Fabrication de la liasse

Amendement n°CL2

Déposé le vendredi 14 février 2025
Discuté
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Supprimer cet article.

Exposé sommaire

Par cet amendement, le groupe LFI-NFP vise à protéger le système judiciaire d'une diffusion non contrôlée des données judiciaires.

La présente proposition de loi ambitionne de "renforcer la confiance dans la justice" et, sous ce prétexte, d'imposer la diffusion systématique en open data des conclusions du rapporteur public. Si cette proposition prétend vouloir améliorer l’accessibilité pour le citoyen aux décisions de justice, elle occulte les nombreux problèmes que le libre accès à ces données pourrait engendrer. Il est important de souligner au préalable que la procédure juridictionnelle est soumise au principe de publicité de l’audience et que, par conséquent, cette loi ne sert en réalité à rien d’autre qu’à alimenter, toujours plus, les données sur lesquelles se fondent les LegalTech.

Tout d'abord, une telle diffusion remettrait en question la protection à la fois de la vie privée des parties, mais aussi celle du rapporteur public. En effet, la variété des données figurant au sein des décisions de justice et des conclusions du rapporteur public est considérable et couvre l’ensemble des aspects de la vie des personnes. En ce sens, une partie des données relève d’une particulière sensibilité, comme l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l’appartenance syndicale, des données génétiques, biométriques ou liées à la santé, mais aussi les données relatives aux antécédents judiciaires. La mission d’étude et de préfiguration sur l’ouverture au public des décisions de justice de novembre 2017, intitulée "L’open data des décisions de justice", pointe du doigt que le traitement de ces décisions pourrait conduire au “développement de mécanismes de profilage, qui consistent à traiter les données collectées concernant une personne afin d’évaluer certains aspects personnels la concernant, notamment pour analyser ou prédire des éléments concernant son rendement au travail, sa situation économique, sa santé, ses préférences personnelles, ses intérêts, sa fiabilité, son comportement, sa localisation ou ses déplacements”. Or, prévenir cette identification est particulièrement difficile, comme le pointe une étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui a mis en évidence, dans le cadre d’un travail réalisé sur les transactions des cartes bancaires d’1,1 million de personnes, que la simple connaissance de 4 données spatio-temporelles (dates, heures, coordonnées géographiques) permettait de réidentifier 90 % des individus. Ainsi, la publication systématique et toujours plus large des éléments annexes à la décision de justice conduit à remettre en cause le droit à l’oubli, car les personnes condamnées pourront éternellement être identifiées, et facilement. Par ailleurs, la mission d’étude de novembre 2017 avait soulevé que l’utilisation des données pourrait conduire à identifier les “opinions politiques ou philosophiques, réelles ou supposées des magistrats [pouvant conduire à] des tentatives de déstabilisation (...) via (...) des phénomènes massifs de récusation”. Cela créerait aussi un risque accru pour la sécurité des magistrats, qui sont déjà victimes d'agressions et de menaces. Ces événements se multiplient. On peut notamment citer l’exemple de Corinne Ledamoisel, présidente du tribunal administratif de Melun, et de Michel Aymard, président de la chambre des référés. Après avoir annulé l’OQTF de l’influenceur algérien Doualemn, ils ont reçu des menaces de mort et leurs photos ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Une plainte a été déposée à ce sujet. D’après le procureur de Melun, Jean-Michel Bourlès, ces menaces “viennent de toute la France”. La place Vendôme compte 60 agressions annuelles. Mais ce nombre semble largement minoré comme le dénoncent les 8500 magistrats de France en soutenant l'existence “d'un chiffre noir des violences. Certains collègues ne portent pas plainte car ils estiment que cela fait partie des risques du métier” (Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité-Magistrats FO)


De plus, une telle loi aurait pour conséquence de dénaturer le rôle du rapporteur public et risque d'engendrer une standardisation des conclusions. En effet, l'Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) alerte sur les risques d’imposer une rédaction formelle systématique en vue de la publication en open data. Le risque d'identification obligerait le rapporteur public à procéder à une analyse factuelle moins détaillée. La publication systématique risquerait donc d'engendrer une “standardisation du discours des rapporteurs publics. Cela réduirait nettement l’intérêt de leur intervention”. L’USMA souligne également qu’une telle loi engendrerait une charge de travail supplémentaire, difficilement soutenable compte tenu des moyens actuels de la justice administrative. Avec une augmentation de 42 % du nombre de contentieux depuis 2017 et des effectifs restés insuffisants pour y faire face, l’équilibre des juridictions est déjà fragile. De plus, l’annulation du plan de recrutement, conséquence du budget de l’État adopté sous l’impulsion de François Bayrou, aggrave cette situation. Dans ces conditions, la proposition de loi apparaît irréaliste, impossible à mettre en œuvre et semble déconnectée des besoins réels de la juridiction administrative.


Finalement, cette proposition de loi n'aura qu'une seule conséquence : faire prospérer la LegalTech, et pas à n'importe quel prix. La LegalTech est déjà présente et a prospéré sur la mise en place de l’Open Data des décisions de justice. Les outils proposés par ces entreprises sont largement utilisés. En effet, l'entreprise Doctrine revendique 3 000 entreprises utilisant la plateforme pour prendre leurs décisions stratégiques et près de 15 000 avocats et juristes utilisant régulièrement l’outil d’IA juridique avec une croissance de 20 % par mois. L’ouverture croissante de l’ensemble des paramètres procéduraux en open data sera directement exploitée par les entreprises de la LegalTech. Une diffusion non contrôlée alliée à un manque de régulation des algorithmes utilisés conduira nécessairement à une analyse comparative par ces entreprises des différentes juridictions et des différents avocats. Autrement dit, si l’ensemble des données judiciaires est publié en open data sans aucune anonymisation, les algorithmes pourront déterminer quelle juridiction est la plus favorable (ou non) sur quels types de sujets et quel avocat choisir en fonction de son taux de réussite, la moyenne des indemnités obtenues, etc. Cela conduirait à un risque de forum shopping particulièrement fort en matière commerciale.

En résumé, cette loi ne ferait qu'alimenter les intérêts des LegalTech tout en mettant en péril la protection de la vie privée, la sécurité des magistrats et l'intégrité du système judiciaire, sans répondre aux véritables enjeux du monde juridique tels que le manque de moyens.