- Texte visé : Proposition de loi, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, n° 856
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Supprimer les alinéas 9 à 11.
50 % des zones humides ont disparu en France entre 1960 et 1990[1], et leur dégradation se poursuit aujourd’hui puisque 41 % des sites humides emblématiques français ont vu leur état se dégrader entre 2010 et 2020. Pourtant, les zones humides sont essentielles. Elles correspondent aux prairies, tourbières, marais, forêts alluviales, mares, rives des étangs et cours d’eau non artificialisés. Ces milieux stockent l’eau, favorisent son infiltration dans les sols, constituent des zones tampon contre les crues, filtrent les polluants, abritent une biodiversité importante, et constituent un puits de carbone considérable. Leur dégradation s’inscrit à contresens des objectifs de préservation de la biodiversité, d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. En, effet, il est estimé que 6 % des émissions de l’UE sont dues à la destruction des tourbières.
Votre rapporteure est opposée à l’introduction d'une nouvelle catégorie de zones humides dans le code de l’environnement, et au régime de simplification de la dégradation des zones humides.
Premièrement, insérer une nouvelle catégorie de zone humide serait source de flou et d’insécurité juridique et méthodologique dans un contexte où l’inventaire et la cartographie des zones humides n’est pas finalisé et doit aboutir à échéance de 2 ou 3 ans. Par ailleurs à ce stade, il n’y aurait aucune estimation des superficies qui seraient potentiellement concernées par la dénomination de zones humides fortement modifiées. Des incertitudes perdurent donc sur l’implication réelle de l’introduction d’une telle catégorie.
De plus, le parallélisme avec les « masses d’eau fortement modifiées » pour lesquelles l’atteinte du bon état écologique n’est pas obligatoire dans le cadre de la DCE ne serait pas adapté selon votre rapporteure. En effet, une zone humide, même fortement modifiée, possède des fonctionnalités déterminantes telles que l’absorption d’eau ou le stockage du carbone justifiant sa préservation. Si une zone humide est dégradée, et assure des services écologiques moindres, elle est néanmoins connectée à un réseau hydrographique et à d’autres masses d’eau. La dégrader davantage crée un risque pour les zones humides et masses d’eau limitrophes ou connectées.
Votre rapporteure met par ailleurs en garde sur les effets pervers que permettrait l’adoption de cette disposition. Ne pas soumettre à autorisation ou déclaration, ainsi qu’aux obligations de compensation des opérations sur des zones humides fortement modifiées créerait un effet d’incitation à la dégradation des zones humides. En d’autres termes, dégrader faiblement une zone humide conforterait le droit de la dégrader totalement et de s’affranchir de toute obligation de compensation écologique.
Votre rapporteure rappelle enfin que la priorité en ce qui concerne les zones humides modifiées est leur restauration, selon le principe de non-régression et les objectifs et obligations du règlement (UE) 2024/1991 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2024 relatif à la restauration de la nature et modifiant le règlement (UE) 2022/869. L’article 11 de ce dernier fixe notamment l’objectif de restauration de 30 % des surfaces de sols organiques agricoles constitués de tourbières drainées d’ici 2030, dont un quart doit être remis en eau. Par ailleurs, la DCE fixe en son article 1er l’objectif de prévenir toute dégradation supplémentaire des zones humides. L’article 5 de cette proposition de loi augmenterait ainsi les risques de contentieux avec le droit de l’Union Européenne. La dégradation des zones humides est également contraire à la Stratégie Nationale Biodiversité 2030 dont l’axe 2 « Restaurer la biodiversité dégradée partout où c’est possible » prévoit de restaurer 50 000 ha de zones humides. Les zones humides modifiées sont un potentiel de restauration pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, ainsi que la préservation de la biodiversité et de notre ressource en eau.
Enfin, votre rapporteure souligne que l’article ainsi rédigé inscrirait dans une fausse opposition l’agriculture et la préservation des zones humides. D’une part, les zones humides fournissent des services essentiels à la production agricole, telles que le stockage de l’eau et l’abreuvement des bêtes dans les prairies humides. Les récents épisodes d’inondations dans le nord de la France rappellent l’importance fondamentale des zones humides pour diminuer les effets des évènements extrêmes et réduire les dégâts et les pertes agricoles. D’autre part, les pratiques agricoles compatibles avec le maintien des zones humides existent, qu’il s’agisse du pâturage extensif comme d’agriculture vivrière.
[1]Bernard, 1994 - De L’évaluation des Politiques Publique. Les zones humides : rapport de l’instance d’évaluation. Disponible ici : https://www.zones-humides.org/sites/default/files/a9r8.tmp_.pdf