XVIe législature
Session extraordinaire de 2022-2023

Séance du mercredi 19 juillet 2023

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du protocole du 30 avril 2010 à la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses (nos 1277, 1438).
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux. Je suis heureuse de présenter aujourd’hui le projet de loi autorisant la ratification du protocole du 30 avril 2010 à la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD). Parce qu’elle est une puissance maritime majeure, la France est sans conteste l’un des États les plus engagés dans les enjeux liés aux océans. Avec l’Union européenne, notre pays a activement contribué au succès des négociations qui ont permis, le 19 juin dernier, l’adoption de l’accord portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.
Le rôle de la France s’explique notamment par l’étendue de son espace maritime, le deuxième au monde, avec près de 20 000 kilomètres de côtes. Si cette caractéristique constitue un indéniable atout pour notre pays, notamment pour son insertion dans le commerce maritime mondial, elle l’expose aussi aux conséquences des accidents impliquant des navires transportant des substances dangereuses. Nous nous souvenons tous du naufrage du pétrolier
Erika en 1999 et de celui du chimiquier Ievoli Sun un an plus tard.
Un régime international, placé sous l’égide de l’Organisation maritime internationale (OMI), existe actuellement pour indemniser les victimes d’une pollution par les hydrocarbures. Il n’y a pas d’équivalent, en revanche, pour l’indemnisation des dommages causés par d’autres substances nocives. En effet, la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses n’est jamais entrée en vigueur en raison du caractère restrictif de son application et de ses stipulations.
Le protocole de 2010 à la convention SNPD de 1996, dit protocole SNPD, lève ces obstacles en la modifiant et en la complétant. Il renforce le régime d’indemnisation tant pour les dommages causés par la pollution que pour les dommages corporels et les atteintes aux biens, notamment grâce à la création d’un fonds d’indemnisation. Le protocole permet d’assurer une indemnisation convenable, prompte et efficace. Il vise donc des objectifs de justice et de protection de l’environnement.
Le protocole SNPD était la pièce manquante pour bâtir un régime de responsabilité et d’indemnisation international complet puisqu’il couvre près de 2 500 substances, telles que les hydrocarbures non persistants, le gaz naturel liquéfié (GNL), le gaz de pétrole liquéfié (GPL) ou encore les substances chimiques transportées en vrac. Il constitue donc un important progrès et sa ratification est dans l’intérêt de la France, qui confirmerait ainsi son engagement en faveur de la préservation de l’environnement, notamment des écosystèmes marins, soit un axe majeur de sa politique étrangère.
Le protocole SNPD entrera en vigueur lorsqu’au moins douze États l’auront ratifié. Six l’ont déjà fait : le Canada, le Danemark, la Norvège, la Turquie, l’Afrique du Sud et l’Estonie. Si le chemin restant à parcourir peut sembler long, une ratification de ce texte par la France constituerait un pas supplémentaire et pourrait inciter les autres États à prendre leur responsabilité en devenant eux-mêmes parties. Dans la perspective de la Conférence des Nations unies sur l’océan qui doit se tenir à Nice en 2025, le Gouvernement mènera donc les actions diplomatiques nécessaires à l’entrée en vigueur rapide du protocole.
Telles sont les principales observations qu’appelle le projet de loi autorisant la ratification du protocole du 30 avril 2010 à la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses.
(Applaudissements sur les bancs des commissions et sur les bancs du groupe RE.) La parole est à M. Alain David, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Le transport maritime de substances dangereuses et les dommages qui peuvent en résulter sont, pour la France comme pour les autres pays, un domaine de préoccupation récent. Comme souvent, ce n’est qu’après plusieurs accidents, survenus dans les années 1990, que la communauté internationale a jugé utile de réagir à ce fléau. La convention qui nous occupe aujourd’hui a ainsi été conclue en 1996. La France a tout intérêt à ce texte de droit international. En effet, notre pays compte 18 000 kilomètres de côtes, dont les deux tiers se situent en outre-mer. C’est dire si notre pays est exposé aux conséquences d’un accident qui impliquerait un navire transportant des substances dangereuses.
Nous ne parlons pas là d’un risque fictif ou invraisemblable. Souvenons-nous du naufrage du
Ievoli Sun en 2000, qui a entraîné le déversement dans la Manche de 6 000 tonnes de produits chimiques. La pollution par les hydrocarbures n’est pas le seul danger qui menace les côtes françaises.
Pour répondre à ce défi, la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses prévoit un mécanisme qui va dans le sens de la justice : le texte vise en effet à garantir l’indemnisation des victimes des naufrages ; par ailleurs, le régime d’indemnisation qu’il prévoit est financé par les acteurs économiques. La convention de 1996 a cependant trois grandes limites, qui expliquent une certaine frustration.
Tout d’abord, elle ne s’intéresse qu’à la réparation et non à la prévention. Celle-ci devrait pourtant être la priorité alors que le transport maritime de substances nocives, GNL ou autres, ne cesse de croître.
Absolument ! Car, il faut le dire, jamais une indemnisation ne compensera les effets d’une catastrophe environnementale.
Deuxième limite, la responsabilisation des acteurs du secteur semble en réalité assez circonscrite. Les sommes prévues, bien qu’évolutives, paraissent faibles au regard des risques dont nous parlons. On peut imaginer les pressions qui ont été exercées par les lobbys… Certes, la convention est fondée sur un principe de justice, mais si elle ne produit pas d’effet, elle ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau.
Dernier gros défaut, le texte de 1996 n’est jamais entré en vigueur. Tel quel, il est trop complexe à appliquer. De plus, les obligations qu’il fixe peuvent facilement être contournées, ce qui fait craindre un partage inégal du fardeau financier entre les parties. Le protocole à la convention signé en 2010 ne remédie qu’à ce troisième et dernier défaut. Son seul intérêt est de lever les obstacles à l’entrée en vigueur de la convention de 1996 en simplifiant ses stipulations et en durcissant les mesures à l’encontre des États signataires qui ne jouent pas le jeu.
À ce stade, le bilan du protocole de 2010 est mitigé. Treize ans après son adoption, seuls six États l’ont ratifié. Or son entrée en vigueur est subordonnée à la ratification de douze États. Évidemment, ni la Chine ni les États-Unis, qui sont les États les plus concernés, n’ont répondu à l’appel. Au sein même de l’Union européenne, les pays sont peu nombreux à l’avoir fait ou à l’envisager dans un avenir proche. Quant aux surfaces maritimes couvertes, nous sommes également loin du compte.
Aussi reviendra-t-il au Gouvernement et à notre diplomatie, après la ratification du protocole, de prendre leur bâton de pèlerin pour convaincre d’autres pays d’assumer leur part de responsabilité face aux périls qui menacent les océans.
Consciente des limites du protocole de 2010 à la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses, la commission des affaires étrangères, suivant la recommandation de son rapporteur, a adopté le projet de loi. Elle l’a fait en responsabilité, afin que notre pays donne un signal positif en faveur de l’entrée en vigueur du protocole, mais sans véritable enthousiasme.
(Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LFI-NUPES et GDR-NUPES.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Hetzel. Nous sommes réunis aujourd’hui, en cette fin de session, pour adopter le projet de loi autorisant la ratification du protocole du 30 avril 2010 à la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses. Comme l’a rappelé le rapporteur, notre pays, avec près de 18 000 kilomètres de côtes, dont plus des deux tiers en outre-mer, est particulièrement exposé aux conséquences de tels dommages.
Hélas, certaines de nos côtes ont été durablement touchées par des catastrophes qui ont marqué nos concitoyens, qu’il s’agisse du naufrage de l’
Amoco Cadiz en 1978, de celui de l’ Erika en 1999, ou, plus récemment, en 2002, de celui du Prestige . Ces événements dramatiques ont eu une portée symbolique forte, mais ils ne sont pas les seuls et masquent parfois de potentielles catastrophes moins visuelles, notamment celles liées à des risques chimiques. Ces catastrophes potentielles sont précisément celles qui sont visées par la convention.
Dès la fin des années 1960, de premières discussions se sont déroulées pour créer un mécanisme d’indemnisation pour les dommages causés par les SNPD et leur éventuelle intégration dans les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Je ne reviendrai pas sur les différentes étapes de ces négociations, ni sur leur lenteur et leurs difficultés : elles ont été parfaitement décrites par notre rapporteur, en commission et dans le rapport.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour adopter un protocole de 2010 qui modifie une convention de 1996 que notre pays n’a pas ratifiée et qui n’est jamais entrée en vigueur !
Le principal intérêt du protocole que nous examinons est donc de lever les obstacles à l’entrée en vigueur de la convention de 1996 ! Il faut reconnaître que l’on a un peu l’impression de tourner en rond.
Au regard des enjeux et du développement très important du trafic maritime, on peut légitimement s’interroger sur de pareils délais, d’autant que cette convention ne remplit, selon notre rapporteur, que très imparfaitement sa vocation.
Cette convention a donc pour objectif de renforcer le régime d’indemnisation pour les dommages pouvant résulter du transport de marchandises dangereuses par mer, qu’il s’agisse de pollutions, de dommages corporels ou d’atteintes aux biens. Elle prévoit un régime de responsabilité, assorti d’une obligation d’assurance avec recours direct contre l’assureur. L’objectif de renforcer le régime d’indemnisation se traduit également par la création d’un fonds d’indemnisation abondé par les réceptionnaires finaux de ces marchandises. Ce fonds renforce l’application effective du principe pollueur-payeur.
Parce que l’approbation de ce protocole constitue une avancée – même si elle n’est pas entièrement satisfaisante –, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) La parole est à M. Frédéric Zgainski. Les marées noires ne sont pas le seul type de pollution marine à craindre, notamment de la part de notre pays qui possède la deuxième zone économique exclusive (ZEE) mondiale et plus de 18 000 kilomètres de côtes. D’ailleurs, le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage situé à Corsen, à la pointe de la Bretagne, a vu transiter en 2020 287 millions de tonnes de matières dangereuses. Il est donc important que la France ratifie ce protocole, et, à travers lui, la convention de 1996, afin d’assurer une répartition efficace des responsabilités et des indemnités en cas d’accident.
Bien que son ambition soit modeste – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – il est surtout important que cet accord entre rapidement en vigueur et la France devra jouer un rôle important au niveau international pour convaincre les pays qui, comme elle, possèdent des côtes très étendues.
Comme le souligne l’OMI, la convention SNPD est la dernière pièce du puzzle pour donner accès aux victimes d’un sinistre à un régime de responsabilité et d’indemnisation complet et international. L’application de cette convention ayant été retardée par des difficultés d’interprétation et de mise en œuvre, soulevées notamment par la France, on peut se réjouir qu’elles aient été surmontées grâce à une simplification du dispositif. Si les marchandises dangereuses en colis ne sont plus contributrices, le protocole reste protecteur dans la mesure où les dommages occasionnés par ces marchandises sont couverts par le régime d’indemnisation.
Ces avancées reflètent l’engagement de la communauté internationale à assumer la responsabilité des conséquences néfastes de nos activités maritimes et à établir des mesures de prévention adéquates. Si nous évoquions précédemment le montant des sommes relativement limité pour dédommager les sinistrés, l’obligation pour les armateurs de souscrire une assurance comprenant un droit de recours direct des victimes contre l’assureur paraît à même d’assurer une protection plus optimale – et, peut-être, d’éviter les problèmes que nous avions rencontrés à la suite du naufrage de l’
Erika en 1999.
Aussi le groupe Démocrate soutiendra-t-il bien entendu ce texte.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur les bancs des commissions.) La parole est à Mme Anna Pic. Le présent projet de loi vise à ratifier le protocole du 30 avril 2010 à la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses.
Ce texte vise à prendre en compte, au-delà des marées noires, les préjudices liés à la décomposition difficile dans le milieu marin de substances nocives qui peuvent contaminer l’ensemble de la chaîne alimentaire de mollusques ou crustacés.
La communication et le trafic maritime, maillon déjà crucial dans la mondialisation, sont appelés, compte tenu de la compétition pour la sécurité des routes maritimes, à voir les risques qui lui sont liés s’amplifier.
Au-delà, la sauvegarde des océans et la lutte contre leur pollution constituent un enjeu majeur pour la planète et l’ensemble des États.
Plusieurs avancées récentes témoignent de cette prise de conscience, comme la signature le 23 juin 2023 du premier traité international pour protéger la haute mer, qui représente 60 % de la surface des océans : il prévoit notamment la création d’aires marines protégées dans les eaux internationales pour sauvegarder la biodiversité.
Cependant, les océans sont soumis à des risques croissants de pollution de masse. Comment ne pas mentionner les dangers de l’exploitation des fonds sous-marins pour extraire des métaux rares, alors que l’absence actuelle d’un code minier agréé entre États pourrait conduire l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) à accorder à des entreprises des permis rendant possible l’exploitation sauvage des ressources du plancher océanique ?
Depuis le 10 juillet, trois semaines de négociations cruciales sont en cours à l’AIFM. Dans les tout prochains jours, il convient que la France pèse de tout son poids diplomatique pour obtenir un moratoire sur l’exploitation des fonds marins, en l’absence de règles établies et de code minier agréé.
Le 7 novembre 2022, le Président de la République a affirmé en marge de la COP27 en Égypte que « la France soutient l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins ». Qu’en est-il aujourd’hui de la parole présidentielle ? Madame la secrétaire d’État, quelle est la position de la France dans ces négociations ?
Il ne faudrait pas que le développement d’une économie décarbonée sur terre, reposant sur des technologies fortement consommatrices de métaux rares, contribue en retour à la pollution et à la dégradation irréversibles des océans, qui assurent un service écosystémique souvent négligé et également irremplaçable.
Revenons au texte que nous avons à ratifier : après que des produits dangereux ont été déversés dans la mer à plusieurs reprises dans les années 1990, une convention sur les SNPD a été conclue en 1996. Cependant, elle n’est jamais entrée en vigueur du fait de plusieurs obstacles que le présent protocole vient – légèrement – corriger.
Si la France est satisfaite des améliorations qu’il apporte sur les trois griefs qui l’avaient conduite à refuser antérieurement sa ratification, elle devra maintenant travailler à convaincre les autres États signataires de la convention de ratifier eux aussi le protocole. En effet, les conditions d’entrée en vigueur de ce texte sont particulièrement exigeantes. Il subsiste donc des incertitudes à cet égard.
In fine , le protocole apporte de réelles améliorations dans un domaine jusque-là non régulé par le droit et peu documenté malgré ses conséquences importantes pour la santé et l’environnement. Comme l’ont fait valoir les débats au Sénat, les conséquences de ce type de pollution restent très complexes à évaluer : « Entre 1998 et 2013, 1 560 000 mètres cubes de produits dangereux, autres que des hydrocarbures, se sont déversés en mer provoquant 126 accidents graves, ayant eu des effets sur la santé des personnes, sur l’environnement et de lourdes conséquences économiques, très difficiles à mesurer. »
L’entrée en vigueur de ce protocole constituerait donc une réelle amélioration par rapport à la situation actuelle. C’est la raison pour laquelle le groupe Socialistes et apparentés votera en faveur de ce texte.
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur les bancs des commissions.) La parole est à Mme Stéphanie Kochert. « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! ». Ce vers de Charles Baudelaire nous rappelle le sentiment de liberté et d’émerveillement que nous inspire l’océan. Mais la mer n’est pas qu’un spectacle, c’est aussi un patrimoine commun qui abrite une biodiversité exceptionnelle et qui soutient de nombreuses activités économiques. Or ce patrimoine est menacé par le risque d’accidents maritimes impliquant des substances nocives et potentiellement dangereuses, qui peuvent causer des dommages irréversibles à l’environnement et aux populations. C’est pourquoi il est indispensable de se doter d’un régime international de responsabilité et d’indemnisation efficace et adapté à ce risque.
C’est ce que permettent la convention SNPD et le protocole associé que nous examinons aujourd’hui. Ils créent un régime de responsabilité, obligent les transporteurs de marchandises à s’assurer et demandent aux réceptionnaires d’abonder un fonds spécialement dédié à la réparation des dommages causés par les pollutions en mer.
Ne nous trompons pas, la convention SNPD ne permettra pas à elle seule de régler définitivement la question des pollutions maritimes ; mais elle participe d’une approche globale, que nous devons toujours adopter lorsque nous abordons ce sujet, et qui intègre trois problèmes principaux.
Premièrement, les préjudices subis vont au-delà des dommages corporels ou des destructions de biens ; ils affectent très souvent et durablement des écosystèmes entiers. Deuxièmement, ces dommages sont difficilement mesurables, et peuvent dépasser les montants couverts par les différentes conventions. Troisièmement, malgré ces incertitudes, on ne saurait renoncer au transport maritime et à l’échange de produits et substances chimiques qui entrent dans de nombreux procédés de fabrication.
Au fond, la question des pollutions maritimes nous invite à travailler sur nos référentiels. Le référentiel économique d’abord, qui prédomine dans ce protocole, et qui nous amène à réfléchir aux coûts de la pollution et à corriger tout ou partie de son impact mesurable. Il consacre le principe de pollueur-payeur selon lequel le responsable des pollutions, que ce soit le transporteur de marchandises, d’une part, ou le réceptionnaire, d’autre part, en paye les conséquences – mais sur la base de considérations proprement humaines. Ainsi, sont pris en compte les dommages aux biens et aux personnes, la nécessité de recourir à des assurances, et, dans une certaine mesure, les dommages environnementaux – si tant est qu’on leur ait attribué une valeur économique.
Cependant, de plus en plus, il nous faut regarder non pas seulement à travers le prisme économique, mais aussi prendre en compte un référentiel environnemental, plus large. Les dommages sont alors plus difficiles à mesurer : combien d’espèces, de trésors de biodiversité marine sont ainsi menacés, sans qu’on puisse véritablement définir leur utilité économique ? Il faut alors aller plus loin que la responsabilisation et le principe du pollueur-payeur, mais encadrer, réguler, parfois même interdire.
Cela participe à cette approche globale, faite autant d’incitations économiques que de contraintes réglementaires, sans oublier les échanges d’informations et le partage de bonnes pratiques. À ce titre, le texte que nous examinons n’est qu’une pierre à l’édifice. Non, le protocole du 30 avril 2010 et la convention SNPD ne sont pas suffisants pour lutter contre la pollution maritime, mais ils sont nécessaires.
Nécessaires, car sans cette convention, seules les pollutions par hydrocarbures seront concernées par ce régime de responsabilité. Nécessaires aussi, car nous devons autant que possible renforcer la portée d’une convention qu’encore trop peu d’États ont signée et ratifiée. Nécessaires enfin, car cohérents avec l’ensemble des mesures de protection des milieux marins que nous avons adoptées au cours de cette première année de législature : oui, sont tout aussi nécessaires la réforme de l’Organisation maritime internationale, les coopérations bilatérales pour la sécurité en mer ou les mécanismes de partage d’information et de coordination des opérations en mer. Chacun de ces sujets a fait l’objet d’un examen approfondi de notre assemblée.
Mes chers collègues, continuons sur cette lancée ! Pour notre part, nous resterons toujours attentifs à faire prévaloir, chaque fois que cela est possible et pertinent, une approche globale sur les sujets environnementaux et maritimes. Dans ce contexte, le groupe Horizons et apparentés votera pour ce projet de loi, et pour autoriser la ratification de cette convention.
(Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.) La parole est à Mme Sabrina Sebaihi. L’accord dont nous discutons représente une avancée significative. Toutefois, il est indispensable de souligner un élément préoccupant : la Convention internationale sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses a été signée pour la première fois en 1996. La lenteur de sa ratification par notre Parlement suscite, chez les députés du groupe Écologiste-NUPES, de sérieuses interrogations. En particulier lorsqu’il s’agit de questions ayant une incidence directe sur notre environnement – sur le changement climatique et sur la perte de biodiversité, pour ne citer que ces deux aspects –, il est impératif que nous accélérions le rythme de notre action. Il n’est plus acceptable que l’on mette plus de vingt-cinq ans à ratifier un accord de ce type !
Bien que nous accueillions favorablement cette ratification, il est essentiel que nous prenions du temps pour réfléchir de manière approfondie à la question du fret maritime. La mer est un espace de liberté, mais aussi de responsabilité. Le fret est le pilier d’une mondialisation rapide et incessante, puisqu’il ne représente pas moins de 75 % du commerce extérieur de l’Union européenne. C’est aussi l’un des plus grands émetteurs de dioxyde de carbone. Or, d’après les prévisions, compte tenu de l’expansion du commerce mondial, ces émissions pourraient doubler. Qui plus est, l’industrie maritime utilise encore des combustibles de soute très polluants, comme le fuel lourd, pour des raisons purement économiques. Les dangers sont réels, d’abord pour l’environnement marin, mais aussi pour les populations qui vivent près des côtes, car les particules fines émanant des navires peuvent être transportées sur des centaines de kilomètres.
Vous le savez, près de la moitié des marchandises transportées par voie maritime sont classées comme dangereuses ou nuisibles. Le gaz naturel liquéfié, par exemple, est un bien couramment transporté. Cette réalité nous place devant un défi gigantesque : au-delà de l’aspect de l’indemnisation, nous devons envisager un changement complet de logiciel, car aucun dédommagement ne peut compenser les dégâts causés aux mers et aux océans.
L’océan est un bien commun, essentiel pour l’humanité. Il est non seulement une source inestimable et encore très largement inexplorée de biodiversité, mais également un régulateur climatique sans lequel notre planète ne peut pas survivre. La santé et la survie humaines et la santé de nos océans sont interdépendantes. Or nous sommes en train d’asphyxier les océans avec des déchets, des plastiques, des eaux polluées et des gaz carboniques. Objet de nos besoins incessants et toujours plus compétitifs, l’océan deviendra-t-il demain la cause et le théâtre de futurs conflits armés ? La surpêche, qui a entraîné, d’après une enquête menée par le Fonds mondial pour la nature – le WWF –, la disparition de 50 % des espèces d’animaux marins en quarante ans, continuera-t-elle à se développer ?
L’océan relève de la responsabilité de tous. Les accords internationaux de la seconde moitié du XXe siècle ont instauré un régime qui a longtemps été considéré comme nécessaire et suffisant, mais nous devons aller bien au-delà, en développant ensemble une nouvelle approche qui place la responsabilité collective bien au-dessus des principes traditionnels de propriété.
En ce sens, la transition vers un transport maritime plus respectueux de l’environnement doit être considérée comme une urgence, et non plus comme une simple possibilité ; elle doit être au cœur de nos préoccupations. L’Union européenne, en particulier la France, a un rôle de premier plan à jouer à cet égard. Nous avons le potentiel pour devenir des leaders dans la transformation du secteur maritime, dans son évolution vers un modèle plus durable et respectueux de l’environnement.
Dans cette perspective, je propose que nous prenions le temps d’examiner les autres options possibles et que nous stimulions l’innovation dans ce secteur. Il est nécessaire de promouvoir des technologies de propulsion plus propres, de favoriser le développement des énergies renouvelables en mer et d’explorer des moyens d’améliorer l’efficacité du transport maritime pour réduire le nombre de navires requis. Face à cette réalité complexe, il y a de l’espoir ; il existe des possibilités de transformation réalistes. Des organisations telles que la Solar Impulse Foundation travaillent par exemple à identifier et à promouvoir des solutions qui protègent l’environnement tout en étant économiquement rentables.
En outre, nous devons prêter une attention particulière à la nature des biens que nous transportons. Nous devons notamment instaurer une régulation stricte des marchandises dangereuses ou nuisibles. La coopération internationale est ici centrale : c’est en travaillant main dans la main avec d’autres nations et organisations internationales que nous pourrons réellement faire bouger les lignes. Nous devons progresser vers la création de réglementations communes, l’établissement de mécanismes de partage d’informations et le soutien aux pays en développement dans leur transition vers un transport maritime durable.
Enfin, au-delà de la question de la transformation, je vous invite à vous poser celle de la sobriété. Nous pouvons collectivement reconsidérer notre dépendance à l’égard du commerce mondial et chercher des moyens de vivre de manière plus locale et plus durable. Nous pourrions par exemple privilégier les produits locaux plutôt que les produits importés et réduire notre consommation de biens non essentiels. Il s’agit non pas d’une contrainte, mais d’une libération : cela nous libérerait de la course sans fin à la consommation et à la croissance. Ce changement de mentalité est non seulement une nécessité pour la protection de notre planète, mais aussi l’occasion de créer un secteur maritime qui soit plus en harmonie avec nos valeurs et nos aspirations, pour un monde plus juste et plus durable, dans lequel nos enfants auront la possibilité de se baigner dans la mer sans ressortir couverts de mazout.
Il ne faut pas exagérer ! Pour conclure, je tiens à souligner de nouveau l’importance d’une prise de décision rapide et efficace. De tels délais – plusieurs décennies – pour ratifier des conventions et accords essentiels ne sont plus acceptables. (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, SOC et GDR-NUPES ainsi que sur les bancs de la commission.) La parole est à M. Jean-Paul Lecoq. Le protocole d’avril 2010 visant à améliorer la responsabilisation et les indemnisations pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses doit être ratifié. Les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine le voteront. Toutefois, il est toujours regrettable de constater le temps perdu, comme viennent de le faire mes collègues. La convention de 1996 que ce protocole vise à amender n’a jamais été mise en œuvre ! C’est vrai que c’est incroyable ! Il aura fallu quatorze ans pour trouver un protocole, plus consensuel et applicable, à cette convention. C’est ce qu’on appelle l’efficacité diplomatique ! Mais ce n’est pas tout : il aura fallu treize ans supplémentaires à la France pour le ratifier.
Ce protocole, qui aura donc eu du mal à parvenir jusqu’au Parlement français, aura néanmoins toute son utilité. Nous espérons que la France déploiera toute son énergie diplomatique pour qu’il entre en vigueur le plus rapidement possible, autrement dit pour que d’autres États s’engagent en le ratifiant. En effet, il renforcera le régime d’indemnisation en créant un fonds destiné à compenser plusieurs types de dommages pouvant résulter du transport par mer de marchandises dangereuses – tels que les décès, les pertes ou dommages causés aux biens, la contamination de l’environnement – ou à prendre en charge le coût des mesures de sauvegarde.
Ce régime d’indemnisation sera à l’œuvre à deux niveaux : premièrement, au niveau du propriétaire du navire, qui sera obligé de souscrire une assurance ou une garantie financière couvrant sa responsabilité en cas de dommages causés par le déversement d’une substance nocive et potentiellement dangereuse ; deuxièmement, au niveau du réceptionnaire de substances nocives et dangereuses, qui participera au financement d’un fonds international. Ce fonds sera mobilisé s’il n’est pas possible d’établir la responsabilité du propriétaire du navire, si celui-ci n’est pas en mesure d’indemniser les victimes ou lorsque le montant excède la limite de sa responsabilité. Toutefois, il faut garder en tête que le montant de ces indemnités risque d’être insuffisant. Il semble que les lobbys sont parvenus à le limiter, ce que le groupe Gauche démocrate et républicaine regrette profondément.
Bien évidemment, en tant que député du port du Havre, je me réjouis de chaque accord ayant pour objectif d’améliorer la vie en mer – notamment celle des gens de mer –, de limiter la pollution ou de préserver la qualité de nos littoraux. En effet, la dérégulation massive du secteur du transport maritime, qui a cours depuis plusieurs décennies, a entraîné de graves dérives dans la sûreté et dans la sécurité des navires et des gens de mer qui travaillent à leur bord. La course au profit a contribué à tout tirer vers le bas ; elle oblige les équipages à prendre des risques parfois très importants.
Des marées noires aux marées de déchets plastiques issus de conteneurs perdus en mer, la mer est devenue une poubelle, et les littoraux sont de plus en plus abîmés par ces comportements dangereux. Il va donc falloir changer de mentalité pour parvenir à rendre nos mers et nos océans plus sûrs. Je dois le redire ici, les pavillons économiques ou de complaisance sont mauvais pour la sûreté et la sécurité en mer ; les États tels que la France devraient enfin se mettre au travail pour changer ce système en profondeur.
Le respect du droit international est important, mais il ne faut pas que ces ratifications soient l’arbre qui cache la forêt. En effet, ces principes s’effacent vite, par exemple lorsque le Gouvernement français exige l’installation d’un terminal méthanier au Havre, à côté du quartier des Neiges. Au nom d’impératifs de rapidité et de prétendue efficacité, ce projet a bénéficié de dérogations à toutes les obligations légales en matière de débat public ainsi qu’aux normes environnementales et sociales. Aucune zone à risque de type Seveso destinée à protéger les habitants n’a été prévue pour éviter un drame.
En tant que député, j’ai exigé, aux côtés de plusieurs élus concernés, notamment Alban Bruneau, maire de Gonfreville-l’Orcher, qu’un maximum de précautions soient prises pour la construction de ce terminal. Or l’étude d’impact a été menée avec une légèreté inquiétante. Du point de vue social, le terminal dépendra du deuxième registre, c’est-à-dire qu’il aura à son bord un équipage d’une trentaine de marins qui seront certes soumis au droit du travail français, mais ne seront pas obligés, madame la secrétaire d’État, de parler la langue française ! Or, dans un port, la question de la langue est très importante pour la sûreté et la sécurité, notamment lorsque des consignes doivent être transmises aux uns et aux autres.
Qui plus est, compte tenu de la position du terminal dans le port du Havre, il faudra une heure trente aux pompiers pour intervenir par bateau. Lorsque l’on connaît les risques liés au gaz naturel liquéfié – substance visée par le présent accord –, une heure trente représente une éternité, pendant laquelle, malheureusement, tout peut se passer. La ratification d’un protocole tel que celui-ci ne doit donc pas dédouaner l’exécutif de respecter le droit par ailleurs. Elle ne saurait constituer un motif de satisfaction tant que le droit ne sera pas pleinement respecté pour le projet de terminal méthanier au Havre.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.) La parole est à Mme Estelle Youssouffa. Depuis quarante ans, les accidents maritimes ont entraîné le déversement de plusieurs millions de tonnes de pétrole en mer et sur les côtes. Dès 1992, un régime d’indemnisation a été prévu pour les dommages causés par les hydrocarbures. Cependant, toutes les substances nocives n’étaient pas intégrées à cet instrument ; c’était notamment le cas du GNL, dont les importations dans l’Union européenne ont doublé en dix ans.
Afin de couvrir tous les risques, la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses a organisé une responsabilité à deux niveaux en cas d’accident mettant en jeu des hydrocarbures ou des substances chimiques. Malheureusement, cette convention est restée jusqu’à présent sans effet. Sont en cause des difficultés d’application et l’absence de volonté politique. En conséquence, plusieurs accidents survenus depuis 1996 n’ont pas été pris en charge par le dispositif. Je pense notamment au naufrage de l’
Erika au large de la Bretagne ou à celui du Prestige au large de l’Espagne.
Dans ce contexte, le présent protocole tend à modifier les exigences de la convention de 1996 afin de lever les derniers freins juridiques et les réticences politiques. Il permettra d’instaurer un régime d’indemnisation à deux niveaux. Le premier niveau correspondra à la prise en charge par l’assurance du propriétaire du navire ; cette assurance est obligatoire et couvrira jusqu’à 100 millions de dollars de dommages. Le deuxième niveau reposera sur un fonds dédié, qui sera alimenté, jusqu’à 250 millions de dollars, par des contributions des réceptionnaires de marchandises en vrac. Les livraisons en colis ainsi que les cargaisons de GNL ne donneront pas lieu à des contributions au fonds, mais les dommages qui s’y rapportent seront tout de même indemnisés.
En outre, la nouvelle rédaction de la convention prévoit l’inéligibilité des États et de leurs ressortissants à l’indemnisation en cas d’absence de sanction appliquée à la non-déclaration des marchandises reçues. Il est nécessaire de s’arrêter un peu sur ce mécanisme de sanction en France. En effet, un rapport remis conjointement en 2021 par l’Inspection générale des finances (IGF), le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et l’Inspection générale des affaires maritimes (Igam) propose de décaler le calendrier de déclaration, de retenir le réceptionnaire final comme déclarant de droit commun et de demander aux entreprises réceptionnaires nationales des données suffisantes pour garantir la pertinence de la déclaration.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que les conclusions de ce rapport de 2021 ont bien été prises en compte ? Pouvez-vous nous garantir que notre mécanisme de sanction respecte les exigences du protocole de 2010 et que la ratification de celui-ci n’entraînera pas de risque juridique pour notre pays ? Il ne faudrait pas que nous contribuions au fonds sans pouvoir bénéficier de l’indemnisation, en raison d’une erreur formelle dans la procédure de contrôle et de sanction des déclarations.
En ratifiant le protocole, la France rejoindra le groupe des quelques États qui veulent une application réelle et effective de cet instrument juridique, et nous ne pouvons que nous en féliciter. Cette volonté s’inscrit dans le prolongement des multiples engagements pris par notre pays en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de protection de la biodiversité. À cet égard, je tiens à rappeler la proposition, issue du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui s’est tenu à Paris les 22 et 23 juin, d’instaurer un prélèvement sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur maritime.
Cette idée est discutée en ce moment même au sein du Conseil de l’Organisation maritime internationale. Lors de sa réunion du 7 juillet dernier, le Comité de la protection du milieu marin de l’OMI a en effet décidé de mettre en œuvre une stratégie de réduction des émissions du secteur et a envisagé la création d’un mécanisme de tarification incitatif. Rappelons d’ailleurs que nous avions adopté, en avril dernier, le projet de loi autorisant la ratification d’amendements à la Convention de 1948 portant création de l’Organisation maritime internationale ; il s’agissait notamment de modifier la composition dudit Conseil de l’OMI. Pour celles et ceux qui en douteraient, cela montre que tous nos travaux sont liés !
Le protocole constituant une avancée appréciable dans la prise en compte des préjudices écologiques, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires votera pour le projet de loi autorisant sa ratification.
(Applaudissements sur les bancs de la commission.) La parole est à M. Philippe Guillemard. Notre assemblée est saisie d’un projet de loi autorisant la ratification du protocole du 30 avril 2010 à la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses.
La mer recouvre près des trois quarts de la surface du globe. C’est un élément essentiel de notre environnement, notamment un réservoir de biodiversité. C’est aussi un moteur économique et un vecteur de communication primordial : environ 90 % du transport mondial de fret est assuré par la voie maritime. Elle constitue également une zone à risques quand elle sert au transport de substances nocives et dangereuses, qui représentent 200 millions de tonnes par an.
Longtemps mis de côté, ce sujet a légitimement émergé comme une préoccupation majeure au cours des dernières décennies. La France, avec ses 18 000 kilomètres de côtes, dont les deux tiers sont situés en outre-mer, est bien consciente du risque que représente le déversement de telles substances. Les catastrophes maritimes passées, comme le naufrage du transporteur chimique
Ievoli Sun , restent gravées dans la mémoire collective. Ces tragédies ont révélé la fragilité de nos côtes, où résident plus de la moitié de nos compatriotes, une densité plus marquée encore dans les territoires ultramarins.
Face à ces risques, la convention internationale de 1996 a instauré un système de responsabilisation et d’indemnisation pour prévenir et contrôler les dangers associés au transport maritime de substances potentiellement nocives. Les propriétaires de navire sont objectivement tenus responsables, avec une obligation d’assurance, et leur responsabilité est circonscrite, sauf cas de négligence majeure. En complément, un fonds alimenté par les importateurs de substances dangereuses assurera, sous certaines conditions, une indemnisation pouvant aller jusqu’à 300 millions d’euros par sinistre. Il est indéniable que l’application de la convention de 1996 a rencontré des obstacles significatifs, tant du fait de la charge de travail induite pour les douaniers dans le suivi des importations qu’en raison de l’absence de sanctions pour non-conformité qui menace l’équilibre financier entre les parties signataires.
Le protocole de 2010 que nous examinons, en simplifiant le processus d’indemnisation et en clarifiant les responsabilités des parties, s’attache à surmonter ces entraves à la mise en œuvre d’un régime encadrant le transport de ces substances sans renoncer aux principes de justice et de protection environnementale qui ont fondé la convention de 1996. En guise de sanctions contre les États ne respectant pas leurs obligations déclaratives, le droit à l’indemnisation est conditionné à l’exactitude des déclarations ; non seulement cette mesure contribue à l’amélioration des mécanismes de financement, mais elle sert également de moyen préventif contre toute tentative de contournement des responsabilités qui pourrait entraîner un déséquilibre dans le partage des charges financières. L’ambition du protocole de 2010 est de transformer la convention de 1996 en un instrument pratique et effectif. Il entend non seulement consolider la protection de nos océans face aux menaces liées au transport maritime de substances dangereuses, mais aussi assurer une indemnisation plus consistante pour les victimes de catastrophes maritimes.
Ces nouvelles régulations représentent bien plus qu’une simple évolution du droit maritime international. Elles sont l’expression tangible d’une prise de conscience collective de notre responsabilité partagée dans la sauvegarde de nos océans. Dans cette perspective, l’actualisation de la convention de 1996, consolidée par le protocole de 2010, est un jalon déterminant vers une gestion plus consciencieuse, plus équitable et plus durable de nos océans et nos côtes. C’est pourquoi le groupe Renaissance apportera son soutien à l’adoption de ce protocole.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur les bancs des commissions.) La parole est à Mme Laurence Robert-Dehault. Chaque année, les navires sillonnent la mer en charriant quelque 1,8 milliard de kilos de produits dangereux et nocifs. Le protocole soumis à notre examen institue un système d’indemnisation à deux niveaux pour couvrir et réparer les accidents en mer impliquant des substances nocives et potentiellement dangereuses, appelées SNPD. Il vise également à couvrir les dommages dus à la pollution, les risques d’incendie et d’explosion, les dommages corporels ainsi que les dommages et pertes sur des biens. L’indemnisation est en premier lieu à la charge du propriétaire du navire en cause, ainsi qu’à l’importateur, ou « réceptionnaire », de SNPD en second lieu. C’est le principe du pollueur-payeur.
La France est directement concernée par cette problématique révélée au grand public en 1999, avec le naufrage du pétrolier
Erika et le déversement de plus de 20 000 tonnes de fioul au large des côtes bretonnes. Un nouveau drame n’est pas à exclure, en particulier dans la zone maritime transmanche qui connaît un trafic d’une intensité certaine.
Signée en 1996, la convention SNPD ne fut pas ratifiée, en raison de difficultés techniques. Le protocole de 2010 vise à apporter des solutions, mais le lancement du processus de ratification vient seulement de débuter. Il subsiste des écueils de deux ordres.
En premier lieu, l’une des contraintes d’application qu’entend lever le protocole est la difficulté d’identifier et de remonter la chaîne des responsabilités. L’affaire
Erika était une véritable usine à gaz, faisant intervenir un propriétaire apparent – une simple coquille vide enregistrée à Malte –, une société de gestion nautique – basée en Italie –, un affréteur – une société helvético-bahamienne – et un sous-affréteur, le groupe Total SA. Nul doute que les difficultés d’identification des responsables perdureront avec le maintien du système du pavillonnage de complaisance, parfaitement toléré et pratiqué au sein de l’Union européenne, notamment à Chypre et à Malte.
En outre, l’absence de deux des plus gros importateurs de SNPD comme parties à la convention, les États-Unis et la Chine, risque d’amoindrir sa portée et son effectivité. J’ajoute qu’on ne peut s’empêcher de voir, dans ce texte, la contradiction permanente des instances internationales et européennes : d’un côté, les discours et les textes en faveur de l’écologie et de la protection de la planète se multiplient ; de l’autre, les traités de libre-échange qui favorisent mécaniquement les transports maritimes, et donc l’augmentation de la pollution maritime liée à l’utilisation des paquebots ainsi que celle des risques d’accident. Le dernier traité de libre-échange en date fut signé par l’Union européenne avec la Nouvelle-Zélande, située à plus de 24 000 kilomètres des côtes françaises.
En second lieu, cette convention agit
a posteriori , en réparant des dommages écologiques déjà causés, plutôt que de les prévenir ; une tâche particulièrement ardue tant que la concurrence internationale et déloyale, sans régulation, continuera de favoriser le dumping social et ses pratiques désastreuses, y compris au niveau des conditions de travail subies par les marins. C’est le cas de certaines compagnies qui agissent entre Calais et Douvres. Sur les navires des compagnies P & O Ferries et Irish Ferries, par exemple, les marins, qui viennent d’États où se pratique le moins-disant social, naviguent régulièrement pendant dix-sept semaines, parfois plus, sans jamais toucher la terre ferme. Ces pratiques, outre qu’elles constituent une concurrence déloyale pour les compagnies et marins français, favorisent fortement le risque d’accident : la compagnie Irish Ferries, qui transporte régulièrement des substances nocives et dangereuses, a connu deux incendies à bord en moins d’un an. Néanmoins, les pratiques de ces compagnies sont parfaitement légales. Pour les contrer, la France et l’Angleterre ont toutes les deux déposé un texte visant à lutter contre le dumping social.
Ces avancées peuvent toutefois être remises en cause par le fonctionnement de Bruxelles et la composition trop hétérogène de l’Union européenne. En effet, puisque Chypre, ou d’autres pays méditerranéens qui utilisent des marins internationaux, peut s’opposer à des normes sociales strictes, la société Irish Ferries a annoncé avoir allumé un contre-feu de lobbying
au niveau gouvernemental et au niveau de l’Union européenne. L’avenir des marins indiens, indonésiens et philippins sur le transmanche semble garanti pour un bon moment.
En tout état de cause, malgré des insuffisances que ce protocole seul ne peut pas régler, la convention concourt à la justice et à la protection de l’environnement, comme l’a précisé M. le rapporteur. Ce protocole, finalement, c’est mieux que rien. Le Rassemblement national se prononcera donc en sa faveur.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Sur l’article unique du projet de loi, je suis saisie par le groupe Renaissance et par le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Nathalie Oziol.
Les désastres industriels et environnementaux que produisent les accidents en mer ne laissent aucun doute quant à la nécessité d’un système international de responsabilité et d’indemnisation, mais aussi de prévention. En 1999, lorsque le pétrolier Erika a coulé, 400 kilomètres de côtes françaises ont été souillés par les hydrocarbures libérés dans le naufrage ; le poids des déchets était évalué à 250 000 tonnes, dont 10 tonnes de produits cancérigènes qui se sont retrouvés dans l’océan. Rien qu’entre 1998 et 2013, 126 accidents de transport maritime ont été enregistrés dans le monde et plus de 1,5 million de mètres cubes de substances nocives et potentiellement dangereuses ont été déversés dans la mer.
Lorsque de tels accidents se produisent, les conséquences sont extrêmement lourdes : tout d’abord, ils ont un impact économique sur la pêche, le tourisme et la navigation ; ils sont aussi écologiquement désastreux et nécessitent la prise en charge du nettoyage et de l’enlèvement ; enfin, ils mettent en danger la santé et la vie des personnes qui se retrouvent en contact avec ces substances toxiques.
La convention internationale que nous allons ratifier est un texte de 1996, modifié par un protocole de 2010, dont on envisage l’entrée en vigueur en 2024 ou en 2025. Il aura fallu vingt-sept ans pour parvenir à l’étape de la ratification ! De surcroît, pour qu’il soit valide, il faut que douze États aient signé le protocole. À ce stade, seuls sept l’ont fait, et quatre autres, dont la France, envisagent de le signer. Que de temps perdu ! La faute, en partie, à l’Union européenne qui devait approuver la ratification, ce qu’elle a mis sept ans à faire.
Par ailleurs, s’il est clair qu’un régime international de réparation doit être instauré, il est surtout temps de mettre en place une politique de prévention permettant d’éliminer les risques de pollution, quand les deux tiers de la population mondiale vivent à moins de 100 kilomètres d’une côte ; en France métropolitaine, c’est la moitié de la population, et davantage en outre-mer.
Indemnisation ne vaut jamais compensation des catastrophes causées par un naufrage et ratification ne vaut certainement pas consécration du transport maritime de substances nocives. Il y a matière à s’inquiéter quand le nombre de porte-conteneurs, de transporteurs de GNL et de GPL et de navires-citernes pour produits chimiques ne fait qu’augmenter. Il y a matière à s’inquiéter quand le groupe TotalEnergies, dirigé par Patrick Pouyanné, confirme son intention d’investir au Texas dans un mégaprojet gazier. Côté français, c’est un nouveau terminal méthanier au Havre qui permettra d’importer le GNL américain à partir de septembre prochain. Nombreuses sont les ONG de défense de l’environnement, en France et aux États-Unis, qui dénoncent ce projet écocide et dangereux pour la santé des gens qui vivent à proximité des terminaux méthaniers.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Hubert Julien-Laferrière applaudit également.) Et c’est le même Pouyanné à qui Emmanuel Macron a remis la Légion d’honneur ! En Macronie, on est récompensé lorsqu’on détruit la planète et les océans. Eh oui ! Les mers sont devenues un déversoir de pollutions de toutes sortes : substances chimiques, pesticides, GNL, métaux lourds, déchets plastiques… Toute la chaîne alimentaire est contaminée, jusqu’à 10 kilomètres sous la surface, et tout cela se retrouve ensuite dans nos assiettes. L’océan mondial, qui joue un rôle de régulateur climatique, est au bord de l’asphyxie.
Rappelons que l’humanité et, de manière générale, le vivant dépendent de la bonne santé de nos océans.
(MM. Hadrien Clouet et Antoine Léaument applaudissent.) Il est plus urgent que jamais de mener une diplomatie écologique universaliste comme celle que porte La France insoumise. Des mesures d’urgence doivent être prises, comme l’interdiction de l’exploitation des hydrocarbures offshore, notamment dans les eaux territoriales françaises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Il faut aussi réserver la notion d’aire marine protégée aux zones excluant toute activité industrielle et interdisant toute extraction ou capture. Nous devons, enfin, inverser le trafic maritime en interdisant celui-ci dans les aires protégées.
Nous voterons ce protocole en rappelant que nous n’avons plus le temps d’attendre que douze pays ratifient une convention sur la pollution des mers qui n’est qu’un minimum. Nous n’avons plus le temps d’attendre qu’Emmanuel Macron ait fini de décorer des pollueurs.
(M. Jean-François Coulomme applaudit.) Nous n’avons que des délais pour sortir l’humanité de l’impasse écologique. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et GDR-NUPES. – M. le rapporteur applaudit également.) La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
Dans ce débat unanime, la commission des affaires étrangères ne parle que d’une seule voix : celle de son rapporteur, qui nous a encouragés à voter ce texte qui représente indiscutablement un progrès, ne serait-ce que parce que la ratification de la France contribuera peut-être à ce qu’un jour, ce texte soit appliqué.
Mais je voudrais, et je crois là aussi me faire l’expression de l’unanimité de la commission des affaires étrangères, y compris le rapporteur qui a employé le terme de « frustration », dire à quel point il est frustrant d’aborder une question aussi grave, aussi sérieuse, aussi urgente que celle-là, alors que toute l’opinion publique est sensible à la question des substances dangereuses et aux menaces qu’elles font peser sur notre environnement maritime, en étant seulement le septième État à autoriser la ratification du protocole, alors qu’il en faudrait douze, au minimum, pour qu’il entre en vigueur. Nous parlons d’un texte qui a été signé en 1996
(M. Jean-Charles Larsonneur applaudit) , modifié en 2010, et dont nous ne pouvons, encore aujourd’hui, qu’espérer la mise en œuvre, si nous trouvons cinq autres États pour en autoriser la ratification.
Ce texte, on l’a dit, est insuffisant ; ce n’est pas la faute du Gouvernement, qui ne peut autoriser la ratification que de ce dont il a hérité. Mais il est bel est bien insuffisant, parce qu’il ne prévoit rien en matière de prévention – le rapporteur l’a dit –, parce que les sommes prévues pour le fonds SNPD sont insuffisantes, et aussi parce qu’il ne mobilise pas suffisamment la responsabilité des acteurs. Et non seulement il est insuffisant, mais nous ne l’appliquons pas !
Je vous pose donc, à chacun d’entre vous, la question suivante – au sein de la commission des affaires étrangères, nous nous la posons quotidiennement : allons-nous tolérer longtemps cette impuissance internationale collective de la planète ?
(« Non ! » sur divers bancs. – M. Jean-Charles Larsonneur et Mme Estelle Youssouffa applaudissent.) Je ne parle pas, en l’espèce, au nom de la commission dans son ensemble, mais je relaie sans doute l’opinion de la majorité : il est nécessaire que les vingt-sept États de l’Union européenne démontrent une vue unanime sur le sujet, en signant tous le texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem. – Mme Estelle Youssouffa applaudit également.) Nous en sommes à six signataires ; au nom de quoi ne pourrions-nous pas nous mettre tous d’accord sur une urgence dont tout le monde reconnaît la validité et l’importance ? Je voulais lancer ce cri d’alarme avant de voter pour ce texte, sans oublier de féliciter le rapporteur pour son excellent rapport. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.) La parole est à Mme la secrétaire d’État. Madame la députée Estelle Youssouffa, les recommandations du rapport IGF-CGEDD ont été prises en compte. Je vous confirme donc la solidité juridique de notre dispositif interne ; par ailleurs, les dix-huit mois précédant la mise en œuvre effective de la convention permettront d’améliorer notre régime de sanctions, qui est en effet perfectible. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.) Bravo ! Très bien !
Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.
(Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 170
Nombre de suffrages exprimés 170
Majorité absolue 86
Pour l’adoption 170
Contre 0
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE, Dem, HOR et LIOT.)
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et le Sénégal sur l’octroi de l’autorisation d’exercer une activité professionnelle aux personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Paris le 7 septembre 2021, et de l’accord entre la France et le Sri Lanka relatif à l’autorisation d’exercice d’une activité professionnelle salariée par les membres de la famille des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Paris le 23 février 2022 (nos 1276, 1507).
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux. Vous examinez aujourd’hui l’accord entre la France et le Sénégal sur l’octroi de l’autorisation d’exercer une activité professionnelle aux personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, ainsi que l’accord passé entre la France et le Sri Lanka relatif à l’autorisation d’exercice d’une activité professionnelle salariée par les membres de la famille des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre. Ils font tous deux l’objet du projet de loi proposé à votre approbation.
Ces deux accords s’inscrivent dans la volonté de l’État d’adapter au mieux le cadre d’expatriation de ses agents en poste à l’étranger, en permettant aux membres de leur famille qui le souhaitent d’y poursuivre un parcours professionnel. Cette thématique constitue l’une des priorités du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
La multiplication de ce type d’accord fait désormais partie des priorités du plan d’action du ministère en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. À ce jour, des accords bilatéraux ont été conclus avec trente pays ; ils viennent s’ajouter aux trente pays membres de l’Espace économique européen (EEE) et à la Suisse, qui accordent un libre accès au marché du travail, ainsi qu’à la quarantaine de pays avec lesquels une pratique fondée sur la réciprocité existe.
Il y a donc à ce jour dans le monde plus d’une centaine de pays dans lesquels l’expatriation de nos diplomates s’accompagne d’un dispositif permettant au conjoint d’exercer une activité professionnelle. Cet effort, qui s’accélère depuis une dizaine d’années, va se poursuivre. Grâce aux présents accords fondés sur la réciprocité, les familles des diplomates français au Sénégal et au Sri Lanka, mais aussi celles des diplomates sénégalais et srilankais en France, vont à présent pouvoir concilier leur parcours professionnel avec les droits issus des conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et sur les relations consulaires.
La signature de l’accord avec le Sénégal s’inscrit dans le cadre de relations bilatérales franco-sénégalaises riches, dynamiques, nourries par l’histoire et par des liens humains forts. Ces relations sont résolument tournées vers la jeunesse et l’avenir, comme en témoignent la tenue de la cinquième édition du Séminaire intergouvernemental franco-sénégalais, le 8 décembre dernier, le développement de projets tels que le Campus franco-sénégalais, la création d’une école franco-sénégalaise ou encore le renforcement de notre coopération dans le domaine de la formation professionnelle.
L’accord s’applique à toute activité professionnelle salariée ou non-salariée impliquant l’obtention d’un bénéfice économique. L’ambassade de France au Sénégal compte 117 agents expatriés bénéficiant de cartes diplomatiques ou spéciales, accompagnés par 68 conjoints – de sexes différents – mariés pouvant prétendre à la délivrance du même type de carte, et par 89 enfants à charge. L’ambassade du Sénégal en France dispose quant à elle de 165 agents affectés dans notre pays, auxquels s’ajoutent les 22 agents de la délégation permanente du Sénégal auprès de l’Unesco. Sur ces 187 agents, environ 60 sont français ou binationaux ; en dehors de ceux-ci, 56 ayants droit sénégalais seraient concernés par le dispositif.
S’agissant ensuite de l’accord avec le Sri Lanka, nos deux pays célébreront en octobre prochain le soixante-quinzième anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. Notre relation avec le Sri Lanka est ancienne ; elle est amenée à s’approfondir et à se renforcer. Le pays sort progressivement d’une période difficile et la France l’a activement soutenu, notamment en jouant un rôle moteur au sein du Club de Paris, dans le cadre des négociations entre ses créanciers. Le président du Sri Lanka a participé au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial en juin dernier, et nos deux pays souhaitent conduire ensemble des projets de coopération au bénéfice de la population srilankaise et de la région de l’océan Indien. Dans ce contexte, la conclusion d’un accord visant à améliorer les conditions de vie des diplomates français et srilankais incarne très concrètement la dynamique positive dans laquelle nous nous engageons avec ce pays.
L’accord s’applique aux activités professionnelles salariées, mais il prévoit également que les demandes des membres de la famille désireux d’exercer une activité non salariée soient examinées au cas par cas par les administrations compétentes de l’État d’accueil. L’ambassade de France au Sri Lanka compte vingt-huit agents expatriés bénéficiant de cartes diplomatiques ou spéciales, accompagnés par quatorze conjoints – de sexes différents – mariés pouvant prétendre à la délivrance du même type de carte, et par dix-sept enfants à charge. L’ambassade du Sri Lanka en France et la délégation permanente du Sri Lanka auprès de l’Unesco disposent de vingt et un agents affectés en France ; six ayants droit srilankais seraient concernés par le dispositif.
L’entrée en vigueur de ces accords permettra de faciliter la vie quotidienne des familles de diplomates français, sénégalais et srilankais. Sur la base de la réciprocité, les conjoints d’agents affectés dans les postes diplomatiques et consulaires pourront exercer une activité professionnelle sans se voir opposer la situation du marché de l’emploi, dans le respect du droit du travail. Ils ne renonceront pas au statut que leur confèrent les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires.
Telles sont les principales observations qu’appellent ces accords, qui font l’objet du projet de loi proposé à votre approbation.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – M. le président de la commission des affaires étrangères, applaudit également.) La parole est à M. Alain David, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Nous sommes réunis pour débattre d’un projet de loi visant à autoriser l’approbation de deux accords similaires, conclus respectivement avec le Sénégal en septembre 2021 et avec le Sri Lanka en février 2022. Ces deux accords partagent un même objectif : faciliter l’accès au marché du travail local aux membres des familles des agents des missions officielles. Pour en prendre la mesure, il faut les remettre dans le contexte plus global d’un projet de réforme du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, lancé en 2015 par Laurent Fabius dans un but de modernisation du cadre d’expatriation des agents.
Cet objectif est repris dans le cadre du plan d’action du ministère en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, sujet dont l’importance est capitale. Depuis le début de la législature, le Parlement a ainsi voté en faveur de deux projets de loi autorisant l’approbation de ce type d’accords, conclus avec le Kosovo et avec la principauté d’Andorre ; ils ont eux-mêmes été précédés par une dizaine d’accords votés sous la législature précédente. En tout, la France est liée par des accords bilatéraux de ce type avec vingt-huit États ; s’y ajoute l’échange de notes verbales avec une dizaine de pays, dans le même objectif de facilitation de l’accès au marché du travail pour les conjoints d’agents.
Pour rappel, en l’absence d’accord et en dehors de l’Espace économique européen et de la Suisse, les membres de la famille des agents des missions officielles disposent d’un statut qui peut constituer un obstacle pour exercer une activité rémunérée.
Ainsi, si les conventions de Vienne de 1961 et 1963 sur, respectivement, les relations diplomatiques et consulaires n’interdisent pas le travail rémunéré des personnes à charge des agents de missions officielles et prévoient des exceptions à certains privilèges et immunités en cas d’exercice d’une activité professionnelle salariée, elles n’en confèrent pas moins un statut spécial risquant de faire obstacle à l’exercice d’une telle activité. L’entrée en vigueur de ces deux accords permettra donc une adaptation juridique, qui a été complétée en France par la mise en place d’une procédure administrative simplifiée.
Au-delà de cette adaptation juridique, c’est une modernisation du cadre d’expatriation des agents qui est permise et qui est indispensable pour répondre à des évolutions sociales déterminantes telles que la progression du taux d’emploi féminin au sein du corps diplomatique. Cependant, le Sénégal et le Sri Lanka ne reconnaissent pas d’union légale entre deux conjoints de même sexe. En conséquence, les conjoints français de même sexe ne peuvent pas obtenir dans ces pays de titre de séjour en qualité de conjoint ni se prévaloir de cette qualité. Ils ne sont donc pas couverts par le champ des accords, comme c’est le cas dans plusieurs autres pays, mais peuvent néanmoins obtenir des titres de séjour de droit commun et accéder de cette façon au marché du travail local. Il est important que notre pays demeure attentif à la situation des conjoints de même sexe en situation d’expatriation, afin d’éviter tout risque de discrimination.
Les accords bilatéraux avec le Sénégal et le Sri Lanka ne concernant directement qu’un nombre modeste de personnes, il faut les resituer dans un cadre plus global. Ils faciliteront le recrutement d’un personnel de qualité par le réseau diplomatique, consulaire et culturel français, de même que par les 250 entreprises françaises implantées au Sénégal et éventuellement désireuses d’embaucher des ressortissants français présents sur place.
Au-delà de l’objet précis de ces deux accords, notre débat contribue également à mettre un coup de projecteur sur les situations intérieures du Sri Lanka et du Sénégal. Début juillet, le président sénégalais Macky Sall a annoncé qu’il ne briguerait pas de troisième mandat lors des élections présidentielles de 2024. Notre pays a salué cette décision qui atteste de la solidité de la tradition démocratique sénégalaise. Néanmoins, la situation intérieure reste sensible, compte tenu notamment des attentes dans le pays concernant les candidats qui seront – ou non – autorisés à se présenter, à l’instar de l’opposant Ousmane Sonko, condamné à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » et investi candidat par son parti malgré sa probable inéligibilité.
Si notre relation bilatérale avec le Sri Lanka est moins développée qu’avec le Sénégal, nous ne devons pas moins rappeler que ce pays a traversé une grave crise économique et sociale en 2022 et qu’il s’y manifeste une tendance préoccupante à la restriction des libertés publiques.
Ainsi, mes chers collègues, je vous invite à voter sans réserve en faveur de l’approbation de ces deux accords et à rejoindre en cela la position adoptée par la commission des affaires étrangères et son président.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE, SOC et GDR-NUPES.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Frédéric Zgainski. Dans le droit-fil des projets Ministère du XXIe siècle et Action publique 2022, lancés respectivement en 2015 et 2017, les accords que nous examinons participent à la modernisation du cadre d’expatriation des personnels du ministère de l’Europe et des affaires étrangères en poste à l’étranger. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, nous avons examiné cette année un accord similaire avec le Kosovo. Le groupe Démocrate se réjouit que nous avancions vers l’objectif de quatre-vingts pays où les membres des familles des agents des missions officielles pourront accéder au marché du travail sans perdre intégralement la spécificité de leur statut. Nous encourageons d’ailleurs le regroupement de tels accords dans des textes comme celui-ci car, nos débats vont certainement le démontrer, nous approuvons tous l’objectif affiché et nous ne discuterons pas en détail de leur contenu.
La mission de nos diplomates est exigeante et l’on ne saurait oublier les efforts importants consentis par leur famille qui les suivent parfois au bout du monde. Cette prise de conscience des États marque donc un progrès notable pour inscrire la diplomatie dans le XXIe siècle, ces accords permettant de faciliter la vie de ceux qui les représentent partout dans le monde.
Cela étant, si certains conjoints ont fait part de leur souhait de profiter des avancées du texte, les emplois dans les pays concernés sont souvent peu rémunérés et nécessitent la maîtrise de la langue locale. Enfin, il ne faut pas seulement retenir de ces avancées leurs implications pour les expatriés français, elles sont aussi un progrès très significatif pour ceux qui accompagnent leur conjoint diplomate dans notre pays, d’autant que la France offre un cadre international de travail très développé.
Aussi, le groupe Démocrate soutiendra-t-il le projet de loi.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe RE. – M. le président de la commission applaudit également.) La parole est à Mme Anna Pic. Selon les conventions de Vienne du 18 avril 1961 et du 24 avril 1963, les personnes à charge des personnels diplomatiques et consulaires ont également droit au bénéfice de privilèges et immunités. L’existence de ces immunités, aussi nécessaires soient-elles, est souvent à l’origine de blocages juridiques entravant l’accès au marché du travail de ces personnes, la plupart du temps des conjoints et enfants. Si les conventions susmentionnées n’interdisent pas le travail et prévoient la levée de certaines immunités dans ces cas précis, cette possibilité est malheureusement régulièrement entravée par des dispositions juridiques figurant dans le droit national des pays d’accueil.
Dans le cadre de la stratégie Ministère du XXIe siècle, lancée en 2015, les gouvernements successifs ont souhaité remédier à ces entraves, lesquelles nuisent à l’attractivité des carrières dans le secteur de la diplomatie. Vingt-cinq conventions visant améliorer le cadre d’expatriation des personnels diplomatiques et consulaires ont ainsi été ratifiées au cours des cinq dernières années et treize autres sont en cours de négociation. À terme, le ministère estime que près de 3 000 conjoints et membres de famille de ces personnels pourront être concernés par la mise en œuvre de cette politique d’accès facilité à l’emploi.
Au Sénégal, il est jusqu’à présent possible à ces personnes de travailler durant une période de trois mois au terme de laquelle elles doivent obtenir une carte d’identité étrangère valable cinq ans. Au Sri Lanka, cette période est de six mois, au terme de laquelle il est nécessaire d’obtenir un visa de résidence renouvelable chaque année. Le présent projet de loi vise donc à autoriser les membres de la famille de ces agents diplomatiques ou consulaires à exercer une activité professionnelle, sans être entravés par des procédures et réglementations.
Ces mesures ne concernent que peu d’individus. L’accord avec le Sénégal va ouvrir des possibilités à douze conjoints de personnels diplomatiques français – actuellement employés dans des postes diplomatiques ou consulaires ou par un employeur privé – et à une cinquantaine de conjoints de personnels diplomatiques sénégalais vivant en France. L’accord avec le Sri Lanka concerne une quinzaine de conjoints de diplomates français et six conjoints de diplomates sri-lankais.
Dans ces conditions, il paraît difficile de s’opposer à ce projet de loi et aux dispositions afférentes, lesquelles relèvent du bon sens. Le groupe Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES) votera donc le texte.
Je vais profiter de la tribune qui m’est offerte pour évoquer un autre sujet : les difficultés que rencontrent les Sénégalais pour obtenir un visa français. En avril dernier, l’ambassadeur de France au Sénégal justifiait cette complexité de délivrance par des flux de demandes toujours plus importants et des moyens déployés pour les traiter toujours plus faibles. En 2023, le nombre de demandes déposées s’établit déjà à plus de 11 000, alors que les effectifs consulaires ont été réduits de 30 % au cours de la dernière décennie.
Confrontés à cette situation délicate, les étudiants ayant reçu une réponse d’admission positive dans un établissement d’enseignement supérieur français courent le risque de perdre leur préinscription. Alors qu’ils déposent souvent leur demande après les résultats du baccalauréat, très peu d’entre eux peuvent espérer recevoir un visa leur permettant de faire leur rentrée en septembre. Autres victimes de ces délais de délivrance : les Sénégalais dont l’intégrité physique est en danger dans leur pays – le rapporteur a évoqué le cas de ceux qui appartiennent à une minorité sexuelle.
Les ONG et collectivités locales, qui travaillent dans le cadre de coopérations parfois financées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, voient les visas des membres sénégalais du projet leur être refusés – le volet formation et échanges de pratiques se trouve ainsi amputé de la partie qui devait se dérouler sur le territoire hexagonal. Les questions de délivrance des visas – et des personnels consulaires qui les délivrent – font partie intégrante de la relation que nous avons avec nos partenaires historiques. Toute dégradation de ces formalités détériore significativement nos relations bilatérales avec des partenaires et des nations amies comme le Sénégal.
(M. le président de la commission des affaires étrangères et M. le rapporteur applaudissent.) Exactement ! Le Gouvernement devrait y penser ! La parole est à M. Jean-François Portarrieu. Si voyager est souvent une expérience enrichissante, s’expatrier n’est jamais une vraie sinécure. Les conjoints, les enfants et les personnes à charge des agents en mission diplomatique peuvent se retrouver dans un pays dont ils ne connaissent ni la langue, ni la culture, ni le marché du travail. C’est pourquoi l’expatriation des familles de diplomates peut se révéler difficile dans des pays où le manque d’attaches personnelles, les barrières linguistiques et la situation économique et sociale locale compliquent leur insertion. Il devient alors nécessaire de favoriser l’accès à l’emploi pour ces familles, le travail étant pour elles un facteur de renforcement du lien social et aussi un moyen d’être plus indépendantes et autonomes.
Or les conventions sur les relations diplomatiques et consulaires de 1961 et 1963 ne permettent pas aux familles de diplomates d’exercer une activité lucrative dans le pays d’accueil sans risquer la levée de certaines immunités pénales, civiles ou administratives. Il convient donc de signer des accords avec les pays d’accueil pour garantir une protection des familles de diplomates de manière équitable. Vingt-sept accords similaires ont été signés, et nous avons examiné les projets de loi d’approbation de plusieurs d’entre eux, notamment ceux concernant le Kosovo et Andorre.
Aujourd’hui, il en va de même pour le Sri Lanka et le Sénégal. Dans le premier pays, certains conjoints de personnels diplomatiques ont exprimé leur désir de travailler dans le domaine du tourisme. Dans le second, d’autres pourraient bénéficier de ces dispositions à la faveur de la coopération étroite qui existe entre nos deux pays.
Ces accords, destinés à faciliter l’emploi des familles de diplomates, sont aussi l’occasion de renouveler nos partenariats. Le Sénégal est un interlocuteur privilégié de la France sur le continent africain. C’est à la fois un partenaire commercial majeur et un pays ami avec lequel nous organisons chaque année un séminaire intergouvernemental. C’est aussi un modèle de stabilité en Afrique de l’Ouest.
Méfions-nous des modèles ! À cet égard, nous saluons la décision du président Macky Sall de ne pas sacrifier cette stabilité à des ambitions personnelles, en n’étant pas candidat à sa succession. Pourvu que ça dure ! Quant à l’accord avec Sri Lanka, qui traverse une crise profonde, il nous permet de renouveler notre engagement en faveur du développement du pays. Depuis 2005, l’Agence française de développement (AFD) y a cumulé plusieurs centaines de millions d’euros d’engagements dans des projets dans les domaines de l’énergie, de l’eau et de l’assainissement, de l’aménagement urbain, de l’irrigation, du transport, de la santé et de la protection sociale. Ces actions doivent perdurer.
C’est donc tout autant pour les familles de diplomates que pour renforcer nos partenariats avec ces deux pays, que le groupe Horizons votera en faveur de l’approbation de ces deux accords.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes HOR et Dem.– M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.) La parole est à M. Aurélien Taché. Je suis heureux de m’exprimer aujourd’hui sur un sujet qui me tient à cœur et qui concerne notre avenir commun ainsi que la manière dont, en tant que nation, nous nous engageons avec le monde – en l’espèce, l’Afrique et l’Asie.
Les accords, somme toute traditionnels, dont il est question dans ce projet de loi, concernent l’emploi des membres de la famille du personnel diplomatique en poste au Sénégal et au Sri Lanka. Nous les approuverons sans difficulté, dans la mesure où ils sont conformes aux conventions de Vienne qui établissent les règles fondamentales permettant aux diplomates d’exercer leur travail dans les meilleures conditions possible.
Ce projet de loi illustre notre engagement pour la promotion de relations de travail plus justes et témoigne de notre volonté de collaborer avec nos partenaires internationaux pour créer un environnement de travail qui respecte les droits de chacun. Il reconnaît le rôle important que jouent les familles dans le soutien au personnel diplomatique puisqu’il définit un cadre pour l’emploi de ces femmes et de ces hommes en veillant à ce qu’ils soient traités de manière équitable et en accord avec les normes internationales.
Cependant, à l’occasion de l’examen de ce texte, je voudrais appeler votre attention sur une question un peu plus large. La France, autrefois puissance coloniale en Afrique de l’Ouest, perd, depuis plusieurs années, de son influence dans la région. Nous devons nous demander pourquoi. Est-ce seulement le résultat d’erreurs passées et de politiques mal conçues ou le reflet d’un changement plus profond dans le monde ?
À titre personnel, je suis persuadé que nous devons sortir d’une logique postcoloniale et réinventer une nouvelle forme de partenariat, qui repose sur le respect mutuel et l’égalité, avec nos partenaires africains – en l’occurrence, sénégalais. Nous devons travailler ensemble en faveur du développement économique, social et environnemental de nos pays respectifs, et veiller à ce que les principes démocratiques et les droits humains soient respectés, en étant aussi exigeants avec les autres qu’avec nous-mêmes.
Dans ce rapport, il est notamment question du Sénégal, un pays ami avec lequel nous avons une longue histoire de coopération et de respect mutuel. J’ai eu l’occasion de dire à plusieurs reprises dans l’hémicycle que la France devait rappeler le président Macky Sall à la raison pour qu’il ne bafoue pas la Constitution et ne brigue pas un troisième mandat. Il a annoncé récemment qu’il ne se représenterait pas – c’est une très bonne nouvelle. En effet, c’est un principe fondamental de la démocratie que de permettre les conditions de son renouvellement, dans le respect de la pluralité des oppositions. Nous devrons, collectivement, rester vigilants sur ce point.
Exactement ! La situation politique actuelle au Sri Lanka est particulièrement préoccupante. Nous appelons à un retour rapide à la démocratie et à la fin des violations des droits humains dans ce pays.
J’appelle votre attention sur ce que vivent les Tamouls, une ethnie minoritaire du Sri Lanka qui a subi des années de conflit et de souffrance. Leur histoire, riche et ancienne, remonte à plus de 2 000 ans ; ils ont développé une culture unique, avec leur langue, leur art et leur système de croyances.
La guerre civile au Sri Lanka, qui a duré jusqu’en 2009, a été pour eux particulièrement dévastatrice. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, davantage encore ont été déplacées et de nombreuses autres ont été victimes de violations graves des droits humains. Malheureusement, même depuis la fin de la guerre, la justice n’a toujours pas pu être saisie.
Quatorze ans après la fin de la guerre, les victimes attendent en effet toujours que justice soit faite. Les familles des disparus sont encore aujourd’hui à la recherche de leurs proches tandis que les auteurs de ces atrocités n’en ont pas été tenus pour responsables. La cause des Tamouls ne se limite pas à la recherche de justice pour les crimes de guerre. Il s’agit également de lutter pour l’égalité des droits, pour l’autonomie et pour la reconnaissance de leur identité culturelle unique. Ils continuent de faire face à la discrimination et à la marginalisation, leur langue et leur culture étant souvent négligées.
Nous devons demander au gouvernement srilankais qu’il mène une enquête approfondie sur les crimes de guerre et qu’il assume pleinement sa responsabilité. Parallèlement, ici en France et partout ailleurs, nous devons soutenir les efforts visant à promouvoir l’égalité des droits et la reconnaissance culturelle pour les Tamouls et pour l’ensemble des peuples.
Nous voterons évidemment le projet de loi.
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.) La parole est à M. Jean-Paul Lecoq. Ce débat dans l’hémicycle nous permet de nous exprimer plus longtemps que pendant les deux minutes trente réglementaires qui nous sont allouées en commission. (Sourires.)
Si le groupe Gauche démocrate et républicaine votera le projet de loi, il faut se pencher sur le problème que pose l’absence de définition de la notion de famille dans les conventions de Vienne de 1961 relatives aux relations diplomatiques. En effet, cette définition étant laissée à l’appréciation du droit national, se pose aujourd’hui la question de la reconnaissance des couples de même sexe. Contrairement au Sri Lanka et au Sénégal, la France considère que les droits des personnes LGBT relèvent des droits fondamentaux et, par conséquent, universels. Dès lors, la question du combat pour leur reconnaissance doit se poursuivre sans faille, ce qui devra passer par l’intégration des couples LGBT dans ces accords.
Au-delà de ce sujet de fond, le contexte politique au Sénégal et au Sri Lanka mérite d’être évoqué ici – comme l’ont d’ailleurs fait certains de mes collègues.
Au Sénégal, si la tension est retombée d’un cran avec l’annonce du président Macky Sall de ne pas briguer de troisième mandat, l’État de droit reste fragilisé et beaucoup reste à faire pour apaiser la situation politique. De nombreux témoignages de militants indiquent que, sous la présidence de M. Sall, l’État sénégalais a glissé dans une pratique politique autoritaire où règne l’arbitraire le plus complet.
Quelques exemples permettent de s’en convaincre. Tout d’abord, l’opposant politique le plus populaire au Sénégal, Ousmane Sonko, a subi un harcèlement judiciaire visant à le rendre inéligible pour l’élection présidentielle, ce qui créera des tensions politiques fortes à l’approche du scrutin. D’autre part, il est assigné à résidence depuis le 28 mai sans qu’aucune décision judiciaire ait été prise en ce sens. Ses avocats n’ont même pas pu franchir les barrières de police pour le voir. L’opposition sénégalaise avec laquelle j’échange régulièrement – le Pastef, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, ou le PIT, le parti de l’indépendance et du travail – est très attentive au sort qui lui est réservé ; par solidarité, les députés communistes et ultramarins du groupe GDR le sont aussi.
Autre exemple de l’arbitraire et des tensions politiques : la session parlementaire de nos collègues sénégalais qui doit s’étendre, comme ici, d’octobre à juin n’a duré que quelques semaines, entre mi-mai et le 26 juin, sans qu’aucune explication ait été donnée pour justifier une telle brièveté.
Dernier exemple, le ministre de la communication, des télécommunications et de l’économie numérique a fait fermer un média en toute illégalité alors même qu’une telle décision ne relève pas de sa compétence.
Bref, les oppositions en appellent à la solidarité internationale pour faire en sorte que le président Macky Sall revienne à la raison et pour que l’État de droit soit rétabli. Elles nous demandent aussi de nous organiser pour surveiller le déroulement du scrutin présidentiel de février 2024 et de veiller à ce que chaque candidat puisse s’y présenter.
S’agissant du Sri Lanka, il est important de redire toute la solidarité du groupe Gauche démocrate et républicaine à l’égard du peuple tamoul qui réclame justice. Il faut insister ici pour que notre diplomatie exige du Sri Lanka l’application de la résolution 40/1 du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui permettra de garantir la justice pour les victimes de la guerre civile. Dans le cadre de possibles poursuites par la Cour pénale internationale, il est indispensable de créer les conditions de la transparence, de favoriser les collectes d’informations et d’assurer une meilleure transmission de celles-ci.
Face au blocage de l’État srilankais, il revient à la communauté internationale d’agir pour la mise en place d’une justice transitionnelle, pour la restitution des terres et pour la recherche des disparus. Les crimes de guerre doivent faire l’objet d’investigations et de condamnations à la hauteur de leur gravité. En outre, les droits, notamment religieux, du peuple tamoul, ne sont toujours pas respectés sur l’île. De nombreuses destructions de temples, par exemple, sont encore à déplorer.
Le peuple tamoul, en France comme au Sri Lanka, est exaspéré par cet immobilisme. Les quelques pas vers la diaspora tamoule faits par l’exécutif srilankais dans le contexte de crise majeure que connaît le pays ne suffiront pas à obtenir une paix juste et durable, laquelle ne pourra se construire que grâce à l’application des résolutions successives de l’ONU.
Si ces accords avec le Sénégal et le Sri Lanka sont purement techniques, la diplomatie française, forte de sa présence au Conseil de sécurité des Nations unies, a une responsabilité partout dans le monde pour faire respecter les résolutions qui y sont votées et pour faire en sorte que la démocratie dans le monde reste conquérante.
(Applaudissements sur les bancs des commissions. – Mme Anna Pic applaudit également.) La parole est à Mme Estelle Youssouffa. Les accords portant sur l’emploi des familles de nos diplomates ne sont pertinents que si la majorité de nos postes à l’étranger sont concernés. Nous soutenons cette stratégie qui rend plus attractive les carrières des agents du Quai d’Orsay en ce qu’elle facilite la conciliation entre vie professionnelle et familiale.
Ils témoignent en outre des bonnes relations diplomatiques que nous entretenons avec le Sénégal et le Sri Lanka. Pour toutes ces raisons, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires votera ce projet de loi.
(L’oratrice s’interrompt pour boire un verre d’eau.) Je bois un peu d’eau car il m’est impossible d’être ici, à la tribune, sans vous parler de la gravissime crise de l’eau qui secoue Mayotte.
Depuis plusieurs années, Mayotte subit quotidiennement des coupures d’eau, mais aujourd’hui, la crise est plus aiguë que jamais. Les retenues collinaires qui stockent l’eau de pluie sont quasiment vides et la préfecture a décidé de rationner la population en procédant à des coupures, pendant vingt-quatre heures d’affilée dans certaines zones ; dans les villes les plus peuplées, il n’y a pas d’eau entre seize heures et huit heures du matin.
Cela signifie qu’à Mayotte, l’eau coule quand les habitants sont au travail. Par conséquent, pas d’eau quand vous rentrez du bureau. Impossible de faire vos réserves. Résultat : oubliez la douche, c’est un cauchemar pour faire la cuisine, un enfer pour la lessive et débrouillez-vous pour le ménage ! Aucune mesure n’est prise pour les personnes âgées, les malades, les femmes enceintes ni les bébés.
Quand nos robinets se mettent à couler, nous avons des doutes sur la qualité de l’eau qui nous est offerte : l’ARS, l’agence régionale de santé, a déjà averti que l’eau n’était pas potable pendant les quatre premières heures de distribution. Nous savons aussi que lorsque les réserves sont au plus bas, l’eau se concentre en métaux lourds et autres minéraux comme le fluor, le manganèse, l’arsenic ou les sulfates. Cette concentration rend l’eau plus difficile à traiter alors que le faible débit ou l’augmentation de la température peuvent aussi provoquer la prolifération de bactéries.
Vous imaginez bien que sans eau courante, les risques sanitaires explosent avec la transmission de maladies de peau mais aussi le choléra, la dysenterie, l’hépatite ou la typhoïde. Nous sommes donc confrontés à un risque sanitaire maximum alors que Mayotte est un désert médical et qu’un plan blanc a été déclenché par le centre hospitalier de Mayotte (CHM).
Oui, comme à l’âge de pierre, nous en sommes réduits à prendre nos seaux et nos jerrycans pour stocker l’eau. Vous comprendrez que dans ce contexte, les familles mahoraises n’ont d’autre choix que d’acheter des packs d’eau. Ce matin, la préfecture de Mayotte a plafonné leur prix par ordonnance sans que ce montant magique ait été communiqué.
Ce mystère ne relève pas que d’une lâcheté administrative. Il empêche le consommateur mahorais de savoir s’il est victime d’une arnaque et laisse les distributeurs s’enrichir. Actuellement, un pack de six bouteilles d’eau se vend au minimum 5 euros à Mayotte contre 1,15 euro dans l’Hexagone – 5 euros pour six bouteilles d’eau dont vous ne pouvez pas vous passer.
C’est scandaleux ! Sans eau, Mayotte est invivable. Nous, Mahorais, refusons de nous habituer à l’inacceptable. Nous payons nos impôts. Nous payons cher une eau qui n’est pas distribuée. Nous avons payé une usine de dessalement qui ne fonctionne pas. Notre argent ne s’évapore pas pour tout le monde. Ni les entreprises qui s’engraissent sur cette crise ni les élus qui ont alimenté cette catastrophe ne sont inquiétés.
La calamité qui frappe Mayotte n’est pas naturelle. Non, ce n’est pas la seule sécheresse qui nous accable mais bien la calamité gouvernementale qui assèche nos robinets. Le Gouvernement parle de sécheresse historique pour masquer son inertie mais refuse de déclarer l’état de catastrophe naturelle qui permettrait à nos agriculteurs d’y faire face et de garantir notre sécurité alimentaire. Il donne des citernes à nos écoles mais pas de pompes. Il refuse d’écouter les élus locaux et construit des fontaines et des rampes d’eau gratuite pour les bidonvilles de clandestins à côté des foyers mahorais qui paient des factures pour des robinets qui tournent à vide.
Nous savons que certaines de ces rampes d’eau alimentent l’agriculture illégale sur des terrains volés et que ces bornes d’eau qui coulent à flots constituent une provocation qui lancera la guerre de l’eau à Mayotte. Les violences éclateront et la révolte sera justifiée.
Mayotte a besoin d’un Wuambushu pour l’eau : distribution massive et gratuite de packs d’eau pour les familles avec un pont aérien, mise à disposition de citernes et de pompes gratuites afin de recueillir l’eau de pluie pour chaque foyer et pour nos agriculteurs, effacement des factures d’eau pendant les coupures, des mesures pour la pollution plastique des bouteilles et une réflexion plus sérieuse sur le positionnement des usines de dessalement – car il ne sert à rien de pomper du sable, c’est de l’argent public jeté par les fenêtres.
Nous, vos compatriotes de Mayotte, mourrons de soif dans l’indifférence générale. Celles et ceux se permettent de nous donner des leçons d’humanité sont bien silencieux aujourd’hui. Là-bas, des Français ont soif, vont chercher de l’eau avec des seaux et paient des factures d’eau pour des robinets vides. Et rien ne bouge.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur les bancs des commissions.) La parole est à M. Emmanuel Pellerin. Nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de deux accords signés par la République française, l’un avec la République du Sénégal et l’autre avec la République démocratique socialiste du Sri Lanka. Ces accords, signés respectivement le 7 septembre 2021 et le 23 février 2022, ont pour but de faciliter l’octroi de l’autorisation d’exercer une activité professionnelle aux personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre.
Tout d’abord, permettez-moi de vous rappeler l’importance de l’enjeu. En effet, ce ne sont pas seulement les conditions de vie de nos diplomates qui sont concernées par ces accords, mais aussi et surtout celles de leur famille – conjoint et enfants à charge. Pour illustrer le nombre de personnes concernées, je rappelle à mon tour, après Mme la secrétaire d’État, quelques chiffres : en ce qui concerne les diplomates français au Sénégal, il y a plus d’une soixantaine de conjoints et plus de quatre-vingts enfants à charge ; pour les diplomates sénégalais en France, nous sommes proches d’une centaine de personnes. Toutes doivent bénéficier des conditions adéquates pour vivre pleinement leur expatriation. La possibilité d’exercer une activité professionnelle fait partie de ces conditions, et ces accords, qui simplifieront l’accès au marché du travail local pour ces familles, permettront de faciliter leur intégration sociale. En l’absence de tels accords, leur statut pourrait constituer un obstacle pour exercer une activité rémunérée. Ces conventions sont donc des outils efficaces pour moderniser le cadre d’expatriation de nos agents en répondant aux évolutions sociales notables, telles que la progression du taux d’emploi féminin au sein du corps diplomatique.
La France a déjà signé ce type d’accord bilatéral avec vingt-huit États. Le projet de loi s’inscrit donc dans la continuité du renforcement de nos relations diplomatiques et d’une meilleure intégration des familles de nos diplomates dans les pays d’accueil. En effet, l’expatriation peut s’avérer difficile dans des pays où les attaches personnelles sont ténues, où la barrière linguistique peut être un obstacle et où la situation économique et sociale de la région peut compliquer leur insertion sociale. Prenons l’exemple du Sri Lanka : nous déplorons tous la longue crise économique, politique et sociale dans laquelle le pays est plongé depuis 2022. Par ailleurs, les 250 entreprises françaises implantées au Sénégal assurent un potentiel certain pour l’emploi des ressortissants français sur place ; la France étant le premier investisseur au Sénégal, ce projet de loi est une opportunité pour renforcer notre coopération économique tout en facilitant l’intégration des familles de nos diplomates.
En conclusion, je souligne que les accords qu’approuve ce projet de loi vont bien au-delà de simples arrangements administratifs : ils représentent une adaptation juridique nécessaire et une modernisation du cadre de l’expatriation, et surtout, ils sont vecteurs de renforcement du lien social en constituant une passerelle entre les cultures, en favorisant l’intégration et en renforçant les liens bilatéraux entre nos pays. Je vous invite donc, chers collègues, à l’instar du groupe Renaissance, à adopter ce projet de loi pour le bien de nos agents et de leurs familles afin de renforcer nos relations diplomatiques avec le Sénégal et le Sri Lanka, et pour promouvoir une France toujours plus ouverte et solidaire.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Très bien, monsieur Pellerin. La parole est à M. Alexis Jolly. Ces deux accords ont pour objectif d’optimiser et de pérenniser la présence et le cadre de vie de nos diplomates au Sri Lanka et au Sénégal. Nous sommes en effet face à une situation géopolitique particulièrement tendue en Afrique en raison de l’affirmation croissante des puissances chinoise et russe qui viennent s’opposer à notre influence historique en Afrique de l’Ouest. Les changements d’alliances et la montée en puissance sur la scène internationale des anciens pays émergents transforment les équilibres géostratégiques du monde. En plus, notre pays fait face aux errements répétés du Président de la République dans sa gestion des relations avec les nations africaines et, globalement, notre politique étrangère est bien souvent erratique, illisible pour nos partenaires qui ne se retrouvent plus dans les modèles et dans les alliances que nous leur proposons.
Notre pays voit également le fonctionnement de son prestigieux et brillant corps diplomatique mis à mal par des réformes qui n’auront pour conséquence qu’un affaiblissement de la parole de la France sur la scène internationale.
L’examen de ce projet de loi est donc l’occasion de rappeler que la diplomatie et l’influence de la France dans le monde sont en grand danger. Nous devenons un nain diplomatique en situation de vassalisation, notamment par rapport à l’Union européenne, ce qui a fait la renommée et le prestige international de la France est en train d’être gravement et peut-être irrémédiablement miné.
Sur le fond, tout accord visant à améliorer les conditions d’exercice du mandat de nos représentants au Sri Lanka et au Sénégal est bien sûr une bonne nouvelle, même s’il ne s’agit pas d’un texte majeur qui permettrait un renforcement décisif de notre diplomatie. Le cadre juridique protecteur qui entoure les fonctions diplomatiques a l’inconvénient d’empêcher parfois les ambassadeurs et leur famille de s’assimiler véritablement à la société des pays d’accueil, ce cadre leur conférant un statut et une immunité qui peuvent être jugés inappropriés par les locaux quand ils y voient un danger, un facteur d’instabilité juridique et un facteur de déséquilibre dans les relations contractuelles. Cet état de fait est bien sûr maximisé dans le cas d’une relation de travail employeur-employé. Ainsi, il est bien sûr nécessaire de corriger cette contrepartie des privilèges diplomatiques par des dispositions dérogeant aux règles communes du droit international, à savoir par des accords bilatéraux entre les pays concernés. Ce texte, qui n’est pas le premier du genre, doit permettre aux familles des diplomates en mission dans ces pays d’exercer une activité salariée tout en conservant leur statut.
Le cadre diplomatique est en pleine mutation et suit les évolutions de l’ensemble de la société, et ce qui était autrefois un métier particulièrement prestigieux et au cadre d’exercice très figé se modernise petit à petit. Aussi, le rôle des conjoints des ambassadeurs a aujourd’hui beaucoup évolué : certains d’entre eux restent toujours, comme pour les conjoints de militaires, dépendant de la carrière de leur partenaire du fait de l’installation dans des pays étrangers et du fait des mutations, mais ils aspirent souvent, eux aussi, à avoir leur propre carrière. Ces accords doivent ainsi leur permettre d’exercer une activité professionnelle en parallèle de celle de leur mari ou de leur femme. Ce projet de loi qui les approuve va dans le bon sens et le groupe Rassemblement national lui apportera donc son soutien.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Sur le vote de l’ensemble du projet de loi, je suis saisie par le groupe Renaissance d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Et par le groupe GDR aussi, madame la présidente ! La parole est à Mme Nadège Abomangoli. La vie d’un conjoint de diplomate a souvent été synonyme de – relatif – sacrifice : il fallait suivre et s’adapter à la carrière professionnelle de celui ou celle qui s’expatriait au service de la diplomatie française. Il est donc heureux que notre pays considère que ce temps est révolu. Ainsi, notre assemblée se penche aujourd’hui sur des accords visant à faciliter l’accès à l’emploi des familles de diplomates, en l’occurrence au Sri Lanka et au Sénégal. Ces évolutions sont bienvenues, et attendues de longue date par le personnel diplomatique. Le groupe La France insoumise est favorable aux modalités de ces accords parce qu’ils contribuent à améliorer les conditions de travail des agents et de leurs proches, amenés à multiplier les déplacements d’un pays à l’autre. Soulignons toutefois que ces accords interviennent dans un contexte de bouleversement important de la diplomatie française : l’année dernière, une grève historique marquait l’opposition à la suppression unilatérale du corps diplomatique, décision que nous continuons de dénoncer. (Mme Nathalie Oziol et M. Aurélien Saintoul applaudissent.) Cette grève fut également l’occasion de pointer plus globalement le sous-investissement dans l’action extérieure de l’État.
Ces accords sont de petits pas qui vont dans le bon sens pour sécuriser les parcours professionnels, mais nous regrettons que soient exclus du dispositif les couples pacsés et les unions entre personnes de même sexe dans les deux pays concernés car ceux-ci ne reconnaissent pas ce type d’union.
(Mêmes mouvements.) Cependant, nous savons que de nombreux acteurs et actrices de la société civile sénégalaise, attachés à l’égalité et au principe humaniste, porteront le débat sur les droits des femmes et des personnes LGBT dans le cadre de la prochaine élection présidentielle au Sénégal. Ces militants existent et nous les soutenons, au Sénégal comme au Ski Lanka.
Mais il serait incongru d’adopter ces accords sans aborder le contexte politique propre à ces deux pays.
Au Sénégal, tout d’abord, nous nous réjouissons de la désescalade enclenchée par les déclarations de Macky Sall. Il a en effet décidé de ne pas se représenter à l’élection présidentielle de 2024. C’est un soulagement après les violentes répressions des manifestations, dans un contexte de
lawfare qui s’abat contre les opposants politiques, à l’instar de M. Sonko. Gageons que justice sera rendue aux personnes blessées et tuées. (Mme Nathalie Oziol, M. Aurélien Saintoul et M. Manuel Bompard applaudissent.) Espérons aussi qu’aucun revirement n’intervienne car, en solidarité avec le peuple sénégalais, nous souhaitons que l’élection présidentielle se tienne normalement : les Sénégalaises et les Sénégalais doivent pouvoir en toute sécurité et en toute souveraineté choisir leur avenir. À cet égard, aucun silence de la part de notre pays ne saurait servir de caution à la confiscation de la démocratie.
Le Ski Lanka, ensuite, attend toujours un renouveau démocratique. Les images historiques d’un peuple debout contre un régime contesté ont marqué les esprits. Ce soulèvement, l’
Aragalaya – qui signifie « la lutte » –, portait des aspirations de justice et d’égalité ; de nombreux Srilankais ont perdu la vie en défendant ces principes. C’était il y a un an, et nous demandons justice pour les personnes décédées. Mais, depuis, les mêmes demeurent au pouvoir et la violence est revenue ; les Srilankais restent étranglés par la misère économique que renforcent les demandes indécentes du Fonds monétaire international ; les élections ont été reportées par le Gouvernement au prétexte que le manque d’argent empêcherait de les organiser… Le processus démocratique apparaît donc comme un sacrifice acceptable pour l’orthodoxie libérale. Eh oui ! Saisissant l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui, j’exprime au nom du groupe La France insoumise notre solidarité avec les peuples sénégalais et srilankais pour la défense de leurs droits démocratiques et sociaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) Les conditions socio-économiques sont évidemment différentes, mais les principes que nous défendons restent les mêmes partout et pour toutes et tous. (Mêmes mouvements. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M Jean-Paul Lecoq applaudissent également.) La parole est à Mme Anne-Laure Blin. Aujourd’hui, après les sénateurs, nous sommes appelés à ratifier deux accords signés par notre nation respectivement avec le Sénégal et le Sri Lanka afin de faciliter l’accès au marché du travail local des familles des agents des missions officielles. Les conventions de Vienne du 18 avril 1961 et du 24 avril 1963 portant sur les relations diplomatiques et sur les relations consulaires n’interdisent pas le travail rémunéré des personnes à charge des personnels des missions officielles, mais il n’en demeure pas moins qu’elles leur confèrent un statut spécial qui peut faire obstacle à l’activité salariée.
Depuis 2015, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a entamé un processus de réformes visant à améliorer la vie quotidienne de ses agents en poste à l’étranger ; permettre aux conjoints, parce qu’il s’agit très majoritairement d’eux, de travailler dans le pays d’affectation des cadres du ministère en fait partie. Il y va de l’équilibre des familles et donc de celui de nos diplomates, lesquels sont aujourd’hui bien loin de certains clichés. À cette fin, notre pays a entamé un processus d’accords avec divers pays, et notre assemblée en a déjà examiné un certain nombre depuis le début de la législature, notamment avec le Kosovo ou encore Andorre, après plus d’une dizaine lors de la législature précédente. Notre rapporteur a rappelé que ce type d’accord concerne aujourd’hui plus de quatre-vingts pays – y compris par échange de notes verbales –, dont les trente et un pays de l’Espace économique européen et la Suisse, tous pays dans lesquels les conjoints peuvent accéder au marché du travail.
Toutefois, les conséquences de ces accords sont assez modestes puisque notre rapporteur indique que, selon une étude menée en 2017, 250 conjoints d’agents français résidant dans le pays d’affectation avaient obtenu une autorisation de travail ou travaillaient sans avoir besoin d’autorisation – comme c’est le cas dans les pays de l’Espace économique européen. Il serait d’ailleurs intéressant que le ministère réactualise ces données chiffrées et les communique au Parlement. En termes de réciprocité, les conséquences sont encore plus modestes puisque vingt à cinquante autorisations de travailler en France ont été accordées depuis 2019 au titre de ce type d’accord.
Les liens avec les deux pays dont nous examinons aujourd’hui les accords sont très différents puisque nos relations avec le Sénégal sont anciennes et importantes, et reposent entre autres sur une francophonie vivante, donc sur une communauté linguistique commune qui favorise les échanges économiques et culturels. Ainsi, plus de 250 entreprises françaises sont installées au Sénégal et peuvent donc être des viviers d’embauches pour nos ressortissants établis sur place. Comme l’ont rappelé mes collègues lors de l’examen de l’accord franco-sénégalais en commission, le groupe Les Républicains sera particulièrement attentif à la situation politique sur place à l’approche des élections présidentielles de 2024, auxquelles le président sortant Macky Sall a renoncé à se présenter.
Puisque ces deux accords constituent une facilité pour nos agents en poste à l’étranger et pour leurs familles, auquel notre groupe rend un hommage très appuyé, les députés Les Républicains voteront en faveur de ce projet de loi.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.) La discussion générale est close.
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.
(Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 139
Nombre de suffrages exprimés 139
Majorité absolue 70
Pour l’adoption 139
Contre 0
(Le projet de loi est adopté.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.) La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture, selon la procédure d’examen simplifiée, en application de l’article 103 du règlement, de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche et à renforcer la sécurité du transport maritime (nos 1439, 1523).
En application de l’article 107 du règlement, je n’appellerai que les amendements et les articles auxquels ces amendements se rapportent.
Sur les amendements no 2 et identique, ainsi que sur les amendements no 3 et identiques, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisie de quatre amendements, nos 2, 9, 5 et 13, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 2 et 9 sont identiques.
La parole est à M. Pierrick Berteloot, pour soutenir l’amendement no 2.
Il vise à garantir que les dispositions introduites à l’article 1er s’appliquent uniquement aux liaisons sur le transmanche, dont la situation particulière a motivé cette proposition de loi. En effet, l’urgence est de protéger la ligne transmanche du dumping social, aussi convient-il d’être précis quant aux limites du texte. La parole est à M. Sébastien Jumel, pour soutenir l’amendement no 9. Aujourd’hui, on franchit un pas important. Dès que j’ai pris connaissance de la bombe sociale qu’a représenté le licenciement – annoncé par le biais d’une vidéo – de 800 marins britanniques, j’ai réuni à Dieppe, avec le maire de la ville, plus de 200 marins et des représentants de leurs organisations syndicales, pour réfléchir à la manière dont nous allions prendre soin des marins français en luttant, par la loi, contre le dumping social. J’ai rédigé une proposition de loi, Didier Le Gac a saisi la balle au bond, et nous avons mené un travail transpartisan intelligent, en lien avec le secrétaire d’État chargé de la mer, pour graver dans le marbre de la loi deux éléments importants : le salaire minimum et la prise en compte du temps de travail, indispensable à la sécurité maritime.
Je profite de l’occasion pour rendre hommage à mon matelot – l’assistant parlementaire Damien Becquart – qui a beaucoup travaillé sur cette question, en lien avec les acteurs concernés. L’aboutissement d’un travail parlementaire donne, à juste titre, un sentiment d’utilité.
Monsieur le secrétaire d’État, mon amendement vise à obtenir de votre part un engagement au banc – vous en aviez pris un pour exclure les liaisons transmanche du RIF, le registre international français –, garantissant que ce texte intelligent et équilibré, dont on souhaite qu’il soit voté conforme pour être immédiatement opérationnel, ne s’applique qu’aux liaisons transmanche. Il s’agit d’exclure de son champ d’application les marins du sud de la France. Cela rassurerait les marins du transmanche quant à la volonté de l’État de les protéger des mauvaises pratiques qui tirent leur statut vers le bas, fragilisant la sécurité des passagers et des transports de marchandises en mer.
Si vous vous y engagez au banc, je suis prêt, dans un souci d’efficacité, à retirer l’amendement.
La parole est à M. Pierrick Berteloot, pour soutenir les amendements nos 5 et 13, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée. Ces deux amendements d’appel cherchent également à obtenir de la part du secrétaire d’État un engagement garantissant que la loi ne sera appliquée que dans le secteur du transmanche. J’ai, moi aussi, déposé une proposition de loi visant à améliorer les conditions de vie sur le transmanche ; nous attendons votre engagement en faveur de nos marins. La parole est à M. Didier Le Gac, rapporteur de la commission des affaires sociales, pour donner l’avis de la commission. L’avis de la commission et du rapporteur est défavorable – nous l’avons déjà évoqué en commission. Je partage, bien sûr, vos préoccupations. Sébastien Jumel est intervenu à plusieurs reprises sur ce sujet, et l’enjeu est fondamental, pour lui comme pour nous. Nous souhaitons tous circonscrire le texte aux seules liaisons maritimes avec le Royaume-Uni. Les amendements nos 2 et 9 sont donc quasiment satisfaits, mais le secrétaire d’État va, dans quelques instants, réitérer l’engagement qu’il avait déjà pris ici au mois de mars, en première lecture.
L’amendement no 5 propose d’introduire le mot « transmanche », mais ce terme est trop imprécis : tout au long de l’examen du texte, j’ai cherché à sécuriser celui-ci du point de vue juridique ; le recours à un terme aussi flou risque de fragiliser le dispositif.
Enfin, l’amendement no 13 liste l’ensemble des lignes qui seront concernées par le texte ; cela n’a pas de sens, mieux vaut réserver cette précision au décret. Ce qu’on inscrit dans la loi, seule une autre loi peut le défaire. Si donc nous avons besoin de modifier la liste des ports, il faudrait soumettre un nouveau texte au Parlement.
Cette proposition de loi ne concerne, soyez-en assurés, que le transmanche. Je laisse la parole au secrétaire d’État.
La demande de scrutin public sur les amendements no 2 et identique est retirée.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la mer, pour donner l’avis du Gouvernement.
Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour votre présence et pour votre implication. Le texte soumis à votre examen est efficace et protecteur pour nos marins. S’agissant des quatre amendements, je m’étais en effet engagé devant vous à exclure les liaisons transmanche du RIF. Ne pas inscrire cette exception dans la loi nous a permis d’être efficaces et flexibles ; quant au décret correspondant à mon engagement, il a été publié le 20 juin.
De la même façon, je prends devant vous l’engagement d’exclure de l’article 1er les liaisons autres que le transmanche ; un décret rendra cette exclusion effective et précisera la liste des lignes concernées, conformément au souhait exprimé dans certains amendements. Cela permettra d’organiser la discussion avec les partenaires sociaux, dans le cadre du Conseil supérieur de la marine marchande (CSMM). Quant à la loi, elle doit avant tout répondre à l’urgence que vous avez soulignée, monsieur Jumel : face au péril du dumping social, il nous faut des outils pour agir efficacement et rapidement. C’est pourquoi je préfère passer par un décret et vous invite à retirer vos amendements, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Je retire l’amendement no 9.
(L’amendement no 9 est retiré.) La parole est à M. Paul Molac. Comme l’a dit Sébastien Jumel, cette proposition de loi représente une avancée. Elle est nécessaire si l’on veut protéger nos compagnies maritimes qui assurent la liaison transmanche. J’appelle votre attention sur la nécessité d’agir vite. En l’absence d’un vote conforme, l’examen du texte ne s’achèvera pas avant le mois d’octobre, à cause des élections sénatoriales. Nous perdrons donc quatre mois. Or ces mois seront cruciaux pour les compagnies opérant sur le transmanche, elles nous l’ont dit. Voilà pourquoi – je vous prie de m’en excuser ! – je voterai contre tous les amendements, pour qu’on adopte le texte sans modification.
C’est ce qu’attendent les armateurs et les marins, qui demandent une protection. Je pense en particulier aux marins bretons : la compagnie bretonne ayant fait le choix de garder le même niveau social qu’auparavant, l’absence d’un vote conforme nuirait nécessairement à sa rentabilité. Il est donc essentiel que ce texte soit adopté et promulgué le plus rapidement possible.
La parole est à M. Marc Le Fur. Monsieur le secrétaire d’État – vous l’êtes toujours à cette heure, ce qui n’est pas pour me déplaire –, mes chers collègues, tout amendement d’appel est légitime. Mais il me semble tout aussi légitime de le retirer. Pourquoi ? Certains l’ont rappelé et je vais le dire à ma façon. Nous sommes pratiquement au terme de la session extraordinaire ; il faut donc que nous adoptions ce texte avant de nous séparer. Or pour qu’il soit efficace le plus rapidement possible, il faut que nous le votions en des termes conformes. Je comprends que ce texte ne soit pas parfait – d’ailleurs, tel n’est pas son objectif et je me méfie parfois de la perfection. Mais en tout état de cause, il faut qu’il aboutisse : c’est une nécessité pour nos armateurs, nos compagnies, nos marins ; ce texte va créer de l’emploi, en particulier dans certaines régions telles que la Normandie et la Bretagne – pardonnez-moi de citer cette dernière, mais c’est très important. Et puis quoi, encore ? Vous êtes tout excusé ! Ce texte doit être voté pour combattre ce dumping particulièrement redoutable pour nos marins. Encore faut-il qu’il soit adopté en l’état. Il est bien légitime de défendre des amendements de ce type : c’est assez classique ; je l’ai moi-même fait, d’autres aussi. Mais je prie nos collègues de bien vouloir les retirer, de sorte que l’efficacité prime sur la perfection et qu’elle nous permette, à certains moments, de sauver nos marins – car il s’agit bien de sauvetage ! Le dumping sur le fret est quelque chose d’extrêmement redoutable, qui remet en cause, sinon l’existence, du moins la réalité économique d’un certain nombre de nos entreprises. Je pense en particulier à Brittany Ferries, qui est l’armateur qui emploie le plus de monde en France. Le bon sens breton ! La parole est à M. Pierrick Berteloot. Eu égard aux précisions qu’a apportées M. le secrétaire d’État, je vais retirer mes trois amendements.
(Les amendements nos 2, 5 et 13 sont retirés.) La parole est à M. Pierrick Berteloot, pour soutenir l’amendement no 6. Nous devons définir précisément ce qu’est une ligne régulière. Cet effort de précision renforcera la protection des marins sur le transmanche et ne laissera pas aux compagnies pratiquant le dumping social la possibilité de contourner la loi. Je précise qu’il s’agit d’un amendement d’appel. Quel est l’avis de la commission ? Par cet amendement, vous souhaitez inscrire dans le texte les critères qui, demain, détermineront les lignes qui entreront ou non dans le champ de la loi de police. Je comprends votre intention ; elle est d’ailleurs partagée par le Gouvernement qui, me semble-t-il, retiendra des critères analogues à ceux que vous énoncez. Néanmoins, comme je l’ai dit tout à l’heure, si nous voulons sécuriser notre texte, ce type de précision doit être inscrite non pas dans la loi, mais dans un décret. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Bien que nous visions le même objectif, je vous demanderai de retirer cet amendement, comme les précédents, pour la même raison. Le décret en Conseil d’État qui sera pris, dont vous serez bien évidemment tenus informés, apportera plus de précisions, d’efficacité et de rapidité, et permettra des évolutions en fonction des lignes et des réalités du transport de passagers sur le transmanche. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
(L’amendement no 6 est retiré.) La parole est à M. Pierrick Berteloot, pour soutenir l’amendement no 4. Comme le précédent, il vise à protéger les heures supplémentaires contre le dumping social. En effet, si le salaire est essentiel, la protection des heures supplémentaires l’est tout autant. Il est de bon sens que les heures supplémentaires des marins soient récupérées financièrement ou en heures de repos, selon les stipulations conventionnelles. Dans la mesure où le dumping social passe aussi par une atteinte au fonctionnement des récupérations, nous devons protéger celles-ci au même titre que le salaire.
Monsieur le secrétaire d’État, vous me tiendrez au courant des décrets qui seront pris par votre ministère. C’est une bonne chose, mais j’aimerais participer à l’élaboration des prochains !
Quel est l’avis de la commission ? En première lecture, nous avons eu un débat sur la nécessité, voire la tentation d’élargir la loi de police à d’autres thèmes, ce qui risquerait, encore une fois, de ne pas sécuriser notre loi. Ma préoccupation principale, tout au long de l’examen du texte, a été de m’assurer de la robustesse du dispositif que nous devons voter aujourd’hui. Nous avons déjà eu ces discussions à propos des salaires, des congés payés et d’autres dispositions. Nous devons conserver le texte tel qu’il est libellé, afin d’en assurer la robustesse. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? J’ajouterai quelques éléments, pour votre gouverne personnelle. Comme le disait ma grand-mère : « Qui trop embrasse mal étreint. » Vous m’avez forcément entendu prononcer cette phrase au cours de la première lecture, monsieur le député. Je comprends votre intention, mais la discussion que nous avons présentement est entendue par les partenaires sociaux et mon administration ; elle permettra justement de nourrir les concertations obligatoires menées préalablement à l’écriture des décrets en Conseil d’État. Je me permets de le dire ici : de toute manière, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) nous interdit, en tant qu’État membre, de prendre ce type de régulation. Le présent texte ne pourrait pas être opérant. C’est la raison pour laquelle je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
(L’amendement no 4 est retiré.) La parole est à M. Pierrick Berteloot, pour soutenir les amendements nos 16 et 15, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée. Ces amendements visent à conditionner le temps d’embarquement pour les marins travaillant à bord d’un navire effectuant un trajet régulier sur la ligne transmanche à trois semaines consécutives. Nous avons déjà eu ce débat en première lecture ; le secrétaire d’État nous avait alors indiqué que nous allions régler cette question par décret. Mais, bien évidemment, nous préférerions que les temps d’embarquement maximum de trois semaines – ou de quinze jours, comme le propose l’amendement de repli – soient inscrits dans la loi. Comme l’ont indiqué certains de nos collègues, si nous modifions la proposition de loi, nous serions contraints d’attendre l’échéance des élections sénatoriales pour en discuter de nouveau au mois d’octobre, ce qui serait inconcevable pour le milieu du transmanche. C’est pourquoi nous souhaiterions que vous vous engagiez à tenir la promesse d’un temps d’embarquement maximum de trois semaines. Quel est l’avis de la commission ? Je reprendrai la même argumentation que sur les amendements précédents. Vous souhaitez inscrire dans la loi une durée maximale d’embarquement de deux ou trois semaines. Encore une fois, nous partageons votre intention, mais il semble nécessaire, afin d’assurer la sécurité juridique du texte, de nous en tenir à la rédaction actuelle, qui nous semble claire.
L’article 1er, alinéa 12, dispose que « [l]’organisation du travail applicable aux salariés employés sur les navires […] est fondée sur une durée de repos à terre au moins équivalente à la durée de leur embarquement. » Nous avons instauré la parité obligatoire entre le temps de repos à terre et le temps en mer, grâce à Sébastien Jumel, qui a introduit cette notion pour la première fois dans un texte de loi. Il est précisé à l’alinéa suivant qu’« [u]n décret en Conseil d’État détermine la durée maximale de l’embarquement en prenant en compte les critères d’exploitation des lignes concernées, de sécurité de la navigation et de lutte contre les pollutions marine. » Vous voyez bien que le décret viendra confirmer la loi. Si nous inscrivions votre dispositif dans le texte, cela figerait les choses, car ce que fait une loi, seule une autre peut le défaire. Avis défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Ce dispositif de temps équivalent entre le travail et le repos est inédit. C’est vous qui l’avez introduit en séance lors de la première lecture, et je vous en remercie. La France est désormais dotée d’un dispositif protecteur unique dans l’espace européen. Cela nous vaudra d’ailleurs quelques batailles homériques – je vous glisse cette petite référence maritime – dans les mois prochains. Mais nous allons défendre ce principe, car il nous permet de lutter efficacement contre le dumping social.
En ce qui concerne votre amendement, je demande qu’il soit retiré, faute de quoi l’avis sera défavorable. Vous ne savez pas vous-même si le temps d’embarquement doit être fixé à quinze jours ou trois semaines. Encore une fois, je crois qu’il faut laisser le travail se faire de la manière la plus précise possible entre les armateurs, les syndicats et tous ceux qui nous communiqueront les éléments nécessaires. Voilà qui nous permettra d’élaborer un décret qui soit le plus précis et le plus efficace possible. Je me permets également de préciser que l’université de Malmö fera paraître une étude au début de l’année 2024, qui nous permettra d’avoir un retour très précis sur l’impact des durées de temps de travail sur la fatigue, donc sur la sécurité maritime.
La parole est à M. Sébastien Jumel. Je remercie le rapporteur et le secrétaire d’État d’avoir salué mon amendement qui établit la parité entre le temps de repos à terre et le temps de travail en mer. C’est le socle le plus protecteur du statut de nos marins. Sans vouloir être désagréable, j’en profite pour inviter les Marcheurs, ou les libéraux de manière générale, à réfléchir à une chose simple – je ne peux pas m’en empêcher ; chassez le naturel, il revient au galop ! Quelquefois, le statut n’est pas un handicap : il assure des garanties aux personnes concernées et offre in fine un haut niveau de compétences et d’expertise. En l’occurrence, le statut des marins effectuant les liaisons transmanche et cotisant à l’Établissement national des invalides de la marine (Enim) est aussi un gage d’efficacité, de qualité et de sécurité maritime.
Je tenais à le préciser devant vous car, quelquefois, vous avez une propension à penser qu’il faudrait se débarrasser de tous les statuts, ce qui réglerait tous les problèmes. Non, le statut protège les salariés, mais il est aussi garant de la bonne exécution des missions essentielles. Je vous invite, en guise de devoir de vacances, à méditer cette importante question.
Par ailleurs, je souhaiterais remercier M. Roué, directeur de Brittany Ferries – anciennement BAI – et M. Charlo, patron de DFDS Seaways, gestionnaire de ma ligne de cœur Dieppe-Newhaven. Ils ont compris que la question du statut des marins était consubstantielle à la qualité des prestations et à la sécurité de la prise en charge des passagers et des marchandises sur nos lignes. Ces entreprises, qui sont capables de faire cette démonstration-là, sont un exemple à suivre dans une Europe trop souvent libérale.
(Les amendements nos 16 et 15 sont retirés.) Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 3, 7 et 10.
La parole est à M. Pierrick Berteloot, pour soutenir l’amendement no 3.
Nous jugeons nécessaire de rétablir l’interdiction d’accoster dès la troisième infraction constatée. Les compagnies pratiquant le dumping social doivent être durement sanctionnées, à la hauteur du danger qu’elles représentent pour les conditions de travail de nos marins ainsi que pour la sécurité de la ligne transmanche.
Le Royaume-Uni interdit l’accostage des navires ne respectant pas la loi. Je suis étonné que le Sénat ait décidé de supprimer l’interdiction d’accostage pour ces compagnies maritimes.
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par les groupes Renaissance et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sandrine Rousseau, pour soutenir l’amendement no 7.
Cet amendement vise à durcir les sanctions contre les compagnies qui ne respectent pas la loi ; à la troisième infraction, l’interdiction d’accostage sur les côtes françaises serait prononcée. Cette mesure avait été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, mais la sanction a été transformée par le Sénat en un simple avertissement, ou en des amendes qui ne sont pas à la hauteur des millions d’euros de bénéfice que réalisent les compagnies en question.
Cet amendement, qui permet de rendre la loi effective pour les salariés, est donc très important, et je voudrais qu’on l’étudie avec attention. Si nous faisons des lois pour simplement nous donner bonne conscience mais sans fixer les conditions permettant qu’elles soient appliquées et qu’elles changent véritablement la vie des gens, nous acceptons que l’hémicycle ne soit qu’un théâtre et que nos décisions restent sans effet sur le terrain.
La parole est à M. Matthias Tavel, pour soutenir l’amendement no 10. Vu l’urgence de lutter contre le dumping social, qui menace le droit des marins, leur emploi et la sécurité maritime dans la Manche, le présent texte a le mérite d’exister. Son examen en première lecture par l’Assemblée avait permis d’améliorer la proposition de loi initiale grâce à l’adoption de plusieurs de nos amendements, notamment par l’intégration du principe de parité entre le temps passé à bord et le temps de repos à terre, par l’application des dispositions aux sociétés de manning et par l’engagement que vous aviez pris, monsieur le secrétaire d’État, d’exclure le transmanche du RIF – ce que nous demandions.
Néanmoins, le texte continuait à présenter des lacunes, notamment parce qu’il ne fixait pas avec précision la durée de travail. Toutefois, nous avions prévu un certain nombre de sanctions qui étaient de notre point de vue particulièrement dissuasives, notamment l’interdiction d’accoster, à la troisième infraction, pour les compagnies maritimes délinquantes. Cet amendement des Insoumis avait été adopté par l’Assemblée. Sa suppression au Sénat révèle, de la part des sénateurs Les Républicains, une forme de laxisme envers la délinquance patronale en matière de dumping social que nous avons du mal à comprendre.
(Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Quel sketch ! Toujours dans la caricature ! « Délinquance », voilà un mot que vous connaissez bien… C’est pourquoi nous proposons à nouveau cette mesure, pour confirmation et pour que vous nous indiquiez, monsieur le secrétaire d’État, les contrôles que vous avez prévus. Comment comptez-vous mettre en œuvre, avec la détermination nécessaire, cette proposition de loi ?
Nous déplorons d’être contraints à voter conforme ce texte parce que vous n’avez pas souhaité, pour ne pas faire travailler davantage les sénateurs, l’inscrire en deuxième lecture à l’ordre du jour du Sénat ni convoquer une CMP. Il y a là une forme de veto sénatorial fort regrettable. Voilà pourquoi nous avons déposé cet amendement : pour que tout le monde voie bien que s’il n’y a pas d’interdiction d’accoster, c’est à cause du Sénat et de la droite.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ? Les trois amendements sont identiques, mais vous évoquez des questions différentes. Monsieur Tavel, vous soulevez le problème des contrôles – qui ne fait pas l’objet de votre amendement. Madame Rousseau, vous parlez de l’avertissement – qui ne fait pas non plus l’objet de votre amendement. L’objet de ces trois amendements est de rétablir l’interdiction d’accoster dès la troisième infraction constatée.
Je dois dire que je me vois contraint de suivre l’analyse juridique qui a conduit les sénateurs, dans leur grande sagesse,…
La sagesse des patrons ! …à supprimer cette mesure. Premièrement, dès lors qu’elle constitue une sanction automatique, elle n’est pas conforme au principe, fondamental, d’individualisation et de proportionnalité de la peine. Deuxièmement, la sanction est fondée sur la notion de « troisième infraction », qui n’existe pas en droit pénal : nulle part, il n’est dit qu’à partir de la deuxième, de la troisième ou de la quatrième infraction, il y aura tel niveau de sanction. Et la récidive ? Il faut être disruptif ! Troisièmement, il convient de sécuriser le texte. Voilà des arguments bien fallacieux… Les sénateurs ont eu raison de faire une analyse juridique plus prudente que la nôtre. Avis défavorable sur les trois amendements.
Je rappelle en outre que la proposition de loi prévoit déjà un grand nombre de sanctions, certaines allant même au-delà du droit commun. Rassurez-vous donc : les sanctions existent, et elles seront appliquées.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Comme l’a dit le rapporteur et comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer au Sénat, ces trois amendements sont inconstitutionnels.
Premièrement, il conviendrait de prévoir que le juge peut déroger à la peine – puisqu’il ne peut pas y avoir de peine obligatoire. Deuxièmement, vous n’indiquez pas de délai : « À la troisième infraction constatée », quand est-ce ? Dans trois mois, dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans ? Il faudrait le préciser. Troisièmement, ce n’est pas à un décret, fût-il pris en Conseil d’État, de fixer la durée de l’interdiction devant être prononcée : cela fait intégralement partie de la peine et de sa proportionnalité éventuelle. Pour ces raisons juridiques et constitutionnelles, je dois émettre un avis défavorable sur les amendements.
Monsieur Tavel, la proposition de loi introduit pour la première fois des sanctions pénales. Elles s’appliqueront, et il y aura des contrôles ; on aura les moyens de les mettre en œuvre. Nous créons aussi pour la première fois des sanctions administratives, qui nous permettront d’agir efficacement contre le dumping social. Ces sanctions administratives ou pénales s’appliqueront pour chaque marin : la sanction sera ainsi multipliée par le nombre de marins. Vu que, sur un navire de transport de passagers, on peut compter jusqu’à 200 marins, elle est très dissuasive. Le texte fixe donc un régime juridique à la fois dissuasif et efficace.
Madame Rousseau, nous ne sommes pas du tout dans un théâtre. La seule tragédie qui se déroule concerne le transmanche, avec des menaces pesant sur l’emploi des marins, sur la sécurité maritime, sur la pollution en mer.
Précisément ! Il ne faut pas adopter des amendements qui viendraient contrarier l’efficacité et l’applicabilité de la loi. Tenons-nous en à ce qui a été convenu avec les sénateurs ; ils ont fait preuve de sagesse en rejetant ces amendements inconstitutionnels. La parole est à M. Sébastien Jumel. Certes, l’objectif est d’aboutir, mais les camarades Tavel et Rousseau ont raison d’ouvrir ce débat. Et Berteloot. Il permet en outre de rappeler deux ou trois fondamentaux à nos collègues de droite. Nous n’avons pas pris la parole ! D’abord, il existe, dans le droit du travail, des exemples où, quand quelqu’un ne respecte pas les règles à plusieurs reprises, il reçoit des pénalités qui peuvent s’apparenter à un refus d’accostage. Quand un commerçant ne respecte pas les règles sanitaires, au bout d’un certain nombre de fois, on peut fermer son commerce. Après un certain délai. C’est le cas des restaurants ou des bars.
Lorsqu’un automobiliste commet plusieurs infractions, il perd le droit de conduire sa voiture.
Idem pour un député quand il ne respecte pas le règlement ! Les exemples de gradation des sanctions en fonction de la récidive sont donc fréquents.
Ensuite, vous dites que l’injonction au juge remettrait en cause son pouvoir discrétionnaire et serait inconstitutionnelle, mais lorsque vous avez « barémisé » les indemnités de licenciement, dans la mauvaise réforme du droit du travail que vous avez faite, il y a eu injonction au juge prud’homal, avec des sanctions fixées à l’avance qui ont remis en cause son pouvoir discrétionnaire, et cela ne vous a posé aucun problème – ni même au Conseil constitutionnel, d’ailleurs.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) Cela n’a rien à voir ! Ces amendements sont aussi une manière de vous interpeller, monsieur le secrétaire d’État. Nous savons bien qu’ils ne seront pas adoptés, mais il faut prévoir des moyens de contrôle. Les marchands d’esclaves qui opèrent aujourd’hui sur les liaisons transmanche doivent savoir qu’en France, on fera appliquer des règles protectrices pour nos marins, ainsi que pour l’environnement et pour la sécurité maritime. Un bateau qui échoue est dangereux non seulement pour la sécurité des passagers, mais aussi pour l’environnement. Ne permettons pas à ces charognards d’opérer trop longtemps. Je suis saisi de nombreuses demandes de parole. Je la donnerai à un orateur par groupe au maximum.
La parole est à M. Jean-Luc Bourgeaux.
Il a été fait allusion à l’appel de Saint-Malo. Celui-ci a été lancé il y a moins d’un an, en novembre. J’ai beaucoup apprécié à cette occasion la présence de toutes les forces vives, élus, professionnels, etc.
Forcément, ce texte est incomplet, mais, plusieurs orateurs l’ont dit, il y a urgence. Il faut agir et mettre en œuvre la loi. Il s’agit d’une première. Certains ne l’apprécieront sans doute pas, et son parcours sera encore long : ils feront tout pour qu’elle soit chahutée. J’invite donc mes collègues à rejeter ces amendements qui, quelle que soit leur valeur, ne répondent pas à l’urgence.
Voici le cri que je lance : pour nos marins, il est urgent que nous adoptions cette loi et qu’elle s’applique. Malheureusement, son parcours est loin d’être achevé.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Excellent ! Il sait de quoi il parle ! La parole est à Mme Sandrine Rousseau. J’entends qu’il y a urgence, mais cette mesure avait été adoptée en première lecture. On aurait pu l’améliorer, vous auriez pu déposer des sous-amendements. Pourquoi ne pas vouloir rendre effectives les sanctions prévues et difficile de ne pas respecter la loi ? Ce que vous faites là, c’est que vous rendez facile pour les compagnies maritimes le fait de ne pas l’appliquer.
Je vais retirer mon amendement pour que le texte soit voté conforme
(« Ah ! » sur les bancs du groupe LR) , mais que nous votions des lois tout en ouvrant des portes pour qu’elles ne soient pas appliquées et que cela ne coûte pas cher aux patrons voyous n’est pas raisonnable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
(L’amendement no 7 est retiré.) La parole est à M. Matthias Tavel. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends vos arguments, mais nous aurions pu, dans le cadre d’une véritable deuxième lecture, et non d’un débat tel que celui que nous avons aujourd’hui, préciser les points que vous soulevez pour faire en sorte que l’interdiction soit pleinement applicable. L’obligation de voter le texte conforme ne nous permet pas de l’enrichir et de rédiger une loi pleinement dissuasive pour les patrons voyous du transport maritime.
Vous dites qu’il existe des sanctions financières. C’est vrai. Mais la maison mère de P & O, qui a licencié 800 marins il y a un an, réalise plusieurs milliards d’euros de bénéfice chaque année. Qui peut croire que quelques sanctions financières la dissuaderont de contrevenir à la loi, surtout quand on sait que les effectifs nécessaires pour contrôler son application sont insuffisants ? Ces amendements sont aussi l’occasion pour nous de vous demander de prendre l’engagement que soient diligentés des contrôles nombreux, précis, exigeants et qu’il y ait suffisamment de personnel pour les assurer.
Nous sommes tous conscients qu’il faut que le texte s’applique, malgré ses limites et ses imperfections. Nous ne ferons pas obstacle à son entrée en vigueur, car nous sommes conscients de ses enjeux et des droits des marins. Mais en refusant l’interdiction d’accoster, nous nous privons d’un moyen d’agir. Cela empêchera le groupe La France insoumise d’approuver le texte, alors que nous aurions aimé le faire. Nous avons besoin d’un texte efficace, comportant des sanctions. Nous restons au milieu du gué. Nous nous abstiendrons sur l’ensemble du texte, mais, pour permettre une adoption conforme, nous retirons notre amendement.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
(L’amendement no 10 est retiré.) La parole est à M. Pierrick Berteloot. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, le principe de la proportionnalité des peines a été invoqué au Sénat, nous dites-vous. Je suis désolé mais, encore une fois, le Royaume-Uni interdit l’accostage des navires en cas de récidive. Il y va de vies humaines, de la sécurité de nos marins et des passagers de navires qui traversent le deuxième détroit le plus fréquenté au monde. Si le Sénat estime que l’interdiction d’accoster est disproportionnée, j’estime quant à moi que ce n’est pas le cas. Nous avons adopté cette mesure en première lecture, à la faveur d’amendements du Rassemblement national et de la NUPES. Contrairement au Sénat, nous estimons, nous, que cela valait le coup.
Cette question mériterait d’être à nouveau discutée dans le cadre de la navette entre les deux assemblées. Malheureusement, nous sommes contraints d’adopter le texte en l’état. C’est pourquoi, la mort dans l’âme – car j’estime que l’interdiction d’accoster devrait être appliquée, comme en Angleterre –, je retire l’amendement no 3.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
(L’amendement no 3 est retiré.) La parole est à M. le rapporteur. Encore une fois, ne nous méprenons pas : la proposition de loi prévoit des sanctions ! Nous partageons bien entendu l’objectif de sanctionner les armateurs et les compagnies maritimes qui ne se comporteraient pas de manière correcte avec leurs salariés. C’est l’objet même du texte.
Celui-ci, je le rappelle,…
Les amendements ont été retirés, monsieur le rapporteur ! …vise à rehausser les sanctions pénales et à créer de nouvelles sanctions administratives – c’est l’objet de l’article 1er ter . Non seulement le montant des amendes pénales est deux fois plus élevé que celui qui s’applique pour une infraction similaire en droit terrestre, mais, dès lors que l’infraction est commise par une personne morale, il est multiplié par cinq, et un doublement est prévu en cas de récidive. En outre, l’amende est infligée autant de fois qu’il y a de salariés à bord. Les sanctions existent donc ; nous les renforçons. Soyez donc rassurés, si je puis dire.
Comparaison n’est pas toujours raison, cher collègue Berteloot. Il est vrai qu’en Angleterre, parce que la loi y est construite d’une manière différente, chaque autorité portuaire a la possibilité de déterminer la sanction ; elle peut donc saisir le navire. En revanche, elle ne peut pas infliger d’amendes administratives ou pénales au sens où nous l’entendons. Chaque pays a ses spécificités.
La parole est à M. Pierrick Berteloot, pour soutenir les amendements nos 17 et 14, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée. L’amendement no 17 vise à étendre le nombre des personnes habilitées à contrôler l’application de la législation.
En effet, le constat des infractions, qui peuvent être nombreuses, reposera sur les officiers et fonctionnaires habilités, dont le nombre est limité. Il convient donc d’augmenter le nombre des personnes pouvant effectuer un contrôle car, sans un contrôle adéquat, cette loi restera sans effet. Or le temps est compté pour les compagnies victimes d’une distorsion de concurrence.
Il nous faut mettre tous les moyens au service de la lutte contre le dumping social, dans l’intérêt de nos marins, de notre souveraineté et de la sécurité maritime.
L’amendement no 14 tend quant à lui à sanctionner le fait d’empêcher les contrôles. Ceux-ci sont essentiels pour lutter contre le dumping social. Il importe donc que les agents soient le plus nombreux possible à s’assurer de la sécurité et des bonnes conditions d’embarquement des marins qui traversent le
channel .
Il s’agit d’amendements d’appel.
Quel est l’avis de la commission ? Je vous demande de bien vouloir retirer ces amendements, car ils sont satisfaits.
S’agissant de l’amendement no 17, le code du travail dispose déjà que les agents de l’inspection du travail peuvent contrôler l’exécution des dispositions applicables aux équipages de navires battant pavillon étranger. En effet, un double contrôle s’exerce en la matière : le premier est effectué par les affaires maritimes et porte sur la sécurité, le second est assuré par l’inspection du travail et concerne le respect du code du travail.
En ce qui concerne l’amendement no 14, le code du travail dispose déjà, là encore, que le fait de faire obstacle à l’accomplissement des devoirs d’un inspecteur du travail est puni d’un an d’emprisonnement et de 37 500 euros d’amende.
(Les amendements nos 17 et 14, ayant reçu un avis défavorable du Gouvernement, sont retirés.) La parole est à M. Matthias Tavel, pour soutenir l’amendement no 11. Non seulement le Sénat a supprimé la possibilité de prononcer une interdiction d’accoster, mais il a instauré la possibilité d’adresser à l’employeur ou à l’armateur un simple avertissement avant la première amende. Ces deux choix montrent bien que la volonté de sanctionner durement et rapidement ceux qui enfreignent la loi de police que nous allons adopter fait défaut. Manifestement, on souhaite que la main de la police ou celle de la justice ne soit pas aussi ferme contre ces patrons voyous que certains voudraient qu’elle soit dans d’autres domaines… Nous proposons donc de supprimer la possibilité d’adresser un avertissement à l’employeur ou à l’armateur, de manière à garantir l’application directe de la loi.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelles seront les modalités du suivi de l’application de la loi ? Est-il possible que, lors de la rédaction des décrets d’application ou dans le cadre de votre dialogue avec les partenaires sociaux, une attention toute particulière soit accordée à la question des contrats courts, qui sont utilisés pour recruter dans le transport maritime et qui pourraient être un moyen de contourner l’esprit de la loi.
Quel est l’avis de la commission ? L’amendement no 12 à l’article 1er ter est quasiment identique à celui-ci. Nous ne pouvons pas, comme vous le proposez ici, modifier le code du travail, dans lequel figure la notion d’avertissement. En effet, les inspecteurs du travail adressent un avertissement avant de prononcer une sanction : c’est un élément d’une gradation. Encore une fois, ce n’est pas à nous de supprimer, dans cette proposition de loi, une mesure prévue dans le code du travail.
Du reste, comme je l’ai dit en commission et en première lecture, l’avertissement n’est pas une étape obligatoire. Si l’autorité considère que l’infraction est suffisamment grave, elle prononcera directement une sanction, sans adresser préalablement un avertissement. Avis défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Certes, nous créons la possibilité d’adresser à l’employeur un avertissement – possibilité qui existe par ailleurs –, mais celui-ci ne se substitue pas aux sanctions. Mon administration est chargée de mettre en œuvre la lutte contre le dumping social, laquelle est une de nos priorités. Nous appliquerons la loi, bien entendu. Nous faisons en sorte de disposer d’une palette d’outils la plus large possible pour mener cette lutte, et l’avertissement est un de ces outils.
Monsieur Tavel, le suivi de l’application de la loi sera assuré par le Conseil supérieur de la marine marchande – un instrument formidable –, dont je salue la présidente, présente dans les tribunes du public.
(M. Jean-Charles Larsonneur applaudit.) Or, cette instance est composée notamment de représentants des partenaires sociaux. Ainsi, les outils que nous créons pour lutter contre le dumping social seront-ils utilisés de manière effective, dans l’intérêt de tous.
J’ajoute que l’avertissement permettra de mettre en lumière certains comportements qui ne l’étaient pas forcément ; je pense notamment, puisqu’il s’agit d’une demande collective, au
name and shame . Par l’avertissement, les actes de ceux qui se comportent mal feront l’objet d’une publicité.
Avec l’avertissement, la sanction pénale et la sanction administrative, c’est fromage et dessert. Nous pourrons ainsi être beaucoup plus efficaces dans la lutte contre le dumping social.
Demande de retrait, sinon avis défavorable.
La parole est à M. Sébastien Jumel. Dans quelques minutes, nous adopterons la proposition de loi en étant, je le souhaite, « unis comme à bord », comme on dit dans la marine. Mais nous devons – c’est une proposition que je formule – constituer une task force pour veiller à sa bonne application, la défendre à l’échelle européenne et faire en sorte que la manière exemplaire dont les Français ont traité la question puisse s’étendre à l’ensemble des liens maritimes.
Par ailleurs, je salue à mon tour la présidente du Conseil supérieur de la marine marchande. Puisque l’élargissement de celui-ci aux parlementaires a permis un débat riche, intelligent et constructif, je souhaite que cette initiative fasse des petits, comme on dit chez moi, c’est-à-dire qu’elle soit réitérée dans d’autres domaines. Car on réfléchit mieux à plusieurs que tout seul ; cette proposition de loi transpartisane en est l’illustration.