XVe législature
Session ordinaire de 2019-2020
Séance du mercredi 22 janvier 2020
- Présidence de M. David Habib
- 1. Application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution - Prorogation du mandat des membres de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet
- 2. Haine sur internet
- Discussion des articles (suite)
- Article 1er ter A
- Article 1er ter B
- Article 2
- Article 3
- Mme Anissa Khedher
- Amendements nos 32, 106, 47, 147, 33, 58 et 125
- M. le président
- Amendement no 107
- Article 3 bis
- Avant l’article 4
- Amendement no 22
- Article 4
- Article 6
- Article 6 bis AA
- Mme Emmanuelle Ménard
- Amendements nos 167 et 135, 136
- Article 6 bis A
- Article 6 bis B
- Article 6 bis C
- Amendement no 84
- Article 6 ter A
- Article 6 ter
- Amendement no 3
- Article 7
- Article 7 bis
- Article 9
- Amendement no 128 rectifié
- Article 10
- Vote sur l’ensemble
- Discussion des articles (suite)
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Séance unique
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique modifiant la loi organique no 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (nos 2535 rectifié, 2588) et du projet de loi modifiant la loi no 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (nos 2536, 2589).
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Nous nous retrouvons aujourd’hui afin de débattre de deux projets de loi, un projet de loi organique modifiant la loi organique de 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, et un projet de loi ordinaire qui a un double objet : l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et la prorogation du mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet – HADOPI.
Concernant l’application de l’article 13 de la Constitution, il s’agit de tirer les conséquences de récentes réformes menées par le Gouvernement, afin de permettre au Parlement de continuer à exercer son contrôle sur les nominations du Président de la République. L’article 13 de la Constitution dispose que celui-ci nomme aux emplois civils et militaires de l’État. La réforme constitutionnelle de 2008 a complété cet article en prévoyant que certaines nominations fassent l’objet d’un accord formel du Parlement, à travers un mécanisme défini dans la loi organique. Ainsi, cette dernière prévoit que les commissions compétentes des assemblées donnent un avis qui lie le Président de la République pour la nomination à certains emplois et fonctions, « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».
Aujourd’hui, la nomination des principaux dirigeants de cinquante-deux autorités administratives indépendantes, établissements publics ou entreprises publiques est soumise au contrôle parlementaire. Afin que leur nomination soit confirmée, ces responsables sont auditionnés par les commissions des assemblées, qui procèdent ensuite à un vote. Si l’addition des votes négatifs de chaque commission représente au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés, la nomination ne peut avoir lieu. Il s’agit donc d’un véritable droit de veto pour le Parlement. Nous pouvons nous féliciter de ce droit de regard, qui contribue à la transparence de la vie publique.
Il convient de prendre en considération dans la loi organique comme dans la loi ordinaire les importantes réformes auxquelles le Gouvernement a procédé depuis 2017 : la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a transformé les établissements publics à caractère industriel et commercial, EPIC, du groupe SNCF en un groupe unifié composé de la société nationale SNCF et de ses filiales directes et indirectes, SNCF Voyageurs et SNCF Réseau afin, notamment, de normaliser sa gouvernance ; la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à l’activité des entreprises, dite loi PACTE, a prévu la privatisation de La Française des jeux ; l’ordonnance du 2 octobre 2019 a réformé la régulation des jeux d’argent et étendu les missions de l’Autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, aux jeux de hasard – à l’exception des casinos qui restent sous la responsabilité du ministère de l’intérieur – et la renomme « Autorité nationale des jeux ».
Pour prendre en considération ces différentes réformes, en faveur desquelles vous avez voté, le Gouvernement a proposé, dès la version initiale de ces projets de loi, de soumettre le directeur général de la société nationale SNCF aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution ; de modifier le nom de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, devenue depuis le 1er octobre 2019 l’Autorité de régulation des transports ; de retirer de la liste des emplois concernés la présidence de La Française des jeux dont la majorité du capital est désormais ouverte au secteur privé ; de remplacer l’ARJEL par l’Autorité nationale des jeux.
Concernant la HADOPI, le texte vise à prolonger jusqu’au 25 janvier 2021, le mandat des membres expirant le 28 janvier et le 30 juin 2020. La mesure a pour but d’éviter d’avoir à nommer de nouveaux membres pour une courte période, avant la fusion de la HADOPI avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel – CSA –, qui doit intervenir à l’échéance des mandats des membres du CSA nommés en 2015 par le président du Sénat et par le président de l’Assemblée nationale. Lors des débats en commission, plusieurs députés se sont émus du fait que nous anticipions une réforme dont le Parlement n’a pas encore eu à se saisir. Je comprends vos réserves mais cette mesure permettra d’éviter que l’autorité ne soit confrontée à d’importants problèmes d’organisation qui risqueraient d’entraver son action. De plus, rien n’empêche, au terme du délai prorogé, de prendre une autre décision, si cela apparaît opportun.
Les deux projets de loi que vous examinez aujourd’hui ont fait l’objet d’une première lecture au Sénat en décembre dernier. Les sénateurs, outre des améliorations légistiques et rédactionnelles, ont élargi le champ d’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Pour rappel, l’objectif du Gouvernement était initialement de tirer les conséquences de réformes déjà effectuées. Nous ne pouvions néanmoins ignorer la volonté légitime du Parlement de se saisir d’une telle occasion pour étendre le champ d’application de cet alinéa. C’est pourquoi nous avons étudié avec attention les propositions d’ajout issues des deux chambres.
C’est dans ce contexte que le Sénat, faisant preuve de constance en reprenant une proposition de 2017, a ajouté le président de la Commission d’accès aux documents administratifs, CADA, à la liste des nominations soumises à l’approbation du Parlement. Il y a également ajouté le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII.
Concernant les dispositions relatives à la SNCF, le Sénat a adopté des amendements visant à soumettre à l’approbation du Parlement la présidence du conseil d’administration et la direction générale de la société nationale SNCF ainsi que de SNCF Réseau. Le Gouvernement ne souscrit pas à cette proposition et souhaite un retour au texte initial, qui limite l’application de la procédure de l’article 13 à la direction générale de la société nationale SNCF, afin de garantir une unité managériale, évidemment nécessaire à l’efficacité de cette entreprise. Nous voulons nous conformer au droit commun des sociétés à participation publique, qui prévoit que seul le dirigeant mandataire d’une société détenue directement à plus de 50 % par l’État est nommé par décret du Président de la République. Dans un souci de bonne gouvernance, il n’est évidemment pas souhaitable d’établir des légitimités concurrentes au sein d’une même structure. Par ailleurs, si le Gouvernement a bien compris la volonté du Sénat de garantir l’indépendance de SNCF Réseau, celle-ci l’est déjà, dans la mesure où la nomination à la direction générale fait l’objet d’un avis conforme de l’autorité de régulation.
Ce sont donc des textes substantiellement modifiés qui ont été examinés par la commission des lois de votre assemblée lors de sa réunion du 15 janvier. Je tiens à remercier les membres de cette commission, sa présidente et le rapporteur pour le travail effectué sur ces projets de loi.
Lors des travaux de votre commission, un consensus s’est dégagé en faveur de la proposition des députés du groupe La France insoumise visant à étendre le pouvoir de contrôle du Parlement aux nominations à la direction générale de l’OFII, de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé – ANSM – et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – ANSES. Le Gouvernement en prend acte.
En revanche, le Gouvernement vous proposera de revenir sur l’ajout de la présidence de la CADA à la liste des emplois devant faire l’objet d’une approbation parlementaire. La CADA est certes une autorité administrative indépendante, l’une des plus anciennes d’ailleurs, mais, si le code des relations entre le public et l’administration lui confère un pouvoir de sanction, ce dernier est très résiduel. Le rôle d’une telle autorité demeure essentiellement non décisionnaire, ce qui selon nous justifie de ne pas l’intégrer au champ d’application du cinquième alinéa de l’article 13. Cela ne remet nullement en cause l’importance de cette autorité administrative indépendante, dans un contexte de demande croissante de transparence de la part de nos concitoyens. Vous aviez d’ailleurs refusé une telle intégration en 2017.
Concernant les dispositions relatives à la SNCF, le Gouvernement soutient pleinement l’initiative du rapporteur visant à revenir à la rédaction initiale des projets de loi.
Au-delà de ces considérations générales, nous aurons l’occasion de débattre dans quelques minutes d’amendements qui permettront, je le souhaite, d’aboutir à un texte satisfaisant, et sur lequel votre assemblée et le Sénat puissent parvenir à un accord lors de la commission mixte paritaire. Cela serait conforme à l’esprit de coconstruction qui nous a animés dans les deux chambres et nous amène à conserver des ajouts au texte issus de la majorité comme de l’opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Christophe Euzet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous examinons deux projets de loi : un projet de loi organique, et un projet de loi ordinaire, qui portent, comme cela a été dit, sur les nominations régies par le cinquième alinéa de l’article 13. Pour que ces nominations par le Président de la République soient effectives, elles doivent préalablement avoir reçu l’approbation des commissions parlementaires compétentes ; un certain nombre d’organismes sont concernés, dès lors que c’est justifié par « leur importance pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».
Depuis sa création en 2010, la liste des postes concernés par cette procédure n’a cessé de s’étoffer, ce qui, de mon point de vue, constitue une avancée importante en matière de démocratie. Cette progression a eu lieu sous le contrôle vigilant du Conseil constitutionnel, renforçant les garanties de l’État de droit.
Les projets de loi organique et de loi ordinaire que nous examinons visent à actualiser la liste des nominations concernées par le cinquième alinéa de l’article 13 et le tableau placé en annexe de la loi établissant la liste des commissions et des personnes compétentes pour chaque nomination.
Cette discussion a deux objets, comme cela a été dit. Il s’agit, premièrement, d’actualiser la loi organique pour prendre en considération des réformes récentes : La Française des jeux a été privatisée par la loi PACTE, si bien que sa direction ne relève plus des « emplois civils et militaires de l’État » dont traite la Constitution ; l’Autorité de régulation des jeux en ligne a été remplacée par l’Autorité nationale des jeux, en vertu de l’ordonnance du 2 octobre 2019 ; surtout, les trois EPIC qui constituaient la SNCF ont fusionné au sein d’une société unifiée ; enfin, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières a été transformée en Autorité de régulation des transports par l’ordonnance du 24 juillet 2019.
Le projet de loi ordinaire tire les conséquences de ces changements en modifiant le tableau des commissions compétentes annexé à la loi du 23 juillet 2010. Il vise également à anticiper la fusion de la HADOPI et du Conseil supérieur de l’audiovisuel au sein d’une autorité de régulation de la communication audiovisuelle, prévue pour une prochaine loi sur l’audiovisuel, en prolongeant les mandats des membres de la HADOPI, et notamment celui de son président, qui arrive à terme avant que la fusion n’ait pu avoir lieu ; on sait le rôle crucial qu’il joue dans les négociations en cours.
Le Sénat a modifié le dispositif initial à plusieurs égards. Tout d’abord, il a amélioré la rédaction en actualisant des dénominations obsolètes. Par ailleurs, il a voté en faveur de l’intégration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et de la CADA à la liste des organismes concernés par le cinquième alinéa de l’article 13, comme cela a été précisé à l’instant. La commission des lois, dont je suis le rapporteur, et dont je partage la position, a décidé de maintenir ces dispositions ; je détaillerai notre argumentaire sur ce point dans un instant.
En troisième lieu, le Sénat a jugé bon, comme rappelé par Mme la secrétaire d’État, de maintenir plusieurs emplois à la SNCF dans la liste des nominations concernées par le cinquième alinéa de l’article 13. Cela ne nous semble pas pertinent, dans la mesure où ce n’est pas compatible avec la fusion des trois anciens établissements publics à caractère industriel ou commercial en une société unifiée. Si les directeurs généraux de la société nationale SNCF et de sa filiale étaient nommés selon le même dispositif, cela créerait une concurrence des légitimités.
Sur ces deux textes, la commission des lois a bénéficié d’une certaine bienveillance du Gouvernement dans son projet d’extension de la liste des nominations régies par le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Le Gouvernement a notamment accepté que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail soient intégrées à la liste des organismes concernés – disposition adoptée par amendement en commission.
Cela étant, l’extension de cette liste doit être contenue ; la procédure doit être réservée aux organismes qui dans leur essence s’inscrivent dans le cadre posé par la révision constitutionnelle de 2008. Il nous faut veiller à la crédibilité de nos demandes ; nous n’irons donc pas plus loin en la matière. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Concernant l’application de l’article 13 de la Constitution, il s’agit de tirer les conséquences de récentes réformes menées par le Gouvernement, afin de permettre au Parlement de continuer à exercer son contrôle sur les nominations du Président de la République. L’article 13 de la Constitution dispose que celui-ci nomme aux emplois civils et militaires de l’État. La réforme constitutionnelle de 2008 a complété cet article en prévoyant que certaines nominations fassent l’objet d’un accord formel du Parlement, à travers un mécanisme défini dans la loi organique. Ainsi, cette dernière prévoit que les commissions compétentes des assemblées donnent un avis qui lie le Président de la République pour la nomination à certains emplois et fonctions, « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».
Aujourd’hui, la nomination des principaux dirigeants de cinquante-deux autorités administratives indépendantes, établissements publics ou entreprises publiques est soumise au contrôle parlementaire. Afin que leur nomination soit confirmée, ces responsables sont auditionnés par les commissions des assemblées, qui procèdent ensuite à un vote. Si l’addition des votes négatifs de chaque commission représente au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés, la nomination ne peut avoir lieu. Il s’agit donc d’un véritable droit de veto pour le Parlement. Nous pouvons nous féliciter de ce droit de regard, qui contribue à la transparence de la vie publique.
Il convient de prendre en considération dans la loi organique comme dans la loi ordinaire les importantes réformes auxquelles le Gouvernement a procédé depuis 2017 : la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a transformé les établissements publics à caractère industriel et commercial, EPIC, du groupe SNCF en un groupe unifié composé de la société nationale SNCF et de ses filiales directes et indirectes, SNCF Voyageurs et SNCF Réseau afin, notamment, de normaliser sa gouvernance ; la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à l’activité des entreprises, dite loi PACTE, a prévu la privatisation de La Française des jeux ; l’ordonnance du 2 octobre 2019 a réformé la régulation des jeux d’argent et étendu les missions de l’Autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, aux jeux de hasard – à l’exception des casinos qui restent sous la responsabilité du ministère de l’intérieur – et la renomme « Autorité nationale des jeux ».
Pour prendre en considération ces différentes réformes, en faveur desquelles vous avez voté, le Gouvernement a proposé, dès la version initiale de ces projets de loi, de soumettre le directeur général de la société nationale SNCF aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution ; de modifier le nom de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, devenue depuis le 1er octobre 2019 l’Autorité de régulation des transports ; de retirer de la liste des emplois concernés la présidence de La Française des jeux dont la majorité du capital est désormais ouverte au secteur privé ; de remplacer l’ARJEL par l’Autorité nationale des jeux.
Concernant la HADOPI, le texte vise à prolonger jusqu’au 25 janvier 2021, le mandat des membres expirant le 28 janvier et le 30 juin 2020. La mesure a pour but d’éviter d’avoir à nommer de nouveaux membres pour une courte période, avant la fusion de la HADOPI avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel – CSA –, qui doit intervenir à l’échéance des mandats des membres du CSA nommés en 2015 par le président du Sénat et par le président de l’Assemblée nationale. Lors des débats en commission, plusieurs députés se sont émus du fait que nous anticipions une réforme dont le Parlement n’a pas encore eu à se saisir. Je comprends vos réserves mais cette mesure permettra d’éviter que l’autorité ne soit confrontée à d’importants problèmes d’organisation qui risqueraient d’entraver son action. De plus, rien n’empêche, au terme du délai prorogé, de prendre une autre décision, si cela apparaît opportun.
Les deux projets de loi que vous examinez aujourd’hui ont fait l’objet d’une première lecture au Sénat en décembre dernier. Les sénateurs, outre des améliorations légistiques et rédactionnelles, ont élargi le champ d’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Pour rappel, l’objectif du Gouvernement était initialement de tirer les conséquences de réformes déjà effectuées. Nous ne pouvions néanmoins ignorer la volonté légitime du Parlement de se saisir d’une telle occasion pour étendre le champ d’application de cet alinéa. C’est pourquoi nous avons étudié avec attention les propositions d’ajout issues des deux chambres.
C’est dans ce contexte que le Sénat, faisant preuve de constance en reprenant une proposition de 2017, a ajouté le président de la Commission d’accès aux documents administratifs, CADA, à la liste des nominations soumises à l’approbation du Parlement. Il y a également ajouté le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII.
Concernant les dispositions relatives à la SNCF, le Sénat a adopté des amendements visant à soumettre à l’approbation du Parlement la présidence du conseil d’administration et la direction générale de la société nationale SNCF ainsi que de SNCF Réseau. Le Gouvernement ne souscrit pas à cette proposition et souhaite un retour au texte initial, qui limite l’application de la procédure de l’article 13 à la direction générale de la société nationale SNCF, afin de garantir une unité managériale, évidemment nécessaire à l’efficacité de cette entreprise. Nous voulons nous conformer au droit commun des sociétés à participation publique, qui prévoit que seul le dirigeant mandataire d’une société détenue directement à plus de 50 % par l’État est nommé par décret du Président de la République. Dans un souci de bonne gouvernance, il n’est évidemment pas souhaitable d’établir des légitimités concurrentes au sein d’une même structure. Par ailleurs, si le Gouvernement a bien compris la volonté du Sénat de garantir l’indépendance de SNCF Réseau, celle-ci l’est déjà, dans la mesure où la nomination à la direction générale fait l’objet d’un avis conforme de l’autorité de régulation.
Ce sont donc des textes substantiellement modifiés qui ont été examinés par la commission des lois de votre assemblée lors de sa réunion du 15 janvier. Je tiens à remercier les membres de cette commission, sa présidente et le rapporteur pour le travail effectué sur ces projets de loi.
Lors des travaux de votre commission, un consensus s’est dégagé en faveur de la proposition des députés du groupe La France insoumise visant à étendre le pouvoir de contrôle du Parlement aux nominations à la direction générale de l’OFII, de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé – ANSM – et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – ANSES. Le Gouvernement en prend acte.
En revanche, le Gouvernement vous proposera de revenir sur l’ajout de la présidence de la CADA à la liste des emplois devant faire l’objet d’une approbation parlementaire. La CADA est certes une autorité administrative indépendante, l’une des plus anciennes d’ailleurs, mais, si le code des relations entre le public et l’administration lui confère un pouvoir de sanction, ce dernier est très résiduel. Le rôle d’une telle autorité demeure essentiellement non décisionnaire, ce qui selon nous justifie de ne pas l’intégrer au champ d’application du cinquième alinéa de l’article 13. Cela ne remet nullement en cause l’importance de cette autorité administrative indépendante, dans un contexte de demande croissante de transparence de la part de nos concitoyens. Vous aviez d’ailleurs refusé une telle intégration en 2017.
Concernant les dispositions relatives à la SNCF, le Gouvernement soutient pleinement l’initiative du rapporteur visant à revenir à la rédaction initiale des projets de loi.
Au-delà de ces considérations générales, nous aurons l’occasion de débattre dans quelques minutes d’amendements qui permettront, je le souhaite, d’aboutir à un texte satisfaisant, et sur lequel votre assemblée et le Sénat puissent parvenir à un accord lors de la commission mixte paritaire. Cela serait conforme à l’esprit de coconstruction qui nous a animés dans les deux chambres et nous amène à conserver des ajouts au texte issus de la majorité comme de l’opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Christophe Euzet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous examinons deux projets de loi : un projet de loi organique, et un projet de loi ordinaire, qui portent, comme cela a été dit, sur les nominations régies par le cinquième alinéa de l’article 13. Pour que ces nominations par le Président de la République soient effectives, elles doivent préalablement avoir reçu l’approbation des commissions parlementaires compétentes ; un certain nombre d’organismes sont concernés, dès lors que c’est justifié par « leur importance pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».
Depuis sa création en 2010, la liste des postes concernés par cette procédure n’a cessé de s’étoffer, ce qui, de mon point de vue, constitue une avancée importante en matière de démocratie. Cette progression a eu lieu sous le contrôle vigilant du Conseil constitutionnel, renforçant les garanties de l’État de droit.
Les projets de loi organique et de loi ordinaire que nous examinons visent à actualiser la liste des nominations concernées par le cinquième alinéa de l’article 13 et le tableau placé en annexe de la loi établissant la liste des commissions et des personnes compétentes pour chaque nomination.
Cette discussion a deux objets, comme cela a été dit. Il s’agit, premièrement, d’actualiser la loi organique pour prendre en considération des réformes récentes : La Française des jeux a été privatisée par la loi PACTE, si bien que sa direction ne relève plus des « emplois civils et militaires de l’État » dont traite la Constitution ; l’Autorité de régulation des jeux en ligne a été remplacée par l’Autorité nationale des jeux, en vertu de l’ordonnance du 2 octobre 2019 ; surtout, les trois EPIC qui constituaient la SNCF ont fusionné au sein d’une société unifiée ; enfin, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières a été transformée en Autorité de régulation des transports par l’ordonnance du 24 juillet 2019.
Le projet de loi ordinaire tire les conséquences de ces changements en modifiant le tableau des commissions compétentes annexé à la loi du 23 juillet 2010. Il vise également à anticiper la fusion de la HADOPI et du Conseil supérieur de l’audiovisuel au sein d’une autorité de régulation de la communication audiovisuelle, prévue pour une prochaine loi sur l’audiovisuel, en prolongeant les mandats des membres de la HADOPI, et notamment celui de son président, qui arrive à terme avant que la fusion n’ait pu avoir lieu ; on sait le rôle crucial qu’il joue dans les négociations en cours.
Le Sénat a modifié le dispositif initial à plusieurs égards. Tout d’abord, il a amélioré la rédaction en actualisant des dénominations obsolètes. Par ailleurs, il a voté en faveur de l’intégration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et de la CADA à la liste des organismes concernés par le cinquième alinéa de l’article 13, comme cela a été précisé à l’instant. La commission des lois, dont je suis le rapporteur, et dont je partage la position, a décidé de maintenir ces dispositions ; je détaillerai notre argumentaire sur ce point dans un instant.
En troisième lieu, le Sénat a jugé bon, comme rappelé par Mme la secrétaire d’État, de maintenir plusieurs emplois à la SNCF dans la liste des nominations concernées par le cinquième alinéa de l’article 13. Cela ne nous semble pas pertinent, dans la mesure où ce n’est pas compatible avec la fusion des trois anciens établissements publics à caractère industriel ou commercial en une société unifiée. Si les directeurs généraux de la société nationale SNCF et de sa filiale étaient nommés selon le même dispositif, cela créerait une concurrence des légitimités.
Sur ces deux textes, la commission des lois a bénéficié d’une certaine bienveillance du Gouvernement dans son projet d’extension de la liste des nominations régies par le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Le Gouvernement a notamment accepté que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail soient intégrées à la liste des organismes concernés – disposition adoptée par amendement en commission.
Cela étant, l’extension de cette liste doit être contenue ; la procédure doit être réservée aux organismes qui dans leur essence s’inscrivent dans le cadre posé par la révision constitutionnelle de 2008. Il nous faut veiller à la crédibilité de nos demandes ; nous n’irons donc pas plus loin en la matière. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Michel Castellani.
Depuis la dernière révision constitutionnelle, en 2008, certaines nominations par le Président de la République à des fonctions dans des entreprises et établissements publics, des autorités administratives indépendantes ou d’autres structures sui generis sont soumises à l’avis préalable des commissions parlementaires « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ». En théorie, le Parlement dispose donc d’un pouvoir de veto lorsque l’addition des votes négatifs dans les commissions compétentes représente au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Les projets de loi dont nous sommes saisis prévoient en premier lieu de retirer de la liste des fonctions concernées la présidence de La Française des jeux, dont la majorité du capital a été ouverte au secteur privé. En second lieu, ils prévoient que le Parlement soit appelé à se prononcer non plus sur la nomination des dirigeants des trois établissements publics qui composaient la SNCF, à savoir la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités, mais sur celle du seul dirigeant de la société nationale, conformément au droit commun régissant les sociétés à participation publique – et en conséquence de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire. Que l’on ait ou non approuvé cette réforme, nous constatons une fois de plus que le pouvoir de contrôle du Parlement s’en trouvera amenuisé.
À cette liste initiale, le Sénat et la commission des lois de l’Assemblée ont procédé à des ajouts, notamment ceux, à l’initiative de groupe de La France insoumise, de deux organismes : la direction générale de l’ANSM et celle de l’ANSES ; nous nous en réjouissons. Nous soutenons également l’ajout par le Sénat de la direction générale de l’OFII et de la présidence de la CADA. Cette dernière étant une institution sensible, nous déplorons le dépôt par le Gouvernement d’un amendement de suppression de cet ajout.
Revenons-en au fond. Si je disais en préambule que le pouvoir de veto du Parlement est théorique, c’est parce que depuis la session 2011-2012, il s’est exprimé à 109 reprises sur des nominations proposées par le Président de la République, et que pas une fois il n’a fait usage de son droit de veto, la somme des votes négatifs recueillis à l’Assemblée nationale et au Sénat n’ayant jamais atteint les trois cinquièmes des suffrages exprimés. L’une ou l’autre des deux commissions compétentes a toutefois formulé un avis négatif à cinq reprises, marquant ainsi le désaccord de la chambre concernée, mais sans pour autant empêcher la nomination du candidat pressenti.
Certes, un candidat au Conseil supérieur de la magistrature a bien été recalé en 2015 par la commission des lois de l’Assemblée nationale – un épisode cocasse puisque le candidat en question avait été proposé par le président de l’Assemblée nationale lui-même, qui était par définition de la même sensibilité politique que la majorité des membres de la commission. Puisque le candidat n’était pas proposé par le Président de la République, cependant, la procédure ne relevait pas de l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution dont nous débattons. C’est à croire que l’autorité d’un président de l’Assemblée est plus aisée à mettre en cause par les parlementaires… Remettons en outre ce veto en perspective : il s’agit en effet d’un cas unique.
Pour le groupe Libertés et territoires, le Parlement ne saurait en aucun cas être considéré comme une simple chambre d’enregistrement des décisions du Président de la République et du Gouvernement. De ce point de vue, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire ne sont pas de simples ajustements techniques destinés à tirer les conséquences de mesures prises par des ordonnances récentes – surtout dans le contexte de l’examen de la réforme des retraites pour laquelle le recours aux ordonnances se multipliera, nous obligeant à légiférer sans aucune visibilité, pendant que les partenaires sociaux discuteront du financement.
Cette méthode soulève de profondes interrogations puisque le Parlement est appelé à tirer les conséquences de trois ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées, sur des sujets aussi importants que la police des jeux, la régulation des transports et l’organisation du réseau ferroviaire. Il en va de même pour le changement de mode de nomination au CSA prévu par le projet de loi portant réforme de l’audiovisuel, sur lequel le Parlement n’a pas encore voté.
Il faut donc envisager l’évolution de la procédure actuelle afin de renforcer les prérogatives du Parlement, par exemple en adoptant le principe d’un vote positif aux trois cinquièmes des deux commissions, comme l’a proposé Stéphane Peu en commission, ou, à défaut, la règle du veto à la majorité simple.
Soucieux du respect des prérogatives du Parlement, nous jetons donc sur ce texte un regard nuancé. La parole est à Mme Hélène Zannier. Comme l’a rappelé M. le rapporteur, ce projet de loi organique vise à modifier la liste des emplois concernés par la procédure prévue à l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. Il s’agit de préciser la liste des emplois pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République est soumis au résultat des auditions devant les commissions parlementaires compétentes.
Le projet de loi organique qui nous est présenté a donc une portée essentiellement technique se limitant à la mise à jour des emplois concernés. Il s’agit avant tout de tirer les conséquences d’un certain nombre d’évolutions législatives récentes concernant notamment le statut de La Française des jeux et de la SNCF.
Court et technique, ce projet de loi n’est toutefois pas sans intérêt. Son enjeu tient au contenu de la liste des emplois auxquels la nomination par le Président de la République s’accompagne d’une procédure de contrôle parlementaire. Or le contrôle de l’exécutif est l’une des missions primordiales du Parlement. Il s’exerce notamment par l’audition des candidats dont la nomination à tel ou tel poste à responsabilité est proposée par le Président de la République. Ces auditions donnent aux nominations en question une transparence et une publicité bienvenues. En ce sens, le sujet que nous abordons n’est pas anodin et mérite toute notre attention ; il transcende largement les habituelles oppositions partisanes.
Le projet de loi organique comporte deux points distincts. Le premier concerne l’adaptation de la liste d’emplois concernés aux réformes en cours, c’est-à-dire la suppression d’un certain nombre d’emplois, par exemple à la SNCF ou à La Française des jeux. Le changement de statut de ces organismes nous oblige à modifier la liste des emplois concernés pour prendre acte des évolutions législatives en cours. Cet aspect du texte n’appelle guère de commentaires.
Le deuxième point, au-delà des réformes en cours, est plus général : il porte sur le périmètre des emplois concernés par la procédure prévue à l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. La question de fond consiste à déterminer quels sont les emplois qui, « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », doivent faire l’objet d’un contrôle parlementaire. Par définition, l’appréciation de cette liste est en partie subjective. Il revient donc à l’Assemblée de se prononcer.
Le texte adopté en commission confirme l’ajout à la liste initiale de plusieurs nouveaux emplois. Le Sénat a décidé d’inclure les postes de directeur général de l’OFII et de président de la CADA. À l’Assemblée nationale, sur proposition de l’opposition par amendement, les postes de direction de deux agences sanitaires ont également été inclus lors de l’examen du texte par la commission des lois. Nous nous félicitons de ces ajouts qui enrichiront la liste des emplois faisant l’objet d’une procédure d’audition publique devant les chambres. L’importance qu’ont prise ces organismes publics dans la défense des droits et des libertés ainsi que dans la mise en œuvre de certaines politiques publiques justifie amplement l’exercice du contrôle parlementaire. Nous nous prononcerons donc en faveur de ce projet de loi, avec les ajouts susmentionnés, et nous nous réjouissons qu’il ait donné lieu, au Sénat comme à l’Assemblée, à des enrichissements substantiels qui confirment l’intérêt des parlementaires pour le contrôle de l’action de l’exécutif. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Antoine Savignat. Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire présentés par le Gouvernement ont pour objet d’actualiser la liste des fonctions et emplois concernés par la procédure de nomination que prévoit l’article 13, alinéa 5 de la Constitution, de manière à tirer les conséquences de récentes réformes. Ces dispositions concernent cinquante-deux fonctions.
L’article 2 du projet de loi ordinaire, quant à lui, prolonge jusqu’au 25 janvier 2021 les mandats en cours des six membres de la commission de protection des droits et du collège de la HADOPI, qui expirent courant 2020. En effet, conformément aux dispositions du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, déposé à l’Assemblée nationale le 5 décembre 2019, la HADOPI devrait fusionner avec le CSA pour former une nouvelle instance, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle.
Ces textes de coordination, a priori consensuels, soulèvent un problème de méthode, comme l’a rappelé Philippe Gosselin en commission des lois : le fait de tirer les conséquences dans ce texte d’ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées sur des sujets aussi importants que la police des jeux, la régulation des transports et l’organisation du réseau ferroviaire ne garantit pas le bon fonctionnement d’une démocratie – et, a fortiori, nous répondre qu’il ne s’agit que d’un problème de calendrier parlementaire le garantit encore moins.
De surcroît, en anticipant un projet de loi qui n’est pas encore inscrit à notre ordre du jour, vous présumez de son sort et démontrez ainsi le peu de marge et de considération dont bénéficie le Parlement, alors que la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy, en 2008, visait au contraire à renforcer ses pouvoirs en lui accordant notamment le pouvoir de veto sur certaines nominations proposées par le Président de la République « en raison de leur importance pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».
Cela étant rappelé, nous sommes totalement en phase avec les modifications apportées par le Sénat, à savoir l’élargissement du périmètre de la procédure afin de renforcer le contrôle parlementaire, qu’a complété le groupe de La France insoumise en commission. S’ajoutent ainsi à la liste des fonctions relevant de la procédure de nomination la présidence de la CADA, la direction générale de l’OFII, la direction générale de l’ANSM et celle de l’ANSES. Nous saluons ces extensions et l’accord auquel sont parvenues les deux chambres.
Le groupe LR votera pour le projet de loi ordinaire et le projet de loi organique, dans leur version enrichie. Pour toutes les raisons déjà évoquées, nous nous opposerons à l’amendement du Gouvernement visant à supprimer la CADA de la liste des emplois et fonctions dont la nomination est soumise à l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. La parole est à M. Philippe Latombe. Les projets de lois organique et ordinaire que nous examinons étaient initialement conçus comme des textes techniques visant à tirer les conséquences de diverses réformes intervenues au cours des derniers mois sur l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. Introduite par la réforme constitutionnelle de 2008, cette disposition confère au Parlement un droit de veto sur certaines nominations proposées par le Président de la République « en raison de leur importance pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».
Ce droit de veto s’exerce sous la forme d’une audition par la commission compétente de chacune des deux chambres de la personne dont la nomination est envisagée. À la suite de cette audition, la nomination peut être repoussée selon la règle des trois cinquièmes négatifs.
La loi organique du 23 juillet 2010, que nous nous apprêtons à modifier, fixe une liste d’une cinquantaine d’emplois et de fonctions concernés par cette procédure. Des réformes intervenues récemment invitent à la mettre à jour : c’est pourquoi le projet de loi organique déposé par le Gouvernement vise à substituer l’Autorité nationale des jeux à l’Autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, et à retirer de la liste le président de La Française des jeux, dans le prolongement des réformes adoptées dans la loi Pacte.
D’autre part, la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a institué un groupe public ferroviaire unifié mettant fin à Réseau ferré de France, RFF, qui réunissait trois établissements publics industriels et commerciaux.
Pour tenir compte de cette transformation, le projet de loi organique ajoute le directeur général de la SNCF à la liste des nominations relevant de l’article 13 de la Constitution. Par ailleurs, il modifie l’intitulé de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, devenue au 1er octobre 2019 l’Autorité de régulation des transports.
Tel était donc le périmètre initial du projet de loi organique. Le Sénat a élargi la liste des nominations relevant de l’article 13 de la Constitution, en y incluant le président de la Commission d’accès aux documents administratifs et le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
Notre commission des lois a jugé utile cet apport du Sénat. Elle a en outre, sur proposition du groupe La France insoumise, ajouté à cette liste le directeur général de l’ANSM et celui de l’ANSES. Cet élargissement nous semble opportun, compte tenu du rôle important de ces deux agences, et du caractère sensible des enjeux qu’elles doivent traiter.
Par ailleurs, j’évoquerai l’article 2 du projet de loi ordinaire, qui vise à proroger jusqu’au 25 janvier 2021 le mandat des membres de la HADOPI, dans l’éventualité d’une fusion de celle-ci avec le CSA, qui devrait être débattue dans le cadre de l’examen du futur projet de loi relatif à l’audiovisuel.
Certains ici affirment que voter l’article équivaut à présager de l’issue de celui-ci. Au contraire, c’est faire preuve de réalisme : en prolongeant le mandat précité, nous évitons de procéder à de nouvelles nominations, ce qui permet de réaliser une économie de temps. Si le texte n’est pas voté, cela permettra d’en tirer les conséquences sur les missions des titulaires qu’il faudra nommer alors. Ainsi, ces nominations seront effectuées en toute connaissance de cause.
Si le fond de l’article n’appelle aucune remarque particulière, je tiens à rappeler qu’il faudra faire preuve de prudence, en raison de la non-conformité potentielle de la HADOPI à la jurisprudence « Tele 2 » de la Cour de justice de l’Union européenne, d’après laquelle la conservation généralisée et indifférenciée des métadonnées, même à des fins de lutte contre la criminalité, est contraire au droit communautaire. Plus généralement, il me semble utile de s’interroger, à l’avenir, sur l’efficacité de la HADOPI rapportée à son coût.
Cette précision formulée, et compte tenu des observations qui précèdent, le groupe MODEM et apparentés votera pour les deux textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM. – M. le rapporteur et Mme Hélène Zannier applaudissent également.) La parole est à M. Michel Zumkeller. De prime abord, les deux projets de loi n’appellent pas un grand débat. Ils actualisent simplement la liste des fonctions et emplois pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République, prévu par l’article 13 de la Constitution, s’exerce après avis public des commissions parlementaires compétentes, et ce en vue de tirer les conséquences des réformes récentes. Or, bien loin du toilettage auquel on veut nous faire croire, le projet de loi et le projet de loi organique modifient de façon très substantielle les prérogatives du Parlement.
En premier lieu, le Gouvernement ne nous demande pas uniquement de prendre acte de réformes passées, mais de procéder à des modifications découlant d’ordonnances que nous n’avons ni examinées ni votées, et de textes dont l’adoption ou la ratification ne sont même pas en vue ! De même, la prorogation du mandat des membres du collège de la HADOPI anticipe la réforme de l’audiovisuel, dont l’examen a été reporté à plusieurs reprises.
Outre l’incohérence chronologique de la démarche, le Gouvernement donne l’impression qu’il prend la liberté d’anticiper sur les votes futurs de notre assemblée. Vous comprendrez, madame la secrétaire d’État, que nous contestions une telle méthode, qui nie totalement le rôle du Parlement. Je me permets de rappeler que, conformément à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de légiférer par ordonnances, et que celles-ci ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
Si nous pouvons concevoir le recours à cette procédure particulière s’agissant de textes déjà examinés, il n’est nulle part inscrit dans notre droit que le pouvoir exécutif peut devancer un vote de la représentation nationale sur un texte qui n’est pas même inscrit à l’ordre du jour, quelles que soient les commodités pratiques avancées en guise de justification par M. le rapporteur en commission des lois.
En second lieu, les deux projets de loi prévoient des modifications de la liste des nominations effectuées par le Président de la République et soumises au contrôle du Parlement. Plus particulièrement, le Gouvernement en réduit le nombre s’agissant de la SNCF.
Certes, la réforme ayant transformé la SNCF en société anonyme appelle des ajustements. Toutefois, le changement que le Gouvernement appelle de ses vœux est bien plus radical. En effet, seule la direction de la société nationale SNCF serait désormais soumise au vote des commissions compétentes. Ainsi, le Parlement n’aurait plus aucun droit de regard sur la direction des différentes filiales.
À l’heure actuelle, trois dirigeants de la SNCF sont soumis à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution ; aux termes des textes qui nous sont soumis, il n’en resterait plus qu’un. Le contrôle parlementaire est donc très amoindri. Cette évolution s’avérera encore plus problématique qu’elle ne l’est déjà si la société mère décide de dissocier les fonctions de directeur général, d’une part, et celles de président du conseil d’administration, d’autre part.
En outre, l’ouverture programmée de la SNCF à la concurrence justifie que le Parlement porte un regard accru sur ces nominations. À cet égard, le texte issu du Sénat nous semblait bien plus sage.
Ainsi, ces textes n’ont rien de technique ni d’anodin. Ils révèlent au contraire d’importants choix politiques et doivent être examinés avec le plus grand sérieux. Si l’ajout des nominations à la CADA, à l’OFII, à l’ANSM et à l’ANSES est une bonne chose, les autres dispositions, tant sur la forme que sur le fond, nous empêchent de leur être favorables.
Par principe, nous réfutons tout ce qui pourrait encore amenuiser la raison d’être de la représentation nationale. Chers collègues, je vous invite à bien mesurer le poids de votre vote sur ces questions, afin d’éviter que le Parlement ne participe lui-même à l’affaiblissement de ses pouvoirs. La parole est à M. Stéphane Peu. Présentés par le Gouvernement comme de simples projets de loi de coordination et d’actualisation, les deux textes dont nous débattons soulèvent pourtant de réelles difficultés, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, le projet de loi organique tire les conséquences d’ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées, sur des sujets aussi importants que la police des jeux ou l’organisation du réseau de transports.
En outre, il prend acte – encore mieux que l’anticipation d’un vote de ratification ! – de dispositions législatives n’ayant pas même été adoptées par l’Assemblée nationale, notamment le projet de loi relatif à l’audiovisuel, qui prévoit la fusion de la HADOPI et du CSA. Il s’agit là d’une curieuse méthode, qui témoigne – une fois encore – d’un mépris certain du Parlement !
J’en viens à présent au fond. Les textes du Gouvernement produiront un affaiblissement du contrôle parlementaire sur les nominations à certains emplois publics. Une telle évolution va à l’encontre du rôle confié au Parlement dans ce domaine. Celui-ci est pourtant relativement récent : il résulte de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, dont l’un des effets a été d’encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République.
À l’heure actuelle, ces nominations sont repoussées si l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés en leur sein. À nos yeux, cette disposition est insuffisante.
Nous considérons qu’il est nécessaire d’aller plus loin, en substituant au système de veto en vigueur un système reposant sur la majorité de votes favorables des trois cinquièmes des membres des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Au demeurant, cette proposition de bon sens a été formulée au mois d’octobre 2015, lors de la remise du rapport du groupe de travail de l’Assemblée nationale sur l’avenir des institutions, présidé par MM. Claude Bartolone et Michel Winock.
Or non seulement les textes que nous examinons aujourd’hui ne vont pas dans ce sens, mais ils vont dans le sens contraire, en réduisant le périmètre du contrôle parlementaire sur certains emplois publics pourtant particulièrement importants pour la vie économique et sociale de la nation. Très juste ! S’agissant de La Française des jeux, vous arguerez en toute logique, madame la secrétaire d’État, que la suppression du contrôle de la nomination de son PDG tire les conséquences juridiques de sa privatisation. Mais vous devrez alors nous concéder que c’est aussi en toute logique que nous nous opposons au dessaisissement du Parlement, comme nous nous sommes opposés à la privatisation de La Française des jeux.
J’ajoute que ce dispositif contredit – il suffit de se reporter au compte rendu de nos débats – les propos du ministre Le Maire, qui nous avait assuré, lors de l’examen de la loi PACTE, que l’État, en tout état de cause, demeurerait maître de la gouvernance de La Française des Jeux une fois celle-ci privatisée. Tout à fait ! Quant à la réduction du périmètre du contrôle sur la nomination des dirigeants de la SNCF, elle pose un problème majeur. Avec la réorganisation de celle-ci, une seule personne sera soumise à cette procédure de contrôle, le directeur général de la société nationale, contre trois actuellement.
Le contrôle parlementaire s’en trouvera fragilisé, notamment si la société mère décide de dissocier les fonctions de directeur général, d’une part, et celles de président du conseil d’administration, d’autre part. Dans cette hypothèse, seule la nomination du directeur général sera soumise à l’avis préalable des commissions parlementaires.
Surtout, le Parlement perdra tout droit de regard sur la gouvernance du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire – SNCF Réseau –, ce qui constitue un recul particulièrement inacceptable dans un contexte d’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire.
Certes, nous notons quelques ajouts positifs à la liste des nominations, notamment le président de la Commission d’accès aux documents administratifs et le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, issus des débats et du vote du Sénat. Nous notons également l’insertion dans le tableau annexé au projet de loi organique, en commission des lois, grâce à une initiative du groupe La France insoumise, du directeur général de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé, et de celui de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Toutefois, ces avancées ne modifient pas le regard que nous portons sur le projet de loi organique et sur le projet de loi ordinaire. À nos yeux, tous deux participent à la dévalorisation du Parlement, relégué dans un rôle de chambre d’enregistrement,… Eh oui ! Comme d’habitude ! …et auront pour effet d’affaiblir le contrôle parlementaire sur la nomination des dirigeants d’entreprises stratégiques. Nous en tirerons les conséquences et voterons contre les deux projets de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) La parole est à Mme Danièle Obono. Les deux projets de loi dont nous sommes saisis visent à actualiser la liste des fonctions et emplois pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République, prévu par l’article 13 de la Constitution, s’exerce après avis public des commissions parlementaires compétentes. Nous nous opposons à ces deux textes, pour deux raisons. L’une est d’ordre formel, méthodologique, mais comporte un enjeu démocratique ; l’autre tire les conséquences de notre opposition aux textes à l’application desquels ces projets de loi concourent.
La première raison de notre vote réside dans le fait que le Gouvernement et la majorité nous invitent à tirer les conséquences d’ordonnances qui n’ont pas été ratifiées, ce qui équivaut à partir du principe que la ratification des ordonnances par l’Assemblée nationale n’est qu’une formule de politesse, et non une exigence constitutionnelle.
Cette situation n’est pas sans cause. Le désarmement progressif de l’Assemblée nationale sous la Ve République et la subordination quasi-hiérarchique des membres de la majorité parlementaire à l’exécutif suggèrent que l’Assemblée nationale est là uniquement pour prendre acte des projets de loi, et non pour les écrire, les examiner, les amender et les voter, en accordant ou en refusant des autorisations au Gouvernement pour agir, ou plutôt pour s’offrir des arguments de légitimité, celle-là même dont il manque cruellement.
Je me permets donc de rappeler ici que, au titre de l’article 38 de la Constitution, une ordonnance acquiert le statut permanent de loi si et seulement si l’Assemblée nationale en décide ainsi. Eh oui ! Or tel n’est pas le cas des ordonnances dont le texte débattu ici tire les conséquences, ni de l’ordonnance du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF, ni de celle du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d’argent et de hasard, ni de celle du 24 juillet 2019 relative au régulateur des redevances aéroportuaires. Aucune n’a été ratifiée. À nos yeux, il y a là une parfaite illustration de l’expression « Mettre la charrue avant les bœufs ».
Cette observation m’amène à la seconde raison de notre opposition. Nous nous sommes opposés – et nous continuons à le faire – aux textes dont ces projets de loi tirent les conséquences, car ils privatisent et ouvrent toujours davantage à la concurrence des entreprises dont nous estimons qu’elles devraient demeurer publiques. Je me concentrerai ici sur le cas de la SNCF, et rappellerai les raisons qui motivent notre positionnement.
Tout d’abord, depuis la séparation du réseau ferroviaire et de son exploitation intervenue en 1997, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de redécouper la SNCF, afin d’accroître les parts de ses activités pouvant être mises en concurrence. Ce démantèlement du service public a été réalisé en cohérence et en transposition des directives européennes successives.
Le dernier avatar de cette entreprise continue de démantèlement est le nouveau pacte ferroviaire qu’a fait adopter le Gouvernement. Dès son examen ici même, la majorité et le Gouvernement utilisaient les cheminots et les cheminotes comme boucs émissaires. Nous avions alors pointé du doigt les politiques antiécologiques et antisociales mises en œuvre.
Elles sont antiécologiques, car démanteler la SNCF équivaut à favoriser les déserts du rail, ainsi que l’utilisation obligatoire de la voiture pour les travailleurs et les travailleuses vivant dans les zones périphériques. Cela équivaut à choisir l’austérité plutôt que la planète, pour ainsi dire.
Elles sont antisociales, car le rapport Spinetta, sur lequel le Gouvernement et la majorité se sont largement appuyés pour justifier la transformation de la SNCF en groupe public unifié, se focalisait sur la dette de l’entreprise. En réalité, le Gouvernement prépare la suppression d’un corps de métier dévoué et compétent, celui des cheminots et des cheminotes, et son remplacement par des travailleurs et des travailleuses précaires. Il s’agit d’une entreprise d’accablement des cheminots et des cheminotes.
Quant à la dette, nous ne la considérons pas comme un fléau, mais comme un investissement. Dans ce cas, elle a en outre, rappelons-le, été créée par les choix contestables de la direction en matière de développement ferroviaire.
S’agissant en particulier des nominations à la tête de cette entreprise, le choix que vous avez fait de réduire le périmètre de celles qui seront soumises au contrôle parlementaire montre que vous ne tirez même pas les conséquences des constats que vous établissez pourtant vous-même en vue de la privatisation.
À ces politiques antisociales et antiécologiques, nous opposons des propositions en faveur de la bifurcation écologique, qui nécessiteront un investissement public dans le secteur du rail, et des salariés protégés, avec un statut – ce que demandent en ce moment même les nombreuses et nombreux grévistes, à la SNCF, dans tout le secteur des transports et dans l’ensemble du pays.
Nous notons avec satisfaction l’adoption en commission des lois de nos amendements visant à intégrer parmi celles devant être soumises à l’avis des commissions parlementaires les nominations aux directions générales de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Nous maintenons néanmoins notre opposition à ces deux textes, car nous sommes opposés à la privatisation et à la mise en concurrence, et favorables à un maintien de l’investissement et du contrôle public. La parole est à M. Jean Lassalle. Je ne peux pas prendre la parole, monsieur le président, car je n’ai pas eu le temps de me préparer. Belle honnêteté ! Vous pourrez vous exprimer par la suite, monsieur le député – je salue d’ailleurs en vous mon voisin de circonscription. Je vous salue aussi, monsieur le président ! La discussion générale commune est close.
Les projets de loi dont nous sommes saisis prévoient en premier lieu de retirer de la liste des fonctions concernées la présidence de La Française des jeux, dont la majorité du capital a été ouverte au secteur privé. En second lieu, ils prévoient que le Parlement soit appelé à se prononcer non plus sur la nomination des dirigeants des trois établissements publics qui composaient la SNCF, à savoir la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités, mais sur celle du seul dirigeant de la société nationale, conformément au droit commun régissant les sociétés à participation publique – et en conséquence de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire. Que l’on ait ou non approuvé cette réforme, nous constatons une fois de plus que le pouvoir de contrôle du Parlement s’en trouvera amenuisé.
À cette liste initiale, le Sénat et la commission des lois de l’Assemblée ont procédé à des ajouts, notamment ceux, à l’initiative de groupe de La France insoumise, de deux organismes : la direction générale de l’ANSM et celle de l’ANSES ; nous nous en réjouissons. Nous soutenons également l’ajout par le Sénat de la direction générale de l’OFII et de la présidence de la CADA. Cette dernière étant une institution sensible, nous déplorons le dépôt par le Gouvernement d’un amendement de suppression de cet ajout.
Revenons-en au fond. Si je disais en préambule que le pouvoir de veto du Parlement est théorique, c’est parce que depuis la session 2011-2012, il s’est exprimé à 109 reprises sur des nominations proposées par le Président de la République, et que pas une fois il n’a fait usage de son droit de veto, la somme des votes négatifs recueillis à l’Assemblée nationale et au Sénat n’ayant jamais atteint les trois cinquièmes des suffrages exprimés. L’une ou l’autre des deux commissions compétentes a toutefois formulé un avis négatif à cinq reprises, marquant ainsi le désaccord de la chambre concernée, mais sans pour autant empêcher la nomination du candidat pressenti.
Certes, un candidat au Conseil supérieur de la magistrature a bien été recalé en 2015 par la commission des lois de l’Assemblée nationale – un épisode cocasse puisque le candidat en question avait été proposé par le président de l’Assemblée nationale lui-même, qui était par définition de la même sensibilité politique que la majorité des membres de la commission. Puisque le candidat n’était pas proposé par le Président de la République, cependant, la procédure ne relevait pas de l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution dont nous débattons. C’est à croire que l’autorité d’un président de l’Assemblée est plus aisée à mettre en cause par les parlementaires… Remettons en outre ce veto en perspective : il s’agit en effet d’un cas unique.
Pour le groupe Libertés et territoires, le Parlement ne saurait en aucun cas être considéré comme une simple chambre d’enregistrement des décisions du Président de la République et du Gouvernement. De ce point de vue, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire ne sont pas de simples ajustements techniques destinés à tirer les conséquences de mesures prises par des ordonnances récentes – surtout dans le contexte de l’examen de la réforme des retraites pour laquelle le recours aux ordonnances se multipliera, nous obligeant à légiférer sans aucune visibilité, pendant que les partenaires sociaux discuteront du financement.
Cette méthode soulève de profondes interrogations puisque le Parlement est appelé à tirer les conséquences de trois ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées, sur des sujets aussi importants que la police des jeux, la régulation des transports et l’organisation du réseau ferroviaire. Il en va de même pour le changement de mode de nomination au CSA prévu par le projet de loi portant réforme de l’audiovisuel, sur lequel le Parlement n’a pas encore voté.
Il faut donc envisager l’évolution de la procédure actuelle afin de renforcer les prérogatives du Parlement, par exemple en adoptant le principe d’un vote positif aux trois cinquièmes des deux commissions, comme l’a proposé Stéphane Peu en commission, ou, à défaut, la règle du veto à la majorité simple.
Soucieux du respect des prérogatives du Parlement, nous jetons donc sur ce texte un regard nuancé. La parole est à Mme Hélène Zannier. Comme l’a rappelé M. le rapporteur, ce projet de loi organique vise à modifier la liste des emplois concernés par la procédure prévue à l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. Il s’agit de préciser la liste des emplois pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République est soumis au résultat des auditions devant les commissions parlementaires compétentes.
Le projet de loi organique qui nous est présenté a donc une portée essentiellement technique se limitant à la mise à jour des emplois concernés. Il s’agit avant tout de tirer les conséquences d’un certain nombre d’évolutions législatives récentes concernant notamment le statut de La Française des jeux et de la SNCF.
Court et technique, ce projet de loi n’est toutefois pas sans intérêt. Son enjeu tient au contenu de la liste des emplois auxquels la nomination par le Président de la République s’accompagne d’une procédure de contrôle parlementaire. Or le contrôle de l’exécutif est l’une des missions primordiales du Parlement. Il s’exerce notamment par l’audition des candidats dont la nomination à tel ou tel poste à responsabilité est proposée par le Président de la République. Ces auditions donnent aux nominations en question une transparence et une publicité bienvenues. En ce sens, le sujet que nous abordons n’est pas anodin et mérite toute notre attention ; il transcende largement les habituelles oppositions partisanes.
Le projet de loi organique comporte deux points distincts. Le premier concerne l’adaptation de la liste d’emplois concernés aux réformes en cours, c’est-à-dire la suppression d’un certain nombre d’emplois, par exemple à la SNCF ou à La Française des jeux. Le changement de statut de ces organismes nous oblige à modifier la liste des emplois concernés pour prendre acte des évolutions législatives en cours. Cet aspect du texte n’appelle guère de commentaires.
Le deuxième point, au-delà des réformes en cours, est plus général : il porte sur le périmètre des emplois concernés par la procédure prévue à l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. La question de fond consiste à déterminer quels sont les emplois qui, « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », doivent faire l’objet d’un contrôle parlementaire. Par définition, l’appréciation de cette liste est en partie subjective. Il revient donc à l’Assemblée de se prononcer.
Le texte adopté en commission confirme l’ajout à la liste initiale de plusieurs nouveaux emplois. Le Sénat a décidé d’inclure les postes de directeur général de l’OFII et de président de la CADA. À l’Assemblée nationale, sur proposition de l’opposition par amendement, les postes de direction de deux agences sanitaires ont également été inclus lors de l’examen du texte par la commission des lois. Nous nous félicitons de ces ajouts qui enrichiront la liste des emplois faisant l’objet d’une procédure d’audition publique devant les chambres. L’importance qu’ont prise ces organismes publics dans la défense des droits et des libertés ainsi que dans la mise en œuvre de certaines politiques publiques justifie amplement l’exercice du contrôle parlementaire. Nous nous prononcerons donc en faveur de ce projet de loi, avec les ajouts susmentionnés, et nous nous réjouissons qu’il ait donné lieu, au Sénat comme à l’Assemblée, à des enrichissements substantiels qui confirment l’intérêt des parlementaires pour le contrôle de l’action de l’exécutif. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Antoine Savignat. Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire présentés par le Gouvernement ont pour objet d’actualiser la liste des fonctions et emplois concernés par la procédure de nomination que prévoit l’article 13, alinéa 5 de la Constitution, de manière à tirer les conséquences de récentes réformes. Ces dispositions concernent cinquante-deux fonctions.
L’article 2 du projet de loi ordinaire, quant à lui, prolonge jusqu’au 25 janvier 2021 les mandats en cours des six membres de la commission de protection des droits et du collège de la HADOPI, qui expirent courant 2020. En effet, conformément aux dispositions du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, déposé à l’Assemblée nationale le 5 décembre 2019, la HADOPI devrait fusionner avec le CSA pour former une nouvelle instance, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle.
Ces textes de coordination, a priori consensuels, soulèvent un problème de méthode, comme l’a rappelé Philippe Gosselin en commission des lois : le fait de tirer les conséquences dans ce texte d’ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées sur des sujets aussi importants que la police des jeux, la régulation des transports et l’organisation du réseau ferroviaire ne garantit pas le bon fonctionnement d’une démocratie – et, a fortiori, nous répondre qu’il ne s’agit que d’un problème de calendrier parlementaire le garantit encore moins.
De surcroît, en anticipant un projet de loi qui n’est pas encore inscrit à notre ordre du jour, vous présumez de son sort et démontrez ainsi le peu de marge et de considération dont bénéficie le Parlement, alors que la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy, en 2008, visait au contraire à renforcer ses pouvoirs en lui accordant notamment le pouvoir de veto sur certaines nominations proposées par le Président de la République « en raison de leur importance pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».
Cela étant rappelé, nous sommes totalement en phase avec les modifications apportées par le Sénat, à savoir l’élargissement du périmètre de la procédure afin de renforcer le contrôle parlementaire, qu’a complété le groupe de La France insoumise en commission. S’ajoutent ainsi à la liste des fonctions relevant de la procédure de nomination la présidence de la CADA, la direction générale de l’OFII, la direction générale de l’ANSM et celle de l’ANSES. Nous saluons ces extensions et l’accord auquel sont parvenues les deux chambres.
Le groupe LR votera pour le projet de loi ordinaire et le projet de loi organique, dans leur version enrichie. Pour toutes les raisons déjà évoquées, nous nous opposerons à l’amendement du Gouvernement visant à supprimer la CADA de la liste des emplois et fonctions dont la nomination est soumise à l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. La parole est à M. Philippe Latombe. Les projets de lois organique et ordinaire que nous examinons étaient initialement conçus comme des textes techniques visant à tirer les conséquences de diverses réformes intervenues au cours des derniers mois sur l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. Introduite par la réforme constitutionnelle de 2008, cette disposition confère au Parlement un droit de veto sur certaines nominations proposées par le Président de la République « en raison de leur importance pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».
Ce droit de veto s’exerce sous la forme d’une audition par la commission compétente de chacune des deux chambres de la personne dont la nomination est envisagée. À la suite de cette audition, la nomination peut être repoussée selon la règle des trois cinquièmes négatifs.
La loi organique du 23 juillet 2010, que nous nous apprêtons à modifier, fixe une liste d’une cinquantaine d’emplois et de fonctions concernés par cette procédure. Des réformes intervenues récemment invitent à la mettre à jour : c’est pourquoi le projet de loi organique déposé par le Gouvernement vise à substituer l’Autorité nationale des jeux à l’Autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, et à retirer de la liste le président de La Française des jeux, dans le prolongement des réformes adoptées dans la loi Pacte.
D’autre part, la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a institué un groupe public ferroviaire unifié mettant fin à Réseau ferré de France, RFF, qui réunissait trois établissements publics industriels et commerciaux.
Pour tenir compte de cette transformation, le projet de loi organique ajoute le directeur général de la SNCF à la liste des nominations relevant de l’article 13 de la Constitution. Par ailleurs, il modifie l’intitulé de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, devenue au 1er octobre 2019 l’Autorité de régulation des transports.
Tel était donc le périmètre initial du projet de loi organique. Le Sénat a élargi la liste des nominations relevant de l’article 13 de la Constitution, en y incluant le président de la Commission d’accès aux documents administratifs et le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
Notre commission des lois a jugé utile cet apport du Sénat. Elle a en outre, sur proposition du groupe La France insoumise, ajouté à cette liste le directeur général de l’ANSM et celui de l’ANSES. Cet élargissement nous semble opportun, compte tenu du rôle important de ces deux agences, et du caractère sensible des enjeux qu’elles doivent traiter.
Par ailleurs, j’évoquerai l’article 2 du projet de loi ordinaire, qui vise à proroger jusqu’au 25 janvier 2021 le mandat des membres de la HADOPI, dans l’éventualité d’une fusion de celle-ci avec le CSA, qui devrait être débattue dans le cadre de l’examen du futur projet de loi relatif à l’audiovisuel.
Certains ici affirment que voter l’article équivaut à présager de l’issue de celui-ci. Au contraire, c’est faire preuve de réalisme : en prolongeant le mandat précité, nous évitons de procéder à de nouvelles nominations, ce qui permet de réaliser une économie de temps. Si le texte n’est pas voté, cela permettra d’en tirer les conséquences sur les missions des titulaires qu’il faudra nommer alors. Ainsi, ces nominations seront effectuées en toute connaissance de cause.
Si le fond de l’article n’appelle aucune remarque particulière, je tiens à rappeler qu’il faudra faire preuve de prudence, en raison de la non-conformité potentielle de la HADOPI à la jurisprudence « Tele 2 » de la Cour de justice de l’Union européenne, d’après laquelle la conservation généralisée et indifférenciée des métadonnées, même à des fins de lutte contre la criminalité, est contraire au droit communautaire. Plus généralement, il me semble utile de s’interroger, à l’avenir, sur l’efficacité de la HADOPI rapportée à son coût.
Cette précision formulée, et compte tenu des observations qui précèdent, le groupe MODEM et apparentés votera pour les deux textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM. – M. le rapporteur et Mme Hélène Zannier applaudissent également.) La parole est à M. Michel Zumkeller. De prime abord, les deux projets de loi n’appellent pas un grand débat. Ils actualisent simplement la liste des fonctions et emplois pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République, prévu par l’article 13 de la Constitution, s’exerce après avis public des commissions parlementaires compétentes, et ce en vue de tirer les conséquences des réformes récentes. Or, bien loin du toilettage auquel on veut nous faire croire, le projet de loi et le projet de loi organique modifient de façon très substantielle les prérogatives du Parlement.
En premier lieu, le Gouvernement ne nous demande pas uniquement de prendre acte de réformes passées, mais de procéder à des modifications découlant d’ordonnances que nous n’avons ni examinées ni votées, et de textes dont l’adoption ou la ratification ne sont même pas en vue ! De même, la prorogation du mandat des membres du collège de la HADOPI anticipe la réforme de l’audiovisuel, dont l’examen a été reporté à plusieurs reprises.
Outre l’incohérence chronologique de la démarche, le Gouvernement donne l’impression qu’il prend la liberté d’anticiper sur les votes futurs de notre assemblée. Vous comprendrez, madame la secrétaire d’État, que nous contestions une telle méthode, qui nie totalement le rôle du Parlement. Je me permets de rappeler que, conformément à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de légiférer par ordonnances, et que celles-ci ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
Si nous pouvons concevoir le recours à cette procédure particulière s’agissant de textes déjà examinés, il n’est nulle part inscrit dans notre droit que le pouvoir exécutif peut devancer un vote de la représentation nationale sur un texte qui n’est pas même inscrit à l’ordre du jour, quelles que soient les commodités pratiques avancées en guise de justification par M. le rapporteur en commission des lois.
En second lieu, les deux projets de loi prévoient des modifications de la liste des nominations effectuées par le Président de la République et soumises au contrôle du Parlement. Plus particulièrement, le Gouvernement en réduit le nombre s’agissant de la SNCF.
Certes, la réforme ayant transformé la SNCF en société anonyme appelle des ajustements. Toutefois, le changement que le Gouvernement appelle de ses vœux est bien plus radical. En effet, seule la direction de la société nationale SNCF serait désormais soumise au vote des commissions compétentes. Ainsi, le Parlement n’aurait plus aucun droit de regard sur la direction des différentes filiales.
À l’heure actuelle, trois dirigeants de la SNCF sont soumis à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution ; aux termes des textes qui nous sont soumis, il n’en resterait plus qu’un. Le contrôle parlementaire est donc très amoindri. Cette évolution s’avérera encore plus problématique qu’elle ne l’est déjà si la société mère décide de dissocier les fonctions de directeur général, d’une part, et celles de président du conseil d’administration, d’autre part.
En outre, l’ouverture programmée de la SNCF à la concurrence justifie que le Parlement porte un regard accru sur ces nominations. À cet égard, le texte issu du Sénat nous semblait bien plus sage.
Ainsi, ces textes n’ont rien de technique ni d’anodin. Ils révèlent au contraire d’importants choix politiques et doivent être examinés avec le plus grand sérieux. Si l’ajout des nominations à la CADA, à l’OFII, à l’ANSM et à l’ANSES est une bonne chose, les autres dispositions, tant sur la forme que sur le fond, nous empêchent de leur être favorables.
Par principe, nous réfutons tout ce qui pourrait encore amenuiser la raison d’être de la représentation nationale. Chers collègues, je vous invite à bien mesurer le poids de votre vote sur ces questions, afin d’éviter que le Parlement ne participe lui-même à l’affaiblissement de ses pouvoirs. La parole est à M. Stéphane Peu. Présentés par le Gouvernement comme de simples projets de loi de coordination et d’actualisation, les deux textes dont nous débattons soulèvent pourtant de réelles difficultés, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, le projet de loi organique tire les conséquences d’ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées, sur des sujets aussi importants que la police des jeux ou l’organisation du réseau de transports.
En outre, il prend acte – encore mieux que l’anticipation d’un vote de ratification ! – de dispositions législatives n’ayant pas même été adoptées par l’Assemblée nationale, notamment le projet de loi relatif à l’audiovisuel, qui prévoit la fusion de la HADOPI et du CSA. Il s’agit là d’une curieuse méthode, qui témoigne – une fois encore – d’un mépris certain du Parlement !
J’en viens à présent au fond. Les textes du Gouvernement produiront un affaiblissement du contrôle parlementaire sur les nominations à certains emplois publics. Une telle évolution va à l’encontre du rôle confié au Parlement dans ce domaine. Celui-ci est pourtant relativement récent : il résulte de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, dont l’un des effets a été d’encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République.
À l’heure actuelle, ces nominations sont repoussées si l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés en leur sein. À nos yeux, cette disposition est insuffisante.
Nous considérons qu’il est nécessaire d’aller plus loin, en substituant au système de veto en vigueur un système reposant sur la majorité de votes favorables des trois cinquièmes des membres des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Au demeurant, cette proposition de bon sens a été formulée au mois d’octobre 2015, lors de la remise du rapport du groupe de travail de l’Assemblée nationale sur l’avenir des institutions, présidé par MM. Claude Bartolone et Michel Winock.
Or non seulement les textes que nous examinons aujourd’hui ne vont pas dans ce sens, mais ils vont dans le sens contraire, en réduisant le périmètre du contrôle parlementaire sur certains emplois publics pourtant particulièrement importants pour la vie économique et sociale de la nation. Très juste ! S’agissant de La Française des jeux, vous arguerez en toute logique, madame la secrétaire d’État, que la suppression du contrôle de la nomination de son PDG tire les conséquences juridiques de sa privatisation. Mais vous devrez alors nous concéder que c’est aussi en toute logique que nous nous opposons au dessaisissement du Parlement, comme nous nous sommes opposés à la privatisation de La Française des jeux.
J’ajoute que ce dispositif contredit – il suffit de se reporter au compte rendu de nos débats – les propos du ministre Le Maire, qui nous avait assuré, lors de l’examen de la loi PACTE, que l’État, en tout état de cause, demeurerait maître de la gouvernance de La Française des Jeux une fois celle-ci privatisée. Tout à fait ! Quant à la réduction du périmètre du contrôle sur la nomination des dirigeants de la SNCF, elle pose un problème majeur. Avec la réorganisation de celle-ci, une seule personne sera soumise à cette procédure de contrôle, le directeur général de la société nationale, contre trois actuellement.
Le contrôle parlementaire s’en trouvera fragilisé, notamment si la société mère décide de dissocier les fonctions de directeur général, d’une part, et celles de président du conseil d’administration, d’autre part. Dans cette hypothèse, seule la nomination du directeur général sera soumise à l’avis préalable des commissions parlementaires.
Surtout, le Parlement perdra tout droit de regard sur la gouvernance du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire – SNCF Réseau –, ce qui constitue un recul particulièrement inacceptable dans un contexte d’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire.
Certes, nous notons quelques ajouts positifs à la liste des nominations, notamment le président de la Commission d’accès aux documents administratifs et le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, issus des débats et du vote du Sénat. Nous notons également l’insertion dans le tableau annexé au projet de loi organique, en commission des lois, grâce à une initiative du groupe La France insoumise, du directeur général de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé, et de celui de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Toutefois, ces avancées ne modifient pas le regard que nous portons sur le projet de loi organique et sur le projet de loi ordinaire. À nos yeux, tous deux participent à la dévalorisation du Parlement, relégué dans un rôle de chambre d’enregistrement,… Eh oui ! Comme d’habitude ! …et auront pour effet d’affaiblir le contrôle parlementaire sur la nomination des dirigeants d’entreprises stratégiques. Nous en tirerons les conséquences et voterons contre les deux projets de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) La parole est à Mme Danièle Obono. Les deux projets de loi dont nous sommes saisis visent à actualiser la liste des fonctions et emplois pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République, prévu par l’article 13 de la Constitution, s’exerce après avis public des commissions parlementaires compétentes. Nous nous opposons à ces deux textes, pour deux raisons. L’une est d’ordre formel, méthodologique, mais comporte un enjeu démocratique ; l’autre tire les conséquences de notre opposition aux textes à l’application desquels ces projets de loi concourent.
La première raison de notre vote réside dans le fait que le Gouvernement et la majorité nous invitent à tirer les conséquences d’ordonnances qui n’ont pas été ratifiées, ce qui équivaut à partir du principe que la ratification des ordonnances par l’Assemblée nationale n’est qu’une formule de politesse, et non une exigence constitutionnelle.
Cette situation n’est pas sans cause. Le désarmement progressif de l’Assemblée nationale sous la Ve République et la subordination quasi-hiérarchique des membres de la majorité parlementaire à l’exécutif suggèrent que l’Assemblée nationale est là uniquement pour prendre acte des projets de loi, et non pour les écrire, les examiner, les amender et les voter, en accordant ou en refusant des autorisations au Gouvernement pour agir, ou plutôt pour s’offrir des arguments de légitimité, celle-là même dont il manque cruellement.
Je me permets donc de rappeler ici que, au titre de l’article 38 de la Constitution, une ordonnance acquiert le statut permanent de loi si et seulement si l’Assemblée nationale en décide ainsi. Eh oui ! Or tel n’est pas le cas des ordonnances dont le texte débattu ici tire les conséquences, ni de l’ordonnance du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF, ni de celle du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d’argent et de hasard, ni de celle du 24 juillet 2019 relative au régulateur des redevances aéroportuaires. Aucune n’a été ratifiée. À nos yeux, il y a là une parfaite illustration de l’expression « Mettre la charrue avant les bœufs ».
Cette observation m’amène à la seconde raison de notre opposition. Nous nous sommes opposés – et nous continuons à le faire – aux textes dont ces projets de loi tirent les conséquences, car ils privatisent et ouvrent toujours davantage à la concurrence des entreprises dont nous estimons qu’elles devraient demeurer publiques. Je me concentrerai ici sur le cas de la SNCF, et rappellerai les raisons qui motivent notre positionnement.
Tout d’abord, depuis la séparation du réseau ferroviaire et de son exploitation intervenue en 1997, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de redécouper la SNCF, afin d’accroître les parts de ses activités pouvant être mises en concurrence. Ce démantèlement du service public a été réalisé en cohérence et en transposition des directives européennes successives.
Le dernier avatar de cette entreprise continue de démantèlement est le nouveau pacte ferroviaire qu’a fait adopter le Gouvernement. Dès son examen ici même, la majorité et le Gouvernement utilisaient les cheminots et les cheminotes comme boucs émissaires. Nous avions alors pointé du doigt les politiques antiécologiques et antisociales mises en œuvre.
Elles sont antiécologiques, car démanteler la SNCF équivaut à favoriser les déserts du rail, ainsi que l’utilisation obligatoire de la voiture pour les travailleurs et les travailleuses vivant dans les zones périphériques. Cela équivaut à choisir l’austérité plutôt que la planète, pour ainsi dire.
Elles sont antisociales, car le rapport Spinetta, sur lequel le Gouvernement et la majorité se sont largement appuyés pour justifier la transformation de la SNCF en groupe public unifié, se focalisait sur la dette de l’entreprise. En réalité, le Gouvernement prépare la suppression d’un corps de métier dévoué et compétent, celui des cheminots et des cheminotes, et son remplacement par des travailleurs et des travailleuses précaires. Il s’agit d’une entreprise d’accablement des cheminots et des cheminotes.
Quant à la dette, nous ne la considérons pas comme un fléau, mais comme un investissement. Dans ce cas, elle a en outre, rappelons-le, été créée par les choix contestables de la direction en matière de développement ferroviaire.
S’agissant en particulier des nominations à la tête de cette entreprise, le choix que vous avez fait de réduire le périmètre de celles qui seront soumises au contrôle parlementaire montre que vous ne tirez même pas les conséquences des constats que vous établissez pourtant vous-même en vue de la privatisation.
À ces politiques antisociales et antiécologiques, nous opposons des propositions en faveur de la bifurcation écologique, qui nécessiteront un investissement public dans le secteur du rail, et des salariés protégés, avec un statut – ce que demandent en ce moment même les nombreuses et nombreux grévistes, à la SNCF, dans tout le secteur des transports et dans l’ensemble du pays.
Nous notons avec satisfaction l’adoption en commission des lois de nos amendements visant à intégrer parmi celles devant être soumises à l’avis des commissions parlementaires les nominations aux directions générales de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Nous maintenons néanmoins notre opposition à ces deux textes, car nous sommes opposés à la privatisation et à la mise en concurrence, et favorables à un maintien de l’investissement et du contrôle public. La parole est à M. Jean Lassalle. Je ne peux pas prendre la parole, monsieur le président, car je n’ai pas eu le temps de me préparer. Belle honnêteté ! Vous pourrez vous exprimer par la suite, monsieur le député – je salue d’ailleurs en vous mon voisin de circonscription. Je vous salue aussi, monsieur le président ! La discussion générale commune est close.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi organique.
La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement no 1.
Nous présentons à nouveau cet amendement, car il est nécessaire à notre sens de faire figurer parmi celles qui doivent être examinées par le Parlement la nomination à la direction générale de Business France.
Business France est un établissement public à caractère industriel et commercial. Ses missions sont d’aider au développement international des entreprises françaises et de leurs exportations, d’informer et d’accompagner les investisseurs étrangers en France, de promouvoir l’attractivité de notre pays, de ses entreprises et des territoires, de gérer et développer le volontariat international en entreprise, et d’effectuer des actions de coopération internationale en valorisant ses domaines de compétences et en renforçant son influence lors de missions internationales.
Au vu de ce périmètre, il nous semble que la direction de Business France entre dans le champ défini par l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution.
Rappelons en outre que cette structure a connu des scandales. Ainsi, Mme Pénicaud, ancienne directrice générale de Business France et actuelle ministre du travail, est mise en cause pour une procédure d’appel d’offres jugée problématique.
Le Parlement pourrait donc assurer un meilleur encadrement des nominations, une plus grande transparence, un meilleur éclairage sur les personnes nommées. Quel est l’avis de la commission ? Nous avons en effet déjà eu cette discussion. Business France valorise des projets économiques, et se limite pour l’essentiel à mettre en œuvre des politiques publiques du ministère des finances et du ministère des affaires étrangères, à l’inverse des organismes que nous avons accepté d’ajouter dans la nouvelle liste figurant dans le projet de loi organique. Business France n’a ni pouvoir de contrôle, ni moyens de sanction ; aucune indépendance particulière n’est exigée de sa part.
Dès lors, cet établissement ne relève pas à notre sens de l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. Avis défavorable.
Je réponds aussi rapidement aux remarques qui ont été faites durant la discussion générale. Je ne reviens pas sur l’opposition politique, pure et simple, de La France insoumise. Mais, s’agissant des choix concernant la SNCF, la solution adoptée est une solution de bon sens : quand une société anonyme à capitaux publics est unifiée, seul son président-directeur général peut être nommé dans le cadre de la procédure de l’alinéa 5 de l’article 13. Sinon, je le redis, une concurrence de légitimité se ferait jour, puisque nous nommerions ainsi des personnes qui lui sont subordonnées.
Monsieur Peu, un peu de mathématiques : cinquante-deux plus quatre, cela fait cinquante-six… Et je ne vois pas en quoi passer de cinquante-deux à cinquante-six organismes faisant l’objet d’un contrôle parlementaire – ce qui sera le cas grâce au travail que nous avons fourni, et grâce à des amendements qui émanent des deux côtés de l’hémicycle – serait une régression pour le Parlement. Demandez à M. Villani ! (Sourires.) S’agissant enfin de la méthode, critiquée notamment par notre collègue du groupe Les Républicains, nous vous demandons, c’est vrai, de tirer les conséquences d’ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées. Mais c’est dans le seul but de gérer la période intermédiaire qui conduira à la ratification ! C’est seulement un problème de calendrier. Et, bien sûr, le Parlement peut toujours ne pas voter ce qu’il ne voudrait pas voter.
Il s’agit plutôt pour nous de conforter le rôle du Parlement, et en aucun cas de l’affaiblir. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement no 1 ? Avis défavorable. Business France exerce principalement des missions techniques : elle accompagne les entreprises, elle établit des argumentaires pour convaincre les investisseurs de venir en France, elle aide les entreprises françaises à pénétrer sur de nouveaux marchés.
Quant aux affaires que vous évoquez, elles ont été médiatisées mais n’ont pas résisté à l’examen du juge. (L’amendement no 1 n’est pas adopté.) La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement no 4. Cet amendement tend à supprimer la présidence de la Commission d’accès aux documents administratifs de la liste des emplois et fonctions dont la nomination est soumise à la procédure du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Plus que cinquante-cinq, monsieur le rapporteur ! Il s’agit d’un amendement de cohérence. Le Gouvernement s’était déjà opposé à cet ajout et ne souhaite pas que le compromis trouvé en 2017 soit remis en cause. M. le rapporteur l’a très bien dit, nous nous sommes montrés ouverts pour étendre le champ des nominations soumises à l’avis du Parlement. Mais l’ANSES et l’ANSM sont des autorités qui jouent un rôle important sur des sujets qui concernent tous les Français – les médicaments, la sécurité de l’alimentation, l’environnement… – tandis que la CADA est une autorité administrative dont le pouvoir est essentiellement de donner des avis, mais pas de sanctionner. À ce titre, elle ne semble pas relever de l’application stricte de l’article 13, dont je rappelle qu’il vise à défendre les libertés constitutionnelles : nous en sommes, je crois, assez loin. Quel est l’avis de la commission ? Nous comprenons la logique du Gouvernement : s’il maintient la position qu’il a soutenue devant les sénateurs, c’est parce qu’il défend une vision administrative du rôle de la CADA.
Néanmoins, une fois n’est pas coutume, nos avis vont diverger.
La mission essentielle de la CADA est de prendre des décisions qui permettent aux citoyens d’exercer pleinement leurs droits : il s’agit donc bien d’exercer une liberté publique, comme le dispose la Constitution. Elle développe bien une jurisprudence, des doctrines d’accès aux documents administratifs et elle va loin dans les exigences de transparence qu’elle demande à l’administration.
Nous sommes nous-mêmes les produits d’une évolution récente de la société ; et entre 2017 et 2020, les exigences en matière de modernisation et de transparence de l’action publique ont considérablement changé. Le rôle de la CADA a également évolué : pensons à l’open data, aux algorithmes, à la dématérialisation des services publics…
Elle dispose enfin d’un pouvoir de sanction réel en cas de manquement aux règles de réutilisation des informations publiques.
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable à cet amendement. La parole est à M. Philippe Latombe. Le groupe MODEM et apparentés n’est pas favorable à l’amendement du Gouvernement. Le rapporteur a expliqué l’essentiel des raisons de cette opposition.
Aux termes de la Constitution, les nominations examinées par le Parlement ont une particulière importance « pour la garantie des droits et libertés » : c’est bien le cas de la CADA. Celle-ci revêt une importance d’autant plus grande que les demandes de la société évoluent, comme l’a dit notre rapporteur. De plus, l’un des rôles du Parlement est le contrôle du Gouvernement ; c’est bien là un élément essentiel du mandat qui nous a été confié. En tant que parlementaires, nous pouvons donc avoir besoin de la CADA.
Dès lors, nous souhaitons confirmer ce qui a été voté au Sénat : la nomination à la présidence de la CADA doit faire partie de celles qui sont examinées par le Parlement. La parole est à M. Stéphane Peu. Je serai bref, car l’essentiel a été dit. Je souscris aux arguments développés par M. le rapporteur comme par M. Latombe.
J’ajoute qu’hier soir, nous avons déjà vu arriver en séance publique, à la dernière minute, un amendement du Gouvernement qui n’avait pas été présenté en commission. Il ne s’agissait pas d’un amendement mineur, et celui-ci ne l’est pas plus.
La CADA a été ajoutée dans cette liste au Sénat : le Gouvernement avait tout le temps de demander qu’elle en soit supprimée lors des débats en commission. Il ne l’a pas fait, et il dépose un amendement en séance : cette pratique n’est respectueuse ni du travail de la commission des lois, ni du Parlement dans son ensemble.
Enfin, eu égard aux fonctions de la CADA et des exigences de transparence qui s’accentuent chaque jour dans la vie politique, comment imaginer qu’elle n’est pas un outil d’exercice des libertés individuelles ? Dès lors, elle relève bien du champ défini à l’alinéa 5 de l’article 13. La parole est à Mme Hélène Zannier. Le groupe La République en marche est défavorable à l’amendement du Gouvernement.
La CADA élabore une doctrine d’accès aux documents administratifs : son rôle n’est pas seulement consultatif, pas seulement administratif. Elle participe bien à la définition d’une politique de transparence de l’action publique.
Je rappelle qu’aux termes de l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». (L’amendement no 4 n’est pas adopté.) La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir l’amendement no 2. Nous avons, vous vous en souvenez, fermement combattu la privatisation de La Française des jeux, prévue par la loi PACTE, et dont l’alinéa 11 tire les conséquences.
Cet amendement vise à rappeler notre opposition, et à rétablir la nomination à la présidence-direction générale de La Française des jeux parmi celles qui figurent dans cette loi organique, l’État devant garder un contrôle sur cette nomination. Quel est l’avis de la commission ? Du point de vue politique, je peux comprendre l’opposition de La France insoumise à la privatisation de La Française des jeux. Du point de vue juridique, la réforme est déjà actée et il en résulte que la désignation du directeur de La Française des jeux n’est plus soumise à la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution. Mon avis est donc défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable. La discussion sur la privatisation a eu lieu. Cet amendement d’appel, qui est destiné à rappeler la position de La France insoumise, est inopérant puisque nous ne sommes pas habilités à contrôler une société qui a été privatisée. (L’amendement no 2 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement no 3. Je serai brève puisque j’en ai parlé lors de mon intervention dans la discussion générale. Il s’agit, par le biais de la suppression de deux alinéas, de rappeler notre opposition à la privatisation de la SNCF. Celle-ci sera de nouveau à l’ordre du jour dans les mois et années à venir car nous comptons bien revenir sur ce choix politique. Si ce n’est maintenant, cet amendement trouvera toute son utilité dans les prochaines années. Quel est l’avis de la commission ? En vertu du parallélisme des formes, ce qui a été fait pourra demain être défait par une prochaine majorité. Encore faut-il devenir majoritaire !
Quant à la fusion des trois établissements publics industriels et commerciaux en une société unique, je le répète, le texte s’aligne sur le droit commun : seule la nomination du président-directeur général de la société, et non des filiales, fera l’objet d’un contrôle dans le cadre du cinquième alinéa de l’article 13. Je précise toutefois que la nomination du directeur de SNCF Réseau restera soumise à l’Autorité de régulation des transports. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Mon avis est également défavorable, pour les mêmes motifs que le rapporteur. Tel qu’il est rédigé, l’amendement aurait pour effet de supprimer tout contrôle de la personne qui dirige la SNCF, ce qui n’est pas souhaitable. (L’amendement no 3 n’est pas adopté.)
Business France est un établissement public à caractère industriel et commercial. Ses missions sont d’aider au développement international des entreprises françaises et de leurs exportations, d’informer et d’accompagner les investisseurs étrangers en France, de promouvoir l’attractivité de notre pays, de ses entreprises et des territoires, de gérer et développer le volontariat international en entreprise, et d’effectuer des actions de coopération internationale en valorisant ses domaines de compétences et en renforçant son influence lors de missions internationales.
Au vu de ce périmètre, il nous semble que la direction de Business France entre dans le champ défini par l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution.
Rappelons en outre que cette structure a connu des scandales. Ainsi, Mme Pénicaud, ancienne directrice générale de Business France et actuelle ministre du travail, est mise en cause pour une procédure d’appel d’offres jugée problématique.
Le Parlement pourrait donc assurer un meilleur encadrement des nominations, une plus grande transparence, un meilleur éclairage sur les personnes nommées. Quel est l’avis de la commission ? Nous avons en effet déjà eu cette discussion. Business France valorise des projets économiques, et se limite pour l’essentiel à mettre en œuvre des politiques publiques du ministère des finances et du ministère des affaires étrangères, à l’inverse des organismes que nous avons accepté d’ajouter dans la nouvelle liste figurant dans le projet de loi organique. Business France n’a ni pouvoir de contrôle, ni moyens de sanction ; aucune indépendance particulière n’est exigée de sa part.
Dès lors, cet établissement ne relève pas à notre sens de l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution. Avis défavorable.
Je réponds aussi rapidement aux remarques qui ont été faites durant la discussion générale. Je ne reviens pas sur l’opposition politique, pure et simple, de La France insoumise. Mais, s’agissant des choix concernant la SNCF, la solution adoptée est une solution de bon sens : quand une société anonyme à capitaux publics est unifiée, seul son président-directeur général peut être nommé dans le cadre de la procédure de l’alinéa 5 de l’article 13. Sinon, je le redis, une concurrence de légitimité se ferait jour, puisque nous nommerions ainsi des personnes qui lui sont subordonnées.
Monsieur Peu, un peu de mathématiques : cinquante-deux plus quatre, cela fait cinquante-six… Et je ne vois pas en quoi passer de cinquante-deux à cinquante-six organismes faisant l’objet d’un contrôle parlementaire – ce qui sera le cas grâce au travail que nous avons fourni, et grâce à des amendements qui émanent des deux côtés de l’hémicycle – serait une régression pour le Parlement. Demandez à M. Villani ! (Sourires.) S’agissant enfin de la méthode, critiquée notamment par notre collègue du groupe Les Républicains, nous vous demandons, c’est vrai, de tirer les conséquences d’ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées. Mais c’est dans le seul but de gérer la période intermédiaire qui conduira à la ratification ! C’est seulement un problème de calendrier. Et, bien sûr, le Parlement peut toujours ne pas voter ce qu’il ne voudrait pas voter.
Il s’agit plutôt pour nous de conforter le rôle du Parlement, et en aucun cas de l’affaiblir. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement no 1 ? Avis défavorable. Business France exerce principalement des missions techniques : elle accompagne les entreprises, elle établit des argumentaires pour convaincre les investisseurs de venir en France, elle aide les entreprises françaises à pénétrer sur de nouveaux marchés.
Quant aux affaires que vous évoquez, elles ont été médiatisées mais n’ont pas résisté à l’examen du juge. (L’amendement no 1 n’est pas adopté.) La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement no 4. Cet amendement tend à supprimer la présidence de la Commission d’accès aux documents administratifs de la liste des emplois et fonctions dont la nomination est soumise à la procédure du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Plus que cinquante-cinq, monsieur le rapporteur ! Il s’agit d’un amendement de cohérence. Le Gouvernement s’était déjà opposé à cet ajout et ne souhaite pas que le compromis trouvé en 2017 soit remis en cause. M. le rapporteur l’a très bien dit, nous nous sommes montrés ouverts pour étendre le champ des nominations soumises à l’avis du Parlement. Mais l’ANSES et l’ANSM sont des autorités qui jouent un rôle important sur des sujets qui concernent tous les Français – les médicaments, la sécurité de l’alimentation, l’environnement… – tandis que la CADA est une autorité administrative dont le pouvoir est essentiellement de donner des avis, mais pas de sanctionner. À ce titre, elle ne semble pas relever de l’application stricte de l’article 13, dont je rappelle qu’il vise à défendre les libertés constitutionnelles : nous en sommes, je crois, assez loin. Quel est l’avis de la commission ? Nous comprenons la logique du Gouvernement : s’il maintient la position qu’il a soutenue devant les sénateurs, c’est parce qu’il défend une vision administrative du rôle de la CADA.
Néanmoins, une fois n’est pas coutume, nos avis vont diverger.
La mission essentielle de la CADA est de prendre des décisions qui permettent aux citoyens d’exercer pleinement leurs droits : il s’agit donc bien d’exercer une liberté publique, comme le dispose la Constitution. Elle développe bien une jurisprudence, des doctrines d’accès aux documents administratifs et elle va loin dans les exigences de transparence qu’elle demande à l’administration.
Nous sommes nous-mêmes les produits d’une évolution récente de la société ; et entre 2017 et 2020, les exigences en matière de modernisation et de transparence de l’action publique ont considérablement changé. Le rôle de la CADA a également évolué : pensons à l’open data, aux algorithmes, à la dématérialisation des services publics…
Elle dispose enfin d’un pouvoir de sanction réel en cas de manquement aux règles de réutilisation des informations publiques.
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable à cet amendement. La parole est à M. Philippe Latombe. Le groupe MODEM et apparentés n’est pas favorable à l’amendement du Gouvernement. Le rapporteur a expliqué l’essentiel des raisons de cette opposition.
Aux termes de la Constitution, les nominations examinées par le Parlement ont une particulière importance « pour la garantie des droits et libertés » : c’est bien le cas de la CADA. Celle-ci revêt une importance d’autant plus grande que les demandes de la société évoluent, comme l’a dit notre rapporteur. De plus, l’un des rôles du Parlement est le contrôle du Gouvernement ; c’est bien là un élément essentiel du mandat qui nous a été confié. En tant que parlementaires, nous pouvons donc avoir besoin de la CADA.
Dès lors, nous souhaitons confirmer ce qui a été voté au Sénat : la nomination à la présidence de la CADA doit faire partie de celles qui sont examinées par le Parlement. La parole est à M. Stéphane Peu. Je serai bref, car l’essentiel a été dit. Je souscris aux arguments développés par M. le rapporteur comme par M. Latombe.
J’ajoute qu’hier soir, nous avons déjà vu arriver en séance publique, à la dernière minute, un amendement du Gouvernement qui n’avait pas été présenté en commission. Il ne s’agissait pas d’un amendement mineur, et celui-ci ne l’est pas plus.
La CADA a été ajoutée dans cette liste au Sénat : le Gouvernement avait tout le temps de demander qu’elle en soit supprimée lors des débats en commission. Il ne l’a pas fait, et il dépose un amendement en séance : cette pratique n’est respectueuse ni du travail de la commission des lois, ni du Parlement dans son ensemble.
Enfin, eu égard aux fonctions de la CADA et des exigences de transparence qui s’accentuent chaque jour dans la vie politique, comment imaginer qu’elle n’est pas un outil d’exercice des libertés individuelles ? Dès lors, elle relève bien du champ défini à l’alinéa 5 de l’article 13. La parole est à Mme Hélène Zannier. Le groupe La République en marche est défavorable à l’amendement du Gouvernement.
La CADA élabore une doctrine d’accès aux documents administratifs : son rôle n’est pas seulement consultatif, pas seulement administratif. Elle participe bien à la définition d’une politique de transparence de l’action publique.
Je rappelle qu’aux termes de l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». (L’amendement no 4 n’est pas adopté.) La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir l’amendement no 2. Nous avons, vous vous en souvenez, fermement combattu la privatisation de La Française des jeux, prévue par la loi PACTE, et dont l’alinéa 11 tire les conséquences.
Cet amendement vise à rappeler notre opposition, et à rétablir la nomination à la présidence-direction générale de La Française des jeux parmi celles qui figurent dans cette loi organique, l’État devant garder un contrôle sur cette nomination. Quel est l’avis de la commission ? Du point de vue politique, je peux comprendre l’opposition de La France insoumise à la privatisation de La Française des jeux. Du point de vue juridique, la réforme est déjà actée et il en résulte que la désignation du directeur de La Française des jeux n’est plus soumise à la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution. Mon avis est donc défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable. La discussion sur la privatisation a eu lieu. Cet amendement d’appel, qui est destiné à rappeler la position de La France insoumise, est inopérant puisque nous ne sommes pas habilités à contrôler une société qui a été privatisée. (L’amendement no 2 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement no 3. Je serai brève puisque j’en ai parlé lors de mon intervention dans la discussion générale. Il s’agit, par le biais de la suppression de deux alinéas, de rappeler notre opposition à la privatisation de la SNCF. Celle-ci sera de nouveau à l’ordre du jour dans les mois et années à venir car nous comptons bien revenir sur ce choix politique. Si ce n’est maintenant, cet amendement trouvera toute son utilité dans les prochaines années. Quel est l’avis de la commission ? En vertu du parallélisme des formes, ce qui a été fait pourra demain être défait par une prochaine majorité. Encore faut-il devenir majoritaire !
Quant à la fusion des trois établissements publics industriels et commerciaux en une société unique, je le répète, le texte s’aligne sur le droit commun : seule la nomination du président-directeur général de la société, et non des filiales, fera l’objet d’un contrôle dans le cadre du cinquième alinéa de l’article 13. Je précise toutefois que la nomination du directeur de SNCF Réseau restera soumise à l’Autorité de régulation des transports. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Mon avis est également défavorable, pour les mêmes motifs que le rapporteur. Tel qu’il est rédigé, l’amendement aurait pour effet de supprimer tout contrôle de la personne qui dirige la SNCF, ce qui n’est pas souhaitable. (L’amendement no 3 n’est pas adopté.)
Je mets aux voix l’article unique du projet de loi organique.
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi organique.)
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
L’amendement no 1 de M. Ugo Bernalicis est défendu.
(L’amendement no 1, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement de cohérence no 5.
Il est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Avis défavorable, en cohérence avec le débat précédent sur le projet de loi organique.
(L’amendement no 5 n’est pas adopté.)
Les amendements nos 2 de Mme Danièle Obono et 3 de M. Ugo Bernalicis sont défendus.
(Les amendements nos 2 et 3, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
(L’article 1er est adopté.)
(L’article 1er bis est adopté.)
L’amendement no 4 de Mme Danièle Obono est défendu.
(L’amendement no 4, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
(L’article 2 est adopté.)
Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi.
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet (nos 2534, 2583).
Hier soir, l’Assemblée a commencé la discussion des articles de la proposition de loi, s’arrêtant à l’article 1er ter A.
(L’article 1er ter A est adopté.)
Je suis saisi de deux amendements, nos 78 et 34, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 78. J’ai eu l’occasion de le dire en commission, ce serait la moindre des choses que les parents soient informés de ce qui arrive à leurs enfants, a fortiori lorsque ceux-ci sont des victimes. Les parents ont pour premier rôle et premier devoir de protéger leurs enfants. Ce n’est pas à une association que doit être confiée par priorité la mission de protéger un enfant victime de harcèlement. Les parents doivent être les premiers prévenus afin de le réconforter et l’entourer. Il faut faire un peu plus confiance à la cellule familiale pour savoir ce qui est bon pour un enfant victime de harcèlement sur internet.
Question subsidiaire : qui prendra la décision d’informer ou non la famille ? Si c’est le juge, aucun problème, mais de quel droit une association pourrait-elle décider que la famille doit être ou non mise à l’écart ? Cette solution ne me semble pas souhaitable. La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 34. Cet amendement est en discussion commune avec celui de Mme Ménard, mais il est totalement à l’opposé de ce qui vient d’être défendu.
La discussion a déjà eu lieu en commission des lois. Dans certains cas, il paraît nécessaire de permettre au mineur de s’opposer à ce que ses parents ou représentants légaux soient informés de la notification, pour des raisons liées à son intimité. Je reprends l’exemple donné en commission : un enfant visé par un contenu sur internet ayant trait à sa sexualité et ayant demandé à une association de supprimer le message en raison de son caractère homophobe peut ne pas souhaiter que ses parents ou représentants légaux connaissent son orientation sexuelle.
La rédaction du Sénat précise que l’association « informe le mineur et, si cela n’est pas contraire à son intérêt, ses représentants légaux ». La rédaction adoptée à l’initiative de notre rapporteure en commission prévoit plutôt l’information « selon des modalités adaptées à l’intérêt de l’enfant ». Cela signifie que les représentants légaux sont nécessairement informés de l’intervention de l’association et que seules les modalités peuvent être aménagées : les parents sont-ils prévenus par mail, lors d’un entretien, par téléphone, immédiatement ou quelques jours plus tard…
Cette rédaction ne laisse pas la possibilité à l’association de ne pas informer les représentants légaux, alors que le législateur a déjà autorisé les enfants à ne pas prévenir leurs parents notamment en matière d’orientation sexuelle ou de contraception. Elle ne semble pas aller dans le sens souhaité. C’est la raison pour laquelle je propose de revenir à la rédaction du Sénat. La parole est à Mme Laetitia Avia, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission. Ces deux amendements proposent des approches qui sont à mon sens conciliables, et conciliées dans les dispositions adoptées par la commission des lois. Il ne s’agit pas de contourner les parents, mais de s’assurer de la protection de l’intérêt de l’enfant. Avis défavorable. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du numérique, pour donner l’avis du Gouvernement. Même avis. La parole est à M. Philippe Latombe. Cette explication clarifie votre position : vous voulez que les parents soient informés. Or, dans certains cas, l’enfant peut refuser que ceux-ci connaissent son orientation ou ses pratiques sexuelles. Cela a déjà été fait : la délivrance d’une contraception d’urgence sans le consentement des parents, par exemple, est autorisée.
La rédaction proposée restreint la latitude du mineur. Je ne l’avais pas compris ainsi en commission mais désormais les choses sont plus claires. Vous voulez que les parents soient informés, alors que dans certains cas, les mineurs font appel à une association parce qu’ils n’ont pas envie que leurs parents ou représentants légaux soient au courant de leur démarche, qui touche à l’intime. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’interprétation que fait M. Latombe de ce que sont des « modalités adaptées à l’intérêt de l’enfant ». On pourrait soutenir qu’au nom de l’intérêt de l’enfant, dans certains cas, les parents ne doivent pas être informés. Or, je réitère ma question : de quel droit une association pourrait-elle décider qu’il faut informer ou non les responsables de l’enfant ? Ce n’est pas à elle de le faire.
La rédaction n’est pas aboutie. Si l’enfant ne veut pas que ses parents soient informés, il n’appartient pas à l’association de se prononcer. Dans ce cas, on pourrait confier la décision au juge aux affaires familiales, mais celle-ci ne relève certainement pas d’une association qui est exempte de toute responsabilité à l’égard de l’enfant. Ce sont aux parents qu’incombent au premier chef la responsabilité et le rôle de protection de l’enfant. La parole est à M. le secrétaire d’État. Il ressort du débat entre M. Latombe et Mme Ménard que le présent texte n’est pas le lieu d’une modification du cadre de la responsabilité légale des parents à l’égard de leurs enfants.
Le droit commun de la protection de l’enfance permet déjà de ne pas prévenir les parents en cas de danger résultant de leur action ou inaction. Qui en décide ? La rédaction proposée ne remet pas en cause le droit commun. Elle précise seulement que l’information est donnée selon des modalités adaptées à l’intérêt de l’enfant, certains parents pouvant méconnaître le contexte dans lequel leur enfant a pu émettre ou recevoir des messages en ligne. Il ne s’agit nullement de consacrer un nouveau secret vis-à-vis des parents, qui doivent toujours être informés mais dans des conditions propres à la situation et à l’intérêt de l’enfant.
Une discussion peut sans doute être envisagée sur les interactions entre parents et enfants – ce n’est pas ma spécialité – mais je vous propose qu’elle ait lieu dans un cadre plus global et pas limité à internet. Ce texte n’est pas l’outil approprié pour modifier le cadre légal des relations entre parents et enfants. La parole est à M. Philippe Latombe. Monsieur le secrétaire d’État, la rédaction rendra inopérante la faculté donnée aux mineurs de saisir des associations. Pour éviter que leurs représentants légaux soient informés, ils ne s’adresseront pas aux associations. C’est contraire à votre objectif initial, qui était de faciliter le recours aux associations afin qu’elles viennent en aide aux mineurs pour obtenir le retrait d’un contenu. (Les amendements nos 78 et 34, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 99, adopté par la commission. Je reprends en effet cet amendement visant à aligner la rédaction du texte avec celle des conventions internationales en introduisant la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Quel est l’avis du Gouvernement ? Sagesse. (L’amendement no 99 est adopté.) (L’article 1er ter B, amendé, est adopté.)
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 78. J’ai eu l’occasion de le dire en commission, ce serait la moindre des choses que les parents soient informés de ce qui arrive à leurs enfants, a fortiori lorsque ceux-ci sont des victimes. Les parents ont pour premier rôle et premier devoir de protéger leurs enfants. Ce n’est pas à une association que doit être confiée par priorité la mission de protéger un enfant victime de harcèlement. Les parents doivent être les premiers prévenus afin de le réconforter et l’entourer. Il faut faire un peu plus confiance à la cellule familiale pour savoir ce qui est bon pour un enfant victime de harcèlement sur internet.
Question subsidiaire : qui prendra la décision d’informer ou non la famille ? Si c’est le juge, aucun problème, mais de quel droit une association pourrait-elle décider que la famille doit être ou non mise à l’écart ? Cette solution ne me semble pas souhaitable. La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 34. Cet amendement est en discussion commune avec celui de Mme Ménard, mais il est totalement à l’opposé de ce qui vient d’être défendu.
La discussion a déjà eu lieu en commission des lois. Dans certains cas, il paraît nécessaire de permettre au mineur de s’opposer à ce que ses parents ou représentants légaux soient informés de la notification, pour des raisons liées à son intimité. Je reprends l’exemple donné en commission : un enfant visé par un contenu sur internet ayant trait à sa sexualité et ayant demandé à une association de supprimer le message en raison de son caractère homophobe peut ne pas souhaiter que ses parents ou représentants légaux connaissent son orientation sexuelle.
La rédaction du Sénat précise que l’association « informe le mineur et, si cela n’est pas contraire à son intérêt, ses représentants légaux ». La rédaction adoptée à l’initiative de notre rapporteure en commission prévoit plutôt l’information « selon des modalités adaptées à l’intérêt de l’enfant ». Cela signifie que les représentants légaux sont nécessairement informés de l’intervention de l’association et que seules les modalités peuvent être aménagées : les parents sont-ils prévenus par mail, lors d’un entretien, par téléphone, immédiatement ou quelques jours plus tard…
Cette rédaction ne laisse pas la possibilité à l’association de ne pas informer les représentants légaux, alors que le législateur a déjà autorisé les enfants à ne pas prévenir leurs parents notamment en matière d’orientation sexuelle ou de contraception. Elle ne semble pas aller dans le sens souhaité. C’est la raison pour laquelle je propose de revenir à la rédaction du Sénat. La parole est à Mme Laetitia Avia, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission. Ces deux amendements proposent des approches qui sont à mon sens conciliables, et conciliées dans les dispositions adoptées par la commission des lois. Il ne s’agit pas de contourner les parents, mais de s’assurer de la protection de l’intérêt de l’enfant. Avis défavorable. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du numérique, pour donner l’avis du Gouvernement. Même avis. La parole est à M. Philippe Latombe. Cette explication clarifie votre position : vous voulez que les parents soient informés. Or, dans certains cas, l’enfant peut refuser que ceux-ci connaissent son orientation ou ses pratiques sexuelles. Cela a déjà été fait : la délivrance d’une contraception d’urgence sans le consentement des parents, par exemple, est autorisée.
La rédaction proposée restreint la latitude du mineur. Je ne l’avais pas compris ainsi en commission mais désormais les choses sont plus claires. Vous voulez que les parents soient informés, alors que dans certains cas, les mineurs font appel à une association parce qu’ils n’ont pas envie que leurs parents ou représentants légaux soient au courant de leur démarche, qui touche à l’intime. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’interprétation que fait M. Latombe de ce que sont des « modalités adaptées à l’intérêt de l’enfant ». On pourrait soutenir qu’au nom de l’intérêt de l’enfant, dans certains cas, les parents ne doivent pas être informés. Or, je réitère ma question : de quel droit une association pourrait-elle décider qu’il faut informer ou non les responsables de l’enfant ? Ce n’est pas à elle de le faire.
La rédaction n’est pas aboutie. Si l’enfant ne veut pas que ses parents soient informés, il n’appartient pas à l’association de se prononcer. Dans ce cas, on pourrait confier la décision au juge aux affaires familiales, mais celle-ci ne relève certainement pas d’une association qui est exempte de toute responsabilité à l’égard de l’enfant. Ce sont aux parents qu’incombent au premier chef la responsabilité et le rôle de protection de l’enfant. La parole est à M. le secrétaire d’État. Il ressort du débat entre M. Latombe et Mme Ménard que le présent texte n’est pas le lieu d’une modification du cadre de la responsabilité légale des parents à l’égard de leurs enfants.
Le droit commun de la protection de l’enfance permet déjà de ne pas prévenir les parents en cas de danger résultant de leur action ou inaction. Qui en décide ? La rédaction proposée ne remet pas en cause le droit commun. Elle précise seulement que l’information est donnée selon des modalités adaptées à l’intérêt de l’enfant, certains parents pouvant méconnaître le contexte dans lequel leur enfant a pu émettre ou recevoir des messages en ligne. Il ne s’agit nullement de consacrer un nouveau secret vis-à-vis des parents, qui doivent toujours être informés mais dans des conditions propres à la situation et à l’intérêt de l’enfant.
Une discussion peut sans doute être envisagée sur les interactions entre parents et enfants – ce n’est pas ma spécialité – mais je vous propose qu’elle ait lieu dans un cadre plus global et pas limité à internet. Ce texte n’est pas l’outil approprié pour modifier le cadre légal des relations entre parents et enfants. La parole est à M. Philippe Latombe. Monsieur le secrétaire d’État, la rédaction rendra inopérante la faculté donnée aux mineurs de saisir des associations. Pour éviter que leurs représentants légaux soient informés, ils ne s’adresseront pas aux associations. C’est contraire à votre objectif initial, qui était de faciliter le recours aux associations afin qu’elles viennent en aide aux mineurs pour obtenir le retrait d’un contenu. (Les amendements nos 78 et 34, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 99, adopté par la commission. Je reprends en effet cet amendement visant à aligner la rédaction du texte avec celle des conventions internationales en introduisant la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Quel est l’avis du Gouvernement ? Sagesse. (L’amendement no 99 est adopté.) (L’article 1er ter B, amendé, est adopté.)
La parole est à Mme Frédérique Dumas.
La Commission européenne avait pointé un risque de surveillance généralisée lié à la rédaction de l’article 2. Nous estimons que la nouvelle rédaction de cet article comporte toujours, malgré les avancées réelles du Sénat et pour des raisons indirectes, un risque de surveillance généralisée des contenus par les acteurs privés, qu’ils soient des géants mondiaux ou des opérateurs de petite taille. Le fait que vous ayez accepté la suppression du paragraphe 5 bis de l’article 2 adopté par le Sénat comme le suggérait la Commission européenne et l’ajout des mots « le cas échéant » au paragraphe 4 ne suffisent pas, à nos yeux, à totalement écarter ce danger. C’est en effet la conjugaison de l’article 2 avec l’article 1er tel qu’il vient d’être adopté, combinée aux sanctions prévues à l’article 4, qui fait perdurer ce risque.
Cela prouve une fois de plus que c’est bien l’article 1er, avec le refus d’adopter une véritable obligation de moyens, ainsi que l’instauration d’un processus confus, en raison notamment du paragraphe 6, qui pose problème. Je le rappelle, le paragraphe 6 de l’article 1er stipule que « le caractère intentionnel de l’infraction […] peut résulter de l’absence d’examen proportionné et nécessaire du contenu notifié », ce qui ouvre la voie à des contentieux sans fin.
La discussion de l’article 2 nous offre une nouvelle occasion de souligner que le refus d’une législation plus transversale s’attaquant aux racines du mal et le refus d’une législation élaborée au niveau européen vous empêchent de proposer des dispositifs qui permettraient d’atteindre les deux objectifs poursuivis : libérer et protéger. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 2 et 130, tendant à supprimer l’article.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 2. Il s’agit effectivement d’un amendement de suppression, car l’article 2 vise à imposer des obligations de moyens aux grandes plateformes, celles – je reprends les mots que vous avez prononcés en commission, madame la rapporteure – qui existent déjà et brassent des contenus de manière massive. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire hier soir, la taille des plateformes n’a rien à voir avec le caractère plus ou moins grave des propos considérés comme haineux. Je suis même assez abasourdie par cette approche : insulter quelqu’un sur Facebook ou Twitter ne me paraît pas plus grave que de le faire sur des blogs plus confidentiels. Je ne vois donc pas en quoi brasser des contenus de manière massive pourrait avoir une incidence quelconque sur le caractère haineux du propos.
Quand il s’agit de propos manifestement haineux, je ne comprends pas ce qui justifierait de limiter la protection des victimes aux plateformes les plus importantes. C’est en raison de cette incohérence que je propose la suppression de cet article. La parole est à Mme Agnès Thill, pour soutenir l’amendement no 130. La loi de 1881 sur la liberté de la presse donnait au juge et à lui seul les instruments de répression contre les abus de la liberté d’expression tels que les appels au meurtre ou à la violence contre les biens ou les personnes, la diffamation, etc. La Constitution consacre en effet le juge judiciaire comme garant des libertés individuelles. La privatisation du pouvoir judiciaire au bénéfice de sociétés privées étrangères me paraît inacceptable dans un État de droit et dans une démocratie. Je tiens à notre État de droit tel qu’il est : il prévoit enquête, instruction, contradictoire et défense. La question est très simple : souhaitez-vous voir Facebook et Twitter remplacer l’autorité judiciaire ? Ce n’est pas mon cas. Quel est l’avis de la commission ? Il est défavorable et je rappelle que nous discutons ici de l’article 2, lequel concerne les obligations de moyens à charge des plateformes, comme la nécessité d’avoir des modérateurs ou de faire preuve de transparence, afin de lutter contre la haine sur internet. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis que la commission. La parole est à Mme Frédérique Dumas. J’ai précisé, dans mon intervention précédente, que l’article 2 en lui-même peut ne pas poser problème : c’est articulé avec les articles 1er et 4, qui inciteront à un contrôle généralisé, qu’il en posera. (Les amendements identiques nos 2 et 130 ne sont pas adoptés.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 79. Nous devons nous assurer que la censure qu’opéreront les plateformes numériques ne sera pas arbitraire. À l’alinéa 3 de l’article 2, je souhaite préciser que la mise en œuvre des obligations par les opérateurs devra non seulement être proportionnée et nécessaire, mais aussi justifiée.
Les critères de proportionnalité et de nécessité ne sont pas suffisants. Encore faut-il que les mesures mises en œuvre soient également justifiées. Pour la protection de la première de nos libertés, la liberté d’expression, il s’agit de la moindre des choses. Quel est l’avis de la commission ? Il est défavorable, car il me semble que l’objectif poursuivi par cet amendement est atteint avec la rédaction actuelle. (L’amendement no 79, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 141. Cet amendement vise à supprimer la mention de la taille des opérateurs et de la nature du service fourni, au profit d’une autre rédaction permettant de mieux définir le caractère proportionné des mesures. (L’amendement no 141, accepté par le Gouvernement, est adopté.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 80. Cet amendement tend à supprimer l’alinéa 4, qui confère au CSA – Conseil supérieur de l’audiovisuel – des pouvoirs exorbitants, lesquels reviennent normalement et naturellement à la justice. Or le CSA, qui devient aujourd’hui le véritable réceptacle des signalements – autre nom de la délation moderne –, se transforme en arbitre de ce qu’il convient ou non de dire, ce qui est l’exact contraire du principe de liberté d’expression dont les limites ne peuvent être définies que par la loi et ne peuvent être contrôlées que par la justice. Quel est l’avis de la commission ? Selon l’alinéa 4, le CSA émet des recommandations portant sur les moyens techniques que mobiliseront les plateformes. Cette mission n’a jamais figuré parmi les prérogatives de la justice et entre bien dans la fonction de régulateur : le CSA sera donc pleinement dans son rôle. L’avis est donc défavorable. (L’amendement no 80, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) L’amendement no 151 du Gouvernement est rédactionnel. (L’amendement no 151, accepté par la commission, est adopté.) La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement no 114. Afin de lutter réellement contre la diffusion de la haine sur internet, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine considère – nous l’avons déjà dit, mais nous le répétons – que l’État ne doit pas transférer ce qui relève d’une mission de service public à des opérateurs privés.
Nous considérons qu’il reviendra à l’État d’intervenir dans la procédure et de mener une politique pénale ambitieuse en la matière. Dans cette perspective, nous proposons, par cet amendement, que, lorsqu’un contenu contraire à la loi est signalé par un individu aux opérateurs, ce signalement soit transmis sans délai à la plateforme PHAROS – plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements –, c’est-à-dire à une plateforme publique.
En faisant intervenir la plateforme PHAROS dans la procédure, nous permettrions que les opérateurs ne soient pas les seuls juges de ce qui est manifestement illicite et qu’ils ne soient pas laissés seuls décideurs des suites à donner aux notifications qui leur sont transmises. Quel est l’avis de la commission ? Je partage pleinement, monsieur le député, l’objectif que vous visez par cet amendement. Le 9o de l’article 3 est à cet égard ainsi rédigé : « [Les opérateurs de plateforme en ligne] informent promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités contrevenant aux dispositions mentionnées au premier alinéa du I de l’article 6-2 [de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique] qui leur seraient notifiées et qu’exerceraient les destinataires de leurs services ».
Le dispositif que vous évoquez est donc déjà précisé à cet alinéa. Nous ne faisons pas nommément référence à PHAROS, car cette plateforme n’a pas d’existence légale ; c’est pourquoi il est simplement fait mention d’autorités compétentes. Je demande donc le retrait de votre amendement qui est satisfait. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis que la commission. (L’amendement no 114 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Caroline Abadie, pour soutenir l’amendement no 133. Dans la mesure où l’obligation de retrait des contenus manifestement haineux par les plateformes à fort trafic dans un délai de vingt-quatre heures a été rétablie par l’Assemblée nationale après avoir été supprimée au Sénat, cet amendement vise à également rétablir l’horodatage de cette infraction. Quel est l’avis de la commission ? Il est d’autant plus favorable que cette mesure permet de rassembler les éléments qui serviront de preuves lors de la poursuite des auteurs de contenus haineux. (L’amendement no 133, accepté par le Gouvernement, est adopté.) L’amendement no 142 de Mme la rapporteure est rédactionnel. (L’amendement no 142, accepté par le Gouvernement, est adopté.) Je suis saisi de deux amendements, nos 118 et 105, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour soutenir l’amendement no 118. Je reviendrai une nouvelle fois sur les contenus gris. Au fond, l’alinéa 6 précise clairement que nous allons demander aux acteurs privés d’être juges du caractère illicite des contenus. Soit les acteurs privés décident de retirer un contenu notifié et, le cas échéant, ils informent l’auteur des suites données, soit ils ne retirent pas le contenu et ils en informent la personne l’ayant notifié. Dans les deux cas, ces acteurs privés jugent du caractère manifestement illégal – ou non – des contenus.
J’affirme pour ma part que, dans certains cas, ils pourront avoir des doutes. C’est ce que j’appelle le contenu gris. Mon amendement vise à prévoir un troisième cas de figure selon lequel, en cas de doute, les acteurs privés peuvent saisir le CSA – qui pourra lui-même faire appel à des experts – afin de recueillir son avis pour décider de retirer ou non un contenu.
Il conviendra naturellement de sanctionner toute saisine abusive du CSA, mais cette mesure me paraît être de nature à clarifier la rédaction du texte et à régler une fois pour toutes la question des contenus gris. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement no 105. Je souhaiterais éviter que Mme la rapporteure ne me renvoie, comme pour mon amendement précédent, à l’article 3 ! J’ai évidemment lu cet article, qui astreint les opérateurs de plateforme en ligne à fort trafic à une information générale s’agissant des voies de recours.
Or l’amendement que je propose vise, pour assurer le respect de la liberté d’expression contre des risques de retrait excessif des contenus par les opérateurs, que l’information soit fournie dans le cadre de la procédure afin de permettre un échange contradictoire.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine considère qu’on lutte plus efficacement contre des propos et idées particulièrement haineux par le débat contradictoire que par l’interdiction hâtive de leur expression. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ? Les deux amendements sont de nature différente.
Vous reprenez, madame de La Raudière, un débat que nous avons eu hier. Le rôle du CSA sera non pas d’examiner et d’apprécier des contenus individuels au cas par cas, mais de se préoccuper de l’organisation et des moyens mis en œuvre par les plateformes. Ce point a été clarifié dans le texte.
Si la plateforme a un doute sur un contenu – nous ne nions pas que le doute puisse exister –, l’acteur compétent sera non pas le CSA, mais le juge. Or, je vous l’ai indiqué hier, la loi permet déjà à une plateforme de saisir le juge en référé pour obtenir une information sur un contenu, possibilité qu’elle conservera demain. J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement no 118 .
Monsieur Peu, je vous renvoie non pas à l’article 3, mais à l’article 2, alinéa 9 : « Lorsque [les opérateurs] décident de retirer ou rendre inaccessible un contenu notifié et qu’ils disposent des informations pour contacter l’utilisateur à l’origine de la publication du contenu retiré ou rendu inaccessible, » ils mettent en œuvre des dispositifs de contre-notification et d’appel permettant « à cet utilisateur d’être informé de cette décision et des raisons qui l’ont motivée, ainsi que de la possibilité de la contester. Ils rappellent également à l’utilisateur à l’origine de la publication que des sanctions civiles et pénales sont encourues pour la publication de contenus illicites. »
Tout est prévu, et il s’agit bien d’une information individuelle. L’utilisateur sera destinataire de tous les éléments pertinents. Je vous demande donc de retirer l’amendement no 105. Quel est l’avis du Gouvernement ? Madame de La Raudière, nous continuons à avoir une appréciation divergente des effets de l’article 1er et de la manière dont il se coordonne avec l’article 2. Mme la rapporteure l’a dit, il ne faut surtout pas que le CSA ait à se prononcer sur les cas individuels ; il doit s’en tenir à une appréciation des mécanismes de modération systémiques, même s’il aura probablement pour mission d’informer l’ensemble des plateformes de l’état de la jurisprudence. Gardons la cohérence du dispositif. Nous avons quelques débats à ce sujet et nous allons d’ailleurs les poursuivre. La parole est à Mme Frédérique Dumas. Je reviens à mon tour sur les contenus gris. Il est exact que le CSA ne souhaite pas – il l’a dit lui-même – avoir à connaître des cas individuels, à la fois parce qu’il n’est pas armé juridiquement à cette fin et parce qu’il n’a pas les moyens de statuer sur ces cas. Dès lors, vous dites que cette tâche reviendra aux plateformes,… Ce n’est pas ce que nous disons ! …ce qui impliquerait qu’elles soient capables de faire ce que le CSA ne veut pas faire.
Vous ajoutez, pour relativiser, que les plateformes peuvent saisir le juge si elles ont un doute. Or, par essence, les signalements de contenus gris seront très nombreux. Une plateforme ne pourra donc pas saisir le juge à propos de tous les contenus gris ou douteux qui lui seront signalés et obtenir une réponse en temps et en heure. Je le répète, le dispositif n’est pas opérationnel. (Les amendements nos 118 et 105, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 31. Je l’ai déjà défendu en commission, madame la rapporteure, et vous m’avez répondu alors qu’il était satisfait. Il vise à clarifier la rédaction de l’alinéa 7 : « [les opérateurs] mettent en œuvre les procédures et les moyens humains et, le cas échéant, technologiques proportionnés permettant de garantir le traitement dans les meilleurs délais des notifications reçues ». Cela peut signifier que, dans certains cas, seule la technologie permettra de modérer les contenus.
Je prends un exemple : une plateforme décide de retirer un tweet jugé illicite qui lui a été signalé ; dès lors, l’algorithme, à qui on aura appris que ce tweet est illicite, le reconnaîtra et le supprimera automatiquement dès qu’il le verra passer. Or un journaliste pourrait souhaiter utiliser une version floutée de ce tweet – cela se fait notamment à la télévision – pour illustrer son propos, sans pour autant donner accès à son contenu.
Je propose de préciser que les moyens technologiques ne peuvent être qu’une aide, et rien d’autre. La rédaction deviendrait : « le cas échéant, à l’aide de technologies proportionnées ». Il est clair qu’aucun algorithme ne peut prendre de décision tout seul ; c’est un fondement de notre droit depuis l’adoption du règlement général sur la protection des données. Quel est l’avis de la commission ? Nous avons déjà eu ce débat sémantique en commission. Je crois que vous faites une confusion entre les expressions « le cas échéant » et « à défaut ». « Le cas échéant » signifie « si nécessaire ». La rédaction n’implique pas que l’on pourra recourir à un traitement algorithmique à 100 %. Mon avis est donc défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Philippe Latombe. Je regrette, madame la rapporteure, mais je n’ai pas employé l’expression « à défaut ». Selon le dictionnaire, « le cas échéant » signifie « si l’occasion se présente ». Comme vous m’aviez déjà fait cette objection en commission, j’ai interrogé, par honnêteté intellectuelle, une dizaine de professeurs de français et universitaires spécialistes de linguistique. D’après les trois quarts d’entre eux, compte tenu des « et » et de l’expression « le cas échéant », la phrase indique que, si jamais les plateformes ne disposent pas des moyens humains adéquats, elles pourront recourir uniquement à des moyens technologiques.
Je défends donc de nouveau cet amendement, non pour vous embêter, mais pour clarifier la rédaction. En insérant les termes « à l’aide de », nous fixerions clairement les choses dès le début et nous éviterons, à terme, des problèmes de jurisprudence ; la question que je soulève ne se poserait plus. (L’amendement no 31 n’est pas adopté.) L’amendement no 81 de Mme Emmanuelle Ménard est défendu. (L’amendement no 81, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) L’amendement no 143 de Mme Laetitia Avia est rédactionnel. (L’amendement no 143, accepté par le Gouvernement, est adopté.) La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour soutenir l’amendement no 120. Je le retire, monsieur le président. (L’amendement no 120 est retiré.) Je suis saisi de deux amendements, nos 27 et 30, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour les soutenir. Pour la énième fois, je défends des amendements qui visent à équilibrer le dispositif. Stéphane Peu a fait lui aussi quelques tentatives en ce sens.
Nous allons obliger les plateformes à retirer un contenu illicite dans les vingt-quatre heures après son signalement. Dans un souci de parallélisme, je propose que les plateformes aient l’obligation de statuer dans le même délai sur la contestation d’une décision de non-retrait. Tel est l’objet de l’amendement no 27.
Par l’amendement no 30, je propose de rappeler à l’article 2, comme cela a été fait à l’article 1er, que le juge peut être saisi, même si nous faisons là du droit bavard – je reprends vos termes, madame la rapporteure.
Pour établir un équilibre, il convient d’imposer aux plateformes de statuer dans les vingt-quatre heures sur la contestation d’une décision de non-retrait, ce qui permettrait ensuite à l’intéressé de saisir le juge. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ? J’émets un avis défavorable sur l’amendement no 27. Dans ce cas de figure, l’examen auquel doit procéder la plateforme et les éventuels échanges avec la personne concernée peuvent nécessiter une durée supérieure à vingt-quatre heures. Par définition, il s’agit d’une situation de conflit.
Mon avis est également défavorable sur l’amendement no 30. Vous visez le tribunal ayant compétence exclusive pour connaître des actions en matière de propriété littéraire et artistique. Or il ne s’agit pas nécessairement du tribunal compétent en la matière. (Les amendements nos 27 et 30, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour soutenir l’amendement no 89. Avec ce projet de loi – je l’ai indiqué lors de la discussion générale –, on ne lutte pas contre la haine en ligne ; on la cache en supprimant les contenus. Pour rendre le texte plus effectif et lutter réellement contre la haine en ligne, il faut avoir les moyens de poursuivre les auteurs des contenus haineux.
Je souhaite donc que l’on rétablisse l’alinéa 12 dans la rédaction adoptée par le Sénat. Il s’agit d’obliger les plateformes à conserver les données d’identification des auteurs de contenus haineux, afin de pouvoir les retrouver en cas de nécessité dans le cadre d’une procédure judiciaire. Quel est l’avis de la commission ? Le II de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoit déjà que les éléments d’identification des utilisateurs doivent être conservés. Il est applicable en l’espèce.
Le Sénat avait déplacé la disposition relative aux obligations de conservation. Nous l’avons réintroduite à l’article 1er, que nous avons adopté hier soir. Merci, madame la rapporteure. Je retire l’amendement, avant même que le Gouvernement ne donne son avis. Merci, madame de La Raudière ! (L’amendement no 89 est retiré.) L’amendement no 90 de Mme Laure de La Raudière est défendu. (L’amendement no 90, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) (L’article 2, amendé, est adopté.)
Cela prouve une fois de plus que c’est bien l’article 1er, avec le refus d’adopter une véritable obligation de moyens, ainsi que l’instauration d’un processus confus, en raison notamment du paragraphe 6, qui pose problème. Je le rappelle, le paragraphe 6 de l’article 1er stipule que « le caractère intentionnel de l’infraction […] peut résulter de l’absence d’examen proportionné et nécessaire du contenu notifié », ce qui ouvre la voie à des contentieux sans fin.
La discussion de l’article 2 nous offre une nouvelle occasion de souligner que le refus d’une législation plus transversale s’attaquant aux racines du mal et le refus d’une législation élaborée au niveau européen vous empêchent de proposer des dispositifs qui permettraient d’atteindre les deux objectifs poursuivis : libérer et protéger. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 2 et 130, tendant à supprimer l’article.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 2. Il s’agit effectivement d’un amendement de suppression, car l’article 2 vise à imposer des obligations de moyens aux grandes plateformes, celles – je reprends les mots que vous avez prononcés en commission, madame la rapporteure – qui existent déjà et brassent des contenus de manière massive. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire hier soir, la taille des plateformes n’a rien à voir avec le caractère plus ou moins grave des propos considérés comme haineux. Je suis même assez abasourdie par cette approche : insulter quelqu’un sur Facebook ou Twitter ne me paraît pas plus grave que de le faire sur des blogs plus confidentiels. Je ne vois donc pas en quoi brasser des contenus de manière massive pourrait avoir une incidence quelconque sur le caractère haineux du propos.
Quand il s’agit de propos manifestement haineux, je ne comprends pas ce qui justifierait de limiter la protection des victimes aux plateformes les plus importantes. C’est en raison de cette incohérence que je propose la suppression de cet article. La parole est à Mme Agnès Thill, pour soutenir l’amendement no 130. La loi de 1881 sur la liberté de la presse donnait au juge et à lui seul les instruments de répression contre les abus de la liberté d’expression tels que les appels au meurtre ou à la violence contre les biens ou les personnes, la diffamation, etc. La Constitution consacre en effet le juge judiciaire comme garant des libertés individuelles. La privatisation du pouvoir judiciaire au bénéfice de sociétés privées étrangères me paraît inacceptable dans un État de droit et dans une démocratie. Je tiens à notre État de droit tel qu’il est : il prévoit enquête, instruction, contradictoire et défense. La question est très simple : souhaitez-vous voir Facebook et Twitter remplacer l’autorité judiciaire ? Ce n’est pas mon cas. Quel est l’avis de la commission ? Il est défavorable et je rappelle que nous discutons ici de l’article 2, lequel concerne les obligations de moyens à charge des plateformes, comme la nécessité d’avoir des modérateurs ou de faire preuve de transparence, afin de lutter contre la haine sur internet. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis que la commission. La parole est à Mme Frédérique Dumas. J’ai précisé, dans mon intervention précédente, que l’article 2 en lui-même peut ne pas poser problème : c’est articulé avec les articles 1er et 4, qui inciteront à un contrôle généralisé, qu’il en posera. (Les amendements identiques nos 2 et 130 ne sont pas adoptés.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 79. Nous devons nous assurer que la censure qu’opéreront les plateformes numériques ne sera pas arbitraire. À l’alinéa 3 de l’article 2, je souhaite préciser que la mise en œuvre des obligations par les opérateurs devra non seulement être proportionnée et nécessaire, mais aussi justifiée.
Les critères de proportionnalité et de nécessité ne sont pas suffisants. Encore faut-il que les mesures mises en œuvre soient également justifiées. Pour la protection de la première de nos libertés, la liberté d’expression, il s’agit de la moindre des choses. Quel est l’avis de la commission ? Il est défavorable, car il me semble que l’objectif poursuivi par cet amendement est atteint avec la rédaction actuelle. (L’amendement no 79, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 141. Cet amendement vise à supprimer la mention de la taille des opérateurs et de la nature du service fourni, au profit d’une autre rédaction permettant de mieux définir le caractère proportionné des mesures. (L’amendement no 141, accepté par le Gouvernement, est adopté.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 80. Cet amendement tend à supprimer l’alinéa 4, qui confère au CSA – Conseil supérieur de l’audiovisuel – des pouvoirs exorbitants, lesquels reviennent normalement et naturellement à la justice. Or le CSA, qui devient aujourd’hui le véritable réceptacle des signalements – autre nom de la délation moderne –, se transforme en arbitre de ce qu’il convient ou non de dire, ce qui est l’exact contraire du principe de liberté d’expression dont les limites ne peuvent être définies que par la loi et ne peuvent être contrôlées que par la justice. Quel est l’avis de la commission ? Selon l’alinéa 4, le CSA émet des recommandations portant sur les moyens techniques que mobiliseront les plateformes. Cette mission n’a jamais figuré parmi les prérogatives de la justice et entre bien dans la fonction de régulateur : le CSA sera donc pleinement dans son rôle. L’avis est donc défavorable. (L’amendement no 80, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) L’amendement no 151 du Gouvernement est rédactionnel. (L’amendement no 151, accepté par la commission, est adopté.) La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement no 114. Afin de lutter réellement contre la diffusion de la haine sur internet, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine considère – nous l’avons déjà dit, mais nous le répétons – que l’État ne doit pas transférer ce qui relève d’une mission de service public à des opérateurs privés.
Nous considérons qu’il reviendra à l’État d’intervenir dans la procédure et de mener une politique pénale ambitieuse en la matière. Dans cette perspective, nous proposons, par cet amendement, que, lorsqu’un contenu contraire à la loi est signalé par un individu aux opérateurs, ce signalement soit transmis sans délai à la plateforme PHAROS – plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements –, c’est-à-dire à une plateforme publique.
En faisant intervenir la plateforme PHAROS dans la procédure, nous permettrions que les opérateurs ne soient pas les seuls juges de ce qui est manifestement illicite et qu’ils ne soient pas laissés seuls décideurs des suites à donner aux notifications qui leur sont transmises. Quel est l’avis de la commission ? Je partage pleinement, monsieur le député, l’objectif que vous visez par cet amendement. Le 9o de l’article 3 est à cet égard ainsi rédigé : « [Les opérateurs de plateforme en ligne] informent promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités contrevenant aux dispositions mentionnées au premier alinéa du I de l’article 6-2 [de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique] qui leur seraient notifiées et qu’exerceraient les destinataires de leurs services ».
Le dispositif que vous évoquez est donc déjà précisé à cet alinéa. Nous ne faisons pas nommément référence à PHAROS, car cette plateforme n’a pas d’existence légale ; c’est pourquoi il est simplement fait mention d’autorités compétentes. Je demande donc le retrait de votre amendement qui est satisfait. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis que la commission. (L’amendement no 114 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Caroline Abadie, pour soutenir l’amendement no 133. Dans la mesure où l’obligation de retrait des contenus manifestement haineux par les plateformes à fort trafic dans un délai de vingt-quatre heures a été rétablie par l’Assemblée nationale après avoir été supprimée au Sénat, cet amendement vise à également rétablir l’horodatage de cette infraction. Quel est l’avis de la commission ? Il est d’autant plus favorable que cette mesure permet de rassembler les éléments qui serviront de preuves lors de la poursuite des auteurs de contenus haineux. (L’amendement no 133, accepté par le Gouvernement, est adopté.) L’amendement no 142 de Mme la rapporteure est rédactionnel. (L’amendement no 142, accepté par le Gouvernement, est adopté.) Je suis saisi de deux amendements, nos 118 et 105, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour soutenir l’amendement no 118. Je reviendrai une nouvelle fois sur les contenus gris. Au fond, l’alinéa 6 précise clairement que nous allons demander aux acteurs privés d’être juges du caractère illicite des contenus. Soit les acteurs privés décident de retirer un contenu notifié et, le cas échéant, ils informent l’auteur des suites données, soit ils ne retirent pas le contenu et ils en informent la personne l’ayant notifié. Dans les deux cas, ces acteurs privés jugent du caractère manifestement illégal – ou non – des contenus.
J’affirme pour ma part que, dans certains cas, ils pourront avoir des doutes. C’est ce que j’appelle le contenu gris. Mon amendement vise à prévoir un troisième cas de figure selon lequel, en cas de doute, les acteurs privés peuvent saisir le CSA – qui pourra lui-même faire appel à des experts – afin de recueillir son avis pour décider de retirer ou non un contenu.
Il conviendra naturellement de sanctionner toute saisine abusive du CSA, mais cette mesure me paraît être de nature à clarifier la rédaction du texte et à régler une fois pour toutes la question des contenus gris. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement no 105. Je souhaiterais éviter que Mme la rapporteure ne me renvoie, comme pour mon amendement précédent, à l’article 3 ! J’ai évidemment lu cet article, qui astreint les opérateurs de plateforme en ligne à fort trafic à une information générale s’agissant des voies de recours.
Or l’amendement que je propose vise, pour assurer le respect de la liberté d’expression contre des risques de retrait excessif des contenus par les opérateurs, que l’information soit fournie dans le cadre de la procédure afin de permettre un échange contradictoire.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine considère qu’on lutte plus efficacement contre des propos et idées particulièrement haineux par le débat contradictoire que par l’interdiction hâtive de leur expression. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ? Les deux amendements sont de nature différente.
Vous reprenez, madame de La Raudière, un débat que nous avons eu hier. Le rôle du CSA sera non pas d’examiner et d’apprécier des contenus individuels au cas par cas, mais de se préoccuper de l’organisation et des moyens mis en œuvre par les plateformes. Ce point a été clarifié dans le texte.
Si la plateforme a un doute sur un contenu – nous ne nions pas que le doute puisse exister –, l’acteur compétent sera non pas le CSA, mais le juge. Or, je vous l’ai indiqué hier, la loi permet déjà à une plateforme de saisir le juge en référé pour obtenir une information sur un contenu, possibilité qu’elle conservera demain. J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement no 118 .
Monsieur Peu, je vous renvoie non pas à l’article 3, mais à l’article 2, alinéa 9 : « Lorsque [les opérateurs] décident de retirer ou rendre inaccessible un contenu notifié et qu’ils disposent des informations pour contacter l’utilisateur à l’origine de la publication du contenu retiré ou rendu inaccessible, » ils mettent en œuvre des dispositifs de contre-notification et d’appel permettant « à cet utilisateur d’être informé de cette décision et des raisons qui l’ont motivée, ainsi que de la possibilité de la contester. Ils rappellent également à l’utilisateur à l’origine de la publication que des sanctions civiles et pénales sont encourues pour la publication de contenus illicites. »
Tout est prévu, et il s’agit bien d’une information individuelle. L’utilisateur sera destinataire de tous les éléments pertinents. Je vous demande donc de retirer l’amendement no 105. Quel est l’avis du Gouvernement ? Madame de La Raudière, nous continuons à avoir une appréciation divergente des effets de l’article 1er et de la manière dont il se coordonne avec l’article 2. Mme la rapporteure l’a dit, il ne faut surtout pas que le CSA ait à se prononcer sur les cas individuels ; il doit s’en tenir à une appréciation des mécanismes de modération systémiques, même s’il aura probablement pour mission d’informer l’ensemble des plateformes de l’état de la jurisprudence. Gardons la cohérence du dispositif. Nous avons quelques débats à ce sujet et nous allons d’ailleurs les poursuivre. La parole est à Mme Frédérique Dumas. Je reviens à mon tour sur les contenus gris. Il est exact que le CSA ne souhaite pas – il l’a dit lui-même – avoir à connaître des cas individuels, à la fois parce qu’il n’est pas armé juridiquement à cette fin et parce qu’il n’a pas les moyens de statuer sur ces cas. Dès lors, vous dites que cette tâche reviendra aux plateformes,… Ce n’est pas ce que nous disons ! …ce qui impliquerait qu’elles soient capables de faire ce que le CSA ne veut pas faire.
Vous ajoutez, pour relativiser, que les plateformes peuvent saisir le juge si elles ont un doute. Or, par essence, les signalements de contenus gris seront très nombreux. Une plateforme ne pourra donc pas saisir le juge à propos de tous les contenus gris ou douteux qui lui seront signalés et obtenir une réponse en temps et en heure. Je le répète, le dispositif n’est pas opérationnel. (Les amendements nos 118 et 105, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 31. Je l’ai déjà défendu en commission, madame la rapporteure, et vous m’avez répondu alors qu’il était satisfait. Il vise à clarifier la rédaction de l’alinéa 7 : « [les opérateurs] mettent en œuvre les procédures et les moyens humains et, le cas échéant, technologiques proportionnés permettant de garantir le traitement dans les meilleurs délais des notifications reçues ». Cela peut signifier que, dans certains cas, seule la technologie permettra de modérer les contenus.
Je prends un exemple : une plateforme décide de retirer un tweet jugé illicite qui lui a été signalé ; dès lors, l’algorithme, à qui on aura appris que ce tweet est illicite, le reconnaîtra et le supprimera automatiquement dès qu’il le verra passer. Or un journaliste pourrait souhaiter utiliser une version floutée de ce tweet – cela se fait notamment à la télévision – pour illustrer son propos, sans pour autant donner accès à son contenu.
Je propose de préciser que les moyens technologiques ne peuvent être qu’une aide, et rien d’autre. La rédaction deviendrait : « le cas échéant, à l’aide de technologies proportionnées ». Il est clair qu’aucun algorithme ne peut prendre de décision tout seul ; c’est un fondement de notre droit depuis l’adoption du règlement général sur la protection des données. Quel est l’avis de la commission ? Nous avons déjà eu ce débat sémantique en commission. Je crois que vous faites une confusion entre les expressions « le cas échéant » et « à défaut ». « Le cas échéant » signifie « si nécessaire ». La rédaction n’implique pas que l’on pourra recourir à un traitement algorithmique à 100 %. Mon avis est donc défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Philippe Latombe. Je regrette, madame la rapporteure, mais je n’ai pas employé l’expression « à défaut ». Selon le dictionnaire, « le cas échéant » signifie « si l’occasion se présente ». Comme vous m’aviez déjà fait cette objection en commission, j’ai interrogé, par honnêteté intellectuelle, une dizaine de professeurs de français et universitaires spécialistes de linguistique. D’après les trois quarts d’entre eux, compte tenu des « et » et de l’expression « le cas échéant », la phrase indique que, si jamais les plateformes ne disposent pas des moyens humains adéquats, elles pourront recourir uniquement à des moyens technologiques.
Je défends donc de nouveau cet amendement, non pour vous embêter, mais pour clarifier la rédaction. En insérant les termes « à l’aide de », nous fixerions clairement les choses dès le début et nous éviterons, à terme, des problèmes de jurisprudence ; la question que je soulève ne se poserait plus. (L’amendement no 31 n’est pas adopté.) L’amendement no 81 de Mme Emmanuelle Ménard est défendu. (L’amendement no 81, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) L’amendement no 143 de Mme Laetitia Avia est rédactionnel. (L’amendement no 143, accepté par le Gouvernement, est adopté.) La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour soutenir l’amendement no 120. Je le retire, monsieur le président. (L’amendement no 120 est retiré.) Je suis saisi de deux amendements, nos 27 et 30, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour les soutenir. Pour la énième fois, je défends des amendements qui visent à équilibrer le dispositif. Stéphane Peu a fait lui aussi quelques tentatives en ce sens.
Nous allons obliger les plateformes à retirer un contenu illicite dans les vingt-quatre heures après son signalement. Dans un souci de parallélisme, je propose que les plateformes aient l’obligation de statuer dans le même délai sur la contestation d’une décision de non-retrait. Tel est l’objet de l’amendement no 27.
Par l’amendement no 30, je propose de rappeler à l’article 2, comme cela a été fait à l’article 1er, que le juge peut être saisi, même si nous faisons là du droit bavard – je reprends vos termes, madame la rapporteure.
Pour établir un équilibre, il convient d’imposer aux plateformes de statuer dans les vingt-quatre heures sur la contestation d’une décision de non-retrait, ce qui permettrait ensuite à l’intéressé de saisir le juge. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ? J’émets un avis défavorable sur l’amendement no 27. Dans ce cas de figure, l’examen auquel doit procéder la plateforme et les éventuels échanges avec la personne concernée peuvent nécessiter une durée supérieure à vingt-quatre heures. Par définition, il s’agit d’une situation de conflit.
Mon avis est également défavorable sur l’amendement no 30. Vous visez le tribunal ayant compétence exclusive pour connaître des actions en matière de propriété littéraire et artistique. Or il ne s’agit pas nécessairement du tribunal compétent en la matière. (Les amendements nos 27 et 30, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour soutenir l’amendement no 89. Avec ce projet de loi – je l’ai indiqué lors de la discussion générale –, on ne lutte pas contre la haine en ligne ; on la cache en supprimant les contenus. Pour rendre le texte plus effectif et lutter réellement contre la haine en ligne, il faut avoir les moyens de poursuivre les auteurs des contenus haineux.
Je souhaite donc que l’on rétablisse l’alinéa 12 dans la rédaction adoptée par le Sénat. Il s’agit d’obliger les plateformes à conserver les données d’identification des auteurs de contenus haineux, afin de pouvoir les retrouver en cas de nécessité dans le cadre d’une procédure judiciaire. Quel est l’avis de la commission ? Le II de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoit déjà que les éléments d’identification des utilisateurs doivent être conservés. Il est applicable en l’espèce.
Le Sénat avait déplacé la disposition relative aux obligations de conservation. Nous l’avons réintroduite à l’article 1er, que nous avons adopté hier soir. Merci, madame la rapporteure. Je retire l’amendement, avant même que le Gouvernement ne donne son avis. Merci, madame de La Raudière ! (L’amendement no 89 est retiré.) L’amendement no 90 de Mme Laure de La Raudière est défendu. (L’amendement no 90, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) (L’article 2, amendé, est adopté.)
La parole est à Mme Anissa Khedher.
Moqueries, insultes, discrimination, harcèlement, racisme, menaces, les visages de la cyberhaine sont, nous le savons, multiples, et ses conséquences peuvent être dramatiques pour les victimes, notamment les plus fragiles d’entre elles. Lorsque j’exerçais en tant qu’infirmière en pédopsychiatrie, j’ai pu constater très directement et à de nombreuses reprises les dégâts provoqués par des propos haineux sur des enfants et des adolescents. Dans certains cas, c’est toute leur vie qui a basculé.
Pour protéger les plus jeunes, la pédagogie, l’éducation et la prévention auprès des mineurs et de leurs parents sont fondamentales. Il faudra poursuivre les efforts engagés par les services de l’État, les associations et les familles elles-mêmes pour éduquer notre jeunesse au bon usage d’internet et aux risques qui lui sont inhérents.
Il faudra également – tel est le sens de l’article 3 – que les plateformes diffusent une information détaillée, accessible et compréhensible par tous, présentant clairement les règles, les sanctions encourues en cas de non-respect du droit, les modalités de recours et les outils de modération qu’elles déploient. Ces dispositions devront être appliquées avec sérieux par les opérateurs, de manière que l’on construise durablement un internet apaisé, sur lequel chacun pourra s’exprimer, s’informer et partager, sans haine et dans le respect d’autrui. Nous en venons aux amendements à l’article 3.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 32. Il vise à préciser que l’information claire que nous demandons aux plateformes de diffuser sera préalablement validée par le CSA. De manière analogue, nous avions décidé que les notices d’information fournies aux consommateurs par les établissements bancaires et les organismes d’assurance seraient préalablement validées par l’autorité administrative compétente.
Nous nous assurerions ainsi que les plateformes n’utiliseront pas un langage incompréhensible et que les utilisateurs seront bien informés. Cela correspond a priori au rôle que nous souhaitons confier au CSA. Quel est l’avis de la commission ? En ce qui concerne les obligations de moyens fixées par le texte, le CSA interviendra en amont et en aval. En vertu de l’article 2, que nous venons d’adopter, il émettra des recommandations afin d’accompagner les plateformes en la matière. Ensuite, il exercera un pouvoir de contrôle sur l’ensemble du dispositif, pouvoir qui fait l’objet de l’article 4. Mon avis est donc défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Philippe Latombe. Toute la question est celle de la temporalité : vous évoquez le pouvoir de recommandation a priori du CSA, mais il n’aura connaissance d’informations que dans le cadre de son contrôle a posteriori.
Or l’idée est d’éviter le surgissement de cas particuliers, par l’établissement d’une information préalable. Il s’agit de sécuriser l’usager des différentes plateformes, en faisant en sorte que le CSA intervienne en amont, plutôt que simplement en aval, de manière curative. (L’amendement no 32 n’est pas adopté.) L’amendement no 106 de M. Stéphane Peu est défendu. (L’amendement no 106, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l’amendement no 47. Il vise à compléter les informations mises en ligne. Je constate dans le cadre du travail que je mène contre le harcèlement scolaire que beaucoup de jeunes ignorent complètement les motifs d’incrimination, comme les sanctions qu’ils encourent.
Nous proposons que les opérateurs mentionnent précisément et clairement sur chaque plateforme les informations concernant les éléments constitutifs des infractions d’injure et d’incitation à la haine. Quel est l’avis de la commission ? Certains éléments d’information sont déjà obligatoires, toutefois j’estime qu’il faut laisser de la flexibilité aux plateformes, de façon à ce qu’elles emploient un vocabulaire adapté à leur public, qui rendra les informations plus lisibles et plus accessibles.
En outre, votre amendement ne vise que l’injure et l’incitation à la haine, tandis que le texte couvre un champ plus large. Je vous suggère donc de retirer l’amendement. À défaut, l’avis sera défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Erwan Balanant. Il est vrai que l’amendement ne vise que les infractions d’injure et d’incitation à la haine ; je vous invite donc, madame la rapporteure, à le compléter par un sous-amendement. Dans ce cas, l’avis est défavorable ! (Sourires.) J’approuve également la nécessité pour les plateformes de faire usage d’un vocabulaire adapté ; il est évident que TikTok et Facebook ne s’adressent pas au même public. Selon moi, il faut tout de même leur imposer de présenter avec précision, en faisant preuve de pédagogie, quels sont les propos susceptibles d’être incriminés et les punitions encourues. Certains sites le feront spontanément pour s’inscrire dans la démarche du texte, mais pour ceux qui ne le feront pas – je pense à quelques plateformes étrangères –, la contrainte pourrait se révéler salvatrice. La parole est à M. Ian Boucard. Je ne souhaite pas me prononcer sur l’intérêt éventuel de l’amendement de M. Balanant, néanmoins je voudrais souligner que l’objectif que vous poursuivez, et dont je perçois la pertinence, ne sera atteint qu’en menant en amont un travail de pédagogie.
Selon moi, en effet, les jeunes de 14 ans qui se rendent sur les réseaux sociaux, a fortiori ceux qui commettent des actes de harcèlement, ne liront pas les conditions légales d’utilisation.
Il faut donc agir au sein de l’éducation nationale et des familles : je sais que vous vous y employez, en particulier dans le cadre de votre mission contre le harcèlement, sans doute bien plus efficace que tout ce que nous sommes en train de faire, pour lutter contre ce phénomène chez les adolescents. (L’amendement no 47 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Caroline Abadie, pour soutenir l’amendement no 147. Il tend à préciser que la proposition de loi ne vise pas l’automatisation totale du contrôle des contenus – nous l’avons affirmé à plusieurs reprises. Les plateformes doivent rendre compte des moyens humains et technologiques qu’elles emploient tant pour se conformer à l’obligation instaurée par l’article 1er, qui leur impose de retirer les contenus manifestement illicites et notifiés, que pour retirer les contenus qui n’auraient pas été signalés. (L’amendement no 147, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.) Je suis saisi de trois amendements, nos 33, 58 et 125, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 33 et 58 sont identiques.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 33. Je ne me fais que peu d’illusions sur le sort qui attend les amendements concernant l’interopérabilité – nous avons déjà eu une discussion sur ce sujet en première lecture – et je le regrette. Il s’agit d’un sujet d’importance que nous devrons pourtant examiner.
Certains amendements avaient été déclarés irrecevables à l’Assemblée nationale au motif qu’ils étaient dépourvus de lien avec le texte. Des amendements équivalents déposés au Sénat ont cependant été déclarés recevables ; ils ont pour partie été examinés par nos collègues sénateurs, nous permettant de les soumettre de nouveau à la discussion.
M. le secrétaire d’État avait pris le temps en première lecture de nous expliquer pourquoi il était défavorable à l’évocation de l’interopérabilité dans ce texte, telle qu’elle était prévue dans les amendements alors déposés. Ils l’avaient été à la fois à l’article 3 par Mme Frédérique Dumas – ne sachant pas si elle en déposerait un nouveau rédigé dans le même sens, je l’ai fait pour donner l’occasion d’en débattre – et à l’article 4 par mes soins.
Les sénateurs ont fait un choix qui mérite d’être examiné : nous sommes plusieurs sur ces bancs à estimer que l’interopérabilité constitue une des solutions possibles pour lutter contre la haine sur internet. Nous souhaitons voir cette discussion prospérer à la faveur de cette nouvelle lecture, afin d’adopter au moins les dispositions votées au Sénat et supprimées en commission des lois. Peut-être serait-il plus pertinent de les inscrire à l’article 4, mais nous devons avoir cette discussion : elle a été quelque peu tronquée en première lecture par l’irrecevabilité opposée aux amendements.
Je profite de l’occasion, madame la présidente de la commission des lois, pour demander une harmonisation entre les deux chambres sur les critères de recevabilité. Nous devons adopter une lecture commune de la Constitution afin d’éviter d’amoindrir ou de déséquilibrer les débats. Il faut arrêter la censure ! La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement identique no 58. En effet, nous avons saisi l’occasion offerte par la très bonne initiative de Mme Dumas pour soutenir l’amendement qu’elle a présenté en commission afin de poursuivre, après les travaux des sénateurs, la discussion sur l’interopérabilité.
Celle-ci ne peut certes pas constituer la seule solution à toutes les difficultés : personne ne se réclame d’une telle ambition et affirmer le contraire serait manquer de sagesse.
Cependant, l’interopérabilité représente une réponse structurelle, puisqu’elle offre un outil aux victimes tout en faisant de l’écosystème qu’est internet un endroit mieux sécurisé et plus sécurisant pour ceux qui souhaitent s’y exprimer librement.
Rappelons que l’économie des plateformes dépend de ce qu’on appelle l’économie de l’attention. Or, celle-ci est attirée par les contenus les plus virulents : c’est ainsi que les individus, victimes ou non des infractions ciblées par le texte, se retrouvent captifs, avec pour seule alternative de subir la viralité de certains contenus ou de quitter les espaces qu’ils fréquentent, au prix de la sociabilité qu’ils y ont constituée et des ressources offertes par ceux-ci.
L’association La Quadrature du Net, à l’instar des communautés qui défendent l’instauration de tels dispositifs, explique que l’interopérabilité garantit à tout le monde de ne pas se trouver captif d’une plateforme. Elle permet à chacun de lire depuis un service A les contenus diffusés par ses contacts sur un service B, et d’y répondre comme s’il était sur ce dernier. L’interopérabilité est garantie lorsqu’elle repose sur des standards ouverts.
Des services comme Facebook, Twitter et Youtube tiennent leur pouvoir du nombre élevé d’utilisateurs et d’utilisatrices qu’ils ont rendu captifs : ce grand nombre incite d’autres personnes à rejoindre leur espace. De plus, leur captivité permet de leur imposer une surveillance constante à des fins publicitaires. Aujourd’hui, nombreux sont celles et ceux qui souhaiteraient y échapper, mais sont contraints de rester sous peine de perdre le contact avec leurs relations. La parole est à Mme Frédérique Dumas, pour soutenir l’amendement no 125. Je remercie mes collègues pour leur soutien, acquis dès la première lecture.
Je voudrais quant à moi revenir sur le fond du sujet. « Le marché de l’attention, c’est la société de la fatigue », écrit Bruno Patino, auteur de La Civilisation du poisson rouge . « Nous devons passer d’une économie de la captation de l’attention à une économie qui régénère de l’attention. Celle-ci doit nous faire gagner du temps et créer du lien social », écrit Tristan Harris, co-créateur du Time Well Spent movement.
Afin d’être en mesure d’assurer cette liberté, il est nécessaire de pouvoir quitter librement les plateformes mondiales, qui hiérarchisent à des fins commerciales les contenus qu’elles diffusent, suivant le modèle de « l’économie de l’attention » – sans que cela implique de rompre les liens interpersonnels qu’ont tissés leurs utilisateurs.
Ce n’est pas la seule condition bien sûr, mais c’est une des conditions. Toutes les quarante secondes en moyenne, nous sommes sollicités par une nouvelle activité.
Notre attention est captée mais également manipulée à travers l’exploitation de nos biais cognitifs.
Si nous voulons passer au développement de comportements « digital éthiques », il faut y inciter les plateformes : il est fondamental de permettre le renforcement de toute forme d’automodération viable, comme c’est le cas sur de nombreux forums et plateformes à taille humaine, qui ont peuplé le web depuis ses débuts, et qui reposent sur une modération réalisée directement par leur communauté, impliquée et à ce stade généralement bénévole.
Le présent amendement vise à permettre aux utilisateurs de plateformes mondiales de migrer vers d’autres services équivalents mais décentralisés, tout en pouvant continuer d’échanger avec les utilisateurs d’autres plateformes.
C’est donc bien une liberté supplémentaire qui est proposée et qui redonne sa chance à chacun.
Cet objectif serait atteint si l’on obligeait les plateformes géantes qui hiérarchisent les contenus à des fins commerciales, telles que déjà définies en droit français, à devenir interopérables.
Madame la rapporteure, vous avez écrit dans l’exposé sommaire de votre amendement visant à supprimer la disposition adoptée par le Sénat que la question de l’interopérabilité méritait d’être traitée de façon plus globale et à l’échelon européen.
Vous estimez donc que les mesures inscrites à l’article 1er peuvent être adoptées au niveau français, mais que ce dispositif de nature structurante doit faire l’objet d’un traitement européen.
Nous sommes d’accord avec cette possibilité, cependant, persuadés que M. le secrétaire d’État va nous proposer plus tard un projet de loi systémique de régulation incluant cette mesure, nous trouvons dommage que vous ayez refusé de l’inscrire dans ce texte. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ? Il est défavorable pour les trois ; je laisse le secrétaire d’État développer les arguments qui le justifient. Je précise que le « et » de l’exposé sommaire de mon amendement signifie « ainsi que » : la question mérite d’être traitée de façon plus globale, ainsi qu’à l’échelon européen, et non seulement au niveau européen. Donc, c’est un avis favorable ! Quel est l’avis du Gouvernement ? Il s’agit d’un examen en nouvelle lecture, de surcroît les arguments de la rapporteure sont excellents : je ne prends donc pas toujours le temps de détailler les avis du Gouvernement, mais je vais développer celui-ci.
Nous avons eu cette discussion en première lecture. Je répète que, selon le Gouvernement, l’empreinte de certains réseaux sociaux et plateformes sur nos économies et nos démocraties est hautement problématique ; une régulation systémique doit être instaurée au niveau européen. C’est du moins la position que nous défendons dans les échanges européens.
Parmi les contraintes nouvelles que nous pourrions imposer aux plateformes, l’opérabilité constitue un sujet essentiel. Cependant, elle n’offre pas une solution à tous les problèmes et elle ne va pas sans poser des difficultés. J’ai discuté la semaine dernière avec des régulateurs d’internet américains qui doutaient de son effet à long terme : leurs graphes montrent qu’il est difficile de savoir si elle serait favorable ou défavorable à Facebook.
Quoi qu’il en soit, le sujet mérite d’être examiné, au même titre que la question des données d’intérêt général et de la possible duplication de ce qui existe dans les réseaux de service d’intérêt général, comme l’obligation d’ouverture et la régulation.
Nous devons dans les jours à venir lancer une mission parlementaire avec M. Éric Bothorel sur ces questions ; je pense que l’interopérabilité en constituera un thème central.
La priorité est de défendre ces sujets au niveau européen, pour des raisons évidentes de masse critique et de force dans le domaine de la diplomatie économique – reconnaissons-le – face aux États-Unis.
Nous devons progresser en matière de régulation systémique et d’interopérabilité – je l’ai dit et répété publiquement, ici comme aux États-Unis – et le niveau européen est le plus adapté pour y parvenir.
Il est vrai que dans le cadre de cette proposition de loi, nous avançons d’abord au niveau français : le sujet me paraît à la fois plus urgent et moins structurant de manière horizontale pour l’ensemble du secteur, ce qui justifie que nous prenions des initiatives. De toute évidence – je sais que Laetitia Avia est d’accord (Mme Avia acquiesce) – nous devrons également progresser au niveau européen. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Très bien ! La parole est à Mme George Pau-Langevin. Je crois qu’il serait tout à fait intéressant d’avancer vers l’interopérabilité pour que chacun ait la liberté de passer d’une plateforme à une autre, mais il faut absolument déconnecter cette question de celle des discours de haine. En effet, je ne vois pas pourquoi ce serait aux victimes de ces discours de quitter la plateforme où elles sont : cette obligation me semble une réponse particulièrement inadaptée à des discours de haine. Mes chers collègues – et disant cela je m’adresse surtout à M. Latombe et à Mme Obono –, vous donner à nouveau la parole est pour moi une possibilité, non une obligation.
Je vous laisserai vous exprimer, mais je vous rappelle qu’il y a un règlement dans cette assemblée. Mon devoir est de le faire respecter, même si je ne l’ai pas voté – je sais que je heurte les députés du groupe LaREM quand je le rappelle.
Je vous demande de ne pas vous énerver lorsque je vous fais signe que vous ne pouvez pas parler.
La parole est à Mme Danièle Obono parce que je suis gentil ! J’apprécie, monsieur le président, que vous me permettiez de répondre sur un sujet dont nous avons beaucoup discuté en première lecture. Nos débats n’ont d’ailleurs pas été inutiles. Ils ont favorisé la compréhension de nos propositions, comme le montre l’intervention de notre collègue.
L’interopérabilité ne va certes pas résoudre tous les problèmes en matière de lutte contre les comportements racistes ou sexistes sur internet, mais il s’agit de montrer comment la structure, le fonctionnement et l’économie d’internet favorisent ce type de discours. Mme la rapporteure a évoqué la manière dont les associations établies par les algorithmes utilisés par les moteurs de recherche peut servir la diffusion de contenus haineux ou sexistes.
Deuxièmement, cet outil, loin d’être exclusif, donnera aux victimes les moyens de choisir. Il est désolant que le système actuel les rende captifs ou captives, alors qu’internet devrait leur offrir la possibilité d’aller et venir librement dans les espaces sans subir des attaques.
J’espère que nos prochains débats sur ces sujets déboucheront sur des avancées concrètes. La parole est à Mme Frédérique Dumas. Vous assumez la construction d’une Europe à géométrie variable. En effet, vous avez estimé que vous pouviez soumettre la proposition de loi à notre examen sans attendre l’adoption du Digital Services Act, ce que la Commission européenne vous avait pourtant demandé. En revanche, s’agissant de l’interopérabilité, vous estimez qu’il faut attendre.
En agissant ainsi, vous faites tout à l’envers : alors que seules des mesures structurantes peuvent limiter le flux contre lequel vous prétendez lutter, vous confiez le pouvoir de police et de justice aux plateformes, faute d’avoir pu agir en amont.
Je voudrais dire ensuite à Mme Pau-Langevin, qui a souvent recours à cette image, qu’on ne peut pas comparer une personne harcelée sur internet à un enfant harcelé dans une école, et qu’on obligerait à changer d’établissement scolaire. En l’espèce, il s’agit de donner à la personne harcelée la possibilité de rester dans son univers interpersonnel sur une grande plateforme, tout en le transférant ailleurs. Un enfant, lui, ne peut pas fréquenter deux écoles à la fois.
Les représentants des plateformes nous disent que cette mesure les inciterait à aller dans le même sens, car les comportements éthiques finissent par s’imposer. Elle constituerait à ce titre un levier.
Il y a certes, comme vous l’avez souligné, une profonde différence entre la première lecture, au cours de laquelle notre proposition avait été écartée d’un revers de la main, et cette nouvelle lecture, mais les deux remarques que je viens de faire restent pertinentes. La parole est à M. Philippe Latombe.
Pour protéger les plus jeunes, la pédagogie, l’éducation et la prévention auprès des mineurs et de leurs parents sont fondamentales. Il faudra poursuivre les efforts engagés par les services de l’État, les associations et les familles elles-mêmes pour éduquer notre jeunesse au bon usage d’internet et aux risques qui lui sont inhérents.
Il faudra également – tel est le sens de l’article 3 – que les plateformes diffusent une information détaillée, accessible et compréhensible par tous, présentant clairement les règles, les sanctions encourues en cas de non-respect du droit, les modalités de recours et les outils de modération qu’elles déploient. Ces dispositions devront être appliquées avec sérieux par les opérateurs, de manière que l’on construise durablement un internet apaisé, sur lequel chacun pourra s’exprimer, s’informer et partager, sans haine et dans le respect d’autrui. Nous en venons aux amendements à l’article 3.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 32. Il vise à préciser que l’information claire que nous demandons aux plateformes de diffuser sera préalablement validée par le CSA. De manière analogue, nous avions décidé que les notices d’information fournies aux consommateurs par les établissements bancaires et les organismes d’assurance seraient préalablement validées par l’autorité administrative compétente.
Nous nous assurerions ainsi que les plateformes n’utiliseront pas un langage incompréhensible et que les utilisateurs seront bien informés. Cela correspond a priori au rôle que nous souhaitons confier au CSA. Quel est l’avis de la commission ? En ce qui concerne les obligations de moyens fixées par le texte, le CSA interviendra en amont et en aval. En vertu de l’article 2, que nous venons d’adopter, il émettra des recommandations afin d’accompagner les plateformes en la matière. Ensuite, il exercera un pouvoir de contrôle sur l’ensemble du dispositif, pouvoir qui fait l’objet de l’article 4. Mon avis est donc défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Philippe Latombe. Toute la question est celle de la temporalité : vous évoquez le pouvoir de recommandation a priori du CSA, mais il n’aura connaissance d’informations que dans le cadre de son contrôle a posteriori.
Or l’idée est d’éviter le surgissement de cas particuliers, par l’établissement d’une information préalable. Il s’agit de sécuriser l’usager des différentes plateformes, en faisant en sorte que le CSA intervienne en amont, plutôt que simplement en aval, de manière curative. (L’amendement no 32 n’est pas adopté.) L’amendement no 106 de M. Stéphane Peu est défendu. (L’amendement no 106, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l’amendement no 47. Il vise à compléter les informations mises en ligne. Je constate dans le cadre du travail que je mène contre le harcèlement scolaire que beaucoup de jeunes ignorent complètement les motifs d’incrimination, comme les sanctions qu’ils encourent.
Nous proposons que les opérateurs mentionnent précisément et clairement sur chaque plateforme les informations concernant les éléments constitutifs des infractions d’injure et d’incitation à la haine. Quel est l’avis de la commission ? Certains éléments d’information sont déjà obligatoires, toutefois j’estime qu’il faut laisser de la flexibilité aux plateformes, de façon à ce qu’elles emploient un vocabulaire adapté à leur public, qui rendra les informations plus lisibles et plus accessibles.
En outre, votre amendement ne vise que l’injure et l’incitation à la haine, tandis que le texte couvre un champ plus large. Je vous suggère donc de retirer l’amendement. À défaut, l’avis sera défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Erwan Balanant. Il est vrai que l’amendement ne vise que les infractions d’injure et d’incitation à la haine ; je vous invite donc, madame la rapporteure, à le compléter par un sous-amendement. Dans ce cas, l’avis est défavorable ! (Sourires.) J’approuve également la nécessité pour les plateformes de faire usage d’un vocabulaire adapté ; il est évident que TikTok et Facebook ne s’adressent pas au même public. Selon moi, il faut tout de même leur imposer de présenter avec précision, en faisant preuve de pédagogie, quels sont les propos susceptibles d’être incriminés et les punitions encourues. Certains sites le feront spontanément pour s’inscrire dans la démarche du texte, mais pour ceux qui ne le feront pas – je pense à quelques plateformes étrangères –, la contrainte pourrait se révéler salvatrice. La parole est à M. Ian Boucard. Je ne souhaite pas me prononcer sur l’intérêt éventuel de l’amendement de M. Balanant, néanmoins je voudrais souligner que l’objectif que vous poursuivez, et dont je perçois la pertinence, ne sera atteint qu’en menant en amont un travail de pédagogie.
Selon moi, en effet, les jeunes de 14 ans qui se rendent sur les réseaux sociaux, a fortiori ceux qui commettent des actes de harcèlement, ne liront pas les conditions légales d’utilisation.
Il faut donc agir au sein de l’éducation nationale et des familles : je sais que vous vous y employez, en particulier dans le cadre de votre mission contre le harcèlement, sans doute bien plus efficace que tout ce que nous sommes en train de faire, pour lutter contre ce phénomène chez les adolescents. (L’amendement no 47 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Caroline Abadie, pour soutenir l’amendement no 147. Il tend à préciser que la proposition de loi ne vise pas l’automatisation totale du contrôle des contenus – nous l’avons affirmé à plusieurs reprises. Les plateformes doivent rendre compte des moyens humains et technologiques qu’elles emploient tant pour se conformer à l’obligation instaurée par l’article 1er, qui leur impose de retirer les contenus manifestement illicites et notifiés, que pour retirer les contenus qui n’auraient pas été signalés. (L’amendement no 147, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.) Je suis saisi de trois amendements, nos 33, 58 et 125, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 33 et 58 sont identiques.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 33. Je ne me fais que peu d’illusions sur le sort qui attend les amendements concernant l’interopérabilité – nous avons déjà eu une discussion sur ce sujet en première lecture – et je le regrette. Il s’agit d’un sujet d’importance que nous devrons pourtant examiner.
Certains amendements avaient été déclarés irrecevables à l’Assemblée nationale au motif qu’ils étaient dépourvus de lien avec le texte. Des amendements équivalents déposés au Sénat ont cependant été déclarés recevables ; ils ont pour partie été examinés par nos collègues sénateurs, nous permettant de les soumettre de nouveau à la discussion.
M. le secrétaire d’État avait pris le temps en première lecture de nous expliquer pourquoi il était défavorable à l’évocation de l’interopérabilité dans ce texte, telle qu’elle était prévue dans les amendements alors déposés. Ils l’avaient été à la fois à l’article 3 par Mme Frédérique Dumas – ne sachant pas si elle en déposerait un nouveau rédigé dans le même sens, je l’ai fait pour donner l’occasion d’en débattre – et à l’article 4 par mes soins.
Les sénateurs ont fait un choix qui mérite d’être examiné : nous sommes plusieurs sur ces bancs à estimer que l’interopérabilité constitue une des solutions possibles pour lutter contre la haine sur internet. Nous souhaitons voir cette discussion prospérer à la faveur de cette nouvelle lecture, afin d’adopter au moins les dispositions votées au Sénat et supprimées en commission des lois. Peut-être serait-il plus pertinent de les inscrire à l’article 4, mais nous devons avoir cette discussion : elle a été quelque peu tronquée en première lecture par l’irrecevabilité opposée aux amendements.
Je profite de l’occasion, madame la présidente de la commission des lois, pour demander une harmonisation entre les deux chambres sur les critères de recevabilité. Nous devons adopter une lecture commune de la Constitution afin d’éviter d’amoindrir ou de déséquilibrer les débats. Il faut arrêter la censure ! La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement identique no 58. En effet, nous avons saisi l’occasion offerte par la très bonne initiative de Mme Dumas pour soutenir l’amendement qu’elle a présenté en commission afin de poursuivre, après les travaux des sénateurs, la discussion sur l’interopérabilité.
Celle-ci ne peut certes pas constituer la seule solution à toutes les difficultés : personne ne se réclame d’une telle ambition et affirmer le contraire serait manquer de sagesse.
Cependant, l’interopérabilité représente une réponse structurelle, puisqu’elle offre un outil aux victimes tout en faisant de l’écosystème qu’est internet un endroit mieux sécurisé et plus sécurisant pour ceux qui souhaitent s’y exprimer librement.
Rappelons que l’économie des plateformes dépend de ce qu’on appelle l’économie de l’attention. Or, celle-ci est attirée par les contenus les plus virulents : c’est ainsi que les individus, victimes ou non des infractions ciblées par le texte, se retrouvent captifs, avec pour seule alternative de subir la viralité de certains contenus ou de quitter les espaces qu’ils fréquentent, au prix de la sociabilité qu’ils y ont constituée et des ressources offertes par ceux-ci.
L’association La Quadrature du Net, à l’instar des communautés qui défendent l’instauration de tels dispositifs, explique que l’interopérabilité garantit à tout le monde de ne pas se trouver captif d’une plateforme. Elle permet à chacun de lire depuis un service A les contenus diffusés par ses contacts sur un service B, et d’y répondre comme s’il était sur ce dernier. L’interopérabilité est garantie lorsqu’elle repose sur des standards ouverts.
Des services comme Facebook, Twitter et Youtube tiennent leur pouvoir du nombre élevé d’utilisateurs et d’utilisatrices qu’ils ont rendu captifs : ce grand nombre incite d’autres personnes à rejoindre leur espace. De plus, leur captivité permet de leur imposer une surveillance constante à des fins publicitaires. Aujourd’hui, nombreux sont celles et ceux qui souhaiteraient y échapper, mais sont contraints de rester sous peine de perdre le contact avec leurs relations. La parole est à Mme Frédérique Dumas, pour soutenir l’amendement no 125. Je remercie mes collègues pour leur soutien, acquis dès la première lecture.
Je voudrais quant à moi revenir sur le fond du sujet. « Le marché de l’attention, c’est la société de la fatigue », écrit Bruno Patino, auteur de La Civilisation du poisson rouge . « Nous devons passer d’une économie de la captation de l’attention à une économie qui régénère de l’attention. Celle-ci doit nous faire gagner du temps et créer du lien social », écrit Tristan Harris, co-créateur du Time Well Spent movement.
Afin d’être en mesure d’assurer cette liberté, il est nécessaire de pouvoir quitter librement les plateformes mondiales, qui hiérarchisent à des fins commerciales les contenus qu’elles diffusent, suivant le modèle de « l’économie de l’attention » – sans que cela implique de rompre les liens interpersonnels qu’ont tissés leurs utilisateurs.
Ce n’est pas la seule condition bien sûr, mais c’est une des conditions. Toutes les quarante secondes en moyenne, nous sommes sollicités par une nouvelle activité.
Notre attention est captée mais également manipulée à travers l’exploitation de nos biais cognitifs.
Si nous voulons passer au développement de comportements « digital éthiques », il faut y inciter les plateformes : il est fondamental de permettre le renforcement de toute forme d’automodération viable, comme c’est le cas sur de nombreux forums et plateformes à taille humaine, qui ont peuplé le web depuis ses débuts, et qui reposent sur une modération réalisée directement par leur communauté, impliquée et à ce stade généralement bénévole.
Le présent amendement vise à permettre aux utilisateurs de plateformes mondiales de migrer vers d’autres services équivalents mais décentralisés, tout en pouvant continuer d’échanger avec les utilisateurs d’autres plateformes.
C’est donc bien une liberté supplémentaire qui est proposée et qui redonne sa chance à chacun.
Cet objectif serait atteint si l’on obligeait les plateformes géantes qui hiérarchisent les contenus à des fins commerciales, telles que déjà définies en droit français, à devenir interopérables.
Madame la rapporteure, vous avez écrit dans l’exposé sommaire de votre amendement visant à supprimer la disposition adoptée par le Sénat que la question de l’interopérabilité méritait d’être traitée de façon plus globale et à l’échelon européen.
Vous estimez donc que les mesures inscrites à l’article 1er peuvent être adoptées au niveau français, mais que ce dispositif de nature structurante doit faire l’objet d’un traitement européen.
Nous sommes d’accord avec cette possibilité, cependant, persuadés que M. le secrétaire d’État va nous proposer plus tard un projet de loi systémique de régulation incluant cette mesure, nous trouvons dommage que vous ayez refusé de l’inscrire dans ce texte. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ? Il est défavorable pour les trois ; je laisse le secrétaire d’État développer les arguments qui le justifient. Je précise que le « et » de l’exposé sommaire de mon amendement signifie « ainsi que » : la question mérite d’être traitée de façon plus globale, ainsi qu’à l’échelon européen, et non seulement au niveau européen. Donc, c’est un avis favorable ! Quel est l’avis du Gouvernement ? Il s’agit d’un examen en nouvelle lecture, de surcroît les arguments de la rapporteure sont excellents : je ne prends donc pas toujours le temps de détailler les avis du Gouvernement, mais je vais développer celui-ci.
Nous avons eu cette discussion en première lecture. Je répète que, selon le Gouvernement, l’empreinte de certains réseaux sociaux et plateformes sur nos économies et nos démocraties est hautement problématique ; une régulation systémique doit être instaurée au niveau européen. C’est du moins la position que nous défendons dans les échanges européens.
Parmi les contraintes nouvelles que nous pourrions imposer aux plateformes, l’opérabilité constitue un sujet essentiel. Cependant, elle n’offre pas une solution à tous les problèmes et elle ne va pas sans poser des difficultés. J’ai discuté la semaine dernière avec des régulateurs d’internet américains qui doutaient de son effet à long terme : leurs graphes montrent qu’il est difficile de savoir si elle serait favorable ou défavorable à Facebook.
Quoi qu’il en soit, le sujet mérite d’être examiné, au même titre que la question des données d’intérêt général et de la possible duplication de ce qui existe dans les réseaux de service d’intérêt général, comme l’obligation d’ouverture et la régulation.
Nous devons dans les jours à venir lancer une mission parlementaire avec M. Éric Bothorel sur ces questions ; je pense que l’interopérabilité en constituera un thème central.
La priorité est de défendre ces sujets au niveau européen, pour des raisons évidentes de masse critique et de force dans le domaine de la diplomatie économique – reconnaissons-le – face aux États-Unis.
Nous devons progresser en matière de régulation systémique et d’interopérabilité – je l’ai dit et répété publiquement, ici comme aux États-Unis – et le niveau européen est le plus adapté pour y parvenir.
Il est vrai que dans le cadre de cette proposition de loi, nous avançons d’abord au niveau français : le sujet me paraît à la fois plus urgent et moins structurant de manière horizontale pour l’ensemble du secteur, ce qui justifie que nous prenions des initiatives. De toute évidence – je sais que Laetitia Avia est d’accord (Mme Avia acquiesce) – nous devrons également progresser au niveau européen. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Très bien ! La parole est à Mme George Pau-Langevin. Je crois qu’il serait tout à fait intéressant d’avancer vers l’interopérabilité pour que chacun ait la liberté de passer d’une plateforme à une autre, mais il faut absolument déconnecter cette question de celle des discours de haine. En effet, je ne vois pas pourquoi ce serait aux victimes de ces discours de quitter la plateforme où elles sont : cette obligation me semble une réponse particulièrement inadaptée à des discours de haine. Mes chers collègues – et disant cela je m’adresse surtout à M. Latombe et à Mme Obono –, vous donner à nouveau la parole est pour moi une possibilité, non une obligation.
Je vous laisserai vous exprimer, mais je vous rappelle qu’il y a un règlement dans cette assemblée. Mon devoir est de le faire respecter, même si je ne l’ai pas voté – je sais que je heurte les députés du groupe LaREM quand je le rappelle.
Je vous demande de ne pas vous énerver lorsque je vous fais signe que vous ne pouvez pas parler.
La parole est à Mme Danièle Obono parce que je suis gentil ! J’apprécie, monsieur le président, que vous me permettiez de répondre sur un sujet dont nous avons beaucoup discuté en première lecture. Nos débats n’ont d’ailleurs pas été inutiles. Ils ont favorisé la compréhension de nos propositions, comme le montre l’intervention de notre collègue.
L’interopérabilité ne va certes pas résoudre tous les problèmes en matière de lutte contre les comportements racistes ou sexistes sur internet, mais il s’agit de montrer comment la structure, le fonctionnement et l’économie d’internet favorisent ce type de discours. Mme la rapporteure a évoqué la manière dont les associations établies par les algorithmes utilisés par les moteurs de recherche peut servir la diffusion de contenus haineux ou sexistes.
Deuxièmement, cet outil, loin d’être exclusif, donnera aux victimes les moyens de choisir. Il est désolant que le système actuel les rende captifs ou captives, alors qu’internet devrait leur offrir la possibilité d’aller et venir librement dans les espaces sans subir des attaques.
J’espère que nos prochains débats sur ces sujets déboucheront sur des avancées concrètes. La parole est à Mme Frédérique Dumas. Vous assumez la construction d’une Europe à géométrie variable. En effet, vous avez estimé que vous pouviez soumettre la proposition de loi à notre examen sans attendre l’adoption du Digital Services Act, ce que la Commission européenne vous avait pourtant demandé. En revanche, s’agissant de l’interopérabilité, vous estimez qu’il faut attendre.
En agissant ainsi, vous faites tout à l’envers : alors que seules des mesures structurantes peuvent limiter le flux contre lequel vous prétendez lutter, vous confiez le pouvoir de police et de justice aux plateformes, faute d’avoir pu agir en amont.
Je voudrais dire ensuite à Mme Pau-Langevin, qui a souvent recours à cette image, qu’on ne peut pas comparer une personne harcelée sur internet à un enfant harcelé dans une école, et qu’on obligerait à changer d’établissement scolaire. En l’espèce, il s’agit de donner à la personne harcelée la possibilité de rester dans son univers interpersonnel sur une grande plateforme, tout en le transférant ailleurs. Un enfant, lui, ne peut pas fréquenter deux écoles à la fois.
Les représentants des plateformes nous disent que cette mesure les inciterait à aller dans le même sens, car les comportements éthiques finissent par s’imposer. Elle constituerait à ce titre un levier.
Il y a certes, comme vous l’avez souligné, une profonde différence entre la première lecture, au cours de laquelle notre proposition avait été écartée d’un revers de la main, et cette nouvelle lecture, mais les deux remarques que je viens de faire restent pertinentes. La parole est à M. Philippe Latombe.