Première séance du lundi 02 juin 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Dépôt d’une motion de censure
- 2. Élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade
- 3. Liaison autoroutière entre Castres et Toulouse
- Présentation
- Motion de rejet préalable
- Mme Anne Stambach-Terrenoir
- M. Philippe Tabarot, ministre
- M. Jean Terlier, rapporteur
- Mme Brigitte Barèges (UDR)
- Mme Manon Bouquin (RN)
- M. Jean-René Cazeneuve (EPR)
- Mme Claire Lejeune (LFI-NFP)
- M. Romain Eskenazi (SOC)
- M. Guillaume Lepers (DR)
- Suspension et reprise de la séance
- Suspension et reprise de la séance
- Rappels au règlement
- Intervention du ministre
- 4. Fiscalité des microentrepreneurs et des petites entreprises
- Présentation
- M. Paul Midy, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire
- M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- Discussion générale
- Présentation
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
1. Dépôt d’une motion de censure
Mme la présidente
J’ai reçu, vendredi 30 mai à 15 heures 40, une motion de censure déposée par Mme Aurélie Trouvé et cinquante-sept membres de l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution.
En application de l’article 153, alinéa 4, du règlement, il est pris acte de ce dépôt. La motion de censure a été notifiée au gouvernement et affichée.
Il sera proposé à la conférence des présidents, qui se réunira demain à dix heures, d’inscrire la discussion et le vote de cette motion de censure à l’ordre du jour du mercredi 4 juin après-midi, à 14 heures, à la place des questions au gouvernement.
2. Élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Gabriel Attal et de plusieurs de ses collègues élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade (nos 1380, 1463).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées
Madame la présidente de l’Assemblée nationale, je vous remercie de présider personnellement cette séance importante pour l’histoire parlementaire.
Madame la ministre, monsieur le président de la commission de la défense nationale et des forces armées, honorables collègues députés, chère famille Dreyfus qui vous trouvez en tribune, voilà que par le lent passage du temps, il est proposé à l’Assemblée nationale d’élever Alfred Dreyfus, à titre posthume, au grade de général de brigade.
En tant que rapporteur, je remercie la commission de la défense nationale d’avoir validé à l’unanimité cette proposition de loi déposée par Gabriel Attal, texte que je sais, dans le cœur, attendu par plusieurs d’entre vous sur ces bancs.
Je veux croire que, toutes et tous, nous mesurons le caractère particulier de ce débat. Par notre vote, la République va réparer l’erreur que l’officier Dreyfus dut subir en 1906 lorsque la loi le réintégrant dans les cadres de l’armée ne le rétablit pas au grade qui lui revenait de droit. Cette erreur ne fut en rien anecdotique puisqu’elle brisa définitivement sa carrière militaire alors que la justice venait tout juste de l’innocenter. Cette erreur resta une blessure pour l’honneur de ce soldat dont l’armée fut, toute sa vie durant, la vocation.
Alfred Dreyfus naît à Mulhouse en 1859. Il est un enfant de l’Alsace, cette si belle province du Rhin où fut écrit notre hymne national, terre qui donna tant de généraux à la Révolution puis à l’Empire ! Jeune garçon, il assiste à la défaite traumatisante de 1870. La famille, de vieille lignée alsacienne juive, opte pour la nationalité française et doit quitter sa terre ancestrale.
Élève brillant, il sort de Polytechnique en s’engageant dans l’artillerie et réussit son admission à l’École supérieure de guerre. Il y obtient la mention très bien, le brevet d’état-major et un classement excellent : neuvième sur quatre-vingt-un. Alfred Dreyfus a trouvé sa raison d’être : servir la France par son glaive. Il veut servir la glorieuse armée française, celle de Bouvines, Rocroi, Valmy, Austerlitz, cette armée qui finirait – il en rêvait – par laver la débâcle de Sedan.
Le jeune officier est remarqué pour son intelligence, son sérieux, son esprit méthodique, sa culture et une forme de discrétion. Il est un pur produit du cartésianisme à la française et de la méritocratie républicaine. Ce jeune officier d’élite est promis aux plus belles destinées.
Soudain, en 1894, dans une société électrisée par le nationalisme, l’antisémitisme et la xénophobie s’abat la terrible machination. Lui, qui était d’abord un Français, un officier français, la foule haineuse ne le voit plus qu’en juif. Ce sont les douze années de l’Affaire bien connue.
Le 12 juillet 1906, la Cour de cassation innocente Dreyfus : « de l’accusation […], rien ne reste debout », écrivent les juges. La vérité judiciaire est dite.
Le lendemain, 13 juillet, ici même, la Chambre des députés adopte un projet de loi portant réintégration du capitaine breveté d’artillerie Alfred Dreyfus dans les cadres de l’armée, avec le grade de chef d’escadron, c’est-à-dire commandant.
C’est là que se noue le problème : il est réintégré en dessous du grade auquel il aurait pu prétendre. Il est encore pénalisé, amputé de cinq années d’avancement.
Très vite, il remarque la maldonne. Il semble, selon les historiens, que celle-ci soit d’abord une erreur administrative, fruit d’un malentendu. Si on s’activait pour obtenir la Légion d’honneur à Dreyfus – qu’il reçut lors d’une cérémonie émouvante à l’École militaire – on pensait qu’il ne continuerait pas sa carrière.
Or malgré la forfaiture organisée contre lui par quelques chefs indignes, Dreyfus veut toujours servir l’armée. Songez bien, mesdames et messieurs, chers collègues, ce que cette volonté de continuer à servir nous dit du sens du devoir, du courage et de la générosité des sentiments de cet officier. À l’issue d’une telle conspiration, quelle force d’âme et quel culte de l’armée faut-il avoir pour vouloir renfiler l’uniforme ! Souvenez-vous, c’était ça, Dreyfus ! Cet exemple de patriotisme qui s’écriait le matin d’hiver de son humiliante dégradation : « Vive la France ! Vive l’armée ! ».
En 1906 et 1907, il s’active en coulisse, pour tenter de corriger l’erreur. Il prépare même une proposition de loi rectificative. Sans succès. À l’époque, le gouvernement refuse de rouvrir le dossier.
Âgé de 46 ans, Dreyfus comprend qu’en raison des règles d’avancement et de limite d’âge, il ne deviendra jamais officier général. Sa carrière est terminée. Il demande, à contrecœur, sa mise en retraite, « avec – je le cite – une profonde tristesse… Mais aussi avec le sentiment très vif de remplir [son] devoir de dignité ».
Fidèle à son armée, ce patriote demeure réserviste. Il est des premiers qui se réengagent en 1914. À la fin de la Grande Guerre, il est au front, au Chemin des Dames et à Verdun.
L’Alsace-Lorraine est libérée. En 1918, il est certes nommé lieutenant-colonel de réserve, là encore trop tardivement ; cependant, l’erreur originelle de 1906 n’est pas corrigée.
Un siècle durant, cette injustice fut peu à peu oubliée ; puis un président de la République, en 2006, et une ministre des armées, en 2019, évoquèrent explicitement la question.
Un siècle après, un gouvernement pouvait-il encore la corriger ? Non, il ne le pouvait plus par la voie réglementaire. En ce sens – j’y insiste –, le chef de l’État a eu raison de rappeler en 2021 que, s’il considérait, in pectore, Dreyfus comme général, il ne pouvait le nommer à ce grade par décret et renvoyait à un dialogue avec les représentants du peuple français. J’ajoute que la voie législative s’impose en l’espèce puisque l’erreur originelle se trouve dans la loi de 1906.
La présente proposition de loi est individuelle et singulière. Elle vise à réparer un cas individuel et singulier, hors normes et sans comparaison sous la République. Elle ne crée aucun précédent.
À la question : « pourquoi agir ? » que se posent certains, je répondrai : pourquoi pas ? Pourquoi avoir tant attendu ? Pourquoi s’inventer sans cesse de nouvelles raisons de remettre à plus tard ? Cent dix-neuf ans, n’est-ce pas assez ?
Mes chers collègues, il n’est jamais trop tard pour corriger une injustice et réparer complètement l’honneur d’un homme et il est de notre devoir de le faire maintenant.
Il faut le faire non seulement pour Dreyfus mais aussi pour nous, pour la Nation, pour la France de demain. Il faut le faire pour que la République demeure cette haute idée de l’égalité et de la justice. Alors que notre vieux pays est à nouveau traversé par des pulsions de haine, d’antisémitisme, de xénophobie, de complotisme – maladies de la société qui font écho au climat de l’Affaire –, il faut rester vigilant, se rappeler de Dreyfus, ne pas oublier ce héros républicain, symbole de résistance à l’oppression et à l’écrasement.
Dreyfus n’est pas une vieille histoire ; c’est une sentinelle de la République ! Dans les conditions cruelles de l’île du Diable, il se battit pour sa survie et sa réhabilitation. Il fut le principal acteur de son histoire. S’il fut aidé par d’illustres personnalités ainsi que par des militaires – car il y en eût – qui crurent à son innocence et lui témoignèrent de la camaraderie, c’est bien Dreyfus qui, toujours, refusa d’abdiquer.
Ce combat, il put le mener aussi grâce aux valeurs de l’armée qu’on lui avait inculquées. Dreyfus est un modèle de résistance et d’héroïsme pour la nation. Il est un exemple pour les jeunes générations, un grand homme auquel la patrie peut se montrer reconnaissante.
En élevant Alfred Dreyfus au grade de général, la République aura réparé une erreur. Ce faisant, elle continue aussi de proclamer que ses lumières sont celles des droits de l’homme et du citoyen et d’une certaine idée de la vérité, du respect et de la dignité humaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et EcoS ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et UDR.)
Mme la présidente
Avant de donner la parole à Mme la ministre, je souhaiterais que nous saluions la famille d’Alfred Dreyfus et ses descendants qui sont présents en séance avec nous. (Mmes et MM. les députés ainsi que Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants se lèvent et applaudissent longuement en direction de la tribune.)
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants
Je me permets tout d’abord de saluer à mon tour la famille d’Alfred Dreyfus, présente dans les tribunes. Le moment qui nous réunit aujourd’hui, à l’initiative de l’Assemblée, est à la fois singulier et solennel. Il convoque un nom que l’histoire a élevé au rang de symbole : Alfred Dreyfus, officier injustement condamné au cours d’un procès inique, homme d’honneur bafoué, détenu enchaîné les fers aux pieds sur l’île du Diable, patriote blessé et pourtant resté fidèle à son pays, époux et père humilié, Français admirable pourchassé parce que juif, Alsacien et militaire moderniste.
Si Alfred Dreyfus est un symbole, c’est aussi parce qu’il fut au cœur d’un moment fondateur de notre République : lorsque celle-ci sut reconnaître qu’elle avait failli à ses principes.
Car Alfred Dreyfus est aussi cet homme d’honneur réhabilité par la Cour de cassation le 12 juillet 1906, cet officier réintégré dans l’armée par les députés dès le lendemain, ce soldat engagé qui reprend du service en 1914 et à qui la France rendra hommage en le promouvant au grade d’officier de la Légion d’honneur en 1919.
Il est également un symbole car sa réhabilitation est intrinsèquement liée à une mobilisation de l’opinion publique qui a conforté la République : c’est Clemenceau qui ouvre les colonnes de son journal L’Aurore au « J’accuse » de Zola, l’article qui annonce la vérité en marche ; c’est la République qui s’affirme contre tous les populismes de droite comme de gauche.
Cependant, si la République a reconnu l’innocence du capitaine Dreyfus – « […] de l’accusation portée contre [lui], rien ne reste debout […] » écrivait la Cour de cassation – la réparation offerte n’a pas été totale. Avec cette dignité qui le caractérisait, Alfred Dreyfus, qui revendiquait n’avoir « jamais demandé de faveurs dans [sa] carrière », estimait lui-même que les modalités de sa réintégration dans l’armée et sa nomination comme chef d’escadron avaient été injustes. Ce sentiment le conduisit à demander – avec au cœur la morsure de la résignation – sa mise à la retraite en 1907.
L’injustice de 1906 s’explique en partie par les circonstances de l’époque. L’examen de la proposition de loi déposée par le président Attal et éclairée par les analyses du rapporteur Sitzenstuhl nous permet d’apporter une réponse à une situation qui perdure depuis plus d’un siècle.
Il ne saurait être question de rouvrir tout le dossier de l’affaire Dreyfus – ni sur le plan judiciaire, l’affaire étant close depuis 1906, ni sur le plan historique car la vérité, de ce point de vue, est désormais bien établie. Dès lors, le vote d’aujourd’hui ne doit pas être source de confusion : n’oublions pas que le dreyfusisme victorieux n’est pas soluble dans les populismes étriqués qui excluent ou instrumentalisent.
Ce texte vise plus simplement, mais peut-être aussi plus profondément, à s’interroger à propos de la décision prise par les députés de 1906 : a-t-elle suffisamment réparé ? A-t-elle suffisamment reconnu ? En matière de réparation, il faut avoir la sagesse de ne réparer que les vivants.
C’est donc bien dans le champ de la reconnaissance mémorielle et symbolique que se situe notre discussion, d’autant plus que cette proposition de loi revêt une dimension singulière dans notre ordre constitutionnel puisque la nomination de nos officiers généraux relève du président de la République, en vertu de l’article 13 de notre Constitution. Elle ne peut donc revêtir qu’un caractère exceptionnel car le cas d’Alfred Dreyfus est unique, comme le sont les cicatrices de l’Affaire. Ce texte ne doit pas constituer un précédent qui nous encouragerait à questionner d’autres carrières.
Le gouvernement salue cependant les travaux menés jusqu’à la séance d’aujourd’hui, à la suite de la mobilisation d’élus, d’institutions, de citoyens, de la presse et du monde intellectuel. La grandeur républicaine consiste aussi à savoir reconnaître l’histoire sans prétendre effacer la cicatrice du passé.
Ensemble, ici, nous pouvons ainsi reconnaître le poids du geste que vous vous apprêtez à accomplir et qui est profondément significatif. Il l’est d’autant plus que la proposition de loi prend un relief particulier au moment où les actes de haine antisémite connaissent une inquiétante progression. L’antisémitisme frappe encore, jusqu’au c?ur de notre démocratie, dans nos rues et sur nos monuments, jusqu’à la personne de la présidente de l’Assemblée nationale. Je profite de cette occasion pour renouveler mon soutien à tous les parlementaires qui ont fait l’objet d’attaques antisémites ces derniers mois. Cette haine doit être combattue résolument.
Nous le savons : Alfred Dreyfus ne fut pas seulement la victime d’un des plus grands scandales politico-judiciaires de notre histoire. Il fut surtout le bouc-émissaire désigné d’un antisémitisme qui ne se cachait pas – comme il ne se cache plus, désormais, dans de trop larges pans de notre société.
Dès 1896, Bernard Lazare, le premier défenseur de Dreyfus, dénonçait « une atmosphère de haine et de soupçon ». Votre initiative parlementaire contribue à lutter contre les miasmes de cette atmosphère délétère qui, de nouveau, s’immisce dans notre corps social, par chaque interstice possible, et l’empoisonne. Nous devons collectivement aller plus loin encore pour la dissiper définitivement. L’exemple d’Alfred Dreyfus peut nous y aider en portant haut les valeurs de la République contre ceux qui veulent les affaiblir. Dreyfus doit être un exemple et non un remords.
Car oui, Dreyfus fut un exemple : un homme debout, refusant le reniement, fidèle à ses devoirs jusque dans l’isolement tragique sur l’île du Diable ; un officier à la retraite qui revient servir la France dans la Grande Guerre alors même qu’il avait toutes les raisons de se retirer. Il se distingue avec honneur et courage, participant notamment aux combats du Chemin des Dames et de Verdun avant d’être promu lieutenant-colonel en 1918. Il représente un modèle d’héroïsme républicain et d’engagement au service de la France.
Avec votre texte, vous entendez porter haut la mémoire d’un patriote mais aussi – et peut-être surtout – la promesse d’une République qui, jamais, ne cesse de vouloir progresser pour la vérité et la justice contre l’arbitraire et l’antisémitisme. Car c’est bien la dignité que vous vous proposez de reconnaître aujourd’hui.
Pour ce vote qui représente un geste unique, le gouvernement s’en remet à la conscience et à la sagesse de chacun. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur plusieurs bancs du groupe SOC. – MM. Maxime Michelet et Thierry Tesson applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.
M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées
Permettez-moi tout d’abord de remercier notre collègue, le président Gabriel Attal, pour cette proposition de loi, ainsi que notre rapporteur Charles Sitzenstuhl dont le travail a éclairé nos débats.
Dès l’examen en commission, vous nous avez permis de mettre à l’honneur avec justesse Alfred Dreyfus, un citoyen profondément républicain et engagé qui voyait la France comme un pays de progrès, de justice et de liberté. Profondément patriote, Alfred Dreyfus avait fait le choix des armes. Héros de la première guerre mondiale, habité par l’esprit de corps des officiers de l’armée française, il a combattu à Verdun et au Chemin des Dames. Je veux souligner ici ses qualités militaires qui ont été particulièrement reconnues.
J’ai également une pensée pour le colonel Marie-Georges Picquart, qui fut à l’origine de la remise en question de la culpabilité d’Alfred Dreyfus. Officier reconnu pour ses qualités, il fut l’un des pionniers du renseignement militaire français. Élevé au grade de général de division, il fut également ministre de la guerre au sein du premier gouvernement de Georges Clemenceau.
Ces deux officiers de l’armée française incarnent les qualités de nos valeureux soldats : le dévouement, l’esprit de sacrifice, le courage, les valeurs, l’honneur, la discipline, la loyauté et la fraternité. Elles témoignent de la singularité des militaires français.
Alors mes amis, votons pour cette proposition de loi. Honneur à Alfred Dreyfus ! Vive l’armée française, vive la République et vive la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et UDR. – M. Thierry Tesson applaudit également.)
Discussion générale
Mme la présidente
La parole est à M. Édouard Bénard.
M. Édouard Bénard
« […] Le jour où contre un homme un crime se commet ; le jour où il se commet par la main de la bourgeoisie, mais où le prolétariat, en intervenant, pourrait empêcher ce crime, ce n’est plus la bourgeoisie seule qui en est responsable, c’est le prolétariat lui-même ; c’est lui qui, en n’arrêtant pas la main du bourreau prêt à frapper, devient le complice du bourreau ; et alors ce n’est plus la tache qui voile, qui flétrit le soleil capitaliste déclinant, c’est la tache qui vient flétrir le soleil socialiste levant. »
Tels furent les mots de Jean Jaurès en 1898, quatre ans après la première condamnation d’Alfred Dreyfus – dont je salue les membres de la famille, présents en tribune –, trois ans après son transfert à l’île du Diable. Condamné par deux fois à la place d’un autre, pour un crime de trahison au profit d’une nation étrangère à la suite de procès biaisés et sur la foi de documents falsifiés avec l’approbation de l’état-major de l’armée française, Alfred Dreyfus aura vécu l’enfer de la déportation au bagne pendant cinq années et souffert de la calomnie et du déshonneur.
Il aura fallu l’engagement sans faille de ses proches, en particulier de son frère Mathieu, ainsi que de personnalités des milieux politique et intellectuel pour permettre de sortir l’affaire Dreyfus de l’oubli où Alfred avait été exilé.
Si des événements honteux entachent notre histoire, l’honneur du monde ouvrier et de certains intellectuels, à l’image de Jaurès, est d’avoir su se reprendre pour être, lors des moments de tournant, du bon côté, celui de l’universalisme.
Dans le même temps, une partie du monde politique et intellectuel, appuyée par les nervis de l’Action Française, se cachait derrière la défense de l’armée pour épancher dans ses journaux sa haine des juifs. Il faudra attendre 1899 pour que Dreyfus soit gracié bien que toujours officiellement coupable. Ce premier pas dans la réhabilitation et dans la reconnaissance de son innocence est le fruit de la mobilisation de tous les républicains, des socialistes et intellectuels de l’époque, notamment Émile Zola. Sept ans plus tard, Alfred Dreyfus sera enfin reconnu pleinement innocent puis réintégré partiellement dans l’armée. Cependant, ses années d’emprisonnement ne seront pas prises en compte dans la reconsidération de sa situation et toute perspective de carrière sera ainsi brisée.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à restaurer pleinement les droits d’Alfred Dreyfus en lui conférant de manière posthume le grade de général de brigade. Ce texte honore la représentation nationale en reconnaissant la faute de l’État et de l’armée dans ce scandale tragique et odieux que fut l’affaire Dreyfus.
Oui, l’affaire Dreyfus est un scandale qui tache l’histoire de notre République, de notre armée et de notre nation. Elle nous rappelle que les discriminations et la haine peuvent à tout moment porter atteinte à l’intégrité de notre société et aux valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité qui la fondent.
Cependant, la reconnaissance de la République ne peut se limiter à une déclaration d’intention. Ce vote invite la représentation nationale à expurger les dernières scories de l’affaire Dreyfus qui persistent plus de 120 ans après les faits.
Nous ne pouvons plus accepter que des rues et des places honorent encore la mémoire de ceux qui ont sali le nom de Dreyfus. À Paris, dans le premier arrondissement, une place porte celui de l’écrivain Maurice Barrès, lui qui affirmait dans ses tirades antisémites que Dreyfus avait été « capable de trahir » en raison de « sa race » ou encore que Zola était dreyfusard parce qu’il n’était pas Français.
Au sein même de notre assemblée, dans le salon Pujol, se trouve une statue d’Albert de Mun, lequel fut général et député, partisan de la restauration monarchique puis boulangiste avant d’être un militant assumé du camp anti-Dreyfus.
Soutien de Dreyfus, le député socialiste Francis de Pressensé, cofondateur de la Ligue des droits de l’homme, chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur, a été radié le 8 novembre 1898 pour atteinte à l’honneur après avoir communiqué à la presse son soutien à Émile Zola, suspendu de son titre, et affirmé qu’il se « répugnerait de continuer à [s’]orner la boutonnière d’un petit morceau de ruban rouge, devenu apparemment le symbole du mépris de la légalité et de la violation des principes de 1789 […] » Puisse la postérité lui rendre les honneurs dus.
Ce vote nous oblige. Il nous oblige à regarder en face notre histoire, à la réinterroger, sans enjolivement, pour réussir à dépasser le roman national.
Nous, députés communistes et progressistes ultramarins, sommes convaincus que la République doit réparer ses erreurs en reconnaissant ses victimes. En ce sens, nous voterons pour le texte sans aucune réserve. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS ainsi que sur plusieurs bancs des groupes EPR et LFI-NFP.)
M. Stéphane Peu
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet
« Plus cette affaire est finie, plus il est évident qu’elle ne finira jamais. » En écrivant ces mots, en 1910, Charles Péguy n’imaginait sans doute pas que l’affaire Dreyfus reviendrait occuper notre assemblée en 2025. Certains de nos compatriotes s’interrogeront sans doute sur ce débat aux accents anachroniques, que d’aucuns accuseront de procéder d’arrière-pensées tandis que d’autres l’estimeront à contre-temps des urgences du moment.
Pourtant, puisque la cause est grande, les arrière-pensées qu’elle peut alimenter ne méritent pas que l’on s’y attarde. Puisqu’elle est juste, elle ne saurait être à contre-temps, car la France ne perd jamais son temps à se souvenir. Une nation sans mémoire est en effet une nation sans avenir et, s’ils peuvent parfois paraître déroutants, les gestes mémoriels sont essentiels pour que la mémoire demeure vivante, pour qu’elle ne se dégrade pas au service de manœuvres politiques de circonstance mais conserve sa dimension mystique.
Élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade n’apportera rien à celui qui repose au cimetière du Montparnasse : les gestes mémoriels sont destinés aux vivants, non aux morts. En disant ce qu’ils furent, nous disons ce que nous sommes et ce que nous aspirons à être encore. En élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, en réparant la dernière humiliation qui lui fut infligée, en corrigeant un manquement commis par nos prédécesseurs dans cet hémicycle, nous réaffirmerons le combat de la France contre l’arbitraire et l’injustice.
Polytechnicien, élève de l’École de guerre, officier remarqué et remarquable, Alfred Dreyfus aurait dû connaître une carrière à la hauteur de ses talents. Mais, en 1894, une indigne conspiration brisa son épée. Il fallait trouver un traître et l’état-major trouva un officier juif, que l’on abandonna aux violences de l’antisémitisme.
Il fallut une détermination héroïque – au premier rang celle de Lucie et de Mathieu Dreyfus, son épouse et son frère, mais aussi celle du lieutenant-colonel Picquart, du vice-président du Sénat Scheurer-Kestner et bien sûr d’Émile Zola et de tant d’autres – pour que la vérité finisse par surgir. De la détermination, il en fallut également à Alfred Dreyfus lui-même pour survivre à cinq années de martyre sur l’île du Diable, cet infernal rocher sur lequel il refusa de mourir coupable d’un crime qu’il n’avait pas commis.
Il fallut attendre 1906 pour que son innocence fût définitivement affirmée par la Cour de cassation. Le lendemain, le 13 juillet, la Chambre des députés et le Sénat le réintégraient dans l’armée. Cependant, plutôt que de clore l’affaire, le vote de la loi afférente répara l’injustice par une nouvelle iniquité, car Dreyfus ne fut pas réintégré au grade auquel il avait droit au regard de son ancienneté. Dans une lettre adressée au désormais chef d’escadron Dreyfus, la veuve d’Émile Zola écrivait ainsi : « Qu’Alfred Dreyfus reste victime, après la preuve de son innocence, preuve irréfutable, demeure un crime à [l’]actif [de la France] qui sera la stupéfaction dans les temps futurs. »
La proposition de loi dont nous sommes saisis tend à réparer cette ultime injustice et à répondre à cette stupéfaction. Faute d’avoir obtenu gain de cause, Alfred Dreyfus s’était retiré de l’armée en 1907. Rappelé aux armes par la Grande Guerre, il obtint par le feu ce qu’on lui avait refusé par la loi et devint lieutenant-colonel en 1918. S’il avait été équitablement réintégré en 1906, il aurait achevé sa carrière au grade de général de brigade, au sein d’une armée à laquelle il était resté fidèle malgré les épreuves. Car en dépit de l’étrange défaite morale d’une partie de l’état-major, égarée dans la condamnation d’un innocent, et puisque le déshonneur de certains ne saurait engager l’honneur de tous, cette armée n’en demeurait pas moins celle de la France, qui défendit la patrie, au prix du sang, à Verdun, au Chemin des Dames, avec Dreyfus dans ses rangs.
Le groupe UDR votera en faveur de la reconstitution posthume de la carrière militaire d’Alfred Dreyfus. Il s’agit d’une réparation mémorielle que le président de notre groupe, Éric Ciotti, avait lui-même proposée en 2019 et en 2023. En reconstituant enfin la carrière de ce patriote français, nous saluons son engagement au service du pays, le courage dont il fit preuve face à l’adversité et les valeurs que son combat inscrivit dans la mémoire nationale. Ce fut un combat pour la justice, le droit et la liberté, mais aussi contre les horreurs de l’antisémitisme. Aujourd’hui encore, alors que l’antisémitisme, porté non plus par les épigones de Drumont ou de Maurras mais par l’islamisme politique, relève résolument la tête, ce combat doit nous inspirer. Nous ne rendrons jamais de véritable hommage à Alfred Dreyfus en lui conférant un grade ou en lui érigeant une statue, mais en entretenant sa mémoire vivante, qui nous enjoint de ne jamais tolérer les brutalités de l’arbitraire et les violences de l’intolérance. Au moment de saluer la mémoire du capitaine – bientôt général – Dreyfus, ayons une pensée pour tous les innocents humiliés qui, par toute la Terre, sont écrasés par la conspiration de l’arbitraire, au premier rang desquels notre compatriote Boualem Sansal. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Thierry Tesson.
M. Thierry Tesson
Comme l’a rappelé le rapporteur Sitzenstuhl, l’affaire Dreyfus marque un tournant majeur dans notre mémoire collective, le moment d’une profonde crise de régime, vécue par ses nombreux ennemis comme une occasion de le détruire. Cette mise à l’épreuve de la jeune République a pris le visage d’un capitaine d’artillerie, Alfred Dreyfus, injustement accusé d’espionnage au bénéfice de l’Allemagne. Ni sa qualité d’optant de 1871, ni ses brillants états de service, ni son patriotisme avéré n’empêchèrent ses accusateurs de ne voir en lui qu’un trait, qui justifiait leurs soupçons : il était juif.
Entre le conseil de guerre de décembre 1894 et la réhabilitation de juillet 1906, retenons, pour ce qu’il nous enseigne, le procès dit de Rennes, qui eut lieu en septembre 1899. C’est après une intense campagne – menée tandis que le condamné est à l’isolement, au large de Kourou, sur l’île du Diable – que la Cour de cassation arrête qu’un nouveau jugement devra être rendu. C’est la victoire de ceux que l’on appelle depuis lors les dreyfusards – Bernard Lazare, Jean Jaurès, Georges Clemenceau, Émile Zola et tant d’autres – mais aussi de ses proches : Lucie, son épouse, et Mathieu, son frère.
Outre l’atmosphère tendue, presque de haine, qui règne dans et hors de la salle des fêtes du lycée où se déroule le nouveau procès, rien n’exprime mieux l’arbitraire que le verdict absurde qui tombe, après un mois de débat, sur Alfred Dreyfus. Il est condamné pour haute trahison – c’est un crime – mais écope seulement – si j’ose dire ! – de dix ans de détention, au titre de circonstances atténuantes. Cette décision est le point culminant, la dernière tentative d’un système qui, pour éviter de se déjuger, pour – prétendument – ne pas porter atteinte à l’honneur de l’armée, préfère s’enfoncer dans l’erreur. Un éminent dreyfusard la résume ainsi : Dreyfus a été condamné par une caste « le sachant innocent, pour sauver des généraux coupables ». À la suite de la grâce présidentielle qui le libère aussitôt après ce fiasco judiciaire, il faudra près de six années pour que son innocence soit reconnue sans réserve, en juillet 1906.
Dans une certaine mesure, la présente proposition de loi représente une conclusion que cette décision aurait dû rendre possible. Il convenait en effet qu’une erreur d’État de cette dimension reçoive réparation et qu’ainsi la carrière du capitaine Dreyfus soit rétablie suivant sa logique initiale, celle d’un polytechnicien, breveté d’état-major, dont les états de service devaient le conduire à assumer le grade de général de brigade, qui fut le terme de la carrière de la plupart de ses camarades.
En juillet 1906, Dreyfus ne bénéficie d’aucune rétroactivité alors qu’il est capitaine depuis dix-sept ans. Il n’est pas non plus tenu compte de l’injustice sans exemple qu’il vient de subir au nom de la raison d’État. À cet égard, il faut comparer son sort à celui qui était réservé au même moment au lieutenant-colonel Picquart. Si ce dernier a eu à souffrir d’une réforme et même de la prison en conséquence de ses efforts pour faire éclater la vérité, sa réhabilitation a été toute autre. Sautant une étape, il est promu général de brigade et sera même, peu de temps après, ministre de la guerre dans le gouvernement Clemenceau. Chef d’escadron plutôt que lieutenant-colonel comme il aurait dû l’être, Alfred Dreyfus ne pouvait de ce fait accéder au généralat qui devait couronner sa carrière d’officier. La conclusion s’impose : s’il n’y est pas parvenu, c’est parce qu’il a été accusé d’un crime qu’il n’a pas commis.
Ce qui précède suffirait à justifier cette promotion posthume mais il y a aussi la force du symbole qu’elle apporte au présent, d’abord par le réveil de la mémoire nationale. Plus d’un siècle après les faits, à un moment où, suivant le mot d’Augustin Thierry, « l’interruption des souvenirs » peut exercer son puissant pouvoir d’oubli, il est utile de rappeler aux générations nouvelles ce temps où la République, soumise aux préjugés et aux passions les plus extrêmes, a vacillé. Il est encore plus essentiel de célébrer la capacité de résistance qui est la sienne dès lors que le refus de l’arbitraire s’incarne dans l’ensemble du corps social. Enfin, dans un contexte inquiétant, alors que l’on macule de peinture verte les façades des synagogues, cette réparation posthume rappelle à toute la nation l’urgence de défendre ses principes fondateurs. S’il faut soutenir cette proposition de loi, c’est pour rappeler à l’opinion, surtout à notre jeunesse, que l’antisémitisme est comme une hydre qui peut sans cesse renaître sous des traits nouveaux mais tout aussi dangereux.
M. François Cormier-Bouligeon
M. Le Pen était l’une de ses têtes !
M. Thierry Tesson
En élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, nous ne rendons pas seulement hommage à un homme : nous protégeons l’avenir de la France. C’est pourquoi je vous invite à adopter ce texte sans réserve. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Maillard.
M. Sylvain Maillard
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, chère famille Dreyfus, nous examinons une proposition de loi, déposée par Gabriel Attal, qui vise à réparer l’injustice que subit Alfred Dreyfus il y a plus d’un siècle, à son retour du bagne, et qui enraya irrémédiablement sa carrière d’officier : les années qu’il avait passées sur l’île du Diable ne furent pas prises en compte dans la reconstitution de sa carrière, ce qui l’empêcha d’atteindre le grade de général de brigade qui aurait dû, au regard de sa formation et de ses états de service, lui revenir. Ainsi, à l’infamie qui s’abattit sur lui pendant les années où il fut réputé traître, sur le fondement de préjugés antisémites et de documents falsifiés, s’ajouta l’injustice de voir sa carrière militaire irrémédiablement compromise du fait d’une affaire dont il était pourtant la victime principale. De son vivant, Dreyfus lui-même pointa d’ailleurs cette injustifiable inégalité de traitement et demanda qu’il y soit mis fin, sans succès.
Aussi, en conférant au soldat Alfred Dreyfus le rang de général de brigade, cette proposition de loi entend-elle revenir sur l’écueil qui fonda cette inégalité de traitement dans la loi de réhabilitation du 13 juillet 1906. En accomplissant ce geste, notre hémicycle s’inscrira dans la longue tradition de notre République, qui s’est toujours efforcée, face à l’histoire, de reconnaître les torts subis par ses citoyens lorsqu’ils étaient de son fait et d’honorer ceux d’entre eux qui, par leur dévouement ou leur action, l’ont servie ou honorée, en faisant vivre ses valeurs. Or Alfred Dreyfus, par son sens de l’honneur, sa fidélité aux valeurs militaires et républicaines, l’abnégation dont il fit preuve en s’efforçant de laver son nom et de faire reconnaître sa loyauté constante envers sa patrie, a indéniablement fait vivre les valeurs de notre République.
M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées
Excellent !
M. Sylvain Maillard
J’entends les craintes d’une récupération politique de l’affaire Dreyfus qui s’expriment sur certains de ces bancs. Pour l’éviter, prenons cette proposition de loi pour ce qu’elle est : la correction d’un tort historique fait à Alfred Dreyfus sur les bancs de cette même assemblée. Il ne s’agit pas ici de rouvrir les blessures du passé ou de le travestir, en usant de cette mémoire à des fins polémiques ou bassement politiciennes. Il s’agit au contraire d’atteindre l’objectif que s’était assigné, dans son principe, la loi de 1906 : sortir de l’affaire Dreyfus par le haut, en honorant les états de service d’un officier français droit et intègre, un officier qui n’hésita pas, à 55 ans, à reprendre l’uniforme pour défendre sa patrie lors de la première guerre mondiale, malgré toutes les souffrances qu’il avait pu endurer à son service.
Bien sûr, voter ce texte ne fera pas baisser, encore moins disparaître, l’antisémitisme et les préjugés ignobles qu’aujourd’hui comme hier, cette haine colporte, à commencer par le supposé manque de patriotisme dont nos concitoyens juifs sont ignoblement accusés – on a pu regretter jusque dans cet hémicycle que ce préjugé continue de fleurir.
Voter ce texte ne rachètera ni les mots, ni les actions que nous avons pu voir proférer et commettre, lors des dernières décennies comme dans un passé plus récent, et qui heurtent nos valeurs de vivre-ensemble.
Voter ce texte, ce n’est pas refaire l’histoire de l’Affaire, ni effacer la tache indélébile qu’elle a laissée sur notre histoire nationale et qui nous oblige à toujours plus de constance, à toujours plus de recul critique et à toujours plus d’attachement à faire vivre nos valeurs républicaines. Non, nous n’effacerons pas le passé en votant cette proposition de loi, mais nous le regarderons en face avec gravité et courage pour mieux ancrer l’idéal républicain dans le présent.
Si notre groupe Ensemble pour la République votera bien entendu cette proposition de loi, j’invite également tous les groupes à voter en faveur de son adoption afin que nous puissions ensemble rendre vivants ces quelques mots qui sont porteurs de tant de sens pour la mémoire d’un homme comme pour notre mémoire collective : « La nation française [éprise de justice et qui n’oublie pas] élève, à titre posthume, Alfred Dreyfus au grade de général de brigade. » (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur plusieurs bancs des groupes SOC et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Gabriel Amard.
M. Gabriel Amard
Il y a des noms qui brûlent dans la nuit comme des veilleuses de justice ; celui de Dreyfus est de ceux-là. Et dans ce nom, c’est tout un siècle qui vacille encore, un siècle de trahison froide, un siècle de procès aux regards tordus, un siècle de silence militaire, de lâcheté en uniforme. « C’est un crime », disait Zola, « d’égarer l’opinion, d’utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu’on a pervertie jusqu’à la faire délirer. » Et l’on fit délirer la République, on la vêtit de mensonges, on l’arma de haine. Un homme, un seul, fut jeté au bagne, non pour ses actes, mais pour ce qu’il était…Un juif. Un soldat. Un bouc émissaire. Ils savaient et ils ont signé sur un parchemin de haine leur forfait de justice ! Le sabre a tranché la vérité…Mais la plume d’un Zola, d’un Jaurès, a résisté. Et Jaurès, lui, voyait plus loin, plus haut, plus vrai ! Si Dreyfus est illégalement condamné, il n’est plus qu’un homme nu, l’humanité elle-même au plus haut degré de misère et de désespoir, le témoin vivant d’un mensonge militaire, de la lâcheté politique et des crimes de l’autorité.
Nous aujourd’hui, dans cette assemblée, nous disons que le temps est venu…non pas seulement d’honorer une mémoire, mais de réparer une injustice ! Le grade de général à titre posthume n’est pas un symbole : c’est une exigence. Mais tandis que nous honorons ce nom, d’autres s’en emparent sans honte. Et voilà que ceux qui ricanent à l’ombre des croix gammées numériques, ceux qui veillent sur les étagères de la haine, diffusent un poison lent pour la République, ceux-là mêmes qui lèvent aujourd’hui la main comme s’ils avaient été dreyfusards…Non, dans ma famille, on descend des dreyfusards, pas dans la vôtre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau et M. Boris Vallaud applaudissent également.) Car ce combat ne se porte pas comme un costume à la tribune : il se vit, il s’incarne dans chaque prise de parole contre la haine, dans chaque refus d’accepter l’exclusion, dans chaque main tendue à l’opprimé.
M. François Cormier-Bouligeon
Prouvez-le alors !
M. Gabriel Amard
Ne vous servez pas de l’antisémitisme comme d’un javelot politicien : il n’est pas votre cause. Il est notre serment ! Et nous le renouvelons car l’antisémitisme n’est pas mort ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.) Mais il n’est pas seul : l’islamophobie ronge les plateaux et les lois.
M. François Cormier-Bouligeon
Ce n’est pas vrai ce que vous dites !
M. Gabriel Amard
Le racisme, l’homophobie et la haine des pauvres s’installent comme des meubles dans la maison commune ; ils repeuplent la République de ses vieux fantômes…Diviser pour régner comme en 1894 ! Opposer le patriote à l’étranger, le bon Français à l’indésirable, la République à ses enfants ! Et dans cette nuit, toujours le même brouillard, toujours cette peur qui veut gouverner, toujours ce pouvoir qui se garde en éteignant les lumières…
Alors nous disons : plus jamais ! Plus jamais l’homme broyé dans la machine de l’État ! Plus jamais l’uniforme contre la justice ! Plus jamais le silence contre le droit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Chaque être humain est un feu fragile et nous, nous sommes là pour empêcher qu’on les éteigne un à un, nom par nom, souffle par souffle ! Et dans l’ombre toujours le nom de Dreyfus, une lumière que l’on n’éteindra pas. Votons cet acte ! C’est un acte de mémoire et de conscience ! (Mmes et MM. les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Rousseau.
M. Aurélien Rousseau
Au nom de ce que la République a fait subir au capitaine Alfred Dreyfus, à sa femme, à son frère, à ses défenseurs et aux juifs de France, au nom de la violence qu’a subie Alfred Dreyfus après la révision de son procès et l’établissement définitif de son innocence, quand l’institution militaire, pourtant dirigée par l’héroïque général Picquart, n’a su que le réintégrer au grade de chef d’escadron, au nom de tous les messages terrifiants que nous recevons les uns et les autres depuis quelques jours, continuant à nous dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que sans doute Dreyfus avait tout de même quelque chose à se reprocher…C’est au nom de tout cela, évidemment, que le groupe Socialistes et apparentés s’associe à cette proposition de loi et la soutient.
M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur
Très bien !
M. Aurélien Rousseau
Alfred Dreyfus restera ce capitaine dégradé, au sabre brisé, ce capitaine dont la statue n’a pu rejoindre, il y a quarante ans, la cour de l’École militaire…et qui attend, comme échouée, boulevard Raspail, de trouver un lieu plus symbolique. Et c’est au nom du caractère totalement inédit de l’anti-dreyfusisme dans notre histoire que cette mesure a tellement de sens. Car l’affaire Dreyfus n’est pas un soubresaut : elle est un élément tellurique de notre histoire nationale. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’ouvrir un droit, de créer un précédent : l’affaire Dreyfus n’a pas de précédent, aucun. Que ce soit clair, que ce soit gravé ici : elle est un poison lent, celui de l’antisémitisme, celui de la recherche de l’ennemi de l’intérieur, qui reste depuis si longtemps la matrice de l’extrême droite française. (M. Boris Vallaud et M. Romain Eskenazi applaudissent.) Par notre vote, nous solderons sans doute l’humiliation de la cour de l’École militaire, l’écrasement par l’institution de l’officier subalterne pourtant promis à un bel avenir. Mais le sujet n’est plus celui de la confrontation des armées avec leur histoire : il est celui de la confrontation de la nation avec son histoire. En aura-t-on fini avec l’affaire Dreyfus ? Est-ce qu’après l’adoption de cette proposition de loi, le dossier d’Alfred Dreyfus sera clos ? Non. Car nous n’en avons pas fini avec la haine antisémite qui, telle l’hydre, revient en permanence sous d’autres formes.
Philippe Collin, dans sa remarquable série, souligne l’héroïsme civique de Dreyfus, cet héroïsme qui a permis de faire triompher les valeurs républicaines que sont la justice, la vérité et l’égalité devant la loi. Sa foi républicaine était justifiée car la République a tenu.
C’est cette vieille image d’un homme plus petit que sa propre histoire qu’il faut aujourd’hui remettre en cause, celle d’un homme passif, spectateur, ce qu’il y a encore vingt-cinq ans, on nous apprenait dans nos études d’histoire. Mais l’histoire avance. La seule lecture de la correspondance de Dreyfus avec son admirable femme Lucie montre qu’il est tout sauf inconscient de ce qu’il représente. Écrire, c’est résister : « Je vis d’espoir, ma bonne chérie ; je vis dans la conviction qu’il est impossible que la vérité ne se fasse pas jour, que mon innocence ne soit pas reconnue et proclamée par cette chère France, ma patrie, à laquelle j’ai toujours apporté tout le concours de mon intelligence et de mes forces, à laquelle j’aurais voulu consacrer tout mon sang », lui écrit-il. Permettez-moi cette hypothèse : Dreyfus aimait trop la République pour la mettre encore plus à l’épreuve ; quand il est enfin réhabilité en 1906, il ne cherche pas la revanche. Ce n’est pas un homme brisé qui est réhabilité dans la cour d’honneur de l’École militaire, avec ses quatre pauvres galons de chef d’escadron et sa croix de la Légion d’honneur rouge éclatante sur les brandebourgs noirs de son uniforme…C’est un homme rayonnant, épanoui. Les photographies de l’époque en témoignent. Il reprend du service dans l’armée qui l’a trahi, pour servir lors de la première guerre mondiale comme chef d’escadron d’artillerie de réserve, et c’est sur le champ de bataille qu’il gagne son cinquième galon et devient lieutenant-colonel. Non, Dreyfus ne fut pas un petit homme ballotté par la grande histoire : il fut un homme à la hauteur de cette grande histoire, un grand homme modeste et droit, déterminé et habité par une certaine idée de la république française, un grand homme dont le nom a été prononcé tout au long du siècle, jusque dans la bouche haineuse de Maurras à l’issue de son procès.
Et aux grands hommes, la patrie doit savoir être reconnaissante.
M. Boris Vallaud
Au Panthéon !
M. Aurélien Rousseau
C’est pourquoi au groupe Socialistes et apparentés, nous pensons que c’est au Panthéon que ce capitaine-général Dreyfus, et sa femme, devraient être accueillis ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LIOT, ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR.) Ils ont été des combattants de la République. Il a choisi de vivre et de garder la tête haute comme notre pays dans ce siècle de tourments.
Un dernier mot en écho à certaines positions exprimées ces jours-ci – pourquoi cette proposition de loi ? L’Affaire n’est-elle pas close ? Ne s’agit-il pas là que de frénésie mémorielle à laquelle notre nation cède parfois alors que la République a gagné ? Ces maîtres mots que sont universalisme, République, confiance dans les institutions, résonnent particulièrement aujourd’hui. Tout indique que si nous ne les défendons pas, nous pourrions revivre une telle affaire, tant la volonté de désigner des coupables et de renvoyer les citoyens à telle ou telle de leur appartenance, tant le doute sur l’efficacité et la force de notre démocratie, sont présents chaque jour, même sur certains bancs.
En entrant au Panthéon, Dreyfus ne sera définitivement plus un remords ; ce sera enfin un exemple, et surtout un vivant symbole de ce à quoi nous croyons le plus : une république forte, sociale, juste et émancipatrice. (Mêmes mouvements. – M. le rapporteur et Mme Sandrine Rousseau applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Dive.
M. Julien Dive
Le nom d’Alfred Dreyfus ravive l’une des pages les plus douloureuses, mais aussi les plus fondatrices, de notre histoire républicaine. La République a pu, a su réparer et convoquer, au-delà des passions, une exigence de justice et de vérité. Cette proposition de loi, déposée par le président Gabriel Attal, vise à élever à titre posthume le lieutenant-colonel Alfred Dreyfus au grade de général de brigade. Elle s’inscrit dans une démarche de reconnaissance, à la hauteur du destin brisé d’un homme dont l’honneur fut injustement bafoué. Notre rapporteur a parfaitement rappelé les tenants et le contexte de l’affaire Dreyfus, je n’y reviendrai pas. Je rappellerai seulement que cette affaire à la fois judiciaire et politique a profondément marqué la France entre 1894 et 1906, divisant la société et les institutions, et jusqu’aux familles, partagées entre dreyfusards et anti-dreyfusards. Elle a mis en lumière les questions de corruption au sein de l’institution, y compris militaire, ainsi que les tensions antisémites de l’époque. Mais elle demeure aussi le symbole d’un sursaut républicain, d’une quête opiniâtre de vérité, de justice et d’un moment fondateur de notre conscience démocratique.
Chacun sait ici comment commence cette affaire : l’accusation d’espionnage visant Alfred Dreyfus, brillant capitaine d’artillerie, Alsacien de confession juive, dont les états de service étaient irréprochables ; injustement accusé de trahison au profit de l’Allemagne, alors puissance occupante en Alsace-Moselle, il est rapidement jugé, condamné à la déportation à l’île du Diable en Guyane, sur la base de preuves qui, plus tard, se révéleront totalement falsifiées. Les rebondissements de cette affaire ont émaillé les débuts du XXe siècle dans notre pays : les doutes sur l’enquête, les prises de position d’un Zola ou d’un Péguy, le réexamen du procès, une nouvelle condamnation avant qu’il ne soit disculpé et réintégré dans l’armée en 1906, rien n’aura été épargné à cet homme courageux patriote, sincère, mesuré et tenace, épris de progrès et de liberté, et soucieux des siens. Jusqu’au fond de son cachot de l’île du Diable, il demeurera fidèle à la République, à la justice, à la France. Réintégré en 1906, Alfred Dreyfus démissionna un an plus tard, avant de reprendre du service pendant la Grande Guerre en tant qu’officier de réserve ; il combattit à Verdun et, dans l’Aisne, au Chemin des Dames, sur ces terres ensanglantées devenues symboles de notre histoire nationale ; il fut nommé lieutenant-colonel en 1918. Et pourtant dans notre mémoire collective, il demeure figé au grade de capitaine, celui qu’il avait au moment où l’injustice s’est abattue sur lui.
À la lumière de son parcours, de son rang de sortie à l’école de guerre en 1892 – neuvième sur quatre-vingt-un – et de ses états de service, nul ne peut contester qu’Alfred Dreyfus aurait accédé en temps normal au plus haut grade.
Comme le souligne avec justesse la proposition de loi, cinq années de déportation et d’humiliation ont irrémédiablement freiné sa carrière militaire. Telle est donc la portée de ce texte : réparer symboliquement ce que l’injustice a entravé et rendre à Alfred Dreyfus la reconnaissance que son engagement et sa loyauté envers la France appelaient naturellement.
Pour le groupe de la Droite républicaine, l’armée est le pilier de la nation, le rempart de nos libertés. Le geste envers Alfred Dreyfus n’est pas une remise en cause de nos armées ; il constitue un acte de fidélité à leurs valeurs profondes : le courage, la justice et la loyauté.
M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées
Bravo !
M. Julien Dive
Si nous élevons Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, ce n’est pas pour effacer l’histoire ou juger le passé avec les yeux du présent mais, plutôt, pour rendre à un homme ce que la justice lui avait promis et rappeler que l’honneur ne se prescrit pas.
Nous saluons donc un combat exemplaire pour la vérité, un combat qui transcende les époques et qui, plus d’un siècle après, continue de nous rappeler ce que signifie la fidélité aux principes républicains. Il ne s’agit pas d’instrumentaliser une mémoire, encore moins de raviver les querelles. Il s’agit d’assumer lucidement une part de notre histoire, avec ce qu’elle a de plus douloureux, mais aussi de plus fondateur. Dès lors, chercher à opposer des lectures concurrentes de l’affaire Dreyfus, à en faire une source de polémiques ou un prétexte à des postures serait trahir le sens même de ce moment. Car la mémoire appelle non l’appropriation mais le respect.
M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées
Très juste !
M. Julien Dive
J’entends, bien sûr, les inquiétudes exprimées par certains de nos collègues. Ils redoutent que cette initiative ne serve, par ricochet, des arrière-pensées politiques ou des règlements de comptes contemporains.
M. Philippe Gosselin
Hélas !
M. Julien Dive
Je respecte leur vigilance, mais je crois que l’erreur serait de céder à cette crainte, au point de renoncer à parler. Assécher le débat au motif d’un éventuel détournement de l’examen du texte, c’est paradoxalement s’en faire complice.
M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur
Très juste !
M. Julien Dive
Je crois au contraire qu’il faut regarder la proposition de loi pour ce qu’elle est : un geste de reconnaissance, républicain et historique. Rien de plus, rien de moins !
Le général de Gaulle avait eu cette formule simple et puissante : « Dreyfus, un officier français. » Tout est dit, et ce sont ces mots qui doivent guider notre vote.
M. Philippe Gosselin
C’est l’essentiel !
M. Julien Dive
À ce titre, Alfred Dreyfus doit donc accéder au grade que sa vie au service de la France lui permettait d’obtenir. Pour l’honneur d’un homme, pour témoigner de la reconnaissance de la nation, nous voterons en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et EPR. – M. Maxime Michelet applaudit également)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian
Le 5 janvier 1895, à 9 heures, le capitaine Alfred Dreyfus est dégradé. Son sabre est brisé, ses galons sont arrachés. Durant cette humiliation publique, devant une foule d’où s’échappent des « Mort au juif ! » et des « À mort Judas ! », il ne cesse de clamer son innocence. Lui, le patriote, le soldat loyal marqué par la guerre de 1870, est accusé à tort et condamné au bagne à perpétuité et à la dégradation militaire pour intelligence avec l’ennemi.
L’état-major ne dispose d’aucune preuve de sa culpabilité. Qu’à cela ne tienne : le conseil de guerre est convoqué à huis clos et un faux dossier est monté de toutes pièces. Le polytechnicien brillant devient le coupable idéal et, selon la pensée antisémite à l’œuvre dans la société, le symbole de la traîtrise et de l’ennemi de l’intérieur. Face à l’ampleur que prend l’affaire dans l’opinion et grâce à la mobilisation de ses soutiens, le premier jugement est finalement cassé et un nouveau conseil de guerre est convoqué. Condamné à nouveau, le capitaine est gracié par le président de la République. L’affaire est étouffée, mais Dreyfus demeure coupable. Il faudra attendre 1906 pour qu’il soit réhabilité et réintégré dans l’armée. Mais son avancement est retardé de cinq ans, ce qui l’empêche d’atteindre le grade de général – une injustice de plus.
Nous nous apprêtons à parachever une réparation jusqu’ici incomplète en élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade. C’est le sens de la proposition de loi que de reconnaître la valeur du soldat et de l’homme quand, à l’époque, nombre de ses concitoyens n’ont vu en lui que le juif, dès lors suspecté de n’être pas véritablement français et patriote, et jugé incapable de servir son pays.
Quelles leçons tirer de l’affaire Dreyfus ? Qu’est-ce qui a rendu possible une injustice aussi grande, dans cette République française qui, la première, avait considéré les juifs comme des citoyens à part entière ? Tout d’abord, un antisémitisme ancien et profond. Qu’en est-il aujourd’hui ? En 2024, le nombre d’actes antisémites a bondi de 260 % par rapport à 2022. Au quotidien, l’antisémitisme est bien réel pour nombre de nos compatriotes, et il ne doit jamais être relativisé. Ce week-end encore, nous en avons été les témoins sidérés en apprenant les dégradations à caractère antisémite de synagogues parisiennes et du Mémorial de la Shoah.
Comment ne pas voir un parallèle entre la presse antidreyfusarde d’hier, qui attisait l’antisémitisme et poussait des groupes d’extrême droite à l’agression physique, et les médias bollorisés d’aujourd’hui, qui enchaînent les condamnations pour incitation à la haine et concourent à la hausse des discriminations racistes dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – MM. René Pilato et Gabriel Amard applaudissent également.) Pas plus tard qu’hier, dans le Var, deux étrangers, dont l’un est mort, ont été agressés par un de leurs voisins qui a revendiqué le caractère raciste de ses actes.
Les contempteurs de Dreyfus voyaient en lui un ennemi de l’intérieur, un étranger au corps social qui ne serait jamais pleinement français et patriote. Cette rhétorique nauséabonde, caractéristique de l’extrême droite, resurgit aujourd’hui quand une responsable politique du bloc central accuse, par tweets, un député d’« entrisme »…
Mme Natalia Pouzyreff
Qu’est-ce que ça vient faire là ?
Mme Sophie Taillé-Polian
…ou quand nos compatriotes musulmans, ou ceux perçus comme tels, sont de fait suspectés de ne pas être assez français. La haine raciste n’est pas l’apanage du passé.
Condamné à la suite d’un simulacre de procès, Alfred Dreyfus a été victime d’une justice aux ordres, d’un système judiciaire qui avait pour objectif premier non la recherche de la vérité, y compris quand la culpabilité d’Esterhazy est apparue au grand jour, mais la défense des intérêts de l’armée. C’est pourquoi nous ne sommes guère étonnés de voir l’extrême droite contemporaine chercher constamment à fragiliser l’indépendance de la justice. (Mme Caroline Colombier s’esclaffe.) Aux États-Unis, Donald Trump mène un combat permanent contre les juges. Il n’y a ni République ni justice sans indépendance des juges. Elle est un rempart qu’il faut protéger. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
M. Sylvain Maillard et M. Jérémie Patrier-Leitus
Quel rapport ?
Mme Sophie Taillé-Polian
Par notre soutien à la proposition de loi, nous rappelons que le combat contre l’arbitraire, la haine et la discrimination est toujours d’actualité. Nous inscrivons nos pas dans ceux des dreyfusards de l’époque, militantes et militants acharnés de la recherche de la vérité, de la justice et de l’égalité des individus devant la loi. Notre vote est également en résonance avec des combats actuels, menés quand des Français sont soupçonnés de ne pas assez aimer leur pays, voire d’en être des ennemis, en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à une religion ou à une ethnie. Nous voterons bien sûr avec conviction en faveur du texte, même s’il est trop faible pour réparer à lui seul toutes les dérives passées et présentes qui font tant de mal à notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Patrier-Leitus.
M. Jérémie Patrier-Leitus
« Capitaine, […] l’œuvre n’est point finie, il faut que votre innocence hautement reconnue sauve la France du désastre moral où elle a failli disparaître. […] Quand l’innocent se lèvera, la France redeviendra la terre de l’équité et de la bonté. » Le 6 juillet 1899, Émile Zola écrit à Alfred Dreyfus. Le capitaine vient de rentrer de sa déportation au Diable, île rugueuse du bout du monde et dépendance du bagne de Cayenne où il fut reclus pendant mille cinq cent dix-sept jours.
Zola écrit à Dreyfus, qui est encore le « lépreux de la France », le traître, le coupable haï par une partie du pays, et qui croupit alors dans la prison militaire de Rennes. Émile Zola écrit à Alfred Dreyfus pour continuer le combat qui vise à faire éclater au grand jour l’innocence du capitaine et à sauver la France du désastre moral.
M. Emmanuel Maurel
Gloire à Émile Zola !
M. Jérémie Patrier-Leitus
Quand Zola écrit à Dreyfus, la France est toujours divisée, fracturée en son cœur. La France des dreyfusards, épris de justice, d’égalité et de vérité, s’oppose à la France nationaliste, idéologue et antisémite des antidreyfusards. Chacun choisit son camp, jusque dans les murs de la Chambre des députés. De l’injuste arrestation du capitaine, en octobre 1894, au vote de sa réintégration dans l’armée, en juillet 1906, l’hémicycle résonne des échos de débats violents et d’une intensité inouïe. Ici même, Jean Jaurès, Henri Brisson, Raymond Poincaré ou Pierre Waldeck-Rousseau élèvent leurs voix comme autant de lumières dans l’obscurité et lient leur destin à celui d’un homme injustement accusé. La séance du 13 juillet 1906 marque un tournant. Après la lecture d’un rapport d’un député de la Seine, le président de séance met au vote l’article unique, qui prévoit que le capitaine d’artillerie Dreyfus « est promu chef d’escadron ». Le scrutin est sans appel : la Chambre des députés adopte la réhabilitation de Dreyfus.
Alors que, parmi d’autres, Henry Chéron, un de mes prédécesseurs comme député du Calvados, dénonce ce crime comme « le plus odieux de tous ceux qui aient été tentés contre la conscience humaine », à l’extrême droite, des voix s’élèvent contre cette réhabilitation. Des députés « obstinément et volontairement aveugles », sera-t-il dit, exigent que l’affaire Dreyfus reste du domaine judiciaire quand certains, à gauche, avaient appelé à la condamnation à mort du capitaine. À l’inverse, d’autres voix considèrent alors qu’il faut aller plus loin. C’est ce que demande, à la tribune et sous les applaudissements, Francis de Pressensé, qui souhaite que la Chambre vote des représailles contre les chefs militaires responsables des malheurs de Dreyfus et de Picquart.
Finalement, des accusations contre Alfred Dreyfus, il ne restera rien, sinon le courage d’un homme dont on a voulu l’anéantissement et qui resta debout, droit et digne. La proposition de loi qui nous est soumise est essentielle pour achever l’œuvre de justice qu’ont engagée nos prédécesseurs et la réhabilitation d’un homme qui a servi la France sous les drapeaux avec patriotisme, honneur et dévouement.
M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur
Très bien, très juste !
M. Jérémie Patrier-Leitus
Cet homme aimait la France mais a été attaqué parce qu’il était juif. « Le juif Dreyfus », dira-t-on, traître par fatalité caricaturé dans les rues de Paris quand les antisémites scandaient : « Mort aux juifs ! À mort le traître ! À mort Judas ! » Alors que la bête immonde de l’antisémitisme renaît dans notre pays, que le nombre d’actes antisémites explose, que les murs du Mémorial de la Shoah ont été souillés ce week-end, la proposition de loi est essentielle. Elle nous rappelle que le combat du capitaine Dreyfus, le combat contre l’antisémitisme, fléau qui pourrit notre société, n’est pas achevé.
Elle est essentielle car, comme le soulignait Jacques Chirac, « la réhabilitation de Dreyfus, c’est la victoire de la République. C’est la victoire de l’unité de la France ». « Je n’ai demandé aucune faveur dans ma carrière. Je n’ai demandé que la justice », disait Dreyfus. Aujourd’hui, nous n’accordons pas une faveur au capitaine Dreyfus. Nous faisons œuvre de justice ; nous réparons la République là où elle a failli par antisémitisme.
À la foule qui criait « Vive Dreyfus ! Vive la France ! » le jour où il fut décoré de la Légion d’honneur, le capitaine répondit : « Vive la vérité ! Vive la République ! » Près de cent vingt ans plus tard, dans cet hémicycle, nous mettons nos pas dans ceux de nos prédécesseurs qui s’indignèrent et combattirent pour l’honneur d’un homme, pour la vérité, pour la République. Je forme donc le vœu que nous adoptions à l’unanimité, et loin des polémiques politiciennes, l’élévation d’Alfred Dreyfus au grade de général de brigade à titre posthume. Mes collègues du groupe Horizons et moi-même voterons en faveur de la proposition de loi avec la détermination et la conviction qu’exige le combat pour l’honneur d’un homme et pour le triomphe des valeurs républicaines. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, EPR et UDR.)
Mme la présidente
Sur l’article unique, je suis saisie par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. David Habib.
M. David Habib
Soyons sincères : nous avons le sentiment que notre pays est divisé comme jamais et que ses valeurs sont malmenées. Il ne s’écoule pas un jour sans que soient rapportés des faits d’antisémitisme et de racisme. Pas un jour sans que nous sentions que ce qui fait l’unité et la force de la France est mis à mal, comme si nous n’avions ni histoire ni souvenirs. Dans ces moments-là, et même si cela n’est pas suffisant, il faut se raccrocher à ce qui constitue notre patrimoine. Or l’affaire Dreyfus, parce qu’elle a donné à notre République un peu de ce qui fait son corpus collectif, est l’un de ces instants fondateurs qui devraient lier notre nation tout entière.
Au-delà du fait personnel, l’élévation d’Alfred Dreyfus au grade de général nous donne l’occasion de lui demander unanimement pardon et de nous raccrocher au combat des dreyfusards, ces Justes qui se sont levés et ont défendu la vérité. Souvenons-nous que la République que nous voulons et que nous aimons est née du combat des dreyfusards ; elle est issue de ces Justes qui défendirent Dreyfus en rappelant que tous les Français sont égaux et qu’ils doivent être jugés sur leurs actes, que les préjugés n’ont pas lieu d’être. C’est la vérité qui l’emporte sur le mensonge ; c’est la justice qui est promise à tous, sans distinction ; c’est le courage qui gagne, face à l’indignité et à la couardise.
Ces Justes, ce sont Lucie Dreyfus, Jean Jaurès, Lucien Herr, Marguerite Durand, Émile Zola et celui qui a inspiré le « J’accuse… ! » de Zola, Bernard Lazare – journaliste juif, socialiste, sioniste et dont la statue à Nîmes a été profanée pendant la seconde guerre mondiale, son nez ayant été cassé et envoyé comme trophée à Maurras par les pétainistes. (« Eh oui ! » sur les bancs des commissions.) Madame la ministre, cette statue mériterait une réhabilitation ; il serait de bon aloi que le gouvernement et les élus locaux se saisissent de la question. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR.)
Ces Justes ont fait notre République moderne. Ils nous ont légué le refus du racisme et de l’antisémitisme. Ils nous demandent de dénoncer les propos scandaleux de certains élus, les projections de peinture sur les murs du mémorial de la Shoah ou encore le crime abominable commis ce week-end dans le Var.
Ces Justes nous demandent d’être à la hauteur du message porté à travers le pays il y a un siècle. C’est maintenant qu’il faut non seulement que nous réparions la carrière d’Alfred Dreyfus, mais aussi que nous nous penchions sur les multiples faiblesses commises dans le pays, que nous nous élevions collectivement pour dénoncer l’antisémitisme et le racisme. C’est maintenant qu’il faut réétudier l’affaire Dreyfus à l’école. C’est maintenant qu’il faut fournir le plus grand des efforts sur cette question, afin que nous soyons à la hauteur de ce qui fut l’un des combats de la République.
Comme je souhaite terminer sur une note optimiste, je citerai, comme je l’avais fait en commission, Emmanuel Levinas, ce philosophe juif français dont le grand-père lituanien avait gagné la France : « Un pays qui se divise, qui se déchire pour sauver l’honneur d’un petit officier juif, c’est un pays où il faut rapidement aller. » (Applaudissements sur les bancs des commissions, sur les bancs des groupes LIOT, EPR et SOC, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Voilà ce qu’est la France : ce pays où nous vivons ensemble en faisant fi des différences, en affirmant que nous sommes tous égaux. C’est vers ce pays que nous devons aller, de manière unanime.
Merci au groupe qui est à l’initiative de la proposition de loi. L’ensemble du groupe LIOT votera en sa faveur. (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, EPR, SOC, DR, EcoS et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.
Article unique
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article unique.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 197
Nombre de suffrages exprimés 197
Majorité absolue 99
Pour l’adoption 197
Contre 0
(L’article unique est adopté.)
(Mmes et MM les députés et Mme la ministre déléguée se lèvent et applaudissent longuement en direction des tribunes.)
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur
Ma mission de rapporteur s’achevant avec ce vote, je souhaite vous remercier toutes et tous, chers collègues, quels que soient vos parcours et vos philosophies politiques, pour ce vote unanime de la représentation nationale qui restera dans l’histoire de notre pays. J’appelle maintenant nos collègues sénateurs à se saisir rapidement du texte afin que le travail s’achève rapidement – je sais qu’il y a déjà eu des initiatives en ce sens, notamment du côté du groupe Socialiste, écologiste et républicain.
Enfin, chers collègues, chers membres de la famille Dreyfus qui êtes en tribune, je crois profondément que, malgré les vicissitudes que notre pays connaît, malgré les tiraillements, la République est grande quand elle sait s’élever au-dessus des contingences politiques pour être à la hauteur de l’histoire, quand elle est capable de réparer ses erreurs et qu’elle regarde son histoire en face. Vive la République, vive la France ! (Applaudissements sur divers bancs.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de Mme Clémence Guetté.)
Présidence de Mme Clémence Guetté
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Liaison autoroutière entre Castres et Toulouse
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la raison impérative d’intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse (nos 1435, 1446).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé des transports.
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports
Je me présente aujourd’hui devant votre assemblée pour l’examen de cette proposition de loi qui revêt une importance particulière, tant pour le développement territorial que pour la sécurisation juridique de nos grandes infrastructures.
Permettez-moi tout d’abord de saluer le travail réalisé par les parlementaires auteurs de cette proposition : les sénateurs Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, ainsi que les députés Jean Terlier, rapporteur du texte, et Philippe Bonnecarrère. Leur engagement illustre parfaitement ce que représente ce projet : une initiative soutenue par une large majorité des élus d’un territoire, expression démocratique de la volonté locale.
Mme Karen Erodi
Seulement 11 % des élus du territoire !
M. Philippe Tabarot, ministre
Le Sénat a d’ailleurs clairement manifesté son soutien à ce projet en adoptant cette proposition de loi à une large majorité, confirmant ainsi l’adhésion parlementaire à une infrastructure structurante pour le territoire tarnais.
Les arguments en faveur de cette liaison autoroutière demeurent inchangés et plus que jamais d’actualité. Le bassin d’emplois de Castres-Mazamet, qui compte environ 50 000 emplois et 132 000 habitants, est le seul bassin de cette importance non relié à une métropole – la métropole toulousaine en l’occurrence – par une infrastructure de type autoroutier à deux fois deux voies.
Plus préoccupant encore, il est le seul bassin de plus de 100 000 habitants en France à n’être desservi ni par une autoroute, ni par une gare TGV, ni par un aéroport international. Cette situation d’enclavement a des conséquences mesurables et durables : le bassin de Castres-Mazamet est en décrochage par rapport aux agglomérations comparables d’Occitanie en termes de croissance démographique, de dynamique économique et de création d’emplois.
Vu l’attractivité croissante du bassin toulousain, il est impératif de donner à ce territoire les moyens d’accompagner cette dynamique plutôt que de le condamner à rester à l’écart du développement régional.
Depuis l’examen de la proposition de loi au Sénat, une décision juridique majeure est intervenue. Je me félicite des conséquences de la décision de la cour administrative d’appel de Toulouse du 28 mai dernier qui a accordé le sursis à l’exécution des décisions du tribunal administratif ayant annulé les autorisations environnementales. Après analyse, le juge a reconnu comme sérieux l’argument de l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) en faveur du projet. Cette reconnaissance judiciaire conforte la position que nous défendons. (Mme Karen Erodi proteste.) Par cette décision, le juge rend possible la reprise par les concessionnaires ATOSCA et ASF des travaux du chantier.
M. Sylvain Maillard
Très bien !
M. Philippe Tabarot, ministre
Compte tenu des étapes encore nécessaires et de leur ampleur, les travaux reprendront de manière progressive à partir de mi-juin. La décision de reprise des travaux constitue un véritable soulagement. L’interruption du chantier faisait peser des risques importants sur la sécurité des installations et des personnes, l’arrêt brutal de toutes les activités ayant en outre de lourdes conséquences pour le tissu économique local.
Au-delà de ce projet spécifique et des décisions du 27 février 2025 le remettant en cause, cette situation soulève une question fondamentale pour l’aménagement de notre territoire : celle de la sécurisation juridique des grands projets d’infrastructure. Comment accepter qu’une autoroute dont la déclaration d’utilité publique avait été validée après rejet des recours devant le Conseil d’État puisse voir son autorisation environnementale annulée, alors que le projet est déjà réalisé aux deux tiers ? (Mme Karen Erodi et M. Hadrien Clouet s’exclament.)
À ceux qui nous disent qu’il faut attendre la fin des recours avant d’engager les travaux, je réponds que cette position est intenable. Cela inciterait à multiplier les recours – il y en a déjà beaucoup ! – dans le seul but qu’un projet ne se réalise jamais. Cela signifierait aussi que les actes de procédures administratives peuvent devenir caducs le temps que l’ensemble des recours soient purgés, créant une insécurité juridique permanente pour nos grands projets d’infrastructure.
C’est précisément pourquoi, dans le projet de loi relatif à la simplification de la vie économique, le gouvernement défend une disposition visant à reconnaître plus tôt dans la vie des projets la raison impérative d’intérêt public majeur. Cette approche préventive permettra d’éviter que de telles situations se reproduisent à l’avenir. Je me réjouis d’ailleurs que cet amendement ait été adopté au sein de votre assemblée mercredi dernier et j’espère vivement qu’il sera maintenu à l’issue des discussions de la commission mixte paritaire.
Dans le respect de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice, le gouvernement entend poursuivre la défense de ce projet par la voie juridictionnelle. Tant que le jugement sur le fond du dossier n’a pas été rendu par la cour administrative de Toulouse, le Parlement conserve l’entière liberté de ses travaux législatifs.
Plus que jamais, je réitère le soutien du gouvernement, qui se tient aux côtés des collectivités territoriales, à ce projet structurant pour le Tarn et je réaffirme la conviction qu’il est nécessaire de le mener à bien, dans le respect de la réglementation environnementale en vigueur.
Je souhaite que la reprise des travaux intervienne au plus vite, tout en restant vigilant à ce qu’ils restent irréprochables eu égard aux enjeux de protection de l’environnement.
Mesdames et messieurs les députés, vous êtes aujourd’hui appelés à vous prononcer sur un texte qui dépasse le cadre d’un simple projet d’infrastructure. Il s’agit d’un enjeu d’aménagement du territoire et de justice territoriale.
Face aux tentatives d’obstruction qui visent à empêcher l’examen de ce texte, je compte sur votre détermination pour permettre un débat démocratique serein et constructif. Le territoire tarnais et ses habitants méritent que cette assemblée puisse se prononcer en toute liberté sur cette proposition de loi.
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est lamentable !
M. Philippe Tabarot, ministre
Le Parlement doit pouvoir exercer pleinement les prérogatives que lui confère notre Constitution, dans le respect de l’État de droit et au service de l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Terlier, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
M. Jean Terlier, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Une fois encore, mes chers collègues, vous allez m’entendre parler de l’autoroute A69. En réalité, nous parlerons plus largement d’aménagement du territoire, de celui d’un territoire rural qui s’est trop longtemps senti délaissé et que cette autoroute permettra justement de désenclaver. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR.)
Mme Sandrine Rousseau
Il n’y a pas de quoi se passionner pour l’A69 !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Vous êtes à contresens de l’histoire !
M. Jean Terlier, rapporteur
En effet, il ne s’agit pas de construire une autoroute par coquetterie : l’A69 ne desservira pas des stations de ski,…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Il n’y a plus de neige !
M. Jean Terlier, rapporteur
…elle ne servira pas à aller à la mer. C’est une autoroute dont les habitant ont besoin pour travailler, se déplacer et se soigner. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Quand Jean Casteix s’est rendu à Castres, où je l’avais invité, pour annoncer le nom du concessionnaire, il a dit une chose très juste :…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Rouvrez les lignes que vous avez fermées !
Mme la présidente
S’il vous plaît !
M. Jean Terlier, rapporteur
…« Je suis venu réparer une injustice territoriale. » En effet, comme M. le ministre l’a fait remarquer à juste titre, le bassin d’emploi Castres-Mazamet est le seul bassin d’emplois de plus de 100 000 personnes à n’être desservi ni par une autoroute, ni par un aéroport international, ni même par une gare TGV.
Mme Sandrine Rousseau
Il y a déjà une route !
M. Jean Terlier, rapporteur
C’est un cas unique en France !
Qui plus est, la décision de désenclaver ainsi le sud du Tarn a été prise, voilà maintenant trente ans, par ceux qui ont la légitimité pour la prendre : les élus et les habitants de ce territoire. (Mme Karen Erodi proteste.)
Mme Christine Pirès Beaune
Il n’y a pas d’aéroport !
M. Jean Terlier, rapporteur
Le choix de la concession autoroutière remonte quant à lui à 2010. Je tiens à remercier le président François Hollande, à l’origine de ce choix – il faut le souligner –, et, à travers lui, la présidente de région Carole Delga, qui a tenu l’engagement qui avait été pris en assurant le financement de la construction de cette autoroute. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Ce choix est aussi celui des habitants de ce territoire, qui se sentent déclassés faute de pouvoir être reliés à la métropole toulousaine…
M. Hadrien Clouet
Mais on est relié !
M. Jean Terlier, rapporteur
…et dont plus des trois-quarts affirmaient souhaiter l’achèvement de cette infrastructure autoroutière, d’après un sondage.
C’est aussi le choix des élus, de plus de 500 élus…
Mme Karen Erodi
Le choix de 11 % des élus !
M. Jean Terlier, rapporteur
…qui ont manifesté leur soutien à la construction de cette infrastructure. Je veux ici remercier le président de la communauté d’agglomération Castres-Mazamet Pascal Bugis, le président socialiste du conseil départemental Christophe Ramond, la présidente de région Carole Delga – une fois encore, elle a soutenu ce projet d’infrastructure autoroutière contre vents et marées –, mais aussi Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse – n’est-ce pas chers collègues toulousains ? –, qui a affirmé qu’il était favorable à la construction de cette autoroute pour favoriser le développement du bassin d’emplois du sud du Tarn. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. François Cormier-Bouligeon
Tous les élus du peuple !
Ce sont encore toutes les forces vives de ce territoire qui soutiennent ce projet : plus de 500 entreprises ont manifesté leur volonté de voir le chantier aboutir.
Mme Sandrine Rousseau
Et tant pis pour les écureuils !
M. Jean Terlier, rapporteur
Le bassin d’emploi Castres-Mazamet a fait preuve de résilience ; il a attendu les deux déclarations d’utilité publique, intervenues en 2017. Je tiens à saluer Mme la ministre Élisabeth Borne qui les a signées, tout comme vous, mes chers collègues, qui avez voté en faveur du financement de cette autoroute en adoptant la loi d’orientation des mobilités en 2019.
Que dire enfin de la décision du Conseil d’État, qui a validé cette déclaration d’utilité publique en affirmant sur le fondement de critères socio-économiques que cette autoroute devait être réalisée ?
Mme Christine Arrighi
Ça n’a rien à voir ! Et vous êtes avocat ?
M. Jean Terlier, rapporteur
Je tiens à vous rappeler que quatorze décisions de justice ont été rendues, puisqu’à quatorze reprises vous avez saisi le tribunal de Toulouse pour demander la suspension ou l’arrêt des travaux. De quoi parlons-nous en effet ? D’une autoroute réalisée à plus de 70 %, de 300 millions d’euros d’argent public et privé qui ont été engagés pour ce faire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI.) Il est temps de la terminer, comme il est temps de respecter les décisions de justice – nous parlerons dans un instant de la séparation des pouvoirs.
Comment peut-on ne pas respecter cette décision de justice, qui me satisfait autant que vous, monsieur le ministre ? La cour administrative d’appel a prononcé le sursis à l’exécution du jugement du tribunal administratif ; ce sursis permet que les travaux reprennent et se terminent enfin. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. François Cormier-Bouligeon
Les Insoumis n’aiment pas les Castrais !
M. Jean Terlier, rapporteur
Je rappelle également à ceux qui nous écoutent que chaque mois qui s’écoule depuis l’arrêt desdits travaux équivaut à 10 millions d’euros d’argent public gaspillés. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Compte tenu de cette décision, deux initiatives ont été prises. Celle de votre ministère et du gouvernement, que je salue, monsieur le ministre, a consisté à interjeter appel de celle du tribunal administratif. La seconde est une initiative parlementaire, dont je remercie mon collègue Philippe Bonnecarrère : il a accepté de déposer cette proposition de loi permettant de valider les autorisations environnementales. Je remercie également les deux sénateurs du Tarn qui en ont fait autant au Sénat, où cette loi de validation a fait l’objet d’un vote favorable massif – je le rappelle, chers collègues, car je vous sais attachés à la démocratie parlementaire.
Contrairement à ce qu’ont affirmé les orateurs de certains groupes de cet hémicycle, cette proposition de loi est parfaitement constitutionnelle, conformément à une jurisprudence du Conseil constitutionnel du 22 juillet 1980. Il existe en effet cinq conditions permettant d’adopter une telle loi, dont deux feront aujourd’hui l’objet d’un examen, pour peu que le retrait – auquel je vous invite – des 700 amendements que vous avez déposés nous permette, comme je l’espère, de débattre et de voter.
La première condition est la suivante : les actes administratifs en question, en l’occurrence l’autorisation environnementale, ne doivent pas faire l’objet d’un jugement qui, devenu définitif, ait acquis force de chose jugée. En l’espèce, dès lors qu’il a été interjeté appel du jugement rendu par le tribunal administratif, l’absence de jugement définitif nous permet d’exercer nos prérogatives, comme M. le ministre l’a rappelé.
Une loi de validation doit ensuite satisfaire à une deuxième condition : elle doit présenter un motif impérieux d’intérêt général.
Mme Mathilde Panot
Vous détestez la démocratie !
M. Jean-François Coulomme
Où est l’intérêt général, ici ?
M. Jean Terlier, rapporteur
Nous devons donc nous en assurer. Le motif impérieux d’intérêt général répond d’abord à des critères socio-économiques qui, s’agissant d’un territoire en déprise démographique – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre –, sont bien présents. Sachez qu’entre 1990 et 2021, le sud du Tarn a perdu 5 % de sa population alors que dans le même temps, l’agglomération de Montauban a vu la sienne augmenter de 30 % et celle d’Albi de 20 %. Et que dire du taux de pauvreté de ce territoire, qui est supérieur à 20 % ?
M. Jean-François Coulomme
Avec une belle autoroute, ils vont être riches !
M. Jean Terlier, rapporteur
Que dire de son taux d’activité, qui est parmi les plus faibles de la région Occitanie ?
M. Hadrien Clouet
Quel rapport ?
M. Jean Terlier, rapporteur
Que dire enfin de son taux de chômage, qui est le plus élevé d’Occitanie – il atteint 15 % –, et de son taux d’employabilité, qui est quasi nul alors qu’il est en augmentation dans toutes les agglomérations desservies par une autoroute depuis Toulouse ?
Il faut aussi mentionner les gains de temps espérés : vingt-cinq à trente-cinq minutes pour un trajet entre Castres et Toulouse.
Mme Karen Erodi
Seuls les bourgeois l’utiliseront, personne d’autre !
M. Jean Terlier, rapporteur
C’est primordial : pensez aux Sdis – services départementaux d’incendie et de secours – et aux pompiers, qui font ce trajet quotidiennement pour aller de l’hôpital de Castres au site de Purpan ! 300 interventions d’urgence sont ainsi réalisées tous les ans et permettent de sauver des vies.
M. François Cormier-Bouligeon
C’est très important !
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
M. Jean Terlier, rapporteur
Ce sont eux qui le disent : ils attendent que nous faisions aboutir ce projet d’A69, pour permettre une meilleure prise en charge des patients et garantir leur sécurité ! S’agissant de sécurité, je rappelle d’ailleurs que ces dix dernières années, plus de 10 morts et 120 blessés, dont 65 ont été hospitalisés, sont à déplorer sur la route nationale reliant Castres à Toulouse. Or une autoroute est dix fois moins accidentogène qu’une nationale ou une départementale.
Vous avez donc bien compris que sur le fond, le motif impérieux d’intérêt général requis par le Conseil constitutionnel est bien présent. Mais je voudrais aussi évoquer – j’en ai déjà dit quelques mots – les conséquences néfastes voire dramatiques de l’arrêt du chantier et de l’absence de reprise des travaux. Pas moins de 300 millions d’euros d’argent public ont été investis.
M. Jean-François Coulomme
Gaspillés !
M. Jean Terlier, rapporteur
Si demain le chantier devait être démoli puis reconstruit, le coût annoncé par le ministère chargé des transports s’élèverait à 500 millions d’euros. Chaque mois qui passe, l’arrêt du chantier coûte 10 millions d’argent public et privé. Voilà qui est aussi constitutif d’un motif impérieux d’intérêt général !
Mme Christine Arrighi
C’est n’importe quoi ! Les chiffres ne sont même pas disponibles !
M. Jean Terlier, rapporteur
Chers collègues – je m’adresse à la gauche de l’hémicycle –, vous avez déposé 766 amendements et sous-amendements sur l’article unique, si l’on additionne ceux de La France insoumise et du groupe Écologiste, dont 73 amendements sur le titre et 522 portant article additionnel après l’article unique ! (« Une honte ! » sur les bancs du groupe EPR.)
Mme Sabrina Sebaihi
Vous étiez à 1 000 sur les retraites ! On est des petits joueurs, comparé à vous !
M. François Cormier-Bouligeon
Vous bordélisez l’Assemblée !
M. Jean Terlier, rapporteur
Leur examen nécessiterait près de quarante-huit heures de débat, alors que vous savez très bien que nous devons aboutir à un vote avant minuit ce soir ; vous assumez donc une stratégie d’obstruction sur cette proposition de loi. (« Eh oui ! » sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. François Cormier-Bouligeon
L’hémicycle n’est pas une ZAD !
M. Jean Terlier, rapporteur
Une telle confiscation du débat et du vote me semble parfaitement inadmissible et je vous demande, car il est encore temps, de bien vouloir retirer vos amendements pour que nous puissions avoir un débat serein et voter sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, EPR, DR, Dem, HOR et UDR.) Vous avez perdu le vote au Sénat et en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire ; vous perdrez encore aujourd’hui et votre stratégie, qui consiste à faire obstacle au vote, est totalement scandaleuse !
M. Hadrien Clouet
Organisez un référendum et on verra !
M. Jean Terlier, rapporteur
Si vous ne retiriez pas vos amendements, nous en tirerions toutes les conséquences et votre action apparaîtrait pour ce qu’elle est : une tentative pour parasiter le débat et pour empêcher le vote, ce qui est profondément antidémocratique.
M. Alexis Corbière
On a encore le droit de jouer son rôle de député !
M. Jean Terlier, rapporteur
Je termine en remerciant les collègues qui ont soutenu le texte. Vive l’autoroute A69 ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et HOR.)
M. Alexis Corbière
On a le droit de s’opposer au gouvernement, ou c’est interdit ?
Motion de rejet préalable
Mme la présidente
J’ai reçu de Mme Mathilde Panot et des membres du groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir.
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Le 27 février 2025, le tribunal administratif de Toulouse prend une décision historique : l’autoroute A69 est déclarée illégale et le chantier est arrêté. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Stupeur et tremblements au plus haut sommet de l’État : la justice s’est prononcée en toute indépendance, plaçant l’intérêt général et la protection du vivant au-dessus des intérêts privés et économiques de quelques-uns.
Après deux ans de recours, la justice a tranché : non, il n’y a pas de raison impérative d’intérêt public majeur à la destruction de 162 espèces protégées (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS), pas plus qu’à l’artificialisation de près de 400 hectares de terres naturelles, de terres agricoles fertiles et de zones humides précieuses. Il n’y a pas de raison impérative d’intérêt public majeur à cette autoroute qui longe littéralement une route nationale existante et qu’il aurait été possible de réaménager ; pas de raison impérative d’intérêt public majeur à ce projet pensé dans les années 1990 par et pour le groupe Pierre Fabre, parce que l’on sait qu’une autoroute ne crée pas d’activité économique : elle la déplace seulement.
M. François Cormier-Bouligeon
C’est faux !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Urbanistes et économistes des transports le disent : une route, ça va dans les deux sens, et c’est le pôle d’attraction le plus fort qui remporte la mise. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Ainsi, selon Maxime Genévrier, chercheur urbaniste à l’université d’Albi, l’autoroute va finalement participer à dévitaliser Castres. « C’est le phénomène de métropolisation », nous dit-il, « c’est-à-dire que, plus qu’aujourd’hui, Castres deviendrait une ville suburbaine de la région toulousaine ». L’inverse donc, de ce que prétendent les promoteurs de l’A69, qui disent vouloir « désenclaver » Castres. Même le groupe Pierre Fabre, cité dans le rapport du Sénat, le reconnaît : « Il n’existe aucune automaticité entre la création d’un équipement autoroutier et le développement économique territorial ». En revanche, prétend-il, « un territoire ne peut pas se développer – ou même maintenir son activité économique – sans infrastructure de mobilité. »
Pourtant, Pierre Fabre a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 2,8 milliards en 2023, en progression de 5,9 % à taux de change constant ; on est donc au-delà du simple « maintien de l’activité économique » et il n’a manifestement pas eu besoin d’autoroute, ces trente dernières années, pour devenir un grand groupe international.
M. Sylvain Maillard
Je sens que vous allez annoncer la nationalisation de Pierre Fabre !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Il est d’ailleurs absurde de dire que Castres n’a pas d’infrastructures. Le bassin de Castres-Mazamet est desservi par une voie ferrée dont les cadences pourraient être augmentées si on ne mettait pas tant d’argent dans une autoroute absurde (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Charles Fournier applaudit également), mais aussi par un aéroport subventionné par la puissance publique et par une route nationale que l’A69 ne viendrait que bêtement doubler !
Non, il n’y a donc pas d’intérêt public majeur à artificialiser l’équivalent de 500 terrains de foot pour espérer gagner quelques minutes de trajet sur 53 kilomètres, à 20 euros l’aller-retour ! Ce gain de temps annoncé est d’ailleurs largement surestimé : si l’on en croit les propos tenus par l’ancien président de l’Autorité environnementale devant la commission d’enquête de notre assemblée, les rapporteurs de cette autorité indépendante ont été « estomaqués » par la façon dont le calcul a été fait. Et puis les climatologues donnent l’alerte : la hausse des émissions de gaz à effet de serre va nous obliger, à terme, à baisser nos vitesses sur autoroute. À ce moment-là, que restera-t-il de ces 15 minutes prétendument gagnées ?
Enfin, il n’y a pas de raison impérative d’intérêt public majeur à cette autoroute car, comme le relevait l’Autorité environnementale dans ses avis de 2016 et de 2022, les solutions alternatives ont été étudiées de façon superficielle, témoignant d’un biais évident. Mais tout cela, l’État le savait déjà. En mars 2023, quand il délivre les autorisations relatives à la construction de l’autoroute A69, il choisit simplement le passage en force car dès l’automne 2022, les autorités indépendantes consultées avaient rendu des avis très critiques voire négatifs. L’Autorité environnementale qualifiait le projet d’« anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété », et regrettait qu’il « repose sur des données de trafic et des hypothèses d’émissions de polluants désormais obsolètes ».
Quant au Conseil national de protection de la nature (CNPN), il écrivait que « ce dossier s’inscrit en contradiction avec les engagements nationaux » en matière environnementale et que la construction de l’A69 « ne présente pas d’intérêt public majeur », soit très exactement ce qu’a dit la justice. Aucun gain sérieux pour Castres ne justifie de telles destructions.
L’État est le seul responsable du fiasco de l’arrêt du chantier car il a choisi le passage en force en ayant connaissance de l’insécurité juridique du dossier. L’A69 est illégale parce qu’elle ne respecte pas les exigences du droit environnemental, droit qui n’est pas, monsieur le ministre Tabarot, « un droit contre le progrès », comme vous avez osé le dire ici – et quel progrès quand on défend un projet du siècle dernier ? –, mais qui protège la population, nos terres et notre eau, bref, le pays face au réchauffement climatique et à l’effondrement de la biodiversité.
Mme Sophie Taillé-Polian
Où est la ministre de la transition écologique ?
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Au moment où je m’exprime devant vous, je pense à celles et ceux qui se battent depuis des années contre ce projet, aux plus de 200 personnes placées en garde à vue, aux plus de 130 qui sont poursuivies, aux centaines de blessés dont trois par chute grave provoquée par l’intervention des forces de l’ordre (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS), aux grévistes de la faim, aux écureuils qui se sont hissés dans les arbres pour se protéger, à Alexandra qui a dû quitter sa maison après avoir subi deux tentatives d’incendie qui auraient pu lui coûter la vie ou celle de son petit garçon. Je pense à leur désespoir devant des arbres centenaires magnifiques et pleins de vie, massacrés en quelques secondes dans le fracas métallique des pelles mécaniques et dans les relents étouffants des gaz lacrymogènes.
Je pense à toutes celles et tous ceux qui ont pris des risques, qui ont parfois mis leur vie dans la balance pour protéger le vivant, pour nous protéger tous ; à toutes celles et tous ceux qui ont subi une répression inédite et indigne du pays qui se dit des droits de l’homme (Mêmes mouvements), dénoncée par Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement au titre de la Convention d’Aarhus ; à toutes celles et tous ceux à qui la justice a finalement donné raison. Leur résistance était juste : non, il n’y avait pas de raison impérative majeure à toutes ces destructions !
Aujourd’hui, alors que le chantier est au mieux à moitié réalisé et que le béton n’est pas encore coulé, on ose nous dire qu’il serait plus écologique de reprendre les travaux pour laisser le concessionnaire accorder les compensations auxquelles il est tenu. Mais de qui se moque-t-on ? Des chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle l’ont démontré : en France, les compensations interviennent généralement dans des sites qui sont déjà en bon état biologique – autrement dit, leur effet est quasi nul. En prime, un tiers seulement des mesures de compensation sont réellement délivrées. En l’occurrence, avec le concessionnaire Atosca, on a affaire à des champions ! En tout, quarante-deux rapports de manquement administratif et quinze arrêtés préfectoraux de mise en demeure ont été prononcés en vingt-trois mois de chantier,…
M. Hadrien Clouet
Scandaleux !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
…par exemple pour non-respect de mesures d’évitement sur des zones humides ou de réduction de dégâts sur espèces protégées ! Et il faudrait leur faire confiance et les laisser continuer le carnage ? Soyons sérieux ! L’urgence est à la renaturation, à la revitalisation des terres agricoles, à la préservation de tout ce qui n’a pas été détruit, certainement pas à la poursuite des travaux. Il est l’heure de renoncer définitivement aux usines à bitume que les habitants du Tarn ne veulent pas voir polluer l’air près de leurs maisons, près des écoles de leurs enfants, près de leurs champs ! Il est l’heure de renoncer aux 30 000 tonnes de sable et de gravier, au déplacement de 100 000 mètres cubes de terre et aux 300 tonnes de bitume et de ciment que demande chaque kilomètre d’autoroute ! Il est l’heure de réparer cette erreur monumentale et d’envisager des solutions alternatives.
On nous dit qu’« il faut finir », que « ça fait plus de trente ans qu’on en parle », mais c’est justement parce qu’il a plus de trente ans que ce projet est complètement dépassé et inadapté à notre réalité ! Si l’opposition a pris une ampleur nationale et même internationale, si plus de 2 000 scientifiques, dont des chercheurs du Giec – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat –, ont demandé l’arrêt de l’A69, c’est parce qu’elle est le symbole, la quintessence de ce qu’on ne peut plus, de ce qu’on ne doit plus faire à l’heure de l’urgence climatique !
C’est ce que vous ne supportez pas : la remise en cause du modèle productiviste, extractiviste à tout crin, où tout est sacrifié sur l’autel des profits immédiats et auquel vous refusez de renoncer. Les grands projets d’infrastructures routières forment l’exact contraire des politiques à conduire pour lutter contre le réchauffement climatique. Toute nouvelle route induit une augmentation du trafic routier, donc d’émissions de gaz à effet de serre, alors que le secteur des transports représente déjà 33 % des émissions nationales.
En outre, le système s’auto-entretient parce qu’il condamne les gens à l’usage de la voiture individuelle, notamment ceux qui souffrent justement des effets de la métropolisation, en particulier la disparition des services publics. Or pour huit Français sur dix, la voiture est un gouffre financier. Il faudrait donc au contraire développer massivement le ferroviaire, les offres de transports en commun (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP), bref, tout faire pour sortir du système mortifère du tout-voiture et du tout-camion.
Vous voilà entrés dans une forme de rage destructrice. Une autoroute est déclarée illégale pour défaut de raison impérative d’intérêt public majeur ? On ne peut pas détruire la biodiversité impunément ? On ferait passer les oiseaux et les fleurs avant le béton ? Qu’à cela ne tienne, vous utilisez le texte « tronçonneuse » dit de simplification de la vie économique pour tenter de tout déclarer d’intérêt public majeur – enfin tout, non, pas les hôpitaux et les écoles, pas les services publics (Mêmes mouvements), mais tous les projets industriels, toutes les routes, tous les giga data centers ! Tout devient prétexte pour déroger à l’interdiction de détruire des espèces protégées.
L’artificialisation des terres est aussi la première cause de l’effondrement des espèces et aggrave les inondations en empêchant la terre d’absorber les pluies diluviennes. Mais vous voulez pouvoir bétonner en paix : haro sur le zéro artificialisation nette (ZAN) ! Le voilà complètement détruit lui aussi. Avec la loi Duplomb, vous signez par ailleurs pour le retour des pesticides les plus dangereux pour la biodiversité, bien sûr, mais aussi pour les agriculteurs, pour notre eau et pour nos enfants. Vous consacrez l’avènement d’un élevage industriel qui concentre toujours plus d’animaux en espace fermé, au mépris de leur souffrance, du développement des maladies et des conséquences écologiques catastrophiques dues aux multiples rejets.
En ce moment, c’est une sorte d’immense feu de joie que vous faites autour de la destruction méthodique du droit de l’environnement. Félicitations, collègues, c’est officiel : la France d’Emmanuel Macron choisit les lobbys plutôt que l’avenir des générations futures. (Mêmes mouvements.)
M. Sylvain Maillard
Oh là là !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Elle suit les injonctions de l’extrême droite climatosceptique et se hisse ainsi à la hauteur de l’Amérique de Trump. La sixième extinction des espèces ? L’accélération du changement climatique ? On ne veut pas savoir ! Le futur de nos enfants ? On verra plus tard ! La parole des scientifiques qui lancent l’alerte ? Elle est méprisée, moquée, ignorée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)
M. Sylvain Maillard
Vous avez voté contre les ZFE la semaine dernière !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Vous êtes sortis de toute rationalité et vous êtes en train de plonger la France des Lumières dans le noir. Comment peut-on se draper ainsi dans l’obscurantisme alors que le changement climatique subit un coup d’accélérateur sans précédent, que les événements extrêmes meurtriers et destructeurs se multiplient autour de nous, que nos puits de carbone s’effondrent, que l’eau menace de manquer, que les pollutions gangrènent sols, air et eau, que l’effondrement de la biodiversité va mille fois plus vite que lors des précédentes phases d’extinctions connues ? Vous nous précipitez encore et toujours vers la version de l’espèce humaine la plus prédatrice, destructrice, orgueilleuse de sa toute-puissance alors qu’aucune autre espèce, sur cette planète, n’organise ainsi sa propre destruction ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
C’est parce que tout le monde comprend désormais que nos conditions de survie sont menacées que nous avons le devoir collectif, nous, législateurs, de penser une bifurcation urgente de nos modes de vie et de production, de penser autre chose qu’une A69. Le mois dernier, une étude britannique constatait la disparition de 63 % des populations d’insectes sur les trois dernières années. Même les spécialistes s’alarment d’une telle rapidité ! Mercredi dernier, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) annonçait que le réchauffement moyen de la planète devrait dépasser 1,5 degré entre 2025 et 2029. Collègues, les jeux sont faits : les accords de Paris sont déjà à l’eau ! On sait qu’au-delà de ce seuil, on ne maîtrise plus rien et que des effets de bascule sont à craindre. On ne parle pas d’un futur lointain : ce dont il est question, ce sont les cinq prochaines années ! Nous arrivons à des températures globales, en moyenne annuelle, que l’espèce humaine n’a jamais connues, et si la planète venait à se réchauffer de plus de 2 degrés, des conséquences irréversibles sont annoncées.
D’ailleurs, le gouvernement lui-même prétend avoir un plan pour une France à + 4 degrés. Voilà un sacré aveu d’échec, après huit ans au pouvoir et deux condamnations pour inaction climatique !
En juin 2024, le Haut Conseil pour le climat jugeait déjà que la France n’était pas à la hauteur, car « les aléas climatiques induits par le réchauffement s’intensifient plus rapidement que les moyens mis en œuvre pour en limiter les impacts ». Et pour cause : on ne change rien à nos politiques d’aménagement du territoire, rien ! Cette loi de passage en force pour une autoroute en est la preuve. (Mme Marie Mesmeur applaudit.)
En réalité, la loi que nous discutons cet après-midi est plus encore que la validation honteuse d’une autoroute illégale, inutile, anachronique et écocidaire : c’est un énième moment de bascule pour notre pays.
Mme Marie Mesmeur
Exactement !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
C’est une bascule sur le plan écologique, mais aussi, et peut-être surtout, une bascule démocratique. Avec cette loi, c’est l’État de droit que vous bafouez sciemment ; c’est l’équilibre de nos institutions que vous attaquez au Kärcher !
Voilà déjà quelque temps que le pouvoir exécutif macroniste s’attache à piétiner le pouvoir législatif, notamment l’Assemblée nationale, parce qu’elle est l’émanation directe de l’expression du peuple.
Mme Marie Mesmeur
Exactement !
Une députée du groupe EPR
C’est vous qui obstruez !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Il l’a d’abord réduite au silence et à l’impuissance à grands coups de 49.3, pour faire passer en force des budgets toujours plus austéritaires et une réforme des retraites rejetée par l’immense majorité de la population. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Puis, en juillet 2024, Emmanuel Macron a tout simplement volé le résultat des élections législatives, parce qu’il ne lui convenait pas. Par deux fois, il a nommé un premier ministre de droite. C’est pourtant un ministre de gauche qui devrait être assis aujourd’hui devant moi ! (Mêmes mouvements. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)
La semaine dernière, la Macronie et l’extrême droite sont allées jusqu’à inventer le 49.3 parlementaire.
M. Thierry Tesson
On va recommencer !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
En déposant une motion de rejet sur leur propre loi, donc en pervertissant les règles de l’Assemblée, ils ont empêché les députés de discuter une loi capitale pour l’avenir et l’ont renvoyée aux couloirs obscurs de la commission mixte paritaire, petit entre-soi parfaitement opaque et antidémocratique.
Et maintenant, cette loi de la honte ! Avec cette proposition de loi, voilà que le pouvoir législatif prétend s’allier à l’exécutif pour soumettre le pouvoir judiciaire. La justice a contrarié la Macronie ; il faut donc la faire taire. Au-delà de ce que vous pensez de l’A69, collègues, je vous demande de mesurer ce que vous êtes en train de faire. Normalement, une loi de validation de ce type sert à corriger à la marge des vices de procédure. Ici, elle prétend faire passer en force ce que la justice a censuré : elle vise à écraser la décision du tribunal administratif de Toulouse, à déclarer légal ce qui est illégal et à interférer dans le dénouement d’un litige en cours. C’est une attaque d’une rare violence contre l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Charles Fournier et Mme Sandrine Rousseau applaudissent également.)
Or l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen nous apporte une garantie : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Cette loi est donc anticonstitutionnelle. Qui plus est, elle est inconventionnelle, car elle n’est pas conforme aux traités internationaux : elle bafoue l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit à tous le droit à un procès équitable ; elle piétine le droit européen, en l’occurrence la directive « habitats » – raison supplémentaire qui conduira à sa censure, n’en doutez pas ! Si cette autoroute a été déclarée illégale, c’est parce qu’elle ne respectait pas la loi ; c’est tout !
Monsieur le ministre Tabarot, lorsque vous vous êtes permis de qualifier cette décision judiciaire d’« ubuesque », au mépris de la séparation des pouvoirs (M. le ministre fait un signe de dénégation), vous avez en réalité exprimé votre colère, voyant que le passage en force n’avait pas fonctionné jusqu’au bout ; votre colère devant une justice indépendante refusant de se mettre au pas ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Vous avez manifesté ainsi votre profond mépris pour le droit environnemental et ceux qui veulent le faire respecter, parce qu’on osait faire passer l’intérêt du vivant et celui des générations futures avant les intérêts privés et les profits de quelques-uns.
J’entends encore M. le rapporteur Terlier m’accuser, avec des trémolos dans la voix, de ne pas respecter l’État de droit parce que j’estimais qu’une déclaration d’utilité publique n’était pas suffisante pour évacuer la question du droit environnemental.
M. Jean-René Cazeneuve
Il a raison !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Et pour cause : les effets d’un projet sur la biodiversité ne sont pas pris en compte dans l’analyse de son utilité publique.
Maintenant, la justice a parlé, le tribunal administratif a tranché, et vous essayez, par cette loi inique, de le faire taire !
M. Éric Woerth
On a le droit de préciser les choses !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Alors, qui de nous, ici, méprise l’État de droit ?
M. François Cormier-Bouligeon
Vous, incontestablement !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Avec cette loi, collègues, ministres, vous créez un précédent extrêmement dangereux : vous nous faites basculer un peu plus encore dans l’autoritaire et vous couvrez notre assemblée de honte. Par cette motion de rejet, nous refusons que cela soit fait en notre nom. Si vous faites adopter cette loi, vous achèverez de démontrer que la séparation des pouvoirs n’est plus (Exclamations sur les bancs du groupe EPR),…
M. Thierry Tesson
Rien que ça !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
…que la Ve République est finie, que toutes les digues ont sauté et qu’il est urgent de passer à la VIe République. (Les députés du groupe LFI-NFP ainsi que Mme Sandrine Rousseau se lèvent et applaudissent. – Les autres députés du groupe EcoS applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre
Madame Stambach-Terrenoir, je n’ai jamais dit que la décision du tribunal administratif de Toulouse était ubuesque ! J’ai dit que les conséquences de cette décision créaient « une situation ubuesque ». Je tenais à le préciser une nouvelle fois.
D’autre part, je vous rappelle que la dernière décision de justice en date n’est pas celle du 27 février 2025, comme vous semblez le dire, mais celle du 28 mai dernier, laquelle a indiqué que la raison impérative d’intérêt public majeur était suffisamment établie pour que l’on reprenne le chantier.
J’en viens à l’avis du gouvernement sur la présente motion. Je relève que la procédure d’appel est en cours devant la cour administrative d’appel de Toulouse. Dans ce contexte juridictionnel particulier, le gouvernement maintient une position de réserve. Néanmoins, il ne m’appartient pas d’interférer dans le travail parlementaire ni dans l’appréciation souveraine que votre assemblée pourrait porter sur ce texte. C’est pourquoi, malgré un soutien constant et déterminé à ce projet d’infrastructure pour les raisons que j’ai rappelées précédemment, le gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée nationale sur cette motion de rejet préalable comme sur l’ensemble du texte soumis à son examen. (Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Christine Arrighi
Une sagesse complaisante ! Quelle honte, monsieur Tabarot !
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Terlier, rapporteur
Sur le fond, madame Stambach-Terrenoir, je ne partage rien de ce que vous avez dit à la tribune en défendant votre motion de rejet.
M. Alexis Corbière
C’est rassurant !
M. Jean Terlier, rapporteur
Vous avez dénoncé l’artificialisation des terres. C’est peut-être facile pour vous, qui êtes députée de la Haute-Garonne : à Toulouse, 300 hectares sont artificialisés chaque année,…
Mme Mathilde Feld
Quel est le rapport ?
M. Jean Terlier, rapporteur
…soit l’équivalent de la surface artificialisée pour la construction de l’autoroute A69. Pour le territoire concerné, c’est un projet structurant, dont les effets s’étaleront sur plus de trente ans.
C’est facile aussi, quand on habite Toulouse et que l’on a à disposition tous les moyens de transport – le métro, le tramway… –, de faire la leçon aux territoires ruraux sur la manière dont ils devraient concevoir leur aménagement et leur développement. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, EPR, DR, HOR et UDR. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) C’est indigne ! Pensez aux habitants du territoire en question ! Je le redis, cette autoroute a été conçue non pas pour faciliter les voyages à la montagne ou à la mer, mais pour permettre à un territoire de se développer et à ceux qui y vivent de travailler.
Mme Sandrine Rousseau
Il y a déjà une route !
M. Jean Terlier, rapporteur
Prenez ces éléments en considération, dans l’intérêt des habitants ! À plus de 75 %, ils souhaitent le désenclavement du sud du Tarn, grâce à cette autoroute.
Selon vous, la raison impérative d’intérêt public majeur ne serait pas caractérisée parce que toutes les solutions alternatives n’auraient pas été envisagées. Vous mentez de manière éhontée devant cet hémicycle ! (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Dans l’arrêt qu’il a rendu le 5 mars 2021, le Conseil d’État a validé la déclaration d’utilité publique et précisé que, dans le cadre de l’enquête publique préalable, toutes les possibilités pour désenclaver le territoire avaient été évoquées. Il n’y a donc pas d’autre option que la réalisation de cette infrastructure autoroutière ! Je vous renvoie à cet arrêt du Conseil d’État et vous en souhaite bonne lecture.
M. Jean-François Coulomme
Respectez la justice !
M. Jean Terlier, rapporteur
D’après vous, l’annulation de l’autorisation environnementale par le tribunal administratif faute de RIIPM serait la dernière décision de justice intervenue. Or, M. le ministre l’a relevé, c’est absolument faux, puisque la cour administrative d’appel a prononcé le sursis à exécution, estimant qu’il y avait des motifs sérieux de considérer que le projet d’autoroute A69 répondait bien à une raison impérative d’intérêt public majeur.
M. Sylvain Maillard
Oui, elle a oublié de le dire ! Elle a aussi oublié de dire qu’elle avait voté pour la suppression des ZFE !
M. Jean Terlier, rapporteur
Là encore, vous faites une lecture tronquée des décisions de justice relatives à ce dossier. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Par ailleurs, j’ai un peu de mal à vous suivre quand vous parlez de respect de la justice, car vous avez sans cesse défendu les zadistes qui se sont installés à Saïx et à Soual (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP),…
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Jean Terlier, rapporteur
…ainsi que les violences qui ont été commises sur des élus et sur des entreprises du secteur. Vous défendez aujourd’hui encore ceux qui se sont perchés dans les arbres, dans la plus parfaite illégalité, pour faire pression sur cet hémicycle. C’est honteux ! Ce sont des délinquants, et il est inadmissible que vous les défendiez ainsi ! (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Sébastien Delogu
Laissez les écureuils tranquilles !
Mme la présidente
S’il vous plaît, chers collègues ! Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Jean Terlier, rapporteur
Il existe bel et bien un intérêt public majeur à reprendre la construction de cette autoroute, y compris parce qu’il faut que le concessionnaire répare les dommages effectivement causés à l’environnement. Le contrat de concession impose à Atosca de renaturer 55 hectares de boisement et 55 hectares de zones humides ainsi que de prendre des mesures de compensation pour 24 hectares de terres agricoles.
Mme Karen Erodi
Ôtez vos œillères !
M. Jean Terlier, rapporteur
Nous sommes dans l’obligation de terminer ce chantier pour que ces mesures de compensation environnementales soient menées à bien.
M. Jean-François Coulomme
Ah, c’est l’aspect environnemental qui vous préoccupe, on n’avait pas compris !
M. Jean Terlier, rapporteur
Vous avez déposé plus de 700 amendements sur l’article unique de cette proposition de loi.
Mme Sabrina Sebaihi
Il en reste 200, ça va !
M. Jean Terlier, rapporteur
À plusieurs reprises depuis vendredi, je vous ai demandé de les retirer. Je l’ai dit lors de la présentation du texte, 700 amendements, cela représente près de quarante-huit heures de discussion. Or, vous le savez très bien, il faut que nous allions jusqu’au vote de ce texte si nous voulons sécuriser l’autorisation environnementale de l’autoroute A69.
Sur le fond, je suis parfaitement opposé à cette motion de rejet, mais je demande à mes collègues de la voter. En effet, compte tenu de l’obstruction que vous avez pratiquée en déposant tous ces amendements, il n’y a malheureusement pas d’autre solution, pour aboutir à un vote, que de convoquer une commission mixte paritaire (CMP). (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, EPR et DR. – Exclamations vives et prolongées sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mes chers collègues, je vous avais demandé instamment de ne pas parasiter le débat et de retirer vos amendements. Vous le savez très bien : si un vote avait lieu, vous le perdriez, comme vous avez perdu ceux qui se sont tenus au Sénat et en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je ne peux que tirer les conséquences de cette obstruction : il est nécessaire, dans l’intérêt des habitants du sud du Tarn, que nous n’allions pas jusqu’à ce vote. Je prends donc mes responsabilités en affirmant que, sur le fond, je combats votre motion de rejet, mais que, sur la forme, il nous faut évidemment l’adopter pour que le processus législatif aboutisse. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR ainsi que sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges (UDR)
Cette motion de rejet constitue une nouvelle débandade, un acte désespéré de l’ultragauche face à une contre-révolution en marche. Nous assistons en effet à une révolution culturelle et législative consistant à revenir sur la loi « climat et résilience » adoptée en 2021, afin de retrouver un système supportable – le mot a tout son sens – en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire.
M. Rodrigo Arenas
Vous ne vous contentez pas de regarder la planète brûler, vous versez du kérosène dessus !
Mme Brigitte Barèges (UDR)
Oui, les élus locaux, de gauche et de droite, petits et grands, sont exaspérés par les méfaits de cette loi : elle bloque tous les projets, tous les chantiers. Oui, trop d’écologie a tué l’écologie ! (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
J’en veux pour preuve les débats que nous avons eus dans cette enceinte la semaine dernière sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, mais aussi les amendements que nous avons votés, dans le projet de loi de simplification de la vie économique, pour supprimer les ZFE (zones à faibles émissions) et, pour partie, le ZAN.
En l’espèce, les juges nous disent qu’ils appliquent la loi. Eh bien, changeons la loi ! C’est l’occasion qui nous est donnée ici. Cependant, cette fois-ci comme la précédente, les mêmes députés LFI et écologistes ont déposé de très nombreux amendements, plus de 700, pour paralyser le vote.
Mme Dominique Voynet
Il en reste 200 !
Mme Brigitte Barèges
Face à ces zélés de l’obstruction, l’adoption de la motion de rejet qui nous est proposée permettrait que ce texte attendu soit examiné sans délai par une CMP, puis voté. Je ne peux me résoudre à une nouvelle capitulation, qui serait incompréhensible pour tous ceux – élus, citoyens, entreprises – qui attendent la levée de ce verrou. Je déplore de devoir abdiquer ainsi ma mission de parlementaire pour le seul motif, certes louable, de l’efficacité. Néanmoins, le groupe UDR votera pour la motion de rejet.
Je dédie ce combat à la mémoire de Pierre Fabre, fondateur d’un groupe devenu leader mondial en pharmacologie cosmétique. (Exclamations sur quelques bancs du groupe EcoS.) Il n’a jamais voulu délocaliser son siège de Castres, malgré l’enclavement de la ville. C’est lui qui fut l’initiateur de ce projet, dont il ne verra pas, hélas, l’aboutissement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Manon Bouquin.
Mme Manon Bouquin (RN)
Je regrette profondément que nous ne puissions poursuivre nos travaux sur la lancée libératoire de la semaine dernière, quand nous avons tourné la page de la paralysie du développement de la France en votant les nécessaires exceptions au ZAN et aux ZFE. C’est un spectacle navrant que nous donnons aux Français, par la faute de nos collègues de gauche parvenus à leurs fins en empêchant le débat démocratique sur l’A69. Pourtant, la place de ce débat était bien ici, dans l’hémicycle.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
Mme Manon Bouquin
Ceux qui protestent contre l’usurpation parlementaire de l’État de droit militent en réalité pour que nous vidions la législation de sa substance démocratique. Ils savent bien que ce projet autoroutier est l’aboutissement d’une longue série de réflexions, de consultations publiques et de procédures prévues par le droit.
M. Jean-François Coulomme
Et de corruptions !
Mme Manon Bouquin
Ils savent qu’il répond à un problème bien identifié depuis des décennies : l’enclavement du bassin de vie et d’emploi de Castres-Mazamet et, plus largement, le décrochage du sud du Tarn. Ils savent que seule cette autoroute peut corriger un déséquilibre territorial, contrairement aux infrastructures existantes – ce qui a été démontré depuis les années 1990. Ils savent que le Parlement est tout à fait fondé à surmonter l’obstacle érigé par le tribunal administratif de Toulouse, afin de terminer le chantier si telle est la volonté démocratique.
Mais nos collègues de gauche s’en fichent. Leurs œillères idéologiques les poussent à systématiquement opposer l’activité économique et l’environnement, comme si l’une aboutissait nécessairement à l’anéantissement de l’autre. Nous n’avons plus de temps à perdre avec cette doctrine de la paralysie permanente. C’est pourquoi nous ne jouerons pas la partition obstructionniste de la gauche, à moins qu’elle ne retire les centaines d’amendements qui visent à empêcher l’examen de cette proposition de loi de validation.
Nous voterons donc la motion de rejet afin que le texte soit examiné par la commission mixte paritaire avec tout le sérieux qu’il aurait mérité. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – M. Didier Lemaire applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR)
Collègues Insoumis, collègues écolo-mélenchonistes, votre ADN, c’est la conflictualisation, c’est le fracas, c’est le bruit ; votre volonté est de transformer l’Assemblée en ZAD, en zone à défendre,…
M. René Pilato
Ben voyons !
M. Jean-René Cazeneuve
…bref, c’est l’obstruction – dont nous avons ici un formidable exemple. Le rapporteur l’a dit : plus de 700 amendements ont été déposés dont 80 rien que pour changer le titre du texte. C’est une obstruction caricaturale, non contre le texte du rapporteur, mais contre le peuple du Tarn,…
M. Rodrigo Arenas
Vous, vous n’avez jamais fait ça, bien sûr !
Mme Mathilde Panot
Et votre obstruction contre les retraites ?
M. Jean-René Cazeneuve
…contre les élus locaux, contre le monde économique, contre la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme Sandrine Rousseau
Ce que vous dites est une absurdité politique !
M. Jean-René Cazeneuve
C’est un peu facile, quand on est un élu de la métropole toulousaine, ce que vous êtes tous ! (Vives protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Christophe Bex
Vous dites n’importe quoi ! Vous parlez sans savoir !
M. Jean-René Cazeneuve
Vous êtes tous élus des métropoles, au groupe LFI. (Mme Sandrine Rousseau s’exclame.)
Mme Mathilde Panot
Vous êtes minable !
M. François Cormier-Bouligeon
Ils n’aiment pas la ruralité !
M. Jean-René Cazeneuve
C’est un peu facile, quand on a accès aux transports en commun, de refuser aux élus de la ruralité que nous sommes, tout simplement de vivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.) Pour vous, les habitants du Tarn et de tous les départements périphériques de Toulouse seraient des paysans, des gueux, et ce que vous souhaitez, c’est que nous le restions, que nous restions dans nos campagnes. (Exclamations continues.)
M. Rodrigo Arenas
Vous supprimez les bus !
M. Jean-René Cazeneuve
Eh bien, non, chers collègues, l’A69 est un droit, c’est un cordon ombilical entre Castres et Toulouse, un droit pour le développement économique, un droit pour l’accès aux soins, un droit pour la sécurité, un droit pour l’accès à la culture.
Et, chers collègues, à malin, malin et demi : nous allons voter cette motion de rejet. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.) Je tiens à vous en remercier car, grâce à vous, l’examen du texte sera beaucoup plus rapide puisqu’il ira directement en CMP et, grâce à vous, de ce fait, l’A69 verra le jour bien plus vite que prévu ! Merci ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Claire Lejeune.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP)
Mais quel spectacle honteux et désolant vous offrez au pays avec cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Quel spectacle honteux et désolant quand, en deux semaines, par deux fois, vous fuyez le débat en contournant les règles de l’Assemblée. Des députés qui sapent le fondement même de la loi… (Vives protestations sur les bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
S’il vous plaît ! Il reste cinq ou six explications de vote et, j’en suis presque sûre, nous devrions y arriver à peu près dans le calme. Je vous en prie, poursuivez, madame Lejeune.
Mme Claire Lejeune
Je le répète : c’est honteux qu’en une semaine vous ayez par deux fois détourné les règles de l’Assemblée pour fuir le débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.) Honte à vous !
J’y insiste : des législateurs qui sapent le fondement même de l’autorité de la loi, qui bafouent la séparation des pouvoirs avec autant de cynisme et de légèreté, qui se permettent une ingérence aussi explicite dans le fonctionnement de la justice – laquelle n’a en effet pas encore tranché. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LFI-NFP.) Alors que la force de la loi de la République est d’être générale et impersonnelle, vous bricolez une loi d’exception, sur mesure, une loi à la carte en réaction à une décision de justice qui n’arrange pas vos petits intérêts. (Mêmes mouvements.)
Quel spectacle honteux et désolant vous offrez au pays avec vos discours d’un autre temps, des discours obscurantistes qui répètent, tel un mantra : « développement économique » ; comme si le dérèglement climatique n’était pas une réalité scientifique,…
M. Sylvain Maillard
Et les ZFE ?
Mme Claire Lejeune
…comme si l’effondrement de la biodiversité était un détail que vous pouviez balayer. Avec ces arguments climatosceptiques, vous révélez le vrai visage de la Macronie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Sylvain Maillard
Et les ZFE ?
Mme Claire Lejeune
Non, ce n’est pas notre rôle de députés de délibérer sur une loi qui vise à interférer dans le processus de la justice. Nous assumons complètement cette motion de rejet préalable,…
M. Sylvain Maillard
Eh bien, nous aussi !
Mme Claire Lejeune
…de même que chacun de nos amendements. Et si cette motion est adoptée, l’Assemblée aura tranché : la proposition de loi n’aura alors aucune légitimité, pas plus que cette autoroute. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Romain Eskenazi.
M. Romain Eskenazi (SOC)
En commission, les députés du groupe Socialistes et apparentés ont exprimé de vives objections juridiques à ce texte qui porte atteinte aux fondements de notre démocratie : la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, le respect du droit européen. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et GDR. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.) Il tente de valider rétroactivement des décisions administratives alors qu’un contentieux est en cours. Chers collègues, le dossier est sur le bureau des juges.
M. Éric Woerth
Et alors ?
M. Romain Eskenazi
Il ne nous revient plus de juger de l’opportunité de ce projet.
Reste que cette motion de rejet, manifestement inappropriée, oriente le débat sur l’opportunité du projet, ce qui revient à tomber dans le piège de la Macronie. Or l’enjeu est ailleurs : ce texte doit être rejeté parce qu’il méprise l’État de droit. Aussi, en cohérence avec une position déjà exprimée en commission, ne participerons-nous pas au vote.
M. Thierry Tesson
Je suis étonné !
M. Romain Eskenazi
Il ne s’agit pas de cautionner un texte que, je le répète, nous rejetons, mais de refuser un mauvais cadrage. La proposition de loi doit en effet être combattue pour ce qu’elle est : une atteinte au droit, un précédent dangereux, une brèche dans notre système constitutionnel. Si nous la laissons passer, elle créera des précédents et justifiera la validation législative a posteriori de toute décision administrative. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS. – Mme Christine Pirès Beaune applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Lepers.
M. Guillaume Lepers (DR)
Quelque 200 000 euros par jour, c’est le coût vertigineux de l’arrêt du chantier de l’A69, c’est le coût de votre obstruction judiciaire, à laquelle la présente proposition de loi entend mettre fin. Oui, en 2025, on peut et on doit désenclaver les territoires ruraux, d’autant plus si, comme c’est le cas ici, le projet qui le permet fait l’objet d’un consensus local. Ses seuls opposants sont toujours les mêmes : des élus urbains déconnectés de la réalité des territoires concernés.
Cette proposition de loi est un message pour tous les territoires ruraux enclavés dont les habitants ne sont pas des sous-citoyens. Il s’agit du message fort selon lequel la France continuera de construire des infrastructures parce qu’on a le droit de vivre dans ces territoires et de s’y déplacer, parce que le travail, la production et l’innovation ne sont pas réservés aux seules grandes métropoles.
Vous remettez en cause la constitutionnalité du texte. Mais, chers collègues, dois-je vous rappeler que le pouvoir législatif est la plume de la loi et que l’autorité judiciaire en est la bouche ? La proposition de loi répond aux cinq exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, déjà affirmées lors de la construction du Stade de France en 1993, et de celle de l’A412 en Haute-Savoie en 2023.
Ceux qui crient à la remise en cause de l’État de droit, qui dénoncent un texte trumpiste, sont les élus qui, écharpe tricolore en bandoulière, soutenaient les zadistes dans leur occupation illégale du chantier. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes DR et EPR.)
Mme Karen Erodi
La défense de l’écologie, ça vous dépasse !
M. Guillaume Lepers
Qui, dans cet hémicycle, remet en cause l’État de droit ? Ce chantier doit être mené à terme et, face à l’obstruction, une nouvelle fois organisée par nos collègues de gauche (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP), le groupe Droite républicaine votera la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Christine Arrighi.
Mme Christine Arrighi
Je demande une suspension de séance, madame la présidente.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
Mme la présidente
La parole est à Mme Christine Arrighi.
Mme Christine Arrighi
Je demande une nouvelle suspension de séance, madame la présidente.
Mme la présidente
Elle est de droit, mais sera limitée à une minute.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-six, est reprise à dix-huit heures trente-sept.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
Mme la présidente
La parole est à Mme Christine Arrighi.
Mme Christine Arrighi (EcoS)
Vous nous faites honte. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP. – Exclamations prolongées sur les bancs du groupe EPR.) Vous nous faites honte, vous qui avez inscrit cette proposition de loi de validation du projet de liaison autoroutière à l’ordre du jour. Vous faites honte à la démocratie représentative, dont le principe fondateur est la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
M. Kévin Pfeffer
Vous représentez 5 % des voix !
Mme Christine Arrighi (EcoS)
Vous nous faites honte, parce qu’au lieu de modifier la loi, vous enjambez le droit en demandant à la représentation nationale de ne pas respecter une décision de justice fondée sur le droit positif, et de valider une infrastructure privée d’autorisation environnementale, privant ainsi de recours juridictionnels les citoyens que nous sommes tous. (Les députés des groupes EcoS et LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)
À la liste des 49.3, des 47.2, des motions de rejet préalables déposées sur un texte par son propre rapporteur (Exclamations sur les bancs du groupe EPR) afin d’empêcher les débats,…
M. Jean Terlier, rapporteur
La motion de rejet a été demandée par LFI !
M. Sylvain Maillard
C’est la vôtre !
Mme Christine Arrighi (EcoS)
… vous ajoutez, monsieur le ministre, une proposition de loi réécrite en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, avec le concours de LR, puis votée par le centre – désormais décentré – et la droite élargie jusqu’au Rassemblement national.
Pour couronner le tout, en séance, M. Terlier soutient un amendement de réécriture qu’il qualifie de plus sécurisant d’un point de vue juridique, notamment en vue de l’examen de la proposition de loi par le Conseil constitutionnel, ledit amendement ayant pour objet d’annuler l’amendement de réécriture précédent qu’il avait pourtant déjà qualifié de « plus abouti » lors de son adoption en commission. En procédant de la sorte, c’est à une véritable mascarade que vous vous prêtez !
Rappelons que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose comme fondement de notre République que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Dans ce contexte, le groupe écologiste a décidé de quitter cet hémicycle. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Les députés du groupe EcoS se lèvent et quittent l’hémicycle.)
Plusieurs députés des groupes RN et UDR
Au revoir ! Bon débarras !
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Martineau.
M. Éric Martineau (Dem)
Déposer des amendements relève du libre exercice du mandat parlementaire, mais en déposer des centaines sur un article unique, à la seule fin d’empêcher son examen, c’est de l’obstruction.
Mme Mathilde Panot
Et les retraites !
M. Éric Martineau (Dem)
En déposer des centaines, dont certains visent à faire entrer en vigueur le texte après 2100, alors que le projet examiné est attendu depuis les années 1990, c’est de l’obstruction.
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Éric Martineau (Dem)
Et ajouter à cela une motion de rejet préalable, cela relève encore davantage de l’obstruction.
Cette proposition de loi concernant le projet d’A69 vise à valider les autorisations environnementales de mars 2023 pour un projet attendu depuis les années 1990 par les élus et les acteurs du territoire de Castres-Mazamet.
Bassin de vie de plus de 110 000 habitants, c’est le seul bassin d’Occitanie de cette importance à être situé à plus d’une heure du réseau autoroutier, du réseau TGV et de Toulouse.
Ce projet est terminé à 70 % et plus de 390 millions d’euros ont déjà été dépensés, soit près de 70 % du coût total.
Sa remise en cause engendrerait des impacts environnementaux importants, n’en déplaise aux opposants du projet, mais aussi des conséquences sur nos finances publiques, dans le contexte contraint que nous connaissons.
Je souligne deux points essentiels pour le groupe Démocrates. Tout d’abord, cette proposition de loi respecte les dispositions constitutionnelles, l’État de droit et les dispositions en vigueur en matière de droit de l’environnement, notamment les compensations environnementales pour ce type de projets.
Nous aurons sans doute à nous interroger collectivement sur l’opportunité de nouveaux projets autoroutiers, mais nous avons la possibilité et la responsabilité de débattre à l’Assemblée.
La France insoumise porte la responsabilité de la motion de rejet, mais aussi de la volonté d’obstruction, marquée par le dépôt de plus de 700 amendements. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Et c’est vous seuls qui porterez cette responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Thiébaut.
M. Vincent Thiébaut (HOR)
Permettez-moi d’abord de m’exprimer sur le fond du sujet. Au sein du groupe Horizons, nous croyons à l’intelligence territoriale, à celle des élus locaux.
Ce projet est soutenu par l’ensemble des élus d’un territoire, tous partis politiques confondus, depuis trente ans ; nous devons respecter leur choix.
Permettez-moi aussi de souligner quelques incohérences. Nous débattons souvent de la fracture territoriale. On se plaint ici qu’il n’y ait plus assez de services, de médecins sur certains territoires, et que les jeunes les quittent pour une métropole qui s’étouffe et qui s’étend, à l’image de Toulouse, dont je connais bien la problématique.
Nous devons être cohérents : on ne peut pas d’un côté dire qu’on veut parvenir à l’égalité territoriale, et de l’autre ne pas permettre aux territoires de se développer, de maintenir des services et de donner à leur jeunesse la chance d’y rester.
Pour cette raison, nous sommes favorables à ce projet qui est soutenu par l’ensemble des élus locaux du territoire concerné, quel que soit leur parti.
Mme Karen Erodi
Arrêtez de dire n’importe quoi !
M. Vincent Thiébaut
Il est aberrant que vous nous accusiez de refuser le débat ou de nous livrer au déni de démocratie, car ce n’est pas nous qui avons déposé la motion de rejet préalable, mais bien vous ! Nous étions prêts à débattre.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Vincent Thiébaut
Ce faisant, vous nous offrez l’occasion de nous épargner l’obstruction créée par les centaines d’amendements que vous avez déposés et de permettre à la proposition de loi de continuer son chemin en CMP. Pour ces raisons, et parce que nous avons encore des textes importants à examiner, nous voterons la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. David Taupiac.
M. David Taupiac (LIOT)
L’examen de la proposition de loi de M. Philippe Folliot se fait en parallèle d’une intense activité judiciaire : la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée en faveur de la reprise immédiate des travaux.
L’A69, tronçon autoroutier de 53 kilomètres, a fait couler beaucoup d’encre et a suscité un débat passionné dans lequel nous devons réinjecter raison et pragmatisme. Rappelons que le projet est le résultat d’une longue concertation qui a débuté en 2007 et qui s’est accompagnée de vifs débats sur des enjeux environnementaux réels, mais qui sont à mettre en perspective des besoins d’un territoire enclavé, le bassin castrais.
Au-delà de savoir si le modèle autoroutier est dépassé ou non, l’honnêteté commande de considérer que le projet répond à une attente forte de la population du bassin castrais, dont la situation économique et sociale est difficile.
Quelles seraient les conséquences financières causées par l’interruption de travaux déjà démarrés ? Est-il vraiment pertinent d’arrêter un projet aussi avancé ? Les sénateurs chiffrent le coût de l’interruption des travaux à 200 000 euros par jour. Certains contestent ces chiffres, mais il est incontestable que plus de 300 millions d’euros, sur les 450 prévus, ont déjà été investis et que 54 % des terrassements et 70 % des ouvrages d’art ont été réalisés.
De plus, en cas d’interruption du projet, il faudra résilier le contrat de concession avec la société Atosca. Elle devra être indemnisée par l’État et les collectivités à hauteur du préjudice subi, soit le remboursement des capitaux engagés et la compensation de la perte des revenus qu’aurait générés le contrat d’une durée de soixante-cinq ans.
J’associe M. Philippe Bonnecarrère, député du Tarn, à mes propos ; le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires votera très majoritairement cette motion de rejet préalable.
M. Philippe Vigier
Bravo !
M. David Taupiac (LIOT)
Nous avons trop tardé à agir. En commission, nous avons exprimé notre soutien à cette proposition de loi. J’espère qu’elle aboutira. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à M. Édouard Bénard.
M. Édouard Bénard (GDR)
Je me permets de paraphraser le ministre chargé des transports en affirmant à mon tour que cette situation est totalement ubuesque ! Car pour justifier ou contrer votre chantage à la CMP, traduit ce soir par un coup de force, nous aurions pu nous répandre et nous perdre en arguties juridiques.
Cependant, une chose est sûre : alors que la tentation autoritaire progresse, que l’efficacité est érigée en valeur et prime le droit, au détriment des droits élémentaires des citoyens à contester l’arbitraire du pouvoir, ce texte de contournement franchit une ligne rouge. Nous devons y opposer tant la force du droit que l’exigence républicaine.
Il ne s’agit pas que de l’A69. Ouvrez les yeux ! Ce texte créerait une dangereuse jurisprudence et laisserait des traces. (Mme Mathilde Feld applaudit.) Cela nous en encourage, nous, députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, à maintenir notre vote en faveur de la motion de rejet préalable, non pour esquiver le débat, mais parce que, comme Montesquieu, nous croyons que « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Stéphane Vojetta
Et votre tentative d’obstruction, on en parle ?
Mme la présidente
Je mets aux voix la motion de rejet préalable.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 179
Nombre de suffrages exprimés 176
Majorité absolue 89
Pour l’adoption 176
Contre 0
(La motion de rejet préalable est adoptée.)
(Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN, EPR, SOC, HOR, LIOT, GDR et UDR.)
Mme la présidente
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
Rappels au règlement
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Panot, pour un rappel au règlement.
Mme Mathilde Panot
Il se fonde sur l’article 100 du règlement. C’est la deuxième fois que vous détournez la motion de rejet préalable en 49.3 parlementaire.
M. François Cormier-Bouligeon
Il ne fallait pas la déposer !
M. Thierry Tesson
C’est la vôtre !
M. Alexandre Loubet
C’est vous qui l’avez déposée !
Mme Mathilde Panot
Même si vos magouilles sont minables, je dois vous dire que deux choses vous ont échappé en procédant de la sorte. Premièrement, vous nous avez offert une victoire. Le seul vote dont l’A69 a fait l’objet à l’Assemblée nationale a conduit au rejet de ce texte. Il est illégitime et doit donc être retiré. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent jusqu’à la fin de l’intervention de l’oratrice.)
Deuxièmement, si vous vous entêtez, nous saisirons le Conseil constitutionnel, notamment au sujet de la sincérité des débats et du respect du droit d’amendement. Le Conseil constitutionnel n’aura d’autre choix que de retoquer votre détournement flagrant et choquant de la procédure. Faites attention à ce que vous faites ! Non seulement vous piétinez la démocratie, mais vous vous transformez en députés Playmobil !
M. François Cormier-Bouligeon
Vous avez été pris à votre propre jeu !
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-René Cazeneuve, pour un rappel au règlement.
M. Jean-René Cazeneuve
Chers collègues, il faudra que vous apportiez un imperméable la prochaine fois ! C’est l’arroseur arrosé ! De qui vous moquez-vous ? Vous êtes des professionnels de l’obstruction ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, RN et UDR.) Vous êtes des professionnels des motions de rejet préalable ! Vous en avez déposé seize ou dix-sept, rien que depuis juillet ! Et maintenant vous regrettez qu’il n’y ait pas de débat ? De qui vous moquez-vous ?
M. Théo Bernhardt
Eh oui ! Ils ont perdu !
M. Jean-René Cazeneuve
Madame Panot, saisissez donc le Conseil constitutionnel ! Dans des circonstances similaires, sa saisine n’a pas empêché l’entrée en vigueur de la loi « asile et immigration ». Votre propos est donc hors sujet !
Mme Mathilde Panot
On verra bien !
M. Jean-René Cazeneuve
Ce projet répond à un besoin fondamental des territoires ! Nous sommes fatigués que ceux qui habitent les métropoles donnent des leçons aux campagnes et aux territoires !
Mme Mathilde Panot
Ne soyez pas député si vous êtes fatigué !
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour un rappel au règlement.
M. Philippe Bonnecarrère
Il se fonde sur l’article 100 du règlement. Je regrette de ne pas avoir pu m’exprimer alors qu’il était prévu que je le fasse dans le cadre de la discussion générale sur le texte. Certes, je suis un député non inscrit, mais je suis aussi corédacteur de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale et surtout je représente la majorité des électeurs de Castres.
Mme Karen Erodi
La moitié seulement !
M. Philippe Bonnecarrère
En tant que tel, il aurait été légitime que je prenne la parole. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et RN.)
Mme la présidente
Malheureusement, à l’occasion des explications de vote, seuls les orateurs des groupes peuvent s’exprimer, ce qui n’est pas votre cas puisque vous êtes un député non inscrit – et pour ce qui est de la discussion générale, elle n’aura pas lieu, compte tenu de l’adoption de la motion de rejet préalable.
Monsieur Terlier, vous souhaitiez prendre la parole pour un rappel au règlement ?
M. Jean Terlier
Non, madame la présidente.
Mme la présidente
Vous n’avez plus la parole en tant que rapporteur, puisque la proposition de loi a été rejetée. Il faut que vous fassiez un rappel au règlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Jean Terlier
Soit, je demande donc la parole pour un rappel au règlement.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Terlier, pour un rappel au règlement.
M. Jean Terlier
Il se fonde sur l’article 100 du règlement. Madame Panot, vous ne convaincrez personne. Vous êtes l’arroseur arrosé. Vous avez déposé cette motion de rejet et alors que vous auriez pu la retirer, vous avez décidé de la maintenir et nous l’avons votée.
Mme Ségolène Amiot
Mais oui, c’est ça ! Allez, oust !
M. Jean Terlier
D’ailleurs, ce n’est pas sur le fond que cette motion de rejet a emporté l’adhésion, mais pour soutenir le projet de l’A69. C’est pour l’A69 que nous l’avons votée ! C’est pour les habitants du sud du Tarn que nous l’avons votée ! C’est pour que cette proposition de loi aille en CMP et que nous puissions voter ! (Les députés du groupe EPR se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN, HOR et UDR.)
Madame Panot, arrêtez de dire qu’il n’y a pas eu de vote. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a largement voté en faveur de cette proposition de loi de validation.
M. Sébastien Delogu
On s’en fout !
Mme Karen Erodi
Du balai !
M. Jean Terlier
L’arroseur arrosé ! La prochaine fois, vous réfléchirez à deux fois avant de déposer une motion de rejet préalable et plus de 700 amendements pour ajouter plusieurs centaines d’articles.
M. Sébastien Delogu
Ce n’est pas un rappel au règlement !
M. Jean Terlier
Je remercie le sénateur Philippe Folliot, présent dans les tribunes pour assister à nos débats, ainsi que Philippe Bonnecarrère, corédacteur de la proposition de loi de validation que nous avons déposée. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. Xavier Breton applaudit également.) Chers collègues, encore merci pour votre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme Prisca Thevenot
Bravo !
Intervention du ministre
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre
Je voudrais également remercier M. Philippe Folliot pour avoir déposé le texte au Sénat, ainsi que le rapporteur pour son travail, enfin M. Philippe Bonnecarrère, qui n’a pas pu s’exprimer mais qui est un ardent défenseur du projet.
Je ne peux que vous souhaiter une bonne CMP et une bonne fin de soirée – sans moi ! (Sourires sur les bancs du groupe EPR. – Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et RN.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
4. Fiscalité des microentrepreneurs et des petites entreprises
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Paul Midy et plusieurs de ses collègues visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos microentrepreneurs et nos petites entreprises (nos 1337, 1468).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Midy, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Paul Midy, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Cette loi est très simple : elle doit permettre d’annuler la baisse, prévue dans la loi de finances pour 2025, des seuils de franchise en base de TVA applicables aux très petites entreprises et, en particulier, aux autoentrepreneurs.
Soyons clairs : cette mesure est mauvaise. Elle constitue un traquenard fiscal, car elle toucherait 200 000 autoentrepreneurs ou très petites structures, qui se verraient demander de payer 4 000 euros de taxes supplémentaires en année pleine. Rappelons qu’en moyenne, ces entrepreneurs se versent un salaire proche du smic et que la somme de 4 000 euros représente le montant moyen de l’impôt sur le revenu en France. Elle constitue un traquenard fiscal, car les seuils de TVA seraient appliqués au chiffre d’affaires de l’année précédente, ce qui empêcherait les autoentrepreneurs de piloter leur chiffre d’affaires en vue d’un maintien dans le régime simplifié d’imposition à la TVA, un régime que la moitié d’entre eux ont choisi.
Cette mesure est mauvaise, car elle s’attaque à des travailleurs souvent modestes. L’autoentrepreneuriat concerne 3,5 millions de Français ; il procure à la moitié d’entre eux leur emploi principal et à l’autre un emploi d’appoint. Ces compatriotes créent leur emploi, souvent après en avoir été privés, dans un territoire où il est difficile d’en trouver un.
Dans notre pays, sept entreprises sur dix sont créées sous le régime de la microentreprise, qui a formidablement démocratisé la création d’entreprises auprès des Français qui en étaient les plus éloignés – les femmes, les personnes issues de la diversité, les habitants des territoires ruraux ou des quartiers les plus modestes.
Ne mettons pas la tête de ces entrepreneurs, de ces modestes travailleurs, sous l’eau avec cette mesure.
Dès le début, les députés du groupe Ensemble pour la République, présidé par Gabriel Attal que je remercie pour son soutien, se sont beaucoup mobilisés – ainsi que nombre d’autres collègues – contre cette réforme.
Je salue évidemment la mobilisation de la Fédération nationale des autoentrepreneurs et de l’Union nationale des autoentrepreneurs, mais également la suspension de cette mesure par le gouvernement, d’abord à titre temporaire, puis à titre définitif. Merci à la ministre Louwagie pour son écoute et pour cette décision.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est important, car il est nécessaire d’inscrire l’annulation de cette mesure dans la loi. Comme vous le savez, ce n’est pas le gouvernement qui adopte le budget, mais le Parlement.
Mme Danielle Simonnet
Par contre, c’est le gouvernement qui applique le 49.3 !
M. Paul Midy, rapporteur
La proposition de loi tend donc à modifier le budget, pour revenir sur l’abaissement des seuils de franchise.
Bien que le gouvernement ait clairement annoncé l’annulation de cette mesure, l’insécurité juridique actuelle stresse des centaines de milliers d’autoentrepreneurs et en empêche beaucoup de dormir. Il est donc important de la voter et j’espère que c’est ce que nous ferons dans quelques minutes ou dans quelques heures.
Nous en avons déjà discuté, il faudra aller plus loin que cette proposition de loi. Le régime du microentrepreneuriat devrait, au lieu d’être un peu plus taxé, soutenu, développé et sécurisé. Il a permis de casser une barrière à la création d’entreprise et de démocratiser l’entrepreneuriat ; j’émets l’idée qu’il faut aller plus loin, en facilitant, après la création d’entreprises, l’embauche des premiers salariés. Pourquoi ne pas créer le régime de l’auto-TPE ?
Il faut ensuite distinguer deux aspects différents de la microentreprise. Le premier, c’est le développement du travail indépendant, qui répond aux aspirations de beaucoup de nos compatriotes. Il faut accompagner celles-ci, en sécurisant le travail indépendant et en lui donnant le bon cadre.
Le second, c’est le travail indépendant contraint ou l’autoentrepreneuriat subi, par certains travailleurs des plateformes par exemple. L’enjeu est de faire appliquer le droit, mais aussi de sécuriser et de renforcer les protections des travailleurs.
En bref, cette proposition de loi tend à revenir à l’état du droit tel qu’il était avant l’adoption du budget. Dans un deuxième temps, j’appelle à un travail commun sur le développement et la sécurisation du travail indépendant. Enfin, j’appelle le gouvernement à orienter son effort de maîtrise budgétaire non pas vers la création de nouvelles taxes ou impôts, mais vers la maîtrise des dépenses publiques.
Je remercie les organisations que nous avons auditionnées, les collègues présents à ces occasions et les collègues qui se sont mobilisés. Je remercie l’ensemble des collègues de la commission des finances, qui ont voté à l’unanimité pour cette proposition de loi. J’espère que nous serons capables d’en faire autant dans quelques minutes ou quelques heures, selon le déroulement de la soirée. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire
Nous abordons ce soir un sujet d’apparence technique, mais dont les enjeux économiques et politiques sont bien réels : celui de la franchise en base de TVA. Je tiens à le dire dès à présent, ce sujet mérite mieux que des caricatures.
Il mérite mieux qu’un faux débat, opposant d’un côté les défenseurs des autoentrepreneurs et de l’autre un gouvernement qui voudrait affaiblir leur statut. Ce n’est pas notre volonté et ce n’est pas la réalité.
Notre démarche ne vise pas à remettre en cause un statut qui a prouvé son utilité. Le gouvernement reste profondément attaché au régime des autoentrepreneurs. Il s’agit d’un outil essentiel pour accompagner l’initiative individuelle, pour faciliter l’insertion professionnelle et pour encourager la création d’activité.
Ce régime concerne aujourd’hui plus de 2,5 millions d’acteurs économiques. Il offre un point d’entrée dans la vie entrepreneuriale et un levier d’autonomie.
Permettez-moi de le redire avec force : la réforme de la franchise en base de TVA adoptée dans la loi de finances pour 2025 ne remet pas en cause ce régime. Elle ne modifie ni les conditions d’accès au statut, ni la fiscalité des revenus, ni le régime social des microentrepreneurs. Elle ne supprime aucun droit et aucune protection, aucune incitation à entreprendre.
Elle vise seulement à revoir un mécanisme fiscal spécifique, selon lequel la TVA n’est pas appliquée en deçà d’un certain niveau de chiffre d’affaires. Pourquoi avoir engagé cette réforme ? Parce que le dispositif de franchise en base de TVA, dans sa forme actuelle, montre aujourd’hui ses limites.
Les seuils appliqués en France – jusqu’à 85 000 euros pour les biens – sont parmi les plus élevés en Europe. Cette situation crée des distorsions de concurrence et complique le fonctionnement du marché. Dans certains secteurs, comme celui du bâtiment, ces seuils élevés créent un avantage compétitif difficile à justifier.
Un microentrepreneur non assujetti à la TVA peut facturer moins cher que son concurrent qui y est soumis, à même niveau de qualité et de service. Cette situation compromet la loyauté de la concurrence, suscite des tensions sur le terrain et affaiblit la cohésion du tissu professionnel.
Au-delà de cet enjeu sectoriel, il y va de la lisibilité du système. Aujourd’hui, le régime comprend quatre seuils différents, ce qui est source de confusion pour les entrepreneurs et les clients. Cette complexité n’est plus tenable.
L’évolution du système de la franchise faisait l’objet d’échanges avec les fédérations professionnelles depuis plusieurs années. Elle avait par exemple été discutée lors des assises de la simplification de novembre 2023.
La temporalité et les modalités d’adoption de cette réforme – inscrite dans la loi de finances pour 2025 – ont cependant suscité des interrogations, et la motion de censure n’a pas aidé.
L’abaissement du seuil résulte cependant d’un processus parlementaire, marqué par de nombreuses propositions d’amendements, provenant de multiples groupes politiques, lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) par l’Assemblée nationale à l’automne dernier. Il a ensuite été adopté par le Sénat et n’a pas été remis en cause par la CMP. Des votes ont donc eu lieu.
Nous avons, comme vous, entendu les inquiétudes exprimées par les acteurs concernés une fois cette réforme adoptée. Pour cette raison, le gouvernement a pris une décision claire dès le mois de février : celle de suspendre la réforme, d’ouvrir une concertation large et d’engager un dialogue avec les fédérations professionnelles et les parlementaires.
Ce cycle de concertation, je l’ai mené avec méthode. J’ai rencontré près d’une cinquantaine d’organisations représentatives et j’ai échangé avec chacun des groupes parlementaires de cette assemblée, à plusieurs reprises, au sein du ministère de l’économie et des finances.
Ces moments d’écoute ont révélé la complexité du sujet et l’hétérogénéité des points de vue exprimés. Aucune position unanime ne s’est imposée à ce stade : il n’y a ni adhésion massive ni rejet catégorique.
Les points de vue exprimés sont multiples et parfois divergents. Certaines fédérations, qui se sont manifestées auprès de vous, plaident pour une application rapide du nouveau seuil de 25 000 euros. D’autres, qui se sont également fait connaître, demandent le retour des anciens seuils. D’autres encore appellent à une refonte plus large du dispositif, avec un certain nombre de solutions alternatives aux deux propositions exposées.
Toutes les positions, même celles qui sont opposées, doivent être prises en compte. C’est dans cet esprit d’écoute et de responsabilité que nous souhaitons aborder les débats de ce soir et le prochain PLF, dont l’examen nous fournira la meilleure occasion de trancher la question.
Pourquoi ce choix ? Parce que nous devons pouvoir nous reposer sur de nouvelles données solides. Parce que les consultations ont soulevé des questions nombreuses et ont montré le besoin de mesurer mieux les impacts concrets de ces seuils, secteur par secteur.
À l’issue de cette concertation, nous avons tiré un constat simple, dont j’ai fait état devant vous : les conditions d’une application immédiate de la réforme n’étaient pas réunies.
Parce qu’il faut aborder ce sujet dans un cadre beaucoup plus large, nous avons décidé, avec les ministres Éric Lombard et Amélie de Montchalin, de prolonger la suspension de la réforme jusqu’à la fin de l’année 2025. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – M. Sylvain Berrios applaudit également.)
M. Mathieu Lefèvre
Très bien !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Je remercie le rapporteur Paul Midy pour la présente proposition de loi, qui témoigne de l’intérêt de cette assemblée pour ce sujet et du souhait, partagé, d’apporter une sécurité juridique et des réponses au plus vite. Je formule le souhait que la discussion de ce soir puisse continuer à enrichir notre réflexion collective et contribuer à l’élaboration, à l’automne prochain, d’une réforme construite dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026.
Il est important de rappeler que le sujet de la franchise de TVA ne concerne pas que les microentreprises : seuls deux tiers des entreprises qui en bénéficient sont régies par ce statut.
Nous voulons une réforme résolument équilibrée, qui ne pourra donc pas consister en un retour aux règles antérieures. Nous devons protéger les secteurs les plus exposés à la concurrence, comme celui du bâtiment. Chacun peut comprendre que la différence de traitement fiscal entre un artisan soumis à la TVA et un microentrepreneur qui ne la facture pas est source de tensions. (Mme Danielle Brulebois applaudit.) Nous devons y remédier.
Une réforme équilibrée devra également viser à simplifier le dispositif en réduisant le nombre de seuils. Je vous crois tous attachés à la simplification ; nous y sommes tous attachés. Or les quatre seuils du régime actuel génèrent de la confusion. La simplification ne doit cependant pas se faire au détriment des plus petits acteurs, notamment dans les services. Nous l’avons constaté lors de la concertation : nous devons trouver le bon niveau.
La réforme sera également équilibrée au regard de ce qui se pratique chez nos voisins : en Allemagne et en Belgique, le seuil est de 25 000 euros ; il est de 20 000 aux Pays-Bas, tandis qu’il est nul en Espagne. Maintenir un seuil très élevé en France permettra aussi à des prestataires étrangers de proposer des services exonérés de TVA sur notre sol. Parce qu’un tel dispositif n’est pas neutre, il mérite que nous en mesurions ensemble les implications.
Bref, le projet de loi de finances nous offrira le bon tempo et dotera les entreprises de la visibilité nécessaire. Il sera l’occasion d’un débat, appuyé sur de nouvelles données sectorielles et des projections budgétaires actualisées. Nous ne cherchons donc pas à clore le débat aujourd’hui, bien au contraire : nous nous engageons à revenir devant vous à l’automne prochain avec une proposition construite, enrichie des réponses aux questions soulevées lors de la concertation et de la discussion de ce soir, afin de mieux prendre en compte les réalités économiques, de répondre aux inquiétudes des acteurs concernés et, finalement, d’éclairer vos choix.
Examiner une telle proposition dans le cadre du PLF sera moins incertain que de le faire à l’occasion de ce texte, ne serait-ce que parce que le Sénat préfère procéder ainsi et que le calendrier parlementaire ne permet pas de faire autrement. Nous avons pour objectif de trouver ensemble une solution juste, claire et durable. Je réponds ainsi favorablement à votre demande de travailler en commun, monsieur le rapporteur. Le gouvernement reste ouvert, à l’écoute, prêt à travailler avec vous. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – M. le rapporteur et M. Corentin Le Fur applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Ce texte était très attendu par des centaines de milliers de personnes, légitimement inquiètes depuis que cette mesure a été adoptée – et non votée ! – avec le projet de loi de finances. Je veux rendre hommage à tous ceux qui se sont mobilisés pour inciter les représentants du peuple que nous sommes à réagir. Si j’accorde volontiers à Paul Midy l’intelligence d’avoir repris son texte, je remercie aussi Hadrien Clouet, du groupe La France insoumise, d’avoir déposé la même proposition de loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Ce texte, bien qu’il soit nécessaire, illustre la nocivité des CMP lorsque ces dernières servent à s’accorder sur des propositions qui n’ont été ni examinées ni votées par l’Assemblée nationale.
M. Alexis Corbière
Exactement !
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
C’est exactement ce qu’il s’est passé en l’occurrence, et je le souligne d’autant plus volontiers quelques minutes après le vote d’une motion de rejet préalable visant à faire exactement la même chose – comme c’était déjà le cas pour la proposition de loi Duplomb, la semaine dernière.
Mme Danielle Brulebois
Cela n’arriverait pas si vous ne faisiez pas d’obstruction !
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
Cela doit nous inciter à réfléchir :…
M. Mathieu Lefèvre
À la censure ?
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
…lorsqu’un texte passe en CMP de cette manière, il a si peu de légitimité populaire qu’il est évidemment beaucoup plus facilement contestable.
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
La mesure prévue par le présent texte vise à rétablir le plafond antérieur de 85 000 euros de chiffre d’affaires annuel – 37 500 euros pour les services – qu’un amendement du gouvernement Barnier au PLF pour 2025 avait abaissé à 25 000 euros. Après la censure de M. Barnier, cet amendement a été repris par le gouvernement Bayrou, pénalisant évidemment des centaines de milliers de microentrepreneurs – pour une très petite structure, devoir répercuter 20 % de TVA sur ses clients revient en effet à signer la mort de son activité, faute de pouvoir être concurrentielle.
Si cette mesure a touché autant de gens, c’est aussi parce que la politique de M. Macron a, dès juillet 2017, favorisé le régime de l’autoentrepreneuriat. Lors de l’examen du projet de loi des finances rectificative – c’était l’une des premières mesures de sa majorité –, un amendement avait en effet doublé le plafond autorisé pour les autoentrepreneurs, de sorte que ce statut n’a ensuite plus servi à se verser un complément de salaire, mais à régir un emploi principal : celui d’un travailleur pauvre, la plupart du temps. L’autoentrepreneuriat, tout en réduisant artificiellement les chiffres du chômage, permet aussi une externalisation de l’activité : nombre de grandes enseignes en ont profité pour remplacer leurs salariés par des autoentrepreneurs, et ainsi contourner le code du travail, les conventions collectives et les cotisations patronales. Après que les cotisations de près de 700 000 personnes ont cessé de la financer, il ne restait plus qu’à s’alarmer du trou de la sécurité sociale…
Fin 2024, l’Union européenne a adopté une directive instaurant une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes – ma collègue eurodéputée Leïla Chaibi, notamment, a mené ce combat au sein du Parlement européen. La France devra transposer cette directive au plus tard en janvier 2026. Il faudra bien le faire pour mettre un terme au scandale de l’ubérisation, que les chauffeurs de taxi nous ont encore rappelé récemment.
Je vais voter des deux mains pour cette proposition de loi mais, comme l’a dit Paul Midy, cela ne doit pas nous empêcher de travailler sur le statut d’autoentrepreneur, car ce dernier ne pose pas de problèmes qu’aux principaux concernés, il en pose aussi à l’organisation du travail en général, du fait de la concurrence parfois difficile à vivre qu’il entraîne, notamment pour les artisans. Il doit donc être remis en cause, même s’il n’est pas question que les travailleurs qui sont sous ce régime perdent à la fois au grattage et au tirage – en étant à la fois régi par un statut de travailleur pauvre facilité qu’ils n’avaient pas demandé, et dans l’incapacité d’exercer leur activité à court terme. Cette proposition de loi qui revient sur une disposition de la loi de finances est donc nécessaire. Elle sera à n’en pas douter votée à l’unanimité, comme ce fut le cas au sein de la commission que je préside. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Anthony Boulogne.
M. Anthony Boulogne
Nous discutons d’un texte qui vise à réparer une erreur politique lourde de conséquences : l’abaissement brutal des seuils de franchise en base de TVA – une mesure déconnectée des réalités économiques, prise sans consultation. Il était temps que le Parlement répare cette injustice.
Mme Danielle Simonnet
Vous aviez proposé pire encore avec vos amendements ! Quel hypocrite !
M. Bernard Chaix
Chut !
M. Anthony Boulogne
Aussi le groupe Rassemblement national votera-t-il sans réserve en faveur de ce texte – nous avons par ailleurs déposé une proposition de loi visant précisément à rétablir les seuils de TVA modifiés par la loi de finances pour 2025. Il est urgent de rétablir un régime fiscal juste et adapté au bénéfice des autoentrepreneurs. C’est une évidence, une exigence, une urgence.
Comment en sommes-nous arrivés là ? En décembre 2024, lors de l’examen du PLF au Sénat, le gouvernement de Michel Barnier a introduit, par voie d’amendement, l’abaissement à 25 000 euros du seuil de franchise – une décision improvisée et déconnectée des réalités économiques…
M. Mathieu Lefèvre
Que vous souteniez !
M. Anthony Boulogne
Malgré les alertes, le gouvernement de François Bayrou a repris cette mesure dans le budget, adopté sans concertation. Chers collègues macronistes et de la droite républicaine : cette réforme est la vôtre.
Mme Danielle Simonnet
Vous aviez déposé des amendements qui allaient encore plus loin !
M. Anthony Boulogne
Vous portez une lourde responsabilité dans la colère actuelle, bien légitime, des entrepreneurs français. Vous vous proclamez défenseurs de l’entreprise, mais vous matraquez les entrepreneurs. Vous promettez la simplification et vous ajoutez des couches de paperasse. Vous dites soutenir la France qui travaille et vous l’écrasez sous l’impôt. Vous soutenez un gouvernement qui veut alourdir la charge administrative et fiscale pesant sur nos autoentrepreneurs. La contradiction entre vos discours et vos actes est flagrante. Elle ne fait plus sourire personne, tant la situation économique est grave.
Selon le rapport d’information du Sénat sur le sujet, plus de 2 millions de petites entreprises – indépendants ou microentrepreneurs – bénéficiaient de ce régime favorable avant la réforme voulue par le Gouvernement. L’institution d’un seuil unique de chiffre d’affaires dans la loi de finances pour 2025 priverait plus de 200 000 entreprises du bénéfice de ce régime, dont 135 000 microentreprises : en moyenne, elles verraient leur fiscalité augmenter de 4 000 euros par an, ce qui, pour beaucoup, est tout simplement insoutenable.
La priorité gouvernementale est de resserrer l’étau autour de ceux qui créent la richesse, alors qu’ils ont déjà la tête sous l’eau, accablés d’impôts et de taxes. Les ministres n’ont que le mot de « simplification » à la bouche mais, dans les faits, ce gouvernement impose toujours plus de charges et d’obligations. Il crée de la paperasse : alors que les autoentrepreneurs n’avaient aucun document à remplir, il leur faudra désormais déclarer, facturer, collecter, reverser.
Le gouvernement prétend vouloir lutter contre les pratiques supposément anticoncurrentielles des entreprises françaises bénéficiant de la franchise. Or le Sénat lui-même le reconnaît : ces risques sont théoriques et non documentés. En réalité, l’objectif de cette réforme était d’assurer de nouvelles rentrées fiscales, avec un rendement attendu en année pleine de 780 millions d’euros, directement prélevés par l’État dans les poches de ceux qui ne comptent pas leurs heures pour contribuer à la richesse du pays. Chers collègues du socle commun, vous qui vous vantez, à tort, de défendre la France qui se lève tôt, comment justifiez-vous votre soutien à un gouvernement qui s’en prend à ceux qui triment en silence ?
M. Aurélien Le Coq
Comment justifiez-vous le vôtre ?
M. Anthony Boulogne
Vous préférez encore une fois taxer le travail plutôt que de réduire les dépenses publiques inutiles. Le courage politique commanderait,…
M. Aurélien Le Coq
De voter la censure !
M. Anthony Boulogne
…de réduire la contribution de notre pays à l’Union européenne, de s’attaquer au coût faramineux de l’immigration et de la fraude, comme nous le proposons. Ainsi pourrons-nous redresser les comptes publics tout en préservant l’activité économique. Faute de courage et d’ambition pour le pays, le gouvernement choisit quant à lui d’augmenter la pression fiscale sur nos compatriotes : funeste projet, car à force d’étrangler ceux qui produisent, vous finirez par tuer le tissu économique français ; certains autoentrepreneurs fermeront boutique, d’autres ralentiront volontairement le développement de leur activité pour rester sous les seuils. Et à la fin, devinez quoi ? Vous aurez moins de recettes fiscales, et un déficit toujours plus abyssal. Surtaxer le commerce et la production, c’est saper littéralement les fondements de notre économie.
La suspension de la réforme, annoncée par M. Lombard, n’apaise rien ; elle prolonge l’incertitude. Or, pour un entrepreneur, l’incertitude est un poison. Nos petites entreprises ont besoin de stabilité, de visibilité, de confiance, tout comme elles ont besoin de lutte contre les fraudeurs qui dévoient le système. Elles n’en peuvent plus des discussions sans fin, des demi-mesures et des décisions absurdes. L’Assemblée a aujourd’hui une chance d’envoyer un message clair à tous ceux qui font la richesse du pays, se lèvent tôt et travaillent dur. Alors, votons en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Mathieu Lefèvre.
M. Mathieu Lefèvre
Après avoir écouté le collègue du Rassemblement national et le président de la commission des finances, je ne peux pas m’empêcher de souligner la grande hypocrisie qui règne dans cet hémicycle… (Rires sur les bancs du groupe RN.)
Plusieurs députés du groupe RN
Venant de vous !
M. Mathieu Lefèvre
J’ai sous les yeux votre amendement no 229, chers collègues du Rassemblement national…
M. Jean-Philippe Tanguy
Ce n’est pas un amendement de groupe !
M. Mathieu Lefèvre
Ah bon ? Mme Diaz, M. Giletti, Mme Engrand, M. Meurin n’appartiennent donc pas à votre groupe ? Ils proposent de taxer les autoentrepreneurs davantage que ne l’a fait la loi de finances pour 2025 !
Je relève aussi que La France insoumise défend désormais un statut qu’elle vilipendait hier avec des mots d’une grande cruauté.
M. Aurélien Le Coq
Nous défendons les travailleurs !
M. Mathieu Lefèvre
Jean-Luc Mélenchon ne déclarait-il pas, le 26 mars 2017 que les autoentrepreneurs sont des auto-esclaves ?
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
Je n’ai pas dit le contraire !
M. Aurélien Le Coq
Jean-Luc Mélenchon a raison. C’est vous qui avez décidé de les taxer !
M. Mathieu Lefèvre
Aujourd’hui, main dans la main, les mêmes qui ont voté la censure du gouvernement Barnier en regrettent les conséquences (Murmures) : en effet, mes chers collègues, la loi a été mal faite car la censure a empêché qu’un débat puisse avoir lieu ! (Exclamations sur les bancs des groupes RN et LFI-NFP.) Nous en payons aujourd’hui le prix.
Dans cet océan d’hypocrisie, certains pensent aux autoentrepreneurs et à la France qui travaille ; ils proposent de revenir sur cette réforme injuste. (Mme Danielle Simonnet mime un joueur de pipeau.)
Je tiens à saluer le travail et la concertation que vous menez, madame la ministre. Vous avez accepté de revenir sur cette mesure parce que vous avez vu qu’elle était injuste et qu’elle empêcherait des milliers de Français de travailler sereinement, en remettant en cause leur cadre fiscal et réglementaire de façon inique et rétroactive.
Je veux saluer le travail de Paul Midy, rapporteur infatigable qui défend l’esprit d’entreprise des Français, comme nous le faisons au sein du groupe Ensemble pour la République. (MM. Antoine Léaument et Emmanuel Maurel s’exclament.) Les maux français ont des noms : asphyxie fiscale, pression et instabilité réglementaires, grande défiance à l’endroit des entrepreneurs de France…
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
On dirait du Musk !
M. Mathieu Lefèvre
…et de tous ceux qui veulent simplement travailler dans un cadre fiscal clair et lisible, tel que vous le proposez, monsieur le rapporteur. Ceux à qui on ne fait pas confiance détiennent des autoentreprises qui servent utilement le pays, qu’elles œuvrent dans le toilettage pour chien, le jardinage, le ménage, la poterie ou la céramique. Toutes ces personnes ne pourraient pas vivre dignement de ces activités si le cadre fiscal et réglementaire élaboré par un grand ministre de la République, Hervé Novelli – à qui nous devons rendre hommage (M. Sylvain Berrios applaudit) – venait à changer.
M. Emmanuel Maurel
Un ultralibéral, comme vous !
M. Mathieu Lefèvre
La mesure initiale d’abaissement des seuils est révélatrice de la passion française pour la fiscalité.
M. Aurélien Le Coq
Qui a parlé de TVA sociale ?
M. Mathieu Lefèvre
Nous pensons tout régler par la fiscalité ; nous croyons qu’en modifiant les seuils d’assujettissement à la TVA, nous réglerons les déficits concurrentiels. La fiscalité est évidemment indispensable, mais quand elle devient folle ou déréglée, elle représente un problème pour la France qui travaille et qui ne demande qu’à vivre dignement de son travail. Nous devons retenir les leçons de cet épisode fâcheux. (M. Aurélien Lecoq rit.) Premièrement, parce qu’il a engendré beaucoup de stress parmi les entrepreneurs de France,…
M. Antoine Léaument
La faute à qui ?
M. Aurélien Le Coq
Excusez-vous !
M. Mathieu Lefèvre
…notamment à la suite de la censure.
Mme Danielle Simonnet
La faute à vos 49.3 !
M. Mathieu Lefèvre
Les entrepreneurs observent ce qu’il se passe dans l’hémicycle ; ils ont besoin de cohérence, de constance et de clarté : les allers-retours en matière de fiscalité ne sont jamais innocents.
M. Emmanuel Maurel
Vous parlez de votre propre budget !
M. Mathieu Lefèvre
C’est la raison pour laquelle un moratoire fiscal est nécessaire. Cependant, nous ne pourrons pas nous passer du rendement de cette mesure. Il faudra donc agir non pas sur la fiscalité, mais sur la réduction des dépenses.
M. Antoine Léaument
Vous êtes de droite !
Mme Danielle Simonnet
Il faut taxer les riches !
M. Mathieu Lefèvre
Nous nous trouvons dans cette situation parce que nous avons abordé les choses sous l’angle de l’augmentation de la fiscalité, parce que nous avons cru qu’un magot fiscal se cachait chez les autoentrepreneurs de France. J’ai confiance dans le gouvernement de notre pays pour proposer, demain, de réduire massivement les dépenses publiques ; c’est la seule voie possible pour éviter l’impasse fiscale à laquelle nous conduit ce type de décision. Merci à Paul Midy et vive les entrepreneurs de France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. Sylvain Berrios applaudit également ainsi que M. le rapporteur.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Feld.
Mme Mathilde Feld
Nous pouvions croire que nous avions touché le fond de l’hypocrisie et du bâillonnement démocratique avec l’utilisation récurrente de l’article 49.3 par le gouvernement ; mais voici que les macronistes ont inventé le 49.3 parlementaire !
M. Antoine Léaument
Eh oui !
Mme Mathilde Feld
Désormais, ils déposent des propositions de loi qu’ils rejettent eux-mêmes : c’est le cas de la proposition de loi « pesticides », dite Duplomb, et du présent texte, qui vient abroger une mesure qu’ils ont eux-mêmes imposée par 49.3, en toute discrétion, dans le projet de loi de finances pour 2025.
Cette proposition de loi, au titre gonflé de propos redondants, vise tout simplement à revenir à la situation antérieure, celle qui prévalait avant que vous n’imposiez votre budget de malheur à des centaines de milliers de microentreprises. Notons au passage qu’il s’agit d’une récupération politique grossière d’une proposition de loi déposée, en février, par mon excellent collègue du groupe La France insoumise Hadrien Clouet (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), et qui était bien plus transpartisan que celui qui nous est présenté aujourd’hui. Ces revirements incessants ne font que confirmer que nous travaillons mieux que vous, ce qui est toujours gratifiant, mais aussi fatigant, car nous gagnerions du temps si nous étions à votre place, celle que vous avez usurpée et que vous occupez si mal. (Mêmes mouvements.)
Que dire du Rassemblement national – il a quitté l’hémicycle, c’est dommage –, qui montre une fois de plus qu’il n’a aucune boussole ? Ce parti, qui prétend défendre les petits artisans et commerçants, n’en a en réalité absolument rien à faire : il va là où le grand capital le pousse. Que celles et ceux qui nous écoutent sachent que le RN avait proposé un abaissement des seuils encore plus violent que celui des macronistes, à 18 500 euros ! Rappelons-nous aussi la cacophonie des élections législatives, lorsque le RN a successivement défendu, en trois semaines, la retraite à 62 ans, puis à 64 ans, et enfin à 67 ans. La seule boussole du RN, c’est celle du grand patronat.
Difficile de voir ce qui distingue les membres du Rassemblement national de ceux du gouvernement actuel, qu’ils soutiennent depuis le début et qu’ils sauvent quand nous avons l’occasion de le faire tomber. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) D’évidence, entre les petites et les grandes entreprises, la coalition du pseudo-bloc central avec la droite et l’extrême droite a choisi depuis longtemps. En vérité, toute votre politique est faite pour continuer à enrichir les plus riches sous couvert de cette fumeuse théorie du ruissellement, dont les Français, depuis huit ans, attendent toujours la première goutte.
M. Antoine Léaument
C’est vrai !
Mme Mathilde Feld
Vous persistez à faire des cadeaux à ceux qui n’en ont pas besoin et vous manipulez la TVA à tour de bras, alors qu’il s’agit de l’impôt le plus injuste de notre système fiscal ; le « deux poids, deux mesures », toujours !
Que dire de votre réactivité pour venir en aide aux très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) ? Voilà six mois que nous recevons des témoignages paniqués de millions de travailleurs, comme c’est le cas dans ma circonscription de Gironde : celui de Claire, maman solo de Latresne, qui se retrouve dans l’obligation d’abandonner son activité de créatrice ; celui d’Hélène, de Rions, qui se demande comment elle va pouvoir poursuivre la location de ses chambres d’hôtes en augmentant soudainement ses prix de 10 %. Mesdames et messieurs les ministres, pendant combien de temps continuerez-vous à jouer les serviteurs dociles des grands groupes, sans même vous soucier de l’être discrètement, comme vous l’avez honteusement montré avec la proposition de loi Duplomb ? Quand allez-vous cesser de tuer les petites entreprises pour régaler les grandes ?
M. Aurélien Le Coq
C’est vrai !
Mme Mathilde Feld
Vous avez poussé des millions de travailleurs vers la microentreprise – on compte plus de 700 000 créations de ce type en 2024 –, pour leur faire ensuite les poches avec vos complices de droite et d’extrême droite. Quel cynisme ! Ce n’est ni plus ni moins qu’une tentative d’exploitation de la dépendance dans laquelle vous avez plongé ces travailleurs précaires, exactement comme vous l’avez fait avec les agriculteurs et les pesticides.
Car il faudra bien rediscuter des multiples imperfections de ce statut. Nous aurions pu réfléchir, en amont, à promouvoir d’autres formes d’entrepreneuriat, telles que les coopératives d’activité et d’emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP), qui offrent un statut bien plus protecteur aux entrepreneurs en leur permettant de développer leur activité tout en étant salariés de la coopérative. (Mme Maud Petit s’exclame.) Mais vous avez préféré avancer seuls, en bricolant un statut dont les dérives sont parfaitement connues et dramatiques : salariat déguisé, externalisation d’activités échappant ainsi au droit du travail et aux conventions collectives. Le statut d’autoentrepreneur a finalement constitué un piège de précarisation pour les travailleurs.
Nous réitérerons nos demandes de rapport, rejetées en commission, afin de chiffrer les proportions dans lesquelles ce statut permet aux grands groupes de contourner le code du travail et de désocialiser l’activité professionnelle, ce dont témoigne l’explosion des plateformes comme Uber. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Une fois n’est pas coutume, vous avez fini par écouter les revendications légitimes des microentrepreneurs. Nous voterons évidemment en faveur de ce texte, en espérant que vous continuerez à vous inspirer de nos propositions de loi issues des mouvements sociaux ; car nous en avons beaucoup ! Espérons que vous écouterez enfin les syndicats et que vous abrogerez votre réforme des retraites, dont personne ne veut ; que vous écouterez enfin les soignants qui se battent pour travailler dans des conditions décentes, les parents d’élèves qui luttent contre les fermetures de classes et les citoyens qui vous adjurent de renoncer à la A69 et à la ligne à grande vitesse (LGV) !
M. Laurent Wauquiez
Au secours !
Mme Mathilde Feld
Dans cette lente agonie du macronisme, redescendrez-vous enfin parmi les Françaises et les Français pour ouvrir les yeux sur les problèmes qu’ils affrontent au quotidien ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Hadrien Clouet
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à Mme Christine Pirès Beaune.
Mme Christine Pirès Beaune
Ce débat n’est que paradoxes : nous sommes réunis non pour façonner un nouveau dispositif, mais pour abroger une décision injuste, prise il y a seulement quelques mois, par le gouvernement Barnier dont vous êtes l’héritière, madame la ministre ; nous examinons une proposition de loi du bloc central qui vise à abroger une mesure conçue par ce même bloc central ; après avoir été court-circuité par le gouvernement, qui a recouru à l’article 49.3, le Parlement vient au chevet de l’exécutif à propos de la franchise de TVA pour les microentreprises, qui concerne aussi toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires se situe en dessous des seuils.
Je formule cependant le vœu que nous gardions de cette séquence une lecture optimiste. Le Parlement, dans sa diversité, est capable d’échanger, de débattre et de voter des mesures dans le sens de l’intérêt général ; je suis convaincue que nous pourrons en faire la démonstration à l’occasion de cette proposition de loi.
M. Guillaume Garot
Très bien !
Mme Christine Pirès Beaune
Au commencement, le gouvernement, en usant en février de l’article 49.3, a inclus une mesure réduisant les seuils de franchise de TVA. Il les a réduits significativement, sans concertation avec les principaux intéressés ni débat parlementaire,…
M. Guillaume Garot
C’est moche !
Mme Christine Pirès Beaune
…et ce sans discernement, pour toutes les activités : le seuil est passé de 37 500 à 25 000 euros pour les prestations de services et de 85 000 à 25 000 euros pour les activités commerciales. Cette séquence, madame la ministre, a plongé dans une anxiété permanente plusieurs milliers de microentrepreneurs.
M. Guillaume Garot
Beau résultat !
Mme Christine Pirès Beaune
Cette mesure injuste a rapidement fait la quasi-unanimité contre elle ; elle a donné lieu, pour la pallier plutôt que pour la prévenir, à un cycle de concertations organisées à Bercy, auquel j’ai participé au nom du groupe Socialistes et apparentés. Nous voterons naturellement en faveur de ce texte qui vise à revenir sur l’abaissement des seuils de franchise de TVA pour toute une série d’entreprises. Nous le voterons pour les milliers de microentrepreneurs, pour qui cette décision du gouvernement a constitué un coup de poignard dans le dos ; pour les milliers de salariés précaires, dont nous ignorons d’ailleurs le nombre exact, qui ont créé une microentreprise pour compléter leurs revenus ; pour les milliers d’entrepreneurs dont l’activité aurait été subitement fragilisée. Nous le voterons pour Laurent, artisan d’art dans l’Allier ; pour Yannick, installé au sein d’un tiers-lieu à Riom, qui entretient et répare des accordéons diatoniques et chromatiques ; pour Frédérique et Élisabeth, toutes deux céramistes dans le Puy-de-Dôme ; pour Agnès, guide-conférencière en Auvergne-Rhône-Alpes.
Nous voterons aussi pour la masse silencieuse, invisibilisée, de travailleurs pris en étau entre des plateformes qui refusent toute forme de salariat et un gouvernement qui a préféré s’attaquer au dispositif fiscal de la TVA – qui permet aux autoentrepreneurs de vivre, parfois de survivre –, plutôt que de s’attaquer au problème de fond posé par ce statut. Nous saluons l’initiative courageuse du rapporteur d’avoir dépassé les clivages idéologiques et d’avoir repris mot pour mot la proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés, déposée dès le 18 février et cosignée par plusieurs collègues d’autres groupes, notamment le groupe Écologiste et social, et suivie par celle du groupe La France insoumise le 21 février, puis par celle des groupes LIOT et Droite républicaine le 11 mars, et enfin par celle de Paul Midy le 17 avril.
Ce texte, monsieur le rapporteur, a la vertu de nous rassembler autour du sort des microentrepreneurs. Grâce à lui, nous combattons ensemble l’amateurisme qui a prévalu lors de la construction du dernier budget. Cependant, si nous défendons les microentreprises, celles que l’on souhaite créer, nous regrettons que ces dernières soient parfois un ultime recours pour dégager un maigre complément de revenus à un salaire modeste.
M. Guillaume Garot
C’est tout à fait ça !
Mme Christine Pirès Beaune
Nous défendons les microentrepreneurs, mais nous déplorons que ce statut soit parfois un outil privilégié pour organiser un salariat déguisé et priver une main-d’œuvre de ses droits élémentaires. Le groupe Socialistes et apparentés défend le retour au niveau de franchise de TVA d’avant la réforme, mais nous espérons avoir l’occasion de rediscuter ici, madame la ministre, des écueils structurels que présente ce modèle.
Dans cette perspective, je vous invite ardemment à étudier les propositions responsables de l’Union des autoentrepreneurs. Oui à l’organisation d’une réforme ambitieuse des droits du travailleur indépendant ! (M. Arthur Delaporte applaudit.) Oui à la facilitation des transitions de l’autoentrepreneur vers une entreprise classique, si son développement le justifie ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC. – M. le rapporteur applaudit également.)
Comme l’indiquait, en 2013, alors qu’il était chargé d’une mission parlementaire sur le sujet, mon collègue socialiste Laurent Grandguillaume, les Françaises et les Français portent un grand intérêt à ce régime de l’autoentrepreneuriat, en raison de sa simplicité et de sa stabilité depuis seize ans. Monsieur le rapporteur, ces microentrepreneurs, ce sont des auxiliaires de vie, du personnel d’entretien, des artistes, des coiffeurs à domicile, des esthéticiennes, des enseignants, ou encore des créateurs d’art,…
M. Sébastien Delogu
Et des artisans !
Mme Christine Pirès Beaune
…qui n’ont parfois d’autre choix que d’opter pour ce statut. C’est pour elles et pour eux que nous nous sommes battus, et que nous continuerons à le faire tout en luttant contre la précarisation de notre modèle économique et social. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Corentin Le Fur.
M. Corentin Le Fur
La réforme de la franchise en base de TVA a été décidée en catimini, sans concertation ni débats dignes de ce nom – tout cela à cause de la censure du gouvernement dont nous subissons encore les conséquences délétères.
Mme Mathilde Feld
N’importe quoi !
M. Emmanuel Maurel
C’est vous qui êtes au Sénat !
M. Corentin Le Fur
La suspension de cette mesure était nécessaire : son abrogation s’impose, et je me réjouis que cette excellente proposition de loi la rende possible. Je tiens à remercier notre tout aussi excellent collègue Paul Midy, grand défenseur des autoentrepreneurs et des entrepreneurs en général, d’en avoir pris l’initiative. Je tiens également à remercier notre collègue Philippe Juvin, qui fut l’un des tout premiers à la prendre également.
Si elle était appliquée, cette réforme instituant un seuil unique de TVA à 25 000 euros de chiffre d’affaires annuel mettrait des milliers de microentrepreneurs à genoux : des femmes et des hommes ayant choisi de s’en sortir par le travail et qui ne désirent rien d’autre qu’exercer librement leur activité. Une telle hausse d’impôt, d’une grande violence, serait d’autant plus injuste que beaucoup d’entre eux sont des gens modestes. Parce que nous défendons la liberté d’entreprendre et parce que nous croyons au travail qui élève, nous soutenons pleinement, avec mes collègues du groupe Droite républicaine, l’abrogation de cette réforme – réforme contraire non seulement à l’intérêt général, mais aussi à la philosophie de notre famille politique, attachée à la défense de l’effort, du mérite et du travail. (M. Laurent Wauquiez applaudit.)
C’est en effet à Hervé Novelli que nous devons, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce beau statut d’autoentrepreneur. Il a permis à des centaines de milliers de Français de lancer leur activité. Je tiens à saluer votre action, madame la ministre, grâce à laquelle des négociations ont pu se tenir et aboutir à la suspension de la réforme que ce texte propose maintenant d’abroger.
M. Laurent Wauquiez
Excellente ministre !
M. Corentin Le Fur
Comme vous, depuis plusieurs mois, je suis interpellé et alerté – souvent avec émotion, parfois avec colère – par des femmes et des hommes que l’insécurité juridique plonge dans une grande détresse. Tous, ils me disent la même chose : « Laissez-nous respirer, laissez-nous bosser ! »
C’est la situation de Mme Anne Mesplé-Lassalle, toiletteuse canine à Quintin ; de Mme Delphine Herrou, photographe ; de Mme Ludivine Oury, accompagnatrice périnatale à Plémet ; de Mme Lyne Milbéo, coiffeuse à domicile à Saint-Barnabé ; de M. Samuel Mautret, brocanteur à Moncontour – et de tant d’autres encore que je ne peux malheureusement pas citer à cette tribune. La baisse brutale du seuil de franchise en base de TVA est un couperet qui les met face à un dilemme : augmenter leurs prix de 20 % au risque de perdre leurs clients, ou absorber la TVA au risque de travailler à perte. Dans un cas comme dans l’autre, ils seront nombreux à mettre la clé sous la porte.
Je pense aux témoignages de nombreuses mères de famille – célibataires pour beaucoup – pour qui ce statut est une bouée de sauvetage. Il leur offre une liberté précieuse, leur permet de travailler à leur rythme, de gérer leur emploi du temps, et de trouver un équilibre ainsi qu’une forme d’épanouissement par le travail.
Je pense également à ces prestataires de services qui me disent qu’ils se verraient contraints, s’ils devaient intégrer la TVA à leurs prestations, à investir dans un logiciel de comptabilité ou à s’attacher les services d’un comptable : charge nouvelle que, dans les deux cas, ils ne pourraient pas absorber. Ces bosseurs du quotidien ne demandent qu’à pouvoir continuer à exercer leur activité, dignement, librement et légalement. Tous ont un point commun : ils sont entrepreneurs de proximité, souvent en zone rurale. S’ils venaient à fermer, leurs clients n’auraient plus accès aux services qu’ils proposent.
Nous ne nions pas les limites de ce statut. Des dérives existent, notamment dans le secteur du bâtiment, où certaines pratiques relevant de la concurrence déloyale, profondément injustes et éprouvées comme telles, doivent être encadrées.
Cependant, ce n’est pas en abattant l’arbre que l’on soigne la branche. Nous avons besoin d’une réforme intelligente, d’un travail de fond – c’est celui que vous menez, madame la ministre – qui nous permettra de lutter contre l’autoentrepreneuriat subit, le salariat déguisé ou la concurrence déloyale. Ce travail nécessaire est en train d’être accompli.
Ce statut est aussi un rempart contre le travail dissimulé, un outil d’insertion professionnelle et une porte de sortie pour des personnes parfois durablement éloignées de l’emploi. C’est le statut d’une France qui bosse, qui prend son destin en main et qui se lève tôt pour créer de la valeur – souvent seule et sans filet de sécurité. (M. Laurent Wauquiez applaudit.) Nous devons respect et soutien à ces Français – et non des entraves supplémentaires.
Notre pays a profondément besoin de plus de liberté. Il a besoin de produire et de libérer les initiatives. Le statut de microentrepreneur rend tout cela possible : réformons-le, mais ne le sabordons pas. Notre pays ploie sous le poids des charges et des impôts qui découragent ceux qui travaillent et mettent en péril le tissu économique de nos PME et de nos TPE.
Pour cette raison, et au-delà de la seule question des autoentrepreneurs, nous devons baisser les charges et alléger les contraintes qui pèsent sur les artisans – notamment ceux du bâtiment –, sur les commerçants, sur les agriculteurs : sur toute cette France productive qui étouffe et qui menace de baisser le rideau. Faisons en sorte que la liberté d’entreprendre reste une réalité en France. Commençons, sans attendre, par abroger cette réforme – c’est une question de bon sens et de justice. C’est notre devoir de législateur que de lever les freins : j’espère que nous adopterons, à une large unanimité, cette proposition de loi. (MM. Laurent Wauquiez, Mathieu Lefèvre et Sylvain Berrios applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Simonnet.
Mme Danielle Simonnet
Quel bal des hypocrites !
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
Mme Danielle Simonnet
Soyons un peu honnêtes. Cette proposition de loi de M. Paul Midy, député du bloc central, et dont je ne questionne pas la sincérité, vise à abroger une mauvaise mesure – un « traquenard fiscal », pour reprendre vos propres mots, cher collègue – en revenant sur l’abaissement du seuil de franchise en base de TVA pour les autoentrepreneurs, les indépendants et les microentreprises, abaissement imposé en catimini par le gouvernement – et donc par le bloc central –, dans le projet de loi de finances pour 2025 adopté au Sénat après un 49.3 à l’Assemblée nationale.
Si le gouvernement avait respecté le débat parlementaire et permis aux échanges d’avoir lieu en toute transparence, je ne doute pas – car je reste optimiste en dépit du nombre de débats qui pourraient me rendre pessimiste – que les différents groupes du Nouveau Front populaire auraient réussi à convaincre le gouvernement de renoncer à cette mesure fiscalement injuste.
Mme Maud Petit
Vous ne l’aviez même pas remarquée !
Mme Danielle Simonnet
Cette mesure ne fut cependant pas présentée officiellement, si bien que c’est en catimini, au Sénat, que vous l’avez imposée.
M. Sylvain Berrios
Comment vous les appelez ? Les « auto-esclaves » ?
Mme Danielle Simonnet
Venons-en maintenant au groupe Rassemblement national, car la mascarade et l’hypocrisie ne s’arrêtent pas là.
Cette mesure, disent ses députés, est déconnectée des réalités économiques.
M. Antoine Léaument
Ils ne sont d’ailleurs pas là !
Mme Danielle Simonnet
Anthony Boulogne est allé jusqu’à dire, tout à l’heure, s’adressant aux députés du bloc central, que « la contradiction entre vos discours et vos actes est flagrante » – quel culot ! Lors de l’examen de ce même PLF, les députés du groupe Rassemblement national avaient en effet défendu un amendement prévoyant d’abaisser plus encore, jusqu’à 18 750 euros, le seuil de franchise en base de TVA – et ils viennent aujourd’hui nous faire la leçon !
L’hypocrisie continue avec M. Corentin Le Fur qui prétend que, si nous en sommes arrivés là, c’est à cause de la censure du gouvernement.
M. Sylvain Berrios
Non, Corentin n’est pas un hypocrite !
M. Corentin Le Fur
Ne réécrivez pas l’histoire !
Mme Danielle Simonnet
Si nous en sommes arrivés là, ce n’est pas à cause de la censure, mais parce que vous avez imposé cette mesure, au Sénat, en catimini, après le 49.3.
Venons-en au fond. J’ai moi aussi recueilli beaucoup de témoignages – près d’un millier, suite à mon appel sur les réseaux sociaux. Ils faisaient tous état d’un légitime sentiment de détresse causé par l’introduction par le gouvernement de ce seuil unique de franchise en base de TVA à 10 % dès 25 000 euros de chiffre d’affaires. Leurs mots sont glaçants.
Hugo, commerçant ambulant : « Nous sommes tous sous le choc de cette annonce brutale passée durant un 49.3. Cette mesure est tout simplement injuste et vise à freiner le commerce, déjà de plus en plus difficile ! Ce n’est certainement pas en augmentant nos tarifs que la situation va s’arranger. C’est la mort des petits commerces au profit des franchisés. »
Sarah, coiffeuse à domicile : « Cette mesure va me tuer. Jamais mes clientes n’accepteront une augmentation de 20 % des tarifs. Je n’ai plus qu’à me mettre au RSA. » Je pourrais continuer comme ça pendant des heures.
M. Sylvain Berrios
Non, non !
Mme Danielle Simonnet
Oh si ! Il va falloir que vous regardiez la réalité en face. Cette mesure absurde aurait constitué une charge bureaucratique écrasante pour les autoentrepreneurs, alors même que la philosophie de ce statut était de simplifier la création d’entreprises. Elle était, surtout, d’une grande violence sociale. Elle aurait frappé les microentrepreneurs, dont les revenus annuels moyens sont déjà dérisoires – 5 500 euros selon l’Insee. Eu égard à l’angoisse dans laquelle cette réforme les a plongés, je tiens à saluer leur forte mobilisation, mobilisation qui les a menés à la victoire, par leurs rassemblements, non loin de l’Assemblée nationale et partout en France. Je ne reviens pas sur le caractère antidémocratique de cette mesure.
Alors tant mieux, monsieur Paul Midy, si – avec cent autres députés macronistes signataires d’une pétition –, vous en venez à rejoindre les positions défendues par les groupes du Nouveau Front populaire, qui avaient également présenté différentes propositions de loi en ce sens.
Chers collègues, une fois que cette mesure, comme je l’espère, sera adoptée, comme j’espère qu’elle sera adoptée au Sénat, et sachant que le gouvernement a déjà prévu qu’elle ne s’applique pas avant le prochain projet de loi de finances, il sera temps que nous ayons un véritable débat sur le statut d’autoentrepreneur et sur sa fiscalité. Il est absolument inacceptable que les faux indépendants – ces autoentrepreneurs surexploités par des plateformes avec lesquelles ils sont dans un rapport de subordination – payent la TVA. Engagez-vous enfin dans la bataille contre les plateformes de l’ubérisation afin que ce soient ces dernières – et pas par les chauffeurs de VTC (véhicule de transport avec chauffeur) précarisés – qui payent la TVA ! Vous serez bien obligés de le faire : la directive européenne du 23 octobre 2024 relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme – dite « présomption de salariat » –, qui estime que les travailleurs des plateformes sont de faux indépendants, totalement subordonnés et qui doivent être requalifiés en salariés, va vous imposer de basculer la TVA sur ces plateformes.
Il va bien falloir que vous cessiez de concevoir des mesures fiscales qui tapent sur les petits, au profit de mesures fiscales de justice qui tapent sur les gros, sur ceux qui exploitent. (M. Alexis Corbière applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Mette.
Mme Sophie Mette
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de rétablir les seuils de chiffre d’affaires annuels pour bénéficier du régime de franchise en base de TVA à leurs niveaux en vigueur avant l’adoption de la loi de finances pour 2025, qui a instauré un seuil unique fixé à 25 000 euros.
Cette réforme d’ampleur poursuivait plusieurs objectifs. Il s’agissait de sécuriser le rendement des recettes de TVA et de répondre efficacement aux distorsions de concurrence, internes – entre les entreprises françaises bénéficiaires et non bénéficiaires du régime, surtout dans le secteur du bâtiment – comme externes – entre les entreprises françaises et européennes, compte tenu du niveau élevé des seuils français dans l’Union européenne et dans le contexte de l’entrée en vigueur, au 1er janvier, de la directive européenne sur l’efficacité énergétique du 13 septembre 2023.
Cette réforme s’est traduite par une ouverture du régime de la franchise en base de TVA aux petites entreprises étrangères pour leurs opérations réalisées en France, sous réserve de respecter un chiffre d’affaires européen inférieur à 100 000 euros.
Nous comprenons cette démarche, qui avait le mérite d’introduire de la lisibilité. Des faiblesses ont cependant entaché sa mise en œuvre. On peut ainsi regretter que la réforme ait été proposée, puis votée, sans que soient menées, au préalable, une concertation approfondie et une évaluation de ses impacts.
Mme Maud Petit
Eh oui !
Mme Sophie Mette
Le manque d’accompagnement sectoriel et son ciblage trop large ont également contribué à fragiliser des professions déjà en difficulté. Après sa validation en commission mixte paritaire, la réforme a ainsi suscité l’opposition des microentrepreneurs qui se sont inquiétés de son manque de nuance et de son insuffisante prise en compte de l’hétérogénéité du tissu économique.
C’est pourquoi le gouvernement a pris – à juste titre – la décision de suspendre cette mesure, afin qu’un débat apaisé et réfléchi ait lieu, à partir du mois de février, au moyen d’une concertation avec les professionnels et les parlementaires.
Des positions contrastées ont été observées : si certains rejettent la réforme, d’autres ont insisté sur l’équité fiscale qu’elle permet de rétablir dans certains secteurs. Il me paraît également important de rappeler que cette suspension s’expose à des risques de contentieux administratif.
S’il est souhaitable de trouver une issue législative rapide pour sécuriser juridiquement le régime de franchise en base de TVA, l’abrogation de la réforme laissera toutefois plusieurs questions en suspens.
La question de la soutenabilité budgétaire est la première d’entre elles. Le gouvernement prévoyait 780 millions d’euros de recettes en année pleine, dont 400 millions pour l’État. Dans un contexte de redressement des comptes publics, il est nécessaire que cette perte de recette soit compensée. Je souhaiterais, madame la ministre, que vous éclairiez la représentation nationale sur cette question.
En outre, quelles réponses à apporter aux phénomènes de distorsion de concurrence ? Nous ne pouvons ignorer les déséquilibres concurrentiels entre microentrepreneurs et artisans, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Pour y faire face, nous proposons un amendement ciblé : il prévoit un seuil dérogatoire de 25 000 euros pour les prestations de service de travaux immobiliers. (Mme Christine Pirès Beaune s’exclame.)
Afin de ne pas fragiliser l’objectif premier du texte – sécuriser juridiquement le régime de franchise en base de TVA jusqu’à la fin de l’année 2025 – et pour laisser le temps aux acteurs de s’adapter, nous proposons que ce seuil différencié n’entre en vigueur qu’au 1er janvier 2026.
Enfin, si cette mesure peut contribuer à corriger certaines distorsions de concurrence, nous refusons de nous limiter à des réponses purement techniques. Nous sommes convaincus qu’il faut mener une réflexion de fond sur le régime spécifique des autoentrepreneurs. Conçu à l’origine comme un outil d’insertion et de simplification, ce régime connaît quelques dérives. Il faut garantir un cadre juridique lisible aux microentrepreneurs, tout en préservant l’équité fiscale entre les différentes activités économiques dans notre pays.
Nous espérons que les débats permettront d’avancer dans ce sens, tant lors de l’examen de ce texte que dans les mois à venir, afin que nous puissions, collectivement, trouver un équilibre sur ce sujet crucial pour la bonne santé de notre économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. le rapporteur applaudit également, de même que Mme Maud Petit.)
5. Ordre du jour de la prochaine séance
Mme la présidente
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos microentrepreneurs et nos petites entreprises ;
Discussion de la proposition de loi visant à améliorer l’accès au logement des travailleurs des services publics.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra