- Texte visé : Texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n°907)., n° 1043-A0 rectifié
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Assemblée nationale (séance publique)
Supprimer cet article.
Par cet amendement, les député·es du groupe LFI-NFP proposent la suppression de cet article visant à la création d’un quartier de lutte contre la criminalité organisée dans les prisons.
Le Gouvernement, aveugle aux recommandations des experts sur les questions carcérales, s’attaque avec cet article aux droits les plus fondamentaux des personnes détenues, y compris lorsque celles-ci sont présumées innocentes.
Le public visé par ces dispositions risque d’être bien plus large que les « 100 plus gros trafiquants » qu'annonçait Darmanin. En désignant « les personnes majeures détenues pour des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73, 706-73-1 ou 706-74 du code de procédure pénale », c’est tout le champ de la criminalité organisée qui est susceptible d’être concerné, quelle que soit leur place dans le spectre de la délinquance. De surcroît, l'article prévoit que cette décision appartiendrait au garde des sceaux, lui conférant un nouveau pouvoir discrétionnaire, qui pour l'OIP « présente un risque évident d’arbitraire tant ces critères sont flous et la paranoïa sécuritaire totale. »
Quant à la durée de validité de quatre ans de la décision d’affectation dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée, renouvelable de manière illimitée, celle-ci est diamétralement opposée aux préconisations internationales sur l’isolement. En effet, le champ scientifique est unanime : l’isolement a des effets dévastateurs et contre-productifs sur les personnes détenues.
Sur ce point, l’Observatoire International des Prisons nous alerte :« Aucune actualisation régulière de la situation des personnes concernées n’est envisagée, alors même que le Comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe (CPT) recommande un « réexamen complet » de la mesure d’isolement afin d’y mettre fin « le plus rapidement possible » dès lors qu’elle dépasse 24 heures, notamment au vu des « effets extrêmement dommageables sur la santé mentale, somatique et le bien-être social » des personnes détenues qui y sont soumises. »
Ce dispositif s’inspire du système carcéral italien pour mafieux, et plus précisément du bien connu article 41-bis. Les auteurs de cet article ont cédé aux sirènes de la répression plutôt que d’écouter les spécialistes, qui dénoncent largement ce type de mesure. Ils soulignent ses effets psychologiques dévastateurs, son efficacité limitée contre les réseaux mafieux et, une fois de plus, les risques qu’elle fait peser sur les droits humains. En effet, une étude menée par Torre (2018) a conclu qu’un isolement de plus de 15 jours pouvait altérer de façon irréversible les fonctions cognitives et émotionnelles des personnes concernées. À l’issue d’un isolement prolongé, 60 % des détenus développent des symptômes psychiatriques chroniques. De plus, une étude de Paoli (2021) sur la réinsertion des ex-mafieux a démontré que le régime 41-bis favorise la radicalisation des détenus. Elle révèle que ce régime diminue les chances de collaboration avec la justice en raison de l'absence d'incitations psychosociales. En outre, une commission indépendante avait conclu qu’il était « bien plus à craindre que les séjours [en quartier de haute sécurité] n’aggravent, au lieu de tempérer, la dangerosité de ceux qui y sont affectés, ce d’autant plus que ce séjour est prolongé ».
Mais l'ineptie de cette disposition ne s’arrête pas là ! En effet, elle favorise la résilience des réseaux mafieux, qui mettent en place des structures visant à réduire l'impact des arrestations. Finalement, loin de briser les réseaux mafieux, ce dispositif semble leur offrir les moyens de s’adapter et de se renforcer, tout en niant les droits humains des individus concernés.
Il est étonnant que les auteurs de cet article aient choisi comme modèle assumé l'article 41-bis, pourtant condamné par la Cour européenne des droits de l'homme dans plusieurs arrêts pour son incompatibilité avec l'article 3 de la Convention, qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
À l’encontre du droit et des recommandations des experts, de l'avis du Défenseur des droits, l’approche de cet article néglige les principes fondamentaux de dignité et de respect des droits humains, privilégiant une répression aveugle au détriment d’une approche équilibrée alliant isolement ciblé et programmes de réinsertion, comme le préconisent les criminologues.
Pour l'ensemble de ces raisons, nous demandons sa suppression.