Fabrication de la liasse

Amendement n°CL12

Déposé le jeudi 12 juin 2025
En traitement
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Pouria Amirshahi

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Léa Balage El Mariky

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Jérémie Iordanoff

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Sandra Regol

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Sous réserve de son traitement par les services de l'Assemblée nationale et de sa recevabilité

Supprimer cet article.

Exposé sommaire

 Cet amendement vise à supprimer l’article de cette proposition de loi qui vise à instaurer une participation financière des détenus (ou de leurs responsables légaux) aux frais de leur incarcération.
 
Jusqu’à 2003, une contribution obligatoire des détenus travaillant en détention existait. Une part de leur rémunération était affectée au centre pénitentiaire. Cette mesure a été supprimée, précisément parce qu’elle s’était révélée inéquitable et peu efficace, voire contre productive.
 
La présente proposition de loi, aussi démagogique que déconnectée de la réalité carcérale de notre pays, va pourtant au-delà : elle entend désormais viser les détenus qui tirent des revenus de leur travail en prison, mais aussi les ressources extérieures, voire le patrimoine immobilier ou financier des personnes détenues et de leur famille.
 
Il semble donc nécessaire de rappeler la réalité des établissements pénitentiaires en France aujourd’hui : À ce jour, 81 599 personnes sont incarcérées pour seulement 62 363 places opérationnelles. Certains établissements affichent des taux d’occupation supérieurs à 200 %. Et ces chiffres sont eux-mêmes sous-évalués, comme l’a démontré l’Observatoire international des prisons.
Les conditions de détention en France sont indignes : cellules vétustes, présence de rats, de cafards et de punaises, matelas à même le sol, absence d’intimité, chauffage en panne l’hiver, chaleur accablante l’été, moins de 3 m² par détenu dans de nombreuses prisons.
Ces conditions ont ainsi conduit à la condamnation de la France à deux reprises, en 2020 et en 2022, par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette réalité ne saurait être occultée par la rhétorique caricaturale du « Club Med », qui ne résiste pas à l’épreuve des faits.
 
L’instauration d’une telle contribution ne ferait ainsi qu’aggraver davantage la condition des détenus en France aujourd’hui. Par ailleurs, la grande majorité des personnes incarcérées vivent dans une extrême précarité. Le rapport sénatorial « prisons : le travail à la peine » de Paul Loridant en 2002 soulignait justement qu’il fallait environ 200 euros par mois pour vivre dignement en détention. En 2022, l’Organisation Internationale des Prisons estimait pourtant que 20 % des personnes détenues vivent avec moins de 50 euros mensuels, alors que les prix ont augmenté de 30% depuis 2002. L’OIP rappelle par ailleurs que l’administration pénitentiaire ne fournit que le minimum, que les personnes détenues doivent faire face à divers frais, et que les prix pratiqués en détention sont bien supérieurs à ceux du marché. C’est pourtant dans cette économie de survie que certains voudraient introduire une nouvelle charge.
 
Ce projet est d’autant plus injuste qu’il repose sur un postulat erroné : celui selon lequel les détenus refuseraient de travailler. La Cour des comptes le soulignait déjà en 2006 : le travail en détention est à la fois rare, mal rémunéré et inégalement réparti. En effet, seuls 30 % des détenus ont accès à l’emploi, et les rémunérations se situent entre 25 et 45 % du SMIC. Les demandes sont pourtant nombreuses, mais si l’administration pénitentiaire est dans l’incapacité d’y répondre, c’est bien en raison de la pénurie de postes et de l’explosion du nombre de personnes incarcérées.
 
Enfin, l’impact budgétaire de cette mesure - pourtant défendue par l’actuel garde des Sceaux, Gérald Darmanin, au nom du coût de fonctionnement des prisons et du coût moyen par jour et par détenu - serait quasi-nul. Selon certaines estimations, l’ensemble des rémunérations des personnes détenues travaillant en prison représente environ 84 millions d’euros par an. Une goutte d’eau comparé au budget de l’administration pénitentiaire.
 
En somme, la présente proposition vise donc à faire reposer sur les détenus le coût d’un système carcéral défaillant, au lieu de s’interroger sur les causes profondes de la surpopulation chronique, de la récidive, de l’échec de la prison dans sa mission de réinsertion. Elle s’inscrit dans une logique d’inflation pénale et carcérale, nourrie depuis des années par l’accumulation de réformes pénales toujours plus répressives, du recours massif à l’incarcération, de l’essor des procédures d’urgence comme les comparutions immédiates. Une fois de plus, cette proposition confond la peine et le châtiment.
 
Pour l’ensemble de ces raisons, nous proposons de supprimer cet article unique.