XVIe législature
Session ordinaire de 2022-2023

Séance du jeudi 09 février 2023

L’ordre du jour appelle la discussion de proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer (nos 664, 803).
La parole est à M. Johnny Hajjar, rapporteur de la commission des affaires économiques. La présente proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer (Drom). Celle-ci ayant été jugée recevable, je ne m’attarderai pas sur le volet juridique. La création de cette commission d’enquête est impérieuse et urgente. Vous le savez, la lutte contre la vie chère en outre-mer est un défi majeur pour nos peuples et nos territoires. C’est pourquoi mes collègues et moi-même sommes chargés de cette mission, pour et au nom de nos peuples respectifs, dans le respect de la République.
L’approche que nous avons retenue pour étudier le coût de la vie dans nos territoires ultramarins est novatrice, car globale : elle prend en compte toute leur singularité et leur mode de vie, marqué par une assimilation intégrale, compte tenu notamment des contraintes d’importation massive depuis la France et l’Europe. Cette vision globale permettra d’objectiver clairement et de mieux comprendre les conséquences majeures du coût de la vie en outre-mer : la vie chère, le faible niveau de vie, la perte d’attractivité – particulièrement manifeste aux Antilles –, les conditions de vie dégradées, les révoltes sociales de grande ampleur et récurrentes.
Cette vision porte sur le cocktail des déterminants associés caractérisant le coût de la vie à travers un niveau de vie des peuples des territoires ultramarins très inférieur, un niveau des prix excessif, un sous-financement des collectivités locales et un traitement injuste et inéquitable par l’État de nos peuples et de nos territoires.
Lorsque la population hexagonale souffre d’une inflation conjoncturelle de près de 6 %, vous dites comprendre ses souffrances et ses difficultés. Dans nos outre-mer, de manière historique et structurelle, l’inflation est en moyenne supérieure de 40 % à celle de l’Hexagone – elle dépasse même les 45 % si on y ajoute l’inflation conjoncturelle ! Imaginez donc le niveau de difficultés et de souffrances de nos peuples, captifs et légitimement exaspérés. Pire, cette situation menace de donner le coup de grâce aux plus vulnérables et aux plus démunis, impuissants face aux épreuves quotidiennes et confrontés au mal ancien et bien connu qu’est la vie chère.
Mes chers collègues, vous ne pouvez pas avoir oublié les émeutes contre la vie chère qui ont secoué nos territoires de manière récurrente entre 2009 et 2020. Frappées par une spirale inflationniste et confrontées au mal-développement, les outre-mer pourraient de nouveau se transformer en poudrière sociale.
La vie chère dans les outre-mer résulte de la conjonction d’au moins quatre phénomènes. En premier lieu, elle est liée à un problème de revenus et de niveau de vie. En effet, d’après une étude du conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) de La Réunion, la vie chère s’expliquerait à 80 % par un problème de revenus et à 20 % par un problème de prix.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Si les revenus et le niveau de vie sont inférieurs dans les outre-mer, c’est notamment en raison de taux de pauvreté, de précarité et de chômage beaucoup plus élevés et d’un accroissement des inégalités. Ainsi, il reviendra à la commission d’enquête d’établir un diagnostic actualisé du niveau de vie et de revenus en identifiant les causes de cette situation dans les territoires ultramarins, tout en proposant des préconisations et des solutions pour y remédier.
En outre, plusieurs réformes fiscales ont diminué plus directement le pouvoir d’achat des ultramarins. La commission d’enquête devra donc s’intéresser de près à la traque aux niches fiscales et sociales menée dans les outre-mer par l’État, qui affaiblit considérablement les populations et les entreprises. Par exemple, quand l’impôt sur le revenu baisse dans l’Hexagone, il explose dans les Drom, réduisant ainsi considérablement et directement le pouvoir d’achat. La commission d’enquête devra donc proposer des solutions concrètes pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages.
En deuxième lieu, la vie chère en outre-mer découle du niveau des prix. L’Insee a identifié en 2015 des écarts de prix criants, de près de 40 %, sur les produits alimentaires. On retrouve ce problème dans tous les domaines : les dépenses contraintes des ménages, des entreprises, des associations et des collectivités l’illustrent particulièrement bien. Plusieurs facteurs expliquent ces écarts de prix majeurs : l’insularité et l’éloignement géographique avec l’Hexagone induisent des coûts d’approche des biens très importants. De même, l’exiguïté des territoires favorise les oligopoles et réduit la concurrence.
La commission d’enquête devra nécessairement faire porter ses travaux sur la formation des prix, l’accumulation des marges, la concentration verticale, en mettant en lumière la consolidation des phénomènes oligopolistiques et monopolistiques.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et GDR-NUPES. – M. Boris Vallaud applaudit également.) La position déjà dominante de l’armateur CMA-CGM, assurée grâce à la desserte du fret maritime en outre-mer, s’est renforcée avec la disparition de son concurrent Maersk après la crise du covid-19. Il sera nécessaire d’auditionner, entre autres, la direction de la compagnie pour faire toute la lumière sur la manière dont elle décompose précisément ses tarifs de fret maritime.
En troisième lieu, on trouve parmi les facteurs indirectement responsables de la vie chère en outre-mer le sous-financement de nos collectivités, phénomène souligné dans un rapport de 2019 réalisé par notre collègue Jean-René Cazeneuve et le sénateur Georges Patient. Au sous-financement structurel s’ajoute un sous-financement conjoncturel : les collectivités d’outre-mer, déjà exsangues, ont été obligées de contribuer au redressement des comptes publics. Leurs recettes ont ainsi mécaniquement chuté tandis que leurs dépenses ont considérablement augmenté.
Le Président de la République a certes reconnu ces inégalités. Mais la péréquation mise en place par l’État n’a que partiellement compensé les pertes de recettes qu’il avait ponctionnées. En neuf ans, l’État a réduit de 869 millions le budget des communes des départements d’outre-mer, ce qui, après la hausse de la péréquation, a engendré un déficit net de près de 400 millions d’euros en 2022. Ces communes ne bénéficiant pas du niveau d’investissement public d’État nécessaire pour rattraper les retards et répondre au mal-développement chronique dont elles souffrent ont vu leurs comptes se dégrader considérablement. Pour survivre, elles n’ont eu d’autre choix que d’augmenter les impôts locaux et les taxes des ménages et des entreprises, de diminuer le niveau de services publics et de rehausser le coût des prestations publiques.
La commission d’enquête devra analyser ce cercle vicieux qui affaiblit considérablement l’action publique de proximité, incapable de jouer son rôle de régulateur, de soupape et d’initiative. Cela provoque une dégradation du pouvoir d’achat et des conditions de vie et accroît la pauvreté et le chômage, incitant
in fine les jeunes à l’exil ou les reléguant à des trafics en pleine expansion. Cet engrenage ne peut conduire qu’au chaos social. Aussi la commission d’enquête devra-t-elle proposer des solutions adaptées.
Par ailleurs, la fiscalité : TVA et octroi de mer dans son ensemble ont leur part dans le renchérissement du coût de la vie. En effet, le poids de la TVA récoltée par l’État est sensiblement égal à celui de l’octroi de mer. La commission d’enquête, au niveau de la formation des prix, devra évaluer non seulement le rôle exact et le poids de chaque élément de la fiscalité, mais aussi son poids global, et devra dire si l’addition de l’octroi de mer et de la TVA est légale, justifiée et raisonnable dans le renchérissement des prix. La commission étudiera ainsi les solutions qui permettront de résoudre l’équation associant baisse du coût de la vie et préservation des moyens d’action des collectivités.
En quatrième lieu, la vie chère en outre-mer dépend d’un traitement inéquitable et injuste de l’État vis-à-vis des territoires ultramarins. En effet, les dispositifs nécessaires au soutien de l’économie et du pouvoir d’achat des ménages et des entreprises ultramarines ont déjà été restreints et pourraient disparaître afin de réduire le déficit de l’État, ce qui déstabilise les ménages et les entreprises, au détriment de la cohésion sociale, de la production, de l’investissement et de la création d’emplois.
Par exemple, la TVA non perçue récupérable des entreprises a été supprimée en 2018, ce qui représente 100 millions d’euros. Par ailleurs, l’iniquité de traitement s’illustre particulièrement par le montant de la dotation de continuité territoriale : 45 millions pour l’ensemble des outre-mer, contre 190 millions pour la Corse. La commission d’enquête devra faire la lumière sur l’ensemble de ces iniquités, mesurer leur impact et proposer des mesures de sauvegarde et d’équité ainsi que les solutions globales qui s’imposent.
Aujourd’hui, les instruments prévus pour lutter contre la vie chère ont le mérite d’exister, mais ils produisent des effets insuffisants. Le bouclier qualité prix (BQP) mérite d’être amélioré. Les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) manquent cruellement de moyens pour fonctionner et ne disposent guère de données statistiques actualisées – la majorité d’entre elles datent au mieux de 2019 et ne tiennent pas compte de ce qu’il s’est passé depuis la crise sanitaire.
Enfin, le 17 mai 2022, l’appel de Fort-de-France, signé par les présidents de région des Drom et de Saint-Martin, a insisté sur la refondation de la relation entre les territoires ultramarins et la République, pour résoudre concrètement les problèmes structurels de l’outre-mer par la construction et la prise en main de manière endogène d’outils, de moyens, de compétences et de pouvoirs locaux réels.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Gabriel Amard applaudit également.) Au cœur des préoccupations quotidiennes se trouve la question du coût de la vie dans les Drom. La création de la commission d’enquête devrait s’inscrire dans l’appel de Fort-de-France et converger avec les initiatives en faveur d’une adaptation des politiques publiques à venir.
L’approche globale et novatrice de la commission d’enquête, grâce à la connaissance fine des caractéristiques du coût de la vie dans les outre-mer, aura de nombreuses vertus qui dépasseront la seule question de la cherté de la vie. Elle permettra de mieux connaître, appréhender, évaluer et prospecter les modèles économiques en vigueur, la singularité et les particularités des cultures et identités de chaque territoire, ainsi que leur sociologie et environnement propres, le but étant de pouvoir asseoir sur les fondements des conclusions de cette commission d’enquête, dans le cadre de la République et en respectant nos différences, des projets au service de l’intérêt général. Cela ouvrira l’espérance de véritables perspectives de développement empreintes d’un idéal humaniste, progressiste et responsable.
À cette fin, il est nécessaire que la commission d’enquête puisse consacrer à ce sujet brûlant six mois de travaux effectifs en menant des auditions sous serment, des visites et des contrôles sur pièce et sur place.
(« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Merci de conclure, monsieur le rapporteur. Aimé Césaire disait : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES. – Mmes Nathalie Bassire et Estelle Youssouffa applaudissent également.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Elie Califer. Permettez-moi d’adresser à cet instant un triple remerciement : d’abord à mon collègue rapporteur, ce cher Johnny Hajjar, qui a eu le courage de proposer la création d’une commission d’enquête afin de mieux analyser les mécanismes de formation des prix ; ensuite au groupe Socialistes et apparentés qui, une fois encore, permet à cette assemblée, trois ans après la commission d’enquête sur l’utilisation du chlordécone et du paraquat, de faire la lumière sur un des maux qui frappe nos populations ; enfin, aux membres de la commission qui ont voté à l’unanimité cette proposition de résolution, preuve que le coût exorbitant de la vie en outre-mer est désormais reconnu et appelle la mobilisation de tous.
Je ne reviendrai pas sur les statistiques édifiantes égrenées avant moi. Mais force est de constater que les inégalités persistent : pour beaucoup, même la survie est inabordable, quand d’autres profitent de la situation de manière indécente. Hélas, les divers gouvernements qui se sont succédé ont multiplié les annonces tonitruantes, entretenu une communication effrénée et fait preuve d’inaction. Or ils disposent pourtant depuis 2017 de tous les pouvoirs légaux pour lutter contre la vie chère en outre-mer. Régulation des marchés de gros et de la chaîne logistique, définition d’un prix global d’un panier de produits de première nécessité, blocage des prix des carburants, aide au fret, répression des accords exclusifs d’importation, contrôle des opérations de concentration : tout l’éventail des mesures légales permettant de réguler la concurrence et de baisser les prix existe depuis bientôt dix ans !
Face aux mécanismes de « profitation » – comme on dit chez nous – qui étouffent nos compatriotes, la loi permet d’ores et déjà au Gouvernement, au-delà même du BQP, d’encadrer, voire d’administrer les prix, de plafonner le prix des billets d’avion, de baisser les prix des carburants ou de saisir l’Autorité de la concurrence sur l’explosion du prix du fret. Si la loi reste améliorable, beaucoup se résume souvent, dans cette affaire, à une question de volonté politique.
Je forme donc le vœu que cette future commission d’enquête puisse non seulement faire la lumière sur les nœuds structurels contribuant à renchérir le coût de la vie, mais formule également des pistes législatives et techniques d’amélioration de la situation. Au-delà, elle devra aussi, à mon sens, interroger le rôle de l’État dans ce contexte brûlant, notamment, disons-le, questionner son désengagement et son sous-investissement chronique dans les infrastructures de base des outre-mer.
Absolument ! Le travail d’investigation qui nous attend dans les prochains mois sera passionnant mais ardu. Sa pertinence et son sérieux contribueront à libérer ces milliers de consommateurs qui, dans tous les territoires d’outre-mer, ne sont ni plus ni moins que les otages de groupes oligopolistiques qui pressurent leur pouvoir d’achat et plongent l’ensemble des outre-mer dans la grande précarité. C’est la raison pour laquelle le groupe Socialistes et apparentés, au grand complet et avec motivation, votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – MM. Davy Rimane et Jiovanny William applaudissent aussi.) La parole est à M. Xavier Albertini. La proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer, présentée par les députés du groupe Socialistes et apparentés, vise à étudier l’ensemble des mécanismes qui concourent au coût de la vie outre-mer. Il me semble important d’insister sur les mots « l’ensemble des mécanismes ». Pour le groupe Horizons et apparentés, en effet, même si nous arrivons à une conclusion identique à celle du groupe Socialistes et apparentés sur la nécessité de créer une commission d’enquête, nous regrettons un parti pris, d’ores et déjà affiché, dans les orientations. Je vous invite donc, mes chers collègues, à garder l’esprit clair, à attendre les auditions et les déplacements pour arrêter un diagnostic, plutôt que de les utiliser pour justifier des conclusions qui relèveraient du prêt-à-porter. Nos collègues sont élus de ces territoires, tout de même ! Ne gâchons pas cette chance d’avoir les moyens de procéder à un travail sérieux et transpartisan, dans l’intérêt des territoires ultramarins.
Le coût de la vie outre-mer est plus élevé qu’en métropole – ce n’est pas une découverte et cela dure depuis des décennies. C’est dû pour partie à la distance avec la métropole, à l’exiguïté des marchés, à la spécificité insulaire qui, par nature, augmente les prix du fait de la logistique et du transport. Le phénomène de hausse des prix a été accentué ces derniers mois par une conjoncture mondiale très difficile. Ma collègue Aurélie Trouvé et moi, corapporteurs du groupe de travail sur le suivi de l’inflation, entre juillet et décembre 2022, avons étudié cette hausse des prix, y compris outre-mer, et constaté qu’il n’y avait pas de surchauffe supplémentaire dans ces territoires.
Ben voyons ! Ce n’est pas ce que dit Aurélie Trouvé ! La sortie de la crise du covid-19, les conséquences des intempéries et de la grippe aviaire, la guerre en Ukraine, la tension sur les marchés de l’énergie, tous ces facteurs touchent de manière identique l’ensemble du territoire français. Il n’y a pas d’effet d’accélération du fait du particularisme ultramarin. Pour autant, on ne peut nier que l’impact sur le pouvoir d’achat des ultramarins est plus fort, ce qui est lié à des difficultés structurelles multiples. L’enjeu de cette commission d’enquête est d’identifier, d’analyser, de comprendre au plus près ces phénomènes, et d’apporter des préconisations concrètes et opérationnelles.
Que savons-nous ? Nous savons que le niveau de vie médian annuel atteint 17 000 euros dans les Drom, contre 24 000 euros en Île-de-France et 22 000 euros après lissage à l’échelle nationale. Nous savons que 42 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté et que le taux de chômage s’y élève à 22 %.
Oui ! Nous savons que l’illettrisme y touche 20 % de la population, contre seulement 7 % dans l’Hexagone. Oui ! Nous savons enfin que, sur la période de 2010 à 2019, le taux de mortalité maternelle y a été quatre fois plus élevé, et le taux de naissances mort-nées, 1,5 fois supérieur. Et donc ? Ces quelques chiffres en disent long sur l’importance des chantiers à mettre en œuvre outre-mer pour rétablir un cadre de vie plus équilibré dans les territoires de la République.
Certes, l’essentiel des chantiers se mènera au très long cours, mais, dans l’intervalle, il nous appartient d’apporter des solutions d’amortissement et de soutien à la transformation. C’est tout l’intérêt, par exemple, de l’Oudinot du pouvoir d’achat annoncé en décembre dernier, qui consiste à redonner du pouvoir d’achat en étendant le bouclier qualité prix, lequel fixe un prix maximal pour un certain nombre de produits de grande consommation. C’est tout l’intérêt du dispositif de dédoublement des classes de CP et de CE1, qui porte d’ores et déjà ses fruits en matière de lecture et d’écriture des enfants. C’est tout l’intérêt de l’investissement massif dans les réseaux d’assainissement des eaux.
Cette majorité fait aussi des efforts sur la forme. La décision, d’une part, d’adopter un « réflexe outre-mer » visant à adapter chacun des textes aux réalités ultramarines et, d’autre part, de voter des lois répondant à des problématiques spécifiques à ces territoires est la preuve d’une conscience inédite.
Ce n’est pas vrai ! Au sein du groupe Horizons et apparentés, nous abordons cette commission d’enquête parlementaire sereinement, avec la volonté d’être utiles et efficaces pour nos concitoyens d’outre-mer. Établissons ensemble un diagnostic partagé, esquissons des solutions, soyons ambitieux pour ces territoires de la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.) La parole est à Mme Sabrina Sebaihi. « Vivre coûte beaucoup, mourir également. » Cette phrase du poète Jacinto-Luis Guereña résonne aujourd’hui de manière bien malheureuse dans notre pays. Qui ici ne connaît pas un de ses amis ou un membre de sa famille qui n’arrive plus à s’en sortir dès le 5 du mois, parfois même dès que la paye arrive sur le compte en banque ? Qui ici ne connaît pas un collègue ou un proche obligé de s’endetter, parfois à de multiples reprises, pour payer un mois de loyer en retard ou une facture d’électricité qui s’est envolée ? Ce sont vos choix, chers collègues de la majorité présidentielle, qui ont amené cette explosion de précarité financière et sociale dans notre pays. Et ce sont encore vos choix qui aggravent cette situation dans les territoires ultramarins.
Alors que l’on constate un taux de chômage très élevé à La Réunion, des difficultés d’accès à l’eau et à l’hôpital à la Guadeloupe, une crise de la démographie à Mayotte, des catastrophes écologiques comme les sargasses à la Martinique, ou encore de fortes convoitises sur les ressources naturelles minières, forestières et pétrolières en Guyane, les départements et régions d’outre-mer possèdent un point commun : la cherté de la vie.
Vous avez abandonné des territoires et des citoyens de la République, ces territoires où le taux de chômage est supérieur de 10 points à ce qu’il est dans l’Hexagone, ces territoires contaminés au chlordécone, ces territoires où le pack d’eau coûte parfois plus de 10 euros, où un paquet de riz est en moyenne 85 % plus cher et où le café a un prix supérieur de 133 %.
Que faites-vous pour ces territoires, mes chers collègues ? Vous leur envoyez l’armée lorsqu’ils manifestent pour leur survie et leur dignité. Vous aggravez leur précarité en raccourcissant les délais d’indemnisation du chômage. Vous accroissez leurs problématiques de santé en les faisant partir à la retraite deux ans plus tard.
(Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC, GDR-NUPES et LIOT.)
Aucune politique ambitieuse n’a été menée pour réduire la fracture territoriale entre l’Hexagone et les outre-mer. Pis, vous avez envoyé un message délétère dès le début de ce quinquennat en rattachant le ministère des outre-mer à celui de l’intérieur. L’abandon et la gestion sécuritaire de ces territoires portent un nom : c’est une gestion coloniale.
(M. Frédéric Maillot applaudit.)
Où sont les services publics outre-mer ? Où est le service public du logement, quand la majorité des logements sont insalubres et inadaptés aux événements climatiques extrêmes, qui y sont nombreux ? Où est le service public de la santé, quand les plus grands déserts médicaux de France se trouvent outre-mer ? Où est le service public de l’emploi, quand le taux de chômage atteint 18 % en Guadeloupe, contre 7 % dans l’Hexagone ? Où est le service public de la justice, quand 90 % des populations martiniquaises et guadeloupéennes sont contaminées au chlordécone et que la justice prononce un non-lieu ?
Si vous êtes attachés à la devise de notre République et à l’égalité entre tous les citoyens, alors votez cette proposition de résolution de nos collègues socialistes. Oui, nous devons ouvrir les yeux et intervenir sur les mécanismes qui conduisent à l’explosion des prix dans ces territoires, car le courage consiste à chercher la vérité et à la dire.
(Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.) La parole est à M. Jiovanny William. En 2012, 2017, 2019 et 2020, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), l’Assemblée nationale, le Sénat, ainsi que l’Autorité de la concurrence ont remis pas moins de six études et rapports d’information sur les moyens de résorber la cherté de la vie dans les territoires dits d’outre-mer. En l’espace de douze ans, plus de soixante-cinq propositions ont été formulées par le Parlement et par d’autres instances publiques et administratives pour réduire la cherté de la vie outre-mer ; deux lois sectorielles ont été adoptées, en 2012 et en 2017, qui ont notamment mis en place le fameux dispositif du bouclier qualité prix ; cinq condamnations financières ont été prononcées par l’Autorité de la concurrence.
À lire ces chiffres, on mesure parfaitement le déséquilibre. On pourrait presque croire que la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Mayotte, La Réunion et la Polynésie sont des paradis d’un nouveau genre, tolérés, voire organisés par la France et par la République – il semblerait que la distinction soit désormais de mise –, des paradis financiers où il fait bon vivre, dans un climat d’impunité, dans le règne de la démesure, avec une mainmise sans faille sur le marché local. Toutefois, dans ces paradis, nos familles peinent à boucler leurs fins de mois. Pendant ce temps, dans nos territoires, le taux de pauvreté atteint le double, voire le triple de ce qu’il est en France hexagonale.
En 1946, donc dans cette période de République, la promesse d’une justice sociale et économique nous a été faite. En 2023, nous attendons toujours. C’est donc désormais à nous, élus de la XVIe législature, de prendre nos responsabilités. La commission d’enquête que nous appelons de nos vœux et dont nous défendrons la création jusqu’au bout aura vocation, je l’espère, à s’attaquer au coût de la vie dans sa dimension la plus large, sans œillères, ni cachotteries, ni entourloupes. Pas de langue de bois ! Pas de langue de bois sur la décomposition des prix, ni sur les situations de monopole qui perdurent malgré les règles pourtant connues de tous. Pas de langue de bois et pas un énième document bien rangé au fond des tiroirs !
Par le biais de cette commission d’enquête, nous nous attaquerons sans concession aux monopoles et aux pratiques qui privent nos compatriotes de la possibilité d’accéder au meilleur et à des prix raisonnables. Nous croyons donc que cette commission d’enquête insufflera un vent d’espoir face aux mesures ponctuelles accordées en temps d’inflation. Nous ne demandons pas l’aumône ; nous ne quémandons pas. Nous exigeons, nous revendiquons et nous irons jusqu’au bout pour que la justice sociale et économique soit rendue.
Oui, le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES votera en faveur de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie outre-mer, afin que cessent la duplicité et toutes les formes de violences économiques à l’encontre de nos populations.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES. – Mme Estelle Youssouffa applaudit aussi.) La parole est à M. Max Mathiasin. Monsieur le rapporteur, vous l’avez parfaitement expliqué à propos de la vie chère en outre-mer : les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils pèsent d’autant plus sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens ultramarins que leur niveau de vie est bien inférieur à celui des hexagonaux. Selon les dernières statistiques de l’Insee, en Guadeloupe, par exemple, 34 % des personnes vivent sous le seuil de pauvreté, contre 14 % en France métropolitaine, et 12 % des Guadeloupéens sont en situation de grande pauvreté, contre 3 % dans l’Hexagone. Nos concitoyens de Mayotte souffrent davantage encore de la pauvreté.
Ce que je déplore à l’Assemblée nationale depuis six ans, c’est que, alors que tous les députés ultramarins parlent d’une voix unanime, nous restions incompris – c’est du moins l’impression que j’en ai – par le Gouvernement et par la majorité présidentielle. La France, c’est tous ses territoires : non seulement la Bretagne, la Corse ou, par exemple la Marne, mais aussi tous les territoires dits ultramarins, ces territoires qui ont connu, à un moment de leur histoire, un régime politique et économique que l’on dit « économie de comptoir », fondé sur le préjugé d’inégalité entre les êtres humains, au nom duquel on pouvait extraire, spolier et transporter toutes les richesses possibles. Ce que je voudrais que nous comprenions, c’est que ces inégalités fondées sur des préjugés et sur certains prismes ont persisté après la départementalisation avec, par exemple, un Smic qui n’a été appliqué que très tardivement au même niveau que dans l’Hexagone. Je ne parle même pas de la situation à Mayotte, qui laisse nos concitoyens mahorais dans une indigence scandaleuse.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, je suis favorable à cette demande de commission d’enquête que vous préconisez et que votre groupe soutient. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires y est également favorable. La commission d’enquête sur l’eau, avec nos excellents collègues Mathilde Panot et Olivier Serva, nous a déjà permis de faire éclater la vérité. La commission d’enquête sur le chlordécone, avec nos non moins excellents anciens collègues Serge Letchimy et Justine Bénin, a permis de faire la lumière et a conduit à bien des avancées dans la lutte contre le chlordécone.
Seule une commission d’enquête avec ses prérogatives, qui imposent aux personnes convoquées de déposer sous serment, qui autorisent le rapporteur à exercer un contrôle sur pièces et sur place et à se faire communiquer tout document utile, qui l’autorisent également à demander à la Cour des comptes de procéder à des enquêtes, nous permettra de mettre en évidence les différents facteurs concourant à la vie chère et de formuler des propositions pour orienter les politiques publiques afin d’y remédier.
Nous pourrons ainsi analyser la formation des prix et des marges des produits alimentaires, le rôle de la TVA et de l’octroi de mer, le poids des oligopoles, des industriels, des importateurs, des distributeurs ou encore du fret. Nous pourrons aussi évaluer le bien-fondé et l’attractivité des différents boucliers qualité prix mis en œuvre actuellement outre-mer, en analyser la pertinence et les étendre à des familles de produits de première nécessité, comme les pâtes ou les conserves. Nous pourrons également examiner la façon dont sont répercutées sur les consommateurs ultramarins les différentes mesures en faveur du pouvoir d’achat, comme la diminution de 500 euros par conteneur de 40 pieds du groupe CMA-CGM, en plus du gel des taux de fret depuis mai 2021. Nous n’oublierons pas non plus les frais liés aux déplacements, qu’il s’agisse du prix du billet d’avion ou celui de l’essence, et au logement.
Je rappelle que c’est mon groupe qui a permis le plafonnement de la mise à jour annuelle des valeurs locatives foncières à 2,5 % dans les outre-mer au lieu de 3,5 % dans l’Hexagone. Nous pourrons mettre en valeur la nécessité d’appliquer le principe de différenciation aux politiques publiques pour permettre enfin aux économies de nos territoires de converger vers l’autonomie alimentaire et énergétique – avec la géothermie, notamment – et de tendre vers une plus grande justice économique et sociale.
C’est pourquoi le groupe LIOT, je le dis à nouveau, est favorable à la mise en place de cette commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, LFI-NUPES, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) La parole est à M. Guillaume Vuilletet. Nous sommes réunis pour examiner la proposition de résolution du groupe Socialistes et apparentés sur le coût de la vie en outre-mer. C’est une formule originale puisque, même si elle est autorisée par notre règlement, la tradition veut plutôt que les commissions d’enquête soient constituées à l’initiative des groupes dans le cadre de leur droit de tirage – le terme n’est pas très heureux, mais c’est ainsi. On invente des choses ! Si le groupe Socialistes et apparentés a souhaité employer cette forme, c’est pour donner une importance toute particulière à sa démarche et, par un premier débat, nous rendre sensibles à la réalité du coût de la vie en outre-mer. Le constat exclut les faux-semblants, car la situation est particulièrement sensible : vous avez raison, monsieur le rapporteur, de souligner que nous ne sommes pas simplement dans une compétition de chiffres. Dans ces territoires, la réalité humaine fait que la situation peut à tout moment déraper pour aboutir à des problèmes qui ne sont pas simplement économiques, mais aussi d’ordre public, car nombre de nos concitoyens vivent une situation difficile.
Lors de la semaine de contrôle du Gouvernement, nous avons eu l’occasion de souligner certaines aberrations. Par exemple, le prix des loyers dans le centre des villes d’outre-mer est équivalent à celui des grandes métropoles de l’Hexagone, alors même que la situation économique y est très différente : non seulement les villes hexagonales offrent des services différents mais, de plus, s’agissant du niveau de revenus, un écart existe entre elles et les outre-mers. Puisque nous sommes en train de débattre des retraites, je signalais, il y a peu, que les retraites moyennes à Mayotte étaient de 300 euros et de 700 euros en moyenne en outre-mer. Évidemment, il y a un effet de ciseau entre des prix supérieurs de quasiment 40 % et ce niveau de revenu très faible.
Alors, retirez la réforme ! Non, il ne faut pas retirer la réforme, il faut l’améliorer. C’est d’ailleurs pour cela qu’avec ma collègue Estelle Youssouffa, ici présente, nous avons déposé un amendement visant à accélérer les rattrapages en matière de retraite, en particulier à Mayotte. Mais, d’abord, il y a un travail à réaliser pour comprendre comment ces prix se sont formés et comment nous en sommes arrivés à de tels dérapages. Cette commission d’enquête est donc tout à fait légitime et nous la soutiendrons.
Cependant, malgré notre volonté commune d’expliquer ces difficultés, certains des considérants de votre démarche appellent quelques commentaires. Monsieur le rapporteur, vous avez tenu en commission des propos très mesurés. Vous faisiez le constat que les défaillances de politique publique ne dataient pas de ce gouvernement. Vous m’autoriserez néanmoins à soutenir son action : par exemple, à l’époque où Ericka Bareigts, pour laquelle j’ai beaucoup de respect, était chargée des outre-mer au sein du Gouvernement, elle se réjouissait d’avoir obtenu un budget de 2 milliards d’euros pour la mission
Outre-mer ; nous sommes aujourd’hui à près de 2,8 milliards, ce qui représente une progression considérable. Par ailleurs, 21 milliards de crédits transversaux sont consacrés à ces territoires. Cela signifie non pas que tout va bien, ni que nous avons fourni un effort suffisant, mais qu’une politique de rattrapage est menée. Notre collègue Califer a indiqué que des outils politiques existent aujourd’hui pour lutter contre la vie chère ; le bouclier qualité prix existait auparavant, même si nous l’avons renforcé.
La politique à mener est complexe et doit, à mon avis, faire l’objet d’un consensus plus fort. Nous nous sommes déjà engagés dans une démarche contre la vie chère. Nous avons constitué des commissions d’enquête en matière de lutte contre les sargasses ou le chlordécone, sur le soutien à la Guyane, sur la reconstitution d’une offre en eau en Guadeloupe, où elle était bien défaillante. Évitons les caricatures et la stigmatisation de tel ou tel, et travaillons ensemble.
Oui, il est absolument nécessaire de reconstituer le mécanisme de formation des prix, de comprendre le poids de l’histoire sur une économie qui fut, en effet, une économie coloniale et qui n’a pas achevé sa transformation, de déterminer le poids des monopoles et des abus de position dominante dans la formation du prix et celui des difficultés induites par la fiscalité. Je le pense d’autant plus qu’il faut inclure, parmi les effets de ces prix élevés, une partie de l’économie ultramarine : je pense à l’économie informelle, laquelle devrait, à mon avis, faire l’objet d’une partie de notre travail.
Le propre d’une commission d’enquête est de rendre un travail exigeant, avec des personnes qui déposent sous serment. C’est aussi l’exigence, pour nous-mêmes, de ne pas tirer de conclusions avant d’avoir commencé nos travaux. Nous avons tous le souhait d’aboutir à des propositions efficaces pour améliorer la situation des territoires ultramarins.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Max Mathiasin applaudit également.) La parole est à Mme Hélène Laporte. « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. » C’est au cœur même de notre Constitution, dont je viens de citer l’article 72, alinéa 3, que s’inscrit l’exigence de traiter les 3 millions de citoyens des collectivités ultramarines sur un pied de stricte égalité avec ceux de la métropole tout en adaptant leur traitement aux particularités qu’imposent l’éloignement géographique et, le cas échéant, l’insularité.
Possédant le deuxième plus grand domaine maritime au monde, c’est à ses territoires ultramarins que la France doit une partie de son rayonnement international. Cette particularité française d’être une nation planétaire est une richesse dont la préservation est une priorité absolue. Pourtant, la politique d’abandon suivie depuis plus d’une dizaine d’années et intensifiée durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron transforme, jour après jour, ces collectivités en territoires perdus de la République. Le coût de la vie est au premier rang des soucis de nos compatriotes d’outre-mer, avec un revenu médian très en deçà de celui de la métropole. Ceux-ci supportent en effet le coût d’une activité économique fragilisée qui interdit à la majorité d’entre eux d’accéder à des revenus décents.
Dans ce contexte, la réduction draconienne des avantages fiscaux dont bénéficie l’outre-mer pour compenser les spécificités géographiques de ces territoires est un très mauvais signal envoyé à la population. Nous souscrivons donc, dans l’ensemble, au constat fait dans l’exposé des motifs de ce texte. Si la forte réduction en 2017 de l’abattement sur l’impôt sur le revenu, dont 69 % à 73 % des Martiniquais, des Guadeloupéens, des Guyanais et des Réunionnais et 85 % des Mahorais ne sont pas contribuables, n’est probablement pas l’exemple le mieux choisi pour illustrer l’impact des décisions budgétaires sur le niveau de vie des classes populaires ultramarines. La forte réduction des allégements de cotisations sociales pour les indépendants et de la possibilité pour les entreprises de récupérer de la TVA non perçue a, par définition, en alourdissant les charges pesant sur l’activité économique, aggravé la situation des locaux.
Parallèlement, l’octroi de mer a pour vocation première de protéger la production agricole, artisanale et industrielle des départements d’outre-mer. Il constitue également une source majeure de recettes pour ces collectivités territoriales. Sa suppression au profit d’une TVA à 20 % serait évidemment une décision catastrophique. Pour notre part, nous soutenons une réforme de l’octroi de mer, afin d’en exclure les biens produits en France ou dans l’Union européenne qui n’entreraient en concurrence avec aucun bien produit dans les cinq départements d’outre-mer. Ainsi, celui-ci remplirait sa fonction de protection de la production ultramarine sans apporter de dégradation excessive du pouvoir d’achat des habitants.
Dans la rédaction actuelle du texte, la compétence de la commission d’enquête porte exclusivement sur les départements et régions d’outre-mer. Sur ce point qui représentait une injustice manifeste pour les habitants des autres collectivités territoriales ultramarines, concernées par les mêmes problématiques d’éloignement et d’insularité, nous saluons la décision de la commission d’étendre la portée de cette résolution aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de notre Constitution. Néanmoins, si ces amendements représentent un progrès indéniable, ils mettent tacitement de côté la Nouvelle-Calédonie, dont le statut spécial est régi par le titre XIII de notre Constitution. Fort d’une population de plus de 270 000 habitants, l’archipel, qui a subi une inflation considérable durant l’année 2022, mérité d’être étudié au même titre que les autres collectivités ultramarines par la future commission d’enquête.
Enfin, je voudrais formuler un espoir : celui que la réflexion que nous ouvrons aujourd’hui sur la situation de nos territoires ultramarins ne se limite pas à la question, évidemment centrale, du pouvoir d’achat. La politique d’abandon de ces collectivités est à interroger dans sa globalité, car ses effets se mesurent aussi dans la santé publique, dans la lutte contre l’immigration irrégulière ou encore dans l’éducation. Tous ces sujets mériteront à leur tour un débat public.
Si nous n’avons pas le courage d’aborder dans chacune de ses dimensions la grave crise que nous avons laissé s’installer en outre-mer, la défiance de nos concitoyens ne fera que s’accentuer, au risque d’un véritable divorce politique qui blesserait irréversiblement notre unité nationale. Ainsi, dans l’espoir d’un débat fructueux sur la revalorisation des collectivités ultramarines, le groupe Rassemblement national votera cette proposition de résolution.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon. Avant toute chose, je veux saluer les membres de la commission des affaires économiques, qui ont approuvé la proposition de résolution, déposée à l’initiative de mon collègue Johnny Hajjar, du groupe Socialistes et apparentés, tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES. – Mme Maud Petit et M. Elie Califer applaudissent également.) Cette proposition de résolution sera chargée d’étudier et d’évaluer l’ensemble des mécanismes qui concourent au coût de la vie dans ces territoires.
Je salue également l’engagement des cosignataires des autres groupes et je les remercie d’avoir approuvé, en commission, l’amendement unique que j’ai proposé, qui élargit le périmètre de la commission d’enquête à l’examen des solutions permettant de remédier à la vie chère. J’appelle à présent l’Assemblée à adopter ce texte, compte tenu de la situation des territoires français de l’Atlantique, de l’océan Indien et du Pacifique. Leur situation est telle que nous devons voter la proposition de résolution à l’unanimité. Pas une voix ne doit manquer dans cet hémicycle !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur plusieurs bancs du groupe GDR-NUPES. – M. le rapporteur applaudit également.)
Cette proposition de résolution nous donne l’occasion de rappeler la persistance et l’aggravation des inégalités dans les territoires français non hexagonaux. En attestent le taux de pauvreté et le chômage de masse dans les départements et les régions d’outre-mer. Les niveaux de vie médians de la Martinique et de la Guadeloupe sont inférieurs de 20 à 23 % par rapport à celui de l’Hexagone. À La Réunion, ce taux est inférieur d’un tiers et en Guyane de moitié. À Mayotte, enfin, le niveau de vie médian ne représente qu’un sixième de sa valeur hexagonale. Dans tous les territoires d’outre-mer, les prix des produits alimentaires sont de plus en plus inaccessibles et l’accès à internet représente un coût beaucoup plus élevé qu’en métropole. De même, les fournitures scolaires sont largement plus chères.
Permettez-moi de prendre quelques exemples. Il n’est pas normal que le lait en poudre troisième âge coûte 10,89 euros dans les grandes surfaces d’Ivry-sur-Seine et entre 14 et 15,59 euros à La Réunion, soit 40 % plus cher !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur plusieurs bancs du groupe GDR-NUPES. – M. le rapporteur, applaudit également.) Ainsi, par rapport à l’Hexagone, le prix d’un paquet de 500 grammes de spaghettis est jusqu’à 45 % plus cher à La Réunion. L’écart atteint 100 % pour un paquet de lames de rasoir pour homme et 60 % pour un paquet de dix protections hygiéniques. De même, le pack de seize yaourts aux fruits coûte 75 % plus cher chez nous, à La Réunion, qu’en métropole ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR-NUPES.) Il a raison ! Les situations de monopole et d’oligopole et l’éloignement géographique y sont certainement pour quelque chose, mais les rentes de situation et les abus aussi – et selon moi surtout ! Nous le savons, la situation est la même dans tous les territoires d’outre-mer. Il n’est pas normal non plus que les matériaux de bricolage et de construction y soient 50 % à 80 % plus cher qu’en métropole. Les prix des billets d’avion au départ de La Réunion ont augmenté de 42 % depuis un an (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES), celui des colis postaux de 20 %, en plus des taxes abusives. Il conviendra que la commission d’enquête exige la communication des marges de tous les acteurs de toutes les filières. (Mêmes mouvements.) Bravo ! La vérité doit être dite ! La question des revenus est indissociable de celle du pouvoir d’achat, d’autant que les salaires du secteur privé sont inférieurs de 20 % outre-mer à ceux de la métropole. Il n’est pas normal que de plus en plus de gens n’arrivent plus à se nourrir correctement. Il n’est pas normal que des personnes âgées se contentent d’un yaourt avant de se coucher ! Il n’est pas normal que des familles encouragent leurs enfants à bien manger à l’école le midi parce que le soir, à la maison, le repas n’est pas équilibré, voire est insuffisant ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et GDR-NUPES. – Mme Maud Petit applaudit également.)
Voilà quelques réalités de nos territoires, et elles sont graves ! Elles le sont d’autant que TotalEnergies vient d’annoncer un bénéfice net de 19,5 milliards d’euros en 2022, en augmentation de 28 % par rapport à 2021. C’est le bénéfice le plus important de toute l’histoire de la multinationale et l’un des meilleurs du CAC40. Il est totalement indécent que les riches continuent de se gaver et de faire des superprofits, que le Gouvernement refuse de taxer.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et GDR-NUPES.) Bravo ! Dans le même temps, une grande partie de la population s’appauvrit et crève la dalle chaque jour un peu plus ! L’année dernière, le 24 novembre, lors de la niche parlementaire du groupe LFI-NUPES, j’avais déposé une proposition de résolution visant à assurer l’égalité effective entre tous les citoyens par une grande loi de développement pour les outre-mer. Malheureusement, l’obstruction n’avait pas permis de l’examiner. Aussi la présente proposition de résolution constitue-t-elle une chance de braquer les projecteurs sur le scandale des prix en outre-mer et d’apporter des solutions. Toute la vérité, rien que la vérité ! Ce sera le travail de la future commission d’enquête. La France insoumise dit oui, oui et oui ! (Mmes et MM. les députés du groupe LFI-NUPES se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES. – M. le rapporteur applaudit également.) La parole est à M. Mansour Kamardine. Lors d’un déplacement en Guyane, le 28 octobre 2017, le Président de la République a reconnu, dans un discours prononcé à l’occasion des Assises des outre-mer, le problème du coût de la vie dans les départements et les régions d’outre-mer : « La vie chère, a-t-il dit, elle a une explication parfois géographique ou d’organisation, quand il faut importer des matériels et des denrées qui viennent de plusieurs milliers de kilomètres, et nous allons lutter contre cela en développant la souveraineté alimentaire et énergétique de nos territoires. Mais, parfois, la vie chère est aussi entretenue dans les territoires par les acteurs économiques, qui, parce qu’ils sont en situation de monopole, font payer cinq ou dix fois le prix normal. L’Autorité de la concurrence, l’ensemble des services de l’État compétents, en particulier la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et les douanes vont donc intervenir et se déployer avec force pour rétablir l’ordre public économique, parce qu’on ne peut pas laisser s’installer des situations qu’on n’accepterait dans aucun territoire de l’Hexagone, c’est-à-dire que quelques-uns s’enrichissent beaucoup en entretenant la vie chère pour le reste de la population. »
Chers collègues, vous pourriez applaudir le Président de la République !
(Sourires. – M. le rapporteur applaudit.) Il a raison ! Lors de l’examen de la proposition de résolution par la commission des affaires économiques, Guillaume Kasbarian, son président, a reconnu : « Cette question extrêmement importante a donné lieu à une abondante production au sein du Parlement et en dehors, dont un avis de l’Autorité de la concurrence, en juillet 2019, une étude du Conseil économique, social et environnemental, en octobre 2020, une enquête de l’Insee, engagée en 2022 et encore en cours, le rapport de Mmes Petit, Manin et Rilhac, en 2019, et un rapport de la délégation aux outre-mer, rédigé par Lénaïck Adam et Claire Guion-Firmin, en décembre 2020. Le dernier rapport sur la question date donc de deux ans. »
C’est dire que le problème de la vie chère en outre-mer est une donnée connue de tous, mais dont tout le monde détourne le regard. Pour paraphraser Jacques Chirac, l’outre-mer sombre dans la pauvreté, mais nous regardons ailleurs. Notre collègue Johnny Hajjar a eu la pertinence et l’intelligence de s’attarder sur cette question et de nous proposer la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer.
En ce qui concerne Mayotte, nous trouvons dans ce département les déterminants structurels de la cherté de la vie évoqués dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, en particulier des revenus beaucoup plus faibles qu’en métropole. Pour mémoire, à Mayotte, le Smic est inférieur de 20 % au Smic national, la pension de retraite s’élève à 276 euros en moyenne et les prix des biens sont beaucoup plus élevés que dans l’Hexagone, particulièrement ceux des produits alimentaires, qui ont subi, de surcroît, une inflation de 29 % en un an. Or les dotations aux collectivités des outre-mer sont clairement inférieures à celles des collectivités de droit commun, en raison notamment d’une estimation de leur population par l’Insee inférieure de 30 % à la population réelle.
À cela s’ajoute une spécificité de Mayotte : l’absence de statut de grand port maritime pour le port de Longoni. Celui-ci est, de fait, privatisé par une entreprise, laquelle cache ses comptes à la collectivité départementale et applique des tarifs dont la légalité interroge jusqu’à la Cour des comptes. Cette situation engendre bien évidemment une importante corruption, qui met en péril tant la démocratie locale que le développement économique et social du 101e département. L’immobilisme du bras séculier de l’État mériterait d’être examiné. À Mayotte, à chaque élection, l’argent venu de Longoni, à la barbe et au nez du procureur de la République, se répand comme un cancer, qui pour faire élire untel, qui pour faire battre tel autre. Les prix gonflent tout au long de la chaîne de valeur et, au bout du compte, c’est le consommateur final qui paie l’addition.
Comme toujours ! Je veux donc dire sans détour, en tant que député de Mayotte mais également en tant que député du groupe Les Républicains, et sur les recommandations des présidents Ciotti et Marleix, que notre groupe s’associe entièrement à cette démarche,… Totalement ! …aussi bien en ce qui concerne la cosignature de la proposition de résolution qu’en ce qui concerne son adoption. Tout à fait ! C’est la raison pour laquelle les élus LR de la délégation aux outre-mer, ainsi que nos collègues Philippe Gosselin, Marc Le Fur et Aurélien Pradié, ont accepté de cosigner la proposition de résolution, comme vous nous y avez aimablement invités, cher monsieur le rapporteur. Et sans réserve ! Nous voterons donc sans réserve en faveur de cette proposition de résolution, avec l’espoir, d’une part, que la commission d’enquête ira jusqu’au bout de ses investigations, afin de formuler ensuite des propositions, et, d’autre part, que nous nous retrouverons tous pour apporter des solutions efficaces et pérennes aux difficultés de nos concitoyens ultramarins. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs du groupe GDR-NUPES.) Très bien ! Ça sent l’unanimité ! La parole est à Mme Maud Petit. Comme je l’ai indiqué en commission la semaine dernière, il était nécessaire de mettre en lumière, au sein de notre hémicycle, une problématique majeure de notre pays qui passe, pourtant, trop souvent sous les radars des médias et des politiques hexagonales : le coût de la vie dans la France ultramarine. Je salue donc l’initiative de notre collègue Johnny Hajjar, qui appelle de nouveau notre attention sur cette question récurrente, à laquelle il est devenu crucial d’apporter une solution.
La vie chère dans les territoires d’outre-mer est une ancienne et lourde réalité. En 2018, le niveau de vie médian annuel le plus élevé aux Antilles et à La Réunion était de 17 000 euros, contre 24 000 euros en Île-de-France. La dernière enquête économique de l’Institut de la statistique de la Polynésie française (ISPF) a révélé que les prix étaient supérieurs de 39 % dans ce territoire par rapport à ceux de l’Hexagone. Les produits alimentaires sont principalement concernés par les écarts de prix. Rendez-vous compte : selon l’Insee, le différentiel par rapport à l’Hexagone est de 37 % à La Réunion, de 42 % en Guadeloupe, de 45 % en Guyane et atteint même 48 % en Martinique !
(M. Davy Rimane applaudit.)
Dans un rapport remis à la délégation aux outre-mer en 2019, nos collègues Lénaïck Adam et Claire Guion-Firmin rappelaient l’importance de cette catégorie de dépenses pour les ménages : les dépenses alimentaires représentent 16 % à 17 % des dépenses de consommation, et jusqu’à 24 % à Mayotte. C’est énorme quand il s’agit de se nourrir ! Les exemples étant plus parlants que les longs discours, en voici quelques-uns. Un paquet de café soluble de 200 grammes est deux fois plus cher en Martinique qu’en métropole – 10,62 euros au Lamentin, contre 4,24 euros au Havre. Un paquet de quatre yaourts coûte 1,37 euro à Paris, contre 2,95 euros en Guadeloupe. De même, un kilo de pommes de terre coûte actuellement plus de 4 euros en Polynésie française, contre 1,80 euro dans l’Hexagone. Enfin, comptez plus de 5,4 euros pour un kilo de bananes en Nouvelle-Calédonie, contre 2 euros en moyenne en métropole.
La vie chère en outre-mer est tellement flagrante que la Cour des comptes a dénoncé, en 2017, le traitement inéquitable des départements d’outre-mer du point de vue de la péréquation nationale. Ce traitement défavorable a également été reconnu par le Président de la République en 2019. L’inflation que nous subissons sur le continent aggrave cette situation déjà difficilement supportable pour nos concitoyens ultramarins.
Alors, des rapports ont été rédigés, des élus et des parlementaires ont lancé l’alerte, et j’ai moi-même déploré le coût de la vie en outre-mer, source de discriminations, dans un rapport d’information rédigé en 2019 avec mes collègues Josette Manin et Cécile Rilhac. Ces appels ont parfois été entendus, des mesures ont souvent été prises et notre majorité a pleinement pris la mesure du problème dans le cadre des Assises des outre-mer en 2017 et 2018, qui ont donné lieu à la rédaction du Livre bleu des outre-mer.
Aujourd’hui, cependant, il reste encore beaucoup à faire. C’est pourquoi le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) soutient pleinement la création de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer, qui aura pour vocation d’analyser les raisons, multiples, des prix exorbitants dans les collectivités ultramarines et qui devra, c’est impératif, proposer des solutions pérennes pour enrayer une situation qui n’a que trop duré.
Fortement attaché aux territoires, le groupe Dem souhaite toutefois que les collectivités d’outre-mer fassent partie intégrante du dispositif – ce qui n’est actuellement pas le cas –, et c’est pourquoi je suis heureuse qu’après plusieurs échanges avec vous, monsieur le rapporteur, nous ayons pu vous convaincre du bien-fondé de notre démarche : les collectivités régies par l’article 73 et celles régies par l’article 74 de la Constitution souffrent en effet du même mal.
Chaque terre d’outre-mer possède son propre – et riche – caractère, ses spécificités. Une fois les causes établies, nous serons donc à vos côtés pour que les solutions à apporter soient adaptées à chacune d’entre elles. Mes chers collègues, je vous le dis – mais je crois que vous en avez déjà conscience : notre union est nécessaire et indispensable sur ce sujet. Loin des jeux politiques, notre exemplarité et notre rigueur, en tant qu’élus de la République, sont indispensables. Nos concitoyens de l’archipel France attendent des résultats concrets, palpables, sur ce sujet clivant et récurrent, et notre devoir est d’y réussir enfin.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, sur quelques bancs du groupe GDR-NUPES et sur les bancs des commissions.) La parole est à M. Philippe Naillet. Je voudrais d’abord, bien entendu, saluer l’initiative du collègue Johnny Hajjar, notre rapporteur, et remercier notre groupe, le groupe Socialistes et apparentés, d’avoir inscrit à l’ordre du jour de sa journée d’initiative parlementaire cette proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer : merci, mes chers collègues.
La vie chère, en outre-mer, est une réalité qui dure depuis trop longtemps ; elle est perçue par les populations de nos territoires comme une terrible injustice contre laquelle elles ne peuvent lutter. Nous, à La Réunion – cela a été dit mais je le rappelle tout de même à l’attention de ceux qui ne le sauraient pas, et je le dis sans misérabilisme quelconque –, nous subissons la double peine. En effet, les prix y sont plus chers que dans l’Hexagone : 30 % pour ce qui est de l’alimentation, et 7 % en général. Et c’est la double peine parce qu’en même temps, le taux de pauvreté y est 2,5 fois plus élevé qu’en France métropolitaine.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe GDR-NUPES.) C’est vrai ! Voilà la réalité que vivent nos territoires ! Et si nous soulevons ce problème, ce n’est pas pour quémander : c’est pour corriger les choses, parce que la cherté de la vie est une injustice que les Réunionnais ne supportent plus. Quelqu’un – je crois que c’est le collègue Mathiasin – a rappelé que nous avions attendu plusieurs années pour obtenir l’égalité du Smic ; je vais être un petit peu plus précis, s’il me le permet. Nous sommes devenus un département français en 1946 mais notre Smic n’a été aligné sur celui de la métropole que cinquante ans après, en 1996. Les Réunionnais n’accepteront pas que l’on attende cinquante années supplémentaires pour faire reculer la vie chère sur notre territoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NUPES, GDR-NUPES et sur les bancs des commissions. – M. Roger Chudeau et Mme Maud Petit applaudissent également.) Oui, monsieur ! On parle souvent des difficultés que vivent les familles en fin de mois. Mais pour nous, à La Réunion, le problème, ce ne sont pas les fins de mois : ce sont les débuts de mois ! Une enquête récente de l’Insee, qui date de 2017 – elle n’est pas très ancienne –, révèle que pour les familles les plus modestes, la part des dépenses contraintes s’élève à 37 % des ressources totales. Cela signifie que, dès le début du mois, les familles réunionnaises ont la tête sous l’eau. Les chiffres – pas ceux du Parti socialiste ni de la NUPES mais bien ceux de la Croix-Rouge – montrent qu’en 2021, dans un département français, celui de La Réunion, une famille sur dix a eu recours à un colis alimentaire. Telle est la réalité sociale de notre territoire ; telle est la réalité de la cherté de la vie à La Réunion.
Je tiens à préciser que certaines mesures ont été prises, c’est vrai. Le bouclier qualité prix est une réalité ; l’OPMR en est une autre – mais il n’a pas suffisamment de moyens pour faire son travail ; le décret relatif à l’aide exceptionnelle à l’acquisition de carburants est aussi une réalité, mais il faut aller plus loin. Il faut s’interroger sur le rôle des oligopoles et des monopoles dans la grande distribution !
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NUPES et GDR-NUPES. – M. Benjamin Lucas et Mme Maud Petit applaudissent également.) Il faut s’interroger sur la constitution des marges, et sur le rôle des grossistes importateurs et sur celui de CMA CGM, qui est en position de monopole dans le transport maritime ! (Mêmes mouvements.)
Si je dis cela, ce n’est pas parce que je suis obsédé par CMA CGM – je ne passe pas mes nuits à rêver de cette compagnie : c’est parce que c’est la réalité ! Un journal local rappelait qu’en une année, le prix d’un conteneur de 40 pieds, qui coûtait à une entreprise entre 1 500 et 2 000 euros, est passé à 7 000 euros. Il faut s’interroger également sur le prix des billets d’avion.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, LFI-NUPES et GDR-NUPES. – Mme Maud Petit applaudit également.) Exactement ! J’entends parfois certains me dire que c’est un secteur économique compliqué, que les prix augmentent partout dans le monde. Mille trois cents euros le billet ! Mais nous, à La Réunion, pour aller de Saint-Denis à Paris, à Marseille, à Brest ou à Angoulême, nous ne pouvons pas venir en bus ! Nous ne pouvons pas venir en trottinette ! Nous sommes obligés de prendre l’avion et le prix d’un billet, en moyenne, en classe économique – vous devez le savoir, mes collègues –, c’est 2 000 euros. Voilà la réalité (MM. Jimmy Hajjar, rapporteur, et Nicolas Sansu applaudissent) et je le dis ici, même si sur l’examen d’une proposition de résolution, le Gouvernement n’est pas présent : s’agissant du prix des billets d’avion pour les populations ultramarines, l’État a un rôle à jouer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Benjamin Lucas applaudit également.) Merci, monsieur le député. Je termine, si vous me le permettez, madame la présidente. Je dirai juste un mot au collègue Vuilletet, qui a dit qu’il ne fallait pas caricaturer alors qu’il l’a fait, lui, d’une certaine manière, en disant que, dans le projet de réforme des retraites, il y avait des mesures pour nous. Non : il n’y a rien, dans ce projet de loi, pour les petits retraités réunionnais, qui sont les plus pauvres de France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard. C’est un champ d’îles déployées sur trois océans, tourmenté par des meutes de vent, parachevé par une nature sauvage, presque originelle. Sur leurs côtes, dans leurs lagons, au sommet de leurs montagnes, de leurs volcans, dans les creux de leurs plaines, se cachent une faune et une flore digne de l’Éden. Les traditions y sont légion et les coutumes innombrables. Elles ont leur art de vivre, leur culture, leur identité, leur spécificité aussi, mais toutes sont françaises.
Ces îles françaises, il faut le dire, se sentent délaissées, abandonnées. Si leur cadre de vie est idyllique, leurs conditions de vie le sont beaucoup moins ; et comme souvent, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon une enquête de l’Insee intitulée « Une pauvreté marquée dans les DOM, notamment en Guyane et à Mayotte » et datant de juillet 2020, le niveau de vie médian de la population des départements ultramarins est moins élevé que dans l’Hexagone. Le taux de pauvreté calculé selon le seuil national est de 34 % en Guadeloupe, 33 % en Martinique, 42 % à La Réunion et 53 % en Guyane ; il atteint même 77 % à Mayotte, contre 14 % en France métropolitaine.
Toujours selon l’Insee, dans une étude datant cette fois de 2015, les prix s’avèrent plus élevés dans les départements ultramarins que dans l’Hexagone : ils le sont de 12 % aux Antilles, de 11,7 % en Guyane et de 7 % à La Réunion et à Mayotte. Un tel écart provient majoritairement des prix des produits alimentaires : en la matière, le différentiel par rapport à l’Hexagone s’élève à plus de 37 % à La Réunion, 42 % en Guadeloupe, 45 % en Guyane et 48 % en Martinique ; il atteint même 64 % à Mayotte.
De tels écarts s’expliquent non seulement par la grande dépendance des territoires ultramarins aux produits importés, qui représentent 74 % des achats des distributeurs, mais aussi par l’importance des frais de transport, liée à leur éloignement géographique. Ces derniers représentent tout de même 16 % du coût d’un produit pour un distributeur, coût qui, mécaniquement, a des conséquences sur le porte-monnaie des consommateurs. Un seul exemple suffit pour comprendre la situation : à Mayotte, le pack d’eau coûte 9 euros ! Notons également que l’exiguïté des territoires ultramarins favorise les ententes : les distributeurs ne sont pas engagés dans une guerre des prix comparable à ce qui peut être constaté en métropole.
Pour corriger le tir, il est urgent d’adapter un certain nombre de dispositifs. Je pense au bouclier qualité prix, qu’il serait pertinent d’élargir. Un effort a été fait en décembre 2022, puisque ce bouclier a été étendu à de nouveaux produits, mais il a été jugé encore insuffisant par de nombreux acteurs, dont l’observatoire des prix, des marges et des revenus.
Il me semble aussi que les lacunes des projets de loi de finances doivent être comblées. Si l’on peut reconnaître que la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, de même que la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, ont prévu des mesures pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages ainsi que des mécanismes d’aides aux collectivités territoriales, ceux-ci s’appliquent malheureusement de manière uniforme sur l’ensemble du territoire national, en ne tenant compte que très à la marge des spécificités des territoires d’outre-mer.
Notons également que plusieurs dispositifs d’aide spécifiques aux outre-mer ont été amputés ou ont tout simplement disparu. Je pense à la TVA non perçue récupérable (TVA NPR) des entreprises, supprimée en 2018 – elle représentait une dépense fiscale annuelle de 100 millions d’euros ; je pense aussi à l’allègement des cotisations sociales des travailleurs indépendants, diminuées de 40 millions d’euros à partir de 2018, sans oublier la diminution de l’abattement relatif à l’impôt sur le revenu, censé rapporter 70 millions par an et qui doit finalement permettre de récupérer 400 millions, ainsi que la défiscalisation qui est passée de 1 milliard en 2011 à moins de 500 millions en 2022.
D’après notre collègue Johnny Hajjar, la suppression de l’octroi de mer et son remplacement par une TVA à 20 % seraient à craindre. Si tel était le cas, cela aura des conséquences désastreuses pour le développement des collectivités locales, car l’octroi de mer est une ressource financière pour celles-ci, à l’inverse de la TVA.
Ce sont autant de problèmes qu’il faut considérer en apportant des solutions sectorisées en fonction de chaque territoire ultramarin, car chacun est particulier et ne peut se satisfaire de dispositifs harmonisés et déconnectés du réel. Ainsi, la création d’une commission d’enquête sur la vie chère me paraît tout à fait justifiée et je voterai pour, tout en sachant que les difficultés rencontrées dans certains territoires ultramarins sont structurelles, comme à Mayotte qui se paupérise notamment à cause d’un flux migratoire incontrôlé.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LIOT. – MM. Roger Chudeau et Mansour Kamardine applaudissent également.) La discussion générale est close.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de résolution.
La parole est à M. Christian Baptiste. Accéder aux produits de première nécessité n’est plus une commodité mais est – hélas – devenu un luxe, hors de portée d’une majorité de nos concitoyens. Répondre à certains besoins essentiels – se nourrir, se vêtir ou encore se loger – relève quant à lui du parcours du combattant. Je vous ferai l’économie d’un commentaire sur les factures d’eau, d’électricité, de carburant ou sur les prix des billets d’avion, qui ne cessent d’augmenter.
Malheureusement, derrière leurs allures de carte postale, les territoires dits d’outre-mer cachent une tout autre réalité : pauvreté, précarité, chômage endémique, retards structurels, abus de position dominante, situations oligopolistiques, et j’en passe. Honnêtement, est-il vraiment utile de rappeler, pour la énième fois, à quel point les populations dites d’outre-mer souffrent ? Elles souffrent d’un manque de considération, de mépris, de traitements injustes et inéquitables, dans cette République française censée faire de nos concitoyens ultramarins des citoyens français à part entière, et non des citoyens entièrement à part.
Nous avons espoir que nos innombrables interpellations auront permis à l’État d’être au fait de la gravité de la situation des territoires dits d’outre-mer. Nous avons désormais besoin d’une instance pour lancer et organiser des travaux d’investigation permettant, notamment, d’identifier les paramètres à l’origine de la vie chère dans nos territoires. Très ambitieuse, cette instance devra aussi être une force de proposition en s’appuyant sur les travaux effectués, dans l’unique but de dresser rapidement et avec sérieux et efficacité la problématique systémique de la vie chère.
C’est en somme ce que nous proposons par le biais de ce projet de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans nos territoires dits d’outre-mer.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe GDR-NUPES.) La parole est à M. Perceval Gaillard. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir la question de la vie chère outre-mer pleinement abordée dans notre assemblée. Nous avons eu beaucoup de débats sur ce thème, que nous abordons systématiquement dans nos amendements et qui a donné lieu à plusieurs missions d’information et de multiples rapports depuis des années, mais, à notre connaissance, jamais à une commission d’enquête. Nous allons donc franchir un pas important compte tenu des pouvoirs détenus par une commission d’enquête : les personnes à auditionner sont contraintes de répondre à la convocation ; les rapporteurs sont habilités à se faire communiquer tous les documents nécessaires à leurs investigations.
Nous voulons que le rapport, qui sera rendu par cette commission, ne se contente pas d’identifier les facteurs expliquant la situation de vulnérabilité économique très forte subie dans les outre-mer, mais qu’elle les quantifie. Nous espérons vraiment que cette commission d’enquête permettra de mettre en évidence les leviers sur lesquels agir. Nous avons vu qu’il ne sert pas à grand-chose de se limiter à tenter de combattre des facteurs de vulnérabilité : la vie est toujours aussi chère. Il faut intégrer ces facteurs de vulnérabilité à toutes les politiques publiques menées outre-mer, en particulier celle des revenus.
À cet égard, nous avons déposé un amendement visant à élargir le champ de la commission d’enquête et à aller plus loin que le simple constat : il faut qu’elle puisse faire un état des lieux des solutions existantes. Compte tenu de la situation économique et sociale de nos pays, de l’attente de nos peuples, cette commission ne doit pas, ne peut pas accoucher d’une souris.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.) La parole est à M. Marc Le Fur. En tant que député métropolitain, je tiens à affirmer notre solidarité à l’égard des populations de l’outre-mer, de mon ami Mansour Kamardine, des collègues qui s’investissent sur ce sujet, de ces morceaux de France répartis dans le monde entier.
Cette commission d’enquête va nous permettre de changer de dimension. Si beaucoup de gens ont travaillé et se sont investis sur ces questions, il faut désormais aller au fond des choses. À partir de cette commission d’enquête, il faut pointer les choses qui ne vont pas, mais aussi préciser certaines propositions déjà formulées sans avoir été mises en application.
(M. Mansour Kamardine et M. le rapporteur applaudissent.)
Comme souvent, l’outre-mer produit un effet loupe : cette question du pouvoir d’achat existe sur tout le territoire – en métropole, dans les villes grandes ou petites, dans le monde rural –, mais le phénomène est démultiplié et plus compliqué outre-mer, ce qui nous offre l’occasion de trouver des solutions. L’une d’entre elles a consisté à créer un bouclier qualité prix, mais j’ai été obligé de constater, en particulier à La Réunion, que ce dispositif, que d’aucuns veulent étendre à l’ensemble du territoire national, comprend des lacunes.
Pour toutes ces raisons, je crois qu’il faut agir, faire des propositions, aller au bout des choses. Notons que tout cela nous engage : les populations seront d’autant plus exigeantes que tout aura été mis sur la table.
Il faut agir vite ! Le Gouvernement devra en tirer des conclusions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) Nous en venons aux amendements à l’article. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 6. Il s’agit d’un simple amendement de précision juridique.
(L’amendement no 6 est adopté.) Sur l’ensemble de la proposition de résolution, je suis par le groupe Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES) d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisie de deux amendements, nos 7 et 2, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 7, qui fait l’objet du sous-amendement no 9.
Pour que nous soyons au clair et éviter les oublis, nous proposons de remplacer « départements et régions d’outre-mer régis par l’article 73 » par « collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ». Précisons que l’idée a d’abord été soulevée par le groupe Dem, notamment par Maud Petit et Frantz Gumbs, signataires de l’amendement en discussion commune. La parole est à Mme Hélène Laporte, pour soutenir le sous-amendement no 9. Il vise à intégrer la Nouvelle-Calédonie au champ de compétence de la commission d’enquête. Ce territoire en est toujours écarté car il n’est pas au nombre des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution. Dès lors, l’amendement de la commission n’a pas réellement pour objet d’étendre la portée du texte à l’ensemble des territoires ultramarins.
Fort d’une population de 270 000 habitants, l’archipel de Nouvelle-Calédonie jouit d’un statut dérogatoire qui lui accorde une autonomie supérieure aux collectivités d’outre-mer. Cependant, cette particularité ne justifie pas de renoncer à se pencher sur la question du coût de la vie des Néo-Calédoniens, car les mêmes difficultés se posent dans ce territoire : éloignement, effets de l’insularité, inégalité de qualité des services publics avec le territoire métropolitain.
Il n’y a donc pas de raison, selon nous, de mettre la Nouvelle-Calédonie à l’écart. Nous vous demandons donc d’adopter ce sous-amendement de bon sens, afin d’éviter cette injustice inutile.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) La parole est à Mme Maud Petit, pour soutenir l’amendement no 2. Comme l’a précisé M. le rapporteur, à l’issue de plusieurs discussions que nous avons eues la semaine dernière, il était convenu de modifier la rédaction de l’article pour intégrer les collectivités d’outre-mer. Nous proposions d’insérer « dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 du même texte » pour compléter la formulation initiale. Même si chaque terre d’outre-mer a sa spécificité, son caractère et ses différences, ces territoires subissent les mêmes injustices face à la cherté de la vie.
En revanche, je pense que l’intégration de la Nouvelle-Calédonie pose une difficulté – il me semble d’ailleurs que M. le rapporteur soit d’accord avec moi sur ce point, même s’il n’a pas encore émis son avis sur le sous-amendement. La Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’outre-mer à statut particulier,
sui generis , qui résulte de l’accord de Nouméa de mai 1998. À ce stade, il me semble difficile d’intégrer la Nouvelle-Calédonie à la commission d’enquête, même si ses habitants rencontrent les mêmes difficultés que ceux des autres collectivités et territoires d’outre-mer. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement no 9 et l’amendement no 2 ? Je conçois que la Nouvelle-Calédonie rencontre les mêmes problèmes que les autres territoires éloignés et insulaires, mais son statut est défini par le titre XIII de la Constitution, alors que celui des collectivités ultramarines l’est aux articles 73 et 74 du titre XII. Et alors ? Il faut les laisser tomber ? Le cas est donc très différent. En outre, je considère que le périmètre de la commission est déjà suffisamment élargi avec l’étude des collectivités territoriales régies à la fois par les articles 73 et 74 de la Constitution. Il a raison ! Alors, on laisse tomber les Néo-Calédoniens ? À vouloir trop élargir son périmètre, on risque d’affaiblir et de réduire la portée de la commission d’enquête, d’autant que sa durée reste fixée à six mois. Plus on alourdit sa charge de travail, plus son efficacité et son rendu seront réduits. Ce n’est pas ce que nous souhaitons. Je demande donc le retrait du sous-amendement. À défaut, j’émettrai malheureusement un avis défavorable. Ils apprécieront ! À regret, je demande aussi à Maud Petit de retirer l’amendement no 2, même si elle a l’initiative de la demande d’élargissement du périmètre de la commission d’enquête aux collectivités régies par l’article 74. Compte tenu des évolutions institutionnelles, il existe des départements et des régions d’outre-mer, mais aussi des collectivités territoriales uniques comme la Martinique et la Guyane – que la rédaction de l’amendement no 2 empêcherait d’intégrer. Cela étant, je tiens à souligner l’implication de Maud Petit qui porte les territoires ultramarins, dont elle est issue, dans son cœur. (Mme Estelle Youssouffa applaudit.) La parole est à M. Guillaume Vuilletet. Je ne doute pas que notre collègue Maud Petit soit sensible à une telle déclaration. (Sourires.) Le groupe Renaissance apportera son soutien à l’amendement du rapporteur, mais votera contre le sous-amendement. S’il faut élargir le périmètre à toutes les collectivités d’outre-mer car la cherté de la vie se vérifie à Wallis-et-Futuna et en Polynésie, la situation de la Nouvelle-Calédonie est différente.
La Nouvelle-Calédonie sort d’un troisième référendum d’autodétermination et travaille à la définition d’un statut qui ne sera pas seulement juridique : il s’agit d’élaborer un nouveau cadre de vie commune et des règles de fonctionnement de l’économie. Les acteurs sont dans une phase d’échanges compliquée et exigeante, qui demande beaucoup de rigueur. Il faut leur laisser l’initiative de cette réflexion. C’est non pas dans le cadre de cette commission d’enquête mais dans celui de la construction du futur statut de Nouvelle-Calédonie qu’il faudra s’interroger sur la manière de traiter le sujet qui nous préoccupe ce matin.
Très bien ! La parole est à Mme Maud Petit. Je vais retirer l’amendement du groupe Dem, monsieur le rapporteur, car le vôtre est beaucoup mieux rédigé. En tout cas, je vous remercie d’avoir rappelé que mon groupe était à l’origine de cette réflexion. S’agissant de la Nouvelle-Calédonie, rien n’empêchera de faire bénéficier ce territoire des propositions issues des travaux de la commission, même s’il n’y est pas intégré.
(L’amendement no 2 est retiré.) La parole est à M. Roger Chudeau. L’argumentaire du rapporteur, consistant à faire du juridisme de base en disant que la Nouvelle-Calédonie possède un statut particulier, est absurde et juridiquement intenable. Quant au collègue Vuilletet, il évoque le référendum, qui n’a absolument rien à voir avec la vie chère. Je suis scandalisé par votre refus d’intégrer la Nouvelle-Calédonie dans cette commission d’enquête. Y êtes-vous déjà allé ? Pour ma part, j’y vais souvent car j’y ai de la famille. La description de la vie chère, qui a été faite à la tribune ou sur les bancs, correspond parfaitement à la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Le fond du sujet est la vie chère, pas du juridisme ou le référendum. Il est donc invraisemblable et indéfendable que la Nouvelle-Calédonie soit exclue de la commission d’enquête. Si le sous-amendement est rejeté, je peux vous assurer que les Néo-Calédoniens sauront où sont leurs amis dans cet hémicycle.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
(Le sous-amendement no 9 n’est pas adopté.)
(L’amendement no 7 est adopté.) La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 5. Même s’il a été déposé en mon nom, il a été rédigé à l’initiative de notre collègue Jean-Hugues Ratenon – il faut rendre à César ce qui appartient à César. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.) Bien que sa demande soit satisfaite, j’ai souhaité lui donner raison. L’amendement vise donc à prévoir dans la proposition de résolution que la commission d’enquête sera chargée non seulement d’établir un diagnostic, mais surtout de formuler des préconisations et de proposer des solutions pour remédier à la cherté de la vie dans les territoires concernés. La parole est à Mme Mathilde Panot. Je tiens d’abord à remercier les élus du groupe Socialistes et apparentés, notamment notre collègue Johnny Hajjar, d’avoir proposé la création de cette commission d’enquête. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.)
L’amendement no 5, qui prévoit que la commission sera chargée de proposer des solutions, est important, car les territoires dits d’outre-mer sont, par bien des aspects, aux avant-postes de la République : en matière de dérèglement climatique, puisqu’ils sont les premiers à subir l’intensification et la multiplication des événements climatiques extrêmes ; en matière d’accès à l’eau, comme en témoigne le long combat mené par plusieurs collègues ici présents en faveur du droit à l’eau pour tous ; mais aussi en matière de pauvreté, de chômage et de vie chère.
Il est très important d’apporter des solutions à toutes ces questions, car ce que subissent nos compatriotes d’outre-mer – avec tout ce que cela implique d’injustices et de souffrances –, nos concitoyens le vivent aussi de plus en plus fortement dans l’Hexagone.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Rappelons simplement que 117 communes ont été privées d’eau cet été et que la vie chère frappe durement les Français dans la crise que nous traversons. Je fais ce constat, non pas pour suggérer que les situations sont comparables, mais pour souligner que les solutions qui seront avancées par la commission d’enquête éclaireront – je l’espère – l’ensemble de la nation et œuvreront à l’égalité de toutes et tous dans le pays. (Mêmes mouvements.)
C’est pour cette raison que les territoires dits d’outre-mer sont aux avant-postes de la République et qu’ils peuvent montrer la voie à suivre pour garantir le droit à l’eau et la dignité. J’espère que les travaux de la future commission d’enquête feront, enfin, trembler un peu les profiteurs de crise.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – Mme Marie-Charlotte Garin et M. le rapporteur applaudissent également.)
(L’amendement no 5 est adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 8, qui fait l’objet d’un sous-amendement, no 10. Il vise simplement à intégrer dans le titre du texte les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. Sur le sous-amendement no 10, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Hélène Laporte, pour soutenir le sous-amendement no 10.
Il s’agit une nouvelle fois d’inclure dans le texte la Nouvelle-Calédonie, qui en est pour l’heure écartée sans raison. Le scrutin public permettra ainsi de savoir ce qui prime réellement : la Nouvelle-Calédonie ou votre sectarisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Quel est l’avis de la commission ? Je n’accorderai aucune importance au qualificatif employé par ceux qui défendent ce sous-amendement. C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit ! C’est la seule raison qui explique votre refus de le voter ! Nous ne sommes pas au théâtre. C’est vous qui dites cela ? Je ne cherche pas à opposer les collectivités ultramarines entre elles. C’est pourtant ce que vous faites ! J’insiste sur la nécessité de ne pas affaiblir le contenu du texte ni le travail qui a été mené au bénéfice des territoires ultramarins régis par les articles 73 et 74 de la Constitution. Il y a donc des sous-citoyens ultramarins ? C’est scandaleux ! En revanche, afin que chacun puisse s’y retrouver, je rappelle que tous les groupes disposent d’un droit de tirage leur permettant de proposer la création d’une commission d’enquête. Rien ne vous empêche donc de formuler une telle demande pour la Nouvelle-Calédonie – qui, encore une fois, est régie par un titre spécifique de la Constitution –, afin que nous menions le travail le plus productif et efficace possible, sans oublier aucun territoire ultramarin. C’est vous qui les oubliez ! Je demande donc le retrait du sous-amendement. À défaut, j’émettrais un avis défavorable, afin d’éviter tout grand écart et de soutenir l’ensemble des territoires régis par les articles 73 et 74 – qui relèvent du titre XII de la Constitution, et non, contrairement à la Nouvelle-Calédonie, d’un titre différent. Ce seraient donc des sous-citoyens ? Je mets aux voix le sous-amendement no 10.
(Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 183
Nombre de suffrages exprimés 178
Majorité absolue 90
Pour l’adoption 43
Contre 135
(Le sous-amendement no 10 n’est pas adopté.)
(L’amendement no 8 est adopté.)
Dans les explications de vote, la parole est à Mme Karine Lebon. Le chanteur Thierry Gauliris, du groupe Baster, disait, dans le morceau Mon Liberté : « Quan moin l’été ptit, Moin l’été misére. Zordi, moin lé chomére » – « Quand j’étais petit, Je vivais dans la misère. Aujourd’hui, je suis chômeur. » Cet état de fait, chanté en 1993, reste largement d’actualité aujourd’hui à La Réunion.
Il est très facile de demander aux ultramarins d’aimer la République, alors même que celle-ci ne nous rend que très rarement l’amour que nous lui portons. J’appelle votre attention sur l’absence révélatrice de membres du Gouvernement : même s’il est vrai que leur présence au banc n’est pas obligatoire, ce choix dénote un désintérêt choquant.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Nos concitoyens ultramarins peinent à accepter les paroles moralisatrices d’un gouvernement qui, lorsque nous demandons le droit à la différence, nous reprend en proclamant haut et fort le principe d’égalité avec l’Hexagone ; mais qui, en même temps, lorsque nous demandons à bénéficier d’une égalité de revenus, de prix et de traitement, justifie la différence que nous subissons par notre éloignement. Je rappelle que, hors inflation, les prix des produits alimentaires à La Réunion sont supérieurs de 28 % à ceux pratiqués dans l’Hexagone. La France ne serait-elle pas si « une et indivisible » qu’on le prétend ? N’avons-nous d’endémique que notre pauvreté et nos problèmes ?
Ces inégalités sont à la base même du manque de confiance et de la déconnexion entre nos populations et la République. La création d’une commission d’enquête chargée d’étudier et d’évaluer l’ensemble des mécanismes qui concourent au coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer est une nécessité. Nous voterons en faveur de ce texte.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) La parole est à Mme Nathalie Bassire. Je tiens d’abord à remercier M. le rapporteur ainsi que les membres du groupe Socialistes et apparentés d’avoir proposé la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer.
Comme nombre de nos collègues l’ont souligné, les causes de la vie chère sont connues et multiples. Les coûts de transport et de logistique pour acheminer les produits entraînent, quoi que certains en disent, des prix très élevés. En outre, la faible concurrence crée une opacité presque totale sur les marges, parfois abusives, réalisées par certains acteurs économiques : il nous faudra également étudier cette question.
L’amendement no 5 déposé par le rapporteur à l’initiative de Jean-Hugues Ratenon permettra, par exemple, d’appliquer une préconisation de l’Autorité de la concurrence en créant une centrale d’achat régionale, sous la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (Scic), avec l’appui non seulement des collectivités locales, mais également de l’État, des consommateurs et des commerçants. Une telle initiative ne viserait nullement à supplanter le BQP, mais à lutter contre la vie chère en permettant aux petits commerçants de se concentrer sur des produits aux prix très compétitifs.
Nous voterons bien évidemment des deux mains en faveur de cette proposition de résolution.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs du groupe LR. – M. le rapporteur applaudit également.) La parole est à M. Guillaume Vuilletet. Sans surprise, le groupe Renaissance votera en faveur de cette proposition de résolution. Je tiens simplement à souligner qu’il n’y a pas lieu de faire de procès d’intention au Gouvernement : le ministre délégué chargé des outre-mer se trouve actuellement au Sénat, l’exécutif n’a émis aucun avis négatif sur ce texte et la majorité est présente pour le soutenir. Il convient désormais de travailler pour résoudre les problèmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. le rapporteur applaudit également.) La parole est à M. Perceval Gaillard. Aucune voix ne doit ni ne peut manquer pour adopter cette proposition de résolution. Nous tenons tout d’abord à saluer, comme d’autres l’ont fait, l’initiative de nos camarades du groupe Socialistes et apparentés, qui ont décidé d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de leur journée de niche parlementaire.
De nombreux rapports et missions d’informations ont déjà été consacrés à la question de la vie chère dans les outre-mer. Nous connaissons la réalité de ces territoires. Ce que les peuples attendent désormais, ce sont des mesures de nature à contraindre à la transparence les acteurs privés qui profitent de leur situation monopolistique ou oligopolistique.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES. – M. le rapporteur applaudit également.)
Cela a été souligné : si la France est une puissance maritime et spatiale et si elle abrite 10 % de la biodiversité mondiale, c’est grâce aux outre-mer. La République française ne peut pas faire comme si aucun peuple n’y vivait. Alors je vous le demande très simplement : votez pour cette proposition de résolution et aidez-nous dans notre combat quotidien contre la vie chère dans ces territoires. Le groupe La France insoumise-NUPES votera en faveur de ce texte.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – Mmes Karine Lebon et Marie-Charlotte Garin ainsi que M. le rapporteur applaudissent également.) La parole est à Mme Maud Petit. D’un mot, je tiens à souligner l’intérêt que nous portons à la proposition de notre collègue Johnny Hajjar, que je remercie à nouveau, au nom du groupe Dem, pour son travail. J’appelle également chacun à la bienveillance : nous sommes tous d’accord pour avancer intelligemment afin de trouver des solutions pour lutter contre la cherté de la vie dans les territoires et collectivités d’outre-mer. Notre groupe, à l’instar de la majorité dans son ensemble, votera en faveur de cette proposition de résolution, comme le lui dicte sa conscience et dans un esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe RE.)
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de résolution.
(Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 263
Nombre de suffrages exprimés 263
Majorité absolue 132
Pour l’adoption 263
Contre 0
(L’article unique est adopté à l’unanimité, ainsi que l’ensemble de la proposition de résolution.)
(Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent.)
La parole est à M. le rapporteur. Je remercie l’ensemble des collègues présents dans l’hémicycle. Le travail ne fait que commencer mais ce vote, qui prend en considération le besoin, réel, d’une commission d’enquête, est un signal important pour nos peuples et pour nos territoires. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, RE, LFI-NUPES, Dem, Écolo-NUPES, GDR-NUPES et LIOT.)
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Fatiha Keloua Hachi et plusieurs de ses collègues visant à garantir un tarif réduit aux étudiants boursiers et précaires dans les sites de restauration gérés par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (nos 659, 805).
La parole est à Mme Fatiha Keloua Hachi, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. « Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ? » Par ces mots, Victor Hugo, dans le poème Melancholia , dénonçait le travail des enfants. Autre époque, autre combat : aujourd’hui je suis devant vous pour dénoncer la précarité alimentaire de nos étudiants.
Le 1er février, devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je défendais ma proposition de loi visant à assurer un repas à 1 euro à tous – je dis bien tous – les étudiants. Dans sa rédaction d’origine, cette proposition de loi permettait à tous les étudiants, de manière universelle, de se nourrir pour 1 euro, dans l’ensemble des sites de restauration du réseau des œuvres universitaires.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Alors même que ce texte était une proposition de bon sens – palliative certes, mais à la hauteur de l’urgence –, la majorité, soutenue par le groupe Les Républicains, a choisi de le dévitaliser. À l’ouverture d’un droit universel, ils ont préféré le principe de la différenciation des tarifs : les boursiers, les précaires et les autres. Cette différenciation, déjà appliquée aujourd’hui, n’est pas suffisante. Par ailleurs, la rédaction choisie ne fixe aucun tarif dans la loi. Aujourd’hui ce tarif minoré s’élève à 1 euro. Or qui peut prédire, avec l’inflation galopante, que, demain, il ne va pas doubler, voire tripler ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LFI-NUPES.) Bravo ! En outre, les modifications de la majorité reviennent sur le principe fondamental de ma proposition de loi : son caractère universel. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Permettez-moi de vous rappeler quelques faits qui font écho à ces images insupportables de files interminables de jeunes affamés dont nous sommes tous spectateurs. Selon les données recueillies par l’Observatoire national de la vie étudiante en 2021, 18 % des étudiants ne mangent pas à leur faim. Attardons-nous sur ce constat, qui porte sur la France d’aujourd’hui. Comment, dans une société comme la nôtre, attachée aux valeurs de solidarité, pouvons-nous accepter que près d’un étudiant sur cinq ne puisse répondre à ses besoins alimentaires fondamentaux ?
Si la cruauté de cette situation a été mise en lumière pendant la crise sanitaire, marquant ainsi une étape dans la prise de conscience collective, cette réalité existait déjà auparavant. Les acteurs du monde associatif tels que le Secours populaire et les Restaurants du cœur avaient déjà constaté la présence de nombreux jeunes et étudiants lors de leurs distributions alimentaires. Or nous ne pouvons admettre que les étudiants aient atteint un tel niveau de pauvreté ni rester sans agir en tant que parlementaires.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Elle a raison ! À la suite de la crise sanitaire, de nouveaux mécanismes de solidarité ont été instaurés en faveur des étudiants, trop souvent à leur propre initiative. Des associations comme Cop1 sont apparues, prenant une place considérable dans la distribution d’aide alimentaire d’urgence. D’autres organisations, comme les syndicats étudiants Unef, Fage ou l’Alternative, ont poursuivi leurs actions.
Face à la gravité de la situation sanitaire et sociale, le gouvernement précédent avait abaissé le tarif des repas servis dans les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), le faisant passer de 3,30 euros à l euro pour les boursiers en septembre 2020. Le bénéfice de cette mesure a été étendu à l’ensemble des étudiants entre janvier et juin 2021, mais le Gouvernement a ensuite de nouveau restreint le dispositif en réservant ce tarif aux seuls étudiants boursiers ou identifiés comme précaires par les services sociaux des Crous.
Cette limitation me semble injustifiée car les files devant les banques alimentaires ne désemplissent pas, car la précarité étudiante ne s’est pas arrêtée, car notre système d’aides sociales ne permet pas aux étudiants de se concentrer sur leurs études en vivant dignement.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Louis Boyard applaudit également.) Notre jeunesse attend des dispositifs durables et non plus des mesures de circonstance. C’est pourquoi je vous propose de rétablir la tarification en vigueur durant le second semestre de l’année universitaire 2020-2021 et d’en étendre l’application à tous les points de vente gérés et agréés par les Crous, en redonnant à ce texte sa portée d’origine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LFI-NUPES.) Très bien ! Pour ne pas réinstaurer le repas à 1 euro pour tous les étudiants, la majorité avançait, la semaine dernière, l’argument des conditions exceptionnelles de la crise sanitaire. Pourtant la période actuelle est marquée par un taux d’inflation inédit depuis quarante ans : augmentation annuelle de plus de 12 % du coût des produits alimentaires, hausse de près de 15 % du prix de l’énergie. Cela ne vous semble-t-il pas d’une gravité comparable à celle des effets de la crise sanitaire pour nos étudiants ? Si vous en doutez, alors il suffit de vous rendre dans les distributions alimentaires organisées par les associations que j’ai mentionnées. Exactement ! La possibilité offerte aux boursiers et à certains étudiants précaires de se nourrir pour 1 euro n’a absolument pas réduit le nombre de bénéficiaires de ces distributions, lesquelles ne cessent de croître, se substituant au service public. Si je salue l’engagement des associations, je tiens tout de même à déplorer qu’elles soient nécessaires puisque cela témoigne de l’impuissance du service public.
Lors de ces distributions, j’ai rencontré à plusieurs reprises des étudiants non boursiers qui m’ont confié leurs difficultés à faire reconnaître leur situation pour bénéficier de repas à 1 euro. Face au durcissement du coût de la vie, la réponse du Gouvernement pour améliorer la situation des étudiants me semble, vraiment, très insuffisante même si les bourses sur critères sociaux ont été revalorisées de 4 %, un montant qui reste inférieur au taux de l’inflation, lequel a atteint 6 % en 2022. Montants insuffisants, public restreint, calcul des bourses basé sur le foyer fiscal des parents : notre système de bourses est désuet.
Dans un tel contexte, quel message souhaitons-nous envoyer aux étudiants ? Du côté des socialistes, nous sommes prêts – nous l’étions déjà sous la précédente législature – à œuvrer pour la condition étudiante, à proposer des mesures universelles, à réformer les bourses, et, d’ores et déjà, à permettre à tous les étudiants, boursiers ou non, de bénéficier de repas à 1 euro.
La majorité justifie la dévitalisation de ma proposition de loi par le fait que, pour certains étudiants, le repas à 1 euro ne constitue pas une nécessité. Soyons très clairs : non, les étudiants aisés ne font pas la queue pendant quarante-cinq minutes au Crous quand ils ont une heure de pause pour déjeuner, même si le repas est à 1 euro.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – MM. Louis Boyard et Benjamin Lucas applaudissent également.) Leurs conditions de vie leur permettent de manger autrement, des plats plus chers mais plus diversifiés et servis plus rapidement.
La généralisation d’un repas au prix plafonné à 1 euro pour tous les étudiants revient simplement à instaurer un tarif unique pour supprimer les différences de traitement entre étudiants
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Benjamin Lucas applaudit également) , à proposer une mesure universelle, à inscrire dans la loi un tarif qui ne pourra être revu, à obtenir une première avancée en matière de lutte contre la précarité des étudiants. Par-dessus tout, en généralisant le repas à 1 euro, nous montrerions à nos étudiants que nous les soutenons.
Dans l’immédiat, la version du texte que je vous propose de rétablir a le mérite de constituer une mesure palliative d’urgence. Elle a déjà été appliquée dans le passé et apporterait une première réponse à la précarité alimentaire. Cette proposition de loi constitue aussi un appel à renforcer les moyens alloués aux Crous, aujourd’hui sous-dotés – nous le savons. Des territoires souffrent d’un manque de points de vente des Crous, tout particulièrement les villes moyennes et les zones rurales, souvent synonymes de campus délocalisés, qui n’ont accès qu’à de faibles services universitaires.
Il est temps de prendre la mesure de la situation. Souhaitons-nous nous cacher derrière des mesures de circonstance ou sommes-nous prêts à faire avancer durablement la lutte contre la précarité étudiante ? Chers collègues, êtes-vous prêts à ce que ce jeudi 9 février marque une avancée considérable pour nos étudiants grâce à l’adoption de cette proposition de loi ? Je crois que nous en sommes capables. Soyons à la hauteur de notre jeunesse et de nos étudiants pour assurer notre avenir et surtout le leur.
(Mmes et MM. les députés du groupe SOC se lèvent et applaudissent. – Les députés des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES applaudissent également.) La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je tiens tout d’abord à vous remercier pour l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre séance. Vous l’avez dit, elle offre l’occasion de parler et de débattre ensemble des conditions de vie et d’études de nos étudiants. Cette question est primordiale car, d’une part, lorsqu’on parle des étudiants, on parle de notre avenir. (Mme Caroline Parmentier s’exclame.) C’est d’eux que viendront les solutions pour demain et c’est à eux qu’appartient une grande mission, celle de changer le monde. D’autre part, leurs conditions de vie ont un impact direct sur la réussite de leurs études. Enfin, ces dernières années, ils ont dû faire face, comme l’ensemble de nos concitoyens, à des crises difficiles. Je pense, bien sûr, à la crise sanitaire mais également à la crise géopolitique que nous connaissons aujourd’hui et à l’inflation qu’elle entraîne.
Face à ces crises, le Gouvernement a toujours répondu présent et s’est toujours tenu aux côtés des étudiants.
C’est faux ! Et la baisse des 5 euros de l’aide personnalisée au logement ? C’est d’ailleurs la crise sanitaire qui a donné naissance au repas à 1 euro, une bonne initiative, une mesure de crise, conçue pour répondre à une situation exceptionnelle. Et c’est l’inflation qui a justifié, sous l’impulsion de la Première ministre, que nous prenions les mesures d’urgence, appliquées dès la rentrée 2022, en faveur du pouvoir d’achat des étudiants, lesquels ont par ailleurs bénéficié des autres mesures destinées à l’ensemble des Français. Ainsi, les bourses sur critères sociaux, vous l’avez dit, ont été revalorisées de 4 %,… On est en dessous de l’inflation ! …une hausse qui s’est ajoutée aux revalorisations décidées lors du précédent quinquennat et qui a concerné tous les échelons de bourse. S’y est ajoutée l’aide exceptionnelle de solidarité, d’un montant de 100 euros, versée à la rentrée non seulement aux étudiants boursiers sur critères sociaux mais aussi à tous les étudiants bénéficiaires d’une aide annuelle des Crous et d’une aide personnalisée au logement (APL). Je citerai aussi le gel, pour tous les étudiants, des droits d’inscription à l’université et des loyers en résidence universitaire. Je pense également aux mesures de lutte contre la précarité menstruelle, à l’extension du bénéfice du pass’sport aux étudiants boursiers et à l’ensemble des mesures annoncées par le Gouvernement qui, si elles ne visent pas spécifiquement les étudiants, les concernent également – comme l’augmentation de 3,5 % de l’APL. Moins que l’inflation ! Je pense aussi bien sûr au maintien, pour toute l’année universitaire 2022-2023, du repas à 1 euro pour les étudiants boursiers et précaires, ce qui représente une économie mensuelle d’environ 100 euros si le repas est pris midi et soir.
J’ai également annoncé, en fin d’année dernière, avec le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, une aide de 10 millions d’euros accordée aux associations d’aide alimentaire à destination des étudiants.
Cette enveloppe d’urgence soutient les associations…
Qui va pouvoir s’engager dans les associations après la réforme des retraites ? …qui agissent en faveur des étudiants les plus précaires pour compléter l’offre alimentaire au plus près de leurs besoins et améliorer les réseaux de distribution. Elle permet de renforcer les liens entre les associations étudiantes, les établissements d’enseignement supérieur et bien sûr les acteurs locaux de la solidarité ainsi que les collectivités territoriales, mais aussi de couvrir plus particulièrement les sites dans lesquels l’offre de restauration est actuellement insuffisante. Nous continuons de développer des solutions pour les étudiants éloignés des sites de restauration des Crous puisque pour eux, le repas servi dans les Crous, qu’il soit à 3,30 euros – le tarif solidaire – ou à 1 euro, n’est pas une solution. C’est pourquoi nous développons plusieurs outils, comme cette enveloppe d’urgence à destination des associations avec lesquelles le ministère travaille ou encore le conventionnement. Le budget dédié aux conventions a augmenté de 33 % dans la loi de finances pour 2023. Dans cette même loi, nous avons renforcé les moyens des Crous pour leur permettre notamment d’embaucher plus de travailleurs sociaux : ils sont ainsi quarante de plus à être recrutés cette année. Quarante ? Oh là là ! C’est une augmentation de 20 % des effectifs, que nous ciblons prioritairement là où les besoins sont les plus importants.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement agit. Vous nous proposez aujourd’hui, par cette proposition de loi, d’aller plus loin.
Plus fort ! Plus vite ! Telle qu’elle a été réécrite en commission, la proposition de loi vise à inscrire dans la loi le principe d’une tarification minorée pour les étudiants boursiers et pour les étudiants précaires. J’y suis favorable.
Cela me donne l’occasion de rappeler qu’existe déjà, pour tous les étudiants et sans condition de ressources, une tarification sociale à 3,30 euros, dont le montant est gelé depuis 2019. Et j’ai souhaité maintenir, pour l’année universitaire 2022-2023, une tarification que vous me permettrez de qualifier de « très sociale » pour les étudiants les plus en difficulté. Le texte inscrit le principe des deux tarifications, l’une sociale et l’autre très sociale, dans la loi. C’est tout le sens de notre modèle de solidarité nationale : aider celles et ceux qui en ont le plus besoin. Nous pouvons être fiers de l’offre de restauration sociale proposée à nos étudiants qui, complétée par l’offre de logements Crous et par le système de bourses sur critères sociaux, est unique en Europe.
Mais je rejoins les signataires de cette proposition de loi sur le fait que nous devons continuer de renforcer notre action en faveur de l’amélioration des conditions de vie des étudiants. C’est la raison pour laquelle, dès mon arrivée au ministère, j’ai lancé une réflexion globale sur les enjeux de la vie étudiante, qui concerne aussi bien la réforme des bourses sur critères sociaux que la restauration étudiante. Dès le mois d’octobre, j’ai nommé un délégué ministériel, Jean-Michel Jolion, afin qu’il mène une concertation nationale sur ces sujets. J’aurai très prochainement un premier rapport d’étape, qui devrait nous permettre d’esquisser les premières pistes d’amélioration que nous pourrions concrétiser dès la rentrée universitaire 2023. S’agissant de la question du logement étudiant, je travaille étroitement avec le ministre Olivier Klein et nous avons reçu conjointement hier un ancien député et ancien président d’université reconnu pour son travail sur ce sujet, M. Richard Lioger, qui nous aidera à identifier le foncier disponible afin de faciliter le renforcement de l’offre de logements étudiants.
Enfin, je tiens à dire un mot d’une difficulté qui n’est pas propre aux étudiants puisqu’elle concerne plus largement l’ensemble de nos concitoyens et de notre système de solidarité : le non-recours aux droits. Je sais que beaucoup d’entre vous sont attachés à lutter contre le phénomène. C’est un des combats que mène le Président de la République et dans lequel je suis pleinement engagée. Je continuerai d’agir pour que tous les étudiants bénéficient d’une information complète sur les dispositifs auxquels ils peuvent prétendre.
Mesdames, messieurs les députés, j’ai eu l’occasion de le dire à certains d’entre vous lorsque je suis venue en commission vous présenter ma feuille de route : dès mon arrivée au ministère, j’ai souhaité placer la vie étudiante au cœur de notre politique d’enseignement supérieur et au cœur de mon action. L’examen de cette proposition de loi est l’occasion pour moi de le réaffirmer devant vous. Je tiens à vous remercier par avance pour les débats que nous allons mener sur ce sujet d’importance qu’est l’offre de restauration pour les étudiants. Je sais qu’ils seront de qualité. Je sais également qu’ils pourront être animés parce que le sujet nous tient tous à cœur et que nous entendons le traiter avec conviction. Je sais que votre engagement pour l’amélioration des conditions de vie de nos étudiants est, comme le mien, sincère et entier.
(Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Mme la présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation applaudit également.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Boris Vallaud. Je voudrais d’abord remercier notre collègue Fatiha Keloua Hachi pour son initiative et pour l’attention qu’elle porte aux conditions de vie des étudiants, se rendant partout en France auprès de ceux qui souffrent et dont nous sommes les témoins obligés autant qu’accablés. (M. Benjamin Lucas applaudit.) Il y a quelques mois à peine, au cœur de la crise de la covid, elle et moi avons vu les rangs du public des banques alimentaires se grossir de visages sans rides, mais sans sourire, ceux d’une jeunesse désœuvrée qui avait faim. Nous retrouvions dans ces cohortes des images qui faisaient froid dans le dos, celles des pauvres faisant, pendant la crise de 1929, la queue devant les soupes populaires. Et nous en avions conçu une inextinguible honte. Nous sommes retournés, il y a quelques semaines, dans des banques alimentaires. Fatiha Keloua Hachi a poursuivi une tournée auprès des épiceries sociales et des Crous, et on peut malheureusement faire le constat que ce que nous avions imaginé voir disparaître avec la fin de la covid, le déconfinement et les mesures prises par le Gouvernement, perdure. Nous espérions trouver des établissements vides, mais ils étaient remplis de cette jeunesse toujours désœuvrée et toujours placée devant la difficulté de se nourrir convenablement plusieurs fois par jour. Nous avons croisé là beaucoup d’étudiants et de jeunes travailleurs, et plus encore d’étudiantes, lesquelles devaient représenter les trois quarts de ce public. Il y avait aussi beaucoup d’étudiants étrangers qui, eux, n’ont pas bénéficié du gel des frais d’inscriptions à l’université puisque la politique du Gouvernement a été de les augmenter considérablement pour eux. C’est vrai ! En dépit de ce qui a été fait, la réalité objective est accablante : une grande partie de notre jeunesse, y compris de nos étudiants, a encore aujourd’hui faim. Voilà pourquoi le groupe Socialistes et apparentés a proposé un texte visant à généraliser le repas à 1 euro, ce qui s’accommode assez mal avec le texte issu des travaux de la commission, qui réduit notre proposition à pas grand-chose… Eh oui ! …puisqu’il la découd quasiment intégralement. Nous tenons pourtant particulièrement à cette généralisation, et ce pour plusieurs raisons.
Au préalable, vous-même venez de l’évoquer, je rappelle que beaucoup de jeunes ne connaissent pas leurs droits. Le non-recours est un fléau social que nous devons les uns et les autres combattre d’urgence. C’est le rouge de la honte au front que les étudiants vont grossir les rangs du public des banques alimentaires.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) Il n’est en effet jamais facile de dire à ses camarades qu’on a faim, qu’on a froid, qu’on éprouve des difficultés à se loger, faute de pouvoir compter sur la solidarité familiale ni même nationale. Parfois, cette jeunesse n’ose pas même demander de l’aide aux parents parce qu’elle est traversée par un désir éperdu d’émancipation ; c’est l’entrée dans l’âge adulte, le moment où chacun choisit son chemin. Le grand Jaurès l’a dit : « Une fois émancipé, tout homme cherchera lui-même son chemin. » C’est cette liberté que nous voulons donner à la jeunesse par ce repas à 1 euro.
J’entends qu’il y aurait une injustice à ouvrir à tous les étudiants, sans condition de ressources, ce droit au repas à 1 euro. Mais, pour paraphraser Goethe, j’estime qu’il vaut mieux une petite injustice qu’un grand désordre. Or c’est bien un grand désordre quand une partie de la jeunesse ne se nourrit pas à sa faim, est obligée de sauter des repas, ne parvient pas à remplir son frigo
(Mêmes mouvements) Il a raison ! …et confesse devoir se rendre dans les banques alimentaires, alors que le système porte en bandoulière la suspicion – d’où le non-recours aux droits. Et puis je préfère des droits pour tous aux allocations pour certains. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.) Je crois par ailleurs que les étudiants riches, s’il en existe, ne se précipiteront pas dans les restaurants des Crous parce que le prix aura été abaissé de 3,30 euros à 1 euro. (Mêmes mouvements.) Bien sûr ! La vérité, c’est qu’ils vont de toute façon déjeuner ailleurs.
La vie est difficile pour nos étudiants. Et cette proposition de loi universaliste est aussi une façon de soulever la question de la défamilisation, celle de l’autonomie et des moyens d’existence de cette jeunesse à qui nous passons le flambeau sans lui donner la capacité de le porter haut face à un avenir difficile. Ce texte, pour Fatiha Keloua Hachi et pour beaucoup de ceux qui soutiennent sa démarche, est un premier pas vers la réalisation d’un idéal, celui d’un futur heureux pour notre jeunesse.
Chers collègues, nous devons faire la démonstration de notre préférence pour la solidarité nationale par rapport à la solidarité familiale. Heureusement que cette dernière existe, mais elle est d’une certaine façon injuste. Nous pouvons faire œuvre utile, servir le bien commun et dire à la jeunesse qu’à chaque fois que l’on pense à elle, on pense à l’avenir.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) La parole est à Mme Anne Le Hénanff. Dans le contexte de crise énergétique et d’inflation que nous connaissons, particulièrement pour les denrées alimentaires, il est important que notre assemblée et le Gouvernement agissent en faveur des conditions de vie de nos étudiants. C’est pourquoi je me réjouis de l’examen de la présente proposition de loi visant à garantir un tarif réduit aux étudiants boursiers ou précaires dans les sites de restauration gérés par les Crous. Je tiens à saluer le travail mené au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation par Mme la rapporteure et par les députés de la majorité présidentielle, mais aussi les échanges qui ont eu lieu dans l’ensemble des groupes.
Initialement, le groupe Socialistes et apparentés avait déposé une proposition de loi visant à assurer un repas à 1 euro pour tous les étudiants, sans aucune condition de ressources. Mais nous, députés de la majorité, avons considéré qu’une telle mesure contreviendrait au principe de justice sociale cher à notre pays puisqu’elle concernerait tous les étudiants et non pas seulement les plus défavorisés, ceux qui sont le plus dans le besoin. L’amendement adopté par les représentants de l’ensemble des groupes de la majorité a permis de rectifier cette généralisation du repas à 1 euro pour tous les étudiants et, madame la rapporteure, nous avons constaté avec satisfaction que vous en teniez compte en modifiant le titre et le contenu de la proposition de loi. Nous découvrons aujourd’hui que votre premier amendement revient sur cette évolution pour retrouver le sens du texte initial ; dont acte !
Les groupes de la majorité sont soucieux de proposer des textes utiles et efficaces.
Ça reste à voir ! C’est pourquoi nous préférons pérenniser, en l’inscrivant dans la loi, le dispositif actuel de tarif réduit en priorité pour les étudiants boursiers ou précaires. De plus, nous avons identifié la nécessité de renforcer l’accès des étudiants à l’information car nombre d’entre eux méconnaissent malheureusement le dispositif leur permettant de bénéficier de la tarification réduite dès l’inscription dans leur établissement.
Je tiens à rappeler que la France est le seul pays européen qui propose aux étudiants un repas complet au prix réduit de 3,30 euros partout sur le territoire, tarif maintenu depuis 2019. Et nous pouvons en être fiers, madame la ministre.
Le Gouvernement a toujours fait des conditions de vie des étudiants une priorité, en prenant rapidement des mesures fortes, que ce soit lors de la crise sanitaire – je pense à l’instauration du repas à 1 euro pour les étudiants boursiers à la rentrée 2020, puis pour tous les étudiants lors du second semestre 2020-2021 – ou l’été dernier, lorsque, pour les aider à faire face à l’inflation, il a décidé la revalorisation des bourses, l’augmentation des aides personnelles au logement, le gel des loyers des résidences gérées par les Crous, etc.
Il nous faut désormais aller vers les étudiants précaires, qui méconnaissent encore trop souvent leurs droits. Nous devons les informer qu’ils ont la possibilité de demander auprès du Crous à bénéficier de ce tarif réduit. Il nous faut les accompagner dans leur démarche – 44 assistantes sociales vont d’ailleurs être recrutées. Il m’a été indiqué en commission que c’était peu ; ce à quoi je réponds que c’est un début…
Ben voyons ! …et qu’un accompagnement fin dans les territoires est la clé de la réponse aux attentes des étudiants fragilisés. C’est vous qui les avez fragilisés ! Les critères d’éligibilité au repas à 1 euro sont différents de ceux qui sont appliqués pour les demandes de bourses : ils sont strictement liés aux conditions de vie de l’étudiant seul et non à celles de ses parents ou de sa famille. Il est à noter que les élèves en situation précaire qui font des demandes d’aides reçoivent une réponse rapide et que 80 % de ces demandes sont acceptées. Les refus sont surtout dus à des dossiers mal remplis. C’est leur faute. Heureusement que vous êtes là pour leur expliquer la vie ! C’est pourquoi il importe d’assurer un véritable accompagnement personnalisé et un suivi, plutôt que de généraliser le dispositif. En fait, il n’y a plus d’étudiants précaires ! Mais laissez-la parler ! Qu’elle cesse d’être insultante ! Nous pensons qu’une action particulière doit être menée pour faire connaître davantage le dispositif auprès des étudiants précaires ; c’est l’objet de l’amendement que le groupe Horizons proposera lors de la discussion des articles.
Par ailleurs, un plan ambitieux en faveur de l’amélioration des conditions de vie des étudiants sera prochainement présenté. Des consultations sont en cours ; elles se prolongeront jusqu’à la fin du mois et aboutiront à la présentation de différents scénarios prenant notamment en compte les critères d’attribution des bourses, les logements, la mobilité et la restauration, pour une application dès la rentrée de l’année universitaire 2023-2024. Car c’est bien de manière globale qu’il faut appréhender la condition étudiante, et non en privilégiant un seul de ses aspects.
Aussi le groupe Horizons ne votera-t-il pas l’amendement du groupe Socialistes et apparentés qui vise à revenir à la première mouture du texte. Il défendra, en revanche, un amendement identique à ceux des groupes Renaissance et Démocrate qui tendent à inscrire dans la loi l’obligation d’informer tout étudiant de l’existence du tarif à 1 euro.
(Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.) La parole est à M. Jean-Claude Raux. Nous tenons à remercier le groupe Socialistes et apparentés d’avoir choisi de placer ce matin la question de la jeunesse au cœur de nos débats dans cet hémicycle. L’extension du bénéfice du repas à 1 euro à tous les étudiants est tout aussi nécessaire qu’humaine,… Il a raison ! …mais la majorité en a décidé autrement.
Au-delà des discours politiques et des divers engagements, rarement tenus, du Gouvernement, ce que retient notre jeunesse du précédent quinquennat, c’est qu’elle en a été la grande oubliée, au point, d’ailleurs, qu’elle a elle-même littéralement oublié d’aller voter lors des dernières élections puisque, il faut nous en souvenir, les législatives de 2022 ont été marquées par l’abstention massive des 18-24 ans. On reproche aux jeunes de se désintéresser de la politique, de ne pas suffisamment s’engager. Mais, dès lors qu’aucune politique d’envergure en faveur de la jeunesse n’est menée, dès lors qu’aucun signal ne leur est adressé, qui peut oser leur jeter la pierre ?
Oubliés, ils sont désormais sacrifiés car, à l’heure où nous débattons des retraites, ils figurent bien sûr parmi les grands perdants de la réforme – un signal négatif de plus ! Nous savons la jeunesse cernée par les incertitudes, en proie à l’éco-anxiété ; l’héritage que nous leur laisserons ne sera pas le moins lourd à porter, loin de là.
Sacrifiés, ils l’ont été également pendant la crise de la covid-19 : la précarité de la population étudiante, déjà fragilisée, s’est alors, de fait, accentuée. L’immolation, devant le Crous de Lyon, d’Anas Kournif, qui avait fait de son acte un « choix politique » visant à dénoncer cette situation, en a été la plus dramatique expression.
L’instauration du ticket U à 1 euro, décidée par le Premier ministre de l’époque, avait permis à bon nombre d’étudiants de respirer un peu. Mais il a fallu qu’au nom d’une logique comptable, on les prive finalement de ce peu d’air frais et on leur impose sans sourciller une baisse de l’APL, allocation dont ils sont les principaux bénéficiaires.
D’où l’intérêt de cette proposition de loi, dans sa version initiale, surtout à ce moment précis. En effet, le coût de la vie étudiante a augmenté dans son ensemble de près de 6,5 % en 2022 et l’inflation continue de toucher durement les étudiants ; pour accéder aux denrées de base, beaucoup n’ont plus d’autre recours que de se tourner vers l’aide alimentaire, au point que les associations disent ne plus être en mesure d’absorber la demande ; enfin, le Gouvernement a fait adopter un projet de loi de finances dans lequel la revalorisation des bourses ne couvre même pas l’inflation.
Le constat est toujours le même : 19 % des jeunes de 18 à 29 ans vivent sous le seuil de pauvreté et 56 % d’entre eux déclarent ne pas manger à leur faim !
La réponse est, également, toujours la même : « Oui, nous allons procéder à une réforme des bourses ». Eh bien, cette réforme, nous l’attendons de pied ferme, car il faut créer, pour les étudiants et la jeunesse tout entière, un véritable système de protection sociale. En attendant, puisque le niveau des bourses est insuffisant et que leur indexation sur le revenu des parents exclut un certain nombre d’étudiants du dispositif, offrons-leur la possibilité d’accéder, sans que les conditions soient trop lourdes, à un repas à tarif réduit.
Nous regrettons évidemment que les membres de la majorité aient remodelé ou plutôt dévitalisé le texte, qui prévoyait de fixer ce tarif au montant symbolique de 1 euro. Le titre initial de la proposition de loi a donc dû être modifié et elle a perdu son principal intérêt. Si je souscris aux propos de Mme la rapporteure qui, à l’issue de l’examen en commission, indiquait que tout texte en faveur de la jeunesse constitue une avancée, nous ne pouvons que déplorer une nouvelle occasion manquée, malgré une timide évolution qui permettrait au moins d’inscrire dans la loi le principe de l’accès des étudiants à des repas à un tarif social et très social.
Alors qu’en commission, nous avons voté contre ce qui était devenu une proposition de loi beaucoup moins ambitieuse et plus du tout universelle, le groupe Écologiste-NUPES déterminera son vote en fonction des débats et de l’existence ou non de la garantie qu’une simple déclaration ouvrira droit au tarif réduit. En tout état de cause, nous regrettons que le dispositif risque de limiter fortement l’accès au tarif social des étudiants, pourtant tellement nombreux, nous ne le savons que trop, à être dans une situation précaire.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.) La parole est à M. Frédéric Maillot.
Goni vide y tien pas debout – un sac vide ne tient pas debout. On peine en effet à réfléchir le ventre vide. Ce qui nous apparaît comme une évidence, même si elle est éloignée de notre quotidien (Mme Caroline Parmentier applaudit) , est une réalité pour bon nombre de nos compatriotes, en particulier les étudiantes et les étudiants. Oui, dans ce pays, de jeunes femmes et de jeunes hommes, qui sont l’avenir de notre société, hypothèquent leur avenir et leur santé par manque de moyens.
Alors que notre système scolaire est l’un des plus inégalitaires de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), alors que les différentes réformes du bac et l’instauration de Parcoursup rendent de plus en plus compliqué un accès démocratisé aux études supérieures, les étudiantes et les étudiants qui parviennent à franchir tous ces obstacles plongent, pour nombre d’entre eux, dans la précarité.
Face à cette jeunesse que l’on célèbre, que l’on cite souvent en exemple, qui nous oblige par son engagement, sommes-nous vraiment à la hauteur ?
En France, 20 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté. Mais la précarité est bien plus étendue que ne le laisse penser ce simple chiffre. La crise de la covid-19 a agi comme un révélateur des failles d’un système de bourses à bout de souffle, incapable d’assurer l’autonomie des étudiantes et étudiants, un système qui exclut bon nombre de jeunes dont la famille ne peut subvenir à leurs besoins.
Cela fait des années que le constat est connu, que nous rappelons à intervalles réguliers les mêmes chiffres, dans l’espoir qu’un jour, une réforme structurelle, comme celle que nous proposons, intervienne.
Le coût de la vie étudiante continue d’augmenter – de près de 7 % en 2022 –, mais le montant des bourses n’a été relevé que de 4 %. Cette précarité se traduit par un non-recours aux soins et par une mauvaise nutrition : 40 % des étudiants renoncent à des soins et 56 % d’entre eux déclarent ne pas manger à leur faim. À La Réunion, la moitié des étudiantes et des étudiants ne sont pas boursiers et sont encore plus vulnérables à l’augmentation du coût de la vie.
Pendant la crise de la covid-19, quelques mesures d’urgence ont été accordées, ici et là, aux étudiantes et étudiants, dont le repas à 1 euro, qui a permis de les nourrir massivement. Mais, par mesquinerie comptable, le dispositif a ensuite été réservé aux boursières et aux boursiers. Pourquoi ? La situation sociale des étudiants s’est-elle soudainement améliorée ? Non, c’est même le contraire. Le système des bourses a-t-il été revu pour être plus juste et bénéficier à toutes les personnes qui en ont besoin ? Non plus : la réforme des bourses n’a pas eu lieu et le système continue de passer à côté de bon nombre d’étudiants et d’apprentis, qui en ont pourtant besoin.
C’est vrai ! Ces derniers se tournent alors vers les associations caritatives, et nous avons tous en tête les images insupportables de ces files d’attente formées d’étudiants en quête d’un repas.
Nous voterons cette proposition de loi d’urgence, car elle permet de remédier à des situations concrètes de grande précarité. C’est à raison que le groupe Socialistes et apparentés a inscrit cette question à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, et c’est à tort que la majorité et ses alliés ont vidé ce texte de sa substance.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et SOC.)
Des questions restent à traiter, en particulier celle du maillage territorial des Crous, car, dans ce domaine aussi, il existe des zones blanches : des villes entières où il n’y a ni restaurants ni cafétérias du Crous.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe LIOT.) Par ailleurs, la baisse du tarif des tickets de restaurant ne doit pas se traduire par une baisse de la qualité des repas.
En réalité, tant que nous ne réglerons pas le problème de la précarité étudiante, tant que l’autonomie financière et matérielle de chacune et de chacun ne sera pas garantie, nous serons contraints de recourir à des palliatifs, forcément imparfaits.
Les députés du groupe GDR défendent depuis des années le projet d’un revenu étudiant ; nous avons, sous la précédente législature, fait une proposition en ce sens. Quant à la NUPES, elle a soutenu récemment un projet d’allocation d’autonomie. Les solutions existent. Pourquoi repousser systématiquement toute mesure ambitieuse de nature à traiter le problème en amont ?

M. Inaki Echaniz