Mercredi 22 mars, la commission des affaires économiques a examiné puis adopté la proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux dont Arthur Delaporte (SOC, Calvados) et Stéphane Vojetta (RE, Français établis hors de France) sont les co-rapporteurs.
La proposition de loi sera examinée à compter du mardi 28 mars en séance publique.
Arthur Delaporte avait présenté devant la commission une première proposition de loi qui avait été adoptée à l’unanimité et devait être examinée en séance publique le 9 février dans le cadre de la journée réservée au groupe Socialistes et apparentés. Le député avait alors retiré son texte en faveur de la présente proposition de loi, afin de mener « un travail transpartisan à l’échelle de l’Assemblée nationale » dans un esprit de « co-construction ».
Les rapporteurs précisent que si les contours de la sphère des influenceurs restent encore « trop peu documentés », l’émergence des influenceurs est liée au développement massif des réseaux sociaux. Ce sont des personnalités dont l’activité consiste à produire des contenus numériques destinés à un public cible. Ces contenus visent en général à promouvoir des services, produits, ou pratiques en collaboration parfois avec des annonceurs. Les influenceurs tirent des revenus de cette activité via les plateformes où ils exercent (principalement Youtube, Facebook, Instagram et Tiktok) et grâce aux contrats qu’ils passent avec des annonceurs. Les rapporteurs estiment que 150 000 influenceurs sont actifs sur les réseaux sociaux français, avec de fortes disparités en termes d’audience. Si 44 % disposent d’une audience comprise entre 1 000 et 5 000 abonnés, d’autres bénéficient d’une audience élargie, certains comptes rassemblant plus de 10 millions de « followers ». Leurs revenus restent également à consolider soulignent les rapporteurs, citant les chiffres avancés par l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus (UMICC) indiquant que 80% des créateurs de contenus gagnaient moins de 4 000 euros par an.
L’impact des influenceurs sur leurs abonnés est massif affirment les rapporteurs, d’autant plus que l’essentiel de leur audience est composée d’un public mineur ou de jeunes adultes. Ainsi, d’après une étude de Mediamétrie, 40 % des personnes suivant des influenceurs ont entre 15 et 24 ans, et 25 % d’entre elles ont un âge compris entre 25 et 34 ans. De surcroît, le lien affectif entre l’influenceur et sa communauté est un élément fortement mobilisateur dans l’acte d’achat du produit, du service, ou tout simplement dans l’intention de modifier une habitude ou une pratique de vie.
Cette influence présente des risques lorsqu’elle s’exerce sur des publics sensibles. Ainsi l’Autorité nationale des jeux a indiqué, lors des auditions, que certains influenceurs avaient incité leurs abonnés à réaliser, par exemple, des paris excessifs supérieurs à 1 000 euros. Les rapporteurs s’inquiètent également de la hausse des admissions à l’hôpital de patients mineurs ou de jeunes ayant suivi des régimes préconisés par des influenceurs ou de la hausse des opérations de chirurgie esthétique, dont la publicité est pourtant interdite en France.
Les rapporteurs citent quelques dérives constatées. Ils évoquent la livraison de produits de piètre qualité ou contrefaits, voire l’absence de livraison, dans certains cas de « dropshipping », la publicité clandestine, la vente de formation hasardeuse financée parfois par le compte personnel de formation (CPF) ou encore des escroqueries aux crypto-monnaies ou la promotion du trading.
Ils affirment que le texte apporte des fondations à l’édifice de la régulation d’un milieu qui a multiplié les dérives en toute impunité. Ils indiquent que « le texte ne doit pas nuire à l’activité des dizaines de milliers de créateurs de contenus qui font leur travail correctement ». Ils affirment que le texte valorise le travail de ces influenceurs en faisant œuvre de pédagogie en créant un cadre de référence.
Stéphane Vojetta souligne que la proposition de loi est « dans l’intérêt de l’immense majorité des influenceurs et créateurs de contenu qui ne méritent pas de voir leur image polluée par une minorité irresponsable ou malhonnête mais méritent d’exercer leur activité d’influence commerciale dans un cadre clarifié ». Arthur Delaporte ajoute que « le texte ne doit pas nuire à l’activité des dizaines de milliers de créateurs de contenus qui font leur travail correctement » avant de souligner qu’il « valorise le travail de ces influenceurs en faisant œuvre de pédagogie et en créant un cadre de référence ». Stéphane Vojetta précise que les grand principes du texte sont « de ne plus permettre que l’influence commerciale soit une manière de pouvoir contourner les règles, de mettre fin à l’ambiguïté sur l’applicabilité des règles à l’influence commerciale, de compléter de manière très ciblée certaines restrictions actuelles, d’encadrer une activité qui devient prépondérante dans la stratégie commerciale des entreprises et de responsabiliser toutes les parties prenantes : créateurs de contenus, apporteurs d’affaires, annonceurs et plateforme sans entraver la liberté d’expression ni faire peser des contraintes injustifiées sur les secteurs concernés ».
L’article 1er crée une définition juridique de l’influenceur commercial comme étant « toute personne physique ou morale qui mobilise sa notoriété pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion directement ou indirectement de biens, de services ou d’une cause quelconque, en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature dont la valeur est supérieure aux seuils fixés par décret, exerce l’activité d’influence commerciale par voie électronique ».
Les députés ont, par ailleurs, adopté un article additionnel actualisant la loi « Enfants influenceurs » du 19 octobre 2020. Celui-ci élargit les obligations pesant sur l’exploitation de l’image des mineurs en ligne à l’ensemble des plateformes en ligne et non plus aux seules plateformes de partage vidéo (amendement CE107).
Un nouvel article vient également rappeler que la réglementation relative à l’encadrement de la promotion des biens et des services, aux lois EVIN et Enfants influenceurs ainsi que les restrictions ou interdictions en matière de publicité sont applicables à l’activité d’influence commerciale par voie électronique (amendement CE45).
Les députés ont encadré les promotions réalisées par les influenceurs en interdisant la publicité pour les opérations chirurgicales, y compris esthétiques, les produits et services financiers et les produits contrefaits. Ils ont introduit l’obligation d’afficher un bandeau informatif durant l’intégralité des promotions réalisées par les influenceurs concernant les jeux d’argent et de hasard ainsi que les jeux vidéo comprenant une fonctionnalité assimilable à ces jeux d’argent. Le non-respect de ces interdictions et obligations est sanctionné d’une peine de deux ans d’emprisonnement, de 30 000 euros d’amende et d’une interdiction d’exercice de l’influence commerciale (amendement CE48, sous-amendé par les CE197, CE200, CE155 et CE168).
Les députés ont également introduit l’obligation pour les influenceurs d’améliorer l’information de leur communauté lors des opérations promotionnelles. Ils auront ainsi l’obligation d’afficher d’une façon claire, lisible et identifiable les promotions. Ils devront également indiquer pour les publicités relatives aux formations professionnelles le nom de l’organisme à l’origine de la publicité. Ils devront afficher les informations habituelles à caractère sanitaire lors des promotions de boissons avec ajout de sucre et de produits alimentaires manufacturés. Enfin, les fournisseurs de services d’hébergement devront permettre aux utilisateurs de signaler un contenu dont ils considèrent qu’il a fait l’objet d’une modification par procédé de traitement d’image (amendement CE50, sous-amendés par les CE193 et CE188).
Enfin, lors des opérations de « dropshipping », les députés ont ajouté l’obligation pour les influenceurs commerciaux et leurs agents de vérifier la disponibilité du produit ainsi que du respect de l’existence d’un certificat de conformité aux normes européennes (amendement CE51).
L’article 2 introduit en droit une définition de l’agent d’influenceurs. Les députés ont ajouté en commission l’obligation pour l’agent de prendre toutes mesures nécessaires pour garantir la défense des intérêts de leurs mandants (amendement CE53).
Les députés ont introduit un article additionnel garantissant le caractère écrit du contrat entre les influenceurs, leurs agents et les annonceurs qui doit inclure des clauses relatives à l’identité des parties, la nature des missions confiées, les modalités de rémunération ainsi que la soumission au droit français. Le non-respect de ces obligations entraine la nullité du contrat (amendement 54, sous-amendés par les CE169 et CE199).
Par ailleurs, les parlementaires ont ajouté l’obligation pour l’influenceur qui ne serait pas établi sur le territoire de l’Union européenne de désigner un représentant légal établi dans l’Union européenne qui devra souscrire une assurance couvrant ses activités (amendement CE56).
L’article 3 adapte la rédaction de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 afin de prendre en compte les nouvelles obligations reposant sur les plateformes en ligne concernant le retrait des contenus illicites. Ainsi les opérateurs de plateforme doivent établir des mécanismes permettant de signaler les contenus manifestement illicites. A partir d’un certain nombre de signalements, les opérateurs sont tenus de contrôler la publication signalée et doivent publier, au moins une fois par an, un rapport sur leur activité de modération.
Les députés ont ajouté l’obligation pour les opérateurs de traiter de façon prioritaire les notifications soumises par des signaleurs de confiance agissant dans leur domaine d’expertise (amendement CE58).
L’article 4 crée l’obligation pour les opérateurs de plateforme de fournir à l’autorité administrative compétente toutes informations utiles pour concourir à la lutte contre la diffusion publique de contenus publicitaires considérés comme mensongers.
L’article 5 ajoute à la formation à l’utilisation des outils et des ressources numériques une sensibilisation contre la manipulation et les risques d’escroquerie en ligne. Les députés ont élargi, en commission, la formation à la sensibilisation à la lutte contre les fausses informations (amendement CE105).
Enfin, les députés ont demandé un rapport sur la mise en adéquation des moyens de la DGCCRF avec la lutte contre les dérives liées au marché de l’influence en ligne et sur les réseaux sociaux (amendement CE40).