- Texte visé : Projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, de programmation pour la refondation de Mayotte, n° 1470
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République
Sous réserve de son traitement par les services de l'Assemblée nationale et de sa recevabilité
À l’alinéa 2, supprimer les mots :
« , à l’exception de l’aide médicale de l’État, »
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à réaffirmer la nécessité de faire appliquer l’aide médicale de l’État à Mayotte.
Le secteur sanitaire à Mayotte incarne aujourd’hui, de manière particulièrement préoccupante, les conséquences concrètes de la non application du droit commun dans ce département. Lors d’une visite récente au centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), nous avons pu mesurer l’ampleur des dysfonctionnements auxquels les professionnels de santé et les usagers doivent faire face au quotidien. Département français depuis 2011, Mayotte constitue encore une entorse manifeste au pacte républicain : l’aide médicale de l’État (AME) ne s’y applique pas. Cette singularité entraîne des préjudices considérables, à la fois pour les personnes non affiliées à la protection sociale – confrontées à un reste à charge insoutenable et à des retards d’accès aux soins – et pour la population mahoraise, dont les services d’urgence sont saturés.
Le premier désert médical de France ne se trouve ni en zone rurale métropolitaine ni dans les territoires ultramarins historiques, mais bien à Mayotte, avec seulement 83 médecins pour 100 000 habitants en 2022, contre 330 en moyenne dans l’Hexagone. Cette inégalité d’accès aux soins se manifeste crûment au CHM, qui absorbe seul l’essentiel de la demande sanitaire du territoire. Ce sont ainsi près de 50 % des séjours hospitaliers qui concernent des personnes non affiliées, chiffre qui atteint 90 % pour les consultations en protection maternelle et infantile. L’absence de l’AME prive ces publics d’un accès précoce aux soins primaires, les contraignant à se tourner vers l’hôpital en dernier recours, aggravant les pathologies et mettant une pression insoutenable sur les services hospitaliers.
Les partisans de cette exception au droit commun invoquent régulièrement un prétendu « appel d’air », selon lequel l’instauration de l’AME renforcerait l’attractivité migratoire du territoire. Pourtant, les données de terrain, croisées avec les constats de nombreux rapports, démontrent le contraire : l’absence d’AME ne freine en rien les flux migratoires, mais aggrave les dysfonctionnements du système de santé et met en péril l’accès aux soins pour tous. Le rapport remis par Patrick Stefanini dans le cadre du débat sur la récente loi « immigration » est, à ce titre, éclairant. Il décrit Mayotte comme un laboratoire en temps réel des effets de la suppression de l’AME : saturation hospitalière, atteinte à la santé publique, inefficacité économique. À l’heure où certains proposent de restreindre encore l’AME à l’échelle nationale, la situation à Mayotte doit au contraire servir d’alerte : elle démontre qu’une telle régression aurait des conséquences délétères sur l’ensemble du système de santé.
L’application de l’AME à Mayotte n’est pas un privilège, mais un impératif d’égalité et de responsabilité. Elle permettrait non seulement de soulager les urgences hospitalières, d’améliorer la prise en charge en amont, mais aussi de mieux réguler les coûts pour l’assurance maladie. Cette demande n’est ni nouvelle ni isolée : elle est portée de longue date par les professionnels de santé, les élus locaux, les associations et les institutions indépendantes. Refuser d’appliquer l’AME à Mayotte revient à institutionnaliser une inégalité d’accès aux soins entre citoyens selon leur lieu de résidence.
Pour toutes ces raisons, nous soutenons l’extension de l’AME à Mayotte. Elle constitue une mesure de justice, de santé publique et de cohérence de notre droit républicain.