- Texte visé : Texte de la commission sur la proposition de loi de Mme Sophie Taillé-Polian et plusieurs de ses collègues visant à protéger les travailleuses et travailleurs du nettoyage en garantissant des horaires de jour (770)., n° 939-A0
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par : Assemblée nationale (séance publique)
- Code concerné : Code du travail
À la première phrase de l’article L. 3122‑1 du code du travail, après le mot : « est », est inséré le mot : « strictement ».
Par cet amendement d'appel, les député.es LFI-NFP souhaitent dénoncer le décalage entre la lettre du code du travail au sujet du travail de nuit, et la réalité des faits.
Le code du travail dispose que tout travail de nuit est exceptionnel (article L3122-1 du code). Il doit être « justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale ».
Par un arrêt du 7 février 2024, la Cour de cassation a rappelé que, eu égard à son caractère exceptionnel, le recours au travail de nuit doit, même lorsqu’il est occasionnel, être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. En 2014, la Cour avait déjà précisé que le travail de nuit ne peut pas être un mode normal d’organisation du travail et ne doit être appliqué que lorsqu’il est indispensable au fonctionnement de l’entreprise.
Pourtant, dans les faits, le recours au travail de nuit n'a rien d'exceptionnel, particulièrement dans les secteurs majoritairement occupés par les classes laborieuses. En 2019, selon l’Observatoire des inégalités, 12,2% des ouvriers déclarent travailler la nuit de manière habituelle contre 1,3% des classes supérieures et 4,6% des professions intermédiaires. L’écart est encore plus grand chez les femmes : le travail de nuit habituel est le lot de 10 % des ouvrières, alors que presque aucune femme cadre n’indique être dans ce cas. Dans le secteur du nettoyage, sur les 1,7 millions de salariés du nettoyage en France (DARES), 46% d’entre eux connaissent des « horaires atypiques » (nuits, soirées et week-ends).
Pourtant, le travail de nuit ne répond en réalité souvent à aucun impératif économique, mais à un objectif de ségrégation et d’invisibilisation qui ne dit pas son nom. Les syndicats demandent la fin des horaires décalés et la généralisation du travail en journée et, comme l'exposé des motifs de ce texte nous l'apprend, même l'ancien président du Medef incitait les donneurs d'ordre à calquer les horaires des femmes de ménage sur les heures de bureau.
La nécessité de "continuité de l'activité économique" est brandie à tort et à travers pour justifier des horaires qui ne sont pas seulement atypiques, mais véritablement "asociaux". Ils fragmentent les relations personnelles, créent de l'isolement, rendent difficile voire impossibles l'aménagement de plages consacrées aux loisirs... Les conséquences sur la santé du travail de nuit sont aussi particulièrement graves, puisqu'un rythme de sommeil perturbé favorise les troubles de l’humeur, tout en alimentant une fatigue propice à la survenance d'accidents du travail. Le travail de nuit augmente aussi la probabilité de cancer du sein et d'AVC.
Ces conséquences s'ajoutent aux facteurs de pénibilité qui caractérisent souvent les emplois concernés, dont le secteur du nettoyage, où les femmes, souvent âgées de plus de cinquante ans, et/ou issues de l'immigration, sont en première ligne, de même que les travailleurs d'origine étrangère.