XVIe législature
Session ordinaire de 2023-2024

Séance du mercredi 04 octobre 2023

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (nos 1514 rectifié, 1674).
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé la discussion des articles, s’arrêtant après la présentation par leurs auteurs des amendements identiques nos 72 et 362 visant à supprimer l’article 1er.
La parole est à Mme Louise Morel, rapporteure de la commission spéciale pour les titres Ier et II, afin de donner l’avis de la commission sur ces deux amendements nos 72 et 362.
Je ne comprends pas les auteurs de ces amendements de suppression. En les défendant, vous affirmez au fond que vous êtes favorables non à une nouvelle obligation de moyens imposée aux sites pornographiques, mais à une obligation de résultat telle qu’elle existe déjà. En somme, il faudrait ne rien faire, ne rien changer, considérer qu’il n’y a pas de problème.
Permettez-moi de répondre sur plusieurs points abordés tout à l’heure. L’orateur du Rassemblement national nous demande comment sera vérifiée l’effectivité du référentiel. C’était l’objet des différentes auditions que nous avons menées au cours des dernières semaines : les acteurs concernés y sont venus nous présenter en long et en large différentes solutions techniques qui présentent l’avantage, pour la plupart, d’être proposées par des entreprises françaises innovant au quotidien dans le secteur numérique, dans le respect du règlement général sur la protection des données – le RGPD – et de la protection des données, autant d’éléments qui vous sont chers.
Ensuite, Mme Amiot estime que le dispositif n’est pas cadré et M. Taché que le référentiel est présenté trop rapidement. Je vous rassure : il a fallu trois ans de travail avec l’Arcom – l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – et la Cnil – la Commission nationale de l’informatique et des libertés – pour élaborer ce référentiel et faire en sorte qu’il soit effectif dans la durée.
Le faible nombre de condamnations sur le fondement du dispositif actuel montre bien que la simple obligation de résultat qui incombe aux éditeurs de sites pornographiques ne fonctionne pas. C’est pourquoi nous vous proposons de débattre de l’article 1er, éventuellement de l’améliorer, et donc de voter contre ces amendements de suppression.
La parole est à M. le ministre délégué chargé du numérique, pour donner l’avis du Gouvernement.
Mme la rapporteure a raison : il faut débattre de l’article 1er, comme il faudra débattre de l’article 2. Tous ici nous partageons le même constat, et la même ambition d’amener, par la dissuasion, les sites pornographiques à vérifier l’âge de leurs utilisateurs.
Il y a trois ans, le Parlement a adopté une loi imposant aux sites pornographiques de vérifier sérieusement l’âge de leurs utilisateurs sous peine de saisine par l’Arcom du tribunal judiciaire de Paris en vue de déclencher une procédure à leur encontre. L’Arcom a bien saisi le tribunal mais les procédures judiciaires représentent une lourde charge pour elle. De plus, elles sont longues : un an et demi après la saisine initiale, le tribunal judiciaire n’avait toujours pas rendu son délibéré.
C’est pourquoi dans leur rapport – que je ne brandirai pas à nouveau devant l’Assemblée, madame la présidente –, les sénatrices Billon, Borchio Fontimp, Cohen et Rossignol, que je citais tout à l’heure, ont proposé de confier à l’Arcom le pouvoir de bloquer, sans avoir à passer par une procédure judiciaire, les sites pornographiques qui ne vérifient pas l’âge de leurs utilisateurs.
Je vous demande quelques instants d’attention afin de vous expliquer les arguments sur lesquels se fonde l’article 1er, de sorte que la rapporteure et moi-même n’aurons pas à y revenir trop longuement par la suite. L’article 1er prévoit que l’Arcom élabore un référentiel et l’article 2 lui donne le pouvoir de blocage ; or l’un et l’autre ont suscité certaines inquiétudes, que traduisent les amendements. Elles sont de deux ordres.
Mmes Santiago et Pasquini, tout d’abord, nous mettent en garde contre la création d’un référentiel, car il sera contesté par les sites pornographiques et, en attendant le règlement des litiges, l’Arcom ne pourra pas utiliser son pouvoir de blocage. Ces inquiétudes sont légitimes.
D’autres parmi vous – Mmes Parmentier, K/Bidi, Amiot et Chikirou et MM. Seitlinger, Boucard, Taché, Lopez-Liguori et Chassaigne – considèrent dans leurs amendements qu’il faut être très vigilant quant à la manière dont l’âge des utilisateurs sera vérifié, en garantissant notamment le respect de la vie privée et des données personnelles. C’est précisément aux inquiétudes sur le mode de vérification de l’âge que répond le référentiel.
Les amendements nos 884 rectifié et 886 que présentera la rapporteure permettront de clarifier les rôles respectifs de l’article 1er et de l’article 2. En vertu de l’article 1er, l’Arcom élabore le référentiel que les sites sont tenus d’adopter sous peine d’une amende administrative. En vertu de l’article 2, les sites doivent respecter l’obligation qui leur est faite à l’article 227-24 du code pénal sous peine d’une mesure de police administrative – en l’occurrence le blocage du site.
Puisque la question du référentiel reviendra, je rappelle simplement que le rapporteur général et les rapporteurs thématiques ont convoqué l’Arcom et la Cnil jeudi dernier afin qu’elles répondent à toutes les interrogations des membres de la commission spéciale quant au contenu du référentiel. Il portera notamment sur la fiabilité de la solution adoptée pour vérifier l’âge des utilisateurs – elle doit permettre effectivement de vérifier l’âge, sans quoi elle ne sert à rien – et sur la protection des données et de la vie personnelle, car il est souhaitable, en effet, que la vérification d’âge ne soit pas trop intrusive et qu’elle ne présente pas de risque de fuite de données.
L’Arcom et la Cnil ont été très claires quant au contenu du référentiel et aux garanties tout à la fois de fiabilité – encore une fois, la vérification de l’âge doit permettre de s’assurer que les utilisateurs des sites pornographiques sont bien majeurs – et de protection de la vie privée. Voici quelles sont ces garanties.
En matière de fiabilité, aucun contenu pornographique ne doit apparaître avant la vérification effective de l’âge de l’utilisateur. C’est un principe dont nous avons débattu et que nous avons même anticipé en l’incluant dans le texte. Ensuite, la vérification de l’âge devra se faire à chaque accès au site, afin qu’il ne suffise pas de confirmer l’âge une seule fois sur un navigateur pour pouvoir ensuite accéder librement au site. Enfin, le référentiel devra être adapté dès que des méthodes de contournement seront détectées. Voilà pour la fiabilité, en réponse à ceux qui craignent que l’âge des utilisateurs ne soit pas effectivement vérifié.
Quant aux garanties entourant la vie privée et les données personnelles, le référentiel sera publié après avis de la Cnil, encadrera la création de comptes utilisateurs, précisera la condition de recours à un tiers indépendant et prévoira la mise à disposition d’au moins une solution renforcée de préservation de la vie privée – la solution dite de double anonymat – sans préjudice de la mise à disposition d’autres solutions passant par un tiers de confiance, qui assureront l’étanchéité totale entre le fournisseur d’une preuve de majorité et le site internet réservé aux adultes.
Compte tenu des clarifications ainsi apportées par l’Arcom et la Cnil et des amendements proposés par la rapporteure, je crois pouvoir rassurer tout à la fois Mmes Pasquini et Santiago quant au fait que l’Arcom, quoi qu’il arrive avec le référentiel, conservera son pouvoir de blocage, et tous ceux parmi vous qui, inquiets des questions relatives au respect de la vie privée, souhaitaient intégrer plusieurs garanties au texte.
Telles sont les précisions que je tenais à apporter, en appelant naturellement au rejet des amendements de suppression de l’article.
Sur les amendements nos 364 et 376, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d’une demande de scrutins publics.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Sur les amendements de suppression, je donnerai la parole à deux orateurs, un pour et un contre : M. Kerbrat et Mme Guévenoux. La parole est à M. Andy Kerbrat.
Je vous remercie, madame la présidente, de respecter la parité. Nous n’aurons hélas pas le temps de débattre du contenu du référentiel, puisque les amendements de suppression de l’article seront adoptés. Je suis donc obligé de rappeler l’histoire qui a conduit à cet article. Il est vrai qu’une loi a été adoptée il y a trois ans, mais elle a été contestée, non par les acteurs du secteur pornographique payant – Dorcel ou d’autres – mais par les « tubes », comme Pornhub qui offrent un accès gratuit. Il a fallu un an et demi, en effet, pour aboutir à une décision de justice. Mais vous racontez un peu n’importe quoi, monsieur le ministre délégué
(« Oh ! » sur les bancs du groupe RE)
, car en janvier 2023, la Cour de cassation a rétorqué de manière laconique et univoque que la loi qui permet de bloquer les sites ne respectant pas la vérification de minorité est parfaitement claire et constitutionnelle. La voie est donc libre pour bloquer l’accès aux sites qui contreviennent aux règles de protection des mineurs.
Le problème, c’est que la loi n’est pas appliquée. Je vous crois très sincère, monsieur le ministre délégué, dans votre combat pour la protection des mineurs face à l’accès à la pornographie, et aucun d’entre nous ici ne pense autrement. Néanmoins, vous voici avec un nouveau projet de loi qui annule certains dispositifs de la loi de 2020 tout en instaurant des mesures d’identité numérique. Encore une fois, je regrette que nous n’ayons pas le temps d’en parler, mais les associations de protection des droits des enfants vous alertent, comme l’a dit Mme Amiot, sur l’inefficacité annoncée de ce dispositif, car vous tapez à côté de la cible. Je cite leur tribune : « La majorité présidentielle vote une loi, dont la constitutionnalité est confirmée, et qui est sur le point d’être appliquée. Puis cette même majorité sabote le dispositif au dernier moment en votant une nouvelle loi qui s’apparente à une véritable bouée de sauvetage pour les géants du X. » Pourquoi ? Parce qu’ils déposeront de nouveaux recours et auront de nouveau trois ans devant eux.
Je conclus : vous vous étiez engagé devant la commission, monsieur le ministre délégué, à nous présenter le référentiel avant l’examen du texte en séance. Nous apprenons de la rapporteure qu’il fait l’objet de travaux depuis trois ans, et vous nous dites que l’Arcom et la Cnil bossent dessus. Je crois quant à moi qu’on n’a pas besoin de trois ans pour présenter un brouillon aux parlementaires !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
La défense de ces amendements nous plonge dans la troisième galaxie, le monde merveilleux de la NUPES – un monde merveilleux où il n’y a pas de problème,…
…où il n’y a pas 2,3 millions de mineurs exposés à la pornographie, où 50 % des garçons de 12 ans ne se trouvent pas confrontés à des contenus illicites, bref, un monde merveilleux où il ne se passe rien et où, pour appliquer la loi, il suffit de le dire. C’est tout de même rudimentaire ! Il ne vous aura pourtant pas échappé que depuis 2020, une loi adoptée par cette majorité dispose très clairement que la simple déclaration de majorité ne suffit pas. Or, que se passe-t-il depuis 2020 ? Les éditeurs pornographiques, que vous nous avez gentiment présentés comme de petits acteurs artisanaux, et non des Gafa – ce sont tout de même des entreprises qui gagnent des centaines de millions d’euros, disons-le – ont payé les meilleurs cabinets d’avocats de la planète pour contourner la loi.
Nous vous proposons par l’article 1er un dispositif qui permettra d’appliquer la loi. Prenez vos responsabilités : votez-le – ou non !
La parole est à M. Paul Midy, rapporteur général de la commission spéciale.
L’article 1er est évidemment très important. Le problème est le suivant : 80 % de nos enfants ont eu accès à la pornographie à cause d’internet, parfois très jeunes – avant dix ans.
Il ne faut pas les laisser surfer sur internet !
Pourquoi est-il si facile d’accéder à la pornographie ? Parce qu’il suffit de cliquer sur un bouton confirmant qu’on a plus de 18 ans pour avoir accès à des millions de contenus pornographiques. Mme Guévenoux l’a rappelé : ceux d’entre vous qui siégeaient déjà ici sous la législature précédente ont voté une loi qui permet de demander aux plateformes de vérifier l’âge des utilisateurs et d’éviter l’exposition des mineurs à la pornographie.
Mais voilà : cela fait trois ans qu’à force de recours et de procédures en justice, cette loi n’est toujours pas mise en œuvre. Alors que faisons-nous ? D’abord – je rassure notre collègue Kerbrat et les associations signataires de la tribune parue dans
Le Monde
–, nous conservons la loi de 2020, la référence au code pénal et l’obligation de résultat imposée aux plateformes. Mais nous y ajoutons l’obligation de moyens, qui est justement l’objet du référentiel. En effet, les plateformes ont expliqué à la justice qu’elles ne savaient pas quel type de solution mettre en œuvre pour vérifier l’âge des utilisateurs et qu’en l’absence d’éléments d’information plus précis, elles ne seraient pas capables d’opérer cette vérification par elles-mêmes. Eh bien chiche ! Nous leur répondons à travers ce projet de loi en ajoutant un référentiel, couplé à une obligation de moyens. Sur la base des deux obligations – de résultat et de moyens –, l’Arcom pourra agir, notamment en déréférençant ou en bloquant des sites. L’objectif n’est pas qu’elle le fasse, mais qu’elle puisse brandir une menace suffisamment crédible pour que ceux-ci mettent enfin en place les solutions préconisées.
Si nous supprimons l’article 1er, nous retournerons à la case départ, alors qu’en le votant, nous ajouterons une obligation de moyens à l’obligation de résultat existante.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
Je mets aux voix les amendements identiques nos 72 et 362.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 136
Nombre de suffrages exprimés 110
Majorité absolue 56
Pour l’adoption 21
Contre 89
(Les amendements identiques nos 72 et 362 ne sont pas adoptés.)
La parole est à Mme Francesca Pasquini, pour soutenir l’amendement no 302.
Pornhub, Xvideos, Xhamster : les sites pornographiques épinglés par l’Arcom parce qu’ils ne vérifient pas l’âge de leurs utilisateurs sont nombreux. Visé par une demande de blocage de l’Arcom, ils mènent une bataille juridique sans relâche pour empêcher l’aboutissement de la procédure. Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), recours multiples et variés, la liste est longue des procédés employés par les avocats de ces sites pour ne pas respecter la loi de 2020 sur les violences conjugales.
Parce que nous souhaitons empêcher ces sites d’utiliser le droit pour ne pas se conformer à la loi, nous proposons – dans le cas où l’article 1er de ce projet de loi serait adopté – de faire référence à la loi de 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales plutôt qu’à celle de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Si jamais une QPC censurait les nouvelles dispositions modifiant la loi de 2004, il n’y aurait plus aucun recours juridique pour faire suspendre l’accès aux sites pornographiques qui ne vérifient pas l’âge de leurs utilisateurs. En modifiant la loi de 2020, on garantit qu’en cas de censure du Conseil constitutionnel, l’ancienne version reviendra en vigueur.
Vous proposez, madame la députée, la réintégration du dispositif à la loi relative aux violences conjugales de 2020. Pour le bon déroulement de nos débats, je voudrais vous rappeler que lorsqu’il a été déposé au Sénat, le projet de loi prévoyait deux articles distincts avec, à l’article 2, une procédure de blocage et de déréférencement intégrée à l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Or les articles 1er et 2 tels qu’adoptés par le Sénat sont mieux organisés et plus clairs, puisqu’ils déplacent les dispositifs dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique. En conséquence, ils abrogent l’article 23 de la loi de 2020. Si ces articles étaient déclarés inconstitutionnels cependant, c’est bien cet article 23, auquel vous tenez, qui continuera de s’appliquer puisqu’il ne sera pas abrogé.
J’en viens aux procédures en cours, au sujet desquelles des associations vous ont sollicitée. Il me semble percevoir une grande incompréhension dans l’hémicycle, et je voudrais être très claire à ce sujet : l’article 36 du présent projet de loi dispose que « L’article 2 entre en vigueur le 1er janvier 2024 ». Cela signifie que les procédures que vous avez évoquées restent régies par les dispositions de l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes
de violences conjugales, dans sa version en vigueur à cette date.
Je vous rappelle enfin, comme l’a indiqué M. le ministre délégué, que les amendements que je défendrai dans quelques instants insistent sur l’obligation de résultat comme sur l’obligation de moyens. Il sera toujours fait mention de l’article 227-24 du code pénal dans ce texte. Avis défavorable.
Il me semble important de répondre aux propos qui viennent d’être tenus. À qui nous attaquons-nous ? Je l’ai dit tout à l’heure : pas à la société Dorcel qui, comme l’a reconnu Marie Guévenoux, a les moyens de mettre en place la vérification par double anonymat. Non, nous nous attaquons aux « tubes » comme Pornhub, Xhamster ou comme d’autres plus
underground
. Ce sont ces plateformes qui enregistrent le plus grand nombre de vues et qui ont le plus grand nombre d’utilisateurs, parce qu’elles sont gratuites ! Néanmoins, grâce à la publicité et à la capture de données appartenant aux producteurs de films pornographiques officiels, elles gagnent de l’argent ! Je n’ai d’ailleurs jamais dit qu’il s’agissait de petits artisans : malheureusement, les petits artisans du porno seront très affectés par votre projet de loi.
Quoi qu’il en soit, je suis étonné. Je regrette vraiment que la majorité n’ait pas voté notre amendement de suppression car la loi était déjà protectrice – vous venez de le confirmer, madame la rapporteure ! C’est dommage. Nous aurions pu réécrire tous ensemble un texte qui respecte les libertés publiques, plutôt que de nous lancer dans une aventure qui risque d’être désastreuse de ce point de vue et qui pourrait être anticonstitutionnelle – nous le verrons en fonction des amendements qui nous seront proposés. J’insiste : vous nous aviez dit, monsieur le ministre délégué, que vous nous présenteriez le référentiel avant la séance. Où est-il ?
Après trois ans de travail, vous n’êtes pas capables de présenter un brouillon aux parlementaires ! Nous avons été obligés de vous arracher les poils du nez pendant la séance pour avoir des informations ! Plutôt que de parler de la suite, je propose donc que nous parlions du référentiel !
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES. – Mme Francesca Pasquini applaudit également.)
J’avoue sentir, depuis tout à l’heure, une certaine ébullition monter en moi, monsieur Kerbrat !
(Rires sur divers bancs. – M. Andy Kerbrat s’exclame.)
(Sourires.)
Plus sérieusement, vous secouez un chiffon rouge en disant que ce texte porterait atteinte aux libertés publiques.
Le dispositif que nous allons mettre en place ne vise qu’à protéger nos enfants. C’est tout, ce n’est pas plus compliqué que ça.
(Exclamations sur quelques bancs.)
Vous nous dites, monsieur Kerbrat, que le référentiel ne vous a pas été présenté. Pourtant, une réunion s’est tenue avec les représentants de l’Arcom et de la Cnil, qui nous ont expliqué de façon précise l’avancée de leurs travaux et les directions qu’ils prenaient.
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Il est vrai cependant que les députés de la NUPES étaient absents, comme nous avons pu le constater !
(Mme Sophia Chikirou s’exclame.)
Ne nous dites pas que le référentiel ne vous a pas été présenté, puisqu’il l’a été.
Je suis très inquiet. Vous êtes dans un délire libertarien – très libéraux, en fait !
(M. Andy Kerbrat s’exclame.)
Vous proposez de ne rien faire ! Vous votez des amendements de suppression de l’article 1er, après avoir défendu une motion de rejet pour écarter le texte : vous souhaitez laisser faire le marché, la main magique que vous connaissez mieux que moi pour l’évoquer souvent lors de vos argumentations.
Grâce au travail réalisé sur les règlements par nos parlementaires européens, et peut-être par les vôtres aussi – pour ceux du Rassemblement national, nous ne savons pas –, …
Laisse-nous tranquilles, nous ne t’avons rien fait.
…nous essayons de bâtir des dispositifs qui protègent les mineurs tout en laissant la liberté aux adultes de consulter les sites qu’ils souhaitent. Arrêtez d’agiter des chiffons rouges, vous vous ridiculisez !
(Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs des groupes RE et HOR.)
(L’amendement no 302 n’est pas adopté.)
La parole est à Mme Sophia Chikirou, pour soutenir l’amendement no 364.
Il vise à supprimer l’alinéa 2, portant sur la vérification de l’âge. Nous avons bien à l’esprit les auditions des représentants de l’Arcom et de la Cnil au sujet du référentiel et nous avons bien retenu les informations qu’ils ont bien voulu nous transmettre – notamment leurs doutes sur la capacité réelle à vérifier l’âge de l’internaute souhaitant consulter un site pornographique, et les conclusions qu’ils en tirent. Soyons très clairs : l’une des possibilités consiste à contrôler grâce à une carte bleue. Or un enfant de 16 ans peut en détenir une.
Ce n’est pas ça ! Il fallait venir aux réunions !
Ce n’est donc pas suffisant pour contrôler l’âge de l’utilisateur, comme le reconnaissent l’Arcom et la Cnil. Une autre possibilité consiste à reconnaître les traits du visage.
Or cette vérification est très imparfaite : comment distinguer le visage d’un jeune de 18 ans moins deux jours, qui est mineur, de celui d’un jeune âgé de 18 ans et deux jours qui, lui, est majeur ? Je connais des jeunes de 18 ans qui en paraissent 14 et d’autres qui en paraissent 22 ! Ce procédé ne fonctionne pas non plus de façon certaine !
La biométrie n’étant pas efficace, on en arrive toujours au risque d’avoir à présenter sa carte d’identité, ce qui ne garantit pas l’anonymat des personnes qui consultent un site.
Vous avez beau dire qu’avec la double authentification, l’anonymat sera garanti… En réalité, si ce procédé est réservé aux sites pornographiques, vous savez très bien ce que feront les personnes qui s’identifieront avec une carte d’identité ! Au-delà du fait qu’elles violeront l’anonymat, ces mesures d’une inefficacité absolue pourraient donc être porteuses d’injustice.
Vous nous dites par ailleurs que les dispositifs évolueront avec le temps, grâce aux innovations technologiques. Mais les moyens de les contourner évolueront eux aussi ! Ce n’est donc pas la vérification d’identité qui nous permettra d’être efficaces, et ce n’est pas par ce procédé qu’il faut aborder le sujet.
Contrairement à ce que vous dites, les autres pays ayant essayé d’agir en ce domaine ont fait la même chose que nous. Ils en arrivent à la conclusion qu’aucun des dispositifs existants ne permet le respect de la vie privée, la sécurité ou l’efficacité.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Aurélien Taché applaudit également.)
Il faut savoir faire preuve de bonne foi, madame la députée. Vous parlez de doutes réels de l’Arcom et de la Cnil. Pourtant, leurs représentants n’ont jamais parlé de doutes réels lorsque nous les auditionnés par deux fois, avant le passage du texte en commission puis avant son arrivée en séance. J’étais présente à ces auditions, avec plusieurs autres députés, alors que vous n’étiez pas là – pas plus qu’aucun collègue de votre groupe, d’ailleurs. Les personnes auditionnées nous ont assurés de leur fierté
(Mme Sophia Chikirou s’exclame)
– je vous serais reconnaissante d’éviter de m’interrompre, madame – de travailler depuis plusieurs mois sur ce référentiel, qui permettra de mieux protéger les mineurs de l’accès à la pornographie.
L’adoption de votre amendement aurait le même effet que la suppression de l’article 1er. Or je le redis : nous ne serions pas tous réunis dans l’hémicycle ce soir pour parler de la nécessité de mettre en place un référentiel si la loi s’appliquait parfaitement. L’avis de la commission est bien entendu défavorable.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
Surtout ne votez pas l’amendement no 364, mesdames et messieurs les députés ! En effet, en raison d’une malheureuse erreur de numérotation, l’alinéa supprimé ne serait pas celui qui décrit le référentiel mais celui qui charge l’Arcom de veiller à ce que les sites ne puissent pas être accessibles aux mineurs et à ce qu’ils ne contreviennent pas à l’article 227-24 du code pénal. Il ne faut donc surtout pas supprimer cet alinéa.
Cela fait plusieurs fois, par ailleurs, que vous mettez en avant l’expérience d’autres pays qui auraient abandonné, comme le Royaume-Uni. Or ce pays a adopté le 19 septembre dernier – il ne manque plus que le sceau de Sa Majesté le Roi – une loi de protection en ligne qui prévoit exactement la même chose que notre projet de loi !
(« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe RE.)
Le texte dispose en effet que les sites doivent vérifier l’âge de l’utilisateur et que l’Ofcom –
Office of Communications
, équivalent de l’Arcom – établit un référentiel. Le Royaume-Uni fait donc exactement la même chose que nous, en même temps que nous ! Évitons de dire que les autres pays ont abandonné quand, en réalité, ils avancent au même pas que le nôtre. Avis défavorable.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.)
Ne dites pas, collègue Balanant, que les députés de la NUPES n’étaient pas là durant les auditions et les réunions de commission : nous avons échangé longuement ensemble, évoquant notamment le fait que les solutions techniques sont imparfaites et douteuses.
L’Arcom a reconnu lors de son audition – nous n’étions peut-être pas présents ce jour-là, mais nous avons suivi les débats de près, comme vous le savez – que le référentiel n’était pas au point, pas plus que la solution du double anonymat garantissant le droit à la vie privée. Nous avons des raisons de craindre que celle-ci ne soit repoussée aux calendes grecques.
Je le répète : le combat pour limiter l’exposition des enfants à une pornographie de plus en plus brutale est juste. Entendez-vous simplement introduire dans le droit français la possibilité, pour une autorité administrative, de vérifier l’identité sur internet ? Nous en avons parlé en commission, mais vous ne répondez pas aux vraies questions, monsieur le rapporteur général et monsieur le ministre délégué ; ni vous, collègues de la majorité.
Pour finir, je m’étonne d’une chose : à prôner une solution absolument garantie par l’État et par les autorités administratives, vous semblez ne plus faire confiance aux parents et aux familles. Pourtant, quand vous parlez d’éducation, des quartiers populaires ou de nombreux autres sujets, vous n’avez de cesse de renvoyer à la responsabilité des familles et des parents, et de dédouaner l’État. La philosophie que vous défendez ce soir est quelque peu contradictoire avec le message que le Gouvernement et le Président de la République diffusent en permanence dans le débat public.
À mon tour d’exprimer mon étonnement : alors que je ne faisais pas partie de la commission, j’ai vu fonctionner différentes solutions et propositions. Plusieurs types d’applications d’anonymisation et de double authentification nous ont été présentés, avec les vérifications associées. Comment pouvez-vous affirmer qu’il n’en existe pas ?
C’est surtout qu’elles ne sont pas efficaces !
Pourquoi opter pour un référentiel plutôt que pour une application – puisque vous ne cessez de mentionner cette dernière option ? Le référentiel présente l’avantage de fixer un cadre, sans obliger de choisir telle ou telle solution. Si nous imposions une solution unique à tous les sites, l’Union européenne pourrait nous reprocher de fausser la concurrence.
Le référentiel permettra de poser un cadre, au sein duquel les plateformes seront libres d’opter soit pour la vérification de la carte d’identité, comme le fait déjà Marc Dorcel pour bloquer l’accès aux mineurs, soit pour le double anonymat, soit pour une autre solution – qu’importe. Dès lors que les enfants ne peuvent pas entrer dans un sex-shop sans présenter une pièce d’identité, je ne vois pas pourquoi ils pourraient visionner du porno sur internet sans un contrôle d’identité : voilà ce qui compte.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et RE.)
Vos excuses au nom de la protection des données ne prouvent qu’une chose : vous êtes contre la protection des enfants.
(Vifs applaudissements sur les bancs des groupes Dem et RE.)
J’ai testé, avec mon téléphone, une solution de double anonymat pour me connecter au site Marc Dorcel.
C’est très simple, et cela fonctionne très bien. Cette application a été développée par une start-up française florissante. Il suffit de la télécharger sur son téléphone, ce qui prend une trentaine de secondes, puis de présenter sa carte d’identité à ce tiers de confiance afin qu’il valide que vous êtes majeur – cela demande trois à quatre minutes.
Je me suis ensuite rendu sur le site Marc Dorcel, et j’ai lancé l’application afin qu’elle envoie mon certificat de majorité. Je vous garantis que cette solution de double anonymat fonctionne très bien. Nous pourrons la tester ensemble, si cela vous intéresse !
(Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 148
Nombre de suffrages exprimés 146
Majorité absolue 74
Pour l’adoption 25
Contre 121
(L’amendement no 364 n’est pas adopté.)
La parole est à M. Andy Kerbrat, pour soutenir l’amendement no 376.
Rassurez-vous : je ne cherche pas à mettre quiconque en ébullition – même si je constate que M. le rapporteur général m’emprunte mes mots. Quoi qu’il en soit, nous n’avons toujours pas de référentiel.
Revenons sur terre, à l’heure où certains nous lancent des accusations farfelues : nous serions contre la protection des enfants, ou que sais-je. Comme je l’ai expliqué, vous ne vous en prenez pas aux bonnes personnes : vous vous attaquez à Marc Dorcel, alors que vous devriez viser les « tubes ». De fait, votre loi sera inefficace.
J’en viens aux propos de M. Balanant et aux mesures dites liberticides. Vous nous avez présenté des éléments du référentiel, monsieur le ministre délégué, même s’il a fallu vous tirer les vers du nez : carte d’identité, carte bancaire, tiers de confiance… Vous avez même évoqué la possibilité d’une reconnaissance faciale, qui nous inquiète énormément, en citant l’exemple de l’Inde. Or le système en question, Aadhaar, a été retoqué par la Cour suprême indienne au motif qu’il ne respectait absolument pas la vie privée.
Vous affirmez que vous avez vu des outils – très bien, nous les avons vus aussi, de même que M. le rapporteur général. C’est leur fiabilité que nous mettons en cause. Nous ne sommes pas venus ici pour faire des blagues sur l’ébullition, mais parce que nous avons nous aussi travaillé. Pouvez-vous nous assurer de façon absolue que votre système de blocage des moins de 18 ans sur les sites pornographiques – et sur eux seuls, nous y reviendrons – sera fiable ? C’est la seule question qui compte. Pour l’heure, les chercheurs et les associations de protection de l’enfance affirment que c’est un coup d’épée dans l’eau et qu’il faut agir autrement. Il faut appliquer la loi et donner les moyens à la justice d’imposer la fermeture des sites.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
L’article 1er prend bien en compte la fiabilité du contrôle de l’âge et le respect de la vie privée. Pour le reste, nous souhaitons que l’Arcom, autorité administrative indépendante, puisse faire son travail et valider, dans un cadre général, plusieurs solutions techniques de contrôle de l’âge des utilisateurs. Cette réponse vaut pour l’ensemble des amendements visant à préciser le référentiel.
J’ajoute, en réponse à l’exposé sommaire de l’amendement, que le projet de loi respecte bien l’article 227-24 du code pénal. Avis défavorable.
Permettez-moi de faire un commentaire général sur les deux premiers articles du projet de loi. Nous pouvons débattre du référentiel : il est sans doute imparfait et sera sans doute contournable ;…
…il n’assurera pas un résultat garanti à 100 %, mais il présentera au moins l’avantage d’exister et d’offrir aux parents, qui sont en détresse du fait de leur incapacité à contrôler l’instrument, un outil pour mieux protéger leurs enfants. Ne mélangeons pas les sujets. Nous débattrons tôt ou tard de l’anonymat, de l’identité en ligne et de la liberté d’expression, mais en l’occurrence, nous parlons de l’accès des jeunes à la pornographie. Autant que je sache, la liberté d’expression sur YouPorn se limite à quelques commentaires sous des vidéos peu recommandables – pour des jeunes en tout cas. Nous ne parlons pas ici de liberté d’expression, mais de protection de la jeunesse.
Si je tiens aux deux premiers articles du projet de loi, ce n’est pas pour maintenir absolument le référentiel, mais parce qu’ils sont le seul vecteur que nombre d’entre nous ont trouvé pour proposer des amendements complémentaires, qui permettront d’appliquer des mécanismes de protection des mineurs de moins de 18 ans face à la promotion, sur les réseaux sociaux, de liens vers des sites pornographiques gratuits ou payants, comme OnlyFans. Ces mécanismes figurent dans la loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Nous avons besoin des articles 1er et 2 comme supports pour introduire dans le projet de loi d’autres instruments qui offriront une protection non pas dans six mois ou dans un an, mais dès la promulgation du texte.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
J’abonde dans le sens d’Andy Kerbrat. Nous essayons de parler du réel et du concret, du quotidien des gens et de leur droit fondamental à une vie privée – y compris sur internet et face à des « menaces » liées à la violence pornographique, si les films en contiennent.
La consommation de vidéos pornographiques s’effectue pour plus de la moitié sur des « tubes » – c’est ce que mes collègues tentent de vous expliquer. Les sites pornographiques de type Marc Dorcel ne sont pas ceux qui présentent le plus de danger. La réalité de la consommation du porno, la voici : c’est mieux quand c’est gratuit. Les jeunes que nous cherchons à protéger se rendent essentiellement sur des sites gratuits, en cachette. Voilà le problème. Vous pourrez instaurer toutes les mesures de vérification et de contrôle, les jeunes sont beaucoup plus malins que vous – et beaucoup plus malins que moi, assurément– : ils recourront à des VPN, des réseaux privés virtuels, pour contourner vos solutions. La Grande-Bretagne et l’Australie, qui ont testé des mesures de vérification de l’identité, ont d’ailleurs fait un constat d’échec.
Je pourrais aussi parler de l’Utah, aux États-Unis, qui a abouti exactement au même constat après une tentative de contrôle, au motif que « nous, nous aimons le sexe classique et rien d’autre » – comme je l’ai entendu tout à l’heure dans la bouche d’une collègue. L’Utah a interdit l’accès aux sites pornographiques de type « tubes ». Résultat : tout a été détourné et contourné, et le recours aux VPN a explosé.
Nous dénonçons le manque d’efficacité d’une mesure qui, du reste, ne pourra d’ailleurs pas être appliquée immédiatement – contrairement à ce que vous affirmez – : l’Arcom et la Cnil disent elles-mêmes que le déploiement sera progressif, en attendant de voir comment évolue la technologie. Nous perdons du temps, alors que nous pouvons nous appuyer sur la loi « informatique et libertés » de 2020, qui est reconnue comme constitutionnelle et qui appelle des modalités d’application.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Je n’ai jamais cité Aadhaar parmi les solutions de vérification de l’âge, monsieur Kerbrat. Aadhaar est un programme d’infrastructure numérique publique en Inde, dans le domaine de l’identité numérique. Il s’inscrit dans un environnement certes un peu plus accommodant que celui du droit français et de la Cnil, qui sont très protecteurs de la vie privée et des données personnelles. Il n’en reste pas moins qu’Aadhaar a permis à des centaines de millions d’Indiens d’accéder à des services publics et commerciaux. C’est dans ce cadre que je l’ai évoqué, pour expliquer que les infrastructures publiques, comme l’identité numérique, pouvaient être des facteurs d’inclusion plutôt que d’exclusion.
Ils n’aiment pas les infrastructures publiques !
Cela n’a rien à voir avec la vérification de l’âge. Au sujet de cette dernière, l’Arcom et la Cnil ont répondu à toutes les questions que vous leur avez posées. Elles ont été convoquées par M. le rapporteur général, et tous les membres de la commission spéciale étaient invités à leur audition. Le Gouvernement, lui, n’était pas présent. On m’a rapporté que toutes les questions avaient obtenu des réponses. Nous pouvons donc être rassurés.
Enfin, l’amendement no 376 comporte à son tour une erreur : il propose de modifier la rédaction de l’alinéa 2, alors qu’il vise en réalité l’alinéa 3, qui porte sur l’élaboration du référentiel.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 154
Nombre de suffrages exprimés 154
Majorité absolue 78
Pour l’adoption 56
Contre 98
(L’amendement no 376 n’est pas adopté.)
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir les amendements nos 195, 209 et 196, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Ils visent à replacer le juge au cœur du contrôle de la majorité. Incidemment, je vous soumets une proposition susceptible de mettre tout le monde d’accord, comme je l’ai fait dans la discussion générale : il s’agirait de supprimer les sites pornographiques gratuits. Cela résoudrait de nombreux problèmes. Pour pousser un peu la plaisanterie, je proposerais volontiers aux députés de La France insoumise de pratiquer des tests osseux pour vérifier la majorité des consommateurs de porno – mais ce serait probablement perçu comme une provocation.
(Sourires.)
Je rappelle que le Royaume-Uni, dont nous venons de parler, a remis le test osseux au goût du jour pour effectuer les contrôles de minorité.
L’alinéa 2 vise à contourner le juge puisque celui-ci ne décidera plus du bien-fondé d’une censure avant qu’elle ne soit prononcée tout comme il ne décidera plus de la manière de vérifier l’âge. C’est vrai, la justice est trop lente mais l’on peut tout de même s’étonner que vous chargiez l’Arcom du soin de censurer les sites plutôt que de vous en remettre à la justice.
D’autre part, il est étonnant de donner autorité à l’Arcom pour décider de quelle manière la majorité sera vérifiée. C’est un procédé que nous pourrions accepter sous le coup de l’émotion pour lutter contre la consommation du porno par les mineurs mais, en réalité, il peut s’avérer pervers car en ouvrant la voie à un contrôle d’identité plus large sur internet, il pourrait remettre en question nos libertés.
Comme souvent, le problème de la consommation du porno par les mineurs est mal posé. Plutôt que réprimer, nous devrions éduquer.
Il appartient au seul juge, et non à une autre autorité, de contrôler les droits et les libertés des citoyens. Confier cette tâche à l’Arcom est une marque de défiance à l’égard du juge et il est fort à craindre que le résultat soit décevant.
Vous venez de soulever l’un de nos points de désaccord. S’agissant d’un dispositif technique où la technologie est appelée à évoluer, confier le contrôle à une autorité publique indépendante semble être la solution la plus appropriée. Le juge ne sera pas exclu du dispositif puisque, à tout moment, le tribunal administratif pourra être saisi. Ce n’est pas un désaveu de l’institution judiciaire : nous avons les justices administrative et judiciaire, libre au législateur de recourir au moyen qui lui semble le plus efficace pour rendre la loi effective.
Le Conseil constitutionnel a toujours exigé le respect des principes fondamentaux dans l’exercice du pouvoir de répression administrative. Il a jugé, par une décision du 17 janvier 1989 relative au Conseil supérieur de l’audiovisuel, qu’une peine ne peut être infligée qu’à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d’incrimination plus sévère ainsi que le principe des droits de la défense.
Pour toutes ces raisons, je rendrai un avis défavorable au premier amendement.
Vous demandez d’autre part que l’Arcom contribue à ce que les contenus pornographiques mis à la disposition du public par un service de communication au public en ligne ne puissent pas être accessibles aux mineurs. Non, l’idée est bien de responsabiliser l’Arcom qui doit pouvoir frapper vite et fort.
Quant à votre proposition selon laquelle l’Arcom pourrait veiller sous le contrôle du juge, je vous renvoie aux alinéas 15 à 17 de l’article 2 : les personnes peuvent demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par celui-ci l’annulation des mesures dans un délai de cinq jours à compter de leur réception. Il est statué sur la légalité de la notification dans un délai d’un mois à compter de la saisine. L’audience est publique. Enfin, les jugements rendus sont susceptibles d’appel dans un délai de dix jours à compter de leur notification.
Il me semble que le dispositif est suffisamment robuste pour empêcher les mineurs d’accéder à des contenus pornographiques.
Les principes que vous venez de rappeler, madame la rapporteure, s’appliquent lorsque c’est le juge qui tranche et non pas une autorité administrative, fut-elle indépendante. Vous offrez la possibilité de saisir la justice administrative pour contester une décision de l’Arcom mais ce ne sera qu’après coup ! Or l’autorité administrative n’a pas à rendre des décisions qui s’apparentent à des décisions de justice. Il me semble important, dans une démocratie, de réserver au juge le pouvoir de trancher, plutôt que de transférer celui-ci à une autorité administrative, quitte à ce que le juge administratif puisse ensuite la désavouer.
Je vous renvoie à l’article 227-24 du code pénal, madame Ménard, qui interdit clairement la vente de porno à des mineurs. En nous fondant sur ce texte, nous déléguons à l’Arcom l’établissement d’un référentiel qui prévoit des obligations de moyens en vue de respecter l’obligation de résultat de l’article 227-24. C’est pourtant simple !
Pas du tout ! C’est un mécanisme d’articulation entre les codes assez courant. D’un côté, le code pénal prévoit des délits en cas de manquement à des obligations, par exemple en cas de harcèlement. De l’autre, le code de l’éducation ou le code du travail prévoient des mesures pour prévenir le harcèlement.
C’est vrai, le référentiel est compliqué à définir mais les auditions qui ont été menées ont pu nous rassurer. En particulier, l’Arcom dispose de moyens techniques pour conserver le double anonymat, aussi bien à l’égard du site qui ne connaîtra pas l’identité de celui qui le consulte, que du tiers de confiance qui ne saura pas quel site la personne intéressée consulte.
Pas du tout ! Le dispositif du tiers de confiance est utilisé dans d’autres secteurs et nous comptons bien le développer.
J’ai entendu beaucoup de choses, ce soir, qui étaient, au mieux des approximations involontaires, au pire des mensonges. Quelqu’un s’est en particulier ému en prétendant qu’il faudrait dix ans pour que le dispositif fonctionne car personne n’était prêt. C’est faux ! Le procédé technique du tiers de confiance est connu et maîtrisé. Arrêtons d’agiter les chiffons rouges et continuons à protéger nos libertés individuelles.
(Les amendements nos 195, 209 et 196, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
La parole est à M. Christophe Naegelen, pour soutenir l’amendement no 358.
Nos collègues de La France insoumise ont raison, il est problématique que le projet de loi ne prévoie comme seule utilité au référentiel le fait de garantir que les mineurs n’accéderont pas aux sites pornographiques. L’amendement tend, par conséquent, à élargir son usage à l’accès d’autres services en ligne, qu’il s’agisse des jeux d’argent et de hasard, des jeux à objets numériques monétisables – Jonum – ou de l’achat d’alcool.
Votre question est légitime mais nous ne souhaitons pas étendre l’ensemble du dispositif aux jeux de hasard et d’argent, aux Jonum et à l’alcool car ces produits sont soumis à des dispositions législatives particulières dont nous n’avons pas débattu. Nous aborderons le sujet des Jonum un peu plus loin dans le texte, ce qui nous donnera l’occasion d’en reparler. Pour l’heure, je rends un avis défavorable, même si les dispositions que nous prenons pourront inspirer d’autres débats.
Nous examinerons bientôt un autre de vos amendements, monsieur le député, le no 878, qui suivra l’amendement no 844 de la rapporteure, pour que le référentiel soit potentiellement applicable à tous les systèmes de vérification de l’âge et pas seulement pour les sites pornographiques. En temps utile, il sera donc possible d’en élargir l’usage, ce qui satisferait votre amendement, en renforçant l’anonymat.
En revanche, nous ne pouvons pas d’ores et déjà élargir l’utilité du référentiel aux jeux d’argent et de hasard, aux Jonum ou à l’achat d’alcool car cela prendrait du temps et ferait prendre un retard impardonnable à l’application du dispositif de blocage des sites pornographiques. Je vous invite par conséquent à retirer l’amendement.
J’ai bien compris qu’il fallait aller vite et que l’adoption de l’amendement nous ferait perdre du temps mais comprenez notre inquiétude. À plus ou moins long terme, nous devrons élargir le champ du référentiel car la vente d’alcool ou la pratique des jeux en ligne sont aussi des fléaux dont nous devons protéger notre jeunesse.
Vous dites que les mesures prises à l’article 1er sont destinées à protéger les mineurs d’une exposition à des images à caractère pornographique. Vous nous reprochez de ne pas vouloir les protéger, ce qui est faux, bien évidemment. Nous vous mettons simplement en garde, car la frontière qui sépare la nécessaire protection de la jeunesse et la préservation des libertés publiques est fragile.
En revanche, nous ne comprenons pas du tout pour quelle raison vous refusez d’élargir le référentiel aux jeux d’argent, dissimulés ou non ! Votre argument du retard que nous prendrions ne fait qu’accroître notre incompréhension. Si votre objectif est de protéger les mineurs, rien ne s’oppose à la prise en compte des jeux d’argent, sauf si, pour une raison que vous cachez, vous ne souhaitez pas étendre le dispositif aux jeux d’argent dissimulés. Votre réponse n’est pas satisfaisante et vous ne pourrez pas jongler indéfiniment entre les arguments philosophiques et techniques.
Merci, monsieur Naegelen, pour l’idée très intéressante que vous avez défendue dans votre amendement. Elle appelle deux commentaires.
Vous souhaitez que les solutions fondées sur le double anonymat puissent être mobilisées pour d’autres usages afin d’éviter qu’une personne ayant sur son téléphone une application reposant sur cette procédure ne puisse être suspectée de se rendre sur des plateformes de pornographie gratuites ou payantes. L’application que j’ai moi-même testée comporte de multiples fonctionnalités : elle permet également de participer à des événements ou d’accéder à certains bâtiments. En commission, ce point a fait l’objet d’une réflexion avec l’ensemble des députés : il était important pour nous de pouvoir nous assurer de ce caractère multi-usages.
Quant aux Jonum, ils font l’objet d’un article spécifique, l’article 15, dont nous discuterons dans quelques jours et sur lequel le rapporteur et certains députés ont déposé des amendements destinés à avancer sur la vérification de l’âge. Nous nous sommes posé la question de savoir si l’on pouvait leur appliquer le même référentiel que pour la pornographie. Dans les discussions que nous avons eues avec l’Arcom, il est apparu qu’il ne fallait surtout pas aller en ce sens car les enjeux techniques diffèrent grandement : pour la pornographie, il importe d’assurer le double anonymat, en particulier pour les jeunes ; pour les Jonum, le référentiel doit être d’une autre nature car il sera peut-être nécessaire de vérifier l’identité des personnes pour savoir si elles figurent ou pas dans certains fichiers prenant en compte les phénomènes d’addiction. En outre, l’Arcom a précisé que l’élaboration d’un métaréférentiel ferait perdre six à douze mois. Nous nous sommes rangés à son avis. Pour la pornographie comme pour les Jonum, nous nous attacherons à avancer sur les solutions de double vérification de l’âge.
(L’amendement no 358 n’est pas adopté.)
Je suis saisie de deux amendements, nos 887 et 902, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 887.
Lors des débats de la commission spéciale, les contours des articles 1er et 2 ont suscité interrogations et inquiétudes auxquelles j’entends répondre par une série d’amendements. Je prendrai un peu de temps pour expliquer le cadre dans lequel ils prennent place, madame la présidente, afin de pouvoir les défendre plus rapidement par la suite.
Rappelons tout d’abord quels ont été les choix du Sénat : il a centré l’article 1er sur le référentiel et l’article 2 sur les sanctions. Mes amendements répondent à une autre logique qui est la suivante : à l’article 1er sont rassemblées les dispositions concernant le référentiel et les sanctions qui en découlent, conformément à la nouvelle obligation de moyens introduite dans ce texte ; quant à l’article 2, il porte sur l’obligation de résultat attaché à l’article 227-24 et les sanctions qui en découlent. Nous créons ainsi deux types de sanctions cumulatives, applicables dans un délai maximum de trente jours. Cette répartition nous a semblé plus conforme à l’esprit des discussions en commission.
À l’article 1er, nous prévoyons à travers un premier amendement la mise en place par l’Arcom d’un référentiel qui détermine les « exigences techniques minimales » – et non les simples « caractéristiques techniques » comme dans le texte de la commission – « applicables aux systèmes de vérification de l’âge ». Un autre amendement porte sur les sanctions applicables aux services de communication au public en ligne qui ne s’y conformeraient pas. Citons parmi les motifs provoquant leur mise en œuvre l’absence de système de contrôle de l’âge ou la non-conformité au référentiel, notamment pour ceux qui laisseraient perdurer le dispositif de la simple déclaration par laquelle la personne coche la case « j’ai 18 ans ou plus ».
Ainsi par cette nouvelle rédaction de l’article, l’Arcom est garante d’une nouvelle obligation de moyens pour les services mettant à disposition du public des contenus pornographiques. Ils ne pourront se retrancher derrière l’argument fallacieux d’une absence de techniques disponibles.
Au deuxième alinéa, nous précisons que l’Arcom veille à ce que les contenus pornographiques « ne puissent pas être accessibles aux mineurs ». Au troisième, est prévue la publication d’un référentiel répondant à des « exigences techniques minimales » et portant sur la fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs et le respect de leur vie privée.
Toujours à l’article 1er, nous rétablissons les sanctions en mentionnant les différents plafonds et en précisant les délais de réitération, qui ont été doublés en commission. Si le système de vérification de l’âge n’est pas conforme au référentiel, le service s’expose à une amende de 150 000 euros maximum ou de 2 % du chiffre d’affaires mondial, le plus élevé des deux montants étant retenu. Les sanctions sont accrues en cas de réitération. Par ailleurs, si l’éditeur s’est contenté d’un système purement déclaratif, comme c’est le cas aujourd’hui, la sanction financière peut aller jusqu’à 250 000 euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial et elle est renforcée en cas de réitération.
L’article 2 vient armer le dispositif de l’article 227-24 du code pénal. Il prévoit le fameux transfert de l’autorité judiciaire vers l’autorité administrative, l’Arcom, toujours sous le contrôle du juge, non plus judiciaire mais administratif. Mes amendements tendent à supprimer toute mention au référentiel pour faire explicitement référence à l’article 227-24. Ainsi répondons-nous aux inquiétudes de certains députés qui s’interrogeaient sur le maintien en vigueur de cet article : celui-ci continuera à s’appliquer, sans modification. Des sanctions sont également prévues : sanctions financières et sanctions complémentaires à travers les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et les moteurs de recherche.
Nous disposons ainsi d’un mécanisme plus robuste qui cumule obligation de résultat et obligation de moyens.
Pour terminer, je rappellerai que tous les procès en cours intentés sur la base de l’article 227-4 ne seront pas remis en cause si nous adoptons l’article 36 de ce projet de loi.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 992.
Cet amendement poursuit le même objectif que le vôtre, madame la rapporteure. À la suite des travaux en commission, auxquels Hervé Saulignac et Isabelle Santiago ont largement participé, nous avons voulu apporter des précisions. Il s’agit de simplifier la rédaction de l’article 1er. La rédaction actuelle de l’article 227-24 interdit le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit, un message pornographique, lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. Les plateformes pornographiques, soumises à cette obligation de résultat, ne peuvent faire commerce de tels contenus que dans la mesure où elles ne transgressent pas le droit pénal.
La rédaction à rallonge adoptée en commission, de nature complexe, risque de faire perdre de son efficacité au contrôle exercé par l’Arcom. Nous proposons de préciser que celle-ci s’en tient à un contrôle du respect de cette obligation de résultat.
Il nous semble qu’il propose une meilleure rédaction mais nous n’entrerons pas dans des querelles sur ce texte, dont le groupe Socialistes soutient l’esprit sinon la lettre.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 992 ?
Nous vous remercions pour votre vigilance et votre travail. Nous sommes animés de la même volonté de mettre en place l’obligation de résultat qui est au cœur de l’article 227-24, simplement nous divergeons sur la place qui doit lui être faite dans le texte. C’est la raison pour laquelle je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement car il ne répond pas à la logique que je viens d’exposer, qui assure une plus grande cohérence juridique : obligation de moyens et sanctions qui s’y rapportent à l’article 1er et obligation de résultat et sanctions qui s’y rapportent à l’article 2.
Défavorable à l’amendement no 992 et favorable à l’amendement no 887.
Oui, vous m’avez convaincue, madame la rapporteure.
(L’amendement no 992 est retiré.)
Ce dispositif renvoie à un problème de cohérence. Si vous convoquez la rigueur du code pénal s’agissant des sanctions à appliquer en cas de non-respect des dispositions relatives à l’âge minimal pour accéder à des contenus pornographiques, pourquoi refusez-vous de suivre la proposition de Christophe Naegelen visant à étendre le champ d’application de votre référentiel aux sites pour l’accès desquels le droit pénal exige la majorité, pensons à la vente d’alcool, aux jeux de hasard ou aux jeux d’argent ? Cela me semble possible puisque ce référentiel n’est pas spécifique aux contenus pornographiques.
Je tiens à saluer le travail qu’ont mené la rapporteure, le ministre et leurs équipes depuis les débats en commission afin de réintroduire l’obligation de résultat et de bien l’articuler à l’obligation de moyens. L’objectif est de renforcer la loi de 2020, dont je suis l’un des auteurs. Rappelons que, lors de son examen, le groupe LFI prétendait qu’elle ne servait à rien alors qu’elle répondait utilement à des problèmes qui se posaient sur le terrain. Si fabuleuse qu’elle soit, elle est largement perfectible, notamment parce qu’elle manque de mesures concernant l’obligation de moyens.
La clarification proposée aux articles 1er et 2 nous permettra, je le crois, de gagner des combats contre les plateformes et les « tubes » qui refusent de mettre en œuvre la moindre politique pour empêcher les mineurs d’accéder à des contenus pornographiques.
Monsieur Coulomme, la loi de 2020 a introduit dans le code pénal une spécificité qui ne concerne que les plateformes de diffusion de contenus pornographiques : elles seules sont soumises à une obligation de vérifier sérieusement l’âge de leurs utilisateurs.
Eh oui, mais nos collègues ne lisent pas le code pénal !
(L’amendement no 887 est adopté ; en conséquence, l’amendement no 339 tombe.)
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l’amendement no 366.
Il n’existe nulle part dans le monde de système de vérification efficace de l’âge des internautes.
Et c’est pour cela qu’il ne faudrait rien faire !
Dans l’édition du 31 août de votre propre journal,
Le Figaro
, figure un article bien documenté sur les tentatives qu’a déployées l’Australie pour mettre en place un système similaire à celui que vous proposez. Le gouvernement de ce pays s’est résigné à abandonner toute idée d’y parvenir avec de tels moyens.
La solution du tiers de confiance que vous proposez, avec la délivrance d’un jeton, impose, à des fins de vérification, l’utilisation de l’identité numérique qui deviendra obligatoire. Ce dispositif poussera donc à s’affranchir de l’anonymat, tendance à laquelle nous sommes fermement opposés.
La meilleure solution concernant l’accès des mineurs aux contenus pornographiques nous semble résider dans la prévention et l’éducation à la sexualité qui ne sont pas mises en œuvre comme elles le devraient dans notre pays.
Nous avons déjà eu ce débat. Vous soulignez l’importance de l’éducation et nous sommes d’accord sur ce point. Toutefois, cela ne peut pas être la solution unique face à la profusion des contenus dont nous parlons. Votre amendement aurait le même effet que la suppression des articles 1er et 2. Avis défavorable.
Je croyais vous avoir convaincus que le Royaume-Uni n’a pas abandonné l’idée, puisque le 19 septembre dernier ce pays a adopté une loi imposant aux sites pornographiques la vérification de l’âge et à l’équivalent de l’Arcom d’établir un référentiel.
Quant à l’Australie, que vous citez comme un pays ayant renoncé à appliquer cette mesure de vérification de l’âge, elle a également adopté une loi le 23 janvier 2022 ordonnant l’instauration de codes de conduite, qui s’imposeront à terme aux industries. Une première série de codes de conduite est en cours d’élaboration et entrera en vigueur le 16 décembre 2023, concernant les contenus terroristes et pédopornographiques. Dans une deuxième phase, au début de l’année 2024, commencera la rédaction du référentiel concernant les contenus de classe 2. Lorsque celui-ci aura été établi, il s’imposera à tous les acteurs, ainsi que le prévoit la loi votée en 2022 que je viens d’évoquer.
Par conséquent, ni les autorités britanniques ni les autorités australiennes n’ont renoncé à la vérification de l’âge. Le chemin est compliqué, je vous l’accorde. Nous avons commencé à légiférer en 2020 et nous ajustons la loi au fur et à mesure parce que nous devons nous doter des meilleurs outils pour lutter contre les attitudes irresponsables des sites pornographiques. Nous ne sommes pas les seuls à le faire et d’autres pays agissent comme nous. Avis défavorable.
Vous pouvez difficilement prétendre vouloir protéger les enfants de l’accès à la pornographie et osciller, comme vous le faites ce soir, en dénonçant un référentiel qui serait tantôt trop précis, tantôt trop large pour être efficace. J’ai du mal à saisir.
Sur de tels sujets, le législateur a tout intérêt à s’en tenir aux grands principes et à se garder d’inscrire dans le droit les solutions techniques précises à déployer, pour la bonne raison que la technologie évolue sans cesse.
Nous l’apprenons parfois ici même à nos dépens, lorsque nous produisons le droit et que nous sommes obligés de le modifier quelques mois après au motif que les principes que nous avions posés et les précisions que nous avions apportées ne résistent plus à certaines évolutions technologiques. Soyons clairs : soit nous voulons protéger les mineurs, soit nous ne le voulons pas. En l’espèce, c’est plus une question de principe qu’un problème technologique.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Chiche ! Pour une fois, nous avons un vrai débat. D’accord ? Ce que vous dites est particulièrement insultant et inexact. Nous vous expliquons qu’il n’existe pas de système fiable permettant à la fois d’assurer la protection des mineurs et de garantir l’anonymat. Lorsque M. le ministre délégué prétend que nous nous trompons, je l’invite à se référer à l’article du 31 août, dans
Le Figaro
, qui concerne bien l’Australie et précise que celle-ci a renoncé parce qu’elle n’arrivait pas à tenir sur cette ligne de crête. Tout simplement. Acceptez que nous puissions être autre chose que des idiots et que nous ne soyons pas d’accord avec vous !
C’est la raison pour laquelle nous pensons que le plus important serait d’organiser, comme le suggère le code de l’éducation, des cours d’éducation sexuelle auprès des enfants.
Il ne serait pas inutile non plus d’expliquer aux familles qu’il faut faire attention, car laisser un enfant surfer sur internet, sans aucune surveillance, c’est un peu comme le laisser se balader seul la nuit dans la forêt. Voilà ce qui nous semble le plus efficace. Et ce n’est pas parce que nous sommes des abrutis qui ne comprennent rien ou parce que nous ne voulons pas protéger les enfants.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Acceptez le débat législatif : c’est le principe de la démocratie, même si cela vous gêne.
(Mêmes mouvements.)
(L’amendement no 366 n’est pas adopté.)
Je vous informe que sur les amendements identiques nos 1 et 603, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 197.
Cet amendement d’appel vise à supprimer l’alinéa 3 de l’article 1er, qui précise dans quelles conditions le système de vérification de l’âge des consommateurs de contenus pornographiques sera opéré. Si on ne peut que souscrire à l’idée de protéger les mineurs de la pornographie, le remède ne doit en aucun cas être pire que le mal. La question de l’identification numérique, et donc de l’identité numérique, est extrêmement grave car elle remet potentiellement en cause nos libertés les plus fondamentales.
Le défi que pose la pornographie est donc le suivant : comment en réguler l’accès sans poser les bases d’une identification numérique qui pourrait être utilisée plus largement sur internet, au point d’en faire un lieu d’absence de liberté ? Une fois encore, une grande partie de la réponse se trouve dans l’éducation donnée par les parents et dans l’instruction délivrée à l’école. C’est un travail certes difficile et exigeant, mais il a le mérite d’éviter le recours à une identité numérique qui introduirait une traçabilité inquiétante. Ce travail permettrait aussi de s’appuyer sur l’intelligence, la raison, et non sur la seule interdiction. Enfin, je le répète, supprimons la gratuité des sites pornographiques et nous aurons déjà fait un pas de géant.
Les éditeurs ne respectent pas l’obligation prévue par le code pénal ; pourtant, à ce jour, aucun n’a été condamné. Avançons sur le plan juridique pour mieux les appréhender.
En proposant de supprimer la publication du référentiel, vous faites comme si tout ce dont nous débattons ce soir ne servait à rien. Or si la loi de 2020 avait suffi, nous ne serions pas en train d’examiner ce projet de loi. Avis défavorable.
Depuis tout à l’heure, un nom revient constamment lorsque vous nous donnez l’exemple de la double vérification : celui de Dorcel.
Dorcel a mené une expérimentation avec deux plateformes différentes qui proposent des systèmes de vérification. La première plateforme était IN Groupe Orange Business : cependant, en plus de se fonder sur un modèle économique irréaliste, les solutions étaient trop lourdes à déployer et d’une trop grande complexité pour les utilisateurs et les éditeurs. La seconde plateforme, celle qui recueille toutes les faveurs de M. le rapporteur général, était celle de la start-up GreenBadg : elle fonctionne selon le principe du double anonymat et donne des résultats assez similaires à ceux de la société IN Groupe.
Toutefois, une question reste pendante : Dorcel est un site payant, qui nécessite de disposer d’une carte bancaire. Par conséquent, l’utilité d’instaurer la double vérification et d’élaborer un référentiel concerne plutôt les « tubes ». Alors, pourquoi parlez-vous de Dorcel ?
J’ai donc une question : quelqu’un aurait-il fait un gros chèque au rapporteur général ou au Gouvernement pour qu’ils présentent une solution qui ne marche pas ?
(Protestations sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Vous nous présentez une solution dont vous n’êtes même pas capables de nous démontrer la fiabilité. En tant que parlementaire, j’aimerais que vous nous citiez l’intégralité de ces plateformes si parfaites et que vous nous apportiez la garantie de leur fiabilité. Parce que, bizarrement, les chercheurs ne sont pas d’accord avec vous.
Chers collègues, attention aux provocations inutiles et à ce qui pourrait ressembler à des attaques personnelles.
Très bien, madame la présidente. Vous avez bien raison.
Nous soutenons l’amendement de Mme Ménard. Oui, ce référentiel est nécessaire et oui, nous devons empêcher les mineurs d’avoir accès aux contenus pornographiques. Toutefois, l’alinéa 3 accorde un blanc-seing à l’Arcom : le dispositif n’est pas cadré et aucune exigence n’est fixée – je pense par exemple à l’interdiction du recours à la biométrie. Nous ne pouvons pas vous laisser donner tous les pouvoirs à cette autorité. Il appartient à la représentation nationale de préciser ce qui doit figurer ou non dans le référentiel. Puisque vous refusez de le faire, nous suivrons la position de Mme Ménard en votant son amendement de suppression de l’alinéa 3.
(Mme Caroline Parmentier applaudit.)
Permettez-moi de répondre à M. Kerbrat : la solution GreenBadg, dont je vous ai rapidement expliqué le fonctionnement tout à l’heure, est utilisée actuellement en mode test par la plateforme marcdorcel.com. Pourquoi ? Parce que cette plateforme est française et bénévolente ; elle l’est davantage que les autres plateformes, face à l’évolution du droit qu’elle anticipe et dont nous débattons en ce moment. La solution GreenBadg fonctionnera tout autant sur les grandes plateformes gratuites que sont Pornhub, YouPorn ou autres. Elle permet simplement d’accéder à un site internet selon le principe du double anonymat et d’envoyer un certificat d’âge. Et pourquoi Pornhub ou YouPorn n’utilisent-ils pas cette solution qui existe ? Pour la simple et bonne raison que nous devons adopter cette loi : en instaurant le référentiel, nous les obligerons à utiliser des solutions qui existent et qui fonctionnent, comme GreenBadg.
(L’amendement no 197 n’est pas adopté.)
La parole est à Mme Francesca Pasquini, pour soutenir l’amendement no 340.
Comme je l’ai précisé précédemment, de nombreux sites pornographiques tentent de contourner l’obligation de vérification de l’âge de leurs utilisateurs créée par la loi de 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. La batterie d’avocats représentant ces sites recherche la moindre faille leur permettant d’allonger les procédures juridiques à leur encontre. Leur objectif est clair : empêcher la demande de blocage de leurs sites engagée par l’Arcom et ne pas se conformer à la loi de 2020.
Si nous ne modifions pas l’alinéa 3 de l’article 1er, les avocats des sites pornographiques pourront argumenter que si le législateur estime la loi de 2020 imparfaite et souhaite lui substituer une nouvelle loi, rien ne sert de juger les sites sur la base de la loi de 2020. En somme, ils pourraient défendre l’idée qu’il vaudrait mieux attendre la publication du référentiel technique avant que la justice se prononce, et ce dans l’idée de retarder le plus possible leur mise en conformité avec la loi.
Pour y remédier, nous proposons, par cet amendement, de rendre facultative la publication du référentiel technique par l’Arcom, de façon à garantir la poursuite des procédures déjà engagées contre ces sites et faire en sorte que ceux-ci ne puissent utiliser l’argument du délai de rédaction et de publication du référentiel auprès de la justice pour empêcher ces procédures.
Nous entendons vos craintes, qui ont d’ailleurs été soulevées par plusieurs associations au cours de nos auditions lors de la préparation du texte. Je voudrais vous rassurer, parce que l’objectif n’est pas de sortir divisés de cette séance, mais plutôt d’être fiers et satisfaits de ce que nous défendons. Nous nous rejoignons sur l’idée de lutter contre l’accès à la pornographie des mineurs.
Vous avez souligné que les sites sont à la recherche de la moindre faille ; c’est vrai. C’est pourquoi nous avons été sensibles aux arguments des députés et avons proposé les amendements que j’ai présentés précédemment, visant à cumuler les obligations de résultat et de moyens. C’est le cadre qui s’appliquera si le texte est voté.
S’agissant des procédures en cours que vous évoquez plus particulièrement, je voudrais vous rappeler, comme je l’ai déjà fait, que, jusqu’au 1er janvier 2024, le droit en vigueur reste applicable et les procédures enclenchées jusqu’à la fin de l’année resteront traitées par le juge judiciaire. Tant que la loi n’aura pas été promulguée, le droit actuel s’applique. C’est d’ailleurs ce que précise l’article 36 du présent projet de loi, que nous examinerons et adopterons, je l’espère, dans quelques jours. Avis défavorable.
Je voudrais rassurer Mme Pasquini, en exposant la façon dont on nous a présenté cet article. Nous ne sommes pas en train de revoir à la baisse les exigences définies par la loi de 2020. L’article 227-24 du code pénal formule des obligations de résultat et prévoit des sanctions en cas d’infraction. Nous ne revenons pas en arrière sur ces dispositions.
Nous formulons désormais, à travers le référentiel publié par l’Arcom, des obligations de moyens et nous prévoyons des sanctions, à savoir des amendes, en cas d’infraction. Si l’obligation de résultat n’est pas respectée, c’est-à-dire si on constate que des mineurs accèdent au site, l’infraction est sanctionnée par le code pénal. Il y a donc un double niveau de sanctions. La solution choisie est, à mon sens, la plus protectrice qui soit.
J’ai une question à poser à certains députés qui nous répètent : « Ça ne marche pas » et qui nous disent qu’il ne faut rien faire.
Nous ne disons pas qu’il ne faut rien faire !
Si, j’ai l’impression que c’est ce que vous soutenez : vous avez d’abord déposé une motion de rejet préalable pour rejeter l’ensemble du projet de loi, puis vous déposez des amendements pour supprimer les articles, et ainsi de suite.
J’ai donc une question simple : Que proposez-vous pour protéger les mineurs, tout en préservant la liberté d’aller et venir sur les sites internet ? Je ne sais pas si vous êtes capables de répondre à cette question, mais nous attendons votre réponse.
Quand on écoute M. Balanant, on s’aperçoit que le sujet est complexe ; en effet, je ne suis pas certain que chacun ait compris ce qu’il a expliqué.
Nous sommes satisfaits de la clarification apportée. En particulier, il est extrêmement important de maintenir cette obligation de résultat. Jusqu’à présent, les plateformes arguaient qu’elles faisaient ce qu’elles pouvaient. Étant donné qu’elles n’avaient aucune obligation de moyens et qu’aucun outil ne leur était imposé, elles demandaient simplement aux utilisateurs s’ils étaient majeurs et considéraient que, par cette demande, elles avaient fait leur boulot. Nous avons constaté, les uns et les autres, que le dispositif était inopérant, car les infractions n’étaient pas sanctionnées.
Désormais, il devrait y avoir une obligation de moyens. Néanmoins, contre ceux qui soutiennent que ce n’est pas à nous de faire de la technique et que nous devons confier cela à l’Arcom, je pense que nous avons tous le souci de rendre des comptes à ceux que nous représentons.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)
Si j’explique à ceux qui m’ont élu que j’ai voté à l’aveugle un dispositif dans lequel j’ignore ce qu’il y a, je serais un peu gêné aux entournures. Nous voulons simplement avoir un débat sur les outils, sur le contenu, tandis que vous nous faites voter sur une boîte à outils sans nous dire quels outils elle contient. Comprenez que c’est très gênant.
Il fallait venir à la démonstration des outils !
Nous vous remercions d’avoir entendu le besoin de clarification que nous exprimions. Toutefois je pense que nous aurons à revenir sur ce qui est une défaillance, en quelque sorte, parce que nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Nous savons tous que d’autres grandes nations ont élaboré une réflexion sur ce sujet sans parvenir à trouver de bonnes solutions. Certes, c’est bien que la France s’y engage aussi, mais je ne suis convaincu ni que nous soyons plus intelligents que les autres ni que ce référentiel soit un jour opérationnel.
(Mme Élisa Martin applaudit.)
Nous avons été interpellés plusieurs fois au sujet de la vigilance dont nous devrions faire preuve à l’égard de l’Arcom. Rappelons que l’Arcom n’est pas une autorité administrative indépendante dont les parlementaires ignorent tout.
La nomination du président de l’Arcom est soumise au vote de l’Assemblée nationale. Chaque année, l’Arcom remet un rapport aux parlementaires sur ses activités. En commission, nous avons d’ailleurs adopté un amendement qui vise à inclure dans ce rapport les mécanismes de vérification de l’âge et le bilan sur ces mécanismes et sur le référentiel.
Enfin, en tant que parlementaires, nous avons le pouvoir d’auditionner les représentants de l’Arcom et de la Cnil, comme nous l’avons fait deux fois au cours de l’examen de ce projet de loi et comme nous pouvons le faire pour d’autres autorités administratives indépendantes. Elles répondent très rapidement à nos convocations, et de telles auditions permettent d’aborder toutes les questions que vous soulevez.
Cela ne répond pas à la question de départ. C’est hors sujet !
(L’amendement no 340 n’est pas adopté.)
Sur l’amendement no 1039, je suis saisie par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 1 et 603.
La parole est à Mme Caroline Parmentier, pour soutenir l’amendement no 1.
L’amendement vise à s’assurer que le référentiel publié par l’Arcom ne sera pas contraire à l’avis de la Cnil.
L’objet de ce référentiel étant sensible, car il s’agit de déterminer « les caractéristiques techniques applicables aux systèmes de vérification de l’âge mis en place pour l’accès aux services de communication au public en ligne qui mettent à la disposition du public des contenus pornographiques, en matière de fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs et de respect de leur vie privée », il faudra trouver un équilibre entre liberté, droit et protection. Il convient donc de rendre contraignant l’avis de la Cnil qui, par sa compétence dans ces domaines, apportera une garantie certaine.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
La parole est à Mme Emeline K/Bidi, pour soutenir l’amendement no 603.
Il vise à lier les avis de l’Arcom et de la Cnil pour que la Cnil émette un avis conforme et non simplement consultatif.
En commission, vous nous avez expliqué que c’était impossible car c’était contraire à la Constitution, puis vous avez ajouté : « Après tout, cela va de soi. » Les débats en commission permettent de procéder à des vérifications avant l’examen du texte dans l’hémicycle ; néanmoins, celles auxquelles nous avons procédé ne nous permettent pas de comprendre votre avis.
En effet, en exigeant un avis conforme, nous ne créons aucune supériorité d’une autorité administrative sur l’autre. Ni l’Arcom ni la Cnil ne décideront seules ; elles décideront ensemble, et leurs avis auront la même valeur. Elles devront simplement travailler de concert, ce dont vous avez dit : « Cela va de soi. »
Néanmoins, pour appliquer la loi, on prend en considération non seulement la lettre, mais aussi l’esprit. Or il est parfois compliqué de se référer au débat législatif pour connaître les intentions du législateur.
Dans un souci de sécurité juridique, il est parfois préférable d’inscrire ce qui « va de soi » dans la loi.
Nous avons beaucoup échangé sur ce sujet, notamment lors des auditions de l’Arcom et de la Cnil. Nous comprenons parfaitement votre intention mais, comme M. le ministre délégué le dira certainement mieux que moi, chaque autorité administrative indépendante se prononce sur le projet qui lui est soumis par le Gouvernement en fonction de son propre champ de compétence. Il ne revient ni à Cnil ni à l’Arcom de donner un avis sur l’avis émis par l’autre institution,
a fortiori
un avis conforme, qui obligerait ensuite l’Arcom ou la Cnil à revoir leur copie, ce qui porterait de fait atteinte à leur indépendance.
Du reste, on voit mal l’Arcom s’éloigner de l’avis de la Cnil. Cela nous a été amplement démontré lors des auditions car ces deux institutions travaillent ensemble sur ce sujet depuis le début. Enfin, cela risque de ralentir la procédure lorsque le référentiel sera amené à évoluer.
Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable.
J’exprimerai le même avis que celui de la rapporteure et celui que j’ai donné en commission. Faire dépendre l’élaboration du référentiel par l’Arcom de l’avis conforme d’une autre autorité administrative indépendante est contradictoire, car cela subordonnerait une autorité administrative indépendante à l’autre. Notre position n’a pas changé sur ce point.
En revanche, si vous avez participé à l’audition de l’Arcom que le rapporteur général a convoquée pour la présentation du référentiel, vous avez pu constater que la Cnil était présente physiquement à cette audition pour répondre à toutes les questions qui lui étaient posées. C’est bien naturel : sur un sujet aussi important, l’Arcom ne prendrait évidemment pas le risque de travailler dans son coin sans associer dès le départ les équipes de la Cnil, notamment pour établir la partie du référentiel qui traite du respect de la vie privée.
Je vous demande donc de retirer ces amendements, sans quoi j’émettrai un avis défavorable.
Plusieurs orateurs ont demandé à s’exprimer et je vais devoir choisir – c’est terrible.
(Sourires.)
Monsieur Kerbrat, vous souhaitez défendre l’amendement ?
Je donnerais plutôt la parole à Mme K/Bidi, si vous le voulez bien.
Monsieur Gosselin, souhaitez-vous vous exprimer pour ou contre l’amendement ?
Je souhaite m’exprimer en défense de l’amendement. J’étais membre de la Cnil, si cela peut vous aider à choisir !
(Sourires.)
(Mêmes mouvements.)
Il a un certain poids, cependant la parole est à Mme Emeline K/Bidi.
Tout le monde ne pourra manifestement pas prendre la parole, mais je voudrais rebondir sur les propos de la rapporteure. Vous soutenez qu’il est hors de question que la Cnil donne un avis sur l’avis de l’Arcom. Néanmoins, si on relit le projet de loi, il ne s’agit pas pour la Cnil de donner un avis sur l’avis de l’Arcom, mais sur le référentiel, de la même façon que l’Arcom donnera un avis sur le référentiel. Nous ne proposons donc pas de faire dépendre l’avis de l’Arcom de celui de la Cnil, mais nous faisons dépendre le référentiel de l’avis de deux autorités administratives, dont nous estimons indispensable qu’elles se prononcent.
Vous nous expliquez que l’Arcom va travailler de concert avec la Cnil et qu’il n’y a finalement pas de risque de contradiction. Écrivons-le dans le projet de loi, parce que ce qui n’est pas écrit ne nous protège pas du risque, et rien ne nous dit qu’à l’avenir ne surgiront pas des contradictions, parce qu’on voudrait aller trop vite ou parce que les administrations ne se seraient pas bien comprises entre elles. Si c’est si simple et si naturel, ajoutons « conforme » : ce n’est pas grand-chose, c’est un tout petit mot, mais il peut revêtir beaucoup d’importance.
Je crois qu’il est effectivement impossible d’inscrire dans la loi une hiérarchie entre des autorités administratives indépendantes. Néanmoins, ces autorités croisent déjà régulièrement leurs opinions et certains échanges ont même été institutionnalisés.
Un membre de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) siège au collège de la Cnil et il n’y a pas pour autant de tutelle de la Cnil sur la Cada. Il me semble donc que l’argument avancé par la rapporteure et le ministre délégué tombe.
Pourquoi mettre en avant la Cnil ? Il s’agit d’une des plus anciennes autorités administratives indépendantes : vous le savez, elle a été créée en 1978, dans un contexte très particulier. Il y avait alors quatre autorités administratives indépendantes : outre la Cnil, la Commission des opérations de bourse (COB), le Médiateur de la République et la Cada. La Cnil a donc une antériorité. La loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est tellement fondamentale qu’on a failli, en 2018, dans un projet avorté de réforme de la Constitution, constitutionnaliser le rôle de la Cnil et la protection des données personnelles. Nous sommes donc parfaitement dans le sujet.
Je crois que ce ne serait pas faire offense à l’Arcom, non pas d’instituer une tutelle de la Cnil sur ses décisions, mais d’élaborer une coconstruction. Le non-dit, à savoir qu’ils doivent s’arranger et trouver un terrain d’entente, serait ainsi institutionnalisé. L’intérêt général serait qu’existe une démarche commune, collective et qui permette d’avancer.
La situation ce soir est intéressante et constitue pratiquement un cas d’école : les députés du groupe LR soutiennent deux amendements identiques défendus par le RN ainsi que par le groupe GDR-NUPES et soutenus par les Insoumis. Si ce point suscite un tel accord, ce n’est pas par hasard.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à aller dans ce sens. Cela ne court-circuite en rien l’autorité de l’Arcom. Au contraire, cela permet d’avoir un ensemble plus cohérent et sécurisé.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Andy Kerbrat applaudit également.)