XVe législature
Session ordinaire de 2019-2020
Séance du mercredi 10 juin 2020
- Présidence de M. David Habib
- 1. Débat sur le rapport d’information de la commission des finances sur le printemps de l’évaluation consacré à l’évaluation des politiques publiques 2020
- M. Éric Woerth, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- M. Fabien Roussel
- M. Joël Giraud
- Mme Véronique Louwagie
- M. Jean-Noël Barrot
- Mme Christine Pires Beaune
- M. Charles de Courson
- Mme Sabine Rubin
- Mme Jennifer De Temmerman
- M. Paul Christophe
- M. Daniel Labaronne
- M. Marc Le Fur
- M. Éric Coquerel
- Mme Valérie Petit
- Mme Olivia Gregoire
- M. Patrick Hetzel
- M. Xavier Roseren
- Mme Marie-Christine Dalloz
- Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas
- M. François Jolivet
- Mme Emmanuelle Ménard
- M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics
- Suspension et reprise de la séance
- 2. Règlement du budget et approbation des comptes de l’année 2019
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Séance unique
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport d’information de la commission des finances sur le printemps de l’évaluation consacré à l’évaluation des politiques publiques 2020.
La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Nous nous retrouvons ici, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, mes chers collègues – et je réinvestis la tribune –, pour débattre du troisième printemps de l’évaluation, ce dispositif d’évaluation des politiques publiques que l’Assemblée nationale a organisé depuis maintenant deux ans.
Lorsque nous pensions, à l’automne dernier, lors de la discussion du budget pour 2020, aux travaux d’évaluation que la commission des finances allait mener au printemps et que nous avions pris l’habitude d’aborder de manière de plus en plus organisée au travers de thèmes choisis par les rapporteurs spéciaux, nous ne savions pas qu’un virus allait changer les choses… S’il ne s’agissait que du printemps de l’évaluation, ce ne serait pas très grave ; cela l’est évidemment beaucoup plus quand il s’agit de l’état sanitaire des Français ou de l’état économique de la France. Nous n’avons donc pas voulu maintenir l’exercice tel qu’il était prévu, pour éviter de perturber celui – plus important – de la reprise. Notre commission a néanmoins souhaité aller plus loin en demandant à ses rapporteurs spéciaux de pratiquer un exercice assez inédit, à savoir à la fois analyser l’utilisation des crédits de l’année précédente, comme de coutume, mais aussi et surtout répondre à la question suivante : quel est l’impact de l’actuelle crise sanitaire en termes de mobilisation des crédits budgétaires et de déploiement des politiques publiques ? Nos rapporteurs ont donc été conduits à se demander dans quelle mesure la crise avait une incidence sur les projets en cours ou sur telle ou telle politique publique, et quelles en avaient été les répercussions budgétaires. Ils ont mené à bien leurs travaux dans des conditions difficiles, puisqu’il n’était pas simple de joindre des interlocuteurs dans les administrations, ceux-ci étant souvent occupés par d’autres priorités ; il est donc complexe d’essayer d’en tirer des conclusions aussi approfondies qu’ils l’auraient souhaité. Je ne vais pas énumérer pour chacun des quarante-cinq rapports spéciaux et pour chacune des dix-sept commissions d’évaluation des politiques publiques… Dommage ! … que nous avons tenues la semaine dernière l’ensemble des points essentiels qui y ont été développés, mais je vais vous faire part de quelques idées transversales et fortes que l’on peut en tirer. Elles feront l’objet d’un rapport, millésimé 2020, d’évaluation des politiques publiques dans les circonstances que je viens d’évoquer, rapport qui sera présenté en commission des finances.
Si l’on peut se féliciter, de façon générale, que la plupart des missions budgétaires soient exécutées en conformité avec l’autorisation budgétaire accordée à l’origine, certaines missions connaissent tout de même des sous-exécutions – c’est le cas de la mission « Outre-mer » – ou, à l’inverse, des sur-exécutions assez importantes – je pense à la mission « Cohésion des territoires », à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ou à la mission « Sécurités ». Mais la sous-exécution ou la sur-exécution se concentre souvent sur seulement un ou deux programmes au sein de la mission. Pour la mission « Écologie, développement et mobilité durables », c’est ainsi le programme « Énergie, climat et après-mines » qui connaît, comme l’a relevé le rapporteur spécial Julien Aubert, un dépassement de 230 millions d’euros par rapport à des crédits initialement ouverts d’un peu moins de 600 millions d’euros, en raison d’une prévision erronée des dépenses dues aux primes à la conversion pour les véhicules polluants. Lorsque l’on se trouve devant un écart important et surtout récurrent entre l’exécution et l’autorisation pour une mission budgétaire, il faut en venir à questionner la méthode employée. C’est ce qu’ont fait nos rapporteurs spéciaux pour la mission « Immigration, asile et intégration », Jean-Noël Barrot et Stella Dupont, en demandant que soit expertisée la méthodologie de calcul des dépenses pour l’année à venir. Cette expertise contradictoire peut aider à mieux comprendre les erreurs récurrentes, mais surtout à les corriger, et ainsi à progresser dans la voie de la sincérisation de notre budget et de sa transparence.
Nous avons également pu relever l’importance, pour certaines missions, des restes à payer. La mission « Défense » – pour laquelle c’est assez classique – et la mission « Relations avec les collectivités territoriales » sont les principales concernées. Ces restes à payer s’expliquent notamment par l’importance de certains projets ou programmes d’investissement qui s’étalent sur de nombreuses années. Pour autant, leur croissance reste préoccupante, notamment pour la mission « Culture », qui enregistre une rapide progression des restes à payer – de l’ordre de 18 % en 2019.
Budgets annexes, comptes spéciaux, taxes affectées ou dépenses fiscales… tous ces mécanismes viennent brouiller la lisibilité des comptes pour le Parlement. C’est ce que regrettent aussi bien l’ensemble des rapporteurs spéciaux que les magistrats de la Cour des comptes.
La question des fonds sans personnalité juridique a également été évoquée à plusieurs reprises. Ces fonds sont problématiques, car ils ne répondent pas à des règles de gouvernance bien établies. En outre, le suivi des dépenses qu’ils effectuent est souvent imparfait. Ainsi, la manière dont le fonds pour l’innovation et l’industrie consomme – ou plutôt ne consomme pas – les crédits qui lui ont été attribués a été dénoncée. Dans le contexte actuel, où les recettes se font rares et où leur utilisation pertinente est cruciale, la question est extrêmement pertinente.
L’impact de la crise a été mesuré par les rapporteurs spéciaux avec grand soin – même s’il s’agissait, comme je l’ai dit en préambule, d’un exercice d’évaluation tout à fait particulier.
L’évolution de certaines missions budgétaires démontre que les amortisseurs sociaux ont joué à plein pendant cette période encore en cours, en particulier la mission « Cohésion des territoires », qui englobe les aides au logement, ou encore la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui finance certaines prestations sociales.
Beaucoup d’opérateurs de l’État, ont relevé de nombreux rapporteurs spéciaux, devraient connaître une baisse significative de leurs ressources, aussi bien dans le champ de l’enseignement que dans celui de la culture – moins 80 millions d’euros pour le Louvre, moins 40 millions d’euros pour Versailles par exemple –, des transports ou de l’export. On voit bien que ces opérateurs vont connaître au moins une année difficile, ce qui pose la question de l’ampleur et des modalités du soutien financier dont ils auront besoin. Faudra-t-il uniquement apporter des crédits budgétaires, ou bien augmenter les plafonds de certaines taxes affectées, voire en créer de nouvelles – ce que je ne recommande pas ? Notre rapporteur spécial pour les crédits du programme « Patrimoines », Gilles Carrez, a formulé une proposition, tout à fait intéressante, relative aux grands établissements culturels pour lesquels les pertes de recettes sont considérables : il faudrait autoriser ces opérateurs à emprunter des fonds auprès du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations. Le livret A déborde d’argent non utilisé : utilisons-le à bon escient, cela coûterait nettement moins cher que de rémunérer des ressources qui ne financent rien et ne rapportent par conséquent rien. La crise pourrait également frapper de plein fouet les budgets de certaines administrations de l’État, qui sont déjà contraints et fragiles.
Sans surprise, la crise fragilise aussi les finances des collectivités territoriales, tant en recettes qu’en dépenses. On peut craindre que dans ce cadre, elle accentue les difficultés rencontrées et rende encore plus malaisée l’atteinte des objectifs des politiques publiques. Vous tentez d’y répondre, monsieur le ministre, au travers de ce troisième projet de loi de finances rectificative, qui propose un soutien tout à fait exceptionnel aux collectivités locales dès 2020.
Pour autant, cette faiblesse d’ensemble pourrait être transformée en atout, sinon en force, si la crise nous conduisait à trancher, à faire explicitement des choix en faveur de certaines dépenses et, à l’inverse, à abandonner ou à réduire certaines autres. Il y a urgence à rationaliser nos dépenses. Cela signifie évidemment qu’il va falloir réexaminer la priorité de mesures qui avaient été introduites dans le budget 2020. Pertinentes voire indispensables il y a six mois, le sont-elles encore aujourd’hui ? On peut penser, par exemple, à l’augmentation de la taxe de solidarité sur les billets d’avion. De même, la réforme de la réduction d’impôt pour le mécénat des entreprises, largement débattue ici même et que l’on pouvait déjà considérer comme un risque pour le maintien du niveau du mécénat, ne devient-elle pas problématique dans le contexte actuel ? Tout à fait ! Je terminerai en rappelant que l’on voit souvent ce qu’on a envie de voir, que l’on démontre souvent aussi ce qu’on a décidé de démontrer, mais que je crois néanmoins, avec plus de force encore, que cette crise montre que les solutions pour la France ne sont pas une question de moyens, mais d’affectation des moyens. La crise a montré que la France dépense plus que beaucoup d’autres pays dans de nombreux secteurs, en fait presque tous, notamment dans celui de la santé. Mais le rapport coût-efficacité est-il le bon ? C’est la question-clef de tout dispositif d’évaluation des politiques publiques. La réponse n’est pas dans l’augmentation cumulée et permanente des moyens, mais bien dans l’efficacité des moyens alloués et donc dans leur répartition, c’est-à-dire dans l’organisation. L’accumulation des moyens est un alibi pratique pour masquer les faiblesses, la rigidité et la lourdeur de nos organisations. Si nous pouvions tirer les enseignements de cette crise, au moins dans la priorisation de nos dépenses publiques, la France ferait un grand pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Charles de Courson applaudit également.) La parole est à M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Je suis sûr qu’il est d’accord avec Éric Woerth ! Cette troisième édition du printemps de l’évaluation fut bien entendu particulière. La commission des finances a toutefois su s’adapter rapidement, en centrant ses travaux sur le thème de l’impact de la crise sanitaire du covid-19 sur les crédits et sur les politiques publiques financées par l’État. Je souligne la grande qualité des travaux des rapporteurs spéciaux – j’ai pu la constater lors des quatre grandes réunions d’évaluation des politiques publiques qui ont eu lieu. Je les remercie à nouveau pour leurs études fouillées, pour cette expertise que chacun d’entre eux a désormais acquise et qui nous est extrêmement précieuse. Grâce à eux, en dépit des circonstances exceptionnelles, cet exercice de la commission des finances est encore monté en puissance cette année. Rappelons que nous avons bénéficié du concours du Gouvernement, que je remercie d’avoir déposé plus tôt les rapports annuels de performances pour permettre aux parlementaires de disposer d’un temps d’analyse plus long, ce qui est utile et a été apprécié. Parallèlement, la Cour des comptes a avancé la publication de ses notes d’exécution budgétaire et de son rapport sur le budget de l’État. Je remercie ses magistrats pour les efforts qu’ils ont consentis afin que le Parlement dispose d’une information de qualité et exploitable dans des délais corrects. Le printemps de l’évaluation s’installe durablement et je souhaite que nous poursuivions sur cette lancée l’année prochaine.
Au-delà de l’exercice d’évaluation des politiques publiques, le printemps de l’évaluation a permis depuis sa création de renforcer le contrôle de l’exécution budgétaire. Cet aspect n’est en rien à négliger, car c’est en s’interrogeant sur les bonnes comme sur les mauvaises surprises d’une exécution budgétaire que le Parlement renforce la portée de l’autorisation parlementaire. Je le répète une fois de plus : il faut faire plus de printemps, moins d’automnes (Sourires) , davantage contrôler et évaluer, passer moins de temps à autoriser.
La sincérisation de la programmation et l’assainissement de la gestion depuis 2017 ont permis une exécution conforme de la programmation en 2019, comme nous l’évoquerons lors de l’examen de la loi de règlement et comme, du reste, la plupart des rapporteurs, sur tous les bancs de notre assemblée, ont pu le constater à propos des programmes dont ils ont la charge.
Les dépenses de l’État ont augmenté de 6 milliards d’euros en 2019, ce qui s’explique notamment par la hausse de 4 milliards d’euros des crédits dédiés à la prime d’activité. Les CEPP, les commissions d’évaluation des politiques publiques, ont permis d’apporter des premiers éléments quant aux principaux écarts observés par rapport à la prévision. Je retiens ainsi, pour la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », rapportée par Stella Dupont, le dynamisme imprévu de la prime d’activité et de l’allocation pour adulte handicapé, dont la prévision est censée s’améliorer en 2021. La mission « Travail et emploi » a, elle aussi, été sur-exécutée, ce qui s’explique notamment par l’abondement d’un fonds de concours pour financer le plan d’investissement dans les compétences, comme l’a rappelé Marie-Christine Verdier-Jouclas. Certains programmes connaissent des dépassements plus récurrents, ce qui fragilise d’ailleurs la portée de la programmation. Jean-Noël Barrot nous a montré que tel était le cas pour le financement de l’allocation pour demandeur d’asile.
Plusieurs sous-exécutions, en revanche, ont interpellé les rapporteurs spéciaux. C’est en partie le cas de la mission « Action et transformation publiques », dont j’ai précédemment été rapporteur et qui est aujourd’hui rapportée par Benjamin Dirx. Même si la dynamique de transformation progresse, je partage sa déception devant le faible rythme d’investissement. Il faut redonner de l’ambition à cette mission, la rendre plus agile et rendre plus efficaces les programmes de transformation publique. De même, la mission « Outre-mer » connaît des sous-exécutions non négligeables pour la deuxième année consécutive, comme l’a fait remarquer Olivier Serva. Un effort doit certainement être réalisé en matière de programmation, avec une amélioration de la maîtrise d’ouvrage pour les investissements portés par le programme « Conditions de vie outre-mer ».
Pour ce qui est du thème d’évaluation des rapporteurs spéciaux – l’impact de la crise en 2020 –, je ne dresserai pas plus qu’Éric Woerth la liste de ces impacts mission par mission : je n’en aborderai que quelques-uns.
L’impact de la crise sur le budget de l’État reflète tout d’abord ses conséquences sur les secteurs les plus touchés. Le rapport d’Émilie Bonnivard sur le tourisme… Très bon rapport ! …dresse ainsi un constat réaliste de la situation très difficile de ce secteur et de ses perspectives inquiétantes à moyen terme. Je ne souscris pas à toutes les propositions de ce rapport, mais nous partageons l’objectif de soutenir ce secteur essentiel. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen du prochain PLFR, ou projet de loi de finances rectificative, et d’accompagner encore davantage ce secteur. Le plan annoncé par le Gouvernement va dans le bon sens, mais nous pouvons faire plus.
Le tissu de nos TPE et PME est fragilisé par la crise. Xavier Roseren et Olivia Gregoire dessinent plusieurs orientations pour soutenir leur trésorerie, notamment pour ce qui concerne les délais de paiement. Les rapporteurs spéciaux n’ont pas vraiment été convaincus par l’usage du fonds pour l’innovation et l’industrie,… C’est peu dire ! …que la Cour des comptes avait déjà critiqué à plusieurs reprises et à l’égard duquel Valérie Rabault, rapporteure du CAS – compte d’affectation spéciale – « Participations financières de l’État », avait, elle aussi, émis régulièrement des critiques.
Les Français de l’étranger ont été durement touchés par les conséquences de la crise et la mission « Action extérieure de l’État », rapportée par Vincent Ledoux, a été sollicitée en conséquence. Le rapatriement, durant les dernières semaines, de quelque 190 000 Français de passage à l’étranger sera budgétairement retracé dans cette mission. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé un plan de soutien sanitaire et social des Français résidant à l’étranger et un plan d’aide d’urgence aux réseaux de l’enseignement français à l’étranger, qui nécessiteront l’ouverture de crédits supplémentaires et que nous examinerons très bientôt dans le cadre du troisième PLFR.
Le covid-19 a, malheureusement, un impact sur les plus fragiles d’entre nous. Le Gouvernement a pris des mesures visant à renforcer l’hébergement d’urgence, comme la prolongation de la trêve hivernale jusqu’au 10 juillet, l’augmentation du nombre de places disponibles pour les sans-abri ou l’ouverture de centres d’hébergement spécialisés pour les malades du covid-19. François Jolivet a estimé qu’au total, la sur-exécution des dépenses d’hébergement d’urgence pourrait s’élever à 400 millions d’euros environ. L’enjeu est maintenant la gestion de la sortie de crise sur ce point très sensible et, comme l’a très justement relevé le rapporteur spécial, l’un des problèmes à traiter sera la clarification des compétences sur le terrain entre le ministère de l’intérieur et le ministère du logement.
Malgré l’impact budgétaire considérable de la crise sur les finances de l’État, et donc sur l’encours de la dette – je vous donne rendez-vous un peu plus tard ce mois-ci pour la présentation de la mission flash sur l’endettement public –, Bénédicte Peyrol a rappelé, en qualité de rapporteure spéciale, qu’il était, à ce jour, prévu que la charge de la dette de l’État atteigne un niveau très faible, inférieur à celui de 2009. Cette situation, qui peut paraître paradoxale – nous nous endettons plus et la charge de la dette coûte moins cher –, s’explique notamment par l’action décisive de la Banque centrale européenne et par la bonne perception qu’ont les marchés du potentiel de rebond de notre pays. La « signature française », comme on dit, est encore excellente sur les marchés financiers. Il faut s’en réjouir et en profiter, sans pour autant… En abuser ! …en abuser – ou, plutôt, sans perdre de vue l’importance du remboursement d’une dette in fine. Nous sommes d’accord là-dessus.
Il existe une incertitude quant à l’impact budgétaire des appels en garantie de l’État qui seraient financés par la mission « Engagements financiers de l’État ». Nous en avons également parlé avec Bénédicte Peyrol et nous devrons suivre cette question avec attention. En fait, le problème n’est pas tant le niveau de dette que de savoir ce que finance l’endettement. De nombreux efforts d’investissement public ont été réalisés depuis 2017 dans de nombreux domaines, comme l’éducation, la solidarité, la justice, la défense, la police ou la transition écologique, et nos rapporteurs spéciaux ont montré qu’il existait des politiques publiques pour lesquelles les moyens pouvaient être mieux utilisés – faire mieux, parfois avec moins, parfois avec autant et, parfois encore, avec le besoin d’un peu d’investissement. En les écoutant, je constate cependant qu’il existe encore des besoins structurels à renforcer ou à transformer. Nous avons en effet des besoins en investissements pour améliorer la qualité de nos services publics et poursuivre les efforts réalisés. Certains pans de nos politiques publiques n’ont pas pu être transformés parce que nous n’avons pas su injecter l’investissement qui était alors nécessaire. Or, nous pouvons aussi profiter de la sortie de la crise en utilisant l’endettement pour choisir des pans de politiques publiques dans lesquels nous pouvons investir. Il n’y faut pas nécessairement beaucoup d’argent, mais cela peut être un déclic pour susciter un effet de levier en termes de transformation publique et d’investissement privé. Il nous est donc indispensable de redéfinir et de nous réapproprier les priorités collectives qui peuvent assurer notre cohésion sociale et nationale et dans lesquelles nous devons investir lors de l’examen des prochains textes financiers de notre mandat.
Mes chers collègues, j’ai la conviction que ce printemps de l’évaluation a été un exercice effectif et utile, un peu moins médiatisé et moins visible que les autres années, car il a été réalisé sur Zoom,… Des rapports ont été oubliés ! …mais je vous assure que nous pourrons mettre à profit ce travail dans les semaines et les mois qui viennent, et je vous donne rendez-vous tout de suite après pour l’examen du projet de loi de règlement et, surtout, pour le troisième PLFR, et encore plus… Vous n’avez pas cité Marc Le Fur ! (Sourires sur les bancs du groupe LR.) Mais le président l’avait fait et vous avez bien vu que nous nous complétons ! Je vous donne surtout rendez-vous, disais-je, à l’automne pour le PLF, le projet de loi de finances, afin que nous puissions utiliser ce travail pour mieux autoriser le budget pour les années suivantes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et Agir ensemble.) La parole est à M. Fabien Roussel, premier orateur inscrit. La révolution arrive ! Donner plus de contrôle et de pouvoir aux parlementaires : qui, dans cet hémicycle, pourrait s’opposer à une telle ambition ? En tout cas, l’objectif affiché à l’occasion de la création de ce printemps de l’évaluation aurait pu être de nature à nous rassembler. Malheureusement, le compte n’y est pas, pour des raisons qui tiennent à la fois à la forme et, cette année, aux circonstances exceptionnelles que nous traversons.
Sur la forme, d’abord, la plus grande partie des rapports spéciaux revenant à la majorité, il est très difficile pour les députés communistes de faire entendre leur voix. Ainsi, sur les quarante-cinq rapports spéciaux édités cette année, un seul, celui de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation », est revenu à un député de notre groupe, mon ami Jean-Paul Dufrègne. (M. Jean-Paul Dufrègne applaudit.) Mais avec quel succès ! Avec quel succès, en effet ! M. Dufrègne aussi est un ancien combattant ! (Sourires.) Sans autre rapporteur, et avec ce seul rapport, notre groupe ne dispose pas des moyens d’exercer cette mission et, sans rapporteur, nous ne disposons que de deux minutes d’intervention sur les diverses missions. Deux minutes, monsieur le ministre, pour juger et pour évoquer des centaines de millions d’euros, voire des dizaines de milliards ! Comment pouvons-nous, en deux minutes, exposer notre point de vue sur des budgets qui ont des conséquences directes sur la vie de nos concitoyens et sur notre pays ? Justement, vous perdez du temps ! Dans de telles conditions, le contrôle de l’action gouvernementale tient plus d’une succession d’auto-satisfecit que d’un véritable échange avec les parlementaires dans toute leur diversité. C’est là un premier regret.
Mais il y a plus regrettable encore que ces problèmes de forme. Dans le contexte actuel, décider d’évaluer les conséquences du raz-de-marée budgétaire lié à la gestion de la crise du covid-19 ne souffrait aucune contestation. Évidemment, de fortes dépenses imprévues ont dû être engagées et leur contrôle par les parlementaires relève de l’évidence. Mais là encore, malheureusement, il y a un gouffre entre les paroles et les actes. En vertu de l’état d’urgence, que nous souhaitons voir rapidement levé, de nombreuses mesures ont été prises sans que nous, parlementaires, puissions réellement exercer de contrôle ni apporter de contributions. Je pense par exemple aux 20 milliards d’euros d’aides débloqués aux secteurs stratégiques et aux grandes entreprises telles qu’Air France, Renault et, dernièrement, Airbus. C’est très bien, mais à quelles conditions ces aides ont-elles été versées, et selon quels critères ? Nous n’avons pas pu en débattre ici. Il en va de même pour les aides aux plus démunis, qui représentent 890 millions d’euros dans le dernier PLFR : il est impossible de parler ni du montant de l’aide, ni de sa fréquence, ni des personnes ciblées. À chaque fois, malheureusement, les députés sont sollicités pour voter ces crédits énormes, mais sans pouvoir intervenir sur les critères d’attribution ni sur le montant ou le périmètre de ces aides.
Pendant ce temps, certaines grandes multinationales, notamment dans les secteurs de l’automobile et du textile – dont celles de notre région, monsieur le ministre –,… En effet ! …se servent de la crise actuelle pour déployer des plans sociaux prévus de longue date. Il est regrettable que l’État ne soit pas plus exigeant envers elles. C’est vrai ! Il aurait fallu, en quelque sorte, que l’État pose des gestes barrières face à ceux qui cherchent à faire financer par l’argent public leurs destructions d’emplois et la délocalisation d’une part de leur activité. Comment peut-on imaginer, par exemple, que Renault, entreprise détenue à 15 % par l’État, puisse détruire 4 600 emplois et fermer des usines en France avec notre argent, l’argent des contribuables, alors que cette entreprise avait déjà annoncé ces plans sociaux au mois de février ? Je pourrais ajouter à cette liste Conforama, Camaïeu, le groupe Vivarte, et même Arc International qui, si nous n’intervenons pas rapidement, pourrait délocaliser une partie de sa production en Russie ou aux Émirats Arabes Unis.
Il est donc urgent de reprendre le contrôle, de mieux contrôler l’argent public versé aux entreprises, notamment aux plus grandes, pour que cela serve le pays en développant l’emploi et en le maintenant en France. C’est dans cet esprit que nous proposons – voilà la révolution ! – de nationaliser enfin une grande banque systémique dans notre pays,… Ah ! Ça, c’est moderne ! …afin de pouvoir aider directement nos PME et TPE, dont certaines ne peuvent pas bénéficier du PGE, le prêt garanti par l’État, et d’intervenir dans le capital des groupes, alors que la BPI, la Banque publique d’investissement, ne le fait pas puisque, comme on le sait bien ici, elle n’aide que ceux qui vont bien, et non pas ceux qui souffrent. Oh, arrêtez ! C’est fou ! L’argent public, celui de nos impôts, doit servir à défendre les intérêts de la nation, et non pas ceux du marché et de la finance.
Voilà ce dont nous aurions aimé parler lors de ce printemps de l’évaluation. Or, dans un tel exercice, nos marges de manœuvre sont bien faibles, quand le budget de la nation lui-même est soumis à l’approbation de la Commission européenne. C’est la vérité, et il faut le dire !
C’est aussi au printemps que la France, au nom du pacte de stabilité, a l’obligation de transmettre à Bruxelles nos projets de finances publiques, de dépenses et de croissance. À la fin de l’année, nous devons aussi envoyer à Bruxelles le budget de la France, en espérant obtenir une bonne note, si ce n’est même en croisant les doigts dans l’espoir de ne pas recevoir un coup de règle. Cette soumission du budget de la nation à la Commission européenne est tout à fait inacceptable. Où sont la souveraineté de la France et celle du Parlement dans les choix que nous voulons faire ?
Nous avons célébré, le 29 mai dernier, le quinzième anniversaire du référendum sur la constitution européenne, rejetée par 54,6 % des Français, référendum qui gravait dans le marbre d’un traité constitutionnel européen la perte de souveraineté de la France et la mise de notre pays sous tutelle de l’Europe et des marchés financiers.
Nous sommes de ceux qui ont toujours défendu l’indépendance de notre pays et la souveraineté de notre peuple, pour traduire tout simplement notre volonté de rester maîtres de nos choix politiques et budgétaires, sans subir les diktats des marchés financiers et des politiques d’austérité de la Commission européenne, ni les diktats d’autres pays. Avec d’autres dans notre pays, nous avons mené ce combat au nom des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui forment tout l’héritage de la Révolution française.
C’est la raison pour laquelle nous refusons toujours aujourd’hui l’abandon de nos prérogatives fondamentales, celles qui permettent à une nation d’adopter son propre budget, répondant aux attentes de ses citoyens, sans être obligée d’appliquer des réformes imposées par l’Union européenne ou d’autres politiques d’austérité, comme le prévoyait le traité constitutionnel de 2005.
C’est pourquoi nous disons qu’il serait temps que la France agisse en faveur d’une autre Europe, notamment en choisissant d’autres critères d’utilisation des richesses de notre pays et de l’Union européenne. La pandémie a exposé au grand jour les failles insupportables d’un système entièrement tourné vers le profit et la compétition. Ce modèle est incapable de répondre aux attentes sanitaires et sociales des peuples européens. Celui auquel nous aspirons suppose d’autres priorités, au service de l’homme et de la planète. C’est pourquoi nous répétons que ce n’est pas au peuple ni au monde du travail de payer la crise, y compris à travers une dette – en augmentation – qui a été contractée auprès des marchés financiers.
Nous serons donc très vigilants sur l’utilisation des deniers publics. Le calendrier du printemps de l’évaluation nous impose de rendre nos conclusions aujourd’hui, alors que nous sommes encore en plein cœur de la crise et qu’un nouveau projet de loi de finances rectificative a été présenté ce matin en conseil des ministres et à l’instant en commission des finances. Je tiens à souligner que dans ces PLFR qui s’enchaînent, nous, députés, ne disposons d’aucune marge de manœuvre pour augmenter la dépense publique et créer une charge dans le budget : l’article 40 bride immanquablement le Parlement.
Nous ne pouvons ainsi que déplorer le manque de démocratie dans la gestion du budget. Au lieu de nous cantonner dans l’opposition, voyez-nous plutôt comme une composante de cette assemblée, qui représente une partie des convictions qui s’expriment dans le pays. Nous ne sommes pas dans l’opposition, nous sommes une force de proposition et nous voulons tout simplement exprimer ici le point de vue d’une partie de la population.
Comme je l’ai dit au début de mon intervention, nous ne pouvons que saluer les intentions du printemps de l’évaluation. Toutefois, nous lui adressons aussitôt, et c’est de saison, une appréciation en forme d’encouragement : « peut– nettement – mieux faire ». Le chemin à parcourir, à vrai dire, est encore long avant que non seulement cet exercice soit à la hauteur des attentes des Français, mais aussi qu’il accorde aux parlementaires un véritable pouvoir de contrôle, en respectant la pluralité de leurs voix. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.) Excellent ! La parole est à M. Joël Giraud. Monsieur le ministre, lors de la dernière séance consacrée à l’examen du projet de loi de finances pour 2020, vous m’aviez dit : « L’amour dure trois ans ». Cette année, le printemps de l’évaluation souffle sa troisième bougie, dans un contexte très particulier. Nous pouvons dire, je crois, que cet exercice, désormais bien installé dans le paysage de notre assemblée, durera plus longtemps que l’amour et perdurera au-delà même de notre mandat.
En tant qu’ancien rapporteur général du budget, je suis fier d’avoir contribué à ancrer, avec l’aide du président Woerth et grâce à l’impulsion initiale de la première whip de la commission des finances du groupe LaREM, Amélie de Montchalin, cet exercice d’évaluation à la fois exigeant et complet de nos politiques publiques.
« Évaluer, c’est créer » disait Nietzsche. L’évaluation des politiques publiques n’est pas qu’un simple exercice de contrôle administratif, mais vise aussi à donner la garantie à nos concitoyens qu’ils bénéficient bel et bien des politiques que nous votons. L’évaluation relève donc de la politique au sens noble du terme.
Évaluer, c’est s’assurer que lorsque la représentation nationale vote des crédits pour embaucher des professeurs, ceux-ci sont bel et bien présents dans les classes de nos enfants, que lorsque nous augmentons la prime d’activité, des millions de foyers modestes de Marseille, de Tourcoing ou de Briançon puissent mettre un peu de beurre dans les épinards… Très bien ! …ou encore que lorsque nous souhaitons améliorer la compétitivité du pays, des milliers d’entrepreneurs puissent travailler plus librement.
Évaluer, c’est aussi diagnostiquer. C’est traduire au sein de notre honorable assemblée autant les réelles avancées que nous constatons chaque année – et ce quelle que soit la couleur de la majorité, bien évidemment – que les difficultés que vivent nos concitoyens, qu’ils soient salariés, artisans, commerçants, fonctionnaires ou chefs d’entreprise. Là où bat le cœur de la République, le réel doit toujours transparaître.
Évaluer, c’est aussi progresser. Je constate notamment que cette année, malgré un contexte particulièrement difficile, nos rapporteurs spéciaux ont produit un remarquable travail – signe, je crois, que la représentation nationale dans son ensemble s’est emparée du printemps de l’évaluation. Quelque chose me dit que la montée en puissance de cet exercice n’est donc pas terminée et qu’au fil du temps, son importance ira croissant – je tenais à rassurer l’orateur du groupe communiste sur ce point.
Du point de vue des trois années écoulées, je souhaite que nous retenions que nous avons simultanément permis à l’économie française de redémarrer et au pouvoir d’achat des ménages d’augmenter, et que nous avons baissé les impôts tout en assainissant nos finances publiques. Pas mal ! Nous avons en quelque sorte réalisé la quadrature du cercle des finances publiques françaises. Alors que notre pays et ses partenaires européens étaient en voie de divergence, la France est redevenue, avant la crise, le moteur économique de l’Europe.
Cela nous a permis d’aborder la crise du covid-19 dans une situation relativement bonne et de financer, dans d’excellentes conditions, des mesures massives de soutien aux entreprises et aux ménages. Si nul ne peut prédire de quoi demain sera fait, je sais, en tout état de cause, que notre pays possède les bases fondamentales pour faire face aux grands défis qui l’attendent : le changement climatique, la construction européenne et l’amélioration de la cohésion sociale.
« Entre possible et impossible, deux lettres et un état d’esprit » : faisons nôtres ces mots du général de Gaulle. Soyons ses dignes héritiers face aux difficultés qui nous attendent. Pour ma part, je suis optimiste. Notre pays a toujours réussi à traverser les épreuves qu’il a connues et à en ressortir beaucoup plus fort. Nous avons su créer la sécurité sociale au lendemain des horreurs de la deuxième guerre mondiale. Nous saurons créer demain un monde plus durable et plus solidaire tout en conservant une stabilité financière qui est la pierre angulaire de notre indépendance et de notre souveraineté.
Contrairement à un ancien Président de la République, j’ignore si, grâce aux forces de l’esprit, nous ne nous quitterons pas. Je suis en tout cas fier que nous puissions léguer en héritage à notre assemblée ce complément de l’automne de la législation que nous appelons le printemps de l’évaluation, et ce au service des Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à Mme Véronique Louwagie. La troisième édition du printemps de l’évaluation s’est déroulée sous une forme et dans un contexte inédits. En effet, les rapporteurs spéciaux de la commission des finances ont mis de côté les travaux d’évaluation qu’ils avaient engagés dans le but de procéder à un premier diagnostic de l’incidence financière de la crise sanitaire.
Le groupe Les Républicains approuve l’orientation retenue. Ses huit rapporteurs spéciaux ont pris part à cette tâche sans en méconnaître les limites. En tant que rapporteure spéciale de la mission « Santé » et au vu du contexte actuel, je souhaite plus particulièrement vous rendre compte des travaux que j’ai menés sur l’EPRUS, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, qui, de 2007 à 2016, a assuré la gestion de la réserve sanitaire et des stocks sanitaires stratégiques civils avant d’être absorbé dans Santé publique France.
La semaine dernière, j’ai brièvement exposé les conclusions de ce travail devant la commission des finances. Je souhaite à présent les développer devant vous, après avoir observé que dans son rapport, la mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de coronavirus a considéré que l’intégration de l’EPRUS au sein de Santé publique France avait « suscité des critiques depuis le début de la crise ».
Dans ce contexte, il est bon de répondre à quelques questions simples. Quand et pourquoi l’EPRUS a-t-il été créé ? Quel est le bilan de ses actions ? Pourquoi a-t-il été supprimé ? Pour répondre à ces interrogations, j’ai consulté les débats et les travaux parlementaires ainsi que les rapports de la Cour des comptes, en m’arrêtant à l’année 2016 pour ne pas interférer avec les travaux de la mission d’information et de la commission d’enquête.
Je reviens à ma première question. L’EPRUS a été créé en 2007 à la suite de l’adoption d’une proposition de loi déposée par le sénateur UMP Francis Giraud. Notre collègue était parti d’un constat simple : alors que les menaces sanitaires s’accroissaient, notre dispositif pour y répondre n’était pas adapté, comme l’avait rappelé l’épisode dramatique de la canicule. La loi du 5 mars 2007, adoptée à l’unanimité, entraîna la création de l’EPRUS, auquel fut confiée une double compétence : l’organisation de la réserve sanitaire, qui venait d’être instituée, et la gestion des stocks sanitaires stratégiques civils. L’EPRUS connut son baptême du feu en 2009, au moment de la grippe A, avant de poursuivre sa mission jusqu’au 1er mai 2016.
Avec le recul, quel est son bilan ? Il est positif concernant la gestion des stocks sanitaires, puisque l’EPRUS a su constituer des stocks importants et variés avant de les réduire sous l’effet d’une nouvelle doctrine gouvernementale. Il est en revanche en demi-teinte concernant la gestion de la réserve sanitaire. Celle-ci devait regrouper 10 000 professionnels ; or en 2015, seuls 2 500 la composaient, dont à peine 326 avaient été mobilisés au cours des douze mois précédents.
Ce bilan nuancé des actions de l’EPRUS, associé à la volonté de simplifier l’organisation sanitaire, explique la suppression de cet établissement en 2016. S’il ne s’est pas opposé à celle-ci, le Parlement a assorti son accord d’une double recommandation : maintenir la souplesse de fonctionnement des équipes de l’ex-EPRUS au sein de Santé publique France et préserver les moyens financiers dédiés à l’accomplissement de leurs missions. Selon l’un de ses anciens directeurs généraux, l’EPRUS était « un commando sanitaire de vingt à trente personnes ». Santé publique France est une structure de 500 personnes, ce qui présente des avantages et des inconvénients.
Mes recherches s’arrêtant à l’année 2016, je n’ai pas essayé de savoir si les recommandations formulées par le Parlement avaient ou non été suivies d’effets. Il appartiendra à la commission d’enquête de mener ce travail afin de savoir si, oui ou non, ce commando sanitaire a été désarmé ces dernières années. Il est très important que nous puissions exercer un contrôle non seulement sur l’application de la loi, mais aussi sur la prise en considération des recommandations formulées par le Parlement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.) La parole est à M. Jean-Noël Barrot. Nous voici rassemblés pour la troisième édition du printemps de l’évaluation, une initiative institutionnelle qui répond à la promesse et à la volonté du Président de la République de donner corps à cette prérogative constitutionnelle de notre assemblée. Nous mesurons, année après année, l’utilité et l’importance de ce nouveau rendez-vous dans le calendrier parlementaire, tant il contribue à alimenter un cercle vertueux, de l’évaluation des politiques publiques à l’action politique.
Le Parlement se grandit et s’honore quand il contrôle et évalue l’exécution du budget de la nation et les politiques publiques au nom du peuple français. « C’est leur évaluation qui fait des trésors et des joyaux de toutes choses évaluées. C’est par l’évaluation que se fixe la valeur : sans l’évaluation, la noix de l’existence serait creuse. » Ainsi parlait, dans sa grande sagesse, Zarathoustra, auquel Joël Giraud faisait référence il y a quelques instants. Encore Nietzsche ! Fallait-il, en cette année marquée par une triple crise sanitaire, économique et sociale, renoncer à nous livrer une fois encore à l’exercice ? C’eût été une erreur, et je me félicite, avec les députés du groupe MODEM et apparentés, que le président de la commission des finances et son rapporteur général aient souhaité nous inviter à évaluer, en même temps que l’exécution du budget 2019, l’impact de la crise sur celle du budget 2020, à mi-parcours.
S’agissant de l’exécution 2019, nous avons plusieurs motifs de satisfaction. Pour la deuxième année consécutive, le Gouvernement s’est passé de décrets d’avance, ce qui n’était pas arrivé depuis trente ans. Sur 214 recommandations de la Cour des comptes ayant fait l’objet d’un suivi en 2018, plus de la moitié ont été intégralement ou partiellement suivies. Les sous-budgétisations identifiées par la Cour s’établissent à 1,4 milliard d’euros sur 330 milliards de dépenses, soit moins de 0,5 %, un niveau très inférieur à celui des années précédentes.
Il reste néanmoins du chemin à parcourir. Comme le rappelle la Cour des comptes, un quart du financement des politiques publiques ne transite pas par le budget général de l’État, ce qui ne facilite ni le pilotage, ni l’évaluation de ce dernier. Sont ainsi concernés les dépenses fiscales, pour 100 milliards d’euros, les impôts et les taxes affectés, pour 30 milliards, et les fonds sans personnalité juridique, dont nous avons eu l’occasion de débattre.
Par ailleurs, même si les sous-budgétisations peuvent désormais être considérées comme un vestige du passé, ou de l’ancien monde, comme disent certains, elles continuent néanmoins de troubler la gestion de deux missions en particulier.
Il s’agit en premier lieu des crédits programmés pour financer les opérations extérieures et les missions intérieures du ministère des armées. Ils restent inférieurs de 445 millions d’euros aux besoins constatés. Cependant, et c’est heureux, la sous-dotation atteint en 2019 son niveau le plus bas depuis 2012, grâce à l’augmentation progressive de la provision inscrite en loi de finances initiale.
En second lieu, l’aide aux demandeurs d’asile fait l’objet d’une sous-budgétisation chronique depuis onze ans. Je me permets de m’attarder sur ce sujet qui se trouve au cœur de la mission dont je suis corapporteur avec Stella Dupont.
Cette dépense est systématiquement sous-évaluée lors de la conception de la maquette budgétaire, en dépit des alertes récurrentes de la Cour des comptes et des rapporteurs spéciaux qui nous ont précédés. L’origine de ce mystère se trouve sans doute dans une sous-estimation de la croissance du nombre de demandes d’asile et dans une surestimation de la capacité de l’administration à faire baisser les délais de traitement de la demande d’asile.
Nous avons donc demandé au ministère de l’intérieur de nous transmettre sa méthode de calcul dans le moindre détail, pour que nous puissions en discuter lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021. La sur-exécution du programme 303 « Immigration et asile » ne poserait pas de problème si elle n’était pas systématiquement compensée par une sous-exécution, également chronique, de l’autre programme de la mission, le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Soyons attentifs à ce que ce dernier programme, dont les crédits ont été largement réévalués depuis deux ans, conformément aux engagements du Gouvernement en faveur de l’intégration des réfugiés, puisse être pleinement exécuté et à ce que les politiques sous-jacentes puissent avoir leur plein effet !
S’agissant maintenant de l’impact de la triple crise que nous traversons sur l’exécution du budget, je voudrais m’arrêter un instant sur les éléments notables mis en relief par les rapports spéciaux des députés du groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
Mon collègue Bruno Duvergé a travaillé sur le budget de la sécurité civile, budget fortement sollicité au cours de la crise, que ce soit pour soutenir l’activité opérationnelle des sapeurs-pompiers ou celle des moyens de transport, en particulier des hélicoptères, qui ont permis de répartir de façon très rapide les patients en divers points du territoire. Notre collègue conclut que l’exécution budgétaire 2019 a été rigoureuse. Toutefois, comme chaque année, des tensions sont apparues s’agissant des dépenses d’intervention, tensions qui risquent d’être renforcées en 2020. Le confinement et les règles sanitaires ont aussi rendu plus complexe l’organisation de la lutte contre les incendies de forêt. Nous porterons une attention particulière à ce sujet dans les prochains mois.
Mohamed Laqhila a rendu un rapport spécial sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville, fortement frappés par le covid-19. Dans ces quartiers, l’État a mené une action rapide pour soutenir les populations les plus fragilisées et assurer une continuité pédagogique absolument déterminante. Les quartiers concernés par la politique de la ville, parfois plus sévèrement touchés par la crise que d’autres, devront faire l’objet d’une attention toute particulière au moment du plan de relance. L’évaluation des politiques existantes menée par notre collègue – en particulier celle de la politique de dépenses fiscales, dont l’efficacité reste à prouver – doit permettre de cibler au mieux cette relance.
Le rapport spécial de Jean-Paul Mattéi porte sur le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ». Notre collègue s’est interrogé sur l’équilibre financier de ce compte d’affectation spéciale. Si les cessions immobilières ont permis de créer un excédent confortable, les redevances domaniales restent encore trop faibles – elles le seront encore plus en 2020, du fait de la crise sanitaire. Cette dernière permet toutefois d’envisager un changement de paradigme dans la politique immobilière de l’État. Les nouvelles pratiques de travail, dont le télétravail, développé au cours de la crise, ainsi que la transformation numérique dans la relation aux administrés, plus que jamais nécessaire, doivent nous encourager à repenser la manière dont l’État doit gérer son patrimoine immobilier.
Sarah El Haïry a travaillé sur des sujets qui lui tiennent à cœur : la jeunesse et la vie associative. Ses travaux permettent de souligner l’excellent travail du fonds d’expérimentation pour la jeunesse, fonds que nous souhaitons voir élargi dans les prochaines années. La triple crise que nous traversons a aussi été un moment de fraternité pour nos concitoyens, ce qui se traduit par leur très fort engagement. Face à la crise sanitaire, les Français ont répondu par une volonté décuplée de venir en aide à leurs compatriotes, en particulier grâce au dispositif de la réserve civique. Cette volonté d’engagement pourrait toutefois conduire à de nouvelles dépenses, qu’il faudra le cas échéant financer.
Plus largement, la crise sanitaire a montré à quel point les associations sont indispensables à la vie de la nation. Elle a aussi fragilisé les ressources et les trésoreries des associations, et le groupe du Mouvement démocrate et apparentés sera attentif à cette problématique.
Je souhaite remercier les agents des administrations centrales et déconcentrées, les personnels de l’État qui ont géré dans l’urgence et dans les conditions imposées par la crise sanitaire des aides inédites, et mené des missions qu’ils n’avaient jamais eu à connaître auparavant.
L’exécution de l’exercice 2020 témoignera sans nul doute de mouvements de crédits au sein des missions et des programmes budgétaires concernés. Nous ne pourrons pleinement analyser les incidences de ces mouvements que lors du printemps de l’évaluation de l’année prochaine.
Je tiens également à saluer les nouvelles formes de collaboration entre administrations et élus locaux et nationaux, qui se sont mises en place avec des comités locaux de pilotage – en particulier pour l’attribution des aides aux entreprises. Cet esprit de collaboration a permis d’évaluer les situations très rapidement et de faire remonter les difficultés du terrain avec une efficacité dont nous apprécierons encore les effets dans le cadre de l’examen du troisième PLFR pour 2020, qui sera prochainement inscrit à l’ordre du jour.
Souhaitons que ces bonnes pratiques et ces bonnes habitudes survivent à la crise, car c’est l’évaluation que nous en faisons qui fait la pertinence et la force de nos politiques publiques. Aussi, monsieur le président, permettez-moi de convoquer à nouveau la sagesse de Zarathoustra dans cet auguste hémicycle pour dire, avec lui, que « c’est l’homme qui mit des valeurs dans les choses, afin de se conserver […] C’est pourquoi il s’appelle "homme", c’est-à-dire, celui qui évalue ». Je me réjouis, avec les députés du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, qu’en évaluant, nous ayons ainsi exercé nos facultés d’hommes et de femmes de bonne volonté, mais aussi pleinement rempli la mission que nous avait confié le constituant de 2008. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Christine Pires Beaune. Il est intéressant, et même indispensable, de vouloir évaluer les politiques publiques. Je vous reconnais le mérite d’avoir essayé de le faire en mettant en place le printemps de l’évaluation ; mais sachons reconnaître que vous n’avez pas encore, que nous n’avons pas encore trouvé la formule idoine. Certes, le contexte de crise sanitaire entrave le travail parlementaire, comme n’importe quelle activité professionnelle et de nombreux aspects de la vie sociale depuis maintenant plusieurs mois. Cependant, l’enchaînement, en deux jours, de présentations budgétaires à vive allure en commission, qui plus est sans la présence du ministre, n’est pas satisfaisant et me laisse un sentiment de frustration. Cela ne vous suffit pas ? Il convient de réfléchir de nouveau à ce dispositif et d’envisager d’autres pistes. Pourquoi, par exemple, ne pas sélectionner chaque année quatre ou cinq missions budgétaires ou politiques transversales qui seraient évaluées pendant deux semaines et donneraient lieu à un véritable échange avec le Gouvernement ?
Au-delà de ce point de méthode, je constate que si nous avons été amenés à analyser et à évaluer l’exécution budgétaire pour l’année 2019, il est difficile, au regard de la situation exceptionnelle que nous traversons, de ne pas faire quelques rapprochements avec la situation actuelle, tant certains liens peuvent être établis sans qu’il ne puisse s’agir ni de raccourcis ni de facilités. C’est pourquoi je commencerai par revenir sur les crédits de la mission « Santé », plus particulièrement sur les moyens accordés à l’ANSP, l’Agence nationale de santé publique – ou Santé publique France.
Si cette agence était relativement méconnue des Français il y a encore quelques semaines, chacun d’entre eux peut désormais clairement l’identifier et reconnaître le rôle essentiel qu’elle joue en matière sanitaire dans notre pays. Pourtant, en 2019, la subvention pour charges de service public qui lui est affectée a diminué de 6 millions d’euros, réduisant significativement son fonds de roulement. De plus, le projet de loi de finances pour 2019 réduisait la trajectoire d’emplois de l’agence ainsi que ses dépenses de fonctionnement de près de 5 %. Cette diminution de moyens financiers et humains a eu pour conséquence d’entraver son bon fonctionnement au cœur même de la crise sanitaire. Nous ne pouvons que le regretter.
Toutefois, il convient de noter que si les dépenses de l’agence doivent fortement croître dès 2020, cela n’aura pas de conséquences sur la mission « Santé » car le fonctionnement de Santé publique France a été transféré à l’assurance maladie à partir de 2020 – c’est donc cette dernière qui a dû accorder à l’agence une subvention d’urgence de 4 milliards d’euros, le 30 mars dernier. Ce changement de doctrine concernant des moyens de l’ANSP doit s’amplifier et être pérennisé, tant les enjeux actuels et à venir en matière de santé publique sont immenses. Nous y serons attentifs.
J’espère très sincèrement que « le monde d’après » n’aura rien à voir avec le monde d’avant, que ce soit à l’hôpital, dans les EHPAD, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou au domicile des personnes âgées. Ce n’est pas gagné ! C’est le moins que l’on puisse dire ! J’en viens à la mission « Cohésion des territoires » et aux crédits alloués à la rénovation énergétique des logements. Parce que nous nous sommes fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, ces crédits revêtent une importance capitale. Ils doivent permettre à la fois de pleinement lancer notre pays sur la voie de la transition énergétique et de répondre à la détresse des 12 millions de Français modestes qui vivent dans des passoires thermiques. Ces passoires thermiques ont un coût énergétique important et elles peuvent parfois faire courir des risques pour la santé.
L’objectif était de rénover 120 000 logements en 2019 : il a été atteint et même dépassé, puisque 156 000 logements ont été rénovés. Je m’en réjouis, mais je ne m’en satisfais évidemment pas. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, nous devrions rénover 760 000 logements par an pendant trente ans. Il faut donc plus que jamais accroître notre effort.
C’est la volonté du groupe Socialistes et apparentés, qui a proposé il y a quelques jours une prime pour le climat. Elle a pour but de répondre à ces enjeux sociaux, écologiques et économiques et vise à renforcer le mouvement de rénovation énergétique du parc de logements privés. Très juste ! Elle constituera également un gisement d’emplois durables pour toute la filière du bâtiment, grande pourvoyeuse d’emplois. L’enjeu est d’autant plus fort au regard des conséquences économiques de l’épidémie. Avec ce dispositif, qui peut couvrir 100 % du coût de la rénovation énergétique, les propriétaires n’auront rien à débourser au moment des travaux, puisqu’il est prévu que la prime soit versée sous la forme d’une avance.
Nous devons à tout prix éviter une relance grise : la relance doit être verte. Cette crise, plus que jamais, sonne comme un ultimatum social et écologique.
L’écologie, parlons-en ! La NEB – note d’exécution budgétaire – de la Cour comptes relative à la mission « Écologie développement et mobilité durables » confirme que nous devons faire beaucoup plus. Nous devons y être très attentifs, tant il est vrai que cette mission prendra, je l’espère, une place prépondérante parmi les politiques publiques menées à l’avenir.
Si certains dispositifs vont dans la bonne direction, ils doivent impérativement être corrigés afin que l’action publique gagne en efficacité. L’urgence climatique nous l’impose. Je pense notamment au bonus-malus et à la prime pour la conversion, qui ont été modifiés et complexifiés, ce qui a altéré leur efficacité. Ces dispositifs souffrent d’ailleurs d’une évaluation insuffisante et d’un pilotage largement instable. C’est également le cas du chèque énergie, créé en 2015, dont le taux d’usage demeure grandement insuffisant. En 2019, 28 % des personnes éligibles n’en ont pas bénéficié. Ce dispositif, qui apporte pourtant une bonne réponse aux enjeux sociaux et environnementaux, doit donc être revu afin d’être pleinement exploité et de réellement porter ses fruits.
Je regrette encore davantage que les dépenses fiscales, qui représentent près d’un tiers des crédits alloués à la mission, soient pour une large part défavorables à l’environnement et que leur articulation avec les politiques auxquelles elles se rattachent soit très insuffisante. Je constate également que les moyens humains destinés à la mission diminuent : s’ils ne font pas tout, ils sont essentiels alors que nous devons construire un véritable État stratège en matière écologique – mais en la matière, nous sommes encore très loin du compte.
Lorsque ce ne sont pas les effectifs ou les moyens qui diminuent drastiquement, quand ce ne sont pas les dispositifs qui sont rendus toujours plus complexes, c’est l’exécution budgétaire en elle-même qui est défaillante et qui interroge le pilotage de nos finances publiques.
Je pense particulièrement à l’exécution budgétaire de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui mérite que l’on y revienne et que l’on soit extrêmement attentif dans le cadre du troisième PLFR. Plusieurs mesures relatives aux collectivités territoriales sont en jeu. L’analyse de l’exécution de cette mission ne manque pas de susciter de sérieuses inquiétudes. Je regrette en effet que les crédits de paiement aient diminué de 3,7 % en 2019, alors que les dépenses en autorisations d’engagement ont bel et bien augmenté. Cela a eu pour conséquence de creuser les restes à payer : s’ils s’élevaient déjà à 3,7 milliards d’euros en 2018, ils représentent en 2019 la bagatelle de 4,2 milliards.
La Cour des comptes affirme désormais, dans sa NEB, que cette évolution à la hausse constitue un légitime sujet d’inquiétude, et que le rythme de consommation des crédits de paiement doit être considéré comme un point majeur de vigilance pour les administrations gestionnaires. Or, à la lecture du rapport annuel de performances, je constate que le Gouvernement n’est pas en mesure d’expliquer cet écart. Je le regrette.
J’en viens à l’exécution budgétaire de la mission « Enseignement scolaire », qui apparaît très inquiétante au regard de l’importance que celle-ci revêt, à nos yeux, pour notre jeunesse et la vitalité de notre pays. Pour la première fois depuis 2012, une loi de finances initiale prévoyait une diminution du schéma d’emplois à hauteur de 1 800 équivalents temps plein. Mais, comme si cela ne suffisait pas, la baisse constatée représente plus du double, puisque nous sommes à 3 815 équivalents temps plein en moins. En d’autres termes, alors que la précédente majorité avait fait preuve d’une ambition inédite pour l’éducation nationale, vous avez stoppé cette dynamique et même opéré un retour en arrière. Vous avez supprimé plus de postes que prévu dans l’éducation nationale, alors même que le nombre total d’élèves est en augmentation et que le dédoublement des classes – une mesure que je salue – nécessite logiquement davantage d’enseignants. Cette politique semble incompréhensible à l’heure où nous manquons d’enseignants dans les écoles de nos territoires. J’en veux pour preuve, par exemple, la suppression annoncée, à la rentrée prochaine, de deux postes de réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté – RASED – sur mon territoire, ou encore les trente-sept classes qui, le même jour, se sont retrouvées sans enseignant pour cause d’enseignants en formation ou en arrêt maladie.
Comme si cela ne suffisait pas, l’état de la médecine scolaire est également préoccupant. La Cour des comptes s’alarme, dans un récent rapport, du taux de visites médicales insuffisant – il s’établit à moins de 20 %. Or, dans un contexte de crise sanitaire qui a nécessité de confiner des millions de Français et d’enfants, des séquelles psychologiques sont à craindre. Il y a urgence à agir. Je propose, monsieur le ministre, d’autoriser une expérimentation visant à décentraliser dans quelques départements la gestion de la médecine scolaire, en lien avec la médecine de ville.
Pour finir, s’agissant toujours de la mission « Enseignement scolaire », le confinement de la population a exacerbé les inégalités scolaires au détriment, une fois encore, des plus démunis. Si l’école à distance a pu représenter une solution transitoire et un moindre mal, le contact a été perdu, dès le début du confinement, avec au moins 8 % des élèves, alors que l’école est obligatoire et qu’elle est un facteur de développement personnel et de lien social, notamment en période de confinement. Il faut agir sans attendre !
Si un certain nombre d’élèves ont pu être récupérés grâce, notamment, aux dotations en matériel informatique, les inégalités d’accès au numérique qui sous-tendent les inégalités sociales demeurent encore trop importantes. En France, 5 % des ménages n’ont pas accès à un équipement informatique ; en milieu rural, l’accès à internet n’est pas encore une réalité pour tous les foyers. Il convient dès à présent de prendre la mesure de ce phénomène en améliorant la couverture numérique du pays.
Je souhaiterais, pour terminer, évoquer les missions « Justice » et « Outre-mer », marquées par la sous-exécution budgétaire en matière d’emplois. Cela démontre que même lorsque la tendance n’est pas à la réduction des crédits alloués aux moyens humains et financiers, le Gouvernement trouve le moyen de réaliser des économies.
S’agissant des crédits affectés en 2019 à la mission « Justice », le nombre de postes de l’administration pénitentiaire a progressé – je salue cette évolution –, mais la réalité est plus nuancée : le schéma d’emplois a été moins bien exécuté que les années précédentes, à hauteur de 79 % contre 92 % en 2018, ce qui représente un différentiel de 210 postes. La situation de sous-effectifs que connaît depuis longtemps l’administration pénitentiaire perdure donc dans les faits, malgré un effort théorique. Je le regrette et il conviendra de corriger le tir en 2020.
Enfin, pour la deuxième année consécutive, la Cour des comptes a pointé une sous-exécution massive des crédits de la mission « Outre-mer », avec un écart de plus de 7 % entre la programmation et l’exécution. Cela place cette mission sur la deuxième marche du podium des missions de l’État en sous-exécution. Quand on sait les défis auxquels doivent faire face les territoires ultramarins, c’est un bien triste record !
Pour conclure, je voudrais souligner qu’intervenir dans le cadre de ce débat était un exercice bien difficile pour tout le monde, alors que nous ne disposons toujours pas du rapport global que nous aurions dû commenter aujourd’hui. Ce rapport devrait nous parvenir dans quelques semaines : c’est pour le moins baroque ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.) Très bien ! Merci, madame la députée. Mme Pires Beaune avait droit à quinze minutes ; elle n’a pas bénéficié d’un traitement de faveur, même si cela aurait peut-être été normal.
La parole est à M. Charles de Courson. Charles, n’oublie de préciser au ministre que tu n’étais pas là à l’époque de Raymond Barre ! (Sourires.) Le printemps de l’évaluation est une innovation qui a été expérimentée cette année pour un troisième exercice budgétaire, dans un contexte de grande instabilité et de grandes incertitudes. Vous le savez, toute avancée visant à ce que notre assemblée se saisisse pleinement de son pouvoir de contrôle et d’évaluation budgétaire reçoit le ferme soutien du groupe Libertés et territoires. Ce pouvoir, inscrit à l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, constitue un principe inhérent à toute démocratie. Il est aujourd’hui scindé en deux dans son exercice, avec ce que l’on pourrait appeler un automne de l’autorisation – lorsque nous votons la loi de finances initiale – et le printemps de l’évaluation.
Ces dernières années, nous n’avons eu que trop peu d’occasions de nous réjouir d’une avancée des prérogatives du Parlement, nous élevant plutôt contre son affaiblissement. Pourtant, il ne faut pas confondre le contrôle de l’exécution de l’exercice précédent et le débat sur le projet de loi de finances de l’année suivante ! L’évaluation de l’exercice précédent rend possible l’amélioration des autorisations budgétaires en nous permettant d’être plus en phase avec les réalités. C’est un cercle qui devrait être vertueux et dont nous souhaitons le renforcement.
Nous pouvons regretter que, comme tous nos travaux, ceux du printemps de l’évaluation 2020 aient pâti des conséquences de la crise sanitaire que nous traversons. Néanmoins, notre groupe approuve le choix de ne pas les annuler, mais de les maintenir sous une forme allégée. Je souhaite saluer cette initiative du président de la commission des finances, Éric Woerth, qui montre que le Parlement, même en temps de crise, conserve son pouvoir de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.
Difficulté supplémentaire, ce travail de contrôle intervient dans un environnement budgétaire très fragile. Ce matin même et au début de cet après-midi, nous avons pris connaissance du troisième budget rectificatif de l’année. Monsieur le ministre, allons-nous continuer sur ce rythme d’un texte par mois ? On va essayer de les resserrer encore un peu ! (Sourires.) Peut-on espérer une pause au mois d’août avant de reprendre en septembre ? Je suis à votre disposition ! Vous allez détenir le record historique du nombre de lois de finances rectificatives sur un seul exercice budgétaire. Tout augmente ! Le contexte y est pour quelque chose, cher collègue ! J’ai connu une année où il y en a eu trois ; vous allez en faire quatre, voire cinq…
Le printemps de l’évaluation de cette année est consacré à l’impact de l’actuelle crise sanitaire sur la mobilisation des crédits budgétaires et le déploiement des politiques publiques. Comme nous l’avons constaté lors de nos discussions en commission des finances, certaines missions ont été particulièrement touchées. Je pense notamment, et pour n’en citer qu’une, à la mission « Culture ». La crise sanitaire a mis en difficulté quasiment tous les opérateurs de la mission, notamment ceux disposant habituellement de ressources propres importantes. Il est d’ailleurs paradoxal que ceux qui avaient le plus de ressources propres soient les plus affectés, et que ceux qui vivaient des crédits publics le soient moins. Je souhaite rappeler que les opérateurs de la création sont dépendants de leur capacité d’exploitation des salles et espaces d’exposition, et ce d’autant plus qu’ils ont été fortement incités à développer leurs ressources propres. Ainsi, la direction générale de la création artistique estime que l’impact budgétaire de la crise sur les opérateurs devrait s’élever à plus de 100 millions d’euros pour le programme « Création » de la mission.
Face à cette situation, l’État s’est mobilisé pour faire bénéficier le secteur culturel de l’ensemble des mesures de soutien à l’économie. Le fonds de solidarité a profité, à la fin du mois de mai, à hauteur de 137 millions d’euros au secteur des arts, spectacles et activités récréatives ; 1,2 milliard de prêts sur 77,6 milliards – le chiffre date car on a désormais dépassé les 100 milliards – ont été garantis par l’État au profit de ce même secteur. Enfin, les reports d’échéances fiscales se sont élevés à 42 millions d’euros sur 2,3 milliards au total.
L’aide à ce secteur doit se faire en collaboration avec les collectivités territoriales. C’est pourquoi nous soutenons l’idée de la rapporteure spéciale, Dominique David, qui souhaite cartographier les crédits mobilisés par les collectivités territoriales pour s’assurer d’une répartition harmonieuse sur le territoire et coordonner leur action avec celle de l’État grâce aux directions régionales des affaires culturelles – DRAC.
Un mot sur la mission « Cohésion des territoires », elle aussi particulièrement mobilisée, notamment s’agissant du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Ainsi, les dispositifs mis en place par le Gouvernement, notamment l’ouverture de 21 000 places supplémentaires au 4 mai 2020, ont permis la prise en charge des personnes mal logées pendant l’état d’urgence sanitaire. Notons que la loi de finances pour 2020 prévoyait 1,9 milliard d’euros pour la politique d’hébergement d’urgence. Alors que ce montant était déjà inférieur à celui exécuté en 2019 – 2,1 milliards d’euros –, nous savons d’ores et déjà que l’enveloppe sera largement insuffisante pour couvrir les nouveaux besoins liés à la crise sanitaire.
Le rapporteur spécial, François Jolivet, l’indique lui-même : 200 millions d’euros seraient nécessaires pour ne pas précariser les associations gestionnaires des structures d’hébergement et de réinsertion. Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il prévu aucune augmentation des crédits dans les deux lois de finances rectificatives que nous avons votées ? En parcourant la troisième loi de finances rectificative, je n’y ai pas trouvé spontanément de mesures en ce sens… Peut-être pas spontanément, mais en lisant le rapport, vous en auriez trouvé, oui ! Il y en a ! J’ai eu le texte entre les mains trois minutes avant que vous n’arriviez, d’où le point d’interrogation. On va vous réserver une petite pièce, pour que vous puissiez vous expliquer ! (Sourires.) Je vous félicite d’avoir écouté notre collègue Jolivet !
Autre écueil, qui devrait donner lieu inéluctablement à une hausse des crédits de la mission : un nouveau report de la mise en œuvre de la réforme des aides au logement, initialement prévue pour mai 2019. C’est le cinquième report ! Vous exagérez, cher collègue : ce n’est que la quatrième fois que la réforme est reportée. Vous exagérez toujours un peu, monsieur Le Fur,… C’est ce qui fait son charme ! …mais vous étiez dans la bonne direction !
Cette réforme devait permettre des économies de l’ordre de 1,2 milliard d’euros, mais je crois qu’elles se sont envolées ! C’était une mauvaise réforme ! Finalement, les débats que nous avons eus en commission à l’occasion du printemps de l’évaluation ont mis en lumière le fait que la situation actuelle, tout à fait originale, peut être qualifiée d’« open bar » budgétaire. Plusieurs missions en témoignent. Dans les lois de finances rectificatives, le Gouvernement a fait le choix de recourir massivement à la dépense publique pour éviter un effondrement économique et social. Notre groupe ne conteste pas ce choix. Cependant, nous appelons à la vigilance : nous devons initier une relance tout en assurant un sérieux budgétaire, pour que la situation soit viable sur le long terme. C’est tout l’intérêt de ce printemps de l’évaluation et du rapport d’information qui doit s’ensuivre.
Petite note personnelle : j’ai toujours regretté que la quasi-totalité des rapporteurs spéciaux ne soulèvent qu’un seul problème, celui de l’insuffisance des ressources. (Mme Olivia Gregoire proteste.) Écoutez-moi, madame Gregoire, avant de protester ! Très rares sont ceux – n’est-ce pas, monsieur l’ex-rapporteur général ? – qui font de vraies propositions d’économies. De ce point de vue, ils n’aident pas beaucoup le Gouvernement.
En conclusion, je voudrais dire qu’il s’agit avant tout d’une pratique politique du Parlement, qui lui permet de se placer dans une logique constructive de contrôle et d’évaluation, au-delà du fait majoritaire. Cela est essentiel au bon fonctionnement de nos institutions, car seul le processus budgétaire est capable d’encadrer des choix de gouvernance et de politique dans chacun des domaines d’une manière concrète et réaliste. Dans le prochain budget de relance – en tout cas, dans la loi de finances initiale et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 –, nous devrons assurer les moyens de nos ambitions et limiter le recours à l’endettement, c’est-à-dire faire des économies. Je suis étonné de constater que dans cette situation, personne n’appelle à faire des économies sur ce qui est moins urgent, moins prioritaire. Par exemple ? Quelles sont vos propositions ? Voilà, monsieur le ministre, la conclusion de ce petit propos. On ne les connaîtra donc pas ! Pour ce qui me concerne, j’ai toujours fait des propositions.
Voilà, mes chers collègues, une petite méditation sur ce printemps de l’évaluation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et Agir ensemble. – M. Jérôme Lambert applaudit aussi.) C’est toujours bien de méditer au printemps… C’est Lao Tseu ! La parole est à Mme Sabine Rubin. Hier après-midi, la majorité et le Gouvernement se réjouissaient des effets bénéfiques de leur action sur notre capacité à affronter la crise du covid-19. Eh bien, nous allons emprunter leur logique pour faire cette évaluation.
À cette occasion, monsieur le ministre, vous déclariez que cette crise n’était pas la conséquence d’une décision gouvernementale. C’est vrai ! Vous avez raison :… Ah ! …c’est le résultat de plusieurs décisions gouvernementales. Ah, c’est nous qui avons créé le virus ? Si la pandémie plonge le pays dans une crise sanitaire, économique et sociale, c’est bien en raison des politiques néolibérales conduites au cours des trois dernières décennies et que vous n’avez cessé d’accélérer. Vous n’avez pas opté pour une transformation, mais pour une accentuation.
Avec la loi ELAN – portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique –, vous avez précarisé les baux et poussé les bailleurs à vendre les logements sociaux. Les personnes mal logées ont souffert directement de votre politique lors du confinement.
Avec la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, dit CETA, vous avez poursuivi la découpe de notre tissu industriel et accru notre dépendance aux productions lointaines. C’est ce type de déménagement qui nous a valu les pénuries de masques, d’oxygène, de médicaments.
Avec la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, vous avez éloigné l’hôpital public de ses usagers, taillé dans le nombre de lits ; bref, vous avez réalisé des économies sur la santé et sur son personnel.
Je vous fais grâce des autres points, mais chacun sait dans quel état d’affaiblissement des services publics nous avons abordé la période. Or seul le service public peut répondre à des chocs brutaux et inattendus ; le privé, lui, attend de recevoir l’aide de l’État.
Pour en revenir à l’exercice 2019, je m’attacherai, à titre d’exemple, à décrire la situation de l’éducation et de la recherche.
Alors que le nombre d’élèves augmente, vous supprimez 3 816 équivalents temps plein – ETP – au sein de l’éducation nationale, comme l’a fait remarquer Mme Pires Beaune.
En maternelle, le nombre d’élèves par enseignant s’établit à vingt-trois, soit sept élèves de plus que la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE. En élémentaire et au collège aussi, ce nombre est au-dessus de la norme moyenne. Les dédoublements abaissent à peine cette moyenne et ne couvrent que deux niveaux de classe.
Dans ces conditions, comment bien suivre des élèves à distance ? Comment respecter les consignes sanitaires si les classes sont déjà surchargées et si une école sur quatre n’a pas suffisamment de points d’eau ? Mais vous coupez encore. Et quand vous ne coupez pas, vous refusez de mettre les moyens.
Le nombre d’étudiants a augmenté de 2,1 % entre 2017 et 2018. Pourtant, les crédits du programme 150 n’augmentent que de 0,46 % cette année. Le budget par étudiant a diminué de 10 % en cinq ans.
Alors qu’il faudrait augmenter les crédits, vous décidez de réduire le nombre d’étudiants par la sélection. Dans le projet annuel de performances, vous parlez même de « candidats ». Mes chers collègues, les lycéens fraîchement diplômés du baccalauréat ne sont pas des candidats ; ils ne vous demandent pas une faveur ; ils ont droit à une formation supérieure et le pays a besoin de jeunes gens formés.
Parmi ceux auxquels vous accordez le privilège d’une formation, 20 % vivent dans la pauvreté. Pour eux, à peine une miette : 200 euros, soit moins d’une semaine de survie au seuil de pauvreté.
Et encore, c’est ne rien dire des jeunes doctorants, payés moins que le SMIC et au statut de vacataire, qui attendent leurs salaires des mois durant. Voilà comment vous récompensez l’excellence !
C’est oublier aussi des chercheurs titulaires dont les crédits s’amenuisent chaque année, quand on abreuve le CAC 40 de crédits impôt recherche, censément destinés à l’innovation. Je pense au cas de Bruno Canard, spécialiste des virus, et notamment des coronavirus, qui a perdu jusqu’au goût de son travail à force de rabotage.
Dites-nous encore que la crise, ce n’est pas de votre faute ! Il y a tant à dire, mais il faut que j’achève. Puisqu’il s’agit de vous évaluer, au nom de l’enseignement et de la recherche que vous malmenez à tous les degrés, je vous attribue la note de zéro sur vingt : aucun effort, aucun progrès. Oh ! Au moins un point, tout de même ! Je vais essayer de progresser ! La parole est à Mme Jennifer De Temmerman. En 2018, le printemps de l’évaluation était inauguré, avec pour formidable ambition de renforcer les pouvoirs d’évaluation des politiques publiques de l’Assemblée nationale, une fonction d’évaluation explicitement reconnue dans l’article 24 de notre Constitution.
Il s’agissait de mener une action concertée dans le cadre de l’examen du projet de loi de règlement, qui arrête les comptes de l’État de l’année antérieure. Dix-huit commissions d’évaluation des politiques publiques devaient permettre d’associer la commission des finances et les commissions permanentes, en présence des ministres, sur chaque mission budgétaire.
Nous sommes arrivés, nouvellement élus, avec l’ambition de porter une révolution au sein d’une assemblée que nous imaginions un peu surannée et partiellement déconnectée. Nous avons fait table rase de ce qui existait déjà, mais peut-être que l’Assemblée ne nous avait pas attendus pour cela.
Sommes-nous plus efficaces ? Non ! En réalité, nous continuons de parler entre nous et pour nous,… Exactement ! …sans ouverture réelle sur l’extérieur. Au sein même de l’Assemblée, si l’on n’appartient pas à la commission des finances, il est difficile de savoir ce qui se fait et d’accéder aux informations. Ça, c’est clair ! Je le sais pour avoir été rapporteure pour avis, pour le compte de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, du programme « Énergie, climat et après-mines ». Le travail que j’ai pu effectuer dans ce cadre s’est déroulé sans concertation réelle avec le rapporteur général de la commission des finances, et sans aucun lien avec les autres rapporteurs.
Aujourd’hui, je n’ai pas d’avis réfléchi sur les rapports qui ont pu être rédigés dans le cadre du printemps de l’évaluation : ils ont été déposés trop tard, et certains ne sont toujours pas accessibles.
Je ne pense pas qu’il soit raisonnable d’imaginer que l’on puisse travailler en moins de quelques jours sur des sujets aussi importants, comme cela a été le cas ce matin pour l’examen du troisième PLFR par la commission des finances.
Hier, nous avons assisté en séance à un débat intitulé « Comment la sincérité et le rétablissement des finances publiques depuis 2017 favorisent le soutien à l’économie dans la crise du covid-19 ? »
De nombreux collègues ont souligné à quel point cette formulation elle-même relevait de l’autocongratulation. C’est oublier le travail de ceux qui nous ont précédés, et aussi le fait que nous avons pu bénéficier d’évolutions qui ne sont pas pleinement à la main des pouvoirs publics. Un peu d’humilité me semble nécessaire en ces temps incertains.
Il a été décidé d’orienter le printemps de l’évaluation vers l’impact de l’actuelle crise sanitaire en termes de mobilisation des crédits budgétaires et de déploiement des politiques publiques. Nous nous interrogeons sur les crises successives que nous avons vécues – gilets jaunes, covid-19 – et sur leurs effets certains sur nos finances.
Que se serait-il passé si les propositions de mesures de nombreux parlementaires de tous bords avaient été entendues lors des débats financiers en 2018 et en 2019 ?
Qu’il s’agisse de la contribution sociale généralisée, la CSG, de la taxe carbone ou de l’hôpital, peut-on considérer que ce sont les crises qui ont affecté les finances publiques ou que nos politiques économiques et nos orientations budgétaires ont peut-être aggravé ces crises ? Je laisse ceci à votre réflexion sur ce qui ne peut être défait, mais je vous invite à entrer davantage dans une démarche positive pour l’avenir.
La pandémie et la crise sanitaire doivent nous conduire à repenser toutes nos politiques publiques et la transformation de nos modes de vie, de nos modèles économiques et, plus largement, de nos sociétés.
De l’éducation à la sécurité civile en passant par tous les secteurs ministériels, mais aussi à l’échelle de chaque territoire, cette adaptation implique évidemment une transformation de nos finances : il n’existe pas de politique publique sans traduction budgétaire.
De nombreux États ont déjà fait le choix de revoir leurs processus et leur politique économique. C’est pour cela que je souhaite revenir sur un sujet qui me tient à cœur, car je crois qu’il est la réponse adéquate à notre questionnement : l’agenda 2030 et ses dix-sept objectifs de développement durable, communément appelés ODD.
Adopté le 25 septembre 2015, l’agenda se fixe comme objectif de répondre aux défis communs des pays de la planète. Cet agenda était alors présenté comme un changement de paradigme, un projet transformateur et une feuille de route globale à décliner par tous les pays et l’ensemble des acteurs.
La France s’est dotée de sa propre feuille de route, en septembre 2019, dont l’élaboration a donné lieu à un travail important de la part de nombreux acteurs, de toutes les parties prenantes et de quelques parlementaires.
À nombre d’entre nous, il est apparu que cette grille de lecture – les ODD et leurs cibles – est un outil formidable dont le Parlement doit se saisir pour lire le budget et améliorer son contrôle sur les lois de finances. Finalement, cela va répondre aux enjeux sociétaux qui se posent à nous.
Le budget est l’expression politique et économique de l’action du Gouvernement. Il doit donc être considéré comme le point de départ nécessaire et incontournable pour l’intégration de l’agenda 2030.
Cette intégration apparaît même logique au regard de la nouvelle gestion publique axée sur une logique de résultat, avec des indicateurs et des cibles, tout comme les objectifs de développement durable. Cette nouvelle gestion publique prône un pilotage de l’action publique plus transparent et efficace, ce qui se traduit par la mise en place d’indicateurs de performance de plus en plus précis.
Les crédits budgétaires sont organisés en fonction d’objectifs politiques contrôlés à l’aide d’objectifs et d’indicateurs. Cette logique, axée sur les résultats, est relativement conforme à celle des objectifs de développement durable, qui sont organisés de la même manière en objectifs, cibles et indicateurs.
Ces indicateurs développés par l’INSEE, l’Institut national de la statistique et des études économiques, peuvent donc intégrer de manière avantageuse le suivi national. Nous pourrions ainsi plus facilement lire et évaluer le processus budgétaire. Nous pourrions parler à tous avec le bon outil, travailler plus efficacement et rapidement dans les délais qui nous sont imposés, et, peut-être faire mieux avec moins.
Le moment que nous vivons exige de profondes mutations. Pour nos politiques publiques, l’heure est à l’intégration des objectifs de développement durable dans les cibles et indicateurs de nos projets et rapports annuels de performances.
Pour nous et pour les générations futures, posons dès maintenant les bases d’une société résiliente, agissons et retrouvons-nous l’année prochaine autour d’un meilleur printemps de l’évaluation. Élaborons un budget rénové, à l’instar de celui d’un nombre croissant d’États à travers le monde, de la Finlande au Costa Rica, en passant par le Mexique ou l’Espagne.
Nous pouvons, j’en suis persuadée, nous retrouver, au-delà de nos différences, dans ces valeurs communes. (M. Jean-Paul Dufrègne applaudit.) La parole est à M. Paul Christophe. Il va parler de la dette sociale, pour changer ! Je suis sûr qu’il est d’accord avec le Gouvernement ! Le printemps de l’évaluation constitue le moyen de replacer la fonction parlementaire de contrôle et d’évaluation au cœur même de notre mission, avec l’objectif d’exercer consciemment notre rôle de législateur éclairé.
Nous pouvons ainsi nous concentrer sur les résultats concrets des politiques publiques et renforcer notre responsabilité en matière budgétaire. D’une manière générale, je reste convaincu qu’améliorer le contrôle pourrait nous éviter d’avoir à trop légiférer – cela vaut pour l’évaluation budgétaire.
Si je souscris donc bien volontiers à la politique d’évaluation, force m’est de constater que nous manquons souvent de moyens pour apprécier efficacement l’exécution budgétaire. Cela étant, je salue, à mon tour, le travail des rapporteurs spéciaux portant sur l’analyse des votes des crédits et leur utilisation.
C’est une évidence : tout autant que sur l’autorisation, il nous faut être vigilant sur l’exécution.
Le bureau de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, qui s’est réuni le mercredi 1er avril, a décidé de réorienter les travaux du printemps de l’évaluation afin de tenir compte de la situation exceptionnelle que nous connaissons.
En lieu et place des thèmes qui avaient été arrêtés en début d’année, un thème unique a ainsi été retenu : l’impact de l’actuelle crise sanitaire en termes de mobilisation des crédits budgétaires et de déploiement des politiques publiques.
Cette crise fut le révélateur des spécificités du modèle français de l’emploi, de ses failles et surtout de ses atouts. Nos concitoyens s’inquiètent à propos du maintien de leur activité après la crise sanitaire ou du commencement de leur vie professionnelle, à l’instar de nombreux jeunes diplômés qui peinent à trouver un premier emploi.
Alors qu’un nouveau dispositif de chômage partiel doit être défini au cours des prochains jours par le ministère du travail, issu de la concertation avec les organisations syndicales et patronales, il est intéressant de se concentrer sur l’impact de la crise sanitaire sur le déploiement et le bon fonctionnement des dispositifs de la politique de l’emploi, afin que les leçons actuelles permettent de mieux anticiper les crises du futur.
Le rapport budgétaire sur le travail et l’emploi fait état d’une augmentation de 22,6 % du nombre de demandeurs d’emploi en France en avril 2020 : 843 000 inscriptions supplémentaires en catégorie A ont été enregistrées à Pôle emploi. L’emploi a donc connu un choc sans précédent, ce qui rend plus que jamais nécessaire l’adaptation de nos politiques publiques à ces nouveaux enjeux.
C’est pourquoi je souhaiterais vous sensibiliser à l’apprentissage. En effet, durant la crise sanitaire, de nombreux centres de formation d’apprentis – CFA – nous ont alertés sur les risques de fermeture en raison de la suspension de leurs recettes pendant la crise.
Avant la pandémie du covid-2019, l’apprentissage était en phase ascendante : le nombre de jeunes entrés en apprentissage avait augmenté de 16 % en 2019. Cette situation inédite était positive pour l’avenir de l’emploi dans notre pays : cette filière, qui affiche un taux d’insertion de près de 75 %, est primordiale pour l’emploi des jeunes.
À cause de la crise, les CFA ont été fermés et les apprentis ont été mis au chômage partiel dans les entreprises qui ne pouvaient avoir recours au télétravail. Le Gouvernement a pris des dispositions pour qu’ils conservent l’intégralité de leurs rémunérations.
Ainsi, le rapport souligne que la mobilisation des crédits budgétaires doit accompagner le plan de relance de l’apprentissage. Comment évaluez-vous l’opportunité pratique de cette mesure ? Ce plan pourra-t-il intégrer, dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, les dispositions nécessaires ?
J’aimerais également connaître votre avis sur le dispositif d’aide unique à l’apprentissage mis en place en 2019 et sur ses résultats éventuels. Après avoir longtemps été une mauvaise élève dans ce domaine, la France renouait récemment avec l’apprentissage. La crise a porté atteinte à cet élan sans pour autant l’amoindrir car un véritable mouvement fédérateur s’est constitué autour de cette voie aujourd’hui indispensable pour la reprise de notre économie. Les Français, tout comme la représentation nationale, seront attentifs à la juste répartition des crédits de la mission « Travail et emploi » dans cette perspective.
Monsieur le ministre, s’il est un satisfecit qu’il est possible d’adresser au Gouvernement au regard de cette période de crise inédite, c’est celui sur la réactivité et la souplesse dont il a fait preuve pour adapter les dispositions budgétaires à la situation, mettant ainsi à mal la critique de lourdeur administrative dont notre pays est souvent la cible. Telle sera certainement l’une des leçons à retenir de la crise sanitaire. L’Assemblée nationale n’a d’ailleurs pas été en reste pour débattre et prendre ses responsabilités face à l’urgence des mesures proposées. Il me semblait utile de le rappeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.) La parole est à M. Daniel Labaronne. Dans le cadre de ce printemps de l’évaluation un peu particulier, nous sommes invités à nous exprimer sur le contexte dans lequel l’économie française a abordé la crise sanitaire. Je crois que notre pays a abordé la crise dans des conditions macroéconomiques et budgétaires favorables. En 2019, notre taux de croissance a atteint 1,5 %, contre 0,5 % pour l’Allemagne, pays auquel nous avons l’habitude de nous comparer.
Or j’ai la conviction que le taux de croissance que nous avons obtenu l’année dernière et qui nous a placés dans des conditions favorables pour aborder la crise sanitaire n’est pas le fruit du hasard. Il résulte d’une politique économique à la fois cohérente et efficace, d’une politique en réalité assez simple puisqu’elle repose sur l’idée qu’il faut libérer le marché du travail et mettre l’accent sur l’apprentissage et la formation pour améliorer les compétences et développer notre capital humain. Cette politique repose également sur l’idée selon laquelle l’épargne doit être orientée vers le financement de l’investissement productif : il s’agit, en somme, de développer le capital technique. Enfin, cette politique favorise l’investissement dans la recherche et l’innovation pour améliorer le capital intellectuel et immatériel. Dès lors que nous avons développé notre capital humain, technique et immatériel, nous avons pu engranger une croissance forte, que l’on peut qualifier d’endogène parce qu’elle est le résultat de notre politique économique et de notre volonté politique. Il n’y a que lui qui y croit ! Cette forte croissance nous a permis de réduire le chômage et d’offrir du travail à un très grand nombre de nos concitoyens, qui ont ainsi perçu des revenus et renforcé leur pouvoir d’achat. Dans le même temps, nous avons augmenté les minima sociaux et redistribué la richesse créée grâce à la croissance.
Le pouvoir d’achat de ceux qui ont retrouvé du travail et de ceux qui ont bénéficié de l’augmentation des minima sociaux a permis d’alimenter une demande forte. La correspondance entre notre politique de l’offre et notre politique de la demande, toutes deux soutenues par les mesures que nous avons prises en matière de pouvoir d’achat, a permis à la France d’afficher un taux de croissance parmi les plus élevés d’Europe. Je note que notre pays a été le premier contributeur de la croissance européenne en 2019.
Quelles sont les conséquences de cette stratégie qui donne des résultats ? La première est qu’elle a donné confiance aux investisseurs étrangers, qui ont investi massivement dans notre économie en 2019, faisant de la France le premier pays européen d’accueil des investissements directs étrangers ; la seconde est qu’elle a également donné confiance aux investisseurs qui achètent notre dette. Ils ont de quoi acheter ! Ça tombe bien, ils sont demandeurs ! Certains s’interrogent sur la qualité de notre signature. La réponse tient dans la cohérence de la politique économique que nous suivons depuis que nous sommes aux responsabilités. De cela, je suis intimement convaincu. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) C’est un humoriste ? Ça, c’était en 2019 ! Je vous fais part de cette conviction et je pense en avoir le droit ! Laissez s’exprimer M. Labaronne, mes chers collègues. Chers collègues, si nous avons pu aborder la crise sanitaire dans des conditions macroéconomiques satisfaisantes, c’est parce que nous avons su développer une politique économique cohérente et efficace. Et comme, dans le même temps, nous avons su, au plan budgétaire, diminuer notre déficit public et stabiliser notre dette par rapport au PIB, nous avons démontré que nous étions cohérents, solides et capables de faire face à des événements exogènes tels que la crise sanitaire.
Pour conclure, nos responsables politiques ont su mettre en place une politique économique cohérente, qui a donné des résultats, preuve que nous pouvons leur faire confiance dans le contexte de crise que nous connaissons. Sans cette politique économique, la France aurait affronté la crise dans des conditions bien moins favorables. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Voilà un discours très puissant… La parole est à M. Marc Le Fur.
Monsieur Cordier, je vous prie de bien vouloir vous calmer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Je vous invite à écouter sagement M. Le Fur. Il n’était pas très correct d’interrompre M. Labaronne à plusieurs reprises. Mais je n’ai rien dit ! S’il est un budget qui subit les conséquences du drame que connaissent l’ensemble des pays de notre planète, c’est bien celui de l’aide publique au développement. Ce drame retentit sur le pays donateur que nous sommes comme sur les pays susceptibles de bénéficier de notre aide, en particulier les plus fragiles.
Pour mémoire, la France s’est fixé comme objectif de consacrer 0,55 % du revenu national brut – RNB – à l’aide publique au développement en 2022,… On est loin des 0,7 % ! …de cibler cette aide sur les pays les plus fragiles, parmi lesquels dix-huit pays africains et ceux du Sahel, mais aussi d’augmenter les aides bilatérales et les dons en faveur des pays les plus fragiles – pour eux, le don est plus pertinent que le prêt.
Que s’est-il passé ? Avant d’y venir, je voudrais saluer non seulement nos représentants et nos diplomates dans ces pays – ils sont restés sur place et ont été confrontés à de nombreuses difficultés, ce que d’autres ont déjà dit avant moi –, mais aussi les agents de l’Agence française de développement, l’AFD, qui sont également restés mobilisés. Je veux le souligner car tous les réseaux diplomatiques et toutes les structures d’aide publique de par le monde n’ont pas manifesté la même constance.
Reste que l’Afrique a particulièrement souffert, non pas tellement sur le plan sanitaire – elle a été épargnée jusque-là et l’on doit espérer que cela ne change pas à l’avenir –, mais sur le plan économique, en raison de la chute des prix des matières premières, qui constituent pour bien des États la principale recette, de la chute des apports de la diaspora, lesquels représentent deux à trois fois l’aide publique au développement au niveau mondial, soit des montants tout à fait considérables, et du désinvestissement de certains partenaires étrangers.
Les pays qui ont le plus souffert sont les pays les plus enclavés, souvent les plus fragiles, ceux du Sahel notamment. Ils ont notamment pâti d’une situation difficile en matière de mobilité et de fret, mais également en matière alimentaire. Les prévisions du programme alimentaire mondial – PAM – sont de ce point de vue inquiétantes : la crise alimentaire toucherait désormais 265 millions de personnes dans le monde.
La France a joué son rôle dans ce contexte puisqu’elle a été à l’initiative de la demande de moratoire sur les dettes des pays pauvres. Ce moratoire a été décidé par le Club de Paris, bientôt suivi par la Chine, les pays du Golfe, l’Inde et le Brésil. C’est vrai : bel effet d’entraînement ! L’ensemble des pays donataires ont suivi l’initiative française, ce dont nous devons nous féliciter. Le moratoire concernera 13 milliards d’euros cette année. Notre part relative est de 900 millions, soit un montant important, qui n’aura pas de traduction négative sur le plan budgétaire, bien que des annulations de dettes puissent résulter du moratoire, celui-ci constituant une première étape. À ce stade, cependant, aucune annulation n’est décidée, ni d’ailleurs réclamée par les pays africains, qui craignent qu’elle apparaisse comme une dépréciation de leur capacité d’emprunt. Néanmoins, le Président de la République a clairement affirmé sa volonté de militer pour l’annulation, non pas de l’ensemble de la dette des pays pauvres, mais de celle des pays africains.
La France a su, par ailleurs, réorienter son aide publique au développement en très peu de temps vers la santé et l’alimentation, qui font aujourd’hui l’objet des plus fortes préoccupations. L’AFD a donc réorienté 1,150 milliard vers ces deux domaines – il s’agit d’une réorientation des dépenses et non d’une augmentation. Parmi les bénéficiaires des nouvelles affectations, je veux citer, en particulier, l’Institut Pasteur.
La question de notre participation à l’Organisation mondiale de la santé – OMS – mérite également d’être posée. Elle est, pour le moment, relativement limitée, mais il est nécessaire de s’interroger sur le rôle qu’a joué l’organisation au cours des derniers mois et sur l’influence exercée par la Chine du fait du retrait américain.
La crise nous oblige également à revoir la loi de programmation des finances publiques et à revenir sur l’objectif d’un taux de 0,55 % à l’horizon 2022. Tout est à revoir ! Paradoxalement, dès cette année, nous approcherons cet objectif alors que l’objectif pour 2020 était de 0,47 %. Cependant, du fait d’un effet de dénominateur, notre PIB diminuant de 11 % d’après les prévisions gouvernementales, l’aide publique au développement représentera cette année 0,50 %, voire 0,51 %, du RNB, mais sans augmentation des dotations en masse financière. En tout état de cause, nous devons nous poser la question de notre capacité à soutenir les objectifs initialement fixés s’agissant des montants alloués, tout comme d’ailleurs de la priorisation de nos aides. Évitons que les dix-neuf pays que nous avons définis comme les plus fragiles – dix-huit pays africains et Haïti – subissent trop fortement le reflux de notre aide publique au développement. Nous devons concentrer nos efforts sur les dix-neuf pays prioritaires et en particulier sur les cinq pays de la zone sahélienne. Merci de conclure, monsieur Le Fur. Une chose est sûre, la loi de programmation des finances publiques devra pour partie être réécrite. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à M. Éric Coquerel. Hier, monsieur le ministre, prétendant démontrer que votre politique avait excellemment permis de prévenir et de gérer la crise, et face à mes dénégations, vous nous avez expliqué que la crise n’avait été qu’épidémique, inévitable, indépendante de vos décisions antérieures. Mais si sa gravité n’a rien à voir avec l’état de notre pays, de ses services publics, du système dont il relève, pourquoi Emmanuel Macron, dans son allocution du 12 mars, ne s’est-il pas contenté de discourir sur les mesures sanitaires et les gestes barrières ? Vous n’avez pas répondu à cette question hier. Pourquoi a-t-il jugé bon de parler de l’importance de l’État providence, de la nécessité de se réinventer, des décisions de rupture à venir, des leçons de la situation, sinon parce qu’il a voulu souligner, par stratégie si ce n’est par sincérité, le besoin d’articuler le politique, l’économique et le sanitaire pour faire face à la crise et en tirer les conséquences ?
Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, le fait que les hôpitaux aient été submergés à un moment donné est directement lié au nombre de lits et de personnels disponibles dans chaque service, qui dépend lui-même du budget que vous leur avez alloué. Or, s’il est vital d’examiner ce qui s’est passé, il est tout aussi vital de changer les choses à temps pour que la tragédie ne se reproduise pas. Il est certain, hélas, que les prochaines crises d’une ampleur comparable seront environnementales – d’ailleurs, c’est déjà le cas, d’une certaine manière, de la crise du covid-19, zoonose assurément liée à la destruction des habitats naturels et à l’extinction des espèces. Et, de même que la crise actuelle a mis en évidence les conséquences de la baisse du budget des hôpitaux, ces crises à venir donneront à voir les effets de la baisse du budget de l’État, particulièrement de celui du ministère de l’écologie.
Rapporteur spécial des crédits de l’écologie, je suis aux premières loges pour constater l’ampleur des dégâts, qui s’aggravent tous les ans. Les syndicats du ministère le disent, les opérateurs publics qui se consacrent à la question environnementale le confirment : les coupes budgétaires et les suppressions de postes deviennent insurmontables et sont en contradiction totale avec les objectifs environnementaux que le Gouvernement affiche fièrement année après année. Une fois de plus, vous choisissez la politique du flux qui consiste à gérer au mieux avec le moins de dépenses publiques possibles ; or, si elle fonctionne à peu près dans les circonstances habituelles, elle se révèle incapable de tenir le choc d’une situation chaotique comme l’épidémie de covid-19 ou une crise climatique qui aurait peu ou prou les mêmes conséquences.
Vous le savez, le secteur de la prévention des risques naturels et industriels est en grande souffrance. L’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen, l’a tristement illustré et a été l’occasion de rappeler qu’il manque au moins 200 inspecteurs pour suivre l’ensemble des sites dangereux et y garantir la sécurité.
La crise actuelle n’a rien arrangé pour aucun des opérateurs liés à l’écologie dont j’assure le suivi et que j’ai interrogés. Leurs difficultés, leurs sacrifices sont devenus récurrents et se sont aggravés. Ce qui m’a peut-être le plus choqué, ce sont les propos des représentants de l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire, selon lesquels ni les prestataires du nucléaire ni ses propres inspecteurs du travail n’avaient pu disposer de masques.
À ces risques sanitaires s’ajoutent de graves conséquences économiques. En demandant toujours plus aux opérateurs au nom de l’écologie, tout en leur donnant toujours moins de moyens au nom de la dette, on les a encouragés pendant des décennies à accroître leurs ressources propres pour que l’État puisse faire des économies. Résultat : avec la crise, entre les chantiers à l’arrêt et les pertes dues à la fermeture des parcs nationaux, certains d’entre eux estiment déjà que leur budget 2020 ne pourra être à l’équilibre. Pourtant, leur rôle est essentiel, et eux aussi étaient à leur poste pour lutter contre la pandémie ; ainsi, Météo France a contribué aux recherches sur les liens entre climat et propagation du virus. Le CEREMA – centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement –, établissement public méconnu mais absolument indispensable, évalue sa perte de recettes à 40 % et considère qu’il ne pourra plus payer ses agents à la fin de l’année si l’État ne vient pas à son secours. Un rapport vient par ailleurs de faire état de graves risques psychosociaux encourus par ses employés en raison de ses restructurations permanentes. Ils seront pourtant indispensables face aux crises environnementales à venir : continuer de les traiter comme des variables d’ajustement budgétaire serait une folie.
Si nous avons su donner ou, du moins, prêter des milliards au privé, qui plus est sans contrepartie, il est impensable que nous ne donnions pas à ces opérateurs et au ministère les millions dont ils ont besoin pour sortir la tête de l’eau. Lorsque j’ai exposé ce problème en commission, j’ai eu le sentiment d’avoir été entendu par la présidente Olivia Gregoire, qui s’est engagée à l’étudier et à le traiter. J’espère donc qu’il sera vraiment pris au sérieux et que vous aurez tous conscience de l’urgence pour ces opérateurs, donc aussi pour nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) La parole est à Mme Valérie Petit. Combien parmi vous ont décidé de prendre de bonnes résolutions au sortir de leur confinement ? Je ne parle pas d’utiliser plus souvent le vélo ou de consommer local, mais de notre mandat parlementaire et de la manière de lui donner un nouvel élan. Si ce n’est pas encore fait, j’aimerais vous en proposer trois qui pourraient bien transformer l’exercice de ce mandat.
Sans faire de philosophie dans l’hémicycle, permettez-moi de citer La Philosophie dans le boudoir et de paraphraser son auteur, le marquis de Sade. (« Oh ! » et sourires sur divers bancs.) Intéressant ! En voilà une bonne résolution ! Je savais pouvoir vous réveiller : mon premier objectif est atteint ! Lui qui passa vingt-sept années embastillé, et savait donc ce que c’est que d’être confiné, exhortait les Français, depuis sa cellule, en ces termes : « Français, encore un effort si vous voulez être républicains ! »
Maintenant que nous avons quitté nos intérieurs et retrouvé l’hémicycle, il est temps que nous fassions nous aussi un effort pour être enfin républicains, et d’abord en faisant vivre l’esprit de notre Constitution et en appliquant la lettre de son article 24. Car c’est bien à nous, députés, de prendre la ferme résolution de mieux évaluer nos lois, et de donner corps à cet article qui en fait l’une de nos trois missions fondamentales aux côtés du vote de la loi et du contrôle du Gouvernement.
Pour cela, il faut en finir avec quelques vices et vertus parlementaires bien connus,… Ah ! …si vous me permettez de poursuivre mon hommage. Premièrement, avec les « prospérités du vice » qui consisteraient à légiférer sans fin : dépensons notre énergie parlementaire à évaluer les lois déjà votées pour les adapter plutôt qu’à en produire avec frénésie de nouvelles. Très bien ! Deuxièmement, avec les « infortunes de la vertu » qui nous conduiraient à multiplier les amendements demandant un rapport au Gouvernement, lesquels n’ont d’autre vertu, avouez-le, que de n’importuner personne en ne changeant pas grand-chose. Nous pouvons faire mieux : allons, encore un effort pour mieux évaluer !
Voici donc trois bonnes résolutions que je vous propose de mettre en œuvre dès que vous aurez quitté l’hémicycle.
La première est de vous saisir enfin de l’article 145 de notre règlement, aux termes duquel, dans un délai de trois ans suivant l’entrée en vigueur d’une loi, deux députés, dont un de l’opposition, en présentent une évaluation d’impact. Voici trois ans que nous sommes entrés dans l’hémicycle ; de grâce, n’en sortons pas sans avoir évalué ce que nous y avons voté. Il est temps de nous y mettre, non seulement parce que c’est notre rôle constitutionnel, mais parce qu’évaluer permet de mieux agir et que l’action publique a besoin d’un peu plus de raison, d’efficacité et d’agilité.
Deuxièmement, pour regarder vers l’avenir et, précisément, évaluer dans le but de mieux agir, soutenez la proposition de résolution que le groupe Agir ensemble vous soumettra dans quelques semaines. Elle a pour but d’inscrire une clause de revoyure dans chaque texte de loi constitutif du plan de relance post-crise, de sorte que l’effet des mesures soit rigoureusement évalué et que le Gouvernement en rende compte devant les assemblées.
Troisième résolution : nous donner enfin les moyens d’évaluer. Tous, ici, nous sommes convaincus que notre Parlement a besoin d’un véritable centre de recherche et de ressources, à l’image de celui du Parlement européen, pour soutenir notre travail d’évaluation de nos lois ex ante et ex post. Sans ce bras armé, nous serons condamnés. Des moyens et des instances existent déjà : France stratégie, la mission d’évaluation et de contrôle – MEC –, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale – MECSS –, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques – CEC –, la Cour des comptes ; il est temps de les réunir et de les mutualiser pour doter enfin le Parlement des moyens d’accomplir sa mission d’évaluation.
Si nous ne prenons pas ces résolutions – qui sont simples, admettez-le –, l’évaluation des politiques publiques ne passera pas l’été et restera confinée. Alors, de grâce, encore un effort si vous voulez être républicains ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Olivia Gregoire. Les résultats économiques de 2019 étaient bons ; ils confirmaient l’effet positif des crédits budgétaires dédiés au développement économique. La croissance avait progressé de 1,3 point ; le taux de chômage était tombé à 8,1 % ; la France avait attiré plus d’investissements étrangers qu’aucun de ses partenaires européens ; enfin, le nombre de défaillances d’entreprises avait diminué de 20 % par rapport à l’année précédente. Ces indicateurs traduisaient l’efficacité de la stratégie économique et budgétaire de notre gouvernement. Mais la violence de la crise sanitaire et économique nous rattrape. La situation économique s’est beaucoup dégradée. Dans ce contexte, la crise a en quelque sorte servi de vaste stress test pour nos administrations. En effet, elle a suscité un afflux considérable de demandes et nécessité une très grande réactivité pour répondre aux besoins des entreprises.
Mon collègue Xavier Roseren et moi-même avons donc commencé par évaluer les conséquences de la crise sur les administrations intéressées par le programme 134, « Développement des entreprises et régulations », en nous concentrant sur celles placées en première ligne : la DGE – direction générale des entreprises –, à plusieurs titres ; Bpifrance, pour la mise en œuvre du prêt garanti par l’État, ou PGE ; enfin, la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, chef de file s’agissant des délais de paiement.
La DGE est la première administration concernée par l’application des mesures d’urgence. Elle a été très fortement sollicitée pendant la crise pour mobiliser de manière exceptionnelle des capacités de production matérielles, pour rédiger les ordonnances parues au cours de la période et pour aider les entreprises à prendre en main les dispositifs d’urgence. Pour ces raisons, nous pouvons saluer chaleureusement ses personnels au nom de la représentation nationale.
Nos différentes auditions nous ont permis de retracer la réforme structurelle conduite ces dernières années et qui a conduit la DGE à se recentrer sur des missions à très forte valeur ajoutée tout en réduisant significativement ses effectifs et en transformant notablement son organisation. La crise a mis en évidence son agilité et sa réactivité, et nous devrions montrer en exemple, dans le cadre de notre réflexion collective sur l’administration de demain, cette transformation qualitative qui a permis mobilité des effectifs, numérisation des procédures et adaptation croissante des compétences.
Nous nous interrogerons également sur les outils de l’urgence qu’il convient de pérenniser. À cet égard, les conditions de financement du PGE étaient assurément séduisantes, mais, comme rapporteurs du programme 134, nous souhaitons que l’on réfléchisse sans tarder à un PGE de sortie de crise, rémunérant mieux les banques et, surtout, prolongeant la durée d’amortissement pour les entreprises. En complément des instruments de dette, il nous semble utile de réduire rapidement le ratio d’endettement des entreprises en renforçant aussi l’intervention publique en capital. Ainsi, l’État pourrait prendre davantage de participations limitées dans le temps au capital de certaines entreprises.
L’intervention de Bpifrance a été essentielle. Je voudrais vous remercier, chers collègues, et saluer la rare unanimité qui nous a réunis, lors du vote du précédent budget, pour maintenir la ligne budgétaire de la banque publique d’investissement ; je remercie aussi le Gouvernement d’avoir écouté les préconisations du Parlement. Soyons clairs : les crédits aujourd’hui nécessaires à l’intervention de Bpifrance sont plus importants que les crédits disponibles. Nous serons donc très attentifs aux arbitrages qui nous seront proposés, car il faut permettre la pérennité de ces dispositifs.
Enfin, la relance implique, et vous le savez, une lutte ardente contre l’allongement des délais de paiement constaté pendant la crise – et ce n’est peut-être pas fini. Nous saluons la constitution du comité de crise qui se réunit sur ce sujet, mais nous lançons l’alerte : les moyens utilisés peuvent paraître inadaptés, et les sanctions encore trop peu dissuasives. Les contrôles de la DGCCRF ne sont effectués qu’après la clôture de l’exercice comptable concerné : autrement dit, les dérives constatées pendant la crise sanitaire ne feront l’objet d’enquêtes qu’à partir de 2021. Nous plaidons donc pour la pérennisation du comité de crise, mais aussi pour de nouvelles modalités d’intervention peut-être plus persuasives.
Au-delà des ajustements et des mesures contenus dans le troisième PLFR, que nous allons examiner ensemble, nous devons aussi penser un nouveau modèle économique pour demain : la crise a changé les règles du jeu économique mondial en faisant intervenir de nombreux acteurs qui n’étaient pas uniquement financiers. La reprise doit être l’occasion de mener une réflexion globale sur le soutien public aux entreprises. Pour cela, les administrations doivent s’approprier rapidement une lecture plus offensive de ces enjeux, essentielle pour une relance efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Frédéric Petit applaudit également.) La parole est à M. Patrick Hetzel. Je me concentrerai sur l’évaluation des politiques publiques en matière de justice. Vous n’êtes pas sans savoir combien le Gouvernement nous a vanté les mérites de sa loi de programmation pluriannuelle sur ce sujet ; il nous a notamment indiqué que la chancellerie et la justice judiciaire avaient pris un véritable tournant numérique. En prenant un peu de recul, on s’aperçoit pourtant que l’un des effets collatéraux de la pandémie de covid-19 a été de soumettre la justice judiciaire à un véritable crash test grandeur nature de son véritable niveau d’informatisation et de performance numérique. Or cette mise à l’épreuve a révélé où se situaient les failles du système. Hélas, nous n’avons pas été déçus, si j’ose dire : le résultat n’est pas brillant – c’est un euphémisme. La crise sanitaire a en effet mis en lumière différents points noirs.
Ainsi, entre le 16 mars et le 11 mai, les procès d’assises ont été purement et simplement reportés, comme la majorité des audiences des tribunaux correctionnels ou civils ; les audiences maintenues étaient principalement celles de comparution immédiate. Or Mme la ministre de la justice, lors de son audition devant la mission d’information sur l’épidémie de covid-19, à l’Assemblée nationale, nous a dit que « les tribunaux restaient ouverts pour traiter les contentieux de l’urgence » ; elle a notamment cité les violences au sein de la famille, les atteintes aux personnes ou encore le non-respect des règles du confinement.
Ce que nous avons vu, c’est surtout la très grande diversité des modalités de fonctionnement des juridictions, et une application des directives de la chancellerie très variable de l’une à l’autre. Ce ralentissement de l’activité des juridictions est inédit, et il est d’autant plus préoccupant qu’il s’ajoute aux difficultés liées à la grève des avocats, en amont de la pandémie, et qui a été particulièrement mal gérée. Il tient en grande partie au manque de lisibilité des plans de continuité de l’activité ; dans certains cas, ils ont même entraîné un arrêt quasi-total des juridictions. Le même constat peut d’ailleurs être fait pour la protection judiciaire de la jeunesse.
Nos interrogations sont simples. Était-il indispensable de réduire à ce point le fonctionnement des juridictions et, si oui, pourquoi ? Pourquoi les systèmes informatiques n’étaient-ils pas prêts, contrairement à ce qu’avait annoncé le Gouvernement ?
Mon diagnostic est sévère. Lorsque la décision de confinement est prise, la chancellerie s’aperçoit que si les magistrats sont certes dotés d’ordinateurs portables, ce qui leur permet de télétravailler, les personnels des greffes n’en possèdent pas. En urgence, on fait distribuer 300 ordinateurs portables – pour 13 000 greffiers ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.) Cela fait une moyenne intéressante ! C’est le point noir le plus évident : pour les greffiers, on atteint ainsi un taux d’équipement de 2 %. La belle affaire !
Mais le crash test révèle aussi un autre point noir : si les magistrats, je l’ai dit, sont équipés, ils se sont aussi très vite rendu compte que le réseau privé virtuel – VPN – était très largement sous-dimensionné. À la mi-mars, 2 500 connexions simultanées seulement étaient possibles. C’est vraiment du temps partiel ! Quelle incurie ! Il a fallu attendre le mois de mai et la fin du confinement pour assister à une montée en puissance du système.
Ce problème est maintenant résolu, puisque la chancellerie nous annonce que 40 000 ordinateurs peuvent être simultanément connectés. Ces affirmations n’ont pas pu être vérifiées, tout simplement parce que les magistrats reprennent très progressivement leur activité. Tout cela est évidemment bien trop tardif, et n’a pas permis de faire face aux enjeux.
Un autre problème reste à régler : celui des applications informatiques de la chaîne civile. Contrairement à celles utilisées pour la chaîne pénale, elles ne fonctionnent qu’à partir des postes informatiques en juridiction : les retards ont donc continué à s’accumuler massivement. Il est indispensable de s’attaquer à ce chantier : les dossiers civils doivent pouvoir être traités à distance. Il faut également mettre en place un plan de résorption des retards accumulés.
Il est paradoxal que la chancellerie s’occupe davantage d’intelligence artificielle – allant jusqu’à publier un décret sur ce sujet en pleine pandémie, ce qui constitue un scandale absolu – que de ce qui constitue le cœur de ses missions : tout mettre en œuvre pour que les technologies de l’information et de la communication soient au service d’une justice proche de nos concitoyens.
Les marges de progression, vous l’avez compris, sont bien réelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Ce n’est pas d’intelligence artificielle mais d’intelligence tout court que l’on a besoin ! La parole est à M. Xavier Roseren. L’édition 2020 du printemps de l’évaluation est particulière : les rapporteurs spéciaux ont non seulement évalué l’emploi des crédits en 2019, mais aussi, en partie, ceux adoptés dans l’urgence au cours des derniers mois.
L’examen des crédits dédiés au développement des entreprises a permis à ma collègue Olivia Gregoire et à moi-même d’effectuer un premier bilan factuel, non exhaustif, de l’accompagnement mené par les administrations économiques dans le contexte de la crise. Nous avons précisément souhaité savoir comment la très forte mobilisation des services et des opérateurs de l’État les a conduits à adapter, dans l’urgence, leur soutien aux entreprises.
Notre premier constat concerne les méthodes de travail. Comme beaucoup d’autres secteurs confinés, les administrations et les opérateurs ont dû organiser leur travail à distance ; le télétravail a entraîné une évolution des mentalités, mais surtout accéléré la transformation numérique de l’administration. Plus largement, les services ont dû répondre rapidement à des besoins nouveaux, alors même qu’ils étaient bien plus sollicités qu’à l’habitude, et parfois en sous-effectifs. Le traitement automatisé des demandes d’autorisation préalable d’activité partielle a permis d’optimiser largement l’efficience des services.
Nous nous sommes également intéressés au rôle joué par les administrations économiques dans la mise en œuvre des dispositions exceptionnelles de soutien. Notre rapport l’indique : en se voyant attribuer la gestion du PGE, Bpifrance a vu son rôle d’opérateur-pivot de la politique économique de l’État renforcé. En début de semaine, ce sont 85 milliards d’euros qui ont été distribués à près de 500 000 entreprises. C’est un réel succès. Nous devons néanmoins nous montrer vigilants sur la non-compensation financière par l’État de l’attribution de la gestion du PGE à Bpifrance : l’ampleur de l’action de la banque publique d’investissement ayant entraîné un surcoût très significatif, une compensation nous apparaît nécessaire.
Nous nous penchons aussi sur la coordination, par la DGE, des avances remboursables, outil de soutien aux PME dont la demande de PGE a été refusée. La DGE insiste sur l’importance d’un tel instrument, qui permet la survie d’entreprises stratégiques. Il me semble important de rappeler qu’une grande majorité des services centraux comme des services déconcentrés étaient engagés depuis 2017 dans une réforme d’envergure, et se trouvaient déjà sous pression bien avant la crise. Cette réorganisation implique d’importantes suppressions de postes et de missions, en particulier au sein de la DGE. Face au fort accroissement des sollicitations, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – DIRECCTE – ont revu les missions et la taille des équipes. Celles-ci ont pu faire face aux demandes grâce à la transversalité de leur organisation et aux effectifs mis à disposition par le niveau central. La collaboration progressive des services déconcentrés avec les réseaux consulaires a permis d’appliquer les mesures d’accompagnement au plus près du terrain. L’instauration d’un seul point de contact pour les entreprises, à savoir les réseaux consulaires, me semble une bonne mesure, qui doit être pérennisée : la lisibilité des possibilités offertes aux acteurs économiques s’en trouve accrue.
La bonne gestion des deniers publics en 2019 a facilité une réponse cohérente à la crise, même si nous avons constaté quelques failles, et que l’évaluation est loin d’être close. L’enjeu est maintenant de pérenniser certaines transformations survenues pendant la crise, dans la perspective d’une relance économique. La définition d’un nouveau modèle industriel de rupture, fondé sur la réindustrialisation et la relocalisation, doit aussi être conforme à nos objectifs environnementaux. L’intervention économique de l’État dans les territoires doit être consolidée ; elle devrait être plus cohérente, dans un but d’efficacité de la dépense publique, avec l’affirmation des régions comme acteurs économiques centraux.
Sur le fondement des constats établis pendant la crise, les administrations et collectivités doivent ainsi réinventer une collaboration de proximité renforcée, et plus efficiente. (Mme Olivia Gregoire applaudit.) La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz. Légiférer, oui, mais aussi contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques : ce sont les raisons d’être de tout parlementaire. Bien sûr, le contexte de ce printemps de l’évaluation fut particulier ; mais peut-être en avons-nous extrait l’essentiel !
Les crédits de la mission « Direction de l’action du Gouvernement » s’élèvent à quelque 1,2 milliard d’euros. Si la dépense semble diminuer de plus de 148 millions par rapport à 2018, c’est là une économie de façade, les loyers budgétaires n’ayant pas été comptabilisés en 2019. À périmètre constant, les crédits consommés augmentent de 20 millions d’euros.
Comme chaque année, de nombreux transferts sortants de crédits nuisent à la lisibilité de l’exécution ; la sous-budgétisation récurrente des dépenses de fonctionnement des services du Premier ministre est également une constante regrettable.
Je le dis chaque année et ne cesserai de le dire tant que ce ne sera pas clair. À titre d’exemple, les frais de transport du chef du Gouvernement sont trois fois supérieurs à la prévision. L’utilisation de l’escadron de transport 00.060 n’est toujours pas inscrite dans la loi de finances initiale. Bien sûr, je comprends la difficulté d’une prévision juste dans ce domaine, mais un écart de un à trois n’est pas sérieux, monsieur le ministre.
Je m’inquiète, enfin, de la dégradation des délais de traitement des dossiers des autorités administratives indépendantes de protection des droits et des libertés. Je pense notamment à la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et au Défenseur des droits.
Le budget annexe « Publications officielles et information administrative » dégage en 2019 un excédent de 58,5 millions d’euros, soit 8,6 millions de plus qu’en 2018. La poursuite des plans d’économies et des recettes supérieures à la prévision en sont la cause. Toutefois, je m’interroge, à l’instar de la Cour des comptes et de la mission d’information relative à la mise en œuvre de la loi organique, sur l’opportunité de supprimer ce budget annexe.
Pour conclure sur l’exécution 2019, la mission « Investissements d’avenir » a consommé un peu plus de 1 milliard d’euros en crédits de paiement, conformément à la prévision. Toutefois, les nombreux redéploiements de crédits intervenus en cours d’année, pour un montant total de 1 milliard, dénaturent l’autorisation budgétaire initiale ; près de 300 millions d’euros sont ainsi dédiés à la création d’une filière de la batterie, annoncée par le Président de la République. Si je ne préjuge pas d’utilité de cet investissement, les programmes d’investissement d’avenir – PIA – sont, encore une fois, soumis au fait du prince.
La crise sanitaire de 2020 a eu des effets marginaux sur le champ de mon rapport spécial, à l’exception du budget annexe qui en sort fragilisé. Certains services ont été particulièrement mobilisés mais, dans l’ensemble, le ralentissement de l’activité pourrait se traduire par des économies.
Dans la mission « Direction de l’action du Gouvernement », certains surcoûts apparaissent néanmoins difficilement justifiables, d’autant que la situation de nos finances publiques se dégrade fortement.
Le service d’information du gouvernement – SIG – anticipe une dépense supplémentaire de 20 millions d’euros en raison de la crise : 9 millions consacrés à la création d’une plateforme téléphonique qui me paraît utile, et 11 millions concernant des activités qui auraient pu être arrêtées ou ralenties. Ainsi le SIG a continué à organiser des études d’opinion dont la nécessité m’apparaît relative. Non seulement ces sondages sont coûteux, mais ils me laissent craindre que les décisions du Gouvernement aient été davantage guidées par l’évolution de l’opinion publique que par la recherche de l’intérêt général. Oh non, cela n’est pas possible, voyons… À cela s’ajoutent des initiatives malheureuses parmi lesquelles la création d’un site internet publiant des articles de presse certifiés par le Gouvernement. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe LR.) Une forme de Pravda , de vérité d’État ! L’an dernier, le grand débat national avait déjà occasionné un surcoût de 2 millions d’euros pour le SIG. Les dépenses évoluent désormais en proportion inverse de la cote de popularité du Gouvernement.
Le secrétariat général de la défense nationale et de la sécurité nationale a été mis à contribution pour apprécier l’opportunité d’exporter des masques au cœur de la crise. Les moyens mobilisés à cette fin auraient été plus utiles au renforcement de l’approvisionnement au bénéfice de nos soignants.
Enfin, quatre actions des PIA ont été sollicitées pour répondre à la crise : 125 millions d’euros ont ainsi été fléchés pour soutenir les petites entreprises. Je considère, toutefois, que le PIA ne doit pas être un instrument conjoncturel car son objectif premier est l’élévation du potentiel de croissance de l’économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. L’année 2019 fut une année d’application et d’approfondissement des réformes menées depuis le début du quinquennat. Celles-ci ont porté leurs fruits au quatrième trimestre de 2019 : le taux de chômage s’établissait à 8,1 %, soit son plus bas niveau depuis la fin de 2008. On constatait aussi une progression nette des taux de sortie positive des bénéficiaires d’un dispositif de formation ou d’emploi, dont l’un des plus beaux exemples est le taux d’insertion dans l’emploi à l’issue du contrat d’apprentissage.
Cependant, la crise sanitaire a remis en cause les avancées que nous avons enregistrées en matière d’emploi. Pour autant, nous nous félicitons des résultats passés, qui ont permis d’atténuer la crise économique. Nous avons pu prendre des mesures sans précédent, quoi qu’il en coûte et quoi qu’il en coûtera encore. Je ne citerai qu’une des mesures liées à la mission « Travail emploi » dont je suis rapporteure spéciale : le chômage partiel, ou plutôt l’activité partielle. Celle-ci a permis à un travailleur sur deux de conserver son emploi, de préserver son contrat de travail avec, dans la majorité des cas, un maintien du salaire total. Ce sont ainsi 31 milliards d’euros qui ont été investis pour sauver les emplois. Ce n’est pas rien, et ce n’est pas fini : demain, un nouveau dispositif, dénommé « activité réduite pour le maintien en emploi », est appelé à prendre le relais.
Mais nous devons aussi prévoir un plan d’accompagnement des demandeurs d’emploi car les derniers chiffres traduisent une hausse sans précédent du nombre d’inscrits à Pôle emploi : 22,6 % en un seul mois. La crise a fragilisé les structures d’insertion par l’activité économique ; une sous-consommation des aides au poste versées est attendue tant du fait du placement en activité partielle des salariés de ces structures que des moindres recrutements par rapport aux prévisions pour 2019. Dans le même temps, les entreprises adaptées ayant recours à l’activité partielle ne sont pas éligibles à l’aide au poste. Or 93 % d’entre elles se déclarent fermées totalement ou en activité partielle.
Le constat est clair : la contraction de l’emploi affecte déjà, et affectera plus encore les jeunes, les personnes les moins qualifiées ou les personnes en situation de handicap, bref, les Français dont la situation est déjà plus difficile. Or aucune société prospère et durable ne peut tolérer en son sein des exclusions aussi persistantes.
Le plan de relance annoncé au bénéfice de l’apprentissage et de l’emploi des jeunes est primordial, mais les dispositifs actuels doivent être maintenus et amplifiés. Le plan d’investissement dans les compétences voit ainsi sa légitimité accrue. Afin d’aider chacun à retrouver autonomie et dignité par le travail, il est temps de passer à la vitesse supérieure, alors que l’action publique est écartelée entre l’injonction de la maîtrise des dépenses publiques et l’impératif de réponses sociales aux multiples fractures de la société française.
Les entreprises adaptées, l’insertion par l’activité économique, l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » ou encore les emplois francs sont des investissements utiles pour notre nation. Ils contribuent à construire une société et une économie dans lesquelles chaque talent, chaque compétence, chaque individu peut trouver sa place pour faire société ensemble. Il ne s’agit pas d’un slogan, mais bien d’une volonté profonde qui nous impose de mobiliser, aux côtés de l’État, l’ensemble des acteurs de l’inclusion, les collectivités et les entreprises dans un véritable esprit de coconstruction.
Notre feuille de route est simple compte tenu des besoins sociaux que la crise fera naître. Après avoir libéré le travail et l’esprit d’entreprise, nous devons garantir un État qui protège. C’est la raison pour laquelle, à la suite des travaux menés avec mes collègues, Didier Baichère et Christine Cloarec-Le Nabour, le groupe de la majorité présidentielle, conscient de la nécessité, accrue par la crise, de poursuivre notre action, déposera une proposition de loi sur l’insertion par l’activité économique et la prorogation du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » afin de simplifier et de renforcer ces dispositifs.
Nous devons agir dans trois directions : transformer les crédits non consommés du fait de la crise sanitaire en une aide exceptionnelle aux structures et entreprises adaptées ; inscrire dans la durée et renforcer l’ambition initiale dans le domaine de l’insertion par l’activité économique et des entreprises adaptées en prévoyant d’ores et déjà, monsieur le ministre, un budget pour 2021 supérieur à celui de 2020 afin d’accroître les opportunités offertes aux plus vulnérables ; augmenter les enveloppes dédiées à l’emploi des jeunes, au-delà de ce qui sera voté dans le troisième projet de loi de finances rectificatives dont nous saluons le volet consacré à l’apprentissage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. François Jolivet. La pandémie nous oblige tous à sortir de notre zone de confort : Gouvernement, administrations publiques et Parlement. La politique du logement et de l’hébergement n’y échappe pas. Depuis le 15 mars, nous avons été plusieurs dizaines de millions à rester chez nous, conformément aux recommandations sanitaires ; 94 % des Français ont vécu dans leur résidence et nombre d’entre eux ont découvert le télétravail dans des logements souvent inadaptés à celui-ci. Le covid-19 sera, sans nul doute, l’événement de ce début de XXIe siècle.
Les semaines de confinement ont été révélatrices de la perception que les Français ont de leur logement, mais aussi, pour certains d’entre eux, de leurs conditions d’habitat difficiles. Dans les quartiers populaires notamment, les habitants ont été victimes de la double peine, la peine de la pauvreté et celle de l’hyperdensité.
On peut s’interroger sur le modèle de demain. Je ne suis pas sûr que l’hyperdensité soit l’Eldorado pour les Français ni l’assurance de leur bonheur. Tout à fait d’accord ! Nous les écoutons, et il semblerait que la ruralité ait une occasion à saisir pour peu… La ruralité, c’est l’avenir ! …qu’on y trouve le très haut débit et une couverture téléphonique. Très bien ! Et des médecins ! Le Gouvernement est le seul à s’être véritablement saisi de ces deux sujets, non dans les discours mais dans les actes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – Protestations sur les bancs du groupe LR.) Vous n’y croyez pas vous-même ! La fraternité est une promesse républicaine, mes chers collègues, a fortiori lorsque les vies humaines sont menacées par une crise sanitaire. À ce titre, le Gouvernement a pris des décisions – prolongation de la trêve hivernale, création de centres d’hébergement, distribution de chèques de services – qui nécessitent de trouver 200 millions d’euros – le troisième projet de loi de finances y pourvoit : merci, monsieur le ministre.
L’entrée en vigueur de la contemporanéité des aides personnalisées au logement – APL –, qui devait permettre une économie de 1,6 milliard d’euros, a été repoussée, pour des raisons informatiques aussi. Ce n’est pas plus mal ! Je voudrais dire à celles et ceux qui avaient contesté le principe de cette réforme que le système de redistribution français a une vertu, celle de protéger et d’amortir les crises. Je renvoie à leur conscience les procureurs d’un jour. Ils se sont trompés car, si la réforme avait été appliquée, en cas de retournement de conjoncture, elle n’aurait pas donné lieu à des économies mais accru les dépenses. C’est la raison pour laquelle je forme le vœu que cette réforme entre en vigueur le plus vite possible.
Nous avions donc prévu 1,6 milliard d’économies, ce qui ne sera pas possible. Avec les 200 millions supplémentaires que j’ai mentionnés, on atteint la somme de 1,8 milliard auxquels d’autres dépenses viendront peut-être s’ajouter si la contemporanéité des aides était instaurée.
Je veux aussi appeler votre attention sur un sujet qui me tient à cœur : la construction. Pour construire des logements, il faut des entreprises : plus de 50 000 entreprises du bâtiment sont concernées aujourd’hui par le prêt garanti par l’État ; la reprise est malheureusement lente et progressive. Dans ce contexte, nous devons nous prémunir contre un danger qui nous guette et s’ajouterait à la crise économique et sociale que l’on nous annonce et que nous pouvons tous prévoir : la gangrène des affaires que l’on appelle la crise de confiance des investisseurs. La politique du logement, et plus généralement la construction, ne repose que sur la confiance. Alors comment faire pour amortir cette crise de confiance inévitable ?
Selon moi, trois pistes doivent être explorées : d’abord soutenir l’ANAH – Agence nationale de l’habitat –, qui a parfaitement réussi l’année dernière, en rénovant 155 000 logements et en dépassant ses objectifs, même si, comme le suggérait une collègue tout à l’heure, c’est insuffisant. Les moyens de l’ANAH devront donc être augmentés.
Ensuite, nous devons imaginer un outil de substitution au dispositif Pinel. La confiance la plus difficile à gagner est celle des particuliers, dont les investissements vont cesser, comme à chaque crise. Peut-être avons-nous l’occasion unique de mettre fin définitivement à un dispositif qui a été vivement critiqué, en privilégiant un soutien aux investissements dans les logements intermédiaires. Ce serait l’assurance d’un respect des plafonds de ressources, des plafonds de loyer et des PLH – programme local de l’habitat – de chaque territoire.
Enfin, l’État doit donner l’exemple concernant ses propres investissements. Selon moi, il faut rompre définitivement avec la vision passéiste qui repose sur la doctrine du propriétaire occupant et lui substituer la doctrine moderne qui sépare l’occupant du propriétaire. Les biens de l’État pourraient être achetés et entretenus par des sociétés publiques alimentées par des fonds publics. Je pense qu’il faut préférer cette solution à celle des partenariats public-privé. Il faut conclure, mon cher collègue. Les Français l’attendent de nous, monsieur le ministre. N’hésitons pas à provoquer de la crise pour approfondir encore la réforme du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard. Nous sommes réunis pour procéder à l’évaluation des politiques publiques conduites en 2019. C’est un exercice particulier, puisque nous avons tous comme ligne d’horizon la gestion de 2020, déjà très fortement affectée par la crise du coronavirus, avec une hypothèse de déficit public de 9,9 % selon les dernières prévisions publiées par la Commission européenne, un produit intérieur brut en recul de 8,2 % et une dette publique qui s’envole, à 116,5 % du PIB.
C’est pourquoi il nous faut réagir vite et prendre des mesures fortes. Pour ce faire, les rapports qui nous sont soumis dans le cadre de cette évaluation sont très intéressants. Dans le temps imparti, il est évidemment impossible d’en passer l’ensemble en revue, certains n’ayant toujours pas été rendus publics ou l’ayant été il y a quelques instants – je pense notamment à celui qui porte sur la sécurité. C’est dommage…
Je me cantonnerai donc à l’évaluation de deux missions, assez emblématiques selon moi.
L’exécution budgétaire 2019 de la mission « Immigration, asile et intégration », composée des programmes 104, « Intégration et accès à la nationalité française », et 303, « Immigration et asile », s’est établie, hors fonds de concours, à 1,948 milliard d’euros en autorisations d’engagement et à 1,78 milliard en crédits de paiement, montants supérieurs d’environ 5 % à ceux ouverts par la loi de finances pour 2019. L’exercice 2019 est le onzième exercice consécutif au cours duquel les crédits initiaux ont été dépassés. Et, une fois encore, le déséquilibre constaté provient d’une importante surexécution du programme 303, « Immigration et asile », pour plus de 150 millions.
L’an dernier déjà, les crédits de cette mission avaient été significativement augmentés dans la loi de finances initiale pour 2018, et cela n’avait pas suffi. Ce n’est guère étonnant, puisque vous fondez les prévisions de dépenses sur un nombre de demandes d’asile largement sous-évalué. En 2019, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a enregistré 132 614 demandes au total, soit 7,3 % de plus qu’en 2018. La demande d’asile a ainsi atteint un nouveau niveau record en France, alors que, je vous le rappelle, elle baisse partout ailleurs en Europe.
Bref, vous vous entêtez à sous-estimer l’évolution de la demande d’asile et, bien entendu, son effet sur les crédits qui lui sont consacrés. On se demande bien pourquoi, d’autant que la crise sanitaire devrait amener à majorer encore les dépenses de cette mission, d’environ 168 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 9 %.
Mon deuxième exemple concernera l’aide médicale d’État, l’AME, et la prise en charge sanitaire des étrangers en situation irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois. S’il faut souligner que, cette année – enfin ! –, les dépenses de l’AME inscrites au budget de l’État ont été exécutées conformément aux prévisions, on constate malgré tout une progression continue de ces dépenses, de 29 millions en un an ! En cinq ans, le coût de l’ensemble des composantes de l’AME s’est accru d’environ 175 millions, en raison de l’augmentation du nombre de bénéficiaires – 326 000 à la fin de l’année 2019, contre 318 000 à la fin du mois de décembre 2018 – et de l’élévation du coût trimestriel moyen par bénéficiaire – 641 euros en 2017 ; 674 euros en 2018 ; 685 euros en 2019.
En outre, le coût réel de l’AME est probablement largement sous-estimé. Si l’on en croit le rapport récemment établi à ce sujet par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales, la dépense hospitalière pour les étrangers en situation irrégulière est sous-évaluée d’au moins « 8 %, à quoi s’ajoutent des frais de gestion de l’ordre de 8 % » également.
En guise de conclusion, je voudrais mettre cette réflexion en perspective en évoquant un autre sujet miné : celui de la fraude sociale. Les travaux de la commission d’enquête présidée par notre collègue Patrick Hetzel sont prometteurs. Peut-être arriverons-nous enfin à nous attaquer à cette question ! Selon Charles Prats, magistrat et ancien membre de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, 12,4 millions de personnes nées à l’étranger ou dans un territoire d’outre-mer ont bénéficié de prestations sociales l’an dernier, alors qu’il devrait y en avoir au maximum 9,9 millions selon l’INSEE. Il y a donc 2,5 millions de « fantômes », pour reprendre le terme de M. Prats, qui touchent chaque mois de l’argent de l’État français !
Monsieur le ministre, je ne peux que m’interroger sur les raisons du manque de transparence sur ces questions. Les sujets tabous n’ont pas lieu d’être, à plus forte raison en matière budgétaire : il s’agit d’argent public, de l’argent des Français, et ceux-ci ont le droit de savoir comment il est utilisé. Très bien ! La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics. J’ai quitté tout à l’heure une réunion de la commission des finances, et nous allons discuter dans quelques instants du projet de loi de règlement. J’avais l’habitude de vous retrouver en juin pour quelques nuits ; c’est désormais pour des journées entières. (Sourires) L’exercice est néanmoins un peu différent de celui des années précédentes : le groupe La République en marche et le groupe du Mouvement démocrate et apparentés ont souhaité organiser le printemps de l’évaluation, mais l’année parlementaire a été bousculée, et vous n’avez pas pu interpeller les ministres au cours de réunions thématiques.
Vous avez établi de nombreux rapports thématiques. Vos interventions ont elles aussi porté sur des thèmes spécifiques : celle de M. Hetzel sur la justice, celle M. Le Fur sur l’aide au développement, celle de M. Jolivet sur le logement. Il appartient aux ministres compétents – c’est le principe de l’évaluation – de vous répondre à propos de ces politiques publiques. Vous m’excuserez donc de ne pas apporter moi-même ces réponses. Je suis sûr que vous les obtiendrez lorsque vous examinerez, bientôt, les crédits budgétaires, en vous appuyant précisément sur vos évaluations. Quant au projet de loi de règlement, il sera présenté tout à l’heure par le ministre de l’action et des comptes publics et le secrétaire d’État placé auprès de lui.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, si je puis me permettre une réflexion à propos du débat parlementaire, notre discussion gagnerait à ce que l’on organise de nouveau, lorsque ce sera possible, ces commissions thématiques. Celles-ci avaient beaucoup apporté au ministre de l’action et des comptes publics pour évaluer les crédits avec ses collègues. Ces discussions sont évidemment tout sauf médiocres.
En commission des finances tout à l’heure, le temps était compté, et je n’ai pas pu répondre à toutes les questions posées, le ministre de l’économie et des finances ayant disposé des quelques minutes restantes, ce qui était bien logique puisque je vous retrouvais ensuite. Je voudrais donc dire quelques mots pour répondre aux orateurs concernés, même s’ils ne sont pas tous présents. Qui plus est, certains d’entre vous viennent d’évoquer, à cette tribune, l’année 2020, même si le débat portait sur l’évaluation de l’année 2019 – notons que, malgré le nom du virus, la crise du covid-19 n’a pas affecté l’exercice 2019. Bref, je m’en voudrais de ne pas apporter de précisions sur trois sujets : l’impôt sur le revenu, évoqué par M. de Courson ; les crédits inscrits dans le PLFR 3, abordés entre autres par Mme Pires Beaune, M. Roussel et M. Coquerel ; les exonérations de charges, à propos desquelles vous m’avez interrogé, monsieur le président de la commission des finances.
Mme Pires Beaune – avec qui j’en ai discuté juste après la réunion –, M. Roussel et M. Coquerel ont estimé que le contenu du PLFR n’était pas tout à fait conforme aux discours. Il est vrai que le texte du PLFR, qui fait plusieurs pages, a été fourni au Parlement au moment même où la commission se réunissait, ce qui ne facilite pas les choses. Quoi qu’il en soit, les crédits en question sont bien inscrits dans le troisième PLFR : au budget du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 75 millions d’euros pour aider les étudiants, 30 millions pour améliorer le montant des bourses et 45 millions pour compenser les loyers normalement versés aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires ; au budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, 100 millions en faveur des Français de l’étranger ; au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », les crédits destinés à financer le plan présenté par Mme Schiappa pour lutter contre les violences faites aux femmes ; au sein de la mission « Cohésion des territoires », plus de 200 millions pour l’hébergement d’urgence, évoqué par M. Jolivet.
M. de Courson m’a demandé pourquoi le produit de l’impôt sur le revenu n’avait pas été davantage revu à la baisse dans ce troisième PLFR. Je suis sûr que, de là où il est, il nous entend. Il n’est pas mort ! (Rires.) Bien entendu ! Je voulais dire qu’il nous écoute probablement depuis son bureau. J’ai une petite expérience du travail de parlementaire…
Le produit de l’impôt sur le revenu ne baisse pas aussi fortement que M. de Courson l’a évoqué, pour deux raisons. D’une part, la masse salariale diminue moins vite que le PIB ; l’effet sur le produit de l’impôt sur le revenu sera donc retardé, et ne deviendra sensible que l’année prochaine. Il faut du temps, si je puis m’exprimer ainsi, pour licencier, pour mettre définitivement au chômage des salariés ou pour baisser structurellement leur rémunération : tout cela ne se calque pas avec évidence sur les prévisions de croissance de la Banque de France, de la Commission européenne ou de l’INSEE.
D’autre part, les choses ont changé avec le prélèvement à la source, mentionné par quelques-uns d’entre vous. Nous avons constaté qu’entre la présentation du PLFR 2 et celle du PLFR 3, les Français avaient moins baissé leur taux de prélèvement à la source que nous ne nous y attendions, ce qui est d’ailleurs plutôt une bonne chose. Par ailleurs, la détermination de l’assiette de l’impôt sur le revenu n’est pas contemporaine de sa collecte, question que nous avons longuement évoquée lors de l’instauration du prélèvement à la source. En tout cas, il y a bien une baisse du produit de l’impôt sur le revenu, mais les prévisions sont moins alarmistes que prévu, compte tenu de ce que nous avons constaté au cours des six premiers mois de l’année.
J’en profite d’ailleurs pour faire un petit rappel général : il ne reste plus que vingt-quatre heures aux contribuables, notamment parisiens, pour déclarer leurs revenus. Quant à ceux qui font encore une déclaration papier parce qu’ils ont plus de mal, ils ont jusqu’au 12 juin. Il ne faut pas oublier…
Monsieur le président de la commission des finances, vous vous êtes interrogé sur l’utilité de la mesure relative aux cotisations sociales salariales – s’agissant des cotisations patronales, vous avez bien compris la stratégie du Gouvernement, et nous aurons l’occasion d’en parler lors de la présentation des mesures prévues en la matière. Il est exact qu’un employeur qui place ses salariés en activité partielle ne paie pas de cotisations. Toutefois, il y a deux sujets à traiter. Premièrement, certains de ceux dont nous avons interrompu l’activité à partir du 15 mars ont tout de même payé leurs salariés jusqu’au 30 mars. Ils ont donc payé un « supplément » de cotisations sociales, ce qui a pu avoir un effet négatif sur leur trésorerie, difficulté à laquelle nous avons voulu répondre.
Deuxièmement, certains ont dû poursuivre en partie leur activité, et tous leurs salariés n’ont pas pu être pris en charge par le dispositif d’activité partielle. Tel a été le cas, par exemple, des réceptionnistes dans les hôtels, des agents de sécurité embauchés par les entreprises pour garder les locaux ou encore des employés de centres équestres – vous les avez évoqués lors d’une discussion précédente – qui ont continué à travailler pour nourrir les animaux.
Bref, même si leur montant total est réduit, des cotisations sociales ont tout de même été versées ou seront versées. Comme nous n’avons pas voulu priver les salariés des droits qu’elles ouvrent, nous avons choisi de faire ce crédit égal à 20 % de la masse salariale – le taux résulte effectivement de l’application d’une simple règle de trois, je veux bien l’avouer. Grâce à ce crédit, outre qu’il ne paiera pas ses charges patronales, un coiffeur resté fermé pendant les deux mois de confinement pourra payer le premier ou les deux premiers mois de cotisations sociales de ses salariés. C’est une avance de trésorerie sociale, pourrait-on dire. En tout cas, telle est la proposition faite par le Gouvernement à la représentation nationale pour traiter ces quelques problèmes, qui handicapent parfois les entreprises de France.
J’en ai terminé avec les réponses aux membres de la commission des finances et aux intervenants qui ont évoqué l’exercice 2020. Je ne reviens pas sur l’évaluation des crédits non encore consommés de l’année 2020, non seulement parce qu’ils sont effectivement très changeants, mais aussi parce que ce sera probablement l’objet de vos commissions d’enquête et du prochain printemps de l’évaluation.
S’agissant de l’année 2019, je tiens à remercier les quarante-sept rapporteurs spéciaux pour leurs travaux, même si un petit nombre d’entre eux n’ont pas encore été remis. Ils aident le travail du Gouvernement, notamment du ministre de l’action et des comptes publics, qui va recevoir ses collègues à partir de la semaine prochaine pour construire le budget de 2021. Les rapports parlementaires sont toujours extrêmement précieux pour discuter de l’évaluation des crédits des politiques publiques.
À cet égard, je rejoins M. de Courson : dans ces rapports spéciaux, le Parlement propose peu de mesures d’économies. Autrement dit, on est souvent favorable aux économies en général, mais rarement en particulier. Lorsque l’on choisit de rédiger un rapport thématique – j’ai eu l’occasion de le faire lorsque j’étais député –, c’est parce que l’on s’intéresse à une politique dont on n’a guère envie de voir les crédits diminuer. On déplore plutôt, au contraire, une insuffisance ou une sous-exécution des crédits inscrits.
Pourtant, il est important de ne pas juger une politique publique avec le seul critère de l’augmentation des crédits : d’abord il n’est pas toujours pertinent, ensuite cela aurait pour conséquence de ne jamais réduire ni maîtriser la dépense publique.
Nous avons redressé les comptes publics ; plusieurs rapporteurs l’ont évoqué et je remercie M. le rapporteur général de l’avoir souligné dans son intervention. À cette occasion, je salue également Joël Giraud pour le travail que nous avons accompli ensemble les années précédentes ; je lui rends hommage parce que cette exécution est aussi la sienne, tout comme la sincérité dans l’inscription budgétaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Je partage le propos de M. Daniel Labaronne, notamment, selon qui nous avons attaqué cette crise avec les meilleurs comptes publics possibles, quand bien même ils étaient effectivement moins bons que ceux de nos amis allemands : la situation dont nous avions hérité différait peut-être un peu, il faut bien l’avouer – ce que n’ont pas fait tous les membres de l’opposition qui se sont exprimés. Il s’agit bien d’une réalité, puisque nous sommes passés, la Cour des comptes en fait foi, d’un déficit public de 3,4 % en 2017 à environ 2 % l’an dernier.
Nous avons, me semble-t-il, respecté le principe de sincérité budgétaire. J’entends que cela ne constitue pas en soi un incroyable succès, puisque le minimum que doit faire un Gouvernement est de vous présenter les inscriptions budgétaires avec sincérité – mais peut-être cela change-t-il des prévisions précédentes, si l’on en croit le rapport de la Cour des comptes, M. le nouveau Premier président de la Cour des comptes l’a peut-être évoqué. Vous aurez constaté que le Gouvernement a tenu sa promesse : il n’a pas présenté de décrets d’avance ; lorsque les événements se révélaient extrêmement violents pour les comptes publics, comme ce fut le cas récemment, il a même présenté des lois de finances rectificatives, dans une logique d’acceptation complète du jeu de l’autorisation et du contrôle parlementaires. Que ce Gouvernement soit le premier à ne pas présenter de décrets d’avance montre sans doute que la loi organique relative aux lois de finances – LOLF – n’était pas tout à fait respectée. Notre démarche, elle, respecte le travail d’évaluation des parlementaires, puisqu’ils examinent des crédits budgétaires sincèrement inscrits ; elle participe à une bonne application des politiques publiques et donne aux directeurs de programme les moyens de faire correctement leur travail.
M. le président de la commission des finances, comme d’autres intervenants d’ailleurs, a évoqué les sous-exécutions et les sur-exécutions, choses bien ordinaires sur une telle masse budgétaire, 340 milliards d’euros de crédits en l’espèce. Elles sont toujours la conséquence, bien sûr, d’événements imprévus survenus en cours de gestion – je ne crois pas qu’aucun des orateurs, y compris de l’opposition, ait démontré le contraire. Le report de l’entrée en vigueur de la réforme de la contemporanéisation de l’aide personnalisée au logement en offre un exemple. On peut d’ailleurs le regretter : s’il est vrai qu’elle faisait faire des économies à la nation en période économiquement favorable, elle aurait augmenté les dépenses en temps de pénurie ; il me semble donc qu’elle aurait été bienvenue pour accompagner les difficultés sociales que certaines personnes vont connaître. Néanmoins, cette réforme n’est pas annulée, elle est reportée. Son application, que le ministre du logement a évoquée, est particulièrement complexe, si bien qu’il valait mieux la reporter plutôt que de la voir mise en œuvre d’une façon très injuste et contraire à l’intention du législateur. Je remercie notamment M. Jolivet de l’avoir souligné.
Les dépenses correspondant à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » ont été plus fortes que prévu, notamment les dépenses liées au financement de la prime d’activité. Je rappelle à la représentation nationale qu’en cette matière, on est passé de 3 milliards à quasiment 10 milliards d’euros. Le grand débat était assurément imprévu, comme les annonces du Président de la République qui l’ont suivi et auxquelles nous avons donc répondu. Et c’est en fin de compte à l’opinion publique que nous avons ainsi répondu, puisque l’État a assumé près de 10 % d’augmentation de salaire pour les personnes rémunérées au SMIC, par le versement d’une prestation sociale, inscrite au budget présenté aujourd’hui par M. Véran – et par Mme Buzyn hier. En outre, le chômage a diminué plus que prévu, ce qui a tiré à la hausse le nombre d’allocataires de la prime. Personne – en particulier dans l’opposition – n’avait anticipé que la politique gouvernementale serait aussi efficace et ferait baisser le chômage aussi rapidement ; autrement dit, personne n’avait anticipé une telle hausse, dont il faut se réjouir, des crédits alloués à la prime d’activité.
Mme Emmanuelle Ménard a évoqué la mission « Immigration, asile et intégration ». Pour des raisons qui lui sont propres, elle affirme que la politique du Gouvernement ne serait pas aussi efficace que cela, puisque le flux des demandeurs d’asile serait plus important. En réalité, nous avons été plus rapides qu’auparavant dans l’exécution ; l’augmentation des crédits de cette mission votée par le Parlement n’est pas seulement le fait d’une augmentation du nombre de demandeurs d’asile ; elle est la conséquence de la plus grande rapidité avec laquelle nous traitons leur demande. Il s’agit là, me semble-t-il, de la première grande politique publique qui incombe à un État : accepter qui il souhaite accueillir sur son sol, conformément à son grand devoir d’asile, et ne pas accepter ceux que l’on pourrait nommer, de ce point de vue, des « passagers clandestins ». Ainsi, les augmentations de crédits et les sur-exécutions visées ne sont pas simplement liées à des flux ; peut-être Mme Ménard aurait-elle pu le préciser.
À propos des consommations de crédits des outre-mer, M. le président Woerth a évoqué les sous-exécutions. Il a souligné le rôle des exonérations de cotisations patronales, du moindre dynamisme économique, et la consommation inférieure aux prévisions des crédits d’investissement du fameux programme 123, « Conditions de vie outre-mer ». Il est vrai que nous pouvons toujours améliorer les choses en cette matière ; j’y travaille avec Mme la ministre des outre-mer. Vous le savez, le budget des outre-mer est certes petit « budgétairement », mais il connaît beaucoup d’exonérations ; la ministre n’a pas la maîtrise totale des dépenses budgétaires, on ne peut donc pas lui reprocher cet état de fait. M. le président de la commission des finances s’en souvient, nous avons plusieurs fois proposé, dans cet hémicycle, d’améliorer cette situation en transformant des dépenses fiscales, c’est-à-dire des exonérations, en dépenses budgétaires. Cela nous a souvent été reproché, y compris par les parlementaires ultramarins eux-mêmes. Pourtant, une telle politique est selon moi de nature à améliorer la maîtrise des crédits, donc à améliorer les aides consenties aux territoires ultramarins.
Le président Woerth et le rapporteur général ont tous deux évoqué la question des restes à payer, poursuivant en cela des discussions que nous avons eues avec Mme Rabault et M. le rapporteur général Giraud. Les restes à payer, qui correspondent aux différences entre les autorisations d’engagement et les crédits de paiement, ont en effet augmenté de 8 milliards d’euros en 2019. Cela tient évidemment à la programmation pluriannuelle de certaines dépenses, notamment celles relatives à la gendarmerie, qui relèvent de la mission « Défense ». Nous avons souvent évoqué, lors de l’examen des projets de loi de finances, le programme « Patrimoines » de la mission « Culture ». La restauration des monuments historiques est un sujet cher à M. Gilles Carrez… Et à Brigitte Kuster ! C’est exact, mais c’est M. Carrez qui était rapporteur spécial du programme « Patrimoines » : je rends à César ce qui est à César, si j’ose dire. Excellent Gilles Carrez ! Dans ce domaine, la restauration de Notre-Dame de Paris était assez imprévisible, de même que les 20 millions d’euros qui lui ont été alloués par les crédits de la mission « Culture ».
Vous avez été nombreux à mentionner les fonds sans personnalité juridique, en écho au rapport de la Cour des comptes, qui cite notamment le fonds pour l’innovation créé par le ministre de l’économie et des finances pour favoriser les investissements et la rupture dans l’économie par l’innovation, sujet que nous avons eu l’occasion d’évoquer plusieurs fois. Le ministre prépare de nouveaux critères pour pérenniser ce fonds en 2021, tout en prenant en considération vos rapports parlementaires comme les critiques de la Cour des comptes.
Le caractère exceptionnel de la crise a incité votre commission à anticiper l’exercice de l’année 2020. Sans y insister outre mesure, des chiffres ont été cités à la tribune, or ils sont déjà faux. M. le président de la commission et moi nous sommes regardés : il a été question d’une augmentation de la dette publique à 115 % du PIB, alors qu’on estime désormais qu’elle atteindra 121 %. Tout augmente, en effet, et les chiffres que l’on a évoqués ne veulent plus dire grand-chose, car nous anticipons déjà une croissance moindre et un chômage plus élevé, une attrition très forte de la masse salariale et l’engagement de dépenses pour soutenir l’économie.
J’entends les arguments de ceux qui souhaitent aussi l’examen d’un projet de loi de finances rectificative de la sécurité sociale, mais ce ne serait sans doute pas très raisonnable au vu de l’instabilité des recettes sociales, comme nous l’avons déjà évoqué dans une réunion commune de la commission des affaires sociales et la commission des finances.
Je veux répondre encore à deux questions soulevées par le rapporteur général et le président Woerth. Nous avons plusieurs fois parlé, dans cet hémicycle, des taxes affectées. Personnellement, je souscris à la haute ambition du rapporteur général de transformer les lois organiques – à tout le moins de les améliorer : nous pouvons limiter les taxes affectées au maximum, ce n’est pas le ministre de l’action et des comptes publics qui s’y opposera. Nous avons d’ailleurs constaté à quel point, quand l’économie connaît de fortes difficultés, ce mécanisme des taxes affectées aboutit parfois à faire perdre des recettes aux causes qu’elles soutiennent. Exactement ! L’autorisation budgétaire, quant à elle, permet d’exercer un contrôle et de remettre de l’argent quand un accident survient. Quand il n’y a pas d’accident, c’est une sorte de jeu à somme nulle. Souvent, le ministère de la transition écologique et solidaire, le ministère des sports et le ministère de la culture encouragent les taxes affectées, sous prétexte que le sport doit payer le sport, la culture la culture et, parfois, l’écologie l’écologie. Pourtant, on voit bien que les résultats ne sont pas toujours ceux escomptés. Le ministère de la transition écologique et solidaire en offre un exemple, dans le domaine des transports. Il a d’abord été confronté au problème des gilets jaunes, avec la casse des radars qui a tué le compte d’affectation spéciale – CAS aussi, pour le coup. Ensuite la crise du covid est survenue : pour la deuxième année de suite, le choix d’une taxe affectée à tué la politique publique concernée. Chaque fois, on vient demander à l’État de compenser, donc aux parlementaires de voter des crédits budgétaires, pour ce qui avait été « dealé » – pardon d’utiliser ce mot ici – en taxes affectées.
Aussi, je suis favorable à rebudgétiser tout ce qui pourra l’être, conformément d’ailleurs au principe de soumission à l’autorisation parlementaire. Je le dis aussi aux élus de l’opposition : les crédits budgétaires respectent votre vote et sont proposés à votre évaluation, à l’inverse de la taxe affectée qui ne l’est qu’une fois et, ce faisant, se prête bien moins à l’évaluation de la politique publique à laquelle elle se rapporte. Il me semble donc normal d’encourager le rapporteur général dans la voie qu’il a esquissée ; en tout cas, le Gouvernement y est très favorable.
Face aux difficultés que nous connaissons, le député Carrez a proposé, dans son rapport spécial, que les grands établissements culturels puissent emprunter auprès de la Caisse des dépôts et consignations pour se refinancer, au lieu de recourir à des crédits budgétaires. Cela nous paraît frappé au coin du bon sens. La piste mérite d’être étudiée ; je sais que ce ministre de la culture va y travailler et répondra à M. Carrez, dont nous écoutons toujours les propositions, comme toutes celles de la représentation nationale.
Nous aurons l’occasion, dans quelques instants, de reparler des crédits de 2019 et de la très bonne exécution budgétaire du Gouvernement : les chiffres des finances publiques ont été tellement bons qu’ils ont dépassé les espérances du groupe communiste. (Sourires. – Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Le débat est clos. La séance est suspendue. (La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures dix.) La séance est reprise.
La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Nous nous retrouvons ici, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, mes chers collègues – et je réinvestis la tribune –, pour débattre du troisième printemps de l’évaluation, ce dispositif d’évaluation des politiques publiques que l’Assemblée nationale a organisé depuis maintenant deux ans.
Lorsque nous pensions, à l’automne dernier, lors de la discussion du budget pour 2020, aux travaux d’évaluation que la commission des finances allait mener au printemps et que nous avions pris l’habitude d’aborder de manière de plus en plus organisée au travers de thèmes choisis par les rapporteurs spéciaux, nous ne savions pas qu’un virus allait changer les choses… S’il ne s’agissait que du printemps de l’évaluation, ce ne serait pas très grave ; cela l’est évidemment beaucoup plus quand il s’agit de l’état sanitaire des Français ou de l’état économique de la France. Nous n’avons donc pas voulu maintenir l’exercice tel qu’il était prévu, pour éviter de perturber celui – plus important – de la reprise. Notre commission a néanmoins souhaité aller plus loin en demandant à ses rapporteurs spéciaux de pratiquer un exercice assez inédit, à savoir à la fois analyser l’utilisation des crédits de l’année précédente, comme de coutume, mais aussi et surtout répondre à la question suivante : quel est l’impact de l’actuelle crise sanitaire en termes de mobilisation des crédits budgétaires et de déploiement des politiques publiques ? Nos rapporteurs ont donc été conduits à se demander dans quelle mesure la crise avait une incidence sur les projets en cours ou sur telle ou telle politique publique, et quelles en avaient été les répercussions budgétaires. Ils ont mené à bien leurs travaux dans des conditions difficiles, puisqu’il n’était pas simple de joindre des interlocuteurs dans les administrations, ceux-ci étant souvent occupés par d’autres priorités ; il est donc complexe d’essayer d’en tirer des conclusions aussi approfondies qu’ils l’auraient souhaité. Je ne vais pas énumérer pour chacun des quarante-cinq rapports spéciaux et pour chacune des dix-sept commissions d’évaluation des politiques publiques… Dommage ! … que nous avons tenues la semaine dernière l’ensemble des points essentiels qui y ont été développés, mais je vais vous faire part de quelques idées transversales et fortes que l’on peut en tirer. Elles feront l’objet d’un rapport, millésimé 2020, d’évaluation des politiques publiques dans les circonstances que je viens d’évoquer, rapport qui sera présenté en commission des finances.
Si l’on peut se féliciter, de façon générale, que la plupart des missions budgétaires soient exécutées en conformité avec l’autorisation budgétaire accordée à l’origine, certaines missions connaissent tout de même des sous-exécutions – c’est le cas de la mission « Outre-mer » – ou, à l’inverse, des sur-exécutions assez importantes – je pense à la mission « Cohésion des territoires », à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ou à la mission « Sécurités ». Mais la sous-exécution ou la sur-exécution se concentre souvent sur seulement un ou deux programmes au sein de la mission. Pour la mission « Écologie, développement et mobilité durables », c’est ainsi le programme « Énergie, climat et après-mines » qui connaît, comme l’a relevé le rapporteur spécial Julien Aubert, un dépassement de 230 millions d’euros par rapport à des crédits initialement ouverts d’un peu moins de 600 millions d’euros, en raison d’une prévision erronée des dépenses dues aux primes à la conversion pour les véhicules polluants. Lorsque l’on se trouve devant un écart important et surtout récurrent entre l’exécution et l’autorisation pour une mission budgétaire, il faut en venir à questionner la méthode employée. C’est ce qu’ont fait nos rapporteurs spéciaux pour la mission « Immigration, asile et intégration », Jean-Noël Barrot et Stella Dupont, en demandant que soit expertisée la méthodologie de calcul des dépenses pour l’année à venir. Cette expertise contradictoire peut aider à mieux comprendre les erreurs récurrentes, mais surtout à les corriger, et ainsi à progresser dans la voie de la sincérisation de notre budget et de sa transparence.
Nous avons également pu relever l’importance, pour certaines missions, des restes à payer. La mission « Défense » – pour laquelle c’est assez classique – et la mission « Relations avec les collectivités territoriales » sont les principales concernées. Ces restes à payer s’expliquent notamment par l’importance de certains projets ou programmes d’investissement qui s’étalent sur de nombreuses années. Pour autant, leur croissance reste préoccupante, notamment pour la mission « Culture », qui enregistre une rapide progression des restes à payer – de l’ordre de 18 % en 2019.
Budgets annexes, comptes spéciaux, taxes affectées ou dépenses fiscales… tous ces mécanismes viennent brouiller la lisibilité des comptes pour le Parlement. C’est ce que regrettent aussi bien l’ensemble des rapporteurs spéciaux que les magistrats de la Cour des comptes.
La question des fonds sans personnalité juridique a également été évoquée à plusieurs reprises. Ces fonds sont problématiques, car ils ne répondent pas à des règles de gouvernance bien établies. En outre, le suivi des dépenses qu’ils effectuent est souvent imparfait. Ainsi, la manière dont le fonds pour l’innovation et l’industrie consomme – ou plutôt ne consomme pas – les crédits qui lui ont été attribués a été dénoncée. Dans le contexte actuel, où les recettes se font rares et où leur utilisation pertinente est cruciale, la question est extrêmement pertinente.
L’impact de la crise a été mesuré par les rapporteurs spéciaux avec grand soin – même s’il s’agissait, comme je l’ai dit en préambule, d’un exercice d’évaluation tout à fait particulier.
L’évolution de certaines missions budgétaires démontre que les amortisseurs sociaux ont joué à plein pendant cette période encore en cours, en particulier la mission « Cohésion des territoires », qui englobe les aides au logement, ou encore la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui finance certaines prestations sociales.
Beaucoup d’opérateurs de l’État, ont relevé de nombreux rapporteurs spéciaux, devraient connaître une baisse significative de leurs ressources, aussi bien dans le champ de l’enseignement que dans celui de la culture – moins 80 millions d’euros pour le Louvre, moins 40 millions d’euros pour Versailles par exemple –, des transports ou de l’export. On voit bien que ces opérateurs vont connaître au moins une année difficile, ce qui pose la question de l’ampleur et des modalités du soutien financier dont ils auront besoin. Faudra-t-il uniquement apporter des crédits budgétaires, ou bien augmenter les plafonds de certaines taxes affectées, voire en créer de nouvelles – ce que je ne recommande pas ? Notre rapporteur spécial pour les crédits du programme « Patrimoines », Gilles Carrez, a formulé une proposition, tout à fait intéressante, relative aux grands établissements culturels pour lesquels les pertes de recettes sont considérables : il faudrait autoriser ces opérateurs à emprunter des fonds auprès du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations. Le livret A déborde d’argent non utilisé : utilisons-le à bon escient, cela coûterait nettement moins cher que de rémunérer des ressources qui ne financent rien et ne rapportent par conséquent rien. La crise pourrait également frapper de plein fouet les budgets de certaines administrations de l’État, qui sont déjà contraints et fragiles.
Sans surprise, la crise fragilise aussi les finances des collectivités territoriales, tant en recettes qu’en dépenses. On peut craindre que dans ce cadre, elle accentue les difficultés rencontrées et rende encore plus malaisée l’atteinte des objectifs des politiques publiques. Vous tentez d’y répondre, monsieur le ministre, au travers de ce troisième projet de loi de finances rectificative, qui propose un soutien tout à fait exceptionnel aux collectivités locales dès 2020.
Pour autant, cette faiblesse d’ensemble pourrait être transformée en atout, sinon en force, si la crise nous conduisait à trancher, à faire explicitement des choix en faveur de certaines dépenses et, à l’inverse, à abandonner ou à réduire certaines autres. Il y a urgence à rationaliser nos dépenses. Cela signifie évidemment qu’il va falloir réexaminer la priorité de mesures qui avaient été introduites dans le budget 2020. Pertinentes voire indispensables il y a six mois, le sont-elles encore aujourd’hui ? On peut penser, par exemple, à l’augmentation de la taxe de solidarité sur les billets d’avion. De même, la réforme de la réduction d’impôt pour le mécénat des entreprises, largement débattue ici même et que l’on pouvait déjà considérer comme un risque pour le maintien du niveau du mécénat, ne devient-elle pas problématique dans le contexte actuel ? Tout à fait ! Je terminerai en rappelant que l’on voit souvent ce qu’on a envie de voir, que l’on démontre souvent aussi ce qu’on a décidé de démontrer, mais que je crois néanmoins, avec plus de force encore, que cette crise montre que les solutions pour la France ne sont pas une question de moyens, mais d’affectation des moyens. La crise a montré que la France dépense plus que beaucoup d’autres pays dans de nombreux secteurs, en fait presque tous, notamment dans celui de la santé. Mais le rapport coût-efficacité est-il le bon ? C’est la question-clef de tout dispositif d’évaluation des politiques publiques. La réponse n’est pas dans l’augmentation cumulée et permanente des moyens, mais bien dans l’efficacité des moyens alloués et donc dans leur répartition, c’est-à-dire dans l’organisation. L’accumulation des moyens est un alibi pratique pour masquer les faiblesses, la rigidité et la lourdeur de nos organisations. Si nous pouvions tirer les enseignements de cette crise, au moins dans la priorisation de nos dépenses publiques, la France ferait un grand pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Charles de Courson applaudit également.) La parole est à M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Je suis sûr qu’il est d’accord avec Éric Woerth ! Cette troisième édition du printemps de l’évaluation fut bien entendu particulière. La commission des finances a toutefois su s’adapter rapidement, en centrant ses travaux sur le thème de l’impact de la crise sanitaire du covid-19 sur les crédits et sur les politiques publiques financées par l’État. Je souligne la grande qualité des travaux des rapporteurs spéciaux – j’ai pu la constater lors des quatre grandes réunions d’évaluation des politiques publiques qui ont eu lieu. Je les remercie à nouveau pour leurs études fouillées, pour cette expertise que chacun d’entre eux a désormais acquise et qui nous est extrêmement précieuse. Grâce à eux, en dépit des circonstances exceptionnelles, cet exercice de la commission des finances est encore monté en puissance cette année. Rappelons que nous avons bénéficié du concours du Gouvernement, que je remercie d’avoir déposé plus tôt les rapports annuels de performances pour permettre aux parlementaires de disposer d’un temps d’analyse plus long, ce qui est utile et a été apprécié. Parallèlement, la Cour des comptes a avancé la publication de ses notes d’exécution budgétaire et de son rapport sur le budget de l’État. Je remercie ses magistrats pour les efforts qu’ils ont consentis afin que le Parlement dispose d’une information de qualité et exploitable dans des délais corrects. Le printemps de l’évaluation s’installe durablement et je souhaite que nous poursuivions sur cette lancée l’année prochaine.
Au-delà de l’exercice d’évaluation des politiques publiques, le printemps de l’évaluation a permis depuis sa création de renforcer le contrôle de l’exécution budgétaire. Cet aspect n’est en rien à négliger, car c’est en s’interrogeant sur les bonnes comme sur les mauvaises surprises d’une exécution budgétaire que le Parlement renforce la portée de l’autorisation parlementaire. Je le répète une fois de plus : il faut faire plus de printemps, moins d’automnes (Sourires) , davantage contrôler et évaluer, passer moins de temps à autoriser.
La sincérisation de la programmation et l’assainissement de la gestion depuis 2017 ont permis une exécution conforme de la programmation en 2019, comme nous l’évoquerons lors de l’examen de la loi de règlement et comme, du reste, la plupart des rapporteurs, sur tous les bancs de notre assemblée, ont pu le constater à propos des programmes dont ils ont la charge.
Les dépenses de l’État ont augmenté de 6 milliards d’euros en 2019, ce qui s’explique notamment par la hausse de 4 milliards d’euros des crédits dédiés à la prime d’activité. Les CEPP, les commissions d’évaluation des politiques publiques, ont permis d’apporter des premiers éléments quant aux principaux écarts observés par rapport à la prévision. Je retiens ainsi, pour la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », rapportée par Stella Dupont, le dynamisme imprévu de la prime d’activité et de l’allocation pour adulte handicapé, dont la prévision est censée s’améliorer en 2021. La mission « Travail et emploi » a, elle aussi, été sur-exécutée, ce qui s’explique notamment par l’abondement d’un fonds de concours pour financer le plan d’investissement dans les compétences, comme l’a rappelé Marie-Christine Verdier-Jouclas. Certains programmes connaissent des dépassements plus récurrents, ce qui fragilise d’ailleurs la portée de la programmation. Jean-Noël Barrot nous a montré que tel était le cas pour le financement de l’allocation pour demandeur d’asile.
Plusieurs sous-exécutions, en revanche, ont interpellé les rapporteurs spéciaux. C’est en partie le cas de la mission « Action et transformation publiques », dont j’ai précédemment été rapporteur et qui est aujourd’hui rapportée par Benjamin Dirx. Même si la dynamique de transformation progresse, je partage sa déception devant le faible rythme d’investissement. Il faut redonner de l’ambition à cette mission, la rendre plus agile et rendre plus efficaces les programmes de transformation publique. De même, la mission « Outre-mer » connaît des sous-exécutions non négligeables pour la deuxième année consécutive, comme l’a fait remarquer Olivier Serva. Un effort doit certainement être réalisé en matière de programmation, avec une amélioration de la maîtrise d’ouvrage pour les investissements portés par le programme « Conditions de vie outre-mer ».
Pour ce qui est du thème d’évaluation des rapporteurs spéciaux – l’impact de la crise en 2020 –, je ne dresserai pas plus qu’Éric Woerth la liste de ces impacts mission par mission : je n’en aborderai que quelques-uns.
L’impact de la crise sur le budget de l’État reflète tout d’abord ses conséquences sur les secteurs les plus touchés. Le rapport d’Émilie Bonnivard sur le tourisme… Très bon rapport ! …dresse ainsi un constat réaliste de la situation très difficile de ce secteur et de ses perspectives inquiétantes à moyen terme. Je ne souscris pas à toutes les propositions de ce rapport, mais nous partageons l’objectif de soutenir ce secteur essentiel. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen du prochain PLFR, ou projet de loi de finances rectificative, et d’accompagner encore davantage ce secteur. Le plan annoncé par le Gouvernement va dans le bon sens, mais nous pouvons faire plus.
Le tissu de nos TPE et PME est fragilisé par la crise. Xavier Roseren et Olivia Gregoire dessinent plusieurs orientations pour soutenir leur trésorerie, notamment pour ce qui concerne les délais de paiement. Les rapporteurs spéciaux n’ont pas vraiment été convaincus par l’usage du fonds pour l’innovation et l’industrie,… C’est peu dire ! …que la Cour des comptes avait déjà critiqué à plusieurs reprises et à l’égard duquel Valérie Rabault, rapporteure du CAS – compte d’affectation spéciale – « Participations financières de l’État », avait, elle aussi, émis régulièrement des critiques.
Les Français de l’étranger ont été durement touchés par les conséquences de la crise et la mission « Action extérieure de l’État », rapportée par Vincent Ledoux, a été sollicitée en conséquence. Le rapatriement, durant les dernières semaines, de quelque 190 000 Français de passage à l’étranger sera budgétairement retracé dans cette mission. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé un plan de soutien sanitaire et social des Français résidant à l’étranger et un plan d’aide d’urgence aux réseaux de l’enseignement français à l’étranger, qui nécessiteront l’ouverture de crédits supplémentaires et que nous examinerons très bientôt dans le cadre du troisième PLFR.
Le covid-19 a, malheureusement, un impact sur les plus fragiles d’entre nous. Le Gouvernement a pris des mesures visant à renforcer l’hébergement d’urgence, comme la prolongation de la trêve hivernale jusqu’au 10 juillet, l’augmentation du nombre de places disponibles pour les sans-abri ou l’ouverture de centres d’hébergement spécialisés pour les malades du covid-19. François Jolivet a estimé qu’au total, la sur-exécution des dépenses d’hébergement d’urgence pourrait s’élever à 400 millions d’euros environ. L’enjeu est maintenant la gestion de la sortie de crise sur ce point très sensible et, comme l’a très justement relevé le rapporteur spécial, l’un des problèmes à traiter sera la clarification des compétences sur le terrain entre le ministère de l’intérieur et le ministère du logement.
Malgré l’impact budgétaire considérable de la crise sur les finances de l’État, et donc sur l’encours de la dette – je vous donne rendez-vous un peu plus tard ce mois-ci pour la présentation de la mission flash sur l’endettement public –, Bénédicte Peyrol a rappelé, en qualité de rapporteure spéciale, qu’il était, à ce jour, prévu que la charge de la dette de l’État atteigne un niveau très faible, inférieur à celui de 2009. Cette situation, qui peut paraître paradoxale – nous nous endettons plus et la charge de la dette coûte moins cher –, s’explique notamment par l’action décisive de la Banque centrale européenne et par la bonne perception qu’ont les marchés du potentiel de rebond de notre pays. La « signature française », comme on dit, est encore excellente sur les marchés financiers. Il faut s’en réjouir et en profiter, sans pour autant… En abuser ! …en abuser – ou, plutôt, sans perdre de vue l’importance du remboursement d’une dette in fine. Nous sommes d’accord là-dessus.
Il existe une incertitude quant à l’impact budgétaire des appels en garantie de l’État qui seraient financés par la mission « Engagements financiers de l’État ». Nous en avons également parlé avec Bénédicte Peyrol et nous devrons suivre cette question avec attention. En fait, le problème n’est pas tant le niveau de dette que de savoir ce que finance l’endettement. De nombreux efforts d’investissement public ont été réalisés depuis 2017 dans de nombreux domaines, comme l’éducation, la solidarité, la justice, la défense, la police ou la transition écologique, et nos rapporteurs spéciaux ont montré qu’il existait des politiques publiques pour lesquelles les moyens pouvaient être mieux utilisés – faire mieux, parfois avec moins, parfois avec autant et, parfois encore, avec le besoin d’un peu d’investissement. En les écoutant, je constate cependant qu’il existe encore des besoins structurels à renforcer ou à transformer. Nous avons en effet des besoins en investissements pour améliorer la qualité de nos services publics et poursuivre les efforts réalisés. Certains pans de nos politiques publiques n’ont pas pu être transformés parce que nous n’avons pas su injecter l’investissement qui était alors nécessaire. Or, nous pouvons aussi profiter de la sortie de la crise en utilisant l’endettement pour choisir des pans de politiques publiques dans lesquels nous pouvons investir. Il n’y faut pas nécessairement beaucoup d’argent, mais cela peut être un déclic pour susciter un effet de levier en termes de transformation publique et d’investissement privé. Il nous est donc indispensable de redéfinir et de nous réapproprier les priorités collectives qui peuvent assurer notre cohésion sociale et nationale et dans lesquelles nous devons investir lors de l’examen des prochains textes financiers de notre mandat.
Mes chers collègues, j’ai la conviction que ce printemps de l’évaluation a été un exercice effectif et utile, un peu moins médiatisé et moins visible que les autres années, car il a été réalisé sur Zoom,… Des rapports ont été oubliés ! …mais je vous assure que nous pourrons mettre à profit ce travail dans les semaines et les mois qui viennent, et je vous donne rendez-vous tout de suite après pour l’examen du projet de loi de règlement et, surtout, pour le troisième PLFR, et encore plus… Vous n’avez pas cité Marc Le Fur ! (Sourires sur les bancs du groupe LR.) Mais le président l’avait fait et vous avez bien vu que nous nous complétons ! Je vous donne surtout rendez-vous, disais-je, à l’automne pour le PLF, le projet de loi de finances, afin que nous puissions utiliser ce travail pour mieux autoriser le budget pour les années suivantes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et Agir ensemble.) La parole est à M. Fabien Roussel, premier orateur inscrit. La révolution arrive ! Donner plus de contrôle et de pouvoir aux parlementaires : qui, dans cet hémicycle, pourrait s’opposer à une telle ambition ? En tout cas, l’objectif affiché à l’occasion de la création de ce printemps de l’évaluation aurait pu être de nature à nous rassembler. Malheureusement, le compte n’y est pas, pour des raisons qui tiennent à la fois à la forme et, cette année, aux circonstances exceptionnelles que nous traversons.
Sur la forme, d’abord, la plus grande partie des rapports spéciaux revenant à la majorité, il est très difficile pour les députés communistes de faire entendre leur voix. Ainsi, sur les quarante-cinq rapports spéciaux édités cette année, un seul, celui de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation », est revenu à un député de notre groupe, mon ami Jean-Paul Dufrègne. (M. Jean-Paul Dufrègne applaudit.) Mais avec quel succès ! Avec quel succès, en effet ! M. Dufrègne aussi est un ancien combattant ! (Sourires.) Sans autre rapporteur, et avec ce seul rapport, notre groupe ne dispose pas des moyens d’exercer cette mission et, sans rapporteur, nous ne disposons que de deux minutes d’intervention sur les diverses missions. Deux minutes, monsieur le ministre, pour juger et pour évoquer des centaines de millions d’euros, voire des dizaines de milliards ! Comment pouvons-nous, en deux minutes, exposer notre point de vue sur des budgets qui ont des conséquences directes sur la vie de nos concitoyens et sur notre pays ? Justement, vous perdez du temps ! Dans de telles conditions, le contrôle de l’action gouvernementale tient plus d’une succession d’auto-satisfecit que d’un véritable échange avec les parlementaires dans toute leur diversité. C’est là un premier regret.
Mais il y a plus regrettable encore que ces problèmes de forme. Dans le contexte actuel, décider d’évaluer les conséquences du raz-de-marée budgétaire lié à la gestion de la crise du covid-19 ne souffrait aucune contestation. Évidemment, de fortes dépenses imprévues ont dû être engagées et leur contrôle par les parlementaires relève de l’évidence. Mais là encore, malheureusement, il y a un gouffre entre les paroles et les actes. En vertu de l’état d’urgence, que nous souhaitons voir rapidement levé, de nombreuses mesures ont été prises sans que nous, parlementaires, puissions réellement exercer de contrôle ni apporter de contributions. Je pense par exemple aux 20 milliards d’euros d’aides débloqués aux secteurs stratégiques et aux grandes entreprises telles qu’Air France, Renault et, dernièrement, Airbus. C’est très bien, mais à quelles conditions ces aides ont-elles été versées, et selon quels critères ? Nous n’avons pas pu en débattre ici. Il en va de même pour les aides aux plus démunis, qui représentent 890 millions d’euros dans le dernier PLFR : il est impossible de parler ni du montant de l’aide, ni de sa fréquence, ni des personnes ciblées. À chaque fois, malheureusement, les députés sont sollicités pour voter ces crédits énormes, mais sans pouvoir intervenir sur les critères d’attribution ni sur le montant ou le périmètre de ces aides.
Pendant ce temps, certaines grandes multinationales, notamment dans les secteurs de l’automobile et du textile – dont celles de notre région, monsieur le ministre –,… En effet ! …se servent de la crise actuelle pour déployer des plans sociaux prévus de longue date. Il est regrettable que l’État ne soit pas plus exigeant envers elles. C’est vrai ! Il aurait fallu, en quelque sorte, que l’État pose des gestes barrières face à ceux qui cherchent à faire financer par l’argent public leurs destructions d’emplois et la délocalisation d’une part de leur activité. Comment peut-on imaginer, par exemple, que Renault, entreprise détenue à 15 % par l’État, puisse détruire 4 600 emplois et fermer des usines en France avec notre argent, l’argent des contribuables, alors que cette entreprise avait déjà annoncé ces plans sociaux au mois de février ? Je pourrais ajouter à cette liste Conforama, Camaïeu, le groupe Vivarte, et même Arc International qui, si nous n’intervenons pas rapidement, pourrait délocaliser une partie de sa production en Russie ou aux Émirats Arabes Unis.
Il est donc urgent de reprendre le contrôle, de mieux contrôler l’argent public versé aux entreprises, notamment aux plus grandes, pour que cela serve le pays en développant l’emploi et en le maintenant en France. C’est dans cet esprit que nous proposons – voilà la révolution ! – de nationaliser enfin une grande banque systémique dans notre pays,… Ah ! Ça, c’est moderne ! …afin de pouvoir aider directement nos PME et TPE, dont certaines ne peuvent pas bénéficier du PGE, le prêt garanti par l’État, et d’intervenir dans le capital des groupes, alors que la BPI, la Banque publique d’investissement, ne le fait pas puisque, comme on le sait bien ici, elle n’aide que ceux qui vont bien, et non pas ceux qui souffrent. Oh, arrêtez ! C’est fou ! L’argent public, celui de nos impôts, doit servir à défendre les intérêts de la nation, et non pas ceux du marché et de la finance.
Voilà ce dont nous aurions aimé parler lors de ce printemps de l’évaluation. Or, dans un tel exercice, nos marges de manœuvre sont bien faibles, quand le budget de la nation lui-même est soumis à l’approbation de la Commission européenne. C’est la vérité, et il faut le dire !
C’est aussi au printemps que la France, au nom du pacte de stabilité, a l’obligation de transmettre à Bruxelles nos projets de finances publiques, de dépenses et de croissance. À la fin de l’année, nous devons aussi envoyer à Bruxelles le budget de la France, en espérant obtenir une bonne note, si ce n’est même en croisant les doigts dans l’espoir de ne pas recevoir un coup de règle. Cette soumission du budget de la nation à la Commission européenne est tout à fait inacceptable. Où sont la souveraineté de la France et celle du Parlement dans les choix que nous voulons faire ?
Nous avons célébré, le 29 mai dernier, le quinzième anniversaire du référendum sur la constitution européenne, rejetée par 54,6 % des Français, référendum qui gravait dans le marbre d’un traité constitutionnel européen la perte de souveraineté de la France et la mise de notre pays sous tutelle de l’Europe et des marchés financiers.
Nous sommes de ceux qui ont toujours défendu l’indépendance de notre pays et la souveraineté de notre peuple, pour traduire tout simplement notre volonté de rester maîtres de nos choix politiques et budgétaires, sans subir les diktats des marchés financiers et des politiques d’austérité de la Commission européenne, ni les diktats d’autres pays. Avec d’autres dans notre pays, nous avons mené ce combat au nom des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui forment tout l’héritage de la Révolution française.
C’est la raison pour laquelle nous refusons toujours aujourd’hui l’abandon de nos prérogatives fondamentales, celles qui permettent à une nation d’adopter son propre budget, répondant aux attentes de ses citoyens, sans être obligée d’appliquer des réformes imposées par l’Union européenne ou d’autres politiques d’austérité, comme le prévoyait le traité constitutionnel de 2005.
C’est pourquoi nous disons qu’il serait temps que la France agisse en faveur d’une autre Europe, notamment en choisissant d’autres critères d’utilisation des richesses de notre pays et de l’Union européenne. La pandémie a exposé au grand jour les failles insupportables d’un système entièrement tourné vers le profit et la compétition. Ce modèle est incapable de répondre aux attentes sanitaires et sociales des peuples européens. Celui auquel nous aspirons suppose d’autres priorités, au service de l’homme et de la planète. C’est pourquoi nous répétons que ce n’est pas au peuple ni au monde du travail de payer la crise, y compris à travers une dette – en augmentation – qui a été contractée auprès des marchés financiers.
Nous serons donc très vigilants sur l’utilisation des deniers publics. Le calendrier du printemps de l’évaluation nous impose de rendre nos conclusions aujourd’hui, alors que nous sommes encore en plein cœur de la crise et qu’un nouveau projet de loi de finances rectificative a été présenté ce matin en conseil des ministres et à l’instant en commission des finances. Je tiens à souligner que dans ces PLFR qui s’enchaînent, nous, députés, ne disposons d’aucune marge de manœuvre pour augmenter la dépense publique et créer une charge dans le budget : l’article 40 bride immanquablement le Parlement.
Nous ne pouvons ainsi que déplorer le manque de démocratie dans la gestion du budget. Au lieu de nous cantonner dans l’opposition, voyez-nous plutôt comme une composante de cette assemblée, qui représente une partie des convictions qui s’expriment dans le pays. Nous ne sommes pas dans l’opposition, nous sommes une force de proposition et nous voulons tout simplement exprimer ici le point de vue d’une partie de la population.
Comme je l’ai dit au début de mon intervention, nous ne pouvons que saluer les intentions du printemps de l’évaluation. Toutefois, nous lui adressons aussitôt, et c’est de saison, une appréciation en forme d’encouragement : « peut– nettement – mieux faire ». Le chemin à parcourir, à vrai dire, est encore long avant que non seulement cet exercice soit à la hauteur des attentes des Français, mais aussi qu’il accorde aux parlementaires un véritable pouvoir de contrôle, en respectant la pluralité de leurs voix. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.) Excellent ! La parole est à M. Joël Giraud. Monsieur le ministre, lors de la dernière séance consacrée à l’examen du projet de loi de finances pour 2020, vous m’aviez dit : « L’amour dure trois ans ». Cette année, le printemps de l’évaluation souffle sa troisième bougie, dans un contexte très particulier. Nous pouvons dire, je crois, que cet exercice, désormais bien installé dans le paysage de notre assemblée, durera plus longtemps que l’amour et perdurera au-delà même de notre mandat.
En tant qu’ancien rapporteur général du budget, je suis fier d’avoir contribué à ancrer, avec l’aide du président Woerth et grâce à l’impulsion initiale de la première whip de la commission des finances du groupe LaREM, Amélie de Montchalin, cet exercice d’évaluation à la fois exigeant et complet de nos politiques publiques.
« Évaluer, c’est créer » disait Nietzsche. L’évaluation des politiques publiques n’est pas qu’un simple exercice de contrôle administratif, mais vise aussi à donner la garantie à nos concitoyens qu’ils bénéficient bel et bien des politiques que nous votons. L’évaluation relève donc de la politique au sens noble du terme.
Évaluer, c’est s’assurer que lorsque la représentation nationale vote des crédits pour embaucher des professeurs, ceux-ci sont bel et bien présents dans les classes de nos enfants, que lorsque nous augmentons la prime d’activité, des millions de foyers modestes de Marseille, de Tourcoing ou de Briançon puissent mettre un peu de beurre dans les épinards… Très bien ! …ou encore que lorsque nous souhaitons améliorer la compétitivité du pays, des milliers d’entrepreneurs puissent travailler plus librement.
Évaluer, c’est aussi diagnostiquer. C’est traduire au sein de notre honorable assemblée autant les réelles avancées que nous constatons chaque année – et ce quelle que soit la couleur de la majorité, bien évidemment – que les difficultés que vivent nos concitoyens, qu’ils soient salariés, artisans, commerçants, fonctionnaires ou chefs d’entreprise. Là où bat le cœur de la République, le réel doit toujours transparaître.
Évaluer, c’est aussi progresser. Je constate notamment que cette année, malgré un contexte particulièrement difficile, nos rapporteurs spéciaux ont produit un remarquable travail – signe, je crois, que la représentation nationale dans son ensemble s’est emparée du printemps de l’évaluation. Quelque chose me dit que la montée en puissance de cet exercice n’est donc pas terminée et qu’au fil du temps, son importance ira croissant – je tenais à rassurer l’orateur du groupe communiste sur ce point.
Du point de vue des trois années écoulées, je souhaite que nous retenions que nous avons simultanément permis à l’économie française de redémarrer et au pouvoir d’achat des ménages d’augmenter, et que nous avons baissé les impôts tout en assainissant nos finances publiques. Pas mal ! Nous avons en quelque sorte réalisé la quadrature du cercle des finances publiques françaises. Alors que notre pays et ses partenaires européens étaient en voie de divergence, la France est redevenue, avant la crise, le moteur économique de l’Europe.
Cela nous a permis d’aborder la crise du covid-19 dans une situation relativement bonne et de financer, dans d’excellentes conditions, des mesures massives de soutien aux entreprises et aux ménages. Si nul ne peut prédire de quoi demain sera fait, je sais, en tout état de cause, que notre pays possède les bases fondamentales pour faire face aux grands défis qui l’attendent : le changement climatique, la construction européenne et l’amélioration de la cohésion sociale.
« Entre possible et impossible, deux lettres et un état d’esprit » : faisons nôtres ces mots du général de Gaulle. Soyons ses dignes héritiers face aux difficultés qui nous attendent. Pour ma part, je suis optimiste. Notre pays a toujours réussi à traverser les épreuves qu’il a connues et à en ressortir beaucoup plus fort. Nous avons su créer la sécurité sociale au lendemain des horreurs de la deuxième guerre mondiale. Nous saurons créer demain un monde plus durable et plus solidaire tout en conservant une stabilité financière qui est la pierre angulaire de notre indépendance et de notre souveraineté.
Contrairement à un ancien Président de la République, j’ignore si, grâce aux forces de l’esprit, nous ne nous quitterons pas. Je suis en tout cas fier que nous puissions léguer en héritage à notre assemblée ce complément de l’automne de la législation que nous appelons le printemps de l’évaluation, et ce au service des Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à Mme Véronique Louwagie. La troisième édition du printemps de l’évaluation s’est déroulée sous une forme et dans un contexte inédits. En effet, les rapporteurs spéciaux de la commission des finances ont mis de côté les travaux d’évaluation qu’ils avaient engagés dans le but de procéder à un premier diagnostic de l’incidence financière de la crise sanitaire.
Le groupe Les Républicains approuve l’orientation retenue. Ses huit rapporteurs spéciaux ont pris part à cette tâche sans en méconnaître les limites. En tant que rapporteure spéciale de la mission « Santé » et au vu du contexte actuel, je souhaite plus particulièrement vous rendre compte des travaux que j’ai menés sur l’EPRUS, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, qui, de 2007 à 2016, a assuré la gestion de la réserve sanitaire et des stocks sanitaires stratégiques civils avant d’être absorbé dans Santé publique France.
La semaine dernière, j’ai brièvement exposé les conclusions de ce travail devant la commission des finances. Je souhaite à présent les développer devant vous, après avoir observé que dans son rapport, la mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de coronavirus a considéré que l’intégration de l’EPRUS au sein de Santé publique France avait « suscité des critiques depuis le début de la crise ».
Dans ce contexte, il est bon de répondre à quelques questions simples. Quand et pourquoi l’EPRUS a-t-il été créé ? Quel est le bilan de ses actions ? Pourquoi a-t-il été supprimé ? Pour répondre à ces interrogations, j’ai consulté les débats et les travaux parlementaires ainsi que les rapports de la Cour des comptes, en m’arrêtant à l’année 2016 pour ne pas interférer avec les travaux de la mission d’information et de la commission d’enquête.
Je reviens à ma première question. L’EPRUS a été créé en 2007 à la suite de l’adoption d’une proposition de loi déposée par le sénateur UMP Francis Giraud. Notre collègue était parti d’un constat simple : alors que les menaces sanitaires s’accroissaient, notre dispositif pour y répondre n’était pas adapté, comme l’avait rappelé l’épisode dramatique de la canicule. La loi du 5 mars 2007, adoptée à l’unanimité, entraîna la création de l’EPRUS, auquel fut confiée une double compétence : l’organisation de la réserve sanitaire, qui venait d’être instituée, et la gestion des stocks sanitaires stratégiques civils. L’EPRUS connut son baptême du feu en 2009, au moment de la grippe A, avant de poursuivre sa mission jusqu’au 1er mai 2016.
Avec le recul, quel est son bilan ? Il est positif concernant la gestion des stocks sanitaires, puisque l’EPRUS a su constituer des stocks importants et variés avant de les réduire sous l’effet d’une nouvelle doctrine gouvernementale. Il est en revanche en demi-teinte concernant la gestion de la réserve sanitaire. Celle-ci devait regrouper 10 000 professionnels ; or en 2015, seuls 2 500 la composaient, dont à peine 326 avaient été mobilisés au cours des douze mois précédents.
Ce bilan nuancé des actions de l’EPRUS, associé à la volonté de simplifier l’organisation sanitaire, explique la suppression de cet établissement en 2016. S’il ne s’est pas opposé à celle-ci, le Parlement a assorti son accord d’une double recommandation : maintenir la souplesse de fonctionnement des équipes de l’ex-EPRUS au sein de Santé publique France et préserver les moyens financiers dédiés à l’accomplissement de leurs missions. Selon l’un de ses anciens directeurs généraux, l’EPRUS était « un commando sanitaire de vingt à trente personnes ». Santé publique France est une structure de 500 personnes, ce qui présente des avantages et des inconvénients.
Mes recherches s’arrêtant à l’année 2016, je n’ai pas essayé de savoir si les recommandations formulées par le Parlement avaient ou non été suivies d’effets. Il appartiendra à la commission d’enquête de mener ce travail afin de savoir si, oui ou non, ce commando sanitaire a été désarmé ces dernières années. Il est très important que nous puissions exercer un contrôle non seulement sur l’application de la loi, mais aussi sur la prise en considération des recommandations formulées par le Parlement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.) La parole est à M. Jean-Noël Barrot. Nous voici rassemblés pour la troisième édition du printemps de l’évaluation, une initiative institutionnelle qui répond à la promesse et à la volonté du Président de la République de donner corps à cette prérogative constitutionnelle de notre assemblée. Nous mesurons, année après année, l’utilité et l’importance de ce nouveau rendez-vous dans le calendrier parlementaire, tant il contribue à alimenter un cercle vertueux, de l’évaluation des politiques publiques à l’action politique.
Le Parlement se grandit et s’honore quand il contrôle et évalue l’exécution du budget de la nation et les politiques publiques au nom du peuple français. « C’est leur évaluation qui fait des trésors et des joyaux de toutes choses évaluées. C’est par l’évaluation que se fixe la valeur : sans l’évaluation, la noix de l’existence serait creuse. » Ainsi parlait, dans sa grande sagesse, Zarathoustra, auquel Joël Giraud faisait référence il y a quelques instants. Encore Nietzsche ! Fallait-il, en cette année marquée par une triple crise sanitaire, économique et sociale, renoncer à nous livrer une fois encore à l’exercice ? C’eût été une erreur, et je me félicite, avec les députés du groupe MODEM et apparentés, que le président de la commission des finances et son rapporteur général aient souhaité nous inviter à évaluer, en même temps que l’exécution du budget 2019, l’impact de la crise sur celle du budget 2020, à mi-parcours.
S’agissant de l’exécution 2019, nous avons plusieurs motifs de satisfaction. Pour la deuxième année consécutive, le Gouvernement s’est passé de décrets d’avance, ce qui n’était pas arrivé depuis trente ans. Sur 214 recommandations de la Cour des comptes ayant fait l’objet d’un suivi en 2018, plus de la moitié ont été intégralement ou partiellement suivies. Les sous-budgétisations identifiées par la Cour s’établissent à 1,4 milliard d’euros sur 330 milliards de dépenses, soit moins de 0,5 %, un niveau très inférieur à celui des années précédentes.
Il reste néanmoins du chemin à parcourir. Comme le rappelle la Cour des comptes, un quart du financement des politiques publiques ne transite pas par le budget général de l’État, ce qui ne facilite ni le pilotage, ni l’évaluation de ce dernier. Sont ainsi concernés les dépenses fiscales, pour 100 milliards d’euros, les impôts et les taxes affectés, pour 30 milliards, et les fonds sans personnalité juridique, dont nous avons eu l’occasion de débattre.
Par ailleurs, même si les sous-budgétisations peuvent désormais être considérées comme un vestige du passé, ou de l’ancien monde, comme disent certains, elles continuent néanmoins de troubler la gestion de deux missions en particulier.
Il s’agit en premier lieu des crédits programmés pour financer les opérations extérieures et les missions intérieures du ministère des armées. Ils restent inférieurs de 445 millions d’euros aux besoins constatés. Cependant, et c’est heureux, la sous-dotation atteint en 2019 son niveau le plus bas depuis 2012, grâce à l’augmentation progressive de la provision inscrite en loi de finances initiale.
En second lieu, l’aide aux demandeurs d’asile fait l’objet d’une sous-budgétisation chronique depuis onze ans. Je me permets de m’attarder sur ce sujet qui se trouve au cœur de la mission dont je suis corapporteur avec Stella Dupont.
Cette dépense est systématiquement sous-évaluée lors de la conception de la maquette budgétaire, en dépit des alertes récurrentes de la Cour des comptes et des rapporteurs spéciaux qui nous ont précédés. L’origine de ce mystère se trouve sans doute dans une sous-estimation de la croissance du nombre de demandes d’asile et dans une surestimation de la capacité de l’administration à faire baisser les délais de traitement de la demande d’asile.
Nous avons donc demandé au ministère de l’intérieur de nous transmettre sa méthode de calcul dans le moindre détail, pour que nous puissions en discuter lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021. La sur-exécution du programme 303 « Immigration et asile » ne poserait pas de problème si elle n’était pas systématiquement compensée par une sous-exécution, également chronique, de l’autre programme de la mission, le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Soyons attentifs à ce que ce dernier programme, dont les crédits ont été largement réévalués depuis deux ans, conformément aux engagements du Gouvernement en faveur de l’intégration des réfugiés, puisse être pleinement exécuté et à ce que les politiques sous-jacentes puissent avoir leur plein effet !
S’agissant maintenant de l’impact de la triple crise que nous traversons sur l’exécution du budget, je voudrais m’arrêter un instant sur les éléments notables mis en relief par les rapports spéciaux des députés du groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
Mon collègue Bruno Duvergé a travaillé sur le budget de la sécurité civile, budget fortement sollicité au cours de la crise, que ce soit pour soutenir l’activité opérationnelle des sapeurs-pompiers ou celle des moyens de transport, en particulier des hélicoptères, qui ont permis de répartir de façon très rapide les patients en divers points du territoire. Notre collègue conclut que l’exécution budgétaire 2019 a été rigoureuse. Toutefois, comme chaque année, des tensions sont apparues s’agissant des dépenses d’intervention, tensions qui risquent d’être renforcées en 2020. Le confinement et les règles sanitaires ont aussi rendu plus complexe l’organisation de la lutte contre les incendies de forêt. Nous porterons une attention particulière à ce sujet dans les prochains mois.
Mohamed Laqhila a rendu un rapport spécial sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville, fortement frappés par le covid-19. Dans ces quartiers, l’État a mené une action rapide pour soutenir les populations les plus fragilisées et assurer une continuité pédagogique absolument déterminante. Les quartiers concernés par la politique de la ville, parfois plus sévèrement touchés par la crise que d’autres, devront faire l’objet d’une attention toute particulière au moment du plan de relance. L’évaluation des politiques existantes menée par notre collègue – en particulier celle de la politique de dépenses fiscales, dont l’efficacité reste à prouver – doit permettre de cibler au mieux cette relance.
Le rapport spécial de Jean-Paul Mattéi porte sur le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ». Notre collègue s’est interrogé sur l’équilibre financier de ce compte d’affectation spéciale. Si les cessions immobilières ont permis de créer un excédent confortable, les redevances domaniales restent encore trop faibles – elles le seront encore plus en 2020, du fait de la crise sanitaire. Cette dernière permet toutefois d’envisager un changement de paradigme dans la politique immobilière de l’État. Les nouvelles pratiques de travail, dont le télétravail, développé au cours de la crise, ainsi que la transformation numérique dans la relation aux administrés, plus que jamais nécessaire, doivent nous encourager à repenser la manière dont l’État doit gérer son patrimoine immobilier.
Sarah El Haïry a travaillé sur des sujets qui lui tiennent à cœur : la jeunesse et la vie associative. Ses travaux permettent de souligner l’excellent travail du fonds d’expérimentation pour la jeunesse, fonds que nous souhaitons voir élargi dans les prochaines années. La triple crise que nous traversons a aussi été un moment de fraternité pour nos concitoyens, ce qui se traduit par leur très fort engagement. Face à la crise sanitaire, les Français ont répondu par une volonté décuplée de venir en aide à leurs compatriotes, en particulier grâce au dispositif de la réserve civique. Cette volonté d’engagement pourrait toutefois conduire à de nouvelles dépenses, qu’il faudra le cas échéant financer.
Plus largement, la crise sanitaire a montré à quel point les associations sont indispensables à la vie de la nation. Elle a aussi fragilisé les ressources et les trésoreries des associations, et le groupe du Mouvement démocrate et apparentés sera attentif à cette problématique.
Je souhaite remercier les agents des administrations centrales et déconcentrées, les personnels de l’État qui ont géré dans l’urgence et dans les conditions imposées par la crise sanitaire des aides inédites, et mené des missions qu’ils n’avaient jamais eu à connaître auparavant.
L’exécution de l’exercice 2020 témoignera sans nul doute de mouvements de crédits au sein des missions et des programmes budgétaires concernés. Nous ne pourrons pleinement analyser les incidences de ces mouvements que lors du printemps de l’évaluation de l’année prochaine.
Je tiens également à saluer les nouvelles formes de collaboration entre administrations et élus locaux et nationaux, qui se sont mises en place avec des comités locaux de pilotage – en particulier pour l’attribution des aides aux entreprises. Cet esprit de collaboration a permis d’évaluer les situations très rapidement et de faire remonter les difficultés du terrain avec une efficacité dont nous apprécierons encore les effets dans le cadre de l’examen du troisième PLFR pour 2020, qui sera prochainement inscrit à l’ordre du jour.
Souhaitons que ces bonnes pratiques et ces bonnes habitudes survivent à la crise, car c’est l’évaluation que nous en faisons qui fait la pertinence et la force de nos politiques publiques. Aussi, monsieur le président, permettez-moi de convoquer à nouveau la sagesse de Zarathoustra dans cet auguste hémicycle pour dire, avec lui, que « c’est l’homme qui mit des valeurs dans les choses, afin de se conserver […] C’est pourquoi il s’appelle "homme", c’est-à-dire, celui qui évalue ». Je me réjouis, avec les députés du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, qu’en évaluant, nous ayons ainsi exercé nos facultés d’hommes et de femmes de bonne volonté, mais aussi pleinement rempli la mission que nous avait confié le constituant de 2008. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Christine Pires Beaune. Il est intéressant, et même indispensable, de vouloir évaluer les politiques publiques. Je vous reconnais le mérite d’avoir essayé de le faire en mettant en place le printemps de l’évaluation ; mais sachons reconnaître que vous n’avez pas encore, que nous n’avons pas encore trouvé la formule idoine. Certes, le contexte de crise sanitaire entrave le travail parlementaire, comme n’importe quelle activité professionnelle et de nombreux aspects de la vie sociale depuis maintenant plusieurs mois. Cependant, l’enchaînement, en deux jours, de présentations budgétaires à vive allure en commission, qui plus est sans la présence du ministre, n’est pas satisfaisant et me laisse un sentiment de frustration. Cela ne vous suffit pas ? Il convient de réfléchir de nouveau à ce dispositif et d’envisager d’autres pistes. Pourquoi, par exemple, ne pas sélectionner chaque année quatre ou cinq missions budgétaires ou politiques transversales qui seraient évaluées pendant deux semaines et donneraient lieu à un véritable échange avec le Gouvernement ?
Au-delà de ce point de méthode, je constate que si nous avons été amenés à analyser et à évaluer l’exécution budgétaire pour l’année 2019, il est difficile, au regard de la situation exceptionnelle que nous traversons, de ne pas faire quelques rapprochements avec la situation actuelle, tant certains liens peuvent être établis sans qu’il ne puisse s’agir ni de raccourcis ni de facilités. C’est pourquoi je commencerai par revenir sur les crédits de la mission « Santé », plus particulièrement sur les moyens accordés à l’ANSP, l’Agence nationale de santé publique – ou Santé publique France.
Si cette agence était relativement méconnue des Français il y a encore quelques semaines, chacun d’entre eux peut désormais clairement l’identifier et reconnaître le rôle essentiel qu’elle joue en matière sanitaire dans notre pays. Pourtant, en 2019, la subvention pour charges de service public qui lui est affectée a diminué de 6 millions d’euros, réduisant significativement son fonds de roulement. De plus, le projet de loi de finances pour 2019 réduisait la trajectoire d’emplois de l’agence ainsi que ses dépenses de fonctionnement de près de 5 %. Cette diminution de moyens financiers et humains a eu pour conséquence d’entraver son bon fonctionnement au cœur même de la crise sanitaire. Nous ne pouvons que le regretter.
Toutefois, il convient de noter que si les dépenses de l’agence doivent fortement croître dès 2020, cela n’aura pas de conséquences sur la mission « Santé » car le fonctionnement de Santé publique France a été transféré à l’assurance maladie à partir de 2020 – c’est donc cette dernière qui a dû accorder à l’agence une subvention d’urgence de 4 milliards d’euros, le 30 mars dernier. Ce changement de doctrine concernant des moyens de l’ANSP doit s’amplifier et être pérennisé, tant les enjeux actuels et à venir en matière de santé publique sont immenses. Nous y serons attentifs.
J’espère très sincèrement que « le monde d’après » n’aura rien à voir avec le monde d’avant, que ce soit à l’hôpital, dans les EHPAD, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou au domicile des personnes âgées. Ce n’est pas gagné ! C’est le moins que l’on puisse dire ! J’en viens à la mission « Cohésion des territoires » et aux crédits alloués à la rénovation énergétique des logements. Parce que nous nous sommes fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, ces crédits revêtent une importance capitale. Ils doivent permettre à la fois de pleinement lancer notre pays sur la voie de la transition énergétique et de répondre à la détresse des 12 millions de Français modestes qui vivent dans des passoires thermiques. Ces passoires thermiques ont un coût énergétique important et elles peuvent parfois faire courir des risques pour la santé.
L’objectif était de rénover 120 000 logements en 2019 : il a été atteint et même dépassé, puisque 156 000 logements ont été rénovés. Je m’en réjouis, mais je ne m’en satisfais évidemment pas. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, nous devrions rénover 760 000 logements par an pendant trente ans. Il faut donc plus que jamais accroître notre effort.
C’est la volonté du groupe Socialistes et apparentés, qui a proposé il y a quelques jours une prime pour le climat. Elle a pour but de répondre à ces enjeux sociaux, écologiques et économiques et vise à renforcer le mouvement de rénovation énergétique du parc de logements privés. Très juste ! Elle constituera également un gisement d’emplois durables pour toute la filière du bâtiment, grande pourvoyeuse d’emplois. L’enjeu est d’autant plus fort au regard des conséquences économiques de l’épidémie. Avec ce dispositif, qui peut couvrir 100 % du coût de la rénovation énergétique, les propriétaires n’auront rien à débourser au moment des travaux, puisqu’il est prévu que la prime soit versée sous la forme d’une avance.
Nous devons à tout prix éviter une relance grise : la relance doit être verte. Cette crise, plus que jamais, sonne comme un ultimatum social et écologique.
L’écologie, parlons-en ! La NEB – note d’exécution budgétaire – de la Cour comptes relative à la mission « Écologie développement et mobilité durables » confirme que nous devons faire beaucoup plus. Nous devons y être très attentifs, tant il est vrai que cette mission prendra, je l’espère, une place prépondérante parmi les politiques publiques menées à l’avenir.
Si certains dispositifs vont dans la bonne direction, ils doivent impérativement être corrigés afin que l’action publique gagne en efficacité. L’urgence climatique nous l’impose. Je pense notamment au bonus-malus et à la prime pour la conversion, qui ont été modifiés et complexifiés, ce qui a altéré leur efficacité. Ces dispositifs souffrent d’ailleurs d’une évaluation insuffisante et d’un pilotage largement instable. C’est également le cas du chèque énergie, créé en 2015, dont le taux d’usage demeure grandement insuffisant. En 2019, 28 % des personnes éligibles n’en ont pas bénéficié. Ce dispositif, qui apporte pourtant une bonne réponse aux enjeux sociaux et environnementaux, doit donc être revu afin d’être pleinement exploité et de réellement porter ses fruits.
Je regrette encore davantage que les dépenses fiscales, qui représentent près d’un tiers des crédits alloués à la mission, soient pour une large part défavorables à l’environnement et que leur articulation avec les politiques auxquelles elles se rattachent soit très insuffisante. Je constate également que les moyens humains destinés à la mission diminuent : s’ils ne font pas tout, ils sont essentiels alors que nous devons construire un véritable État stratège en matière écologique – mais en la matière, nous sommes encore très loin du compte.
Lorsque ce ne sont pas les effectifs ou les moyens qui diminuent drastiquement, quand ce ne sont pas les dispositifs qui sont rendus toujours plus complexes, c’est l’exécution budgétaire en elle-même qui est défaillante et qui interroge le pilotage de nos finances publiques.
Je pense particulièrement à l’exécution budgétaire de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui mérite que l’on y revienne et que l’on soit extrêmement attentif dans le cadre du troisième PLFR. Plusieurs mesures relatives aux collectivités territoriales sont en jeu. L’analyse de l’exécution de cette mission ne manque pas de susciter de sérieuses inquiétudes. Je regrette en effet que les crédits de paiement aient diminué de 3,7 % en 2019, alors que les dépenses en autorisations d’engagement ont bel et bien augmenté. Cela a eu pour conséquence de creuser les restes à payer : s’ils s’élevaient déjà à 3,7 milliards d’euros en 2018, ils représentent en 2019 la bagatelle de 4,2 milliards.
La Cour des comptes affirme désormais, dans sa NEB, que cette évolution à la hausse constitue un légitime sujet d’inquiétude, et que le rythme de consommation des crédits de paiement doit être considéré comme un point majeur de vigilance pour les administrations gestionnaires. Or, à la lecture du rapport annuel de performances, je constate que le Gouvernement n’est pas en mesure d’expliquer cet écart. Je le regrette.
J’en viens à l’exécution budgétaire de la mission « Enseignement scolaire », qui apparaît très inquiétante au regard de l’importance que celle-ci revêt, à nos yeux, pour notre jeunesse et la vitalité de notre pays. Pour la première fois depuis 2012, une loi de finances initiale prévoyait une diminution du schéma d’emplois à hauteur de 1 800 équivalents temps plein. Mais, comme si cela ne suffisait pas, la baisse constatée représente plus du double, puisque nous sommes à 3 815 équivalents temps plein en moins. En d’autres termes, alors que la précédente majorité avait fait preuve d’une ambition inédite pour l’éducation nationale, vous avez stoppé cette dynamique et même opéré un retour en arrière. Vous avez supprimé plus de postes que prévu dans l’éducation nationale, alors même que le nombre total d’élèves est en augmentation et que le dédoublement des classes – une mesure que je salue – nécessite logiquement davantage d’enseignants. Cette politique semble incompréhensible à l’heure où nous manquons d’enseignants dans les écoles de nos territoires. J’en veux pour preuve, par exemple, la suppression annoncée, à la rentrée prochaine, de deux postes de réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté – RASED – sur mon territoire, ou encore les trente-sept classes qui, le même jour, se sont retrouvées sans enseignant pour cause d’enseignants en formation ou en arrêt maladie.
Comme si cela ne suffisait pas, l’état de la médecine scolaire est également préoccupant. La Cour des comptes s’alarme, dans un récent rapport, du taux de visites médicales insuffisant – il s’établit à moins de 20 %. Or, dans un contexte de crise sanitaire qui a nécessité de confiner des millions de Français et d’enfants, des séquelles psychologiques sont à craindre. Il y a urgence à agir. Je propose, monsieur le ministre, d’autoriser une expérimentation visant à décentraliser dans quelques départements la gestion de la médecine scolaire, en lien avec la médecine de ville.
Pour finir, s’agissant toujours de la mission « Enseignement scolaire », le confinement de la population a exacerbé les inégalités scolaires au détriment, une fois encore, des plus démunis. Si l’école à distance a pu représenter une solution transitoire et un moindre mal, le contact a été perdu, dès le début du confinement, avec au moins 8 % des élèves, alors que l’école est obligatoire et qu’elle est un facteur de développement personnel et de lien social, notamment en période de confinement. Il faut agir sans attendre !
Si un certain nombre d’élèves ont pu être récupérés grâce, notamment, aux dotations en matériel informatique, les inégalités d’accès au numérique qui sous-tendent les inégalités sociales demeurent encore trop importantes. En France, 5 % des ménages n’ont pas accès à un équipement informatique ; en milieu rural, l’accès à internet n’est pas encore une réalité pour tous les foyers. Il convient dès à présent de prendre la mesure de ce phénomène en améliorant la couverture numérique du pays.
Je souhaiterais, pour terminer, évoquer les missions « Justice » et « Outre-mer », marquées par la sous-exécution budgétaire en matière d’emplois. Cela démontre que même lorsque la tendance n’est pas à la réduction des crédits alloués aux moyens humains et financiers, le Gouvernement trouve le moyen de réaliser des économies.
S’agissant des crédits affectés en 2019 à la mission « Justice », le nombre de postes de l’administration pénitentiaire a progressé – je salue cette évolution –, mais la réalité est plus nuancée : le schéma d’emplois a été moins bien exécuté que les années précédentes, à hauteur de 79 % contre 92 % en 2018, ce qui représente un différentiel de 210 postes. La situation de sous-effectifs que connaît depuis longtemps l’administration pénitentiaire perdure donc dans les faits, malgré un effort théorique. Je le regrette et il conviendra de corriger le tir en 2020.
Enfin, pour la deuxième année consécutive, la Cour des comptes a pointé une sous-exécution massive des crédits de la mission « Outre-mer », avec un écart de plus de 7 % entre la programmation et l’exécution. Cela place cette mission sur la deuxième marche du podium des missions de l’État en sous-exécution. Quand on sait les défis auxquels doivent faire face les territoires ultramarins, c’est un bien triste record !
Pour conclure, je voudrais souligner qu’intervenir dans le cadre de ce débat était un exercice bien difficile pour tout le monde, alors que nous ne disposons toujours pas du rapport global que nous aurions dû commenter aujourd’hui. Ce rapport devrait nous parvenir dans quelques semaines : c’est pour le moins baroque ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.) Très bien ! Merci, madame la députée. Mme Pires Beaune avait droit à quinze minutes ; elle n’a pas bénéficié d’un traitement de faveur, même si cela aurait peut-être été normal.
La parole est à M. Charles de Courson. Charles, n’oublie de préciser au ministre que tu n’étais pas là à l’époque de Raymond Barre ! (Sourires.) Le printemps de l’évaluation est une innovation qui a été expérimentée cette année pour un troisième exercice budgétaire, dans un contexte de grande instabilité et de grandes incertitudes. Vous le savez, toute avancée visant à ce que notre assemblée se saisisse pleinement de son pouvoir de contrôle et d’évaluation budgétaire reçoit le ferme soutien du groupe Libertés et territoires. Ce pouvoir, inscrit à l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, constitue un principe inhérent à toute démocratie. Il est aujourd’hui scindé en deux dans son exercice, avec ce que l’on pourrait appeler un automne de l’autorisation – lorsque nous votons la loi de finances initiale – et le printemps de l’évaluation.
Ces dernières années, nous n’avons eu que trop peu d’occasions de nous réjouir d’une avancée des prérogatives du Parlement, nous élevant plutôt contre son affaiblissement. Pourtant, il ne faut pas confondre le contrôle de l’exécution de l’exercice précédent et le débat sur le projet de loi de finances de l’année suivante ! L’évaluation de l’exercice précédent rend possible l’amélioration des autorisations budgétaires en nous permettant d’être plus en phase avec les réalités. C’est un cercle qui devrait être vertueux et dont nous souhaitons le renforcement.
Nous pouvons regretter que, comme tous nos travaux, ceux du printemps de l’évaluation 2020 aient pâti des conséquences de la crise sanitaire que nous traversons. Néanmoins, notre groupe approuve le choix de ne pas les annuler, mais de les maintenir sous une forme allégée. Je souhaite saluer cette initiative du président de la commission des finances, Éric Woerth, qui montre que le Parlement, même en temps de crise, conserve son pouvoir de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.
Difficulté supplémentaire, ce travail de contrôle intervient dans un environnement budgétaire très fragile. Ce matin même et au début de cet après-midi, nous avons pris connaissance du troisième budget rectificatif de l’année. Monsieur le ministre, allons-nous continuer sur ce rythme d’un texte par mois ? On va essayer de les resserrer encore un peu ! (Sourires.) Peut-on espérer une pause au mois d’août avant de reprendre en septembre ? Je suis à votre disposition ! Vous allez détenir le record historique du nombre de lois de finances rectificatives sur un seul exercice budgétaire. Tout augmente ! Le contexte y est pour quelque chose, cher collègue ! J’ai connu une année où il y en a eu trois ; vous allez en faire quatre, voire cinq…
Le printemps de l’évaluation de cette année est consacré à l’impact de l’actuelle crise sanitaire sur la mobilisation des crédits budgétaires et le déploiement des politiques publiques. Comme nous l’avons constaté lors de nos discussions en commission des finances, certaines missions ont été particulièrement touchées. Je pense notamment, et pour n’en citer qu’une, à la mission « Culture ». La crise sanitaire a mis en difficulté quasiment tous les opérateurs de la mission, notamment ceux disposant habituellement de ressources propres importantes. Il est d’ailleurs paradoxal que ceux qui avaient le plus de ressources propres soient les plus affectés, et que ceux qui vivaient des crédits publics le soient moins. Je souhaite rappeler que les opérateurs de la création sont dépendants de leur capacité d’exploitation des salles et espaces d’exposition, et ce d’autant plus qu’ils ont été fortement incités à développer leurs ressources propres. Ainsi, la direction générale de la création artistique estime que l’impact budgétaire de la crise sur les opérateurs devrait s’élever à plus de 100 millions d’euros pour le programme « Création » de la mission.
Face à cette situation, l’État s’est mobilisé pour faire bénéficier le secteur culturel de l’ensemble des mesures de soutien à l’économie. Le fonds de solidarité a profité, à la fin du mois de mai, à hauteur de 137 millions d’euros au secteur des arts, spectacles et activités récréatives ; 1,2 milliard de prêts sur 77,6 milliards – le chiffre date car on a désormais dépassé les 100 milliards – ont été garantis par l’État au profit de ce même secteur. Enfin, les reports d’échéances fiscales se sont élevés à 42 millions d’euros sur 2,3 milliards au total.
L’aide à ce secteur doit se faire en collaboration avec les collectivités territoriales. C’est pourquoi nous soutenons l’idée de la rapporteure spéciale, Dominique David, qui souhaite cartographier les crédits mobilisés par les collectivités territoriales pour s’assurer d’une répartition harmonieuse sur le territoire et coordonner leur action avec celle de l’État grâce aux directions régionales des affaires culturelles – DRAC.
Un mot sur la mission « Cohésion des territoires », elle aussi particulièrement mobilisée, notamment s’agissant du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Ainsi, les dispositifs mis en place par le Gouvernement, notamment l’ouverture de 21 000 places supplémentaires au 4 mai 2020, ont permis la prise en charge des personnes mal logées pendant l’état d’urgence sanitaire. Notons que la loi de finances pour 2020 prévoyait 1,9 milliard d’euros pour la politique d’hébergement d’urgence. Alors que ce montant était déjà inférieur à celui exécuté en 2019 – 2,1 milliards d’euros –, nous savons d’ores et déjà que l’enveloppe sera largement insuffisante pour couvrir les nouveaux besoins liés à la crise sanitaire.
Le rapporteur spécial, François Jolivet, l’indique lui-même : 200 millions d’euros seraient nécessaires pour ne pas précariser les associations gestionnaires des structures d’hébergement et de réinsertion. Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il prévu aucune augmentation des crédits dans les deux lois de finances rectificatives que nous avons votées ? En parcourant la troisième loi de finances rectificative, je n’y ai pas trouvé spontanément de mesures en ce sens… Peut-être pas spontanément, mais en lisant le rapport, vous en auriez trouvé, oui ! Il y en a ! J’ai eu le texte entre les mains trois minutes avant que vous n’arriviez, d’où le point d’interrogation. On va vous réserver une petite pièce, pour que vous puissiez vous expliquer ! (Sourires.) Je vous félicite d’avoir écouté notre collègue Jolivet !
Autre écueil, qui devrait donner lieu inéluctablement à une hausse des crédits de la mission : un nouveau report de la mise en œuvre de la réforme des aides au logement, initialement prévue pour mai 2019. C’est le cinquième report ! Vous exagérez, cher collègue : ce n’est que la quatrième fois que la réforme est reportée. Vous exagérez toujours un peu, monsieur Le Fur,… C’est ce qui fait son charme ! …mais vous étiez dans la bonne direction !
Cette réforme devait permettre des économies de l’ordre de 1,2 milliard d’euros, mais je crois qu’elles se sont envolées ! C’était une mauvaise réforme ! Finalement, les débats que nous avons eus en commission à l’occasion du printemps de l’évaluation ont mis en lumière le fait que la situation actuelle, tout à fait originale, peut être qualifiée d’« open bar » budgétaire. Plusieurs missions en témoignent. Dans les lois de finances rectificatives, le Gouvernement a fait le choix de recourir massivement à la dépense publique pour éviter un effondrement économique et social. Notre groupe ne conteste pas ce choix. Cependant, nous appelons à la vigilance : nous devons initier une relance tout en assurant un sérieux budgétaire, pour que la situation soit viable sur le long terme. C’est tout l’intérêt de ce printemps de l’évaluation et du rapport d’information qui doit s’ensuivre.
Petite note personnelle : j’ai toujours regretté que la quasi-totalité des rapporteurs spéciaux ne soulèvent qu’un seul problème, celui de l’insuffisance des ressources. (Mme Olivia Gregoire proteste.) Écoutez-moi, madame Gregoire, avant de protester ! Très rares sont ceux – n’est-ce pas, monsieur l’ex-rapporteur général ? – qui font de vraies propositions d’économies. De ce point de vue, ils n’aident pas beaucoup le Gouvernement.
En conclusion, je voudrais dire qu’il s’agit avant tout d’une pratique politique du Parlement, qui lui permet de se placer dans une logique constructive de contrôle et d’évaluation, au-delà du fait majoritaire. Cela est essentiel au bon fonctionnement de nos institutions, car seul le processus budgétaire est capable d’encadrer des choix de gouvernance et de politique dans chacun des domaines d’une manière concrète et réaliste. Dans le prochain budget de relance – en tout cas, dans la loi de finances initiale et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 –, nous devrons assurer les moyens de nos ambitions et limiter le recours à l’endettement, c’est-à-dire faire des économies. Je suis étonné de constater que dans cette situation, personne n’appelle à faire des économies sur ce qui est moins urgent, moins prioritaire. Par exemple ? Quelles sont vos propositions ? Voilà, monsieur le ministre, la conclusion de ce petit propos. On ne les connaîtra donc pas ! Pour ce qui me concerne, j’ai toujours fait des propositions.
Voilà, mes chers collègues, une petite méditation sur ce printemps de l’évaluation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et Agir ensemble. – M. Jérôme Lambert applaudit aussi.) C’est toujours bien de méditer au printemps… C’est Lao Tseu ! La parole est à Mme Sabine Rubin. Hier après-midi, la majorité et le Gouvernement se réjouissaient des effets bénéfiques de leur action sur notre capacité à affronter la crise du covid-19. Eh bien, nous allons emprunter leur logique pour faire cette évaluation.
À cette occasion, monsieur le ministre, vous déclariez que cette crise n’était pas la conséquence d’une décision gouvernementale. C’est vrai ! Vous avez raison :… Ah ! …c’est le résultat de plusieurs décisions gouvernementales. Ah, c’est nous qui avons créé le virus ? Si la pandémie plonge le pays dans une crise sanitaire, économique et sociale, c’est bien en raison des politiques néolibérales conduites au cours des trois dernières décennies et que vous n’avez cessé d’accélérer. Vous n’avez pas opté pour une transformation, mais pour une accentuation.
Avec la loi ELAN – portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique –, vous avez précarisé les baux et poussé les bailleurs à vendre les logements sociaux. Les personnes mal logées ont souffert directement de votre politique lors du confinement.
Avec la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, dit CETA, vous avez poursuivi la découpe de notre tissu industriel et accru notre dépendance aux productions lointaines. C’est ce type de déménagement qui nous a valu les pénuries de masques, d’oxygène, de médicaments.
Avec la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, vous avez éloigné l’hôpital public de ses usagers, taillé dans le nombre de lits ; bref, vous avez réalisé des économies sur la santé et sur son personnel.
Je vous fais grâce des autres points, mais chacun sait dans quel état d’affaiblissement des services publics nous avons abordé la période. Or seul le service public peut répondre à des chocs brutaux et inattendus ; le privé, lui, attend de recevoir l’aide de l’État.
Pour en revenir à l’exercice 2019, je m’attacherai, à titre d’exemple, à décrire la situation de l’éducation et de la recherche.
Alors que le nombre d’élèves augmente, vous supprimez 3 816 équivalents temps plein – ETP – au sein de l’éducation nationale, comme l’a fait remarquer Mme Pires Beaune.
En maternelle, le nombre d’élèves par enseignant s’établit à vingt-trois, soit sept élèves de plus que la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE. En élémentaire et au collège aussi, ce nombre est au-dessus de la norme moyenne. Les dédoublements abaissent à peine cette moyenne et ne couvrent que deux niveaux de classe.
Dans ces conditions, comment bien suivre des élèves à distance ? Comment respecter les consignes sanitaires si les classes sont déjà surchargées et si une école sur quatre n’a pas suffisamment de points d’eau ? Mais vous coupez encore. Et quand vous ne coupez pas, vous refusez de mettre les moyens.
Le nombre d’étudiants a augmenté de 2,1 % entre 2017 et 2018. Pourtant, les crédits du programme 150 n’augmentent que de 0,46 % cette année. Le budget par étudiant a diminué de 10 % en cinq ans.
Alors qu’il faudrait augmenter les crédits, vous décidez de réduire le nombre d’étudiants par la sélection. Dans le projet annuel de performances, vous parlez même de « candidats ». Mes chers collègues, les lycéens fraîchement diplômés du baccalauréat ne sont pas des candidats ; ils ne vous demandent pas une faveur ; ils ont droit à une formation supérieure et le pays a besoin de jeunes gens formés.
Parmi ceux auxquels vous accordez le privilège d’une formation, 20 % vivent dans la pauvreté. Pour eux, à peine une miette : 200 euros, soit moins d’une semaine de survie au seuil de pauvreté.
Et encore, c’est ne rien dire des jeunes doctorants, payés moins que le SMIC et au statut de vacataire, qui attendent leurs salaires des mois durant. Voilà comment vous récompensez l’excellence !
C’est oublier aussi des chercheurs titulaires dont les crédits s’amenuisent chaque année, quand on abreuve le CAC 40 de crédits impôt recherche, censément destinés à l’innovation. Je pense au cas de Bruno Canard, spécialiste des virus, et notamment des coronavirus, qui a perdu jusqu’au goût de son travail à force de rabotage.
Dites-nous encore que la crise, ce n’est pas de votre faute ! Il y a tant à dire, mais il faut que j’achève. Puisqu’il s’agit de vous évaluer, au nom de l’enseignement et de la recherche que vous malmenez à tous les degrés, je vous attribue la note de zéro sur vingt : aucun effort, aucun progrès. Oh ! Au moins un point, tout de même ! Je vais essayer de progresser ! La parole est à Mme Jennifer De Temmerman. En 2018, le printemps de l’évaluation était inauguré, avec pour formidable ambition de renforcer les pouvoirs d’évaluation des politiques publiques de l’Assemblée nationale, une fonction d’évaluation explicitement reconnue dans l’article 24 de notre Constitution.
Il s’agissait de mener une action concertée dans le cadre de l’examen du projet de loi de règlement, qui arrête les comptes de l’État de l’année antérieure. Dix-huit commissions d’évaluation des politiques publiques devaient permettre d’associer la commission des finances et les commissions permanentes, en présence des ministres, sur chaque mission budgétaire.
Nous sommes arrivés, nouvellement élus, avec l’ambition de porter une révolution au sein d’une assemblée que nous imaginions un peu surannée et partiellement déconnectée. Nous avons fait table rase de ce qui existait déjà, mais peut-être que l’Assemblée ne nous avait pas attendus pour cela.
Sommes-nous plus efficaces ? Non ! En réalité, nous continuons de parler entre nous et pour nous,… Exactement ! …sans ouverture réelle sur l’extérieur. Au sein même de l’Assemblée, si l’on n’appartient pas à la commission des finances, il est difficile de savoir ce qui se fait et d’accéder aux informations. Ça, c’est clair ! Je le sais pour avoir été rapporteure pour avis, pour le compte de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, du programme « Énergie, climat et après-mines ». Le travail que j’ai pu effectuer dans ce cadre s’est déroulé sans concertation réelle avec le rapporteur général de la commission des finances, et sans aucun lien avec les autres rapporteurs.
Aujourd’hui, je n’ai pas d’avis réfléchi sur les rapports qui ont pu être rédigés dans le cadre du printemps de l’évaluation : ils ont été déposés trop tard, et certains ne sont toujours pas accessibles.
Je ne pense pas qu’il soit raisonnable d’imaginer que l’on puisse travailler en moins de quelques jours sur des sujets aussi importants, comme cela a été le cas ce matin pour l’examen du troisième PLFR par la commission des finances.
Hier, nous avons assisté en séance à un débat intitulé « Comment la sincérité et le rétablissement des finances publiques depuis 2017 favorisent le soutien à l’économie dans la crise du covid-19 ? »
De nombreux collègues ont souligné à quel point cette formulation elle-même relevait de l’autocongratulation. C’est oublier le travail de ceux qui nous ont précédés, et aussi le fait que nous avons pu bénéficier d’évolutions qui ne sont pas pleinement à la main des pouvoirs publics. Un peu d’humilité me semble nécessaire en ces temps incertains.
Il a été décidé d’orienter le printemps de l’évaluation vers l’impact de l’actuelle crise sanitaire en termes de mobilisation des crédits budgétaires et de déploiement des politiques publiques. Nous nous interrogeons sur les crises successives que nous avons vécues – gilets jaunes, covid-19 – et sur leurs effets certains sur nos finances.
Que se serait-il passé si les propositions de mesures de nombreux parlementaires de tous bords avaient été entendues lors des débats financiers en 2018 et en 2019 ?
Qu’il s’agisse de la contribution sociale généralisée, la CSG, de la taxe carbone ou de l’hôpital, peut-on considérer que ce sont les crises qui ont affecté les finances publiques ou que nos politiques économiques et nos orientations budgétaires ont peut-être aggravé ces crises ? Je laisse ceci à votre réflexion sur ce qui ne peut être défait, mais je vous invite à entrer davantage dans une démarche positive pour l’avenir.
La pandémie et la crise sanitaire doivent nous conduire à repenser toutes nos politiques publiques et la transformation de nos modes de vie, de nos modèles économiques et, plus largement, de nos sociétés.
De l’éducation à la sécurité civile en passant par tous les secteurs ministériels, mais aussi à l’échelle de chaque territoire, cette adaptation implique évidemment une transformation de nos finances : il n’existe pas de politique publique sans traduction budgétaire.
De nombreux États ont déjà fait le choix de revoir leurs processus et leur politique économique. C’est pour cela que je souhaite revenir sur un sujet qui me tient à cœur, car je crois qu’il est la réponse adéquate à notre questionnement : l’agenda 2030 et ses dix-sept objectifs de développement durable, communément appelés ODD.
Adopté le 25 septembre 2015, l’agenda se fixe comme objectif de répondre aux défis communs des pays de la planète. Cet agenda était alors présenté comme un changement de paradigme, un projet transformateur et une feuille de route globale à décliner par tous les pays et l’ensemble des acteurs.
La France s’est dotée de sa propre feuille de route, en septembre 2019, dont l’élaboration a donné lieu à un travail important de la part de nombreux acteurs, de toutes les parties prenantes et de quelques parlementaires.
À nombre d’entre nous, il est apparu que cette grille de lecture – les ODD et leurs cibles – est un outil formidable dont le Parlement doit se saisir pour lire le budget et améliorer son contrôle sur les lois de finances. Finalement, cela va répondre aux enjeux sociétaux qui se posent à nous.
Le budget est l’expression politique et économique de l’action du Gouvernement. Il doit donc être considéré comme le point de départ nécessaire et incontournable pour l’intégration de l’agenda 2030.
Cette intégration apparaît même logique au regard de la nouvelle gestion publique axée sur une logique de résultat, avec des indicateurs et des cibles, tout comme les objectifs de développement durable. Cette nouvelle gestion publique prône un pilotage de l’action publique plus transparent et efficace, ce qui se traduit par la mise en place d’indicateurs de performance de plus en plus précis.
Les crédits budgétaires sont organisés en fonction d’objectifs politiques contrôlés à l’aide d’objectifs et d’indicateurs. Cette logique, axée sur les résultats, est relativement conforme à celle des objectifs de développement durable, qui sont organisés de la même manière en objectifs, cibles et indicateurs.
Ces indicateurs développés par l’INSEE, l’Institut national de la statistique et des études économiques, peuvent donc intégrer de manière avantageuse le suivi national. Nous pourrions ainsi plus facilement lire et évaluer le processus budgétaire. Nous pourrions parler à tous avec le bon outil, travailler plus efficacement et rapidement dans les délais qui nous sont imposés, et, peut-être faire mieux avec moins.
Le moment que nous vivons exige de profondes mutations. Pour nos politiques publiques, l’heure est à l’intégration des objectifs de développement durable dans les cibles et indicateurs de nos projets et rapports annuels de performances.
Pour nous et pour les générations futures, posons dès maintenant les bases d’une société résiliente, agissons et retrouvons-nous l’année prochaine autour d’un meilleur printemps de l’évaluation. Élaborons un budget rénové, à l’instar de celui d’un nombre croissant d’États à travers le monde, de la Finlande au Costa Rica, en passant par le Mexique ou l’Espagne.
Nous pouvons, j’en suis persuadée, nous retrouver, au-delà de nos différences, dans ces valeurs communes. (M. Jean-Paul Dufrègne applaudit.) La parole est à M. Paul Christophe. Il va parler de la dette sociale, pour changer ! Je suis sûr qu’il est d’accord avec le Gouvernement ! Le printemps de l’évaluation constitue le moyen de replacer la fonction parlementaire de contrôle et d’évaluation au cœur même de notre mission, avec l’objectif d’exercer consciemment notre rôle de législateur éclairé.
Nous pouvons ainsi nous concentrer sur les résultats concrets des politiques publiques et renforcer notre responsabilité en matière budgétaire. D’une manière générale, je reste convaincu qu’améliorer le contrôle pourrait nous éviter d’avoir à trop légiférer – cela vaut pour l’évaluation budgétaire.
Si je souscris donc bien volontiers à la politique d’évaluation, force m’est de constater que nous manquons souvent de moyens pour apprécier efficacement l’exécution budgétaire. Cela étant, je salue, à mon tour, le travail des rapporteurs spéciaux portant sur l’analyse des votes des crédits et leur utilisation.
C’est une évidence : tout autant que sur l’autorisation, il nous faut être vigilant sur l’exécution.
Le bureau de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, qui s’est réuni le mercredi 1er avril, a décidé de réorienter les travaux du printemps de l’évaluation afin de tenir compte de la situation exceptionnelle que nous connaissons.
En lieu et place des thèmes qui avaient été arrêtés en début d’année, un thème unique a ainsi été retenu : l’impact de l’actuelle crise sanitaire en termes de mobilisation des crédits budgétaires et de déploiement des politiques publiques.
Cette crise fut le révélateur des spécificités du modèle français de l’emploi, de ses failles et surtout de ses atouts. Nos concitoyens s’inquiètent à propos du maintien de leur activité après la crise sanitaire ou du commencement de leur vie professionnelle, à l’instar de nombreux jeunes diplômés qui peinent à trouver un premier emploi.
Alors qu’un nouveau dispositif de chômage partiel doit être défini au cours des prochains jours par le ministère du travail, issu de la concertation avec les organisations syndicales et patronales, il est intéressant de se concentrer sur l’impact de la crise sanitaire sur le déploiement et le bon fonctionnement des dispositifs de la politique de l’emploi, afin que les leçons actuelles permettent de mieux anticiper les crises du futur.
Le rapport budgétaire sur le travail et l’emploi fait état d’une augmentation de 22,6 % du nombre de demandeurs d’emploi en France en avril 2020 : 843 000 inscriptions supplémentaires en catégorie A ont été enregistrées à Pôle emploi. L’emploi a donc connu un choc sans précédent, ce qui rend plus que jamais nécessaire l’adaptation de nos politiques publiques à ces nouveaux enjeux.
C’est pourquoi je souhaiterais vous sensibiliser à l’apprentissage. En effet, durant la crise sanitaire, de nombreux centres de formation d’apprentis – CFA – nous ont alertés sur les risques de fermeture en raison de la suspension de leurs recettes pendant la crise.
Avant la pandémie du covid-2019, l’apprentissage était en phase ascendante : le nombre de jeunes entrés en apprentissage avait augmenté de 16 % en 2019. Cette situation inédite était positive pour l’avenir de l’emploi dans notre pays : cette filière, qui affiche un taux d’insertion de près de 75 %, est primordiale pour l’emploi des jeunes.
À cause de la crise, les CFA ont été fermés et les apprentis ont été mis au chômage partiel dans les entreprises qui ne pouvaient avoir recours au télétravail. Le Gouvernement a pris des dispositions pour qu’ils conservent l’intégralité de leurs rémunérations.
Ainsi, le rapport souligne que la mobilisation des crédits budgétaires doit accompagner le plan de relance de l’apprentissage. Comment évaluez-vous l’opportunité pratique de cette mesure ? Ce plan pourra-t-il intégrer, dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, les dispositions nécessaires ?
J’aimerais également connaître votre avis sur le dispositif d’aide unique à l’apprentissage mis en place en 2019 et sur ses résultats éventuels. Après avoir longtemps été une mauvaise élève dans ce domaine, la France renouait récemment avec l’apprentissage. La crise a porté atteinte à cet élan sans pour autant l’amoindrir car un véritable mouvement fédérateur s’est constitué autour de cette voie aujourd’hui indispensable pour la reprise de notre économie. Les Français, tout comme la représentation nationale, seront attentifs à la juste répartition des crédits de la mission « Travail et emploi » dans cette perspective.
Monsieur le ministre, s’il est un satisfecit qu’il est possible d’adresser au Gouvernement au regard de cette période de crise inédite, c’est celui sur la réactivité et la souplesse dont il a fait preuve pour adapter les dispositions budgétaires à la situation, mettant ainsi à mal la critique de lourdeur administrative dont notre pays est souvent la cible. Telle sera certainement l’une des leçons à retenir de la crise sanitaire. L’Assemblée nationale n’a d’ailleurs pas été en reste pour débattre et prendre ses responsabilités face à l’urgence des mesures proposées. Il me semblait utile de le rappeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.) La parole est à M. Daniel Labaronne. Dans le cadre de ce printemps de l’évaluation un peu particulier, nous sommes invités à nous exprimer sur le contexte dans lequel l’économie française a abordé la crise sanitaire. Je crois que notre pays a abordé la crise dans des conditions macroéconomiques et budgétaires favorables. En 2019, notre taux de croissance a atteint 1,5 %, contre 0,5 % pour l’Allemagne, pays auquel nous avons l’habitude de nous comparer.
Or j’ai la conviction que le taux de croissance que nous avons obtenu l’année dernière et qui nous a placés dans des conditions favorables pour aborder la crise sanitaire n’est pas le fruit du hasard. Il résulte d’une politique économique à la fois cohérente et efficace, d’une politique en réalité assez simple puisqu’elle repose sur l’idée qu’il faut libérer le marché du travail et mettre l’accent sur l’apprentissage et la formation pour améliorer les compétences et développer notre capital humain. Cette politique repose également sur l’idée selon laquelle l’épargne doit être orientée vers le financement de l’investissement productif : il s’agit, en somme, de développer le capital technique. Enfin, cette politique favorise l’investissement dans la recherche et l’innovation pour améliorer le capital intellectuel et immatériel. Dès lors que nous avons développé notre capital humain, technique et immatériel, nous avons pu engranger une croissance forte, que l’on peut qualifier d’endogène parce qu’elle est le résultat de notre politique économique et de notre volonté politique. Il n’y a que lui qui y croit ! Cette forte croissance nous a permis de réduire le chômage et d’offrir du travail à un très grand nombre de nos concitoyens, qui ont ainsi perçu des revenus et renforcé leur pouvoir d’achat. Dans le même temps, nous avons augmenté les minima sociaux et redistribué la richesse créée grâce à la croissance.
Le pouvoir d’achat de ceux qui ont retrouvé du travail et de ceux qui ont bénéficié de l’augmentation des minima sociaux a permis d’alimenter une demande forte. La correspondance entre notre politique de l’offre et notre politique de la demande, toutes deux soutenues par les mesures que nous avons prises en matière de pouvoir d’achat, a permis à la France d’afficher un taux de croissance parmi les plus élevés d’Europe. Je note que notre pays a été le premier contributeur de la croissance européenne en 2019.
Quelles sont les conséquences de cette stratégie qui donne des résultats ? La première est qu’elle a donné confiance aux investisseurs étrangers, qui ont investi massivement dans notre économie en 2019, faisant de la France le premier pays européen d’accueil des investissements directs étrangers ; la seconde est qu’elle a également donné confiance aux investisseurs qui achètent notre dette. Ils ont de quoi acheter ! Ça tombe bien, ils sont demandeurs ! Certains s’interrogent sur la qualité de notre signature. La réponse tient dans la cohérence de la politique économique que nous suivons depuis que nous sommes aux responsabilités. De cela, je suis intimement convaincu. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) C’est un humoriste ? Ça, c’était en 2019 ! Je vous fais part de cette conviction et je pense en avoir le droit ! Laissez s’exprimer M. Labaronne, mes chers collègues. Chers collègues, si nous avons pu aborder la crise sanitaire dans des conditions macroéconomiques satisfaisantes, c’est parce que nous avons su développer une politique économique cohérente et efficace. Et comme, dans le même temps, nous avons su, au plan budgétaire, diminuer notre déficit public et stabiliser notre dette par rapport au PIB, nous avons démontré que nous étions cohérents, solides et capables de faire face à des événements exogènes tels que la crise sanitaire.
Pour conclure, nos responsables politiques ont su mettre en place une politique économique cohérente, qui a donné des résultats, preuve que nous pouvons leur faire confiance dans le contexte de crise que nous connaissons. Sans cette politique économique, la France aurait affronté la crise dans des conditions bien moins favorables. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Voilà un discours très puissant… La parole est à M. Marc Le Fur.
Monsieur Cordier, je vous prie de bien vouloir vous calmer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Je vous invite à écouter sagement M. Le Fur. Il n’était pas très correct d’interrompre M. Labaronne à plusieurs reprises. Mais je n’ai rien dit ! S’il est un budget qui subit les conséquences du drame que connaissent l’ensemble des pays de notre planète, c’est bien celui de l’aide publique au développement. Ce drame retentit sur le pays donateur que nous sommes comme sur les pays susceptibles de bénéficier de notre aide, en particulier les plus fragiles.
Pour mémoire, la France s’est fixé comme objectif de consacrer 0,55 % du revenu national brut – RNB – à l’aide publique au développement en 2022,… On est loin des 0,7 % ! …de cibler cette aide sur les pays les plus fragiles, parmi lesquels dix-huit pays africains et ceux du Sahel, mais aussi d’augmenter les aides bilatérales et les dons en faveur des pays les plus fragiles – pour eux, le don est plus pertinent que le prêt.
Que s’est-il passé ? Avant d’y venir, je voudrais saluer non seulement nos représentants et nos diplomates dans ces pays – ils sont restés sur place et ont été confrontés à de nombreuses difficultés, ce que d’autres ont déjà dit avant moi –, mais aussi les agents de l’Agence française de développement, l’AFD, qui sont également restés mobilisés. Je veux le souligner car tous les réseaux diplomatiques et toutes les structures d’aide publique de par le monde n’ont pas manifesté la même constance.
Reste que l’Afrique a particulièrement souffert, non pas tellement sur le plan sanitaire – elle a été épargnée jusque-là et l’on doit espérer que cela ne change pas à l’avenir –, mais sur le plan économique, en raison de la chute des prix des matières premières, qui constituent pour bien des États la principale recette, de la chute des apports de la diaspora, lesquels représentent deux à trois fois l’aide publique au développement au niveau mondial, soit des montants tout à fait considérables, et du désinvestissement de certains partenaires étrangers.
Les pays qui ont le plus souffert sont les pays les plus enclavés, souvent les plus fragiles, ceux du Sahel notamment. Ils ont notamment pâti d’une situation difficile en matière de mobilité et de fret, mais également en matière alimentaire. Les prévisions du programme alimentaire mondial – PAM – sont de ce point de vue inquiétantes : la crise alimentaire toucherait désormais 265 millions de personnes dans le monde.
La France a joué son rôle dans ce contexte puisqu’elle a été à l’initiative de la demande de moratoire sur les dettes des pays pauvres. Ce moratoire a été décidé par le Club de Paris, bientôt suivi par la Chine, les pays du Golfe, l’Inde et le Brésil. C’est vrai : bel effet d’entraînement ! L’ensemble des pays donataires ont suivi l’initiative française, ce dont nous devons nous féliciter. Le moratoire concernera 13 milliards d’euros cette année. Notre part relative est de 900 millions, soit un montant important, qui n’aura pas de traduction négative sur le plan budgétaire, bien que des annulations de dettes puissent résulter du moratoire, celui-ci constituant une première étape. À ce stade, cependant, aucune annulation n’est décidée, ni d’ailleurs réclamée par les pays africains, qui craignent qu’elle apparaisse comme une dépréciation de leur capacité d’emprunt. Néanmoins, le Président de la République a clairement affirmé sa volonté de militer pour l’annulation, non pas de l’ensemble de la dette des pays pauvres, mais de celle des pays africains.
La France a su, par ailleurs, réorienter son aide publique au développement en très peu de temps vers la santé et l’alimentation, qui font aujourd’hui l’objet des plus fortes préoccupations. L’AFD a donc réorienté 1,150 milliard vers ces deux domaines – il s’agit d’une réorientation des dépenses et non d’une augmentation. Parmi les bénéficiaires des nouvelles affectations, je veux citer, en particulier, l’Institut Pasteur.
La question de notre participation à l’Organisation mondiale de la santé – OMS – mérite également d’être posée. Elle est, pour le moment, relativement limitée, mais il est nécessaire de s’interroger sur le rôle qu’a joué l’organisation au cours des derniers mois et sur l’influence exercée par la Chine du fait du retrait américain.
La crise nous oblige également à revoir la loi de programmation des finances publiques et à revenir sur l’objectif d’un taux de 0,55 % à l’horizon 2022. Tout est à revoir ! Paradoxalement, dès cette année, nous approcherons cet objectif alors que l’objectif pour 2020 était de 0,47 %. Cependant, du fait d’un effet de dénominateur, notre PIB diminuant de 11 % d’après les prévisions gouvernementales, l’aide publique au développement représentera cette année 0,50 %, voire 0,51 %, du RNB, mais sans augmentation des dotations en masse financière. En tout état de cause, nous devons nous poser la question de notre capacité à soutenir les objectifs initialement fixés s’agissant des montants alloués, tout comme d’ailleurs de la priorisation de nos aides. Évitons que les dix-neuf pays que nous avons définis comme les plus fragiles – dix-huit pays africains et Haïti – subissent trop fortement le reflux de notre aide publique au développement. Nous devons concentrer nos efforts sur les dix-neuf pays prioritaires et en particulier sur les cinq pays de la zone sahélienne. Merci de conclure, monsieur Le Fur. Une chose est sûre, la loi de programmation des finances publiques devra pour partie être réécrite. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à M. Éric Coquerel. Hier, monsieur le ministre, prétendant démontrer que votre politique avait excellemment permis de prévenir et de gérer la crise, et face à mes dénégations, vous nous avez expliqué que la crise n’avait été qu’épidémique, inévitable, indépendante de vos décisions antérieures. Mais si sa gravité n’a rien à voir avec l’état de notre pays, de ses services publics, du système dont il relève, pourquoi Emmanuel Macron, dans son allocution du 12 mars, ne s’est-il pas contenté de discourir sur les mesures sanitaires et les gestes barrières ? Vous n’avez pas répondu à cette question hier. Pourquoi a-t-il jugé bon de parler de l’importance de l’État providence, de la nécessité de se réinventer, des décisions de rupture à venir, des leçons de la situation, sinon parce qu’il a voulu souligner, par stratégie si ce n’est par sincérité, le besoin d’articuler le politique, l’économique et le sanitaire pour faire face à la crise et en tirer les conséquences ?
Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, le fait que les hôpitaux aient été submergés à un moment donné est directement lié au nombre de lits et de personnels disponibles dans chaque service, qui dépend lui-même du budget que vous leur avez alloué. Or, s’il est vital d’examiner ce qui s’est passé, il est tout aussi vital de changer les choses à temps pour que la tragédie ne se reproduise pas. Il est certain, hélas, que les prochaines crises d’une ampleur comparable seront environnementales – d’ailleurs, c’est déjà le cas, d’une certaine manière, de la crise du covid-19, zoonose assurément liée à la destruction des habitats naturels et à l’extinction des espèces. Et, de même que la crise actuelle a mis en évidence les conséquences de la baisse du budget des hôpitaux, ces crises à venir donneront à voir les effets de la baisse du budget de l’État, particulièrement de celui du ministère de l’écologie.
Rapporteur spécial des crédits de l’écologie, je suis aux premières loges pour constater l’ampleur des dégâts, qui s’aggravent tous les ans. Les syndicats du ministère le disent, les opérateurs publics qui se consacrent à la question environnementale le confirment : les coupes budgétaires et les suppressions de postes deviennent insurmontables et sont en contradiction totale avec les objectifs environnementaux que le Gouvernement affiche fièrement année après année. Une fois de plus, vous choisissez la politique du flux qui consiste à gérer au mieux avec le moins de dépenses publiques possibles ; or, si elle fonctionne à peu près dans les circonstances habituelles, elle se révèle incapable de tenir le choc d’une situation chaotique comme l’épidémie de covid-19 ou une crise climatique qui aurait peu ou prou les mêmes conséquences.
Vous le savez, le secteur de la prévention des risques naturels et industriels est en grande souffrance. L’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen, l’a tristement illustré et a été l’occasion de rappeler qu’il manque au moins 200 inspecteurs pour suivre l’ensemble des sites dangereux et y garantir la sécurité.
La crise actuelle n’a rien arrangé pour aucun des opérateurs liés à l’écologie dont j’assure le suivi et que j’ai interrogés. Leurs difficultés, leurs sacrifices sont devenus récurrents et se sont aggravés. Ce qui m’a peut-être le plus choqué, ce sont les propos des représentants de l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire, selon lesquels ni les prestataires du nucléaire ni ses propres inspecteurs du travail n’avaient pu disposer de masques.
À ces risques sanitaires s’ajoutent de graves conséquences économiques. En demandant toujours plus aux opérateurs au nom de l’écologie, tout en leur donnant toujours moins de moyens au nom de la dette, on les a encouragés pendant des décennies à accroître leurs ressources propres pour que l’État puisse faire des économies. Résultat : avec la crise, entre les chantiers à l’arrêt et les pertes dues à la fermeture des parcs nationaux, certains d’entre eux estiment déjà que leur budget 2020 ne pourra être à l’équilibre. Pourtant, leur rôle est essentiel, et eux aussi étaient à leur poste pour lutter contre la pandémie ; ainsi, Météo France a contribué aux recherches sur les liens entre climat et propagation du virus. Le CEREMA – centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement –, établissement public méconnu mais absolument indispensable, évalue sa perte de recettes à 40 % et considère qu’il ne pourra plus payer ses agents à la fin de l’année si l’État ne vient pas à son secours. Un rapport vient par ailleurs de faire état de graves risques psychosociaux encourus par ses employés en raison de ses restructurations permanentes. Ils seront pourtant indispensables face aux crises environnementales à venir : continuer de les traiter comme des variables d’ajustement budgétaire serait une folie.
Si nous avons su donner ou, du moins, prêter des milliards au privé, qui plus est sans contrepartie, il est impensable que nous ne donnions pas à ces opérateurs et au ministère les millions dont ils ont besoin pour sortir la tête de l’eau. Lorsque j’ai exposé ce problème en commission, j’ai eu le sentiment d’avoir été entendu par la présidente Olivia Gregoire, qui s’est engagée à l’étudier et à le traiter. J’espère donc qu’il sera vraiment pris au sérieux et que vous aurez tous conscience de l’urgence pour ces opérateurs, donc aussi pour nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) La parole est à Mme Valérie Petit. Combien parmi vous ont décidé de prendre de bonnes résolutions au sortir de leur confinement ? Je ne parle pas d’utiliser plus souvent le vélo ou de consommer local, mais de notre mandat parlementaire et de la manière de lui donner un nouvel élan. Si ce n’est pas encore fait, j’aimerais vous en proposer trois qui pourraient bien transformer l’exercice de ce mandat.
Sans faire de philosophie dans l’hémicycle, permettez-moi de citer La Philosophie dans le boudoir et de paraphraser son auteur, le marquis de Sade. (« Oh ! » et sourires sur divers bancs.) Intéressant ! En voilà une bonne résolution ! Je savais pouvoir vous réveiller : mon premier objectif est atteint ! Lui qui passa vingt-sept années embastillé, et savait donc ce que c’est que d’être confiné, exhortait les Français, depuis sa cellule, en ces termes : « Français, encore un effort si vous voulez être républicains ! »
Maintenant que nous avons quitté nos intérieurs et retrouvé l’hémicycle, il est temps que nous fassions nous aussi un effort pour être enfin républicains, et d’abord en faisant vivre l’esprit de notre Constitution et en appliquant la lettre de son article 24. Car c’est bien à nous, députés, de prendre la ferme résolution de mieux évaluer nos lois, et de donner corps à cet article qui en fait l’une de nos trois missions fondamentales aux côtés du vote de la loi et du contrôle du Gouvernement.
Pour cela, il faut en finir avec quelques vices et vertus parlementaires bien connus,… Ah ! …si vous me permettez de poursuivre mon hommage. Premièrement, avec les « prospérités du vice » qui consisteraient à légiférer sans fin : dépensons notre énergie parlementaire à évaluer les lois déjà votées pour les adapter plutôt qu’à en produire avec frénésie de nouvelles. Très bien ! Deuxièmement, avec les « infortunes de la vertu » qui nous conduiraient à multiplier les amendements demandant un rapport au Gouvernement, lesquels n’ont d’autre vertu, avouez-le, que de n’importuner personne en ne changeant pas grand-chose. Nous pouvons faire mieux : allons, encore un effort pour mieux évaluer !
Voici donc trois bonnes résolutions que je vous propose de mettre en œuvre dès que vous aurez quitté l’hémicycle.
La première est de vous saisir enfin de l’article 145 de notre règlement, aux termes duquel, dans un délai de trois ans suivant l’entrée en vigueur d’une loi, deux députés, dont un de l’opposition, en présentent une évaluation d’impact. Voici trois ans que nous sommes entrés dans l’hémicycle ; de grâce, n’en sortons pas sans avoir évalué ce que nous y avons voté. Il est temps de nous y mettre, non seulement parce que c’est notre rôle constitutionnel, mais parce qu’évaluer permet de mieux agir et que l’action publique a besoin d’un peu plus de raison, d’efficacité et d’agilité.
Deuxièmement, pour regarder vers l’avenir et, précisément, évaluer dans le but de mieux agir, soutenez la proposition de résolution que le groupe Agir ensemble vous soumettra dans quelques semaines. Elle a pour but d’inscrire une clause de revoyure dans chaque texte de loi constitutif du plan de relance post-crise, de sorte que l’effet des mesures soit rigoureusement évalué et que le Gouvernement en rende compte devant les assemblées.
Troisième résolution : nous donner enfin les moyens d’évaluer. Tous, ici, nous sommes convaincus que notre Parlement a besoin d’un véritable centre de recherche et de ressources, à l’image de celui du Parlement européen, pour soutenir notre travail d’évaluation de nos lois ex ante et ex post. Sans ce bras armé, nous serons condamnés. Des moyens et des instances existent déjà : France stratégie, la mission d’évaluation et de contrôle – MEC –, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale – MECSS –, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques – CEC –, la Cour des comptes ; il est temps de les réunir et de les mutualiser pour doter enfin le Parlement des moyens d’accomplir sa mission d’évaluation.
Si nous ne prenons pas ces résolutions – qui sont simples, admettez-le –, l’évaluation des politiques publiques ne passera pas l’été et restera confinée. Alors, de grâce, encore un effort si vous voulez être républicains ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Olivia Gregoire. Les résultats économiques de 2019 étaient bons ; ils confirmaient l’effet positif des crédits budgétaires dédiés au développement économique. La croissance avait progressé de 1,3 point ; le taux de chômage était tombé à 8,1 % ; la France avait attiré plus d’investissements étrangers qu’aucun de ses partenaires européens ; enfin, le nombre de défaillances d’entreprises avait diminué de 20 % par rapport à l’année précédente. Ces indicateurs traduisaient l’efficacité de la stratégie économique et budgétaire de notre gouvernement. Mais la violence de la crise sanitaire et économique nous rattrape. La situation économique s’est beaucoup dégradée. Dans ce contexte, la crise a en quelque sorte servi de vaste stress test pour nos administrations. En effet, elle a suscité un afflux considérable de demandes et nécessité une très grande réactivité pour répondre aux besoins des entreprises.
Mon collègue Xavier Roseren et moi-même avons donc commencé par évaluer les conséquences de la crise sur les administrations intéressées par le programme 134, « Développement des entreprises et régulations », en nous concentrant sur celles placées en première ligne : la DGE – direction générale des entreprises –, à plusieurs titres ; Bpifrance, pour la mise en œuvre du prêt garanti par l’État, ou PGE ; enfin, la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, chef de file s’agissant des délais de paiement.
La DGE est la première administration concernée par l’application des mesures d’urgence. Elle a été très fortement sollicitée pendant la crise pour mobiliser de manière exceptionnelle des capacités de production matérielles, pour rédiger les ordonnances parues au cours de la période et pour aider les entreprises à prendre en main les dispositifs d’urgence. Pour ces raisons, nous pouvons saluer chaleureusement ses personnels au nom de la représentation nationale.
Nos différentes auditions nous ont permis de retracer la réforme structurelle conduite ces dernières années et qui a conduit la DGE à se recentrer sur des missions à très forte valeur ajoutée tout en réduisant significativement ses effectifs et en transformant notablement son organisation. La crise a mis en évidence son agilité et sa réactivité, et nous devrions montrer en exemple, dans le cadre de notre réflexion collective sur l’administration de demain, cette transformation qualitative qui a permis mobilité des effectifs, numérisation des procédures et adaptation croissante des compétences.
Nous nous interrogerons également sur les outils de l’urgence qu’il convient de pérenniser. À cet égard, les conditions de financement du PGE étaient assurément séduisantes, mais, comme rapporteurs du programme 134, nous souhaitons que l’on réfléchisse sans tarder à un PGE de sortie de crise, rémunérant mieux les banques et, surtout, prolongeant la durée d’amortissement pour les entreprises. En complément des instruments de dette, il nous semble utile de réduire rapidement le ratio d’endettement des entreprises en renforçant aussi l’intervention publique en capital. Ainsi, l’État pourrait prendre davantage de participations limitées dans le temps au capital de certaines entreprises.
L’intervention de Bpifrance a été essentielle. Je voudrais vous remercier, chers collègues, et saluer la rare unanimité qui nous a réunis, lors du vote du précédent budget, pour maintenir la ligne budgétaire de la banque publique d’investissement ; je remercie aussi le Gouvernement d’avoir écouté les préconisations du Parlement. Soyons clairs : les crédits aujourd’hui nécessaires à l’intervention de Bpifrance sont plus importants que les crédits disponibles. Nous serons donc très attentifs aux arbitrages qui nous seront proposés, car il faut permettre la pérennité de ces dispositifs.
Enfin, la relance implique, et vous le savez, une lutte ardente contre l’allongement des délais de paiement constaté pendant la crise – et ce n’est peut-être pas fini. Nous saluons la constitution du comité de crise qui se réunit sur ce sujet, mais nous lançons l’alerte : les moyens utilisés peuvent paraître inadaptés, et les sanctions encore trop peu dissuasives. Les contrôles de la DGCCRF ne sont effectués qu’après la clôture de l’exercice comptable concerné : autrement dit, les dérives constatées pendant la crise sanitaire ne feront l’objet d’enquêtes qu’à partir de 2021. Nous plaidons donc pour la pérennisation du comité de crise, mais aussi pour de nouvelles modalités d’intervention peut-être plus persuasives.
Au-delà des ajustements et des mesures contenus dans le troisième PLFR, que nous allons examiner ensemble, nous devons aussi penser un nouveau modèle économique pour demain : la crise a changé les règles du jeu économique mondial en faisant intervenir de nombreux acteurs qui n’étaient pas uniquement financiers. La reprise doit être l’occasion de mener une réflexion globale sur le soutien public aux entreprises. Pour cela, les administrations doivent s’approprier rapidement une lecture plus offensive de ces enjeux, essentielle pour une relance efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Frédéric Petit applaudit également.) La parole est à M. Patrick Hetzel. Je me concentrerai sur l’évaluation des politiques publiques en matière de justice. Vous n’êtes pas sans savoir combien le Gouvernement nous a vanté les mérites de sa loi de programmation pluriannuelle sur ce sujet ; il nous a notamment indiqué que la chancellerie et la justice judiciaire avaient pris un véritable tournant numérique. En prenant un peu de recul, on s’aperçoit pourtant que l’un des effets collatéraux de la pandémie de covid-19 a été de soumettre la justice judiciaire à un véritable crash test grandeur nature de son véritable niveau d’informatisation et de performance numérique. Or cette mise à l’épreuve a révélé où se situaient les failles du système. Hélas, nous n’avons pas été déçus, si j’ose dire : le résultat n’est pas brillant – c’est un euphémisme. La crise sanitaire a en effet mis en lumière différents points noirs.
Ainsi, entre le 16 mars et le 11 mai, les procès d’assises ont été purement et simplement reportés, comme la majorité des audiences des tribunaux correctionnels ou civils ; les audiences maintenues étaient principalement celles de comparution immédiate. Or Mme la ministre de la justice, lors de son audition devant la mission d’information sur l’épidémie de covid-19, à l’Assemblée nationale, nous a dit que « les tribunaux restaient ouverts pour traiter les contentieux de l’urgence » ; elle a notamment cité les violences au sein de la famille, les atteintes aux personnes ou encore le non-respect des règles du confinement.
Ce que nous avons vu, c’est surtout la très grande diversité des modalités de fonctionnement des juridictions, et une application des directives de la chancellerie très variable de l’une à l’autre. Ce ralentissement de l’activité des juridictions est inédit, et il est d’autant plus préoccupant qu’il s’ajoute aux difficultés liées à la grève des avocats, en amont de la pandémie, et qui a été particulièrement mal gérée. Il tient en grande partie au manque de lisibilité des plans de continuité de l’activité ; dans certains cas, ils ont même entraîné un arrêt quasi-total des juridictions. Le même constat peut d’ailleurs être fait pour la protection judiciaire de la jeunesse.
Nos interrogations sont simples. Était-il indispensable de réduire à ce point le fonctionnement des juridictions et, si oui, pourquoi ? Pourquoi les systèmes informatiques n’étaient-ils pas prêts, contrairement à ce qu’avait annoncé le Gouvernement ?
Mon diagnostic est sévère. Lorsque la décision de confinement est prise, la chancellerie s’aperçoit que si les magistrats sont certes dotés d’ordinateurs portables, ce qui leur permet de télétravailler, les personnels des greffes n’en possèdent pas. En urgence, on fait distribuer 300 ordinateurs portables – pour 13 000 greffiers ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.) Cela fait une moyenne intéressante ! C’est le point noir le plus évident : pour les greffiers, on atteint ainsi un taux d’équipement de 2 %. La belle affaire !
Mais le crash test révèle aussi un autre point noir : si les magistrats, je l’ai dit, sont équipés, ils se sont aussi très vite rendu compte que le réseau privé virtuel – VPN – était très largement sous-dimensionné. À la mi-mars, 2 500 connexions simultanées seulement étaient possibles. C’est vraiment du temps partiel ! Quelle incurie ! Il a fallu attendre le mois de mai et la fin du confinement pour assister à une montée en puissance du système.
Ce problème est maintenant résolu, puisque la chancellerie nous annonce que 40 000 ordinateurs peuvent être simultanément connectés. Ces affirmations n’ont pas pu être vérifiées, tout simplement parce que les magistrats reprennent très progressivement leur activité. Tout cela est évidemment bien trop tardif, et n’a pas permis de faire face aux enjeux.
Un autre problème reste à régler : celui des applications informatiques de la chaîne civile. Contrairement à celles utilisées pour la chaîne pénale, elles ne fonctionnent qu’à partir des postes informatiques en juridiction : les retards ont donc continué à s’accumuler massivement. Il est indispensable de s’attaquer à ce chantier : les dossiers civils doivent pouvoir être traités à distance. Il faut également mettre en place un plan de résorption des retards accumulés.
Il est paradoxal que la chancellerie s’occupe davantage d’intelligence artificielle – allant jusqu’à publier un décret sur ce sujet en pleine pandémie, ce qui constitue un scandale absolu – que de ce qui constitue le cœur de ses missions : tout mettre en œuvre pour que les technologies de l’information et de la communication soient au service d’une justice proche de nos concitoyens.
Les marges de progression, vous l’avez compris, sont bien réelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Ce n’est pas d’intelligence artificielle mais d’intelligence tout court que l’on a besoin ! La parole est à M. Xavier Roseren. L’édition 2020 du printemps de l’évaluation est particulière : les rapporteurs spéciaux ont non seulement évalué l’emploi des crédits en 2019, mais aussi, en partie, ceux adoptés dans l’urgence au cours des derniers mois.
L’examen des crédits dédiés au développement des entreprises a permis à ma collègue Olivia Gregoire et à moi-même d’effectuer un premier bilan factuel, non exhaustif, de l’accompagnement mené par les administrations économiques dans le contexte de la crise. Nous avons précisément souhaité savoir comment la très forte mobilisation des services et des opérateurs de l’État les a conduits à adapter, dans l’urgence, leur soutien aux entreprises.
Notre premier constat concerne les méthodes de travail. Comme beaucoup d’autres secteurs confinés, les administrations et les opérateurs ont dû organiser leur travail à distance ; le télétravail a entraîné une évolution des mentalités, mais surtout accéléré la transformation numérique de l’administration. Plus largement, les services ont dû répondre rapidement à des besoins nouveaux, alors même qu’ils étaient bien plus sollicités qu’à l’habitude, et parfois en sous-effectifs. Le traitement automatisé des demandes d’autorisation préalable d’activité partielle a permis d’optimiser largement l’efficience des services.
Nous nous sommes également intéressés au rôle joué par les administrations économiques dans la mise en œuvre des dispositions exceptionnelles de soutien. Notre rapport l’indique : en se voyant attribuer la gestion du PGE, Bpifrance a vu son rôle d’opérateur-pivot de la politique économique de l’État renforcé. En début de semaine, ce sont 85 milliards d’euros qui ont été distribués à près de 500 000 entreprises. C’est un réel succès. Nous devons néanmoins nous montrer vigilants sur la non-compensation financière par l’État de l’attribution de la gestion du PGE à Bpifrance : l’ampleur de l’action de la banque publique d’investissement ayant entraîné un surcoût très significatif, une compensation nous apparaît nécessaire.
Nous nous penchons aussi sur la coordination, par la DGE, des avances remboursables, outil de soutien aux PME dont la demande de PGE a été refusée. La DGE insiste sur l’importance d’un tel instrument, qui permet la survie d’entreprises stratégiques. Il me semble important de rappeler qu’une grande majorité des services centraux comme des services déconcentrés étaient engagés depuis 2017 dans une réforme d’envergure, et se trouvaient déjà sous pression bien avant la crise. Cette réorganisation implique d’importantes suppressions de postes et de missions, en particulier au sein de la DGE. Face au fort accroissement des sollicitations, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – DIRECCTE – ont revu les missions et la taille des équipes. Celles-ci ont pu faire face aux demandes grâce à la transversalité de leur organisation et aux effectifs mis à disposition par le niveau central. La collaboration progressive des services déconcentrés avec les réseaux consulaires a permis d’appliquer les mesures d’accompagnement au plus près du terrain. L’instauration d’un seul point de contact pour les entreprises, à savoir les réseaux consulaires, me semble une bonne mesure, qui doit être pérennisée : la lisibilité des possibilités offertes aux acteurs économiques s’en trouve accrue.
La bonne gestion des deniers publics en 2019 a facilité une réponse cohérente à la crise, même si nous avons constaté quelques failles, et que l’évaluation est loin d’être close. L’enjeu est maintenant de pérenniser certaines transformations survenues pendant la crise, dans la perspective d’une relance économique. La définition d’un nouveau modèle industriel de rupture, fondé sur la réindustrialisation et la relocalisation, doit aussi être conforme à nos objectifs environnementaux. L’intervention économique de l’État dans les territoires doit être consolidée ; elle devrait être plus cohérente, dans un but d’efficacité de la dépense publique, avec l’affirmation des régions comme acteurs économiques centraux.
Sur le fondement des constats établis pendant la crise, les administrations et collectivités doivent ainsi réinventer une collaboration de proximité renforcée, et plus efficiente. (Mme Olivia Gregoire applaudit.) La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz. Légiférer, oui, mais aussi contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques : ce sont les raisons d’être de tout parlementaire. Bien sûr, le contexte de ce printemps de l’évaluation fut particulier ; mais peut-être en avons-nous extrait l’essentiel !
Les crédits de la mission « Direction de l’action du Gouvernement » s’élèvent à quelque 1,2 milliard d’euros. Si la dépense semble diminuer de plus de 148 millions par rapport à 2018, c’est là une économie de façade, les loyers budgétaires n’ayant pas été comptabilisés en 2019. À périmètre constant, les crédits consommés augmentent de 20 millions d’euros.
Comme chaque année, de nombreux transferts sortants de crédits nuisent à la lisibilité de l’exécution ; la sous-budgétisation récurrente des dépenses de fonctionnement des services du Premier ministre est également une constante regrettable.
Je le dis chaque année et ne cesserai de le dire tant que ce ne sera pas clair. À titre d’exemple, les frais de transport du chef du Gouvernement sont trois fois supérieurs à la prévision. L’utilisation de l’escadron de transport 00.060 n’est toujours pas inscrite dans la loi de finances initiale. Bien sûr, je comprends la difficulté d’une prévision juste dans ce domaine, mais un écart de un à trois n’est pas sérieux, monsieur le ministre.
Je m’inquiète, enfin, de la dégradation des délais de traitement des dossiers des autorités administratives indépendantes de protection des droits et des libertés. Je pense notamment à la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et au Défenseur des droits.
Le budget annexe « Publications officielles et information administrative » dégage en 2019 un excédent de 58,5 millions d’euros, soit 8,6 millions de plus qu’en 2018. La poursuite des plans d’économies et des recettes supérieures à la prévision en sont la cause. Toutefois, je m’interroge, à l’instar de la Cour des comptes et de la mission d’information relative à la mise en œuvre de la loi organique, sur l’opportunité de supprimer ce budget annexe.
Pour conclure sur l’exécution 2019, la mission « Investissements d’avenir » a consommé un peu plus de 1 milliard d’euros en crédits de paiement, conformément à la prévision. Toutefois, les nombreux redéploiements de crédits intervenus en cours d’année, pour un montant total de 1 milliard, dénaturent l’autorisation budgétaire initiale ; près de 300 millions d’euros sont ainsi dédiés à la création d’une filière de la batterie, annoncée par le Président de la République. Si je ne préjuge pas d’utilité de cet investissement, les programmes d’investissement d’avenir – PIA – sont, encore une fois, soumis au fait du prince.
La crise sanitaire de 2020 a eu des effets marginaux sur le champ de mon rapport spécial, à l’exception du budget annexe qui en sort fragilisé. Certains services ont été particulièrement mobilisés mais, dans l’ensemble, le ralentissement de l’activité pourrait se traduire par des économies.
Dans la mission « Direction de l’action du Gouvernement », certains surcoûts apparaissent néanmoins difficilement justifiables, d’autant que la situation de nos finances publiques se dégrade fortement.
Le service d’information du gouvernement – SIG – anticipe une dépense supplémentaire de 20 millions d’euros en raison de la crise : 9 millions consacrés à la création d’une plateforme téléphonique qui me paraît utile, et 11 millions concernant des activités qui auraient pu être arrêtées ou ralenties. Ainsi le SIG a continué à organiser des études d’opinion dont la nécessité m’apparaît relative. Non seulement ces sondages sont coûteux, mais ils me laissent craindre que les décisions du Gouvernement aient été davantage guidées par l’évolution de l’opinion publique que par la recherche de l’intérêt général. Oh non, cela n’est pas possible, voyons… À cela s’ajoutent des initiatives malheureuses parmi lesquelles la création d’un site internet publiant des articles de presse certifiés par le Gouvernement. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe LR.) Une forme de Pravda , de vérité d’État ! L’an dernier, le grand débat national avait déjà occasionné un surcoût de 2 millions d’euros pour le SIG. Les dépenses évoluent désormais en proportion inverse de la cote de popularité du Gouvernement.
Le secrétariat général de la défense nationale et de la sécurité nationale a été mis à contribution pour apprécier l’opportunité d’exporter des masques au cœur de la crise. Les moyens mobilisés à cette fin auraient été plus utiles au renforcement de l’approvisionnement au bénéfice de nos soignants.
Enfin, quatre actions des PIA ont été sollicitées pour répondre à la crise : 125 millions d’euros ont ainsi été fléchés pour soutenir les petites entreprises. Je considère, toutefois, que le PIA ne doit pas être un instrument conjoncturel car son objectif premier est l’élévation du potentiel de croissance de l’économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. L’année 2019 fut une année d’application et d’approfondissement des réformes menées depuis le début du quinquennat. Celles-ci ont porté leurs fruits au quatrième trimestre de 2019 : le taux de chômage s’établissait à 8,1 %, soit son plus bas niveau depuis la fin de 2008. On constatait aussi une progression nette des taux de sortie positive des bénéficiaires d’un dispositif de formation ou d’emploi, dont l’un des plus beaux exemples est le taux d’insertion dans l’emploi à l’issue du contrat d’apprentissage.
Cependant, la crise sanitaire a remis en cause les avancées que nous avons enregistrées en matière d’emploi. Pour autant, nous nous félicitons des résultats passés, qui ont permis d’atténuer la crise économique. Nous avons pu prendre des mesures sans précédent, quoi qu’il en coûte et quoi qu’il en coûtera encore. Je ne citerai qu’une des mesures liées à la mission « Travail emploi » dont je suis rapporteure spéciale : le chômage partiel, ou plutôt l’activité partielle. Celle-ci a permis à un travailleur sur deux de conserver son emploi, de préserver son contrat de travail avec, dans la majorité des cas, un maintien du salaire total. Ce sont ainsi 31 milliards d’euros qui ont été investis pour sauver les emplois. Ce n’est pas rien, et ce n’est pas fini : demain, un nouveau dispositif, dénommé « activité réduite pour le maintien en emploi », est appelé à prendre le relais.
Mais nous devons aussi prévoir un plan d’accompagnement des demandeurs d’emploi car les derniers chiffres traduisent une hausse sans précédent du nombre d’inscrits à Pôle emploi : 22,6 % en un seul mois. La crise a fragilisé les structures d’insertion par l’activité économique ; une sous-consommation des aides au poste versées est attendue tant du fait du placement en activité partielle des salariés de ces structures que des moindres recrutements par rapport aux prévisions pour 2019. Dans le même temps, les entreprises adaptées ayant recours à l’activité partielle ne sont pas éligibles à l’aide au poste. Or 93 % d’entre elles se déclarent fermées totalement ou en activité partielle.
Le constat est clair : la contraction de l’emploi affecte déjà, et affectera plus encore les jeunes, les personnes les moins qualifiées ou les personnes en situation de handicap, bref, les Français dont la situation est déjà plus difficile. Or aucune société prospère et durable ne peut tolérer en son sein des exclusions aussi persistantes.
Le plan de relance annoncé au bénéfice de l’apprentissage et de l’emploi des jeunes est primordial, mais les dispositifs actuels doivent être maintenus et amplifiés. Le plan d’investissement dans les compétences voit ainsi sa légitimité accrue. Afin d’aider chacun à retrouver autonomie et dignité par le travail, il est temps de passer à la vitesse supérieure, alors que l’action publique est écartelée entre l’injonction de la maîtrise des dépenses publiques et l’impératif de réponses sociales aux multiples fractures de la société française.
Les entreprises adaptées, l’insertion par l’activité économique, l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » ou encore les emplois francs sont des investissements utiles pour notre nation. Ils contribuent à construire une société et une économie dans lesquelles chaque talent, chaque compétence, chaque individu peut trouver sa place pour faire société ensemble. Il ne s’agit pas d’un slogan, mais bien d’une volonté profonde qui nous impose de mobiliser, aux côtés de l’État, l’ensemble des acteurs de l’inclusion, les collectivités et les entreprises dans un véritable esprit de coconstruction.
Notre feuille de route est simple compte tenu des besoins sociaux que la crise fera naître. Après avoir libéré le travail et l’esprit d’entreprise, nous devons garantir un État qui protège. C’est la raison pour laquelle, à la suite des travaux menés avec mes collègues, Didier Baichère et Christine Cloarec-Le Nabour, le groupe de la majorité présidentielle, conscient de la nécessité, accrue par la crise, de poursuivre notre action, déposera une proposition de loi sur l’insertion par l’activité économique et la prorogation du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » afin de simplifier et de renforcer ces dispositifs.
Nous devons agir dans trois directions : transformer les crédits non consommés du fait de la crise sanitaire en une aide exceptionnelle aux structures et entreprises adaptées ; inscrire dans la durée et renforcer l’ambition initiale dans le domaine de l’insertion par l’activité économique et des entreprises adaptées en prévoyant d’ores et déjà, monsieur le ministre, un budget pour 2021 supérieur à celui de 2020 afin d’accroître les opportunités offertes aux plus vulnérables ; augmenter les enveloppes dédiées à l’emploi des jeunes, au-delà de ce qui sera voté dans le troisième projet de loi de finances rectificatives dont nous saluons le volet consacré à l’apprentissage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. François Jolivet. La pandémie nous oblige tous à sortir de notre zone de confort : Gouvernement, administrations publiques et Parlement. La politique du logement et de l’hébergement n’y échappe pas. Depuis le 15 mars, nous avons été plusieurs dizaines de millions à rester chez nous, conformément aux recommandations sanitaires ; 94 % des Français ont vécu dans leur résidence et nombre d’entre eux ont découvert le télétravail dans des logements souvent inadaptés à celui-ci. Le covid-19 sera, sans nul doute, l’événement de ce début de XXIe siècle.
Les semaines de confinement ont été révélatrices de la perception que les Français ont de leur logement, mais aussi, pour certains d’entre eux, de leurs conditions d’habitat difficiles. Dans les quartiers populaires notamment, les habitants ont été victimes de la double peine, la peine de la pauvreté et celle de l’hyperdensité.
On peut s’interroger sur le modèle de demain. Je ne suis pas sûr que l’hyperdensité soit l’Eldorado pour les Français ni l’assurance de leur bonheur. Tout à fait d’accord ! Nous les écoutons, et il semblerait que la ruralité ait une occasion à saisir pour peu… La ruralité, c’est l’avenir ! …qu’on y trouve le très haut débit et une couverture téléphonique. Très bien ! Et des médecins ! Le Gouvernement est le seul à s’être véritablement saisi de ces deux sujets, non dans les discours mais dans les actes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – Protestations sur les bancs du groupe LR.) Vous n’y croyez pas vous-même ! La fraternité est une promesse républicaine, mes chers collègues, a fortiori lorsque les vies humaines sont menacées par une crise sanitaire. À ce titre, le Gouvernement a pris des décisions – prolongation de la trêve hivernale, création de centres d’hébergement, distribution de chèques de services – qui nécessitent de trouver 200 millions d’euros – le troisième projet de loi de finances y pourvoit : merci, monsieur le ministre.
L’entrée en vigueur de la contemporanéité des aides personnalisées au logement – APL –, qui devait permettre une économie de 1,6 milliard d’euros, a été repoussée, pour des raisons informatiques aussi. Ce n’est pas plus mal ! Je voudrais dire à celles et ceux qui avaient contesté le principe de cette réforme que le système de redistribution français a une vertu, celle de protéger et d’amortir les crises. Je renvoie à leur conscience les procureurs d’un jour. Ils se sont trompés car, si la réforme avait été appliquée, en cas de retournement de conjoncture, elle n’aurait pas donné lieu à des économies mais accru les dépenses. C’est la raison pour laquelle je forme le vœu que cette réforme entre en vigueur le plus vite possible.
Nous avions donc prévu 1,6 milliard d’économies, ce qui ne sera pas possible. Avec les 200 millions supplémentaires que j’ai mentionnés, on atteint la somme de 1,8 milliard auxquels d’autres dépenses viendront peut-être s’ajouter si la contemporanéité des aides était instaurée.
Je veux aussi appeler votre attention sur un sujet qui me tient à cœur : la construction. Pour construire des logements, il faut des entreprises : plus de 50 000 entreprises du bâtiment sont concernées aujourd’hui par le prêt garanti par l’État ; la reprise est malheureusement lente et progressive. Dans ce contexte, nous devons nous prémunir contre un danger qui nous guette et s’ajouterait à la crise économique et sociale que l’on nous annonce et que nous pouvons tous prévoir : la gangrène des affaires que l’on appelle la crise de confiance des investisseurs. La politique du logement, et plus généralement la construction, ne repose que sur la confiance. Alors comment faire pour amortir cette crise de confiance inévitable ?
Selon moi, trois pistes doivent être explorées : d’abord soutenir l’ANAH – Agence nationale de l’habitat –, qui a parfaitement réussi l’année dernière, en rénovant 155 000 logements et en dépassant ses objectifs, même si, comme le suggérait une collègue tout à l’heure, c’est insuffisant. Les moyens de l’ANAH devront donc être augmentés.
Ensuite, nous devons imaginer un outil de substitution au dispositif Pinel. La confiance la plus difficile à gagner est celle des particuliers, dont les investissements vont cesser, comme à chaque crise. Peut-être avons-nous l’occasion unique de mettre fin définitivement à un dispositif qui a été vivement critiqué, en privilégiant un soutien aux investissements dans les logements intermédiaires. Ce serait l’assurance d’un respect des plafonds de ressources, des plafonds de loyer et des PLH – programme local de l’habitat – de chaque territoire.
Enfin, l’État doit donner l’exemple concernant ses propres investissements. Selon moi, il faut rompre définitivement avec la vision passéiste qui repose sur la doctrine du propriétaire occupant et lui substituer la doctrine moderne qui sépare l’occupant du propriétaire. Les biens de l’État pourraient être achetés et entretenus par des sociétés publiques alimentées par des fonds publics. Je pense qu’il faut préférer cette solution à celle des partenariats public-privé. Il faut conclure, mon cher collègue. Les Français l’attendent de nous, monsieur le ministre. N’hésitons pas à provoquer de la crise pour approfondir encore la réforme du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard. Nous sommes réunis pour procéder à l’évaluation des politiques publiques conduites en 2019. C’est un exercice particulier, puisque nous avons tous comme ligne d’horizon la gestion de 2020, déjà très fortement affectée par la crise du coronavirus, avec une hypothèse de déficit public de 9,9 % selon les dernières prévisions publiées par la Commission européenne, un produit intérieur brut en recul de 8,2 % et une dette publique qui s’envole, à 116,5 % du PIB.
C’est pourquoi il nous faut réagir vite et prendre des mesures fortes. Pour ce faire, les rapports qui nous sont soumis dans le cadre de cette évaluation sont très intéressants. Dans le temps imparti, il est évidemment impossible d’en passer l’ensemble en revue, certains n’ayant toujours pas été rendus publics ou l’ayant été il y a quelques instants – je pense notamment à celui qui porte sur la sécurité. C’est dommage…
Je me cantonnerai donc à l’évaluation de deux missions, assez emblématiques selon moi.
L’exécution budgétaire 2019 de la mission « Immigration, asile et intégration », composée des programmes 104, « Intégration et accès à la nationalité française », et 303, « Immigration et asile », s’est établie, hors fonds de concours, à 1,948 milliard d’euros en autorisations d’engagement et à 1,78 milliard en crédits de paiement, montants supérieurs d’environ 5 % à ceux ouverts par la loi de finances pour 2019. L’exercice 2019 est le onzième exercice consécutif au cours duquel les crédits initiaux ont été dépassés. Et, une fois encore, le déséquilibre constaté provient d’une importante surexécution du programme 303, « Immigration et asile », pour plus de 150 millions.
L’an dernier déjà, les crédits de cette mission avaient été significativement augmentés dans la loi de finances initiale pour 2018, et cela n’avait pas suffi. Ce n’est guère étonnant, puisque vous fondez les prévisions de dépenses sur un nombre de demandes d’asile largement sous-évalué. En 2019, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a enregistré 132 614 demandes au total, soit 7,3 % de plus qu’en 2018. La demande d’asile a ainsi atteint un nouveau niveau record en France, alors que, je vous le rappelle, elle baisse partout ailleurs en Europe.
Bref, vous vous entêtez à sous-estimer l’évolution de la demande d’asile et, bien entendu, son effet sur les crédits qui lui sont consacrés. On se demande bien pourquoi, d’autant que la crise sanitaire devrait amener à majorer encore les dépenses de cette mission, d’environ 168 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 9 %.
Mon deuxième exemple concernera l’aide médicale d’État, l’AME, et la prise en charge sanitaire des étrangers en situation irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois. S’il faut souligner que, cette année – enfin ! –, les dépenses de l’AME inscrites au budget de l’État ont été exécutées conformément aux prévisions, on constate malgré tout une progression continue de ces dépenses, de 29 millions en un an ! En cinq ans, le coût de l’ensemble des composantes de l’AME s’est accru d’environ 175 millions, en raison de l’augmentation du nombre de bénéficiaires – 326 000 à la fin de l’année 2019, contre 318 000 à la fin du mois de décembre 2018 – et de l’élévation du coût trimestriel moyen par bénéficiaire – 641 euros en 2017 ; 674 euros en 2018 ; 685 euros en 2019.
En outre, le coût réel de l’AME est probablement largement sous-estimé. Si l’on en croit le rapport récemment établi à ce sujet par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales, la dépense hospitalière pour les étrangers en situation irrégulière est sous-évaluée d’au moins « 8 %, à quoi s’ajoutent des frais de gestion de l’ordre de 8 % » également.
En guise de conclusion, je voudrais mettre cette réflexion en perspective en évoquant un autre sujet miné : celui de la fraude sociale. Les travaux de la commission d’enquête présidée par notre collègue Patrick Hetzel sont prometteurs. Peut-être arriverons-nous enfin à nous attaquer à cette question ! Selon Charles Prats, magistrat et ancien membre de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, 12,4 millions de personnes nées à l’étranger ou dans un territoire d’outre-mer ont bénéficié de prestations sociales l’an dernier, alors qu’il devrait y en avoir au maximum 9,9 millions selon l’INSEE. Il y a donc 2,5 millions de « fantômes », pour reprendre le terme de M. Prats, qui touchent chaque mois de l’argent de l’État français !
Monsieur le ministre, je ne peux que m’interroger sur les raisons du manque de transparence sur ces questions. Les sujets tabous n’ont pas lieu d’être, à plus forte raison en matière budgétaire : il s’agit d’argent public, de l’argent des Français, et ceux-ci ont le droit de savoir comment il est utilisé. Très bien ! La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics. J’ai quitté tout à l’heure une réunion de la commission des finances, et nous allons discuter dans quelques instants du projet de loi de règlement. J’avais l’habitude de vous retrouver en juin pour quelques nuits ; c’est désormais pour des journées entières. (Sourires) L’exercice est néanmoins un peu différent de celui des années précédentes : le groupe La République en marche et le groupe du Mouvement démocrate et apparentés ont souhaité organiser le printemps de l’évaluation, mais l’année parlementaire a été bousculée, et vous n’avez pas pu interpeller les ministres au cours de réunions thématiques.
Vous avez établi de nombreux rapports thématiques. Vos interventions ont elles aussi porté sur des thèmes spécifiques : celle de M. Hetzel sur la justice, celle M. Le Fur sur l’aide au développement, celle de M. Jolivet sur le logement. Il appartient aux ministres compétents – c’est le principe de l’évaluation – de vous répondre à propos de ces politiques publiques. Vous m’excuserez donc de ne pas apporter moi-même ces réponses. Je suis sûr que vous les obtiendrez lorsque vous examinerez, bientôt, les crédits budgétaires, en vous appuyant précisément sur vos évaluations. Quant au projet de loi de règlement, il sera présenté tout à l’heure par le ministre de l’action et des comptes publics et le secrétaire d’État placé auprès de lui.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, si je puis me permettre une réflexion à propos du débat parlementaire, notre discussion gagnerait à ce que l’on organise de nouveau, lorsque ce sera possible, ces commissions thématiques. Celles-ci avaient beaucoup apporté au ministre de l’action et des comptes publics pour évaluer les crédits avec ses collègues. Ces discussions sont évidemment tout sauf médiocres.
En commission des finances tout à l’heure, le temps était compté, et je n’ai pas pu répondre à toutes les questions posées, le ministre de l’économie et des finances ayant disposé des quelques minutes restantes, ce qui était bien logique puisque je vous retrouvais ensuite. Je voudrais donc dire quelques mots pour répondre aux orateurs concernés, même s’ils ne sont pas tous présents. Qui plus est, certains d’entre vous viennent d’évoquer, à cette tribune, l’année 2020, même si le débat portait sur l’évaluation de l’année 2019 – notons que, malgré le nom du virus, la crise du covid-19 n’a pas affecté l’exercice 2019. Bref, je m’en voudrais de ne pas apporter de précisions sur trois sujets : l’impôt sur le revenu, évoqué par M. de Courson ; les crédits inscrits dans le PLFR 3, abordés entre autres par Mme Pires Beaune, M. Roussel et M. Coquerel ; les exonérations de charges, à propos desquelles vous m’avez interrogé, monsieur le président de la commission des finances.
Mme Pires Beaune – avec qui j’en ai discuté juste après la réunion –, M. Roussel et M. Coquerel ont estimé que le contenu du PLFR n’était pas tout à fait conforme aux discours. Il est vrai que le texte du PLFR, qui fait plusieurs pages, a été fourni au Parlement au moment même où la commission se réunissait, ce qui ne facilite pas les choses. Quoi qu’il en soit, les crédits en question sont bien inscrits dans le troisième PLFR : au budget du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 75 millions d’euros pour aider les étudiants, 30 millions pour améliorer le montant des bourses et 45 millions pour compenser les loyers normalement versés aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires ; au budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, 100 millions en faveur des Français de l’étranger ; au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », les crédits destinés à financer le plan présenté par Mme Schiappa pour lutter contre les violences faites aux femmes ; au sein de la mission « Cohésion des territoires », plus de 200 millions pour l’hébergement d’urgence, évoqué par M. Jolivet.
M. de Courson m’a demandé pourquoi le produit de l’impôt sur le revenu n’avait pas été davantage revu à la baisse dans ce troisième PLFR. Je suis sûr que, de là où il est, il nous entend. Il n’est pas mort ! (Rires.) Bien entendu ! Je voulais dire qu’il nous écoute probablement depuis son bureau. J’ai une petite expérience du travail de parlementaire…
Le produit de l’impôt sur le revenu ne baisse pas aussi fortement que M. de Courson l’a évoqué, pour deux raisons. D’une part, la masse salariale diminue moins vite que le PIB ; l’effet sur le produit de l’impôt sur le revenu sera donc retardé, et ne deviendra sensible que l’année prochaine. Il faut du temps, si je puis m’exprimer ainsi, pour licencier, pour mettre définitivement au chômage des salariés ou pour baisser structurellement leur rémunération : tout cela ne se calque pas avec évidence sur les prévisions de croissance de la Banque de France, de la Commission européenne ou de l’INSEE.
D’autre part, les choses ont changé avec le prélèvement à la source, mentionné par quelques-uns d’entre vous. Nous avons constaté qu’entre la présentation du PLFR 2 et celle du PLFR 3, les Français avaient moins baissé leur taux de prélèvement à la source que nous ne nous y attendions, ce qui est d’ailleurs plutôt une bonne chose. Par ailleurs, la détermination de l’assiette de l’impôt sur le revenu n’est pas contemporaine de sa collecte, question que nous avons longuement évoquée lors de l’instauration du prélèvement à la source. En tout cas, il y a bien une baisse du produit de l’impôt sur le revenu, mais les prévisions sont moins alarmistes que prévu, compte tenu de ce que nous avons constaté au cours des six premiers mois de l’année.
J’en profite d’ailleurs pour faire un petit rappel général : il ne reste plus que vingt-quatre heures aux contribuables, notamment parisiens, pour déclarer leurs revenus. Quant à ceux qui font encore une déclaration papier parce qu’ils ont plus de mal, ils ont jusqu’au 12 juin. Il ne faut pas oublier…
Monsieur le président de la commission des finances, vous vous êtes interrogé sur l’utilité de la mesure relative aux cotisations sociales salariales – s’agissant des cotisations patronales, vous avez bien compris la stratégie du Gouvernement, et nous aurons l’occasion d’en parler lors de la présentation des mesures prévues en la matière. Il est exact qu’un employeur qui place ses salariés en activité partielle ne paie pas de cotisations. Toutefois, il y a deux sujets à traiter. Premièrement, certains de ceux dont nous avons interrompu l’activité à partir du 15 mars ont tout de même payé leurs salariés jusqu’au 30 mars. Ils ont donc payé un « supplément » de cotisations sociales, ce qui a pu avoir un effet négatif sur leur trésorerie, difficulté à laquelle nous avons voulu répondre.
Deuxièmement, certains ont dû poursuivre en partie leur activité, et tous leurs salariés n’ont pas pu être pris en charge par le dispositif d’activité partielle. Tel a été le cas, par exemple, des réceptionnistes dans les hôtels, des agents de sécurité embauchés par les entreprises pour garder les locaux ou encore des employés de centres équestres – vous les avez évoqués lors d’une discussion précédente – qui ont continué à travailler pour nourrir les animaux.
Bref, même si leur montant total est réduit, des cotisations sociales ont tout de même été versées ou seront versées. Comme nous n’avons pas voulu priver les salariés des droits qu’elles ouvrent, nous avons choisi de faire ce crédit égal à 20 % de la masse salariale – le taux résulte effectivement de l’application d’une simple règle de trois, je veux bien l’avouer. Grâce à ce crédit, outre qu’il ne paiera pas ses charges patronales, un coiffeur resté fermé pendant les deux mois de confinement pourra payer le premier ou les deux premiers mois de cotisations sociales de ses salariés. C’est une avance de trésorerie sociale, pourrait-on dire. En tout cas, telle est la proposition faite par le Gouvernement à la représentation nationale pour traiter ces quelques problèmes, qui handicapent parfois les entreprises de France.
J’en ai terminé avec les réponses aux membres de la commission des finances et aux intervenants qui ont évoqué l’exercice 2020. Je ne reviens pas sur l’évaluation des crédits non encore consommés de l’année 2020, non seulement parce qu’ils sont effectivement très changeants, mais aussi parce que ce sera probablement l’objet de vos commissions d’enquête et du prochain printemps de l’évaluation.
S’agissant de l’année 2019, je tiens à remercier les quarante-sept rapporteurs spéciaux pour leurs travaux, même si un petit nombre d’entre eux n’ont pas encore été remis. Ils aident le travail du Gouvernement, notamment du ministre de l’action et des comptes publics, qui va recevoir ses collègues à partir de la semaine prochaine pour construire le budget de 2021. Les rapports parlementaires sont toujours extrêmement précieux pour discuter de l’évaluation des crédits des politiques publiques.
À cet égard, je rejoins M. de Courson : dans ces rapports spéciaux, le Parlement propose peu de mesures d’économies. Autrement dit, on est souvent favorable aux économies en général, mais rarement en particulier. Lorsque l’on choisit de rédiger un rapport thématique – j’ai eu l’occasion de le faire lorsque j’étais député –, c’est parce que l’on s’intéresse à une politique dont on n’a guère envie de voir les crédits diminuer. On déplore plutôt, au contraire, une insuffisance ou une sous-exécution des crédits inscrits.
Pourtant, il est important de ne pas juger une politique publique avec le seul critère de l’augmentation des crédits : d’abord il n’est pas toujours pertinent, ensuite cela aurait pour conséquence de ne jamais réduire ni maîtriser la dépense publique.
Nous avons redressé les comptes publics ; plusieurs rapporteurs l’ont évoqué et je remercie M. le rapporteur général de l’avoir souligné dans son intervention. À cette occasion, je salue également Joël Giraud pour le travail que nous avons accompli ensemble les années précédentes ; je lui rends hommage parce que cette exécution est aussi la sienne, tout comme la sincérité dans l’inscription budgétaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Je partage le propos de M. Daniel Labaronne, notamment, selon qui nous avons attaqué cette crise avec les meilleurs comptes publics possibles, quand bien même ils étaient effectivement moins bons que ceux de nos amis allemands : la situation dont nous avions hérité différait peut-être un peu, il faut bien l’avouer – ce que n’ont pas fait tous les membres de l’opposition qui se sont exprimés. Il s’agit bien d’une réalité, puisque nous sommes passés, la Cour des comptes en fait foi, d’un déficit public de 3,4 % en 2017 à environ 2 % l’an dernier.
Nous avons, me semble-t-il, respecté le principe de sincérité budgétaire. J’entends que cela ne constitue pas en soi un incroyable succès, puisque le minimum que doit faire un Gouvernement est de vous présenter les inscriptions budgétaires avec sincérité – mais peut-être cela change-t-il des prévisions précédentes, si l’on en croit le rapport de la Cour des comptes, M. le nouveau Premier président de la Cour des comptes l’a peut-être évoqué. Vous aurez constaté que le Gouvernement a tenu sa promesse : il n’a pas présenté de décrets d’avance ; lorsque les événements se révélaient extrêmement violents pour les comptes publics, comme ce fut le cas récemment, il a même présenté des lois de finances rectificatives, dans une logique d’acceptation complète du jeu de l’autorisation et du contrôle parlementaires. Que ce Gouvernement soit le premier à ne pas présenter de décrets d’avance montre sans doute que la loi organique relative aux lois de finances – LOLF – n’était pas tout à fait respectée. Notre démarche, elle, respecte le travail d’évaluation des parlementaires, puisqu’ils examinent des crédits budgétaires sincèrement inscrits ; elle participe à une bonne application des politiques publiques et donne aux directeurs de programme les moyens de faire correctement leur travail.
M. le président de la commission des finances, comme d’autres intervenants d’ailleurs, a évoqué les sous-exécutions et les sur-exécutions, choses bien ordinaires sur une telle masse budgétaire, 340 milliards d’euros de crédits en l’espèce. Elles sont toujours la conséquence, bien sûr, d’événements imprévus survenus en cours de gestion – je ne crois pas qu’aucun des orateurs, y compris de l’opposition, ait démontré le contraire. Le report de l’entrée en vigueur de la réforme de la contemporanéisation de l’aide personnalisée au logement en offre un exemple. On peut d’ailleurs le regretter : s’il est vrai qu’elle faisait faire des économies à la nation en période économiquement favorable, elle aurait augmenté les dépenses en temps de pénurie ; il me semble donc qu’elle aurait été bienvenue pour accompagner les difficultés sociales que certaines personnes vont connaître. Néanmoins, cette réforme n’est pas annulée, elle est reportée. Son application, que le ministre du logement a évoquée, est particulièrement complexe, si bien qu’il valait mieux la reporter plutôt que de la voir mise en œuvre d’une façon très injuste et contraire à l’intention du législateur. Je remercie notamment M. Jolivet de l’avoir souligné.
Les dépenses correspondant à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » ont été plus fortes que prévu, notamment les dépenses liées au financement de la prime d’activité. Je rappelle à la représentation nationale qu’en cette matière, on est passé de 3 milliards à quasiment 10 milliards d’euros. Le grand débat était assurément imprévu, comme les annonces du Président de la République qui l’ont suivi et auxquelles nous avons donc répondu. Et c’est en fin de compte à l’opinion publique que nous avons ainsi répondu, puisque l’État a assumé près de 10 % d’augmentation de salaire pour les personnes rémunérées au SMIC, par le versement d’une prestation sociale, inscrite au budget présenté aujourd’hui par M. Véran – et par Mme Buzyn hier. En outre, le chômage a diminué plus que prévu, ce qui a tiré à la hausse le nombre d’allocataires de la prime. Personne – en particulier dans l’opposition – n’avait anticipé que la politique gouvernementale serait aussi efficace et ferait baisser le chômage aussi rapidement ; autrement dit, personne n’avait anticipé une telle hausse, dont il faut se réjouir, des crédits alloués à la prime d’activité.
Mme Emmanuelle Ménard a évoqué la mission « Immigration, asile et intégration ». Pour des raisons qui lui sont propres, elle affirme que la politique du Gouvernement ne serait pas aussi efficace que cela, puisque le flux des demandeurs d’asile serait plus important. En réalité, nous avons été plus rapides qu’auparavant dans l’exécution ; l’augmentation des crédits de cette mission votée par le Parlement n’est pas seulement le fait d’une augmentation du nombre de demandeurs d’asile ; elle est la conséquence de la plus grande rapidité avec laquelle nous traitons leur demande. Il s’agit là, me semble-t-il, de la première grande politique publique qui incombe à un État : accepter qui il souhaite accueillir sur son sol, conformément à son grand devoir d’asile, et ne pas accepter ceux que l’on pourrait nommer, de ce point de vue, des « passagers clandestins ». Ainsi, les augmentations de crédits et les sur-exécutions visées ne sont pas simplement liées à des flux ; peut-être Mme Ménard aurait-elle pu le préciser.
À propos des consommations de crédits des outre-mer, M. le président Woerth a évoqué les sous-exécutions. Il a souligné le rôle des exonérations de cotisations patronales, du moindre dynamisme économique, et la consommation inférieure aux prévisions des crédits d’investissement du fameux programme 123, « Conditions de vie outre-mer ». Il est vrai que nous pouvons toujours améliorer les choses en cette matière ; j’y travaille avec Mme la ministre des outre-mer. Vous le savez, le budget des outre-mer est certes petit « budgétairement », mais il connaît beaucoup d’exonérations ; la ministre n’a pas la maîtrise totale des dépenses budgétaires, on ne peut donc pas lui reprocher cet état de fait. M. le président de la commission des finances s’en souvient, nous avons plusieurs fois proposé, dans cet hémicycle, d’améliorer cette situation en transformant des dépenses fiscales, c’est-à-dire des exonérations, en dépenses budgétaires. Cela nous a souvent été reproché, y compris par les parlementaires ultramarins eux-mêmes. Pourtant, une telle politique est selon moi de nature à améliorer la maîtrise des crédits, donc à améliorer les aides consenties aux territoires ultramarins.
Le président Woerth et le rapporteur général ont tous deux évoqué la question des restes à payer, poursuivant en cela des discussions que nous avons eues avec Mme Rabault et M. le rapporteur général Giraud. Les restes à payer, qui correspondent aux différences entre les autorisations d’engagement et les crédits de paiement, ont en effet augmenté de 8 milliards d’euros en 2019. Cela tient évidemment à la programmation pluriannuelle de certaines dépenses, notamment celles relatives à la gendarmerie, qui relèvent de la mission « Défense ». Nous avons souvent évoqué, lors de l’examen des projets de loi de finances, le programme « Patrimoines » de la mission « Culture ». La restauration des monuments historiques est un sujet cher à M. Gilles Carrez… Et à Brigitte Kuster ! C’est exact, mais c’est M. Carrez qui était rapporteur spécial du programme « Patrimoines » : je rends à César ce qui est à César, si j’ose dire. Excellent Gilles Carrez ! Dans ce domaine, la restauration de Notre-Dame de Paris était assez imprévisible, de même que les 20 millions d’euros qui lui ont été alloués par les crédits de la mission « Culture ».
Vous avez été nombreux à mentionner les fonds sans personnalité juridique, en écho au rapport de la Cour des comptes, qui cite notamment le fonds pour l’innovation créé par le ministre de l’économie et des finances pour favoriser les investissements et la rupture dans l’économie par l’innovation, sujet que nous avons eu l’occasion d’évoquer plusieurs fois. Le ministre prépare de nouveaux critères pour pérenniser ce fonds en 2021, tout en prenant en considération vos rapports parlementaires comme les critiques de la Cour des comptes.
Le caractère exceptionnel de la crise a incité votre commission à anticiper l’exercice de l’année 2020. Sans y insister outre mesure, des chiffres ont été cités à la tribune, or ils sont déjà faux. M. le président de la commission et moi nous sommes regardés : il a été question d’une augmentation de la dette publique à 115 % du PIB, alors qu’on estime désormais qu’elle atteindra 121 %. Tout augmente, en effet, et les chiffres que l’on a évoqués ne veulent plus dire grand-chose, car nous anticipons déjà une croissance moindre et un chômage plus élevé, une attrition très forte de la masse salariale et l’engagement de dépenses pour soutenir l’économie.
J’entends les arguments de ceux qui souhaitent aussi l’examen d’un projet de loi de finances rectificative de la sécurité sociale, mais ce ne serait sans doute pas très raisonnable au vu de l’instabilité des recettes sociales, comme nous l’avons déjà évoqué dans une réunion commune de la commission des affaires sociales et la commission des finances.
Je veux répondre encore à deux questions soulevées par le rapporteur général et le président Woerth. Nous avons plusieurs fois parlé, dans cet hémicycle, des taxes affectées. Personnellement, je souscris à la haute ambition du rapporteur général de transformer les lois organiques – à tout le moins de les améliorer : nous pouvons limiter les taxes affectées au maximum, ce n’est pas le ministre de l’action et des comptes publics qui s’y opposera. Nous avons d’ailleurs constaté à quel point, quand l’économie connaît de fortes difficultés, ce mécanisme des taxes affectées aboutit parfois à faire perdre des recettes aux causes qu’elles soutiennent. Exactement ! L’autorisation budgétaire, quant à elle, permet d’exercer un contrôle et de remettre de l’argent quand un accident survient. Quand il n’y a pas d’accident, c’est une sorte de jeu à somme nulle. Souvent, le ministère de la transition écologique et solidaire, le ministère des sports et le ministère de la culture encouragent les taxes affectées, sous prétexte que le sport doit payer le sport, la culture la culture et, parfois, l’écologie l’écologie. Pourtant, on voit bien que les résultats ne sont pas toujours ceux escomptés. Le ministère de la transition écologique et solidaire en offre un exemple, dans le domaine des transports. Il a d’abord été confronté au problème des gilets jaunes, avec la casse des radars qui a tué le compte d’affectation spéciale – CAS aussi, pour le coup. Ensuite la crise du covid est survenue : pour la deuxième année de suite, le choix d’une taxe affectée à tué la politique publique concernée. Chaque fois, on vient demander à l’État de compenser, donc aux parlementaires de voter des crédits budgétaires, pour ce qui avait été « dealé » – pardon d’utiliser ce mot ici – en taxes affectées.
Aussi, je suis favorable à rebudgétiser tout ce qui pourra l’être, conformément d’ailleurs au principe de soumission à l’autorisation parlementaire. Je le dis aussi aux élus de l’opposition : les crédits budgétaires respectent votre vote et sont proposés à votre évaluation, à l’inverse de la taxe affectée qui ne l’est qu’une fois et, ce faisant, se prête bien moins à l’évaluation de la politique publique à laquelle elle se rapporte. Il me semble donc normal d’encourager le rapporteur général dans la voie qu’il a esquissée ; en tout cas, le Gouvernement y est très favorable.
Face aux difficultés que nous connaissons, le député Carrez a proposé, dans son rapport spécial, que les grands établissements culturels puissent emprunter auprès de la Caisse des dépôts et consignations pour se refinancer, au lieu de recourir à des crédits budgétaires. Cela nous paraît frappé au coin du bon sens. La piste mérite d’être étudiée ; je sais que ce ministre de la culture va y travailler et répondra à M. Carrez, dont nous écoutons toujours les propositions, comme toutes celles de la représentation nationale.
Nous aurons l’occasion, dans quelques instants, de reparler des crédits de 2019 et de la très bonne exécution budgétaire du Gouvernement : les chiffres des finances publiques ont été tellement bons qu’ils ont dépassé les espérances du groupe communiste. (Sourires. – Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Le débat est clos. La séance est suspendue. (La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures dix.) La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2019 (nos 2899, 3011).
La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
Cette troisième prise de parole, qui suit immédiatement le débat organisé dans le cadre du printemps de l’évaluation et l’examen du troisième projet de loi de finances rectificative – PLFR – pour 2020 en commission des finances, semble quelque peu redondante. Mais le président Woerth la souhaitait…
(Sourires.)
Malgré ma réticence initiale, c’est donc avec un plaisir non dissimulé que je m’adresse de nouveau à lui et à vous.
L’année 2019 a été marquée de nouveau par la sincérité de la budgétisation du Gouvernement, sous la surveillance de l’ancien rapporteur général Joël Giraud, dont je tiens à saluer l’excellent travail, et par une gestion de meilleure qualité encore que lors des années précédentes. Le mérite en revient d’abord aux parlementaires, qui ont contrôlé l’action gouvernementale et les inscriptions budgétaires, mais aussi aux services de mon ministère, que je remercie très sincèrement pour le travail difficile qu’ils ont accompli, et enfin aux membres du Gouvernement et aux directeurs de programme eux-mêmes, qui ont respecté les autorisations parlementaires.
Ce projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2019 s’inscrit dans la trajectoire de redressement des comptes publics que nous avons suivie depuis 2017, dès l’arrivée au pouvoir du Président de la République. Le déficit aurait été de 2,1 % du PIB,… « Aurait été » !… …soit l’un des plus bas depuis 2001, sans les effets, notamment, de la transformation du CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – en allégement de charges sociales. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) En d’autres termes, nous avons transformé une mesure décidée par le Gouvernement sous la précédente législature en une réforme structurelle.
Ce projet de loi permet de souligner la bonne qualité des budgétisations initiales, en premier lieu celles des dépenses obligatoires. Les prévisions en matière de masse salariale ont été globalement respectées, malgré des dépassements minimes et tout à fait justifiables. Je pense notamment à celui de 154 millions d’euros, dans la mission « Sécurités », au titre du financement du protocole d’accord avec les organisations syndicales de la police nationale signé le 19 décembre 2018 pour rétribuer l’engagement des forces de l’ordre, en particulier lors de la crise des gilets jaunes, et du paiement d’une partie des heures supplémentaires accumulées lors des exercices budgétaires précédents.
Ces dépassements ont aussi concerné les provisions pour la couverture d’aléas, dans un souci d’amélioration de la sincérité budgétaire. Je pense notamment, pour la mission « Défense », à la hausse annuelle des provisions de 200 millions d’euros pour les fameux OPEX – opérations extérieures – et, pour la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », à l’augmentation, de 200 millions d’euros également, des provisions pour faire face aux risques de calamités agricoles.
Je le répète, ces provisions permettent de confirmer la sincérité du budget, en conformité avec nos engagements.
Conformément à nos engagements, et malgré les mesures d’urgence économiques et sociales prises après le grand débat, et annoncées par le Président de la République en décembre 2018, nous avons réalisé 1 milliard d’euros d’économies par rapport à l’objectif de dépenses fixé dans le projet de loi de finances initiale. Cet objectif a été respecté, alors même que des dépassements très significatifs ont été constatés – je pense notamment à l’augmentation de la prime d’activité, d’un coût de 800 millions d’euros, dont nous parlions tout à l’heure, et au retard pris dans la réforme des aides personnalisées au logement – APL –, en vue de les contemporanéiser.
Le projet de loi de règlement souligne également la priorité donnée par le Gouvernement aux dépenses dites d’investissement, puisqu’elles augmentent de 5 % entre 2018 et 2019, en données constatées, et de 12 % depuis 2017.
Les priorités du Gouvernement se retrouvent évidemment dans l’exécution du budget 2019. Hélas ! Le soutien au pouvoir d’achat et l’incitation au travail, avec la hausse de la prime d’activité ; le soutien aux domaines régaliens, notamment aux forces armées, avec une loi de programmation militaire appliquée conformément aux orientations votées par le Parlement ; le soutien à la transition écologique, qui augmente fortement pour atteindre 1,7 milliard d’euros, afin d’aider au financement de l’ADEME – Agence de la transition écologique – ou de la lutte contre le changement climatique ; la recherche et l’enseignement supérieur, avec quasiment 1 milliard d’euros d’augmentation, soit un budget en forte hausse par rapport aux vingt dernières années.
En matière de sincérité budgétaire, la diminution à 3 % du niveau de la mise en réserve – je vous rappelle qu’il était à 8 % avant 2017 – correspond à une gestion de meilleure qualité. Cette gestion a même été affinée, puisque les 3 % appliqués ne l’ont pas été de manière homothétique, mais sur les vrais crédits que nous aurions pu annuler. Il convient donc de souligner qu’une très grande majorité des annulations, en loi de finances rectificative, ont porté sur les crédits mis en réserve.
Pour la deuxième fois depuis plus de trente ans, le Gouvernement a évité de procéder à l’ouverture et à l’annulation de décrets d’avance de crédits qui nient l’autorisation parlementaire. Très bien ! Le Gouvernement, quelles que soient les divergences entre nous, a respecté l’autorisation parlementaire. Il devrait le faire plus souvent ! En 2019, la gestion a également été marquée par un record : le niveau des reports de crédits est à son plus bas depuis 2006 et s’établit désormais à 1,9 milliard dans le budget général. Ce résultat confirme la rupture engagée depuis 2017 et les effets vertueux de la sincérité de la budgétisation, qui a été relevée par la Cour des comptes à plusieurs reprises.
S’agissant du calendrier budgétaire, l’anticipation de la loi de finances rectificative de fin d’année, votée le 26 novembre et promulguée le 2 décembre 2019, a permis de fixer sereinement le schéma de fin de gestion, c’est-à-dire le travail que nous avons fait avec mes collègues ministres dès la fin novembre, et de donner une plus grande visibilité à l’ensemble des gestionnaires de l’État.
Conformément à la doctrine du Gouvernement, cette loi de finances rectificative n’a comporté, pour la deuxième fois, aucune disposition fiscale. Il n’y a donc pas eu de mauvaises surprises pour les ménages ou pour les entreprises. Ni de bonnes ! Si, de bonnes, avec la baisse de l’impôt sur le revenu. Et la stabilité fiscale a été au rendez-vous.
Des efforts importants ont également été consentis par mon administration pour déposer le projet de loi de règlement pour l’année 2019 avec quinze jours d’avance ; cela a été salué par le président de la commission des finances et par le rapporteur général. Je les en remercie, mais il faut surtout remercier les services qui ont été au rendez-vous : la direction générale des finances publiques et la direction du budget. Il a ainsi été déposé le 2 mai, contre le 15 mai 2019 pour le PLFR 2018, ce qui nous laisse un peu plus de temps, monsieur le rapporteur général, pour l’étudier. L’objectif demeure de pouvoir déposer le prochain le 15 avril 2021, conjointement avec le programme de stabilité. Le Gouvernement s’y engage.
Pour conclure, je voudrais revenir sur deux sujets évoqués lors de nos débats en commission et que l’on retrouve dans certains des quelques amendements déposés en séance publique : l’insuffisante réduction du déficit structurel en 2019, et la nécessité de mieux évaluer les dépenses fiscales.
L’opposition, par la voix de plusieurs d’entre vous, notamment M. de Courson, a pu regretter l’insuffisante réduction de la part structurelle du déficit. La non-réduction. C’est une critique récurrente, celle de ne pas en faire suffisamment.
Au risque de la répétition – mais elle fixe la notion paraît-il – le déficit public en 2019, sans le double effet du CICE lié à sa transformation en exonération de cotisations, aurait été de 2,1 %, avec un solde structurel de -2,2 %, après -2,3 % en 2018. C’était 2,2 % en 2018, monsieur le ministre. Il s’agit des plus faibles niveaux depuis le début des années 2000.
Notre dépense publique avait diminué de près d’un point de PIB entre 2017 et 2019, passant de 55 % à 54,1 %, ce qui représente 20 milliards d’économies effectuées par le Gouvernement. Aurait-il fallu aller plus loin ? Sans doute, mais je constate que, quelles que soient les économies réalisées – la réforme des aides au logement, la revalorisation différenciée des prestations sociales, la fin des contrats aidés, le contrat de Cahors… – l’opposition, notamment vous, monsieur le député de Courson, critique le niveau du déficit structurel sans jamais nous soutenir s’agissant des baisses de dépenses publiques. Il lui arrive même de voter des baisses de recettes pour l’État, tout en réclamant d’en faire davantage.
Je voudrais d’ailleurs s’il me le permet relever la cohérence du président de la commission des finances, qui seul dans son groupe, courageusement, a souhaité ne pas céder à la démagogie et ne pas voter la baisse de l’impôt sur le revenu, considérant que la politique gouvernementale n’était pas cohérente avec les objectifs fixés par le Gouvernement dans les finances publiques.
La période qui s’ouvre, avec un endettement qui devrait atteindre 121 % du PIB – espérons que cela s’arrête là – sera l’occasion pour les oppositions de dire où, comment et quand – je ne dirais pas « avec qui », parce que pour l’instant, je suis là (Sourires) – réduire les dépenses publiques.
S’agissant des dépenses fiscales, je partage avec les auteurs des amendements, notamment ceux du groupe La France insoumise, l’objectif d’évaluation – vous connaissez mes nombreuses prises de position en ce sens – et de réduction des dépenses fiscales. Ces objectifs sont parfois défendus par d’autres parlementaires : je pense à Benjamin Dirx, entre autres, concernant la question des dépenses fiscales, ainsi qu’à Émilie Cariou.
Nous sommes déterminés à simplifier le paysage fiscal afin d’éviter de ressembler soit au sapeur Camember, soit au système des Shadoks, qui consisterait à augmenter très fortement les impôts et à faire des trous à l’intérieur.
Depuis 2017, nous avons adapté certaines dépenses fiscales, comme le CICE, transformé en baisse de charges pérenne ; le crédit d’impôt transition énergétique, transformé en aide budgétaire ; le tarif réduit pour le gazole non routier, que nous avons supprimé en plusieurs années, avec un soutien relatif des oppositions ; le crédit impôt recherche, dont nous avons rationalisé l’assiette en 2020 ; la réduction d’impôt mécénat, que nous avons ajustée. Nous avons donc largement simplifié ces dépenses fiscales et nous continuerons à le faire.
Depuis la loi de finances initiale – LFI – pour 2018, un article relatif aux dépenses fiscales inefficientes est systématiquement étudié au Parlement. Nous devons réfléchir notamment à l’investissement locatif, ne serait-ce que parce qu’il est parfois en contradiction avec nos objectifs écologiques et de lutte contre l’artificialisation des sols. Nous devons également regarder les choses selon une logique pluriannuelle, et pourquoi pas, dans la loi de finances 2021, continuer à limiter les dépenses.
L’information du Parlement au sujet des dépenses fiscales n’est pas mince. Chaque année, au moins depuis 2017, le chiffrage du nombre des bénéficiaires et du coût des dépenses fiscales est présenté dans l’évaluation des voies et moyens, annexée au PLF. Nous ferons droit à l’amendement de Mme Cariou concernant les explications relatives au public concerné par certaines dépenses fiscales.
Une actualisation de ces chiffres est annexée au projet de loi de règlement. Le nombre de dépenses fiscales dont le coût n’est pas chiffrable est désormais limité à moins de 10 %. Il faut sans doute continuer à diminuer ce pourcentage : nous nous efforcerons de le réduire en mettant tout en œuvre pour procéder au chiffrage exhaustif de ces dispositifs. Espérons cependant qu’après avoir voulu de manière générale réduire les dépenses fiscales, le Parlement ne propose pas d’autres niches au cours d’un débat où certains pourraient aboyer. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.) La parole est à M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Nous passons cet après-midi ensemble à jongler entre les années : après avoir parlé du prochain projet de loi de finances rectificative, puis du Printemps de l’évaluation s’agissant de l’exécution des comptes 2019 à la lumière de la crise du covid-19 qui se manifeste en 2020, nous en revenons à la loi de règlement de 2019. C’est un peu Retour vers le futur ! Essayons de nous y retrouver.
Le projet de loi de règlement est d’autant plus intéressant que l’année 2019 fut exceptionnelle à plusieurs points de vue. Cela mérite que l’on s’y arrête.
Cette année fut exceptionnelle, tout d’abord, dans la tenue des comptes publics. J’insiste : le déficit public s’établit à 2,1 % du PIB si on isole le cumul – exceptionnel lui aussi, ce fameux « one off » – du coût du CICE et des allégements de charges en 2019. Le déficit public est donc au plus bas niveau depuis 2001, one off mis à part, dans un contexte économique particulier : l’INSEE a confirmé fin mai que la croissance de 2019 avait été significativement meilleure que prévu, à 1,5 % au lieu de 1,3 %. Je présenterai dans quelques instants un amendement sur l’article liminaire qui en tire les conséquences : nous avons été en 2019 en excédent conjoncturel.
Ce résultat est d’autant plus remarquable que l’année 2019 a débuté dans un climat économique dégradé, du fait de la crise des gilets jaunes. La restauration de la confiance des acteurs économiques, qui s’est traduite par une amélioration franche du climat des affaires et de la consommation des ménages, démontre que les réponses budgétaires que nous avons apportées furent les bonnes.
Autre effet direct de ce bon climat économique : le dynamisme des recettes fiscales, qui ont été bien meilleures que prévu. Par rapport à la loi de finances initiale, ce sont près de 8 milliards d’euros supplémentaires qui ont été engrangés.
Enfin, les obligations souveraines françaises se sont négociées à un taux particulièrement bas, parfois négatif. La charge de la dette a donc été significativement réduite en 2019 – mais c’est vrai depuis maintenant plusieurs exercices – ce qui crée autant de marges de manœuvre budgétaires.
Je souligne, puisque nous parlons aussi en ce moment de la dette sociale, qu’une bonne gestion de la dette génère directement de la ressource budgétaire pour mener des politiques publiques : il est toujours bon de le rappeler. Eh oui ! Le Gouvernement n’a pas fait le choix de s’endetter davantage pour profiter de cette situation. En 2019, après de nombreuses années de hausse, le ratio dette sur PIB s’est stabilisé, à 98,1 % du PIB. Bien sûr, après avoir discuté du dernier PLFR pour 2020, nous savons qu’il s’élève dorénavant à 121 % : cela permet de comparer ! On voit aussi l’importance de l’effort budgétaire dans le contexte actuel. Il aurait été de mauvaise politique de laisser filer la dette alors qu’une grave crise nous attendait, bien que nous ne le sachions pas à l’époque.
S’agissant des dépenses, l’exercice 2019 reflète les priorités fixées par le Gouvernement. Les dépenses de l’État ont en effet augmenté de 6 milliards d’euros, soit 1,8 % à périmètre constant, hors fonds de concours et attributions de produits, sous l’effet en particulier de l’augmentation de 4 milliards du coût de la prime d’activité, en raison de sa revalorisation, du financement des politiques publiques prioritaires et de l’augmentation des crédits de la mission « Défense », à hauteur de 1,6 milliard.
L’analyse de la gestion confirme une programmation et une exécution budgétaire assainies, renforçant ainsi la portée de l’autorisation parlementaire de dépenser. D’abord, les normes de dépenses fixées en loi de finances initiale pour 2019 ont été respectées. En particulier, la norme de dépenses pilotables était sous-exécutée à hauteur de 1 milliard d’euros, et le taux de mise en réserve des crédits autres que les crédits de dépenses de personnel a été maintenu au niveau historiquement faible de 3 %.
On parle souvent du fait qu’il n’y a pas eu de décret d’avance : c’est très bien et je vous en remercie, monsieur le ministre. Mais le respect de ce niveau historiquement faible de 3 % des crédits mis en réserve est au moins aussi important à mes yeux pour la sincérisation et la bonne gestion des comptes.
Pour la deuxième année consécutive donc, aucun décret d’avance n’a été publié. Les décrets d’annulation ont été d’un très faible niveau et n’ont concerné que des mouvements à portée purement technique. J’en conclus donc que le Parlement a été correctement informé au stade de l’examen de la loi de finances et que l’exécution a été conforme à ce que nous avions souhaité.
La commission a adopté le projet de loi qui nous est soumis au bénéfice de l’adoption à mon initiative de deux dispositions de précision et de coordination, respectivement pour éclaircir l’article liminaire et pour corriger un doublon existant dans notre législation.
S’agissant des documents de politique transversale remis au Parlement, comme je vous le disais précédemment, les comptes de la nation ayant été publiés par l’INSEE après la réunion de notre commission, je vous proposerai d’en tirer les conséquences par le biais d’un nouvel amendement en séance.
Je vous propose, comme l’a fait notre commission des finances, d’adopter ce projet de loi de règlement pour les comptes de l’année 2019. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Débattre des résultats économiques et financiers obtenus en 2019 est presque un exercice anachronique, hors du temps. Ce sont des bulles du passé qui remontent à la surface, tant la situation s’est dégradée, effondrée même, comme dirait le Premier ministre. Du reste, je commencerai en m’éloignant quelque peu du seul exercice 2019. Vous allez parler de 2018, alors ? La France affronte une récession d’une violence inédite, avec un arrêt brutal de l’offre et de la demande. En réalité, avant même que la crise du covid-19 frappe l’économie mondiale et paralyse la France, notre pays était l’un des mauvais élèves de la zone euro en matière de chômage et de finances publiques. L’exercice 2019, monsieur le ministre, n’est pas un bon exercice budgétaire. C’est certes un exercice de sincérisation, j’en conviens : vous avez accompli de grands progrès de ce point de vue et je m’en réjouis. Néanmoins, nous étions déjà dans une situation fragile relativement aux autres – car se regarder dans un miroir ne suffit pas, il faut encore se comparer, dans un contexte de compétition internationale. Or la situation des finances publiques était dégradée et celle du marché de l’emploi très mauvaise.
J’en veux pour preuve le creusement l’an passé, pour la deuxième année consécutive, du déficit de l’État, au point qu’il a affiché la pire performance depuis 2010. Les dépenses de l’État ont augmenté. La France a enregistré un déficit public de 3 % en tenant compte de la réforme du CICE, ou de 2 % voire 2,1 % en l’excluant, soit 80 % du déficit de la zone euro. De plus, le déficit n’a pas diminué entre l’exercice 2018 et le suivant. Quant au taux de chômage, il atteignait 8,6 %.
À cet égard, la majorité a donné au débat organisé hier un titre pour le moins baroque : « Comment la sincérité et le rétablissement des finances publiques depuis 2017 favorisent le soutien à l’économie dans la crise du covid-19 ? »
L’année 2019 a été marquée de nouveau par la sincérité de la budgétisation du Gouvernement, sous la surveillance de l’ancien rapporteur général Joël Giraud, dont je tiens à saluer l’excellent travail, et par une gestion de meilleure qualité encore que lors des années précédentes. Le mérite en revient d’abord aux parlementaires, qui ont contrôlé l’action gouvernementale et les inscriptions budgétaires, mais aussi aux services de mon ministère, que je remercie très sincèrement pour le travail difficile qu’ils ont accompli, et enfin aux membres du Gouvernement et aux directeurs de programme eux-mêmes, qui ont respecté les autorisations parlementaires.
Ce projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2019 s’inscrit dans la trajectoire de redressement des comptes publics que nous avons suivie depuis 2017, dès l’arrivée au pouvoir du Président de la République. Le déficit aurait été de 2,1 % du PIB,… « Aurait été » !… …soit l’un des plus bas depuis 2001, sans les effets, notamment, de la transformation du CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – en allégement de charges sociales. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) En d’autres termes, nous avons transformé une mesure décidée par le Gouvernement sous la précédente législature en une réforme structurelle.
Ce projet de loi permet de souligner la bonne qualité des budgétisations initiales, en premier lieu celles des dépenses obligatoires. Les prévisions en matière de masse salariale ont été globalement respectées, malgré des dépassements minimes et tout à fait justifiables. Je pense notamment à celui de 154 millions d’euros, dans la mission « Sécurités », au titre du financement du protocole d’accord avec les organisations syndicales de la police nationale signé le 19 décembre 2018 pour rétribuer l’engagement des forces de l’ordre, en particulier lors de la crise des gilets jaunes, et du paiement d’une partie des heures supplémentaires accumulées lors des exercices budgétaires précédents.
Ces dépassements ont aussi concerné les provisions pour la couverture d’aléas, dans un souci d’amélioration de la sincérité budgétaire. Je pense notamment, pour la mission « Défense », à la hausse annuelle des provisions de 200 millions d’euros pour les fameux OPEX – opérations extérieures – et, pour la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », à l’augmentation, de 200 millions d’euros également, des provisions pour faire face aux risques de calamités agricoles.
Je le répète, ces provisions permettent de confirmer la sincérité du budget, en conformité avec nos engagements.
Conformément à nos engagements, et malgré les mesures d’urgence économiques et sociales prises après le grand débat, et annoncées par le Président de la République en décembre 2018, nous avons réalisé 1 milliard d’euros d’économies par rapport à l’objectif de dépenses fixé dans le projet de loi de finances initiale. Cet objectif a été respecté, alors même que des dépassements très significatifs ont été constatés – je pense notamment à l’augmentation de la prime d’activité, d’un coût de 800 millions d’euros, dont nous parlions tout à l’heure, et au retard pris dans la réforme des aides personnalisées au logement – APL –, en vue de les contemporanéiser.
Le projet de loi de règlement souligne également la priorité donnée par le Gouvernement aux dépenses dites d’investissement, puisqu’elles augmentent de 5 % entre 2018 et 2019, en données constatées, et de 12 % depuis 2017.
Les priorités du Gouvernement se retrouvent évidemment dans l’exécution du budget 2019. Hélas ! Le soutien au pouvoir d’achat et l’incitation au travail, avec la hausse de la prime d’activité ; le soutien aux domaines régaliens, notamment aux forces armées, avec une loi de programmation militaire appliquée conformément aux orientations votées par le Parlement ; le soutien à la transition écologique, qui augmente fortement pour atteindre 1,7 milliard d’euros, afin d’aider au financement de l’ADEME – Agence de la transition écologique – ou de la lutte contre le changement climatique ; la recherche et l’enseignement supérieur, avec quasiment 1 milliard d’euros d’augmentation, soit un budget en forte hausse par rapport aux vingt dernières années.
En matière de sincérité budgétaire, la diminution à 3 % du niveau de la mise en réserve – je vous rappelle qu’il était à 8 % avant 2017 – correspond à une gestion de meilleure qualité. Cette gestion a même été affinée, puisque les 3 % appliqués ne l’ont pas été de manière homothétique, mais sur les vrais crédits que nous aurions pu annuler. Il convient donc de souligner qu’une très grande majorité des annulations, en loi de finances rectificative, ont porté sur les crédits mis en réserve.
Pour la deuxième fois depuis plus de trente ans, le Gouvernement a évité de procéder à l’ouverture et à l’annulation de décrets d’avance de crédits qui nient l’autorisation parlementaire. Très bien ! Le Gouvernement, quelles que soient les divergences entre nous, a respecté l’autorisation parlementaire. Il devrait le faire plus souvent ! En 2019, la gestion a également été marquée par un record : le niveau des reports de crédits est à son plus bas depuis 2006 et s’établit désormais à 1,9 milliard dans le budget général. Ce résultat confirme la rupture engagée depuis 2017 et les effets vertueux de la sincérité de la budgétisation, qui a été relevée par la Cour des comptes à plusieurs reprises.
S’agissant du calendrier budgétaire, l’anticipation de la loi de finances rectificative de fin d’année, votée le 26 novembre et promulguée le 2 décembre 2019, a permis de fixer sereinement le schéma de fin de gestion, c’est-à-dire le travail que nous avons fait avec mes collègues ministres dès la fin novembre, et de donner une plus grande visibilité à l’ensemble des gestionnaires de l’État.
Conformément à la doctrine du Gouvernement, cette loi de finances rectificative n’a comporté, pour la deuxième fois, aucune disposition fiscale. Il n’y a donc pas eu de mauvaises surprises pour les ménages ou pour les entreprises. Ni de bonnes ! Si, de bonnes, avec la baisse de l’impôt sur le revenu. Et la stabilité fiscale a été au rendez-vous.
Des efforts importants ont également été consentis par mon administration pour déposer le projet de loi de règlement pour l’année 2019 avec quinze jours d’avance ; cela a été salué par le président de la commission des finances et par le rapporteur général. Je les en remercie, mais il faut surtout remercier les services qui ont été au rendez-vous : la direction générale des finances publiques et la direction du budget. Il a ainsi été déposé le 2 mai, contre le 15 mai 2019 pour le PLFR 2018, ce qui nous laisse un peu plus de temps, monsieur le rapporteur général, pour l’étudier. L’objectif demeure de pouvoir déposer le prochain le 15 avril 2021, conjointement avec le programme de stabilité. Le Gouvernement s’y engage.
Pour conclure, je voudrais revenir sur deux sujets évoqués lors de nos débats en commission et que l’on retrouve dans certains des quelques amendements déposés en séance publique : l’insuffisante réduction du déficit structurel en 2019, et la nécessité de mieux évaluer les dépenses fiscales.
L’opposition, par la voix de plusieurs d’entre vous, notamment M. de Courson, a pu regretter l’insuffisante réduction de la part structurelle du déficit. La non-réduction. C’est une critique récurrente, celle de ne pas en faire suffisamment.
Au risque de la répétition – mais elle fixe la notion paraît-il – le déficit public en 2019, sans le double effet du CICE lié à sa transformation en exonération de cotisations, aurait été de 2,1 %, avec un solde structurel de -2,2 %, après -2,3 % en 2018. C’était 2,2 % en 2018, monsieur le ministre. Il s’agit des plus faibles niveaux depuis le début des années 2000.
Notre dépense publique avait diminué de près d’un point de PIB entre 2017 et 2019, passant de 55 % à 54,1 %, ce qui représente 20 milliards d’économies effectuées par le Gouvernement. Aurait-il fallu aller plus loin ? Sans doute, mais je constate que, quelles que soient les économies réalisées – la réforme des aides au logement, la revalorisation différenciée des prestations sociales, la fin des contrats aidés, le contrat de Cahors… – l’opposition, notamment vous, monsieur le député de Courson, critique le niveau du déficit structurel sans jamais nous soutenir s’agissant des baisses de dépenses publiques. Il lui arrive même de voter des baisses de recettes pour l’État, tout en réclamant d’en faire davantage.
Je voudrais d’ailleurs s’il me le permet relever la cohérence du président de la commission des finances, qui seul dans son groupe, courageusement, a souhaité ne pas céder à la démagogie et ne pas voter la baisse de l’impôt sur le revenu, considérant que la politique gouvernementale n’était pas cohérente avec les objectifs fixés par le Gouvernement dans les finances publiques.
La période qui s’ouvre, avec un endettement qui devrait atteindre 121 % du PIB – espérons que cela s’arrête là – sera l’occasion pour les oppositions de dire où, comment et quand – je ne dirais pas « avec qui », parce que pour l’instant, je suis là (Sourires) – réduire les dépenses publiques.
S’agissant des dépenses fiscales, je partage avec les auteurs des amendements, notamment ceux du groupe La France insoumise, l’objectif d’évaluation – vous connaissez mes nombreuses prises de position en ce sens – et de réduction des dépenses fiscales. Ces objectifs sont parfois défendus par d’autres parlementaires : je pense à Benjamin Dirx, entre autres, concernant la question des dépenses fiscales, ainsi qu’à Émilie Cariou.
Nous sommes déterminés à simplifier le paysage fiscal afin d’éviter de ressembler soit au sapeur Camember, soit au système des Shadoks, qui consisterait à augmenter très fortement les impôts et à faire des trous à l’intérieur.
Depuis 2017, nous avons adapté certaines dépenses fiscales, comme le CICE, transformé en baisse de charges pérenne ; le crédit d’impôt transition énergétique, transformé en aide budgétaire ; le tarif réduit pour le gazole non routier, que nous avons supprimé en plusieurs années, avec un soutien relatif des oppositions ; le crédit impôt recherche, dont nous avons rationalisé l’assiette en 2020 ; la réduction d’impôt mécénat, que nous avons ajustée. Nous avons donc largement simplifié ces dépenses fiscales et nous continuerons à le faire.
Depuis la loi de finances initiale – LFI – pour 2018, un article relatif aux dépenses fiscales inefficientes est systématiquement étudié au Parlement. Nous devons réfléchir notamment à l’investissement locatif, ne serait-ce que parce qu’il est parfois en contradiction avec nos objectifs écologiques et de lutte contre l’artificialisation des sols. Nous devons également regarder les choses selon une logique pluriannuelle, et pourquoi pas, dans la loi de finances 2021, continuer à limiter les dépenses.
L’information du Parlement au sujet des dépenses fiscales n’est pas mince. Chaque année, au moins depuis 2017, le chiffrage du nombre des bénéficiaires et du coût des dépenses fiscales est présenté dans l’évaluation des voies et moyens, annexée au PLF. Nous ferons droit à l’amendement de Mme Cariou concernant les explications relatives au public concerné par certaines dépenses fiscales.
Une actualisation de ces chiffres est annexée au projet de loi de règlement. Le nombre de dépenses fiscales dont le coût n’est pas chiffrable est désormais limité à moins de 10 %. Il faut sans doute continuer à diminuer ce pourcentage : nous nous efforcerons de le réduire en mettant tout en œuvre pour procéder au chiffrage exhaustif de ces dispositifs. Espérons cependant qu’après avoir voulu de manière générale réduire les dépenses fiscales, le Parlement ne propose pas d’autres niches au cours d’un débat où certains pourraient aboyer. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.) La parole est à M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Nous passons cet après-midi ensemble à jongler entre les années : après avoir parlé du prochain projet de loi de finances rectificative, puis du Printemps de l’évaluation s’agissant de l’exécution des comptes 2019 à la lumière de la crise du covid-19 qui se manifeste en 2020, nous en revenons à la loi de règlement de 2019. C’est un peu Retour vers le futur ! Essayons de nous y retrouver.
Le projet de loi de règlement est d’autant plus intéressant que l’année 2019 fut exceptionnelle à plusieurs points de vue. Cela mérite que l’on s’y arrête.
Cette année fut exceptionnelle, tout d’abord, dans la tenue des comptes publics. J’insiste : le déficit public s’établit à 2,1 % du PIB si on isole le cumul – exceptionnel lui aussi, ce fameux « one off » – du coût du CICE et des allégements de charges en 2019. Le déficit public est donc au plus bas niveau depuis 2001, one off mis à part, dans un contexte économique particulier : l’INSEE a confirmé fin mai que la croissance de 2019 avait été significativement meilleure que prévu, à 1,5 % au lieu de 1,3 %. Je présenterai dans quelques instants un amendement sur l’article liminaire qui en tire les conséquences : nous avons été en 2019 en excédent conjoncturel.
Ce résultat est d’autant plus remarquable que l’année 2019 a débuté dans un climat économique dégradé, du fait de la crise des gilets jaunes. La restauration de la confiance des acteurs économiques, qui s’est traduite par une amélioration franche du climat des affaires et de la consommation des ménages, démontre que les réponses budgétaires que nous avons apportées furent les bonnes.
Autre effet direct de ce bon climat économique : le dynamisme des recettes fiscales, qui ont été bien meilleures que prévu. Par rapport à la loi de finances initiale, ce sont près de 8 milliards d’euros supplémentaires qui ont été engrangés.
Enfin, les obligations souveraines françaises se sont négociées à un taux particulièrement bas, parfois négatif. La charge de la dette a donc été significativement réduite en 2019 – mais c’est vrai depuis maintenant plusieurs exercices – ce qui crée autant de marges de manœuvre budgétaires.
Je souligne, puisque nous parlons aussi en ce moment de la dette sociale, qu’une bonne gestion de la dette génère directement de la ressource budgétaire pour mener des politiques publiques : il est toujours bon de le rappeler. Eh oui ! Le Gouvernement n’a pas fait le choix de s’endetter davantage pour profiter de cette situation. En 2019, après de nombreuses années de hausse, le ratio dette sur PIB s’est stabilisé, à 98,1 % du PIB. Bien sûr, après avoir discuté du dernier PLFR pour 2020, nous savons qu’il s’élève dorénavant à 121 % : cela permet de comparer ! On voit aussi l’importance de l’effort budgétaire dans le contexte actuel. Il aurait été de mauvaise politique de laisser filer la dette alors qu’une grave crise nous attendait, bien que nous ne le sachions pas à l’époque.
S’agissant des dépenses, l’exercice 2019 reflète les priorités fixées par le Gouvernement. Les dépenses de l’État ont en effet augmenté de 6 milliards d’euros, soit 1,8 % à périmètre constant, hors fonds de concours et attributions de produits, sous l’effet en particulier de l’augmentation de 4 milliards du coût de la prime d’activité, en raison de sa revalorisation, du financement des politiques publiques prioritaires et de l’augmentation des crédits de la mission « Défense », à hauteur de 1,6 milliard.
L’analyse de la gestion confirme une programmation et une exécution budgétaire assainies, renforçant ainsi la portée de l’autorisation parlementaire de dépenser. D’abord, les normes de dépenses fixées en loi de finances initiale pour 2019 ont été respectées. En particulier, la norme de dépenses pilotables était sous-exécutée à hauteur de 1 milliard d’euros, et le taux de mise en réserve des crédits autres que les crédits de dépenses de personnel a été maintenu au niveau historiquement faible de 3 %.
On parle souvent du fait qu’il n’y a pas eu de décret d’avance : c’est très bien et je vous en remercie, monsieur le ministre. Mais le respect de ce niveau historiquement faible de 3 % des crédits mis en réserve est au moins aussi important à mes yeux pour la sincérisation et la bonne gestion des comptes.
Pour la deuxième année consécutive donc, aucun décret d’avance n’a été publié. Les décrets d’annulation ont été d’un très faible niveau et n’ont concerné que des mouvements à portée purement technique. J’en conclus donc que le Parlement a été correctement informé au stade de l’examen de la loi de finances et que l’exécution a été conforme à ce que nous avions souhaité.
La commission a adopté le projet de loi qui nous est soumis au bénéfice de l’adoption à mon initiative de deux dispositions de précision et de coordination, respectivement pour éclaircir l’article liminaire et pour corriger un doublon existant dans notre législation.
S’agissant des documents de politique transversale remis au Parlement, comme je vous le disais précédemment, les comptes de la nation ayant été publiés par l’INSEE après la réunion de notre commission, je vous proposerai d’en tirer les conséquences par le biais d’un nouvel amendement en séance.
Je vous propose, comme l’a fait notre commission des finances, d’adopter ce projet de loi de règlement pour les comptes de l’année 2019. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Débattre des résultats économiques et financiers obtenus en 2019 est presque un exercice anachronique, hors du temps. Ce sont des bulles du passé qui remontent à la surface, tant la situation s’est dégradée, effondrée même, comme dirait le Premier ministre. Du reste, je commencerai en m’éloignant quelque peu du seul exercice 2019. Vous allez parler de 2018, alors ? La France affronte une récession d’une violence inédite, avec un arrêt brutal de l’offre et de la demande. En réalité, avant même que la crise du covid-19 frappe l’économie mondiale et paralyse la France, notre pays était l’un des mauvais élèves de la zone euro en matière de chômage et de finances publiques. L’exercice 2019, monsieur le ministre, n’est pas un bon exercice budgétaire. C’est certes un exercice de sincérisation, j’en conviens : vous avez accompli de grands progrès de ce point de vue et je m’en réjouis. Néanmoins, nous étions déjà dans une situation fragile relativement aux autres – car se regarder dans un miroir ne suffit pas, il faut encore se comparer, dans un contexte de compétition internationale. Or la situation des finances publiques était dégradée et celle du marché de l’emploi très mauvaise.
J’en veux pour preuve le creusement l’an passé, pour la deuxième année consécutive, du déficit de l’État, au point qu’il a affiché la pire performance depuis 2010. Les dépenses de l’État ont augmenté. La France a enregistré un déficit public de 3 % en tenant compte de la réforme du CICE, ou de 2 % voire 2,1 % en l’excluant, soit 80 % du déficit de la zone euro. De plus, le déficit n’a pas diminué entre l’exercice 2018 et le suivant. Quant au taux de chômage, il atteignait 8,6 %.
À cet égard, la majorité a donné au débat organisé hier un titre pour le moins baroque : « Comment la sincérité et le rétablissement des finances publiques depuis 2017 favorisent le soutien à l’économie dans la crise du covid-19 ? »