XVIIe législature
Session ordinaire de 2024-2025

Première séance du lundi 23 juin 2025

Sommaire détaillé
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Première séance du lundi 23 juin 2025

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet

Mme la présidente

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à quinze heures.)

    1. Mise en place d’un registre national des cancers

    Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat (procédure de législation en commission)

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers (nos 119, 1590).
    La conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné dans son intégralité selon la procédure de législation en commission. En application de l’article 107-3 du règlement, nous entendrons d’abord les interventions du gouvernement, du rapporteur et du président de la commission, puis les explications de vote des groupes. Nous passerons ensuite directement au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.

    Présentation

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.

    M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins

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    Je suis très heureux de me tenir devant vous pour saluer et accompagner, avec conviction, l’examen d’un texte aussi important, qui concerne une cause nationale, humaine et scientifique : la lutte contre le cancer. Permettez-moi d’abord de saluer l’esprit transpartisan dans lequel cette proposition de loi a été conçue, débattue et adoptée, à l’unanimité, par le Sénat et la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Je tiens à remercier chaleureusement les sénatrices Sonia de La Provôté et Marie-Pierre de La Gontrie pour leur initiative, ainsi que Nadia Sollogoub, rapporteure au Sénat, et Michel Lauzzana, rapporteur à l’Assemblée nationale.
    Je veux saluer la qualité du travail accompli dans un esprit d’unité politique rare et précieux : il nous honore collectivement. Permettez-moi aussi d’ajouter quelques mots pour saluer le courage des parlementaires qui, à l’image de la présidente de l’Assemblée nationale, ont entamé un combat qui force respect et admiration : je pense notamment au député Aurélien Rousseau et aux députées Marine Hamelet et Nathalie Da Conceicao Carvalho. Je crois que nous pouvons leur rendre hommage. (M. Jean-Michel Brard applaudit.)
    Dès ma nomination, j’ai tenu à ce que ce texte puisse rapidement terminer son chemin législatif, tant il embarque l’espoir de centaines de milliers de nos compatriotes et de nombreuses associations de patients, mais aussi parce qu’il s’inscrit pleinement dans les priorités du gouvernement : mieux prévenir, mieux soigner et mieux comprendre le cancer et ses causes liées à l’environnement. Nombre d’entre vous se sont saisis à bras-le-corps de cette dernière question ; en témoignent les travaux menés par Sandrine Josso, Benoît Biteau, Dominique Potier, Vincent Thiébaut, Paul Christophe, Vincent Jeanbrun ou encore Nicolas Thierry, pour ne citer qu’eux. Je serai heureux de prolonger ces débats et ces travaux au-delà du texte en discussion.
    En 2023, près de 433 000 nouveaux cas de cancers ont été diagnostiqués en France. Chaque jour, malheureusement, plus de 1 100 Français apprennent qu’ils sont atteints d’un cancer ; plus encore, le nombre de nouveaux cas a doublé en trente ans. Chez les jeunes adultes, certaines localisations, notamment le cancer du sein, progressent de manière inquiétante, et près d’un cancer sur deux est lié à des facteurs évitables. Nous ne pouvons pas nous contenter, en la matière, de retards, d’estimations et d’approximations.
    Pour mieux prévenir, mieux diagnostiquer, mieux soigner et mieux comprendre les cancers, nous devons mieux les connaître. La proposition de loi vise à confier à l’Institut national du cancer (Inca) la mise en œuvre d’un registre national des cancers, véritable socle d’une épidémiologie de précision, indispensable à la réussite de nos politiques de santé. Les données dont nous disposons reposent pour le moment sur trente-trois registres locaux qui couvrent à peine un quart de la population française. Ces outils, bien que fondamentaux, sont hétérogènes, inégalement répartis, souvent sous-dotés et parfois technologiquement dépassés. Des zones rurales sont surreprésentées tandis que des territoires exposés à des risques environnementaux ou marqués par des inégalités sociales, comme la Seine-Saint-Denis, sont absents du périmètre de surveillance. Nous devons être lucides et partir de l’existant mais aussi aller plus loin, en évitant les écueils d’une généralisation purement administrative.
    Le gouvernement partage pleinement l’esprit de cette proposition de loi. Nous accompagnerons donc cette mise en œuvre avec les parlementaires, les associations et les acteurs des territoires, afin de construire un registre intelligent, évolutif et robuste. Ce tout nouveau registre national sera bâti sur deux piliers. Le premier consiste en la consolidation du réseau des registres locaux, au moyen d’un pilotage renforcé par l’Inca, mais aussi en la création de deux nouveaux registres dans des zones sous-représentées, à savoir une zone urbaine défavorisée et une zone plus exposée que la moyenne à des risques chimiques. Il s’accompagne d’une homogénéisation des pratiques, des outils et du cadre juridique.
    Le deuxième pilier sera l’extension de la plateforme de données en cancérologie de l’Inca, dont le but est d’agréger de manière sécurisée et pseudonymisée les données du système national des données de santé (SNDS), des registres et des bases de données biologiques, cliniques, sociales et environnementales –⁠ comme le Green Data for Health. Cette plateforme documente déjà les trajectoires de plus de 12 millions de patients atteints d’un cancer. C’est elle qui, en intégrant les données relatives au dépistage, aux parcours de soins, à la génétique moléculaire et à la qualité de vie après cancer, constituera le socle de notre registre national. En outre, disposer de davantage d’informations sur l’origine environnementale des cancers est une priorité ; la création du registre national devra permettre d’y répondre.
    Au-delà des registres, nous devons aussi changer de paradigme dans notre manière d’appréhender les causes du cancer. Il ne s’agit plus seulement d’identifier un agent cancérogène isolé : nous nous efforçons désormais de comprendre les expositions multiples auxquelles chacun est confronté dans la durée. C’est tout l’enjeu de l’approche par l’exposome, qui vise à documenter l’ensemble des expositions environnementales, professionnelles, alimentaires et comportementales, et ce depuis la naissance voire la période prénatale. Cette approche est d’autant plus pertinente que les effets de ces expositions ne sont pas linéaires : ils s’additionnent et se potentialisent, comme le député Benoît Biteau nous l’a très bien expliqué, à moi et à mon cabinet : c’est ce que l’on appelle l’effet cocktail, qui rend particulièrement difficile l’évaluation toxicologique classique.
    Ce registre devra donc s’articuler avec les travaux du plan national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNR EST), qui intègre pleinement cette complexité, et avec les initiatives qui émergent autour du Green Data for Health  ; celles-ci croisent données de santé et données environnementales pour mieux prévenir les pathologies chroniques. Parmi les facteurs environnementaux, l’exposition de la population aux pesticides est une priorité de santé publique.

    Mme Marie-Charlotte Garin

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    Il ne faut peut-être pas voter la loi Duplomb, alors !

    M. Yannick Neuder, ministre

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    En octobre, je réunirai le comité de suivi des études nationales sur les pesticides pour faire le point sur les dernières données concernant les effets des pesticides sur la santé. Par ailleurs, je me suis engagé, avec Agnès Pannier-Runacher et Annie Genevard, à renforcer la protection des captages d’eau potable vis-à-vis des pesticides. L’eau que nous buvons au robinet doit rester de qualité pour tous et nous devons pour cela agir de manière préventive afin de limiter l’utilisation des pesticides autour des captages. Les substances actives phytopharmaceutiques les plus dangereuses sont progressivement interdites grâce à la réglementation européenne qui garantit un cadre protecteur.
    Je serai particulièrement vigilant à l’égard des décisions prises en matière de renouvellement de l’approbation des substances actives, car il faut agir à la source pour limiter l’exposition de la population et de l’environnement aux substances toxiques. J’ai confiance dans le système européen d’évaluation des risques –⁠ je vous ai entendue, madame la députée Garin –, qui garantit l’indépendance de l’expertise et donc une analyse rigoureuse des effets sanitaires et environnementaux des pesticides.
    Je veux ici saluer l’engagement inlassable de nos partenaires associatifs, qui font vivre la lutte contre le cancer au quotidien. Je pense notamment à la Ligue contre le cancer, acteur historique mobilisé sur tout le territoire pour l’aide aux malades, la recherche et la prévention ; à Jeune & Rose, association qui porte avec force la voix des jeunes femmes confrontées au cancer du sein en adoptant une approche innovante et inclusive, et qui s’est massivement mobilisée en faveur de ce texte ; mais aussi à RoseUp, à Vivre comme avant, à Europa Donna, à l’AF3M –⁠ Association française des malades du myélome multiple – et à tant d’autres collectifs de patients ou de proches qui rappellent, jour après jour, qu’une donnée de santé n’est jamais abstraite –⁠ elle porte des visages, des histoires, des parcours de vie. Ce registre national, nous le construirons avec eux.
    Il ne s’agit pas d’un instrument technique : c’est un outil de justice sanitaire, d’équité territoriale et de démocratie en santé. La rédaction actuelle de la loi permet d’intégrer cette vision hybride et moderne du registre national. Un décret sera pris d’ici la fin de l’année pour en définir les modalités, dans le respect de l’intention du législateur –⁠ je remercie encore les sénatrices à l’origine du texte –, des exigences éthiques, de la souveraineté numérique de l’hébergement, confiée à l’Inca, et de la protection des données, qui seront pseudonymisées et utilisées à des fins strictement encadrées.
    Vous l’avez, compris, le gouvernement est pleinement favorable à une adoption conforme de ce texte. La création d’un tel registre nous dotera d’un nouvel outil scientifique mais c’est aussi un acte politique fort, qui nous permet d’affirmer que nous ne tolérons plus l’invisibilité de certains territoires, de certaines populations face au cancer. C’est un levier pour accélérer la recherche, cibler nos politiques de prévention, réduire les inégalités et, demain, sauver des vies.
    Le cancer n’est pas une abstraction : c’est une réalité, brutale et quotidienne, qui touche plus d’un Français sur deux au cours de sa vie –⁠ 4 millions de nos compatriotes en sont atteints –, qui bouleverse des familles, des couples, des parcours professionnels, des destins. C’est la première cause de mortalité en France, devant les maladies cardiovasculaires, et c’est aussi un combat collectif que nous menons depuis plusieurs décennies, comme en témoignent les plans cancer successifs, la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 ainsi que la mobilisation des soignants, des chercheurs, des patients, des aidants et des associations. Tous ensemble, nous avons réussi à améliorer les taux de survie, à renforcer les dépistages, à ouvrir la voie aux thérapies ciblées et à la médecine personnalisée.
    Cependant, la maladie continue à frapper de manière inégale. L’environnement, les conditions sociales, le lieu de résidence jouent un rôle dans le risque de développer un cancer ; or nous savons que ce que nous ne mesurons pas bien, nous ne pouvons ni le corriger ni le prévenir. C’est pourquoi la création d’un registre national des cancers est une question politique et non technique. Elle conditionne l’égalité réelle face à la maladie, la justice en santé publique et la puissance de notre recherche.
    Elle est aussi une promesse : ne laisser aucune trajectoire de patient dans l’ombre.
    Cette proposition de loi poursuit l’ambition de faire de la France un des pays les plus avancés au monde dans la surveillance et la compréhension des cancers ; le registre national sera un des piliers de ce projet.
    Le gouvernement s’engage à prendre avant la fin de l’année le décret venant préciser les modalités de mise en œuvre de ce registre national. Dispositif unique au monde dans le suivi exhaustif des cancers, il aidera toute la filière de la cancérologie à mieux répondre aux défis de demain.
    Je vous remercie pour votre engagement, pour votre travail collectif et pour l’esprit d’unité dont vous faites preuve aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, DR et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Michel Lauzzana, rapporteur de la commission des affaires sociales.

    M. Michel Lauzzana, rapporteur de la commission des affaires sociales

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    Je suis heureux de vous retrouver pour examiner en séance la proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers. Adoptée en 2023 par nos collègues sénateurs à l’initiative de Sonia de La Provôté –⁠ dont je salue la présence en tribune –, cette proposition de loi est demeurée en souffrance jusqu’à ce que le gouvernement –⁠ je l’en remercie – décide son inscription à l’ordre du jour à la suite d’une question posée par notre collègue Aurélien Rousseau le 3 juin dernier, reprise à la volée par notre présidente Yaël Braun-Pivet.
    Les chiffres ont déjà été donnés : en 2023, on a dénombré 433 000 nouveaux cas de cancers en France ; avec 162 000 décès annuels, le cancer représente la première cause de mortalité chez les hommes et la deuxième chez les femmes.
    Nous ne pouvons nous habituer à ces constats. Face à cette situation, nos outils sont connus ; ils se nomment : prévention, surveillance, dépistage ou bien encore traitements précoces et impliquent tous de mieux connaître la maladie et de cerner ses déterminismes.
    Pour ce faire, nous disposons en France de registres épidémiologiques destinés à recueillir au sein d’une population géographiquement définie des données individuelles nominatives sur un ou plusieurs événements de santé tels que les cancers. On compte trente-trois registres en 2025, dont dix-neuf registres généraux –⁠ parmi lesquels cinq registres ultramarins –, douze registres spécialisés et deux registres nationaux pour les cancers de l’enfant.
    Alors même que les données médico-administratives ne sont pas suffisamment précises à elles seules, nos registres actuels ne nous permettent pas de disposer de données fines et exhaustives sur les cancers frappant l’ensemble de la population française car ils sont établis à partir d’extrapolations réalisées sur la base des registres généraux existants, lesquels couvrent moins qu’un quart de la population nationale. Cette situation, qui nous distingue de celles de nos voisins européens, entrave nos capacités à combattre les cancers.
    Pour être plus concret : la population actuellement suivie par les registres étant une population plus rurale que la moyenne française, les extrapolations réalisées sur leur base pourraient être biaisées et nous offrir un panorama faussé des cancers en France de nature à entraver nos efforts pour surveiller, prévenir, dépister et traiter les cancers partout sur le territoire.
    De l’Académie nationale de médecine à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en passant par de nombreux acteurs associatifs, administratifs ou scientifiques –⁠ que je tiens ici à saluer, en particulier le professeur François Guilhot, présent en tribune, mais également l’association Jeune & Rose qui s’est mobilisée aux côtés de nombreuses autres – nous sommes nombreux à avoir posé ce constat.
    La proposition de loi entend faire évoluer notre système en ajoutant au code de la santé publique un article créant un registre national des cancers dont la gestion sera attribuée à l’Inca. Pour améliorer la prévention, le dépistage, le diagnostic et la prise en charge des patients, ce registre national a pour objet de centraliser et de mettre à disposition les données populationnelles relatives à l’épidémiologie et aux soins des cancers. La proposition de loi renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser l’organisation concrète du registre national des cancers, notamment le rôle de chaque entité et les modalités d’interopérabilité entre elles.
    Ainsi, la proposition de loi nous dote enfin de l’organisation et in fine des données nationales à la hauteur de l’enjeu que représentent les cancers en France.
    Ce registre ambitieux n’atteindra ses objectifs qu’à la double condition que le pouvoir réglementaire fasse le choix d’une organisation adaptée, reposant sur des sources diverses et multiples de données issues de la totalité du territoire et de la population, et que le gouvernement accompagne budgétairement sa mise en œuvre. (Mme  Alma Dufour applaudit.) Si l’effort budgétaire doit être contenu, il n’en reste pas moins nécessaire pour que le fichier soit adapté aux besoins et pour garantir sa pérennité. Ce registre autorisera des avancées majeures tant dans le domaine épidémiologique qu’en matière de soins et de recherche.
    Permettez-moi de rappeler que les enjeux liés à la prise en charge du cancer ne se résument pas à la création d’un registre, aussi ambitieux soit-il. Au-delà de ce texte, je formule le v?u que, d’ici 2027, nous puissions défendre de manière transpartisane de nouvelles avancées en matière de dépistage –⁠ dont les résultats demeurent insuffisants – mais aussi en ce qui concerne l’accès et la simplification des essais cliniques en cancérologie auxquels je tiens particulièrement. La France doit rester en pôle position au niveau européen !
    Cette proposition de loi est indispensable dans notre combat contre les cancers. Il nous appartenait de l’adopter au plus vite afin qu’il s’applique rapidement ; à cet égard, je salue l’accord des groupes en faveur de la législation en commission et l’absence d’amendement. Pour mieux lutter contre le cancer et mieux œuvrer pour la santé des Français, je forme le vœu qu’à l’image de la commission des affaires sociales, nous adoptions ce texte dans sa version transmise par le Sénat. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.–  Mmes  Alma Dufour et Marie-Charlotte Garin et M.  Aurélien Rousseau applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

    M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales

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    L’Assemblée nationale examine une proposition de loi qui, derrière son apparente simplicité, engage une transformation profonde de la lutte contre les cancers en France. Elle a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires sociales ; j’espère que nous ferons de même ici dans une heure.
    Ce texte crée un registre national des cancers permettant de rassembler de façon exhaustive et sécurisée des données actuellement dispersées, souvent inaccessibles aux chercheurs et aux soignants. Il faut mesurer la portée de cette création. Nous parlons non d’un simple outil technique mais d’un puissant levier de santé publique car mieux connaître c’est mieux prévenir, mieux soigner, mieux accompagner.
    Ce texte a été défendu avec force et ténacité par les membres de l’Association Jeune & Rose qui se sont appuyés sur les travaux du professeur François Guilhot. Ils sont en tribune et je salue leur commune détermination : nous devons beaucoup à leur engagement. Le texte a été déposé par notre collègue sénatrice Sonia de La Provôté : qu’elle soit remerciée de son initiative ! J’applaudis enfin le travail mené par la commission des affaires sociales du Sénat et par la rapporteure Nadia Sollogoub.
    Madame la présidente, je rends hommage à votre engagement, depuis votre élection, en faveur de l’ouverture de notre assemblée à une meilleure compréhension des sujets liés à la santé, notamment la santé des femmes : l’accueil par notre institution du bus « Agir pour le cœur des femmes » il y a quelques semaines en constitue une illustration.
    La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par le Sénat, sans ajout ni réserve, dans un esprit d’unité qu’il faut célébrer. La même unité a guidé nos travaux : je remercie les présidents de groupe pour cette volonté commune d’avancer dans le sens de l’intérêt général. À ces remerciements, j’associe notre rapporteur, Michel Lauzzana, qui a su convaincre la commission de se prononcer, elle aussi, à l’unanimité en faveur du texte voté par le Sénat.
    La bataille contre le cancer ne se déroule pas dans les hémicycles ; pour nos concitoyens qui affrontent cette épreuve toujours bouleversante –⁠ ils se comptent en millions –, le combat se livre dans les hôpitaux, les centres de soins, les laboratoires, les centres de recherche et dans les cabinets de ville.
    Il se livre aussi dans la sphère intime, avec le soutien des familles et des proches : nous sommes plusieurs dans cette assemblée à le savoir et à l’avoir vécu –⁠ ou à le vivre – dans notre propre chair, ce qui renforce sans doute notre compréhension du formidable pas en avant que nous allons faire ce soir.
    Nous allons enfin donner l’arme qu’attendent à la fois les 400 000 personnes touchées chaque année et tous ceux qui militent pour un fichier de santé national : médecins de santé publique, hommes et femmes de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’Inca, associations, patients et tous les soignants qui accompagnent les malades, soulagent leur douleur et soutiennent leur espoir. Ce texte est aussi pour eux.
    J’y insiste, simple dans sa rédaction, ce texte est fondamental dans ses effets. Fruit d’un travail législatif exemplaire, partagé et serein, il est l’exemple de ce que le Parlement peut faire de mieux : agir pour le bien commun ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.–⁠ M. Aurélien Rousseau applaudit également.)

    Explications de vote

    Mme la présidente

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    J’appelle maintenant dans le texte de la commission l’article unique de la proposition de loi qui, compte tenu de la législation en commission, ne fait pas l’objet d’amendement. Nous en venons immédiatement aux explications de vote.
    La parole est à Mme Nicole Dubré-Chirat.

    Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR)

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    Alors que le cancer demeure la première cause de mortalité en France, l’examen de ce texte m’amène à avoir une pensée pour les malades –⁠ l’annonce de la maladie est toujours un choc – ainsi que pour les proches et les soignants qui les accompagnent avec courage au quotidien. Chaque année près de 430 000 nouveaux cas de cancers sont détectés dans notre pays et l’on estime que 3,8 millions de personnes y vivent avec un diagnostic de cancer.
    Ce constat exige que nous nous dotions des meilleurs outils pour comprendre, prévenir et traiter cette maladie. En effet, compte tenu des chiffres actuels, le taux de dépistage ne peut que s’améliorer…
    C’est dans cet esprit que, dès le premier quinquennat, nous nous sommes emparés du sujet en faisant de la lutte contre le cancer une priorité nationale. Nous avons lancé la stratégie décennale de lutte contre le cancer 2021-2030 : cette feuille de route s’accompagne d’un investissement inédit de 1,74 milliard d’euros sur cinq ans, preuve de notre détermination à agir sur ce sujet.
    Pourtant, notre pays peut encore progresser en matière de collecte des données. Alors que celles-ci sont indispensables pour la recherche, qu’elles permettent de détecter les tendances, d’évaluer les politiques publiques et d’affiner les stratégies de prévention comme le dépistage, les registres généraux de cancers ne couvrent que 24 % de la population française, quand vingt-deux pays européens disposent déjà d’un registre national.
    Pour combler ce retard, la proposition de loi vise la création d’un registre national des cancers, centralisé et piloté par l’Inca, rassemblant les données sur l’épidémiologie, les soins et les parcours des patients. Les registres actuels sont fragmentés –⁠ certains sont généraux et couvrent une zone géographique quand d’autres sont organisés par typologie de cancers –, ils souffrent de lacunes en matière de couverture et de cohérence ; le registre national les complétera.
    Le texte confie la mission de piloter cette collecte à l’Inca à travers la labellisation de structures de lutte contre le cancer. L’examen de ce texte est l’occasion de saluer le travail réalisé par cet organisme en matière de recherche et de prévention.
    Les données de santé sont sensibles et nous sommes bien conscients des enjeux liés à leur gestion. C’est pourquoi la loi encadre rigoureusement leur usage en limitant la collecte aux seules données strictement nécessaires.
    Au regard du coût pour les finances publiques de la prise en charge des cancers –⁠ 22 milliards en 2021 selon la Cour des comptes, soit plus de 12 % des dépenses maladie –, ce registre est un investissement primordial.
    Le groupe Ensemble pour la République soutient pleinement ce texte parce qu’il répond à une urgence de santé publique et renforce notre capacité à prévenir et à soigner.
    Il est nécessaire que cette avancée, attendue de longue date, entre en vigueur au plus vite.
    La semaine dernière, la commission a voté à l’unanimité ce texte essentiel pour renforcer notre politique de lutte contre le cancer. Je vous invite à faire de même. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR et HOR.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Alma Dufour.

    Mme Alma Dufour (LFI-NFP)

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    Alors que l’extrême droite et la Macronie sont déterminées à faire croire aux Français que nous vivons une époque de plus en plus violente, en dépit des chiffres qui montrent que les homicides ont baissé de plus de 20 % en vingt ans, il faut le dire : la sécurité est réellement compromise partout, dans nos assiettes, nos foyers, nos lieux de travail, les parcs où nous faisons jouer nos enfants. Elle ne l’est pas par des étrangers, mais par une maladie qui n’épargne personne, sans pourtant constituer une priorité politique –⁠ le cancer.
    Les cancers sont la première cause de mort prématurée en France : ils ont emporté 162 000 d’entre nous rien qu’en 2021. Le nombre de cancers a doublé depuis 1990 ; pourtant, aucun journal télévisé n’y est consacré. Les malades sont de plus en plus jeunes ; aucune édition spéciale n’en parle.
    Si personne n’est épargné, des territoires sont plus touchés que d’autres –⁠ vous l’avez dit, monsieur le ministre. Depuis trop longtemps, ils subissent une indifférence qui confine souvent à l’omerta.
    En France, il existe des territoires où la santé des habitants est sacrifiée depuis des décennies. C’est le cas du mien, la Seine-Maritime, où les occurrences de cancer du poumon et de la vessie sont quatre à cinq fois plus nombreuses que la moyenne nationale.
    À Saint-Nazaire, la surmortalité des plus de 65 ans est supérieure de 28 % à la moyenne nationale, notamment à cause de cas cancers plus nombreux. Tout le monde sait que c’est à cause de l’industrie lourde –⁠ à l’exception des macronistes et de l’extrême droite, qui avaient voté contre l’amendement par lequel je proposais d’organiser des campagnes de dépistage sur la base du volontariat à destination des travailleurs et des riverains des sites classés Seveso. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
    Nous avons bonne mémoire : nous nous souvenons que, lorsqu’ils ont bloqué les dépôts de carburants, les travailleurs de Total, en particulier les raffineurs, ont été lynchés par une caste médiatique, au motif que leurs salaires étaient « assez élevés ». Tout le monde a choisi d’ignorer royalement que si ces salaires sont effectivement assez élevés par rapport à ceux des autres ouvriers, c’est parce que tout le monde sait depuis longtemps que le métier de raffineur est dangereux, voire mortel.
    Vous évitez aussi soigneusement de parler du taux de cancer du poumon anormalement élevé à Narbonne, ville qui accueille le plus grand site d’Europe de traitement de l’uranium et de stockage des déchets nucléaires.
    Les causes des cancers sont variées et complexes –⁠ c’est vrai. Ce registre, pour lequel évidemment nous voterons, nous aidera à progresser et à mieux connaître ces maladies.
    Mais n’oublions pas et reconnaissons que pendant longtemps, on n’a pas cherché ce qu’on ne voulait pas trouver. Encore aujourd’hui, on redoute de devoir conclure que beaucoup de cancers sont aussi dus au modèle économique que nous avons choisi. Nous en avons fait une nouvelle fois la démonstration dans cette assemblée en réintroduisant certains néonicotinoïdes par la loi Duplomb.
    Néanmoins, je ne peux vous dire combien je suis heureuse de voter en faveur de ce registre national aujourd’hui avec mes collègues. La France est le seul pays d’Europe, avec l’Espagne, à ne pas disposer d’un tel fichier. Sa création est donc d’une étape cruciale. L’État ne pourra pas balayer d’un revers de main ce que lui disent les collectifs de victimes, en arguant qu’on ne dispose pas d’éléments statistiques suffisants, comme il l’a fait trop longtemps, notamment à Fos-sur-Mer.
    Chez moi, nous pourrons enfin connaître les conséquences sanitaires de l’incendie du site industriel de Lubrizol ou celui de Bolloré Logistics. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. –⁠ Mme Marie-Charlotte Garin applaudit également.) Je remercie le collectif des victimes de Lubrizol, qui est venu aujourd’hui assister à nos débats.
    Je remercie les associations qui sont venues à bout de l’indifférence du Parlement. Ce texte a été adopté en première lecture il y a plus de deux ans, lors de la précédente législature. Dans l’intervalle, plus de 800 000 cas de cancer ont été détectés dans notre pays.
    Aujourd’hui reste une belle journée pour l’intérêt général. Je le répète : c’est avec plaisir et fierté que le groupe La France insoumise votera pour ce texte.
    Nous n’oublierons cependant pas que le gouvernement Bayrou a supprimé 19 millions d’euros alloués à la recherche sur les cancers pédiatriques. (Mêmes mouvements.) Nous n’oublierons pas non plus que ceux qui ont refusé de censurer ce budget ont cautionné cet état de fait. Ainsi, les chercheurs de l’Institut Curie, qui ont fait une découverte absolument extraordinaire pour les traitements du cancer, attendent encore qu’on leur donne les moyens de passer au stade des essais cliniques, nécessaires au développement de ces traitements. L’austérité tue.
    Vous l’avez dit : la cause est transpartisane et il faut agir. Mais agissons avec des moyens. La bataille contre le cancer se joue aussi dans cet hémicycle, qui doit dégager les moyens nécessaires. Sinon, à quoi sert le Parlement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Aurélien Rousseau.

    M. Aurélien Rousseau (SOC)

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    Me voici donc à mon corps défendant devenu un des relais de la cause du registre national des cancers. En montant à cette tribune, j’ai pensé à toutes les associations qui mènent ce combat depuis longtemps. Je remercie le professeur Guilhot, qui assiste à ce débat, ainsi que notre collègue sénatrice Sonia de La Provôté qui a soutenu ce texte avec force.
    Peut-être est-il utile de le redire : nous ne partons pas de zéro en matière de registres sur les cancers. Je saisis cette occasion pour saluer tous ceux qui travaillent pour les registres existants dans les centres hospitaliers universitaires (CHU), notamment les biostatisticiens –⁠ tous ceux qui gèrent EPI-PHARE ou le système national des données de santé. Ils garantissent aujourd’hui une vision globale à partir d’éléments parcellaires. Nous raterions notre objectif si nous semblions dire qu’aujourd’hui nous évaluons mal le cancer.
    Ce projet, qui fera l’objet d’un texte réglementaire publié dans l’année –⁠ je remercie M. le ministre de l’avoir dit –, ne doit pas être une cause de lourdeur supplémentaire, mais un registre agile. Comme l’ont écrit ce week-end les professeurs Bégaud et Zureik, certains éléments aussi élémentaires que le codage des actes resteront centraux pour disposer de données fiables et stabilisées.
    Comme l’ont dit plusieurs de mes collègues, dont Mme Dufour, nous ne pouvons pas prendre le risque de passer à côté de certaines dynamiques. Quand on consulte les chiffres de cancers causés par des perturbateurs endocriniens, la contraception hormonale ou l’environnement, on observe de très faibles variations territoriales qui sont peut-être liées à des biais de récolement des données. À l’heure où toutes les données épidémiologiques témoignent de l’augmentation des cas de cancers, nous ne pouvons pas prendre le risque de négliger des facteurs nouveaux qui, d’une façon ou d’une autre, nous ramèneront souvent aux inégalités territoriales en matière de santé.
    Nous pouvons d’autant moins prendre ce risque que nous nous trouvons à un moment où tout peut se potentialiser, pour utiliser une expression à la mode –⁠ c’était le point de départ de la question que j’ai posée au gouvernement il y a quelques semaines. Le congrès de l’Asco –⁠ je ne parle pas du site préhistorique mais de la Société américaine d’oncologie clinique –, qui a eu lieu récemment à Chicago, a montré combien de perspectives en matière de dépistage, de repérage, de traitement et de prévention s’ouvraient aujourd’hui partout dans le monde, en particulier en France. Nous serions doublement fautifs si, à l’heure où ces nouvelles possibilités sont à notre portée, nous n’étions pas en mesure de saisir avec le plus de finesse possible ce qu’il en est d’un point de vue épidémiologique.
    C’est le sens de cette proposition de loi, de cet article unique. Monsieur le ministre, soyez assuré que les membres du groupe d’études sur le cancer, présidé par Michel Lauzzana, seront à vos côtés, et qu’ils vous accorderont leur confiance –⁠ la confiance n’exclut pas toujours le contrôle –, pour travailler avec le gouvernement sur les textes réglementaires qui doivent permettre de créer dans les meilleurs délais un registre efficace, utile et agile. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. –⁠ M. Jean-Michel Brard et Mme Nicole Dubré-Chirat applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Vincent Jeanbrun.

    M. Vincent Jeanbrun (DR)

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    Je voudrais d’abord saluer le ministre de la santé, Yannick Neuder, pour son engagement constant et déterminé en faveur de cette proposition de loi et de la santé environnementale en général –⁠ merci, monsieur le ministre.
    Je voudrais aussi remercier tous les acteurs impliqués, notamment les professionnels de santé qui ont contribué à faire aboutir ce texte dans un esprit de responsabilité. Je voudrais également féliciter le groupe Les Républicains du Sénat, à l’origine de cette proposition de loi, et l’ensemble des membres de nos groupes dans les deux assemblées pour le travail fourni, qui a permis de déboucher aujourd’hui sur une belle unanimité.
    Le contexte sanitaire est extrêmement alarmant. Depuis trente ans, le nombre de cancers ne cesse d’augmenter en France. En 2023, on estime à 433 000 le nombre de nouveaux cas en France métropolitaine –⁠ pas loin d’un demi-million. Le cancer reste donc la première cause de mortalité dans notre pays, avec plus de 150 000 décès annuels. C’est inacceptable. Insupportable.
    Le texte que nous examinons représente une avancée majeure et nous devons nous en réjouir. Le registre national permettra de mutualiser des données qui sont pour l’heure considérablement dispersées : il existe une trentaine de registres locaux ou spécialisés. Cette fragmentation nuit à la recherche, à la prévention et, plus généralement, à l’action publique. Grâce au registre national, il sera possible d’améliorer le suivi sur l’ensemble du territoire et de mettre en évidence des liens entre l’environnement ou des situations sociales spécifiques et la santé. Le registre constituera donc un appui solide pour la recherche médicale et permettra, nous l’espérons, de développer de nouveaux traitements.
    En choisissant de confier la création du registre national à un organisme aussi compétent que l’Institut national du cancer, nous garantissons le sérieux de la collecte des données et de la protection des informations personnelles, qui est un enjeu très important.
    Avec le groupe Droite républicaine, nous soutiendrons pleinement ce texte pour qu’il soit voté conforme à la version du Sénat. Ce registre est un outil vital pour sauver des vies à court et moyen terme. Il incarne une politique de santé ambitieuse et responsable. Je renouvelle tout mon soutien à M. le ministre et à son administration pour leur travail formidable. (M. le rapporteur, M. le président de commission et Mme Élisabeth de Maistre applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.

    Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS)

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    Le nombre de cancers explose : en France, on a dénombré plus de 433 000 nouveaux cas de cancers en 2023. Depuis 1990, on constate une augmentation de 65 % chez les hommes et de 93 % chez les femmes. Chez les enfants, on compte plus de 2 200 nouveaux cas chaque année. Vous me direz que c’est dû au vieillissement de la population. Mais les chiffres sont têtus : seuls 70 % des nouveaux cas de cancer chez les hommes et 57 % chez les femmes s’expliquent par l’âge. Le reste est la conséquence directe de ce que nous avons laissé faire et cautionné, car le cancer est politique.
    Ainsi, la pollution de l’air est responsable de 40 000 morts prématurées par an selon Santé publique France. Elle a causé une réduction de l’espérance de vie moyenne de 7,6 mois. Pourtant, il y a quelques jours, vous supprimiez les zones à faibles émissions (ZFE).
    Venons-en à la pollution de l’eau. S-métolachlore, acide trifluoroacétique (TFA), chlorure de vinyle monomère –⁠ des noms à coucher dehors, mais des effets très concrets : cancers, maladies neurologiques, infertilité, troubles du développement fœtal. L’eau du robinet continue pourtant à couler. Quid de la fameuse eau en bouteille ? En janvier, une enquête conjointe de Radio France et du Monde révélait que les géants de l’eau en bouteille –⁠ Nestlé Waters et Alma – auraient eu recours à des traitements interdits pour décontaminer leurs eaux dites minérales. Des procédés illégaux, normalement réservés à l’eau du robinet, ont été utilisés en douce sur des marques comme Cristaline, Perrier, Vittel, Hépar, Saint-Yorre. Que s’est-il passé ? Rien. Le gouvernement, informé depuis 2021, a diligenté un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), mais a surtout évité que cela se sache.
    Quand le gouvernement couvre les entorses à la loi d’une multinationale, mais reste sourd aux alertes des chercheurs et des associations sur les causes environnementales du cancer, le registre national des cancers que nous examinons aujourd’hui devient un pansement sur une plaie que l’on refuse de voir se refermer.
    Je continue avec les sols. On recense pas moins de 6 500 sites pollués aux métaux lourds, aux hydrocarbures, aux pesticides ou aux polluants éternels. Tout cela se retrouve comme par magie dans notre assiette. Mais ne soyons pas alarmistes : un peu de cadmium sur vos tartines, un soupçon de glyphosate sur vos fraises, tout ira bien. Sauf pour les enfants : 36 % des moins de 3 ans dépassent la dose journalière tolérable de cadmium.
    Chers collègues, vous voyez où je veux en venir. Nous examinons aujourd’hui dans cet hémicycle une proposition de loi créant un registre national des cancers. Nous sommes d’accord, remercions les associations qui ont bataillé pour que l’on aboutisse à ce texte, et nous le voterons.
    Il est même incompréhensible que ce registre national n’existe pas depuis longtemps et qu’un système d’alerte automatique n’ait pas été instauré en cas d’identification d’un foyer de contamination suspect. Aujourd’hui, seulement 24 % de la population est couverte par des registres et, devinez quoi, les zones les plus polluées, exposées et défavorisées sont souvent les plus mal couvertes.
    Le registre national des cancers doit être territorialisé, interconnecté, accessible aux associations, aux élus locaux et aux scientifiques, et ne pas se limiter à un outil statistique. Il doit servir à prévenir, pas seulement à constater. Vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre : on doit savoir pour mieux prévenir. Je crois toutefois qu’on sait déjà beaucoup, notamment grâce aux travaux du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), situé à Lyon. La littérature scientifique est claire sur les causes du cancer. Certains ici qui soutiennent le texte ont pourtant voté pour la proposition de loi Duplomb –⁠ ou devrais-je dire la « proposition de loi poison ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)

    M. Matthias Tavel

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    Quelle honte !

    Mme Marie-Charlotte Garin

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    Lundi prochain, cette proposition de loi poison sera examinée en commission mixte paritaire. Chers collègues, je vous conjure d’être cohérents. Écoutez les scientifiques, les pédiatres, les victimes du cancer et ne votez pas la semaine prochaine pour une proposition de loi qui dit exactement l’inverse de ce que nous faisons aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.) Ne votez pas pour un texte qui dit en substance : « Continuons à empoisonner les sols. Empoisonnons les nappes phréatiques et les corps. »
    Le registre national des cancers ne servira à rien s’il ne s’accompagne pas d’une rupture politique. Sans un véritable politique de prévention, il sera comme un thermomètre dans une maison en feu. Vous ne pourrez pas dire : « On ne savait pas. » Les faits sont là, les causes sont identifiées et c’est vous qui votez. Vous pourrez toujours, une fois par an, porter un ruban rose dans un élan de compassion avec les victimes, aujourd’hui vous ne pouvez pas faire semblant. Le cancer est un fait biologique, mais l’épidémie actuelle est un fait politique.
    Le 29 juin 2025, partout en France, une trentaine d’associations appellent à la mobilisation pour les paysans, pour notre santé, pour notre environnement et pour le respect de la science. Avec le groupe Écologiste et social, nous serons à leurs côtés pour dire non à la proposition de loi Duplomb.
    Lundi prochain, chers collègues, vous aurez à choisir entre la connaissance et le déni, entre la santé publique et les intérêts privés. Les victimes du cancer qui nous regardent aujourd’hui nous regarderont demain. Soyons à la hauteur ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sandrine Josso.

    Mme Sandrine Josso (Dem)

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    Nous le savons tous, la lutte contre le cancer est bien plus qu’un enjeu médical : c’est un combat profondément humain, qui nous touche au cœur, une cause qui nous unit, qui éveille notre solidarité et qui appelle chacun de nous à se mobiliser.
    Le nombre de cas et le nombre de décès liés à des cancers augmentent année après année : 400 000 nouveaux cas en 2023, environ 150 000 décès par an. Pourtant, nous naviguons à vue, avec des registres régionaux couvrant à peine un quart de la population et alimentant les chiffres nationaux. Ce n’est plus possible !
    La proposition de loi défendue sans relâche par notre collègue sénatrice Sonia de La Provôté et par l’association Jeune & Rose, dont des représentants sont présents dans les tribunes, est indispensable. Nous sommes réunis dans cet hémicycle pour rattraper un retard. Ce texte a été adopté en première lecture, au Sénat, en avril 2023. Aujourd’hui, les associations, les familles et les professionnels de santé réclament l’instauration du registre national des cancers. Il n’est plus concevable qu’en 2025 la France fasse encore partie des rares pays européens à ne pas disposer d’un tel outil.
    Dans mon département, la Loire-Atlantique, le collectif « Stop aux cancers de nos enfants » a tiré la sonnette d’alarme au sujet d’un cluster de cancers pédiatriques. Selon l’agence régionale de santé (ARS), dans le bassin de vie de Saint-Nazaire, la surmortalité due au cancer est supérieure de 40 % à la moyenne nationale. Des adultes tombent malades, des enfants meurent.
    Depuis trop longtemps, nous laissons les inégalités territoriales dicter la qualité du suivi, de la prévention et de l’accompagnement. Dans certains départements, on ne sait même pas combien de nouveaux cas apparaissent chaque année. Comment peut-on prétendre lutter efficacement contre le cancer sans connaître précisément où il frappe, à quelle fréquence et dans quelles conditions ? Ce registre national est bien plus qu’un simple outil administratif, c’est un thermomètre sanitaire. Il permettra une meilleure mise à disposition des ressources, une détection plus rapide des inégalités et une réponse sanitaire adaptée. Il rendra visibles celles et ceux qu’on ne voit jamais dans les chiffres et dont la souffrance reste muette dans les statistiques.
    Ne pas instaurer le registre national des cancers, c’est continuer d’avancer les yeux fermés, se satisfaire d’une ignorance coupable, considérer que la vie d’un patient à Paris vaut plus que celle d’un patient de Loire-Atlantique ou des outre-mer. Nous devons ce registre aux soignants, aux malades, ainsi qu’à ceux qui les accompagnent. Nous le devons à celles et ceux pour qui ce combat n’est pas un débat technique, mais une réalité quotidienne douloureuse, parfois tragique. Un simple registre ne guérit pas, il ne remplace ni la prévention ni la recherche, mais il donne à chacun les mêmes armes contre la maladie.
    Chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à voter avec lucidité et surtout humanité. Car derrière chaque donnée, chaque courbe, chaque pourcentage, il y a des visages, des familles, des histoires. Au groupe Démocrates, nous pensons qu’il est de notre responsabilité de faire exister pleinement ce registre dans nos politiques publiques. C’est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs des groupes EPR, LFI-NFP et SOC.)

    Mme la présidente

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    Sur l’article unique de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    La parole est à M. Paul-André Colombani.

    M. Paul-André Colombani (LIOT)

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    Responsable de 150 000 décès chaque année, le cancer est la principale cause de mortalité prématurée en France. Selon l’Institut national du cancer, le nombre de cas diagnostiqués a doublé entre 1990 et 2023. Malgré la prévention et les progrès thérapeutiques, la maladie continue de progresser, reste difficile à vivre et entraîne une forte mortalité. Les facteurs de risque environnementaux sont encore trop peu étudiés en dépit des alertes.
    Il y a deux ans, le Sénat a adopté une proposition de loi qui permettrait d’améliorer nos connaissances, le suivi épidémiologique des cancers et ainsi notre réponse à l’augmentation des cancers. Patients et médecins nous appellent à poursuivre le travail. Je pense en particulier à l’association Jeune & Rose, dont je salue l’engagement, remarquable. Mais pour agir efficacement, il nous faut d’abord disposer de données fiables et complètes. Or nous n’en sommes pas là, puisque trente-trois registres couvrent à peine un quart de la population, principalement dans les zones rurales, dont les habitants sont âgés et relativement favorisés.
    L’instauration d’un registre national des cancers est complexe et je peux en témoigner personnellement. En tant que président de l’observatoire régional de la santé de Corse, lequel pilote le registre des cancers de notre territoire, je mesure chaque jour les difficultés liées au recueil des données, au financement et aux contraintes administratives. Nous allons d’ailleurs formaliser prochainement une convention avec nos homologues sardes et italiens afin de renforcer notre connaissance partagée.
    Dans le même temps, les grandes agglomérations telles que Paris, Marseille, Lyon, Toulouse et Nice restent en dehors du dispositif. Autrement dit, nous ne surveillons pas les territoires où les expositions aux polluants et aux facteurs de risque sont les plus concentrées. Cette couverture partielle peut fausser nos conclusions, limite notre capacité à identifier les facteurs environnementaux, sociaux ou professionnels à l’origine des cancers, et freine une action ciblée et efficace en matière de santé publique. L’instauration d’un registre national des cancers permettrait de connaître avec précision le nombre de cas, de détecter les zones à forte incidence, de mieux évaluer les risques liés à certaines expositions et surtout d’adapter notre offre de soins. Un tel outil renforcerait aussi les actions de prévention et le suivi des politiques de santé publique. Il permettrait enfin de clarifier le cadre légal en encadrant la collecte des données en cancérologie.
    La priorité est d’élargir la couverture du territoire, surtout dans les zones sensibles. Les populations sont souvent les premières à s’inquiéter. Les sollicitations pour suspicion de cluster, en particulier pédiatrique, se multiplient. Les registres actuels sont précieux, mais encore sous-exploités. Ils sont en outre difficiles à alimenter, ce qui entraîne un retard de trois à cinq ans dans leur exploitation, et s’articulent mal avec les autres données médico-administratives. Par ailleurs, leur gouvernance n’est pas optimale. L’existence d’un registre national des cancers pédiatriques nous amène à nous interroger sur l’absence d’un tel registre pour tous les autres types de cancers. Ce modèle doit de toute évidence être exporté.
    Le groupe LIOT soutiendra cette proposition de loi très attendue. La création d’un registre national des cancers suppose toutefois un financement pérenne et ambitieux. Nous attendons des engagements du gouvernement en ce sens. À ceux qui s’inquiètent des coûts d’un tel dispositif, je veux dire qu’ils sont à mettre en perspective avec le coût du cancer pour notre société aujourd’hui : 22 milliards par an, soit 12 % du budget de la sécurité sociale. Mieux prévenir, c’est aussi mieux dépenser. Au-delà des chiffres, il y a la vie, les patients, le poids de la maladie et l’espoir d’un parcours de soins plus humain, plus efficace et plus juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et des commissions. –⁠ Mme Marie-Charlotte Garin applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

    M. Jean-Paul Lecoq (GDR)

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    Enfin, nous avons la possibilité d’achever l’examen de la proposition de loi visant à créer un registre national des cancers ! Il était grand temps, en effet, que ce texte présenté et voté à l’unanimité au Sénat il y a plus de deux ans, en avril 2023, termine son parcours législatif et permette à notre système de veille sanitaire, de prévention et de soins de disposer, dans les meilleurs délais, d’un outil essentiel à la lutte contre les cancers.
    Malgré l’implication sans faille des chercheurs et les progrès indiscutables de la science médicale, le cancer demeure un fléau qu’il convient de combattre avec des moyens adaptés. En 2023, l’Institut national du cancer estimait à plus de 433 000 le nombre de nouveaux cas en France. Ils représentent la première cause de décès prématurés chez l’homme, la deuxième chez la femme. Depuis trente ans, le nombre global de nouveaux cas de cancers augmente chaque année dans notre pays. Plus précisément, depuis 1990, l’incidence des cancers a augmenté de 65 % chez l’homme et de 93 % chez la femme, une hausse qui pour 6 % des cas chez l’homme et 45 % des cas chez la femme n’est pas attribuable à la démographie.
    Ces chiffres nous questionnent, d’autant qu’ils ne sont qu’une extrapolation, les registres à partir desquels ils sont élaborés étant épars et parcellaires. Au nombre de vingt-sept, ces registres sont spécifiques à des zones géographiques et à certains types de cancers. Ils ne couvrent que 24 % de la population, soit 14 millions de personnes. De surcroît, si l’incidence des cancers est globalement plus faible dans les territoires dits d’outre-mer par rapport à la métropole, certains sont surreprésentés, comme le cancer de la prostate en Martinique, le cancer de l’œsophage à La Réunion ou le cancer du col du col de l’utérus en Polynésie. Ces variations sont malheureusement peu documentées, ce qui contribue à un dépistage tardif dans ces territoires.
    Dans ce contexte, la création d’un registre national des cancers, plébiscitée par les personnels soignants, les chercheurs et les associations de patients, est une disposition très utile, qui permettra d’améliorer tous les aspects de la lutte contre le cancer –⁠ la prévention, le dépistage, le diagnostic et la prise en charge humaine des patients. Ce registre permettra notamment de combler les lacunes concernant les causes nouvelles de cancer, notamment environnementales, trop peu étudiées. Le Circ classifie pourtant la pollution atmosphérique comme cancérigène pour l’homme depuis 2013. Mes concitoyens de l’agglomération du Havre qui vivent à proximité de la zone industrielle de Gonfreville-l’Orcher en savent quelque chose. Le maire de cette commune réclame d’ailleurs depuis longtemps la création d’un observatoire santé environnement. Dans certains territoires, de telles instances sont nécessaires, en plus du registre national des cancers, pour mesurer l’impact de la pollution environnementale sur la santé.
    Le registre national des cancers constituera également un appui précieux pour identifier et prévenir les cancers d’origine professionnelle. On estime leur nombre à près de 12 000 –⁠ Alma Dufour y a fait référence tout à l’heure en évoquant les travailleurs des raffineries. Or moins de 1 % d’entre eux sont reconnus comme des maladies professionnelles. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine.
    La création de ce registre a certes un coût, mais celui-ci est bien modique au regard du poids économique de la prise en charge des personnes atteintes d’un cancer, cette pathologie étant la plus onéreuse pour l’assurance maladie, le ministre le sait bien. La Cour des comptes a évalué le coût de cette prise en charge à 22,5 milliards d’euros en 2021, ce qui représente 12,1 % des dépenses d’assurance maladie.
    Il est urgent de faire des progrès. Il faut se décider à investir massivement pour faire reculer cette maladie qui touche toujours plus de personnes. Beaucoup l’ont dit avant moi : pour développer la recherche, améliorer la prévention et mieux soigner, il faut des moyens financiers suffisants et adaptés.
    Pour toutes ces raisons, les députés communistes et les députés des territoires dits d’outre-mer du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. –⁠ M. le rapporteur applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sandrine Dogor-Such.

    Mme Sandrine Dogor-Such (RN)

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    Nous examinons une proposition de loi qui vise à créer un registre national des cancers pour l’ensemble du territoire. Pour l’heure, les données relatives à l’épidémiologie des cancers reposent sur des estimations calculées à partir des données collectées dans les registres territoriaux du cancer, généraux ou spécialisés, qui couvrent environ 24 % de la population nationale. Cette cartographie épidémiologique est partielle et inadaptée à une politique de santé qui se voudrait ambitieuse. Elle est de nature à complexifier la recherche en empêchant les pouvoirs publics de disposer d’une base interopérable pour tout le territoire.
    Depuis trente ans, le nombre global de nouveaux cas de cancer augmente chaque année, ce qui s’explique par l’accroissement de la population, son vieillissement et les progrès du diagnostic. À l’inverse, le taux de mortalité est en constante diminution depuis vingt-cinq ans grâce aux progrès thérapeutiques et aux nouvelles méthodes de diagnostic qui permettent de déceler les cancers à un stade plus précoce, ce qui facilite leur prise en charge.
    Il est devenu nécessaire d’estimer les besoins de prise en charge de la population pour évaluer les politiques de santé. La surveillance épidémiologique des pathologies cancéreuses repose sur l’enregistrement ainsi que le suivi continu et exhaustif des nouveaux cas de cancer survenant dans une zone géographique donnée grâce à des registres du cancer.
    L’Académie nationale de médecine a considéré en 2021 que la création d’un registre national des cancers serait une étape importante dans la perspective d’une prochaine harmonisation au niveau européen. Le cadre juridique du registre national des cancers doit prévoir un traitement des données conforme au règlement général sur la protection des données (RGPD). Géré par l’Institut national du cancer, le registre doit être doté de ressources financières pérennes. Il pourrait alors enrichir le système national des données de santé et alimenter une recherche de qualité, recourant aux outils de l’intelligence artificielle.
    La création de ce registre national permettra donc à la France de rejoindre le réseau européen des registres du cancer, qui existe depuis 1990, et de se rapprocher ainsi des pratiques de ses voisins européens. La prévention s’en trouvera améliorée grâce à un dépistage qui permettra de poser un diagnostic plus précoce. Les travaux de recherche en seront facilités, ce qui permettra une prise en charge plus équitable.
    Cependant, nous aimerions obtenir quelques garanties : la couverture des différents territoires sera-t-elle équitable ? Les données feront-elles l’objet d’un hébergement souverain, sur le sol français ou européen ?
    Ce registre national est un outil indispensable pour assurer la transparence des données, l’efficacité de la recherche et la justice sanitaire. Parce que le cancer demeure en France la première cause de mortalité chez l’homme et la deuxième chez la femme, nous ne pouvons que nous féliciter de la création de cet outil épidémiologique qui centralisera les données relatives au cancer de l’enfant et de l’adulte dans tout le territoire. Mon groupe votera donc pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. –⁠ M. le rapporteur applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Paul Christophe.

    M. Paul Christophe (HOR)

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    Au moment où notre assemblée s’apprête à se prononcer définitivement sur la proposition de loi visant à créer un registre national des cancers, le groupe Horizons & indépendants souhaite rappeler la portée essentielle de ce texte, adopté par le Sénat et que nous avons eu à cœur de ne pas modifier pour qu’il soit voté conforme et entre en vigueur le plus rapidement possible.
    Face à la réalité implacable du cancer, première cause de mortalité chez l’homme, deuxième chez la femme, avec près de 400 000 nouveaux cas chaque année dans notre pays, il est urgent de doter la France d’un outil qui soit à la hauteur de l’enjeu.
    Jusqu’à présent, la fragmentation de nos registres, couvrant à peine un Français sur cinq, représente une faiblesse majeure pour notre politique de prévention et de suivi ainsi que pour les travaux de recherche. Nous ne pouvons plus accepter que la France reste en retrait alors que vingt-deux pays européens disposent déjà d’un registre national.
    Par ce texte, nous faisons le choix de l’efficacité, de la transparence et de l’ambition collective. En confiant la gestion du registre à l’Inca, nous garantissons la rigueur scientifique, l’indépendance et la valorisation des données au service de tous les Français.
    Sans surprise, eu égard à mes précédents travaux et aux côtés de la fédération Grandir sans cancer et de l’association Eva pour la vie, je voudrais également appeler votre attention sur le sujet des cancers pédiatriques, parent pauvre de la recherche.
    J’espère que ce registre national sera un levier puissant pour améliorer la prévention, le dépistage, la prise en charge, la recherche, mais aussi pour répondre aux attentes de nos concitoyens qui s’inquiètent des expositions environnementales. C’est pourquoi notre groupe votera avec conviction ce texte très attendu, puisqu’il a déjà été adopté par le Sénat il y a deux ans. Il permettra à la France de franchir un cap décisif dans la lutte contre le cancer. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et EPR. –⁠ M. le président de la commission des affaires sociales et M. le rapporteur applaudissent également.)

    Vote sur l’article unique

    Mme la présidente

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    Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi.

    (Il est procédé au scrutin.)

    Mme la présidente

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        74
            Nombre de suffrages exprimés                74
            Majorité absolue                        38
                    Pour l’adoption                74
                    Contre                0

    (L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de loi.)
    (Applaudissements sur tous les bancs.)

    Suspension et reprise de la séance

    Mme la présidente

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix, sous la présidence de Mme Nadège Abomangoli.)

    Présidence de Mme Nadège Abomangoli
    vice-présidente

    Mme la présidente

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    La séance est reprise.

    2. Traité de coopération en matière de défense entre la France et Djibouti

    Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti (nos 1450, 1563).

    Présentation

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux.

    M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux

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    Je suis heureux de présenter le projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024.
    La France et Djibouti entretiennent un partenariat privilégié, fondé sur une confiance mutuelle et assis sur une coopération déployée dans de nombreux domaines, tels que la défense, l’éducation, la santé, les infrastructures ou le spatial. Ce partenariat a été réaffirmé à l’occasion du deuxième déplacement du président de la République à Djibouti en décembre dernier. Le présent traité matérialise la convergence des intérêts stratégiques français et djiboutiens dans la Corne de l’Afrique, en mer Rouge, dans le golfe d’Aden et au-delà.
    La présence militaire française à Djibouti a une double vocation : sécuriser la voie maritime vers l’Indo-Pacifique et nos outre-mer, d’une part, et contribuer à la sécurité de Djibouti dans un environnement régional complexe, d’autre part. La mission de nos forces est tournée à la fois vers nos intérêts de défense nationaux et vers la défense de notre partenaire. Le traité se distingue en effet par le maintien d’une clause de sécurité selon laquelle la France s’engage à contribuer, avec les moyens qu’elle juge appropriés, à la défense de l’intégrité territoriale de Djibouti.
    Signe de l’importance des enjeux, Djibouti accueille à la fois une base militaire chinoise et une base militaire américaine ; des détachements des forces japonaises et italiennes y sont également présents. La France est l’unique puissance, parmi les cinq qui disposent de forces prépositionnées à Djibouti, à assumer une mission de défense au profit de ce pays. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet de loi qui vous est soumis, adopté au Sénat le 21 mai dernier.
    Ce traité, en négociation depuis mai 2023, remplacera le précédent accord en vigueur depuis 2014. Il vise à conforter notre relation bilatérale de défense dans les domaines opérationnel et stratégique ainsi qu’à sécuriser les accès militaires permettant une projection dans la région et vers l’Indo-Pacifique, notamment vers nos collectivités d’outre-mer qui y sont situées, durant les vingt prochaines années.
    En cas de crise, la base militaire française à Djibouti est essentielle pour notre autonomie stratégique, comme en témoigne l’évacuation, via Djibouti, de plus de 1 000 ressortissants d’environ quatre-vingts nationalités, dans le cadre de l’opération Sagittaire, lors du déclenchement d’affrontements armés au Soudan en avril 2023. Elle a aussi été utilisée, notamment, pour assurer les approvisionnements à la suite du passage du cyclone Chido à Mayotte.
    Le traité permet également aux 1 500 militaires qui composent les forces françaises stationnées à Djibouti de poursuivre leurs entraînements sur l’ensemble du territoire djiboutien avec davantage de prévisibilité.
    Il réaffirme l’approche partenariale de la France en prévoyant une coopération renforcée avec les forces armées djiboutiennes. Celle-ci peut prendre diverses formes : formations, entraînement des forces djiboutiennes aux opérations de maintien de la paix ou encore accueil de membres de ces forces au sein d’écoles ou d’unités militaires françaises.
    Notons que le traité prévoit une augmentation de la contribution financière versée à Djibouti, qui n’avait pas été réévaluée depuis longtemps.
    Ce nouveau traité, qui conforte notre position de principal partenaire de défense de Djibouti, est avantageux pour tous, dans un contexte de compétition géostratégique accrue. Bâti à partir du précédent traité, il offre davantage de stabilité et de prévisibilité à chacune des parties.
    Telles sont les principales observations qu’appelle le traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti qui fait l’objet du projet de loi soumis à votre approbation.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Marc de Fleurian, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

    M. Marc de Fleurian, rapporteur de la commission des affaires étrangères

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    Au terme de deux ans de tractations, le mercredi 24 juillet 2024, le président de la République française et son homologue djiboutien se sont accordés sur le renouvellement de notre partenariat de défense.
    Dès le mois de juin 1977, date de l’accession de la république de Djibouti à l’indépendance, un protocole provisoire de sécurité avait été conclu. Il établissait les modalités du stationnement des forces françaises sur le territoire national djiboutien et faisait office d’accord de défense entre les deux États.
    Après une convention qui, en 2003, avait précisé les modalités financières de la présence française, le premier traité de coopération en matière de défense était signé en 2011. Il accordait aux forces françaises stationnées à Djibouti un statut juridictionnel protecteur et garantissait l’accès à certaines infrastructures sur le sol djiboutien, moyennant le versement d’une contribution forfaitaire annuelle.
    Ainsi, depuis près de cinquante ans, un contingent militaire français y est déployé. Djibouti accueille aujourd’hui environ 1 500 militaires français et leurs familles. Cette base, unique en son genre, est la seule à disposer en permanence de capacités terrestres, aériennes et maritimes ainsi que d’un état-major interarmées.
    Cette configuration exceptionnelle nous permet de garantir une réactivité opérationnelle optimale face aux enjeux de sécurité régionaux et internationaux. Elle offre des conditions climatiques particulièrement difficiles pour les entraînements et rend possibles des exercices conjoints avec nos alliés.
    La position de Djibouti est hautement stratégique d’un point de vue militaire et économique : implantée sur la rive occidentale du détroit de Bab-el-Mandeb, carrefour maritime névralgique entre la mer Rouge, le golfe d’Aden et l’océan Indien, où transitent quotidiennement près de 12 % du commerce mondial, dont plus de 6 millions de barils de pétrole, et où sont disposés dix-sept câbles sous-marins. J’en profite pour saluer l’excellent travail des ouvriers d’Alcatel, fleuron de l’industrie calaisienne.
    Il est important de disposer d’une base à Djibouti. J’en veux pour preuve le fait que la Chine et le Japon y ont construit leur unique base militaire à l’étranger –⁠ respectivement à Doraleh, qui peut accueillir plus de 5 000 soldats, et à Ambouli. Les États-Unis y ont également bâti leur plus grande base permanente en Afrique, qui compte plus de 4 000 soldats et abrite le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom). Djibouti se distingue ainsi sur la scène internationale en étant l’unique nation au monde à accueillir sur son sol les forces militaires de plusieurs grandes puissances dotées.
    Toute instabilité affectant cette zone a des répercussions considérables sur les flux énergétiques et commerciaux mondiaux, ce qui a des conséquences immédiates pour l’économie et les ménages français.
    Depuis de nombreuses années, des évènements déstabilisent la Corne de l’Afrique. La guerre civile dans le Tigré entre 2020 et 2022 a entraîné des déplacements de population massifs vers Djibouti –⁠ 200 000 personnes en 2024 pour un pays de 1,1 million d’habitants. En Somalie, les chebabs, qui appellent notamment à frapper les bases françaises et américaines, représentent une menace terroriste.
    En outre, la situation sécuritaire du détroit du Bab-el-Mandeb, déjà marquée par la piraterie, s’est aggravée depuis octobre 2023 avec le déclenchement, depuis le Yémen, d’offensives menées par les houthistes sur les navires en transit. Pas moins de 40 % des navires choisissent de passer par le cap de Bonne-Espérance, ce qui renchérit le coût du transport maritime.
    Djibouti a également fait face à des incursions érythréennes sur son territoire en 2008 ainsi qu’à des attaques du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud), un groupe armé djiboutien, qui ont causé la mort de sept militaires djiboutiens en 2022.
    Dès lors, le maintien de la clause de sécurité, qui figure à l’article 4 du traité, est capital. Elle prévoit la possibilité d’un engagement des troupes françaises en cas de menace ou d’atteinte à l’intégrité territoriale de Djibouti. Cette clause n’est pas théorique puisqu’elle a déjà été activée en 2008.
    Le nouveau traité intervient dans un contexte de réorganisation de notre dispositif militaire en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale depuis la fin de l’opération Barkhane et la réduction significative de notre présence au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad.
    Par ailleurs, notre présence à Djibouti est indispensable pour garantir la sécurité de nos compatriotes qui résident outre-mer et à l’étranger. C’est ce qu’a démontré l’opération Sagittaire, évoquée par M. le ministre, qui a permis d’évacuer via Djibouti plus d’un millier de ressortissants de quatre-vingt-quatre pays, dont 225 Français, à la suite du déclenchement du conflit armé au Soudan. Une quarantaine de pays ont d’ailleurs remercié la France pour l’évacuation de leur personnel diplomatique et de leurs citoyens dans le cadre de cette opération.
    La position géographique stratégique de Djibouti permet également à la France d’intervenir rapidement en cas de crise dans les territoires d’outre-mer, comme ce fut le cas au moment du cyclone Chido en 2024.
    La présence militaire française à Djibouti offre un point d’appui aux forces françaises projetées vers la zone indo-pacifique, le continent africain et le Moyen-Orient. Elle favorise la sécurisation des approvisionnements énergétiques et de marchandises vers la France tout en contribuant à la sécurité de Djibouti. Elle permet le déploiement des opérations Atalante et Aspides qui visent à lutter contre la piraterie et les attaques des houthistes.
    Comme le prévoit la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030, la base de Djibouti doit bénéficier d’un réinvestissement important au cours des prochaines années, notamment en prévision du remplacement des avions Mirage par des Rafale, des blindés AMX-10 RC par des Jaguar et des véhicules de l’avant blindé (VAB) par des Griffon.
    Outre le maintien de la clause de sécurité, le traité conclu en 2024 reprend globalement l’architecture de celui de 2014. Il rappelle les différentes modalités de la coopération militaire franco-djiboutienne en matière de formation, de conseil et d’armement. Il reconduit les dispositions relatives au statut des membres des forces françaises stationnées à Djibouti en matière de permis de conduire, de port d’arme ou encore de coopération judiciaire.
    La France conserve ainsi l’ensemble de ses installations et sécurise son accès à l’aéroport et à certains quais du port. Elle cède 40 % de l’îlot du Héron à la demande des Djiboutiens, qui ont souhaité se réapproprier cette zone. Cette rétrocession sans conséquence opérationnelle est la marque d’une négociation équilibrée et respectueuse des parties.
    Le nouvel accord apporte des évolutions dans quatre domaines principaux : le dialogue stratégique, la coopération civile, les facilités opérationnelles et la contribution pour la mise à disposition des installations.
    Tout d’abord, le traité prévoit la création d’un comité militaire de dialogue stratégique ainsi que d’un mécanisme d’alerte visant à donner une portée plus efficace à la clause de sécurité.
    Ensuite, dans le domaine militaro-civil, le traité précise que la France s’engage à apporter une aide médicale aux forces djiboutiennes, mais aussi, dans la mesure du possible, à la population. Il indique également que la France participe à la régulation du trafic aérien en appui de nos alliés djiboutiens.
    Par ailleurs, le nouveau traité prévoit une simplification des contraintes administratives –⁠ un point essentiel. Déplacements et exercices nécessiteront désormais une simple notification aux autorités nationales djiboutiennes alors qu’un accord préalable était auparavant exigé.
    La contribution financière passera de 30 à 85 millions d’euros par an. Cette augmentation significative doit être appréciée au regard de l’étendue des emprises dont bénéficie la France, partenaire privilégié de la république de la Djibouti, et de la concurrence des autres pays qui s’y sont implantés ou désirent le faire. Le montant antérieur, qui avait été fixé en 2003, était nettement sous-évalué.
    Enfin –⁠ et c’est, là encore, essentiel –, le traité renégocié prévoit un engagement plus long, d’une durée de vingt ans au lieu de dix jusqu’à présent, ce qui nous permet d’avoir une plus grande visibilité sur nos actions et sur notre coopération avec nos amis djiboutiens.
    Précisons que le partenariat franco-djiboutien ne repose pas uniquement sur une coopération militaire. Nous partageons notamment une culture commune –⁠ le français étant, avec l’arabe, la langue officielle du pays. Saluons ici l’action de l’institut français de Djibouti ainsi que le programme d’échange entre le lycée d’excellence de Djibouti et plusieurs lycées français.
    En outre, notre coopération économique bilatérale permet de favoriser le développement et la création d’emplois, comme l’atteste le choix de Djibouti de confier le contrat de conception de son nouvel aéroport international à deux entreprises françaises, Egis et ADP Ingénierie.
    Un partenariat a également été noué avec des centres hospitaliers universitaires (CHU) français pour la rénovation et de l’équipement des polycliniques de Djibouti-ville.
    J’ajoute qu’une coopération dans le domaine spatial a permis le lancement de deux satellites djiboutiens et que l’extension du réseau d’assainissement de Djibouti-ville constitue un autre chantier d’ampleur.
    Djibouti est ainsi le premier récipiendaire de l’aide publique au développement française si l’on rapporte le montant de l’enveloppe au nombre d’habitants.
    L’autorisation par l’Assemblée de la ratification de ce traité renforcera notre coopération militaire mais aussi notre relation singulière en matière de développement économique et culturel. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    Discussion générale

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Julien Limongi.

    M. Julien Limongi

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    Nous sommes appelés à autoriser la ratification du nouveau traité de coopération en matière de défense entre la France et la république de Djibouti. Cet accord actualise et prolonge un partenariat stratégique ancien, solide et profondément enraciné. Le groupe Rassemblement national votera en faveur de la ratification de ce traité, qui s’inscrit dans une logique de continuité, de stabilité et de souveraineté.
    À Djibouti, la France dispose d’une base militaire majeure qui constitue un levier unique de projection pour nos forces armées dans une région charnière : la Corne de l’Afrique, la mer Rouge, l’océan Indien. Cette zone est essentielle pour la liberté de navigation, pour la lutte contre le terrorisme, pour la protection de nos intérêts économiques et maritimes, mais aussi pour notre crédibilité internationale.
    Or ce traité consolide notre présence puisqu’il renforce la clause de sécurité, instaure un dialogue stratégique structuré et prolonge le partenariat pour vingt ans. Il reflète la volonté partagée de bâtir une coopération durable.
    Je souhaite, à cette tribune, rendre un hommage appuyé aux forces françaises stationnées à Djibouti. Leur engagement, leur professionnalisme et leur résilience forcent le respect. Depuis plus de vingt ans, elles sont en première ligne dans diverses opérations, qu’elles soient bien sûr militaires –⁠ citons, entre autres, les opérations Barkhane, Chammal, Sangaris, Licorne, Artémis et Boali –, humanitaires –⁠ après le passage du cyclone Chido à Mayotte – ou d’évacuation –⁠ je pense au retrait de ressortissants du Yémen en 2015 ou du Soudan en 2023, avec l’opération Sagittaire. Elles ont aussi défendu nos ressortissants face à la piraterie lors des affaires du Ponant, du Carré d’As ou du Tanit. Toutes ces missions attestent l’efficacité, la disponibilité et l’importance de ces forces dans notre dispositif de défense. Elles méritent notre gratitude mais aussi un engagement de notre part à leur fournir les moyens d’agir.
    S’il est bienvenu, ce traité ne doit pas masquer deux sujets majeurs d’inquiétude. Tout d’abord, il n’y a pas de stratégie de défense efficace sans diplomatie claire, cohérente et crédible. Or, depuis plusieurs années, les prises de position du chef de l’État sur les questions internationales oscillent entre ambiguïtés, volte-face et déclarations contradictoires. Cette instabilité affaiblit la parole de la France. Elle brouille nos alliances et alimente la défiance, notamment en Afrique, où Emmanuel Macron a gravement dégradé notre image.
    Dans ce contexte, le lien solide que nous conservons avec Djibouti constitue une exception –⁠ et une chance qu’il nous faut préserver.
    Ensuite, ce traité engage la France à long terme, y compris sur le plan budgétaire. La contribution forfaitaire annuelle passera de 30 à 85 millions d’euros –⁠ un effort notable. Une telle augmentation ne remet pas en cause l’intérêt de ce texte. Bien au contraire : à l’heure où nos positions s’érodent sur le continent africain, il est plus que jamais essentiel de conforter notre partenariat avec un allié fiable et durable.
    Encore faut-il être capable d’honorer nos engagements. À cet égard, l’application de la loi de programmation militaire soulève de sérieuses inquiétudes, que notre groupe n’a cessé d’exprimer et qui ont d’ailleurs été récemment reprises dans un rapport sénatorial dont votre propre majorité est à l’origine. Disons-le franchement : l’audition du ministre des armées par la commission de la défense ne nous a pas rassurés.

    M. Bastien Lachaud

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    Il ne fallait pas voter la LPM !

    M. Julien Limongi

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    Les forces françaises à Djibouti doivent bénéficier d’un renouvellement de leur équipement d’ici à 2028. Or la LPM, censée les y aider, rencontre des blocages persistants : les crédits tardent à être dégelés ; les commandes aux industriels prennent du retard ; les 13 milliards d’euros de recettes extrabudgétaires manquent de sincérité ; certains crédits ont été redirigés, sans compensation, notamment vers le soutien à l’Ukraine –⁠ ce qui n’était pas prévu.
    Ratifier un traité ne suffit pas ; il faut ensuite lui donner corps dans la durée. Il faut des moyens, des ressources, une volonté politique ferme. Pleinement conscients des enjeux, nous soutenons ce texte, parce qu’il sert nos intérêts stratégiques et consolide notre présence dans une région clé. Nous n’en demeurerons pas moins vigilants quant à la préservation de notre bonne relation avec Djibouti, dans le cadre d’une politique de défense ambitieuse, cohérente et à la hauteur des capacités de nos armées. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Amélia Lakrafi.

    Mme Amélia Lakrafi

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    Je tiens à souligner l’importance capitale de ce traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti. Je rappelle d’abord que Djibouti est un pays important de ma circonscription et que son lien avec la France est des plus étroits : 4 000 Français y résident, dont de nombreux Franco-Djiboutiens, et 1 500 de nos militaires y sont stationnés. Djibouti fait en outre figure de bastion de la francophonie dans une région presque totalement anglophone, ce qui confère un sens plus profond encore à nos liens d’amitié. Ce pays fait partie des principaux partenaires de la France en Afrique de l’Est et l’on y compte une école et un lycée français ainsi qu’un institut français. On y trouve également trois conseillers des Français de l’étranger, ces élus locaux que nos ressortissants élisent tous les six ans et dont je souhaite ici saluer le dévouement –⁠ je regrette qu’ils soient trop peu connus et reconnus. La signature de ce traité de défense constitue donc un signal fort envoyé à la partie djiboutienne, qui marque la solidité de notre partenariat et de nos liens d’amitié historiques.
    Djibouti occupe une position clé dans la région de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique, qui s’étend entre la mer Rouge et le golfe d’Aden. Notre pays y a très tôt installé une base militaire, qui nous a été fort utile à maintes occasions, dans cette partie du monde soumise à de nombreux troubles. Je pense notamment à l’opération Sagittaire, menée en 2023 dans le contexte du conflit au Soudan. Cette opération exemplaire, conduite avec l’appui des autorités djiboutiennes –⁠ que je remercie –, a permis le rapatriement de plus de 900 ressortissants étrangers, dont plus de 250 Français installés dans la région.
    À l’heure où notre présence militaire en Afrique se réduit, conformément aux objectifs formulés dans le discours de Ouagadougou en 2017, cette base deviendra à terme notre dernier ancrage stratégique militaire permanent sur le continent –⁠ si l’on excepte la base de Libreville –, ce qui ne fait qu’en renforcer l’importance pour nous.
    Je l’ai dit : dans cette partie du monde importante sur le plan stratégique et soumise à de nombreuses tensions et turbulences graves, d’autres pays ont, ces dernières années, implanté des bases militaires à Djibouti. Cela ne fait qu’accentuer la nécessité de signer un nouveau traité de défense, qui constitue le point d’aboutissement d’un travail diplomatique tout à fait remarquable, auquel je rends hommage.
    Si ce texte reprend pour une large part les stipulations du précédent traité, il vise à donner davantage de prévisibilité aux deux parties et clarifie plusieurs procédures. Tout d’abord, je souhaite mettre en avant l’allongement de la durée de validité du traité, qui passe de dix à vingt ans, ce qui témoigne de la confiance mutuelle entre nos deux pays et constitue un gage de stabilité pour nos forces militaires. Il met aussi à jour la liste des emprises mises à disposition par la partie djiboutienne, en prévoyant notamment la restitution de 40 % de l’îlot du Héron, ce que nous pouvons parfaitement comprendre dans la mesure où cela contribuera au développement économique et social du pays. Par ailleurs, cette restitution ne nous pénalise pas. Le traité prévoit encore la création d’un comité militaire de dialogue stratégique, afin que nous puissions mieux faire face ensemble aux enjeux régionaux.
    Le point le plus important, qui distingue notre base militaire de celles d’autres pays, est la clause de sécurité qui est au cœur du traité. En effet, c’est pour pouvoir répondre à nos obligations envers Djibouti que nous entretenons des capacités dans tous les domaines –⁠ aérien, terrestre et maritime. C’est ce qui nous différencie des autres États disposant de forces dans ce pays : contrairement aux nôtres, les leurs ne contribuent pas à la sécurité de Djibouti. Nous jouons donc un rôle assumé de protecteur du territoire djiboutien et, par conséquent, de nos ressortissants sur place et dans toute la région. Enfin, le traité prévoit la participation de la France à la police de l’espace aérien et à la surveillance des eaux territoriales de Djibouti.
    Certains s’étonnent de l’augmentation de notre contribution annuelle forfaitaire. Je considère pour ma part qu’elle est conforme avec la relation de respect mutuel que nous souhaitons entretenir avec ce pays.
    Pour conclure, je formulerai une remarque qui me tient particulièrement à cœur : à l’heure où la relation de certains régimes, notamment ceux de l’Alliance des États du Sahel, avec la France est marquée par des tensions, il est essentiel de rappeler que cinquante des cinquante-quatre États africains entretiennent avec nous des relations de confiance, dynamiques et respectueuses. Ce traité avec Djibouti en est une belle illustration. Je vous invite donc tous à voter en faveur de ce texte. (Mme Liliana Tanguy, M. Christophe Blanchet et Mme Anne Le Hénanff applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Bastien Lachaud.

    M. Bastien Lachaud

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    L’accord entre la France et Djibouti s’inscrit dans la continuité de la présence de nos forces armées dans une région clé pour la géopolitique mondiale. Djibouti constitue un point d’appui majeur pour la projection de nos forces, tant vers La Réunion et Mayotte que vers des zones sensibles comme le Moyen-Orient ou l’Asie de l’Est. Notre présence dans ce pays permet de garantir la sécurité des navires français et de défendre nos intérêts dans la région, notamment en matière de liberté de navigation. Djibouti est au carrefour des routes maritimes internationales : située aux portes de la mer Rouge, qui relie la mer Méditerranée à l’océan Indien, elle constitue un nœud commercial crucial pour la France –⁠ près de 70 % du trafic maritime de et vers l’Europe y transite.
    Toute déstabilisation de la région aurait des conséquences sur la vie quotidienne des Français et sur notre économie, qui en dépend largement pour ses importations, notamment de pétrole. Que fera notre gouvernement, qui a toujours refusé le blocage des prix, si ceux de l’essence grimpent en flèche ?
    Plus qu’ailleurs, notre diplomatie doit être cohérente et se faire entendre. Or notre débat intervient quelques jours après les bombardements israéliens puis étasuniens contre l’Iran. Loin de se montrer cohérente, de défendre le droit international, de faire entendre une voix singulière pour la paix, notre diplomatie se révèle complice, par son silence, des violations graves du droit international qui s’y déroulent. Après les récentes attaques israéliennes contre l’Iran, la première réaction du gouvernement et du président Emmanuel Macron lui-même a consisté à invoquer le droit d’Israël à se défendre, allant jusqu’à proposer l’aide de la France pour protéger Israël, pourtant coupable d’une agression parfaitement illégale au regard du droit international. En effet, ces bombardements ne sont ni une riposte, ni une action défensive face à une attaque préalable qu’aurait commise l’Iran, mais bien une offensive. Les conséquences de ces événements sur la stabilité de la région sont incalculables. Personne ne sait quelle sera la réaction de l’Iran à cette agression.
    Face à un risque aussi grand pour la stabilité de la région et, plus largement, du monde, que fait le gouvernement ? Rien. Ne pas vouloir condamner ces violations caractérisées et manifestes du droit international est grave. Celui-ci n’est brandi que dans certaines circonstances : face à la Chine, à la Russie, au Sud global, mais jamais face aux pays dits occidentaux. Ce « deux poids, deux mesures » inacceptable est visible de tous. Il s’agit d’une stratégie dangereuse, qui ne peut qu’affaiblir le droit international, alors qu’il est le seul rempart contre l’emploi généralisé de la force et l’exercice du droit du plus fort.
    D’ailleurs, le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou ne s’y trompe pas : après dix-huit mois de génocide et malgré une condamnation de la Cour pénale internationale, il se sent parfaitement libre de continuer à faire usage de la force la plus brutale, à Gaza, puis au Liban, et à présent en Iran. Pourquoi cesserait-il de le faire puisque les États-Unis entrent à leur tour dans cette escalade ? Le gouvernement français n’est toujours pas capable de condamner, d’appeler à la désescalade et au respect du droit international. Pour toute réaction, à ce jour, le quai d’Orsay a exprimé sa « préoccupation » au sujet des bombardements étasuniens.
    Où est passée la France du discours du général de Gaulle à Phnom Penh, qui condamnait la guerre du Vietnam et toutes les aventures néocoloniales et impérialistes, qui « ne pouvaient conduire à rien, qu’à des pertes, des haines, des destructions sans cesse accrues » ? Où est passée la France du président Mitterrand qui, à Cancún, en 1981, disait : « Appliquons à tous la même règle, le même droit : non-ingérence, libre détermination des peuples, solution pacifique des conflits, nouvel ordre international. » Où est passée la France du président Chirac, celle qui s’opposait en 2003 à l’intervention militaire des États-Unis en Irak ? Celle qui refusait l’unilatéralisme américain et le droit de la force ? Celle qui faisait du droit international sa boussole ? Celle qui défendait la paix face au désastre prévisible de l’impérialisme étasunien ?
    Aujourd’hui, la voix de la France est inaudible, alignée, sans aucune espèce de conséquence sur les événements. Comment pourrait-elle être audible alors qu’elle ne fait pas un geste pour remettre en cause l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), ne formule aucune demande de sanction envers Israël, ne remet pas en cause sa participation à l’Otan et assiste, silencieuse, au premier génocide télévisé de l’histoire de l’humanité ?
    Quand il n’y a plus de force du droit, seul reste le droit de la force. La France doit retrouver sa voix et son indépendance, affirmer une diplomatie non alignée au service de la paix. Nous devons refaire du droit international un cap plutôt qu’un outil diplomatique à géométrie variable. Voilà ce que serait une diplomatie insoumise. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. –⁠ M. Christophe Blanchet s’exclame.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Stéphane Hablot.

    M. Stéphane Hablot

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    Permettez-moi d’abord de saluer nos collègues Yannick Favennec-Bécot, président du groupe d’amitié France-Djibouti, et Isabelle Santiago, membre de la commission de la défense, qui est très attachée au traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti –⁠ on la connaît aussi pour ses combats en faveur des droits de l’homme, notamment des droits des enfants.
    Les guerres en Ukraine, au Proche-Orient et au Moyen-Orient nous rappellent chaque jour que le monde s’embrase et cristallise un ébranlement géopolitique international d’une ampleur inédite. C’est dans un contexte marqué par ces tensions internationales que nous nous apprêtons à autoriser la ratification de ce traité particulièrement important, puisqu’il concerne un territoire géostratégique par excellence. En 2023, lors de l’opération Sagittaire, en s’appuyant sur sa base de Djibouti, la France a assuré l’évacuation depuis le Soudan de 900 personnes de quatre-vingts nationalités différentes.
    Notre objectif doit être noble et respectueux du droit international. Par ce traité, la France confirmera sa présence entre la mer Rouge et l’océan Indien, dans le détroit de Bab-el-Mandeb, où transite 12 % du commerce mondial. Là, nous pouvons lutter contre le narcotrafic et le terrorisme, nous pouvons réguler et faire appliquer le droit international.
    En même temps, comment être crédible ? On sait très bien que certains alliés de la république de Djibouti –⁠ la Chine, les États-Unis, bientôt la Russie, qui entre en négociations avec elle – ne sont pas respectueux du droit international. Cependant, nous sommes vraiment proches de Djibouti et nous travaillons avec ses autorités –⁠ nous pouvons notamment y organiser des entraînements de nos troupes par une simple notification. Il est important de préserver cette proximité et ce rapport de prédilection. Nous voterons pour la ratification de ce traité, mais nous demeurons interrogatifs et prudents, car ce territoire est partagé avec des puissances qui violent le droit international et les droits de l’homme.
    Notre coopération avec Djibouti porte également sur la francophonie, sur l’éducation et sur d’autres coopérations, notamment en matière de justice.
    Le président de la République a passé la nuit de Noël à Djibouti. Il s’est dit préoccupé par la détention arbitraire de binationaux et a aussi abordé le cas de la petite Liya Lider –⁠ la justice française avait évoqué un enlèvement de cette enfant par sa mère, ce qui n’a pas empêché l’ambassade de France de délivrer un passeport à la mise en cause en toute impunité.
    Il faut rester positif et constructif mais, en tant que vice-président du groupe d’amitié France-Djibouti, je considère que l’amitié ne se décrète pas : elle doit se construire dans la confiance, dans l’épreuve et par les preuves.
    L’élection présidentielle aura lieu bientôt à Djibouti, en 2026. Nous serons fiers de collaborer avec un pays attaché à la démocratie, qui doit respecter les droits de l’homme, les droits des femmes, les droits des enfants, avec un pays désireux de travailler avec nous pour la paix durable dans le monde. Voilà pourquoi nous voterons favorablement, tout en restant prudents. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Élisabeth de Maistre.

    Mme Élisabeth de Maistre

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    Nous sommes réunis cet après-midi afin d’autoriser, après nos collègues du Sénat, la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti.
    Ce traité n’est pas seulement un texte diplomatique : il est le reflet d’une histoire commune, d’une amitié ancienne et d’une alliance stratégique qui s’inscrit dans le temps long. Depuis l’indépendance de Djibouti en 1977, la France a toujours su entretenir une relation équilibrée, respectueuse et utile avec ce pays partenaire, à la fois porte d’entrée de la Corne de l’Afrique et carrefour géostratégique incontournable.
    Ce nouveau traité, qui renouvelle et modernise notre cadre de coopération, consolide notre présence militaire dans une région où les tensions sont nombreuses : routes maritimes perturbées, notamment en mer Rouge : attaques répétées des houthistes contre les navires commerciaux ; instabilité chronique en Somalie, au Soudan, au Yémen. On assiste depuis plusieurs années à une militarisation croissante de la région : la Chine, la Russie mais aussi la Turquie ou encore les Émirats arabes unis multiplient les alliances et l’établissement de bases. C’est une zone où se concentrent les tensions d’une rivalité globale entre puissances.
    À l’heure où nous parlons, il est encore difficile de percevoir avec exactitude les conséquences sur cet espace déjà très conflictuel –⁠ mais elles seront indéniables – du conflit entre Israël et l’Iran.
    C’est aussi une zone soumise aux enjeux migratoires : la Corne de l’Afrique est l’un des plus grands foyers de départ de migrants et de réfugiés. Le contrôle des flux, la stratégie régionale et la lutte contre les trafics passent aussi par une coopération sécuritaire étroite.
    La base française de Djibouti n’est pas un vestige du passé : elle est un atout pour notre défense nationale, pour la protection de nos ressortissants et de nos intérêts dans cette partie du monde. C’est notre plus grande implantation militaire en Afrique puisqu’elle accueille plus de 1 500 de nos militaires, des moyens aériens, maritimes et terrestres. Elle est au cœur de notre dispositif de réponse rapide puisque c’est depuis Djibouti que nos forces peuvent être déployées en urgence vers le Sahel, la mer Rouge ou l’océan Indien. Elle constitue également un levier d’action pour nos opérations extérieures, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et en matière de contrôle des voies maritimes stratégiques.
    Le présent traité encadre notre coopération militaire dans un esprit de partenariat. Il permet non seulement de sécuriser juridiquement la présence française, mais aussi de renforcer la coopération avec les forces armées djiboutiennes. Il prévoit ainsi des programmes de formation, des exercices conjoints, un partage de renseignements et un appui logistique. Il affirme un partenariat respectueux, fondé sur la souveraineté mutuelle, dans un cadre clair, équilibré et transparent.
    Les élus de la Droite républicaine restent attentifs à la cohérence de notre politique de défense et ce traité va dans le bon sens : celui d’une présence française assumée, stratégique, raisonnable et conforme à nos intérêts vitaux. À l’heure où notre influence recule –⁠ hélas ! – dans plusieurs pays africains, parfois remplacée par celle de puissances autoritaires qui ne partagent ni nos valeurs ni nos intérêts, il est impératif que la France tienne ses positions stratégiques ; Djibouti en est une.
    Dans un monde instable, face à des menaces toujours plus complexes, nous avons besoin d’alliés sûrs, de partenariats durables et d’un ancrage stratégique fort. La ratification de ce traité est une expression claire de cette volonté. Parce qu’elle est cohérente avec notre ambition pour la France, à savoir une nation souveraine, respectée, influente et capable de peser sur le cours des choses dans un monde dangereux et incertain, le groupe Droite républicaine soutient cette ratification. Je vous invite, mes chers collègues, à faire de même.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Catherine Hervieu.

    Mme Catherine Hervieu

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    La France, ancienne puissance coloniale dans la région, est pleinement consciente de la position stratégique de Djibouti. Depuis l’indépendance de ce pays, en 1977, elle y maintient une présence militaire constante, en cours de renouvellement pour vingt ans. Ce nouvel accord complète celui signé en 2014, notamment par la rétrocession à Djibouti de 40 % de l’île du Héron, tandis que le loyer annuel de notre base passera à 85 millions d’euros.
    Le détroit de Bab-el-Mandeb, porte d’entrée vers la mer Rouge et le golfe d’Aden, revêt une importance stratégique majeure du fait qu’il relie la mer Méditerranée à l’océan Indien, voie essentielle pour l’Europe puisque près de 70 % du trafic maritime européen y transite. Cet accord garantit le maintien de notre implantation dans une zone aux enjeux sécuritaires majeurs. Les actes de piraterie menés par les par les milices chebabs en provenance de Somalie ainsi que les attaques des houthistes du Yémen représentent en effet une menace directe pour la sécurité de la navigation maritime. Il est évident que Djibouti joue un rôle clé dans la sécurisation de ces routes maritimes, rôle que la France soutient activement dans le cadre des opérations européennes.
    Notre base à Djibouti permet aussi de déployer des moyens militaires vers l’Afrique de l’Est, le Moyen-Orient et l’océan Indien ; elle constitue un relais stratégique pour relier la métropole à des territoires comme La Réunion ou Mayotte, facilitant les interventions d’urgence, comme on l’a vu lors des récents cyclones.
    Face à la concurrence accrue entre grandes puissances, la pérennité de notre présence à Djibouti est d’autant plus cruciale que la France voit son implantation militaire en Afrique se réduire drastiquement : au Mali, au Niger, au Tchad et au Burkina Faso. Il est donc crucial de sauvegarder cette position stratégique.
    Toutefois, malgré nos alertes répétées, les réflexes hérités de la Françafrique persistent et ont engendré une érosion de notre influence. Il est important de rappeler que, même si Djibouti est officiellement une démocratie, son président est au pouvoir depuis 1999 et son âge avancé soulève la question de la transition politique. La prochaine élection présidentielle aura lieu dans un an, en 2026, et un changement de paradigme pourrait avoir lieu. La France doit encourager un processus démocratique plus ouvert, garantissant notamment le droit de l’opposition à participer aux élections législatives.
    Cette usure du pouvoir autocratique, accusé de crimes de guerre et de torture, soulève de nombreuses interrogations, surtout à la lumière du départ difficile de nos forces du Sahel. La formation des soldats djiboutiens par la France doit être rigoureuse et éthique afin d’éviter toute utilisation des forces de manière disproportionnée. Le respect des droits humains est une obligation morale, mais aussi un impératif stratégique. Notre présence dépend de la stabilité des régimes avec lesquels nous collaborons, et nous espérons que le vote du présent texte ouvrira la voie à des relations renouvelées plus respectueuses avec les États du continent africain.
    Enfin, comment ne pas souligner l’importance diplomatique de Djibouti dans toute la région, dans le contexte de la guerre entre Israël et l’Iran ? En effet, l’Iran a annoncé le 22 septembre 2023 le rétablissement de ses relations diplomatiques avec Djibouti, après plus de sept ans de rupture. La France pourrait donc jouer avec Djibouti un rôle de médiation pour participer à la désescalade au Moyen-Orient. Elle ne peut exercer son rôle de puissance d’équilibre sans disposer de points d’appui diplomatiques. Notre présence militaire à Djibouti n’aura de sens que si elle concourt à renforcer le droit international, la diplomatie et le dialogue dans toute la région.
    Le groupe Écologiste et social soutient ce traité, tout en maintenant une vigilance exigeante sur les points que je viens de développer. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. –⁠ M. Stéphane Hablot applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Christophe Blanchet.

    M. Christophe Blanchet

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    Nous examinons un projet de loi crucial pour notre posture stratégique en Afrique de l’Est et dans l’océan Indien. Ce texte vise à autoriser la ratification du nouveau traité de coopération en matière de défense entre notre pays et Djibouti.
    Situé au débouché du détroit de Bab-el-Mandeb, par lequel transitent 12 % du commerce mondial et plus de six millions de barils de pétrole par jour, Djibouti occupe une position géostratégique majeure, plus encore depuis les événements de ces dernières quarante-huit heures. Ce pays représente un îlot de stabilité dans une région marquée par les instabilités : depuis la fin de l’année 2023, la mer Rouge est le théâtre d’attaques répétées des houthistes qui ont fortement perturbé le trafic maritime, la baisse de celui-ci étant estimée jusqu’à 40 % ; s’y ajoute la piraterie, autre facteur de déstabilisation contre laquelle l’Union européenne est engagée depuis 2008 via l’opération EUNAVFOR Atalante.
    Depuis plusieurs années, Djibouti est devenu un centre d’accueil privilégié pour les opérations militaires, humanitaires et de renseignement. Outre celles de la France et des États-Unis, elle héberge des bases permanentes d’autres puissances telles que la Chine, qui y a implanté en 2017 sa première base militaire à l’étranger, ce qui lui offre un nouvel accès stratégique à l’espace indo-pacifique.
    La France entretient avec Djibouti une relation de défense privilégiée et une relation de confiance depuis l’indépendance de ce pays en 1977. L’accord actuel, signé en 2011 et entré en vigueur en 2014, nécessitait une actualisation pour tenir compte des enjeux géopolitiques et des besoins stratégiques communs. Dans ce contexte, un nouveau traité de coopération en matière de défense a été signé à Paris par les présidents Emmanuel Macron et Ismaïl Omar Guelleh. Ce texte vise à adapter notre partenariat militaire bilatéral aux nouveaux défis sécuritaires dans la région, en l’occurrence face à la montée en puissance d’acteurs concurrents comme la Chine ou la Turquie, et aussi en raison des redéploiements stratégiques des forces françaises dans les zones d’intérêt prioritaires. Ainsi, la ratification de ce traité représente des opportunités pour la France et pour les quelque 1 500 militaires présents sur place, que nous tenons à saluer.
    Le traité est porteur d’enjeux à la fois politiques, stratégiques et diplomatiques. Il modernise notre partenariat sur plusieurs points essentiels : il sécurise d’un point de vue juridique et opérationnel la présence des forces françaises pour les vingt prochaines années ; il renforce nos capacités d’intervention dans la Corne de l’Afrique ; il instaure un comité stratégique militaire, renforçant ainsi le dialogue entre nos états-majors ; il offre un régime juridique clair et stable à nos militaires ; il confirme le rôle de la France comme garant de la sécurité du territoire de Djibouti en cas d’agression extérieure. Au-delà de l’aspect technique, ce traité confirme notre attachement aux territoires francophones, à la coopération durable et équilibrée en Afrique, à la liberté de navigation et à la sécurité de la Corne de l’Afrique.
    Chers collègues, ratifier ce traité, c’est renforcer notre souveraineté stratégique, protéger nos intérêts sécuritaires et affirmer la voix de la France sur un continent de plus en plus disputé. Compte tenu de l’actualité des dernières quarante-huit heures, notre agenda doit dorénavant tenir compte du fait que nos approvisionnements en hydrocarbures peuvent être perturbés dans quelque temps. Par ailleurs, la présence des forces armées chinoises, au milieu de plusieurs bases appartenant à des pays membres ou alliés de l’Otan, contribue à alimenter les tensions régionales. Nous avons vu au Mali, au Niger ou encore au Burkina Faso que les influences étrangères peuvent rapidement affecter nos intérêts, avec des conséquences directes sur la sécurité des régions concernées.
    Au nom du groupe Les Démocrates, je vous invite à voter pour ce texte essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. –⁠ Mme Amélia Lakrafi, Mme Liliana Tanguy et M. Yannick Favennec-Bécot applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Anne Le Hénanff.

    Mme Anne Le Hénanff

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    Nous sommes réunis cet après-midi pour examiner le projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la France et Djibouti. Je prends la parole pour exprimer la position de mon groupe, Horizons & indépendants, mais aussi en qualité de rapporteure pour avis de la commission de la défense. J’ai ainsi eu l’occasion d’examiner de près les tenants et aboutissants de ce traité qui, pour résumer, revêt un caractère cardinal pour notre pays.
    Plus qu’un nouveau traité, il s’agit surtout d’une nouvelle version du précédent incluant des avancées significatives. Tout d’abord, sa durée de validité est doublée, passant de dix à vingt ans. J’y vois pour ma part la marque de la confiance accordée par les Djiboutiens à notre pays. Ensuite, la coopération entre les armées françaises et les forces armées djiboutiennes sera renforcée au plus haut niveau, grâce à la création d’un comité militaire de dialogue stratégique dont l’objectif est de répondre à des enjeux communs en la matière.
    En outre, le nouveau traité étend le champ de la coopération avec les autorités djiboutiennes en matière de sécurité intérieure et de santé. Ces évolutions permettront d’inclure les forces de sécurité intérieure de Djibouti dans le champ de la coopération bilatérale et d’étendre aux civils djiboutiens le partenariat sanitaire existant entre les deux pays.
    Par ailleurs, les emprises nécessaires aux missions opérationnelles de la France sont maintenues, voire augmentées, et notre capacité en matière d’entraînements est préservée. Certaines emprises non opérationnelles seront restituées en totalité ou pour partie –⁠ notamment l’îlot du Héron, qui le sera à hauteur de 40 % en réponse à une demande ancienne des Djiboutiens. Enfin, la contribution forfaitaire dont la France est redevable connaît une augmentation significative, passant de 30 à 85 millions d’euros par an, ce qui témoigne de la volonté de la France de maintenir avec Djibouti un partenariat équilibré et respectueux.
    Notre groupe ne peut que saluer la conclusion de cet accord entre les deux pays. Le traité est équilibré et gagnant-gagnant, car il donne de la prévisibilité et de la stabilité aux deux parties en codifiant un certain nombre de pratiques, en clarifiant les procédures et en allongeant sa durée de validité. Les commissions de la défense et des affaires étrangères ont adopté le projet de loi à la quasi-unanimité, sans qu’aucun groupe ne vote contre. J’y vois le signe que les membres de notre assemblée ont parfaitement compris le caractère stratégique de ce traité de défense, conclu avec un pays ami de la France, partenaire unique et indispensable de notre pays. J’en ai acquis la conviction et l’ai mesuré à chaque instant à l’occasion d’une mission de la commission de la défense que j’ai effectuée sur place en avril avec mon collègue Yannick Favennec-Bécot, président du groupe d’amitié France-Djibouti –⁠ que je salue.
    Je profite de ma présence à la tribune pour rendre un hommage appuyé aux militaires et aux diplomates français en poste à Djibouti. Au-delà des enjeux de stabilisation de la situation régionale, on ne mesure pas toujours pleinement combien leur engagement dans cette partie du monde est essentiel pour la souveraineté de notre pays, qu’il s’agisse de la sécurisation du trafic en mer Rouge, dans le cadre de la stratégie française dans la zone indo-pacifique, ou de l’accès à nos territoires ultramarins. Ainsi, c’est notamment grâce aux militaires installés à Djibouti que nous avons pu venir en aide à Mayotte après le passage du cyclone Chido en décembre dernier.
    Monsieur le ministre, j’achèverai mon propos en formulant le vœu que la coopération entre la France et Djibouti ne se limite pas à la défense. Nous devons impérativement renforcer à Djibouti notre action en matière de francophonie, tout particulièrement à l’intention des jeunes. La langue française est un trésor que les deux pays ont en partage, comme me l’ont indiqué avec force les députés djiboutiens avec lesquels je me suis longuement entretenue lors de mon déplacement sur place. Nous devons tout faire pour le conserver.
    Vous l’aurez compris, le groupe Horizons & indépendants votera évidemment en faveur du projet de loi, car il y va de l’intérêt de nos armées, du partenariat franco-djiboutien et, plus largement, de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. –⁠ M. le rapporteur, Mme Laurence Robert-Dehault et M. Yannick Favennec-Bécot applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Yannick Favennec-Bécot.

    M. Yannick Favennec-Bécot

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    Dans un environnement stratégique instable, la France et Djibouti continuent d’avancer ensemble. Ce nouveau traité de défense traduit le choix de notre pays de rester engagé dans la région. À l’heure où certaines puissances cherchent à étendre leur influence dans la Corne de l’Afrique, il fait un autre pari, celui d’un partenariat de long terme avec Djibouti, fondé sur la confiance, le respect et une vision commune de la défense nationale.
    Ce traité de coopération, signé le 24 juillet 2024, s’inscrit dans une recomposition profonde de la présence militaire de la France sur le continent africain et dans une stratégie assumée de projection vers la zone indo-pacifique. Le renouvellement du partenariat avec Djibouti revêt une importance particulière. Il traduit un engagement clair et cohérent dans une région hautement stratégique, à l’intersection de la mer Rouge et de l’océan Indien et à proximité du détroit de Bab-el-Mandeb, par lequel transite notamment plus de 10 % du commerce mondial.
    Dans une zone marquée par l’instabilité –⁠ guerre au Soudan, offensive au Yémen, tensions en mer Rouge et, ce week-end, embrasement du conflit entre Israël et l’Iran –, Djibouti apparaît comme un îlot de stabilité, comme un point d’appui rare dans une région en crise. Il est l’un des seuls endroits au monde où coexistent des bases militaires française, américaine, japonaise, saoudienne et chinoise. C’est dire si ce territoire concentre les ambitions, les enjeux et les attentions.
    C’est pourquoi la présence militaire française est précieuse. Elle permet à notre pays de rester un acteur opérationnel et crédible dans la région. Le traité la pérennise dans un cadre juridique modernisé. Il confirme le maintien de la clause de sécurité, qui fait de Djibouti une exception parmi nos partenaires africains. Il facilite l’organisation des exercices militaires français, introduit un comité militaire de dialogue stratégique et prévoit une alerte conjointe sur les menaces pesant sur le territoire djiboutien. J’en profite pour saluer et remercier les forces françaises présentes sur place.
    Le traité répond aussi aux attentes de notre partenaire. Ainsi, la restitution partielle de l’îlot du Héron constitue un signal politique fort, sans avoir d’impact opérationnel majeur. La contribution financière française, revalorisée à 85 millions d’euros annuels, est forfaitaire, non indexée et, donc, lisible dans le temps.
    Dans un contexte de retrait de nos forces du Sahel et du golfe de Guinée, et alors que la Chine renforce activement sa présence à Djibouti, il est essentiel que la France reste un acteur de référence. Toutefois, notre partenariat avec Djibouti ne saurait être réduit au seul champ militaire. Il est vivant, multiple et enraciné. Il s’étend au commerce, aux infrastructures –⁠ je pense notamment à la construction d’un deuxième aéroport –, à l’éducation, à la culture ou encore à la coopération spatiale, avec le lancement récent de deux satellites conçus par des ingénieurs djiboutiens formés à Montpellier. Il repose aussi sur un socle linguistique : Djibouti est l’un des rares pays francophones de la Corne de l’Afrique. Protégeons ce lien ! Encourageons les étudiants djiboutiens à se tourner vers la France, facilitons l’accès aux visas et ne laissons pas nos concurrents l’emporter sur ce terrain ! Il s’agit d’une attente et d’une demande fortes de nos amis djiboutiens.
    Enfin, nous devons réaffirmer ici une conviction profonde : la politique extérieure de la France ne peut reposer uniquement sur le pilier sécuritaire. Comme l’a très bien dit notre collègue Anne Le Hénanff, le déploiement militaire doit aller de pair avec un effort de développement, de solidarité ainsi que de présence culturelle et éducative. C’est l’ADN de notre diplomatie, et c’est ce que les peuples attendent de notre pays. Le présent traité, équilibré et ambitieux, incarne cette vision. Il renforce la stabilité d’un lien historique ainsi que la souveraineté et la crédibilité de la France. Djibouti est un partenaire de confiance. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires votera en faveur du projet de loi avec conviction, et vous permettrez au président du groupe d’amitié France-Djibouti que je suis de s’en réjouir très sincèrement. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. –⁠ M. Stéphane Hablot et Mme Anne Le Hénanff applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Après le long examen dont il a fait l’objet en commission, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine considère que ce traité n’est pas ou n’est plus compatible avec les valeurs qui doivent prévaloir dans nos liens avec Djibouti.
    Djibouti est officiellement devenu un État indépendant en 1977. Pourtant, il ne l’a jamais été. Son premier président, l’oncle de l’actuel, a dû son élection au soutien franc –⁠ sans jeu de mots – que notre pays lui a accordé pour avoir appelé ses compatriotes, quelques années plus tôt, à voter pour le maintien du territoire sous souveraineté française. Il a décidé ensuite, toujours avec le soutien de la France, d’interdire tous les partis d’opposition. L’actuel président, Ismaïl Omar Guelleh, est au pouvoir depuis vingt-deux ans –⁠ cela peut en faire rêver certains. En 2026, son cinquième mandat prendra fin. Selon la Constitution djiboutienne, il ne pourra pas, en raison de son âge, briguer de sixième mandat.

    Mme Sandrine Rousseau

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    Cela aussi en fait rêver certains !

    M. Jean-Paul Lecoq

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    À moins de changer la Constitution… Il ne se dit pas que c’est un pari ; il se demande ce qu’en pense Paris ! Ce système clanique et autoritaire est perpétué grâce à des élections frauduleuses : parti unique, recensement partiel, répression des manifestations, etc.
    L’accord dont nous parlons est donc la garantie de la continuité d’une relation entachée de colonialisme et de domination. Ce texte renforce l’ancrage militaire français sous couvert de surveillance et de sécurisation de la région, notamment du détroit de Bab-el-Mandeb, où le commerce maritime international demeure exposé à la piraterie. On pourrait se dire qu’il s’agit là d’une responsabilité d’autant plus honorable qu’elle est partagée avec les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Italie, qui disposent aussi de bases militaires à Djibouti. Mais cette présence étrangère –⁠ cette gérance étrangère – cache une compétition d’influence entre blocs géopolitiques rivaux et offre à l’élite corrompue de Djibouti une économie de rente, dont elle profite largement au lieu de développer des secteurs comme l’éducation, la santé ou le tourisme au bénéfice de la population.
    Djibouti est donc à la solde des puissances étrangères. En somme, ce traité offre à Djibouti 85 millions d’euros annuels pendant vingt ans pour financer un régime surarmé qui réprime son peuple ; on laisse sciemment ce régime attaquer par voie aérienne sa population civile ainsi que le pays voisin, l’Éthiopie. La France ayant avec Djibouti un accord relatif à la protection de l’espace aérien du pays, nous avons nécessairement été au courant de ces infractions au droit international. Et la liste est encore longue… Bel accord en effet que celui-là !
    Pendant que les Djiboutiens sont dans le besoin, la pauvreté et la faim, leur gouvernement dépense des millions de dollars pour des drones militaires utilisés pour réprimer toute contestation. Rappelons que 45 % de la population vit avec moins de 3 dollars par jour et que la moitié n’a accès ni à l’eau potable ni à l’électricité. Bel accord que celui-là !
    La France des Lumières, des droits de l’homme, du droit international et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes restera, une fois encore, dans les livres d’histoire. Ceux de géographie retiendront en revanche que le French business, s’il n’a pas de couleur, a une sale odeur. Djibouti sous la dictature, c’est aussi le contrôle de la presse, la marginalisation des ethnies, des ratonnades comme celles qui ont eu lieu dans la capitale en 2021 et la destruction volontaire d’une partie de la forêt primaire du Day par le gouvernement. Autre arme de guerre utilisée : les viols et violences sexuelles perpétrés en toute impunité par l’armée djiboutienne sur les femmes de la communauté afar. Bel accord que celui-là !
    Les opposants politiques, les journalistes et leurs proches sont arrêtés, torturés et laissés sans accès aux soins ni jugement. On dénombre près de quarante prisonniers. Les partis d’opposition ne demandent même pas de nouvelles élections, tant ils savent le système corrompu, la France étant l’assurance vie du pouvoir. En 1995, un magistrat français a été assassiné à Djibouti dans l’exercice de ses fonctions ; l’instruction est toujours en cours. La France regarde ailleurs. Bel accord que celui-là !
    Un bel accord aurait accompagné une transition démocratique à Djibouti en s’appuyant sur une charte rédigée à cet effet et aurait garanti qu’aucune guerre civile ne contrarie le processus, mais cet accord-là est resté dans les tiroirs.
    Pour toutes les raisons évoquées, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne peut soutenir ce traité : ses liens avec un régime discriminatoire et antidémocratique sont bien trop forts. Nous voterons donc contre l’autorisation de le ratifier, en attendant un accord futur qui tiendrait compte des interrogations soulevées par plusieurs d’entre nous à cette tribune. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. –⁠ Mme Dominique Voynet applaudit également.)

    Mme la présidente

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    Sur l’article unique du projet de loi, je suis saisie par les groupes Ensemble pour la République et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    La discussion générale est close.
    La parole est à M. le rapporteur.

    M. Marc de Fleurian, rapporteur

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    Monsieur Limongi, merci d’avoir salué les forces françaises de Djibouti –⁠ les marsouins du 5e régiment interarmes d’outre-mer, les aviateurs de la base aérienne 188 et les marins de la base navale. Vous avez eu raison de rappeler que Djibouti était un modèle pour le renouvellement de nos accords avec nos partenaires africains. Vous avez également insisté sur la nécessité de respecter la loi de programmation militaire, notamment pour l’équipement de nos forces à Djibouti en véhicules Griffon, blindés Jaguar, avions Rafale, hélicoptères Caracal –⁠ et H160, mais seulement à plus long terme, je le crains.
    Madame Lakrafi, vous avez rappelé la solidarité naturelle qui nous unit aux Français de Djibouti –⁠ militaires français et leurs familles ou Franco-Djiboutiens, qui représentent un tiers de la communauté française sur place.
    Monsieur Lachaud, vous avez évoqué l’actualité internationale dans la région. Quelle que soit notre position en matière de politique étrangère, on peut tomber d’accord sur la nécessité de la présence française à Djibouti et sur la préservation de notre capacité d’intervention.
    Monsieur Hablot, si chacun reconnaît le caractère sensible de l’affaire que vous avez mentionnée, je m’abstiendrai de me prononcer sur une affaire judiciaire qui relève du droit privé, si douloureuse soit-elle pour les parties.
    Madame de Maistre, vous avez, à juste titre, évoqué les tentatives d’implantation de compétiteurs, parfois hostiles. Cet élément, que je reprends volontiers à mon compte, souligne la nécessité de renforcer notre présence à Djibouti. D’ailleurs, si ces compétiteurs n’avaient pas réussi à s’y installer au début des années 2010, c’était notamment grâce à la présence française. C’est donc un argument de plus en faveur de la ratification du traité.
    Madame Catherine Hervieu, vous avez insisté sur la nécessité, au-delà de la seule sphère militaire, de développer la coopération dans d’autres domaines. En effet, comme je le disais à M. Limongi, Djibouti représente un modèle de partenariat rénové qui fonctionne. S’il s’appuie sur un cadre avant tout militaire, il favorise la coopération dans plusieurs autres secteurs : la francophonie ; l’éducation, avec le partenariat entre nos classes préparatoires aux grandes écoles et le lycée d’excellence de Djibouti ; l’assainissement, avec la construction d’une station d’épuration et l’extension du réseau de Djibouti-ville ; la santé, avec la rénovation des polycliniques de Djibouti-ville et les échanges avec les CHU d’Angers et de Valenciennes.
    Madame Le Hénanff, monsieur Favennec-Bécot, je vous remercie, en vos qualités de rapporteure pour avis de la commission de la défense et de président du groupe d’amitié France-Djibouti, pour le travail transpartisan que nous avons accompli. Monsieur Favennec-Bécot, vous avez rappelé l’importance de Djibouti comme phare de la francophonie dans un océan anglophone et arabophone ; ce phare a vocation à éclairer sans écraser, la langue française ayant toute sa place à côté de l’anglais et de l’arabe.
    Enfin, monsieur Lecoq, vous avez exposé une vision plus clivante du traité dont la ratification est soumise à notre autorisation. Je crois que votre approche est idéologique et déconnectée du terrain. Ni le président du groupe d’amitié France-Djibouti, ni la rapporteure pour avis de la commission de la défense, ni votre serviteur, qui ont eu l’occasion de se rendre à Djibouti dans le cadre parlementaire –⁠ pour ma part, j’y suis aussi allé dans le cadre de ma vie professionnelle antérieure –, n’ont la même perption. Je ne sais pas à quand remonte votre dernière visite à Djibouti, mais si vous vous rendiez sur place, vous constateriez que l’écosystème français –⁠ militaire, civil et concourant au développement – et l’économie djiboutienne fonctionnent en symbiose. La présence française à Djibouti, ce sont 300 emplois directs pour les Djiboutiens, 40 millions d’euros de dépenses des ménages au profit de l’économie djiboutienne et des projets d’infrastructures qui font travailler nos partenaires djiboutiens. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. –⁠ M. Yannick Favennec-Bécot applaudit aussi.)

    Discussion des articles

    Mme la présidente

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    J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.

    Article unique

    Vote sur l’article unique

    Mme la présidente

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    Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.

    (Il est procédé au scrutin.)

    Mme la présidente

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        71
            Nombre de suffrages exprimés                67
            Majorité absolue                        34
                    Pour l’adoption                65
                    Contre                2

    (L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)
    (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. –⁠ Mme Anne
    Le Hénanff et M. Yannick Favennec-Bécot applaudissent aussi.)

    Suspension et reprise de la séance

    Mme la présidente

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

    Mme la présidente

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    La séance est reprise.

    3. Programmation pour la refondation de Mayotte
    -
    Département-région de Mayotte

    Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi et d’un projet de loi organique adoptés par le Sénat

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (nos 1470, 1573) et du projet de loi organique relatif au département-région de Mayotte (nos 1471, 1574).
    La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

    Présentation commune

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre d’État, ministre des outre-mer.

    M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer

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    Mayotte, c’est l’histoire d’un lien indéfectible avec la France. L’île est française depuis 1841, c’est-à-dire avant Nice et la Savoie. Dès le 2 novembre 1958, chefs de village, dignitaires religieux et responsables politiques se réunissaient pour manifester leur attachement à la France et appeler à la départementalisation, lors du célèbre Congrès des notables, à Tsoundzou. Lors des référendums de 1974 et 1976, les Mahorais ont chaque fois massivement voté pour le maintien au sein de la République française. En 2009, enfin, 95 % d’entre eux ont dit oui à la départementalisation, mouvement qui drainait d’immenses espoirs. C’est ainsi que, le 31 mars 2011, Mayotte est devenue le 101e département français.
    Malgré toutes ces étapes, les nombreux plans mis sur la table et des améliorations évidentes, nos compatriotes mahorais ont exprimé et expriment encore une forme de sentiment d’abandon. Quelque chose de particulièrement important se joue donc à Mayotte : la restauration de la crédibilité de la parole publique et, à travers elle, celle du lien de confiance entre la population du territoire et l’État. À l’heure des ingérences étrangères et de la volonté de déstabiliser la France, il est plus que jamais nécessaire d’agir pour concrétiser la promesse républicaine à Mayotte. L’enjeu est aussi d’affirmer notre souveraineté dans le canal du Mozambique. Prenons collectivement conscience de l’importance du débat que nous entamons.
    Au Sénat, devant les commissions, et ce matin encore en conférence de presse, j’ai eu l’occasion de balayer ce que j’estime être une contre-vérité : non, l’État n’a pas abandonné Mayotte. Dès mon arrivée au ministère des outre-mer, conformément à la mission que m’avait confiée le premier ministre, j’ai fait de la situation de l’archipel l’une des grandes priorités de mon action, à traiter d’urgence. Manière symbolique de rappeler mon engagement : entre le mois de décembre 2024 et aujourd’hui, je me suis rendu quatre fois dans l’archipel, dont une fois avec le premier ministre, le 30 décembre 2024, et une autre fois avec le président de la République, il y a quelques semaines, en avril.
    Surtout, j’ai pu suivre, au plus près du terrain, l’état d’avancement des différentes phases : gestion de l’urgence, stabilisation, enclenchement de la reconstruction. Si de nombreux défis sont encore devant nous et qu’en tout état de cause, le retour à une situation semblable à celle que nous connaissions avant Chido n’est pas satisfaisant –⁠ je pense en particulier à la question de l’accès à l’eau –, il serait malhonnête de ne pas reconnaître que des signes de reprise sont perceptibles.
    La mobilisation des services de l’État a été massive dans la phase de gestion de crise –⁠ je tiens notamment à souligner l’implication personnelle du préfet François-Xavier Bieuville. L’intensité du cyclone Chido, catastrophe naturelle la plus importante dans l’histoire contemporaine de notre pays, a provoqué des dommages considérables : près de 90 % des bâtiments ont été endommagés ; les réseaux d’infrastructures électriques et téléphoniques ont été détruits ; les installations de production d’eau ont été mises en péril. L’État s’est pleinement mobilisé pour protéger, secourir la population et rétablir les fonctions vitales afin de stabiliser la première phase de réponse à la crise : nous avons rétabli les capacités en eau, en électricité et en télécommunications.
    Un mot sur l’eau : le taux de remplissage des deux retenues collinaires s’est amélioré à la fin de la saison des pluies ; 2 millions de bouteilles d’eau ont été livrées ; 2 millions de litres d’eau ont aussi été acheminés par voie maritime au cours du mois de mai. Notre capacité de production habituelle a été restaurée, à hauteur de 38 000 mètres cubes par jour, ce dont nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire –⁠ loin de là ! –, puisqu’il s’agit de notre capacité antérieure à Chido. En effet, un écart persiste entre l’offre et la demande d’eau. Nous agissons d’ores et déjà : des travaux de réparation des fuites sont en cours ; ceux de la future station d’épuration de Mamoudzou sud ont commencé ; s’agissant de la future usine de dessalement d’Ironi Bé, l’arrêté autorisant les travaux de construction a été signé pour la partie terrestre du chantier. Le rapport annexé au présent projet de loi précise notre ambition future dans ce domaine.
    Je souligne aussi que l’objectif de résorption complète, d’ici août 2025, des dépôts de déchets résultant du passage de Chido sera tenu –⁠ je serai en tout cas particulièrement vigilant sur ce sujet.
    En matière de santé –⁠ élément critique –, plus de 1 000 professionnels ont été projetés sur place ; l’hôpital fonctionne à plus de 80 % de ses capacités et connaîtra d’importants travaux de réparations et de sécurisation, qui s’achèveront courant 2026. Sept des huit dispensaires sont ouverts, ainsi que tous les centres médicaux de référence ; encore faut-il veiller à ce que des médecins et des personnels de santé y soient présents.
    Les rentrées scolaires de mars et de mai ont eu lieu, ce qui n’était pas évident. Comme pour l’adduction d’eau, nous sommes revenus à la situation prévalant avant Chido, ce dont nous ne pouvons pas davantage nous satisfaire. Les rotations scolaires sont inacceptables en République. Le rapport annexé fixe donc l’objectif d’en finir à l’horizon 2031.
    En ce qui concerne la reconstruction, j’entends dire qu’elle n’aurait pas véritablement démarré –⁠ critique que je peux entendre. Qui peut sérieusement prétendre reconstruire en quelques semaines, voire quelques mois, un territoire dévasté –⁠ les chiffres que j’ai rappelés l’attestent – et présentant autant de difficultés structurelles ?
    La stabilisation de la situation permet déjà la réalisation de projets structurants qui étaient engagés avant Chido : extension d’une mairie à Chiconi ; crèche municipale à Sada ; maison de santé à Passamainty ; premières voies, en site propre, du Caribus. Néanmoins, pour approfondir et accélérer l’effort de reconstruction, il est nécessaire de nous doter des outils adéquats et de nous assurer que l’ensemble des maillons de la chaîne seront opérationnels. C’est dans cet esprit que le général Pascal Facon a été nommé le 9 janvier 2025. Son rôle est d’élaborer une stratégie quinquennale qui détaillera les actions concrètes devant concourir à la reconstruction et à la refondation de Mayotte d’ici à 2031.
    L’ordonnance créant l’établissement public chargé de coordonner les travaux de reconstruction a été publiée le 23 mai 2025. Elle prévoit notamment d’en confier la présidence au président du conseil départemental. La phase de recrutement du directeur général est en cours ; nous visons une nomination au 15 juillet 2025. Le conseil d’administration du futur établissement public se réunira dès le mois de septembre.
    La stratégie m’a été présentée. Les élus du territoire en prendront connaissance et participeront à une concertation –⁠ qui a d’ailleurs déjà commencé –, avant sa présentation lors du comité interministériel des outre-mer du 10 juillet prochain. J’y insiste, cette stratégie est une déclinaison concrète, par phases, de ce dont nous sommes en train de discuter ; elle est le fruit d’un travail de planification dans le temps.
    La loi d’urgence pour Mayotte, que vous avez adoptée à l’unanimité et qui a été promulguée le 24 février 2025, a fourni les principaux outils nécessaires à l’enclenchement de la phase de reconstruction. Le soutien financier a aussi été au rendez-vous. Dans le contexte difficile que nous connaissons, l’État a agi ; il a dépensé, non pas sans compter –⁠ je n’oserais pas parler ainsi devant Charles de Courson –, mais de manière utile : 500 millions d’euros de dépenses d’urgence entre décembre et janvier ; un fonds d’amorçage de 100 millions pour les collectivités ; 15 millions destinés à la filière agricole par l’intermédiaire du fonds de secours pour les outre-mer ; 22,8 millions d’euros d’aides pour les entreprises.
    Je pense aussi à toutes les mesures que vous avez votées dans le cadre de la loi d’urgence, notamment l’activité partielle : 1 311 demandes d’indemnisation ont été validées pour 996 138 heures, donnant lieu à 9,1 millions d’euros d’indemnités. Enfin, le prêt à taux zéro, désormais proposé par l’ensemble des établissements bancaires habilités, aidera les particuliers à reconstruire leur toit. La France a aussi reçu une avance de 23,7 millions d’euros au titre du Fonds de solidarité de l’Union européenne.
    Nous sommes donc en train –⁠ je le dis avec modestie – de poser les bases et de créer les conditions nécessaires à l’enclenchement d’une dynamique durable et solide de reconstruction. Néanmoins, sans une action plus fondamentale de refondation, nous reviendrons, au mieux, à la situation très insatisfaisante, sinon inacceptable dans certains secteurs, de l’avant-Chido. C’est pourquoi, dès le 30 décembre 2024, le premier ministre s’engageait à ce que le gouvernement présente un projet de loi de programmation. J’en viens donc à la refondation.
    Avec ce projet de loi, qui comporte désormais cinquante-sept articles contre trente-quatre initialement, l’État défend, avec le Parlement, une ambition politique sans précédent pour Mayotte. L’affirmation de cette ambition est en tout cas attendue –⁠ nous nous sommes appuyés sur les travaux antérieurs, notamment les réflexions engagées par mon prédécesseur Philippe Vigier, rapporteur général du présent projet de loi, et la proposition de loi déposée par Mme Estelle Youssouffa. Depuis des années, pour ne pas dire des décennies, les Mahorais attendent ce texte qui doit répondre à leur aspiration à l’égalité réelle et parachever la départementalisation. J’ose dire que nous y sommes.
    Le projet de loi procède d’un premier constat, implacable : si nous ne nous attaquons pas avec force à l’immigration illégale, aux bidonvilles et à l’insécurité, nous reconstruirons Mayotte sur du sable. C’est pourquoi le titre II vise à lutter contre l’immigration clandestine et le titre III à protéger les Mahorais –⁠ je salue Philippe Gosselin, rapporteur pour ces deux titres.
    Les articles 2 à 9 tendent à durcir les conditions d’accès au séjour pour motif familial et à améliorer les dispositifs de lutte contre les reconnaissances frauduleuses, de paternité notamment. Au regard du poids des titres liés à l’immigration familiale à Mayotte, la portée de ces dispositifs sera très importante.
    À l’initiative des quatre rapporteurs, la commission des lois a adopté un nouvel article, l’article 2  bis A, prévoyant l’abrogation du titre de séjour territorialisé à compter du 1er janvier 2030. Il s’agit d’une demande forte et historique des Mahorais –⁠ des élus comme des habitants. Comme vous le savez, le gouvernement n’y était pas favorable –⁠ le ministre de l’intérieur s’était exprimé à ce sujet –, mais je salue le cadre transpartisan dans lequel la commission a pu avancer et je considère que le délai de cinq ans permettra de limiter préalablement les flux migratoires vers Mayotte.
    En revanche, la commission des lois a supprimé les articles 7, 8, 9 et 11 du projet de loi. Nous aurons l’occasion d’en débattre à nouveau, lorsque nous examinerons les amendements tendant à les rétablir. Nous avons besoin de ces mesures pour protéger les Mahorais –⁠ je le dis en toute sincérité. Pour atteindre l’objectif de 35 000 éloignements par an, la montée en gamme du dispositif de surveillance et d’interception sur terre, en mer et par voie aérienne est nécessaire. C’est tout l’enjeu du « mur de fer », pour lequel l’État prend des engagements concrets dans le rapport annexé au projet de loi, monsieur le rapporteur général, cher Philippe Vigier. En complément de l’action opérationnelle, il est primordial d’entretenir des rapports fondés sur la fermeté avec les États à l’origine des flux migratoires, au premier rang desquels les Comores.
    L’article 10 du projet de loi prévoit par ailleurs des dispositions qui doivent faciliter l’action des services de l’État visant à résorber les bidonvilles –⁠ nous y reviendrons avec vous, monsieur le rapporteur, cher Frantz Gumbs.
    Sur le plan social, les Mahorais expriment depuis longtemps leur aspiration à l’égalité réelle. Bien évidemment, les questions d’immigration et de sécurité comme les investissements dans les équipements sont essentiels, mais je tiens à souligner que la priorité majeure au cœur de ce texte de loi est la convergence sociale, qui répond à une attente réelle. L’article 15 du projet de loi –⁠ qui fait partie du titre IV, rapporté par Agnès Firmin Le Bodo – doit permettre au gouvernement de légiférer par ordonnance, dans un délai maximal de douze mois, pour agir en tenant compte du dialogue social, lequel a déjà été engagé, notamment par le préfet Bieuville et par le général Facon.
    L’année 2031 constitue une échéance, non un point de départ. La première étape de la convergence sociale interviendra dès le mois de janvier 2026 ; c’est désormais clairement inscrit dans le texte, à l’initiative de vos rapporteurs. Mon objectif, que nous partageons, est la prospérité de Mayotte, ce qui implique de donner la priorité au travail et à la valeur travail. Le préalable à l’alignement des allocations de solidarité sera donc celui du smic net.
    Depuis la départementalisation, c’est la première fois que le gouvernement inscrit dans la loi la convergence sociale. C’est un effort inédit, massif, mais c’est un enjeu de justice et d’égalité.
    Sur le plan institutionnel, madame la rapporteure, chère Estelle Youssouffa –⁠ je vous salue à cette occasion, même si vous interviendrez, je le sais, sur d’autres sujets –, le projet de loi consacre le département-région, collectivité unique, avec un mode de scrutin adapté. Le projet de loi organique assure les coordinations nécessaires du point de vue de la légistique.
    En ce qui concerne la réalisation des infrastructures prioritaires et essentielles au développement de l’archipel, ce qui n’était qu’annonces et promesses devient des dispositions législatives.
    S’agissant des infrastructures portuaires, le gouvernement défend, aux côtés du rapporteur Vigier, un amendement qui permettra de donner au port de Longoni le statut de grand port maritime, ainsi que les rapporteurs l’ont souhaité et inscrit dans le rapport annexé.
    S’agissant de l’aéroport, le président de la République a décidé d’implanter une piste longue sur Grande-Terre. Du fait de la suppression des articles 19  bis et 19  ter par la commission des affaires économiques, madame la présidente Trouvé, les travaux ne pourraient commencer qu’à la fin 2028, au plus tôt –⁠ vous l’entendez, le gouvernement émet à ce sujet un avis empreint de modestie. Je souhaite là aussi que ces articles soient réintroduits, grâce à l’adoption des amendements de rétablissement déposés.
    Le projet de loi porte, enfin, un engagement financier sans précédent, à hauteur de près de 4 milliards d’euros sur six ans. Fin des coupures d’eau et des rotations scolaires –⁠ c’est indispensable –, développement de l’intermodalité, gestion durable des déchets, lutte contre l’insécurité et construction d’un nouvel aéroport : ces investissements, parmi d’autres –⁠ on pourrait mentionner la construction du deuxième hôpital –, auront un impact direct sur la vie quotidienne des Mahorais. C’est ce que nous recherchons.
    Vous le voyez, l’État et le gouvernement sont mobilisés pour Mayotte et les Mahorais. L’étape de refondation que nous engageons par ces textes est historique –⁠ sans galvauder les mots. Il nous faut atteindre ces objectifs, pour que nos compatriotes mahorais le constatent très concrètement.
    Une fois encore, je me souviens de ma rencontre marquante, en début d’année à Mtsamboro, avec l’un des élus historiques de Mayotte, qui avait participé aux événements des années 1950 et 1960. Il a prononcé ces mots : « La France, c’est la liberté. »
    L’attachement des Mahorais à la République est à l’image de la beauté de son lagon, de la ferveur de sa jeunesse et de l’éclat de ses traditions : formidable et source de fierté pour la France. Avec ces textes, grâce au travail engagé au Sénat et au sein des commissions de l’Assemblée nationale, grâce aux améliorations que nous lui apporterons –⁠ je n’en doute pas – au cours de cette semaine, il nous revient, plus que jamais, de concrétiser la promesse républicaine. Pour cela, il n’existe qu’une méthode : l’action. (M. le président de la commission des lois, M. Philippe Vigier, rapporteur général, MM. Charles de Courson et Frantz Gumbs, rapporteurs, applaudissent. –⁠ Mme Anne Bergantz applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Charles de Courson, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à laquelle la commission des lois a délégué l’examen de l’article 22 du projet de loi ordinaire.

    M. Charles de Courson, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

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    Nous examinons un texte important : le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Je souhaite, en tant que rapporteur des articles 22 et 22  bis, dire quelques mots sur le dispositif fiscal qu’ils prévoient.
    Tout d’abord, l’article 22 vise à renforcer la zone franche d’activité nouvelle génération (Zfang), en l’adaptant à la situation mahoraise. Il ne s’agit plus d’un simple décalque des Zfang existantes : le dispositif proposé est plus large et plus incitatif. Il inclut, pour une durée de cinq ans, une exonération totale de l’impôt sur les bénéfices pour les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME), une exonération de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et une exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Son périmètre sectoriel est élargi : outre les activités industrielles et commerciales seront désormais éligibles les professions libérales ainsi que les activités agricoles et artisanales, autant d’acteurs qui contribuent à la relance économique et à la reconstruction de Mayotte.
    En commission des finances, trois amendements ont été adoptés à mon initiative. Le premier a inclus explicitement dans le champ de l’article 22 les activités de pêche, essentielles à l’économie locale et trop peu valorisées. Cet amendement d’appel vise à ce que le gouvernement précise que la pêche est bien incluse dans le terme d’« activité agricole ». Le deuxième amendement demande au gouvernement de remettre au Parlement, avant le 1er juin 2029, un rapport d’évaluation de nature à nous éclairer sur l’opportunité d’une éventuelle prolongation du dispositif.
    Le troisième amendement a introduit dans le texte l’article 22  bis, qui prévoit la prorogation, à Mayotte, de l’exonération de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) jusqu’au 31 décembre 2030, pour tenir compte des retards structurels en matière de traitement des déchets et harmoniser les dispositifs fiscaux dans ce département. Le dispositif ayant été mis en œuvre par la loi d’urgence du 24 février 2025, son coût n’a pas encore été précisément mesuré, mais il est vraisemblable qu’il s’élèvera à environ 1 million d’euros par an, soit le montant de la TGAP acquittée en 2021 à Mayotte. Il importe de noter que, la prorogation reportant la fin de l’exonération de 2026 à 2030, le surcoût ne s’appliquera qu’à compter de l’année 2027. L’intégralité de ce coût sera supportée par l’État.
    Ainsi modifiés, les articles 22 et 22  bis constituent un levier utile, équilibré et conforme à l’objectif : permettre aux entreprises mahoraises de se relever, de recréer de l’activité et de participer à l’effort de reconstruction. Le coût de ces mesures, estimé à 24 millions d’euros en année pleine, me paraît maîtrisé compte tenu de l’effet attendu. Le dispositif existant coûtant 6 millions d’euros, le surcoût se limite à 18 millions.
    Mes chers collègues, au-delà de ces deux articles, c’est tout le projet de loi que je vous invite à adopter. Ce texte trace un chemin : celui d’une refondation patiente, exigeante et respectueuse de la singularité mahoraise comme des principes de notre République. (M. le président de la commission des lois, M. Philippe Vigier, rapporteur général, Mme Estelle Youssouffa et M. Frantz Gumbs, rapporteurs, applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Philippe Vigier, rapporteur général de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour le projet de loi ordinaire, et rapporteur pour le titre Ier.

    M. Philippe Vigier, rapporteur général de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

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    C’est avec beaucoup d’humilité et d’engagement que j’évoque ce projet de loi pour Mayotte. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre d’État, ce plus jeune département français, dont la moitié de la population est constituée de jeunes de moins de 18 ans, fait face à un ensemble de défis structurels en matière d’éducation, d’eau, de santé, de justice et d’insécurité. Le cyclone Chido a été un nouveau révélateur de toutes ces faiblesses.
    Le plan Mayotte debout, annoncé par le premier ministre le 30 décembre 2024, devait s’articuler autour de deux textes. Le premier est la loi d’urgence votée en février 2025. Cette loi a marqué une première étape, grâce au formidable travail accompli par le général Facon et ses équipes, qui ont permis de préfigurer l’établissement public que l’on attendait depuis si longtemps et dont j’avais espéré la création quelques mois plus tôt.
    Mais il faut passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, et mener à bien l’ensemble des projets d’investissement tant attendus, souvent annoncés et toujours reportés. Quatre milliards d’euros seront mobilisés d’ici à 2031. C’est un effort considérable.
    Au demeurant, même si les montants des autorisations d’engagement figurent dans le rapport annexé, la représentation nationale devra se montrer vigilante afin que, chaque année, les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale permettent de passer des promesses à la réalité. Les parlementaires et les élus locaux seront associés au comité de suivi –⁠ c’est un élément important à mes yeux. Le travail ne s’arrêtera donc pas la semaine prochaine ; il se poursuivra.
    Le rapport annexé mentionne aussi l’ingénierie nécessaire : pour bâtir, il faut des bras, des hommes et des femmes qui aident à monter les dossiers. En particulier, le schéma d’aménagement régional, qui n’a jamais abouti, verra-t-il enfin le jour ? L’État doit être au rendez-vous.
    Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre d’État, le texte comporte quatre piliers. Philippe Gosselin présentera celui constitué par le titre II, relatif à l’immigration. Plusieurs articles au sein de ce titre ont été supprimés en commission ; il conviendra de les rétablir.
    Le deuxième pilier, essentiel, c’est le recensement. La population de Mayotte fera enfin l’objet d’un recensement exhaustif, avec une mobilisation exceptionnelle des communes. Ce recensement se fera avec les Mahoraises et les Mahorais. Pour les collectivités, ce sont des dotations à la clé.
    Le troisième pilier est la convergence des prestations sociales. Mayotte est un territoire où le montant du smic n’est pas le même que dans l’Hexagone et où les abaissements de charges sociales relèvent du vieux crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), celui des années 2015 à 2017 –⁠ M. Lecoq s’en souvient –, alors que nous sommes en 2025. Il faut avancer en la matière.
    Le quatrième pilier, c’est une évolution institutionnelle. Mayotte est le seul département ultramarin qui n’est pas aussi une région. Cela va changer et un nouveau mode de scrutin sera instauré pour l’élection de son assemblée. Qui dit région dit aussi davantage de compétences et la possibilité de gérer des fonds européens, auxquels Mayotte est éligible.
    La question du foncier –⁠ je regarde mon collègue et ami Frantz Gumbs – est centrale et stratégique. Un message de confiance et de compréhension doit être envoyé : il ne s’agit pas de spolier les Mahoraises et les Mahorais. Cependant, à un moment ou à un autre, nous aurons besoin de terrains pour réaliser des infrastructures, sans quoi tout cela ne sera que promesses et tas de cendres.
    J’espère que nous parviendrons à convaincre les uns et les autres, monsieur le ministre d’État, notamment s’agissant du port de Longoni, dont la délégation de service public se termine. Compte tenu de son positionnement stratégique dans l’océan Indien, Mayotte pourra-t-elle disposer d’un grand port maritime, comme les autres territoires ultramarins ? Je tiens à remercier l’implication de tous les services –⁠ placés sous votre autorité ou sollicités dans un cadre interministériel – qui nous aident à avancer dans cette voie. En ce qui concerne l’aéroport, la solution ne peut pas être d’agrandir la piste existante, comme l’imaginaient certains, alors que le sol s’est affaissé de 12 centimètres et que, de plus, on mettrait en péril des récifs coralliens extraordinaires.
    Les quatre piliers que j’ai évoqués sont très solides. Le texte est un point de départ : il trace le chemin de la confiance et marque un engagement puissant de l’État. Je suis persuadé que, comme en commission des lois –⁠ je le dis devant son président –, au sein de laquelle nous avons eu un débat à la fois politique et technique, nous pourrons nous rassembler autour d’un objectif : nous ne pouvons pas laisser les Mahoraises et les Mahorais dans cette situation.
    Ce territoire, tellement attachant, est celui de tous les défis. Mais Mayotte, c’est la France, et Mayotte a montré, encore récemment, combien elle aimait la France. (Applaudissements sur les bancs des commissions. –⁠ Mme Anne Bergantz applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Estelle Youssouffa, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour les titres V et VI du projet de loi ordinaire et pour le projet de loi organique.

    Mme Estelle Youssouffa, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

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    Il a fallu le drame des cyclones Chido et Dikeledi pour qu’un projet de loi de programmation, réclamé par Mayotte depuis des décennies, soit enfin présenté. Nous voulons que notre calvaire nous permette enfin d’avancer et de sortir par le haut de cette énième crise, qui succède aux grèves, aux pénuries d’eau, aux vagues de violence, à l’opération Wuambushu, au blocage de l’île et aux autres calamités qui ont fait de notre quotidien un enfer sur cette île magnifique.
    Mayotte est un joyau de la République, un archipel unique avec une population au courage immense. Quelles que soient les épreuves, nous restons debout et dignes, mais vigilants et déterminés à prendre toute notre place dans la République, à avancer et à arracher nos droits. Dans ce combat républicain, ce texte marque une étape historique. La République a rendez-vous avec Mayotte et, si ce projet de loi n’est pas parfait, s’il manque, à bien des égards, à répondre aux attentes légitimes de notre île, c’est une occasion à ne pas manquer.
    Je parle non pas de reconstruction, mais de construction de Mayotte. Depuis 1841, depuis que le drapeau tricolore flotte à Dzaoudzi, notre île n’a jamais bénéficié des investissements structurels ni des avancées en matière de droits appliquées au reste du pays. Oui, il est temps de construire enfin Mayotte, qui a soif de sécurité, d’égalité, de prospérité, d’infrastructures et de projets stratégiques. Ce texte offre enfin des perspectives pour flécher les investissements, avancer vers l’alignement des prestations sociales, réaffirmer la souveraineté de notre pays et réformer les institutions pour créer l’assemblée de Mayotte.
    Sur le titre relatif à l’immigration, un consensus s’est formé pour mettre fin, d’ici à 2030, à l’injustice que constitue le titre de séjour territorialisé spécifique à Mayotte. Si je déplore qu’il n’y soit pas mis fin dès 2026, l’adoption en commission de l’amendement supprimant ce titre est un signal fort adressé à Mayotte, que nous réclamions depuis des années. Il y va de la crédibilité de l’État dans sa lutte contre l’immigration clandestine. Il y va aussi de la solidarité nationale face à la déstabilisation de notre département provoquée par cette immigration massive.
    Je déplore la suppression, en commission, de quatre articles portant sur la lutte contre l’immigration clandestine, la sécurité publique et la lutte contre les violences. Mus par une vision hors sol et dogmatique, certains tentent d’entraver l’action de l’État à Mayotte. J’apporterai évidemment mon soutien aux amendements de rétablissement déposés par mon collègue rapporteur Philippe Gosselin.
    Si l’engagement du chantier de la convergence sociale est un bon signe, j’ai fait adopter en commission un amendement au rapport annexé qui prévoit l’alignement du montant du smic sur le niveau national dès 2027. J’espère que nous pourrons conserver cette avancée indispensable. Le chemin vers l’égalité sociale nous semble bien long et les atermoiements de l’État en la matière ne sont pas pour nous rassurer.
    Enfin, je veux vous alerter sur les tentatives du gouvernement de passer en force en matière d’expropriation des Mahorais, avec les articles 19, 19  bis et 19  ter. L’Assemblée nationale avait déjà refusé ces dispositions lors de l’examen du projet de loi d’urgence. J’espère qu’elle tiendra bon et se tiendra de nouveau aux côtés des Mahorais, tous vent debout contre cette tentative de les spolier. Je demanderai encore une fois la suppression de l’article 19 et le maintien de la suppression des articles 19  bis et 19  ter.
    Vous m’avez fait l’honneur de me nommer rapporteure pour le titre relatif au toilettage institutionnel. Il s’agit d’élaborer et d’inscrire dans le droit le nouveau statut de Mayotte : une collectivité d’outre-mer à la fois départementale et régionale, à l’instar de la Guyane et de la Martinique, avec pour dénomination « département-région de Mayotte ».
    Plusieurs amendements importants ont été adoptés lors de l’examen de ce titre en commission des lois. L’un d’entre eux institue un conseil cadial, chargé d’assister la future assemblée de Mayotte sur tous les sujets liés à la médiation sociale et aux traditions mahoraises. Après consultation des cadis à Mayotte, je proposerai des amendements visant à parfaire ces articles et à clarifier le rôle du conseil cadial. Il convient de maintenir la rémunération des cadis, actuellement salariés par le conseil départemental jusqu’à leur retraite. Il s’agit de protéger, de pérenniser et de rationaliser une institution coutumière, fidèle à la République et alliée précieuse de l’État dans la lutte contre la radicalisation religieuse.
    En ce qui concerne la coopération régionale, j’ai entendu les réticences exprimées par le conseil départemental de Mayotte, qui craint que cela n’affecte ses relations avec Madagascar. Pour cette raison, je défendrai un amendement qui exclut de la coopération les pays ayant exprimé des revendications territoriales sur Mayotte. Il me semble invraisemblable d’apporter des financements à un pays qui revendique officiellement Mayotte et nous déstabilise. Le Quai d’Orsay peut faire ce qu’il veut, mais je souhaite que le conseil départemental reste en dehors d’une telle coopération. Je ne doute pas que ceux qui se gargarisent de lutter contre les ingérences étrangères et l’instrumentalisation des flux migratoires soutiendront cet amendement, dans les rangs de cette assemblée comme sur le banc des ministres.
    S’agissant du transfert des compétences aujourd’hui non exercées par la collectivité, je regrette que les règles de la recevabilité financière ne m’aient pas permis de déposer un amendement pour l’organiser à l’horizon 2028.
    Il est décevant que le toilettage institutionnel auquel procède ce texte ne s’accompagne pas d’un calendrier clair et d’une réflexion plus globale sur les dotations versées à la collectivité de Mayotte. Un toilettage sans dotation de rattrapage ni trajectoire financière des transferts de l’État vers la nouvelle assemblée de Mayotte me paraît bien léger et de nature à hypothéquer les ambitions structurantes du département. Compétences et moyens financiers –⁠ le nerf de la guerre – font cruellement défaut à ce toilettage institutionnel qui se concentre sur la modification du mode de scrutin de la future assemblée prévue à l’article 31. Un tel toilettage n’a de sens que s’il nous permet de sortir des baronnies villageoises, de la corruption du troisième tour –⁠ qui voit des élus s’enfermer dans un hôtel pour sortir un président de leur chapeau en échange de valises de billets – et de l’inertie du conseil départemental, incapable de défendre des projets d’envergure devant les électeurs. Alors que Mayotte va enfin pouvoir se construire, nous avons besoin d’une assemblée renouvelée, ambitieuse et agile, autant d’objectifs auxquels doit participer la modification du mode de scrutin.
    Comme vous le savez, les vingt-six conseillers départementaux de Mayotte sont élus, dans les treize cantons, au scrutin binominal majoritaire à deux tours. Depuis au moins dix ans, le conseil départemental souhaite voir changer ce mode de scrutin afin de rapprocher l’assemblée d’une assemblée régionale, avec un scrutin de liste à la représentation proportionnelle, et de doubler le nombre de conseillers. C’est ce à quoi tend l’article 31, par le découpage de la circonscription en cinq sections et par la réduction de la portée de la prime majoritaire, fixée à dix sièges sur cinquante-deux –⁠ environ 20 %. L’enjeu est de respecter les équilibres géographiques et démographiques de l’île, tout comme le pluralisme politique, sans pour autant mettre en danger la stabilité de la future nouvelle assemblée. Les modifications apportées sur ce point par le Sénat ne répondant pas aux obligations constitutionnelles, nous avons choisi de revenir presque intégralement à la rédaction initiale du gouvernement.
    À mon initiative, la commission a adopté une autre modification, qui concerne les modalités de répartition des sièges entre les sections. À Mayotte, seuls 30 % des habitants sont inscrits sur les listes électorales, contre 70 % dans l’Hexagone : c’est un écart très important. S’il reflète naturellement le grand nombre de jeunes dans notre île, il s’explique aussi par la forte proportion de personnes étrangères qui y vivent. J’ai donc proposé qu’à l’avenir, dès lors que cet écart est supérieur à 60 %, la répartition des sièges au sein de cette assemblée ait lieu à la représentation proportionnelle des personnes inscrites sur les listes, et non en fonction de la population totale. S’il s’agit bien d’une dérogation au droit commun, elle peut s’inscrire dans l’article 73 de la Constitution, dont Mayotte dépend. Elle me semble entièrement justifiée par la situation particulière de notre territoire, qui fait l’objet d’ingérences et de revendications territoriales de la part de l’Union des Comores, laquelle instrumentalise à cette fin les flux migratoires massifs. Il me semble capital de préserver les votes des Mahorais de cette influence étrangère.
    Le projet de loi organique –⁠ qui procède à des coordinations avec le projet de loi ordinaire – n’a quant à lui fait l’objet d’aucune modification en commission.
    Je voudrais, pour conclure, vous appeler à faire preuve de responsabilité et à voter ce projet de loi pour Mayotte. Il est imparfait,  mais nous en avons besoin. Donnez-nous le temps d’achever l’examen de ce texte. Alors que plane la menace d’une motion de censure, permettez-moi de vous rappeler que Mayotte ne peut plus attendre ni se payer le luxe d’une nouvelle vacance gouvernementale. Laissez-nous aller au bout, il sera bien temps de censurer après. (M. le rapporteur général et M. Florent Boudié, président de la commission des lois, applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour le titre IV du projet de loi ordinaire.

    Mme Agnès Firmin Le Bodo, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

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    Je vous prie de bien vouloir excuser mon retard : mardi dernier, quand j’ai posé une question au gouvernement sur l’avancement de la ligne Paris-Normandie, je n’imaginais pas qu’elle allait trouver aujourd’hui une aussi bonne illustration –⁠ deux corapporteurs se sont en effet retrouvés coincés dans le train du fait des problèmes que j’ai évoqués ce jour-là.
    Le titre IV de la proposition de loi ordinaire que nous examinons vise à créer de meilleures conditions de vie à Mayotte, au moyen de mesures au service de la santé, de la protection sociale, du sport et de la culture. Il met en œuvre la promesse républicaine d’égalité issue de la départementalisation.
    L’article 15 habilite le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures permettant d’assurer la convergence du niveau des droits et des prestations sociales à Mayotte avec celui en vigueur dans l’Hexagone. Le calendrier précis de cette convergence est fixé dans l’étude d’impact et dans le rapport transmis par le gouvernement en application de la loi d’urgence : l’alignement des prestations sociales et du smic devra être effectif d’ici 2031, celui des cotisations sociales d’ici 2036.
    Dans la limite des contraintes liées à la recevabilité financière, la commission des lois a voulu se donner les moyens d’exercer un suivi attentif du respect de ces différents engagements. Je me félicite ainsi que nous ayons pu inscrire dans le marbre de la loi, à l’article 15  bis, la première étape de la trajectoire de convergence du smic net. Ce dernier atteindra 87,5 % du smic hexagonal dès le 1er janvier 2026. L’article 15 prévoit une information annuelle du Parlement sur ces mesures de convergence, ainsi que l’association de deux parlementaires à l’élaboration des ordonnances.
    Afin de poursuivre l’alignement des droits et d’améliorer l’accès aux soins des Mahorais, je présenterai, avec le gouvernement, un amendement étendant la protection universelle maladie à Mayotte, en remplacement du système actuellement en vigueur. Il s’agit également de faciliter, pour les Mahorais bénéficiaires de l’AAH –⁠ l’allocation aux adultes handicapés – et de l’Aspa –⁠ l’allocation de solidarité aux personnes âgées –, l’accès à la complémentaire santé solidaire.
    Le montant moyen des retraites à Mayotte est d’environ 300 euros mensuels. L’article 16 prévoit l’extension de la retraite complémentaire Ircantec aux contractuels de droit public. La question de la retraite complémentaire des salariés de droit privé –⁠ qui devra faire l’objet d’un accord entre les partenaires sociaux – ne figure pas, en tant que telle, dans le texte ; la commission a toutefois complété l’article 16 afin de lever un point de blocage.
    En outre, l’article 14 prévoit un recensement exhaustif en 2025-2026. Le montant des dotations aux collectivités ainsi que l’offre de services publics pourront ainsi être mieux adaptés, au cours des années à venir, à la population réelle de l’archipel. Le dernier recensement exhaustif date de 2017 ; or la connaissance précise de la population est un préalable à des solutions pérennes de développement économique et social. La commission a adopté un amendement proposant le versement anticipé de la dotation de recensement par l’État, afin que les communes mahoraises n’aient pas à en avancer les fonds.
    Le projet de loi aborde ensuite deux sujets importants en rapport avec l’amélioration de l’offre de soins et l’organisation des soins de ville.
    Les conditions encadrant l’ouverture des pharmacies d’officine ne sont pas les mêmes à Mayotte et dans l’Hexagone. Actuellement, à Mayotte, une licence autorisant l’ouverture d’une pharmacie d’officine est accordée par tranche entière de 7 000 habitants dans les communes de 15 000 habitants et plus. Dans les communes de moins de 15 000 habitants, la tranche entière de 7 000 habitants peut être appréciée au niveau du territoire de santé, Mayotte constituant actuellement un unique territoire de santé. L’article 17 se proposait initialement, comme après son examen par le Sénat, de permettre l’ouverture de pharmacies d’officine dans les communes de moins de 7 000 habitants, pourvu qu’elles soient comprises, selon les chiffres du dernier recensement officiel, dans une intercommunalité de plus de 7 000 habitants. En commission, nous sommes revenus au droit en vigueur et nous avons réintroduit l’échelle du territoire de santé afin que le directeur de l’ARS –⁠ l’agence régionale de santé – puisse, par dérogation, permettre l’ouverture de nouvelles pharmacies après avoir recueilli l’avis simple de l’Ordre national des pharmaciens.
    J’insiste sur le fait que la réglementation sur l’ouverture de nouvelles pharmacies doit s’accompagner d’un changement dans les circuits de distribution des médicaments. En effet, ceux-ci sont encore majoritairement distribués dans les centres médicaux de référence et au centre hospitalier, alors que les personnes affiliées à la sécurité sociale devraient être redirigées vers les pharmacies de ville. Nous avons donc fait adopter un amendement portant article additionnel qui prévoit que l’agence régionale de santé élabore un schéma permettant d’améliorer l’organisation de l’offre de médicaments et les circuits de distribution.
    L’article 18 traite de la question de la représentation des professionnels de santé de Mayotte dans l’union régionale de professionnels de santé de l’océan Indien. Le nombre de professionnels de santé libéraux exerçant à Mayotte est faible. Cependant, maintenir des unions régionales de professionnels de santé (URPS) communes à La Réunion et à Mayotte n’a pas paru souhaitable à nos collègues sénateurs, quand bien même la représentation des professionnels de Mayotte serait améliorée. Ils ont donc proposé la création d’unions régionales des professionnels de santé à Mayotte. À mon initiative, la commission a adopté un amendement créant une union interprofessionnelle des professionnels de santé de Mayotte, afin qu’il n’y ait qu’une seule URPS, qui sera l’interlocuteur de l’ARS et réunira des représentants des dix professions de santé concernées.
    Le texte tend également à créer un fonds de soutien en faveur des communes et des établissements publics de coopération intercommunale de Mayotte ayant vocation à se substituer au fonds de soutien au développement des activités périscolaires.
    Enfin, deux articles visent à améliorer l’attractivité des postes de la fonction publique. Le premier crée une priorité légale de mutation pour les fonctionnaires de l’État ayant accompli au moins trois années de service effectif dans un emploi à Mayotte ; je me réjouis que la commission ait étendu aux fonctionnaires de la fonction publique hospitalière le bénéfice de cette mesure. Le second accorde aux fonctionnaires de l’État et aux fonctionnaires hospitaliers affectés à Mayotte un avantage spécifique d’ancienneté. (M. le rapporteur général et M. le président de la commission des lois applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Frantz Gumbs, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, à laquelle la commission des lois a délégué l’examen des articles 10, 19, 19  bis, 19  ter, 20, 21, 21  bis, 23 et 24 du projet de loi ordinaire.

    M. Frantz Gumbs, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

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    Les Mahorais attendent depuis longtemps –⁠ bien avant les désastres causés par le cyclone Chido – certaines dispositions de ce projet de loi. Car, bien que la promesse d’égalité républicaine soit restée lettre morte, ils n’ont cessé, depuis de longues décennies, de témoigner de leur attachement à la France. Ils expriment aujourd’hui leur défiance vis-à-vis d’un État qui n’a pas su –⁠ ou qui n’a pas voulu – contrôler l’immigration, doter l’île des infrastructures essentielles et engager, pour de bon, le rattrapage économique et social.
    C’est dans ce contexte que je vous présente les neuf articles délégués au fond à la commission des affaires économiques.
    L’article 10 prévoit de faciliter les opérations d’évacuation et de démolition de l’habitat informel à Mayotte. L’équilibre de cet article a été préservé par les travaux en commission. Il prévoit notamment de réduire d’un mois à quinze jours le délai minimum à respecter pour pouvoir procéder à l’évacuation de l’habitat informel et permet de déroger à l’obligation d’annexer une proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence à l’arrêté d’évacuation et de démolition. Il réforme, enfin, les modalités de l’opération de flagrance, dans le but de répondre rapidement à la constatation de l’édification d’habitats informels.
    Afin qu’un droit au recours effectif soit garanti aux personnes concernées par un arrêté d’évacuation et de démolition, je défendrai un amendement visant à rétablir le caractère suspensif du recours en référé-suspension et en référé mesures utiles.
    L’article 19 vise à faciliter la prise de possession anticipée de terrains dans le cadre des expropriations pour cause d’utilité publique. À l’issue des travaux en commission, le champ de l’article a été limité aux seules infrastructures portuaires et aéoroportuaires. Qu’en est-il, cependant, du projet de troisième retenue collinaire, du deuxième centre hospitalier, des installations de production et de distribution d’électricité et des établissements pénitentiaires ? Ne s’agit-il pas là également de projets prioritaires, dont le caractère d’intérêt général est indiscutable et que nous devons aux Mahorais dans les plus brefs délais ? Nous aurons à débattre de cette question sensible ; mais permettez-moi de le dire avec la plus grande clarté, nous ne créons pas un cadre spécifique ad hoc pour Mayotte. Ce que change ce projet de loi, ce n’est pas la procédure de prise de possession anticipée, qui existe déjà, mais les objets auxquels elle s’applique.
    Je regrette que la commission ait supprimé les articles 19  bis et 19  ter, qui poursuivaient l’objectif de faire gagner à la construction d’un nouvel aéroport à Mayotte, sur le site de Bouyouni, deux à trois ans de procédure –⁠ quand il est prévu qu’il ne soit pas opérationnel avant 2036. Je défendrai donc des amendements de rétablissement de ces articles, car je suis convaincu que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre davantage de temps en la matière.
    L’article 20 est un article utile, qui permettra d’accélérer les régularisations foncières en prévoyant la rétroactivité du délai d’usucapion, fixé à dix ans dans les outre-mer, et en repoussant le terme du dispositif des actes notariés renforcés.
    L’article 21 vise à faciliter la construction d’établissements scolaires et d’enseignement supérieur, en permettant le recours aux marchés de conception-réalisation.
    L’article 21  bis A, introduit par la commission, étend la possibilité de réserver jusqu’à 30 % du montant des marchés des travaux de reconstruction aux entreprises de taille intermédiaire ainsi qu’aux grandes entreprises relevant du secteur de l’économie sociale et solidaire dont le siège social était établi à Mayotte avant le passage du cyclone Chido.
    L’article 21  bis exonère de l’obligation de publicité la passation de marchés relatifs à la construction temporaire de bâtiments scolaires et d’enseignement supérieur. S’il me semble que le temporaire peut être un tremplin pour le développement de structures pérennes, l’État devra veiller à ce que ces structures temporaires ne deviennent pas définitives.
    Je proposerai la suppression de l’article 21  ter, qui formule une demande de rapport au gouvernement sans lien direct avec l’objet du projet de loi.
    L’article 23 permet de classer la totalité de l’île en QPV –⁠ quartier prioritaire de la politique de la ville. Si c’est là une nécessité, il convient que les crédits afférents au programme budgétaire Politique de la ville alloués à Mayotte augmentent, sans quoi cette mesure sera inutile.
    L’article 24, enfin, étend les possibilités de délégation des compétences relevant de la chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte. Dans la perspective d’une meilleure structuration des filières pêche et conchyliculture, je proposerai un amendement visant à permettre l’installation, sur l’archipel, d’un comité régional des pêches et des élevages marins. Je forme le vœu que l’équilibre général de ces articles soit préservé à l’issue de nos débats. (M. le rapporteur général applaudit.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

    M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

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    Le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte est très attendu par les élus et la société civile mahoraise. Au-delà des mesures d’urgence adoptées en février dernier, il s’agit de tirer toutes les conséquences du cyclone Chido.
    Ce texte est également très attendu pour faire face aux difficultés structurelles auxquelles le département de Mayotte est confronté depuis longtemps : une pression démographique hors norme, notamment sous l’effet de la pression migratoire ; des fragilités économiques et sociales considérables et profondément enracinées, avec un taux de pauvreté sans équivalent.
    C’est précisément l’objectif du projet de loi proposé par le gouvernement : construire une réponse d’ensemble, affronter toutes les questions, du dossier migratoire à la convergence sociale, en passant par la lutte contre l’habitat informel, les infrastructures de transport ou la gouvernance locale.
    Saisie au fond, la commission des lois a recherché la proportionnalité des actions à engager, entre la prise en compte des caractéristiques du département de Mayotte –⁠ c’est la raison d’être de notre débat – et le respect des principes fondamentaux de notre État de droit.
    Le titre Ier du projet de loi fixe les orientations pluriannuelles de l’action de l’État à Mayotte. Il programme les efforts budgétaires et humains à déployer en matière de sécurité, de justice ou de lutte contre l’habitat informel. La commission des lois a renforcé les dispositions de ce titre, en précisant les modalités de suivi et en prévoyant notamment la création d’un comité regroupant les parties prenantes locales, les parlementaires et les représentants des juridictions financières.
    Le titre II –⁠ sans doute le plus débattu – introduit, une nouvelle fois, des mesures dérogatoires en matière de droit des étrangers et d’urbanisme.
    La commission a validé certaines dispositions, en a supprimé d’autres, et nous débattrons probablement de plusieurs dispositions que nous avons amendées. Estelle Youssouffa, une de nos rapporteures, a défendu une disposition très attendue dans l’archipel, que nous avons adoptée : la fin, programmée en 2030, des titres de séjour territorialisés. Je tiens à saluer la qualité de nos débats, notamment lors de l’examen de cet amendement.
    Sur le titre III, relatif à la convergence économique et sociale, la commission a approuvé la trajectoire proposée : la revalorisation progressive du smic mahorais, l’extension du RSA et des dispositions de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodeom), ainsi que la convergence de la protection maladie. Ces mesures sont attendues. Il faut qu’elles soient lissées dans le temps, mais elles représentent une étape historique.
    Enfin, s’agissant du titre IV, qui aborde la question institutionnelle, la commission a rappelé que toute réforme du statut de Mayotte –⁠ son passage au statut de département-région, collectivité unique – doit être conduite en lien avec les élus locaux. Les conditions mêmes de la gouvernance locale et la capacité de pilotage de l’action territoriale sont, en effet, directement concernées.
    Sur tous les bancs de notre assemblée, me semble-t-il, chacun d’entre nous a conscience de la gravité de la situation à Mayotte. Je souhaite que nous puissions examiner ce projet de loi avec la tonalité qui, je crois, a été celle de la commission des lois : conscience de la gravité de la situation, mais aussi sens des responsabilités.
    Je veux souligner, en particulier, l’investissement de nos rapporteurs au fond et pour avis, qui ont travaillé et continuent de travailler avec cette gravité et ce sens des responsabilités. (M. le rapporteur général et Mme Estelle Youssouffa, rapporteure, applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

    Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques

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    Cinq mois après avoir débattu du projet de loi d’urgence pour Mayotte, notre assemblée est à nouveau saisie d’un texte concernant l’île, durement frappée en décembre par le cyclone Chido.
    Au nom de la commission des affaires économiques, je tiens à renouveler nos pensées fraternelles à tous les habitants de Mayotte qui ont été –⁠ et sont encore – victimes des conséquences de cette catastrophe. J’exprime aussi le vœu que tout soit mis en œuvre pour que Mayotte s’engage enfin vers un avenir meilleur.
    À la demande des membres de son bureau, notre commission s’est saisie des articles relatifs au développement économique de l’île, dans le cadre d’une délégation au fond. Nous nous sommes ainsi prononcés sur les articles 10, 19, 19  bis, 19  ter, 20, 21, 21  bis, 23 et 24. Je remercie notre rapporteur pour avis, M. Frantz Gumbs, pour son travail. Je rappelle également qu’une délégation de la commission s’est rendue sur place en février.
    La commission a notamment supprimé les articles 19  bis et 19  ter portant sur l’agrandissement de l’aéroport, car beaucoup de ses membres ont rappelé que le projet de piste longue sur Grande-Terre, en lieu et place de Petite-Terre, ne faisait localement pas consensus –⁠ loin de là. En outre, les expropriations prévues se feraient au détriment de terres agricoles cruciales pour la souveraineté alimentaire de l’île.
    En revanche, nous avons ajouté deux articles : l’article 21  bis  A, pour que les entreprises de l’économie sociale et solidaire soient pleinement impliquées dans la reconstruction ; l’article 21  ter, pour demander un rapport sur l’adaptation des constructions aux spécificités géographiques, climatiques, sanitaires et géologiques de Mayotte.
    S’agissant de l’article 19, nous avons limité les expropriations aux seules infrastructures portuaires et aéroportuaires, dans un souci de protection des surfaces naturelles et des droits fonciers –⁠ préoccupation exprimée par de nombreux élus mahorais. À l’article 21, nous avons également proposé de favoriser les structures comme les établissements d’accueil de jeunes enfants et les sites de restauration scolaire dans les marchés publics.
    Ce sont là quelques-uns des apports de notre commission. Mais nous avons dû déclarer irrecevables de nombreux amendements pertinents sur le fond, faute de lien avec le texte. Cela souligne, à mes yeux, la petitesse de ce projet de loi quant au développement économique de l’île.

    M. Manuel Valls, ministre d’État

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    Oh !

    Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques

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    Beaucoup d’entre nous auraient souhaité aborder réellement les questions relatives à ce développement économique. Quelle agriculture pour assurer la souveraineté alimentaire de Mayotte ? Quelle industrie locale ? Quelle formation professionnelle adaptée aux besoins ? Comment contrôler les prix des produits de première nécessité alors que le décret de décembre est caduc ? Enfin, comment répondre à la dépendance de l’île aux énergies fossiles, sachant qu’elle dispose d’un potentiel remarquable en matière d’énergies renouvelables ?
    Au cours de notre déplacement, tous les représentants associatifs, économiques, syndicaux nous ont dit qu’il ne fallait pas seulement reconstruire Mayotte, mais la construire, car la République a failli sur l’île bien avant le cyclone. Le niveau de vie médian y est sept fois inférieur à celui de l’Hexagone ; 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national ; et, en fin de saison sèche, l’accès à l’eau est encore limité à quelques heures par jour.
    Je ne peux croire que l’immigration illégale soit la source unique de tous les maux. Je m’interroge sur un droit dérogatoire et permanent qui semble consacrer une République à deux vitesses, où les droits fondamentaux ne sont pas garantis de la même façon à Mayotte et dans le reste de la République.
    Les Mahorais ne veulent pas d’une France au rabais. La fraternité et l’égalité proclamées par notre devise républicaine doivent s’appliquer à Mayotte comme sur l’ensemble du territoire.
    Face à la détresse de la population mahoraise, renonçons à mobiliser les ferments de la division résultant de débats inutilement polémiques. Monsieur le ministre, j’espère que le gouvernement restera pleinement mobilisé après l’adoption de ce texte. En effet, nos collègues mahorais n’ont pas manqué de souligner que c’est loin d’être le cas pour la loi votée en début d’année –⁠ les travaux ont pris beaucoup de retard, en dépit de leur urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

    Suspension et reprise de la séance

    Mme la présidente

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)

    Mme la présidente

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    La séance est reprise.
    La parole est à M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour les titres II et III du projet de loi ordinaire.

    M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

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    Je vous prie tout d’abord d’excuser mon retard, dû hélas à un fatal accident de personne sur le réseau ferroviaire.
    Nous voici dans la dernière ligne droite de l’examen d’un texte que nous abordons en première lecture, mais qui est déjà passé par le Sénat. Il est très attendu. Il s’agit en quelque sorte du second étage de la fusée qu’il nous a fallu lancer après Chido –⁠ non que le cyclone soit la cause de tous les malheurs de Mayotte, mais il a été un révélateur et le catalyseur de faiblesses, connues du reste depuis beaucoup trop longtemps. Il n’était que justice qu’on puisse s’y attaquer enfin.
    Au mois de janvier, nous avions examiné un texte consacré à la reconstruction matérielle de bâtiments et d’équipements publics ; puis nous avons posé quelques jalons complémentaires, avec la proposition de loi dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur pour la Droite républicaine sur l’encadrement de l’accès à la nationalité à Mayotte. Nous voici parvenus aujourd’hui, avec cet acte II, à l’étape de la refondation de l’archipel de Mayotte.
    Refondation car, au-delà de la restauration des équipements collectifs, il s’agit d’assurer le développement économique du territoire, mais aussi de veiller à une meilleure maîtrise de l’immigration. Là encore, si l’immigration n’est pas la cause de tous les maux, elle en est pour une grande partie responsable : sur une population d’environ 320 000 habitants, plus probablement 400 000 –⁠ ce chiffrage, sujet à débat, nécessite, conformément à un engagement du gouvernement et de l’Insee, que nous ayons dans les mois qui viennent des chiffres fiables et non discutables –, la moitié environ serait constituée d’étrangers, pour une immense majorité en situation irrégulière. C’est évidemment un problème : non seulement cela provoque l’embolie de l’ensemble des services publics, par exemple la santé et l’éducation, mais cela alimente l’habitat insalubre et les phénomènes qui nourrissent l’insécurité.
    Il faut donc, avant toute chose, lutter contre cette immigration illégale, être clairs, nets, et convaincre de l’absolue volonté des pouvoirs publics en la matière.
    Ces projets de loi nous proposent de refonder Mayotte ; ils constituent –⁠ je le disais – un second acte très attendu, après la départementalisation de 2011.
    Cela va nécessiter des moyens, aujourd’hui chiffrés à 4 milliards d’euros mais qui sont susceptibles d’être revus à la hausse car Mayotte a besoin d’un second hôpital, Mayotte a besoin d’un port en eau profonde, Mayotte a besoin d’une piste longue pour son aéroport, afin de pouvoir être ralliée directement par les gros porteurs longs courriers –⁠ la question ne date pas d’hier. J’ai aussi proposé, au nombre de ces engagements importants, que Mayotte soit dotée d’une base militaire digne de ce nom.
    Nous proposons également un régime de convergence sociale, progressif mais beaucoup plus rapide que ce qui avait été initialement prévu –⁠ c’est un signal que nous tenons à envoyer.
    Il y a enfin les mesures sécuritaires et liées à l’immigration, qui composent les titres II et III du projet de loi ordinaire et ont tout particulièrement focalisé mon attention.
    Nous avons, avec tout ceci, les pièces d’un puzzle qui composent les différentes facettes d’un ensemble cohérent. C’est au nom de cette cohérence qu’il nous faudra revenir sur la suppression, malheureusement votée par la commission, de l’article 7, concernant les mineurs, et des articles 8, 9 et 11, le dernier étant relatif aux visites domiciliaires et à la possibilité de traverser un banga pour accéder à un local professionnel.
    Cet ensemble cohérent, il ne faut pas le dénaturer. La République a bien rendez-vous avec Mayotte, et Mayotte est plus que jamais dans la République. (M. Eric Liégeon applaudit.)

    Mme la présidente

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    Avant d’en venir à la discussion générale commune, je vous informe qu’en application de l’article 95, alinéa 5, du règlement, le gouvernement demande la réserve de l’examen du titre Ier du projet de loi ordinaire.

    Discussion générale commune

    Mme la présidente

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    Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme Anchya Bamana.

    Mme Anchya Bamana

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    Depuis sa départementalisation en 2011, Mayotte n’a cessé d’être le théâtre de promesses non tenues. Sept plans depuis 2013 avec, à chaque étape, des engagements sur tous les sujets mais, dans les faits, des promesses jamais tenues. Ce que les Mahorais vivent, c’est une spirale de discours sans résultats.
    Ce matin même, je suis arrivée de Mayotte. Six mois après Chido, l’exaspération est palpable. L’appel solennel des forces vives et économiques de Mayotte au président de la République illustre cette lassitude profonde et le sentiment d’abandon.
    Et pourtant, un nouveau texte est présenté : le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, qui n’a de « loi de programmation » que le nom. Il est précipité, mal concerté, déconnecté du terrain.
    Sur la forme, le gouvernement prétend associer les élus et les forces vives, mais agit de façon cavalière. Cette méthode alimente la défiance. La rapidité invoquée ne peut justifier une improvisation aussi lourde de conséquences. Si la loi reste en l’état, elle risque d’aggraver encore les fractures sociales, économiques et politiques du territoire.
    Sur le fond, comment faire confiance à des promesses budgétaires floues quand tant d’engagements précédents n’ont jamais été honorés ? Ce texte ne présente ni calendrier précis ni ventilation claire des financements. Les 3,9 milliards d’euros annoncés sur six ans ne sont assortis d’aucune garantie d’exécution.
    Or cinq urgences doivent guider l’action publique à Mayotte.
    Il faut, premièrement, stopper l’immigration illégale. La pression migratoire est le premier frein à tout développement durable. Depuis 2016, les discours sur le renforcement des capacités de surveillance se répètent, sans résultats. Le « rideau de fer » annoncé en 2025 par le président Macron, sous le nom local d’ Uhura Wa Shaba, n’est qu’un rideau de fumée ! Ce qu’il faut, c’est cesser de soutenir la dictature comorienne et déployer à Mayotte, comme dans d’autres départements et régions d’outre-mer (Drom), un patrouilleur de la marine nationale. De manière urgente, enfin, le camp insalubre de Tsoundzou, où plus de 500 migrants vivent dans des conditions indignes, doit être démantelé.
    Deuxièmement, on doit assurer la sécurité des Mahorais. Attaques à la machette, routes bloquées, bus scolaires pris pour cible : nous ne parlons plus de simple banditisme mais de terrorisme ! Il est temps de faire évoluer la législation pour identifier, poursuivre et condamner les auteurs de ces faits.
    Troisièmement, il est nécessaire de garantir à tous un accès quotidien à l’eau potable. Depuis 2023, trois préfets « eau » ont été nommés, sans résultat. Les coupures d’eau demeurent la seule réponse de l’État. Pourtant, des solutions ont été proposées, comme le dessalement d’eau de mer en pleine mer, mais le gouvernement estime que les Mahorais ne sont pas suffisamment français pour mériter d’accéder à cette ressource vitale.
    Quatrièmement, il importe de régulariser le foncier –⁠ je rappelle que l’un des préalables à la départementalisation était la clarification du foncier. Il est urgent de doter Mayotte de moyens suffisants pour permettre aux Mahorais de devenir pleinement propriétaires de leurs terres, et l’archipel doit passer du droit coutumier au système cadastral. L’article 19, qui introduit une dérogation au droit commun en matière d’expropriation, est inacceptable : il doit être supprimé.
    Il faut, cinquièmement, assurer l’égalité sociale. En 2015, le plan Mayotte 2025 promettait l’égalité sociale pour cette année ; le gouvernement la repousse désormais à 2031. C’est insupportable ! Les Mahorais paient les mêmes impôts que les autres Français ; ils exigent à juste titre un alignement des droits sociaux dès 2027.
    Ce prétendu projet de loi de programmation est creux ; il n’est pas à la hauteur des enjeux. Il oublie complètement le bloc communal et, en matière institutionnelle, reste silencieux sur la répartition des compétences et l’accompagnement financier. Aucun bilan n’a été tiré des quatorze années de départementalisation, ce qui aurait pourtant été essentiel pour guider les choix futurs.
    Transférer sans outiller, c’est abandonner. Responsabiliser sans moyens, c’est abandonner. C’est ce que vivent les Mahorais depuis 2011. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Brigitte Liso.

    Mme Brigitte Liso

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    En décembre 2024, la France, Mayotte étaient confrontées à un drame d’une violence extrême. Le cyclone tropical Chido a en effet eu des conséquences humaines désastreuses : des milliers de morts, des bidonvilles rasés, une véritable catastrophe écologique –⁠ une catastrophe qui a bouleversé des milliers de vies, détruit des infrastructures essentielles.
    La loi du 24 février 2025 a répondu à l’urgence –⁠ l’urgence absolue.
    Le texte que nous nous apprêtons à examiner revêt une importance capitale pour le territoire français de Mayotte. Il est à la fois juste, socialement ambitieux et profondément protecteur à l’égard de nos concitoyens mahorais.
    L’urgence conjoncturelle ne saurait toutefois occulter la nécessité d’une réponse structurelle. Mayotte a besoin d’une refondation réelle, d’un redressement économique et social, d’investissements durables, donc d’un engagement fort de la nation.
    Peut-être parce qu’elle est le département le plus jeune de France, et sûrement parce qu’elle constitue l’un de nos territoires les plus fragilisés, Mayotte mérite toute notre attention, toute notre mobilisation et tout notre soutien.
    L’examen du texte en commission des lois nous a permis de nous accorder sur une base commune. Face à l’insécurité persistante, à la précarité et à la détresse quotidienne, nous, politiques, devons apporter une solution républicaine à la hauteur.
    Ce projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte intervient concrètement dans des domaines non négligeables. La justice sociale, avec la convergence des prestations sociales ou encore la hausse du smic dès le 1er janvier 2026. L’accès aux soins, avec la révision des critères d’implantation des pharmacies pour mieux répondre à l’évolution démographique du territoire. L’aménagement du territoire, avec une adaptation du cadre des marchés publics pour simplifier les procédures d’autorisation en matière de construction scolaire. Le soutien à l’attractivité du département, enfin, grâce à la création d’une priorité de mutation pour les fonctionnaires de l’État affectés à Mayotte, élargie aux fonctionnaires hospitaliers.
    À ces enjeux de développement économique et social s’ajoutent des mesures relatives à la lutte contre l’immigration illégale et au renforcement de la sécurité. C’est pourquoi nous ne pouvons que regretter la suppression de certaines de ces avancées par la commission des lois.
    En effet, deux d’entre elles sont essentielles et les députés du groupe Ensemble pour la République soutiendront par conséquent leur rétablissement.
    Il s’agit en premier lieu du retrait du titre de séjour des parents des enfants constituant une menace pour l’ordre public, qui faisait l’objet de l’article 8. C’est une disposition nécessaire : entre 2019 et 2024, le poids des mineurs étrangers condamnés à Mayotte dans l’ensemble des mineurs condamnés a augmenté de 110 % pendant qu’il baissait de 12 % pour l’ensemble du territoire national.
    En second lieu, l’obligation pour les établissements de paiement de vérifier la régularité du séjour de tout client non ressortissant de l’Union européenne –⁠ qui était inscrite à l’article 9 – est indispensable pour freiner les flux financiers illicites et lutter ainsi efficacement contre le blanchiment d’argent et le trafic de stupéfiants.
    Six mois se sont écoulés depuis le passage du cyclone Chido, et la population mahoraise demeure confrontée au quotidien aux séquelles profondes de cette catastrophe.
    Il est temps que les engagements solennels qui ont été pris se traduisent en mesures concrètes, visibles et efficaces. Le groupe Ensemble pour la République votera donc en faveur de ce texte.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.

    M. Jean-Hugues Ratenon

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    Ce projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte est encore timide au vu des enjeux. La situation de l’île est en effet très grave.
    Les Mahorais, et plus généralement les Français de l’océan Indien, souhaitent que l’on parle des problèmes quotidiens, non en littérature, comme c’est le cas depuis des décennies, mais en actes concrets –⁠ autrement dit, il faut agir maintenant. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
    Mais voilà que revient toujours et encore cette obsession de l’immigration, décrite comme une source de déstabilisation majeure. Est-ce vraiment ce facteur qui empêche le développement de Mayotte ? Je ne le pense pas.
    Mayotte est française depuis 1841. Elle l’a réaffirmé à l’occasion du référendum d’autodétermination de 1974 et n’est devenue un département français qu’en 2011.
    Pendant tout ce temps, ce fut une île abandonnée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Cette « source de déstabilisation majeure » est-elle la raison de cet abandon ?
    Le déficit des politiques de santé, l’absence d’application de l’aide médicale de l’État (AME) : la faute à l’immigration ? Le niveau inférieur du smic et des minima sociaux : encore l’immigration ? Le manque de construction de logements : là aussi, la faute à l’immigration ? Les promesses non tenues, le déficit de postes de fonctionnaires : toujours l’immigration ? Le manque d’eau potable, de planification écologique, le coût de la vie deux fois plus élevé qu’en métropole : encore l’immigration ?
    Le président Macron qui nous vole la victoire aux dernières élections législatives : là, c’est sûr, c’est à cause de l’immigration à Mayotte ? Non : la source de déstabilisation majeure, comme vous dites, c’est votre politique et rien d’autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
    La preuve, Mayotte est toujours abandonnée. Le texte ne promet la fin de la rotation scolaire qu’en 2031, alors qu’il manque plus de 1 000 classes et que selon la Défenseure des droits, plus de 15 000 enfants n’ont pas accès à une scolarité classique.

    M. Philippe Vigier, rapporteur

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    Ce n’est pas vrai, c’est 7 500.

    M. Jean-Hugues Ratenon

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    Il ne prévoit l’égalité du smic qu’à partir de 2031, alors que rien n’empêche son application dès 2026. Concernant les minima sociaux, il faudra attendre encore six ans, alors que la moitié des gens vivent dans la grande pauvreté. Pourquoi ce long délai quand tant de familles meurent de faim ? Est-ce un choix calculé pour continuer à encourager le désordre dans l’océan Indien ?
    Les Français de l’Hexagone qui partent travailler à Mayotte perçoivent des primes et une indexation de leurs revenus qui peut aller jusqu’à 40 % afin de faire face à la vie chère. C’est juste, mais pourquoi les smicards et les allocataires des minima sociaux de Mayotte doivent-ils, eux, attendre non pas une indexation, mais seulement l’égalité ?
    Enfin, pour « développer une solution de restauration durable et de qualité accessible à chaque élève », c’est-à-dire pour leur permettre de bien manger, dans un département français, il faudra attendre encore longtemps.
    Les débats en commission ont tout de même permis quelques avancées : la création d’un observatoire sismo-volcanique, un plan de rénovation et de redimensionnement des infrastructures de distribution d’eau potable, la réaffirmation de la priorité que constitue la construction du second hôpital, la revalorisation des retraites, le transfert des compétences départementales et régionales et la priorité donnée à l’orientation des jeunes.
    D’ailleurs, rappelons que 60 % de la population de Mayotte a moins de 25 ans et que l’âge moyen y est de 23 ans contre 41 ans en France hexagonale. Pourtant, les jeunes sont quelque peu oubliés dans ce projet de loi.
    En ce qui concerne la liberté de circulation, la fin du titre de séjour territorialisé constitue toutefois une mesure de justice en faveur des jeunes en situation régulière, car ce titre empêchait nombre d’entre eux de poursuivre leurs études.
    Plus globalement, elle ne freinera pas les flux migratoires, mais permettra de donner plus d’oxygène à Mayotte et aux personnes en situation régulière.
    Pour autant, l’Hexagone devra pleinement respecter son devoir de solidarité nationale et non privilégier celle du territoire le plus proche, La Réunion, déjà en grande difficulté du fait de l’abandon par l’État français des territoires dits d’outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

    Mme Estelle Youssouffa, rapporteure

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    Ah ! les autres oui, mais vous non.

    M. Jean-Hugues Ratenon

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    Je souhaite que les débats à venir dans notre hémicycle permettent d’améliorer ce texte, afin de le rapprocher d’un vrai programme de refondation et de sortir enfin du mépris. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe SOC.)

    Mme Marie Mesmeur

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    Bravo !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Philippe Naillet.

    M. Philippe Naillet

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    La catastrophe Chido, dont les stigmates sont toujours présents à Mayotte, a mis en exergue le sous-développement du dernier-né des départements français, mais aussi révélé les manquements et renoncements des gouvernements successifs.
    Ce texte de programmation pour la refondation de Mayotte est un chemin nécessaire. Il ne règle pas tout, mais pose un cadre à partir duquel on pourra s’attaquer à la construction de Mayotte. Il doit répondre au sous-développement des infrastructures économiques et des services publics. S’engager sur 4 milliards d’euros est un effort appréciable, mais ces crédits ne sont pas nouveaux et tout dépendra de leur exécution réelle.
    Monsieur le ministre d’État, il ne faudrait pas que ce projet de loi vienne s’ajouter à la longue liste des plans et des promesses sans lendemain. Il y a va de la crédibilité de la parole publique : je l’ai rappelé dès l’ouverture de nos débats en commission, nos concitoyens mahorais sont épuisés par l’annonce de plans successifs qui s’accumulent depuis près de vingt ans.
    Si personne ne peut sous-estimer la question de l’immigration irrégulière, force est de constater que les opérations coup de poing sans suivi ou les durcissements inédits de notre droit –⁠ comme la loi de 2018 venue restreindre encore les critères d’accès à la nationalité – servent davantage la communication de ministres en recherche de lumière qu’ils ne permettent une lutte efficace contre l’immigration illégale, qui pose de nombreux défis.
    Alors que Mayotte fait face à une crise profonde en matière d’éducation, de santé, de logement et d’emploi, le projet de loi demeure trop souvent incantatoire, sans garanties opérationnelles ni programmation financière à la hauteur des besoins.
    L’absence de scolarisation du fait de l’insuffisance de l’offre scolaire –⁠ 3 000 à 5 000 enfants ne seraient pas scolarisés à Mayotte – doit être résolue par la construction de plus d’écoles, mais aussi en réglant prioritairement les difficultés de recrutement du personnel. L’école est une institution sociale qui doit assurer l’égalité des chances et l’intégration des individus.
    La question du logement est cardinale. Comment se projeter dans l’avenir sans un toit au-dessus de sa tête, sans un logement décent ? Le logement n’est pas qu’une question matérielle : c’est aussi, et peut-être surtout, une question de dignité pour les familles mahoraises.
    Le texte arrivé du Sénat était imparfait, et nos travaux en commission ont permis quelques inflexions utiles, mais ce projet de loi demeure encore largement en deçà des besoins.
    Trop peu de mesures contraignantes ou dotées de moyens budgétaires ont été introduites en commission, et certaines dimensions majeures du développement –⁠ logement, services publics et sécurité – restent peu détaillées, renvoyées à des programmations ultérieures ou à l’appréciation de l’exécutif.
    En commission des lois, nous avons réussi à supprimer les articles 7 et 8, qui prévoyaient respectivement la possibilité de placement en rétention de mineurs accompagnant un adulte et le retrait du titre de séjour à un parent en raison du comportement d’un enfant. Ces dispositions suscitent des préoccupations juridiques sérieuses : si la sécurité des populations est un impératif, elle ne peut être atteinte en bafouant les droits les plus fondamentaux, notamment ceux de l’enfant.
    La ligne des députés socialistes est claire : oui à des mesures d’adaptation utiles pour identifier les responsables de flux financiers ou pour assurer le contrôle des armes ; non à des mesures dérogatoires du droit commun inefficaces, qui répondent à une vision sécuritaire idéologique et n’apporteraient aucun résultat concret sur le terrain.
    Les Mahorais ne demandent pas un traitement de faveur, mais un véritable alignement économique et social en vertu de l’égalité républicaine. À cet égard, nous avons progressé sur le calendrier de la mise à niveau du smic, mais l’ensemble des prestations sociales doit suivre. Il faut aller plus loin et plus vite sur les minima sociaux traités dans le rapport annexé.
    Il faut aider le tissu économique, fragile, à se structurer et à se développer alors que le cyclone Chido a mis à mal l’activité de nombreuses structures de taille souvent modeste. Les exonérations d’impôts sont utiles, mais encore faut-il que les entreprises puissent dégager un résultat positif.
    Sans sombrer dans un angélisme naïf concernant les objectifs de l’État comorien, il sera néanmoins difficile de concevoir un meilleur avenir pour Mayotte sans une coopération régionale exigeante avec les îles voisines, qui font partie des pays les plus pauvres du monde.
    Les députés du groupe Socialistes et apparentés abordent cette discussion dans un esprit de responsabilité. Ce texte n’a de sens que s’il change le quotidien des Mahorais en faisant d’eux les acteurs principaux de la construction du territoire. La refondation de Mayotte ne se fera pas en se plaçant au-dessus des Mahorais, mais en associant pleinement ses élus et sa population. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Olivier Marleix.

    M. Olivier Marleix

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    Ma famille politique, la famille gaulliste, a toujours répondu présent pour défendre les outre-mer et les ultramarins, c’est-à-dire une France en grand, diverse et voisine du monde grâce à notre présence humaine et territoriale dans les océans Indien, Pacifique et Atlantique. C’est le cas pour Mayotte, dont nous avons soutenu le maintien dans la France au cours des années 1970, puis le développement dans les années 1980, et enfin la départementalisation il y a une dizaine d’années. Mais que s’est-il passé depuis ? L’heure est venue de fixer clairement un cap pour le développement économique, l’intégration régionale et l’égalité sociale des Mahorais et pour leur assurer sécurité, solidarité et justice.
    Le groupe Droite républicaine soutiendra donc ce texte nécessaire pour accélérer la reconstruction et parachever la départementalisation de Mayotte. Il avait d’ailleurs mis au débat en 2019 une proposition de loi de programmation élaborée par Mansour Kamardine. Nous constatons avec satisfaction que cet engagement n’a pas été vain,  puisqu’un consensus se dégage désormais sur la nécessité de doter Mayotte des services de base à la population.

    M. Philippe Gosselin, rapporteur

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    Enfin !

    M. Olivier Marleix

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    Nous devons ainsi assurer l’accès à l’eau, vital, dont les Mahorais sont actuellement privés trois jours et demi par semaine, construire des infrastructures de développement durables, comme une piste longue à l’aéroport, et des moyens matériels, humains et juridiques pour maîtriser l’immigration et ses conséquences en termes d’ordre public et de sécurité.
    Chers collègues, ne nous racontons pas d’histoires : un sujet central conditionne tout le reste, celui de l’immigration hors de contrôle, véritable nœud gordien qu’il convient de trancher avec résolution, non pour des raisons idéologiques mais parce que sans une rupture quant au contrôle de l’immigration, toutes les politiques publiques, qu’elles soient sociales, sanitaires, éducatives, environnementales ou sécuritaires, sont vouées à l’échec. Sans rupture en matière migratoire, Mayotte continuera de s’enfoncer. Quel territoire pourrait se développer en comptant autant d’étrangers –⁠ clandestins de surcroît – que de nationaux ?
    Ainsi, le maire de Mamoudzou m’expliquait la semaine dernière devoir ouvrir une salle de classe par jour pour répondre aux besoins des migrants clandestins –⁠ défi impossible à relever ! Les centres de santé sont totalement débordés malgré l’admirable mobilisation des médecins et des soignants. Parmi les habitations, 30 % sont situées dans des zones à fort risque naturel, 30 % n’ont pas d’accès à l’eau, 40 % sont construites en tôle et plus de 50 % sont considérés comme insalubres. Tout cela est indigne de la République française. Enfin, la violence est partout dans une île qui est transformée au point de ressembler à une prison sud-américaine à ciel ouvert pour les Mahorais. Cette situation ne peut que faire honte aux représentants de la nation que nous sommes.
    La première condition est donc une rupture fondamentale en matière de contrôle de l’immigration. À quand ce « rideau de fer » maritime, monsieur le ministre d’État, avec la mobilisation de la marine nationale et des moyens innovants comme des radars modernes prépositionnés ou des balises sonores ? Tout cela est annoncé depuis trois ans sans avoir vu le jour. Nous saluons certaines des améliorations apportées en commission, notamment la fin programmée du titre de séjour territorialisé et la construction d’une base de la marine, obtenues grâce à la détermination du rapporteur Philippe Gosselin, ou l’accélération de l’alignement du smic défendu par l’ensemble des rapporteurs coordonnés par Philippe Vigier.
    Les débats en séance publique seront l’occasion de poursuivre l’amélioration du projet de loi, en particulier pour favoriser la réalisation de grandes infrastructures d’intérêt général. Je pense en particulier à l’accès du port de Longoni, véritable poumon économique de l’île de Mayotte, au statut de grand port maritime.
    Ce projet de loi reprend en fait toutes les promesses non tenues depuis 2011. Ainsi, l’alignement du smic était annoncé pour le 1er janvier 2015, il y a dix ans. La piste longue à l’aéroport était bloquée depuis 2012.

    Mme Estelle Youssouffa, rapporteure

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    Depuis Chirac !

    M. Olivier Marleix

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    La maîtrise des espaces maritimes était promise depuis 2018. L’abrogation du titre de séjour territorialisé était annoncée, ainsi que le second hôpital, la seconde prison, l’accès à l’eau avec la troisième retenue collinaire attendue depuis quinze ans, ou l’université.
    Il demeure un angle mort dans ce texte, du fait de la pusillanimité diplomatique dont l’État fait preuve à l’égard des Comores. Le mépris total des autorités comoriennes à l’égard du choix historique des Mahorais mériterait que le Quai d’Orsay se mobilise et nous démontre qu’il lui reste quelque talent pour défendre l’intégrité territoriale de la France auprès de la communauté internationale (Mme Estelle Youssouffa, rapporteure, applaudit), notamment auprès des pays membres de l’Union africaine. La défense des intérêts des citoyens français doit rester un des piliers de son action. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. –⁠ Mme Estelle Youssouffa, rapporteure, applaudit également.)

    M. Philippe Gosselin, rapporteur

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    Très bien !

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dominique Voynet.

    Mme Dominique Voynet

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    Nous voilà à nouveau réunis pour examiner, six mois après le désastre Chido, un troisième texte sur Mayotte alors que rares sont les dispositions du premier texte, dit d’urgence, à avoir connu un début d’application.

    M. Manuel Valls, ministre d’État

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    Ce n’est pas vrai !

    Mme Dominique Voynet

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    Le cyclone a mis en lumière le préoccupant retard de développement de Mayotte et son mal développement : inégalités révoltantes, banalisation de la violence, économie de comptoir, embouteillages monstrueux, pression excessive sur l’environnement terrestre et lagonaire, entretenu par l’inaction criante de la presque totalité des gouvernements depuis la départementalisation de 2011. Lors des débats en commission, monsieur le ministre, vous avez affirmé qu’il n’était pas question de critiquer cette départementalisation. Pour ma part, j’entends bien en pointer les impasses et les limites, comme le font la quasi-totalité des hauts fonctionnaires en poste à Mayotte et –⁠ avec prudence – quelques élus mahorais.
    Jamais Mayotte n’aura suscité autant d’attention de la part du monde politique. Mais le projet de loi que nous allons examiner, s’il entérine des investissements maintes fois promis, ce qui est bienvenu, est loin de tenir sa promesse. De « refondation » de la relation à la République, du pacte social qui lie les habitants de Mayotte, des voies d’un développement endogène riche en emplois, appuyé sur les ressources de l’archipel, du projet pour la jeunesse, il n’est guère question ici, de sorte que le terme de « reconstruction » serait plus juste.
    Étudiés en procédure accélérée, les textes qui nous sont soumis transpirent une obsession : l’immigration. Des raccourcis douteux ont été faits, des termes pénibles prononcés, y compris par vous, monsieur le ministre, qui avez parlé de « gangrène ». L’immigration serait donc responsable de tous les maux, de tous les désordres, de tous les retards d’équipement de Mayotte ? Elle n’est pourtant responsable ni de la faiblesse intrinsèque de l’économie mahoraise, qui est loin de fournir des emplois aux jeunes qui sortent de formation, ni du retard de convergence sociale, ni du désordre foncier, ni des retards apportés à la concrétisation des travaux du deuxième hôpital, de la troisième retenue collinaire ou du Caribus, dont on parle depuis vingt ans.
    Il faut ici rappeler l’étroitesse des liens qui persistent entre Mayotte et les Comores.

    Mme Estelle Youssouffa, rapporteure

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    Mais ce n’est pas vrai !

    Mme Dominique Voynet

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    Bien des Mahorais ont la double nationalité, ont des parents aux Comores, où ils vont en vacances, où ils construisent une maison, où ils vont parfois recréer un foyer. Les immigrés comoriens et malgaches sont, pour la moitié d’entre eux au moins, en situation régulière, parfois depuis des années. Ils travaillent, à l’hôpital, sur les routes, dans les champs. Leurs enfants font des études, jusqu’au bac avec mention très bien pour plusieurs dizaines d’entre eux chaque année.
    Loin de moi la tentation démagogique de nier les lourdes difficultés auxquelles fait face Mayotte, confrontée à un solde migratoire positif et à un taux de natalité élevé. Alors que près de 100 000 étrangers en situation régulière sont trappés dans l’archipel, la suppression du visa territorialisé votée en commission constitue une avancée à ne pas négliger pour des jeunes, souvent nés à Mayotte, qui aspirent à poursuivre des études ou à endosser des responsabilités professionnelles.
    Il faut le redire : on ne vient pas à Mayotte avec l’unique objectif d’obtenir, à l’usure, un titre de séjour ou un passeport français mais, au péril de sa vie, pour travailler, manger, envoyer les enfants à l’école, bref, avec l’espoir d’une vie un peu meilleure. Le projet de loi ordinaire ne consacre pas moins de quinze articles à la remise en cause des droits des étrangers et à la construction d’un rideau de fer dont l’efficacité ne sera que relative, au prix de nombreuses vies. Je fais miens les propos de la Défenseure des droits, qui dénonce avec force cette stratégie.
    On le pressent, le gouvernement teste à Mayotte des mesures que certains rêvent d’étendre à l’ensemble du territoire français, qu’il s’agisse de redonner tout pouvoir aux préfets, de revenir sur le droit du sol ou de durcir les conditions d’accès au séjour en France.
    Nous serons amenés –⁠ c’est très attendu – à accélérer la convergence progressive avec l’Hexagone de la presque totalité des droits sociaux et économiques –⁠ presque, car de l’aide médicale de l’État, il n’est toujours pas question. La mission d’information sénatoriale relative à l’accès aux soins à Mayotte de 2022, le précédent Défenseur des droits, Jacques Toubon, et plus récemment Santé publique France sont pourtant unanimes sur la nécessité d’étendre ce dispositif à Mayotte.
    Il y a quelques semaines, nous avions l’occasion de le faire grâce à un texte examiné dans le cadre de la niche du groupe LIOT. À l’issue d’une négociation opaque et en échange de garanties orales qui n’engagent en fait personne, la rapporteure, qui nous a habitués à plus de ténacité et d’obstination, a retiré son texte. Je le regrette.
    Au motif de remédier aux retards apportés à la maîtrise foncière de terrains indispensables à la conduite de projets d’intérêt général, le gouvernement entend élargir le régime de prise de possession anticipée à de nombreuses infrastructures. L’examen en commission a limité cet élargissement aux seules installations portuaires et aéroportuaires. Une telle mesure ne me paraît pourtant pas scandaleuse s’agissant de nouvelles retenues d’eau ou de nouveaux établissements de santé. Mayotte a aussi besoin d’un schéma régional de l’énergie et d’un plan de mitigation des effets du dérèglement climatique ; j’ai déposé des amendements en ce sens.
    Loin des postures et des annonces, loin des agitations xénophobes et des obsessions antimigratoires, Mayotte a besoin d’une gouvernance robuste, de savoir-faire techniques et financiers, d’initiatives économiques offrant un débouché à une jeunesse inquiète, d’une volonté tenace de corriger les retards structurels en matière de santé, d’éducation, de logement.

    Mme la présidente

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    Merci de conclure, madame la députée.

    Mme Dominique Voynet

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    Bref, rien de nouveau. Le temps de l’action est venu, mais il ne faut pas se tromper de priorités. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. –⁠ MM. Philippe Naillet et Jean-Hugues Ratenon applaudissent aussi.)

    M. Philippe Gosselin, rapporteur

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    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Anne Bergantz.

    Mme Anne Bergantz

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    Nous examinons un texte majeur, le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, ainsi que le projet de loi organique qui lui est associé. Parler de Mayotte, c’est entendre des femmes et des hommes qui réclament simplement ce que chaque Français est en droit d’attendre : la sécurité, la dignité, l’égalité. Mayotte est un département français depuis 2011, une terre singulière aussi, sujette à des crises sociales, sanitaires, migratoires ou encore climatiques particulières. Le cyclone Chido a amplifié l’urgence de la situation avec une violence dévastatrice : les toitures arrachées, les écoles inondées, les familles sans abri, les morts et les blessés sont autant d’images dramatiques qui nous ont profondément émus. Partout sur l’île, en décembre 2024, le quotidien des Mahorais a été bouleversé. Les fragiles équilibres qui tenaient jusqu’alors se sont effondrés. Au nom du groupe Les Démocrates, je veux réaffirmer notre solidarité avec toutes les victimes de cette catastrophe et avec tous ceux qui continuent à en subir les conséquences.
    Dès votre nomination, monsieur le ministre, vous vous êtes mobilisé en présentant un projet de loi d’urgence visant à répondre à la détresse des Mahorais. Nous avons voté ce texte. Il est désormais temps d’aller plus loin en agissant structurellement pour la refondation de Mayotte. Telle est l’ambition du projet de loi de programmation que nous examinons : fixer une trajectoire budgétaire ambitieuse de 4 milliards d’euros d’ici 2031 pour améliorer le quotidien des Mahorais. Ce texte constitue un véritable guide d’action en faveur du développement économique et social de l’île, grâce à une feuille de route précise, détaillée dans le rapport annexé dont le rapporteur général Philippe Vigier a assuré le suivi tout au long des discussions en commission des lois.
    Ainsi, nous renforcerons l’accès aux biens et aux ressources, notamment à l’eau potable et à l’assainissement, aux logements dignes, ou encore aux soins, autant de besoins essentiels qui connaissent des pénuries majeures. Nous financerons également le développement des services publics, en renforçant l’attractivité des métiers de fonctionnaires et de professionnels de santé sur l’île. Nous saluons ainsi les dispositions visant à renforcer l’offre de soins : structuration du nouvel hôpital de Combani, création de maisons de santé, soutien à l’installation des pharmaciens, priorité de mutation pour les fonctionnaires hospitaliers. Ce sont des leviers concrets pour répondre à l’urgence sanitaire, restaurer la confiance, renforcer l’attractivité du territoire et garantir une justice sociale. Nous réaliserons la convergence des droits sociaux pour enfin aligner à l’horizon 2031 les montants des cotisations et des prestations sociales de Mayotte avec le droit commun. Nous saluons l’étape vers la convergence du smic net proposée par les rapporteurs et adoptée en commission. Cette convergence doit devenir une politique planifiée, chiffrée et suivie.
    Nous soutiendrons également les investissements majeurs dans les infrastructures, qu’il s’agisse de l’aéroport de Mayotte, dont nous défendons l’agrandissement, ou de la transformation du port de Longoni en grand port maritime, qui est un enjeu stratégique pour l’île. Le développement économique sera accompagné par la création d’une zone franche et par des mesures en faveur de l’agriculture et de la pêche.
    Il nous faudra aussi, de manière responsable et sans démagogie, renforcer la lutte contre l’immigration clandestine. Face à une situation de moins en moins soutenable pour la population –⁠ je rappelle qu’un habitant sur deux est étranger –, nous sanctionnerons ceux qui exploitent la misère humaine : ce texte intensifiera la lutte contre le travail illégal, les passeurs ou encore les reconnaissances frauduleuses de paternité. Les contrôles et les reconduites à la frontière seront renforcés.
    De même, en matière de sécurité, nous ferons preuve de fermeté face au trafic d’armes en soutenant le rétablissement des visites domiciliaires aux fins de saisies. Nous ne tolérerons pas non plus les ingérences étrangères, toujours plus nombreuses dans la zone indopacifique.
    Cette refondation ne se fera pas sans associer les Mahorais. C’est pourquoi nous soutiendrons la modernisation des institutions à travers la création d’une collectivité unique subdivisée en cinq sections électorales.
    Chers collègues, les attentes sont fortes et face au sentiment d’abandon qui gagne nombre de nos compatriotes mahorais, nous devons nous montrer à la hauteur du moment. Nous avons ici l’occasion d’accompagner Mayotte et ses habitants vers une plus grande résilience. C’est pourquoi le groupe Démocrates votera ces deux textes. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR et DR. –⁠ M. le rapporteur général applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean Moulliere.

    M. Jean Moulliere

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    Les Mahorais ont à plusieurs reprises, et avec vigueur, affirmé leur volonté de rester Français. En 1974, lors du référendum sur l’indépendance des Comores ; en 2000, lors de celui sur l’accord de Paris ; en 2009, enfin, lors du référendum sur la départementalisation, qui les a vus manifester leur attachement indéfectible à notre République : avec 95 % de « oui », Mayotte devenait le 101e département français.
    Un autre type d’événements, plus tragiques, conduit la République à témoigner à son tour son attachement indéfectible à Mayotte : il en va ainsi du cyclone Chido et de la tempête Dikeledi, qui ont touché l’île en plein cœur.
    Ces phénomènes climatiques extrêmes ont causé des dégâts humains, matériels et environnementaux sans précédent. Le cyclone Chido constitue en effet la catastrophe naturelle la plus importante de l’histoire récente de notre pays.
    Après ces catastrophes, l’État a répondu présent. La loi du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte a ainsi acté de nombreuses avancées visant à faciliter le rétablissement des conditions de vie des Mahorais à travers l’adaptation des règles de construction, d’urbanisme ou de commande publique, tout en prévoyant des mesures de soutien aux habitants et aux entreprises sur le plan économique et social.
    La République ne saurait toutefois se contenter de réponses conjoncturelles visant à pallier l’urgence. Nos concitoyens mahorais demandent davantage et ils doivent être entendus. Ils demandent des mesures structurelles qui permettront à la société civile, aux acteurs économiques et aux services de l’État de construire un cadre de vie à la hauteur des exigences de la République. Il s’agit de rétablir l’ordre public, de promouvoir la prospérité de l’île et d’assurer l’accès aux soins.
    Ils nous pressent de les entendre, de les écouter et de continuer à le faire dans la durée. C’est précisément l’objet de ce projet de loi, auquel le groupe Horizons & indépendants apporte son soutien.
    Le texte vise en effet à apporter des solutions structurelles aux difficultés qui compromettent la sûreté et la prospérité dans l’île. Rappelons seulement que Mayotte connaît un taux de chômage de 30 % contre 7,4 % dans l’Hexagone ; que le niveau de vie médian des Mahorais est sept fois plus faible que celui du pays ; que l’habitat informel représente 30 % de l’habitat total ; que règne une très forte insécurité, avec des bagarres à la machette et des rixes mortelles régulières.
    Rappelons aussi que Mayotte est le département le plus sujet à la pression migratoire. Près d’un tiers de la population mahoraise, estimée à 300 000 habitants, serait en situation irrégulière.
    Dans ce contexte, il est de notre responsabilité collective de lutter contre l’immigration clandestine et l’habitat illégal, mais aussi de protéger les Mahorais et d’accélérer les modalités de convergence du droit applicable en matière de droits sociaux et de régimes de retraite complémentaire.
    Le groupe Horizons & indépendants soutient donc l’ensemble des mesures de ce texte, mais regrette que certaines aient été supprimées en commission. Il en va ainsi des articles 7, 8, 9 et 11, qui comportaient des mesures importantes telles que la lutte contre le financement des filières illégales de passeurs ou la création d’un régime de visites domiciliaires aux fins de recherche d’armes.

    M. Yoann Gillet

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    Il fallait siéger en commission pour empêcher leur suppression !

    M. Jean Moulliere

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    Notre groupe défendra donc des amendements tendant à rétablir ces articles.
    Chers collègues, entendons les revendications de nos concitoyens mahorais ! Elles sont légitimes. Il est temps d’offrir à l’ensemble des acteurs locaux des réponses à la hauteur de la difficulté de leur situation, tout en restant, bien sûr, dans le cadre de l’État de droit. Ce projet de loi est la concrétisation de ce subtil équilibre.
    Le groupe Horizons & indépendants votera bien évidemment en faveur de ce texte, ainsi qu’en faveur du projet de loi organique relatif au département-région de Mayotte. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Estelle Youssouffa.

    Mme Estelle Youssouffa

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    Je veux commencer mon intervention par une pensée pour Coco Djoumoi, pour que résonne ici le nom de cette grande chatouilleuse, l’une de ces Mariannes mahoraises de la République.
    Coco Djoumoi est morte jeudi à Mayotte. Dans les années 1960 et 1970, elle s’est engagée, avec ses sœurs de combat, pour que Mayotte reste française. Pacifiquement mais avec force, Coco Djoumoi a lutté, avec Zeina Mdéré, Zeina Méresse, Zakia Madi, Georges Nahouda, Younoussa Bamana, Marcel Henry et tant d’autres. Elle a risqué sa vie, elle est allée en prison pour changer le cours de l’histoire, pour que je puisse ici devant vous, avec ma collègue Anchya, représenter vos compatriotes de Mayotte à l’Assemblée nationale.
    Mayotte est française par la volonté et par le combat de ses habitants.

    M. Philippe Gosselin, rapporteur

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    C’est vrai !

    Mme Estelle Youssouffa

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    Les revendications territoriales des Comores et les errements idéologiques de certains n’y changeront rien.

    M. Philippe Gosselin, rapporteur

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    Exactement !

    Mme Estelle Youssouffa

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    Mayotte est maîtresse de son destin, un destin français. Oui, la République est imparfaite et perfectible, la République a manqué à ses devoirs à Mayotte, mais elle reste notre choix.

    M. Philippe Gosselin, rapporteur

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    Parfait !

    Mme Estelle Youssouffa

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    Le combat des sorodas et des chatouilleuses est un combat républicain qu’il faut encore mener aujourd’hui : se battre pour rester français, pour être libres, pour accéder enfin à nos droits.
    Nous devons à nos anciens de faire notre part et d’arracher toute avancée possible pour faire enfin vivre la devise républicaine, Liberté, Égalité, Fraternité, à Mamoudzou, à Acoua ou à Poroani comme elle vit à Vinon-sur-Verdon, Tours ou Nanterre.
    Cette loi de programmation n’est qu’un chapitre de l’histoire de Mayotte. Insuffisante, imparfaite, elle n’en est pas moins indispensable pour que notre île avance.
    Présentée sans que le gouvernement daigne nous transmettre le détail des financements, cette loi de programmation constitue pourtant un passage obligé pour obtenir la trajectoire financière pluriannuelle que nous devrons sanctuariser lors du comité interministériel des outre-mer et dans les prochaines lois de finances. Le groupe LIOT y veillera.
    Mayotte ne demande pas la charité ou un traitement de faveur. Nous demandons ce à quoi nous avons droit, ni plus ni moins. Nous voulons avoir les moyens de vivre normalement, les moyens de nous accomplir.
    Nous sommes Français depuis 1841 et Mayotte est un département depuis 2011. Pourtant, ni le code de la sécurité sociale, ni le code du travail, ni le code de la santé ne s’appliquent à Mayotte. Je vous rappelle que la norme crée des obligations et impose le déploiement des services publics. Ne pas faire droit à ces obligations se traduit à Mayotte par un désert administratif, judiciaire, médical et numérique et nous empêche, nous Mahorais, d’accéder à nos droits.
    Bien avant le cyclone Chido, l’État a mis un soin particulier à créer toutes sortes de dérogations et exceptions pour fuir ses obligations et laisser Mayotte à la marge de la République.
    En 2025, vivre à Mayotte relève plus que jamais du parcours du combattant. De l’eau au robinet un jour sur deux. Quelques heures de cours par jour pour nos enfants. Un hôpital à terre pour une population à bout de forces et un directeur de l’ARS en campagne électorale pour les municipales dans l’Hexagone. Une circulation infernale, faute d’un maillage routier suffisant. Des billets d’avion hors de prix. Des liaisons maritimes épouvantables, avec des heures de queue pour prendre la barge reliant nos deux îles. Des lignes téléphoniques et un réseau internet qui sautent et saturent. Une reconstruction publique qui ne démarre pas, alors que les prix des matériaux de construction ont déjà augmenté de 150 %.
    Les profiteurs de crise se gavent et l’État regarde ailleurs ! Le prêt à taux zéro est inaccessible pour les familles et les aides promises aux entreprises et aux particuliers sont misérables. Les assureurs traînent des pieds pour indemniser leurs clients.
    Plus de six mois après le drame, l’établissement public chargé de la reconstruction n’est toujours pas sur pied et n’a pas présenté sa stratégie : c’est à se demander si Chido est passé à Mayotte ou à Paris !
    Le gouvernement a trouvé le moyen de faire passer au printemps un budget qui n’inclut pas le coût de la reconstruction de Mayotte. Il refuse de présenter le détail budgétaire de cette loi et ne nous transmet pas le rapport sur l’égalité sociale voté dans le cadre de la loi d’urgence.
    L’égalité sociale est pourtant une urgence absolue, une question d’égalité et de dignité. Le dossier est certes complexe, mais l’État lambine.
    Nous ne comprenons pas que l’exécutif refuse aux entreprises de Mayotte l’exonération des cotisations prévues par la Lodeom : alors que les entreprises de Martinique et de La Réunion peuvent être exonérées de cotisations sociales, celles de Mayotte sont discriminées.
    Le CICE n’offre que des miettes en comparaison des exonérations prévues par la Lodeom, qui permettraient à nos entreprises d’offrir enfin aux salariés mahorais l’alignement social tant attendu.
    Il y a dans le texte adopté en commission des avancées importantes que je ne listerai pas. Il y a aussi des lignes rouges, avec des mesures dérogatoires pour les expropriations et les régularisations foncières. Si le gouvernement persiste à vouloir spolier les Mahorais de leurs terres, notre île se révoltera. Le droit à la propriété est un droit constitutionnel ; à cet égard, les articles 19 et 20 sont une infamie.
    Il n’est pas question de laisser l’État et les clandestins profiter de notre détresse pour voler nos terres. Les procédures de droit commun existent pour réaliser des projets d’envergure !
    Pour Mayotte, le groupe LIOT votera la loi, mais il restera vigilant.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Émeline K/Bidi.

    Mme Émeline K/Bidi

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    Je prends la parole avec une profonde inquiétude face au projet de loi dit de refondation de Mayotte. Ce texte prétend tracer un avenir pour ce territoire, mais une fois encore, il passe à côté de l’essentiel : la justice sociale, l’égalité réelle et la dignité des Mahoraises et des Mahorais.
    Ce texte reconduit les erreurs du passé, entérine les inégalités et compromet non seulement l’avenir de Mayotte, mais aussi celui des territoires voisins.
    Cette loi est présentée dans un contexte dramatique. Le cyclone Chido a ravagé l’île, révélant avec brutalité ce que ses habitants vivent depuis des décennies : l’abandon. Routes impraticables, logements précaires, défaut d’accès à l’eau, écoles délabrées, hôpitaux sous-dotés. Cette catastrophe naturelle n’a pas créé la crise, elle a seulement mis à nu l’inacceptable : des décennies de sous-investissement de l’État dans un territoire où la République n’a pas tenu ses promesses.
    Or que nous propose le gouvernement dans cette loi censée tout refonder ? Un texte structuré, centré, obsédé par une seule chose : la question migratoire. Il consacre des dizaines d’articles à l’immigration, au contrôle des frontières, à la restriction des droits. Il organise un régime d’exception, parfois en rupture avec les principes fondamentaux de notre droit –⁠ je pense à l’enfermement des enfants en centre de rétention administrative (CRA). Pendant ce temps, la justice sociale, l’égalité réelle, le développement, l’accès à l’eau, à l’école, à la santé, tout cela est relégué au second plan.
    Je l’ai dénoncé et je le redis, c’est une hiérarchie des priorités que nous contestons avec force. Dire aux Mahorais qu’ils accéderont à l’égalité des droits sociaux et aux mêmes services publics que leurs concitoyens quand et seulement quand l’État aura réglé la question migratoire, c’est les laisser espérer en vain, les abandonner à leur sort, les condamner à l’inégalité et à l’injustice.
    Vous connaissez l’inefficacité de votre politique migratoire, tous les chiffres la démontrent. Peu importe les durcissements successifs des droits des étrangers, du droit de la nationalité ou de la loi pénale : Mayotte reste une terre d’espoir pour les femmes, les hommes et les enfants des pays alentour, des Comores notamment, qui fuient l’instabilité politique et la misère. À nous Français, les conditions de vie à Mayotte paraissent indignes, mais pour les habitants des autres pays de la zone, elle constitue –⁠ avec ses écoles, ses hôpitaux, sa politique sociale, son économie et son statut de département français – la promesse d’une vie meilleure.
    Alors que faire ? Nous n’irions tout de même pas, pour freiner l’immigration à Mayotte, jusqu’à renoncer à appliquer les droits fondamentaux ? Nous n’irions pas retarder l’évolution sociale dans le 101e département français ? Nous n’irions quand même pas consacrer l’essentiel de la loi au durcissement du droit des étrangers et reléguer dans un rapport annexé –⁠ un document sans portée normative, sans valeur juridique et sans aucune obligation pour l’État – les engagements en faveur de la justice sociale ? Eh bien si, c’est exactement ce que nous faisons !
    Dans ce texte, tout ce qui pourrait améliorer concrètement le quotidien des Français n’est que promesse incertaine, alors que les dispositifs sécuritaires seront gravés dans la loi. On grave le contrôle, on annexe les droits ! Chers collègues, ce n’est pas notre conception de la République !
    Il en va de même de l’objectif de convergence sociale. Dans la bouche du gouvernement, cette expression semble euphémiser le renoncement à l’égalité des droits. Pourquoi les Mahorais ne bénéficieraient-ils pas immédiatement des mêmes prestations sociales que dans l’Hexagone ?
    Quand l’État assumera-t-il pleinement le fait que Mayotte est un département français, avec les mêmes droits, les mêmes devoirs et les mêmes attentes que dans les autres ?
    Ce texte pose un autre problème que peu évoquent, même si je l’ai fait en commission : les conséquences régionales de l’inaction ou de l’iniquité.
    Ne nous y trompons pas : les difficultés structurelles de Mayotte, si elles ne sont pas résolues avec sérieux et équité, auront nécessairement des conséquences sur la situation sociale et économique de l’ensemble de la zone, notamment à La Réunion, département voisin qui partage avec Mayotte un destin insulaire et ultramarin.
    Si l’égalité des droits n’est pas assurée à Mayotte, c’est mécaniquement La Réunion qui absorbera une partie des tensions sociales, économiques et humaines ; c’est déjà le cas. La précarisation de l’un rejaillit sur l’autre. Il est donc de la responsabilité de l’État de prévenir, par une politique de développement ambitieuse à Mayotte, les déséquilibres qu’il pourrait lui-même créer dans toute la zone de l’océan Indien.
    Ne nous méprenons pas : la question migratoire à Mayotte est bien réelle et nous ne la nions pas, mais elle ne peut justifier une politique qui ferait de Mayotte une zone de sous-droits. La focalisation sur l’immigration nous fait renoncer à ce qui devrait être le cœur de notre mission : garantir à chacun les mêmes chances, les mêmes droits et la même dignité sur chaque territoire de la République.
    Au groupe GDR, nous affirmons avec force qu’il ne saurait y avoir de refondation sans justice, de paix sociale sans égalité. Nous appelons à un véritable plan de rattrapage, à un effort massif en faveur des services publics, de l’éducation, de la santé, du logement, de l’eau. En l’état, le texte ne répond pas à la gravité de la situation. Il n’est pas à la hauteur du moment. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Très bien !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Olivier Fayssat.

    M. Olivier Fayssat

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    Mayotte est l’un des territoires de la République où se joue une part décisive de notre crédibilité collective. Ce n’est pas seulement un département d’outre-mer, c’est une frontière, un bastion, une terre de France où notre droit, notre autorité et notre présence sont quotidiennement mis à l’épreuve.
    En décembre 2024, le cyclone Chido n’a pas seulement détruit des maisons et des réseaux. Il a mis en lumière l’ampleur d’un désordre ancien, profond, structurel, celui d’un archipel submergé par une immigration irrégulière hors de contrôle, miné par l’habitat informel, rongé par une insécurité persistante et un sous-développement chronique.
    Face à cette situation, deux textes sont soumis à notre approbation : le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et le projet de loi organique relatif au nouveau département-région de Mayotte. Ces textes forment un tout : l’un fixe le cap, les moyens, les ambitions ; l’autre établit le cadre juridique et institutionnel permettant de tenir ce cap. Le groupe UDR les votera tous deux, et il le fera pleinement, lucidement, résolument, parce qu’ils répondent enfin à la gravité de la situation.
    Depuis trop longtemps, Mayotte est le territoire des demi-mesures, des discours compassionnels, des promesses jamais tenues. Ce projet de loi de programmation contient enfin un plan structuré et chiffré, avec un horizon clair : 2025-203. Il prévoit des moyens : 3,2 milliards d’euros pour l’eau, la sécurité, l’école, les routes, la santé ; des procédures allégées, un pilotage resserré sous l’autorité du préfet, un suivi annuel devant le Parlement. Par ailleurs, le texte renforce les conditions de séjour, combat les reconnaissances frauduleuses de paternité, trace les flux d’argent sortants. Il permet de mieux contrôler et de mieux protéger.
    Le deuxième texte –⁠ la loi organique – est tout aussi fondamental. Il dote Mayotte d’un cadre institutionnel à la hauteur de ses défis. L’appellation « département-région » n’est pas cosmétique. Elle consacre enfin ce qu’est Mayotte dans les faits : une collectivité unique exerçant les compétences d’un département et celles d’une région. Elle permet aussi une meilleure lisibilité, une meilleure gouvernance ainsi qu’une meilleure coordination avec l’État. La création d’une assemblée unique de cinquante-deux membres, élus à la proportionnelle avec prime majoritaire, offre un nouveau souffle démocratique, mieux adapté aux réalités locales.
    Ces deux textes n’ont pas vocation à tout régler. Ils ne régleront pas à eux seuls quarante ans d’accumulation de désordres. Ils ont néanmoins un mérite essentiel : ils donnent à l’État les outils pour reprendre la main, et à la collectivité de Mayotte les moyens d’assumer son avenir.
    Nous resterons vigilants quant à l’exécution réelle des investissements, à la qualité du suivi, à la continuité de l’action publique. Mayotte est un territoire français qui doit bénéficier des mêmes droits, mais aussi respecter les mêmes règles. On ne lutte pas contre la pauvreté sans ordre, on ne bâtit pas l’avenir sans sécurité et on ne protège pas les enfants en tolérant l’illégalité. Ces textes ne sont pas des lois d’exception mais des lois de responsabilité. Parce que la République ne peut pas reculer à Mayotte, le groupe UDR votera en leur faveur, avec la volonté d’en faire non pas des lois d’aménagement du désordre, mais des lois de refondation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    Mme la présidente

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    La discussion générale commune est close.
    La parole est à M. le rapporteur général.

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    Je salue toutes celles et tous ceux qui se sont exprimés, qu’ils soient corapporteurs du texte ou représentants des groupes politiques. Nous vivons un moment très particulier : un projet de loi de refondation qui comporte, si l’on se réfère à sa structuration, quatre dimensions, cela n’avait jamais été vu auparavant. Évidemment, chacune des interventions traduit une exigence, une impatience. Ceux qui connaissent bien ce territoire –⁠ n’est-ce pas, chère collègue Voynet, vous qui avez servi là-bas – peuvent cependant mesurer l’écart entre une volonté et sa réalisation concrète –⁠ rassurez-vous, j’ai moi-même eu l’occasion de ressentir quelques frustrations à un moment ou à un autre.
    Madame Bamana, il y a évidemment de la défiance et de l’exaspération. Ces sentiments sont légitimes lorsque les projets annoncés ne se réalisent pas ou lorsque survient une crise de l’eau. Permettez-moi néanmoins de rappeler sans acrimonie que l’État n’est pas responsable de tout. Lorsqu’il confie des compétences à des collectivités, celles-ci devraient être en mesure de les exercer –⁠ Estelle Youssouffa ici présente se souviendra aisément des inerties que nous avions constatées lorsque nous étions ensemble à Mayotte, comme de la nécessité d’en sortir.
    Madame Bamana, vous avez insisté sur le sujet de l’immigration illégale : avec 50 % de sa population en situation irrégulière –⁠ Olivier Marleix l’a rappelé –, Mayotte est évidemment le territoire ultramarin qui en subit le plus fortement les conséquences. La responsabilité collective commande de trouver ensemble les voies et moyens d’y remédier, car derrière l’immigration illégale se nichent des enjeux liés à la sécurité, à la précarité, au logement.
    Je me suis rendu dans des bangas. Lorsque, avec Gérald Darmanin, nous tentions de mener à bien l’opération Wuambushu, malgré les nombreuses critiques subies lors des séances de questions d’actualité au gouvernement, nous avons tenu bon. Au sujet de l’habitat informel, je n’ai cependant entendu personne rappeler ce que chacun sait, à savoir que le plus grand bidonville d’Europe se situe à Mamoudzou ; personne n’a non plus parlé de l’opération d’intérêt national sur le logement. Face à une situation aussi exceptionnelle, nous devons nous montrer à la hauteur des enjeux.
    La convergence sociale, qui a été beaucoup évoquée, qui était tant demandée et tant attendue, va enfin se réaliser.

    M. Yoann Gillet

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    Elle était prévue pour 2025, au départ !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    L’augmentation du smic a été inscrite dans le projet de loi, contrairement à ce qui était prévu au départ, puisque tout devait passer par des ordonnances. Le ministre a accepté, de concert avec les autres ministères –⁠ ce qui n’était pas évident –, d’inscrire dans le texte le relèvement du niveau du smic à Mayotte à 87,5 % du niveau national. Il s’agit d’une avancée considérable, vous en conviendrez ! La convergence concernera évidemment l’ensemble des prestations sociales, mais cela ne peut se régler en une seule année –⁠ qui peut penser qu’un an pourrait suffire ? Nous nous donnons en revanche un calendrier tout à fait tenable de cinq ans pour y parvenir.
    Je remercie Brigitte Liso et le groupe Ensemble pour la République pour leur soutien. Vous avez rappelé le vote de la loi d’urgence en février et l’établissement public créé à sa suite, qu’une mission a été chargée de préfigurer. Cet établissement suscitait une grande défiance et de nombreuses inquiétudes, les uns et les autres se demandant s’il n’empiéterait pas sur leurs prérogatives. Il sera présidé par le président du conseil départemental ; l’État y sera puissant mais tous les acteurs, les parlementaires et les élus locaux y seront associés. Il a été porté sur les fonts baptismaux en moins de six mois ! Il a été question des enfants non scolarisés, mais qui construit les écoles, l’État ou les collectivités locales ?

    M. Yoann Gillet

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    Les collectivités locales subissent l’immigration, et l’État laisse faire !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    L’établissement public pourra se substituer aux collectivités qui le souhaitent afin de construire des écoles. La demande est forte et largement partagée. Rappelons que 400 millions d’euros sont prévus pour la construction d’établissements scolaires.
    Cher collègue Ratenon, puisque vous avez parlé d’un territoire abandonné par l’État, permettez-moi de vous renvoyer à un chiffre –⁠ il figure dans le rapport de la Cour des comptes daté de 2022 : alors que le PIB théorique de Mayotte est de 2,4 milliards d’euros, la contribution financière de l’État y atteint 2 milliards. On ne peut donc pas parler d’un territoire abandonné, même si les retards se sont accumulés depuis 2011, ce dont tout le monde convient ! Pour pallier la crise hydrique sans précédent qui a frappé le territoire en 2023, 400 millions d’euros ont été injectés, mais il fallait voir les installations existantes ! J’ajoute que nous ne trouvons toujours pas l’emplacement de la troisième réserve collinaire et que les usines de désalinisation ont tardé à être identifiées.

    M. Yoann Gillet

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    Vous étiez ministre ! Les ministres se succèdent mais sont toujours aussi mauvais !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    Nous avons accéléré, Manuel Valls pourra le confirmer. C’est un projet d’envergure, dans un territoire qui produit 20 000 mètres cubes d’eau par jour quand il en faudrait 45 000. Chacun conviendra que nous devons être collectivement à la hauteur des enjeux.
    Vous avez aussi évoqué la cité judiciaire et la construction d’un deuxième hôpital, annoncée en 2019 –⁠ je me tourne de nouveau vers Dominique Voynet, qui s’en souvient sûrement. Quand j’ai été nommé ministre délégué chargé des outre-mer, en 2023, j’ai demandé le schéma préfigurateur du centre hospitalier, mais il n’existait toujours pas ! Je m’en suis étonné, parce qu’une telle construction implique de mobiliser l’ensemble des services et des personnels pour réfléchir à son intégration dans un lieu donné. Là encore, le texte nous permet de progresser, puisque 300 millions d’euros d’investissements sont prévus dans le tableau du rapport annexé, dont 40 millions d’euros afin d’effectuer les travaux nécessaires après les dégradations causées par Chido dans une partie de l’hôpital de Mamoudzou.
    Notre discussion permettra sans doute d’enrichir le texte, mais défendons ensemble le plan de 4 milliards d’euros prévu par le texte, monsieur Ratenon. Il s’agit d’un plan cohérent, parce qu’il repose sur quatre piliers qu’il ne serait pas pertinent d’envisager séparément : le fonctionnement institutionnel, la convergence sociale, les grandes infrastructures et la lutte contre l’immigration illégale.
    Olivier Marleix a naturellement insisté sur le sujet de l’immigration. Je l’ai dit, il est impossible de satisfaire à toutes les exigences du quotidien là où une personne sur deux est en situation irrégulière. Ceux qui prétendent le contraire sont déphasés.

    Mme Léa Balage El Mariky

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    Une personne sur deux est étrangère, pas en situation irrégulière !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    Madame Voynet, je vous sais attachée au système de santé de Mayotte, vous qui avez eu d’éminentes responsabilités sur place…

    M. Yoann Gillet

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    Ce n’est pas un bon souvenir !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    …et qui vous êtes beaucoup impliquée en commission –⁠ cela me ravit, car nous avons besoin de toutes les intelligences et de toutes les énergies pour avancer. En ce qui concerne la santé, je pourrais mentionner les dispositions du texte relatives aux pharmacies –⁠ je me tourne vers ma collègue Agnès Firmin Le Bodo –, aux centres de santé ou à la médecine de proximité, alors que Mayotte –⁠ je me tourne à présent vers Stéphanie Rist, qui connaît bien ces questions – connaît la densité médicale la plus faible de France. Au reste, le rôle joué par la réserve sanitaire prouve bien que l’État s’est montré solidaire de Mayotte ! Les réservistes n’ont pas manqué à l’appel, ils ont permis au territoire de tenir, de faire face !
    En ce qui concerne le logement, j’ai évoqué l’opération d’intérêt national.
    Madame Voynet, vous avez soutenu par ailleurs que l’immigration n’était pas la cause de tous les maux. Elle est néanmoins la cause de beaucoup d’entre eux. Lorsque l’on est submergé par l’immigration, on est incapable de fournir des réponses sociales, éducatives, médicales à ceux qui les attendent.
    Je remercie Anne Bergantz d’avoir rappelé le caractère essentiel de ce texte. Bravo à Manuel Valls d’avoir défendu ses quatre piliers structurants et leur articulation auprès des différents ministères dans les circonstances compliquées que nous connaissons. Il est plus facile pour moi de le dire, ces arbitrages démontrent que l’exception mahoraise justifie la solidarité de la République, la fraternité et l’espoir, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Chido est un révélateur. Parfois, un drame marque le commencement d’une très belle histoire. (M. Romain Daubié applaudit.) Je ne doute pas un seul instant que nous chercherons sur tous les bancs, par-delà nos attachements respectifs légitimes, à témoigner encore davantage notre solidarité aux Mahorais en votant une deuxième loi en moins de six mois à leur intention. Rares sont les territoires à pouvoir en dire autant.
    J’en viens à un sujet essentiel à mes yeux : le développement économique. Osons le dire, parce que c’est la vérité : l’économie souterraine est très forte à Mayotte. À l’occasion de la crise de l’eau, j’avais été frappé de constater –⁠ je m’en souviens parfaitement – la faible adhésion suscitée par le mécanisme que nous avions imaginé. Dont acte. À nous de faire en sorte, grâce à la convergence sociale, de réduire fortement la place de l’économie souterraine.
    Vous avez également abordé le sujet des ingérences étrangères, qui concerne d’ailleurs de nombreux territoires ultramarins –⁠ il suffit de se rendre en Nouvelle-Calédonie pour s’en rendre compte, mais c’est vrai partout. Jean Moulliere a rappelé l’attachement des Mahorais à la France, que j’ai moi-même évoqué et sur lequel Philippe Gosselin a également insisté : les référendums passés témoignent d’un niveau d’adhésion qui nous touche profondément et exige que nous soyons à la hauteur des événements.
    Jean Moulliere a également mentionné les risques climatiques. Le volcan sous-marin dont il a parlé n’est qu’à 50 kilomètres de Mayotte, et il me semble que les conséquences qu’il pourrait avoir tant sur Petite-Terre que sur Grande-Terre appellent chacun à faire preuve de responsabilité.
    Ce que nous allons faire dans les dix ans qui viennent est assez impressionnant. Ce n’est pas un plan comme les autres, qui risque de partir à la dérive au bout de deux ans ! Lors de leurs travaux en commission puis en séance, les sénateurs y ont intégré un amendement qui vise à ce que les parlementaires –⁠ sénateurs et députés – soient plus encore que par le passé à la manœuvre, c’est-à-dire à ce qu’ils effectuent un suivi régulier des mesures prises –⁠ je vous ferai d’ailleurs des propositions, tout au long de l’examen du texte, pour renforcer cette exigence. Il faudra que les déclarations de cet après-midi se concrétisent ; nous devrons nous en assurer lorsque nous examinerons des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale.
    Estelle Youssouffa a parlé avec le cœur, l’énergie et l’enthousiasme qui la caractérisent, et c’est bien compréhensible s’agissant d’un territoire mahorais qu’elle aime tant : oui, la République est imparfaite –⁠ c’est ce que vous avez dit –, mais c’est à nous de faire en sorte que la confiance revienne. La République sait bien qu’elle a des enfants partout dans le monde, auxquels elle tient profondément : c’est la richesse de la France. Je sais que nous pouvons compter sur vous ainsi que sur votre collègue Bamana, également députée de Mayotte, pour porter sa voix avec force et constance. Vous le faites souvent avec énergie et enthousiasme, mais nous savons bien que c’est nécessaire pour qu’elle soit entendue. Je peux en témoigner : lorsque j’ai eu l’honneur de m’occuper des outre-mer,…

    M. Yoann Gillet

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    Vous n’êtes pas resté longtemps !

    M. Philippe Vigier, rapporteur

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    …vous avez toujours été à nos côtés, en faisant preuve d’une grande exigence mais aussi d’une solidité à toute épreuve. Des divergences nous ont quelquefois opposés, mais c’est le propre de la vie politique ! Nous devons aussi accepter nos différences.
    S’agissant des infrastructures, il est vrai que l’attente a pu être longue. Un nouvel aéroport va remplacer l’ancien ; il coûtera 1,2 milliard d’euros. Lors des très nombreuses auditions que nous avons menées, une question est revenue à plusieurs reprises –⁠ je prends à témoin mon ami Frantz Gumbs : ce montant est-il calibré ? Le financement de cet aéroport, qui entrera en service en 2035, a-t-il tenu compte de l’augmentation annoncée des coûts ? Pour ma part, j’ai envie de vous dire que ce ne sera pas juste un aéroport ! C’est un aéroport qui va fonctionner en intermodalité ; il permettra d’interconnecter des centres de santé ou des écoles, ce qui n’est pas le cas pour le moment.
    Tous les territoires de l’Hexagone disposent de schémas de développement territoriaux, que l’on désigne par cet acronyme affreux de Sraddet –⁠ schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires ; mais à Mayotte, jamais le schéma d’aménagement régional ne s’est concrétisé ! Or dans le rapport annexé, les services de l’État se sont engagés à nous aider, à accompagner les élus sans les infantiliser, à créer avec eux. À l’issue d’une montée en compétence qui est inévitable, car on ne peut pas en vouloir à un département qui a quatorze ans d’existence de ne pas avoir les mêmes compétences qu’un autre qui existe depuis plus d’un siècle, ils seront les acteurs principaux ! Ce que je viens de dire pour le département vaudra aussi pour la région, puisque Mayotte s’apprête aussi à acquérir ce statut et donc à exercer les très belles compétences qui y sont associées.
    Madame K/Bidi, vous avez parlé d’un territoire sous-doté, dans lequel règne la défiance vis-à-vis de l’État et qui subit des flux migratoires non contrôlés. Vous savez que nous nous sommes efforcés de réviser le coefficient géographique appliqué au CHU –⁠ centre hospitalier universitaire – de La Réunion ; nous y sommes parvenus ensemble ! Vous savez aussi que pour financer le plan dont bénéficiera Mayotte en matière de santé et de justice, 400 millions d’euros vont être mis sur la table ;  ils permettront notamment de construire une cité judiciaire, un centre de rétention et une nouvelle prison. Non, bien sûr, Mayotte ne sera pas oubliée !
    Je ne vais pas vous en faire le reproche, mais vous avez beaucoup parlé des flux migratoires. Ils sont réels et vous le savez comme moi ; la preuve, j’ai cru comprendre, en commission, que vous n’étiez pas très favorable à la fin du titre de séjour territorialisé, qui vous fait craindre un appel d’air vers La Réunion.

    Mme Émeline K/Bidi

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    Effectivement !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    Vous le voyez : même si ce n’est pas toujours facile, la solidarité doit s’appliquer à tous ! Ce n’est pas un concept sous cloche. C’est pour cela que nous allons réaliser la convergence des droits sociaux. Les Mahorais sont nombreux à aller à La Réunion pour y percevoir des minima sociaux supérieurs, mais nous allons y mettre fin puisqu’en 2031, la convergence sera achevée. Vous allez me dire qu’une telle échéance est trop lointaine, mais je préfère vous présenter un objectif atteignable plutôt que de prendre un engagement impossible à tenir. Nous le devons, me semble-t-il, aux Mahoraises et aux Mahorais.

    M. Yoann Gillet

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    Paroles, paroles, paroles !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    S’agissant des autres allocations et notamment au sujet des retraites, que vous avez évoquées –⁠ je viens de le dire mais je me permets d’insister –, le ministre s’est engagé à ce que l’on trouve une solution en faveur des retraités. Il est beaucoup question des retraites en ce moment dans notre pays, et vous verrez que nous serons là encore au rendez-vous de la solidarité : nous devons être capables de tenir des engagements forts pour que l’exception mahoraise n’en soit plus une.
    Je voudrais enfin dire au collègue du groupe UDR qui s’est exprimé en dernier que nous portons pour ce territoire une ambition collective forte. Chacun sait que Mayotte connaît des retards majeurs, mais aussi que jamais les éléments n’ont été à ce point réunis pour faire en sorte de les combler. Je pourrais parler des engagements financiers ou des infrastructures, mais je voudrais m’arrêter quelques instants sur le problème du foncier. C’est le sujet majeur, à Mayotte plus encore qu’ailleurs puisqu’il n’y a pas, sur ce territoire, de titres de propriété foncière. Ce qui s’applique, c’est la tradition, c’est-à-dire le droit coutumier ; il faut donc faire en sorte que des géomètres arpentent les terres, identifient les parcelles et déterminent depuis combien de temps telle famille vit à tel endroit avant d’attribuer des titres de propriété.

    Mme Estelle Youssouffa, rapporteure

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    Non !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    Il faut dire les choses clairement : on ne va pas les voler ! On ne va pas les spolier ! Ces terrains vont être évalués et nous nous appuierons sur le droit commun existant : le cas échéant, ils seront récupérés –⁠ je vous le dis, cher Frantz – de manière à construire les hôpitaux, l’aéroport ou le centre de détention dont Mayotte a besoin. Ceux qui s’y opposent sont les mêmes qui nous reprochent de ne pas faire assez et de ne pas aller assez loin ! Il faudra agir en ce sens en nous assurant de la confiance de la population. La loi fournit d’ailleurs un cadre très limité puisque vous avez souhaité, monsieur le ministre d’État, restreindre le champ d’application de cette mesure aux infrastructures publiques et parapubliques,…

    Mme Estelle Youssouffa, rapporteure

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    On vous dit non !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    …celles qui concernent par exemple l’eau ou la santé.

    Mme Anchya Bamana

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    Non !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    Il faut bien comprendre qu’à défaut de financements, de titres de propriété foncière et d’ingénierie, les projets ne sortiront jamais de terre. Quelle que soit la manière dont on présente les choses, c’est ce qui se passe dans toutes les communes !

    Mme Estelle Youssouffa, rapporteure

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    C’est non !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    En tant que députés, ne vous arrive-t-il jamais d’aider des maires à monter des dossiers ? N’agissez-vous jamais pour faciliter les procédures auprès des administrations ? Si, tout le monde le fait !
    Je m’excuse d’être trop long, mais je voudrais enfin vous remercier pour vos contributions et vous dire qu’il s’agit là d’un nouveau départ qui est aussi un nouvel espoir. Au cours de ce débat, qui promet d’être riche et passionné, nous aurons à cœur de montrer que Mayotte, c’est la France, cette France que nous aimons. Elle exige que nous soyons à la hauteur de ce rendez-vous : soyons-le collectivement !

    M. Hervé de Lépinau

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    Le plan Valls, c’était il y a dix ans : on attend toujours !

    M. Philippe Vigier, rapporteur général

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    Connaissant la résilience des Mahorais et leur amour pour le pays qui est le nôtre, je suis persuadé que nous trouverons les voies et les moyens pour avancer et apporter enfin à ce territoire les réponses qu’il mérite. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. –⁠ Exclamations sur les bancs du groupe RN.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre d’État, ministre des outre-mer.

    M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer

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    Je voudrais à mon tour remercier les présidents de commission qui se sont exprimés, l’ensemble des rapporteurs, qui ont beaucoup travaillé sur ce texte, ainsi que les orateurs des groupes. Au-delà des différences, des nuances, des oppositions, je crois que nous partageons tous le même but, celui de reconstruire, de refonder Mayotte et de lui redonner un avenir. Il est vrai que nous avons déjà beaucoup discuté de ce territoire à l’occasion de l’examen du premier texte qui y a été consacré ; vous avez ensuite travaillé sur le présent texte en commission des lois, après les sénateurs qui l’ont voté il y a quelques semaines en première lecture, et voilà que nous nous apprêtons à poursuivre ce débat tout au long de la semaine.
    L’excellent Philippe Vigier qui, comme vous avez pu le constater, connaît parfaitement le dossier –⁠ merci pour vos mots, monsieur le rapporteur général –, a dit l’essentiel. J’aurai l’occasion d’y revenir au fur et à mesure du débat, lorsque nous examinerons les articles et les amendements, mais je voulais tout de même répondre sur certains points, afin d’éclairer les discussions que nous aurons à partir de ce soir.
    S’agissant de la mise en œuvre de la loi d’urgence, sur laquelle la présidente Trouvé mais aussi Estelle Youssouffa, je crois, sont revenues, je voudrais rappeler qu’elle a habilité le gouvernement à agir par ordonnance pour transformer l’Epfam –⁠ établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte. L’ordonnance relative au nouvel établissement public, je l’ai dit tout à l’heure, a été publiée le 23 mai 2025. Le recrutement du directeur général est en cours, madame Youssouffa : il sera nommé le 15 juillet. Si vous avez connaissance d’une loi qui aurait mis sur pied aussi rapidement un établissement public –⁠ je reconnais qu’il y a urgence et qu’il fallait aller vite –, je veux bien que vous m’en fassiez part !

    Mme Estelle Youssouffa, rapporteure

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    Les JO !

    M. Manuel Valls, ministre d’État

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    Le conseil d’administration du nouvel établissement public sera présidé par le président du conseil départemental, à la suite d’une demande formulée par le conseil départemental lui-même. Quand j’entends dire que les élus ne sont pas associés, je crois donc qu’on se trompe ou alors qu’on a mal lu le texte ! Il se réunira en septembre.
    La loi entérine des outils qui permettent d’accélérer la reconstruction et qui sont déjà mis en œuvre, notamment l’assouplissement des règles de la commande publique et des normes de construction. Il n’y a aucun doute sur le fait que l’établissement public, les collectivités locales et les entreprises se saisiront de ces outils. La loi prévoit également des mesures de soutien économique et social déjà appliquées, en particulier le PTZ qui est déployé dans cinq établissements bancaires en plus d’Action logement ; onze dossiers viennent d’être approuvés pour 1,6 million d’euros, et ce montant est évidemment amené à augmenter. S’agissant ensuite de l’activité partielle, près de 9 millions ont déjà été versés aux entreprises.
    Les mesures prévues dans la loi sont donc déjà mises en œuvre ; on peut toujours aller plus vite, mais je remarque que des résultats sont déjà visibles.
    Je ne reviendrai pas sur l’article 19, car nous en débattrons et je rejoins sur ce point ce qui vient d’être dit par Philippe Vigier. Cependant, j’ajoute qu’on ne peut pas en même temps déplorer que les chantiers mettent une éternité à se réaliser et refuser l’adaptation du droit quand elle permettrait de ne pas perdre un temps précieux dans la réalisation d’infrastructures. Je me permets de le dire aux deux députées de Mayotte, avec tout le respect que je leur dois, parce que je sais qu’elles portent avec passion et de manière concrète les aspirations des Mahorais : il ne s’agit pas d’une expropriation ! Dire cela ne correspond pas à la réalité.

    Mme Estelle Youssouffa, rapporteure

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    C’est marqué noir sur blanc dans le texte, à l’article 19 : « expropriation » ! Il faut lire, hein !

    M. Manuel Valls, ministre d’État

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    Que des peurs et des craintes s’expriment et qu’il y ait eu des interrogations par le passé, je le comprends tout à fait, mais ce n’est pas la réalité –⁠ Philippe Vigier vient de le redire. Quand il s’agira de construire l’aéroport, sur des terrains que vous connaissez très bien, madame Bamana, il nous faudra y travailler –⁠ et nous aurons toute la semaine pour en discuter.
    Ensuite, madame Youssouffa, avec tout le respect et toute l’amitié que je vous dois, je veux rappeler que le rapport qui traite de la convergence sociale a été envoyé à tous les rapporteurs le samedi 7 juin et qu’il a été officiellement transmis au Parlement le 12 juin. On ne peut donc pas dire que le Parlement ne l’a pas reçu.
    Madame Bamana, dire qu’il n’y a pas eu de concertation avec les élus est –⁠ pardon de vous le dire, je n’attendais pas cela de vous – un faux procès. La porte du ministère a été ouverte dès le début et l’est toujours ; plusieurs échanges ont eu lieu rue Oudinot, en visioconférence et bien sûr sur place, à Mayotte –⁠ vous-même y étiez régulièrement présente. Concernant les cinq priorités à propos desquelles nous serions selon vous sans réponse, je veux porter cinq éléments à votre connaissance.
    Pour ce qui est de l’immigration, d’abord, 52 millions sont dédiés à la montée en gamme du dispositif de surveillance et d’interception.

    M. Yoann Gillet

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    C’est trop peu !

    M. Manuel Valls, ministre d’État

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    Nous prévoyons –⁠ je l’ai dit et cela a d’ailleurs été critiqué à l’instant par une autre partie de l’hémicycle – le durcissement des conditions de délivrance des titres de séjour pour motif familial. L’abrogation du titre de séjour territorialisé a dans un premier temps fait débat, mais nous avons trouvé une réponse satisfaisante.
    En ce qui concerne la sécurité, nous apportons aussi des réponses : sont prévus un engagement ferme en faveur d’un renforcement des effectifs, des visites domiciliaires aux fins de rechercher des armes et l’autorisation donnée aux forces de sécurité intérieure de traverser des bangas.
    S’agissant de l’eau, 730 millions d’euros sont prévus sur six ans. Ils permettront de lancer les travaux de l’usine de dessalement d’Ironi Bé, d’acquérir du foncier pour construire la troisième retenue et d’équiper Mayotte de dispositifs de récupération des eaux de pluie grâce à un plan d’action concret. France 2030 permettra de déployer des fontaines à eau atmosphérique. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
    Là aussi, c’est imparfait, mais au moins apportons-nous des réponses. C’est sans doute ce qui vous ennuie parfois : que nous essayions de trouver des solutions concrètes. D’autre part, je le répète, 2 millions de bouteilles d’eau ont été acheminées grâce à une chaîne logistique organisée par l’État et distribuées à la population depuis des « hubs » installés dans toutes les communes.
    S’agissant du foncier, nous prévoyons des mesures pour faciliter les procédures liées aux titres de propriété à l’article 20 et pour lutter contre les bidonvilles à l’article 10. Là encore, nous apportons des réponses. Quant à l’égalité sociale, le texte habilite pour douze mois le gouvernement à agir par ordonnances, dans le respect du dialogue social, afin de faire converger les droits sociaux. Ainsi, des engagements concrets ont été pris pour faire évoluer le smic dès janvier 2026. Madame Bamana, nous pouvons dialoguer et travailler ensemble sur bien des dossiers mais je regrette sincèrement que vous ayiez pu tenir de tels propos, car ils ne correspondent pas à la réalité. Je dirais même qu’ils sont caricaturaux. Même si je reconnais bien volontiers, après Philippe Vigier et d’autres, qu’il y a un passif, est-il bien nécessaire, au fond, d’alimenter ce sentiment de méfiance envers l’État alors que malheureusement, à cause du cyclone Chido, la situation a encore empiré ?
    Je suis au contraire très fier d’être le ministre des outre-mer qui vous soumet deux projets de loi ambitieux susceptibles –⁠ du moins, je l’espère de tout cœur – de répondre à des attentes fortes. Ce qui vous ennuie, c’est que ce soit précisément ce gouvernement qui soutienne de tels textes.

    M. Yoann Gillet

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    Vous disiez la même chose il y a dix ans !

    M. Manuel Valls, ministre d’État

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    Je dirai à présent quelques mots de la convergence sociale. Je veux articuler progression du smic et compétitivité des entreprises mahoraises. Notre objectif est la prospérité de Mayotte. Si la convergence est bien menée, ce vers quoi nous devons tendre, elle doit y contribuer. C’est le sens du calendrier progressif que nous avons prévu pour offrir de la visibilité aux entreprises ; c’est le sens de la concertation que le préfet et le général Pascal Facon mènent avec les acteurs économiques et sociaux depuis le 22 mai. Nous ne pourrons accélérer le calendrier, madame la rapporteure, qu’en accord avec les acteurs économiques et sociaux –⁠ ce sont les entreprises qui paient les salariés chaque mois.
    Enfin, dès le 1er janvier 2026, le smic net sera revalorisé pour atteindre 87,5 % du montant du smic net en vigueur dans l’Hexagone. Tous les 1er janvier, jusqu’en 2031, il continuera à augmenter jusqu’à atteindre les 100 %.
    J’ajouterai, pour répondre à M. Ratenon qui a évoqué la convergence des minima sociaux, que la portée sociale de ce texte est réelle : le 1er janvier 2027 marquera la première étape du relèvement de l’allocation aux adultes handicapés. Pour tenir compte des conclusions de la concertation, entre le 1er janvier 2027 et le 1er janvier 2029, le RSA sera relevé pour atteindre 71 % du montant national. Dès le 1er janvier 2029, l’AAH sera alignée. Au 1er janvier 2030, ce sera au tour de l’allocation de rentrée scolaire de l’être, et au 1er janvier 2031, celui du RSA. Je voudrais aller plus vite, mais –⁠ le rapporteur général a eu raison de le souligner –il faut garder la maîtrise de cette évolution. Je comprends parfaitement que l’attente soit difficile à supporter pour les Mahorais, mais nous avons défini un calendrier et c’est sur notre capacité à le tenir que nous serons jugés.
    Madame la présidente K/Bidi, dans le projet de loi initial, huit articles se rapportaient à l’immigration et quatre à la sécurité –⁠ je ne pense pas que vous fassiez l’amalgame. Cela signifie que pas moins de vingt-deux articles traitent de tout autre chose que les questions migratoires ou les problématiques de sécurité, qui n’en existent pas moins, ce que vous savez très bien. Rappelons que sept compagnies de gendarmerie sont déployées à Mayotte, sans compter les forces de police nationale, et que cela ne suffit pourtant pas à éradiquer la violence et l’insécurité. Ce sont donc vingt-deux articles que nous avons consacrés aux mesures de convergence sociale, à l’attractivité, au recensement, à l’offre de soins, à l’institutionnel, et j’en passe.
    De surcroît, dans le tableau de programmation financière, la lutte contre l’immigration irrégulière ne représente que 52 millions d’euros sur les 4 milliards engagés. S’il ne faut pas nier que ce combat ainsi que celui contre les bidonvilles sont essentiels, car si nous ne les menons pas, c’est sur du sable que nous reconstruirons Mayotte, n’oublions pas que c’est la convergence sociale qui est au cœur de ce projet de loi, au même titre que la reconstruction ou le financement des grands équipements. Nous nous attacherons à vous le prouver année après année, mais d’ores et déjà, le fait que le Parlement, Sénat et Assemblée nationale réunis, ait pris l’engagement d’inscrire 4 milliards, devrait vous rassurer : c’est le meilleur gage que nous puissions donner aux Mahorais. (M. le rapporteur général et M. le président de la commission des lois applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    4. Ordre du jour de la prochaine séance

    Mme la présidente

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    Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
    Suite de la discussion du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et du projet de loi organique relatif au département-région de Mayotte.
    La séance est levée.

    (La séance est levée à vingt heures cinq.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra