les requalifications en présomption de salariat lorsque les conditions d’exercice de l’activité professionnelle ne satisfont pas aux critères établissant la nature indépendante du travail, mais à favoriser le dialogue social de façon à garantir des rémunérations et des conditions d’activité à la fois protectrices et respectueuses de l’indépendance des salariés.
    En première lecture, la majorité a eu l’occasion d’enrichir le contenu de l’ordonnance en y intégrant de nouveaux gages d’indépendance du travailleur vis-à-vis de la plateforme. Je pense notamment au libre choix de son itinéraire ou du matériel utilisé dans le cadre de la prestation de service.
    En accord avec le Sénat, l’ARPE, nouvellement créée, sera chargée de réguler le dialogue social entre les plateformes et les représentants des travailleurs, sans intervenir toutefois sur leurs relations sociales.
    Concernant l’habilitation donnée au Gouvernement pour compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social – dans un délai qui, par compromis, a été fixé à neuf mois –, le législateur a souhaité préciser que ce dialogue serait mené dans trois domaines : la fixation du prix des prestations ; le développement des compétences professionnelles et la sécurisation des parcours professionnels ; les mesures visant à améliorer les conditions de travail et la prévention des risques professionnels. En outre, l’ordonnance devra préciser les modalités de recours à l’expertise technologique de l’ARPE.
    Ces dispositions, dont l’adoption ne peut que nous réjouir, ont notamment trouvé leur source dans les conclusions de deux rapports d’information parlementaires présentés respectivement devant la commission des affaires sociales du Sénat le 20 mai 2020 et devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 20 janvier 2021. Elles s’inscrivent par ailleurs dans une dynamique européenne de régulation du secteur à laquelle le Mouvement démocrate est fier de contribuer. En effet, le 16 septembre dernier, notre collègue Sylvie Brunet a présenté devant le Parlement européen un rapport sur les conditions de travail, les droits et la protection sociale des travailleurs des plateformes.
    Ce rapport a été suivi d’effets puisque la Commission européenne a présenté le 9 décembre une proposition de directive porteuse de plusieurs avancées à l’échelle de l’Union. Il s’agit, d’une part, de définir des critères permettant d’apprécier la relation de travail de façon à octroyer plus facilement le statut de salarié et la protection sociale associée aux travailleurs des plateformes s’il s’avère que cette relation relève du salariat et, d’autre part, de renforcer la transparence dans l’utilisation des algorithmes et de permettre aux travailleurs de contester les décisions automatisées. Les dispositions que nous examinons aujourd’hui font donc partie intégrante d’une réforme plus globale visant à édifier un socle européen des droits sociaux dont les travailleurs des plateformes ne sauraient être exclus.
    Pour les avancées que le texte comporte, mais également pour la volonté dont il procède de bâtir un socle européen de droits sociaux, le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés votera en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. le président

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    La parole est à M. Michel Castellani.

    M. Michel Castellani

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    Mercredi dernier, le Président de la République présentait au Parlement européen la feuille de route de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. L’un des axes consiste à bâtir un nouveau modèle européen de croissance, basé sur « de bons emplois ». Pouvons-nous dire que les travailleurs des plateformes de mobilité occupent de bons emplois ? Il est permis d’en douter. Sur ce sujet, le Président espère pourtant un accord entre États ; il a promis une convergence sociale vers le haut.
    S’agissant des travailleurs des plateformes, il y a un écart – pour ne pas dire une contradiction – entre les priorités affichées à Strasbourg et le projet de loi dont nous discutons. Comparant l’approche nationale avec les récentes évolutions européennes – je pense notamment au projet de directive présentée par la Commission européenne le 9 décembre –, nous constatons que les chemins sont loin de converger. Le texte de la directive, qui doit maintenant être examiné par le Parlement et le Conseil, crée une présomption juridique de relation d’emploi entre le travailleur et la plateforme. Plus précisément, il définit cinq critères à l’aune desquels les indépendants pourraient être requalifiés en salariés, dont le niveau de la rémunération, l’imposition de règles spécifiques ou l’interdiction de travailler pour d’autres services. Selon la Commission européenne, sur les 28 millions de travailleurs des plateformes, plus de 4 millions devraient être requalifiés en salariés.
    Ce n’est clairement pas l’approche du Gouvernement, qui souhaite créer un cadre de dialogue et des droits spécifiques, mais qui dessine en creux un modèle moins protecteur – ce qui n’est évidemment pas satisfaisant. En Californie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et même en France, de nombreuses décisions de justice exigent une requalification en contrats de travail salarié des contrats des livreurs ou des chauffeurs VTC. Elles montrent que dans de nombreux cas, le statut d’indépendant est un salariat déguisé. Je sais bien que certains travailleurs apprécient la flexibilité de cette nouvelle forme d’emploi, mais ne fermons pas les yeux sur l’extrême précarité de ces métiers. Cette précarité, incontestable, est largement aggravée par la mise en concurrence dans laquelle ils sont placés, par les conditions de travail difficiles – prendre la route à toute heure, par tout temps –, par la tyrannie de la notation des utilisateurs et par l’opacité des algorithmes.
    Ces travailleurs ne sont pas couverts contre les accidents du travail, pourtant nombreux, et ne cotisent pas à une assurance chômage. Où sont la modernité et le progrès quand les nouveaux acteurs qui régissent nos modes de consommation balaient les droits sociaux les plus élémentaires ? Le combat que ces travailleurs mènent pour le respect de leurs droits et l’amélioration de leurs conditions de travail nous oblige, nous, législateurs, à prendre nos responsabilités. Je crains qu’aujourd’hui nous ne le fassions que de façon minimale. Le groupe Libertés et territoires s’interroge en effet sur la réalité du dialogue social qui s’instaurera avec ce texte : ne va-t-on pas vers un dialogue asymétrique, qui opposera des plateformes tentaculaires à des travailleurs toujours précaires ? Quelle stabilité pouvons-nous espérer pour ce dialogue, alors même que nous savons qu’en moyenne, un livreur de repas ne reste sur une plateforme qu’une dizaine de mois ?
    La commission mixte paritaire s’est rangée du côté du Sénat, qui estimait précipitée la création d’un dialogue au sein de chaque plateforme. C’est donc le dialogue sectoriel qui est privilégié. Malheureusement, même si le Sénat a tenté de préciser l’objet des négociations obligatoires – notamment s’agissant du prix des prestations –, aucun mécanisme ne permet de s’assurer que leur cadre sera soumis à des garanties minimales. Le déséquilibre entre plateformes et indépendants continuera donc d’exister, au détriment de ces derniers.
    En proposant une présomption de salariat et un renversement de la charge de la preuve, la Commission européenne propose un vrai changement de paradigme. À l’inverse, le présent projet de loi maintient le statu quo et ne régule pas le secteur. Plus grave, il conforte le modèle actuel, puisque la rédaction de la nouvelle ordonnance fait le choix de limiter les motifs apparents pouvant permettre une requalification en contrat de travail, à rebours du chemin qui se dessine en Europe. Cette dérégulation des relations de travail est une pente que le groupe Libertés et territoires ne souhaite pas emprunter. (Applaudissements sur les bancs des groupes LT et GDR.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Danièle Obono.

    Mme Danièle Obono

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    Simon, 21 ans, est livreur à vélo dans la Vienne. Il complète son activité avec des heures de ménage. « "Pendant les couvre-feux, la livraison marchait bien. [Avec le ménage], j’arrivais à gagner entre 800 et 900 euros [par mois]" », confiait-il au journal La Nouvelle République il y a quelques jours. « Mais depuis quelques mois, ça se complique. […] "En une journée, j’ai parfois du mal à faire 20 ou 30 euros." […] Depuis mars dernier, il s’est donc syndiqué à la CGT pour "changer les choses", à son échelle. Ses revendications : "Être salarié, être payé en heures normales et pas à la commande, avoir des congés, cotiser pour la retraite…" Sans oublier le retour de la prime de pluie, "supprimée il y a six mois". […] S’il répète qu’il aime ce métier et le "contact client", il le concède volontiers : "On survit plus qu’on ne vit. […] Je suis à deux doigts d’écrire une lettre au Président pour lui dire que nos conditions de travail sont lamentables. La plateforme nous prend pour des esclaves." »
    Il n’aura pas besoin d’écrire au Président. Ce dernier est au courant, mais il ne l’entend pas de cette oreille. Premier VRP des plateformes numériques, il a chargé son gouvernement d’aller à rebours des demandes de nombre de ces travailleurs, des propositions de la Commission européenne et du progrès social en général en faisant approuver le présent projet de loi. En établissant un cadre de supposées négociations collectives entre les représentants des plateformes de VTC et de livraison et ceux des travailleurs de ces secteurs, le Gouvernement et la majorité deviennent les ardents, et désormais, seuls – ils sont en tout cas très isolés en Europe – défenseurs du tiers statut. Ils institutionnalisent ainsi l’ubérisation, un modèle qui use frauduleusement du statut d’indépendants pour surexploiter les travailleurs.
    Fidèles en cela aux principes qui ont guidé votre réforme du travail, vous préférez renvoyer les conditions de travail à la négociation collective plutôt que de les fixer par la loi. Au lieu de dissiper le flou juridique qui règne autour de ces relations, vous donnez libre champ aux plateformes pour élaborer ces normes à leur avantage. Au cours de telles négociations, le rapport de force est toujours inégal entre employeurs et travailleurs, mais c’est encore plus vrai pour les indépendants liés aux plateformes, tant leur situation est précaire. À terme, c’est bien un statut tiers d’indépendant, avec certains droits et protections liés au salariat, que vous voulez créer.
    Pour le moment, ces travailleurs sont tenus, à partir d’un certain seuil, de s’affilier au régime de sécurité sociale des indépendants, qui couvre peu les risques d’accident du travail, la perte d’activité ou la complémentaire santé. Ce régime est en outre sujet à des dysfonctionnements répétés.
    La situation des indépendants invite à se pencher sur l’essor du travail précaire, au détriment du modèle social stable qu’est le salariat. En 2017, 87 % des contrats signés étaient des CDD, donc précaires ; 30 % des CDD ne durent qu’une seule journée. Il s’agit d’une régression sociale : ce n’est pas le projet de société que nous défendons, mais il semble que ce soit le vôtre.
    Vous avez proposé ce projet de loi quasiment au moment où le Parlement européen se prononçait en faveur d’une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes, grâce au combat acharné de certains députés européens, notamment Leïla Chaibi, membre de la direction de La France insoumise. Le rapport rédigé à cette occasion a pourtant été cosigné par l’eurodéputée Sylvie Brunet, qui, à Strasbourg, siège dans votre propre groupe. En décembre, la Commission a d’ailleurs présenté une directive reprenant cette proposition. Pour les plus de 4 millions de travailleurs des plateformes en Europe, il s’agira d’un progrès immense de leurs conditions de travail, même si on devrait considérer cela comme un simple rattrapage.
    En France, ce sont près de 200 000 travailleurs que vous voulez maintenir dans une situation d’extrême dépendance : la plateforme règne en maître, fixe et modifie les prix, la cadence de travail, les sanctions, sans recours possible pour les travailleurs, qui assument tous les coûts et tous les risques mais ne bénéficient d’aucune protection.
    Dans ce secteur, la précarité est grande. En novembre 2020, Patrice Blanc, alors président des Restos du cœur, qui en a pourtant vu d’autres, confiait au micro de France Inter qu’il avait été bouleversé d’avoir vu arriver ces derniers mois, dans les files d’attente de l’association, des livreurs Uber Eats, en tenue de travail, qui venaient entre deux courses chercher des repas : ils en livrent, mais non pas les moyens de s’en payer.
    Cette situation est la conséquence d’un abus du statut d’indépendant, que ce texte, en prétendant protéger les travailleurs, ne fera que faciliter. Vous allez à rebours des préconisations des rapports – notamment celui de Jean-Yves Frouin – qui privilégient la présomption de salariat.
    Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles nous restons opposés à votre texte et voterons contre. Une fois au pouvoir, nous entendons bien établir une présomption de salariat afin de protéger au mieux ces travailleurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pierre Dharréville.

    M. Pierre Dharréville

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    Leila est une livreuse à vélo, son premier réflexe en se levant le matin est de regarder son smartphone, dont elle dépend pour travailler. Vous pourrez faire sa connaissance dans le documentaire « Travail à la demande », diffusé récemment sur Arte, et qui aurait pu s’intituler « Retour vers le futur 4 ». Chaque jour, Leila parcourt les rues pour livrer des repas chauds en espérant, comme elle dit, gagner au moins 10 euros de l’heure. On la voit régulièrement attendre, attendre, attendre longtemps devant les restaurants pour récupérer les commandes des clients. Or ce temps n’est pas rémunéré, car les plateformes ne paient que la course, en se reposant sur un algorithme complexe, qui échappe à tout contrôle et toute discussion, et empêche d’obtenir une rémunération décente. De plus, on comprend les risques du métier quand elle relate l’accident mortel dont son ami Mourad a été victime en mars 2020. Ces faux indépendants assument tous les risques et doivent souvent s’assurer eux-mêmes pour faire face aux aléas de leur activité.
    Le film décrit l’extension de ce modèle dans de nombreux domaines de l’économie et la situation préoccupante des personnes concernées, qui seront 500 millions dans le monde en 2025. Sous couvert de modernité, il s’agit d’une régression sociale majeure. L’ubérisation produit d’importants dégâts dans la vie de nombreux travailleurs et travailleuses et dans l’ensemble du monde du travail. L’utilisation du numérique pour développer le travail à bas coût n’a rien d’une bonne nouvelle, car le modèle n’est pas soutenable. Cette forme d’emploi a les apparences de l’indépendance et de la modernité, mais le goût de la désillusion et du passé. Comme Dominique Potier le soulignait, on assiste à un retour du travail à la tâche. En vigueur dans l’industrie au XIXe siècle, il use les corps et les esprits, est mal rémunéré et dépourvu de filet de sécurité sociale. Il s’agit de métiers qui ne sont ni respectés ni reconnus.
    Les plateformes, dont la croissance s’accélère avec la crise sanitaire, nous vendent du rêve : des repas livrés toujours plus rapidement, des trajets effectués à des prix défiant toute concurrence. Mais le rêve s’arrête là, si c’est un rêve. Car l’économie des plateformes, pointe avancée de la financiarisation, repose entièrement sur le dumping social. Rarement profitables, les plateformes constituent un moyen pour une entreprise de se dédouaner de presque toute responsabilité sociale, de contourner les règles du code du travail et de la protection sociale, en demeurant prescriptrices de travail. Elles bénéficient en quelque sorte des avantages de la subordination, historiquement attachée au salariat, sans en avoir les contraintes : pas de salaire minimum, pas de congés payés, pas de durée légale du travail, pas de rémunération pour le travail de nuit, pas de responsabilité en matière d’accidents du travail.
    Le modèle des plateformes n’est pas plus économiquement viable qu’il n’est socialement tenable. Il nécessite l’injection en masse de capitaux et fait le pari de l’acquisition d’une position dominante, voire de monopole, pour ensuite dicter ses lois au marché. Après douze ans d’existence, Uber est valorisé à des milliards de dollars, mais ne dégage toujours pas de bénéfices. Le capitalisme se réinvente, en pire. Or le modèle des plateformes de mise en relation entre l’offre et la demande essaime de plus en plus là où ne l’attendait pas, menaçant des emplois, tirant les salaires vers le bas et dégradant les conditions de travail. C’est la loi du marché décuplée.
    Il est donc urgent de réguler ce domaine et de reprendre le pouvoir sur les algorithmes qui font office, notamment, de direction des ressources humaines. Les travailleurs et travailleuses des plateformes se mobilisent. Un peu partout, les tribunaux multiplient les décisions pour siffler la fin de la partie et leur reconnaître la qualité de salariés. Sous l’impulsion de la ministre communiste du travail Yolanda Diaz, l’Espagne s’est récemment dotée d’une législation qui permet la requalification salariale. La Commission européenne vient de présenter une directive pour mettre fin au « far west numérique », mais celle-ci n’a visiblement pas été inscrite comme une priorité à l’agenda de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
    C’est dans ce contexte que nous examinons un projet de loi anachronique et mal ficelé, qui rencontre l’opposition de la majorité des organisations syndicales. Ce texte tend à instituer un semblant de dialogue social, mais il vise surtout à contourner le code du travail et les garanties qui y sont attachées. Après une première tentative de laisser aux plateformes le soin d’édicter des chartes sociales dépendant de leur engagement volontaire, le Gouvernement joue une fois de plus la montre, en laissant ces travailleurs dans un statu quo de précarité. Par vos renoncements successifs, vous encouragez le dumping social. Ce ne sont pas les travailleurs et travailleuses des plateformes que vous venez soutenir, mais les plateformes elles-mêmes, avec le tiers statut dont il a été question.
    La meilleure chose à faire serait de remonter dans votre DeLorean et de cesser de provoquer des failles spatio-temporelles. (Mme Danièle Obono sourit.) Le groupe GDR s’opposera à ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et FI.)

    M. le président

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    Sur le projet de loi, je suis saisi par le groupe La République en marche d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    La parole est à M. Dominique Da Silva.

    M. Dominique Da Silva

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    Le 5 janvier, la commission mixte paritaire réunie pour l’examen du projet de loi relatif à la représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes a abouti à un accord. Au nom du groupe La République en marche, je me réjouis de cette conclusion, qui doit beaucoup aux deux rapporteures, notre collègue Carole Grandjean et la sénatrice Frédérique Puissat, dont je salue le travail.
    Rappelons que l’objectif est bien de renforcer les droits des travailleurs indépendants qui recourent aux plateformes de mobilité. Le droit français, que nous cherchons à préserver, ne reconnaît que deux statuts de travailleur : celui de salarié et celui d’indépendant. Ce dernier existe parce que des travailleurs veulent être autonomes dans leur activité professionnelle. Ils ne souhaitent donc pas la création d’une présomption de salariat, mais ont délibérément choisi d’être indépendants dans un contexte économique où nombre d’offres d’emploi salarié sont à pourvoir dans le secteur des transports.
    Par ailleurs, nous devons reconnaître le rôle que jouent les plateformes dans l’économie et dans notre vie quotidienne. Elles créent des emplois nouveaux aussi parce que ceux-ci répondent à de nouveaux modes de consommation. Il ne faut pas oublier qu’elles aident également à entrer dans le marché du travail bon nombre de personnes qui éprouvent des difficultés à accéder à l’emploi.
    En réponse à ceux qui prônent le salariat pour les travailleurs des plateformes, j’aimerais revenir sur le cas de l’Espagne, souvent évoqué ici et en commission. La présomption de salariat récemment adoptée chez nos voisins espagnols a eu de nombreux effets sur les plateformes de livraison.
    Les travailleurs ont le choix. Ils peuvent devenir salariés d’une agence intermédiaire pour être mis à disposition des plateformes, comme Uber Eats – n’en déplaise à certains, ce n’est donc pas la fin de l’ubérisation. Ils peuvent également rester indépendants, comme avec la plateforme espagnole Glovo, qui laisse aux travailleurs la liberté de choisir leurs horaires et de fixer la marge sur le prix du service, de sorte qu’ils se font concurrence entre eux. Voulons-nous vraiment proposer de telles solutions aux travailleurs indépendants dans notre pays ? Je ne le pense pas.
    Le dialogue social est le seul instrument capable d’offrir aux travailleurs de plateformes de meilleures conditions de travail. C’est l’essence même de ce texte, dont l’article 1er vise à ratifier l’ordonnance du 21 avril 2021, prise sur le fondement de l’article 48 de la loi LOM.
    La commission mixte paritaire a adopté des dispositions visant à préciser et sécuriser le texte. À l’article 1er, les missions de l’ARPE ont été circonscrites à la régulation du seul dialogue social entre les plateformes et les travailleurs, et ne concernent plus les relations sociales dans leur ensemble. En outre, il n’est plus fait mention de la présence de parlementaires au conseil d’administration. À l’article 2, les éléments de l’habilitation relatifs à l’organisation d’un dialogue social au niveau de chaque plateforme ont été supprimés.
    Bien sûr, du chemin reste à parcourir, puisque ces négociations collectives ne font que s’ouvrir, mais le présent projet de loi améliorera réellement les conditions de travail des indépendants des plateformes de livraison.
    Le groupe La République en marche votera évidemment le texte issu de la CMP, qui illustre la capacité du Parlement à mener un travail de grande qualité au service des travailleurs indépendants.
    Par ailleurs, madame la ministre, je salue la ligne du Gouvernement : avec cette avancée, il ajoute une pierre supplémentaire à l’édifice que nous construisons depuis cinq ans pour soutenir la création et la croissance des entreprises. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. le président

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    La parole est à M. Thibault Bazin.

    M. Thibault Bazin

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    L’Assemblée nationale et le Sénat, réunis en commission mixte paritaire, sont parvenus à un accord sur ce projet de loi qui vise à instaurer un dialogue social entre travailleurs indépendants et plateformes de livraison et de véhicules de tourisme avec chauffeur.
    Le groupe Les Républicains accorde autant d’importance au dialogue social qu’à l’entrepreneuriat. Nous sommes d’abord attachés à l’entrepreneuriat et au travail indépendant : nous soutenons la liberté d’entreprendre, et souhaitons donner à chacun la possibilité de développer sa petite entreprise. Si un jeune a une idée, il faut lui donner la chance de se lancer. Valoriser le travail, c’est valoriser toutes les formes qu’il peut prendre. Alors que certains ne prônent que le salariat et souhaitent mettre tous les travailleurs dans une même case, nous sommes au contraire pour la diversité. Certes, il faut défendre le statut de salarié, qui correspond aux besoins d’une large majorité de la population. Ainsi, la France comptait plus de 25 millions de salariés en 2020. Mais il faut également soutenir et développer l’emploi non salarié, qui concerne plus de 3 millions de travailleurs.
    Ensuite, nous sommes attachés au dialogue social. La droite républicaine a d’ailleurs toujours œuvré à le développer. Ainsi, ne vous en déplaise, madame la ministre, l’article L. 1 du code du travail, qui oblige le Gouvernement à mener une concertation préalable à tout projet de réforme avec les partenaires sociaux, a été institué par la loi Larcher de 2007. Son pendant parlementaire, le protocole Accoyer, a été élaboré par Bernard Accoyer.
    Dans cette perspective, nous pouvons nous satisfaire de certaines dispositions de ce projet de loi, notamment celles relatives à la mise en place d’une représentation des travailleurs indépendants des plateformes par le biais des organisations professionnelles et des syndicats. En revanche, nous étions opposés dès la première lecture au processus d’étatisation du dialogue social que constitue la création, à l’article 1er, d’un établissement public – un de plus ! – dénommé Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi. De même, nous étions opposés à l’article 2, qui prévoit le recours à une énième ordonnance : pour toutes ces raisons, nous avions voté contre l’ensemble du projet de loi.
    Bien que nous regrettions les conditions d’emploi de certains indépendants dans les secteurs considérés, nous sommes persuadés que l’amélioration de leurs conditions de travail passera par un dialogue social renforcé entre les plateformes et les indépendants. La situation n’est d’ailleurs pas la même selon qu’ils travaillent dans le secteur des véhicules de tourisme avec chauffeur ou dans celui de la livraison, notamment de repas. Dans le premier cas, il appartient aux transporteurs indépendants – qui choisissent de travailler ou non avec certaines plateformes – de s’organiser afin de se faire entendre. Il en va autrement de la livraison de repas, qui recouvre souvent du salariat déguisé et des conditions de travail particulièrement difficiles. De plus, les personnes embauchées n’ont le plus souvent pas de lieu de travail commun et ont du mal à s’organiser pour se faire entendre.
    Sans remettre en cause leur statut indépendant ni leur autonomie, nous sommes favorables au développement de leurs droits, notamment en matière de protection sociale et de prévention des accidents du travail. Ainsi, les précisions sur les thèmes et la périodicité de la négociation collective vont dans le bon sens. Celle-ci devra porter sur les modalités de détermination des revenus, le développement des compétences professionnelles, la sécurisation des parcours professionnels et l’amélioration – tant attendue – des conditions de travail.
    L’examen du texte au Sénat a permis de revenir sur certaines dispositions, ce qu’a confirmé la commission mixte paritaire. Ainsi, l’ARPE sera recentrée sur sa mission de régulation du dialogue social : elle ne sera pas chargée de réguler les relations sociales entre les plateformes et les indépendants. Par ailleurs, la CMP a maintenu la suppression, à l’initiative du Sénat, de l’habilitation à légiférer par ordonnance pour organiser le dialogue social au niveau de chaque plateforme.
    Malgré ces avancées, que nous devons au Sénat et à une collaboration fructueuse entre nos deux chambres, notre groupe n’est toujours pas favorable à la création d’un établissement public, ni à la possible future mise sous tutelle du dialogue social par l’État – surtout sachant à quel point le Gouvernement a malmené ce dialogue, notamment à propos de la réforme des retraites et de la suppression des caisses autonomes. Pour ces raisons, le groupe Les Républicains s’abstiendra sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

    M. Raphaël Schellenberger

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    Bravo !

    M. le président

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    La discussion générale est close.

    Vote sur l’ensemble

    M. le président

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    Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

    (Il est procédé au scrutin.)

    M. le président

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        86
            Nombre de suffrages exprimés                72
            Majorité absolue                        37
                    Pour l’adoption                65
                    Contre                7

    (Le projet de loi est adopté.)
    (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)

    2. Compétences de la collectivité européenne d’Alsace

    Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi no 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (nos 4689, 4894).

    Présentation

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’insertion.

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée chargée de l’insertion

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    Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports.
    En tant qu’élue locale alsacienne et ancienne présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, j’ai œuvré, aux côtés de l’ensemble des parlementaires et des élus alsaciens, à la création de la CEA, la collectivité européenne d’Alsace, prélude à la renaissance institutionnelle de la région. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour but de ratifier les ordonnances prises sur le fondement de la loi relative aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace.
    L’histoire de la France – sa force –, ce sont ses territoires, avec leur diversité et leurs identités. Le Président de la République et le Gouvernement ont pris en considération, dès 2017, le besoin d’Alsace qui s’est exprimé lors du précédent quinquennat à la suite de la création des grandes régions. Avec l’adoption de la loi « Alsace », le Gouvernement a su créer un cadre de confiance. Je tiens à remercier le travail réalisé par Jacqueline Gourault et par l’ensemble des élus pour mener à bien cette réforme importante.
    En répondant à ce désir d’Alsace, le Président de la République, le Gouvernement et les parlementaires se sont montrés à l’écoute des habitants de la région. L’Alsace devient ainsi, pour l’ensemble des territoires, un exemple de différenciation.
    Tenant compte de la situation géographique particulière de la région, la loi « Alsace » a transféré à la CEA la gestion et l’exploitation des routes nationales et des autoroutes non concédées. La collectivité pourra ainsi lever des contributions spécifiques sur le transport routier de marchandises en transit.
    Les ordonnances dont le Gouvernement vous propose la ratification sont le résultat de longs mois d’échanges et de consultations : l’enjeu est de doter la CEA des outils nécessaires pour qu’elle puisse assumer sa nouvelle compétence dans de bonnes conditions, en vue de réguler les flux de transport routier de marchandises.
    L’une de ces ordonnances, qui a fait l’objet d’une concertation étroite entre les services de l’État et l’ensemble des partenaires, donne à la CEA la possibilité de percevoir une taxe sur le transport routier de marchandises transitant par certaines voies de son domaine public routier. L’État propose le cadre, la CEA restant maître des paramètres et de l’application de la taxe : tel est l’objet de l’article 1er. Le but est de maîtriser le trafic routier et de limiter les nuisances dues au trafic de transit des poids lourds, qui s’est reporté vers l’Alsace depuis l’instauration, côté allemand, de la taxe dite LKW-Maut. Les Alsaciennes et les Alsaciens attendaient cette mesure depuis plus de quinze ans.
    L’ordonnance dont l’article 2 prévoit la ratification, quant à elle, précise et complète les dispositions relatives au transfert des routes nationales non concédées.
    Enfin, l’ordonnance dont l’article 3 prévoit la ratification précise les conditions dans lesquelles la CEA ou l’eurométropole de Strasbourg continuent d’assurer l’engagement de l’État sur les routes qui leur sont transférées.
    Ce projet de loi obéit à trois principes : le dialogue, la confiance dans les territoires et la différenciation. Le dialogue, tout d’abord, est celui qui a été mené entre le Gouvernement et les élus lors de la création de la CEA, mais aussi au cours de la rédaction des ordonnances ; il se traduit également par l’instauration d’une instance de concertation entre la CEA, les collectivités et les usagers. Ensuite, en confiant à la collectivité européenne d’Alsace l’application des ordonnances, le Gouvernement fait, encore une fois, la preuve de sa confiance envers les territoires. Enfin, le présent texte est l’illustration du droit à la différenciation offerte à ces derniers ; d’importantes marges de manœuvre sont ainsi laissées à la collectivité, notamment sur les modalités de la taxation.
    Je tiens à souligner que plusieurs améliorations du texte ont été permises par la navette parlementaire, notamment la création d’un comité de concertation entre les collectivités sur la taxation des poids lourds. Je remercie le rapporteur pour le travail cousu main qu’il a fourni, en lien constant avec la CEA, afin de soumettre une version conforme aux attentes de chacun. Je remercie également la présidente et l’ensemble des membres de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire pour le travail effectué.
    Le Gouvernement est favorable à cette version du texte. Je sais que cet avis est partagé par les élus de la collectivité européenne d’Alsace. Quelques modifications techniques ou rédactionnelles s’imposent pour affiner le texte : tel est le sens des amendements du rapporteur. Mais nous sommes parvenus à un équilibre précieux qui respecte la libre administration des collectivités locales et la volonté des élus alsaciens.
    Ce texte est à la fois un aboutissement et un commencement. Un aboutissement pour la CEA qui pourra pleinement exercer cette nouvelle compétence. Un commencement, car il lui appartiendra de se saisir pleinement de ce nouveau cadre juridique, une fois adopté, pour instaurer la taxe poids lourds dans un délai maximal de six ans et répondre ainsi définitivement aux attentes des Alsaciennes et des Alsaciens. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. le président

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    La parole est à M. Vincent Thiébaut, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

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    Ce projet de loi doit faire aboutir un projet très attendu par la population alsacienne et ses élus locaux. Cette attente date de la mise en place, en 2005, d’une taxe sur les poids lourds empruntant le réseau routier de l’Allemagne, qui a conduit à des reports de trafic sur les routes alsaciennes, entraînant leur saturation, notamment aux heures de pointe. En 2006, une loi a été adoptée pour permettre l’expérimentation d’une taxe sur les poids lourds empruntant le réseau routier alsacien. Cependant, le dispositif n’a jamais été instauré. Une généralisation à la France entière a ensuite été prévue – je fais bien sûr référence à la fameuse écotaxe –, mais le dispositif a été supprimé par la loi du 29 décembre 2016.
    De ce fait, il a fallu attendre près de quinze ans pour élaborer un dispositif à même de réguler le transport routier sur les routes alsaciennes. Grâce au gouvernement d’Édouard Philippe – notamment la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault – et sur l’impulsion du président Emmanuel Macron, l’Alsace a retrouvé, avec la CEA, un contour institutionnel et s’est vue dotée de compétences dont même l’ancienne région ne disposait pas, avec notamment le transfert de la propriété entière des routes et autoroutes non concédées, classées dans le domaine public routier national et situées sur son territoire.
    La loi du 2 août 2019 a aussi prévu le transfert à l’eurométropole de Strasbourg des routes et autoroutes de même nature situées sur son territoire. Elle a enfin habilité le Gouvernement à prendre une série d’ordonnances destinées à compléter le dispositif.

    M. Vincent Thiébaut,, rapporteur

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    Le présent projet de loi tend donc à ratifier ces ordonnances prises sur le fondement de la loi d’août 2019, en particulier l’ordonnance du 26 mai 2021 qui fixe le cadre de la taxe sur les poids lourds que la collectivité européenne d’Alsace pourra instaurer. Ce n’est pas un sujet anecdotique. L’Alsace doit servir d’exemple aux régions qui se saisiront des possibilités offertes à l’article 137 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets pour instaurer une taxe similaire.
    C’est pourquoi je me réjouis que le Sénat ait enrichi le texte. Ainsi, la commission du développement durable a adopté sans modification l’article 1er bis qui permet à la collectivité européenne d’Alsace de moduler les taux kilométriques de la taxe en fonction des saisons ; l’article 1er nonies qui augmente les majorations pour retard de paiement lorsque des sommes importantes sont dues ; l’article 1er terdecies qui accroît le montant des amendes infligées en cas de manipulation visant à éluder le paiement de la taxe de l’équipement électronique embarqué ou de falsification des documents de bord nécessaires pour déterminer la catégorie ou la classe d’émission Euro de véhicules ; l’article 1er septdecies A qui élargit aux sociétés donneuses d’ordre la consultation préalable à l’instauration de la taxe.
    Lors de l’examen en commission, nous avons également adopté une série d’amendements particulièrement utiles et bienvenus sur certains articles pour rendre le dispositif le plus adéquat possible. Ainsi, l’article 1er octodecies crée un comité pour faciliter la concertation entre l’ensemble des collectivités territoriales de la collectivité européenne d’Alsace et avec les collectivités territoriales limitrophes. L’article 1er sexies permet à collectivité européenne d’Alsace d’utiliser le ticketing, solution alternative à celle du dispositif de télépéage, qui permet aux utilisateurs occasionnels du réseau d’acheter à l’avance un ticket de circulation. L’article 4 précise les modalités de sanction et de contrôle de l’interdiction de circulation des véhicules de transport routier de marchandises en transit sur certaines routes de l’eurométropole de Strasbourg. La commission a réécrit l’article en conservant le principe du contrôle automatisé tout en supprimant les dispositions les plus détaillées encadrant le dispositif, calquées sur celles applicables au contrôle automatisé dans les zones à faibles émissions mobilité. Celles-ci ne pouvaient être appliquées de manière automatique au cas d’espèce.
    Par ailleurs, la commission a supprimé ou modifié les dispositions qui ne lui semblaient plus opportunes sur le plan juridique ou politique. Tel fut le cas de l’article 1er bis A qui permet d’appliquer la taxe dès que le poids total en charge autorisé du véhicule est supérieur ou égal à 2,5 tonnes. En effet, cet article anticipait l’éventuelle révision de la directive « eurovignette », ce qui n’est pas souhaitable du point de vue de la lisibilité du droit et de la qualité de la norme. Mais surtout, il pénaliserait fortement les artisans locaux qui utilisent des véhicules utilitaires légers.
    La commission a également supprimé l’article 1er duodecies qui appliquait à la taxe prévue par l’ordonnance du 26 mai 2021 les dispositions relatives aux conditions d’instauration des dispositifs de contrôle automatique introduites par la loi LOM pour l’application des zones à faibles émissions mobilité. L’ordonnance du 26 mai 2021 prévoit déjà le recours à un dispositif de contrôle automatique.
    La commission a modifié l’article 1er quaterdecies relatif à la récidive en conservant le principe d’une majoration de l’amende, tout en supprimant la peine de six mois d’emprisonnement que nous jugions largement excessive. Si le dispositif créé doit permettre de garantir le paiement de la taxe par les entreprises, aucun risque d’emprisonnement ne doit peser sur les conducteurs.
    Enfin, toujours dans le but d’améliorer la qualité juridique de l’ordonnance du 26 mai 2021, la commission a adopté les articles 1er terdecies A et 1er terdecies B. Le premier tend à modifier l’article 41 de l’ordonnance du 26 mai 2021 pour préciser que la collectivité européenne d’Alsace peut appliquer la procédure de taxation d’office quel que soit le mode de constatation de l’irrégularité – que le contrôle soit ou non réalisé par une personne physique. Le second tend à modifier l’article 44 de l’ordonnance du 26 mai 2021 pour permettre à la collectivité européenne d’Alsace de déterminer le montant des frais de dossier en cas de mise en œuvre de la procédure de taxation d’office.
    Pour parachever le travail de sécurisation juridique et d’amélioration du texte issu de la commission, je vous proposerai d’adopter une série d’amendements rédactionnels ainsi que des amendements améliorant la rédaction de l’article relatif au rapport sur l’application de la taxe. Ce dernier pourra ainsi être publié plus rapidement et comprendre davantage d’éléments.
    Je remercie l’ensemble des personnes qui ont travaillé à mes côtés pour élaborer, enrichir et sécuriser juridiquement le texte, notamment les services de l’Assemblée nationale et toutes les personnes que nous avons auditionnées. Je remercie la collectivité européenne d’Alsace qui a largement contribué à sécuriser le texte et a validé les dispositifs que nous avons instaurés ; les sénateurs qui ont participé et qui, informés du projet, ont validé l’ensemble des propositions que nous avons faites ; le Gouvernement pour sa capacité d’écoute.
    Ce texte tend à donner à la communauté européenne d’Alsace la capacité d’appliquer un système de régulation du trafic. Après le vote du Sénat, qui sera, je l’espère, conforme, il reviendra à la CEA d’agir. Elle disposera de tous les moyens et outils nécessaires afin d’œuvrer, sur son réseau routier, dans l’intérêt de la population alsacienne. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    Discussion générale

    M. le président

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    Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Marc Zulesi.

    M. Jean-Marc Zulesi

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    Le projet de loi de ratification que nous examinons aujourd’hui est la solution apportée par notre majorité à un problème alsacien qui n’a que trop duré. Dès 2005, l’Allemagne a en effet instauré une taxe s’appliquant aux poids lourds de plus de 12 tonnes, conduisant à un important report de trafic sur les routes et autoroutes alsaciennes. Disons-le, cette situation est devenue difficile à vivre pour les citoyens et les élus locaux.
    L’ordonnance dont la ratification est proposée répond à cette particularité frontalière en permettant à la collectivité européenne d’Alsace, créée en 2019, d’instaurer au cours des six prochaines années une contribution spécifique – une taxe – sur le transport routier de marchandises recourant à certaines voies du domaine public routier. Soucieux de tenir compte des spécificités de la région, nous avons pris le temps de la concertation avec les élus locaux. Ce texte est donc le fruit d’un travail de coconstruction avec la collectivité européenne d’Alsace.
    Vous l’avez compris, les ordonnances s’inscrivent dans une dynamique de déconcentration et de différenciation des compétences des collectivités territoriales engagée depuis le début du mandat. En effet, nous donnons à la collectivité européenne d’Alsace de larges marges de manœuvre : véhicules et réseaux concernés ; modulation, majoration, réduction ou encore exonération de la contribution sont autant de paramètres sur lesquels elle pourra jouer. Cette importante latitude lui permettra d’adapter le dispositif afin de le rendre le plus proche des enjeux locaux.
    L’instauration de cette contribution par la collectivité européenne d’Alsace constitue une première pierre. Ce dispositif ouvrira certainement la voie aux autres collectivités souhaitant s’engager dans cette démarche, dans le cadre d’un dialogue avec les différentes parties prenantes. En effet, l’article 137 de la loi « climat et résilience », adoptée en 2021, autorise le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi permettant aux régions volontaires – j’insiste sur le terme – d’instituer, à compter du 1er janvier 2024, des contributions spécifiques sur le transport routier de marchandises. À rebours de la démarche verticale visant à instaurer des écotaxes sous les législatures précédentes et qui s’est soldée par un échec, notre majorité s’engage, sans dogmatisme et grâce au relais des régions, dans une écologie concrète du quotidien. Plusieurs régions, parmi lesquelles l’Île-de-France, pourraient ainsi suivre l’exemple de la collectivité européenne d’Alsace en instaurant à leur tour une contribution sur le transport routier de marchandises.
    Chers collègues, ensemble, encourageons cette dynamique et accompagnons le changement en ne laissant personne de côté. C’est ainsi que nous pourrons favoriser le développement et l’aménagement durables de nos territoires. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. le président

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    La parole est à M. Raphaël Schellenberger.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Je constate avec beaucoup de plaisir que beaucoup d’Alsaciens sont présents sur tous les bancs de l’hémicycle.

    Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

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    Pas seulement !

    M. Raphaël Schellenberger

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    La loi portant création de la collectivité européenne d’Alsace, promulguée en août 2019, a organisé la fusion des deux conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin et leur a transféré certaines compétences dont la définition n’est pas si évidente eu égard à l’application du droit des collectivités territoriales. Elle a également prévu le transfert de quelques infrastructures, notamment des routes, sans toutefois l’accompagner de moyens suffisants. Si l’on se rappelle dans quel état était alors la RN66 et certaines de ses intersections, par exemple, on se rend compte que les moyens nécessaires à l’exploitation de ces infrastructures n’ont pas été correctement transférés à la collectivité européenne d’Alsace. Le Gouvernement comptait sans doute sur la future taxe sur le transit des poids lourds pour la financer. C’est un calcul que je tiens à dénoncer.
    En effet, cette taxe n’a pas vocation à financer les infrastructures : elle doit d’abord être pensée comme un outil de gestion et de régulation du trafic, destiné à répondre au problème particulier que pose l’encombrement du sillon rhénan consécutivement à l’instauration, dès le début des années 2000, de la LKW-Maut, taxe allemande sur le transit routier.
    La volonté d’instaurer un outil alsacien de régulation du trafic est ancienne mais a donné lieu à un parcours chaotique. C’est en effet en 2005, juste après l’instauration de la taxe allemande, que notre ancien collègue Yves Bur a fait adopter par l’Assemblée nationale un amendement sur le sujet. Par la suite, l’idée d’instaurer une telle taxe en Alsace a prospéré au sein du Gouvernement et des services du ministère chargé des transports. Elle a fini par être idéalisée, la taxe étant finalement considérée comme un outil tellement performant qu’il pourrait être généralisé à la France entière. Ségolène Royal s’y emploiera avec le succès qu’on connaît, provoquant le mouvement des bonnets rouges en Bretagne. L’Alsace a donc assisté à l’abandon de ce moyen tant espéré de gestion du trafic sur son axe nord-sud.
    Si je fais ce rappel, c’est parce que je constate une fois de plus qu’avant même que l’expérimentation alsacienne soit conduite et les ordonnances ratifiées, on parle de généraliser la taxe poids lourds. Or nous ne voulons pas la généraliser. À nos yeux, cette taxe est un simple outil de gestion du trafic susceptible de résoudre le problème rencontré dans le sillon rhénan. Il ne faudrait pas que d’autres préoccupations, notamment la volonté de percevoir de nouvelles recettes fiscales, viennent une nouvelle fois empêcher l’Alsace d’y recourir. J’y veillerai particulièrement.
    S’il est particulièrement pertinent de commencer par l’Alsace, c’est notamment que des transferts de compétences y ont déjà été expérimentés, pour être ensuite généralisés – je pense aux transports express régionaux (TER), par exemple, ou à l’apprentissage. Il me paraît donc important de s’en tenir à ce cadre, sans trop élargir, dans un premier temps.
    D’ailleurs la volonté du Gouvernement en 2019 était bien de légiférer dans certaines limites en confiant à la seule collectivité européenne d’Alsace cette compétence spécifique. S’il était prêt à l’époque à ce que l’Alsace sorte de la région Grand Est, il n’avait qu’à l’entériner alors, puisque nous disposions du bon vecteur législatif et que nous étions prêts à nous battre, plutôt que de lancer, à bas bruit, des semblants de promesses à l’issue des élections régionales.
    Aujourd’hui, il est important que nous puissions avancer sur ce texte pour créer une écotaxe, tout en restant vigilants sur les risques que nous faisons courir notamment aux transporteurs routiers alsaciens, puisque, malheureusement, en 2019, le Gouvernement n’a pas voulu confier de compétences économiques à la collectivité européenne d’Alsace, ce qui aurait pourtant permis de marcher sur deux jambes et de soutenir les transporteurs alsaciens en même temps que nous mettions en place cet outil de gestion du trafic. Telle n’était pas la volonté du gouvernement en 2019. Cela peut encore changer, mais, aujourd’hui, la donne de la collectivité européenne d’Alsace est celle que j’ai décrite.
    Le groupe Les Républicains soutiendra donc ce texte sans réserve, à condition qu’il se limite bien à l’Alsace. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

    M. Jacques Cattin

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    Très bien !

    M. le président

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    La parole est à M. Sylvain Waserman.

    M. Sylvain Waserman

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    Le groupe MODEM votera ce texte, dont la ministre et le rapporteur ont très bien parlé. Je voudrais pour ma part évoquer ce qui le sous-tend.
    Nous avons, dans notre histoire politique, connu plusieurs vagues de décentralisation, avec Gaston Defferre, Édouard Balladur ou Jean-Pierre Raffarin. Il s’agissait, chaque fois, d’une décentralisation massive, sans doute nécessaire mais, au bout du compte, assez jacobine puisqu’on décidait depuis Paris de ce qui s’appliquerait uniformément à tous les territoires.
    Il est probable que, sous la prochaine législature et quels que soient les élus qui siégeront, il faille réfléchir à une nouvelle vague de décentralisation. À titre tout à fait personnel, j’y suis favorable, ne serait-ce que sur deux points précis.
    Je pense d’abord qu’en matière d’emploi, les territoires sont plus à même de mettre en adéquation l’offre et la demande et que les collectivités territoriales devraient donc se voir transférer la gestion des structures opérationnelles de Pôle emploi.
    Je pense également qu’un bloc territorial unique, résultant de la fusion des régions et des départements, vaudrait mieux que notre mille-feuille territorial. Je le dis en tant qu’Alsacien : entre le jacobinisme à la française et l’État fédéral allemand, il y a probablement un juste milieu à inventer, sous la forme, peut-être, de Länder à la française, c’est-à-dire de blocs territoriaux aux contours redéfinis, dotés de davantage de compétences et d’un pouvoir comparable à celui des Länder allemands. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
    Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Il s’agit ici d’une autre voie, qu’on appelle la différenciation et qui permet, au-delà de ces grandes réflexions sur la décentralisation que je laisse à nos successeurs dans cet hémicycle, d’agir concrètement, dès maintenant. C’est sur cette idée que se fonde la CEA, l’idée que nos territoires ont des spécificités et que, lorsqu’ils prennent leur destin en main, le législateur peut les accompagner dans l’exercice des responsabilités nouvelles qu’on leur confie.
    Cette idée s’incarne dans des sujets comme celui de la taxe poids lourds, qui a, en son temps, défrayé la chronique et se trouve aujourd’hui au point de rendez-vous qu’avait fixé la loi sur la collectivité européenne d’Alsace.
    Je voudrais m’adresser à nos collègues, élus territoriaux, notamment en Alsace, pour leur dire la responsabilité qu’ils ont de faire vivre, de s’approprier, en en prenant la pleine mesure, les responsabilités nouvelles qu’on leur a confiées. Que ce soit sur l’enseignement de la « langue du voisin » et la mise en place des comités stratégiques ad hoc, sur le fait transfrontalier – qui implique autant la région Grand Est que la collectivité européenne d’Alsace –, ou sur la taxe poids lourds, ils ont entre leurs mains le succès de la loi sur la collectivité européenne d’Alsace, car c’est à eux qu’il revient de l’appliquer dans ses aspects les plus concrets, dont celui que nous évoquons aujourd’hui.
    Le groupe MODEM votera massivement pour ce texte. (Mêmes mouvements.) J’espère qu’il sera largement adopté et que nos collègues élus territoriaux entendront mon message : c’est à eux de reprendre le flambeau des responsabilités nouvelles que le législateur leur a confiées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier.

    M. Dominique Potier

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    Nous sommes réunis pour ratifier des ordonnances découlant de l’autonomie octroyée à la collectivité européenne d’Alsace en matière de gestion et de régulation de l’infrastructure routière.
    Nous pourrions, avec candeur, nous enthousiasmer et saluer un mécanisme de décentralisation, promesse de bonheur universel. Vous comprendrez qu’après avoir relu tout à l’heure avec émotion la déclaration d’amour que j’avais faite à nos voisins, frères et amis alsaciens lors du vote de la loi sur la collectivité européenne d’Alsace,…

    M. Jacques Cattin

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    Tu as voté pour ?

    M. Dominique Potier

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    …après avoir rappelé l’attachement profond qui nous lie, je dirai pourtant que cette loi relève plus d’un projet « gribouille » que d’un véritable laboratoire.

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Comment ça ?

    M. Dominique Potier

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    Gribouille, parce que vous n’avez pas pensé alors aux conséquences de ce que vous mettiez en œuvre en Alsace. Vous avez, nous avons – Alsaciens ou non – peu d’excuses pour cela.
    Il aura fallu quinze ans pour trouver la parade à la mise en place d’une taxe allemande, qui a massivement déporté le trafic vers le sillon rhénan alors que, dès le départ, vos voisins lorrains vous avaient averti des conséquences qu’aurait votre solution sur le sillon lorrain : ce que vous avez subi de l’Allemagne, de façon mécanique, le sillon lorrain le subira.

    M. Jacques Cattin et M. Raphaël Schellenberger

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    Mais non !

    M. Dominique Potier

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    J’y vois une forme d’inégalité de traitement. En effet, non seulement la Lorraine, où transitent près de 100 000 personnes, au nord de Metz, vers le Luxembourg et l’Allemagne, connaît un trafic transfrontalier équivalent sinon supérieur à celui de l’Alsace, mais l’installation d’une taxe en Alsace ne fera qu’aggraver les choses. Au minimum, c’est à l’échelle du Grand Est et en prenant en compte les flux nord-sud qui traversent la région que nous aurions dû traiter cette question…

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Pas du tout !

    M. Dominique Potier

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    C’était tout à fait possible, et nous n’avons pas manqué de nous mobiliser pour vous en avertir.
    Je dénoncerai trois idées fausses qui se sont installées dans les esprits.
    La première est qu’il ne faut considérer que le trafic allemand et le trafic alsacien, géographiquement très proches l’un de l’autre. En réalité, si nous élargissons le périmètre aux grands axes qui structurent le trafic international, entre Francfort, Dijon et Lyon, c’est-à-dire le long du sillon rhodanien, il apparaît que le trafic est comparable en Alsace et en Lorraine et qu’une différence de tarification risque de provoquer un déport.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Mais non !

    M. Dominique Potier

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    La deuxième est de miser sur un report modal sur le Rhin, particulièrement bien équipé, en envisageant une canalisation de la Moselle et une modernisation du réseau ferré. Toutes les études du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), y compris les plus optimistes incluant l’unification des ports lorrains, l’ont démontré : à l’horizon 2030, on ne pourra éviter une montée du trafic qui provoquera des phénomènes de saturation – dans lesquels j’inclue évidemment le problème des gaz à effet de serre et les questions de santé publique afférentes.
    Enfin, à tous ceux qui estiment que la Lorraine n’a qu’à faire comme l’Alsace, je répondrai que nous ne disposons pas de la même armature juridique et que, même si nous nous appuyions sur les dispositions prévues dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), le sillon lorrain serait en retard de cinq ans sur le sillon rhénan, ce qui est un décalage insupportable.
    Si nous avons travaillé pour amender le texte au Sénat, il nous faut savoir profiter de certaines leçons – je le dis avec d’autant plus d’humilité que j’appartiens à la majorité qui, en 2013, s’est montrée incapable de trouver une solution efficace. L’expérimentation alsacienne ne peut se concevoir sans s’inscrire dans un aménagement du territoire, national et international, cohérent. Il faut impérativement un schéma directeur, une chronologie et des moyens nouveaux au service de l’innovation. Il faut aussi – et ce sera l’objet d’un de nos amendements – que cette nouvelle taxe permette de développer l’alternative modale. En effet, au-delà de la compétition entre nos territoires, il y va de la survie de notre planète.

    M. le président

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    La parole est à M. Antoine Herth.

    M. Antoine Herth

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    J’ai un point commun avec Raphaël Schellenberger : nous sommes tous les deux nés un 14 février. Contrairement à lui cependant, j’étais là en 2004 pour voter l’amendement d’Yves Bur sur l’écotaxe alsacienne. Et puisqu’il a pris quelques libertés avec l’histoire, je vais à mon tour remettre les choses en perspective.
    L’idée venait à l’époque d’Adrien Zeller, président du conseil régional d’Alsace, qui souhaitait apporter une réponse au report de trafic qu’avait entraîné la mise en place d’une taxation sur le réseau allemand. La taxe alsacienne, qui devait entrer en vigueur en 2007, s’est malheureusement perdue dans les méandres de l’administration, notamment à cause de la question du bénéficiaire de l’argent.
    En 2009, le principe d’une écotaxe applicable à tout le territoire national est voté, à la quasi-unanimité d’ailleurs, dans le cadre du Grenelle de l’environnement – voulu par Nicolas Sarkozy, mon cher Raphaël. Sa mise en œuvre est initialement programmée pour 2010 mais cette année-là, Dominique Bussereau, alors secrétaire d’État aux transports, annonce qu’elle sera d’abord expérimentée en Alsace, début 2012. Un collectif alsacien comprenant transporteurs routiers, MEDEF (Mouvement des entreprises de France), exploitants agricoles et artisans la juge injuste et discriminatoire – preuve que rien n’est moins facile que d’appliquer ce type de dispositif.
    En 2011, la justice annule l’appel d’offres remporté par l’italien Autostrade, et la mise en œuvre est désormais annoncée pour mars 2013, mais le changement de majorité en 2012 rebat les cartes et la majorité socialiste modifie en profondeur le dispositif : la nouvelle version nous vaut les bonnets rouges en Bretagne, le Gouvernement hésite, tergiverse, recule, tente d’aménager le projet et, de guerre lasse, annonce sa suspension sine die, en octobre 2014.
    Les ressources attendues de cette taxe – qui, je le précise, devaient aller à l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, pour financer le report modal – seront remplacées par une hausse de la fiscalité du gazole. L’abandon de cette taxe coûtera à l’État 1 milliard d’euros au profit d’Écomouv’, et des projets comme le canal Seine-Nord Europe attendent encore leur financement. En février 2017 la Cour des comptes juge qu’il s’agit d’un échec stratégique et d’un abandon coûteux, et conclut que l’abandon de l’écotaxe poids lourds constitue un gâchis.
    Peut-être la séance d’aujourd’hui pourrait-elle être, avec un clin d’œil à Proust, une recherche du temps perdu. Je souhaite, au moins, que nous puissions remettre cette question à l’ordre du jour. D’abord, bien sûr, parce qu’il s’agit d’une demande locale alsacienne, mais aussi parce que, comme le voulait en son temps Adrien Zeller, l’Alsace peut être, pour l’ensemble du territoire national, un laboratoire permettant d’expérimenter des solutions nouvelles afin d’en mesurer les avantages, comme nous le souhaitons, mais également les inconvénients, dont Dominique Potier a cité un certain nombre – et, de fait, il faut entendre ce que disent nos voisins lorrains. Cette expérimentation sera d’autant plus facile que nous disposons aujourd’hui d’un réseau routier cohérent, avec le contournement ouest de Strasbourg, qui permet de canaliser les flux de camions beaucoup mieux que précédemment.
    Je me réjouis par ailleurs que, comme l’a souligné le rapporteur, divers amendements et modifications du texte puissent faciliter cette expérimentation – je pense en particulier à la suppression de la notion de tonnage, ainsi qu’au système de dialogue prévu. À l’époque, en effet, comme je le rappelais, certains opérateurs n’étaient pas très satisfaits de participer à cette expérimentation.
    Le retour d’expérience sera important et devra être analysé de près, pour ce qui concerne le report modal et le report de trafic sur les zones géographiques voisines, la régulation du trafic, à propos de laquelle j’ai quelques doutes, et l’économie générale de ce dispositif. Je suis persuadé que, dans le cadre des textes de loi que nous voterons au cours de cette législature, qu’il s’agisse de la décarbonation générale de l’économie ou des modifications que nous avons constatées, à l’occasion de la crise covid, en termes de modes de consommation et de flux de trafic, il faudra en tirer tous les enseignements et, pourquoi pas ? reprendre un jour au niveau national l’idée d’une taxation des moyens de transport de marchandises.
    Je souhaite, en tout cas, que cela réussisse. Si ce n’est pas le cas, nous en serons réduits, comme l’académie des César, à juger que le meilleur scénario est celui des illusions perdues, ce que je ne souhaite pas. (Mme la présidente de la commission et M. le rapporteur applaudissent.)

    M. le président

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    La parole est à M. Michel Zumkeller.

    M. Michel Zumkeller

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    Quand nos routes sont inutilisables parce que congestionnées par une circulation de transit et dégradées par une surutilisation d’opportunité, il convient de réagir, d’autant plus que le trafic routier, source de pollution sonore et aérienne, n’est pas sans conséquence sur la santé des populations qui vivent à proximité.
    Ce projet de loi s’inscrit dans le cadre de la révision d’une directive européenne permettant de trouver des solutions pragmatiques locales pour rétablir une sorte de justice fiscale et sociale. C’est d’ailleurs la conception de l’Europe que défend notre groupe UDI et Indépendants : une Europe forte qui protège et qui soutient les États membres. Ce projet de loi répond également à une demande ancienne de nos collègues élus d’Alsace pour l’exercice de leurs compétences dans la gestion des infrastructures et du transport routier. Il s’inscrit dans la suite logique de la création, au 1er janvier 2021, de la collectivité européenne d’Alsace, qui est désormais le chef de file de la coopération transfrontalière sur son périmètre et qui gère le réseau routier national non concédé. Il est donc légitime que cette nouvelle collectivité puisse être dotée de moyens juridiques et fiscaux lui permettant d’exercer pleinement ses missions.
    Comme cela a été rappelé plusieurs fois, depuis 2005 et la mise en place par l’Allemagne d’une taxe kilométrique s’appliquant aux poids lourds de plus de 12 tonnes, le territoire alsacien constate et subit un report significatif de trafic routier depuis les routes allemandes. Certains axes du sillon rhénan se trouvent ainsi particulièrement congestionnés, avec un trafic composé à plus de 15 % de poids lourds. Devant le caractère insoutenable à long terme de ce trafic, à la fois pour les infrastructures et pour les populations, il convenait de prendre les mesures juridiques permettant de rétablir les équilibres.
    L’enjeu principal du texte, qui propose de ratifier trois ordonnances entrées en vigueur en mai 2021, est donc de doter cette collectivité des outils nécessaires pour pouvoir assumer sa nouvelle compétence dans de bonnes conditions en vue de réguler les flux de transport routier de marchandises.
    L’article 1er lui donne désormais la possibilité de mettre en place une taxe sur le transport routier de marchandises recourant à certaines voies du domaine public routier de la collectivité européenne d’Alsace. Le mécanisme de différenciation des taux kilométriques suivant le niveau des émissions de dioxyde de carbone, ainsi que les saisons, permettra d’aboutir à une taxation ciblée, donc beaucoup plus juste. Cette taxe est à la fois utile, puisque permettant de mobiliser des fonds pour la réparation et l’entretien des routes, et écologique, puisqu’elle permet de restreindre une source de pollution importante. En effet, rappelons-le, malgré tous ses efforts, le transport routier génère encore à lui seul 33 % des émissions de CO2 en France et est donc le moyen de transport qui rejette le plus de CO2 dans l’atmosphère, participant activement au réchauffement climatique. Taxer en vue de réduire le trafic permet ainsi une mobilisation du pays en faveur de l’urgence climatique, dont nous devons tous être acteurs.
    Enfin, j’aime beaucoup l’idée, évoquée par M. Herth, qu’il s’agit ici d’une expérimentation. C’est une bonne logique pour voir si nous pourrons diffuser cette idée sur d’autres territoires. C’est là, me semble-t-il, le sens premier de ce texte.
    Pour toutes ces raisons, comme vous l’aurez compris, le groupe UDI et Indépendants accueille avec satisfaction ce projet de loi, qui recueillera sur nos bancs un avis favorable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – M. Bertrand Pancher applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à M. Bertrand Pancher.

    M. Bertrand Pancher

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    Quelle ânerie, que d’avoir supprimé en France la taxe poids lourds ! Quelle bêtise ! Merci à Ségolène Royal ! Heureusement que peu de membres du groupe Socialistes sont présents… C’est un scandale écologique que d’avoir supprimé ce qui constituait une grande avancée du Grenelle de l’environnement, mais aussi un scandale sur le plan financier, et l’écotaxe doit aujourd’hui être généralisée dans l’ensemble de notre pays. En effet, les poids lourds traversent la France, font le plein avant d’arriver dans notre pays, le font à nouveau après en être sortis, ne payant même pas chez nous les taxes sur les carburants, et cassent notre système routier : il ne faut pas s’étonner que les transports collectifs de marchandises ne fonctionnent pas ! C’était vraiment une énorme bêtise, et il est bon d’avoir relancé ce débat sur l’écotaxe, une fiscalité environnementale que notre groupe Libertés et territoires soutient, même si cela se fait tardivement et par petits morceaux. Une unanimité s’exprime sur l’ensemble des bancs de notre assemblée, et c’est tant mieux.
    Nous abordons cette taxe par la question qui nous occupe dans le débat d’aujourd’hui, à savoir la traversée de Strasbourg par 16 000 camions qui tentent d’échapper à la taxe poids lourds qui s’applique en Allemagne et dans de nombreux pays européens. Le remède s’est fait attendre, et depuis des années les Alsaciens et, plus largement, les habitants de la région Grand Est réclamaient une telle fiscalité.
    Je ne reviendrai pas sur les renoncements passés, que j’ai déjà évoqués. Aujourd’hui, le projet de ratification de l’ordonnance relative aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace permet de poser la dernière pièce d’un édifice attendu. Attachés au principe du pollueur-payeur, nous y sommes évidemment favorables. Il faut en effet soutenir ce principe en France, sans quoi nous ne nous en sortirons jamais sur le plan environnemental – nous ne devons pas nous raconter d’âneries, chers collègues, et ceux qui se réunissent autour de ce texte reconnaissent tous l’importance d’une telle intervention.
    Nous sommes donc favorables à ce texte, tout en restant vigilants, cependant, quant à ses conditions de mise en œuvre. Mécaniquement, l’instauration de la taxation autoroutière sur l’axe rhénan conduira au report d’une partie du trafic sur l’ensemble du sillon lorrain, comme le souligne à juste titre Dominique Potier, et dans certains départements limitrophes. Élu du département de la Meuse, je suis naturellement préoccupé par ce risque de délocalisation du trafic et de la pollution.
    Pour tout dire, il aurait été préférable que le calendrier de l’écotaxe sur le réseau de la collectivité européenne d’Alsace soit calé celui de la région Grand Est. À défaut, et afin de garantir l’acceptabilité de la taxe, il est donc essentiel de mener une concertation approfondie avec l’ensemble des acteurs concernés.
    L’article 59 de l’ordonnance imposait à la CEA, la collectivité européenne d’Alsace, de consulter les principales organisations professionnelles des entreprises de transport, sans mentionner cependant d’autres acteurs de la région, en premier lieu les collectivités territoriales. N’opposons pas, par pitié, la région Grand Est à la collectivité européenne d’Alsace ! Nous pâtissons déjà assez du fait que personne n’ait suffisamment de compétences dans notre pays, et cette concertation était véritablement nécessaire.
    Je suis convaincu qu’il est indispensable d’élargir l’écotaxe à la région Grand Est (M. Raphaël Schellenberger proteste), ce qui est d’ailleurs une demande ancienne du conseil régional. En la matière, nous avons perdu beaucoup de temps. Il a fallu attendre la loi « climat et résilience » d’août 2021 pour prévoir la possibilité, pour les régions volontaires, d’instaurer un système similaire de taxe. Cependant, la mise en œuvre de cette réforme a été renvoyée à des ordonnances. Compte tenu du délai d’habilitation de deux ans, ces ordonnances ne sont pas publiées et ne le seront pas avant la fin du quinquennat. La mise en œuvre d’une écotaxe n’est, d’ailleurs, pas prévue dans ces textes avant janvier 2024. Nous aurions pu être plus rapides.

    M. Jacques Cattin

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    Absolument !

    M. Bertrand Pancher

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    Cela dit, nous ne boudons pas notre satisfaction de voir se réaliser une avancée pour cette région particulière de notre pays, proche de l’Allemagne. Le groupe Libertés et territoires votera en faveur de ce projet de loi, qui semble respecter le principe de différenciation territoriale, au cœur de notre engagement politique, tout en incitant le secteur des transports routiers à limiter ses émissions de gaz à effet de serre.
    La mise en œuvre d’une écotaxe ne saurait toutefois être la seule voie de décarbonation du secteur routier et d’autres leviers doivent être actionnés, notamment le renforcement de l’attractivité du fret ferroviaire. En la matière, il reste encore beaucoup à faire.

    M. le président

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    La parole est à M. Hubert Wulfranc.

    M. Hubert Wulfranc

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    Nous sommes conviés à nous prononcer aujourd’hui sur un texte qui répond à une demande ancienne : celle de l’instauration en Alsace d’une écotaxe dont l’objectif est de corriger les effets de la création en 2005, chez nos voisins allemands, d’une taxe analogue. L’entrée en vigueur de ce péage poids lourds outre-Rhin a conduit, nous le savons, à des reports de trafic de transport de marchandises très importants sur les routes alsaciennes, provoquant la saturation des axes autoroutiers tels que l’A35.
    Nous partageons la conviction qu’il est nécessaire d’instaurer une taxe visant les poids lourds en transit sur le territoire de la collectivité européenne d’Alsace, qui répond à d’évidents enjeux sanitaires et de qualité de vie pour les habitants. Néanmoins, le texte que vous nous proposez ne nous satisfait pas.
    Nous avons, en premier lieu, eu plusieurs fois l’occasion d’exprimer nos plus vives réserves quant au transfert aux collectivités territoriales de la compétence relative aux routes et autoroutes du domaine public routier national non concédé. Ce désengagement de l’État nuit à l’unicité du réseau national et à l’égalité territoriale, dans un contexte de dégradation du réseau routier national qui interroge quant à la capacité de certaines régions à faire face à ces nouvelles compétences et à les assumer, à moins de les confier à des gestionnaires privés.
    Ce type de transfert pénalise par ailleurs l’adoption d’une stratégie nationale d’aménagement routier et de transport cohérente avec les engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
    Nous préférerions, pour notre part, un plan national de taxation autoroutière tirant les leçons de l’échec de l’écotaxe, afin en particulier de garantir que les ressources qui résulteront de l’instauration de taxes autoroutières n’aillent pas alimenter les budgets généraux des collectivités, mais l’investissement dans notre système ferroviaire et dans nos infrastructures fluviales. Nous devons, en effet, remettre au goût du jour les objectifs de report modal de la route vers le rail et le transport fluvial, définis il y a plus d’une décennie par le Grenelle de l’environnement.
    D’autres dispositions du texte nous semblent soulever des difficultés. Ainsi, l’article 3 confie à l’eurométropole de Strasbourg le soin de reprendre les engagements liant l’État à la société ARCOS pour l’autoroute A355, s’agissant notamment du grand contournement ouest de Strasbourg.
    Nous nous sommes prononcés régulièrement pour un moratoire sur ce projet de grand contournement. Nous continuons de considérer que ce projet ne répond pas durablement aux enjeux de court et long terme. La construction de ce contournement n’aura d’ailleurs probablement qu’un faible impact sur le trafic s’il ne s’accompagne d’un ensemble de mesures visant la réduction des flux automobiles, le développement des transports collectifs et la remise en cause de la métropolisation. Pour connaître le dossier du contournement de Rouen, je dois dire que la même logique produit les mêmes résultats. Nous restons sur cette posture.
    Enfin, nous sommes très réservés sur l’amendement adopté à l’initiative de notre rapporteur, exonérant les véhicules utilitaires de moins de 3,5 tonnes du paiement de la taxe. Nous partageons, bien entendu, le souci d’épargner le transport domestique et les artisans. Mais, ainsi que l’a rappelé notre collègue Dominique Potier en commission, nous ne pouvons faire l’impasse sur la stratégie développée par les transporteurs d’Europe orientale qui utilisent des flottes de véhicules de petite taille pour parcourir les dernières centaines de kilomètres sur notre territoire avec les mêmes conséquences que le recours à de plus gros véhicules en matière d’émissions, de pollution sonore et atmosphérique et de concurrence déloyale. La suppression, en commission, de l’article 1er bis A introduit au Sénat ne nous paraît donc pas opportune et nous considérons, pour notre part, qu’une réécriture plus précise de l’ordonnance est nécessaire.
    Si nous sommes favorables sur le principe à la création d’une taxe poids lourds en Alsace, à ce stade, pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, nous nous prononcerons définitivement contre le présent projet de loi de ratification qui, selon nous, est largement inabouti.

    M. le président

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    La discussion générale est close.

    Discussion des articles

    M. le président

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    J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

    Article 1er

    M. le président

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    La parole est à M. Philippe Meyer, inscrit sur l’article.

    M. Philippe Meyer

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    La ratification des ordonnances relatives aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace permet de faire progresser le projet de taxation du transport routier de marchandises en Alsace. Je ne reviendrai pas sur l’historique, puisque d’autres l’ont fait avant moi.
    À mon tour, je salue le travail réalisé entre le Gouvernement, le Parlement et la CEA, et celui du rapporteur Vincent Thiébaut sur ce dossier sensible, qui a abouti à la solution la plus pragmatique. La taxe prélevée par l’Allemagne, la LKW-Maut, a orienté de manière significative le trafic sud-nord et nord-sud de l’Europe sur les routes alsaciennes. Le réseau routier, lourdement chargé, se détériore plus rapidement et la pollution générée est significative, comme l’indiquent tous les chiffres de fréquentation. Une équité de traitement doit être instaurée avec la circulation en Allemagne voisine : c’est l’un des objectifs de ce projet de loi et de ces ordonnances. Par ailleurs, rien n’indique, contrairement à ce qui a été dit, un report significatif prévisionnel vers le sillon lorrain.
    L’article 1er permet notamment à la CEA d’agir afin de réglementer et d’exonérer également de la taxe certaines catégories d’utilisateurs, selon des modalités qui restent à définir. Je veux y voir une forme de décentralisation aboutie, tenant compte de la situation géographique de l’Alsace au cœur de l’Europe de l’Ouest, le long de l’axe rhénan. Les interventions entendues jusqu’à présent montrent un relatif consensus politique sur ce sujet, le Sénat ayant également permis d’améliorer le texte en ce sens.
    Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que soutenir ce projet de loi ratifiant ces ordonnances. (M. Raphaël Schellenberger applaudit.)

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Merci !

    M. le président

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    La parole est à M. Sylvain Waserman.

    M. Sylvain Waserman

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    L’enjeu est aussi celui de la santé publique, notamment du fait de la pollution de l’air dans une ville comme Strasbourg, ville à laquelle je suis particulièrement attaché en tant qu’élu. Entre le grand contournement ouest qui a été cité à plusieurs reprises et la possibilité de limiter le report du trafic poids lourds, on a maintenant doté le territoire des outils adéquats. Comme l’a dit mon collègue Meyer à juste titre, l’article 1er permettra de donner les moyens de cibler cette taxe pour la rendre effective et juste. La balle est maintenant dans le camp de nos élus territoriaux.

    (L’article 1er est adopté.)

    Après l’article 1er

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 4.

    M. Dominique Potier

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    Cela ne vous surprendra pas que nous proposions d’instaurer, dès la ratification de l’ordonnance mentionnée à l’article 1er, une taxe applicable aux véhicules de transport de marchandises qui utilisent l’autoroute A31. Je précise que cet amendement de nos collègues sénateurs Jacquin et Todeschini avait été adopté au Sénat.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Ce débat a déjà eu lieu en commission. Le projet de loi concerne un seul et unique périmètre : celui des routes de la collectivité européenne d’Alsace. Nous n’avons donc pas à aller au-delà.
    La loi « climat et résilience » permet aux régions de se saisir du sujet en créant une taxe, si elles le souhaitent. Ce n’est pas à nous de décider ce que veulent les Lorrains : c’est une concertation qui doit avoir lieu en Lorraine, comme cela a été fait au niveau de la collectivité européenne d’Alsace.
    De plus, votre amendement pose problème dans la mesure où il prévoit de renvoyer à un décret l’instauration d’une taxe sur les véhicules de transport de marchandises empruntant l’A31. Or l’article 34 de la Constitution prévoit que c’est à la loi de fixer les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature.
    Pour toutes ces raisons, et comme nous l’avons fait en commission, j’émets un avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Comme nous l’avons dit lors de la discussion générale, c’est une demande de longue date des Alsaciens. Cela fait en effet quinze ans que le territoire milite pour l’instauration de cette taxe. C’est sous ce quinquennat qu’on a réussi à la mettre en place, après de longues concertations avec les élus alsaciens.
    Si vous souhaitez l’instauration d’un dispositif similaire sur le sillon A31, je vous renvoie à l’article 137 de la loi « climat et résilience » qui permettra aux régions de créer un système analogue.
    Par ailleurs, lors de l’examen, en 2019, du projet de loi relatif aux compétences de la CEA, toutes les études d’impact avaient infirmé les risques de report.
    Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

    (L’amendement no 4 n’est pas adopté.)

    Article 1er bis

    M. le président

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    La parole est à M. Yves Hemedinger, inscrit sur l’article.

    M. Yves Hemedinger

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    Je me réjouis de voter ce texte, car il constitue une réelle avancée. C’est une bonne façon de faire parce que le mal français est lié au fait que l’État est beaucoup trop centralisé, appliquant des règles uniformes. Or nous avons la démonstration que ce qui est bon pour l’Alsace ne l’est pas forcément pour la Bretagne, et que ce qui est bon pour la Bretagne ne l’est pas nécessairement pour le sud de la France. Il faut donner davantage de place à ce type de vision pour coller le plus possible aux besoins et à la réalité des territoires.
    Il est bon d’obtenir des compétences supplémentaires, et celle-ci est importante parce que nous sommes soumis à un trafic insupportable sur l’axe nord-sud de l’Alsace, résultant des dispositions instaurées en Allemagne avec la Maut. Mais une chose est de récupérer des compétences, une autre est d’avoir les moyens de les exercer. Alors que la collectivité européenne d’Alsace a demandé 30 millions d’euros de compensation, le Gouvernement n’a octroyé que 23 millions : il manque donc 7 millions. Je ne souhaite pas que ces nouvelles compétences, par manque de moyens, finissent par coûter de l’argent aux Alsaciens.

    M. le président

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    La parole est à M. Sylvain Waserman.

    M. Sylvain Waserman

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    Je rejoins pour partie les propos qui viennent d’être tenus.
    Monsieur Potier, si je n’ai pas voté votre amendement, ce n’est pas par défiance des élus alsaciens qui se sont engagés dans cette démarche par rapport à d’autres territoires qui voudraient avoir la même approche. Le danger, c’est de faire passer cette logique alsacienne pour quelque chose d’égoïste et d’individualiste. Or ce n’est pas le cas. Il s’agissait, c’est vrai, d’un désir d’Alsace, mais il se fait dans le plus profond respect de l’identité des autres territoires. Personnellement, si un jour je dois voter ici une loi similaire pour la Lorraine ou d’autres régions, je le ferai avec la même conviction que je l’ai fait pour l’Alsace.

    (L’article 1er bis est adopté.)

    Article 1er quinquies

    (L’article 1er quinquies est adopté.)

    Article 1er sexies

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 5.

    M. Dominique Potier

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    M. Waserman a raison, il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur nos amis alsaciens ou de leur prêter le dessein d’une vision égoïste. C’est pour éviter ce jugement que je vous ai offert, avec l’amendement no 4, la possibilité d’intégrer l’A31, et que je vous propose, avec l’amendement no 5, de traduire votre désir d’Alsace en ambition pour le Grand Est. Le présent amendement vise simplement à donner à la région qui inclut la collectivité européenne d’Alsace la capacité à mettre en œuvre sur l’ensemble de ses sillons des mécanismes équivalents, afin d’éviter des phénomènes de désordre créés involontairement, je n’en doute pas une seconde, par votre propre initiative.
    Ce qui est en cause, ce sont moins les Alsaciens que le législateur et le Gouvernement. C’est bien la question de la planification qui est en jeu. On ne fait pas de décentralisation sans planification, sinon on crée du désordre et les effets « gribouille » que j’ai dénoncés.
    La solution consiste donc à donner au Grand Est la capacité à faire ailleurs ce qu’il a fait en Alsace. Tel est l’objet du présent amendement.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Cher collègue, nous avons déjà eu cette discussion tout à l’heure ainsi qu’en commission. Je veux rappeler le contexte. En Alsace, les routes sont souvent à moins de dix kilomètres de l’autoroute allemande, ce qui entraîne des effets de report significatifs. L’A31 étant à plus de 100 kilomètres, je ne suis pas convaincu que le report de trafic dont vous parlez, qui va générer un temps significatif pour les transporteurs, donc une perte financière, vienne compenser la taxe qu’ils vont payer. Il faut donc raison garder.
    Je veux préciser à l’ensemble des parlementaires alsaciens présents ce soir que le projet que nous étudions a été travaillé aussi avec l’ensemble des élus locaux. Ce projet, issu des accords de Matignon, a été validé par l’ensemble des élus locaux, notamment par les deux présidents des conseils départementaux – dont Mme Brigitte Klinkert, précédemment présidente du conseil départemental du Haut-Rhin –, la région et le Gouvernement.
    Par ailleurs, un dispositif législatif existe dans la loi « climat et résilience » dont la région peut se saisir. Aussi, plutôt que de lancer ici un débat, je vous propose d’engager d’abord une concertation locale avec vos présidents de conseils départementaux pour savoir ce qu’ils veulent, puis de défendre ce projet avec la région compétente pour créer cette taxe. Ce n’est pas à nous de le faire ici. Nous ne faisons que valider des accords conclus entre les élus locaux, les collectivités territoriales, notamment la collectivité européenne d’Alsace, et le Gouvernement en place. Je comprends votre combat, mais vous allez trop vite et la méthode est typiquement « gribouille ». Avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Défavorable. Je répète que l’Alsace demande la taxation depuis plus de quinze ans. Quant au report de trafic vers le sillon lorrain, il est infirmé par toutes les études d’impact. En outre, alors que les autoroutes alsaciennes ne sont distantes des autoroutes allemandes que de quelque 35 kilomètres, l’emprunt du sillon lorrain suppose un détour d’une centaine de kilomètres. Quel transporteur choisira un tel détour plutôt que de filer tout droit vers le sud ou le nord ?
    J’ajoute que l’article 137 de la loi « climat et résilience » autorise les régions volontaires à instaurer une taxation similaire. Enfin, le comité de concertation créé par le Sénat permettra d’associer l’ensemble des collectivités et des acteurs concernés à la mise en œuvre de cette taxe.
    Encore une fois, c’est le Président de la République qui, sous ce quinquennat, a rendu une existence institutionnelle à l’Alsace, et qui a permis la coconstruction – M. le rapporteur l’a rappelé – de la collectivité européenne d’Alsace. Ce modèle de différenciation peut être reproduit dans d’autres territoires s’ils en font la demande.

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier.

    M. Dominique Potier

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    J’ai d’autant moins l’intention de prolonger ce débat qui a déjà eu lieu que je ne me fais aucune illusion sur son issue. Permettez-moi tout de même de rétablir quelques vérités dans notre dialogue forcément amical, monsieur le rapporteur. Tout d’abord, les Lorrains souhaitent cette écotaxe. Or le dispositif législatif existant entraîne un décalage d’au moins cinq ans avec l’Alsace. Quant au report de trafic, madame la ministre déléguée, il va de soi que personne ne bifurquera de Strasbourg vers Nancy pour gagner quelques euros, c’est évident, mais il en ira autrement de l’axe Francfort-Lyon, où les transporteurs feront nécessairement un calcul d’opportunité en fonction des coûts et de la distance, sachant que sur son segment lorrain, la circulation est déjà saturée et que la part du trafic transfrontalier est supérieure à celle des autoroutes alsaciennes. Vérité en Alsace serait-elle donc mensonge en Lorraine ? Non, cela ne tient pas debout.
    Nous prônons simplement une mesure d’équité consistant à accélérer les choses pour faire de ce laboratoire une véritable expérimentation, ce débat sur la planification étant nécessaire à l’échelle non seulement régionale, mais aussi nationale et internationale.

    M. le président

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    La parole est à M. Thibault Bazin.

    M. Thibault Bazin

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    Je remercie mes collègues alsaciens de me laisser m’exprimer, d’autant plus que mon département compte peu de députés du groupe Les Républicains – mais j’espère que cela changera lors de la prochaine législature ! (Sourires.)
    Nos collègues et voisins alsaciens ont défendu une excellente proposition. L’Alsace connaît en effet un véritable problème – je ne le nie pas – de report de trafic depuis l’Allemagne. Je soutiens donc pleinement l’instauration d’une écotaxe – appelons-la comme on veut – dans ce territoire.
    Mais la Lorraine, comme nous l’avons dit dans les débats sur la CEA, a un autre problème : l’A31 est déjà saturée et accueille notamment un trafic de poids lourds en transit depuis le nord – plus au nord que ce qu’on croit, au reste, puisque de nombreuses marchandises proviennent de zones portuaires telles que Hambourg – vers le sud, selon des stratégies de déplacement qui ont déjà des conséquences en France, notamment en Alsace et en Lorraine. Il n’a naturellement pas été possible d’instaurer l’écotaxe en Lorraine dans le cadre des débats sur la CEA, en dépit d’un accord sur ce point qui dépasse les clivages habituels. Des véhicules législatifs plus récents le permettront, mais ils se traduiront par une entrée en vigueur décalée. Or nous devons nous assurer, face aux grands transporteurs qui traversent l’Europe via ces régions, que l’État sera au rendez-vous de la Lorraine pour que l’écotaxe s’y applique presque au même moment qu’en Alsace.
    Je n’entre pas dans le débat du pourcentage éventuel de déport. Certains trafics, en effet, viennent de loin et vont plus loin encore ; ils ne font que passer par l’Alsace et la Lorraine. J’insiste en revanche pour que l’État adopte une approche fondée sur un aménagement équitable.

    M. le président

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    La parole est à M. Bertrand Pancher.

    M. Bertrand Pancher

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    Je souhaite éclaircir une controverse. On nous dit que l’écotaxe entrera en vigueur d’abord en Alsace, et seulement en 2024 dans d’autres régions, notamment le Grand Est, du fait des délais liés aux ordonnances. M. Potier a cependant raison : à l’évidence, il faut au moins harmoniser la mise en place de cette taxe à l’échelle de la région. On nous répond qu’il appartient à la région d’en décider, mais nous sommes tout de même le législateur. Je suis quant à moi très favorable à la généralisation de l’écotaxe en France, mais la décentralisation d’une mesure, en particulier celle-ci, implique des modalités de mise en œuvre, un calendrier, des mesures incitatives. Encore une fois, je suis favorable à l’instauration de l’écotaxe en Alsace, mais il faut l’harmoniser avec l’ensemble de la région Grand Est, notamment la Lorraine.

    M. le président

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    La parole est à M. le rapporteur.

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Il n’est pas question de prétendre que le problème n’existe pas en Lorraine. Étant conseiller régional, je connais bien la question de l’A31, et je me réjouis que nous ayons donné à la région Grand Est la possibilité de se doter d’un dispositif semblable à celui de la collectivité européenne d’Alsace. Mais vous proposez d’y ajouter un nouvel outil législatif qui se superposerait à des couches déjà nombreuses ; ce serait ingérable.
    La question de la concertation est importante. C’est la raison pour laquelle la commission a retenu l’article que le Sénat a introduit pour créer un comité de concertation avec toutes les collectivités territoriales limitrophes sur la mise en œuvre de cette taxe. Cela permettra, monsieur Pancher, d’éviter de créer un dispositif dans le bassin rhénan alors que la situation sur l’A31 serait très différente : il faut en effet harmoniser les mesures adoptées. Encore une fois, c’est dans cet objectif que nous avons conservé et clarifié l’article adopté par les sénateurs.
    J’entends certes vos inquiétudes, mais nous disposons déjà de tous les outils juridiques. Restent plusieurs étapes avant la mise en œuvre en 2024, notamment la concertation et des choix techniques. Quant à la région, qui siégera au comité de concertation, elle peut lancer ses propres consultations en vue de la mise en œuvre de l’écotaxe à une date proche. Je maintiens donc l’avis défavorable à l’amendement.

    (L’amendement no 5 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    Les Alsaciens me font l’impression d’être plus bavards que les Béarnais… Je vous propose d’accélérer nos débats.
    Les amendements nos 11 et 12 de M. le rapporteur sont rédactionnels.

    (Les amendements nos 11 et 12, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

    M. le président

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    La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir les amendements nos 32, 30, 31, 35, 33 et 34, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    L’amendement no 32 précise la rédaction de l’alinéa introduit par le Sénat et vu en commission, afin de lever toute ambiguïté d’interprétation ; les autres sont des amendements rédactionnels ou de coordination.

    (Les amendements nos 32, 30, 31, 35, 33 et 34, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

    M. le président

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    L’amendement no 14 de M. le rapporteur est rédactionnel.

    (L’amendement no 14, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

    (L’article 1er sexies, amendé, est adopté.)

    Article 1er septies

    (L’article 1er septies est adopté.)

    Article 1er nonies

    (L’article 1er nonies est adopté.)

    Article 1er decies

    M. le président

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    La parole est à M. Raphaël Schellenberger, pour soutenir l’amendement no 10.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Il vise à alléger le texte d’une lourdeur ajoutée par le Sénat – en l’occurrence, l’obligation pour les agents assermentés de la future collectivité européenne d’Alsace d’obtenir un agrément pour contrôler les infractions à l’écotaxe. J’y vois une mesure disproportionnée par rapport à des mécanismes analogues. Elle se fonde sur le parallèle avec la police de la route, mais mieux vaudrait la comparer à l’application d’autres taxes, ou plutôt de redevances – car c’est davantage d’une redevance que d’une taxe poids lourds qu’il s’agit.
    Les agents de collectivités – par exemple d’une communauté de communes – chargés de constater les écarts de redevance sur les ordures ménagères ne sont pas soumis à un lourd processus d’agrément auprès du procureur de la République. Or c’est à eux, bien davantage qu’aux agents de la police nationale qui verbalisent les excès de vitesse, que s’apparentent les agents de la CEA qui seront chargés de recouvrer la redevance sur le trafic poids lourds – d’où cet amendement.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Je crois utile, au contraire, de soumettre les agents assermentés de la CEA à la procédure d’agrément par le procureur de la République. Leur mission est tout de même importante puisqu’elle consistera à contrôler des véhicules utilisant les infrastructures routières alsaciennes. Il a paru opportun à nos collègues sénateurs de traiter ces agents de manière analogue à ceux que vise l’article L. 130-4 du code de la route – car il est bien question de circulation routière, et non de taxes ménagères.
    Enfin, la commission a adopté un amendement visant à alléger la procédure afin d’éviter le risque de double assermentation de fonctionnaires ou d’agents de l’État que présentait la rédaction adoptée par le Sénat. Je vous propose donc de retirer l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Vous proposez la suppression de l’agrément, mais il existe pour les policiers municipaux et une procédure analogue, à la main des préfets, s’applique aux salariés des sociétés concessionnaires d’autoroutes. Je crois nécessaire de conserver la disposition adoptée par le Sénat ; avis défavorable.

    M. le président

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    La parole est à M. Raphaël Schellenberger.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Cette discussion sur la nature du contrôle qui sera exercé me semble importante. On dresse un parallèle avec l’agrément des policiers municipaux : il va de soi qu’ils sont soumis à l’agrément du procureur de la République, mais le contrôle demandé aux agents de la collectivité européenne d’Alsace n’est pas de même nature, car il ne relève pas d’un pouvoir de police sur les axes routiers. Il s’agit simplement de s’assurer de la bonne collecte d’une redevance ; c’est différent. Que les choses soient claires pour tous, y compris pour les Alsaciens : la CEA ne fera pas la police sur les routes soumises à la redevance.
    Lorsque la responsabilité d’un certain nombre d’axes routiers, notamment celle des autoroutes qui feront l’objet de cette taxe, a été transférée à la collectivité européenne d’Alsace, on s’est bien assuré que le pouvoir de police sur ces axes ne serait pas compris dans le transfert et resterait au préfet. En l’occurrence, l’agrément ne concerne pas l’exercice d’un pouvoir de police, mais le contrôle du paiement de la redevance – ou de la taxe, si vous préférez. La nature de ce contrôle opéré par les agents de la collectivité européenne d’Alsace pourrait donner lieu à une vraie discussion : c’est pourquoi j’ai déposé cet amendement. Cependant, afin que la navette parlementaire soit plus rapide, je le retire.

    (L’amendement no 10 est retiré.)

    M. le président

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    L’amendement no 29 de la commission est rédactionnel.

    (L’amendement no 29, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

    (L’article 1er decies, amendé, est adopté.)

    Article 1er terdecies A

    M. le président

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    Les amendements nos 28 de la commission et 15 de M. le rapporteur sont rédactionnels.

    (Les amendements nos 28 et 15, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

    (L’article 1er terdecies A, amendé, est adopté.)

    Articles 1er terdecies B à 1er quindecies

    (Les articles 1er terdecies B, 1er terdecies, 1er quaterdecies et 1er quindecies sont successivement adoptés.)

    Article 1er sexdecies

    M. le président

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    Les amendements nos 36 de la commission et 16 de M. le rapporteur sont des amendements de coordination.

    (Les amendements nos 36 et 16, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

    (L’article 1er sexdecies, amendé, est adopté.)

    Article 1er septdecies A

    (L’article 1er septdecies A est adopté.)

    Article 1er septdecies

    M. le président

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    La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 17.

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Cet amendement vise à ce que le rapport faisant le bilan de l’application de la taxe et évaluant les reports de trafic soit remis trois ans, et non cinq ans, après l’entrée en vigueur de ladite taxe. Nos discussions – je salue à ce propos Jean-Marie Sermier, qui représentait le groupe Les Républicains – ont fait ressortir l’importance de réduire ce délai, à la fois dans une logique d’innovation et parce que d’autres collectivités territoriales attendent peut-être ce bilan pour adopter le même dispositif. En outre, la commission a supprimé la disposition introduite par le Sénat qui prévoyait un rapport intermédiaire au bout de deux ans.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Un délai de trois ans suffira pour bénéficier d’un premier retour d’expérience. Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.

    (L’amendement no 17 est adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 7.

    M. Dominique Potier

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    Il prévoit un rapport d’étape au bout de deux ans, afin de mesurer les effets de la taxe : bien qu’on nous soutienne le contraire, nous considérons qu’ils n’ont pas été étudiés et qu’ils méritent d’être observés sur le terrain. Le résultat orienterait des décisions concomitantes – nous l’espérons – dans le sillon lorrain et ailleurs.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Cher collègue, votre amendement est satisfait par l’adoption du précédent, le no 17. D’une part, comme je l’ai dit en commission, deux ans constituent un délai très bref, voire trop bref, pour récolter une quantité de données suffisante à l’évaluation et pour rédiger un rapport : c’est pourquoi une durée de trois ans, qui a fait l’objet d’un compromis transpartisan, est préférable. D’autre part, l’amendement no 18, que nous examinerons dans quelques instants, vise à garantir aux collectivités territoriales concernées la possibilité de transmettre à l’État tous les éléments qu’elles jugeraient pertinents en vue de l’élaboration du rapport. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Demande de retrait au profit de l’amendement no 17 du rapporteur, qui ramène à trois ans le délai de remise du rapport ; à défaut, l’avis du Gouvernement sera défavorable.

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier.

    M. Dominique Potier

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    Je sais que vous serez favorables à l’amendement suivant, le no 6 : c’est donc une bonne négociation. (Sourires sur divers bancs.)

    (L’amendement no 7 est retiré.)

    M. le président

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    La parole est de nouveau à M. Dominique Potier, qui sait tout, pour soutenir l’amendement no 6.

    M. Dominique Potier

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    Puisque nous souhaitons un laboratoire, poussons la logique jusqu’au bout : l’objectif de la taxe n’est pas de reporter le trafic sur les routes des autres, ce qui ne présenterait aucun sens, mais de préparer la mobilité bas-carbone. Pour cela, comme l’a dit Thibault Bazin, comme je l’ai expliqué tout à l’heure à la tribune, il faut miser sur les longs trafics ferroviaire et fluvial : ce dernier réseau, l’un des plus puissants en France, est largement sous-utilisé. L’enjeu réside donc dans un redéploiement déjà en cours sur la Moselle, sur le Rhin ; notre modèle de navigation doit être repensé, et cela nécessite des accélérations concernant les opérateurs.
    Notre idée, qui figurait déjà dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, consiste à constituer des groupements d’intérêt économique (GIE) qui perçoivent la taxe carbone sur la mobilité et la redistribuent en vue de favoriser les mutations de motorisation, de modalités de transport, de financer des infrastructures, d’organiser les forces en présence, le tout dans une logique public-privé innovante. Plus modestement, cet amendement vise à ce que le rapport « présente également les modalités selon lesquelles une partie du produit de la taxe peut être affectée au report modal ferroviaire et fluvial ainsi qu’aux utilisations partagées de la route ». Il s’agit là d’une possibilité, non d’une obligation, d’utiliser ces recettes à autre chose qu’à réguler la route pour la route – à organiser des mobilités plus complexes. Vous ne pouvez que l’approuver, à moins d’un égoïsme territorial dont je vous crois incapables. Je le répète, créez le laboratoire de la mobilité du XXIe siècle !

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    Bien sûr, je soutiens le principe : vous connaissez mon engagement en faveur des mobilités propres, multimodales, et en particulier du report modal. En revanche, j’émettrai deux objections à votre amendement.
    D’une part – j’en profiterai pour répondre à une remarque qui a été faite concernant le produit de la taxe –, la taxation que nous proposons s’appuie sur la directive européenne « Eurovignette ». Or, même si l’on peut le déplorer, la législation européenne est très claire : les recettes d’une telle taxe ne peuvent financer que l’entretien ou les travaux des infrastructures existantes soumises à cette même taxe. Les discussions en vue de la révision de l’eurovignette suivent leur cours ; j’ai moi-même fait remonter un certain nombre d’informations aux députés européens et au Gouvernement. Peut-être pourrons-nous profiter de la présidence française du Conseil de l’Union européenne pour faire évoluer favorablement ces dispositions : reste qu’en attendant, elles nous bloquent.
    D’autre part, la collectivité européenne d’Alsace n’a pas compétence pour gérer le patrimoine ferroviaire et fluvial : si cet amendement était adopté, le rapport étudierait donc la possibilité qu’elle soit privée d’une partie du produit de la taxe. C’est pourquoi je demande son retrait ; à défaut, avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Je souscris aux propos de M. le rapporteur. De plus, le Gouvernement s’est engagé à transmettre au Parlement un bilan de l’application de la taxe, en particulier concernant la maîtrise du transport routier de marchandises et le report du trafic. Quant à l’éventuelle affectation d’une partie du produit de la taxe au report modal ferroviaire ou fluvial et aux utilisations partagées de la route, elle relève du libre choix de la collectivité européenne d’Alsace ; par conséquent, elle demeure étrangère à l’objet du rapport. Flécher ce produit serait contraire à l’esprit de la concertation, laquelle visait à donner à cette collectivité davantage de liberté – preuve que le Gouvernement œuvre en faveur des collectivités territoriales, respecte le principe de leur libre administration et fait confiance aux élus locaux. Avis défavorable.

    M. le président

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    La parole est à M. Raphaël Schellenberger.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Je voudrais rassurer Dominique Potier : si nous réclamons cet outil, c’est afin de gérer le trafic. Les poids lourds ne sont pas une vache à lait et la taxe ne rapportera pas des milliards d’euros à la collectivité européenne d’Alsace. Les recettes prévues n’égalent même pas le coût réel de l’exploitation et de la maintenance des infrastructures que lui a transférées l’État ! À l’échelle de l’Alsace, il serait donc bien inutile de se battre pour faire évoluer les critères européens : je le répète, le produit de la taxe sera largement absorbé par l’entretien et l’exploitation des quelques axes concernés.

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier.

    M. Dominique Potier

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    Permettez-moi une dernière intervention : il y a là un problème de cohérence politique – je n’ose pas dire « intellectuelle », mais tout de même. Vous en appelez à la liberté des collectivités, or celle-ci serait totalement protégée par l’amendement que nous proposons ! D’une part, il faudrait une Europe volontariste qui s’engage en vue du transport bas-carbone multimodal : j’ai confiance en la présidence française du Conseil de l’Union européenne pour la faire avancer dans cette direction. D’autre part, un transfert de compétences concernant les routes était inimaginable il y a deux ans : demain, qui sait si les régions ne s’investiront pas dans les réseaux fluviaux, dans les réseaux ferrés, en partenariat avec les opérateurs nationaux ou privatisés ? C’est déjà le cas par endroits ! Il ne s’agit donc pas d’une illusion, mais d’une possibilité que les capacités évoluent.
    Cette taxation n’étant pas fixée par décret, j’espère, au nom de la libre administration des collectivités territoriales – n’est-ce pas, monsieur Schellenberger ? –, elle devrait pouvoir servir dans trois ans à autre chose qu’à réparer les routes. Il serait absolument stupide d’exclure que l’autopartage ou d’autres modes de transport émettant peu de carbone puissent être financés ainsi. L’enjeu ne réside pas seulement dans la réduction du trafic en Alsace mais, encore une fois, dans la création d’un laboratoire où étudier des solutions aux problèmes de mobilité et de pollution qui se posent à l’échelle planétaire. Faites preuve d’un peu d’ambition, d’un peu d’ouverture ! C’est tout ce que requiert cet amendement qui, loin de restreindre votre liberté, donne plus de sens et une portée universelle au dessein qui est le vôtre.

    M. le président

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    Chers collègues, je vous demande à tous d’être beaucoup plus concis. Une fois achevé l’examen de ce texte, il nous en restera encore un à l’ordre du jour : par égard pour les autres orateurs et intervenants, veuillez présenter vos amendements avec l’esprit de synthèse que je pensais propre à l’Alsace !

    (L’amendement no 6 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    L’amendement no 18 de M. le rapporteur est défendu.

    (L’amendement no 18, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

    (L’article 1er septdecies, amendé, est adopté.)

    Article 1er octodecies

    M. le président

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    La parole est à M. Raphaël Schellenberger, pour soutenir l’amendement no 9, qui tend à supprimer l’article 1er octodecies.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Cet article particulièrement complexe vise à créer, en vue de l’instauration de la taxe, une sorte de comité de consultation incluant les collectivités territoriales limitrophes. Depuis le début de nos discussions, on sent que l’association au dispositif du sillon lorrain pose problème. Or, que cela plaise ou non dans le sillon lorrain, l’outil de gestion du trafic alsacien que constitue cette taxe sera appliqué : tout ce qui en ralentit l’instauration contribue très clairement à l’incompréhension des processus de décision publique.

    M. Dominique Potier

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    Votre ton n’est pas le bon !

    M. Raphaël Schellenberger

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    C’est pourquoi je propose de supprimer l’article. Une concertation est certes nécessaire, mais au sein du territoire concerné, avec les transporteurs, les chargeurs, les consommateurs, qui risquent de subir les effets de la taxe. La proposition du président de la collectivité européenne d’Alsace, qui vise à associer largement les Alsaciens, par des consultations, aux décisions de cette importance, est bien plus pertinente que celle de créer un comité Théodule de plus – lequel réunirait de surcroît tous les opposants à cette taxe.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Vincent Thiébaut, rapporteur

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    J’émets une demande de retrait ou, à défaut, un avis défavorable. Je suis surpris, cher collègue, de vos propos : je vous trouve très virulent à l’égard des collectivités territoriales limitrophes. Il me semble que les parlementaires Les Républicains, qui ont soutenu cette disposition au Sénat, sont plutôt favorables à la concertation entre collectivités. Celle-ci sera particulièrement importante pour la mise en application de la loi « climat et résilience », comme l’ont démontré les débats que nous avons eus. La collectivité européenne d’Alsace n’agit pas envers et contre tout le monde ; elle s’inscrit dans une démarche de collaboration et cherche à trouver un équilibre avec les collectivités territoriales limitrophes. La création du comité me semble donc nécessaire : j’appuie cette disposition du Sénat, que la commission a conservée.

    M. Dominique Potier

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    Vous nous rendriez presque la majorité sympathique, monsieur Schellenberger !

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Le Sénat, monsieur le député, a souhaité instaurer un comité de suivi des travaux menés par la CEA afin d’instituer la taxe sur le transport routier. Ce comité associera les représentants des collectivités territoriales concernées par la mise en œuvre de la taxe. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de votre assemblée a tenu à conserver ce comité, qui facilitera la concertation avec les élus locaux et permettra de mettre autour de la table l’ensemble des acteurs et des collectivités, pour une bonne mise en œuvre de la taxe. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

    (L’amendement no 9 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    L’amendement no 19 de M. le rapporteur est rédactionnel.

    (L’amendement no 19, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

    (L’article 1er octodecies, amendé, est adopté.)

    M. le président

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    Sur l’ensemble du projet de loi, je suis saisi par les groupes La République en marche et Les Républicains d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

    Article 1er novodecies

    M. le président

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    L’amendement no 8 de M. Raphaël Schellenberger, tendant à supprimer l’article 1er novodecies, est défendu.

    (L’amendement no 8, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

    (L’article 1er novodecies est adopté.)

    Article 2

    M. le président

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    Je vous prie de m’excuser, monsieur le président Le Fur : je ne comprends pas le breton (Sourires), et n’avais pas noté que vous souhaitiez intervenir sur l’article ! Vous avez la parole.

    M. Marc Le Fur

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    Trugarez bras : grand merci, monsieur le président ! Permettez-moi d’apporter un propos un peu plus occidental au débat. Je l’ai écouté sans participer, n’étant pas concerné au premier chef. Je trouve le présent texte intéressant, car il confirme dans la loi l’existence d’une réalité humaine : celle de l’Alsace. Je trouve cela très bien.
    J’ai bien noté qu’il existait en matière fiscale, s’agissant des questions routières, un dispositif spécifique purement alsacien. Il correspond à la réalité d’un trafic qui s’écoulait naguère en Allemagne et qui encombre aujourd’hui les routes alsaciennes. Je comprends parfaitement la logique du dispositif, qui est tout à fait respectable ; je note néanmoins qu’elle est très singulière et qu’il n’est pas question de la généraliser. Je le précise, car ce sujet a préoccupé d’autres régions il y a quelques années. En tout état de cause, je tiens à saluer mes collègues alsaciens qui ont su promouvoir ce texte et défendre leur belle région, ainsi que l’identité de celle-ci. Je fais partie de ceux qui sont attachés à l’identité de nos régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

    (L’article 2 est adopté.)

    Article 3

    (L’article 3 est adopté.)

    Article 4

    M. le président

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    Les amendements nos 20 et 21 de M. le rapporteur sont rédactionnels.

    (Les amendements nos 20 et 21, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

    (L’article 4, amendé, est adopté.)

    Article 5

    (L’article 5 est adopté.)

    Vote sur l’ensemble

    M. le président

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    Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

    (Il est procédé au scrutin.)

    M. le président

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        57
            Nombre de suffrages exprimés                52
            Majorité absolue                        27
                    Pour l’adoption                52
                    Contre                0

    (Le projet de loi est adopté à l’unanimité.)
    (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Je tiens à vous remercier, mesdames et messieurs les députés, pour l’adoption de ce texte. Il constitue en effet un grand pas en avant pour l’Alsace, mais aussi pour le droit à la différenciation voulu par le Président de la République. Celui-ci a permis, je le rappelle, de répondre au désir d’Alsace qui s’exprimait. La CEA faisant figure de précurseur, elle a une responsabilité forte : c’est maintenant à elle d’être exemplaire, et j’espère qu’elle inspirera d’autres collectivités.
    Permettez-moi de remercier particulièrement M. le rapporteur Vincent Thiébaut pour la justesse de son travail et sa recherche de compromis, en lien constant avec la CEA. Bien sûr, je n’oublie pas le rapporteur du texte au Sénat, Jean-Claude Anglars, ainsi que l’ensemble des sénateurs qui se sont investis sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    Suspension et reprise de la séance

    M. le président

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)

    M. le président

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    La séance est reprise.

    3. Choix du nom issu de la filiation

    Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi de MM. Patrick Vignal, Christophe Castaner, Mmes Yaël Braun-Pivet, Marie-Pierre Rixain, M. Guillaume Gouffier-Cha et plusieurs de leurs collègues pour garantir l’égalité et la liberté dans l’attribution et le choix du nom (nos 4853, 4921).

    Présentation

    M. le président

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    La parole est à M. Patrick Vignal, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

    M. Patrick Vignal, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

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    Qui suis-je ? L’enfant de mes parents au départ et, trop vite à leur goût, moi-même. Pas simplement un fils ou un héritier, mais quelqu’un de libre dans ce pays de libertés et de tolérance qu’est la France. Qui suis-je ? Un mari, un père qui a donné son nom à ses enfants sans vraiment, à l’époque, se poser de questions à ce sujet. Pourtant, en me mettant au monde, mes parents ont choisi pour moi. Mais qui parmi eux : mon père ou ma mère ? Étaient-ils d’accord ? À ce moment-là, le nom était forcément celui du père. Depuis, je m’appelle Patrick Vignal. Cela fait partie de moi, socialement et intimement. Suis-je fier de ce nom ? C’est mon histoire, chacun la sienne. Chers collègues, êtes-vous fiers, vous aussi, de votre nom ? Porte-t-il une histoire familiale joyeuse ou une histoire familiale de douleur ? L’avez-vous changé en vous mariant ?
    Depuis 2002 et l’adoption de la loi Gouzes, dont nous fêtons quasiment le vingtième anniversaire, le père et la mère peuvent accoler leurs deux noms. Mais cela est assez compliqué.
    Aujourd’hui, nous n’avons pas le choix de changer simplement, en tant que citoyens, ce nom qui nous qualifie, ce nom qui nous marque et qui prend pour certains un sens extrêmement profond. Chaque histoire est singulière, jamais anodine. Le nom est tout sauf une simple donnée d’état civil.
    Pour illustrer mon propos, je me fais le porte-parole ce soir des très nombreux Françaises et Français qui m’ont écrit. Ils nous font entrer dans leur intimité, nous rappellent plus que jamais que les lois que nous votons ne prennent leur sens qu’en allant au-devant des demandes justes de nos concitoyens, au plus près de leur vie. C’est pour moi ce soir un honneur de me trouver devant vous et de leur donner ici la parole.
    Aujourd’hui, chers collègues, nous avons la responsabilité de voter ce texte pour eux. Écoutons-les.
    Pierre-Jean, 37 ans : « Mon père m’a reconnu, mais m’a abandonné peu de temps après ma naissance. C’est ma mère qui m’a élevé et qui a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui. C’est pour cette raison que j’ai toujours, toujours voulu porter son nom de famille. J’ai essayé de faire une demande de changement de nom auprès du garde des sceaux, qui a été rejetée. Démoralisé, je n’avais pas les moyens nécessaires pour engager une nouvelle procédure. »
    Brigitte : « Voilà soixante-cinq ans que je porte le nom d’un homme marié à ma mère, mais qui n’est pas mon géniteur. Ma mère a essayé de le modifier, mais c’est cher et compliqué. »

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

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    Eh oui !

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    « Si cette loi passe, je demanderai à porter son nom par respect pour elle, elle qui m’a élevée seule. J’ai été très émue en apprenant cet espoir d’être enfin qui je suis, même soixante-cinq ans après. »
    Fabrice, 50 ans : « Je suis né sans père, avec le nom de ma mère. Ma mère a épousé une personne qui m’a reconnu. Mon enfance a été faite d’horreurs et de violences. Pour moi, c’est plus qu’un fardeau. Je souhaite pouvoir prendre le nom de ma mère. Un nom, c’est très important. »
    Laure, 31 ans : « Mon fils porte le nom de son papa. Nous sommes ensemble, mais nous vivons loin l’un de l’autre. Lorsque j’ai voulu partir en vacances chez mes parents à l’étranger, je n’avais pas demandé l’autorisation au papa. Alors que j’avais sur moi l’acte de naissance, le livret de famille et un document de la CAF, on m’a refusé l’accès à l’avion et on m’a demandé où était son père. J’ai dû prouver que c’était bien mon fils avec ses photos de naissance. »
    Anthony, 27 ans : « Cela fait plus de dix ans que je ne vois plus mon « père », la personne qui m’a toujours humilié, blessé, critiqué, rabaissé comme un moins que rien. Quand on est différent, cela ne passe pas et c’est encore plus grave quand c’est votre père qui est homophobe. Je veux récupérer le nom de naissance de ma maman. »
    Depuis que nous parlons de cette proposition de loi, des témoignages nous arrivent de toutes parts et nous disent la force de ce texte pour leur vie quotidienne. Ces concitoyens et ces concitoyennes en appellent à plus de justice, de liberté, d’équité et de fraternité. En votant ce texte, chers collègues, vous ferez cesser des souffrances et vous apaiserez des familles, car il regarde les enfants et les parents. Il regarde le réel, dans une société où la notion de couple et d’égalité, de respect de l’autre, ne cesse de progresser, car cette loi est aussi celle du couple d’aujourd’hui.
    L’actuelle procédure de changement de nom est complexe, chère et extrêmement limitative. La mise en œuvre de cette loi ne coûtera quasiment rien. Cette loi va donner un choix, sans l’imposer, donner une liberté, sans rien prendre à personne. Cette loi va dans le sens des intérêts de l’enfant avant tout.
    C’est pour cette raison, chers collègues, que je vous proposerai tout à l’heure d’adopter un amendement visant à ce que celui des deux parents qui n’a pas transmis son nom à son enfant puisse l’ajouter en nom d’usage, à la seule condition d’informer l’autre parent. À l’heure actuelle, l’ajout dépend de l’accord du conjoint, tandis que 80 % des noms de famille sont uniquement ceux des pères.
    Je voudrais ici adresser mes remerciements à Christophe Castaner, à Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois, à vous-même, madame la vice-présidente, à ma collègue Camille Galliard-Minier, avocate, qui m’a aidé dans ces démarches, ainsi qu’à l’ensemble de mon groupe. Je voudrais également remercier le groupe MODEM, qui a eu l’heureuse initiative de proposer un nouveau titre pour ce texte afin de le rendre plus précis – ce qui importe s’agissant d’un texte qui porte sur le changement de nom –, ainsi que le groupe Agir ensemble et l’ensemble des groupes de gauche, qui ont apporté leur soutien à cette initiative. Enfin, je voudrais évidemment remercier l’ensemble des commissaires aux lois pour les débats constructifs que nous avons eus en commission ainsi que l’ensemble des députés pour leur démarche constructive, comme en attestent les amendements déposés qui susciteront un débat tout aussi constructif.
    Ce texte rendra confiance. Cette loi refuse une société du conflit. Elle concernera toutes les générations. Chers collègues, les Françaises et les Français nous regardent. Il faut savoir fendre nos armures politiciennes et nos appartenances partisanes. Et si aujourd’hui, nous décidions de donner raison à la liberté, celle de choisir et de s’approprier son nom ? Ce serait une belle façon de répondre aux nombreuses Françaises et aux nombreux Français désabusés par la manière dont se déroule la vie politique dans notre pays, qui malheureusement tourne souvent à l’affrontement stérile. Après deux années de crise sanitaire qui nous ont épuisés comme elles ont épuisé de nombreux citoyens, cette loi est un texte d’apaisement et de réconciliation politique et sociétale.
    Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier pour votre écoute, votre engagement et votre soutien inoxydable.
    Chers collègues, je vous encourage à voter cette proposition de loi qui ne coûtera rien à personne et fera du bien à la société. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Cela coûte de l’argent !

    M. Xavier Breton

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    Oh !

    M. le président

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    La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

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    Le nom de famille, celui qui figure sur l’acte de naissance, est d’abord une signature, mais c’est aussi et surtout une identité. Nul doute que la très grande majorité de nos concitoyens est heureuse de porter son nom, et c’est très bien comme ça ; c’est même souvent un motif de fierté. Mais c’est toujours un symbole d’appartenance, un attachement profond à une famille et, avec elle, à une histoire.
    Le nom de famille est public, mais il nous rattache à la part d’intime qu’il y a en chacun d’entre nous, et l’intime recèle aussi parfois des drames. Quand un nom devient impossible à porter, la loi doit être là pour soulager les femmes et les hommes qui ne souhaitent pas porter un nom de douleur, qui est parfois même le nom d’un bourreau. Car oui, nous le savons, certaines personnes supportent leur nom plus qu’elles ne le portent.
    De manière moins dramatique mais tout aussi importante, le nom de l’enfant mineur peut aussi être une source de tracasseries pour le parent qui n’a pas transmis son nom et qui pourtant élève l’enfant au quotidien, seul parfois. Je pense en particulier à ces mères qui doivent sans cesse montrer leur livret de famille pour prouver qu’elles sont bien la mère d’un enfant qui ne porte pas leur nom.
    Ces difficultés, nous les connaissons bien. Certains d’entre nous les ont vécues dans leur histoire personnelle et nous connaissons tous des personnes qui les ont éprouvées.
    Ce texte est un texte de liberté, c’est un texte d’égalité, c’est un texte de simplification. Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi, déposée avec le soutien des députés de la majorité, va résoudre concrètement l’ensemble de ces difficultés. Elle va permettre une plus grande liberté pour chaque Français et une plus grande égalité entre les parents, sans bouleverser le moins du monde les règles relatives à l’attribution et à la dévolution du nom de famille, j’insiste sur ce point.
     
    De quoi s’agit-il exactement ? De déstructuration de la famille ? Que nenni. Il s’agit d’abord de simplifier les règles de changement de nom pour les personnes qui, après leur majorité, veulent substituer ou ajouter à leur nom, le nom du parent qui ne leur a pas été transmis. Je rappelle que si les réformes de 2005 et 2013 ont pu apporter dans le droit du nom une certaine souplesse, la procédure de changement de nom est cependant restée d’une très grande rigidité – je suis assez bien placé pour le savoir.
    Cette modification nécessite des formalités préalables de publicité, puis une instruction par les services de la Chancellerie, qui contrôle l’existence d’un motif légitime. Il faut donc d’une certaine façon se dénuder, faire part de cette intimité aux services de la Chancellerie. S’il est fait droit à la demande, il faut encore que le Premier ministre signe un décret, lequel est publié au Journal officiel de la République française. Cela coûte de l’argent et prend du temps, beaucoup de temps parfois.
    Cette procédure se justifie pleinement dès lors qu’il s’agit de prendre un nom qui n’est pas celui de l’un ou de l’autre des parents, mais sur les 4 000 demandes de changement de nom dont je suis saisi chaque année, près de la moitié concerne des personnes majeures qui souhaitent porter le nom d’un parent qui ne leur a pas été transmis.
    Il s’agit de permettre à toute personne majeure, de manière simplifiée, une fois dans sa vie, d’adjoindre ou de substituer à son propre nom le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien. Ce changement se fera devant l’officier de l’état civil et non plus par décret. L’officier de l’état civil n’aura pas à contrôler le motif de ce changement et il ne sera pas besoin de prévoir des formalités de publicité autre que celles qu’assurent les registres de l’état civil. En effet, il s’agit seulement pour l’intéressé de porter le nom qui aurait pu lui être attribué à la naissance, ni plus ni moins.
    Je soutiens cette réforme avec vigueur et même, vous le savez, monsieur le député Vignal, avec enthousiasme parce qu’elle simplifie la vie de nos concitoyens, qu’elle est logique, qu’elle est juste. Si les parents ont pu faire le choix du nom de l’enfant nouveau-né, il n’y a aucune raison que cet enfant, lorsqu’il a atteint l’âge de la majorité, ne puisse faire le même choix pour lui-même.
    Cette proposition de loi offre également la possibilité de simplifier et compléter les règles relatives au nom d’usage, celui dont toute personne a le droit de faire usage dans la vie sociale, au travail, dans ses relations avec les uns et les autres, voisins, amis, administrations. Ce nom ne peut pas être transmis aux descendants.
    La proposition de loi fait d’abord entrer dans le code civil les règles introduites par la loi Badinter de 1985, insuffisamment connues. Elles permettent à toute personne majeure ou mineure d’adjoindre à son nom de famille, à titre d’usage, le nom du parent qui ne lui a pas été transmis. Les possibilités offertes en la matière seront par ailleurs élargies pour les majeurs comme pour les mineurs, puisqu’il sera également possible de substituer le nom du parent qui n’a pas été transmis ou de l’adjoindre dans l’ordre voulu.
    En ce qui concerne les mineurs, l’attribution d’un nom d’usage est traditionnellement considérée en jurisprudence comme un acte grave de l’exercice de l’autorité parentale qui nécessite l’accord préalable des deux parents et, à défaut, l’autorisation du juge. En cas de séparation, cette règle peut être source de difficultés lorsque l’enfant ne porte le nom que d’un seul des parents et que celui-ci refuse l’ajout d’un nom d’usage. C’est pourquoi il est nécessaire de permettre au parent dont le nom n’a pas été transmis de l’adjoindre, à titre d’usage, à celui de l’enfant, à condition d’en avoir informé préalablement l’autre parent. Dans cette hypothèse, il est effectivement plus juste que ce soit au parent qui s’oppose à l’adjonction de saisir le juge.
    Vous l’aurez compris, je salue l’effort de simplification de la proposition de loi. Je tiens à remercier les membres de la commission des lois, en particulier le rapporteur Patrick Vignal avec qui je travaille depuis plusieurs mois, Camille Galliard-Minier qui a réalisé un travail remarquable, ainsi qu’Aude Luquet pour sa précision et Alexandra Louis pour sa connaissance fine de ces sujets sensibles, sans oublier le président Castaner qui a soutenu cette initiative. Je veux également citer le collectif Porte mon nom – et tout spécialement sa présidente Marine Gatineau Dupré – qui, par sa mobilisation, a permis de faire bouger les lignes. La procédure parlementaire est longue mais je suis heureux que nous puissions aujourd’hui faire aboutir votre combat, notre combat.
    Certains ont cependant émis des inquiétudes sur le fait de confier la procédure simplifiée de changement de nom aux officiers de l’état civil. Je voudrais prendre un instant pour tenter d’apaiser ces craintes. J’ai, comme vous, pleinement conscience que les équilibres en matière de nom sont particulièrement sensibles et toujours fragiles : il ne faut y toucher que d’une main tremblante.
    Je rappelle toutefois qu’une procédure de changement de nom devant un officier de l’état civil existe déjà en cas de disparité entre le nom porté en France et le nom étranger, de même que lorsqu’il s’agit du changement de prénom. Cette nouvelle procédure simplifiée de changement de nom ne constitue donc nullement un saut dans l’inconnu pour ces agents.
    D’autres ont brandi le risque d’un état civil « à la carte ». Je crois que c’est un fantasme : depuis 1985, toute personne peut adjoindre à titre d’usage le nom qui ne lui a pas été transmis. Depuis 2005, les parents peuvent choisir le nom de l’enfant.
    La présente proposition de loi ne met pas davantage à mal le principe d’unité du nom de la fratrie prévu par le code civil, principe qui ne sera aucunement modifié durant la minorité. Par ailleurs, dans certains cas, les membres d’une même fratrie peuvent déjà porter des noms différents, notamment en raison des modalités d’établissement de la filiation qui peuvent varier au sein d’une famille – cela a toujours existé et c’est inévitable.
    Enfin, je veux rappeler que ce n’est pas le droit qui fait la société mais bien l’inverse. C’est pourquoi la proposition de loi a pour ambition non pas de changer la société ou de détruire la famille, mais bien de résoudre des problèmes concrets auxquels nos concitoyens sont confrontés dans leur quotidien.
    On nous reproche parfois d’être technocratiques ou trop éloignés des préoccupations des Français. Sachez que j’ai reçu une quantité invraisemblable de lettres qui font état de choses simples de la vie auxquelles nous ne pouvons et ne devons pas nous opposer. Une dame de plus de 70 ans m’écrit ainsi : « Je porte mon nom comme on porte une croix parce qu’il est le nom de mon violeur. » Peut-on rester insensible à cela ? Une autre femme déclare : « Je porte le nom transmis par mon père, un nom qui n’aura plus vocation à être transmis, alors que j’en suis particulièrement fière car c’est celui d’une famille qui s’est illustrée dans l’histoire de France. » Faut-il laisser ce nom disparaître en ne permettant pas sa transmission ?
    Je peux évoquer d’autres exemples encore, à l’instar de la mère qui élève seule son enfant et qui doit justifier que son fils est son fils pour l’inscrire au judo ou à l’école. Est-il si compliqué de permettre aux milliers de femmes qui sont concernées l’adjonction de leur patronyme ? Cette loi est aussi une loi d’égalité pour que ces situations humiliantes n’aient plus cours. « Je ne veux plus », ai-je lu encore, « porter le nom d’un père qui ne fut pour moi qu’un géniteur que je n’ai jamais vu ; je veux pouvoir rendre hommage à ma mère qui m’a élevé. » Ne peut-on pas entendre ce discours ? Ne sommes-nous pas là au cœur d’une simplification que certains de nos compatriotes appellent de leurs vœux ? Je tiens tous ces courriers à votre disposition : vous serez, j’en suis convaincu, bouleversés par leur contenu.
    Vous l’aurez compris, mesdames et messieurs les députés, la présente proposition de loi fait œuvre utile. Mieux, elle fait œuvre juste. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)

    Discussion générale

    Mme la présidente

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    Dans la discussion générale, la parole est à Mme Danièle Obono.

    Mme Danièle Obono

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    « Je ne saurais me persuader que la propriété du nom réside ailleurs que dans la convention et le consentement des hommes. » Cette phrase est prononcée par un certain Hermogène, au début du Cratyle, dialogue dans lequel Platon s’interroge sur la nature du langage. Il pose correctement le problème : peut-on être pleinement soi-même dès lors que le monde use d’un nom que l’on ne reconnaît pas pour le sien ? Nous pensons que non.
    Disposer d’un nom propre et s’assurer qu’il soit véritablement en usage n’est ni plus ni moins qu’une condition nécessaire pour être soi-même. Dès lors, légiférer sur la possibilité de changer son nom ou de le transmettre à son enfant, c’est traiter d’un sujet à la fois philosophique et pratique, prosaïque, raisonnable et poignant. C’est également affronter le point le plus audacieux de l’humanisme républicain. En effet, cette doctrine professe que les êtres humains possèdent une dignité propre, qui consiste à pouvoir et à devoir sans cesse affirmer qui ils sont. Nous utilisons cette faculté en fonction de notre expérience, de notre histoire, des modèles que nous ont donnés nos parents, notre famille ou nos proches, celles et ceux dont nous voulons nous réclamer ou dont, au contraire, nous rejetons l’exemple.
    Ainsi, la personne humaine se construit et finit par choisir qui elle est. Pour cela, elle s’affranchit, voire s’émancipe parfois, des influences que son milieu a exercées sur elle. Tous les cas sont possibles : elle peut refuser de porter le nom de celui qui l’a fait souffrir ou dont elle réprouve la conduite, elle peut changer de religion ou vouloir témoigner de son attachement filial pour celui ou celle qui l’a élevée. Elle témoigne qu’un héritage ne s’impose pas comme un fardeau mais qu’il se recueille. Notre humanité tient en grande partie à ce choix.
    Jusqu’en 2002, les parents ne pouvaient pas choisir le nom de famille qu’ils voulaient transmettre à leur enfant. S’ils étaient mariés ou s’ils avaient reconnu le nouveau-né ensemble, l’enfant portait automatiquement le nom du père. Depuis, la loi autorise les parents à choisir le nom qu’ils veulent transmettre à leur enfant : celui de l’un des deux parents ou les deux noms accolés, dans l’ordre choisi par le couple. Pourtant, la tradition de donner à l’enfant le nom du père perdure au sein des couples hétérosexuels. Selon l’INSEE, 81,4 % des enfants nés en 2019 en France ont reçu le nom de leur père ; 11,7 % portent un double nom et seulement 6,6 % portent uniquement le nom de leur mère. Selon les chiffres du collectif Porte mon nom, plus d’une femme sur dix n’a pas choisi le nom de naissance de son enfant : 85 % des femmes interrogées regrettent même ou ont peur de regretter de porter le nom de leur mari en cas de divorce.
    Actuellement, il est quasiment impossible de changer le nom d’usage de l’enfant sans l’accord de l’autre parent, même s’il ne s’agit que d’adjoindre un deuxième nom. Pour mémoire, le nom d’usage est utilisé dans la vie sociale et dans la documentation administrative. Il est également présent sur les pièces d’identité de l’enfant. Cette impossibilité engendre, dans les situations de séparation conflictuelle, des complications administratives et des souffrances. C’est le cas pour les femmes qui élèvent seules leurs enfants : 85 % des familles monoparentales concernent des femmes élevant seules presque 3 millions d’enfants ! Il est particulièrement humiliant pour une mère qui élève seule son enfant de devoir en permanence justifier de son lien de filiation auprès des administrations, que ce soit à l’école, à l’hôpital ou encore lors de voyages à l’étranger, parce que l’enfant ne porte pas le même nom qu’elle. Alors même que ces femmes gèrent le quotidien et parfois la totalité des soins relatifs à l’enfant, elles sont en permanence délégitimées par le fait de ne pas porter le même nom que lui.
    Il est particulièrement éprouvant, pour les mères comme pour les enfants, de devoir continuer à porter le nom d’un père violent, dans un contexte de violences intrafamiliales, conjugales ou exercées sur les enfants. La procédure de changement de nom est longue – elle peut durer jusqu’à six ans –, pénible, parfois humiliante et surtout coûteuse, donc discriminante socialement. Selon le collectif Porte mon nom, la démarche reviendrait au total à 5 000 euros en moyenne en comptant les frais d’avocat. Des victimes d’inceste qui ne souhaitaient plus porter le nom de leur agresseur ont vu leur demande rejetée. En 2020, sur les 4 293 requêtes déposées en ce sens, seules 44 % ont été acceptées.
    C’est pourquoi ce texte, qui facilite le changement de nom d’usage à l’état civil, nous paraît conforme à l’intérêt des citoyens et des citoyennes de ce pays, en ce qu’il fait progresser la liberté : nous le voterons.
    Toutefois, nous aurions aimé qu’il aille plus loin en reconnaissant notamment une demande que nous défendons depuis le début de la législature : que le changement d’état civil lui-même soit facilité. Nous devrons aborder cette mesure qui, nous l’espérons, sera adoptée à l’occasion d’une future législature.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Merci, madame.

    (À dix-huit heures vingt-cinq, Mme Laetitia Saint-Paul remplace M. David Habib au fauteuil de la présidence.)

    Présidence de Mme Laetitia Saint-Paul
    vice-présidente

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Aude Luquet.

    Mme Aude Luquet

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    Un nom de famille, ce ne sont pas de simples lettres écrites sur un morceau de papier. C’est une identité, ce sont des racines qui nous ancrent dans une histoire entre passé et futur. C’est aussi un héritage avec le poids qu’il comporte, une responsabilité qui pèse sur l’enfant avant même que celui-ci en ait conscience. Parfois ce nom peut être lourd, trop lourd lorsqu’il devient une souffrance.
    Si le nom s’est démocratisé en France au XIIe siècle, on a longtemps parlé de « patronyme » pour aujourd’hui parler de « nom de famille ». Alors que l’automaticité du nom du père était voulue pour rattacher un sujet à sa lignée en l’inscrivant de façon visible dans une continuité généalogique, il est désormais possible pour les parents, depuis une loi de mars 2002, de choisir entre le nom de la mère, du père ou bien d’accoler les deux. Malgré un choix désormais libre, 80 % des parents attribuent le nom du père, admettant, consciemment ou non, que la mère donne naissance et que le père donne son nom. Les parents ne ressentent pas cela comme un sacrifice mais comme un équilibre dans le rapport à l’enfant.
    Si au sein du groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés nous sommes favorables à la présente proposition de loi, il nous paraît nécessaire de travailler en parallèle à une meilleure connaissance et application de la loi de 2002. Nous considérons que le véritable combat pour garantir l’égalité relative à l’enfant est de chercher davantage du côté du rôle de chacun des parents plutôt que de se tourner vers le choix du nom de l’enfant.
    Le groupe se satisfait que la commission ait adopté son amendement visant à modifier le titre de la proposition de loi, afin qu’il corresponde davantage à son objet. Pour nous, le choix du nom relève en effet d’une question d’identité plutôt que d’égalité des sexes.
    Si certains de nos concitoyens attendent des améliorations, soyons conscients que les dispositions relatives à l’attribution du nom conviennent à une majorité de Français. Lors des auditions préalables à l’examen de la proposition de loi, plusieurs experts ont clairement indiqué que le texte visait à répondre à des situations spécifiques, et qu’il fallait se garder d’en faire une règle générale. Nous sommes sensibles à cette analyse. Comme la très grande majorité des Français, nous sommes attachés à la règle de l’immutabilité du nom issu de la filiation.
    Nous savons cependant que des difficultés se présentent. Certains perçoivent leur nom comme une marque indélébile, qu’ils ne peuvent changer qu’à l’issue d’un parcours du combattant. Je pense à ceux qui ont subi l’inceste d’un parent, ou qui ont été abandonnés dès le plus jeune âge par le parent dont ils portent le nom ; je pense aux mères ou aux pères qui ont la garde d’un enfant portant le nom de l’autre parent, et qui doivent sans cesse prouver leur lien de filiation. Pour ces personnes, faciliter la procédure de changement de nom est une avancée saine et attendue.
    Notre groupe défendra deux amendements. L’un, à l’article 1er, prévoit que le parent qui n’a pas transmis son nom à l’enfant puisse lui adjoindre le sien à titre d’usage, dans la limite du premier nom de famille de chacun des parents. En cas de désaccord, le parent pourra saisir le juge aux affaires familiales, qui statuera selon l’intérêt de l’enfant. Notre second amendement prévoit qu’en prononçant le retrait total de l’autorité parentale, la juridiction saisie puisse statuer sur le changement de nom de l’enfant, sous réserve de son consentement personnel s’il a plus de 13 ans. Cette simplification contribuera à répondre à la détresse des victimes – car entendre les souffrances et leur apporter une réponse, telle est bien la volonté première du présent texte.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Marietta Karamanli.

    Mme Marietta Karamanli

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    La proposition de loi visant à réformer les règles relatives au nom patronymique et aux possibilités d’en changer revêt une importance majeure, tant elle touche au quotidien de nos concitoyens. Elle a pour objet d’assouplir les conditions d’utilisation du nom d’usage des enfants sur décision des parents et, surtout, d’assouplir la procédure de changement de nom pour les majeurs, par simple déclaration devant un officier de l’état civil.
    Il est des lois qui changent les choses et ouvrent des perspectives ; il en est aussi qui accompagnent le changement et répondent à des besoins exprimés non encore satisfaits : assurément, le texte relève de cette deuxième catégorie. Longtemps, l’enfant légitime a porté exclusivement le nom de son père ; le nom de sa mère pouvait seulement être ajouté, à titre d’usage, mais n’était pas transmissible. La loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, votée sous le gouvernement de Lionel Jospin, a supprimé la transmission automatique et exclusive du nom du père, qui était en vigueur depuis la loi du 6 fructidor an II. Elle a permis aux parents de choisir le nom de famille de leur enfant : soit celui du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre de leur choix. La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est allée plus loin : en cas de désaccord entre les parents, l’enfant peut porter leurs deux noms accolés par ordre alphabétique – pour rappel, il avait été initialement prévu que les deux noms de famille accolés soient la règle, non seulement en cas de désaccord entre les parents, mais aussi au cas où ceux-ci n’indiqueraient pas expressément à l’officier de l’état-civil leur volonté de ne transmettre qu’un des deux noms de famille.
    Reste donc une tradition forte, qui a des effets pour nos concitoyens. Jusqu’à présent, pour changer de nom de famille, il fallait apporter la preuve d’un motif légitime. La proposition de loi changera la donne. Son article 1er donne le droit à toute personne majeure de porter, à titre d’usage, le nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien, par substitution ou par adjonction à son propre nom, dans l’ordre de son choix, dans la limite d’un nom de famille pour chacun des parents. Ce droit est ouvert aux enfants mineurs et sera appliqué par les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale. L’article 2 prévoit que, par demande auprès de l’officier de l’état civil dépositaire de son acte de naissance, une personne pourra changer de nom en lui substituant ou en lui adjoignant le nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien, dans l’ordre qu’elle aura choisi, et dans la limite d’un nom de famille pour chacun des parents.
    Le groupe Socialistes et apparentés votera bien évidemment la proposition de loi.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Merci, madame Karamanli.

    Mme Marietta Karamanli

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    Le texte facilitera en effet la vie quotidienne des mères divorcées et de celles qui élèvent seules un enfant sans porter le même nom que lui, et qui doivent constamment justifier leur maternité – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.

    Mme Patricia Mirallès

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    Exactement !

    Mme Marietta Karamanli

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    C’est non seulement humiliant, mais aussi, tout simplement, fatigant.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Eh oui !

    Mme Marietta Karamanli

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    La proposition de loi va dans le sens de la responsabilité et de la liberté des parents. Elle complète un mouvement législatif auquel les députés du groupe Socialistes et apparentés ont contribué par le passé et souscrivent encore. Mon groupe présentera deux amendements. Le premier vise à identifier précisément le service auquel les Français de l’étranger devront s’adresser pour effectuer un changement de nom – cette inquiétude nous a été remontée, comme vous le savez.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Je comprends.

    Mme Marietta Karamanli

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    Le second vise à permettre une inversion des noms. Je ne doute pas que, sous ces réserves, nous parviendrons à un accord et ferons, ensemble, un pas en avant.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Ça, je ne sais pas !

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Alexandra Louis.

    Mme Alexandra Louis

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    « Oh ! sois quelque autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? » Cette question posée par Shakespeare dans Roméo et Juliette continue de nous interroger. Formellement et froidement, la réponse est assez simple : le nom est avant tout une composante de notre personnalité juridique ; il est ce qui nous rattache à la société, ce qui permet de nous désigner, de nous identifier, parfois même de nous retrouver. Mais le nom, c’est aussi ce qui nous relie à une histoire, à un héritage familial, à des origines. Votre nom révèle une partie de votre passé, et détermine parfois votre futur – ce fut cruellement le cas pour Roméo et Juliette, dont le sort était scellé parce qu’ils s’appelaient Montaigu et Capulet. Si certains ont la chance de porter leur nom comme une fierté, d’autres le traînent comme un boulet. Porter un nom est en quelque sorte une fatalité, puisqu’il est frappé par le code civil d’un principe d’immutabilité qui ne supporte que quelques exceptions.
    Redisons-le clairement : la proposition de loi n’a pas vocation à révolutionner les règles de dévolution du nom de famille, qui doivent évidemment répondre à un enjeu de stabilité. Elle vise à faciliter, dans des situations très précises et selon des règles tout aussi précises, le changement du nom patronymique ou du nom d’usage.
    Le premier progrès du texte consiste à créer une procédure simplifiée de changement de nom. Chaque année, quelque 2 000 Français désirent changer de nom, mais seul un tiers y parvient. La procédure est complexe et souvent décourageante, puisqu’elle impose de démontrer un motif légitime. Porter le nom d’un père violent, d’un père absent, ou d’un père qui n’en a simplement jamais été un, ne doit plus être une fatalité. Pourquoi demander aux personnes de justifier les blessures de leur passé, alors qu’elles pourraient tout simplement porter le nom de leur autre parent ?
    Dans son discours préliminaire sur le projet de code civil, Portalis a affirmé : « Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois. » Cet adage devrait éclairer nos débats. Permettez-moi d’illustrer mon propos par le témoignage d’une personne qui m’est particulièrement chère, sans laquelle je ne serais sans doute pas celle que je suis : « J’ai porté un nom qui n’aurait jamais dû être le mien. Chaque fois que je l’entendais prononcer, je le vivais comme une injustice ; pire, j’avais le sentiment d’être le fruit d’une imposture. J’ai hérité du nom de l’homme qui était marié à ma mère biologique lors de ma naissance, alors qu’il n’était ni mon père biologique, ni celui qui m’avait élevé. Il était pour moi un étranger, et par son nom, c’était comme s’il me privait de ma véritable filiation, de ma véritable identité. »

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Bien sûr !

    Mme Alexandra Louis

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    « J’ai rencontré cet homme une fois dans ma vie. Quels furent ses mots ? Simplement que je n’étais pas sa fille, et qu’il n’était pas mon père. J’ai détesté ce nom et je le déteste encore. »

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Et voilà !

    Mme Alexandra Louis

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    « Ce nom m’a suivie jusqu’à mon adoption simple, à 30 ans. »

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Magnifique !

    Mme Alexandra Louis

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    Laissons donc ceux qui ont vécu une telle enfance choisir leur nom. En commission, certains ont craint que la proposition de loi ne détricote l’état civil et qu’elle n’incite nos concitoyens à s’engager dans ces démarches par fantaisie, ou pour échapper à leurs responsabilités. Ce n’est ni le but, ni l’objet du texte. La possibilité de changer de nom sera strictement encadrée, puisqu’il ne sera possible d’y recourir qu’une seule fois, et qu’elle restera adossée à un lien de filiation déjà établi par l’état civil.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Bien sûr !

    Mme Alexandra Louis

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    Il n’y a là aucun risque de mettre en cause la traçabilité de la filiation et de l’état civil. En outre, je crois que la plupart de ceux qui font ce choix savent sa portée symbolique.
    Le deuxième progrès du texte concerne le nom d’usage. Il s’agit de simplifier le quotidien des familles, particulièrement des mères et des enfants, en indiquant clairement dans le code civil que l’enfant peut utiliser le nom d’un de ses parents plutôt que l’autre. Il sera permis d’adjoindre le nom de la mère, à titre d’usage, à celui du père. La grande majorité des enfants héritent du nom de leur père à leur naissance. Si le droit civil consacre depuis longtemps l’égalité entre les parents en la matière, les us et coutumes persistent. Cette inégalité de fait peut avoir des répercussions, notamment lors d’un divorce : la mère, qui ne porte alors plus le même nom que son enfant, doit continuellement justifier qu’elle en est la mère – cela a été très bien rappelé. Nous défendrons un amendement visant à ce que la mère n’ait pas à saisir le juge en cas de désaccord du père : il appartiendra à ce dernier de le faire s’il s’oppose à l’usage de ce nom. Si l’enfant a plus de 13 ans, il sera bien sûr entendu.
    Conscient des avancées de la proposition de loi, et désireux de défendre l’intérêt des familles et des personnes, le groupe Agir ensemble votera en sa faveur. Je tiens à remercier tous ceux qui ont défendu le texte, en particulier M. le rapporteur et M. le ministre. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Merci, madame Louis.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Michel Zumkeller.

    M. Michel Zumkeller

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    Légiférer sur le nom n’est pas anodin. En effet, le nom porte une identité et une filiation ; il résume à la fois l’appartenance à une famille et l’individualisation d’une personne. L’histoire du nom est marquée par l’évolution de nos sociétés, que la loi reflète bien. Ainsi, le droit a longtemps imposé un régime de prééminence quasi absolue du nom du père, à tel point que le nom de famille était qualifié de patronyme. Les mentalités et les mœurs ont toutefois évolué, et des modifications législatives non négligeables sont survenues : la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, modifiée par la loi du 18 juin 2003 relative à la dévolution du nom de famille, a mis fin à cet état du droit issu du code civil de 1804 ; elle a reconnu aux parents le droit de choisir le nom de famille de leur enfant – soit celui du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre de leur choix. La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a complété ce dispositif, en mettant fin à la règle qui attribuait par défaut le nom du père en cas de désaccord : l’enfant peut ainsi porter le nom de chacun de ses parents, dans l’ordre alphabétique.
    La loi imposait jusqu’à présent de justifier d’un motif légitime pour changer de nom ; la procédure était longue et fastidieuse. La proposition de loi vise à simplifier ces démarches, puisqu’une demande de changement de nom pourra être déposée en mairie sur un simple formulaire. Le texte a surtout pour effet d’instituer un véritable droit au changement de nom, une fois dans sa vie.
    Volonté d’afficher ou, à l’inverse, de taire une filiation, volonté de sauver un nom en voie d’extinction, difficulté à porter un nom à consonance particulière : les motivations des demandeurs sont diverses et la loi doit les traiter avec égalité. Je pense par exemple aux femmes qui élèvent seules leur enfant – vous avez évoqué leur situation, monsieur le ministre – et à qui il est régulièrement demandé de justifier de leur filiation – justification qui n’est pas demandée au parent ayant le même nom que l’enfant.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Bien sûr !

    M. Michel Zumkeller

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    La présente discussion législative est donc opportune, et attendue par un certain nombre de nos concitoyens. Le groupe UDI et indépendants sera toutefois vigilant à ne pas créer une instabilité de l’état civil – ce serait, reconnaissons-le, contre-productif. Il aurait peut-être été souhaitable de saisir le Conseil d’État pour avis, afin qu’il nous éclaire sur les risques ou les effets collatéraux des dispositions que nous nous apprêtons à voter. L’institution familiale est en effet un socle important de notre société, qu’il ne faut pas trop bouleverser. La proposition de loi semble néanmoins trouver le bon équilibre. Sans vraiment révolutionner le changement de nom, elle facilitera certainement la procédure et établira une égalité plus concrète entre les parents. Je regrette, à titre personnel, que la commission ait modifié son titre, qui avait le mérite d’exprimer, au-delà d’un objectif pratique, tout l’esprit de liberté et d’égalité dans lequel cette proposition de loi souhaite s’inscrire.
    Sur la liberté : laisser une personne changer de nom de famille, c’est également prendre en considération le fait qu’il peut arriver dans une vie certains événements marquants susceptibles de requérir un tel changement. Il y a beaucoup de circonstances que l’on ne peut légitimement pas ignorer. Sur l’égalité : laisser à une mère qui élève seule son enfant la possibilité d’adjoindre son propre nom de famille au nom de son enfant a une portée non seulement pratique au quotidien, mais aussi symbolique forte pour démontrer qu’elle a les mêmes droits à l’égard de son enfant.
    La proposition de loi va donc dans le bon sens. Beaucoup de familles s’accordent sur l’usage du nom du père et ne souhaitent pas se départir de cette tradition, mais il existe aussi de nombreuses situations dans lesquelles l’attribution du nom du père par défaut n’est pas justifiée et ne peut être conservée. Ce n’est pas porter atteinte à notre culture que de mettre en avant les noms des deux parents et de reconnaître qu’ils sont tout aussi légitimes l’un que l’autre. Lorsqu’elle va à l’encontre de la volonté de la mère ou des enfants, la dévolution automatique du nom du père relève d’une tradition qui ne doit pas être subie. Ainsi, vous l’aurez compris, le groupe UDI et indépendants soutiendra la proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

    M. le président

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    La parole est à M. Michel Castellani.

    M. Michel Castellani

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    Le nom de famille porte l’identité d’une personne et son héritage, à tel point que nombreux sont les cas dans lesquels les dominants ont eu la volonté de gommer un héritage culturel différent : nous en avons de multiples exemples dans l’histoire et dans la géographie.
    Le nom de famille touche à l’intime. Il suit l’individu toute sa vie. Il est bien plus qu’une simple appellation administrative. Porter son nom est une fierté pour beaucoup d’entre nous mais, pour certains, il peut être un fardeau et une source de mal-être. En effet, de nombreuses personnes sont condamnées à porter le nom de la personne qui les a battues, maltraitées ou leur a fait subir des violences sexuelles lorsqu’elles étaient enfants ; cela peut être aussi la personne qui les a abandonnées ou, simplement, une personne qu’elles ne connaissent pas ou dont elles ne souhaitent tout simplement pas porter le nom. Dès lors, changer de nom peut être vécu comme une libération.
    Par ailleurs, porter le nom de la personne qui n’exerce pas l’autorité parentale peut être source de lourdes complications administratives au quotidien. Or ces deux situations se rencontrent de plus en plus, en particulier dans le cas des familles monoparentales. Bien souvent, une mère élève seule son enfant, qui ne porte pas le même nom qu’elle, mais celui d’un père qui a pu n’avoir qu’un rôle de géniteur.
    Héritage de nos sociétés patriarcales, le nom de famille a très longtemps été exclusivement celui du père. Il était d’ailleurs jusqu’à peu désigné par le terme de patronyme. Le code civil de 1804 prévoyait en effet que les enfants prendraient le nom de leur père. Fruit de cet héritage, huit enfants sur dix portent aujourd’hui encore le seul nom de famille de leur père.
    Notre droit a déjà beaucoup évolué ces dernières années. Depuis la loi de 2003, les parents peuvent choisir le nom de leurs enfants : il peut être celui du père, celui de la mère, ou encore l’adjonction des deux noms. Depuis la loi de 2013, en cas de désaccord entre les parents, l’enfant se voit attribuer un nom composé du nom des deux parents dans l’ordre alphabétique. Tout cela, je suppose que vous le savez. Mais il était nécessaire d’aller plus loin, notamment de faciliter l’accès aux démarches administratives de changement de nom, lesquelles relèvent aujourd’hui du parcours du combattant. En ce sens, la proposition de loi est tout à fait bienvenue. Je souhaite remercier Patrick Vignal, son auteur, pour son travail de qualité.
    L’article 1er de la proposition de loi permettra aux personnes qui le souhaitent d’indiquer comme nom d’usage, c’est-à-dire comme nom qu’elles utilisent dans la vie quotidienne, celui du parent qui ne leur a pas transmis le sien, alors que le droit actuel ne permet pas de l’adjoindre à leur nom. Le texte propose aussi, à l’article 2, de simplifier considérablement la procédure de changement de nom de famille, c’est-à-dire le nom inscrit sur l’acte de naissance, dans le cas où la personne majeure souhaite porter le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien. L’amendement adopté en commission prévoyant que la demande de changement de nom pourrait aussi être faite devant l’officier de l’état civil du lieu de résidence, et non plus seulement de celui de naissance, est bienvenu et facilitera encore davantage l’accès à ce droit.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Eh oui !

    M. Michel Castellani

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    Pour conclure, je souhaite remercier le collectif Porte mon nom qui a œuvré pour mettre ce sujet à l’agenda politique. Ce collectif a collecté des milliers de témoignages de personnes souhaitant changer de nom de famille. Nombreux sont les témoignages de personnes qui portent aujourd’hui le nom d’une personne qui les a violentées durant leur enfance et qui attendent le vote de cette proposition de loi comme une libération.
    Vous l’aurez compris, le groupe Libertés et territoires soutiendra la proposition de loi.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Merci, cher collègue.

    M. le président

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    La parole est à M. Raphaël Schellenberger.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Nous allons discuter d’un objet juridique bien particulier, le nom de famille. En effet, comme l’ont déjà souligné plusieurs orateurs avant moi, le nom est d’abord un outil dont chaque Français se sert au quotidien, dans tous les actes de la vie administrative, professionnelle et personnelle, pour se reconnaître, pour se différencier et pour s’identifier. C’est donc un objet juridique particulièrement intime.
    Dès l’accélération des échanges entre les individus, et la nécessité de les sécuriser, est apparue la nécessité de codifier la façon dont on nomme l’autre, celui avec lequel on interagit. C’est donc un droit très vieux que nous nous apprêtons à toucher. La preuve en est qu’il est codifié dans des articles très anciens du code civil. Le rappeler, c’est peut-être enfoncer une porte ouverte, mais je veux souligner à quel point nous devons intervenir avec parcimonie, en suivant évidemment une société qui évolue, mais en ayant toujours conscience que le nom est au cœur de préoccupations que nous partageons encore aujourd’hui : faciliter l’identification, stabiliser le droit dans le temps, faciliter les interactions et les sécuriser au plan juridique.
    L’époque a changé et la façon dont on transmet le nom a sûrement changé aussi. Nous partageons avec vous le constat qu’un certain nombre d’usages nécessitent d’être encore assouplis. C’est notamment le cas pour l’article 1er de la proposition de loi, qui prévoit des assouplissements efficaces et bienvenus pour les parents qui ont besoin, dans les actes de la vie quotidienne, que leurs enfants soient reconnus facilement comme étant les leurs pour éviter des imbroglios juridiques particulièrement complexes, qui sont devenus insupportables à bon nombre de familles. La famille a changé,…

    M. Patrick Vignal, rapporteur et M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Voilà !

    M. Raphaël Schellenberger

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    …et ce changement doit être accompagné dans la façon dont la famille organise ses relations juridiques avec la société, à travers l’usage du nom de famille. Le groupe Les Républicains n’aura donc globalement pas de difficulté avec l’article 1er qui prévoit, je le répète, des améliorations bienvenues.
    Le changement formel de nom à l’état civil est une question un peu plus sensible, et il convient de faire attention à ce que les cas particuliers, mobilisés à juste titre par les orateurs précédents, ne deviennent pas la règle générale. Il faut distinguer deux situations différentes. Premièrement, la simplification des règles qui permettent d’ajouter à l’état civil le nom de famille du parent qui n’a pas été donné à la naissance : sur ce point, la situation sera différente selon les cohortes générationnelles, car toutes les générations ne sont pas égales. Pour certaines d’entre elles, la question est en grande partie déjà réglée, puisque le droit a changé en permettant aux parents de donner deux noms aux enfants.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    C’est juste.

    M. Raphaël Schellenberger

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    La seconde situation, à savoir la substitution de nom à l’état civil, est différente. Elle relève de cas particuliers bien précis et moins récurrents, lesquels nécessitent, de mon point de vue, de plus grandes précautions. Je suis assez mal à l’aise avec l’idée que l’officier de l’état civil puisse, seul, substituer un nom de famille à un autre, c’est-à-dire effacer une bonne partie de l’état civil précédent.
    Pour conclure, j’aimerais que nous ayons, dans les débats qui viennent, une attention : j’ai entendu, notamment en commission, des collègues dire que certaines personnes portaient le nom d’un père qu’elles n’ont jamais connu ; je vois à quel exemple il est fait allusion, et je le comprends. Toutefois, cette manière de présenter les choses occulte d’autres exemples. On peut porter le nom d’un père qu’on n’a pas connu et en être très fier ;…

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Eh oui !

    M. Raphaël Schellenberger

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    …on peut même parfois porter le nom d’un père que l’on n’a pas connu à la suite d’un mariage posthume – il est très rare, mais encore autorisé en France.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    En effet !

    M. Raphaël Schellenberger

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    En généralisant des cas d’espèce pour défendre une avancée sociétale, peut-être nécessaire, nous risquons de faire très mal à un grand nombre de nos concitoyens.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Je suis plutôt d’accord.

    M. le président

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    La parole est à M. Stéphane Peu.

    M. Stéphane Peu

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    La proposition de loi visant à garantir l’égalité et la liberté dans l’attribution et le choix du nom répond à un double objectif : faciliter la vie des familles et mieux refléter, dans les possibilités offertes par le droit, des identités parfois sources de souffrance. Le texte offre une réponse pertinente aux demandes des associations et à celles de milliers de nos concitoyens qui nous alertent sur les difficultés résultant de la rigidité du droit actuel, quand bien même celui-ci a évolué en la matière, en particulier depuis la loi de 2002.
    Un nom, c’est une histoire, c’est notre propre insertion dans l’histoire. Il nous rappelle que la construction d’un individu est aussi faite de symboles et de représentations. Un nom de famille n’est donc pas un matricule, il est l’identifiant puissant d’une personne, de son passé : il est un emblème dont on peut être fier, ce qui est heureusement le cas pour beaucoup d’entre nous. Mais on peut aussi éprouver à son endroit, malheureusement, de la honte ou de la colère, car il peut témoigner d’un passé douloureux que l’on voudrait chasser mais qui s’attarde indûment. Comment ne pas comprendre la douleur d’un enfant ou d’un adulte obligé de porter le nom de famille d’un père absent ou violent ou d’un parent maltraitant ? Comment admettre que ce nom réprouvé sera celui que l’on transmettra à ses propres enfants, témoignage d’un passé méprisé qui s’invite encore et encore, se perpétuant, pour ainsi dire, de force dans l’avenir de ses propres descendants ? Comment ne pas, tout simplement, entendre les difficultés d’une mère qui, assumant seule la charge d’élever ses enfants, se voit en toute occasion, à l’école, à l’hôpital, au club sportif, obligée de prouver qu’elle est bien leur mère en sortant à tout bout de champ son livret de famille, comme l’a rappelé M. le garde des sceaux ?
    La proposition de loi répond à ces difficultés sans modifier profondément, et a fortiori sans affaiblir, l’édifice du code civil et notre état civil.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Voilà !

    M. Stéphane Peu

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    La proposition de loi représente une nouvelle évolution du droit, lequel est passé progressivement de l’automaticité de l’attribution du nom du père à la possibilité d’inscrire le nom de la mère et, désormais, à celle de changer, substituer ou compléter son nom de famille par une simple demande à l’officier de l’état civil. Ce droit à changer, et non plus seulement à demander de changer, est une réelle avancée que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra.
    Le nom de famille est constitutif de l’identité de chacune et chacun. Il permet de se situer soi-même dans une histoire familiale, tout en se projetant vers l’avenir pour sa propre transmission. Il est donc indispensable que chaque individu puisse assumer pleinement et sereinement ce ou ces noms issus de la filiation, qui seront eux-mêmes transmis à ses enfants.
    La souplesse accordée par le texte, tant en sécurisant l’emploi du nom d’usage qu’en facilitant le changement du nom inscrit sur l’acte de naissance, traduit également une volonté de ne pas invisibiliser la mère dans la filiation. Même si ce n’est pas l’objet direct de ce texte, comme en témoigne le changement de son titre en commission, c’est là, du moins en partie, le sens des différentes réformes de l’état civil survenues depuis la loi de 1985 : le passage progressif du patronyme, dont l’étymologie renvoie au père, au nom de famille.
    Encore aujourd’hui, 85 % des enfants qui naissent portent seulement le nom de leur père, ce qui est bien sûr le résultat du poids des traditions, la société restant profondément marquée par le patriarcat. La société nous demande de faire bouger les choses. Il est de notre responsabilité d’adapter le droit à cette exigence et de nous assurer que chaque futur parent soit informé qu’il est possible, sinon souhaitable, que le nom de l’enfant témoigne de l’identité de ses deux parents. De ce point de vue, l’exemple de l’Espagne, où les deux noms sont systématiquement accolés, est souvent cité. Nous aurons peut-être à y réfléchir par la suite.

    M. Patrick Vignal,, rapporteur

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    Nous sommes d’accord, cher collègue !

    M. Stéphane Peu

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    Peut-être.
    Oui, mes chers collègues, il est indispensable et urgent de faire évoluer le droit. La nécessité d’un motif réputé légitime, la soumission à une procédure lourde impliquant la publication d’un décret du ministère de la justice, avec un taux d’acceptation des demandes inférieur à 50 % : tout cela n’est plus en adéquation avec les demandes. C’est d’ailleurs pour cette raison que la jurisprudence de notre pays a évolué ces dernières années, en reconnaissant la légitimité du motif affectif dans les demandes de changement de nom.
    Aussi cette proposition de loi, en offrant une réponse pertinente à des problèmes réels, sans pour autant fragiliser le droit de la filiation, doit-elle entrer en vigueur rapidement. C’est pourquoi notre groupe votera ce texte et remercie le rapporteur pour son travail. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Camille Galliard-Minier.

    Mme Camille Galliard-Minier

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    Alors qu’il était hier une référence patriarcale, le nom est devenu en 2002 un marqueur de l’égalité dans le couple, le législateur ayant remplacé le nom patronymique par le nom de famille, en permettant aux parents d’attribuer à l’enfant qui vient de naître le nom du père, celui de la mère ou les deux en même temps, dans l’ordre que ceux-ci souhaitent. Le nom peut devenir un outil de liberté pour les parents et pour les enfants.
    C’est cette possibilité que promeut la présente proposition de loi, déposée à l’initiative de notre collègue Patrick Vignal et soutenue par le groupe La République en marche, en élargissant les conditions de port du nom du parent qui n’a pas transmis le sien à la naissance de l’enfant. C’est un texte de simplification, strictement circonscrite au port du nom de famille des parents.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Exactement !

    Mme Camille Galliard-Minier

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    Elle créera des droits nouveaux au bénéfice des enfants mineurs comme de ceux devenus majeurs.
    Pour les mineurs, tout d’abord. Trop souvent, les parents dont l’enfant ne porte pas le nom, qu’ils soient séparés ou non de leur conjoint, se trouvent dans des situations délicates : des questions leur sont posées, des justificatifs leur sont réclamés par l’école, ou l’hôpital, lors des inscriptions à des activités, lors d’un voyage en France ou à l’étranger, ce qui pollue la vie quotidienne de nombreux Français et Françaises. Cette proposition de loi vise donc à introduire dans le code civil la procédure permettant à ces parents que leur enfant porte leur nom à titre d’usage. Codifier permettrait de mieux faire connaître une telle possibilité aux parents, mais pas seulement.
    En effet, le texte prévoit également qu’un mineur, sous réserve de son consentement, s’il a plus de 13 ans, peut porter comme nom d’usage celui du parent qui ne lui a pas transmis le sien, si les deux parents sont d’accord ou si un seul des parents le souhaite, mais en informe l’autre, qui aura alors la possibilité de s’y opposer. Au-delà de sa valeur symbolique, cette simplification est indispensable pour changer le quotidien des parents qui n’auront plus à justifier continuellement de leur lien de filiation avec leur enfant.
    Ce texte sera en outre un vecteur de liberté pour l’enfant devenu adulte qui souhaite porter le nom de famille du parent qui ne le lui a pas transmis, soit à titre d’usage, soit en changeant de nom. Certains pourront ainsi décider d’adjoindre ou de substituer à titre d’usage le nom de l’autre parent, sans effet sur les enfants ni sur les actes d’état civil. Le texte ouvrira ainsi aux enfants la même possibilité qu’aux membres du couple marié, qui peuvent décider de porter le nom de l’autre membre à titre d’usage, en l’adjoignant au leur ou en le substituant à celui-ci.
    D’autres pourront faire un choix plus fort – il sera tel, car il aura des conséquences sur le nom de leurs propres enfants –, celui de changer le nom mentionné à l’état civil, en ajoutant au nom d’un parent celui de l’autre ou en lui substituant celui-ci. Comme l’ont indiqué les orateurs précédents, un tel choix peut être justifié pour des raisons très variées, que l’on ne veuille pas voir s’éteindre le nom du parent, qu’il s’agisse de marquer son attachement et sa reconnaissance à l’un ou à l’autre de ses parents ou, à l’inverse, de se détacher symboliquement d’un parent maltraitant.
    Jusqu’en 2014, un tel choix était quasiment impossible, puisque de telles demandes n’entraient pas dans le champ d’application de la procédure de changement de nom prévu à l’article 61 du code civil. Celle-ci prévoit que la requête présentée au garde des sceaux doit être fondée sur la démonstration de l’existence d’un « intérêt légitime » : or les différents gardes des sceaux et le Conseil d’État avaient exclu de considérer les motifs affectifs à ce titre. Ce n’est que le 5 mars 2014 que la haute juridiction, influencée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), a évolué, en jugeant qu’un enfant devenu adulte pouvait dorénavant évoquer un motif affectif comme fondement de sa requête.
    L’article 2 de ce texte prévoit d’aller plus loin, en permettant au demandeur de se dégager de la complexité, du caractère aléatoire et de la longueur de la procédure actuelle. Une procédure simple permettra demain à chaque enfant devenu adulte de bénéficier du même choix pour son nom que ses parents à sa naissance. Il pourra ainsi choisir d’ajouter à son nom celui du parent qui n’a pas transmis le sien ou choisir de porter uniquement ce nom en lieu et place de celui de l’autre parent. Cette faculté ne pourra être exercée qu’une seule fois. Comme cela a été rappelé, la procédure consistera à saisir l’officier de l’état civil, qui apposera le nouveau nom en marge de l’acte de naissance. Pour présenter une telle demande, il ne sera pas nécessaire de justifier d’un motif particulier, sinon de la volonté de porter un nom qui soit le reflet de son histoire – celle-ci en sera d’autant plus belle ou d’autant moins difficile à porter.
    Certains sur ces bancs craignent que ce texte ne fragilise notre société, que la sécurité qui encadre le nom ne soit remise en cause. Qu’ils soient rassurés. Les principes demeureront les mêmes ; les règles générales en matière d’attribution et de dévolution du nom de famille resteront inchangées ;…

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Bien sûr !

    Mme Camille Galliard-Minier

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    …la procédure de changement de nom continuera de ne s’appliquer qu’à ceux qui souhaitent modifier leur nom ou porter un nom différent et le lien de filiation entre l’enfant mineur ou majeur et ses parents ne sera pas affecté : il demeurera intact.
    Vous l’avez compris, le groupe La République en marche est convaincu de la nécessité de cette proposition de loi, fondée sur les principes d’égalité et de liberté, que nous travaillons sans cesse à promouvoir depuis 2017. Nous la voterons. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. Patrick Vignal

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    Merci !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Sébastien Chenu.

    M. Sébastien Chenu

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    Nous y voilà ! Nous voilà arrivés à la fin de ce quinquennat, avec ce qui sera probablement le dernier texte défendu par le groupe majoritaire, celui de La République en marche, dans le domaine de la justice. Ce texte a été qualifié de « grande loi » par le garde des sceaux. Une grande loi, cela aurait pu être une réforme profonde de la justice, qui en a tant besoin, ou une loi permettant l’expulsion des étrangers condamnés.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Extraordinaire ! Vous devriez venir plus souvent !

    M. Sébastien Chenu

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    Or non : votre dernier grand texte vise à faciliter le changement de nom de famille – cela en dit long, j’y reviendrai.
    Monsieur le garde des sceaux, avec vous place Vendôme, on allait voir ce qu’on allait voir. Eh bien, nous avons vu. On nous promettait Robert Badinter ; nous avons eu Pierre Arpaillange. Vous avez réussi à rassembler contre vous la quasi-totalité des professionnels de justice, qui ont largement manifesté encore en décembre dernier, à la suite d’une tribune cosignée par 6 000 magistrats – sur les 9 000 que compte le pays –, en raison du délabrement de l’institution judiciaire. Les tribunaux manquent de moyens humains – c’est le fils d’un greffier qui vous le dit.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Ah !

    M. Sébastien Chenu

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    Les logiciels utilisés sont obsolètes. La France dépense 70 euros par habitant pour son système judiciaire, quand l’Allemagne en dépense 131. Pourtant, vous vous gargarisez régulièrement de votre bilan et, aujourd’hui, nous étudions une proposition de loi sur le changement de nom. Il est inutile de vous réfugier derrière de prétendues hausses de budget car, vous le savez pertinemment, elles financent majoritairement l’aide juridictionnelle.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vous n’étiez pas là pour voter ce budget !

    M. Sébastien Chenu

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    Les magistrats restent désespérément démunis, mais nous n’en parlerons pas. Le budget de la justice, en 2017, était de 8,5 milliards ; en 2021, il est de 8,2 milliards, mais nous n’en parlerons pas. Où sont les 15 000 places de prison promises par Emmanuel Macron ? Nous n’en parlerons pas – vous n’avez pas envie d’en parler d’ailleurs. Quant aux étrangers condamnés, votre bilan est effrayant, mais nous n’en parlerons pas. Quelque 16 % des personnes condamnées en France ne sont pas de nationalité française, mais vous ne voulez pas en parler, car la question demande autre chose que des paroles, des débats. Elle demande du courage.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vous êtes hors-sol !

    M. Sébastien Chenu

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    Vous parlez fort, vous parlez haut, mais vous avez si peu agi. Je me rappelle votre première intervention à votre arrivée à la Chancellerie. Vous annonciez que votre porte serait « ouverte à tous ». Elle est restée désespérément fermée ; vous avez agi en homme sectaire et brutal.
    La campagne électorale d’Emmanuel Macron ayant commencé, vous nous annonciez il y a quelques jours le recrutement de 200 magistrats supplémentaires. Les Français ne se laisseront pas impressionner par ces jeux de dupe. (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)
    En dépit de ce bilan calamiteux, nous sommes réunis pour cet ultime texte, qui vise à déconstruire l’identité – l’identité, un mot que vous n’aimez pas beaucoup. En effet, cette proposition de loi facilitant le changement de nom s’inscrit dans la continuité philosophique du déracinement des individus (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM. – M. le garde des sceaux rit), de la déconstruction de la famille au profit de l’individualisme le plus exacerbé.
    Ce texte s’inscrit dans la continuité de votre politique de perte de valeur, où tout est interchangeable. Comme je l’avais dit lors du débat sur le passe vaccinal, pour vous, un commerçant, un restaurateur, doit se transformer en contrôleur d’identité, car, oui, tout est interchangeable. Chacun doit pouvoir changer de métier, de lieu de vie, de sexe, de nom, de parti politique et de région – comme vous l’avez fait, sans jamais revenir dans le Nord, alors qu’il vous avait si gentiment accueilli. Avec vous, tout peut être modifié d’un trait de plume ! Formidable société libérale, sans limite, sans retenue, sans équilibre, sans attache, sans histoire !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Voilà !

    M. Sébastien Chenu

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    Afin de permettre de changer de nom, sans aucune restriction ni justification légitime, le droit individuel primera désormais. Bien sûr – nous pourrons en parler –, cette proposition de loi permettra de répondre à quelques attentes individuelles. Je ne les méprise pas.

    M. Patrick Vignal,, rapporteur

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    Évidemment !

    M. Sébastien Chenu

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    Mais le droit en vigueur permet déjà beaucoup. Vous en êtes d’ailleurs l’exemple : elle permet à l’enfant d’associer le nom de son père et celui de sa mère. Elle permet également de porter un pseudonyme ou un nom d’usage. Oui, beaucoup est déjà possible. Dès lors, ce n’est pas l’affectif ou l’émotionnel qui doit primer, c’est l’intérêt général.
    Ce texte comporte de nombreuses incohérences. Si un parent change de nom, mais que ses enfants de plus de 13 ans ne le souhaitent pas, auront-ils un nom différent de leur parent ? De même, vous voulez permettre à un mineur de changer de nom, mais peut-être celui-ci sera-t-il amené ensuite à regretter un choix influencé par ses parents.
    Vous l’avez compris, nous ne soutiendrons pas ce texte. Si, comme je le disais, il peut répondre à quelques cas particuliers, il constitue en réalité un signal de déconstruction, qui comporte beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages.

    M. Patrick Vignal,, rapporteur

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    Ah bon ?

    M. Sébastien Chenu

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    Les députés du Rassemblement national ne soutiendront pas ce texte, qui ajoute une nouvelle pierre à l’individualisme. Il sera votre dernier tour de piste. C’est à ce seul titre qu’il est une source de réjouissance.

    Mme la présidente

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    Merci, cher collègue.

    M. Sébastien Chenu

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    Au revoir, et bon vent, maître Dupond-Moretti ! (« Oh ! » sur les bancs du groupe LaREM.)

    Mme la présidente

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    La discussion générale est close.

    Discussion des articles

    Mme la présidente

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    J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

    Article 1er

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.

    Mme Emmanuelle Ménard

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    Cette proposition de loi est présentée comme un texte de simplification, mais convenez qu’il ne s’agit pas que de cela. Elle suscite beaucoup d’interrogations et elle est loin d’être anodine, car elle aura des conséquences importantes. Monsieur le garde des sceaux, si l’on s’en tient aux exemples que vous avez donnés, les choses paraissent évidentes. Nous sommes touchés par l’exemple de cette femme qui a divorcé et doit prouver en permanence qu’elle est bien la mère de ses enfants car elle ne porte plus le même nom qu’eux, ou par l’exemple de ceux qui portent le nom de leur bourreau. Dans ces cas-là, évidemment, il faut faire évoluer la loi : des démarches sont déjà possibles, mais on peut envisager de les simplifier. Soit.
    Toutefois, votre proposition de loi pose également de vraies questions, auxquelles il n’a pas été répondu en commission, et encore moins dans l’étude d’impact, puisqu’il n’y en a pas. D’un point de vue philosophique, le nom du père est un moyen de reconnaître ce dernier dans la filiation et ce n’est pas neutre. Cette proposition de loi ne va-t-elle pas bouleverser encore davantage la construction de l’identité ? Sylviane Agacinski relève ainsi : « L’état civil, c’est l’institution de la personne dans son identité sociale, son inscription symbolique dans une généalogie, un ordre qui ne dépend pas d’elle, et chacun ne peut pas décider de la loi commune. »
    Monsieur le rapporteur, je vous ai également posé quelques questions en commission. Par exemple, cette proposition de loi ne permettra-t-elle pas à des débiteurs de se soustraire plus facilement à leurs obligations, voire – nous avons déjà vu de tels cas – à des délinquants d’échapper à des poursuites judiciaires ?
    Quelles seraient les conséquences sur l’organisation de l’État si les Français changeaient massivement de nom de famille, lequel constitue aussi un outil de police générale ? La proposition de loi part évidemment d’une bonne intention, mais elle soulève des questions qui sont loin d’être mineures et dont les conséquences, loin d’être anodines, pourraient, contrairement aux apparences, n’apparaître que dans quelques années.

    Mme la présidente

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    Je suis saisie de quatre amendements identiques, nos 10, 18, 50 et 78.
    La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 10.

    M. Thibault Bazin

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    L’article 1er vise à modifier encore les règles relatives au nom d’usage et au changement de nom. Or des assouplissements ont déjà été apportés : la loi du 23 décembre 1985 permet à toute personne d’adjoindre, à titre d’usage, le nom du parent qui ne lui a pas été transmis. La loi du 4 mars 2002, modifiée par la loi du 18 juin 2003, a reconnu aux parents le droit de choisir le nom de famille de l’enfant : soit le nom du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux. La loi du 17 mai 2013 a complété ce dispositif dans un souci de meilleure égalité entre les parents ; en cas de désaccord entre eux, elle a mis fin à la règle qui attribuait par défaut le nom du père et prévu l’attribution à l’enfant d’un nom composé du nom de chacun des parents, dans l’ordre alphabétique.
    Considérant que le changement de nom est déjà possible, il ne convient pas d’en assouplir encore les règles, car il y a un réel risque d’instabilité de l’état civil. Il faudrait plutôt caler les imprécisions qui ont existé pour des enfants nés entre les lois, et qui créent parfois des incohérences dans les noms attribués. La libéralisation de l’état civil, inscrite dans une logique d’individualisme, pourra en effet participer à la déstructuration de l’institution de la famille. Il faut absolument que la représentation nationale protège la famille, parce qu’elle incarne l’avenir de la nation. C’est pourquoi l’amendement a pour objectif de supprimer l’article 1er.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement no 18.

    M. Philippe Gosselin

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    Plusieurs d’entre nous ont une vraie difficulté avec ce texte. Entendons-nous bien, elle ne concerne pas une réponse qui pourrait être apportée à des souffrances particulières – et je regarde dans les tribunes une partie du public qui est là. Qui peut nier les difficultés à porter certains noms de famille ? Qui peut nier la difficulté à porter le nom d’un père qui n’en a pas été un, de fait, à plus forte raison si on a été, enfant ou jeune adulte, victime de violences intrafamiliales ? Tous ces éléments sont évidemment à prendre en considération. Nous sommes en 2022 et la société se doit de répondre à ces interrogations et de s’adapter aux souffrances ; c’est évident.
    Néanmoins, le texte que vous proposez, monsieur le rapporteur, instaure une forme de simplification à l’extrême. Votre réponse à une vraie question n’est pas la bonne. Vous êtes dans un tel souci de simplification qu’un simple formulaire CERFA, un simple document administratif, permettra de changer profondément un état civil qui ne doit pas être bousculé. Aujourd’hui, ni les noms d’usage ni la possibilité de porter un double nom ne posent de difficulté particulière.
    L’amendement est l’occasion d’interroger le Gouvernement au-delà de la suppression, puisque l’article 1er ne fait pour l’essentiel que codifier le droit existant : ce n’est pas le sujet. Mais, monsieur le garde des sceaux, comment faire passer de manière aussi inaperçue un changement d’identité ? Comment passer outre une étude d’impact ? Comment passer outre l’avis du Conseil d’État, sur un sujet aussi important que le nom de famille, lequel est loin d’être aussi banal qu’on veut bien le présenter ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement no 50.

    M. Marc Le Fur

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    Comme souvent avec ce type de texte, ça se passe en catimini : on part de cas particuliers et on les exploite à des fins très politiques. Nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet durant nos débats. Nous ne nions pas les difficultés qui peuvent exister dans certaines familles, mais nous considérons que d’autres solutions étaient possibles. Le droit existant aurait pu être simplifié. Changer de nom est une affaire grave : le passage par un juge nous semble nécessaire et le motif légitime du changement de nom indispensable. Mais votre logique, c’est de transformer le code civil – naguère code de la famille – en un code de l’individu : on est dans une logique totale d’individualisme.
    Une autre chose me gêne dans cette affaire : ce sont les propos que vous tenez sur les pères. Vous-même, monsieur rapporteur, vous-même, monsieur le ministre, dans vos propos, le père est un être systématiquement violent, voire violeur. (Vives exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Ce sont les propos que j’ai entendus à la tribune ! Pensez plutôt aux drames que vivent les enfants qui sont privés de père ; pensez plutôt aux drames que vivent les pères qui n’accèdent plus à leur enfant.
    Vous évoquiez, monsieur le rapporteur, ces enfants qui n’ont pas connu leur père. J’ai à l’esprit un grand personnage de la République, né en 1943. Son père a été tué en septembre 1944 dans les Vosges : il ne l’a pas connu et sa vie a consisté à honorer sa mémoire. À partir de cela, il a surmonté tous les obstacles de sa vie personnelle et de sa vie politique. Arrêtons donc de nier le rôle des pères.

    Mme la présidente

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    L’amendement no 78 de M. Sébastien Chenu est défendu.
    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Je vais clarifier un point : l’article 1er traite uniquement du nom d’usage et non du changement de nom de famille. Monsieur Le Fur, aucune des personnes ayant pris la parole n’a mis en cause la probité des pères. Nous voulons simplement de l’équité, de la justice et de l’égalité. Vos propos sont à la limite de l’acceptable. (Mme Alexandra Louis applaudit.)

    Mme la présidente

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vous avez cru devoir entendre ce que nous n’avons pas dit et c’est dommage, dans un débat qui doit être de qualité. Vous avez été ébranlés, je le crois, par les différents témoignages qui ont été évoqués, ces situations du quotidien qui nous conduisent à modifier la loi, pour simplifier les pratiques. Je l’ai dit : c’est un texte de liberté et d’égalité.
    Madame Ménard, les délinquants seront suivis. En effet, quand une modification de nom est adoptée à la Chancellerie, après de longues démarches – qui sont loin de toujours aboutir, et pour cause –, le casier judiciaire, désormais totalement informatisé, est tout de suite informé. S’il suffisait de changer de nom pour passer sous les radars de la justice, vous imaginez bien que, pas un instant, je n’aurais envisagé que l’on défende ce texte. Tout est fait automatiquement. Vous craignez pour l’état civil, mais je l’ai dit dans mon discours – je ne veux pas y revenir : l’officier de l’état civil a évidemment l’habitude de procéder ainsi, et ce de longue date, allais-je dire.
    Bon, quant aux injures de M. Chenu… Monsieur Chenu, j’ai défendu plus de vingt-cinq textes depuis que je suis en fonction : je ne vous ai pas vu une fois en commission !

    M. Sébastien Chenu

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    Je ne siège pas à la commission des lois !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Je ne vous ai jamais vu défendre un amendement dans l’hémicycle ! Le seul amendement dont je me souvienne avait été déposé par Mme Le Pen : il visait à poursuivre les journalistes quand, selon elle, ils violaient le secret de l’instruction, auquel ils ne sont pas tenus.

    M. Sébastien Chenu

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    N’importe quoi ! N’importe quoi !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Monsieur Chenu, vous pouvez dire vingt fois « n’importe quoi ! », vous n’êtes que très rarement présent dans l’hémicycle.

    M. Sébastien Chenu

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    Plus que vous !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Mme Le Pen n’y est jamais. Marine Gatineau Dupré, qui a tout fait pour que ce texte soit défendu, depuis dix-huit mois que je suis ministre aura été plus présente ici que la vôtre, de Marine ! Alors les injures, ça va bien ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

    M. Sébastien Chenu

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    Quelles injures ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vous avez pris la parole à la tribune pour m’injurier pendant trois minutes, monsieur Chenu : c’est votre façon de faire. Quant aux qualificatifs que vous me réservez, quant aux comparaisons que vous faites entre les différents avocats dont vous connaissez les noms, je voudrais, puisque vous m’avez souhaité bon vent, me demander simplement si vous avez souhaité bon vent à M. Collard quand il vous a quitté, il y a quelques jours !

    M. Sébastien Chenu

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    Oui !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Maintenant, ça suffit, on va élever le débat, vous comprenez ? Il faut dire que c’est difficile avec vous, parce que vous choisissez toujours les bas instincts, vous aimez les flatter, c’est avec ça que vous faites votre beurre. La question est très simple, monsieur Chenu du Front national : est-ce que l’on aide les femmes qui sont en difficulté quand elles élèvent seules leurs gamins ? Permet-on à des femmes qui ont été violées par leur père de se sortir de ce passé dont elles ne veulent plus ?

    Mme Michèle Peyron

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    Oui !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Voilà des choses toutes simples, toutes bêtes, proches des gens, voyez-vous, loin de l’incantatoire dont vous faites votre beurre et votre miel. Les Français nous regardent : ils apprécieront. Si vous saviez, monsieur, combien de lettres j’ai reçues, vous ne vous seriez pas risqué à faire ce que vous avez fait, en période de campagne électorale. Avis défavorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

    M. Sébastien Chenu

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    Le niveau du garde des sceaux !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Restez encore cinq minutes et puis partez comme vous le faites d’habitude.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.

    Mme Emmanuelle Ménard

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    Monsieur le garde des sceaux, je me permets de répondre, parce que vous me dites qu’il n’y a aucun problème pour les délinquants qui souhaiteraient utiliser cette procédure pour échapper aux poursuites. Vous avez raison puisque la demande de changement de nom est aujourd’hui formalisée sous forme de requête adressée au ministre de la justice – donc à vous – avec différents documents, dont le bulletin numéro trois du casier judiciaire, pour les personnes majeures. Vous avez tout à fait raison ; mais c’est la procédure actuelle. Si, demain, on peut changer de nom avec un simple formulaire CERFA, il n’y aura plus de demandes de bulletin de casier judiciaire !
    La demande de bulletin de casier judiciaire n’existera plus et on pourra donc tout à fait occulter son casier judiciaire. D’ailleurs, cela arrive déjà : il y a déjà eu des cas, des personnes ont été jugées. J’ai sous les yeux un cas survenu en 2017 : pour échapper à des poursuites, une personne avait jugé bon de changer son identité. Elle a été rattrapée par la suite, mais cela prouve que les gens changent déjà d’identité alors que c’est compliqué : si, demain, c’est beaucoup plus facile, quels garde-fous avez-vous prévus ? Je ne vous insulte pas, je ne me moque pas : je vous pose cette question, qui est une préoccupation pour moi, parce que je sais que cette possibilité existe déjà dans le cadre d’une procédure compliquée. Je voudrais savoir quels garde-fous sont prévus dans le cadre d’une procédure simplifiée.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le garde des sceaux.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Je veux répondre à Mme Ménard, parce que sa préoccupation est évidemment légitime. Je vais même dire plus, madame Ménard : je la partage. Aujourd’hui, si un délinquant qui a changé de nom n’est pas rattrapé, ce n’est pas parce que les enquêteurs ne liraient pas le Journal officiel ! En effet, une translation est immédiatement effectuée, qu’il s’agisse d’un changement de patronyme ou de prénom. Par ailleurs, le casier judiciaire est totalement numérisé. Vous l’imaginez bien, nous prendrons toutes les précautions pour que la transmission idoine soit effectuée dès que le changement de nom interviendra à l’état civil, ce qui permettra le suivi.
    D’ailleurs, la question ne se pose pas uniquement pour le casier judiciaire : je pense aux impôts. Vous pourriez me dire : mais alors, celui qui va changer de nom ne paiera plus d’impôts ? Eh bien non, madame Ménard. Les administrations seront évidemment toutes informées immédiatement par l’état civil. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui : c’est un continuum.
    Je disais tout à l’heure à certains de vos collègues qu’ils n’avaient pas à redouter de difficultés. Une crainte a été exprimée, inhérente au fait que l’officier de l’état civil ne pourrait pas ou ne saurait pas faire : si, il sait faire. Les administrations sont alertées des changements de nom, c’est une obligation.
    On ne devient pas un inconnu en changeant de nom : on a seulement changé de nom. Je veux vous rassurer complètement sur ce point. S’il le faut, je le conforterai par voie de circulaire, mais je pense que ce serait superfétatoire. Bien entendu, j’examinerai la question de près : nous serons très attentifs à tous ces sujets.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Philippe Gosselin.

    M. Philippe Gosselin

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    J’ai aussi des questions très précises à vous poser, ensuite de quoi nous vous laisserons, monsieur le garde des sceaux, à vos débats avec M. Chenu. Certes, nos questions sont très concrètes et de nature juridique, mais c’est là le défaut de la commission des lois : nous nous adressons au garde des sceaux, ministre de la justice, qui joue un rôle important, en particulier en matière d’état civil.
    Vous dites que vous examinerez la question, mais à ce stade des débats, il faudrait disposer des réponses.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Ne faites pas votre Chenu !

    M. Philippe Gosselin

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    Vous affirmez que la transmission est automatisée au ministère. C’est en effet le cas aujourd’hui, parce que certains dossiers de changement de nom passent par le ministère et que vous en avez donc connaissance. Si le texte est adopté, c’est la mairie du domicile du demandeur, ou de son lieu de naissance, qui en aura connaissance, par la voie d’un simple formulaire CERFA. Il serait donc intéressant de savoir comment l’information sera transmise, notamment aux administrations, et si elle fera l’objet d’un porter à connaissance.
    Qu’adviendra-t-il des données personnelles, relativement, par exemple, à la loi « informatique et libertés » ? Celle-ci concerne des éléments très précis, dont le texte ne dit rien. Quid d’une citation à comparaître, éditée avec un nom donné ? La procédure judiciaire s’interrompra-t-elle parce que le nom n’est plus le bon, faisant cesser immédiatement les poursuites ? Faudra-t-il relancer la procédure ?
    Ce sont des questions très précises, qui doivent recevoir des réponses. Une injonction de payer, éditée avec un nom donné, restera-t-elle valable lorsque la personne aura changé d’identité ? Je ne dis pas qu’il s’agisse d’un changement de personne, mais nous voulons que le garde des sceaux apporte à ces questions des réponses précises, afin de nous éclairer.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Alexandra Louis.

    Mme Alexandra Louis

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    L’article 1er concerne le nom d’usage et vise à faciliter la vie, notamment des mères, confrontées à des difficultés quotidiennes.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Eh oui !

    M. Philippe Gosselin

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    Le débat est lancé !

    Mme Alexandra Louis

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    Madame Ménard, lorsqu’une femme se marie et adopte le nom de son mari comme nom d’usage, elle ne peut évidemment pas échapper ainsi à la justice, et c’est heureux.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vous le savez très bien !

    Mme Alexandra Louis

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    Les procédures judiciaires prennent toujours en considération la filiation, avec le nom des parents. Il n’en ira pas autrement avec l’article 2. En commission, certains ont affirmé que le changement de nom permettrait d’échapper à des créanciers. Si l’on pouvait ainsi échapper à la justice ou à des créanciers, cela se saurait ! Il existe des techniques beaucoup plus simples, que certains maîtrisent très bien.
    L’enjeu de cet article est de faciliter la vie des mères.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Oui ! Revenons à l’article 1er !

    Mme Alexandra Louis

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    Elles sont très nombreuses à être concernées. J’ai reçu des milliers de témoignages, certains même dans mon entourage, de personnes confrontées à des difficultés pratiques lorsqu’elles doivent justifier qu’elles sont la mère d’un enfant. C’est aussi simple que cela.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Camille Galliard-Minier.

    Mme Camille Galliard-Minier

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    Je rejoins Mme Louis : nous débattons du changement de nom, alors que l’article 1er ne concerne que le nom d’usage. Nous pourrons aborder ces questions lors de l’examen de l’article 2, mais il est important de souligner ce point, puisque nous allons voter des amendements visant à supprimer l’article 1er.
    Ensuite, monsieur Le Fur, vous citez l’exemple d’un enfant qui a porté avec honneur et fierté le nom de son père décédé pendant la guerre. Avec cette loi, il pourrait continuer à le porter de même. Imaginons un enfant dont la mère résistante serait morte pendant la guerre pour sauver la France. Grâce à l’article 2, que nous voterons tout à l’heure, il pourrait également porter son nom avec honneur et fierté. Cela répond bien à vos préoccupations. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le rapporteur.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Nous étudions l’article 1er. Il prévoit qu’un parent qui n’a pas pu donner un nom d’usage à son enfant pourra le faire, en informant l’autre parent, sauf si la juxtaposition des noms produit un effet ridicule. Si l’autre parent ne partage pas cette intention, le texte inverse la logique actuellement à l’œuvre : il pourra saisir le juge et expliquer sa position.
    Nous aurons le temps d’examiner l’article 2 mais nous devons avoir un véritable débat sur l’article 1er. En effet, comme l’a souligné Alexandra Louis, il concerne des milliers de femmes, et d’hommes, qui sont gênés dans leur quotidien. Parlons donc de l’article 1er : nous discuterons de l’article 2 tout à l’heure, car vos propos suscitent chez nous des interrogations.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le garde des sceaux.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    En écoutant M. Schellenberger lors de la discussion générale, j’ai cru un moment que le groupe Les Républicains voterait le texte.

    M. Raphaël Schellenberger

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    J’étais parfaitement sincère !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vous n’en étiez pas loin. J’ai pensé peut-être qu’il y avait une faille dans votre groupe, ou que ses membres n’étaient pas restés insensibles à certains arguments. Ils sont républicains, pour la très grande majorité…

    M. Philippe Gosselin

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    Pour la totalité ! Arrêtez de distribuer bons et mauvais points !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Pour la totalité ! Vous le dites, mais les séances de questions au Gouvernement me donnent chaque semaine la démonstration du contraire.

    M. Xavier Breton

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    Arrêtez de faire de la politique comme ça !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    J’ai sincèrement cru que vous voteriez le texte. En vous entendant évoquer les problèmes liés notamment au casier judiciaire, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un débat en trompe-l’œil : pour ne pas être déstabilisés par vos propres émotions, vous cherchez à nous mettre des bâtons dans les roues avec des objections techniques. Or elles sont faussement techniques.
    Je voudrais vous rassurer quant aux implications de l’article 2, même si le débat dans l’immédiat concerne l’article 1er. Le changement de nom donne lieu à une transmission au répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP). L’officier de l’état civil transmet à l’INSEE les informations nominatives afin de mettre à jour ce répertoire national, que les communes abondent lors de l’établissement des actes d’état civil ou de la mise à jour de mentions apposées en leur marge. Les organismes tels que les banques, les assurances, les administrations et FranceConnect, dans le cadre du répertoire électoral unique, sollicitent également ce répertoire national pour certifier les identités – et vous le savez, monsieur Gosselin, car vous êtes trop fin juriste pour l’ignorer. De plus, le casier judiciaire national est peut-être le premier à recevoir un extrait mensuel de ce registre.
    La question ne mérite pas qu’on s’y attarde davantage. La procédure ne passe pas par un ministère mais par un numéro inscrit au répertoire national. Elle est très claire et sécurisée : vous n’avez absolument aucune crainte à avoir.

    (Les amendements identiques nos 10, 18, 50 et 78 ne sont pas adoptés.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement no 19.

    M. Philippe Gosselin

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    Il est défendu, mais je veux revenir sur nos interrogations. Mme Ménard a posé des questions légitimes. Les miennes ont émergé à la faveur du débat, même si elles ne concernaient pas l’article 1er qui, je l’ai dit, ne me pose pas de problème existentiel.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Voilà !

    M. Philippe Gosselin

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    Il arrive, au cours d’un débat, que les questions ne surgissent pas au meilleur moment. Les réponses que vous avez apportées concernant l’article 1er sont exactes, et je n’ai pas de contestation.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Tant mieux !

    M. Philippe Gosselin

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    Le répertoire national existe bien, la procédure est solide. En revanche, nous reviendrons lors de l’examen de l’article 2, qui ne concerne pas le nom d’usage mais un changement complet d’état civil, sur des questions relatives à la procédure pénale et à d’autres implications. Je ne cherche pas à faire un coup : ces sujets sont trop importants. Ils ne concernent pas seulement des personnes qui connaissent des situations personnelles – affectives, difficiles, pour des raisons diverses –, tout à fait légitimes et respectables. De telles mesures ayant des effets plus larges sur la société, on ne saurait passer ces éléments sous silence.
    Je le dis pour que notre manière de procéder soit claire et que nous ne nous envoyions pas des noms d’oiseaux à longueur de temps – la question ne le mérite pas.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Je n’ai jamais employé de noms d’oiseaux !

    M. Philippe Gosselin

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    Pas à mon égard ! Il faut que le débat soit le plus apaisé possible.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    N’est pas Chenu qui veut !

    Mme la présidente

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    L’alinéa 2 ne concerne pas le nom d’usage des enfants mais celui des époux. Il n’existe aucun risque de brouiller la généalogie. Avis défavorable.

    Mme la présidente

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Avis défavorable.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Coralie Dubost.

    Mme Coralie Dubost

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    J’ai écouté les collègues du groupe Les Républicains et ceux assis au-dessus d’eux, qui appartiennent donc au Rassemblement national ou à l’extrême droite en général. Je vous ai écoutés, calmement, durant la discussion générale, puis sur l’article 1er et les amendements à l’article 1er. Ce dernier concerne le nom d’usage, mais vous évoquez déjà le contenu de l’article 2.
    Je veux répondre de manière générale à l’ensemble de vos propos sur la famille. Vous êtes dans le registre de la fatalité. Selon vous, l’état des lieux dressé à un moment donné ne doit plus jamais être modifié. Or la proposition de M. Patrick Vignal, que notre groupe soutient, vise à résoudre les difficultés que rencontrent de nombreuses personnes en souffrance, sans porter atteinte à l’ensemble des règles de fonctionnement de notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
    Je vous écoute depuis longtemps, messieurs. Sur la PMA – procréation médicalement assistée – pour toutes, vous avez chipoté ; sur le congé paternité, vous avez chipoté ; sur l’ouverture de l’adoption, vous avez chipoté ; sur l’égalité entre les femmes et les hommes en milieu économique, vous avez chipoté ; sans surprise, sur la possibilité de changer de nom, vous chipotez. Nous, nous refusons que les situations des familles, des enfants, des mères et des pères relèvent de la fatalité : nous proposons des solutions en faveur de la dignité, de la liberté et de l’égalité. Nous ne voulons pas chipoter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Raphaël Schellenberger.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Je ne peux pas laisser passer sans réagir cette intervention de Mme Dubost, qui cherche à caricaturer les positions dans le débat. Il faut avancer.

    M. Philippe Gosselin

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    Mme Dubost chipoterait bien, elle aussi !

    M. Raphaël Schellenberger

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    Ne dramatisez pas les nuances : votre groupe a été, autant que d’autres, traversé par des désaccords et des tensions. Il est bon qu’ils puissent s’exprimer ici. Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, le groupe LR est favorable à l’article 1er.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Merci !

    M. Raphaël Schellenberger

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    Cela n’empêche pas de discuter de certains détails afin de comprendre : si nous ne le faisons pas maintenant, nous ne le ferons jamais.

    M. Philippe Gosselin

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    Il n’y a pas d’étude d’impact !

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    L’étude d’impact, ce sont les citoyens !

    M. Raphaël Schellenberger

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    En revanche, nous émettons des réserves au sujet de l’article 2. Nous sommes partagés quant à l’ampleur de son champ d’application. Nous sommes pourtant tous favorables à faciliter la vie des Français. Ce n’est pas parce que la campagne électorale approche qu’il faut caricaturer les positions des uns et des autres. Madame Dubost, monsieur le garde des sceaux, ne vous exprimez pas avec trop d’ardeur, les semaines à venir vous en donneront suffisamment l’occasion.

    (L’amendement no 19 n’est pas adopté.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Marie-Pierre Rixain, pour soutenir l’amendement no 9.

    Mme Marie-Pierre Rixain

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    Il s’agit d’un amendement féministe : à l’instar de ce texte, il vise à mettre fin à un système social patriarcal. En effet, nombreuses sont les femmes qui témoignent de leur agacement face à l’habitude, empreinte d’un certain sexisme, que les acteurs économiques, sociaux et professionnels ont prise de leur attribuer par défaut le nom de leur époux dès qu’elles se marient, alors même qu’elles ne l’ont pas choisi comme nom d’usage. Il leur revient ensuite d’entreprendre des démarches souvent longues, embarrassantes, humiliantes, pour justifier leur choix de garder leur nom de naissance, auxquelles s’ajoutent les difficultés administratives qu’implique la subsistance simultanée de deux noms.
    Le présent amendement vise donc à disposer clairement que le nom de naissance demeure par défaut le nom des individus, jusqu’à ce qu’ils ou elles émettent expressément le souhait d’utiliser un autre nom d’usage.

    Mme la présidente

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Je partage votre avis : une femme doit avoir le choix de porter ou non le nom de son mari. Personne ne doit lui imposer ce nom. Cependant, dans la pratique, certaines administrations ou entreprises, par méconnaissance, ne respectent pas toujours ce principe : cela n’est pas normal.
    Votre amendement est toutefois satisfait par le droit existant, puisque la loi prévoit déjà que le nom d’usage est facultatif.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Eh oui !

    M. Antoine Savignat, rapporteur

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    La présente proposition de loi devrait permettre de faire œuvre de pédagogie à l’égard des administrations et des entreprises sur ce point. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

    Mme la présidente

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Si je comprends parfaitement le sens de votre amendement, je vous invite néanmoins à le retirer. En effet, le code civil est déjà très clair : le nom d’usage est au libre choix de la personne et ne peut être imposé par des tiers. Le problème que vous soulevez – légitime, mais qui ne doit pas devenir une inquiétude – est celui de l’inertie de la pratique de certaines administrations ou d’institutions privées, qui attribuent d’office le nom du mari à la femme mariée. Le code civil, qui est notre guide en la matière, est quant à lui parfaitement clair. À défaut d’un retrait, l’avis sera défavorable.

    (L’amendement no 9 est retiré.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement no 20.

    M. Xavier Breton

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    Il vise à supprimer les alinéas 3 à 6. Si nous déposons des amendements de suppression, c’est pour inviter au débat, parce que la présente proposition de loi n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact, ni d’un avis du Conseil d’État. Or des dispositions relatives à l’état civil sont modifiées, selon la même méthode qui a prévalu pour les textes du même type : on évoque des cas particuliers en donnant des prénoms et des âges ; bien sûr, nous comprenons ces situations, puisque nous les connaissons également. À chaque fois, cela nous est présenté comme une liberté supplémentaire pour telle personne, mais qui ne change rien pour les autres.
    Puis, lorsque la loi est appliquée, beaucoup de problèmes se posent. Aujourd’hui, des juristes et des philosophes – comme Sylviane Agacinski – s’interrogent : ils représentent tous les courants de pensée. Notre devoir, mes chers collègues, eh oui, c’est de chipoter, de ne pas être les simples godillots qui applaudissent,…

    Mme Marie-Pierre Rixain

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    Ah là là !

    M. Xavier Breton

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    …en se levant, les textes présentés par tel membre du Gouvernement ou par tel député à la solde du Gouvernement. Notre rôle, dans l’opposition, consiste à poser des questions,…

    M. Raphaël Schellenberger

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    Eh oui !

    M. Xavier Breton

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    …tandis que le vôtre est d’y répondre, ne vous en déplaise.
    Vous aimeriez, certes, que les débats soient rapides, vous aimeriez n’en rester qu’à l’affichage en évoquant vos innombrables exemples de courriers. Or nous sommes là non pas dans l’affectif,…

    Mme Patricia Mirallès

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    Ah bon ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Moi, je suis dans l’affectif !

    M. Xavier Breton

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    …mais dans le droit. Vous nous parlez d’amour et de souffrance, mais ce n’est pas le lieu, même s’ils existent dans la société. Notre rôle est de créer du droit, pour l’appliquer et envisager toutes les possibilités. Excusez-nous de rester dans ce registre : telle est notre conception du rôle de législateurs et nous l’assumons. Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué, de manière un peu imprudente, la main tremblante du législateur : nous continuerons à vous poser des questions.

    Mme la présidente

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Patrick Vignal,, rapporteur

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    Avis défavorable. Nous avons, monsieur Breton, travaillé avec la Chancellerie et avec des juristes. Ces alinéas permettent d’inscrire, dans le code civil, le nom d’usage à raison de la filiation, afin d’en améliorer l’accessibilité.

    Mme la présidente

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Je n’ai pas osé utiliser le terme « chipotage », car je l’ai pensé inacceptable à vos oreilles, mais vous l’avez fait. Je vais expliciter les choses. Il n’y a rien de définitif concernant les mineurs, puisqu’il s’agit du nom d’usage. Quant aux majeurs – qui sont, je l’espère, vaccinés –, ils choisissent, parmi un champ des possibles qui n’est pas très ouvert : le nom du père ou celui de la mère. L’ordre peut être modifié. Cela n’est donc pas compliqué, il n’y a pas quarante solutions et, je le répète, l’on s’adresse à des majeurs.
    Les autres dispositions ont été, me semble-t-il, parfaitement balisées. Vous prétendez ne pas faire dans l’affectif, mais tel est le cas. Quelle est la question ? Ma mission, telle que je la conçois, puis, ensuite, je serai poussé par le vent…

    M. Raphaël Schellenberger

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    Ah !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Oui, puisque nous sommes dans une grande démocratie…

    M. Raphaël Schellenberger

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    Dans le sens du vent !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vous ne pouvez pas dire cela de moi, car cela ne me correspond pas ! Plus sérieusement, ma mission et la vôtre – ce sont les mêmes – est d’améliorer la vie des gens.

    Mme Patricia Mirallès

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    Exactement !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Il est un point sur lequel je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Il relève de la sémantique et nous emmènerait sans doute dans des débats trop longs : est-ce le droit qui fait la société ou est-ce la société qui doit nous conduire à changer le droit ? Ce sont les évolutions de la société qui doivent nous conduire à le faire.
    D’ailleurs, M. Schellenberger l’a parfaitement exprimé (M. Raphaël Schellenberger acquiesce), car il est un homme moderne, qui a compris la famille moderne et ses difficultés : au fond, ce que vous avez dit, j’aurais pu le dire, si vous ne vous étiez pas arrêté en si bon chemin pour aborder des questions de détail. Vous n’osez pas nous dire, comme si c’était un sacrilège hérétique, que nous avons raison de promouvoir ce texte. Je ne vous comprends pas, car beaucoup de gens l’attendent : à cet égard, j’ai proposé de vous montrer les lettres que j’ai reçues et qui nous interpellent, car vous représentez le peuple français, et moi-même, le Gouvernement. Ce sujet mériterait une approche transpartisane, car il s’agit d’un bon texte.
    J’entends vos interrogations concernant le casier judiciaire – vous avez parlé de chipoter. Sur ce point, le texte est carré et très simple : pour un mineur, il ne s’agit que du nom d’usage,…

    Mme Patricia Mirallès

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    Avec l’accord des deux parents !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    …effectivement, avec l’assentiment des deux parents, faute de quoi l’on s’adresse au juge, comme à chaque fois qu’il y a un litige. Celui qui n’est pas d’accord supportera les frais de justice, ce qui me semble juste. Quant aux majeurs, le choix leur appartient. Pour prendre un exemple plus léger que le drame que j’ai évoqué précédemment, que répond-on à la dame qui a un nom prestigieux – peut-être même celui que vous avez évoqué, monsieur Le Fur – et qui souhaite le transmettre à ses enfants ? Rien, on s’incline, car cela n’est actuellement pas possible. Or il serait formidable de permettre à une femme de perpétuer un nom de famille prestigieux. Il y a mille hypothèses, impossibles à résumer, car elles sont infiniment nombreuses. Beaucoup de personnes nous regardent et souhaitent que nous adoptions cette proposition de loi, qui est simple et n’est pas du tout destructrice de la famille.
    J’espère que nous nous entendrons sur ce texte. Nous l’avons d’ailleurs déjà fait. Lorsque Mme la sénatrice Billon m’a proposé un texte que je trouvais très utile et faisant sens, je l’ai soutenu, sans me poser de questions. Je pourrais multiplier les exemples. Je le redis, ma porte a toujours été ouverte aux gens de bonne foi, et je vous sais de bonne foi.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Aude Luquet.

    Mme Aude Luquet

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    M. le garde des sceaux et M. le rapporteur ont été très clairs. J’ai lu l’exposé des motifs de votre amendement, monsieur Breton. Je m’étonne que vous parliez de « faire éclater des fratries » en raison d’un nom d’usage. Vous évoquez également un « bouleversement dans la construction de l’identité » : soit vous êtes hors-sol, soit personne autour de vous n’est concerné.
    Il y a actuellement beaucoup de familles monoparentales, de mères seules, de pères seuls : en quoi le fait de porter un nom d’usage contribuerait-il à bouleverser l’identité ou à faire éclater les fratries ? Il ne change rien. Le rôle des parents est de veiller à la construction et au bon développement de l’enfant, ce n’est pas qu’une question de nom : nous sommes tous confrontés à ce type d’expérience, autour de nous, dans nos familles, personnellement. Il n’est nul besoin d’avoir un nom d’usage pour savoir d’où l’on vient et où l’on veut aller. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

    (L’amendement no 20 n’est pas adopté.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement no 45.

    M. Marc Le Fur

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    Notre collègue Xavier Breton l’a dit et je le redis : les textes que nous examinons visent à provoquer, en catimini, sous des apparences pratiques, des ruptures importantes. Nos visions sont différentes : vous avez une conception individualiste du droit, tandis que nous considérons que la transmission compte aussi.
    J’ai dit « en catimini » : je vais illustrer mon propos. Il s’agit d’une proposition de loi et le Conseil d’État n’a pas été consulté, alors que le règlement le permet. De même, nous ne disposons pas d’une étude d’impact, nous avons très peu d’éléments. Néanmoins, la procédure accélérée a été engagée : il y aura seulement un débat de fond à l’Assemblée, puis un au Sénat. Or la question du nom mérite davantage de discussions, car il n’est pas seulement la propriété d’un individu, il est la manière dont celui-ci est appelé dans l’ensemble du corps social, sur la place publique, ce qui compte.

    Mme Patricia Mirallès

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    Justement !

    M. Marc Le Fur

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    Pourquoi une telle précipitation, monsieur le garde des sceaux, alors qu’il s’agira peut-être du dernier texte de cette législature ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Parce que j’aime ce texte !

    M. Marc Le Fur

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    Parce que votre objectif est de gagner la gauche sociétale. (Protestations sur quelques bancs du groupe LaREM.)

    Mme Patricia Mirallès

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    Cela n’a rien à voir avec la droite et la gauche !

    M. Marc Le Fur

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    Si ! Vos réflexions le prouvent, mes chers collègues : il s’agit pour vous de gagner la gauche sociétale, puisque la gauche sociale a disparu, hélas. C’est également la raison pour laquelle nous examinerons, dans quelques jours, le texte visant à allonger le délai d’avortement de douze à quatorze semaines. Tous ces textes ont le même objet, qui n’est pas anecdotique ou ne vise pas seulement à améliorer le quotidien, comme vous voudriez le laisser penser : ils constituent des éléments de rupture, très politiques.

    Mme la présidente

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Patrick Vignal,, rapporteur

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    Pensez-vous, monsieur Le Fur, que quelqu’un qui a été abusé sexuellement considère que c’est la gauche qui va voter en faveur de ce texte ? Pensez-vous à la mère qui doit justifier d’être la mère, en prenant l’avion, ou à la femme qui donne la vie mais ne peut pas donner son nom ? Je serai très clair, je le répète : l’article 1er ne permet pas le changement de nom ; il porte seulement sur le nom d’usage.
    Actuellement, il est possible d’ajouter le nom d’usage d’un parent qui n’a pas donné son nom, mais en passant par la Chancellerie. Cela concerne 2 000 à 3 000 demandes par an, souvent sources de conflits. La proposition de loi a donc pour objet la liberté, l’égalité et l’équité dans le couple.
    Votre amendement vise à supprimer le nom d’usage à raison de la filiation, qui existe actuellement et ne pose pas de difficultés. Au contraire, le nom d’usage doit permettre aux parents qui n’ont pas transmis leur nom à leur enfant d’accomplir plus facilement des actes de la vie quotidienne avec eux et pour eux. Il n’y a aucun risque de regrets. Il est déjà possible de changer de nom d’usage, par exemple en demandant ses papiers d’identité. Avis défavorable.

    Mme la présidente

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Monsieur Le Fur, vous nous prêtez des arrière-pensées politiciennes qui sont en réalité les vôtres.

    Mme Bénédicte Peyrol

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    Très juste !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Je suis navré de vous le dire. Je défends ce texte parce que je le trouve beau, utile et qu’il simplifie la vie des personnes. Ce n’est pas plus compliqué que cela.
    J’ai beaucoup apprécié les propos de M. Schellenberger ; il n’est pas loin de penser la même chose. Maintenant, soit vous faites de la petite « pol », soit nous nous rejoignons pour aller de l’avant sur ce texte que les gens attendent. Le rapporteur a raison, ils ne se demandent pas si c’est une mesure de gauche ou de droite. Monsieur Le Fur, pensez-vous que la femme qui doit montrer son livret de famille pour inscrire son enfant au judo se pose ces questions ? Il n’y a que vous qui vous les posez, c’est vraiment dommage.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Raphaël Schellenberger.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Au-delà des débats politiciens qui naissent dans cette enceinte, ce qui est bon signe puisqu’ils prouvent que celle-ci est bien vivante, cet amendement pose une question intéressante au plan intellectuel.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Ah !

    M. Raphaël Schellenberger

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    Je la formalise : quels sont les mineurs concernés par la nécessité de disposer d’un nom d’usage dans la vie quotidienne ? Les parents de cette génération de mineurs dont nous parlons aujourd’hui ont déjà pu choisir d’accoler leurs deux noms.

    M. Patrick Vignal, rapporteur

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    Pas assez !

    M. Raphaël Schellenberger

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    Cela signifie que cette génération se retrouve dans une situation où les parents changent d’avis…

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Changent de vie d’abord !

    M. Raphaël Schellenberger

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    …pour différentes raisons et emportent avec eux l’identité du mineur, ce qui pose quand même une question. Nous ne sommes pas dans le cas où des parents n’ont pas pu donner leur nom au mineur. Les parents ont fait un choix et, pendant la minorité de l’enfant, éprouvent la nécessité de changer le nom d’usage des enfants, ou le veulent simplement. Je pose à nouveau les termes du débat pour que nos propos soient très précis.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Patricia Mirallès.

    Mme Patricia Mirallès

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    Monsieur Le Fur, vous avez dit que c’était une mesure électoraliste. Or, à l’Assemblée – hier, nous l’avons encore constaté –, nous ne votons pas que des textes sociaux, je vous cite. Ce n’est pas un problème de droite ou de gauche, mais de cœur. Nous traitons de l’humain.

    M. Brahim Hammouche

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    Eh oui !

    Mme Patricia Mirallès

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    J’ai entendu que ces débats n’avaient pas lieu d’être, que nous n’étions pas là pour comprendre ce que les personnes pouvaient ressentir. Mais oui, nous sommes là pour cela et c’est aussi pour cela que nous sommes législateurs. Nous le sommes car des personnes viennent nous voir dans nos permanences et nous racontent leur histoire : certaines nous amènent à nous dire, quand la porte se referme, que nous avons beaucoup de chance.
    S’il vous plaît, nous pouvons essayer de prendre un peu de hauteur lors de l’examen de ce texte important, regardé par des milliers de Français. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le garde des sceaux.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Monsieur Schellenberger, je vous répondrai en prenant un exemple. Les exemples parlent toujours, tant il est vrai qu’un petit dessin vaut parfois mieux qu’une longue explication, n’est-ce pas ?
    M. Martin épouse Mme Dubois ; leur enfant est nommé Martin d’un commun accord. Puis, voilà qu’ils divorcent. Quand ils ont choisi le prénom de l’enfant, ils pensaient que cela durerait toujours, voyez-vous.

    M. Raphaël Schellenberger

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    Ah, l’amour !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Il s’avère que cela ne dure pas toujours, en dépit des dispositions précises des articles 212 et suivants du code civil que, comme moi, vous connaissez par cœur. Ils se séparent et Mme Dubois n’a pas envie de montrer son livret de famille. Vous n’avez pas nié ces complexités, vous les connaissez. Ils ont pris une décision puis ils ont changé d’avis parce qu’entre-temps, ils ont changé de vie. Telle est la mesure que nous proposons, ce n’est pas plus compliqué que cela.

    Mme Patricia Mirallès

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    Eh oui !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Des précautions sont prises quant à l’âge de l’enfant. Cela fait du bien à l’enfant car, même à l’école, il se justifie sur son patronyme ; c’est très compliqué. Dorénavant, nous pouvons éviter ce genre de situations : donc allons-y, gaiement ai-je presque envie d’ajouter.

    (L’amendement no 45 n’est pas adopté.)

    Mme la présidente

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    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    4. Ordre du jour de la prochaine séance

    Mme la présidente

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    Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heure trente :
    Suite de la discussion de la proposition de loi pour garantir l’égalité et la liberté dans l’attribution et le choix du nom.
    La séance est levée.

    (La séance est levée à vingt heures cinq.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra