- Texte visé : Projet de loi de finances pour 2025, n° 324
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
- Mission visée : Médias, livre et industries culturelles
Modifier ainsi les autorisations d'engagement et les crédits de paiement :
(en euros) | ||
Programmes | + | - |
Presse et médias | 0 | 300 000 |
Livre et industries culturelles | 0 | 0 |
Fonds de soutien visant à soutenir les journalistes et médias victimes de procédures-bâillons(ligne nouvelle) | 300 000 | 0 |
TOTAUX | 300 000 | 300 000 |
SOLDE | 0 |
Le présent amendement vise à créer un fonds de soutien visant à soutenir les journalistes et médias victimes de procédures-bâillons en les aidant à mieux faire face aux frais engendrés par ces procédures judiciaires abusives. Ces aides viseront à compléter des frais de justice potentiellement insuffisants, mais aussi à couvrir d'autres dépenses qui auraient été engendrées par de telles attaques, qui ont bien souvent des conséquences plurielles.
Les procédures-bâillons, ou "SLAPP", visent à réduire au silence des acteurs de la société civile, tels que les médias et journalistes. Elles reposent sur une volonté de dissuader, d'intimider, et donc d'empêcher la diffusion d'informations souvent d'intérêt public. Pour ce faire, elles instrumentalisent la plupart du temps le délit de diffamation (encadré par la loi sur la liberté de la presse de 1881). Cependant elles ont aussi de plus en plus souvent trait au droit des affaires et notamment au "secret des affaires". Quoiqu'il en soit, les procédures-bâillons sont des entraves à l’exercice de la liberté de la presse, du droit à la liberté d'expression et le droit de nos concitoyens à recevoir des informations sur des questions d'intérêt public. Elles consistent à baillonner les voix critiques pour imposer la voix du plus fort dans le débat public.
L'ampleur du phénomène est tel qu'une directive européenne a été adoptée en avril 2024 afin de mettre les journalistes et défenseurs des droits à l'abri de ces procédures abusives. En vertu de ces nouvelles règles, que la France doit encore transposer, la personne sous le coup d’une telle procédure-bâillon pourra notamment demander le rejet rapide d’un recours "manifestement infondé". Toutefois cette directive est extrêmement limitée, puisqu'elle ne peut ni s'appliquer aux cas strictement nationaux, ni aux plaintes au pénal.
Ces procédures abusives ne frappent pas seulement les journalistes. Elles peuvent aussi s'abattre sur des médias en tant qu'entités, et autres acteurs de la société civile telles que les ONG ou lanceurs d'alerte. Elles peuvent être initiées par des particuliers, mais aussi, bien souvent, de grandes entreprises et patrons peu scrupuleux. Vincent Bolloré par exemple s'est longtemps illustré en la matière, en attaquant systématiquement tous les journalistes et médias ayant publié des révélations gênantes sur l’activité de son groupe. Il est loin d'être le seul. Ainsi, en mars et en avril 2023, le journal Mediacités a fait l'objet d'une énième tentative de réduction au silence, visé par deux procédures en diffamation engagées par le promoteur immobilier Alila et son dirigeant, après la publication de révélations sur les pratiques de la société. A cette date, ce média avait déjà été confronté à dix-neuf procédures sans qu’aucune n'ait débouché sur une condamnation. La même année, des journalistes de France Inter, du Monde et de L’Humanité ont également comparu pour diffamation, attaqués par l’entreprise de gestion des déchets Sepur à la suite d’articles faisant état de pratiques à l’encontre de travailleurs sans papiers. Quelques jours plus tard, c'est au tour de Mediapart et du journal d’investigation indépendant Le Poulpe, attaqués par l’entreprise de dépollution Valgo après leur enquête interrrogeant la qualité de la dépollution menée par ce groupe sur une ancienne raffinerie.
En parallèle, l'actualité nous a rappelé que ce cadre juridique peut aussi être instrumentalisé par des élus ou des personnalités politiques embarrassées par la perspective de révélations ou de mises en cause. La rentrée 2024 a été riche d'enseignement en la matière puisqu'un journaliste ayant enquêté sur des soupçons de liens entre l'ex-ministre des Familles Aurore Bergé et la Fédération française des entreprises de crèches est actuellement sous le coup d'une plainte pour diffamation déposée par cette ex-membre du gouvernement. Par ailleurs, le simple fait que certains députés aient tenté, en février 2024 par voie d'amendement, d'allonger considérablement le délai de prescription des infractions de diffamation et d’injure publique, mais seulement lorsque celles-ci visent des personnes élues ou briguant un mandat électif, interroge grandement.
Pour toutes ces raisons, et face à l'ampleur du phénomène, nous proposons de mieux soutenir les journalistes et médias concernés, au nom de la liberté de la presse et d'expression et du droit de nos concitoyens à être informés sur des enjeux d'intérêt public qui les concernent. Il est impératif d'apporter un soutien financier réel, qui couvre tous les dommages engendrés par ces procédures abusives, et d'autant plus lorsque ce sont des médias indépendants aux moyens limités qui font l'objet du litige.
Le versement des aides issues de ce fonds de soutien sera conditionné à une décision de justice reconnaissant que les poursuites en question sont manifestement infondées. Il aura vocation à compléter, si besoin est, les remboursements de frais de justice versés par l'Etat en cas de procès pénal, et par la partie perdante en cas de procès au civil. En effet, ces fonds, directement liés au déroulement de la procédure, tels que les frais de commissaire de justice ou les frais d'expertise, mais aussi les autres frais (honoraires d'avocat, frais de déplacement...), peuvent nécessiter un complément. Si la directive européenne prévoit que les personnes visées par les poursuites-bâillons pourront être indemnisées pour les dommages infligés, et notament la possibilité d'imposer des sanctions financières au demandeur à l’initiative d’une procédure-bâillon, elle ne s'applique ni aux procédures nationales, ni aux plaintes au pénal. L'Etat français a une marge de manoeuvre dans la transposition de cette directive et nous devons en élargir la portée. De même, ce fonds reconnaîtra pleinement le fait que les procédures baillons entrainent des conséquences financières qui ne se cantonnent pas à la simple procédure judiciaire (perte d'emploi, arrêts de travail, frais de santé, y compris mentale...).
Nous proposons de transférer 300 000 euros de l'action 02 du programme Presse et médias en AE et en CP pour les abonder vers un nouveau programme intitulé "Fonds de soutien visant à soutenir les journalistes et médias victimes de procédures-bâillons". Nous appelons le Gouvernement à lever le gage