Deuxième séance du lundi 11 mars 2024
- Présidence de Mme Valérie Rabault
- 1. Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection - Application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution
- Discussion générale commune (suite)
- Discussion des articles (Projet de loi)
- Avant l’article 1er
- Amendements nos 295 et 339
- M. Jean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
- M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie
- Amendement no 171
- M. Antoine Armand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
- Article 1er
- Avant l’article 1er
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Valérie Rabault
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1.
Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection
-
Application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution
Suite de la discussion d’un projet de loi ordinaire et d’un projet de loi organique
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (nos 2197, 2305) et du projet de loi organique modifiant la loi organique no 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (nos 2198, 2300).
Discussion générale commune (suite)
Mme la présidente
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale commune.
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson
Cette majorité tente un tour de force : faire croire à ceux qui défendent une politique nucléaire ambitieuse qu’il faut réformer la sûreté nucléaire. Pourtant, les arguments contre la fusion des deux entités chargées de la gestion des risques nucléaires, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (lRSN), sont solides, à plus forte raison lorsqu’ils viennent de pronucléaires.
Le premier argument est simple : c’est celui de la stabilité. Vous nous dites que l’organisation duale n’est pas l’unique modèle au monde. Il est néanmoins partagé par plusieurs États – notamment la Belgique et le Royaume-Uni – et a fait la preuve de son efficacité. D’autres pays – les États-Unis, le Canada ou encore l’Espagne – ont fait le choix de modèles intégrés, qui ont eux aussi fait leurs preuves. Toutefois, aucun pays n’a jamais basculé du système dual vers un système intégré. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’un changement de structure comporte des risques, dont le premier est la désorganisation.
Le Gouvernement a un programme ambitieux en matière nucléaire : il entend prolonger d’au moins vingt ans les centrales existantes, mettre en service six nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR) et soutenir le développement de petits réacteurs modulaires (SMR). Nous avons toujours soutenu cette ambition, qui tend notamment à prolonger la durée de vie des réacteurs plutôt que de les fermer. Elle s’accompagnera nécessairement d’une augmentation de la charge de travail pour les autorités de sûreté nucléaire. Or la désorganisation du système au moment même où il doit faire face à un nouveau défi aura un effet contre-productif. Vous risquez in fine de ralentir la relance du nucléaire, d’autant que les salariés, en désaccord avec le projet de réforme, sont nombreux à envisager de quitter les rangs de l’organisation – certains l’ont d’ailleurs déjà fait. C’est un facteur inquiétant, sachant que la sûreté nucléaire repose avant tout sur l’expertise de femmes et d’hommes aux compétences rares.
Le risque zéro n’existe dans aucun domaine, et le nucléaire ne fait pas exception. Il ne nous semble pas raisonnable – c’est un euphémisme – de réviser le système de sécurité sous la pression de l’exploitant. Sans être alarmiste, je rappelle à ceux qui l’auraient oublié qu’au Japon, une trop grande connivence entre l’autorité de sûreté et l’énergéticien a conduit à l’accident de Fukushima, dont ce 11 mars marque le triste treizième anniversaire. Les dangers sont considérables ; il nous faut donc légiférer avec une main tremblante.
Le deuxième risque est celui d’une perte de confiance de la société civile envers l’atome. À force de « fluidifier » et de « simplifier », vous risquez tout simplement d’alarmer. Si le nucléaire a la cote ces dernières années, c’est parce que l’IRSN a su construire un discours et un dialogue rassurants pour nos concitoyens. En faisant disparaître cette institution qui joue un rôle pivot en matière de transparence, vous allez réveiller les inquiétudes. Or nous ne parviendrons pas à réaliser les investissements nécessaires sans une adhésion forte de la part des Français.
Le troisième et dernier risque est celui de faire croire qu’un vote au Parlement ne vaut rien, que la représentation nationale peut être retournée à l’usure. L’Assemblée nationale s’est déjà exprimée, en séance plénière puis en commission la semaine dernière, contre un projet de réforme de la sûreté nucléaire qu’elle considère comme injustifié. Si encore vous aviez étayé votre argumentaire ! Si seulement vous nous aviez fourni une justification légitime ! Mais, à nos « pourquoi », vous ne cessez de répondre par des « comment ».
La décision, annoncée un beau matin par le Président de la République, est dépourvue de base solide. Il semblerait qu’elle ait été prise sur le fondement d’un rapport de Daniel Verwaerde, que le rapporteur n’a pas obtenu ni même demandé.
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie
Arrêtez avec ça !
M. Charles de Courson
C’est assez étrange.
M. Maxime Laisney
C’est vrai !
M. Charles de Courson
Elle n’a fait l’objet d’aucune concertation et n’a pas été expliquée. Elle a été imposée. Rappelons que la réforme avait été introduite, brutalement, par un amendement du Gouvernement. Toutes les initiatives prises depuis lors, des rapports de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) aux semblants de concertation, n’ont été que de vaines tentatives de justification a posteriori.
Comme vous, monsieur le ministre, nous appelons de nos vœux une sûreté nucléaire plus puissante, plus efficace, plus indépendante et plus transparente. Simplement, nous sommes plus lucides que vous : rien n’empêche d’atteindre cet objectif en renforçant le système actuel. Le manque de moyens est réel, de même que le risque de voir les talents s’échapper dans le privé,…
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Justement !
M. Charles de Courson
…où la rémunération est plus gratifiante. Ce n’est pas en créant une nouvelle autorité,…
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
Mais si !
M. Charles de Courson
…en l’absence de consensus avec les salariés, que vous y remédierez. Il faut conforter l’existant en revalorisant ceux qui travaillent à nous protéger.
Vous l’aurez compris, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires s’oppose fermement à ce projet de réforme de la sûreté nucléaire. Nous espérons que ceux qui, comme nous, croient que la production d’électricité nucléaire doit entrer dans une nouvelle phase de croissance joindront leurs voix aux nôtres. En effet, un système de sûreté stable qui a la confiance de ses employés et des Français est une condition sine qua non de la pérennisation de nos centrales nucléaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Anthony Brosse.
M. Anthony Brosse
L’examen du projet de loi sur la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection a donné lieu à de vifs débats la semaine dernière en commission des affaires économiques et en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. De tels débats sont légitimes dans un contexte de relance de la filière nucléaire civile, mais ils ne doivent pas nous faire perdre de vue l’objectif commun que nous cherchons toutes et tous à atteindre : garantir la sûreté de nos installations. Celle-ci est intrinsèquement liée à la montée en charge des futurs EPR et SMR, eu égard au travail que devront fournir les équipes de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), qui résultera de la fusion de l’ASN et de l’IRSN.
Proposée par le Gouvernement, notamment à la suite du rapport de l’Opecst rédigé par notre collègue sénateur Stéphane Piednoir et le rapporteur du projet de loi, Jean-Luc Fugit, cette fusion doit permettre à la sûreté nucléaire de participer à l’élan de renouvellement de nos installations et de prorogation de notre modèle énergétique décarboné. Ce texte ne vise pas à définir la manière dont les travailleurs de la future autorité devront procéder ; ce rôle revient non pas à la représentation nationale mais aux scientifiques qui composeront ladite autorité.
M. Charles Sitzenstuhl
Eh oui !
M. Anthony Brosse
En revanche, il nous appartient de définir les modalités d’organisation de la gouvernance, les règles relatives aux personnels et les missions de la future autorité, compte tenu des enjeux de fluidité, de cohérence, d’expertise et d’attractivité qui sont apparus ces dernières années, comme l’a relevé l’Opecst.
Les auditions organisées avant l’examen du texte et les échanges que nous avons eus en commission ont fait émerger de nombreuses demandes, concernant notamment le suivi constant de la réforme, la garantie de l’indépendance de la future autorité, la transparence et la déontologie. Monsieur le ministre, vous vous êtes notamment engagé à porter un regard très attentif sur la concrétisation de la fusion ; le groupe Renaissance tient à vous en remercier. S’agissant des autres points que je viens de citer, notre groupe restera vigilant sur la préservation des acquis de l’examen en commission.
Nous soutiendrons un amendement tendant à rétablir l’article 1er, qui vise à consacrer les missions de la future ASNR et son statut d’autorité administrative indépendante (AAI). Ce statut a été préféré à celui d’autorité publique indépendante (API) pour une raison simple : la moindre complexité. L’ASN étant une AAI et l’IRSN un Epic – établissement public industriel et commercial –, il faudrait, si l’on créait une API, prévoir de nombreuses évolutions, notables et bien plus contraignantes. Par ailleurs, le statut d’AAI offre une protection beaucoup plus grande à l’autorité, l’État se portant garant de ses actions.
Les délais sont contraints, mais l’échéance du 1er janvier 2025 est atteignable. La réforme ne doit pas être entravée par des modifications superflues, qui n’apporteraient d’ailleurs pas de changement majeur dans l’organisation de la gouvernance de l’ASNR. Afin d’accompagner au mieux cette transition, le Sénat a jugé utile de prévoir, à l’article 11, la nomination d’un préfigurateur. Cette mesure semble nécessaire à notre groupe, qui l’a donc soutenue lors de l’examen du texte en commission du développement durable. Lors du transfert des activités de l’IRSN et de l’ASN à l’ASNR, il faudra notamment veiller à préserver la qualité – reconnue – de la recherche menée au sein de l’ASN et de l’IRSN.
Cette fusion est significative, importante, mais ce n’est pas la première du genre. L’IRSN n’est-elle pas née elle-même de la fusion de deux entités ?
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
Eh oui !
M. Anthony Brosse
Il s’agit non pas d’effacer l’ASN ou l’IRSN, mais d’unifier leurs savoir-faire au profit d’une relance rapide et nécessaire du nucléaire civil français.
Mme Natalia Pouzyreff
Très bien !
M. Anthony Brosse
Cette relance se fera grâce au travail d’un conseil scientifique qui sera à l’image de celui de l’IRSN, à une déontologie renforcée, au maintien de la distinction entre expertise et décision, à une transparence renouvelée, au repositionnement du haut-commissaire à l’énergie atomique (HCEA) et à une simplification de la commande publique.
En effet, le HCEA sera chargé de suivre le développement des EPR 2 – EPR de deuxième génération – et des SMR, mais aussi la fin de vie des centrales en fonctionnement. En matière de commande publique, les simplifications prévues aux articles 16 à 18 permettront aux acteurs de la filière nucléaire de déroger à certaines règles des marchés publics. Circonscrites et circonstanciées, ces dérogations ne sont pas un blanc-seing accordé à EDF, au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). La sensibilité des opérations en question et nos besoins, qui s’affirmeront rapidement compte tenu du vieillissement de notre parc nucléaire, plaident en faveur de ces dérogations, somme toute mesurées au regard de la protection des intérêts essentiels de la nation.
Le groupe Renaissance aborde ce texte avec détermination et soutient le rapporteur, qui mène depuis plusieurs mois un travail de fond. Il s’agit de permettre la restructuration de la gouvernance de notre sûreté nucléaire, à l’aube de la relance de la filière. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Dragon.
M. Nicolas Dragon
Il y a des anniversaires qui méritent d’être fêtés. Nous célébrons un événement historique : le 6 mars 1974, il y a cinquante ans, à la suite du premier choc pétrolier, Pierre Messmer, Premier ministre de Georges Pompidou, présentait son plan qui annonçait la construction de treize centrales nucléaires. Ce plan allait mettre la France et les Français à l’abri de multiples crises énergétiques qui surviendraient au cours des décennies suivantes. Il allait offrir aux Français et à nos entreprises la souveraineté et la sécurité énergétiques, l’électricité la plus abondante et la plus décarbonée, les factures étant les moins chères d’Europe et une seule entreprise étant à la manœuvre, EDF.
La France possède désormais cinquante-six réacteurs nucléaires. C’est une industrie de pointe, qui emploie 220 000 salariés. Répondre à la demande énergétique de plus en plus forte de notre industrie et de nos compatriotes sera demain un gigantesque défi. Dans l’intervalle, je suis au regret de vous le dire, ni vos éoliennes, qui ne tournent que lorsqu’il y a du vent et qui saccagent nos paysages, notamment dans l’Aisne et dans la Somme – je prends ces exemples au hasard –, ni vos panneaux photovoltaïques, qui produisent du courant le jour alors que nous en avons besoin aussi la nuit, ne seront en mesure de garantir l’approvisionnement électrique ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. William Martinet
Oh là là !
M. Nicolas Dragon
Les Français et nos entreprises, notamment les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME), paient dorénavant des factures records, car vous avez voulu – cette majorité et la précédente, avec votre Commission européenne, sur l’insistance de nos voisins allemands et avec la complicité des écolos-bobos-vélos (Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES et RE, ainsi que sur ceux des commissions) – conserver l’indexation du prix de l’électricité sur celui du gaz, pour des raisons inavouées et inavouables !
Et quand le prix du gaz s’est mis à fortement monter, passant de 20 euros le mégawattheure en moyenne en janvier 2021 à 115 euros en décembre, les prix de l’électricité ont suivi et explosé en 2022.
Si le bouclier tarifaire payé par la dette des Français a freiné la hausse, le rattrapage sur les factures, aggravé par une hausse des taxes depuis le 1er février dernier, l’a réduit à néant.
M. Charles Sitzenstuhl
La faute à qui ? Au RN !
M. Nicolas Dragon
Un pur scandale ! Il ne se passe désormais plus un seul jour sans que les députés de cet hémicycle reçoivent des appels au secours de nos compatriotes français ou de TPE-PME qui n’arrivent plus à payer leurs factures.
Monsieur le ministre, qu’avez-vous fait depuis sept ans, vous et votre majorité, pour mettre les Français à l’abri d’une crise sans précédent qui touche directement au pouvoir d’achat de nos compatriotes ? De la partie gauche de l’hémicycle à son centre, vous êtes tous coupables, non pas de ne pas avoir mis les Français au courant, mais de les avoir menés en bateau !
M. Maxime Laisney
Elle est bonne, celle-là !
M. Nicolas Dragon
Depuis sept ans, c’est l’aller-retour permanent, le fameux « en même temps » qui vous caractérise si bien. Inscrire dans la loi la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires, c’est vous ! Fermer la centrale de Fessenheim en parfait état de marche, c’est vous ! Avant de faire enfin volte-face et de proposer un projet de loi sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, que le groupe Rassemblement national a voté, il y a un an. Sept années de perdues pour arriver aujourd’hui à ce projet de loi, qui vise à réunir l’ASN et l’IRSN en vue de répondre aux défis de l’énergie qui s’annoncent.
La réforme des instances de sûreté permet de simplifier la relance tant attendue du nucléaire, cela dans une Europe affaiblie qui doit importer 55 % de l’énergie dont elle a besoin. Ne nous y trompons pas : le nucléaire français est une véritable cible géopolitique pour les États-Unis et pour d’autres pays, concurrents directs de la filière nucléaire française. Plus de nucléaire en France et en Europe, c’est moins de gaz de schiste liquéfié américain ou de gaz venu d’ailleurs. Plus de centrales nucléaires en France et en Europe, construites par des entreprises françaises, c’est une Europe moins dépendante des technologies américaines. L’alliance du nucléaire créée récemment en Europe est une véritable force politique face à l’alliance des énergies intermittentes pilotée par l’Allemagne.
Monsieur le ministre, quand le Premier ministre déclare, dans son discours de politique générale, être fier d’être à la tête d’un gouvernement pronucléaire, on ne reçoit pas quelques jours après dans son bureau les pires des antinucléaires, comme le Réseau action climat ! Cette organisation, avec d’autres, milite contre cette fusion avec détermination, car elle veut ralentir la relance du nucléaire par tous les moyens. Bien sûr, il faut des règles strictes de sûreté ou de sécurité nucléaire – qui serait contre ? –, mais pas un principe de précaution dévoyé à l’extrême qui conduit à des impasses que le groupe Rassemblement national souhaite voir débloquer. La fusion de l’ASN et de I’IRSN doit être réalisée, afin de contribuer à l’arrêt d’une instrumentalisation pilotée par ces officines spécialisées dans l’exploitation des angoisses et des peurs de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Ségolène Amiot
Vous vous y connaissez !
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir.
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Centrale de Fukushima Daiichi, 11 mars 2011, quinze heures trente-cinq. Une vague de 15 mètres, générée par le tsunami, submerge les générateurs de secours, entraîne une panne de refroidissement des réacteurs 1, 2 et 3 et, bientôt, une catastrophe sans précédent.
Paris, 11 mars 2024. Troublant parallèle, l’Assemblée nationale doit se prononcer sur un funeste projet de démantèlement du système dual de sûreté nucléaire, pourtant reconnu à l’échelle internationale. D’abord introduit par amendement, pour éviter toute étude d’impact et l’avis du Conseil d’État – pourquoi s’encombrer de détails quand il est question de nucléaire ? –, il a été rejeté l’an dernier par notre assemblée. Il revient aujourd’hui sous la forme d’un projet de loi, mais sans son article fondateur, rejeté par la commission du développement durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit également.)
La réforme est aussi rejetée massivement par les travailleurs de l’IRSN, de l’ASN et du CEA, et trois anciens présidents de l’Opecst alertent sur sa dangerosité. Mais le Gouvernement n’écoute rien et persiste à vouloir mettre l’expertise de l’IRSN, qui publie ses avis scientifiques et techniques de manière indépendante, sous la coupe de l’ASN, qui décide et donne les autorisations, en fusionnant les deux instances. On veut donc mettre l’expertise sous l’influence de considérations économiques, industrielles ou encore politiques.
Mme Natalia Pouzyreff
C’est faux !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Selon le président de l’IRSN, « le risque, c’est que l’expert intègre la volonté du décideur. » Ce n’est pas rien. À Fukushima, par exemple, la côte pacifique avait déjà connu sept tsunamis de plus de 12 mètres, mais Tepco a estimé qu’une digue de 5,70 mètres suffirait, par souci d’économie. C’est ça, le prix de l’indépendance du décideur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit aussi.)
Fukushima-Daiichi, 12 mars 2011, quinze heures trente-six : explosion d’hydrogène dans le bâtiment du réacteur 1. Dix-huit heures vingt-cinq : ordre d’évacuer la population dans un rayon de 20 kilomètres.
Paris, 11 mars 2024, toujours : le Gouvernement veut « fluidifier » et « simplifier » notre système de sûreté nucléaire dans une complète impréparation. Résultat, accrochez-vous : si la majeure partie de l’IRSN est fondue dans l’ASN pour devenir la nouvelle ARSN, la direction de l’expertise nucléaire de défense (DEND) va, elle, passer au ministère des armées, alors que la sûreté des installations civiles et celle des installations militaires sont évidemment liées. D’ailleurs, il faudra nécessairement l’appui des experts spécialisés en incendie ou en génie civil qui, eux, seront à l’ARSN. Vous me suivez ? Et puis, l’expertise de sécurité des installations civiles sera aussi au ministère des armées, dans une unité qui ne traite pas des installations civiles. Ça va être sacrément fluide, tout ça ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Et ce n’est pas fini ! Le service de dosimétrie externe, qui produit et analyse les dosimètres mesurant la radioactivité dans l’air, va être repris par le CEA ou par l’une de ses filiales – excellente idée, d’ailleurs, pour une compétence aussi stratégique. Toutefois, le service de dosimétrie interne, qui mesure la radioactivité inhalée ou avalée, passe, lui, à l’ARSN. Pourtant, ce sont bien souvent les mêmes personnes qui travaillent dans les deux services, complémentaires et d’une importance capitale en cas d’accident nucléaire. Vous avez aimé le « On n’a pas de masques » ? Vous allez adorer le « On n’a plus de dosimètres ; pour vos résultats d’analyses, il va falloir attendre. » (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit également.)
Résumons : « Zéro réflexion en termes de gestion de crise, de cohérence entre les domaines civil et de défense, de synergie entre sûreté et sécurité des installations et activités civiles. » Ce sont les mots de Thierry Charles, ancien directeur général adjoint de l’IRSN, chargé de la sûreté nucléaire.
Fukushima-Daiichi, 14 mars 2011, onze heures zéro une. Explosion dans le bâtiment du réacteur 3. Seize heures cinquante-huit : Tepco confirme une fusion en cours dans les réacteurs 1, 2 et 3.
Flamanville, 11 mars 2024. Notre premier EPR n’est toujours pas en service. Douze ans de retard et un budget multiplié par cinq qui approche les 20 milliards d’euros. Qu’à cela ne tienne, on se lance dans les EPR 2, pour lesquels on annonce déjà une augmentation des coûts de 30 % minimum. Ce doit être le karma ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)
On ne maîtrise rien. Pourtant, il faut accélérer, et donc s’affranchir du maximum de contraintes pour une relance nucléaire bille en tête, au prix d’une désorganisation qui va coûter très cher. Selon Benoît Journé, professeur des universités spécialisé dans la sûreté nucléaire, 80 % des projets de fusion sont des échecs. Et vous prétendez ouvrir un chantier pareil, alors que le secteur doit faire face à la prolongation de la vie des réacteurs, à une relance avec des technologies qu’on ne maîtrise pas encore, aux effets du changement climatique ? Découragés par ce fiasco annoncé, de nombreux experts s’en vont et, avec eux, des compétences rares et précieuses.
Tout ça pour quoi ? Pourquoi une telle réforme du système de contrôle de la sûreté nucléaire ? Pourquoi maintenant, au pire moment et dans une telle urgence ? Je ne vois qu’une seule explication rationnelle : parce que le grand chef à plumes le veut. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Roland Lescure, ministre délégué
Un peu de respect !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Le Président veut laisser sa trace dans l’histoire. Il veut son plan Messmer à lui. Avec ce texte, il crée donc les conditions d’un futur accident nucléaire. Chapeau, l’artiste !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Mais ça ne va pas !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
À Fukushima, 160 000 personnes ont été déplacées et 40 000 sont revenues vivre en territoire contaminé, dans des villes fantômes. De l’eau contenant soixante-trois nucléides est déversée en ce moment dans le Pacifique. Nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences de cette catastrophe. En France, nous pouvons encore prendre le maximum de garanties pour nous préserver d’un accident pareil.
Collègues, pour nous, le nucléaire est une folie dont il faut sortir. Mais, puisque vous voulez une relance, je vous en conjure, faites confiance aux scientifiques, aux travailleurs du nucléaire et à quantité de pronucléaires sérieux : refusez ce texte ! (Les députés du groupe LFI-NUPES se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Antoine Léaument
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Maquet.
M. Emmanuel Maquet
Maintenant qu’a été écartée la motion de rejet préalable, nous pouvons commencer le débat sur cette réforme, qui le mérite. S’en tenir à un rejet en bloc de toute réforme, c’est en effet s’empêcher de réfléchir aux améliorations que l’on pourrait y apporter. C’est s’en tenir à un système dont les vingt dernières années ont été marquées par l’abandon, le déclin et le dogmatisme politique. Est-ce vraiment sous cet augure que nous voulons placer les vingt prochaines années – ou plutôt, devrais-je dire, les cinquante prochaines années, puisque nous profitons encore aujourd’hui des fruits du plan Messmer ? Quand on parle d’énergie nucléaire, c’est sur le temps long. Oui, prenons le temps de discuter, d’améliorer, de réformer.
Ce n’est pas, malheureusement, l’approche retenue par une partie de l’hémicycle, qui verse dans l’opposition de principe. J’ai déjà souligné, en commission, la coïncidence troublante entre les antinucléaires et les opposants à la réforme. Cela ne veut pas dire que toute opposition au texte est synonyme d’opposition au nucléaire ; toutefois, la volonté de préserver un statu quo marqué par des années de régression me semble révélatrice.
Contrairement à cette opposition de principe, le groupe Les Républicains aborde ce texte, comme il l’a fait en commission, dans l’optique d’un soutien prudent.
Soutien, parce que tout doit être fait pour accélérer, optimiser et simplifier l’action publique. Les vingt dernières années ne ressembleront pas aux vingt prochaines. Il serait imprudent et délétère de ne pas adapter les outils permettant de relever ce défi historique. Cette préoccupation doit guider notre action.
Soutien, encore, parce que toutes les garanties ont été données en termes de ressources humaines, avec des transferts de contrats à l’identique et des trajectoires de rémunération revues à la hausse. Nous insistons sur ce point, car il est crucial : peu importe le système, dual ou unitaire, le nerf de la guerre, ce sont les moyens. Lorsqu’on prétend garantir la santé et la sécurité de nos concitoyens, même avec la meilleure organisation du monde, seul un budget suffisant est gage de réussite. Seuls les moyens mettront fin à l’hémorragie de compétences qui touche le secteur. La France est un grand pays de production d’ingénieurs ; encore faut-il qu’elle leur offre des débouchés intéressants. La réouverture du grand et prestigieux débouché nucléaire doit être au rendez-vous.
Soutien, enfin, parce que la séparation de l’expertise et de la décision en un système dual comme le nôtre est loin d’être la norme dans les grands pays nucléaires. En tout cas, elle ne l’est ni aux États-Unis, ni au Royaume-Uni, ni en Suède, ni au Canada, ni en Espagne, ni en Suisse. Ce n’est pas là que se joue la sécurité de nos concitoyens. Les deux systèmes sont valables : l’excellence de notre sûreté nucléaire, comme de celle de nos voisins, le prouve. Si le système dual a jusqu’à présent donné toute satisfaction à nos concitoyens, le rapprochement proposé ici n’est pas synonyme de chaos ni de confusion, mais d’une réorganisation qui préserve parfaitement l’excellence et l’impartialité des deux pôles.
Prudence, néanmoins, parce que l’augmentation des moyens doit être garantie. Nous y veillerons lors de l’examen des prochains projets de loi de finances.
Prudence, parce que la fusion de deux établissements aussi importants et complexes n’est pas une mince affaire. Le préfigurateur voulu par le Sénat aura un rôle crucial dans le bon déroulement de cette fusion.
Prudence, enfin, parce que la fusion est l’occasion d’organiser une meilleure coordination dans la publication des rapports de l’une et l’autre autorité. J’ai d’ailleurs déposé un amendement à ce sujet.
Le groupe Les Républicains aborde la discussion avec la ferme volonté d’aller au bout de ce texte important pour l’avenir énergétique de notre pays, en cohérence avec notre soutien au nucléaire dans son ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Bruno Millienne.
M. Bruno Millienne
Dans la continuité du travail entamé par notre majorité depuis des années pour relancer le nucléaire dans notre pays,…
M. Pierre Cordier
Des années ?
M. Bruno Millienne
…nous nous retrouvons pour discuter du projet de fusion entre les deux organes de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection : l’ASN et l’IRSN. De cette fusion naîtra une nouvelle entité, l’ASNR, qui deviendra l’interlocuteur unique, indépendant du Gouvernement et des exploitants, chargé du contrôle, de l’instruction des dossiers de sûreté et de la radioprotection dans toutes ses composantes.
Comme je l’ai indiqué en commission, notre groupe s’était opposé l’année dernière à cette fusion par le biais d’un amendement, non parce que nous rejetions l’idée même de cette fusion mais parce que nous estimions nécessaire de passer par un projet de loi spécifique pour réunir les meilleures conditions possibles pour cette opération.
Après la remise d’un rapport de l’Opecst, c’est aujourd’hui chose faite.
M. Pierre Cordier
Un rapport téléguidé !
M. Bruno Millienne
Celui-ci recommande de « regrouper les moyens humains et financiers actuellement alloués au contrôle, à l’expertise et à la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection afin que ceux-ci relèvent à l’avenir d’une structure unique et indépendante ». Si ce projet de loi est adopté, ce que j’espère, l’ASNR récupérera les prérogatives de l’ASN et de l’IRSN, à l’exception de deux missions : les missions de la direction de l’expertise nucléaire de défense de l’IRSN seront transférées à un service du ministère des armées tout en étant hébergées au sein de la nouvelle entité ; les activités liées à la dosimétrie passive seront, elles, transférées au CEA ou à une de ses filiales, car elles ne peuvent être intégrées à l’autorité administrative indépendante.
L’ASNR pourra être reconnue comme un établissement exerçant des missions de recherche et bénéficier des prérogatives attachées à ce statut. Son règlement intérieur définira des règles propres à assurer une séparation entre, d’une part, les processus d’instruction, d’expertise et de recherche relevant actuellement de différents services de l’ASN et de l’IRSN et, d’autre part, la prise de décision, qui sera assurée par le collège de l’autorité, composé de cinq commissaires nommés pour six ans, irrévocables et astreints à un devoir d’impartialité.
Néanmoins, l’article 1er, cœur du projet de loi, a été supprimé en commission par une alliance hétéroclite rassemblant des partisans du nucléaire en proie à un caprice…
Mme Julie Laernoes
Un caprice ?
M. Bruno Millienne
…et des partisans du modèle polluant de nos voisins allemands. Nous soutiendrons bien entendu le rétablissement de cet article, central dans la stratégie de la majorité pour relancer efficacement le nucléaire. Mes chers collègues, il n’est pas trop tard pour admettre votre erreur et nous soutenir.
Il n’est pas non plus trop tard pour entendre les arguments que nous avançons. Ce projet de loi a pour objet, non pas de prendre position pour ou contre le nucléaire,…
M. Benjamin Saint-Huile
Ah !
M. Bruno Millienne
…mais de simplifier et d’accélérer les procédures, sans jamais remettre en question la sécurité de nos installations actuelles et futures. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Le contexte d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier : le programme de relance fera peser une charge de travail importante sur les deux entités et leur fusion permettra de répondre efficacement aux enjeux de sûreté de la relance du nucléaire. L’ASNR concentrera les talents de la sûreté nucléaire, facilitera le travail de ses agents…
M. Benjamin Saint-Huile
Ils n’en sont pas convaincus !
M. Bruno Millienne
…et leur donnera la possibilité de se focaliser sur les enjeux de sûreté et de radioprotection plutôt que sur les tâches administratives.
Beaucoup d’entre vous se demandent pourquoi il faudrait modifier un système qui, selon eux, fonctionne bien. Ce n’est pas parce que quelque chose fonctionne correctement que l’on ne peut pas l’améliorer. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Pierre Cordier
C’est un peu comme avec le Gouvernement !
M. Bruno Millienne
L’organisation actuelle présente plusieurs faiblesses que le projet de loi entend corriger. Un système unique permettra d’établir un calendrier unique de priorités et améliorera la coordination : le partage d’informations sera facilité et les moyens seront renforcés. Un système unique permettra aux pouvoirs publics de n’avoir à échanger qu’avec un seul interlocuteur en cas de crise. Enfin, un système unique permettra aux agents de bénéficier de meilleures conditions de travail et de possibilités élargies de mobilité.
Soyons francs : ceux qui refusent ce texte se cachent derrière la défense de l’ASN et de l’IRSN alors qu’ils s’opposent tout bonnement à la relance du nucléaire.
M. Sébastien Jumel
Ce n’est pas vrai ! Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ?
M. Bruno Millienne
Ils ne veulent pas d’une entité de contrôle plus forte et plus efficiente. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme la présidente
Seul M. Millienne a la parole, chers collègues.
M. Bruno Millienne
Soyons honnêtes : force est de constater que ce nouveau projet de loi prend en compte les craintes légitimes que nous avions émises l’année dernière comme celles exprimées par les syndicats et les agents de ces deux entités. (Mêmes mouvements.)
M. Maxime Laisney
Ils étaient dans la rue aujourd’hui !
M. Bruno Millienne
Il reprend pour une grande majorité les propositions du rapport de l’Opecst.
Le groupe Démocrate soutient le projet du Gouvernement et donc le rétablissement de l’article 1er. Je vous invite, chers collègues, à faire de même. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul
Mon intervention, la dernière de cette discussion générale, est largement inspirée de la lettre ouverte écrite par les représentants des salariés de l’IRSN, à qui je rends hommage (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, LFI-NUPES et Écolo-NUPES), lettre que vous avez reçue hier et que chaque député ici présent, notamment sur les bancs de la majorité, a déjà lue, je l’espère, avec la plus grande attention : « mesdames et messieurs les députés, lundi 11 mars, vous commencerez l’examen du projet de loi qui prévoit l’absorption de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire par l’Autorité de sûreté nucléaire. C’est un symbole. Ce 11 mars est aussi la date du treizième anniversaire de l’accident de Fukushima, l’un des plus graves de l’histoire du nucléaire. ».
M. Pierre Cordier
N’oublions pas que c’est un raz-de-marée qui l’a provoqué !
M. Gérard Leseul
« Votre vote ne doit pas être transformé en un vote sur le programme de relance du nucléaire. Que vous soyez pour ou contre ce programme, la sûreté des installations nucléaires et la protection des populations doivent demeurer votre exigence. Votre vote doit traduire cette exigence [de sûreté] en maintenant un système robuste de gouvernance des risques nucléaires et radiologiques pour les décennies à venir. »
« Notre système de gouvernance, qui distingue clairement l’expert qu’est l’IRSN de l’autorité qu’est l’ASN pour les installations civiles, est reconnu internationalement. Adopté par de nombreux pays européens, il a prouvé son efficacité aussi bien pour évaluer la prolongation à cinquante ans de la durée d’exploitation des centrales existantes et la conception de l’EPR que pour tirer les enseignements de l’accident de Fukushima et de l’accident de radiothérapie d’Épinal ou mesurer les risques associés à la centrale ukrainienne de Zaporijjia. »
« Les experts de l’IRSN sont sollicités par de nombreux pays. » Ils « assurent la direction de grands projets internationaux » et travaillent aussi bien avec l’ASN qu’avec les exploitants industriels. Ce système devrait être renforcé pour faire face aux enjeux du programme de relance et de mix énergétique qui n’a, du reste, pas fait réellement l’objet d’une décision démocratique.
Allant en sens inverse, le Gouvernement veut mettre fin au système dual fondé sur une distinction entre expertise et décision. Le projet entend unifier et fluidifier mais, en réalité, il dispersera les compétences d’expertise entre plusieurs organismes : le ministère des armées, le CEA, notamment pour les activités de dosimétrie, l’ASNR. Ainsi, il complexifiera les collaborations entre experts, qui seront soumises à des conventions pour maintenir des travaux de recherche, et la complémentarité de l’expertise civile et militaire.
Le projet prétend renforcer le système, mais l’intégration de la recherche au sein d’une administration va l’affaiblir à moyen terme, sapant les bases scientifiques de l’expertise. Le projet prétend renforcer le système, mais l’intégration de l’expertise au sein d’une administration risque de la faire évoluer vers une sûreté réglementaire incapable de faire face à l’imprévu. Le projet prétend accélérer les processus de prise de décision, mais il va au contraire les désorganiser profondément et durablement. On le pressent, la transposition des processus et outils de l’établissement public qu’est l’IRSN dans une autorité administrative et le regroupement de 1 750 salariés de droit privé et de 500 agents de droit public représentent un chantier de plusieurs années.
Le projet prétend encore renforcer l’attractivité du système, mais depuis le début, il a été élaboré contre l’avis des salariés de l’IRSN, des agents de l’ASN et même du CEA. Les démissions sont d’ores et déjà en hausse.
Ce projet a depuis le début été mené à un rythme soutenu, prétendument justifié par les contraintes du calendrier du programme de relance du nucléaire. Il s’agit d’un argument tout à fait discutable.
M. Pierre Cordier
C’est vrai !
M. Gérard Leseul
Des experts de l’IRSN travaillent depuis de nombreux mois sur des dossiers de sûreté concernant l’EPR 2 et plusieurs SMR. Du point de vue du Parlement, cet argument de l’urgence est plus que discutable car il réduit, on le sait, les temps du débat, ce qui est du reste votre volonté.
Que nous soyons pour ou contre le nucléaire, la seule question qui doit motiver notre réflexion, c’est la pertinence de notre système de sûreté. Or, le texte ne dit pas en quoi la fusion des fonctions de décision et d’expertise apportera une meilleure protection aux travailleurs et à la population. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et LFI-NUPES. – M. Charles de Courson applaudit aussi.)
M. Inaki Echaniz
Bravo !
M. Gérard Leseul
En ce treizième anniversaire de la catastrophe de Fukushima Daiichi, pour l’analyse de laquelle l’IRSN avait d’ailleurs été immédiatement sollicité, je constate que le Gouvernement n’a avancé aucun argument solide depuis la manœuvre politicienne du printemps dernier.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Oh !
M. Gérard Leseul
Oui, c’est bien à une manœuvre politicienne que vous avez eu recours pour tenter, en quelques minutes, de nous faire adopter cette réforme péremptoire. Le groupe Socialistes et apparentés ne voit aucune raison de voter en faveur de ce texte. Nous voterons donc contre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LFI-NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe Écolo-NUPES.)
M. Inaki Echaniz
Bravo : c’était impérial !
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Discussion des articles
(Projet de loi)
Mme la présidente
J’appelle en premier lieu, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire.
Avant l’article 1er
Mme la présidente
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 295 et 339.
La parole est à M. Benjamin Saint-Huile, pour soutenir l’amendement no 295.
M. Benjamin Saint-Huile
Conformément à ce que j’ai annoncé tout à l’heure, nous souhaitons supprimer l’intitulé du titre Ier qui se rapporte à la fusion de l’IRSN et de l’ASN pour ne conserver dans le texte que le titre II, consacré à l’adaptation des règles de la commande publique aux projets nucléaires. La situation de notre parc nucléaire appelle en effet des engagements de la part de l’État.
Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul, pour soutenir l’amendement no 339.
M. Gérard Leseul
Je rejoins mon collègue Saint-Huile. Comme nous avons eu l’occasion de le souligner lors de la discussion générale et lors des explications de vote sur la motion de rejet, nous considérons, à l’instar de très nombreux experts, dont nous tenons la liste à votre disposition, que le système dual a déjà fait ses preuves et qu’il est appelé à les faire encore.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, pour donner l’avis de la commission sur les amendements identiques.
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Soulignons d’abord, d’un point de vue légistique, que ces amendements ne suppriment pas le titre Ier mais seulement son intitulé. Ce faisant, vous êtes passés un peu à côté de l’objectif que vous poursuivez.
Sur le fond, je ne peux que m’opposer à vos arguments. Ce projet de loi présente de nombreux avantages, comme cela a été dit à de multiples reprises, que ce soit lors de nos longs débats en commission ou lors de la discussion générale. Il est temps d’entrer dans le vif de la discussion et d’examiner les amendements portant sur les différentes dispositions du titre Ier comme du titre II.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie, pour donner l’avis du Gouvernement.
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie
Vous vous opposez au titre Ier, c’est votre droit, et vous proposez de supprimer son intitulé. Pour notre part, nous sommes favorables à ce titre comme à son intitulé et émettrons donc un avis défavorable.
(Les amendements identiques nos 295 et 339 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Mireille Clapot, pour soutenir l’amendement no 171.
Mme Mireille Clapot
Le dispositif français de sûreté nucléaire, dans sa version actuelle, est reconnu dans le monde entier pour sa qualité et je voudrais à mon tour saluer le professionnalisme des femmes et des hommes qui le servent, tout autant que son organisation issue d’un long processus de maturation.
M. Antoine Léaument
Pourquoi changer, alors ?
Mme Mireille Clapot
Compte tenu du contexte actuel, qui appelle des évolutions, une remise en cause du dispositif doit sans doute être envisagée, mais toujours en poursuivant l’objectif d’une fiabilité et d’une robustesse maximales. L’enjeu est en effet d’opérer dans des conditions optimales, tant pour la sûreté que pour la confiance des citoyens, la fameuse relance du nucléaire – augmentation du nombre d’EPR, prolongement des centrales, arrivée des SMR –, en complément du développement des énergies renouvelables et de la recherche de la sobriété.
Afin que l’autorité résultant de la fusion de l’IRSN et de l’ASN soit, pour reprendre les mots de M. le ministre, « plus puissante, plus efficace, plus transparente et plus indépendante », nous demandons que lui soit donné le statut d’autorité publique indépendante.
Vous voulez fluidifier, simplifier et accélérer les procédures, et l’IRSN, qui est un Epic, adhérera d’autant mieux à ces objectifs que les procédures administratives, qui ne sont pas réputées pour être les plus agiles, ne seront pas appliquées à marche forcée en neuf mois.
Pour que cette fusion soit acceptable, je vous invite, chers collègues, à faire le bon choix, celui de l’API. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes RE et LFI-NUPES.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
Nous en avons longuement débattu en commission, madame Clapot. J’espérais vous avoir convaincue que le statut d’AAI était préférable à celui d’API, mais ce n’est visiblement pas le cas.
M. Raphaël Schellenberger
Premier échec !
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
Je vais donc présenter à nouveau les trois raisons majeures qui me conduisent à préférer le statut d’AAI. Premièrement, une API est dotée de la personnalité morale et donc d’une responsabilité juridique distincte de celle de l’État. (Mme Alma Dufour s’exclame.) Eu égard à l’ampleur des risques associés aux activités nucléaires, le statut d’AAI apparaît bien plus protecteur. Il avait d’ailleurs été choisi pour l’ASN en 2006, sur la recommandation d’un rapport parlementaire – on peut s’y opposer, mais commençons par étudier les travaux de nos prédécesseurs – qui démontrait clairement que le statut d’AAI valait mieux que celui d’API, car il engage pleinement la responsabilité juridique de l’État. J’avais développé cet argument en commission, rappelant que le choix de l’API nécessiterait le développement d’un système assurantiel particulièrement coûteux, étant donné la gravité des conséquences que pourront avoir les décisions de l’ASNR. Il paraît donc préférable de choisir le statut d’AAI, comme cela avait été le cas en 2006 pour l’ASN sur le fondement – je le rappelle – d’un rapport parlementaire.
Deuxièmement, 77,5 % des personnels de l’ASN ont le statut de fonctionnaire. Au sein d’une AAI, ils seront en position normale d’activité, mais travailler au sein d’une API nécessiterait leur détachement, ce qui compliquerait singulièrement leur parcours professionnel. Le passage entre administrations sera plus facile si l’ASNR relève du statut d’AAI.
Voici enfin mon troisième argument, peut-être le plus important des trois : l’ASN étant une AAI et l’IRSN un Epic, ni les personnels de l’ASN ni ceux de l’IRSN ne connaissent le statut d’API. En choisissant le statut d’API, nous complexifierions donc la procédure. Alors que nous passons tous beaucoup de temps, sur les marchés ou dans les réunions publiques, à écouter nos concitoyens nous demander de simplifier ce qui peut l’être, vous voudriez, par cet amendement, complexifier notre projet – à moins que vous ne cherchiez en réalité à vous y opposer.
Le statut d’AAI offre davantage de sécurité juridique, est plus protecteur, plus simple, et facilite la gestion des ressources humaines. Pour l’ensemble de ces raisons, je suis fermement opposé à cet amendement. Avis très défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Même avis.
Mme la présidente
La parole est à M. Antoine Armand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
M. Antoine Armand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
Dans ces débats complexes, il est parfois difficile de comprendre ce qu’impliquerait le choix de telle ou telle structure administrative. Toutefois, malgré tout le respect et l’amitié que j’ai pour ma collègue Mireille Clapot, je tiens à insister sur le risque majeur que ferait courir le choix de l’API au dispositif de sûreté nucléaire. Qui peut croire que la sûreté nucléaire serait mieux assurée si le président de l’ASNR en était directement et personnellement responsable du point de vue juridique et qu’il pouvait être pénalement poursuivi pour les choix de l’Autorité ? (M. Antoine Léaument s’exclame.) Cela donnerait-il davantage d’indépendance aux décisions de l’ASNR ?
M. Pierre Cazeneuve
Non !
M. Antoine Armand, rapporteur pour avis
Non. Cela donnerait-il plus de gages de transparence et de sécurité aux experts et au grand public ?
M. Antoine Léaument
Oui !
M. Antoine Armand, rapporteur pour avis
Non. Nous pouvons débattre de la structure et de l’organisation administrative de l’ASNR, mais en l’occurrence, le choix de l’API aurait les conséquences inverses de celles que nous recherchons. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
Mme Sandra Marsaud
Il a raison !
M. Pierre Cazeneuve
Très clair !
M. Antoine Léaument
Pas convaincant !
Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Laernoes.
Mme Julie Laernoes
Je soutiens l’amendement de Mme Clapot. Il concerne un point crucial, qui révèle les tergiversations et les bricolages du Gouvernement. (MM. Louis Boyard et Antoine Léaument applaudissent.) Si celui-ci souhaite passer par une AAI, c’est parce qu’il veut faire absorber l’IRSN par l’ASN, dont il entend donc maintenir le statut. Pourquoi ? Parce que cela va plus vite. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit également.) Cela ne nécessite pas de renégocier toute l’organisation. Le Gouvernement se dispense ainsi de prendre le temps de mener la réforme ; il passe à la hussarde, et cela contre l’avis de l’ensemble des salariés des différentes instances concernées.
Les autorités indépendantes peuvent prendre la forme d’AAI, d’API ou encore d’Epic. Considérez-vous que l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui est une API, manque d’indépendance au motif qu’elle dispose de la personnalité morale ? Pensez-vous que la Haute Autorité de santé (HAS) ou encore la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), qui sont des API, ne sont soumises à aucun risque ?
La réalité – je l’ai constaté quand votre projet a été discuté au Conseil national de la transition écologique (CNTE) –, c’est que rien n’a été préparé. Vous voulez rapprocher des personnels qui n’ont pas le même statut, puisque ceux de l’ASN sont majoritairement des fonctionnaires et des contractuels de droit public et ceux de l’IRSN des salariés de droit privé. Au fil des articles du texte, en un bricolage incessant, vous cherchez à justifier votre projet par des arguments sans queue ni tête. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)
Je vous enjoins donc de voter l’amendement de Mme Clapot qui, ne vous en déplaise, ne fait pas partie des rangs de la NUPES : dans ce débat, elle est simplement du côté de ceux qui réfléchissent, examinent les informations à portée de main, ouvrent leurs oreilles pour écouter les arguments qui leur sont présentés et adoptent une position sensée, et non du côté de ceux qui développent des raisonnements sans queue ni tête, comme M. le rapporteur vient d’en donner l’exemple. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES et SOC.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 171.
(Le vote à main levée n’ayant pas été concluant, il est procédé à un scrutin public.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 145
Nombre de suffrages exprimés 138
Majorité absolue 70
Pour l’adoption 61
Contre 77
(L’amendement no 171 n’est pas adopté.)
Article 1er
Mme la présidente
Sur les amendements identiques nos 33, 243 et 298, je suis saisie par les groupes Socialistes et apparentés et Écologiste-NUPES d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisie de très nombreux amendements, dont plusieurs séries d’amendements identiques, qui peuvent être soumis à une discussion commune et tendent à rétablir l’article 1er, supprimé par la commission.
Nous commençons par trois amendements identiques, nos 33, 243 et 298.
La parole est à M. Gérard Leseul, pour soutenir l’amendement no 33.
M. Gérard Leseul
Il vise à affirmer dans la loi le principe d’une organisation duale de la sûreté nucléaire.
Le Gouvernement, depuis un an, souhaite faire de la fusion de l’ASN et de l’IRSN en une autorité unique la pierre angulaire du démarrage de son programme de nouveaux réacteurs nucléaires et de SMR. Pourtant, il n’a jamais justifié de la nécessité et de la raison de cette réforme, expliquant même, comme M. le ministre l’a rappelé, que l’organisation duale actuelle s’est globalement montrée à la hauteur ces vingt dernières années. Votre projet de réforme ne se justifie pas non plus par la probabilité d’une défaillance ou d’un manquement à venir.
Or le constat tiré par la Cour des comptes dans son référé du 25 juin 2021, après un contrôle de l’IRSN portant sur les exercices 2013 à 2019, est assez clair : « La Cour a constaté qu’au cours de la période contrôlée, la gouvernance et l’organisation de l’Institut, bien que complexes,…
M. Roland Lescure, ministre délégué
Ah ! « Bien que complexes » !
M. Gérard Leseul
…avaient trouvé un équilibre ; que ce dernier remplit les missions qui lui sont confiées par le code de l’environnement ; qu’il a atteint les objectifs du contrat d’objectifs et de performance (qui couvrait la période 2014-2018) et a su poursuivre ses activités depuis le début de la crise sanitaire. Ses méthodes de gestion sont d’une manière générale professionnelles. » Pourquoi donc voulez-vous briser ce qui fonctionne ?
Messieurs les présidents des commissions du développement durable et des affaires économiques, vous avez organisé, pendant la semaine de vacances parlementaires, des auditions que j’ai toutes suivies. À chaque fois, j’ai demandé à tous les interlocuteurs quels étaient, selon eux, les fondements de ce projet de réforme. Aucun n’a été fichu de me répondre. M. le ministre et MM. les rapporteurs ne le sont pas davantage.
Mme Marie-Charlotte Garin
Même en conférence de presse, vous ne savez pas répondre à la question !
M. Gérard Leseul
Nous souhaitons donc, par l’amendement no 33, renforcer le caractère dual de notre système de sûreté nucléaire, qui a fait ses preuves. Si vous cherchez des améliorations à y apporter, les groupes de travail lancés par l’ASN et l’IRSN ont déjà proposé des pistes. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et LFI-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Laernoes, pour soutenir l’amendement no 243.
Mme Julie Laernoes
Il reprend l’essentiel du texte de l’excellent amendement de Benjamin Saint-Huile adopté le 15 mars 2023 dans le cadre du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.
On nous affirme qu’il est important de sauvegarder l’indépendance de l’expertise et de la décision l’une envers l’autre ; c’est même ce qu’on propose d’inscrire dans le règlement intérieur de la future ASNR. Je ne savais pas qu’il nous appartenait de légiférer sur le règlement intérieur des organismes que nous inventons de toutes pièces ! En revanche, il est absolument indispensable d’inscrire dans la loi que la décision et l’expertise sont indépendantes l’une de l’autre. Un règlement intérieur peut être modifié aisément, mais la loi témoigne de l’avis de notre assemblée.
Or l’Assemblée nationale a adopté l’an dernier l’amendement Saint-Huile. À toutes celles et ceux qui l’ont voté pour sauvegarder notre système de sûreté nucléaire, qui nous a préservés de tout accident majeur pendant quarante ans, à toutes celles et ceux qui sont attachés à la question de la sécurité nucléaire, je déclare qu’il est fondamental de ne pas nous laisser duper par des promesses portant sur le contenu d’un éventuel règlement intérieur. En tant que parlementaires, il est fondamental d’inscrire ce qui nous importe dans la loi, sans quoi nous mettrons en grave péril la robustesse de notre système de sûreté et risquerons de démanteler notre expertise.
Rappelez-vous Fukushima ! (Exclamations sur les bancs des groupes RE, LR, Dem et HOR.)
M. Raphaël Schellenberger
Oh là là !
M. Xavier Albertini
Mais arrêtez !
Mme Julie Laernoes
Que s’est-il passé ?
M. Pierre Cordier
Un raz-de-marée !
M. Charles Sitzenstuhl
Un tsunami !
Mme Julie Laernoes
Le gouvernement japonais n’était pas doté d’une expertise sérieuse. Relisez les rapports : c’est exactement ce qui s’est passé. Chers collègues, si vous ne voulez pas d’un nouveau Fukushima sur notre territoire,…
M. Raphaël Schellenberger
Le fameux tsunami sur le Rhin !
Mme Julie Laernoes
…il est nécessaire de graver dans le marbre la pérennité de notre système dual de sûreté, qui fonctionne. Rappelez-vous que vous avez déjà voté cette disposition il y a un an. (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES et LFI-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement no 298.
M. Charles de Courson
Par cet amendement, les membres du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires souhaitent réaffirmer leur attachement au système de sûreté nucléaire actuel, fondé sur une organisation duale. J’ai été très frappé d’entendre tant M. le ministre que plusieurs orateurs de la minorité présidentielle reconnaître que le système actuel fonctionne bien. S’il fonctionne bien, pourquoi en changer ?
M. Bruno Millienne
Pour l’améliorer !
M. Charles de Courson
J’entends le porte-parole du groupe MODEM dire que le système fonctionnera encore mieux s’il est unitaire. Expliquez-nous donc comment se fera la transition. Toute réorganisation, toute fusion entre deux organismes pose de nombreux problèmes. L’intégration créera inévitablement des dysfonctionnements.
Vous ne voulez même pas communiquer au Parlement le rapport sur le fondement duquel le Président de la République a fait ce choix. (Mme Christine Arrighi applaudit.) M. le rapporteur a d’ailleurs avoué en commission qu’il ne l’avait même pas demandé, ce qui veut dire qu’il agit en service commandé. Tout cela n’est pas raisonnable, et ce sont des pronucléaires qui vous le disent !
C’est à pleurer de vous voir sans cesse diviser l’opinion publique par vos initiatives, alors que les parlementaires ont rejeté à deux reprises votre système intégré. Écoutez-nous ! Cessez de penser que vous avez le monopole de la raison ! D’ailleurs, si vous aviez raison, il faudrait nous expliquer pourquoi d’autres pays ont gardé leur système dual et ne s’en portent pas plus mal. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT. – M. Gérard Leseul applaudit également.)
M. Paul Molac
Très bien, monsieur de Courson !
Mme la présidente
La parole est à M. Benjamin Saint-Huile, pour soutenir l’amendement no 296.
M. Benjamin Saint-Huile
Nous revenons sur un élément central du projet de loi. Qu’il soit opposé ou favorable à ce texte, chacun des orateurs a déclaré sa flamme au système dual. Certains considèrent qu’il ne doit pas être réformé, d’autres ont juré la main sur le cœur qu’il serait garanti au sein d’une autorité intégrée, grâce à un règlement intérieur confirmant ce caractère dual.
Objectivement, il n’est pas sérieux d’argumenter de cette manière. Soit nous considérons que le système dual garantit d’une part l’expertise de la recherche et d’autre part la prise de décision et qu’il a ainsi permis d’atteindre le niveau de sûreté nucléaire que nous connaissons en France, soit nous voulons en changer. Mais pourquoi en changer pour le complexifier par le moyen d’un artefact visant à reconstruire une dualité au sein d’une seule et même autorité ?
L’amendement no 296 reprend mot pour mot celui qui avait été adopté par une majorité de députés lors des débats sur la loi du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Rien n’interdit des évolutions en matière de sûreté nucléaire en France, mais la condition pour que cette sécurité soit effective est le maintien de la séparation de l’expertise et de la décision.
Tel est le sens des multiples amendements défendus sur de nombreux bancs, y compris par des collègues de la majorité. Certes, il est possible de ne pas écouter ce que les députés racontent, mais dès lors que des élus issus de groupes politiques très différents se sont prononcés en ce sens une première fois dans l’hémicycle, puis la semaine dernière en commission, il serait temps de faire preuve de raison et de les entendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Jumel, pour soutenir l’amendement no 68.
M. Sébastien Jumel
Tout à l’heure, M. le rapporteur, pour justifier son entêtement à faire fi des deux votes très clairs de l’Assemblée intervenus d’abord dans l’hémicycle, puis en commission, s’est référé à un ancien rapport publié en 2006.
Pour ma part, je me référerai à quelques avis. Le rapport du Sénat sur le projet de loi souligne que le modèle actuel est considéré comme étant efficace et utile : « L’épisode de crise de la sûreté liée à la corrosion sous contrainte dans les circuits d’injection de sécurité et les circuits de refroidissement à l’arrêt révélé en octobre 2021 illustre le bon fonctionnement du système dual de sûreté. De l’avis des principales parties prenantes, les échanges techniques sur le sujet entre ASN et IRSN ont été quotidiens, tandis que l’instruction du dossier a été réalisée en binôme par l’ASN et par l’IRSN, ce qui a permis à l’exploitant, EDF, d’avoir un interlocuteur unique. »
En outre, la Cour des comptes a adopté à deux reprises des observations définitives relatives au système dual qui soulignaient son efficacité.
Dans son dernier rapport d’évaluation de l’IRSN, daté non pas de 2006, mais du 17 mars 2023, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) indiquait pour sa part que « l’IRSN assume au meilleur niveau ses missions en liaison avec l’État dans un secteur stratégique pour la France et dans un contexte géopolitique en mutation » et que « son modèle couple expertise et recherche, ce qui lui a permis d’acquérir des compétences reconnues aux niveaux français, européen et international. »
Dans ces conditions, comment justifier l’absorption, la fusion, l’Anschluss que vous proposez au Parlement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur quelques bancs du groupe Écolo-NUPES.)
M. Roland Lescure, ministre délégué
L’Anschluss, c’est de trop ! Il n’y a pas de quoi applaudir !
Mme la présidente
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 32 et 92.
La parole est à M. Gérard Leseul, pour soutenir l’amendement no 32.
M. Gérard Leseul
L’amendement no 32, assez proche du précédent, vise à renforcer le caractère dual qui a fait la réussite du système de sûreté nucléaire français et qui nous est envié par de nombreux pays.
Cela a été dit, la fusion-absorption souhaitée par le Gouvernement, si elle venait à être votée, perturberait fortement, et pendant de nombreux mois, l’organisation actuelle. Je me permets de citer le rapport rédigé par Jean-Luc Fugit et Stéphane Piednoir au nom de l’Opecst qui reconnaît lui-même que « puisqu’est projetée une évolution structurelle, il faut s’attendre à ce que son appropriation par les acteurs fasse l’objet d’une courbe d’apprentissage : le risque n’est pas exclu que l’organisation ait d’abord tendance à piétiner, voire à légèrement régresser, avant de s’engager sur la voie d’un progrès global. »
Je réitère donc la question de Charles de Courson : combien de temps cela durera-t-il ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Un certain temps.
M. Gérard Leseul
En outre, nous savons par expérience que dans le champ industriel comme dans celui de l’administration, les fusions-absorptions échouent parfois. En effet, il y a un risque de confrontation, de choc entre des cultures et des pratiques qui sont différentes dans un institut d’expertise et dans une autorité de sûreté.
Enfin, vous ne donnez aucun signe de bonne volonté : il vous a été proposé d’ajouter le mot « indépendante », mais vous l’avez refusé. Il vous a été proposé, ne serait-ce que pour des raisons symboliques, de renommer l’autorité issue de la fusion « Autorité de radioprotection et de sûreté nucléaire », afin que la fusion reflète davantage l’IRSN. Nous vous proposons même d’adopter le statut d’API pour prendre en considération les deux entités.
Quand on fait un peu de management ou de politique, on fait en sorte que les décisions puissent être acceptées par l’ensemble des acteurs, mais vous ne le faites pas avec ce texte.
Nous proposons donc de maintenir le système dual.
Mme la présidente
Sur les amendements identiques nos 32 et 92, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Maxime Laisney, pour soutenir l’amendement no 92.
M. Maxime Laisney
Ministres, collègues, il faut arrêter de raconter des blagues et de prendre les Français et les députés pour des imbéciles. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)
Vous nous présentez comme une fusion ce qui n’est qu’une fusion « façon puzzle », comme dirait Michel Audiard. Car à cette occasion, vous voulez « sortir » deux des services les plus importants de l’IRSN, qui ne peuvent pas rentrer dans votre fichue autorité administrative indépendante. (Mêmes mouvements.)
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Exactement !
M. Maxime Laisney
Il s’agit d’abord de l’activité de dosimétrie externe, qui doit pourtant rester intégrée avec l’expertise de dosimétrie interne – je prendrai plus tard le temps d’expliquer pour ceux qui n’ont pas compris pourquoi.
Ensuite, la sûreté des installations militaires et la sécurité des installations civiles vont être désintégrées, puisqu’elles ne seront plus intégrées.
Vous nous dites que vous voulez rassembler les compétences rares. Pardon, mais c’est une blague : vous vous apprêtez justement à les séparer ! (Mêmes mouvements.)
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Bravo !
M. Maxime Laisney
Plus grave, vous mettrez fin à l’indépendance entre l’expertise et la décision, alors que ce principe est fondamental.
J’invite le rapporteur Fugit à lire le rapport Fugit. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.) Ce fameux rapport de l’Opecst a servi d’alibi, mais son contenu n’est pas inintéressant. On y apprend que la séparation de l’expertise et de la décision n’est pas arrivée par hasard il y a vingt ans, mais était déjà prévue par le plan Messmer dans les années 1970. Arrêtez donc de mentir aux Français et à la représentation nationale !
En vérité, votre bricolage vise à dissoudre l’IRSN dans l’ASN, car les avis publiés en amont par l’IRSN dérangent.
L’aveu de votre intention, c’est Jean-Philippe Tanguy qui en a fait, si j’ose dire, la démonstration la plus brillante cet après-midi, mais il est déjà contenu dans le titre du projet de loi, lequel se propose d’adapter la gouvernance de la sûreté à la relance – plus exactement de « répondre au défi de la relance de la filière nucléaire ».
Nous comprenons donc que vous êtes prêts à construire de nouveaux réacteurs et à les faire fonctionner, quoi qu’il en coûte, y compris au mépris de la sûreté nucléaire du pays. C’est un scandale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Bruno Millienne
N’importe quoi !
Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Laernoes, pour soutenir l’amendement no 241.
Mme Julie Laernoes
Comme les précédents, il vise à inscrire dans la loi la nécessité de maintenir deux organismes distincts pour l’expertise et la décision.
À ceux qui ont expliqué que tout fusionner créerait une superinstance qui rassemblerait toutes les compétences et qui améliorerait la sûreté, je rappelle que la Belgique – qui n’est pas une démocratie peu moderne – a connu la même tentation, puis est revenue en arrière pour des raisons assez simples, que l’on retrouve d’ailleurs dans un rapport de la Cour des comptes. « La fusion des deux organismes, écrit la Cour, constituerait une réponse inappropriée par les multiples difficultés juridiques, sociales, budgétaires et matérielles qu’elle soulèverait. »
Nous y sommes, chers collègues. Les députés qui ont participé à l’examen du texte en commission ont observé le bricolage auquel on se livre ; ils ont vu quels gages sont maladroitement concédés aux uns ou aux autres.
En réalité, davantage que nous ne procédons à une fusion qui aboutirait à une superinstance, nous démantelons notre expertise en la morcelant en plusieurs pièces.
Cela fait peser un réel danger sur notre niveau de sûreté et de sécurité. Ceux qui pensent qu’un règlement intérieur suffirait à nous protéger de cet écueil devraient prendre le temps de s’interroger : doivent-ils fonder leur vote sur la loyauté à leur groupe ou sur l’intérêt général en vue duquel les électeurs les ont désignés ? Honnêtement, il est important d’inscrire dans la loi le modèle de sûreté qui fonctionne actuellement, car nous ne savons ni ce qui adviendra demain ni qui sera au pouvoir.
Si nous établissons une autorité unique, nous courrons de graves dangers. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir les amendements no 221, 151 et 140, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Delphine Batho
Il me paraît nécessaire de clarifier un point. À écouter les différentes interventions, notamment celles que nous avons pu entendre lors de la discussion générale, j’ai l’impression que plusieurs députés font porter la responsabilité de certaines défaillances de la filière industrielle nucléaire aux exigences de sûreté. Non seulement c’est totalement injuste, mais c’est entièrement inexact.
Le rapport de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, dont Raphaël Schellenberger était le président et Antoine Armand le rapporteur, ne soutient à aucun moment, par exemple, que les retards dans la construction de l’EPR seraient liés à l’ASN ou à l’IRSN. Il met en cause des défaillances industrielles et des choix politiques dont nous pouvons discuter.
Permettez-moi d’insister : il s’agit d’un point capital pour la discussion et à entendre certaines interventions, on a le sentiment que tous les retards seraient de la faute de l’ASN et de l’IRSN.
M. Charles Sitzenstuhl
Mais non !
M. Sylvain Maillard
Nous n’avons pas dit cela !
Mme Delphine Batho
C’est faux ; l’alléguer est inacceptable.
Par les amendements nos 221 et 151, nous nous opposons à la réforme que vous proposez. Celle-ci remet en cause des principes fondamentaux de la sûreté nucléaire en France, qui correspondent aux prescriptions internationales de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) :…
M. Roland Lescure, ministre délégué
C’est faux !
Mme Delphine Batho
…la responsabilité de l’exploitant, l’indépendance de l’autorité de sûreté, d’une part, et celle de l’expertise, d’autre part, la transparence et l’information du public, l’amélioration constante des normes de sûreté en fonction des résultats de la recherche, une approche intégrée de l’expertise et de la recherche en matière de sûreté et de sécurité nucléaires – ce dernier point est capital.
La réforme que vous proposez n’est pas une fusion, mais un démantèlement de l’IRSN. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Écolo-NUPES et LFI-NUPES.) Là où vous voulez faire croire que vous fusionnez deux organismes, vous aboutirez à trois ou quatre instances, tout en mettant fin à un principe inscrit dans l’histoire du nucléaire français, qui est en train de devenir le standard international : une approche conjointe du nucléaire civil, du nucléaire militaire et des enjeux de sécurité intérieure, notamment en matière de prévention et de lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES, ainsi que sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES et SOC.) Vous voulez mettre fin à cette approche intégrée.
Les amendements nos 221 et 151 visent à inscrire dans le code de l’environnement les principes que je viens d’énoncer.
Enfin, j’appelle l’attention de tous sur l’amendement no 140. Il prévoit que l’État veille à faciliter les missions de l’Autorité de sûreté nucléaire en exigeant de ceux qui demandent l’autorisation de créer des installations nucléaires des compétences et de l’expérience dans le nucléaire et dans la sûreté nucléaire. Nous nous opposons ainsi à ce qui a été dit dans plusieurs auditions : la vraie motivation de ce projet de loi tiendrait au fait que l’État aurait l’intention d’ouvrir l’exploitation de réacteurs nucléaires en France à d’autres opérateurs qu’EDF. Nous y sommes catégoriquement opposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit aussi.)
M. Raphaël Schellenberger
S’il fallait une preuve que les écolos sont en fait conservateurs…
Mme la présidente
Sur l’amendement no 331, je suis saisie par le groupe Renaissance d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisie de six amendements identiques, nos 331, 152, 156, 198, 220 et 234, qui font l’objet de nombreux sous-amendements.
La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement no 331.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Permettez-moi d’expliquer à la fois pourquoi je souhaite que ces amendements identiques soient adoptés et pourquoi je demande le rejet des amendements qui viennent d’être présentés.
Ces derniers ont pour objet de refuser la fusion proposée dans ce projet de loi et d’inscrire dans la loi le dispositif actuel.
Mme Christine Arrighi
Cessez de vous entêter !
M. Roland Lescure, ministre délégué
J’ai entendu sur de nombreux bancs que l’Assemblée s’était prononcée par deux fois contre ce projet de loi.
M. Raphaël Schellenberger
Un ministre qui écoute, c’est déjà ça ! (Sourires.)
M. Roland Lescure, ministre délégué
Si je ne m’abuse – j’étais présent –, le projet de loi a été adopté par la commission, et c’est bien pourquoi nous en discutons aujourd’hui. Certes, l’article 1er a été supprimé lors de cet examen – j’espère vous convaincre de le rétablir –, mais il reste que le texte a été adopté.
Mme Danielle Brulebois
Exactement !
M. Roland Lescure, ministre délégué
En aucun cas, je ne veux remettre en cause la légitimité du travail de la commission, mais quand j’entends dire que le rejet de l’article 1er par la commission a mis fin à l’examen du projet de loi,…
M. Benjamin Saint-Huile
L’Assemblée a rejeté par deux fois la fusion !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…cela ne correspond pas au souvenir que j’ai gardé du débat parlementaire.
Mme Julie Laernoes
Vous n’êtes pas membre du Parlement !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Non, mais j’y ai passé cinq ans, madame, et je sais que, quand un projet de loi est adopté en commission, il est ensuite examiné en séance publique et qu’il y est discuté jusqu’au vote sur l’ensemble.
Accessoirement, le projet de loi a été adopté par Sénat.
M. Benjamin Saint-Huile
Vous avez détricoté ce que le Sénat avait fait !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Par conséquent, pourrait-on, s’il vous plaît, poursuivre l’examen du texte, article par article, conformément à la Constitution ? (Exclamations sur divers bancs.)
Mme la présidente
Chers collègues, seul le ministre délégué a la parole.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Certes, il y a un an, le projet avait été repoussé, dans une ancienne version – mais je reprends les termes du député Saint-Huile : le calendrier, l’argumentaire et la méthode ont fondamentalement changé depuis.
Mme Julie Laernoes
Il n’y en a pas !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Le texte qui vous est présenté aujourd’hui est tout à fait différent.
Mme Christine Arrighi
Sur le fond, rien n’a changé !
M. Roland Lescure, ministre délégué
J’ai eu l’occasion d’expliquer tout ce qui a changé depuis un an. Vous êtes saisis d’un nouveau texte, qui a été adopté par le Sénat et par la commission du développement durable. Si nous pouvions en poursuivre l’examen, j’en serais très heureux.
De nombreuses questions ont été posées concernant les pratiques à l’étranger.
La députée Batho affirme que le modèle dual n’est pas compatible avec les recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il l’est, évidemment.
Mme Delphine Batho
J’ai dit l’inverse !
M. Roland Lescure, ministre délégué
L’Agence internationale de l’énergie atomique reconnaît les deux modèles ; elle énumère un certain nombre de conditions pour que le modèle dual soit conforme à ses préconisations. Et vous savez quoi ? La Commission européenne émet elle aussi des recommandations – qui sont évidemment en cohérence avec celles de l’AIEA – qui vont dans notre sens ; ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Commission européenne elle-même. Bref, que cela vous plaise ou non, ce que nous soumettons aujourd’hui à votre vote est compatible avec les recommandations de l’AIEA et avec celles de la Commission européenne.
M. Benjamin Saint-Huile
Mais personne ne le demande !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec le projet, mais, s’il vous plaît, utilisons des arguments recevables, qui ne laissent pas penser que nous sommes en train de contourner les recommandations des agences internationales. (M. Antoine Léaument s’exclame.)
L’exemple belge a été mentionné. Savez-vous qui est l’expert technique en Belgique ? Et quel organisme gère les inspections ? C’est une entité privée. Alors, madame Laernoes, si vous voulez privatiser le contrôle de la sûreté nucléaire, faites-le, mais ce sera sans moi !
M. Sylvain Maillard
Bravo ! Ça, c’est un argument !
Mme Julie Laernoes
Vous détournez mes propos ! Je n’ai jamais dit que je voulais privatiser, je veux dissocier la décision de l’expertise.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Vous avez dit que la Belgique avait envisagé de changer les choses mais que, finalement, elle avait gardé son dispositif, qui vous va très bien.
Mme la présidente
Chers collègues, seul M. le ministre délégué a la parole. Il y a beaucoup d’amendements, il faut que nous puissions nous y retrouver.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je prends juste le temps de préciser quelques points importants, madame la présidente, je serai plus rapide ensuite.
M. Charles Sitzenstuhl
Il a le droit de faire de la politique ! (Sourires.)
Mme la présidente
Prenez-le temps que vous voulez, monsieur le ministre délégué, vous avez la parole.
M. Roland Lescure, ministre délégué
L’entité privée belge est très puissante ; elle effectue l’expertise et l’inspection et, ne vous en déplaise, elle est privée.
M. Benjamin Saint-Huile
Quel rapport avec le texte ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Pour ma part, je préfère que ces tâches soient assurées par une autorité indépendante – véritablement indépendante –,…
M. Sylvain Maillard
Nous aussi !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…telle que celle proposée par le projet de loi et, soit dit en passant, telle que celle instaurée par le Japon à la suite de l’accident de Fukushima. Avant, il y avait au Japon non pas deux entités, mais trois. Depuis 2014, il n’y en a plus qu’une : c’est justement en réponse à un accident nucléaire d’ampleur majeure que les Japonais ont décidé de rassembler leur gouvernance en une seule autorité.
Que faisons-nous ici ?
M. Antoine Léaument
N’importe quoi !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous proposons de rassembler deux entités qui travaillent déjà ensemble et qui représentent, à elles seules, plus de 2 000 collaborateurs, qui seront demain, comme ils le sont aujourd’hui, au service de la sûreté. La seule différence, c’est que, grâce à la fusion des deux entités, le fonctionnement sera plus efficace. Il y aura autant de transparence et plus d’expertise.
L’Autorité de sûreté nucléaire rend 2 000 décisions par an, dont seulement 350 sont instruites par l’IRSN. Les 1 650 décisions rendues par l’ASN sans l’appui de l’IRSN sont-elles inacceptables ? Mettent-elles en danger notre sûreté ?
M. Sylvain Maillard
Eh non !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Vous l’avez tous dit : notre modèle fonctionne.
M. Antoine Léaument
Pourquoi le changer, dans ce cas ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Cela va continuer. Il sera juste plus efficace, plus puissant, plus indépendant, plus transparent. Il nous permettra d’accompagner le développement du nucléaire.
Mme Christine Arrighi
Ce sont des paroles magiques, ça !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Les fusions ne fonctionnent pas toujours, c’est vrai – et ce n’est pas parce qu’on en discute au Parlement qu’elles fonctionnent mieux ou moins bien. Je le redis : l’enjeu majeur de celle-ci est un enjeu d’exécution. Je m’y suis engagé devant vous : l’exécution sera engagée dès que le texte sera adopté – nomination d’un préfigurateur, accélération des groupes de travail, lancement de chantiers très concrets sur les systèmes d’information, la rémunération, la coopération internationale.
Mme Christine Arrighi
Nous verrons à la fin !
M. Roland Lescure, ministre délégué
De surcroît, la séparation entre décision et expertise, que vous avez votée, n’est pas mentionnée aujourd’hui dans le règlement de l’ASN. Non seulement nous aurons une autorité plus indépendante et transparente, mais la séparation entre expertise et décision sera renforcée.
L’article 1er doit donc impérativement être rétabli : il reprend le principe de la fusion et l’inscrit dans la loi. Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur tous les amendements qui viennent d’être présentés, et ferai de même sur les sous-amendements.
Mme la présidente
Les sous-amendements n’ont pas encore été présentés, monsieur le ministre délégué. Merci d’attendre qu’ils le soient pour donner votre avis.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Quoi qu’il en soit, je vous engage vraiment à voter l’amendement du Gouvernement et les amendements identiques.
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 152.
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
Le projet de loi ne prévoit aucune baisse d’exigence en matière de sûreté. Soyons clairs : nous n’avons jamais dit que tel était notre objectif.
M. Raphaël Schellenberger
Il ne faut pas baisser les exigences, il faut les redéfinir.
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
Au contraire, l’exigence, nous voulons la renforcer, en adaptant le système actuel, qui repose, d’une part, sur l’ASN, d’autre part, sur une partie de l’IRSN, avec la recherche et l’expertise.
S’agissant de l’expertise, il est erroné de dire que l’IRSN la concentre toute.
Mme Danielle Brulebois
Eh oui !
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
L’ASN compte au moins 200 experts, qui instruisent des dossiers examinés par le collège de l’ASN et sur lesquels l’agence est appelée à prendre des décisions. Je conçois qu’on puisse être en désaccord avec la réforme, mais arrêtons de faire croire à celles et ceux qui nous écoutent qu’il y a, d’un côté, les experts, de l’autre, ceux qui décident. C’est faux. En revanche, il faudra que les chercheurs accompagnent bien les experts, parce que les seconds ne peuvent gagner en compétence qu’en collaboration avec les premiers.
L’article 1er, supprimé en commission, doit être rétabli : c’est la clef de voûte du projet de loi. Nous en avons besoin pour tout le reste. J’y reviendrai tout à l’heure lorsque nous donnerons nos avis sur les amendements, mais je m’opposerai à tous ceux qui visent à inscrire la dualité dans le texte. Tous les autres articles ayant été adoptés par la commission, nous vous demandons, par cohérence, de rétablir l’article 1er, de manière que nous disposions d’un dispositif global capable d’accompagner la relance et la montée en puissance du nucléaire en France, et cela grâce à une entité qui disposera de plus de moyens et qui sera plus indépendante et attractive.
Nous en avons besoin si nous souhaitons que le nucléaire nous aide, avec les énergies renouvelables, à défossiliser notre économie – mais peut-être qu’en ne voulant pas que ce projet avance, ne veut-on pas en réalité que la relance du nucléaire participe à cette défossilisation.
Mme la présidente
L’amendement no 156 de M. Emmanuel Maquet est défendu.
La parole est à M. Anthony Brosse, pour soutenir l’amendement no 198.
M. Anthony Brosse
Nous soutenons l’amendement de rétablissement de l’article 1er.
Mme la présidente
L’amendement no 220 de M. Bruno Millienne est défendu.
La parole est à M. Pierre Henriet, pour soutenir l’amendement no 234.
M. Pierre Henriet
Je l’ai dit dans une de mes précédentes interventions : le système dual actuel fonctionne, et il n’est pas question de remettre en cause le fonctionnement de l’IRSN et de l’ASN. Le HCERES a d’ailleurs émis un rapport plutôt favorable à l’IRSN, dans le cadre de son évaluation.
Toutefois, dans le cadre de la relance du programme nucléaire, il va falloir faire face à l’accroissement du nombre de décisions que l’ASN sera appelée à prendre. Aujourd’hui, on en compte environ 2 000 par an, pour seulement 500 opérateurs. Comment fera-t-on en 2030, lorsqu’on sera en plein boom de ces établissements ?
Il est donc primordial d’inclure l’expertise de l’IRSN au sein de l’Autorité de sûreté nucléaire, afin de faire face à la future augmentation de la charge de travail. Il y aura en effet trois à cinq fois plus de décisions et d’inspections qu’aujourd’hui, vu que l’ASN inspecte également l’ensemble des établissements et des sites nucléaires en France.
Au sein de la nouvelle autorité administrative indépendante, comme l’a dit M. le ministre, nous garantissons à la fois la même exigence pour ce qui est du respect des normes de sûreté nucléaire et la dualité entre l’expertise et la décision.
En conséquence, il serait de bon aloi de rétablir l’article tel qu’il a été adopté par le Sénat en première lecture.
Mme la présidente
Nous en venons aux sous-amendements aux amendements identiques.
La parole est à M. Gérard Leseul, pour soutenir le sous-amendement no 357.
M. Gérard Leseul
Nous souhaitons compléter la rédaction proposée par le Gouvernement par la mention de l’approche déterministe, qui s’oppose à l’approche probabiliste et qui est celle aujourd’hui mise en œuvre par l’IRSN : les dispositions de conception retenues par l’exploitant sont justifiées par l’étude d’une série d’accidents de dimensionnement et par l’application de règles et de critères qui incluent des marges et des conservatismes.
Si la France se distingue des autres puissances internationales par son système dual, par le fonctionnement de l’IRSN et par son approche déterministe, votre intention, que vous avez rappelée tout à l’heure, est de rapprocher le système français des systèmes anglo-saxons, plutôt fondés sur une approche probabiliste et de conformité. C’est ce que nous voulons absolument éviter : nous souhaitons conserver l’approche très prudentielle de l’IRSN. Le sous-amendement vise à préciser ce point essentiel.
Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul, pour soutenir le sous-amendement no 358.
M. Gérard Leseul
Très similaire à l’amendement défendu tout à l’heure par notre collègue Mireille Clapot, ce sous-amendement tend à préciser que l’ASNR est une autorité publique indépendante – visiblement, « indépendante » est un terme que vous n’aimez pas, puisque vous l’avez supprimé en commission, alors qu’il avait été introduit dans le texte par les sénateurs LR. (M. Raphaël Schellenberger s’exclame.)
Le statut d’API dont sont dotées nombre d’instances – notre collègue Laernoes en a cité plusieurs tout à l’heure – permettrait en outre à la nouvelle autorité de continuer à assurer les activités commerciales actuelles de l’IRSN, qui n’auraient donc pas à être déléguées au CEA. C’est pourquoi nous insistons sur la nécessité de préciser que la future autorité que vous appelez de vos vœux est dotée du statut d’API.
M. Bruno Millienne
Criminel !
Mme la présidente
La parole est à Mme Chantal Jourdan, pour soutenir le sous-amendement no 359.
Mme Chantal Jourdan
Ce sous-amendement vise à compléter la dénomination de la nouvelle autorité qui, si elle devait voir le jour, serait ainsi intitulée « autorité indépendante de sûreté nucléaire et de radioprotection ».
Nous l’avons dit plusieurs fois, nous sommes opposés à cette réforme injustifiée et dangereuse de notre modèle de sûreté nucléaire. Cependant, si le Gouvernement continue à s’obstiner en ce sens, il apparaît indispensable que la nouvelle autorité soit perçue comme indépendante par son collège et ses personnels, ainsi que par les pouvoirs publics et les citoyens.
Saisi par la commission des affaires économiques, l’Opecst, dans son rapport du 11 juillet 2023 sur les conséquences d’une éventuelle réorganisation de l’ASN et de l’IRSN sur les plans scientifique et technologique ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection, avait lui-même recommandé que l’intitulé de la nouvelle autorité administrative rappelle son caractère indépendant, proposant celui d’autorité indépendante de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Mme la présidente
Nous passons à cinq sous-amendements identiques, nos 352, 353, 367, 368 et 369.
La parole est à M. Philippe Bolo, pour soutenir le sous-amendement no 352.
M. Philippe Bolo