Première séance du lundi 03 juillet 2023
- Présidence de Mme Naïma Moutchou
- 1. Ouverture de la session extraordinaire
- 2. Hommage à un sapeur-pompier mort en intervention
- 3. Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – Modernisation et responsabilité du corps judiciaire
- Présentation commune
- M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
- M. Jean Terlier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Erwan Balanant, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Philippe Pradal, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Didier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Sacha Houlié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Motion de rejet préalable
- Discussion générale commune
- Discussion des articles (orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027)
- Présentation commune
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Naïma Moutchou
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
1. Ouverture de la session extraordinaire
Mme la présidente
En application des articles 29 et 30 de la Constitution, je déclare ouverte la session extraordinaire convoquée par le Président de la République par décret du 19 juin 2023.
2. Hommage à un sapeur-pompier mort en intervention
Mme la présidente
Chers collègues, cette nuit, un jeune caporal-chef de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris est décédé à la suite d’une intervention visant à éteindre un incendie. Nous savons combien le dévouement des soldats du feu est grand et ce drame terrible nous l’a malheureusement rappelé. En mémoire de la victime et en soutien à sa famille, à ses proches et à ses collègues, je vous invite à observer une minute de silence. (Mmes et MM. les députés et M. Éric Dupont-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice se lèvent et observent une minute de silence.)
3. Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – Modernisation et responsabilité du corps judiciaire
Discussion commune, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi ordinaire et d’un projet de loi organique
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (nos 1346, 1440 deuxième rectification) et du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (nos 1345, 1441).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Chers collègues, je vous informe qu’à la demande de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, en application du quatrième alinéa de l’article 95 du règlement, la discussion de l’article 1er et du rapport annexé, ainsi que des amendements portant article additionnel après l’article 1er, est réservée. Ils seront examinés après l’article 29.
M. Ugo Bernalicis
Et voilà, nous allons tout bâcler !
Présentation commune
Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Avant de commencer, je veux rendre hommage au jeune caporal-chef Dorian Damelincourt, mort au feu cette nuit alors qu’il exerçait avec bravoure sa courageuse mission de sapeur-pompier.
Plus que jamais, notre pays, nos concitoyens et nous tous avons besoin de justice. Plus que jamais, notre justice, nos magistrats, nos greffiers, nos agents pénitentiaires, nos conseillers d’insertion et de probation, enfin tous ceux qui servent la justice avec dévouement et qui sont mobilisés, ont besoin de nous.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Ugo Bernalicis
Mobilisés, oui, les greffiers le sont !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Ils ont besoin que, dans un geste fort, dans un élan sans précédent, nous donnions collectivement à la justice les moyens nécessaires à l’accomplissement de son impérieuse mission : maintenir la paix civile. Il nous appartient donc, dans les débats qui commencent, de répondre ensemble, dans un esprit de responsabilité, à ce besoin régalien fort.
Plus de huit mois d’intenses travaux pour sonder les difficultés de l’institution judiciaire et plus d’un million de contributions citoyennes, réunies dans le rapport des états généraux de la justice ; deux grandes vagues de concertation l’année dernière avec tous les acteurs du monde judiciaire ; la présentation d’un plan d’action global pour la justice en début d’année ; enfin, le mois dernier, le vote sans appel du Sénat : toutes ces étapes ont permis que nous soyons réunis aujourd’hui pour discuter de la première traduction législative et organique du plan d’action pour la justice du Gouvernement.
Comme s’y étaient engagés le Président de la République et la Première ministre, je suis venu vous présenter les projets de loi de programmation et de réforme du statut de la magistrature les plus ambitieux de l’histoire du ministère de la justice. Comme je l’avais dit lors de ma prise de fonction, avec vous, je veux tourner la page des mauvaises habitudes qui gangrènent notre justice depuis de nombreuses années.
La première d’entre toutes est celle qui consiste à demander toujours plus à la justice en lui donnant toujours moins. Je souhaite écrire avec vous un nouveau chapitre : celui d’une justice dotée enfin à la hauteur de ses missions, celui d’une justice remise à sa juste place, au cœur de la cité. Le chemin est long, mais le cap est le bon et le pas résolument assuré.
Une autre mauvaise habitude, en matière de justice, est celle de cultiver une approche parcellaire. Notre plan d’action pour la justice concerne donc toutes les matières – pénale, civile, commerciale, organisationnelle – et utilise tous les leviers – législatif, organique, budgétaire et réglementaire.
La dernière des habitudes, et sans doute la pire, est celle de ne pas placer le justiciable au cœur des réformes. Je le dis clairement : ce plan d’action et ces projets de loi ont pour but de répondre concrètement aux attentes de nos concitoyens, au premier rang desquelles celle d’une justice plus proche, plus efficace et plus rapide. Notre objectif est donc précis et ambitieux : nous voulons diviser par deux l’ensemble des délais de justice d’ici à 2027. Notre priorité absolue est de donner à la justice les moyens qui lui permettront d’être à la hauteur de sa mission.
L’article 1er du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 entérine une augmentation sans précédent de ses crédits, qui atteindront près de 11 milliards d’euros en 2027. Sur les cinq prochaines années cumulées, les crédits du ministère augmenteront de près de 7,5 milliards. Rappelons qu’ils ont augmenté de seulement 2 milliards pendant le quinquennat du président Sarkozy et de 2,1 milliards pendant celui du président Hollande. Les crédits massifs que nous allouons au ministère visent quatre objectifs concrets, qui embrassent de manière globale tous les enjeux du service public de la justice.
Le premier objectif, la mère des batailles, ce sont des recrutements massifs et rapides de magistrats, de greffiers, d’attachés de justice, d’agents pénitentiaires et d’agents administratifs – bref, tous les métiers qui font vivre le ministère de la justice. Pour graver ces recrutements dans le marbre j’ai souhaité inscrire dans le projet de loi le recrutement de 10 000 personnels supplémentaires en créations nettes de postes d’ici à 2027, dont 1 500 magistrats (MM. Sylvain Maillard et Emmanuel Pellerin applaudissent) – autant qu’au cours des vingt dernières années cumulées – et au moins 1 500 greffiers. Je remercie Perrine Goulet, la rapporteure pour avis de la commission des finances, qui a souhaité revenir à l’épure initiale du texte et donner au ministère la latitude nécessaire pour gérer au mieux ce contingent.
Le deuxième objectif est la revalorisation salariale de ceux qui servent notre justice au quotidien. Pour recruter massivement, il faut attirer les talents. C’est pourquoi le projet de loi de programmation entérine d’importantes revalorisations pour les métiers judiciaires : une hausse de 1 000 euros mensuels pour les magistrats, effective dès l’automne, afin de récompenser et d’encourager leur engagement quotidien ; une revalorisation des salaires des greffiers – sans qui, je le dis avec force, la justice ne pourrait pas fonctionner –, qui se fera selon un calendrier spécifique de négociation, également à l’automne ; enfin, le passage historique – il était réclamé par les syndicats depuis vingt ans – des agents pénitentiaires de la catégorie C vers la catégorie B et des officiers de la catégorie B vers la catégorie A. Il était grand temps de reconnaître le rôle indispensable de la troisième force de sécurité intérieure du pays. Je suis fier, non seulement d’être leur ministre, mais d’avoir amélioré leur place dans la fonction publique. (Applaudissements sur les bancs des commissions et sur les bancs du groupe RE.)
Troisièmement, nous allons mener à bien la transformation numérique du ministère de la justice, qui a longtemps pêché en la matière. Les magistrats et les greffiers de terrain le disent : ils sont souvent freinés par des outils informatiques et un réseau qui ne sont pas à la hauteur. Comme pour la juridiction administrative, le but est clair : nous devons instaurer le zéro papier à l’horizon 2027. Pour cela, nous avons une méthode : nous dotons toutes les juridictions de techniciens informatiques dédiés, dont la mission est d’agir au plus près du terrain, avec le savoir-faire requis, lorsque « la bécane plante », ce qui arrive malheureusement trop souvent. Par ailleurs, nous augmentons massivement la capacité des réseaux du ministère pour fluidifier les connexions. À terme, l’objectif est aussi que chacun dispose d’un compte unique pour accéder à toutes les applications informatiques, afin d’éviter, notamment aux greffiers, les doublons de saisines qui font perdre un temps précieux. Enfin, en concertation avec le terrain, nous accélérons la mise à jour des logiciels en matière civile – je pense notamment à Portalis.
Dans le domaine pénal, le projet de loi de programmation prévoit l’accélération du déploiement de la procédure pénale numérique, en lien avec le ministère de l’intérieur, avec un chef de file unique issu de la Chancellerie. La transformation numérique de la justice doit également se faire en direction de ceux qu’elle sert, les justiciables. Au début de l’année, j’annonçais le lancement d’une application pour smartphone réunissant des fonctionnalités importantes. Elle a été lancée en avril dans une version qui permet déjà de savoir si l’on peut oui ou non bénéficier de l’aide juridictionnelle ou de simuler le montant d’une pension alimentaire.
M. Ugo Bernalicis
Ça ne sert à rien, on pouvait déjà le faire avant !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
En cohérence avec le plan d’action, le dernier objectif concerne le programme immobilier du ministère de la justice et tout d’abord l’immobilier judiciaire, c’est-à-dire la construction de tribunaux. Les recrutements massifs nécessiteront une augmentation et une rénovation massives du parc judiciaire. C’est pourquoi nous agissons selon une vision globale et nous prévoyons d’investir massivement dans les tribunaux de demain pour améliorer les conditions de travail de ceux qui servent la justice. En bout de chaîne, c’est bien le justiciable qui en bénéficiera. Concrètement, d’ici à 2027, nous engagerons plus de quarante opérations de restructuration et de rénovation de tribunaux et cours d’appel.
Ensuite, le programme immobilier pénitentiaire avance sûrement malgré de nombreux freins. Je pense à la crise sanitaire – qui, si elle est fort heureusement derrière nous, a durablement affecté les chantiers –, à la guerre en Ukraine – qui a réduit l’accès aux matières premières – et, bien sûr, aux réticences des riverains et souvent de leurs élus.
Notre engagement est clair et notre cap est fixé : nous construirons 15 000 places supplémentaires d’ici à 2027. L’année prochaine, la moitié des établissements de ce plan seront sortis de terre. Il y va d’abord de la bonne application de ma politique pénale qui est sans aucune ambiguïté : fermeté sans démagogie, humanisme sans angélisme. Il y va ensuite des conditions de détention qui sont parfois indignes, mais aussi des conditions de travail du personnel pénitentiaire. Je fais le tour des prisons depuis plus de quarante ans et je connais la dégradation d’un certain nombre d’établissements, mais je n’ai pas – contrairement à d’autres – de baguette magique ; je n’ai qu’une volonté politique forte, qui s’appuie sur des leviers d’action réalistes et des moyens inédits, car en matière pénitentiaire comme en matière pénale, il faut se méfier des solutions clés en main. La construction de prisons est la solution la plus lente, mais la plus sûre – surtout qu’en parallèle des constructions, nous investissons massivement dans les rénovations : environ 130 millions d’euros par an, soit près de deux fois plus que sous le quinquennat de François Hollande.
Le président du comité des états généraux de la justice, Jean-Marc Sauvé, l’a formulé ainsi : tout ne se résume pas à la question des moyens. C’est pourquoi je vous propose une série de mesures qui réforment en profondeur l’institution sans pour autant la déstabiliser : l’une des innovations de ce projet de loi de réforme de la justice, c’est qu’elle dégage, en regard des mesures prises, les moyens nécessaires à leur bonne application.
La première réforme est celle de l’amélioration de l’organisation de la justice selon une approche innovante et pragmatique. Je souhaite accélérer la déconcentration du ministère de la justice en laissant aux juridictions plus d’autonomie dans leur administration, afin de ne faire intervenir l’administration centrale que lorsque son soutien est utile ou son arbitrage nécessaire.
Cette nouvelle étape relève en grande partie du niveau réglementaire et se fera d’ici à l’automne. J’ai souhaité inscrire cette orientation claire dans le rapport annexé : en effet, une organisation plus efficace de la justice, ce sont aussi des moyens mieux employés au plus près des professionnels et des justiciables.
L’amélioration de l’organisation des juridictions passe aussi par des expérimentations innovantes pour améliorer concrètement le service rendu aux justiciables. C’est ce que nous proposons à travers l’expérimentation d’un véritable tribunal des activités économiques (TAE), car l’organisation actuelle des juridictions commerciales manque de lisibilité pour les justiciables et les différents acteurs.
Je vous propose également d’expérimenter une contribution économique – comme cela se pratique dans divers pays européens – afin de lutter contre les recours abusifs et d’inciter à l’amiable. Cette contribution permettra aussi de bénéficier de l’effet de marque car souvent, dans le monde économique, ce qui est gratuit est perçu comme de moindre qualité. Elle tiendra compte de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande. Je veux ici remercier pour leur action les rapporteurs Jean Terlier et Philippe Pradal, qui ont apaisé un certain nombre de craintes concernant ces expérimentations novatrices.
Une amélioration de l’organisation de nos juridictions doit aussi être opérée dans les politiques pénales prioritaires. Je pense bien sûr à la question de la lutte contre les violences intrafamiliales avec la création de pôles spécialisés, conformément au rapport de grande qualité rendu par la députée Émilie Chandler et la sénatrice Dominique Vérien. Cette nouvelle organisation désormais inscrite dans le rapport annexé sera traduite dans le code de l’organisation judiciaire par un décret qui vous sera transmis et pris à l’été.
Le texte en débat défendra également, grâce à Naïma Moutchou, une ambition forte en matière de justice restaurative afin que tous les tribunaux soient en mesure de proposer une offre aux justiciables d’ici à 2027.
M. Sylvain Maillard
Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
En matière d’insertion et de probation, les travaux de Caroline Abadie permettront d’accélérer la procédure en réduisant les délais de convocation devant le juge de l’application des peines (JAP), afin de favoriser une exécution plus rapide des peines prononcées.
Les débats en commission ont également donné lieu à des adaptations à nos outre-mer : je pense ici à l’amendement du président Sacha Houlié, qui propose, en réponse aux besoins observés en la matière, de développer le recours à la visioconférence, notamment dans les Antilles.
Un mot aussi pour souligner que nous donnerons corps à une petite révolution de la compétence universelle de la justice française en matière de crimes contre l’humanité grâce au travail sans relâche de votre collègue Guillaume Gouffier Valente.
Mme Cécile Untermaier
Il n’est pas le seul !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
La seconde réforme est celle de la modernisation des ressources humaines – magistrats et fonctionnaires – de la Chancellerie. Je compte employer tous les leviers à notre disposition pour que non seulement le plan de recrutement soit réalisé, mais surtout, qu’il corresponde aux besoins du terrain.
Cette modernisation implique d’abord une adaptation des ressources à la situation actuelle, notamment à la diversification des fonctions. Je pense par exemple au travail formidable qu’accomplissent les contractuels dans toutes nos juridictions. Leur recrutement et l’engagement des magistrats et greffiers a déjà permis, pour la première fois depuis des décennies, de réduire les stocks de près de 30 % dans les juridictions. Or moins de stock, c’est bien entendu moins d’attente pour nos concitoyens.
C’est pourquoi, en plus des recrutements massifs de magistrats et de greffiers, le projet de loi de programmation vous propose non seulement de pérenniser ces emplois en les cédéisant, mais également de les institutionnaliser en créant la fonction d’attaché de justice, qu’avait appelée de ses vœux le rapporteur Terlier. Ces attachés de justice seront formés à l’École nationale de la magistrature (ENM) et prêteront serment. Ils compléteront et constitueront une véritable équipe autour du magistrat, laquelle représentera la véritable révolution à venir au sein de la justice.
C’est cette même impulsion que nous souhaitons donner à l’administration pénitentiaire en ouvrant la possibilité de recruter des surveillants adjoints par la voie contractuelle. Ce dispositif a fait ses preuves au ministère de l’intérieur. Du point de vue de l’attractivité, en outre, il permet d’embaucher des personnels au plus près des établissements pénitentiaires.
Le chantier majeur de la modernisation des ressources humaines est bien sûr celui défendu dans le projet de loi organique – la réforme du statut de la magistrature – et je veux ici remercier le rapporteur Didier Paris pour son engagement et les connaissances fines qu’il a mises au service de cette réforme.
Cette dernière repose sur trois axes. Le premier est l’ouverture du corps judiciaire : le recrutement de 1 500 magistrats exigera de faciliter l’accès à la magistrature. Pour cela, nous proposons la création de magistrats en service extraordinaire, mais également l’ouverture des recrutements en simplifiant les différentes voies d’accès, notamment pour les avocats, et en professionnalisant le recrutement par l’instauration d’un jury professionnel. Le maintien du principe du concours républicain garantira l’excellence du niveau de recrutement.
L’objectif est aussi d’assouplir les règles pour les magistrats exerçant à titre temporaire qui accomplissent un travail indispensable et remarquable, et qui seront nécessaires au déploiement de la politique de l’amiable et des cours criminelles départementales.
Enfin, il s’agit de simplifier certaines règles de gestion des ressources humaines, en pérennisant les brigades de soutien des magistrats et greffiers, qui font leurs preuves à Mayotte et en Guyane ; en instaurant des priorités d’affectation pour les magistrats qui ont accepté de partir dans des territoires peu attractifs, et, enfin, en créant un troisième grade pour garder des magistrats d’expérience dans les juridictions de première instance afin, notamment, d’en améliorer la qualité, conformément aux vœux exprimés dans le rapport Sauvé.
Le deuxième axe de la réforme statutaire consiste en la modernisation, notamment celle du dialogue social et du mode de scrutin au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Enfin, le dernier axe repose sur la responsabilité du corps judiciaire, avec l’élargissement des conditions de recevabilité des plaintes des justiciables contre des magistrats devant le CSM – qui, en l’état, ne donnent in fine jamais lieu à sanction.
Le troisième chantier de réforme est celui de la simplification de certaines procédures : qu’elles soient civiles ou pénales, elles sont un facteur de complexité pour nos professionnels et d’éloignement entre le citoyen et la justice.
Vous le savez, en matière civile, je veux faire enfin advenir la révolution de l’amiable, qui se fait tant attendre en France. Cette réforme est de niveau réglementaire, mais j’ai transmis à la commission des lois le projet de décret concernant l’instauration de la césure et de l’audience de règlement amiable afin que nous puissions aborder ce point dans les semaines à venir, dans un temps plus long. Ma porte est grande ouverte pour échanger sur ces questions.
En matière pénale, je souhaite que nous puissions lancer ensemble le chantier titanesque de la simplification de la procédure pénale. Il s’agit dans un premier temps de restructurer et de clarifier le code à droit constant, comme le précise l’article 2. L’objectif est de le rendre plus lisible pour les professionnels, en réécrivant des articles qui consistent en des renvois successifs à d’autres articles, en réorganisant l’ensemble des chapitres et en regroupant certains textes épars, pour éviter les erreurs procédurales.
Enfin, je vous confirme que le nouveau code de procédure pénale n’entrera pas en vigueur avant sa ratification, comme ce fut le cas pour le code de la justice pénale des mineurs. Le comité parlementaire, que nous renforcerons dans le rapport annexé grâce au travail du député Emmanuel Mandon, et qui sera institué après la promulgation de la loi, permettra de s’assurer que le Parlement conserve bien un droit de regard incontournable sur la conduite de cette réforme.
Enfin, il vous est proposé une série de mesures concrètes immédiatement applicables. Je pense à celles, par exemple, visant à améliorer l’efficacité de l’enquête pénale et à renforcer le recours aux techniques spéciales d’enquête ; je ne méconnais pas les craintes en la matière, mais je pense que le travail du rapporteur Erwan Balanant a apporté un certain nombre de garanties qui devraient nous rassurer. C’est également le cas de l’extension du travail d’intérêt général aux entreprises de l’économie sociale et solidaire : si le nombre de places a significativement augmenté ces dernières années sous l’impulsion de cette majorité, il nous faut aller plus loin – c’est ce que permettra un amendement de la députée Blandine Brocard.
Je pense aussi à l’extension du champ de l’indemnisation aux victimes de certaines infractions. Le travail réalisé avec les rapporteurs et la députée Sarah Tanzilli nous permettra, là encore, d’aller plus loin pour couvrir les victimes et, par ricochet, les victimes mineures au moment de l’infraction.
Pour conclure mon propos, j’en reviendrai à mon point initial : il est de notre responsabilité collective de répondre au besoin de justice et de donner à la justice les moyens de tenir son rang dans nos institutions. Nous avons certaines divergences – elles s’exprimeront lors de l’examen des articles – mais, sur la majorité des bancs, de droite à gauche, nous partageons l’ambition et l’impérieuse nécessité de rétablir la place de la justice à la hauteur de la mission fondamentale qui est la sienne, à la hauteur de l’engagement de ceux qui la servent, et surtout, à la hauteur des attentes des Français – au nom de qui, ne l’oublions jamais, elle est rendue. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Terlier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Jean Terlier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice est devenu un rendez-vous quinquennal incontournable pour le Parlement. C’est une pratique encore récente mais nous y sommes attachés car le Parlement peut ainsi être informé en détail des projets du Gouvernement pour les cinq années à venir et sur les moyens qui seront mis en œuvre. Elle nous permet également de nous exprimer, grâce au rapport annexé, sur des questions stratégiques, y compris de niveau réglementaire. C’est enfin pour nous l’occasion de procéder à des améliorations dans les différents pans du droit, d’engager des réformes de grande ampleur, comme la réforme du code de procédure pénale, ou de lancer des expérimentations, comme l’expérimentation des tribunaux des affaires économiques.
La loi de programmation précédente, dont nous avions débattu avec votre prédécesseure, Nicole Belloubet, a permis d’engager de grandes transformations. Elles se sont, depuis, concrétisées avec succès : instauration des tribunaux judiciaires, création du parquet national antiterroriste (Pnat), développement des modes alternatifs de règlement des litiges, entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs, création des cours criminelles.
Tout au long du quinquennat, nous n’avons eu de cesse de réformer notre justice en matière de responsabilité pénale, de violences intrafamiliales, de lutte contre la haine en ligne ou d’accès au travail pour les détenus. Sans un accompagnement financier fort, tout cela aurait été vain. Dans un contexte de tension sur les finances publiques, nous avons maintenu une hausse sans précédent du budget de la justice : + 8 % en 2021, + 8 % en 2022, + 8 % en 2023.
Transformer un service public comme celui de la justice ne se fait pas en un jour, surtout lorsqu’il a été à ce point affaibli par le sous-investissement chronique des gouvernements précédents, de gauche comme de droite.
Il est toujours plus facile d’entendre ce qui nous conforte et nous rassure. Pourtant, monsieur le garde des sceaux, vous avez eu l’audace, lors des états généraux de la justice, de donner carte blanche aux professionnels. Après plusieurs mois de travail, ils vous ont adressé leurs constats et leurs propositions d’amélioration, en toute franchise, en toute transparence, sans interférence politique.
Mme Cécile Untermaier
Ce n’est pas la première fois que cela se fait !
M. Jean Terlier, rapporteur
Cinq objectifs en ont été tirés, qui sont ceux du projet de loi : réduire les délais, au pénal comme au civil ; simplifier et moderniser les procédures, en s’appuyant notamment sur le numérique et les nouvelles technologies ; revaloriser tous les métiers de la justice par une meilleure gestion des carrières, de la formation et de la mobilité ; apporter des solutions à la surpopulation carcérale ; poursuivre l’effort financier pour atteindre ces objectifs et moderniser l’institution judiciaire.
Après des débats de grande qualité en commission, nous avons pu améliorer le texte en adoptant des amendements de la majorité et de l’ensemble des groupes d’opposition.
M. Ugo Bernalicis
Mais oui, bien sûr…
M. Jean Terlier, rapporteur
Je déclinerai rapidement les mesures contenues dans les titres dont j’ai la charge, laissant à mes collègues rapporteurs, Erwan Balanant et Philippe Pradal, le soin de compléter. J’en profite pour les saluer et remercier les administrateurs, qui ont fourni, comme à leur habitude, un travail de grande qualité.
Le titre IV porte sur l’ouverture et la modernisation de l’institution judiciaire. Il crée la fonction d’attaché de justice, qui se substitue au statut de juriste assistant. En commission des lois, nous avons décidé que les candidats devront avoir au moins un diplôme de niveau bac + 5 pour être recrutés en tant que contractuels. Les contrats proposés seront à durée indéterminée, ce qui constitue une avancée par rapport au statut précaire de juriste assistant et surtout une reconnaissance de leur importance au sein des juridictions. L’article 12 consacre la participation des parlementaires au conseil de juridiction, un sujet qui peut nous rassembler. Toujours au titre IV, le chapitre II perfectionne la réforme des juridictions disciplinaires des avocats et des officiers ministériels, tandis que le chapitre III est consacré à l’administration pénitentiaire.
Je veux saluer solennellement l’ensemble des agents de la pénitentiaire pour les missions essentielles qu’ils accomplissent, dans des conditions parfois difficiles. En sus des moyens supplémentaires, l’article 14 contient trois évolutions : l’élargissement du vivier de la réserve civile pénitentiaire ; la généralisation du port de caméras individuelles par certains personnels ; la possibilité de recruter des surveillants adjoints par voie contractuelle.
Le titre V est consacré à des réformes procédurales et à des adaptations du régime de certaines professions du droit. Il ne traite pas de la réforme de la procédure civile, celle-ci ne relève pas du domaine de la loi, mais la commission a souhaité exprimer son soutien au développement d’une véritable politique de l’amiable : elle a adopté un amendement important qui vise à fixer, dans le rapport annexé, les grandes orientations de la réforme. Sur deux autres sujets, le niveau de diplôme exigé pour entrer au centre régional de formation professionnelle des avocats – CRFPA – et la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, nous aurons de nouveau des débats importants en séance publique.
Le titre VI comprend les dispositions relatives aux juridictions administratives et financières. Il s’agit principalement de mesures de simplification ou de coordination liées aux transformations récentes.
M. Sylvain Maillard
Très bien !
M. Jean Terlier, rapporteur
Ce texte ambitieux touche à presque toutes les dimensions du droit et de la justice, pas forcément pour les révolutionner mais pour apporter des solutions concrètes, attendues par les professionnels et les usagers.
Je terminerai en évoquant la hausse continue des moyens. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes le ministre qui aura permis des augmentations du budget de la justice sans précédent sous la Ve République, vous êtes celui qui aura fait des états généraux les états généreux de la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
M. Ugo Bernalicis
On devrait peut-être vous laisser en tête-à-tête pour ne pas vous déranger ?
M. Sylvain Maillard
Mais il dit la vérité !
M. Ugo Bernalicis
Alors donnez-lui une récompense, au moins une mission de six mois, quelque chose enfin !
Mme la présidente
La parole est à M. Erwan Balanant, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Erwan Balanant, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
« La justice est la première vertu des institutions sociales. » Ces quelques mots de John Rawls concentrent l’essentiel de ce que doit être notre justice, une institution garantissant la liberté et l’équité. L’examen de ce texte permet de répondre à ces exigences ainsi qu’aux attentes de nos concitoyens, qui veulent avoir confiance en une société libre, équitable et respectable.
Avec un budget sans précédent, un plan d’action global détaillé dans le rapport annexé et une modernisation de la procédure pénale, respectivement adossés aux titres I et II, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur, nous avançons vers une amélioration concrète des conditions de travail et des moyens alloués aux professionnels de la justice.
La trajectoire budgétaire est celle d’une augmentation inédite – 21,3 % – des crédits entre 2023 et 2027. Sur la même période, 10 000 emplois seront créés, dont 1 500 emplois de magistrat et 1 500 emplois de greffier.
Nous devrons être vigilants quant à l’évolution du recrutement. Les objectifs sont très ambitieux et il est impératif que nous soyons au rendez-vous pour renforcer les juridictions. En ce sens, l’amendement de la commission des finances qui prévoit la remise d’un rapport d’exécution annuel est important : ce rapport nous aidera à garder le cap.
Le rapport annexé est un guide à part entière. Il permet d’évoquer des sujets tels que la politique de l’amiable ou l’institutionnalisation de pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, des réformes qui sont autant d’avancées. À cela s’ajoute le souhait du Gouvernement, et du garde des sceaux, de moderniser le code de procédure pénale. Je salue cette volonté d’allier amélioration des moyens alloués aux professionnels de la justice et simplification de leurs missions quotidiennes.
Avec l’inflation législative, le code de procédure pénale est devenu difficilement lisible et accessible. Il doit être réécrit. Je tiens à saluer la méthode que compte suivre le Gouvernement, et que le Sénat a consacrée dans le rapport annexé. Elle consiste à associer tous les groupes parlementaires pour identifier les pistes de simplification sur lesquelles nous pourrons nous prononcer lors de l’examen du texte de ratification. Je tiens à rassurer les collègues qui auraient quelques craintes : la refonte par ordonnance sera faite à droit constant.
M. Ugo Bernalicis
C’est faux !
M. Erwan Balanant, rapporteur
Au reste, il serait inconstitutionnel d’apporter dans ce cadre une quelconque modification de fond.
Le titre II comprend des avancées importantes, au nombre desquelles les dispositions de l’article 3.
Mme Andrée Taurinya
C’est le plus terrible !
M. Erwan Balanant, rapporteur
La commission a apporté des enrichissements substantiels à cet article imposant, à commencer par le régime des perquisitions de nuit concernant les crimes contre les personnes. Ces ajustements permettent de proposer un cadre très robuste, bien plus que ce qui existe en matière de flagrance pour la criminalité organisée. De même, le recours à la visioconférence pour l’examen médical en garde à vue a été enrichi pour inscrire dans la loi les hypothèses d’exclusion.
Je tiens à saluer l’initiative que nous avons prise avec Caroline Yadan, Emeline K/Bidi et Philippe Gosselin, de mener un travail transpartisan sur les droits des témoins assistés et l’accès au dossier de procédure. Sur ma proposition, nous avons harmonisé les règles d’audition d’un témoin non soupçonné et prévu que le prélèvement d’empreintes sans consentement en garde à vue doit être fait en présence de l’avocat.
Il me paraît indispensable de consacrer quelques instants au dispositif de l’activation à distance, qui a soulevé des craintes et fait l’objet d’importants débats en commission. Ces dispositions génèrent des inquiétudes – je les ai moi-même ressenties – car elles nous confrontent à des évolutions technologiques qui peuvent effrayer. Je pense que beaucoup relèvent plutôt du fantasme…
M. Ugo Bernalicis
Bien sûr…
M. Erwan Balanant, rapporteur
…et qu’au sein de cet hémicycle, il faut savoir raison garder.
M. Ugo Bernalicis
Vous parlez d’un fantasme !
M. Erwan Balanant, rapporteur
La technique de géolocalisation et la technique spéciale de captation d’images ou de sons existent déjà dans notre droit. Ce sont des outils précieux pour les enquêteurs. Nous ne touchons pas aux conditions mais nous les encadrons ; nous permettons aux enquêteurs d’y avoir recours par un nouveau procédé, mieux maîtrisé et moins dangereux. C’est cela que nous devons garder à l’esprit.
Vos inquiétudes ont permis d’enrichir le texte de nouvelles garanties au bénéfice, notamment, des professions protégées par un secret professionnel. Par ailleurs, nous avons clarifié la disposition qui interdit la transcription des échanges avec un avocat ou avec un journaliste et de tout échange qui serait capté par un appareil placé dans un lieu lié à l’activité d’un avocat, d’un journaliste, d’un médecin, d’un notaire, d’un huissier ou d’un magistrat et activé à distance.
Les débats promettent d’être riches et intéressants. Ils seront l’occasion de réaliser de nouvelles avancées. De nombreux amendements de la majorité et de l’opposition font d’ailleurs l’objet d’avis favorables. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Pradal, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Philippe Pradal, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Permettez-moi, car cela n’est pas sans lien avec le projet de loi sur la justice qui nous réunit aujourd’hui, de rendre hommage aux forces de l’ordre – police et gendarmerie nationales, polices municipales –, aux sapeurs-pompiers et à tous ceux qui font face, avec courage et détermination, aux émeutes urbaines qui ont secoué notre pays ces derniers jours. Ils font preuve d’un professionnalisme exemplaire pour protéger les citoyens et préserver la paix sociale. Leur engagement et leur dévouement méritent notre soutien. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Ce même soutien, nous devons l’exprimer à l’institution judiciaire. Ainsi que le rappelle la première phrase de l’exposé des motifs du projet de loi, elle constitue le socle du pacte social. C’est tout l’intérêt de ce texte, qui donne à la justice les moyens budgétaires et humains dont elle a besoin pour répondre aux attentes de nos concitoyens.
Ce texte vous doit beaucoup, monsieur le ministre. Je vous remercie, ainsi que vos services, pour le travail que nous avons accompli ensemble ces dernières semaines. Mes travaux de rapporteur ont porté sur la justice commerciale et sociale. Cette justice s’exerce en première instance grâce à l’engagement sur le terrain de milliers de juges consulaires et de conseillers prud’hommes. Cet engagement désintéressé doit être reconnu et l’action des juges non professionnels, dans leur ensemble, doit être saluée.
Les tribunaux de commerce et les conseils de prud’hommes sont des piliers essentiels du système judiciaire. Ils ont fait leurs preuves et nos concitoyens, salariés et chefs d’entreprise, y sont attachés.
M. Philippe Pradal, rapporteur
Le projet de loi pose les fondations d’une justice économique en procédant à un élargissement expérimental des compétences du tribunal du commerce. Il prévoit l’institution de neuf à douze tribunaux des activités économiques ainsi que la création d’une contribution pour la justice économique versée lors de l’introduction de l’instance devant le TAE par le demandeur et destinée à soutenir le financement du service public de la justice.
La commission a adopté ces dispositions avec quelques modifications portant tant sur la composition que sur les compétences du TAE. Elle a fait le choix de ne pas réintroduire la présence du magistrat professionnel, supprimée par le Sénat, et a pris acte des réserves exprimées par les juges consulaires et les syndicats de magistrats.
Mme Cécile Untermaier
Quel courage !
M. Philippe Pradal, rapporteur
S’agissant des compétences, elle est revenue sur quelques extensions introduites par le Sénat en matière de baux commerciaux et surtout de procédures collectives pour les professions réglementées du droit.
Nous aurons l’occasion de débattre des agriculteurs, qui me semblent avoir toute leur place dans la construction d’une justice économique en France, à condition qu’ils soient représentés au sein de la juridiction. Je présenterai un amendement en ce sens.
Pour ce qui concerne les associations, je suis plutôt réservé quant à la possibilité de les attraire toutes devant le TAE pour traiter de leurs difficultés économiques. De mon point de vue, il faut distinguer celles qui ont des activités économiques de celles qui n’en ont pas. Là encore, le débat en séance sera très utile pour fixer le juste périmètre du TAE.
La commission a également adopté un amendement, dont je partage la paternité avec Philippe Gosselin, qui exonère toutes les entreprises de moins de 250 salariés du versement de la contribution pour la justice économique. Je vous proposerai en séance un amendement qui étend le champ des exonérations, au-delà des seules entreprises, à toutes les personnes physiques et morales employant moins de 250 salariés.
Je terminerai par le statut des magistrats non professionnels. Cette réforme de la justice apporte des adaptations bienvenues permettant d’harmoniser les statuts des juges consulaires et des conseillers prud’homaux, notamment s’agissant du régime des sanctions, des déclarations d’intérêts ou de la formation initiale. Le texte prévoit un alignement de l’âge maximal pour exercer les fonctions de conseiller prud’homal sur celui fixé pour les juges consulaires. Il limite à cinq le nombre de mandats consécutifs qu’un conseiller prud’homal peut exercer dans un même conseil. Afin d’éviter une application trop abrupte de cette mesure, je proposerai un amendement destiné à en différer l’entrée en vigueur jusqu’au prochain renouvellement général des conseillers prud’homaux, à la fin de l’année 2025. Cet assouplissement permettra aux organisations représentatives des employeurs et des salariés de s’adapter et de se préparer. Enfin, à mon initiative, la commission a adopté un amendement allongeant de deux à six mois le délai de dépôt des déclarations d’intérêts des conseillers prud’homaux, afin de rendre la disposition applicable et efficace.
Comme vous le voyez, la commission a approuvé et renforcé les grandes orientations du projet de loi en matière de justice commerciale et sociale. Je suis confiant dans le fait que notre assemblée adoptera ces différentes dispositions avec les quelques ajustements que j’ai évoqués. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Didier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire.
M. Didier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Notre époque est tristement marquée par une défiance généralisée à l’égard de nos institutions et une remise en cause de l’état de droit et de l’État républicain qu’une partie de la classe politique elle-même va jusqu’à dangereusement terroriser – pardon, théoriser, quoiqu’en l’occurrence, les deux verbes puissent s’employer – et mettre en pratique. La justice, rendue au nom du peuple français, n’y fait malheureusement pas exception. Face aux défis et aux incertitudes auxquels elle est confrontée, son salut tient en grande partie dans sa capacité à s’adapter, d’une certaine façon, à se remettre en cause et à dialoguer, selon des règles propres, avec la société et les pouvoirs publics. C’est à ce prix, sans compromettre son indépendance et son impartialité, qu’elle pourra accomplir la mission essentielle qui est la sienne. C’est un impératif d’autant plus grand que l’attente de justice reste, paradoxalement, toujours aussi forte chez nos concitoyens.
C’est à relever ce défi majeur pour notre démocratie que se sont employés, depuis plusieurs années, notre majorité et le Gouvernement. Cette action, née d’une volonté forte et décisive exprimée par le Président de la République, a pris la forme des états généraux de la justice qui ont été suivis par un plan d’action particulièrement ambitieux du ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, dont nous trouvons une traduction dans les deux textes que nous examinons. Nous poursuivons ainsi le patient et indispensable travail de restauration de notre justice, conformément aux engagements que nous avons pris.
Nous attendons, sur tous les bancs de cet hémicycle, un consensus autour des efforts budgétaires sans précédent qui ont été consentis, des perspectives hors normes de recrutement qui ont été tracées, des évolutions réglementaires annoncées, en particulier s’agissant de la réforme fondamentale de la médiation en matière civile ainsi que de la déconcentration et du dialogue de gestion que vous préconisez, monsieur le ministre. Ces changements de paradigme ne seraient toutefois pas complets s’ils n’étaient pas accompagnés de nouvelles transformations du corps judiciaire.
Recruter en quelques années 1 500 magistrats supplémentaires, c’est nécessairement continuer à faciliter l’accès des professionnels à la magistrature, rendre les carrières plus attractives, assouplir encore le lien entre grades et fonctions, mieux évaluer le rôle essentiel des magistrats en matière de gestion et de ressources humaines et reconstruire le dialogue social sur des bases solides. Ce sont quelques-uns des fondamentaux du texte auxquels les magistrats veulent croire.
Ne nous y trompons pas, la dernière réforme d’ampleur du statut de la magistrature remonte à plus de vingt ans, pour être exact, à la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature. Avec ce projet de loi organique, il s’agit rien de moins que de changer en profondeur les règles concernant l’accès au corps judiciaire et sa structuration, tout en lui apportant de fortes garanties sur le plan de l’indépendance et de la stabilité.
Il importait de prendre en compte les demandes exprimées au cours des états généraux comme de suivre les suggestions du CSM concernant un affermissement de la responsabilité des magistrats. C’est ainsi que le projet de loi organique prévoit une reformulation du serment des magistrats, l’élaboration d’une charte de déontologie, une diversification accrue de l’échelle des sanctions ainsi qu’une amélioration sensible de l’exercice du droit de plainte des justiciables.
Assurer plus d’efficacité et plus de transparence pour plus de confiance, tout en maintenant un système suffisamment équilibré pour ne pas perturber l’activité des magistrats ni attenter, de quelque façon que ce soit, à leur indépendance, tels sont les objectifs poursuivis.
Le Sénat, en première lecture, a opéré un travail de fond auquel il faut rendre hommage. Notre commission des lois, en lien avec le Gouvernement, n’a cependant pas été en reste. Nous avons pu rectifier ou améliorer – de manière plutôt consensuelle, il faut le souligner – de nombreux dispositifs comme l’encadrement de la liberté syndicale des magistrats, que le Sénat voulait lier à un critère d’impartialité, ce qui revenait, pour beaucoup d’entre nous, à le vider de son sens. Nous avons également restauré certains équilibres afin d’assurer une meilleure garantie d’indépendance du corps judiciaire, notamment en prévoyant la présence majoritaire des magistrats dans les nouveaux jurys ou collèges d’évaluation. Nous avons eu aussi à cœur de maintenir le rôle spécifique du ministre de la justice, en particulier dans le nouveau schéma de responsabilité des magistrats.
Pour toutes ces raisons, j’ai la conviction que les évolutions à la fois internes et externes du corps judiciaire contenues dans ce projet de loi organique répondent parfaitement aux exigences de qualité et d’efficacité de notre justice et s’imbriquent pleinement dans le large plan d’action mis en œuvre par Éric Dupond-Moretti. Notre groupe y sera, bien évidemment, favorable. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Sacha Houlié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Nous avons une grande responsabilité et nous ne devons pas nous y dérober. L’enjeu de ce projet de loi de programmation de la justice est tout simplement de rétablir l’autorité judiciaire en lui donnant durablement un budget digne de ce nom.
Je veux en préambule, monsieur le garde des sceaux, saluer les efforts accomplis par vos prédécesseurs, Christiane Taubira, Jean-Jacques Urvoas et surtout Nicole Belloubet qui, en leur temps, ont fait leur possible. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem. – Mme Cécile Untermaier applaudit également.)
L’effort consenti à travers ce projet de loi ordinaire est sans précédent et fait suite à trois augmentations successives du budget de la Chancellerie depuis 2020, de 8 % par an chacune. Avec 7,5 milliards d’euros supplémentaires de 2023 à 2027, soit l’équivalent d’un sixième budget en un quinquennat, plus personne ne pourra parler de « clochardisation » du ministère de la justice.
Mme Raquel Garrido
Si, on le pourra.
M. Sacha Houlié, président de la commission des lois
Ce texte contient beaucoup de plus et, selon l’expression consacrée, « le plus, c’est tout simplement différent du moins ». Il fournit aussi la démonstration que, pour une fois, le mieux n’est pas l’ennemi du bien.
Saluons d’abord la méthode sur laquelle il repose. Il est fondé sur la plus grande étude d’impact jamais réalisée : les états généraux de la justice, consultation majeure ayant réuni les acteurs et les métiers du droit jusqu’au justiciable lui-même. Sur ce point, notons-le, je n’ai jusqu’à présent pas entendu pas la moindre critique.
Désormais, il est primordial de traduire au niveau législatif les recommandations du comité des états généraux. Voici venu le temps de le faire et, je le redis, j’appelle chacun d’entre vous à ne pas se dérober face à la responsabilité qui lui incombe : voter en faveur de ces projets de loi.
De quoi s’agit-il exactement ? De rendre la réponse pénale plus efficace, de simplifier la procédure pénale, d’accélérer drastiquement les délais de la justice civile, de moderniser la justice commerciale et de mieux reconnaître la justice administrative.
Les chiffres, vous les connaissez, mais ils méritent d’être rabâchés car, n’en déplaise à certains, nous en sommes extrêmement fiers. Sont prévus 10 000 emplois supplémentaires d’ici à 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, des augmentations salariales et des changements de grilles indiciaires, y compris pour les agents pénitentiaires, que je salue. Nous avons travaillé, dès le stade des débats en commission, en nous assurant qu’aucune voie de recrutement n’est oubliée, pas même celle des docteurs en droit pour ce qui est de l’accès à la magistrature.
Ces personnels supplémentaires viendront renforcer les réformes entreprises par notre majorité. Le recrutement en nombre significatif des futurs attachés de justice sera déterminant pour structurer les équipes juridictionnelles. Les magistrats supplémentaires viendront également renforcer les futurs pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales. Là encore, nous mettons les moyens à la hauteur de nos ambitions. Des crédits supplémentaires doivent en outre permettre à la justice de poursuivre sa transformation numérique, chantier d’ampleur comme l’a révélé la crise sanitaire.
Notre ambition de simplifier la procédure pénale ne se limite pas à de simples mots. Le texte prévoit la refonte du code de procédure pénale, à droit constant – j’insiste sur ce point car certains ont du mal à l’entendre et préfèrent instrumentaliser tout ce qui peut l’être afin de se dérober à leurs responsabilités.
Je n’ai pas besoin de m’étendre sur le constat partagé par tous : le code de procédure pénale est devenu illisible, avec des articles inintelligibles regorgeant d’incohérences sous l’effet de multiples renvois – je vous en épargne la litanie. Je me réjouis donc de la perspective de sa refonte et salue la méthode proposée par le Gouvernement d’associer à ces travaux l’ensemble des groupes parlementaires, démarche qui a fait ses preuves lors de la création du code de la justice pénale des mineurs.
J’en appelle aussi à votre responsabilité, chers collègues, pour ce qui concerne nos prisons. C’est la création de 15 000 places en dix ans que nous visons. C’est tout à la fois un impératif de salubrité publique et une exigence d’ordre public. Nous ne céderons ni à la surenchère sécuritaire de ceux qui demandent toujours plus de places sans jamais accorder le moindre permis de construire,…
Mme Emmanuelle Ménard
C’est une plaisanterie ?
M. Sacha Houlié, président de la commission des lois
…ni à la béatitude et à l’hypocrisie de ceux qui refusent de reconnaître les efforts faits pour aménager les peines ou réinsérer les détenus, comme en témoigne le contrat conclu récemment.
J’avance rapidement sur la place nouvelle confiée à notre justice commerciale. Nous avons entendu les inquiétudes des juges consulaires, mais j’attends aussi qu’une réflexion soit engagée par la conférence des présidents des tribunaux de commerce sur les procédures à juge unique comme les référés.
J’évoquerai brièvement la réforme de la procédure civile, dont nous ne débattrons que peu car elle est d’ordre réglementaire, me contentant de saluer les deux décrets qui la soutiennent.
Enfin, je souhaitais m’exprimer sur le titre relatif aux juridictions administratives et financières. Nous avons introduit par amendements des modifications, notamment la prestation de serment, par lesquels nous souhaitons reconnaître la qualité de juge de plein office aux juges administratifs, qui ont largement démontré qu’ils en étaient dignes, notamment à travers le contentieux lié à la crise sanitaire.
Voilà la tâche qui nous attend désormais. Je l’ai suffisamment dit, la responsabilité est entre vos mains, entre nos mains. Il s’agit de doter enfin la justice de moyens dont elle a besoin. C’est ce que nous nous apprêtons à faire ici et maintenant. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Motion de rejet préalable
Mme la présidente
J’ai reçu de Mme Mathilde Panot et des membres du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale une motion de rejet préalable du projet de loi de programmation et d’orientation de la justice 2023-2027, déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Sans justice, pas de paix. La justice est essentielle au bien-vivre ensemble. Elle est là quand tous les autres services publics n’ont pu accomplir leurs missions, résoudre les conflits et protéger les citoyens. Ce service public hors normes est l’ultime recours des couples qui se séparent, des familles qui se disputent, de la jeunesse en danger ou délinquante, des enfants abusés, des femmes violentées, des salariés abusivement licenciés, des victimes de voleurs, d’escrocs ou d’assassins, de scandales sanitaires, de catastrophes ou de terrorisme.
En définitive, elle est saisie de tous les drames, petits ou grands, vécus par les membres de la société. C’est pourquoi nous attacherons toujours une extrême importance aux textes qui y ont trait.
Mme Prisca Thevenot
Et donc ? Vous rejetez le texte ? Quelle logique implacable !
M. Ugo Bernalicis
J’ajoute qu’il n’y a pas d’ordre possible sans justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
On dit souvent que, dans notre pays, la justice fait l’objet d’une aspiration légitime.
Faisons un effort de mémoire. Nous avons perdu cinq ans. En effet, je vous ai tous et toutes entendus à cette même tribune en 2018, à l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Vous nous expliquiez que, grâce aux moyens engagés, la justice serait enfin d’aplomb pour faire face aux grands enjeux de la société.
M. Erwan Balanant, rapporteur
Elle va bien mieux !
M. Jean Terlier, rapporteur
Et sans votre concours !
Mme Caroline Abadie
Il y a eu un sacré progrès !
Mme Caroline Yadan
Et ce n’est pas grâce à vous !
M. Ugo Bernalicis
Que s’est-il passé depuis ? Trois ans plus tard, les états généraux de la justice sont lancés pour réparer, enfin, la justice – je pensais qu’elle l’était déjà ! J’avais poliment écouté le garde des sceaux nous exposer tout le bien qu’il pensait de sa propre politique et je finissais même par être convaincu, jusqu’à ce que paraisse une tribune signée par 3 000 magistrats, à la suite du suicide de l’une de leurs collègues, à Lille. Des mobilisations historiques des personnels de la justice ont eu lieu ensuite. Cela aurait dû vous inciter à mener une politique plus humble et à vous efforcer de faire au mieux, au lieu de fanfaronner et de pétarader en vous vantant de vos prétendus succès ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Erwan Balanant, rapporteur
Dans le contexte actuel, « pétarader » est un mot mal choisi.
M. Ugo Bernalicis
Vous vantez un budget historique de 7,5 milliards d’euros supplémentaires : c’est pourtant moitié moins que ce qu’a obtenu Gérald Darmanin pour le ministère de l’intérieur.
Mme Prisca Thevenot
Quel rapport ?
M. Ugo Bernalicis
Ferez-vous moitié moins bien ? Je ne sais pas.
Mme Blandine Brocard
Que proposez-vous ?
M. Ugo Bernalicis
Mais la vraie question, c’est un budget historique pour quoi faire ? Pour prolonger une justice de classe ? Non. En tout cas, ce sera sans nous.
Mme Blandine Brocard
C’est votre seule proposition ?
M. Sacha Houlié, président de la commission des lois
Quelle honte !
M. Ugo Bernalicis
Les projets de loi d’orientation et de programmation soulèvent des interrogations, par-delà leurs simples montants : parce que vous n’achèterez personne en ne proposant que de l’argent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.) Or si l’on examine ces projets de loi dans le détail, on ne sait jamais précisément où va l’argent – d’ailleurs, s’agissant de ce texte, nous ne disposons d’aucun détail ! On nous indique vaguement quelques pistes, telles que la nécessité de construire des places de prison – nous l’avions bien compris. Pour le reste, on repassera.
Comment seront recrutés les 1 500 magistrats ? On verra bien : surtout par le biais de passerelles. Où seront-ils affectés ? On verra plus tard. Pour faire quoi ? Ce qui aura été inscrit dans le présent texte, éventuellement – et encore, on ne sait pas exactement.
Mme Blandine Brocard
Vous racontez n’importe quoi !
M. Ugo Bernalicis
Permettez-moi de citer un seul exemple : lorsque, dans le cadre du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, Nicole Belloubet avait fait la promesse d’engager 1 milliard d’euros en faveur du numérique, je m’y étais déclaré très favorable, ajoutant que c’était toujours ça de pris et que, lorsque nous gagnerions les élections en 2022 – ce qui n’a malheureusement pas été le cas –,…
Un député du groupe RE
Ce ne sera jamais le cas !
M. Antoine Léaument
Ce n’est pas passé loin.
M. Ugo Bernalicis
…ce serait toujours ça de fait. Que s’est-il passé en 2022 ?
Mme Prisca Thevenot
Vous avez perdu !
M. Ugo Bernalicis
Nous n’avons pas gagné, c’est vrai. Toutefois, où est passé ce milliard destiné à la transformation numérique ? On nous explique péniblement qu’une application pour smartphone permet d’obtenir une simulation en ligne de l’aide juridictionnelle, fonctionnalité pourtant déjà disponible depuis plusieurs années sur www.service-public.fr et accessible sur n’importe quel smartphone actuel. Ce n’est pas cela, l’enjeu de la justice, et encore moins celui du numérique. J’ai remarqué qu’il était possible de donner son avis sur cette nouvelle application, par le biais d’un bouton. Je ne suis pas sûr d’avoir actionné le bon, mais je vais vous donner l’avis de mon groupe.
Comme je viens de le dire, il convient de savoir ce que vous comptez faire de ce budget historique, notamment en matière de justice civile, qui représente 70 % de l’activité.
Mme Prisca Thevenot
Pourrions-nous avoir un débat sérieux ?
Mme Blandine Brocard
Vous ne savez même pas pourquoi vous débattez !
M. Sacha Houlié, président de la commission des lois
Il cherche vraiment des raisons d’être là !
M. Ugo Bernalicis
Or qu’y a-t-il dans le texte ? Des promesses. Dans le rapport annexé, vous promettez de réaliser des travaux réglementaires. Le ministre dit nous avoir envoyé le décret correspondant : personnellement, je n’en ai pas vu la trace, mais je ne doute pas qu’il nous parvienne à un moment ou à un autre. Néanmoins, il ne fera pas l’objet d’un débat, ce qui est étrange. D’ailleurs, l’instauration de la césure du procès civil est un thème intéressant, dont nous aurions pu débattre, mais nous n’en parlerons pas. Il en est de même des modes alternatifs de règlement des différends et des litiges : nous avions pourtant eu un long débat sur ce sujet, qui était au cœur de la loi de programmation 2018-2022 de Nicole Belloubet, avec la promesse que tout irait mieux dans le pays – ce qui reste à démontrer ; ou, plutôt, la démonstration inverse a été faite.
Mme Caroline Yadan
La baguette magique n’existe pas !
M. Ugo Bernalicis
On peine à trouver le bilan. On se dit finalement que les états généraux de la justice avaient vu juste, lorsqu’ils suggéraient de réinvestir les modes alternatifs de règlement des différends et des litiges. Sauf que l’objectif n’était pas de les rendre obligatoires préalablement à la procédure et payants, ni de recourir à des conciliateurs de justice malheureusement inaccessibles, de sorte qu’il faut bien plus de temps pour résoudre un litige.
Mme Blandine Brocard
Vous pouvez agiter les bras, cela ne fera pas avancer les choses !
M. Ugo Bernalicis
Vous voulez raccourcir les délais de la justice judiciaire mais, pour le justiciable, ce sera plus long ! Belle trouvaille que celle de la gestion des flux et des stocks ! Elle est devenue votre boussole : en petits comptables que vous êtes, vous vous efforcez de fermer le robinet entrant, d’ouvrir le robinet sortant et d’accélérer la moulinette, avec des sucres rapides, pour constituer une équipe autour du magistrat. Vous le faites dans la précipitation, le covid ayant fait la démonstration – une fois de plus – que la justice est à bout de souffle : vous recrutez des contractuels d’abord pour trois mois, puis la bataille s’engage, vous les recrutez alors pour six mois, puis la bataille continue et vous les prolongez jusqu’à trois ans, renouvelables une fois.
Maintenant, vous créez la fonction des attachés de justice. Il y a quelque chose qui cloche !
Mme Michèle Peyron
Oui, vous !
Mme Prisca Thevenot
Que proposez-vous ?
M. Ugo Bernalicis
Cela ressemble à du bricolage par construction. Tant mieux pour ceux qui sortiront un peu de la précarité. Néanmoins, adoptons une vision d’ensemble : y a-t-il vraiment un consensus pour faire du magistrat, demain, le manager d’attachés de justice chargés de préparer les décisions, un rôle qui lui incombait jusqu’à présent ?
Vous voulez constituer une équipe autour de lui ? Il aurait mieux valu une équipe de magistrats. Vous auriez pu tracer cette autre perspective ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Et s’il faut des gens pour entourer le magistrat, je rappelle qu’il y a des personnes qui s’appellent des greffières et des greffiers !
Mme Prisca Thevenot
Père Castor, raconte-nous une histoire !
M. Ugo Bernalicis
Ils ont une robe avec un rabat mais, bien qu’ils ressemblent un peu aux autres, ce ne sont pas les mêmes. D’ailleurs, certains sont en grève en ce moment même. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme Raquel Garrido
On les soutient !
M. Ugo Bernalicis
Vous dites, monsieur le garde des sceaux, que la justice est mobilisée. Vous avez raison ! Belle allusion à la mobilisation des greffières et des greffiers ! Je rappelle que des postes de greffiers assistants de magistrats (GAM) existent – assistants de magistrats, cela ressemble bizarrement à attachés de justice, non ? Or que croyez-vous qu’il se passe dans les juridictions ?
Mme Caroline Yadan
Vous allez nous l’expliquer !
M. Ugo Bernalicis
On demande aux greffiers, s’ils veulent continuer à assumer cette fonction, de devenir attachés de justice. Voilà ce qu’on leur dit, alors qu’ils se battent depuis des années afin d’obtenir une plus juste reconnaissance, de progresser au sein du ministère et d’exercer auprès du magistrat – et non pas à sa place. Le greffier authentifie la procédure, dont il est le garant, et il est indépendant du magistrat. C’est ce qui permet de faire tourner correctement l’organisation judiciaire.
Pour appeler votre attention, monsieur le garde des sceaux, ils ont détourné une chanson – vous me pardonnerez si je chante très mal, mais je suis sûr que vous la reconnaîtrez. (Protestations sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.) Je ne reprendrai que deux couplets, pour ne pas perdre trop de temps : « Oh dis-moi, regarde-moi ! Je ne sais plus comment aimer mon boulot de greffier. Parle-moi… »
Mme Fanta Berete
Non, madame la présidente, ce n’est pas possible !
Mme la présidente
Monsieur le député, on ne chante pas dans l’hémicycle !
M. Ugo Bernalicis
« Je ne sais plus pourquoi trimer ni pourquoi continuer ».
Mme Blandine Brocard
Ce n’est pas un one man show ici ! Nous sommes à l’Assemblée nationale !
M. Philippe Gosselin
Le sujet est grave. Vous êtes pathétique !
M. Yannick Haury
Quelle honte !
M. Ugo Bernalicis
Voilà comment les greffiers se sont exprimés devant les tribunaux à Lille et partout en France, pour appeler l’attention du garde des sceaux (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES)…
Mme Nathalie Oziol
Les Insoumis ont du talent !
M. Philippe Gosselin
Les Insoumis sont surtout ridicules !
M. Ugo Bernalicis
…parce qu’ils ont l’impression d’être les grands oubliés de cet enchaînement de bricolages, alors qu’on nous avait promis une grande réflexion.
Enfin, en ce qui concerne la planification, on repassera ! À Lille, par exemple, un nouveau projet de tribunal était dans les cartons. Savez-vous ce qu’il s’est passé ? Ils ont cherché un deuxième bâtiment où installer les personnels. Et comme de nouveaux recrutements sont annoncés, ils cherchent maintenant un troisième bâtiment. Belle anticipation et belle organisation, en effet ! C’est précisément ce qui me fait dire que cinq ans ont été perdus : nous vous alertions déjà, il y a cinq ans, à cette tribune. Et les mêmes personnes méprisantes que nous voyons aujourd’hui nous expliquaient qu’elles savaient gérer et que tout irait mieux.
M. Sacha Houlié, président de la commission des lois
En termes de mépris, vous nous avez tout appris !
M. Ugo Bernalicis
Par conséquent, nous ne soutiendrons pas ce projet de loi d’orientation et de programmation, car il ne va pas dans la bonne direction, même si, nous en convenons, il engage quelques moyens supplémentaires. Observons toutefois ceux-ci de plus près : il y a l’aspirateur géant de la prison, qui aspire tous les crédits. Hop !
M. Sacha Houlié, président de la commission des lois
Qu’on lui appose un nez rouge !
M. Ugo Bernalicis
Ce qui fait qu’il n’en reste pas beaucoup pour les autres. C’est là une signature politique : construire des places de prison, incarcérer des gens, tenir la société comme elle est, maintenir votre ordre public, sans justice sociale. C’est une véritable signature !
M. Erwan Balanant, rapporteur
C’est long !
M. Ugo Bernalicis
Vous entretenez l’effet cliquet, y compris en matière de procédure. Désormais, il sera possible de mener des perquisitions de nuit, d’utiliser n’importe quel objet connecté pour vous écouter ou vous observer.
Mme Danielle Brulebois
Et alors ! Si on n’a rien à se reprocher !
M. Ugo Bernalicis
Il sera possible d’incarcérer bien plus rapidement. Permettez-moi de faire un petit point…
Mme Blandine Brocard
Tout petit, alors.
M. Ugo Bernalicis
…sur l’administration pénitentiaire. Deux mille quatre cents personnes dorment sur des matelas à même le sol. J’interpelle les collègues macronistes qui avaient promis, dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022, de supprimer les courtes peines, de diminuer le nombre d’incarcérations et, par un effet de vases communicants, de parvenir à l’encellulement individuel grâce à la construction de places de prison ! Vous nous avez fait voter, au détour d’un projet de loi de finances, la prolongation du moratoire qui repousse l’application de cette mesure jusqu’en 2027…
Mme Sarah Tanzilli
Que vous n’avez pas votée !
M. Ugo Bernalicis
…faisant de nouveau la promesse que, grâce à votre politique, nous y arriverions. C’est du grand n’importe quoi ! Imaginons que le pays s’embrase. (Protestations sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.)
Mme Prisca Thevenot
Êtes-vous sérieux ? Arrêtez de vous frotter les mains !
M. Ugo Bernalicis
Imaginons que vous soyez contraints d’interpeller et d’incarcérer en masse. Cela poserait problème, au-delà des 2 400 matelas au sol. (« Oh ! » sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.) Regardez comment à Gradignan, le chef de la maison d’arrêt en est arrivé à demander un « stop écrou ». Croyez-vous que les surveillants, les accompagnants associatifs, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation travaillent correctement avec une telle surpopulation en détention ? Non !
Il faut donc instaurer un mécanisme de régulation carcérale,…
M. Antoine Léaument
Voilà !
M. Ugo Bernalicis
…comme l’ont demandé les états généraux de la justice. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Cela aurait dû être le cœur de votre réflexion, notamment en matière d’administration pénitentiaire. Mais non. Les états généraux n’auront pas suffi, alors qu’ils proposaient la mise en place de ce mécanisme.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Ce n’est pas vrai.
M. Ugo Bernalicis
J’espère que chacun prendra ses responsabilités et votera les amendements qui proposent un tel mécanisme.
M. Antoine Léaument
Exactement ! On est tous d’accord.
M. Ugo Bernalicis
Cela ne vous empêchera pas, collègues de droite, de dire qu’il manque des places de prison et qu’il faut incarcérer davantage. D’ailleurs, vous connaîtrez le nombre de personnes libérées par anticipation puisque vous avez voté le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, qui prévoit la libération sous contrainte lorsque le reliquat de peine est inférieur ou égal à trois mois, libération automatique sans conditions. Il vous reste moins de trois mois ? Allez-y, vous pouvez sortir. Et vous rejetez un mécanisme de régulation carcérale qui s’appuierait sur l’intervention d’un juge d’application des peines et respecterait une certaine logique ? Réfléchissez un instant ! Allez au bout de vos convictions. Que ferez-vous lorsque 4 000 détenus dormiront sur un matelas posé sur le sol…
Mme Raquel Garrido
Cinq mille, même ! Ça ne règle rien, mais ils continuent !
M. Ugo Bernalicis
…et que les prisons elles-mêmes s’embraseront ? Soyez responsables.
Un député du groupe Dem
C’est le monde à l’envers !
M. Philippe Gosselin
Cela vous va bien de dire cela !
M. Ugo Bernalicis
Je terminerai en soulignant que le sens de ce projet de loi est, en définitive, assez clair et symptomatique : vous appliquez, avec pointillisme, la nouvelle gestion publique – new public management – pour obtenir une gestion optimale des stocks – peu importe ce que deviendront les dossiers et les gens concernés, l’important étant que les premiers avancent et même accélèrent. Vous confondez, comme d’habitude, vitesse et précipitation. Lorsque j’entends dans votre bouche le mot célérité, je pense justice d’abattage.
Mme Fanta Berete
Non, mais franchement !
M. Ugo Bernalicis
Compte tenu du fonctionnement des comparutions immédiates, on comprend que le ministère de la justice aura fort à faire. Mais vous ne prenez pas la bonne direction. Et si vous aviez été honnêtes, vous auriez rendu public le nombre de magistrats nécessaires, juridiction par juridiction. Nous aurions pu nous assigner collectivement cette feuille de route (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES), alors que vous vous contentez d’annoncer le recrutement de 10 000 personnes : 1 500 magistrats – débrouillez-vous pour les affecter ; 1 500 greffiers – que les sénateurs ont essayé de porter à 1 800, mais, même cela, c’était de trop.
En définitive, ce sera sans nous. C’est pourquoi nous avons déposé cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme Maud Petit
Allez, au revoir !
M. Philippe Gosselin
Pas très brillant !
Mme la présidente
Je vous informe que sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par les groupes Renaissance et La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean Terlier, rapporteur.
M. Jean Terlier, rapporteur
Monsieur Bernalicis, ce discours de plus de quinze minutes nous a donné un exemple supplémentaire de la lamentable politique de la terre brûlée que pratique votre groupe. Vous ne vous préoccupez nullement du fond du texte.
Mme Blandine Brocard
Jamais !
M. Jean Terlier, rapporteur
Certains ont récemment désigné votre parti sous le nom de « La France incendiaire » ; je partage leur avis. (Mme Blandine Brocard et M. Benoit Mournet applaudissent.)
M. Antoine Léaument
Qui est au pouvoir ?
M. Jean Terlier, rapporteur
Il est difficile d’avoir cette discussion à ce stade de l’examen du texte. Je pense qu’au fond de vous, vous regrettez sincèrement…
Mme Nathalie Oziol
Pas de psychologie ! Restons dans le domaine politique !
M. Jean Terlier
…de ne pas avoir voté les budgets successifs grâce auxquels les moyens alloués à la justice ont connu une hausse historique de 54 % au total depuis 2017. Les deux lois de programmation du ministère de la justice proposées sous la XVe et la XVIe législature sont l’instrument du relèvement historique du service public de la justice, mais La France insoumise s’y oppose. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme Prisca Thevenot
Eh oui ! Prenez vos responsabilités !
M. Ugo Bernalicis
Ce n’est même pas le budget : avec l’augmentation du point d’indice, il est déjà planté.
M. Jean Terlier, rapporteur
En proposant de rejeter ce projet de loi, vous balayez d’un revers de main la création de 10 000 postes visant à renforcer le service public de la justice.
M. Ugo Bernalicis
On attend de les voir !
M. Jean Terlier, rapporteur
Vous dites, avec beaucoup de mépris, que les attachés de justice seront des sous-magistrats…
M. Ugo Bernalicis
Je n’ai pas dit cela !
M. Jean Terlier, rapporteur
…et qu’ils ne faciliteront en rien le processus de prise de décision des magistrats. Si vous aviez interrogé les présidents de juridiction de votre circonscription, ils vous auraient expliqué que les attachés de justice joueront dans la procédure judiciaire un rôle fondamental, en complément du travail des greffiers.
M. Ugo Bernalicis
Pas en complément des greffiers, mais à leur place !
M. Jean Terlier, rapporteur
Si vous aviez participé aux auditions préalables à l’examen du texte en commission, vous auriez entendu les représentants de l’École nationale de la magistrature et de l’École nationale des greffes (ENG)…
Mme Karen Erodi
Les greffiers sont en grève !
M. Jean Terlier
…assurer qu’il sera possible, grâce à l’augmentation substantielle des moyens de la justice que nous prévoyons, de former en cinq ans 1 500 magistrats et 1 500 greffiers.
Il n’est pas sérieux de balayer tout cela d’un revers de la main. En déposant cette motion de rejet, La France insoumise montre une fois de plus qu’elle n’est pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens.
Mme Danielle Brulebois
C’est certain !
M. Jean Terlier, rapporteur
Pour fonctionner, la justice a besoin de l’augmentation budgétaire significative que promeut le texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme Prisca Thevenot
Bravo !
Mme la présidente
Dans les explications de vote, la parole est à Mme Caroline Abadie.
Mme Caroline Abadie (RE)
Chers collègues Insoumis, voilà votre dix-neuvième motion de rejet en un an. Pour rappel, une motion de rejet signifie le refus du débat. (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme Raquel Garrido
Et le 49.3 ?
Mme Caroline Abadie
C’est le refus d’amender et d’améliorer le projet de loi. Cela revient à dire que le texte n’apporte rien, ne correspond à aucun enjeu de société. Alors que la justice a besoin d’une augmentation de ses moyens, vous montrez qu’il ne s’agit pas d’un enjeu pour vous. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Que direz-vous aux greffiers, aux magistrats, aux surveillants pénitentiaires ?
Mme Andrée Taurinya
Que nous les soutenons !
Mme Caroline Abadie
Que la revalorisation de leur rémunération ou de leur statut n’est pas un enjeu ? Déclarerez-vous dans vos circonscriptions que vous refusez d’accorder à la justice l’augmentation budgétaire la plus considérable de son histoire – la hausse de 60 % de ses moyens en dix ans, le recrutement de 10 000 agents et le recrutement de 1 500 magistrats, c’est-à-dire davantage que pendant les vingt dernières années réunies –, car ce n’est pas un enjeu pour vous ?
M. Louis Boyard
Quelle rhétorique nulle !
Mme Caroline Abadie
Vous direz certainement que vous avez bien fouillé le texte et que, parmi ses mille alinéas, vous avez trouvé un truc qui vous chagrine, concernant par exemple le numérique ou encore la fonction d’assistant de justice.
Mme Raquel Garrido
Il y en a beaucoup ! Vous voulez des exemples ?
Mme Caroline Abadie
Vous direz aussi que les dispositions qui concernent les techniques spéciales d’enquête vous ont paru bizarres – parce que la lutte contre le crime organisé et le terrorisme ne constitue pas un enjeu pour vous.
Soyez cohérents : vous nous demandez de voter vos amendements, mais également de rejeter le texte ! C’est la preuve que vous ne considérez pas la justice comme un enjeu suffisamment sérieux pour sortir de votre posture habituelle.
Mme Élisa Martin
Nous voulons un autre débat !
Mme Caroline Abadie
Vous montrez ainsi une fois de plus que nos débats, pour vous, ne sont qu’un jeu ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme la présidente
Chers collègues, M. Bernalicis a pris la parole pendant quinze minutes au nom de votre groupe ; merci d’écouter en retour les explications de vote.
M. Ugo Bernalicis
On m’a interrompu : je fais de même !
Mme Prisca Thevenot
Vous avez cinq ans ?
M. Ugo Bernalicis
Un peu de justice, ça aide parfois.
Mme la présidente
Je vous demande un peu de calme.
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN)
Le projet de loi ne mérite ni excès d’honneur ni l’indignité dont M. Bernalicis prétend l’affubler. Au vu de la énième motion de rejet préalable déposée par La France insoumise, je me remémore les mots d’Oscar Wilde : « La caricature est l’hommage que la médiocrité paie au génie. » (Rires sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Quelle caricature que la NUPES, face au génie de la Ve République ! Vous vous parez des oripeaux de la Ie République mort-née, ensanglantée par le Comité de salut public.
M. Antoine Léaument
Gloire au Comité de salut public !
M. Jean-Philippe Tanguy
C’est pour mieux refuser tout débat en raison, car, pour débattre en raison, il faut respecter les institutions – que vous piétinez –…
Mme Raquel Garrido
Vous ne défendez jamais le Parlement ! Vous adorez les 49.3 !
M. Jean-Philippe Tanguy
…ainsi que vos collègues et vos adversaires politiques – que vous méprisez, voire que vous haïssez. Pourquoi les Insoumis et la NUPES discuteraient-ils des moyens de la justice, alors qu’ils ont inventé des procédés si indignes pour la déshonorer ? Avec vos comités de copinage et vos règlements de compte en direct à la télévision, vous avez humilié ceux qui luttent depuis des années contre les violences faites aux femmes !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Ça, c’est vrai !
Mme Nathalie Oziol
Arrêtez de lire vos fiches !
M. Louis Boyard
Pourquoi les macronistes parlent-ils deux fois ?
M. Jean-Philippe Tanguy
Pour qui vous prenez-vous, vous qui croyez que vos groupuscules peuvent manier le glaive de la justice ?
M. Antoine Léaument
Pour des insoumis !
M. Jean-Philippe Tanguy
Pire encore : à quoi bon disposer d’une justice républicaine quand M. Mélenchon, M. Guiraud ou M. Boyard s’érigent en Minos, Éaque et Rhadamanthe de carnaval, juges des enfers gauchistes, prêts à salir tous les jours l’honneur des forces de l’ordre sur le fondement d’une seule vidéo (Applaudissements sur les bancs du groupe RN) et à appeler aux émeutes, avant de pleurnicher en voyant les conséquences de leurs actes ? Pour qui vous prenez-vous, immenses égos sur pattes, pour ignorer que vous n’avez d’autre devoir que d’appeler au respect de la République ?
Mme Raquel Garrido
Vous ne parlez pas du fond : vous n’aviez rien à dire sur le sujet !
M. Jean-Philippe Tanguy
Votre zadisme parlementaire est un cocktail molotov qui explosera entre vos mains de petits-bourgeois.
M. Ugo Bernalicis
Vous copiez La République en marche.
M. Jean-Philippe Tanguy
Vous vous rêvez héritiers de la Révolution ; vous n’êtes, au mieux, que des rejetons de Mai 68 en manque de vues sur TikTok !
M. Sacha Houlié, président de la commission des lois
Cela dit, vous leur faites de la concurrence !
M. Jean-Philippe Tanguy
Je finirai comme j’ai commencé, par une référence à Oscar Wilde. Prenez garde, collègues Insoumis, au portrait de votre mandat : il est défiguré par votre haine de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin (LFI-NUPES)
Qui dit loi de programmation dit engagement financier précis. De ce point de vue, le compte n’y est pas.
Qui dit loi d’orientation dit stratégie visant une justice forte, républicaine et équitable. Nous nous réjouissons évidemment de l’embauche prévue de personnels de justice, particulièrement de magistrats, mais celle-ci reste insuffisante pour définir une stratégie judiciaire nationale. (M. Antoine Léaument applaudit.)
Ainsi, à notre appel à la déflation et à la régulation carcérales, absolument nécessaires, M. le garde des sceaux répond par l’ouverture de 15 000 places supplémentaires en prison, qui seront évidemment remplies au fur et à mesure de leur création.
Mme Raquel Garrido
Évidemment !
M. Patrick Hetzel
Effectivement, les places en prison sont faites pour être remplies !
Mme Élisa Martin
À la rectitude de la justice, vous opposez comparution immédiate et sévérité, au mépris des droits les plus élémentaires de la défense et sans même considérer le caractère réparateur de la peine, qui – j’ose le dire – lui donne son sens. Enfin, comme nous y a habitués ce gouvernement qui a peur du peuple, vous apportez votre pierre à l’édifice de la société de surveillance généralisée (M. Antoine Léaument applaudit) en banalisant les perquisitions de nuit et surtout en permettant l’activation à distance de tout objet connecté,…
M. Erwan Balanant, rapporteur
Dans les affaires de grand banditisme et de terrorisme !
Mme Élisa Martin
…au mépris de libertés fondamentales comme le droit à la vie privée. C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, nous vous invitons à revoir votre copie et à remballer votre projet de loi. Quant à nous, nous voterons la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin (LR)
Nous examinons cet après-midi une énième motion de rejet.
Mme Nathalie Oziol
Il y en aura d’autres !
M. Philippe Gosselin
Monsieur Bernalicis, nous vous avons connu meilleur, et pas seulement en chant. Votre discours tombait un peu à plat. Puisqu’il traitait du grave sujet de la justice rendue au nom du peuple français, nous étions en droit d’attendre mieux. À force d’user et d’abuser des motions de rejet, vous banalisez cette procédure comme votre groupe.
M. Antoine Léaument
Est-il si banal ?
M. Philippe Gosselin
Dans un contexte où l’ensemble du pays est sous pression, il vaudrait mieux montrer un sens de la responsabilité plus aiguisé, au lieu de multiplier les insoumissions à géométrie variable.
Vous qui aimez donner des leçons, vous feriez mieux de vous pencher sur la situation réelle de la justice, qui est encore, pour une part, clochardisée. (« À qui la faute ? » sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Ce projet de loi n’est pas la panacée – j’y reviendrai lors de la discussion générale –, mais les députés du groupe Les Républicains souhaitent que le débat se poursuive.
M. Louis Boyard
Pourquoi les macronistes parlent-ils trois fois ?
M. Philippe Gosselin
Nous le devons à nos concitoyens, aux victimes et tout simplement à la justice, car celle-ci est indispensable à notre démocratie. Nous ne saurions sans cesse différer cette question, ce que vous souhaitez faire, car, comme tout le monde l’a bien compris, vous faites votre miel du bazar, du fourbi et de la bordélisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
M. Sylvain Maillard
Très bien !
M. Thomas Portes
Vous n’aimez pas le miel !
Mme la présidente
La parole est à Mme Blandine Brocard.
Mme Blandine Brocard (Dem)
Si je devais résumer en deux mots les projets de loi en discussion, je dirais : volonté politique. C’est ce qui anime depuis six ans notre effort pour mettre fin à plusieurs décennies d’abandon politique du système judiciaire, laissé dans un état de délabrement insupportable. Les Français doutent de la justice et les magistrats peinent à exercer correctement leur mission.
Si je devais ensuite, collègues Insoumis, résumer la méthode que vous appliquez à ce texte comme aux précédents, bref votre sape systématique du fonctionnement des institutions, je dirais : énième renoncement politique.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
Mme Blandine Brocard
La seule manifestation de votre opposition consiste une nouvelle fois à vouloir bâillonner notre assemblée. (Rires sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Ugo Bernalicis
De la part de ceux qui soutiennent les 49.3, je trouve ça drôle !
Mme Blandine Brocard
Le blabla vide, honteux, méprisant et irresponsable de M. Bernalicis en est le terrible révélateur.
M. Paul Christophe
Une logorrhée !
M. Louis Boyard
Pourquoi les macronistes parlent-ils quatre fois ?
Mme Blandine Brocard
Quel représentant de la nation peut, en conscience, s’opposer à l’allocation de 10 milliards d’euros à la justice ?
M. Ugo Bernalicis
Ce ne sont pas 10 milliards, mais 7,5 !
Mme Blandine Brocard
Quel représentant de la nation peut, en conscience, refuser le recrutement massif de 10 000 personnes, ou encore la revalorisation statutaire et salariale de nombreux métiers ?
M. Ugo Bernalicis