Première séance du mardi 28 octobre 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au gouvernement- Vingt ans de la mort de Zyed et Bouna
- Réforme de la politique agricole commune
- Crise du logement
- Enseignement des langues régionales
- Lutte contre l’immigration irrégulière
- Taxe Zucman
- Budget de la sécurité sociale
- Rémunération du travail
- Mesures concernant les apprentis
- Détention de Cécile Kohler et Jacques Paris en Iran
- Dermatose nodulaire contagieuse
- Mission État efficace
- Lutte contre les actes racistes
- Suppression des APL pour les étudiants étrangers
- Service public de La Poste
- Lutte contre la fraude sociale
- Moyens de la justice
 
- 2. Report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d’un accord consensuel sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie- Présentation
- Motion de rejet préalable- M. Emmanuel Tjibaou
- M. Laurent Panifous, ministre délégué
- M. Philippe Gosselin, rapporteur
- M. Paul Molac (LIOT)
- M. Frédéric Maillot (GDR)
- Mme Hanane Mansouri (UDR)
- M. Yoann Gillet (RN)
- M. Vincent Caure (EPR)
- Mme Mathilde Panot (LFI-NFP)
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- M. Arthur Delaporte (SOC)
- M. Patrick Hetzel (DR)
- Mme Sabrina Sebaihi (EcoS)
- M. Éric Martineau (Dem)
- M. Jean Moulliere (HOR)
 
- Discussion générale
- Vote sur l’ensemble
 
- 3. Projet de loi de finances pour 2026- Première partie (suite) - Mme la présidente
- M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- Rappels au règlement
- Après l’article 12 (amendements appelés par priorité – suite) - M. Roland Lescure, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique
- Amendements nos 1592 rectifié et 1951
- M. Philippe Juvin, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- Amendements nos 823, 347, 2493 et 1877, 1878
 
- Fait personnel
- Après l’article 12 (amendements appelés par priorité – suite)
- Rappels au règlement
- Après l’article 12 (amendements appelés par priorité – suite) - Amendement no 1153
 
 
 
- Première partie (suite) 
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Vingt ans de la mort de Zyed et Bouna
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Legavre.
M. Jérôme Legavre
                        Ils s’appelaient Zyed Benna et Bouna Traoré. (« Oh » sur plusieurs bancs du groupe RN.) Ils avaient 17 et 15 ans. Ils avaient la vie devant eux. Le 27 octobre 2005, ils rentrent d’un match de foot. Pris en chasse par une patrouille de la brigade anticriminalité, effrayés, ils se réfugient dans l’enceinte d’un poste EDF et meurent électrocutés. C’était il y a vingt ans et nous n’oublions pas. Nous pensons à leur famille et leurs proches, endeuillés à jamais. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Vingt ans après, qu’est-ce qui a changé ? Il y a eu Adama, Nahel, Wanys, Killian et tant d’autres. Que disent ces noms, ces visages ? Tous renvoient à cette réalité : en vingt ans, le nombre de décès imputables directement ou indirectement à l’intervention des forces de police a plus que doublé. À trois reprises, l’ONU a désigné la France comme le pays européen ayant le plus grand nombre de personnes tuées ou blessées par des agents de la force publique. En vingt ans, 162 personnes ont été tuées à la suite d’un contrôle de police ou d’une tentative de contrôle.
Pour le Défenseur des droits, les jeunes Noirs ou Arabes ont quatre fois plus de risque d’être contrôlés et douze fois plus de subir un contrôle poussé. En vingt ans, la France a connu une escalade de mesures répressives. Sous le quinquennat de François Hollande, il y a eu la loi de mars 2017, qui donne un permis de tuer. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
En vingt ans, à Clichy-sous-Bois, qu’est-ce qui a changé ? 42 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ; la ville est la plus pauvre de Seine-Saint-Denis.
La réalité ne se découpe pas en tranches : la violence d’État, le racisme alimenté au plus haut niveau de l’État, sont inséparables de vos politiques de régression sociale et d’exploitation. (Mêmes mouvements.) Nous n’accepterons jamais que des vies valent moins que d’autres. Tout doit changer. Pour commencer, la loi « permis de tuer » de Bernard Cazeneuve doit être abrogée ; les contrôles discriminatoires au faciès doivent être interdits. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nuñez, ministre de l’intérieur
                        Il y a vingt ans, Zyed et Bouna sont décédés. C’est un drame que nous n’oublions pas. La justice a été saisie, la justice est passée, la justice a été rendue.
Cependant, il y a quelque chose que je n’oublierai pas et que beaucoup de nos concitoyens n’oublieront pas, ce sont les propos tenus publiquement par certains de vos députés, hier, sur X, qui laissent à penser que l’institution policière tuerait, qu’elle serait une institution colonialiste (« Honteux ! » et exclamations sur plusieurs bancs des groupes RN, DR et UDR) qui tue les « racisés », bref que les violences policières seraient systémiques. Croyez-moi, nombre de nos concitoyens n’oublieront pas tout cela.
Je veux pour ma part soutenir les policiers pour leur travail quotidien, partout sur le territoire national, pour défendre nos concitoyens. (Les députés des groupes RN, EPR, DR, Dem, HOR et UDR ainsi que plusieurs députés du groupe LIOT se lèvent et applaudissent longuement.) Ils le font dans un cadre strict, réglementé, proportionné. (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Oui, monsieur le député ! Les inspections générales et la justice sont saisies ! Ce fut le cas dans chacune des affaires que vous évoquez : la justice a été saisie et a jugé de la proportionnalité de l’action de la police.
Sans action répressive, sans action policière, il n’y a ni liberté ni ordre public. Vous devez l’apprendre sur vos bancs, comme chacun doit l’apprendre sur le territoire national. En tant que chef des policiers, je me fais leur porte-parole. Ils font un travail remarquable au péril de leur vie. N’oubliez pas qu’ils représentent 4,5 % des fonctionnaires d’État mais 55 % des sanctions disciplinaires qui concernent ces derniers. (Mme Mathilde Panot s’exclame, suscitant les protestations de plusieurs députés du groupe RN.)
        
Mme Mathilde Panot
On parle d’enfants !
M. Laurent Nuñez, ministre
Je suis fier d’être le chef de cette police-là, une police républicaine qui, partout sur le territoire de la République, assure la protection de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, EPR, DR, Dem, HOR et UDR ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LIOT.)
Réforme de la politique agricole commune
Mme la présidente
La parole est à Mme Françoise Buffet.
Mme Françoise Buffet
Mardi dernier, à Strasbourg, plus d’une centaine d’agriculteurs européens, dont de nombreux Français, se sont rassemblés devant le Parlement européen pour dénoncer la réforme de la PAC proposée par la Commission européenne,…
Un député du groupe RN
Et le Mercosur aussi !
Mme Françoise Buffet
                        …qu’ils considèrent comme « un non-sens absolu ».
Présentée comme une simple révision budgétaire, la réforme prévoit en réalité une baisse de 20 % du budget global pour la période 2028-2034, soit 14 milliards d’euros de manque à gagner pour les agriculteurs. Pour nos exploitants déjà étranglés par la hausse des charges – plus de 30 % sur les outils de travail depuis 2021 –, c’est un nouveau coup de massue. Les aides européennes représentent en moyenne 74 % du revenu agricole français. Comment imaginer une baisse de 20 % des soutiens, au moment même où plus d’un agriculteur sur deux gagne moins de 1 000 euros par mois ? J’échangeais encore ce matin avec un éleveur de ma circonscription, qui me confiait craindre pour la survie de milliers d’exploitations, notamment dans les filières bovine et laitière.
Madame la ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire, vous avez reconnu cet été que les montants annoncés vous semblaient discordants par rapport aux déclarations de la Commission sur l’importance stratégique du secteur agricole. Quelle position la France défendra-t-elle face à cette réforme budgétaire ?
        
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire
                        Je vous remercie pour votre question sur ce sujet déterminant. Ce matin, avec le premier ministre, nous avons reçu Christophe Hansen, commissaire européen à l’agriculture et au développement rural. Une grande partie de notre entretien a porté sur la nouvelle PAC proposée par la Commission.
En France comme dans tous les États membres, nous avons besoin d’une PAC robuste, dotée d’un budget suffisant, notamment pour affronter les défis qui se présentent devant nous en matière de souveraineté alimentaire, de renouvellement des générations, mais aussi pour garantir les revenus des agriculteurs – car la PAC, vous l’avez souligné, ce sont aussi des revenus, dont dépend la pérennité de l’agriculture française et européenne.
La proposition de la commission inquiète parce qu’elle bouleverse l’architecture actuelle de la PAC, qui ne serait plus un fonds unique indépendant dédié, mais plusieurs fonds alloués, dont une partie serait sanctuarisée et l’autre renationalisée – soit un abandon partiel du caractère commun de la politique agricole commune, qui a pourtant fait la preuve de son utilité et de son efficacité.
La principale préoccupation porte sur le budget, qui atteindrait 50,9 milliards d’euros dans la partie de la PAC sanctuarisée, contre 65 milliards dans la version actuelle. Il devrait toutefois être possible de puiser dans l’autre partie afin de compléter le montant et ainsi retrouver le niveau actuel. Cela suppose cependant une grande vigilance et une grande détermination. Hier, à Luxembourg, lors du conseil Agripêche, avec tous les ministres de l’agriculture et de la pêche de l’Union, nous avons signifié au commissaire européen que nous devions obtenir des garanties pour nos agriculteurs.
Nous n’avons jamais eu autant besoin de la PAC pour relever les défis qui se présentent devant nous. Je m’y emploierai, de concert avec le premier ministre, avec une grande détermination. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et DR.)
        
Crise du logement
Mme la présidente
La parole est à M. Inaki Echaniz.
M. Inaki Echaniz
                        Monsieur le premier ministre, dans votre discours de politique générale, en amont d’un débat budgétaire sans majorité et sans 49.3, vous avez invité les députés à trouver des compromis, dans l’intérêt de nos concitoyens. Les socialistes ont participé avec différents groupes à la définition d’un bloc d’amendements devant permettre de s’attaquer au grand perdant de huit ans de macronisme : la politique du logement.
La crise que traverse le pays atteint un niveau sans précédent : près de 3 millions de ménages attendent un logement social, des centaines de jeunes renoncent à leurs études faute de logement, des milliers de salariés peinent à se loger près de leur lieu de travail, la filière bâtiment et travaux publics est au bord du dépôt de bilan, et les collectivités locales se retrouvent isolées. Tout cela pèse lourdement sur le moral de nos concitoyens, sur la cohésion sociale et territoriale, sur l’insertion et l’émancipation, mais aussi sur l’économie, avec 4 milliards d’euros de TVA en moins par rapport à 2017.
Un euro investi dans le logement, c’est pourtant au moins le double dans les caisses de l’État. Avec mes collègues chargés du logement dans nos groupes respectifs, nous avons répondu à votre appel et formulé des propositions majoritaires pour soutenir les bailleurs sociaux comme les investisseurs privés, produire du logement durable et abordable et lutter contre la spéculation immobilière. Toutefois, comme trop souvent en la matière, les ministres, si engagés soient-ils, se heurtent au verrou de Bercy.
La politique du logement ne peut rapporter aux comptes publics qu’à condition d’être soutenue par des investissements ! Nous vous proposons de faire les deux. Vous engagez-vous, conformément à la déclaration de politique générale, à soutenir ces propositions parlementaires sans que le gouvernement interfère sur le fond ? Je pense en particulier à la nécessité – dont nous sommes convenus avec mes collègues – de mettre en regard de la création d’un statut du bailleur privé, la diminution conséquente de la réduction de loyer de solidarité (RLS), au bénéfice de la production de logements sociaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC ainsi que sur quelques bancs des groupes EcoS, GDR et LIOT.)
        
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’action et des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l’action et des comptes publics
Depuis le début de l’examen du projet de loi de finances, vous le savez, nous sommes au service des parlementaires afin de trouver les compromis utiles qui nous permettront de disposer d’un budget dans les temps.
M. Damien Girard
On verra !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je salue d’ores et déjà le travail de plusieurs d’entre vous au sein de différents groupes sur ce sujet effectivement majeur du logement, qui est l’une des premières préoccupations des Français. Le précédent budget…
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Adopté par 49.3 !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
                        …avait déjà fait l’objet d’un accord transpartisan en la matière, notamment pour étendre le prêt à taux zéro. Cette mesure a porté ses fruits : nous observons les débuts d’un rebond des mises en chantier et des permis de construire.
Vous n’ignorez pas non plus que dans le PLF pour 2026, le gouvernement n’a déposé qu’un seul amendement avant le début des débats, lequel vise précisément, d’une part, à soutenir l’immobilier locatif privé, suivant les recommandations du rapport du député Mickaël Cosson – que je salue – et du sénateur Marc-Philippe Daubresse ; d’autre part, à accompagner la rénovation de logements, en prolongeant un dispositif imaginé à l’époque par Véronique Louwagie.
Nous pouvons et devons cependant aller plus loin, vous avez raison, notamment pour ce qui concerne le logement social. Le gouvernement, le ministre de la ville et du logement Vincent Jeanbrun et moi-même, sous l’autorité du premier ministre, nous engageons à accompagner le compromis parlementaire sur la RLS, les aides à la pierre. Ainsi, nous ne nous heurterons pas au verrou de Bercy mais trouverons la clé budgétaire (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP) permettant de financer des mécanismes efficaces, viables, susceptibles de répondre à ceux de nos concitoyens qui veulent du logement de qualité, près de leur lieu de travail, adapté à leur famille et au service de la transition écologique. Nous pouvons y arriver sur ce sujet comme nous y arrivons sur beaucoup d’autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
        
Enseignement des langues régionales
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
                        Il y a quatre ans, dans les deux chambres, une très large majorité a voté une loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion. Elle comportait des dispositions fortes, notamment pour généraliser l’offre d’enseignement de nos langues au sein des écoles, grâce à des conventions signées entre l’État et les collectivités concernées.
Ainsi, il y a trois ans, une convention a pu être signée entre l’État et la région Bretagne par le premier ministre de l’époque, Jean Castex, dont je tiens à souligner le soutien.
Vous le savez comme moi, l’Éducation nationale peine à remplir ses engagements. En région Bretagne, il faudrait former environ quatre-vingts enseignants par an pour subvenir aux besoins ; seuls sept sont sortis du concours spécial. C’est totalement insuffisant.
        
M. Patrick Hetzel
La question se pose aussi en Alsace !
M. Paul Molac
                        L’Éducation nationale sait pourtant former les enseignants de façon adaptée, afin que les étudiants puissent à la fois apprendre les langues régionales et s’exercer aux métiers de l’enseignement. C’est tout l’enjeu des futures LPE, les licences professorat des écoles.
Les sénateurs Karine Daniel et Max Brisson ont rendu leur rapport qui insiste sur la nécessité de conclure des conventions avec toutes les régions concernées et de développer la formation initiale des professeurs. Monsieur le ministre, vous défendez le projet de réforme du recrutement des enseignants qui doit entrer en application à la rentrée 2026. Pouvez-vous garantir que votre ministère prendra bien en compte le développement de l’ensemble des langues régionales de France à l’école ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LIOT. – Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Xavier Breton et M. Damien Girard applaudissent aussi.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Édouard Geffray, ministre de l’éducation nationale
Nous avons un objectif commun. Les langues vivantes régionales font partie de notre patrimoine. Aucun d’entre nous ne saurait se résoudre à leur éventuel affaiblissement, qui a été pointé du doigt dans le rapport que vous avez mentionné. L’objectif est bien de former de nouvelles générations de locuteurs complets dans ces langues vivantes régionales.
Un député du groupe RN
Vous les avez supprimés en Alsace !
M. Édouard Geffray, ministre de l’éducation nationale
Je veux vous redire que je soutiens non seulement le recrutement des professeurs – en particulier ceux qui interviendront cette année –, mais aussi l’augmentation de l’offre linguistique à l’école, qui a déjà connu des progrès significatifs ces dernières années. Nous avons ouvert 17 % de postes en plus au Capes de langue vivante régionale en l’espace de dix ans.
M. Peio Dufau
Ce n’est pas assez !
M. Édouard Geffray, ministre
Cela représente une hausse de 35 % s’agissant du breton. En France, le nombre d’élèves qui étudient une langue vivante régionale a augmenté de 4,5 % en dix ans. Est-ce suffisant ? Probablement pas. C’est pourquoi je m’engage devant vous à poursuivre nos efforts dans ce sens, notamment dans le cadre de la réforme du recrutement des enseignants qui interviendra cette année.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Rendez les postes ! Rendez les classes !
M. Édouard Geffray, ministre
Nous recruterons désormais à partir de la licence. Aussi, il faudra évidemment intégrer les langues vivantes régionales dans les LPE qui forment les futurs enseignants, comme on l’a fait pour les parcours préparatoire au professorat des écoles en Bretagne. Dès cette année, il faudra ouvrir des postes au concours en licence pour que, dans deux ans, ces futurs enseignants puissent prendre le relais de leurs aînés.
M. Frédéric Maillot
Et le créole ?
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
Il y a urgence. Il faut absolument que ces propositions soient inscrites dans le prochain Parcoursup, qui commencera en décembre, afin que tout soit bien cadré et que les étudiants sachent où ils vont. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Édouard Geffray, ministre
Ce sera effectivement le cas : tout apparaîtra dans Parcoursup, nous y travaillons, pour que les étudiants puissent s’inscrire en connaissance de cause.
Lutte contre l’immigration irrégulière
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Rambaud.
M. Stéphane Rambaud
Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez affirmé, il y a quelques jours, que la France comptait 200 000 étrangers en situation irrégulière.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Vous êtes obsédés !
M. Stéphane Rambaud
                        Confronté par la journaliste Sonia Mabrouk (Murmures sur divers bancs) à vos propres contradictions, vous avez finalement reconnu que ces étrangers étaient près de 700 000. Un tel écart ne relève plus de l’erreur, mais d’un mensonge délibéré. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN et UDR.) Le plus surprenant, c’est que vous reprenez les mêmes chiffres que Gérald Darmanin en 2021. À qui ferez-vous croire que, quatre ans plus tard, le nombre de clandestins resterait inchangé, alors que la France a battu tous les records d’immigration et que le taux de reconduite à la frontière demeure dérisoire ?
En minimisant la réalité, vous masquez non seulement l’ampleur du phénomène migratoire mais aussi la responsabilité écrasante du pouvoir macroniste dans cette défaillance d’État. Votre responsabilité est d’autant plus accablante que ces défaillances ont parfois conduit à l’irréparable. Chacun se souvient du drame de la petite Lola, survenu il y a trois ans. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
Mme Nathalie Oziol
Arrêtez avec ça ! C’est honteux !
M. Stéphane Rambaud
À l’époque, vous étiez préfet de police de Paris. L’auteur de ce crime atroce faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français que vous n’avez pas fait exécuter. Ce manquement, tragique dans ses conséquences, symbolise l’impuissance d’un État qui ne fait plus respecter ses propres décisions.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Charognards !
M. Stéphane Rambaud
Vous prétendez incarner la fermeté ; les Français ne voient que renoncement et soumission. Combien de temps continuerez-vous encore à travestir la réalité, pour dissimuler votre impuissance et celle des gouvernements successifs face à la submersion migratoire ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nuñez, ministre de l’intérieur
Le chiffre que j’ai donné, de 700 000 personnes en situation irrégulière sur le territoire, est une estimation fondée sur les données relatives à l’aide médicale de l’État.
M. Nicolas Meizonnet
Vous pouvez multiplier par deux !
M. Laurent Nuñez, ministre
D’autres chiffres ont été communiqués mais l’ordre de grandeur est celui-là.
M. Kévin Pfeffer
On n’est pas à 300 000 près…
M. Laurent Nuñez, ministre
Vous sous-entendez que cette estimation résulterait d’une volonté de travestir la réalité ou, pire, que l’on ne ferait rien contre l’immigration illégale. (Exclamations et « Ce n’est pas un sous-entendu ! » sur quelques bancs du groupe RN.) Mais puisque vous voulez des chiffres, je vais vous en donner : 150 000 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés en 2024, soit une hausse de 25 %. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Interpellés, et ensuite ?
M. Laurent Nuñez, ministre
Nous sommes le pays qui reconduit, de manière forcée dans les pays tiers, le plus massivement d’Europe, bien davantage que l’Allemagne. (Mêmes mouvements.)
M. Emeric Salmon
Combien ? Vous ne donnez plus de chiffres !
M. Laurent Nuñez, ministre
Nous menons une politique ferme, nous démantelons des filières d’immigration, dans le cadre de la loi immigration de 2024 qu’a fait adopter Gérald Darmanin nous retirons des titres aux étrangers qui commettent des troubles à l’ordre public et des délits. Nous ne sommes pas mous, nous sommes très fermes !
M. Emeric Salmon
Personne ne vous croit !
M. Laurent Nuñez, ministre
                        Vous avez été haut fonctionnaire de police, n’est-ce pas ? Vous devez toujours être en contact avec les forces de sécurité intérieure. Vous n’en trouverez pas beaucoup qui vous diront que Laurent Nuñez est un mou du genou, qu’il n’est pas ferme et qu’il ne fait pas montre d’autorité. (Rires sur les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Comme ministre de l’intérieur, j’ai la même politique : celle de la fermeté et de l’efficacité. Vous ne pouvez pas dire que le président de la République n’a pas beaucoup fait pour le régalien depuis 2017. Pensez à tout ce qui a été accompli en matière de lutte contre le narcotrafic et de lutte contre le terrorisme. Peu de choses avaient été faites avant 2017 et je suis fier d’être un ministre du président de la République ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe HOR.)
        
Taxe Zucman
Mme la présidente
La parole est à M. Alexandre Allegret-Pilot.
M. Alexandre Allegret-Pilot
                        M. Zucman défile depuis un mois sur les plateaux télé sans aucun contradicteur. Un plan sans accroc. Rassurez-vous, il n’y a aucune collusion entre la gauche et l’audiovisuel public ! (M. Benjamin Lucas-Lundy s’exclame.) Il fallait taxer les riches ; mais les communistes se sont rendu compte qu’ils en faisaient partie. Il fallait donc taxer les très riches ; mais les socialistes se sont rendu compte qu’ils en faisaient partie. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UDR et RN.) Ce fut alors au tour des ultrariches. Mais je prévois déjà que, demain, vous nous parlerez des gigariches !
On vous connaît, c’est censé être ciblé et temporaire ; cela devient vite généralisé et permanent. C’est le festival : les pauvres paieraient davantage d’impôt que les riches…
        
Mme Danielle Simonnet
Eh oui !
M. Alexandre Allegret-Pilot
                        …quand bien même ce serait avec l’argent prélevé sur les seconds. Vous vous fondez sur un classement évolutif et qui comporte déjà 50 % d’exilés fiscaux.
En patrimoine, ces riches seraient passés de 6 % à 46 % du PIB en trente ans. Étonnamment, on omet de dire que le reste de la population est passé de 18 % à presque 130 % du PIB sur la même période. Prix Nobel de fake news ! On vous voit, la bave aux lèvres,…
        
Mme Danielle Simonnet
La bave aux lèvres ?
M. Alexandre Allegret-Pilot
                        …hurler vos fantasmes révolutionnaires. On voit surtout les alliances pour augmenter la pression fiscale dans le pays le plus imposé au monde. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe EcoS.) Tout le monde, sauf l’UDR et le RN, s’accorde pour ponctionner 20 milliards euros d’impôt supplémentaires sur le dos de la bête déjà moribonde. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Quelle indigence ! Où est le courage ? Où est la liberté pour les Français ? Chaque euro supplémentaire prélevé sur le peuple, qu’il soit riche ou pauvre, est mal employé. Les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures et celle-ci n’a que trop duré.
Après avoir gobé l’Assemblée, à quelle sauce l’ogre socialiste dévorera-t-il le contribuable, dans cet accord soviétique qui va du PCF à LR en passant par la Macronie ? (Mêmes mouvements.)
        
Mme Ayda Hadizadeh
Rendez l’argent !
M. Alexandre Allegret-Pilot
Assumez publiquement ces accords qui sont le dernier clou dans le cercueil de la France et dites-nous ce qu’il en sera de cette taxe Zucman version « en même temps » ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’action et des comptes publics.
M. Alexandre Dufosset
Et des impôts !
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l’action et des comptes publics
Le débat parlementaire a toujours deux écueils : la caricature et l’illusion. Je pense que vos propos n’ont pas évité le premier. (Mme Sandra Marsaud et M. Antoine Vermorel-Marques applaudissent.)
M. Damien Girard
Ce n’est pas la première fois !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
                        Il y a quelques mois, on a prétendu que la majorité qui a soutenu l’action du président de la République et de ses différents gouvernements depuis 2017 avait « trop baissé les impôts ». Je ne sais donc pas qui vous visez.
Dans quelques jours, peut-être même dans quelques heures, nous débattrons de la fiscalité du patrimoine. Ce débat durera davantage que les deux minutes de ma réponse.
        
Mme Anne-Laure Blin
Ils n’assistent pas aux débats !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
                        Ce débat se fera entre parlementaires (« Avec le PS ! » sur plusieurs bancs du groupe RN) et non entre économistes ni par plateaux télé interposés. Il se fera ici car, depuis 1789, c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui assurez le consentement à l’impôt et décidez quels sont les impôts et comment ils fonctionnent. Dans ce débat, le gouvernement, sous l’autorité du premier ministre, défendra plusieurs convictions.
D’abord, nous n’avons pas peur d’un débat sur la lutte contre l’optimisation fiscale. Nous n’avons pas peur de regarder comment proportionner la contribution de chacun au redressement des comptes publics. Nous n’avons pas peur de regarder comment éviter le contournement de l’impôt et la fraude – raison pour laquelle un projet de loi de lutte contre les fraudes a été déposé en même temps que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Dans ce débat, nous ne parlerons pas seulement de fiscalité, mais aussi d’entreprise, d’emploi et d’investissement. Nous parlerons de ce qui crée de la richesse, de ce qui crée notre avenir et nous discuterons ainsi de ce qui pourra réduire le déficit.
Il est vrai que nous parlerons aussi d’un dernier élément : depuis 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen préserve l’égalité devant l’impôt et évite que celui-ci soit confiscatoire. Le Conseil constitutionnel y veille ; nous devons y veiller avec lui. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Alexandre Allegret-Pilot.
M. Alexandre Allegret-Pilot
Les accords de couloir fracturent notre pays et le consentement à l’impôt disparaît. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UDR et RN.)
Budget de la sécurité sociale
Mme la présidente
La parole est à M. Hendrik Davi.
M. Hendrik Davi
Selon l’Organisation mondiale de la santé, en 2000, la France avait le meilleur système de santé au monde. Aujourd’hui, les hospitaliers, les médecins de ville et les infirmières libérales n’en peuvent plus. Les Français, quant à eux, n’arrivent plus à se soigner : un sur trois vit dans un désert médical et un sur quatre renonce à des soins. Pire, des patients meurent faute d’être pris en charge à temps. Et quelles sont vos solutions ? D’abord, une nouvelle cure d’austérité avec encore moins d’argent pour l’hôpital.
Plusieurs députés du groupe EcoS
La honte !
M. Hendrik Davi
Et en même temps, faire payer les plus pauvres, les personnes en situation de handicap et les retraités. Il fallait oser ! Vous doublez les franchises médicales par décret et vous en proposez de nouvelles lorsqu’on se rend chez le dentiste ou pour bénéficier de prothèses ou de béquilles. Vous vous attaquez aux arrêts de travail des caissières et des ouvriers du bâtiment atteints de troubles musculo-squelettiques. Vous vous en prenez aux apprentis et aux salariés qui utilisent des chèques vacances ou des tickets restaurants. Vous vous en prenez à ceux qui bénéficient de l’allocation aux adultes handicapés et aux malades en affection de longue durée, atteints d’arthrose ou d’hypertension.
M. Alexis Corbière
Quelle honte !
M. Hendrik Davi
                        Pourtant, une autre politique est possible : abroger la réforme des retraites (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et GDR), donner des moyens aux hôpitaux, développer des centres de santé publics partout sur le territoire, développer un vrai service public du médicament. Comme dans le budget général, où nous vous proposons une vraie taxe Zucman, pas au rabais, il est possible, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, de faire payer les plus riches et les grandes entreprises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – M. Peio Dufau applaudit aussi.)
Notre groupe propose de dégager pas moins de 22 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour financer cette politique : supprimer les exonérations de cotisation sociale au-dessus de deux smic rapporterait 7 milliards ; soumettre à cotisation les heures supplémentaires et l’intéressement rapporterait 5 milliards ; augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du capital rapporterait encore 5 milliards. Quand allez-vous cesser de faire les poches des plus pauvres pour remplir celles des plus riches ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.)
        
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées
                        La sécurité sociale fête aujourd’hui ses 80 ans. Notre défi, je le dis avec gravité, est de préserver la protection sociale de nos concitoyens.
Le déficit de la sécurité sociale s’élève à 23 milliards et nous voulons le ramener à 17 milliards dans le budget 2026.
En dépit de ce contexte, on ne peut pas parler d’austérité : le budget de la santé continue de progresser, avec 5 milliards de dépenses supplémentaires.
        
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
Mme Stéphanie Rist, ministre
                        Il reste que c’est un budget sous contrainte, qui nécessite un effort collectif des assurés, comme vous l’avez dit, avec les forfaits de responsabilité, ces franchises payées sur les boîtes de médicaments et les actes de soin.
Savez-vous cependant qu’un tiers des assurés – 18 millions de personnes – ne payent pas ces franchises ? Il s’agit des plus fragiles : les femmes enceintes, les mineurs, les destinataires de la contribution solidarité autonomie. Savez-vous que ces franchises sont plafonnées et que leur moyenne supplémentaire annuelle sera de seulement 42 euros ?
        
M. Pierre Cazeneuve
Très bien Stéphanie !
Mme Stéphanie Rist, ministre
                        Cet effort collectif implique également les industriels du secteur pharmaceutique, qui devront s’acquitter d’une contribution supplémentaire de 1,6 milliard. Les organismes complémentaires, eux aussi, seront mis à contribution.
Ces efforts nous permettront de maintenir des budgets pour les hôpitaux, d’abonder le budget de la santé mentale de 65 millions ou encore de revaloriser nos soignants à hauteur de 800 000 euros.
Le budget de la sécurité sociale exige l’engagement de chacun d’entre nous : l’heure est à la gravité. Je vous invite, je nous invite, à faire preuve de responsabilité à ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Hendrik Davi.
M. Hendrik Davi
Les actionnaires ont touché cette année 100 milliards d’euros de dividendes ! Pourquoi ne pourraient-ils pas contribuer ? Quel est le problème ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Mme Sophie Pantel applaudit également.)
Rémunération du travail
Mme la présidente
La parole est à M. Pascal Lecamp.
M. Pascal Lecamp
                        En France, en 2025, le travail ne permet toujours pas de vivre dignement. Bien souvent, il ne permet pas non plus d’être en mesure de changer son destin. Comme les débats que nous avons depuis plusieurs jours en font la démonstration, de nombreux groupes, sur ces bancs, veulent remédier à l’insuffisante rémunération du travail – je les salue.
Si les raisons pour lesquelles le travail ne paie plus assez sont multiples, elles tiennent avant tout aux besoins de financement de notre État-providence.
Il nous appartient donc d’apporter une réponse à un double défi. D’une part, réduire la trop grande différence entre le salaire brut et le salaire net sur la fiche de paie, différence que nous avons tous constatée. D’autre part, préserver notre modèle de protection sociale, dont le financement, reposant principalement sur le travail, est à bout de souffle.
C’est pourquoi, avec mes collègues du groupe Les Démocrates – notamment Nicolas Turquois et Philippe Vigier à la commission des affaires sociales –…
        
M. Christophe Blanchet
Ils sont excellents !
M. Pascal Lecamp
                        …nous proposons d’augmenter le salaire net en opérant une bascule du financement de notre sécurité sociale.
Reprenant pour partie les propositions de l’U2P et d’Antoine Foucher, auteur de Sortir du travail qui ne paie plus, nous souhaitons faire évoluer, dans un souci de justice, la part de la consommation qui finance nos dépenses sociales, en contrepartie d’une baisse des cotisations pour la moitié des Français.
Un travail en profondeur est nécessaire et urgent pour s’attaquer sérieusement au sujet du pouvoir d’achat. Ma question, monsieur le ministre de l’économie, est simple : le gouvernement est-il également prêt à ouvrir et à accompagner, enfin, ce débat sur la refonte du financement de la protection sociale – afin de faire en sorte que, dès 2026, le travail paie mieux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail et des solidarités.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités
                        Votre question est essentielle : il faut que nous retrouvions tous une vision positive du travail. Pour cela, nous en sommes bien d’accord, le travail doit payer. Il existe un levier puissant pour garantir un salaire décent, même sur les bas salaires : le smic, régulièrement revalorisé en fonction des index. Il a ainsi été revalorisé neuf fois depuis 2021, ce dont 2,7 millions de salariés ont bénéficié.
Le smic, je vous l’accorde, ne peut cependant pas tout – une meilleure rémunération du travail implique que les revenus n’y soient pas plafonnés. Je vais engager, à la demande du premier ministre, une conférence sur le travail et les retraites – la retraite étant selon moi l’épisode qui suit logiquement le travail. Je souhaite que dans cette conférence, avec les organisations syndicales et patronales, nous puissions parler de la promotion interne : c’est la meilleure manière d’augmenter les salaires grâce aux qualifications et au développement des compétences.
Vous êtes nombreux à être attentifs à ce que le travail paye et que ceux qui travaillent soient mieux rémunérés.
        
M. Pierre Cordier
Surtout à droite !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
                        Les Français ont des débats animés à ce sujet.
Vous posez la question cruciale de l’écart entre le salaire brut et le salaire net, qui renvoie à la question du financement de la sécurité sociale, assurée à 65 % par le travail – c’est donc le fond du problème.
Nous sommes prêts à ouvrir de débat, pourquoi pas en 2026. C’est un débat structurel, un débat qui ne sera pas simple : toutes les idées seront les bienvenues, dont les vôtres. Vous savez que notre méthode est celle de l’écoute et du dialogue ; nous explorerons toutes les pistes, le moment venu, afin que soient mieux payés les salariés de notre pays. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – Mme Natalia Pouzyreff applaudit également.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Pascal Lecamp.
M. Pascal Lecamp
Au nom du groupe Les Démocrates, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour cette ouverture. (« Oh ! » sur les bancs du groupe RN.) Nous sommes à votre disposition ainsi qu’à celles des groupes qui souhaiteraient élaborer, avec nous, des contributions en ce sens – d’ici jeudi si possible. (M. Éric Martineau applaudit.)
Mesures concernant les apprentis
Mme la présidente
La parole est à M. Édouard Bénard.
M. Édouard Bénard
                        Ma question s’adresse à MM. les ministres du travail et de l’éducation nationale. Depuis 2018, la filière de l’apprentissage survit grâce aux exonérations de cotisations sociales salariales et patronales, grâce également aux subventions publiques. Entre 2018 et 2024, ces cadeaux sur le dos des finances publiques ont, pour l’État, multiplié le coût de l’apprentissage par 3,5. Vous avez annoncé, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, la fin complète du dispositif d’exonération de cotisations pour les apprentis.
C’est l’aveu d’un échec cuisant : celui d’un modèle d’apprentissage pensé pour le patronat et perfusé à l’argent public. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Je ne parle pas là des petits patrons de nos commerces de proximité, mais de ces groupes qui utilisent les contrats d’apprentissage pour remplacer des emplois pleins et entiers, emplois surexposés, qui plus est, aux risques d’accidents du travail.
Que la création d’emplois ne saurait se faire au détriment de la sécurité sociale, nous en partageons bien évidemment le constat. Vos revirements brutaux ont cependant un coût : Léa, 17 ans, apprentie pâtissière, moins 146 euros par mois ; Joachim, 21 ans, chaudronnier, moins 188 euros par mois ; Salim, boulanger de 18 ans, moins 161 euros par mois. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.) Qui peut vivre avec 613 euros par mois ? Et ce sont d’adultes dont je parle !
        
M. Alexis Corbière
Il a raison !
M. Édouard Bénard
Cela s’ajoute à une pléthore de mauvais coups : gel des minima sociaux, gel de l’APL, fin de l’aide à 500 euros qui aidait les apprentis à payer le permis de conduire.
M. Pierre Cordier
L’APL a été revalorisée !
M. Édouard Bénard
Nos jeunes ne seront plus la variable d’ajustement de votre budget de casse et de classe ! (Mêmes mouvements.)
M. Philippe Vigier et M. Erwan Balanant
C’est scandaleux de dire ça !
M. Édouard Bénard
                        Dans l’immédiat, ce sont des avenirs professionnels menacés et des filières d’excellence mises sur la sellette !
La voie de l’apprentissage arrive à un tournant et il va falloir la repenser : soit les apprentis sont considérés comme des travailleurs et ils doivent alors être payés dignement dans un cadre légal que nous devrons clarifier, soit ils doivent apprendre leur métier à l’école et dans les ateliers. Cela, en tout état de cause, ne saurait se jouer à coups d’amendements à un funeste PLFSS. Il nous faut une vision et une perspective : quelle est la vôtre ?
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail et des solidarités.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités
Avant de vous répondre sur le fond, permettez-moi de le dire clairement : je pense que la politique d’apprentissage est un vrai succès dans ce pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Alexis Corbière
Vous avez fermé des lycées professionnels !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
                        Nous sommes passés de 400 000 à plus de 1 million d’apprentis. Nous avons ouvert une véritable nouvelle voie de formation : 10 % des diplômés sont maintenant issus de l’apprentissage. Je tiens à remercier tous les parlementaires qui ont permis à notre pays de s’engager dans ce succès.
Le contexte économique est difficile et, en tant que ministre du travail et des solidarités, je me dois évidemment de m’assurer que l’argent des Français est utilisé à bon escient. La politique d’apprentissage doit répondre à cet engagement et nous devons veiller à ce que chaque euro fléché dans cette politique permette d’améliorer l’insertion des jeunes dans le monde professionnel.
Je suis sensible, comme vous, à l’enjeu du financement de notre système de protection sociale et d’équité des actifs. Tout travail mérite cotisation : c’est là, en quelque sorte, le principe général. Dans ce cadre, l’exonération des cotisations salariales en faveur des apprentis représente un coût important de 1,6 milliard d’euros.
        
M. Alexis Corbière
Ce ne sont pas des salaires !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Les apprentis disposent des mêmes droits contributifs que les salariés sans y contribuer à proportion de leur rémunération : il est donc à tout le moins légitime que nous puissions débattre d’une cotisation à hauteur des droits sociaux dont ils bénéficient – même si j’entends également vos arguments sur ce point.
Mme Sophie Taillé-Polian
Ce sont des jeunes en formation, vous allez les mettre dans la panade !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Je tiens également à vous rappeler que les salariés à temps partiel, lorsqu’ils sont étudiants, ne disposent pas de cette exonération : l’apprentissage constitue ainsi une vraie exception méritant qu’on en débatte, de manière constructive. Je serai d’ailleurs ravi de vous recevoir dans mon ministère afin de chercher comment renforcer davantage encore l’apprentissage dans notre pays.
M. Alexis Corbière
Ce ne sont pas des salaires que perçoivent les apprentis ! Vous mélangez tout !
Détention de Cécile Kohler et Jacques Paris en Iran
Mme la présidente
La parole est à Mme Brigitte Klinkert.
Mme Brigitte Klinkert
                        Ma question s’adresse au ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Le 25 septembre, Cécile Kohler a eu 41 ans. Elle aurait pu, elle aurait dû, fêter son anniversaire, entourée de ses proches et de sa famille. Mais elle était et elle est toujours, comme depuis plus de trois ans, avec son compagnon Jacques Paris, détenue par le régime iranien.
Depuis mai 2022, ces deux Français sont retenus arbitrairement, sans preuve ni procès équitable – de véritables otages d’État. Ils font l’objet de traitements inhumains et dégradants. Une véritable torture. Ils sont à bout, comme leurs familles.
Le 14 octobre, la prétendue justice iranienne, aux ordres d’un régime criminel, les a condamnés à vingt et dix-sept ans de prison pour, je cite, « espionnage au profit de la France et du régime sioniste » – des accusations absurdes et sans aucun fondement. C’est un nouveau choc pour eux, pour leurs familles, pour leurs proches et pour tous les Français attachés à la liberté et à la dignité humaine.
Je veux saluer la mobilisation citoyenne en Alsace…
        
M. Patrick Hetzel
Très bien !
Mme Brigitte Klinkert
                        …et dans tout le pays. Je veux également saluer la mobilisation des élus et des parlementaires, ainsi que le geste fort de la présidente de l’Assemblée nationale qui a affiché leurs portraits, en signe de soutien, devant le palais Bourbon. (Applaudissements prolongés sur tous les bancs.) Je tiens aussi à saluer les initiatives de collègues comme Éric Bothorel, Louise Morel, Olivier Becht et bien d’autres. Nous resterons unis et mobilisés, aux côtés de la diplomatie française, jusqu’à leur libération et jusqu’à leur retour à la maison.
Pouvez-vous nous préciser quels moyens diplomatiques et politiques la France déploie pour obtenir la libération immédiate et inconditionnelle de Cécile Kohler et Jacques Paris ? (Les députés sur tous les bancs se lèvent et applaudissent.– Les membres du gouvernement se lèvent aussi.)
        
Mme la présidente
                        Je vous remercie, madame la questeure, pour cette question qui permet à l’Assemblée nationale de manifester de nouveau sa solidarité envers nos otages et nos compatriotes.
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
        
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
                        Le 20 mars dernier, nous avons obtenu la libération d’Olivier Grondeau, après 887 jours passés en détention en Iran. Le 8 octobre dernier, c’est avec soulagement que nous avons obtenu la libération de Lennart Monterlos, détenu quant à lui depuis quatre mois en Iran.
Ce sont les résultats du travail des agents du ministère de l’Europe et des affaires étrangères dont je veux saluer ici, une nouvelle fois, le professionnalisme et le dévouement.
Nous sommes et restons cependant très préoccupés par le sort de Cécile Kohler et Jacques Paris, retenus otages en Iran depuis maintenant plus de trois ans – préoccupés par leur état de santé physique et moral. Nous exigeons leur libération immédiate et inconditionnelle : je l’ai redit à mon homologue iranien, par téléphone, ce week-end, et c’est également ce que le président de la République a dit au président iranien quand il l’a rencontré à New York le mois dernier.
Dans cette attente, nous nous tenons à leurs côtés et aux côtés de leurs familles. J’ai rencontré la famille de Cécile le 30 septembre dernier, quelques jours après son anniversaire, ainsi que la famille de Jacques – familles avec lesquelles nous restons en contact par l’intermédiaire du centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay.
Le 14 octobre, jour de cette condamnation ne reposant – vous l’avez dit – sur aucun fondement, ce sont nos représentants à Téhéran qui ont pu leur rendre visite. Nous restons en lien avec eux et exigeons leur libération immédiate. D’ores et déjà, nous nous préparons à ce qu’un accueil leur soit réservé, le jour de leur libération, après le calvaire qu’ils ont vécu. Ce calvaire, en effet, ne s’arrêtera pas au moment de leur libération : il nous faudra pouvoir les accompagner à leur retour.
Vous voyez comment le gouvernement, sous l’autorité du premier ministre, est mobilisé pour assurer la sécurité de nos compatriotes à l’étranger et comment il se bat pour obtenir la libération de Cécile Kohler et Jacques Paris. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.)
        
Dermatose nodulaire contagieuse
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Rancoule.
M. Julien Rancoule
                        Madame la ministre de l’agriculture, il y a quelques jours, sur le plateau de Sault, dans l’Aude, s’est tenue la quarante-huitième foire à l’élevage d’Espezel. Si les visiteurs étaient au rendez-vous, ils ont remarqué l’absence des bêtes, restées confinées en raison de cas de dermatose nodulaire bovine détectés dans les Pyrénées-Orientales.
Une réunion d’urgence s’est tenue sur place autour du préfet, des éleveurs et d’élus, dont je faisais partie. Je ne vous apprendrai rien sur l’inquiétude – et parfois la détresse – exprimée par ces passionnés, qui craignent que demain disparaissent des années de travail de sélection et d’attachement à leurs animaux.
L’idée d’un abattage total de leurs troupeaux leur est insoutenable. Ils appellent à une vaccination à la fois plus rapide et plus large. Vous avez récemment commandé 800 000 doses de vaccin, pour un cheptel français de 16 millions de bêtes. Nous pouvons donc légitimement nous demander si nous serons en mesure de répondre à cet épisode.
Force est de constater que les précédentes crises sanitaires ne nous ont rien appris : une fois encore, nous dépendons de l’étranger pour nous armer face au virus. Pourtant, une production souveraine de vaccins et un stock stratégique auraient permis une vaccination préventive et une réaction immédiate.
Les éleveurs subissent : soit ils se trouvent en zone réglementée – proches d’un foyer – et doivent vacciner leurs bêtes, ce qui les prive d’exportation pendant quatorze mois, soit ils sont en dehors de ces schémas théoriques et n’ont pas accès aux vaccins.
Face aux contraintes de l’Union européenne, une réponse pragmatique est nécessaire, mais elle ne peut se faire au détriment de la France. Allez-vous étendre plus largement la vaccination ? Allez-vous exiger de Bruxelles que les animaux vaccinés ne soient plus pénalisés lors des exportations ? À défaut, êtes-vous prête à suspendre les importations pour protéger nos éleveurs ?
À l’heure où Emmanuel Macron s’apprête à ratifier le Mercosur,…
        
M. Laurent Croizier
Ce n’est pas vrai !
M. Julien Rancoule
…allons-nous sauver ou sacrifier l’agriculture française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire
Il faut le répéter, la dermatose nodulaire contagieuse bovine est redoutable, et il est essentiel de lutter contre cette maladie avec détermination et sérieux. Vous avez évoqué l’absence d’animaux à la foire : c’est exact. J’ai interdit les rassemblements festifs d’animaux sur les foires et les salons car ce sont des lieux potentiels de contamination. (Mme Justine Gruet applaudit.) C’est une mesure de bon sens.
M. Vincent Descoeur
Oui !
Mme Annie Genevard, ministre
                        Vous avez ensuite parlé de l’abattage : il est traumatisant pour les éleveurs, car le lien qui les unit à leur cheptel est profond, presque familial. Vous le savez, et je le sais aussi, venant moi-même d’une région d’élevage.
Qu’en est-il de la vaccination ? C’est un sujet très sensible, et je vous remercie sincèrement de l’avoir soulevé. La doctrine actuelle consiste à vacciner dans les zones où des foyers sont identifiés, afin d’empêcher la propagation – c’est le rôle traditionnel de la vaccination préventive.
Pourrions-nous vacciner l’intégralité du cheptel bovin français ? En avons-nous la capacité ? Vous avez raison : il nous faudrait davantage de laboratoires français – nous en avons d’excellents – capables de produire des doses en très grande quantité.
Pour l’instant, nous sommes au combat, sur le front. La priorité est de concentrer nos efforts sur les zones réglementées, là où les foyers infectieux sont actifs.
Ensuite, nous nous poserons la question – légitime – de la vaccination de l’ensemble du cheptel. Cela suppose deux conditions : disposer des ressources vaccinales nécessaires ; être en mesure d’en assumer les conséquences. En effet, paradoxalement, une zone totalement vaccinée perd son statut de zone indemne, et donc sa capacité à exporter ; ce n’est pas sans conséquences économiques. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR et sur les bancs du groupe DR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Rancoule.
M. Julien Rancoule
Vous n’avez pas répondu sur un point essentiel : il faut négocier avec l’Union européenne pour que les animaux vaccinés puissent être exportés. Aujourd’hui, ce n’est malheureusement pas le cas – vous l’avez d’ailleurs souligné. J’y insiste : il est donc impératif de négocier avec l’Union européenne, et de ne pas se contenter de simples constats. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Annie Genevard, ministre
Puis-je répondre ?
Mme la présidente
Non, madame la ministre, votre temps est écoulé. Vous pourrez échanger avec M. le député après les questions au gouvernement.
M. Patrick Hetzel
Elle avait des choses à dire !
Mission État efficace
Mme la présidente
La parole est à M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit
                        L’Assemblée nationale débat du projet de loi de finances pour 2026 et, en matière budgétaire et financière, il n’y a pas de petites économies. Comme un grand nombre de Français, je considère que l’exemple doit venir d’en haut. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et DR.)
Monsieur le premier ministre, monsieur le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État, pour faire vivre notre démocratie, nous comptons 577 députés et 348 sénateurs.
La haute fonction publique d’État, qui fait fonctionner ce dernier, regroupe 70 000 hauts fonctionnaires. En quarante ans de lois de décentralisation, l’État a régulièrement transféré des compétences aux collectivités locales. Pourtant, dans le même temps, le nombre de hauts fonctionnaires est passé de 25 à 70 000 – je vous renvoie aux travaux de notre regretté collègue Olivier Marleix, qui avait souligné cette évolution.
Monsieur le premier ministre, vous avez confié une mission État efficace à deux hauts fonctionnaires, en leur demandant de formuler des propositions de rationalisation des structures de l’État et d’amélioration de l’efficacité de ce dernier.
Le gouvernement est-il prêt à demander des efforts de réduction budgétaire à toutes les autorités institutionnelles de l’État ? Une baisse de 5 % des budgets de l’Élysée, des ministères, de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel, de la Cour des comptes, des agences de l’État et des autorités administratives indépendantes est-elle par exemple envisageable ? (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et DR.)
Le gouvernement accepterait-il de nommer des parlementaires aux côtés des deux hauts fonctionnaires chargés de la mission État efficace ? (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et DR ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.
M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État
                        Vous avez raison, on ne peut pas demander des efforts à nos concitoyens sans commencer par réduire le train de vie de l’État. Dès son arrivée, le premier ministre a pris des mesures exemplaires : il a lancé un moratoire sur les dépenses de communication et réformé les avantages accordés aux anciens premiers ministres.
Dans le projet de loi de finances actuellement débattu à l’Assemblée nationale, l’effort demandé à l’État est sans précédent. C’est – de très loin – l’État qui assume la plus grande part de la réduction de la dépense publique.
        
M. Sylvain Maillard
Très bien !
M. David Amiel, ministre délégué
Dans les prochains jours, nous proposerons une revue en profondeur des achats de l’État – on constate encore trop de gaspillage.
M. Pierre Cordier
Ça fait dix ans qu’on le dit !
M. David Amiel, ministre délégué
                        Les nouvelles technologies peuvent également permettre de réaliser des économies significatives.
Cette assemblée a mené des travaux sur l’immobilier de l’État et nous savons que nous sommes très attendus.
Concernant les institutions que vous mentionnez – Assemblée nationale, Sénat –, elles auront à se prononcer car elles sont, par tradition, souveraines. Cela fera partie des débats. (Mme Anne-Laure Blin s’exclame.) Bien sûr, le gouvernement soutiendra toute initiative permettant de réaliser des économies supplémentaires.
Au-delà de la question budgétaire, c’est l’organisation de l’action publique qui est en jeu. Trop souvent, plus personne ne sait qui est responsable de quoi – ni les élus locaux, ni les usagers, ni nos concitoyens. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe EPR) C’est pourquoi il faut défendre la clarification des compétences, afin qu’il y ait un responsable politique clairement identifié derrière chaque politique publique.
        
Mme Prisca Thevenot
Excellent ! Il a raison !
M. David Amiel, ministre délégué
Pour mener ce chantier à bien, nous nous appuierons sur les contributions des élus locaux, des élus nationaux, des parlementaires – sur vos travaux, monsieur le député, ainsi que ceux d’Éric Woerth, particulièrement importants au cours de l’année écoulée. Vous pouvez compter sur la détermination du gouvernement. (M. Ian Boucard s’exclame.)
Mme la présidente
La parole est à M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit
                        Je reste tenace sur ma demande : on ne peut pas laisser deux hauts fonctionnaires s’occuper seuls de cette affaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et DR, ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.)
Nous sommes en 2025 et, dans le cadre du contrôle de l’action du gouvernement – mais aussi de celle de l’État –, il est indispensable que des parlementaires puissent exercer un droit de regard et travailler aux côtés de ces deux hauts fonctionnaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et DR ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.)
        
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
Lutte contre les actes racistes
Mme la présidente
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
                        Samedi 18 octobre, dans l’Aube, des scènes de haine raciste se sont déroulées à la lueur des flambeaux. On aurait pu se croire en 1890, en Alabama. Pourtant, c’est bien en France que cette mise en scène macabre, digne des pires terreurs raciales, a eu lieu.
Cette soirée, organisée par un club de parachutisme dans l’enceinte de l’aérodrome de Brienne-le-Château, a viré à l’ignoble. Sur les vidéos tournées dans la nuit, on voit des hommes déguisés en membres du Ku Klux Klan – organisation terroriste tristement célèbre pour avoir torturé et tué des milliers de Noirs aux États-Unis – louant le suprémacisme blanc, pendant que d’autres, grimés en blackface, s’agenouillent pour mimer leur propre exécution devant des palettes en feu.
Certains participants seraient membres de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris : ces hommes portent l’uniforme de la République, mais, ce soir-là, ils portaient des cagoules pointues et des capes blanches sur le dos, déshonorant ainsi leur fonction. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
        
Mme Marie Mesmeur
La honte !
Mme Sabrina Sebaihi
                        À l’heure où je vous pose cette question, le gouvernement n’a toujours pas réagi. Pourtant, cette réaction était attendue. Des millions de nos compatriotes doivent avoir la certitude que le racisme qu’ils subissent au quotidien est aussi l’affaire des dirigeants politiques, et surtout celle du ministre de l’intérieur. (Mêmes mouvements.)
La négrophobie progresse à visage découvert : meurtres racistes, chasse aux Noirs dans la Creuse, blackface banalisé à la télévision, insultes raciales sur les réseaux sociaux, dans la rue, au travail, c’est le quotidien de millions de Français.
Face à cela, le silence du gouvernement est une faute inexcusable. Ce silence légitime la haine, banalise la violence et hiérarchise les vies. En ne condamnant pas, vous envoyez le message que l’indignation aurait un nuancier : plus la peau est foncée, plus l’indignation s’efface. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
Réalisez-vous la gravité et l’ampleur du racisme en France ? Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour que plus jamais le racisme n’ait droit de cité sur le sol de la République ? (Les députés des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC, LIOT et GDR ainsi que quelques députés du groupe Dem se lèvent et applaudissent.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, ministre de l’intérieur
                        Vous avez rappelé les faits, ignobles. Ce simulacre de réunion du Ku Klux Klan, organisé au sein d’un club de parachutisme de l’Aube, sur l’aérodrome de Brienne-le-Château, est profondément choquant.
Nous avons eu connaissance de ces faits grâce au président de la Fédération française de parachutisme, qui a réagi très rapidement. Il a effectué un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale et saisi la justice. Je tiens à saluer sa réactivité et son engagement au sein de sa fédération pour, je le cite, faire le ménage. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS, LIOT et GDR, ainsi que sur quelques bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Huit personnes sont impliquées et le parquet de l’Aube est saisi. Vous avez raison, parmi ces individus, deux sont militaires de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Une enquête disciplinaire est ouverte, et nous serons absolument intraitables. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, EcoS, Dem, LIOT et GDR.)
Mon indignation est aussi celle de l’ensemble du gouvernement. Nous ne transigerons pas.
Je tiens à vous rassurer : au sein de la police, de la gendarmerie et des armées, tout est fait pour détecter ce type de comportement – des services sont dédiés à cette mission. Il est évident que lorsque deux militaires se livrent à de tels actes il y a un avant mais il n’y aura pas d’après puisque des sanctions très fermes seront prises.
Quant à la politique du gouvernement contre le racisme, d’où qu’il vienne, nous sommes également intraitables et ne laisserons rien passer.
        
Mme Sabrina Sebaihi
Condamnez-vous ces actes ?
M. Laurent Nunez, ministre
Vous pouvez compter sur la détermination du ministre de l’intérieur – c’est ma responsabilité –, sur celle du garde des Sceaux, puisque la justice est saisie, et sur celle de l’ensemble du gouvernement.
Mme Sabrina Sebaihi
Mais les condamnez-vous ?
M. Laurent Nunez, ministre
Je les condamne très clairement, je l’ai dit ! Le gouvernement est indigné ; cette condamnation, je l’ai exprimée sans ambiguïté. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et LIOT ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)
Suppression des APL pour les étudiants étrangers
Mme la présidente
La parole est à M. Marc Pena.
M. Marc Pena
                        Monsieur le premier ministre, votre projet de budget prévoit le gel de l’aide personnalisée au logement. Il s’agit d’une baisse qui ne dit pas son nom : vous n’assumez pas de réduire une nouvelle fois les APL, comme vous l’avez fait en 2017 ; vous laissez l’inflation s’en charger.
Pire encore : vous allez jusqu’à exclure les étudiants internationaux du droit aux APL. (« La honte ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Ce choix sacrifie l’ouverture de notre enseignement supérieur, à un moment où le repli sur soi menace nos sociétés.
Tout cela pour 100 millions d’euros d’économie, soit moins de 1 % de ce que rapporterait la taxe Zucman, un impôt que vous refusez obstinément. (« Oh ! » sur les bancs du groupe RN.) Ces 100 millions, vous les prenez sur le dos des étudiants.
La précarité étudiante, je la connais de près en tant qu’ancien président d’université : elle explose. Pourtant, vous choisissez de vous attaquer aux APL.
Une réforme des bourses s’impose, mais vous préférez vous attaquer aux APL ; les files d’attente devant les banques alimentaires s’allongent, mais vous préférez toujours vous attaquer aux APL. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Alors, êtes-vous prêt à renoncer à ces mesures ? La jeunesse – la jeunesse étudiante en particulier – vous regarde et les socialistes vous attendent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de la ville et du logement.
M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement
Vous évoquez une mesure qui vise à recentrer les aides proposées aux étudiants étrangers sur les étudiants étrangers communautaires, européens, et les étrangers non communautaires mais boursiers. Avec mon collègue Philippe Baptiste, nous partageons cette fierté française d’accueillir les étudiants du monde entier,…
Mme Marie Mesmeur
C’est faux, vous n’aimez que ceux des pays riches !
M. Vincent Jeanbrun, ministre
                        …mais nous assumons de vouloir les accueillir dignement, en accompagnant les boursiers qui ont de faibles ressources, mais pas nécessairement le riche étudiant texan, que nous sommes également fiers d’accueillir sans qu’il ait nécessairement besoin, vous en conviendrez, des APL. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
C’est pourquoi, tout en continuant d’accompagner les plus démunis d’où qu’ils viennent, nous avons décidé de recentrer nos aides sur le public européen et boursier. (Mêmes mouvements.)
        
M. Louis Boyard
Il est en train de mentir !
M. Vincent Jeanbrun, ministre
                        Philippe Baptiste réfléchit actuellement à une refonte du système des APL et des bourses étudiantes, dont nous aurons l’occasion de débattre ensemble.
J’en termine en rappelant le principe de réciprocité : la plupart des pays du monde se fondent sur des critères sociaux et économiques pour délivrer des aides aux étudiants qu’ils accueillent. C’est toute notre logique : accueillir largement les étudiants du monde entier, mais en tenant naturellement compte de critères sociaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et DR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Marc Pena.
M. Marc Pena
                        Vous parlez d’étudiants étrangers. Non ! Nous parlons d’étudiants internationaux, et ce n’est pas du tout la même chose ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Vives exclamations sur les bancs des groupes DR et RN.) Oui, les mots ont leur importance, tout commence par les mots.
Ensuite, vous remettez en cause l’universalité de l’aide personnalisée au logement, une aide universelle parce que le logement est un droit fondamental… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur.)
        
Service public de La Poste
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Alexandre.
M. Laurent Alexandre
Avec ce projet de budget, le gouvernement menace le niveau de vie des Français : 7,1 milliards d’économies sur leur santé, nouvelle baisse de crédits pour l’agriculture, baisse du pouvoir d’achat des retraités, 4 000 suppressions de postes de professeurs, une perte de 7,2 milliards pour les collectivités territoriales… Pour La Poste, la coupe est rude, puisqu’elle perd 110 millions d’euros par rapport à l’année dernière.
Un député du groupe LFI-NFP
C’est une honte !
M. Laurent Alexandre
                        La Poste assure pourtant des missions de service public fondamentales telles que l’aménagement du territoire, le service universel postal, la distribution de la presse ou l’accessibilité bancaire. Le facteur, c’est une visite quotidienne, un sourire, un repère pour de nombreuses personnes isolées ; une agence postale, c’est de l’aide administrative, un contact humain à l’heure du tout-numérique. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Cette coupe budgétaire va accélérer la dégradation des conditions de travail des agents de La Poste, rendant intenables leurs plannings – du guichet le matin et des tournées surchargées l’après-midi. Ils ont pourtant un sens aigu du service public, qu’ils tiennent à bout de bras. (Mêmes mouvements.) Elle va aussi dégrader le service rendu, avec plus de retards dans la livraison du courrier et des colis, une perte de lien social, davantage d’agences ouvertes seulement à mi-temps et le journal du jour souvent reçu en soirée, au gré des tournées.
Les reculs du service public se cumulent dans des territoires qui voient tout disparaître. Les citoyens des zones rurales comme l’Aveyron, des quartiers populaires ou des outre-mer ont pourtant droit à leur part de République ; ils ont droit aux services publics et à bien vivre au pays. (Mêmes mouvements.)
Monsieur le ministre de l’économie, répondez-moi franchement : avec toutes ces coupes programmées, combien d’agences postales vont fermer et qui allez-vous laisser de côté ? (Nouveaux applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.
M. Roland Lescure, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique
                        La Poste, comme tous les services publics et toutes les administrations publiques, va participer à l’effort collectif de réduction de nos déficits publics ; il y va de l’intérêt national, et nous en avons tous besoin.
Un peu plus de 100 millions d’économies sont demandées à La Poste, que le gouvernement a ventilés sur ses quatre missions essentielles de service public mais que vous serez libres de redistribuer avec vos collègues parlementaires ; à vous de les convaincre, tant que chaque « plus » est équilibré par un « moins ».
Il me semble, cela étant, que vous avez brossé de l’entreprise un portrait caricatural, à la limite du misérabilisme, qui ne correspond pas à la réalité de ce que vivent les postiers. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Pour ma part, je voudrais d’abord féliciter chaleureusement Philippe Wahl, qui a dirigé, pendant douze ans et de manière exceptionnelle, cette entreprise qu’il a transformée en profondeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.) La France est aujourd’hui l’un des rares pays dont les services postaux sont assurés par une entreprise publique. C’est grâce aux postiers, mais grâce aussi à une direction exemplaire, qui a su faire évoluer l’entreprise.
Je félicite aussi Mme Marie-Ange Debon, qui a remplacé Philippe Wahl depuis une semaine ; vous l’avez auditionnée et avez validé sa candidature, avant sa nomination par le président de la République. L’une de ses premières missions sera de continuer à adapter La Poste aux enjeux essentiels d’aujourd’hui et de demain.
Monsieur le député, il y a, dans l’Aveyron, une trentaine de maisons France Services, qui doivent trouver comment collaborer. Elles n’existaient pas il y a huit ans, et votre groupe n’a pas voulu voter leur création. Heureusement, elles ont pu voir le jour grâce à la majorité et assurent aujourd’hui une présence essentielle dans nos territoires.
Enfin, ne tirez pas sur les postiers ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
M. René Pilato
Mais c’est tout le contraire !
M. Roland Lescure, ministre
J’entends bien les controverses au sujet des petits colis. Ce sont les postiers qui les livrent, et il faut continuer à les protéger. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Alexandre.
M. Laurent Alexandre
Monsieur le ministre, vous êtes totalement hors sol ! Moi, je vous parle de la vraie vie ! Vous préférez décider loin du terrain mais, au moins, ne pourrissez pas la vie de ceux qui y vivent et qui y travaillent. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP, dont plusieurs députés se lèvent.)
Lutte contre la fraude sociale
Mme la présidente
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
                        Monsieur le ministre du travail et des solidarités, je ressens, comme l’ensemble des membres de la Droite Républicaine, la colère des Français face à la fraude, notamment celle qui concerne la sphère sociale. Lorsqu’on se lève tôt et qu’on cotise chaque mois pour notre État-providence, comment ne pas s’indigner face à ceux qui trichent, dans un contexte marqué par la dégradation de nos finances publiques ? D’autant que, de plus en plus, cette triche est le fait de bandes organisées. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et RN.)
C’est une question de justice pour la France qui travaille, véritable priorité de notre groupe. Notre conviction, c’est qu’il faut préserver le social, mettre fin à l’assistanat et revaloriser le travail. (Mêmes mouvements.)
Cette fraude sociale n’a rien d’anecdotique. En 2020, alors que je présidais une commission d’enquête sur la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, nous avions déjà estimé l’ampleur de ce phénomène à au moins 13 milliards d’euros par an. Cependant, la plupart des recommandations de cette commission d’enquête sont, hélas, restées lettre morte.
Dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous défendons un certain nombre de propositions urgentes : l’amélioration de la communication entre l’assurance maladie et les complémentaires santé, la sécurisation des cartes Vitale ou encore le contrôle annuel du justificatif d’existence des bénéficiaires de pensions à l’étranger. Mais ces propositions sont bien souvent considérées comme des cavaliers par le Conseil constitutionnel. C’est pourquoi nous avons besoin d’un véhicule législatif dédié.
Le premier ministre a déposé un projet de loi dédié à la fraude fiscale et sociale. Ce texte doit être ambitieux, sans demi-mesures, pour s’attaquer durablement à la fraude. Nous sommes prêts à soutenir les dispositions qui iront dans ce sens. Pouvez-vous nous préciser quelles seront les priorités du gouvernement et ses ambitions dans les prochains mois pour que la lutte contre la fraude sociale devienne une réalité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail et des solidarités.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités
                        Pour la première fois, un projet de loi pour lutter contre les fraudes sociales et fiscales va être examiné pendant le temps budgétaire. C’est un engagement fort du premier ministre et de tout le gouvernement.
Lutter contre la fraude fiscale et sociale est un enjeu absolument majeur. En tant que ministre mais aussi en tant que simple citoyen, je suis convaincu que nous devons faire la chasse aux abus, aux malversations et aux fraudeurs, car frauder, c’est voler l’argent des Français. (Mouvements d’approbation sur les bancs du groupe DR.)
        
M. Ian Boucard
Eh oui !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
                        Il ne s’agit pas de cibler les plus fragiles, mais bien de protéger ceux qui respectent les règles. Lutter contre la fraude, c’est avant tout défendre notre modèle social et fiscal. Je suis conscient des efforts importants que nous demandons à nos concitoyens, et nous nous devons, en contrepartie, d’aller récupérer l’argent auprès de ceux qui fraudent et abusent de notre système. Il s’agit d’un impératif fiscal et moral, car on parle possiblement de 20 milliards d’euros au total. Le Haut Conseil du financement de la protection sociale évalue, pour sa part, à 13 milliards le quantum de la fraude sociale, soit près de la moitié du déficit de la sécurité sociale. C’est donc considérable.
Concrètement, comment ce projet de loi permettra-t-il de lutter plus efficacement contre la fraude ? Il s’agira de mieux prévenir, de mieux détecter, de mieux contrôler, de mieux sanctionner et de mieux recouvrer.
        
M. Pierre-Yves Cadalen
Parlez aussi des cotisations employeurs non payées !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Son examen commencera au Sénat dès le mois de novembre et se poursuivra dans cette assemblée au mois de décembre.
M. Matthias Tavel
Vous ne serez plus là !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Vous pourrez naturellement amender et compléter ce texte à votre guise, et je suis convaincu qu’il pourra être voté par une large majorité de cette assemblée. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) En tout cas, il intéressera les parlementaires qui veulent renforcer nos outils contre la fraude fiscale comme ceux qui veulent renforcer nos outils contre la fraude sociale – les deux vont de pair. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Moyens de la justice
Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Roullaud.
Mme Béatrice Roullaud
                        Monsieur le ministre de la justice, la loi du 20 novembre 2023 a instauré un conseil de juridiction auquel les parlementaires sont conviés une fois par an. Le 26 septembre dernier j’assistais à celui qui se tenait à Meaux lorsque je fus informée, à mon plus grand étonnement, que non seulement la réhabilitation de ce tribunal avait été abandonnée, mais aussi et surtout que la juridiction manquait considérablement de moyens humains. Outre le fait que des postes de magistrat vacants depuis le mois de juin ne devaient être remplacés qu’en décembre, je fus saisie d’apprendre que nombre de plaintes étaient classées sans suite ab initio, c’est-à-dire sans remonter au procureur, par les officiers de police judiciaire.
Je fus encore plus frappée d’apprendre que les plaintes dépendant du pôle dédié aux violences intrafamiliales (VIF) ne pouvaient être traitées à temps. Ainsi, à Meaux, au moment où je vous parle, ce sont 495 plaintes pour violences conjugales qui sont en attente de traitement, faute de moyens humains pour le faire.
À l’heure où une femme décède tous les trois jours, victime de son conjoint ou partenaire, à l’heure où les tentatives de féminicide ont augmenté de 23 % en 2023, quand allez-vous enfin vous donner les moyens de votre politique ? Il ne suffit pas en effet de créer des pôles VIF pour lutter contre les féminicides, encore faut-il leur donner les moyens de travailler.
Alors que nous allons discuter des crédits de la justice, et que, je tiens à vous le rappeler, le groupe Rassemblement national a voté la loi de programmation de la justice augmentant ses moyens, ma question tient en une phrase : seriez-vous prêt à diminuer certains budgets – par exemple, celui alloué au syndicat de la magistrature (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP) – pour abonder celui qui permettrait de recruter un nombre suffisant de magistrats et d’enquêteurs à même de traiter les dossiers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice
                        Votre question m’étonne, madame la députée, dans la mesure où, à plusieurs reprises, vous n’avez pas soutenu le budget de la justice. Cela étant, grâce à l’action menée par la majorité, les effectifs du tribunal de Meaux sont passés de 61 à 75 magistrats et de 61 à 87 greffiers – vous n’êtes sans doute pas sans le savoir, puisque vous êtes avocate.
Étant moi-même élu local, je m’étonne aussi de vous entendre déclarer que c’est lors de votre conseil de juridiction que vous avez appris l’arrêt de la réhabilitation du tribunal. Je me suis rendu le 8 septembre dernier dans votre circonscription mais vous n’étiez pas là…
        
Mme Béatrice Roullaud
Vous ne m’avez pas prévenue !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
                        La presse était présente, madame, et je vous ai évidemment invitée, mais vous n’êtes pas venue. (Exclamations sur les bancs du groupe RN. – Avec persistance, Mme Béatrice Roullaud secoue la tête en signe de dénégation.) Cela n’a, de toute façon, pas beaucoup d’importance, car il suffisait de consulter la version en ligne du Parisien et de taper le nom de votre circonscription pour apprendre que j’avais annoncé 50 millions supplémentaires pour l’agrandissement du tribunal. De même, le 14 septembre vous auriez pu apprendre que j’annonçais une dotation de 40 millions pour la construction d’une prison à Meaux – d’ailleurs, heureusement que Jean-François Copé est là, car votre groupe s’oppose à la construction de nouvelles prisons.
Soyez plus présente dans votre circonscription, vous ne manquerez plus les annonces qui concernent votre territoire ; et votez le budget de la justice, vous verrez votre tribunal se remplir de magistrats.
        
Mme la présidente
                        Monsieur le ministre, je vous rappelle que le mandat des parlementaires est libre et qu’ils l’exercent comme ils le souhaitent et du mieux qu’ils le peuvent. Je vous remercie de ne pas mettre en cause personnellement les parlementaires.
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
        
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.)
                        Présidence de Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
 vice-présidente
        
                            Mme la présidente
La séance est reprise.
2. Report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d’un accord consensuel sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie
Commission mixte paritaire
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la commission mixte paritaire de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d’un accord consensuel sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie (no 2005).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission mixte paritaire
                        Depuis les événements du 13 mai 2024, la situation en Nouvelle-Calédonie est préoccupante, avec ses morts – toujours trop nombreux –, ses nombreuses destructions d’équipements publics et d’entreprises et ses dégâts évalués à 2,2 milliards d’euros.
Le territoire se caractérise par sa grande vulnérabilité. Son PIB s’est effondré de 13,5 %, l’investissement de 24 % et la consommation de 7 %. Les départs sont nombreux : on en compte plus de 10 000.
Si je prends le temps de rappeler ces éléments, c’est qu’il faut les avoir en tête. C’est ce contexte qui justifie le report des élections provinciales et au Congrès, qui devaient initialement être organisées au plus tard le 30 novembre 2025. Cette situation économique et sociale dramatique devra nous amener à préparer un plan Marshall – en tout cas un plan important, peut-être une loi de programmation comparable à celle appliquée à Mayotte – pour investir et assurer l’avenir économique et social de ce territoire.
Pour le moment, nous examinons une loi organique qui pourrait reporter les élections au-delà de l’échéance prévue, au 28 juin 2026. La semaine dernière, nous avons éludé l’examen d’amendements, puisqu’une motion de rejet a été adoptée – étant précisé qu’elle avait sans doute une signification inverse de celle sur laquelle nous aurons à nous prononcer tout à l’heure.
Je regrette que le débat relatif à la Nouvelle-Calédonie fasse l’objet d’une forme de nationalisation. Il doit être le plus serein possible et est déjà suffisamment complexe en l’état.
Le report des élections, qui est important pour certains, est en réalité un élément pris dans un ensemble plus important. Le plat de résistance, si j’ose dire, c’est bien la réforme institutionnelle fixant le statut à venir de la Nouvelle-Calédonie. À ce sujet, les échanges doivent reprendre le plus rapidement possible et réunir tous les partenaires autour de la même table.
Il n’est pas possible – je le dis en regardant Emmanuel Tjibaou – qu’une partie importante du territoire ne soit pas représentée lors de ces négociations, que le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) ne puisse pas être autour de la table. Pour cette raison, je crois qu’il faut donner du temps au temps et garder en tête le sens du collectif et le sens du consensus. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
Je m’étonne donc, monsieur le ministre, des propos qui ont été tenus ce matin et qui annoncent la tenue des débats au Sénat relatifs à cette réforme institutionnelle dès le mois de janvier. (Mêmes mouvements.) Comment donner du temps au temps si l’on fixe, dès le début de l’année, un calendrier ? Sur ce point, je suis en désaccord avec le gouvernement.
        
M. Matthias Tavel
C’est un aveu !
M. Philippe Gosselin, rapporteur
                        Certes, les accords de Bougival, ou quel que soit leur nom – préaccords, accords supposés, texte –, constituent toujours une base solide de discussion. C’est l’effet de cliquet, auquel nous sommes attachés : certains des éléments qu’ils contiennent sont importants pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, mais il doit appartenir aux différents partenaires et groupes politiques de se mettre d’accord et d’essayer d’avancer ensemble. Il ne s’agit pas de repartir d’une page blanche, mais d’essayer d’écrire cet avenir à plusieurs mains.
L’objet de la proposition de loi organique est de décaler les élections, qui pourraient poser quelques soucis juridiques – décrets de convocation à envoyer dans des délais très courts, même s’ils sont légaux, problèmes d’établissement des procurations, éventuelle saisine de l’ONU pour l’envoi d’observateurs et de la Cour de cassation en vue de l’organisation des commissions administratives spéciales (CAS). Oui, je suis convaincu qu’il faut donner du temps au temps, et pour cela permettre le report des élections et se concentrer sur l’essentiel en d’invitant largement aux échanges.
Il y a trente ou quarante ans, Jean-Marie Tjibaou évoquait un « pari sur l’intelligence » à propos des accords de Matignon. Aujourd’hui, il reste à gagner le pari de la confiance et, dans tous les cas, nous devons faire le pari de l’ambition collective et de la réussite collective. C’est à cette condition que la Nouvelle-Calédonie et tous ses habitants, quels qu’ils soient et au-delà de leurs différences, pourront vivre un destin que l’on espère toujours commun et qui ne sera pas qu’un vœu pieu. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Matthias Tavel
La ministre des outre-mer n’est pas là ?
M. Pierre Pribetich
C’est vrai, où est la ministre ?
M. Laurent Panifous, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
                        Permettez-moi tout d’abord d’excuser la ministre des outre-mer, retenue au Sénat par un engagement pris de longue date, celui de défendre un autre texte essentiel pour nos compatriotes ultramarins : le projet de loi de lutte contre la vie chère, largement inspiré des travaux conduits ici même, dans votre assemblée.
Toutefois, elle m’a expressément chargée de vous adresser ces quelques mots, au lendemain du compromis trouvé sur ce texte.
Il s’agit d’abord et avant tout d’un message d’apaisement. Je sais que l’inscription, effectuée aujourd’hui, du projet de loi constitutionnelle à l’ordre du jour prévisionnel de l’Assemblée nationale au mois de janvier a pu susciter l’inquiétude.
        
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Oui !
M. Laurent Panifous, ministre délégué
                        Je le comprends parfaitement, mais chacun doit le savoir : il s’agit seulement d’un calendrier prévisionnel et non d’un passage en force.
Pour dissiper toute ambiguïté, ce texte a été retiré de l’ordre du jour prévisionnel. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR. – M. Arthur Delaporte applaudit également.)
        
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Très bien ! Cette inscription était maladroite.
M. Laurent Panifous, ministre délégué
                        La ministre l’a clairement dit : un nouveau cycle de discussions va s’ouvrir. Si un consensus devait se dégager pour faire évoluer le calendrier, alors que le calendrier évoluera.
Cette proposition de loi organique n’est pas seulement un texte technique, c’est un acte de responsabilité. Il n’est pas un texte d’ajustement, mais constitue une étape pour donner du temps, du sens et une direction claire au dialogue engagé en Nouvelle-Calédonie.
Nous sortons d’une période de grande tension que chacun ici garde en mémoire, autant que les circonstances qui l’ont fait advenir.
Les violences de mai 2024 ont profondément marqué et meurtri les Calédoniens. Elles ont montré combien la paix restait fragile, combien un nouvel accord global devenait nécessaire et combien nos actes résonnent à des milliers de kilomètres de l’hémicycle.
Pour sortir de ce marasme, après des mois d’intenses et exigeantes négociations entre l’État et les forces politiques calédoniennes, un accord global a été signé : l’accord de Bougival du 12 juillet 2025. Cet accord planifiait et justifiait le report des élections provinciales, pour donner le temps de mettre en œuvre les évolutions constitutionnelles et organiques qu’il prévoyait : la création d’un État de Nouvelle-Calédonie, d’une double nationalité – française et calédonienne –, les mécanismes de transferts de compétences régaliennes ou encore le dégel partiel du corps électoral.
Je le dis sans détour : cette raison justifie encore le report, car même si le FLNKS a choisi, a posteriori, de retirer les signatures de ses représentants, nous ne pouvons pas faire comme si l’accord n’était pas soutenu par toutes les autres formations politiques locales : aussi bien les non-indépendantistes que les indépendantistes de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI) et du Parti de libération kanak (Palika).
Une raison supplémentaire vient maintenant justifier ce report : le retrait du FLNKS démontre que l’accord de Bougival mérite d’être éclairé, précisé et, si l’ensemble de ses signataires s’accorde pour le faire, complété.
Dans un tel contexte, maintenir les élections provinciales serait une erreur. Il faut du temps. Du temps pour se parler, du temps pour reconstruire la confiance.
La proposition de loi organique ne vise pas à reporter les élections pour les retarder, mais pour apaiser. Il ne s’agit pas de suspendre la démocratie, mais de la rendre possible. Il ne s’agit pas non plus de renoncer au consensus, mais au contraire de lui donner une chance supplémentaire d’émerger.
Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a approuvé ce choix à une large majorité. Le Conseil d’État a confirmé sa conformité à la Constitution. Nous avançons donc sur des bases solides, celle du terrain et celle du droit.
Notre légitimité est à la fois démocratique et juridique. L’accord signé à Bougival le 12 juillet dernier a rouvert la voie du dialogue. Il a permis de réunir autour d’une même table des acteurs qui ne se parlaient plus depuis des années : Les Loyalistes, Calédonie ensemble, L’Éveil océanien, l’UNI-Palika et le FLNKS. Cette proposition de loi organique est née de la volonté de se reparler. Elle donne aux territoires le temps d’enraciner cet accord dans le droit et dans les faits, sans le figer et sans l’imposer. Sans passage en force, mais sans renoncement.
L’accord de Bougival ne règle pas tout, mais il fixe un cap, celui d’un équilibre entre aspiration à l’émancipation et attachement à la France. C’est aussi celui d’une organisation institutionnelle adaptée à la singularité calédonienne, respectueuse des identités, des histoires et des appartenances.
Le dialogue doit se poursuivre et rester ouvert à toutes les sensibilités, y compris celles qui ne sont pas encore pleinement reconnues par l’accord de Bougival. Le FLNKS en fait naturellement partie.
La ministre des outre-mer l’a déjà dit, mais elle tient à le redire ici : elle ne veut pas faire sans le FLNKS, mais elle demande au FLNKS de ne pas faire sans les autres. C’est la même main qui est tendue, pour construire ensemble, à partir de ce qui nous rassemble. Tel est l’état d’esprit du gouvernement et de la ministre, qui se déplacera dès ce week-end en Nouvelle-Calédonie.
Nous savons que cet état d’esprit est partagé par le Parlement. Le changement du titre de la proposition de loi décidé par les membres de la commission mixte paritaire en témoigne : il s’agit de mieux insister sur l’indispensable recherche d’un accord consensuel, ce qui est bien l’intention du gouvernement.
Nous saluons l’apport déterminant du Parlement sur ce texte depuis plusieurs semaines. De son dépôt au Sénat, par six présidents de groupe sur huit, au compromis intervenu en CMP hier, des parlementaires, pourtant venus de sensibilités différentes, ont démontré qu’ils pouvaient se rassembler pour atteindre un même objectif : la paix civile en Nouvelle-Calédonie. Les échanges ont montré une large convergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur la nécessité du report, sur la volonté d’accompagner la mise en œuvre de l’accord de Bougival et sur la recherche d’un consensus politique local.
Croyez bien que le gouvernement a entendu les messages de la représentation nationale. Nous avons déjà parlé de la nécessité de poursuivre le dialogue, de ne rien imposer et de ne rien précipiter.
Il faut aussi dire un mot de la situation sur le terrain, car aucun accord politique ne pourra tenir sans perspectives économiques et sociales crédibles. Le premier ministre l’a dit : il n’y aura pas de paix durable sans développement. C’est pourquoi la ministre des outre-mer prépare, avec les élus et les acteurs économiques, un plan d’investissement et de redressement, dont elle a vous a présenté les contours la semaine dernière.
L’acte que nous allons accomplir aujourd’hui s’inscrit dans une longue tradition.
        
M. Bastien Lachaud
Coloniale !
M. Laurent Panifous, ministre délégué
                        L’accord de Bougival s’inscrit dans la continuité des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, qui avaient posé les bases d’un dialogue historique. À chaque étape, la République a tenu parole et a donné au territoire les moyens de choisir son avenir.
Le texte que nous examinons aujourd’hui poursuit cet engagement. Il prolonge une méthode, celle de la fidélité aux engagements et du respect du dialogue.
        
M. Bastien Lachaud
On l’a vu en 2024 !
M. Laurent Panifous, ministre délégué
                        Cette fidélité est essentielle. Elle seule permet de reconstruire la confiance, de réconcilier les mémoires et de tracer un avenir partagé.
Pour finir, la ministre des outre-mer tenait à s’adresser directement aux Calédoniennes et aux Calédoniens, à celles et ceux des tribus, des quartiers, des îles Loyauté, de la Brousse et de la Grande-Terre : à ceux qui doutent, à ceux qui espèrent, à ceux qui veulent simplement vivre en paix.
Ce report n’est pas un recul, c’est une étape. Il ne retire rien à la démocratie. Il ouvre un chemin politique. Le temps qui s’ouvre doit être mis à profit pour dialoguer, reconstruire et bâtir ensemble un avenir apaisé.
L’État sera présent, mais il n’agira pas seul. Tout ce qui sera fait le sera avec les institutions locales, avec les partenaires économiques, avec les coutumiers, avec la société civile, avec les Calédoniens. L’État – gouvernement, ministre, présidents des chambres, parlementaires – tiendra parole, une fois encore, sur la Nouvelle-Calédonie. Les élus de la majorité et de l’opposition, à l’Assemblée comme au Sénat, ont montré qu’ils savaient s’unir lorsque l’intérêt du pays et du territoire l’exigeaient.
Vous pouvez collectivement nous faire confiance. Le texte dont nous débattons ne prétend pas tout résoudre. Il est loin d’être une fin en soi. Il ne ferme aucune porte : au contraire, il en ouvre plusieurs. Il offre un cadre pour construire une solution partagée. Il trace une méthode, celle de l’humilité, du dialogue et du respect. En l’adoptant, vous ferez plus que reporter un scrutin. Vous confirmerez un engagement collectif, celui de poursuivre ensemble la construction d’un avenir fédérateur pour la Nouvelle-Calédonie, un avenir qui doit être le temps de l’identité dans un véritable destin commun. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
        
M. Bastien Lachaud
Quel enthousiasme !
Motion de rejet préalable
Mme la présidente
                        J’ai reçu de M. Stéphane Peu et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
 La parole est à M. Emmanuel Tjibaou.
        
M. Stéphane Peu
La parole aux premiers intéressés !
M. Emmanuel Tjibaou
                        Nous voilà réunis une énième fois pour statuer sur le report des élections provinciales et au Congrès de Kanaky Nouvelle-Calédonie. J’ai bien pris note de la position du gouvernement de retirer de l’ordre du jour le projet de loi constitutionnelle inscrit en janvier prochain. Néanmoins, il faut que ce qui nous a été dit soit respecté et, pour cela, je veux commencer par clarifier ce sur quoi nous débattons.
Les élections provinciales sont un élément important de la vie politique en Nouvelle-Calédonie et un enjeu central du débat démocratique puisque ces institutions, issues des accords de Matignon-Oudinot, président encore aujourd’hui à la mise en œuvre des politiques publiques en province des îles Loyauté, province Nord et province Sud. Une partie des élus de ces provinces siègent au sein du Congrès et désignent les membres du gouvernement. Ce n’est donc pas une mince affaire, tant s’en faut, d’autant que, par le vote, nos compatriotes expriment leurs aspirations profondes sur la destinée du pays ; pour cette raison, on peut y voir pour nos compatriotes un élément central du débat public et un enjeu politique majeur.
Aujourd’hui, on nous demande de reporter ces élections. On nous dit que les circonstances sont exceptionnelles et que la situation est trop complexe. Le risque de boycott des non-indépendantistes et la crise économique remettraient en cause les discussions institutionnelles. La liste des griefs, déjà très nombreuse, s’allongera encore si nous, parlementaires, n’y faisons pas face. On nous dit qu’il faut attendre. Mais attendre quoi ? Que la crise passe ? Que les problèmes se résolvent d’eux-mêmes ?
Avant le passage en commission mixte paritaire, on nous a dit que l’objectif assumé du texte était la mise en œuvre de l’accord du 12 juillet 2025. Les mots ont un sens. J’y étais et je sais donc ce qui a été signé. Il s’agit d’un projet d’accord élaboré avec le ministre d’État qui devait être validé par les structures impliquées avant sa ratification officielle à Nouméa avec le président de la République. Celui-ci l’a lui-même rappelé lors de l’ouverture du sommet pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie le 2 juillet 2025 et lors de sa clôture le 12 juillet. On nous demande de statuer sur un accord qui est contesté, qui n’est pas ratifié et qui a été publié au Journal officiel sans signature. La commission mixte paritaire a d’ailleurs supprimé la mention de cet accord dans le titre de la proposition de loi.
Nous nous posons donc légitimement la question : sur quoi statue-t-on ? Pourquoi nous demande-t-on de faire le report ? On nous dit que le report est nécessaire en raison du risque sur la légitimité du corps électoral amené à s’exprimer lors de ce scrutin. Le Conseil constitutionnel a pourtant répondu en disant que le corps électoral actuel était conforme et donc légitime. Je le rappelle parce que l’année dernière le report, contre lequel le FLNKS s’était prononcé, avait été justifié par l’état d’urgence, les routes barrées et la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Aujourd’hui, on nous dit qu’il faut reporter pour permettre la relance économique, mais est-ce que le report des élections permettra cette relance ? Je ne le pense pas. J’ajoute que la responsabilité est déjà fortement engagée sur la séquence qu’il nous est demandé de traiter dans le cadre de la relance. Je rappelle qu’un quart du PIB a été perdu et qu’on nous demande de rembourser l’État après la crise et le tumulte institutionnel qui nous ont secoués l’année dernière. Mais tout cela est de la responsabilité de l’État et non de celle des parlementaires.
Pour nous, le vote d’aujourd’hui est une arme. Elle est l’arme la plus puissante et cette puissance s’exprime encore plus en temps de crise, car c’est par elle qu’on exprime nos aspirations et nos espoirs. On ne se cache pas derrière des artifices juridiques de façade pour faire primer la loi au profit d’intérêts politiques. Le dépôt d’une proposition de loi organique par un gouvernement démissionnaire, sans consensus et dans la précipitation, pose question. Cela fait quand même deux ans que l’État doit se préparer au décret de convocation des électeurs et à la mission des experts de l’ONU. Nous opposer ces arguments n’a donc pas de sens pour nous.
Je rappelle que le peuple kanak avait demandé de surseoir à la troisième consultation référendaire en 2021. Le premier ministre actuel, alors ministre des outre-mer, nous avait alors répondu qu’en démocratie, les élections doivent se tenir à l’heure. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – M. Stéphane Peu applaudit également.)
        
M. Alexis Corbière
Eh oui !
M. Emmanuel Tjibaou
                        Pour nous, les Kanaks, le droit de vote n’est pas quelque chose d’anodin. Nous l’avons payé du prix du sang versé dans les tranchées, qui nous a permis d’accéder à la citoyenneté. Mon père avait 10 ans quand le code de l’indigénat a été supprimé et j’avais moi-même 10 ans lorsque l’état d’urgence a été décrété en Calédonie en 1986. Cette histoire n’est donc pas seulement derrière nous, elle est aussi devant nous.
L’an dernier encore, afin de préserver la trajectoire de décolonisation, nous avons chèrement payé notre opposition au projet de loi constitutionnelle sur l’ouverture du corps électoral. On ne peut pas oublier les sacrifices consentis pour exercer ce droit fondamental. Pour nous, peuple colonisé, le droit d’élire ses représentants relève du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR ainsi que sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) C’est celui que nous souhaitons exprimer aujourd’hui au nom de notre peuple colonisé, au nom des victimes de l’histoire.
Aujourd’hui, l’histoire se répète et chaque fois que nous votons ici sur un sujet calédonien, on a l’impression que le cortège funeste qui nous accompagne souffle à nos oreilles la voix des morts. L’héritage de la paix que nous avions construite a été balayé par un vote l’an dernier.
Notre culture dit que les morts nous regardent. Osons croire aussi que les vivants dans cette assemblée nous regardent aussi. C’est le sens de la motion de rejet qui est posée sur la table. La France a instrumentalisé hier le dossier calédonien, nous appelons aujourd’hui à ne pas répéter la même erreur.
De 1984 à 2024, le pays kanak a perdu quatre-vingt-dix morts. On est fatigués d’enterrer nos morts. On n’en peut plus ! On est fatigués de réclamer notre droit. L’année dernière, treize Kanaks ont été assassinés par balles, un gendarme et un Calédonien sont morts, quatre-vingts personnes kanak ont été transférées en France et sont aujourd’hui en incapacité de revenir, et un quart du PIB a été mis à terre.
Il est temps de redonner un souffle démocratique à ce peuple qui n’en peut plus d’expirer. Il est temps de lui redonner une parole et la possibilité de choisir librement ses représentants dans les assemblées de province. Si l’État doit respecter sa parole, il doit d’abord respecter la loi. (Les députés des groupes GDR et LFI-NFP se lèvent et applaudissent. –  Plusieurs députés du groupe EcoS se lèvent également pour applaudir.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Laurent Panifous, ministre délégué
                        J’ai longuement exprimé, dans mon discours préalable, la position du gouvernement. En ce qui concerne la motion de rejet, je voudrais d’abord vous redire que la signature de l’accord a été accueillie avec l’espoir d’un nouveau départ et d’un cadre stable et partagé. Ensuite, les forces économiques et sociales du territoire y voient également une condition essentielle au retour de la confiance, indispensable à la reconstruction du territoire après les crises profondes que nous avons traversées. Enfin, le report des élections provinciales donne précisément le temps politique nécessaire pour ouvrir ce dialogue et pouvoir le mener à son terme.
Le rejet de ce texte fragiliserait profondément le socle de confiance patiemment construit…
        
M. Stéphane Peu
C’est l’inverse !
M. Laurent Panifous, ministre délégué
…et retarderait durablement toute perspective de sortie de l’impasse politique que nous avons connue. C’est pourquoi le gouvernement n’est pas favorable à cette motion de rejet.
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Gosselin, rapporteur
                        Merci, cher collègue Tjibaou, de vos propos mesurés, calmes, comme on vous les connaît à l’accoutumée, et qui comportent des éléments de fond importants. Vous avez évoqué la situation économique et sociale du territoire. C’est un élément qui doit être pris en compte – j’emploie à dessin le présent de l’indicatif, et non le futur ou le conditionnel –, car la situation actuelle n’est pas seulement préoccupante, mais dramatique. Beaucoup d’entreprises sont à l’arrêt, beaucoup d’habitants du territoire rencontrent des difficultés économiques, dans un contexte où les emplois manquent et où le nickel ne se porte pas bien – c’est peu de le dire. Beaucoup d’incompréhension, de lassitude et d’inquiétude sont perceptibles.
Dans ce contexte, les élections pourraient apparaître comme un élément rassurant, mais je n’y crois pas. Il faut davantage se concentrer sur l’essentiel : l’avenir que nous voulons avec, autour de la table, toutes les parties prenantes. Je fais partie de ceux – peu d’entre nous se satisferaient d’ailleurs de voir le FLNKS absent de la table – qui veulent, en bonne foi, pouvoir donner du temps au temps. L’expression peut paraître vieillotte, mais je crois que c’est important.
Je remercie M. le ministre d’avoir précisé – et vous l’avez entendu ainsi, collègue Tjibaou – que l’inscription à l’ordre du jour prévisionnel de janvier du projet de loi constitutionnelle, annoncée ce matin, était nulle et non avenue. On ne peut pas demander de donner du temps au temps et nous fixer déjà un programme parlementaire. Je m’y refuse. Cela peut avoir lieu quelques semaines après, même s’il ne faut pas que cela s’étire sur un temps indéterminé – personne ne s’y retrouverait.
Néanmoins, le calendrier qui avait été annoncé cet été ne peut plus tenir et le report – c’est le sens du changement de titre – n’est plus lié à l’inscription dans les temps des accords, ou du préaccord, ou du projet d’accord de Bougival. Désormais, nous voulons donner du temps à l’échange.
Je fais partie de ceux qui le martèlent depuis longtemps, même si le destin commun est sans doute imprégné des accords de Nouméa, de Matignon auparavant – ou l’inverse, parce qu’il y a une porosité entre les deux. Depuis une génération, il existe une volonté de vivre-ensemble, de partager un destin commun. Je continue à faire le pari collectif de la confiance et de l’intelligence en prenant l’ensemble de l’hémicycle à témoin. C’est ce qui doit nous obliger.
Je crois que le report des élections est sage. Vous avez dit que l’on aurait pu le faire il y a deux ans. Ce n’est pas faux, mais il n’y avait pas encore eu le conclave de Bourail, les accords de Bougival, ces échanges – au-delà même du terme d’accord – nombreux ces derniers temps. Les événements du 13 mai 2024 n’avaient pas encore eu lieu non plus, et il eût été heureux qu’ils n’aient pas lieu.
On peut regarder dans le rétroviseur, regretter ce qui s’est fait ou pas fait, mais le constat qui peut être fait aujourd’hui, c’est qu’il paraît sage de reporter ces élections pour se concentrer sur l’avenir au quotidien, mais aussi un avenir où chacun pourrait vivre en paix, avec des perspectives durables. Cela peut paraître naïf, simpliste, mais nous sommes nombreux à y croire encore. C’est pourquoi nous ne pouvons évidemment pas être d’accord avec cette motion de rejet, contre laquelle nous voterons. En tout cas, l’avis personnel du rapporteur – puisque cela n’a pas été examiné en commission – est de vous inviter à voter contre cette motion de rejet.
        
Mme la présidente
                        Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à M. Paul Molac.
        
M. Paul Molac (LIOT)
                        Je vais vous exprimer le trouble de notre groupe, puisque, quels que soient nos votes, nous voyons bien la situation de la Nouvelle-Calédonie, le conflit, cette histoire que nous devons porter et qui y est encore plus compliquée que dans d’autres territoires. Ce trouble s’accompagne de la crainte d’une insurrection ou de quelque chose qui y ressemble.
Notre collègue Tjibaou a été particulièrement mesuré. Je ne vous cacherai pas que le vote de notre groupe ne sera pas unanime. Une majorité sera contre l’adoption de la motion de rejet, et pour l’adoption de la proposition de loi organique. Une forte minorité adoptera la position inverse. Ce que raconte la Nouvelle-Calédonie, c’est un peu notre histoire, celle de notre difficulté à trouver un chemin. Ici, tout le monde souhaite que les Calédoniens puissent trouver un chemin pour définir leur avenir. Certains diront que le report des élections le permettra, d’autres diront que non. Nous sommes dans l’expectative, nous ne savons pas bien ce que nous devons faire. C’est donc avec beaucoup d’humilité et de réserve que je m’exprime.
        
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Maillot.
M. Frédéric Maillot (GDR)
                        Les mots très forts de mon collègue Tjibaou ont montré combien un simple battement d’ailes ici peut entraîner un ouragan dans son pays. Mon collègue Jean-Victor Castor vous avait prévenus, en 2024, qu’il serait, à un moment donné, trop tard, que cela deviendrait dangereux si, au sein de cet hémicycle, nous ne prenions pas le temps de comprendre ce qu’il se passe.
Nous n’avions pas encore entendu, alors, cette voix qui porte autant et qui nous dit ce que l’on doit faire, comment regarder la chose, comment la comprendre et comment ne pas déraciner ce que les Néo-Calédoniens ont mis du temps à planter, à arroser et à regarder grandir, c’est-à-dire la paix qui existe en Nouvelle-Calédonie.
Ne pas écouter, ne pas comprendre, ne pas vouloir prendre une décision sage au moment d’appuyer sur ce bouton, de lever la main, c’est replonger la Kanaky, la Nouvelle-Calédonie, dans quelque chose que nous ne pourrons pas maîtriser ici, et nous ne ferons que recommencer ce que l’on a fait en 2024. C’est rouvrir le lieu où se cache la folie que de recommencer les mêmes choses et d’en attendre un résultat différent. Le groupe GDR vous invite à voter en faveur de ce que nous défendons depuis toujours : la paix, la paix et encore la paix en Nouvelle-Calédonie, et le respect des peuples premiers et du peuple kanak. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP.)
        
Mme la présidente
La parole est à Mme Hanane Mansouri.
Mme Hanane Mansouri (UDR)
Certains de nos collègues appellent à rejeter ce texte avant même d’écouter les arguments des uns et des autres.
M. Bastien Lachaud
On les connaît, vos arguments !
M. Matthias Tavel
Il vaudrait mieux parler d’arguties !
Mme Hanane Mansouri (UDR)
                        Ce serait manquer délibérément de respect aux Néo-Calédoniens qui nous écoutent.
Ce report des élections provinciales n’est pas une décision confortable, mais il est nécessaire dans les circonstances actuelles, pour éviter que le désordre et la violence ne reprennent le dessus. Après les drames de mai 2024 qui ont profondément marqué la population, notre priorité doit être la stabilité du territoire et la reconstruction de la confiance.
Ce texte n’est pas un renoncement à la démocratie, mais un moyen de la préserver dans des conditions apaisées et sincères. Refuser d’en débattre reviendrait à tourner le dos à ceux qui, sur le terrain, s’efforcent de restaurer le dialogue et l’ordre républicain.
Soyons clairs, si nous en sommes réduits à prolonger les mandats locaux, c’est d’abord la conséquence du manque d’anticipation du gouvernement, incapable de maintenir une ligne claire et de rétablir l’autorité de l’État. Parce que la démocratie ne peut s’exercer durablement que dans un climat d’ordre et de sécurité, ce report doit être un temps utile et pas une fuite en avant. Il doit permettre à la Nouvelle-Calédonie de repartir sur des bases solides dans le respect des engagements pris et de la parole de la France. Nous refusons donc le rejet de ce texte, non pas pour défendre la politique catastrophique de ce gouvernement, mais pour défendre la France, son unité et sa continuité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Yoann Gillet.
M. Yoann Gillet (RN)
                        Depuis des mois, le gouvernement s’entête dans la même erreur : répondre à la crise néo-calédonienne par le seul spectre institutionnel plutôt que par une vision politique et économique partagée. Le texte issu de la commission mixte paritaire n’échappe pas à cette logique. Même si le titre de cette loi organique a été modifié pour effacer la référence à l’accord de Bougival, son contenu n’apporte aucune solution concrète aux difficultés du territoire, et prolonge une illusion dangereuse, celle qu’un bricolage institutionnel suffirait à lui seul à restaurer la confiance et la stabilité.
Ce dont la Nouvelle-Calédonie a besoin, ce n’est pas d’une énième réforme procédurale, c’est d’un nouveau souffle, d’un projet de prospérité partagée, capable de redonner à ce territoire son rôle naturel, un pôle d’influence pour la France dans le Pacifique, un espace de stabilité et d’avenir pour toute sa population.
Cependant, le gouvernement, comme les précédents, a perdu de vue cette ambition. En repoussant toujours les échéances démocratiques, il affaiblit la légitimité des institutions et la confiance des Calédoniens dans la parole publique. Imaginez, chers collègues, si le pouvoir en place décidait, sur l’ensemble du territoire national, de reporter les élections de deux ans par peur du résultat. Qui l’accepterait ? Pourquoi accepter, en outre-mer, ce qui serait inacceptable ici, sur l’ensemble du territoire national. Nous le répétons : sans élus légitimes, sans économie vivante, sans perspectives claires pour la jeunesse, aucune stabilité durable ne sera possible.
Ce texte, fruit d’un compromis de façade, ne fait que prolonger la paralysie. Le groupe Rassemblement national présidé par Marine Le Pen, en cohérence avec ses positions et sa volonté d’offrir un avenir stable à la Nouvelle-Calédonie, votera donc cette motion de rejet préalable et appelle une fois de plus à un projet qui unira toute la population, à un véritable plan de relance et de confiance économique sur la longue durée, capable de rassembler toutes les forces vives du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Caure.
M. Vincent Caure (EPR)
                        Nous discutons, une fois de plus, d’une motion de rejet sur ce texte organique relatif à la Nouvelle-Calédonie. Je ne suis pas là pour vous dire s’il existe de bonnes ou de mauvaises motions de rejet, mais il est certain qu’il existe un chemin des bonnes volontés. Celles-ci ont eu l’occasion de s’exprimer dans cette commission mixte paritaire, mais aussi à Nouméa, dans le cadre d’un vote favorable à ce processus du congrès de Nouvelle-Calédonie, au Sénat par un soutien de six des huit présidents de groupe, ou encore en commission des lois où une majorité politique a existé pour soutenir ce texte.
Puisque la Nouvelle-Calédonie, comme l’a dit le rapporteur, a besoin de temps pour se construire et s’inventer un avenir, puisqu’il faut désormais mettre en application l’accord de Bougival…
        
M. Bastien Lachaud
Ah, bah voilà alors !
M. Vincent Caure
…au service de l’avenir des Néo-Calédoniens, nous voterons bien sûr contre cette motion de rejet qui constitue un obstacle sur le chemin des bonnes volontés. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP)
                        Monsieur le ministre, vous n’avez rien appris : reporter encore les élections, c’est de nouveau passer en force et menacer la paix civile en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Vous n’avez rien appris du maintien coûte que coûte du troisième référendum en plein deuil coutumier kanak, que les indépendantistes ont boycotté et dont, par conséquent, ils ne reconnaissent pas la légitimité. Provocation ultime, celui qui a discrédité la parole de l’État est désormais promu premier ministre. Il disait à l’époque : « En démocratie, les élections se tiennent à l’heure. » (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe GDR.) Quelle ironie, considérant que vous voulez reporter pour la troisième fois les élections provinciales qui auraient dû se tenir en mai 2024 !
Vous n’avez rien appris du passage en force pour imposer le dégel du corps électoral, qui a replongé le pays dans les pires violences et a entraîné quinze morts, dont celles de douze Kanaks, ainsi que l’effondrement économique et social de la Nouvelle-Calédonie. Depuis, vous avez emprisonné durant un an les leaders kanak à 17 000 kilomètres de chez eux. Depuis, vous continuez de vouloir imposer le projet Bougival. Or, s’il n’y a pas eu d’accord à Deva au motif que les loyalistes le refusaient, il n’y a pas d’accord de Bougival, puisque le FLNKS le refuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Ce matin, vous inscrivez à l’ordre du jour un projet de loi constitutionnelle relative à la Kanaky Nouvelle-Calédonie ; cet après-midi, vous le retirez ; la confiance est rompue. Vous avez une responsabilité historique, celle d’avoir fait dérailler quarante ans de processus de paix civile. Le temps est venu de tenir parole. La démocratie n’est pas une faveur que vous accordez quand cela vous arrange. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe GDR.) Il n’est pas possible de repousser ces élections ad vitam aeternam. Voilà le vrai enjeu démocratique : redonner la parole au peuple pour renouveler la légitimité des élus.
Apprenez de vos erreurs ! À Nainville-les-Roches, en 1983, les Kanaks ont – fait unique au monde – partagé leur droit à l’autodétermination avec les victimes de l’histoire, ceux qui n’ont plus d’autre ailleurs que cette terre-là ; mais on ne peut pas mener un processus de décolonisation sans le peuple kanak, encore moins contre le peuple premier ! (Mêmes mouvements.)
Votez cette motion de rejet car, comme le dit Christian Tein : « Aussi petit que soit mon peuple, il a le droit d’apporter sa part d’humanité à l’histoire. Il est grand temps de refermer la parenthèse coloniale de notre pays. » Votez cette motion de rejet, préservez la paix civile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP, dont les députés se lèvent, et sur les bancs du groupe GDR.)
        
(À dix-sept heures quinze, Mme Yaël Braun-Pivet remplace Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback au fauteuil de la présidence.)
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La parole est à M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte (SOC)
Il faut distinguer entre ce qu’est ce texte et ce qu’il n’est pas.
M. Vincent Descoeur
Ah !
M. Arthur Delaporte
Ce texte n’est pas le dégel du corps électoral, il n’est pas une réforme constitutionnelle, il n’est pas la validation de Bougival. Ce texte est le report temporaire d’élections, qui portera à sept ans le mandat des élus.
M. Jean-Victor Castor
Vous vous égarez !
M. Arthur Delaporte
La date prévue pour le report est une date butoir, une date maximale. Elle ne vise qu’à une seule chose : se donner le temps de discuter, d’échanger, de trouver un accord.
M. Jean-Victor Castor
Vous serez responsables aussi !
M. Arthur Delaporte
                        Il n’y aura pas de report ad vitam aeternam. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Il y aura des élections le plus vite possible, avec un seul objectif : permettre la recherche d’une paix durable en Nouvelle-Calédonie. Le processus ne se poursuivra pas s’il n’y a pas d’accord consensuel sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ; c’est désormais le titre de cette proposition de loi organique. J’espère qu’elle sera adoptée, il y va de notre responsabilité collective.
Ce n’est jamais de gaieté de cœur que l’on reporte des élections. Cette décision est ici guidée par un principe de responsabilité collective ; j’espère que nous en ferons preuve. Elle est aussi guidée par la conviction intime qu’un accord est à portée de main si chacune des parties respecte les autres.
        
M. Jean-Victor Castor et M. Davy Rimane
Vous serez responsables aussi !
M. Arthur Delaporte
Les socialistes seront, comme ils l’ont toujours été, les garants d’un processus dans lequel tout le monde a sa place, dans lequel la parole de chacun est écoutée, respectée, prise en considération. C’est à cette fin que nous nous battons aujourd’hui. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. Nicolas Sansu
Apprenez l’historique ! Quelle honte !
Mme la présidente
                        Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par les groupes Ensemble pour la République et Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
 Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Patrick Hetzel.
        
M. Patrick Hetzel (DR)
La droite républicaine, fidèle à son histoire, choisit le chemin du courage et de la clarté. Elle choisit le courage de refuser les postures des extrêmes,…
M. Frédéric Maillot
C’est le colonialisme qui est extrême !
M. Patrick Hetzel (DR)
…la clarté de défendre la souveraineté de la France et la volonté de construire un avenir commun au sein de notre République. Oui, nous devons parler à tous les Calédoniens, car un accord durable ne se fera ni contre les uns ni sans les autres. Il faut reconstruire un contrat de confiance,…
M. Jean-Victor Castor
Cela ne peut pas se décider à Paris !
M. Patrick Hetzel
…redonner de l’espoir, du travail et surtout le goût du vivre-ensemble. Nous voterons contre cette motion de rejet. Nous souhaitons le report des élections…
M. Jean-Victor Castor
Démocratie à géométrie variable !
M. Patrick Hetzel
…parce que cela est nécessaire, parce que la République doit tenir bon, parce que la Nouvelle-Calédonie mérite la confiance de l’ensemble de la nation, parce que le vivre-ensemble, même s’il a été profondément abîmé, doit rester notre unique boussole. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR. – Mme Danielle Brulebois applaudit également.)
M. Frédéric Maillot
C’est le vivre à côté, pas le vivre-ensemble !
Mme la présidente
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS)
                        Je souhaite tout d’abord saluer la dignité de la prise de parole de notre collègue Emmanuel Tjibaou. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, EcoS, GDR et sur quelques bancs du groupe SOC.)
Nous voterons la motion de rejet préalable déposée par le groupe communiste, car ce texte n’est pas un texte de paix, mais un texte de renoncement. Depuis des mois, vous vous obstinez à faire passer en force une proposition de loi organique visant à reporter les élections provinciales en Kanaky Nouvelle-Calédonie pour la troisième fois. Vous voulez prolonger encore des mandats sans légitimité démocratique, repousser encore le droit d’un peuple à décider librement de son avenir. Vous vous obstinez comme vous vous êtes obstinés l’an dernier concernant le dégel du corps électoral. Nous en avons malheureusement vu les conséquences.
Ce texte est une nouvelle gifle pour l’histoire, pour la mémoire des accords de Matignon et de Nouméa, pour la parole de Jean-Marie Tjibaou et pour tous ceux qui ont cru qu’un jour, la République saurait tenir ses promesses. À force d’oublier que la France est encore considérée par l’ONU comme puissance administrante d’un territoire non décolonisé, vous niez la parole donnée à la communauté internationale.
Pourquoi reporter ces élections provinciales ? En quoi leur maintien poserait-il un problème pour reprendre les discussions ? Nous ne le comprenons pas. Changer l’intitulé du texte pour y inscrire le mot « consensus » n’en fait pas une vérité. La principale force indépendantiste, le FLNKS, refuse le texte, refuse votre méthode et vos arrangements ; il n’y a dès lors aucun consensus, et il n’y a plus de confiance. Alors, pourquoi reporter ces élections, si ce n’est plus pour mettre en œuvre le projet d’accord de Bougival ? Si vous supprimez le projet de loi constitutionnelle du calendrier, si le corps électoral est conforme – selon l’avis même du Conseil constitutionnel –, pourquoi reporter ces élections provinciales ?
        
M. Jean-Victor Castor
Exactement !
Mme Sabrina Sebaihi
Peut-être, finalement, que la réponse réside dans le dégel du corps électoral, qui vise à rendre les Kanaks minoritaires au sein de leur propre corps électoral. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et sur les bancs du groupe GDR.) Nous voterons la motion de rejet préalable car nous refusons de cautionner une mascarade parlementaire : le socle commun a lui-même déposé une motion de rejet sur son propre texte en première lecture. Vous n’apprenez rien de vos erreurs, et j’espère que la Kanaky Nouvelle-Calédonie n’aura pas à revivre les conséquences dramatiques de votre entêtement. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Martineau.
M. Éric Martineau (Dem)
                        Le texte dont nous débattons est le fruit d’un accord trouvé en commission mixte paritaire, après l’adoption d’une motion de rejet préalable la semaine dernière, en première lecture. Cette proposition de loi organique a connu beaucoup d’allers-retours, elle ne met pas tout le monde d’accord, mais pour avoir été présent en commission mixte paritaire, je peux témoigner de la volonté de dialogue et de consensus concernant l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Nous nous sommes mis d’accord pour modifier le titre du texte, qui en dit long sur son sens. Les rencontres de Bougival sont la suite des accords de Matignon et de Nouméa.
        
M. Bastien Lachaud
Mais non, vous n’avez rien compris !
M. Éric Martineau
Je vous invite à voter contre la motion de rejet préalable. Ainsi, tout en respectant le FLNKS qui nous a écrit en début d’après-midi, nous pourrons nous prononcer sur cette proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d’un accord consensuel sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Dem et EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Moulliere.
M. Jean Moulliere (HOR)
Dans le contexte actuel, nous nous devons d’être à la hauteur. Pour cela, notre assemblée doit faire preuve de courage et d’exigence, en ayant à cœur le seul intérêt calédonien. Les positions de chacun sur ce texte majeur sont légitimes ; notre groupe aspire donc à ce qu’elles puissent toutes être exprimées. Fidèle à sa position sur l’éventuel report des élections provinciales jusqu’au 28 juin 2026 et surtout fidèle à son attachement envers la Nouvelle-Calédonie, le groupe Horizons & indépendants votera contre la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe HOR. – M. Vincent Caure applaudit également.)
Mme la présidente
Je mets aux voix la motion de rejet préalable.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        480
        Nombre de suffrages exprimés                477
        Majorité absolue                        239
                Pour l’adoption                221
                Contre                256
        
                        (La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
 (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
        
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
                        Nous voilà réunis en séance afin de statuer sur un énième report des élections au Congrès et aux assemblées provinciales de Kanaky Nouvelle-Calédonie. Nous examinons le texte issu des travaux accomplis hier par la commission mixte paritaire. Avant de débuter mon propos, j’ai une pensée pour les habitants du Caillou – Kanaks, Caldoches ou d’une autre nationalité. La situation au quotidien est très difficile : à la crise politique s’ajoute la crise économique et sociale. Force est de constater que la France ne parvient toujours pas à finaliser le processus de décolonisation dans les territoires qu’elle a auparavant conquis. Pour le coup, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ne pourra se résoudre à marche forcée – y compris, chers collègues de tous bords, en ce qui concerne le processus parlementaire –, mais devra être décidé dans l’écoute et le dialogue.
La situation qui se déroule à l’autre bout de la planète ne saurait trouver une issue stable et durable grâce à l’application de principes constitutionnels, fussent-ils le socle même de notre Constitution, comme l’égal accès des citoyens au suffrage universel. Non ; dans cette situation, il faut convoquer le droit international, au sein duquel, à l’article 1er de la Charte des Nations unies, figure le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En Nouvelle-Calédonie coexistent deux peuples. Personne ici ne songe à considérer que l’un dispose d’une primauté sur l’autre ; nous devons trouver un chemin pour qu’ils puissent exister ensemble.
Le projet d’accord de Bougival est un premier pas. Les discussions doivent être poursuivies, dans la sérénité et en prenant tout le temps nécessaire. Je mesure l’avancée que constituent la création d’une citoyenneté calédonienne et la possibilité d’une double citoyenneté au sein de l’État français. J’entends également que cette proposition ne fait pas consensus et que des voix s’élèvent pour demander que le dialogue continue. Au fond, qui suis-je, député breton, pour déterminer moi-même quel pourrait être l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ?
Vous me permettrez de trouver bien optimiste le calendrier évoqué. Pensez-vous réellement qu’alors que nous traversons une crise de régime en France, nous pourrions parvenir à réaliser une révision constitutionnelle avant la fin de l’année…
        
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Ce n’est plus d’actualité !
M. Paul Molac
                        …et à faire en sorte que des élections puissent réellement se tenir en juin 2026 ? Cela me paraît illusoire.
Ainsi, toute réforme concernant la Nouvelle-Calédonie Kanaky doit se construire avec les forces politiques en présence, jamais contre elles, a fortiori s’agissant d’un territoire d’outre-mer largement autonome.
La méthode de l’unilatéralisme a conduit à la crise actuelle. Nous ne pouvons que rappeler la responsabilité immense des gouvernements successifs. Il convient d’être attentif à la position du FLNKS qui a formellement rejeté l’accord, quand bien même d’autres mouvements indépendantistes signataires, tels le Palika ou l’Union progressiste en Mélanésie (UPM), continuent de le soutenir.
Je me permets de souligner qu’il est ici question de reporter pour la troisième fois des élections qui devaient se dérouler initialement au printemps 2024. Cette décision est loin d’être neutre. Rappelons-nous, chers collègues, que les Kanaks avaient demandé le report du troisième référendum de 2022, en plein covid. Le report n’a pas eu lieu et le référendum s’est déroulé dans un contexte de crise sanitaire et de deuil. Les Kanaks ont cependant permis que le scrutin soit organisé comme il se doit, afin que tous ceux qui souhaitaient voter puissent le faire.
Notre groupe partage la crainte d’une reprise des violences en Nouvelle-Calédonie. Nous donnons l’alerte : il est nécessaire de trouver un accord avec toutes et tous, quelle que soit l’issue du vote aujourd’hui.
La liberté de vote étant l’ADN du groupe LIOT, je vous indique qu’une majorité des députés du groupe soutiendra ce texte, et qu’une minorité s’y opposera fermement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LIOT.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Tjibaou.
M. Stéphane Peu
Explique-leur une nouvelle fois !
M. Emmanuel Tjibaou
                        Je ne sais pas ce qu’il faut dire de plus, cependant je prends acte de ce qui a été décidé dans l’hémicycle.
Je prends acte de la volonté de cette assemblée de ne pas répondre aux problématiques politiques et institutionnelles qui traversent notre pays.
Je prends acte de votre choix de ne pas faire confiance à l’assise démocratique du suffrage, pourtant au fondement de toute république qui se veut légitime.
Je prends acte également de la décision du gouvernement de ne pas entendre les alertes formulées non seulement par le FLNKS, mais aussi par ceux de nos camarades parlementaires qui ont su tirer les leçons du passé. Ces alertes n’étaient pas des cris de colère, mais des appels à la raison, à la responsabilité, à la fidélité à la parole donnée.
Je prends acte, enfin, de votre volonté de décider à notre place, de parler pour nous, sans nous, de tracer, depuis Paris, les contours de notre avenir commun, sans même tenir compte des réalités vécues par le peuple que nous représentons. Avec le recul, je constate qu’un seul objectif semble désormais guider l’État : asseoir une légitimité de façade, qui viendrait sceller une fois pour toutes l’avenir de mon pays, sans prendre en considération la représentation légitime du peuple colonisé.
Le respect de la parole donnée n’est pas un simple exercice de rhétorique. Ce n’est pas un discours que l’on prononce puis que l’on oublie. C’est un engagement moral, un lien sacré entre les peuples, une promesse qui fonde la valeur de l’homme et la crédibilité de l’État. Rompre cette parole, c’est rompre le fil fragile qui relie la République à ceux qui, malgré tout, ont choisi de croire encore au dialogue. Je constate aussi, non sans amertume, qu’en démocratie les élections ne se tiennent plus à l’heure, mais à n’importe quelle heure selon les convenances politiques du moment. Cela nous interroge profondément sur ce que nous entendons encore par le mot « républicain ». Être républicain, est-ce imposer sa volonté au nom d’une majorité, ou bien garantir l’expression de tous, y compris de ceux qui ne pensent pas comme soi ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – M. Stéphane Peu applaudit également.)
Mes camarades, je le dis avec conviction : je resterai droit dans mes bottes. Je voterai contre le report prévu par cette proposition de loi organique, non par esprit d’opposition, mais par fidélité à nos engagements, à notre histoire et à la parole qui nous avait été donnée par le ministre d’État le 12 juillet. Il avait clairement indiqué que ce qui a été signé ce jour-là était un projet d’accord et que ce projet nécessitait la validation des structures. Aujourd’hui, cette parole n’a plus de sens, quand bien même le ministre d’État l’a réaffirmée à la délégation aux outre-mer. Une chose est sûre : je continuerai à porter haut et fort la parole de mon peuple, partenaire légitime des accords historiques qui ont permis à notre pays d’avancer sur la voie du dialogue et de la paix.
Cela a été une autre occasion, après celles qui ont existé notamment au sein du front de gauche à partir de 1981, car le droit à l’autodétermination avait été inscrit au cœur même du programme commun pour les territoires et départements d’outre-mer. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP.)
        
M. Stéphane Peu
C’est bien de le rappeler ! C’est bien, le programme commun !
M. Emmanuel Tjibaou
Nous demandons que l’on écarte enfin de nos têtes cette épée de Damoclès que vous brandissez au-dessus de nous, que l’on cesse de nous contraindre à discuter dans un cadre imposé. Le FLNKS a rejeté le projet d’accord de Bougival. Le ministre d’État a donné sa parole ; que l’État la respecte, cependant je ne crois pas que ce soit la volonté de la nouvelle ministre. Nous demanderons à l’entrevoir lorsqu’elle viendra en pays kanak pour le lui rappeler. Ce que nous voulons, c’est un avenir librement choisi, fondé sur le respect, la confiance et la reconnaissance mutuelle – rien de plus, mais rien de moins. Toutefois, à présent, la confiance en l’État est clairement entamée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP. – M. Emmanuel Duplessy applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Hanane Mansouri.
Mme Hanane Mansouri
                        Une fois encore, nous débattons d’un texte concernant la Nouvelle-Calédonie et, une fois encore, ce débat a lieu dans un climat de fragilité, de tension et d’incertitude. La proposition de loi organique qui vise à reporter le renouvellement du Congrès et des assemblées de province jusqu’au 28 juin 2026 aurait dû être une exception. Elle devient, sous ce gouvernement, une habitude. À force de repousser les échéances démocratiques, on finit par repousser la démocratie elle-même. Soyons clairs : ce report est nécessaire, mais il est aussi le symptôme d’un manque de courage et d’anticipation.
Les émeutes de mai et juin 2024 ont plongé la Nouvelle-Calédonie dans le chaos : quatorze morts, des centaines de blessés, des zones entières dévastées, des milliers d’emplois détruits. Ce drame aurait pu être évité si le gouvernement avait écouté les signaux d’alerte venus du terrain depuis des mois. Et c’est dans ce contexte que vous venez nous dire aujourd’hui qu’il faut du temps pour préparer les élections ? Mais ce temps, vous l’avez eu et vous l’avez perdu.
À l’UDR, nous croyons à la démocratie, mais nous croyons aussi à l’ordre. Nous savons qu’un scrutin organisé dans la précipitation serait dangereux pour la paix civile. La priorité est d’éviter la rechute, de reconstruire la confiance et de permettre à l’accord de Bougival, signé en juillet 2025, de produire ses effets. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce vote n’est pas un chèque en blanc.
Le gouvernement se cache derrière des motifs juridiques et des arguments techniques pour masquer une réalité politique : vous n’avez aucune stratégie claire pour la Nouvelle-Calédonie, aucune vision à long terme, aucune cohérence, aucune autorité.
Depuis dix ans, votre majorité pratique une politique du « en même temps » calédonien : en même temps on parle d’apaisement et on recule devant les émeutiers ; en même temps on parle d’unité et on tolère la montée des divisions ethniques et communautaires.
La vérité, c’est que vous gérez la Nouvelle-Calédonie comme un dossier administratif, non comme une terre française à part entière. Or ce territoire, c’est la France ; et la France n’est pas un simple signataire d’accords successifs, c’est une puissance qui protège, qui arbitre, qui décide. Oui, il faut donner du temps au dialogue, mais il faudra aussi rétablir l’autorité de l’État, qui s’est effondrée sous vos yeux. Il faudra rétablir la confiance et la clarté : trois fois de suite, la Nouvelle-Calédonie a choisi la France, il est temps que la France choisisse clairement la Nouvelle-Calédonie. Nous ne voulons plus d’un territoire suspendu ni d’une démocratie différée. Cette proposition de loi organique doit réaliser le report des élections, un report dicté par la raison et non par la peur.
Le groupe UDR votera cette proposition parce que nous croyons à la stabilité, mais nous le ferons en appelant le gouvernement à sortir enfin de la gestion pour redevenir une nation qui gouverne. La Nouvelle-Calédonie mérite mieux que des reports : elle mérite une vision, une autorité, une parole tenue. C’est cela, mes chers collègues, le véritable sens de ce vote : non pas prolonger l’attente, mais redonner un horizon clair. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Yoann Gillet.
M. Yoann Gillet
                        La Nouvelle-Calédonie est une terre de richesses, de diversité et de courage. Ce territoire stratégique du Pacifique détient à lui seul un quart des ressources mondiales en nickel, cet or vert qui façonne notre histoire depuis plus d’un siècle. Mais derrière ces richesses, les fragilités du territoire se sont révélées avec une intensité croissante au fil des années. Pourtant, les gouvernements successifs ont fermé les yeux, ayant laissé les crises s’accumuler sans jamais les affronter, parfois même en les alimentant.
À présent, la crise n’est plus conjoncturelle mais existentielle. En 2024, le PIB s’est effondré de près de 14 %, les recettes fiscales de plus de 20 % et la fermeture d’une usine majeure dans le nord a précipité des milliers de familles dans la précarité et l’inquiétude. La jeunesse s’exile, les entreprises ferment et la confiance s’effondre. La Nouvelle-Calédonie n’attend pas des réformes institutionnelles, mais des perspectives ; les forces économiques les attendent aussi, monsieur le ministre. Or le gouvernement fait exactement l’inverse. Incapable d’apporter des solutions économiques, il se réfugie une nouvelle fois dans la facilité : repousser les élections et entretenir l’illusion qu’un nouvel accord institutionnel suffira à ramener la paix et la prospérité.
Cependant, on ne bâtit pas un avenir en contournant la démocratie. Les Néo-Calédoniens ont déjà été privés de leur vote à deux reprises et, aujourd’hui, vous leur demandez d’attendre encore : encore quelques mois, encore quelques promesses, encore quelques illusions.
Nous le disons clairement : repousser les élections, c’est priver le peuple de sa parole, prolonger un mandat qui n’a plus de légitimité démocratique, maintenir un système institutionnel à bout de souffle, avec des représentants qui ne représentent plus. Je répète la question que j’ai déjà posée il y a une demi-heure : accepterions-nous ici, en métropole, sur l’ensemble du territoire national, de repousser les élections législatives ou présidentielles de deux ans ? Évidemment non.
Tout cela a lieu au prétexte de la mise en œuvre du pseudo-accord de Bougival signé en juillet dernier, que vous avez maladroitement tenté d’imposer alors qu’il n’était pas unanime, et que vous tentez maintenant d’effacer en retirant sa mention du titre de la présente proposition de loi organique, tout en admettant qu’il sera la base des prochaines discussions.
Monsieur le ministre, la situation est-elle idéale ? Certainement pas. La composition actuelle du corps électoral est-elle saine ? Peut-être pas non plus. Toutefois les élections sont le socle, la pierre angulaire de la démocratie. Elles garantissent la légitimité des institutions ; elles donnent sens à la République. On ne joue pas avec la démocratie.
Repousser encore les élections comme vous le proposez, c’est fragiliser le lien déjà si abîmé entre l’État et la population néo-calédonienne, c’est aussi prendre le risque de raviver les tensions. Le gouvernement commet une erreur de méthode majeure. Outre le report de ces élections, il place les institutions avant l’économie pour réparer des décennies de fractures. Or sans relance, sans prospérité, sans emploi, il n’y aura pas de stabilité politique durable. La prospérité partagée entre vitalité économique et solidité institutionnelle, voilà le seul levier de réconciliation et d’avenir pour la Nouvelle-Calédonie. Au Rassemblement national, nous refusons que ce territoire soit condamné à l’instabilité. La Nouvelle-Calédonie doit être ce qu’elle aurait toujours dû être : un relais de puissance pour la France dans le Pacifique, un pôle de prospérité et d’influence dans la région. (Mme Elsa Faucillon et M. Maxime Laisney s’exclament.)
Ce texte prolonge l’incertitude, nourrit la défiance et affaiblit la parole publique alors qu’il faudrait au contraire ouvrir la voie à un projet qui unirait toute la population, un véritable plan de relance et de confiance économique sur la longue durée, capable de rassembler toutes les forces vives du territoire autour d’objectifs concrets et communs. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Caure.
M. Vincent Caure
                        La proposition de loi organique visant à reporter les élections en Nouvelle-Calédonie qui termine aujourd’hui son parcours législatif a suscité, au cours de ces dernières semaines, de nombreux débats. Ce texte d’initiative sénatoriale ne fait pas l’unanimité au sein de notre assemblée ; cela n’a rien d’anormal étant donné ce dont nous discutons. Il a cependant pour lui une majorité politique convaincue qu’il est une étape dans l’histoire institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire un moyen et non une fin en soi. Il s’agit d’un point d’étape ou du commencement d’un nouveau cycle.
La semaine dernière, les débats en commission ont été à la hauteur de l’enjeu : l’avenir institutionnel, politique et démocratique d’un territoire profondément attaché à la République, mais aussi marqué par une histoire singulière. En effet, il n’est pas possible de parler de la Nouvelle-Calédonie et de son avenir sans s’intéresser à son histoire et au contexte – un contexte politique particulier, un contexte institutionnel dérogatoire, un contexte économique et social dégradé par les événements de l’année dernière. Il ne faut pas non plus oublier le chemin dans lequel nos discussions s’inscrivent, celui des accords de Matignon et de Nouméa – tout à la fois des écrits et la volonté de vivre ensemble.
Malheureusement, ces débats de qualité, où s’expriment nos désaccords républicains, n’ont pu avoir lieu dans cet hémicycle la semaine dernière. Ils ont été rendus impossibles par l’obstruction parlementaire : près de 2 000 amendements ont été déposés en moins de vingt-quatre heures, non pour enrichir le texte, mais pour bloquer son examen avant l’arrivée du budget. Cela revenait à condamner le processus politique de Bougival à l’échec.
Pourtant, je tiens à rappeler que ce texte n’était pas le fruit d’une démarche partisane ni d’un coup de force. Il a été lancé conjointement par les présidents de six des huit groupes du Sénat, des Républicains aux Socialistes. Quoi qu’en disent la France insoumise ou d’autres, ce texte est l’expression du consensus né de la conviction que la stabilité institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie doit primer sur tous les calculs partisans ou les enjeux de politique nationale. Certains invoquent sans cesse les accords de Matignon et de Nouméa, mais ils oublient l’esprit dans lequel ceux-ci ont été conçus : placer l’avenir de la Nouvelle-Calédonie au-dessus des intérêts des partis.
Face à cette situation, nous avons déposé, il y a une semaine, une motion de rejet préalable. Cette motion n’a en rien constitué un revirement sur le fond, mais elle a permis de garantir la continuité du travail parlementaire et d’aboutir au texte que nous examinons aujourd’hui, à l’issue d’une commission mixte paritaire conclusive.
Je tiens à rappeler que ni cette motion ni les débats qu’elle a suscités n’ont modifié notre position : nous demeurons convaincus de l’importance et de la portée de l’accord de Bougival. Fruit d’un long travail de concertation, cet accord trace les lignes d’un nouveau cadre institutionnel : naissance d’un État de Nouvelle-Calédonie, création d’une nationalité néo-calédonienne et dégel du corps électoral – autant d’éléments essentiels au vivre-ensemble et à la stabilité du territoire, qui sont attendus par nos compatriotes de l’hémisphère sud.
À cet égard, ce texte est l’illustration même de ce que le Sénat et l’Assemblée savent faire de mieux : la recherche d’un équilibre et d’un consensus, sans faire l’économie du dialogue avec les forces politiques locales. La ministre et le rapporteur l’ont dit : l’objectif final est bien d’avancer avec l’ensemble des acteurs, FLNKS compris. Aucun acteur ne dit ni ne souhaite le contraire. Aucun petit compromis ne vaudrait le grand, celui qui rassemblerait l’ensemble des forces politiques.
La commission mixte paritaire a su entendre les réserves exprimées quant à la mention de l’accord de Bougival. Ces préoccupations ont été prises en compte : la référence à cet accord a été retirée du titre de la proposition de loi, afin d’aboutir au plus large compromis possible.
La ministre l’a rappelé à plusieurs reprises au cours de nos échanges : l’objectif est de ramener l’ensemble des forces politiques, FLNKS compris, à la table des négociations. Il n’y aura pas de consensus durable sans l’ensemble de ces forces politiques. C’est cet état d’esprit qui doit être le nôtre aujourd’hui, au moment de voter – et nous devrons veiller à le conserver demain.
L’accord de Bougival est le fruit d’un long processus de discussion, de concertation, de compromis, entamé depuis plusieurs mois et concrétisé en juillet dernier. Ces discussions se poursuivent et elles ont vocation à perdurer ; nous devons en être les témoins et les garants, aux côtés des élus de tous bords en Nouvelle-Calédonie.
Nous faisons le choix de donner du temps au temps, comme l’a si justement rappelé notre rapporteur, Philippe Gosselin. Nous faisons le choix du refus du passage en force, comme l’a dit le ministre Laurent Panifous. Le calendrier sera celui du nouveau cycle de discussion, en attendant le consensus qui en sortira.
Nous voterons pour ce texte tel qu’il est issu de la commission mixte paritaire. Fidèle à l’esprit et à la méthode nés en 1988 et renouvelés en 1998, il nous permettra de construire l’avenir au cours des prochains mois. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur les bancs des commissions.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien Lachaud
                        Il est encore temps de renoncer à cette folie, à ce nouveau passage en force, à ce nouvel acte de la longue histoire coloniale en Kanaky Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
L’histoire se répète. Déjà au printemps 2024, vous vouliez un premier report des élections provinciales, pour dégeler le corps électoral. Vos votes, votre inconséquence, votre irresponsabilité ont déjà provoqué quinze morts, des centaines de blessés, des milliards de dégâts et une crise politique, économique, sociale et sanitaire qui met le pays au bord du gouffre. (Mêmes mouvements.)
Vous avez rouvert les plaies du passé. Vous avez mis fin à quarante ans de paix civile. Vous avez saboté un processus unique de décolonisation. Et aujourd’hui, vous voulez un troisième report. Initialement, vous avez annoncé que celui-ci devait permettre d’appliquer le projet de Bougival ; finalement, en commission paritaire, vous avez changé le titre du texte. Vous avez aussi retiré le projet de loi constitutionnelle déposé ce matin – avant, peut-être, de le réinscrire demain à l’ordre du jour. J’émets cette supposition, car la confiance est rompue. (Mêmes mouvements.)
Il faudrait à présent croire, alors que vous avez prétendu le contraire, que le report n’a rien à voir avec l’application du projet de Bougival. Mais, s’il ne s’agit pas de Bougival, qu’est-ce qui empêche le vote de se tenir maintenant ? La vérité, le collègue Metzdorf l’a dite crûment en commission : « Si l’on organisait les élections provinciales à la date prévue, cela engendrerait des difficultés car c’est le corps électoral gelé qui serait appelé aux urnes. Pensez-vous que les non-indépendantistes […] vont accepter que des élections se tiennent dans ces conditions […] ? » Mais de quelles difficultés parlait-il ? Le 19 septembre, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il n’y en avait pas.
Tout cela veut dire que vous reporterez les élections au lieu de laisser voter le corps électoral actuel. Votre objectif réel, c’est le dégel du corps électoral, pour maintenir la colonie de peuplement, parce que le président Macron veut garder la Nouvelle-Calédonie française. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR.)
        
M. François Cormier-Bouligeon
Nous aussi !
M. Bastien Lachaud
                        Tout le reste n’est qu’une mascarade, illusion, vue de l’esprit. Pour la puissance administrante, toucher unilatéralement au corps électoral, c’est un acte colonial pur et simple. N’avez-vous donc rien appris ? Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.
Vous voulez forcer la main du FLNKS qui ne veut pas parler de Bougival. Mais à l’Assemblée nationale – je pense, en particulier, à notre rapporteur – on aime penser qu’il serait possible de rediscuter de Bougival. Sur place, il est très clair que cela n’arrivera pas. Plus vous passez en force, moins les conditions du dialogue sont réunies.
Le FLNKS l’a redit très clairement aujourd’hui même : « Le FLNKS ne poursuivra pas le dialogue dans le cadre du projet d’accord dit de Bougival, qui s’éloigne à la fois de l’esprit et de la lettre de l’accord de Nouméa. La proposition de loi organique relative au report des élections doit être définitivement retirée, condition indispensable au rétablissement de la confiance et à l’ouverture d’un dialogue sincère avec des institutions renouvelées et légitimées par le suffrage populaire. » Les choses sont parfaitement claires. Quand les représentants du peuple premier disent non, c’est non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Les conditions du dialogue ne sont pas réunies, parce que les conditions de la confiance, difficilement renouée après mai 2024, sont de nouveau rompues. Vous ne pouvez pas truander une signature sur un projet d’accord, le transformer en accord historique et le publier comme un accord consensuel, alors qu’entre-temps, il a été formellement récusé par un acteur majeur, et ensuite espérer qu’on vous fasse confiance. Vous n’avez aucune parole et vous ne manquez jamais une occasion de le démontrer. (Mêmes mouvements.)
Vous n’aurez pas de consensus à l’Assemblée nationale s’il n’y a pas de consensus en Kanaky Nouvelle-Calédonie, car nous nous opposerons toujours à un passage en force. Comme l’écrivait Frantz Fanon, « le régime colonial est un régime instauré par la violence. » Il ne se maintient que par la violence et engendre toujours davantage de violence.
Face à un peuple qui lutte pour son émancipation et sa décolonisation, vous ne serez jamais assez forts. Vous n’aurez jamais assez de policiers et de gendarmes. Aucun ordre colonial, si violent soit-il, ne peut résister à la force d’un peuple qui se libère. Aucun artifice de procédure parlementaire n’a le pouvoir de forcer le consentement des personnes. C’est impossible. Une nouvelle fois, vous entraînez la France du mauvais côté de l’histoire. (Mêmes mouvements.)
Nous sommes à la croisée des chemins. Soit l’Assemblée nationale rejette le texte et nous avons alors une chance, si petite soit-elle, d’éviter d’aggraver encore la crise et le chaos. Les élections seraient organisées ; dès lors, il serait envisageable de parvenir à un accord. Soit l’Assemblée nationale adopte ce texte et met en route l’engrenage qui nous mène tout droit au dégel du corps électoral prévu et à un passage en force qui auraient des conséquences plus graves encore que celles du 14 mai 2024. Acceptez la démocratie ! Acceptez les élections ! Acceptez la décision du peuple ! Laissez les Calédoniens voter ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Les députés du groupe GDR applaudissent également.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte
                        « Le temps écoulé ne doit pas faire oublier, alors que s’estompent les souvenirs des années antérieures, tout le chemin parcouru » alertait Lionel Jospin, le 5 mai 1998, en apposant sa signature à l’accord de Nouméa.
Ce chemin parcouru, c’est une longue histoire. Je pense notamment au passé ombrageux des années 1980 qui aboutit aux accords de Matignon, en 1988, sous l’égide de Michel Rocard, puis à l’accord de Nouméa. Ce processus innovant, fondé sur le consensus et le dialogue, a été qualifié de décolonisation exemplaire.
Plus récemment, le chemin choisi a été celui du référendum pour exercer le droit à l’autodétermination. Le troisième et dernier référendum, organisé en 2021, a été un échec et ses résultats ont été contestés. Depuis lors, les discussions sont difficiles. En mai 2024, quand les macronistes, soutenus par la droite et le Rassemblement national, ont tenté un passage en force constitutionnel pour faire adopter le dégel du corps électoral, ils ont fait entrer la Nouvelle-Calédonie dans une nouvelle période sombre.
        
M. Gabriel Amard
Et alors ?
M. Arthur Delaporte
                        Depuis, la crise économique et sociale se poursuit. Alors que nous entamons les discussions budgétaires, rappelons qu’il est urgent d’allouer des fonds – et non des prêts ou des crédits – à la Nouvelle-Calédonie, qui est exsangue.
Toutefois, sans solution institutionnelle durable, sans perspectives politiques, sans retour de la confiance, il n’y a pas d’avenir possible. Il convient donc de dégager encore un peu de temps pour poursuivre les échanges.
L’an dernier, j’étais rapporteur d’un texte qui avait la même ambition et qui a été voté à l’unanimité.
        
Mme Mathilde Panot
Vous devriez vous poser des questions !
M. Arthur Delaporte
                        Il serait faux de dire que rien ne s’est passé depuis, même si la crise politique – nationale, cette fois-ci – a quasiment stoppé le processus depuis la fin de l’été. À Deva, puis à Bougival, les échanges ont été riches et les convergences nombreuses.
Des pistes institutionnelles innovantes sont désormais largement partagées. Des points de crispation demeurent, en particulier sur les modalités concrètes de l’exercice du droit à l’autodétermination. Il faudra avancer, mais ce n’est pas l’objet de ce texte.
Celui-ci prévoit un nouveau report des élections, qui doivent désormais se tenir le au plus tard le 28 juin 2026. Un tel report, qui n’est pas un acte anodin, n’est jamais satisfaisant. Toutefois, l’organisation d’un scrutin en moins d’un mois serait aussi un pari risqué.
        
M. Bastien Lachaud
Argument fallacieux !
M. Arthur Delaporte
                        Les élections provinciales s’embarqueraient sur une mauvaise base, celle d’un quasi-référendum sur l’accord de Bougival, alors que tous estiment qu’il n’est pas définitif.
Ce texte n’est pas une réforme constitutionnelle ; il ne décide pas non plus du dégel du corps électoral. Il est soutenu par la majorité du congrès de Nouvelle Calédonie, par des indépendantistes comme des non-indépendantistes. À l’issue du report, le mandat des assemblées de province aura donc duré sept ans, comme le mandat actuel des conseillers départementaux et régionaux, et probablement comme celui des prochains maires. Cependant, il faut entendre l’impatience des Calédoniens qui aspirent à une nouvelle respiration démocratique et à la signature d’un accord qui leur donnerait un horizon durable.
La commission mixte paritaire s’est réunie hier, le 27 octobre. Dans la continuité de ce qu’ont toujours été les engagements socialistes, en faveur de la recherche du consensus, et dans le prolongement d’une première modification de texte au Sénat, j’ai déposé une proposition de nouvelle rédaction du titre, qui a été adoptée.
La loi reportera donc les élections afin de permettre « la poursuite de la discussion en vue d’un accord consensuel sur l’avenir institutionnel ». Je le redis avec la plus grande clarté : les socialistes ne soutiendront pas une réforme constitutionnelle qui se ferait sans consensus. Il ne pourra pas y avoir d’évolution du corps électoral sans accord consensuel ni de passage en force – nous en serons les garants. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Il conviendra désormais de définir au plus vite les modalités de reprise des négociations. Le gouvernement devra prendre ses responsabilités.
Par ailleurs, je prends acte du retrait du projet de loi constitutionnelle de l’ordre du jour de notre assemblée, et j’attends beaucoup du déplacement prochain de la ministre des outre-mer à Nouméa.
Prononcés à Nouméa il y a vingt-sept ans, les mots de Lionel Jospin sont ô combien d’actualité : « chacun le sait, ces négociations ont été difficiles. Il a parfois semblé qu’elles étaient dans l’impasse, mais toujours une issue est apparue ». Gageons qu’une issue apparaisse. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
                        Un an après les émeutes de mai 2024, la Nouvelle-Calédonie porte encore les marques d’une tragédie nationale : quatorze morts, un gendarme décédé, plus d’une centaine de blessés parmi les forces de l’ordre, des centaines d’entreprises détruites, pour un coût estimé à plus de 1,2 milliard d’euros. Un an plus tard, les cicatrices sont encore là : un Calédonien sur cinq vit dans la précarité, 40 % des commerces du Grand Nouméa n’ont toujours pas rouvert leurs portes. Faut-il organiser des élections dans un territoire encore à genoux, ou faut-il lui donner le temps de se relever ? Aujourd’hui, la question n’est pas théorique. La paix civile est encore fragile et la reconstruction n’en est qu’à ses débuts.
Ce texte n’est pas le fruit d’un calcul politique ; c’est un choix de responsabilité nationale. Ce n’est ni une suspension de la démocratie, ni un blanc-seing donné à quiconque. C’est un geste d’apaisement, un temps offert au dialogue, pour que la République reprenne pied, calmement, sur ce territoire éminemment meurtri. Avec ce texte, il ne s’agit pas de voter pour ou contre l’accord de Bougival, mais simplement de créer les conditions de sa mise en œuvre en donnant à la parole politique le temps d’être comprise, expliquée et acceptée.
Le Conseil d’État a estimé dans un avis que ce report ne se heurtait à aucun obstacle, qu’il était proportionné, justifié par l’intérêt général et qu’il s’inscrivait dans un calendrier précis : un référendum sur l’accord en février 2026, une loi organique spéciale au printemps, des élections provinciales reportées au plus tard au 28 juin 2026. Ce report n’est donc pas un recul, mais une manière de parvenir à un équilibre permettant d’éviter la guerre civile, de sortir de l’impasse et de préparer l’avenir.
L’accord de Bougival signé le 12 juillet dernier n’est pas parfait, mais il a le mérite du courage. Il cherche à sortir du face-à-face stérile entre les loyalistes et les indépendantistes. Il acte que la Nouvelle-Calédonie reste française, tout en reconnaissant à la fois sa singularité et ses blessures. Il remet le dialogue au centre, là où la violence avait pris le dessus. Après Matignon en 1988 et Nouméa en 1998, l’accord de Bougival s’inscrit dans la tradition des grands accords républicains par lesquels la France a su trouver le chemin de la paix dans la discussion, et non dans la confrontation. Le présent texte n’est pas un débat sur l’accord de Bougival, mais constitue une étape pour que la paix ait enfin une chance de s’établir.
La Nouvelle-Calédonie n’est pas une carte électorale ou un terrain de jeu pour les calculs politiciens ; c’est une terre française qui souffre, où des familles ont tout perdu, où des communes manquent encore d’eau, de sécurité, d’écoles. Rejeter ce texte enverrait un signal terrible : celui de la division et du renoncement. Cela reviendrait à dire à ceux qui ont semé le désordre qu’ils ont gagné. Nous disons l’inverse. La République ne cède pas à la violence. Elle tend la main, mais elle ne tremble pas.
La Droite républicaine, fidèle à son histoire, choisit le chemin du courage et de la clarté : le courage de refuser les postures des extrêmes, la clarté de défendre la souveraineté de la France, et la volonté de construire un avenir commun au sein de notre République.
Oui, nous devons parler à tous les Calédoniens, car un accord durable ne se fera ni contre les uns ni sans les autres. Il faut reconstruire un contrat de confiance, redonner de l’espoir, du travail et, surtout, le goût du vivre-ensemble.
Mon groupe parlementaire votera en faveur de ce texte, parce que la République doit tenir bon. Parce que la Nouvelle-Calédonie mérite notre confiance. Parce que le vivre-ensemble, même s’il a été profondément abîmé, doit rester notre seule et unique boussole. Et, surtout, parce que nous croyons en l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, dans la République, avec l’ensemble de ses enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur les bancs des commissions.)
        
Mme la présidente
                        Avant de donner la parole aux derniers orateurs inscrits, je vous indique que la conférence des présidents a décidé qu’il serait procédé à un scrutin public sur la proposition de loi organique.
 Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
        
Mme Sabrina Sebaihi
Nous y revoilà. Ce texte revient devant nous, non pas parce que vous avez retrouvé le sens du dialogue, mais parce que vous avez dévoyé la motion de rejet préalable. Le socle commun a en effet rejeté son propre texte afin d’éviter tout débat et d’envoyer le texte en commission mixte paritaire, ce huis clos où les compromis se négocient loin du peuple et, surtout, loin de la Kanaky. Chez vous, la démocratie est tellement superflue que même lorsqu’un texte est rejeté, vous convoquez une nouvelle instance pour le faire passer en force ! Vous en changez le titre, comme si la simple inscription du mot « consensus » allait faire foi et loi.
Mme Sandra Regol
Eh oui !
Mme Sabrina Sebaihi
                        C’est une petite manœuvre et un gros scandale démocratique, car le fond du texte est toujours le même : reporter encore les élections provinciales, prolonger encore des mandats sans légitimité et repousser indéfiniment le droit des Kanaks à décider de leur avenir.
Ce texte était initialement la première étape du projet d’accord de Bougival, et nous saluons la prise de conscience du gouvernement, tardive mais bienvenue, qui a décidé de retirer de l’ordre du jour de notre assemblée le projet de loi constitutionnelle traduisant cet accord. Mais jusqu’à quand ?
Ce qui se joue ici n’est pas une simple question électorale : c’est une question de confiance construite et de parole tenue. Or, cette confiance est rompue.
Depuis quarante ans, la France promet à la Kanaky une émancipation négociée, un destin commun et une paix juste. Mais chaque gouvernement reprend le même refrain. Vous parlez d’apaisement pour mieux différer l’inévitable : celui de l’exercice par et pour les Kanaks de leur droit à l’autodétermination. Ce n’est pas moi qui l’invente depuis cette tribune ; c’est ce que dit la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations unies, toujours en vigueur, qui rappelle que la Kanaky Nouvelle-Calédonie reste un territoire non autonome à décoloniser.
L’histoire de ce territoire est marquée par la spoliation, la relégation et le mépris. L’anthropologue Alban Bensa, qui a longuement travaillé en Kanaky Nouvelle-Calédonie, racontait avoir été « sidéré par la violence coloniale » : des colons installés sur des milliers d’hectares et, à proximité, des milliers de Kanaks parqués dans une minuscule réserve, sans eau ni électricité. Ce constat n’appartient pas au passé : il illustre, encore aujourd’hui, les fractures d’un territoire où la promesse républicaine n’a jamais été tenue.
Comme le disait Jean-Marie Tjibaou, « les Kanaks vous emmerderont jusqu’à l’indépendance, que vous soyez contents ou pas contents ». Il ajoutait : « le plus dur, ce n’est pas de mourir ; le plus dur, c’est de se sentir étranger à son propre pays, de sentir que son pays meurt, et de rester impuissant à le relever ». Ces mots, quarante ans plus tard, résonnent toujours. Ils disent toute la douleur d’un peuple qu’on a voulu maintenir sous un joug colonial travesti en dialogue institutionnel.
Quand vous décidez seuls de reporter les élections, quand vous redessinez depuis l’Hexagone les règles du jeu politique d’un peuple colonisé, vous ne parlez pas de paix, mais de pouvoir. Vous ne parlez pas de dialogue, mais de domination. Vous ne parlez pas de réconciliation, mais de contrôle. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et GDR.)
En 2024, la réforme constitutionnelle sur le dégel du corps électoral avait déjà mis le feu au pays. Quinze morts, des centaines de blessés, des militants emprisonnés à des milliers de kilomètres de chez eux et 2 milliards d’euros de dégâts. Au lieu de tirer les leçons de ce drame, vous choisissez la fuite en avant.
La vérité, c’est que cette proposition de loi est le symbole d’une colonisation administrative moderne où le calendrier remplace le fouet, où les circulaires remplacent les troupes, où la véritable question est la mise en minorité des Kanaks au cœur de leur territoire premier. Le fond reste le même : imposer à un peuple le rythme et la forme de sa liberté.
Vous l’aurez compris, ce texte ne calme rien. Il ravive la blessure et réveille la mémoire d’un peuple qui n’a jamais été entendu. Quand vous parlez de « Nouvelle-Calédonie dans la République », vous oubliez surtout que la République n’a jamais su y être nouvelle ; qu’elle y est restée coloniale, sourde et condescendante.
À force de confondre la paix avec le silence, vous préparez le retour du fracas. À force de mépriser la parole des peuples, vous fabriquez de la colère. Cette colère, demain, pèsera sur vos épaules et sur celles de la République, qui ne sortira pas grandie de cette mascarade parlementaire mais affaiblie, entachée par sa propre petitesse. Car oui, c’est petit d’empêcher le débat. C’est petit d’instrumentaliser une motion de rejet pour bâillonner notre assemblée. C’est petit d’invoquer la paix tout en maintenant l’injustice. C’est petit de croire qu’on peut enterrer sous une pile de reports une cause aussi légitime que celle du peuple kanak.
Nous, écologistes, ne sommes pas dupes. Nous savons que la paix n’existe pas sans justice ; que la justice, c’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et GDR.) Nous voterons contre les conclusions de la commission mixte paritaire car l’histoire oubliera peut-être les petits calculs, les compromissions et les faux-semblants, mais elle retiendra la fierté et la constance d’un peuple qu’aucune domination n’aura jamais su faire taire. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et GDR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Martineau.
M. Éric Martineau
                        Nous examinons une proposition de loi organique qui vise, au-delà du report des élections provinciales, à poursuivre la discussion en vue d’un accord consensuel sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Déposé par six des huit groupes politiques au Sénat et adopté à une large majorité, ce texte illustre une volonté commune : apporter à la Nouvelle-Calédonie une réponse institutionnelle et politique durable.
Nous avons déjà voté à deux reprises pour le report des élections du congrès et des assemblées de province de l’archipel. Ces reports étaient motivés par la nécessité d’un retour au calme et d’une sortie de crise après les violentes émeutes déclenchées par le projet de réforme constitutionnelle prévoyant le dégel partiel du corps électoral pour les élections provinciales. Ces événements avaient plongé le territoire dans une crise sans précédent.
Le 12 juillet dernier, un accord préliminaire a été signé à Bougival entre l’ensemble des partenaires politiques calédoniens et l’État. Par la consécration d’un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie, il constitue une étape décisive dans le processus de négociation politique en vue du retour à la concorde civile et à la stabilité institutionnelle. Cet accord, porteur d’espoir et de responsabilité, doit être précisé, enrichi, traduit dans la loi et dans les faits.
C’est la raison d’être de cet accord et de cette loi organique : donner du temps au dialogue, à la reconstruction et à la démocratie elle-même. Mais cet accord, malgré une large adhésion des représentants calédoniens, suscite encore des interrogations et de la défiance ; nous le voyons aujourd’hui avec la motion de rejet précédemment présentée. Il faut, avec humilité, entendre ces doutes et les respecter.
Je participais hier à la commission mixte paritaire et je peux témoigner de la recherche de dialogue et de consensus sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Par l’amendement d’Arthur Delaporte, nous avons revu le titre de cette proposition de loi organique qui traduit désormais cette volonté, puisqu’elle vise à « reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d’un accord consensuel sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ».
Pour le groupe Les Démocrates, le report des élections n’est pas un recul de la démocratie : il en est au contraire la condition. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont reconnu que le législateur pouvait différer un scrutin pour un motif d’intérêt général en cas de circonstances exceptionnelles, à condition d’en préserver la périodicité raisonnable. Nous respectons ces principes. Les reports votés en 2024 et celui que nous proposons aujourd’hui n’ont qu’un seul objectif : garantir que la prochaine consultation se déroule dans la sérénité, sur la base d’un corps électoral clair, accepté et légitime. Reporter les élections au 28 juin 2026, c’est refuser la précipitation.
Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a approuvé, à une large majorité, l’adoption de cette proposition de loi organique. Il s’agit d’un appui local important à cette démarche. Le groupe Les Démocrates considère qu’il est primordial de maintenir le dialogue avec l’ensemble des partenaires pour écarter tout échec des négociations et toute conflictualisation des discussions. Nous avons soutenu ce texte en commission des lois, car il contribue à l’édification de la réforme institutionnelle de l’archipel, et nous continuerons à le soutenir tout en veillant à ce que la réforme soit respectueuse de toutes les sensibilités pour une paix durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Moulliere.
M. Jean Moulliere
                        Notre République doit être à la hauteur. Elle le doit à la Nouvelle-Calédonie qui peine à se remettre de la crise profonde survenue le 13 mai 2024. Cette crise a été à l’origine de dommages considérables, qui compromettront durablement le développement de l’île. Surtout, elle a ravivé les profondes blessures que la Nouvelle-Calédonie a déjà connues : le traumatisme des morts.
Le groupe Horizons & indépendants aborde la discussion des conclusions de la CMP avec beaucoup de gravité et d’humilité. Gravité d’abord : reporter les élections ne peut être une finalité dans un pays démocratique comme le nôtre. Notre groupe prête une attention toute particulière aux enjeux constitutionnels attachés à un nouveau report des élections provinciales. Notre démocratie peut en effet se prévaloir d’une exigence constitutionnelle de périodicité raisonnable de l’exercice du suffrage par les électeurs, qu’il convient de préserver. Humilité ensuite : la Nouvelle-Calédonie a toujours conduit l’État à adopter, pour ce territoire, des solutions ad hoc. Ainsi, ce texte vise à proposer une solution, certes pas idéale, mais nécessaire.
Les députés de notre groupe ont conscience que les élections provinciales ont déjà été reportées à deux reprises. Alors qu’elles auraient dû se tenir en mai 2024, un premier report avait été acté jusqu’au 15 décembre 2024, avant qu’un second report ne fixe la nouvelle échéance au 30 novembre 2025. Il convient toutefois de rappeler que le corps électoral des élections provinciales de Nouvelle-Calédonie est gelé depuis 1998. Ce gel, combiné aux évolutions démographiques de l’île, conduit à ce que les personnes exclues des listes représentent près d’un cinquième des électeurs. Les conséquences de ces chiffres au regard des principes d’universalité et d’égalité du suffrage sont indéniables.
C’est à cet enjeu de dégel du corps électoral, et à beaucoup d’autres, qu’ont répondu les forces politiques calédoniennes cet été. Le courage dont les Calédoniens ont fait preuve en se remettant à la table des négociations moins d’un an après la crise de 2024 a permis d’aboutir à une issue favorable, à la hauteur de l’histoire : l’accord de Bougival. Réunies cet été autour de l’ancien ministre d’État, ministre des outre-mer, Manuel Valls, les forces politiques calédoniennes ont trouvé une solution institutionnelle pérenne. En se mettant d’accord sur la consécration constitutionnelle d’un État de Nouvelle-Calédonie et sur une citoyenneté propre, en parallèle d’un dégel du corps électoral, elles ont fait le pari de la confiance.
Outre le fait qu’elles honorent la République tout entière, les avancées significatives de ces négociations justifient un nouveau report des élections. Ne pas prévoir un tel report, ce serait nier les progrès obtenus avec Bougival et les empêcher de se concrétiser. Il convient plutôt de poursuivre le travail pour expliquer, débattre et surmonter les désaccords qui ont pu émerger depuis, et permettre ainsi à cet accord de se matérialiser. Le groupe Horizons & indépendants tient d’ailleurs à assurer de tout son soutien la ministre Naïma Moutchou, dont l’engagement en faveur de nos outre-mer est et sera, nous le savons, sans faille. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
        
M. Matthias Tavel
Et où est-elle ? Elle n’est pas là !
M. Jean Moulliere
Afin de témoigner notre confiance à l’ensemble des acteurs calédoniens, nous voterons en faveur des conclusions de la commission mixte paritaire sur la présente proposition de loi organique. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique telle qu’elle est issue du texte de la commission mixte paritaire.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        535
        Nombre de suffrages exprimés                526
        Majorité absolue                        264
                Pour l’adoption                279
                Contre                247
        
                        (L’ensemble de la proposition de loi organique est adopté.)
 (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
        
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.)
                        Présidence de Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
vice-présidente
        
                            Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Projet de loi de finances pour 2026
Première partie (suite)
Mme la présidente
                        L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la première partie du projet de loi de finances pour 2026 (nos 1906, 1996).
J’informe l’Assemblée que la conférence des présidents a pris ce matin plusieurs décisions concernant l’organisation des débats relatifs à la première partie du projet de loi de finances pour 2026. Elle a d’abord fixé le principe selon lequel ne pourront s’exprimer sur chaque amendement qu’un orateur pour et un orateur contre. Par exception, un débat plus large pourra avoir lieu sur les amendements pour lesquels la commission des finances estime que cela est justifié. Par ailleurs, en raison des délais constitutionnels qui s’imposent à nous pour l’examen des projets de loi de finances, la conférence des présidents a souhaité que nos débats se déroulent à un rythme plus rapide. Elle a fixé une cible comprise entre vingt et vingt-cinq amendements par heure. S’il était constaté que le rythme d’examen des amendements n’était pas suffisant, la conférence des présidents a décidé que les temps de parole seront réduits de deux à une minute.
        
M. Jean-Michel Jacques
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
                        Madame la présidente, je viens en appui de la décision de la conférence des présidents que vous nous avez communiquée. Philippe Juvin et moi-même avons proposé le principe d’un orateur pour et d’un orateur contre. En effet, au rythme de 11,7 amendements par heure – moyenne constatée jusque-là –, nous terminerions l’examen de la première partie le 23 novembre, ce qui correspond à la date d’expiration du délai de quarante jours fixé pour l’examen de l’ensemble du projet de loi de finances en première lecture à l’Assemblée nationale. Nous avons donc cherché une solution pour réduire de moitié la durée d’examen de la première partie, ce qui suppose un rythme d’au moins vingt amendements par heure.
La conférence des présidents a chargé la commission des finances, plus précisément son rapporteur général, Philippe Juvin, et moi-même, son président, d’établir la liste des amendements qui selon nous méritent d’ouvrir une discussion plus large, en donnant la parole à un orateur par groupe. Nous vous communiquerons cette liste ce soir à vingt et une heures trente. Pour les autres amendements, nous nous en tiendrons au principe du « un pour, un contre ».
        
Rappels au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Matthias Renault, pour un rappel au règlement.
M. Matthias Renault
L’article 47, alinéa 2, de la Constitution dispose, à propos des projets de loi de finances : « Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de quarante jours après le dépôt d’un projet, le gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. » Quarante jours nous amènent au 23 novembre prochain. D’ici là, au rythme où nous allons – 300 amendements examinés sur 3 200 – soit nous n’allons pas au bout, et le projet sera transmis au Sénat dans l’état de la discussion, en retenant les amendements adoptés, soit nous ne parvenons à voter que la première partie, sans avoir le temps d’examiner la deuxième. Quoi qu’il en soit, que la conférence des présidents n’ait pas ouvert de nouveaux jours de séance dédiés au projet de loi de finances (PLF) avant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) acte quasiment le fait que ce budget n’ira pas au bout de son examen en première lecture.
Mme la présidente
La parole est à Mme Claire Lejeune.
Mme Claire Lejeune
Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 100, relatif à la bonne tenue des débats. Il reste 2 870 amendements à étudier. Le groupe LFI-NFP a pris toute sa part dans les débats importants et intéressants qui se sont tenus mais, disons-le clairement, si nous continuons à ce rythme, nous exploserons les délais et nous dirigerons tout droit vers les ordonnances. Dans ces conditions, le petit jeu consistant à faire semblant de respecter la parole des parlementaires n’est qu’un jeu de dupes.
M. Guillaume Kasbarian
Parlez moins !
Mme Claire Lejeune
Or nous ne comptons pas offrir au gouvernement la possibilité de faire porter aux parlementaires la responsabilité d’un passage en force. Aussi nous apprêtons-nous à retirer 15 % de nos amendements. Face aux délais qui nous incombent, nous avons pris nos responsabilités. Que cela pave le chemin pour que d’autres groupes fassent de même, y compris ceux qui sont censés soutenir le gouvernement mais qui ont fait exploser la jauge d’amendements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Après l’article 12 (amendements appelés par priorité – suite)
Mme la présidente
                        Je vous informe qu’à la demande du gouvernement, en application de l’article 95, alinéa 4, du règlement, l’Assemblée, à l’ouverture de la séance de ce soir, examinera par priorité, parmi les amendements portant article additionnel après l’article 12, les dix-huit amendements relatifs à la taxe sur les services numériques. À 21h30, la séance débutera donc par l’appel de l’amendement no 1950.
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.
        
M. Roland Lescure, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique
Nous avons en effet décidé d’appeler par priorité ces amendements afin que celles et ceux qui souhaitent en discuter sérieusement – je sais qu’ils sont nombreux – puissent s’organiser. La discussion sur ce sujet important débutera donc ce soir. Elle n’ira peut-être pas jusqu’au bout de la nuit, du moins je l’espère.
Mme la présidente
                        Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi de finances pour 2026, s’arrêtant aux amendements nos 1592 rectifié et 1951 portant article additionnel après l’article 12 et pouvant être soumis à une discussion commune.
L’amendement no 1592 rectifié de M. Charles Sitzenstuhl est défendu.
La parole est à M. Arnaud Saint-Martin, pour soutenir l’amendement no 1951.
        
M. Arnaud Saint-Martin
                        Cet amendement de principe, de raison, vise à supprimer le crédit d’impôt recherche (CIR) et à le réorienter pour financer un pôle public de la recherche véritablement efficace, au service de l’intérêt général. Les arguments ne manquent pas contre ce dispositif qui était censé améliorer la performance économique des entreprises de haute technologie ou innovantes, censé stimuler la recherche et développement (R&D) aux fins d’une croissance ainsi poussée. Nous savons désormais que le CIR a enflé jusqu’à devenir une niche fiscale très attractive, surtout pour certaines grandes entreprises déjà bien dotées pour optimiser toutes les ressources disponibles – les mêmes grands groupes qui reversent de copieux dividendes à leurs actionnaires. Cette niche nous coûte beaucoup : c’est la première dépense fiscale de l’État à destination des entreprises – 7,7 milliards d’euros en 2025, davantage que le budget du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Centre national d’études spatiales (Cnes) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) réunis, pour un retour sur investissement très relatif. Nous en avons débattu ici, les services de l’État l’ont évalué, de même que les experts en économie de l’innovation ou les spécialistes des politiques publiques ; beaucoup se sont montrés très critiques à son encontre. Il y a aussi ce que l’on dit dans la vraie vie sur les usages plus ou moins dicibles du CIR – des propos bien moins reluisants que les plaidoyers qui s’insinuent jusque dans cette assemblée. En off, en coulisses, s’exprime l’aveu d’une utilisation limite par le forçage des critères d’éligibilité, les activités de recherche revendiquées relevant parfois de la tambouille ; on évoque des trucages, des usages détournés qu’il serait difficile d’assumer publiquement, parfois même des fraudes.
Tout cela n’est pas sérieux. Le CIR est préjudiciable aux finances publiques, et surtout à la recherche publique, qui pourtant génère quantité d’applications technologiques et industrielles. Contre la marchandisation et la conversion de la recherche en un pur stimulant de la croissance économique, la suppression du CIR serait le moyen de renouer avec une recherche publique appliquée – pourquoi pas en partenariat avec des entreprises privées quand la chose est pertinente, en réfléchissant à des transferts, à de la valorisation et à des objectifs planifiés, comme ce fut le cas, naguère, quand il y avait une politique publique de la recherche digne de ce nom. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
Mme la présidente
                        Sur l’amendement n° 1951, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
 Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Philippe Juvin, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour donner l’avis de la commission.
        
M. Philippe Juvin, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre
                        Même avis. Nous aurons à examiner de nombreux amendements sur le crédit d’impôt recherche. Vous parlez d’un retour sur investissement insuffisant, monsieur le député ; 1 euro de CIR donne pourtant lieu à 1 euro de recherche privée, cela a été prouvé par de nombreuses études. Il n’existe pas d’aide publique aussi efficace en termes de retour sur investissement de l’euro public dépensé. Le mécénat culturel, par exemple, doit rapporter 0,2 ou 0,3 euro par euro d’argent public dépensé. Le CIR concerne 16 000 entreprises, dont 84 % de PME. Il représente 60 % des aides publiques à la recherche et développement, soit certes beaucoup d’argent, mais efficacement dépensé.
Par ailleurs, nous aidons la recherche autrement : le budget de l’enseignement et de la recherche sera l’un des seuls à augmenter l’année prochaine, avec les budgets régaliens. Nous soutenons la recherche, nous devons aider à l’innovation, et le crédit d’impôt recherche y participe.
        
Mme la présidente
La parole est à Mme Claire Lejeune.
Mme Claire Lejeune
L’amendement de Charles Sitzenstuhl n’a pas été défendu, c’est dommage…
M. Charles Sitzenstuhl
Si, j’ai dit « défendu » !
Mme Claire Lejeune
…parce qu’en proposant la suppression du CIR contre une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) de 25 à 22,5 %, il marque un terrible but contre son camp ! Vous qui passez votre temps à présenter le CIR comme un dispositif très important, ciblé, au service de cette innovation si cruciale pour la compétitivité des entreprises, vous êtes prêts à le troquer contre une diminution de fiscalité !
M. Charles Sitzenstuhl
C’était un amendement d’appel !
Mme Claire Lejeune
Vous validez notre raisonnement : il n’est pas autre chose qu’une immense niche fiscale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Charles Sitzenstuhl
Bien sûr qu’il s’agit d’une niche fiscale !
Mme la présidente
La parole est à M. Mickaël Bouloux.
M. Mickaël Bouloux
Des propositions visant à refondre le CIR seront examinées un peu plus tard. Le groupe Socialistes et apparentés votera donc contre les deux amendements en discussion commune.
Mme la présidente
Je vous propose de procéder à un scrutin public sur les deux amendements. Je mets aux voix l’amendement no 1592 rectifié.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        208
        Nombre de suffrages exprimés                205
        Majorité absolue                        103
                Pour l’adoption                3
                Contre                202
        
(L’amendement no 1592 rectifié n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 1951.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        213
        Nombre de suffrages exprimés                200
        Majorité absolue                        101
                Pour l’adoption                33
                Contre                167
        
(L’amendement no 1951 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
                        Sur l’amendement n° 823, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
 Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Emmanuel Taché, pour soutenir l’amendement.
        
M. Emmanuel Taché
Il vise à obliger les sociétés ayant bénéficié du crédit d’impôt recherche et qui délocalisent leur production à rembourser le montant octroyé lors des trois précédents exercices fiscaux. Les entreprises concernées perdraient également le droit de demander ce crédit d’impôt pour les trois prochains exercices. Seraient concernées les « sociétés qui délocalisent ou transfèrent volontairement à l’étranger une partie ou la totalité de leur activité, impliquant une fermeture ou une forte réduction de l’activité de sites en France, et une diminution du nombre d’emplois de l’entreprise en France ». (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Juvin, rapporteur général
L’idée n’est pas inintéressante.
M. Emeric Salmon
Ah !
M. Philippe Juvin, rapporteur général
Quand une entreprise touche une aide en France, cela doit d’abord profiter à l’économie française. Cependant les effets indésirables de la mesure que vous préconisez seraient nombreux.
M. Emeric Salmon
Pourquoi ?
M. Philippe Juvin, rapporteur général
Si cette disposition était votée, aucune entreprise ne prendrait le risque d’implanter un centre de recherche en France. Au reste, les sociétés qui développent beaucoup de recherche sont, par essence, implantées autant sur le sol national qu’en dehors. Quant aux sociétés qui ont plusieurs branches d’activité, elles seraient frappées dès qu’elles enverraient, ne serait-ce que de manière ponctuelle, une activité à l’étranger. Votre dispositif est trop large. Je vous suggère de retirer l’amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre
L’argument ne risque pas de vous fasciner mais le dispositif est totalement contraire au droit communautaire, lequel interdit de récupérer des aides de manière rétroactive en cas de déplacement d’un siège social au sein de l’Union européenne – dans un sens ou dans l’autre. Par ailleurs, il risque de désinciter des entreprises qui sont aujourd’hui encouragées à installer des centres de recherche en France ; elles iraient ailleurs. Bref je suis très réservé sur l’amendement qui va à l’encontre de l’objet même du crédit d’impôt recherche. Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Chenu.
M. Sébastien Chenu
Il s’agit d’un amendement anti-délocalisation. Au groupe RN, nous ne sommes jamais contre l’idée d’épauler certaines entreprises, à condition qu’il y ait des contreparties : le maintien ou la création d’emplois. L’amendement éclaire d’une lumière crue l’efficacité réelle du crédit d’impôt recherche. Le journaliste Matthieu Aron, qui n’est pas du tout proche de nous, a montré dans Le Grand Détournement : Comment milliardaires et multinationales captent l’argent de l’État, comment 270 milliards d’euros d’argent étaient versés à certaines entreprises sans contrôle réel. Le CIR fait partie de ces dispositifs qui mériteraient d’être revus. Bien sûr, vous trouvez des excuses – comme d’habitude, vous êtes complètement soumis à l’Union européenne ; nous continuerons quant à nous à lutter contre les délocalisations, en suivant la voie ouverte par cet amendement. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Dive.
M. Julien Dive
Même si l’amendement est inopérant eu égard au droit européen, il est intéressant, parce qu’il tend à redonner du sens à la valeur de l’argent public. La loi Florange de 2014, qui venait pourtant des bancs de la gauche, avait cette ambition, en instaurant des règles plus sévères vis-à-vis des entreprises, en particulier des multinationales, qui mettent en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) injuste puis délocalisent au sein même de l’Union européenne – en Pologne, pour ne citer que cet exemple. Elle n’est cependant pas suffisante, comme l’ont illustré quelques cas concrets dans les Hauts-de-France – je vous ai déjà interpellé à ce sujet, monsieur le ministre : les délocalisations continuent, parce que les entreprises ne sont pas sollicitées comme elles le devraient. Vous dites que le dispositif de remboursement visé par l’amendement, du fait de sa rétroactivité, n’est pas viable. La loi Florange prévoyait quant à elle à la fois une obligation de revitalisation du bassin d’emploi concerné et une obligation de reclassement du personnel mais, là aussi, les montants exigés des entreprises étaient bien trop faibles par rapport à la casse qu’elles engendrent. Aussi devrions-nous – pourquoi pas dans le cadre d’un projet de loi « Florange 2 » ? – réfléchir à intégrer, dans les enveloppes des conventions de revitalisation signées par les entreprises, un montant équivalent à celui du crédit d’impôt qu’elles ont perçu.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Roland Lescure, ministre
Monsieur Chenu, il ne s’agit pas d’un amendement anti-délocalisation mais d’un amendement anti-relocalisation. (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.) Nous avons annoncé en février 2025, lors du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, 109 milliards d’euros d’investissement en France dans des technologies très innovantes. Nous sommes l’un des champions mondiaux et le champion d’Europe dans ce domaine. Pensez-vous que les entreprises viendront s’installer dans notre pays si on leur dit qu’en cas de délocalisation d’une de leurs entreprises, elles n’auront plus de crédit d’impôt recherche et qu’elles devront le rembourser ? Ce n’est pas possible.
M. Alexandre Sabatou
C’est le minimum, non ?
M. Roland Lescure, ministre
                        Vous dites que le crédit d’impôt recherche n’est pas contrôlé. Or c’est un des dispositifs fiscaux les plus contrôlés, à tel point que je suis régulièrement interpellé par plusieurs d’entre vous, quels que soient les bancs, à propos d’entreprises de vos circonscriptions qui se plaignent d’un redressement fiscal à propos du CIR, ou de ne pas avoir reçu les sommes prévues, ou d’avoir des retards de paiement faute d’avoir communiqué le bon document à l’administration. Il s’agit donc d’un crédit d’impôt très surveillé et très contrôlé.
Monsieur Dive, vous soulevez un problème réel. Nous avons eu l’occasion de traiter certaines situations dans votre région lorsque j’étais ministre de l’industrie. Les entreprises qui partent doivent s’engager dans la revitalisation du territoire – d’abord en cherchant un repreneur, ensuite en assurant, dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, la formation et la requalification des salariés. C’est ce que nous avons fait dans le Cambrésis, souvenez-vous : alors que deux usines importantes fermaient – Buitoni et Tereos –, nous avons trouvé des repreneurs et nous avons fait payer ces entreprises pour obtenir un plan de revitalisation du territoire. Nous sommes donc capables de le faire et nous continuerons. Faut-il une loi pour cela ? C’est à vous d’y travailler.
        
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 823.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        175
        Nombre de suffrages exprimés                156
        Majorité absolue                        79
                Pour l’adoption                93
                Contre                63
        
                        (L’amendement no 823 est adopté.)
 (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
        
M. René Pilato
Ils sont où les macronistes ?
M. Pierre Pribetich
Il est où le bloc central ?
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 347.
M. Michel Castellani
Le sujet revient sur la table depuis des années lors de chaque examen du projet de loi de finances. L’amendement vise à offrir un cadre fiscal en soulageant d’une partie de l’impôt les installations de production d’hydroélectricité exploitées par les collectivités territoriales et situées en zone non interconnectées (ZNI). L’idée n’est pas de soutenir les consommateurs d’électricité – ils le sont par ailleurs – mais d’aider les collectivités territoriales à investir dans cette énergie propre qu’est l’hydroélectricité.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Juvin, rapporteur général
C’est un problème propre à certaines régions de France et en particulier à la Corse. Il s’agirait d’exonérer d’impôt sur les sociétés les installations hydroélectriques qui ne sont pas interconnectées au réseau métropolitain. Toutefois je crains que votre projet, monsieur Castellani, ne fasse doublon avec d’autres avantages fiscaux dont peuvent déjà bénéficier ces installations, notamment dans le cadre d’appels à projets de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), créant ainsi des effets d’aubaine. Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre
Je mesure l’enjeu, notamment pour la Corse, des écarts de coût de production dans les zones non interconnectées. Des dispositifs existent déjà. Sont-ils insuffisants ? Il faudrait l’évaluer. Si l’on adopte votre amendement, son dispositif risque d’être requalifié en aide d’État, ce qui nous mettra en difficulté. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
(L’amendement no 347 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Loïc Prud’homme, pour soutenir l’amendement no 2493.
M. Loïc Prud’homme
On entend souvent, dans cet hémicycle, de grands discours pour la défense des agriculteurs, en faveur de l’agriculture à la française et de ceux qui nous nourrissent. Mais quand il s’agit de passer aux actes, on n’entend plus personne.
M. Vincent Descoeur
Au contraire !
M. Loïc Prud’homme
                        Défendre les agriculteurs, c’est avant tout défendre leurs revenus. Nous savons tous que la valeur ajoutée, fruit du travail des producteurs, est largement captée par des intermédiaires, de l’industrie agroalimentaire à la grande distribution. Mais il y a un acteur dont on parle trop peu, qui dévore littéralement la valeur produite par les agriculteurs et leur maintient la tête sous l’eau : les grandes coopératives agricoles.
Au départ, les coopératives incarnaient un beau projet : mutualiser les moyens, protéger les petits producteurs, décider ensemble. Mais aujourd’hui, moins de 3 % d’entre elles concentrent 85 % de la production. Certaines sont devenues de véritables empires industriels, avec plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires, des filiales implantées partout, des dirigeants grassement rémunérés et des logiques d’achat à prix bas, à l’opposé de la solidarité paysanne.
Pendant ce temps, ces géants continuent de profiter d’un cadeau fiscal royal : une exonération quasi totale d’impôt sur les sociétés. Ces groupes qui brassent des milliards ne payent pas l’IS tandis que les PME agroalimentaires passent à la caisse. C’est une injustice complète, une concurrence déloyale, mais aussi une insulte à la promesse républicaine d’égalité devant l’impôt. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Cet amendement est de bon sens : il vise à conserver l’avantage fiscal pour les vraies coopératives, celles qui servent les paysans et leur revenu, celles de proximité, celles qui incarnent encore l’esprit coopératif. Mais au-delà de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, ça suffit ! Quand on joue dans la cour des multinationales, on doit en assumer les aléas. Nous proposons de remettre un peu de justice dans un système perverti, de faire respirer les petits et moyens producteurs, de redonner du sens au mot « coopérative ». Alors si vous prétendez défendre le monde paysan et les agriculteurs, prouvez-le en votant cet amendement ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
        
Mme la présidente
                        Sur cet amendement no 2493, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
        
M. Philippe Juvin, rapporteur général
Vous voulez exclure de l’exonération d’impôt sur les sociétés les coopératives agricoles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros. Ce faisant, vous risquez de fragiliser la compétitivité des coopératives.
M. Nicolas Sansu
À part Avril, il n’y a guère de coopératives à plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires !
M. Philippe Juvin, rapporteur général
L’exonération d’impôt dont elles bénéficient est très encadrée et se limite aux opérations réalisées avec les associés coopérateurs eux-mêmes. Avis défavorable.
M. Nicolas Sansu
C’est octobre en Avril !
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre
                        Nous sommes nombreux à soutenir le modèle coopératif, à l’instar de M. Potier ici présent. Pourquoi leur enlever l’ambition ? Évidemment, il faut que ce soient de vraies coopératives qui fassent du vrai travail coopératif. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) M. le rapporteur général l’a bien dit : c’est très contrôlé, notamment par le Haut Conseil de la coopération agricole.
À 999 millions d’euros de chiffre d’affaires, on serait une coopérative et, à 1,1 milliard, on ne le serait plus et on ne toucherait plus d’exonération ? Au contraire, nous voulons davantage de coopératives à 1 milliard ! Je trouve que c’est un très bon modèle pour préserver les revenus des agriculteurs…
        
M. Maxime Laisney
Si ça marchait, ça se verrait !
M. Roland Lescure, ministre
…et pour acheter de manière responsable. Je demande le retrait de cet amendement qui me paraît contre-productif. (M. Guillaume Kasbarian applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Dominique Potier.
M. Dominique Potier
                        Pour répondre à Loïc Prud’homme, une mission d’information sur le secteur coopératif dans le domaine agricole a remis son rapport en février 2022. Nous y avons fait plusieurs recommandations pour retrouver l’esprit de Rochdale et ses principes, qui ont présidé à la fondation des coopératives : un homme égal une voix, droit d’entrée pour tous, partage équitable des bénéfices. Certaines coopératives se sont éloignées de cet idéal par des pratiques d’écart de revenus, de capitalisation, parfois d’externalisation.
La taille est le plus mauvais des critères. On pourrait envisager, dans le cadre d’une réforme structurelle, de retirer l’avantage fiscal des coopératives si elles ne réalisent pas une véritable démocratie interne, si elles n’associent pas l’ensemble du monde paysan et ne défendent pas son revenu, si elles ont des filiales externalisées, notamment dans des pays en voie de développement qui ne respectent pas les droits humains ou l’environnement.
Je préfère avoir, dans l’économie sociale et territoriale, des champions français qui soient coopératifs, plutôt que des multinationales pilotées uniquement par des actionnaires venant du monde entier. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.) Je défends le modèle coopératif. Nous devons être exigeants sur l’exercice du métier mais le critère de la taille me paraît être le moins adapté à l’objectif que vous visez et que, je crois, nous partageons. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC. – M. Frédéric Petit applaudit également.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Loïc Prud’homme.
M. Loïc Prud’homme
Monsieur le ministre, vous méconnaissez vraiment le monde de la coopération agricole. Les agriculteurs eux-mêmes nous le disent : les coopératives n’achètent plus à des prix équitables ; elles se sont tellement éloignées du modèle coopératif qu’elles pressurent les agriculteurs et achètent au plus bas. N’allez pas nous faire croire que ces grandes structures qui font des milliards d’euros de chiffre d’affaires sont encore régies par des principes tels qu’« un homme, une voix » – ou « une femme, une voix », pour introduire un peu de parité ! Déplacez-vous un peu dans le territoire et vous verrez : comme en témoignent de nombreux articles de presse, ces coopératives sont dirigées par une poignée de dirigeants…
M. Jean-François Coulomme
C’est du lucratif !
M. Loïc Prud’homme
…et les agriculteurs se trouvent dépossédés de cet outil et même de leur droit de vote. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 2493.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        226
        Nombre de suffrages exprimés                220
        Majorité absolue                        111
                Pour l’adoption                42
                Contre                178
        
(L’amendement no 2493 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
                        Sur l’amendement no 1877, je suis saisie par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
 Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Daniel Labaronne, pour soutenir les amendements nos 1877 et 1878, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
        
M. Daniel Labaronne
L’amendement no 1877 vise à supprimer l’exonération de l’impôt sur les sociétés pour l’ensemble des bailleurs sociaux. L’amendement no 1878 tend à conditionner cette exonération au fait que les bailleurs sociaux construisent des logements ou gèrent des situations locatives compliquées. Il existe des « dodus dormants » qui profitent de l’exonération.
M. Pierre Pribetich
N’importe quoi ! Il n’y a pas de « dodus dormants » !
M. Daniel Labaronne
J’ai le droit de défendre mes propositions ! Ces deux amendements résultent du travail conduit dans le cadre de la mission d’information sur les dépenses fiscales et budgétaires en faveur du logement et de l’accession à la propriété, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur avec Charles de Courson. Ces propositions visent, en définitive, à inciter les bailleurs sociaux qui ne construisent pas à le faire. Même si toute une série de raisons peuvent conduire les bailleurs à ne pas construire, on peut réfléchir à un dispositif plus juste.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Philippe Juvin, rapporteur général
                        Ces deux amendements sont très intéressants. M. Labaronne avait présenté un rapport d’information sur le sujet à la commission des finances, en 2023, soulignant que, parmi les dépenses fiscales dont bénéficient les bailleurs, l’exonération d’IS était décorrélée des investissements qu’ils réalisent.
Pour faire évoluer la législation, la commission avait repoussé l’amendement no 1877 et accepté l’amendement no 1878. Ce dernier tend à instaurer une conditionnalité de l’exonération, qui permettrait à un cercle vertueux de s’enclencher, poussant les bailleurs sociaux à investir dans la construction de logements.
Avis défavorable à l’amendement no 1877 et favorable à l’amendement no 1878.
        
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre
                        Demande de retrait. Vos amendements partent d’une excellente idée : il y a de l’argent qui dort et il s’agirait de le remettre au travail. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Ces exemptions d’IS concernent souvent des bailleurs sociaux qui ont construit leurs logements il y a fort longtemps, qui les ont amortis et qui n’investissent plus dans des constructions neuves. D’autres bailleurs sont au contraire dépourvus des moyens de construire. Dans le très social, il existe une exemption de TVA qui la porte à un taux réduit de 5,5 % ; dans le social, en revanche, les taux sont de 10 %.
On pourrait envisager, avec les sénateurs ou dans le cadre de travaux ultérieurs, de supprimer l’exemption d’IS et de s’assurer que les sommes ainsi récoltées, au lieu d’être abondées au grand budget de l’État, soient utilisées pour réduire le taux de TVA pour les constructions neuves dans le social – dans un jeu à somme nulle entre des montants équivalents. Ces 400 millions seront ainsi, en quelque sorte, recyclés dans de vraies constructions de logements neufs pour le parc social – tout le monde y trouverait son compte de la même manière, le bailleur social qui bénéficiait auparavant de l’exemption de l’IS aussi bien qu’un autre.
Je vous propose donc de retirer vos amendements, dans la perspective d’un travail ultérieur sur cette très bonne idée.
        
Mme la présidente
                        Sur l’amendement no 1878, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Inaki Echaniz.
        
M. Inaki Echaniz
                        Monsieur le ministre, je crois vous avoir entendu annoncer que le sujet du logement serait reporté à un autre moment ; c’est pourtant bien du logement que nous débattons à présent – il faudrait peut-être clarifier l’ordre des amendements.
Monsieur Labaronne, je tombe de mon strapontin en lisant vos amendements : même Guillaume Kasbarian, le Milei français, n’a pas rien osé défendre de pareil ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS.) Je tombe à nouveau de mon strapontin quand j’entends M. le ministre affirmer que ce n’est pas une mauvaise idée. Où étiez-vous ces huit dernières années, monsieur Labaronne ? Votre gouvernement, en dix ans, a ponctionné plus de 10 milliards sur le dos des bailleurs sociaux ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.) Peut-être est-ce là la raison de leurs difficultés actuelles ! Même sur vos propres bancs, il commence à se dire que c’était une erreur que de leur faire payer la RLS – la réduction du loyer de solidarité. Peut-être est-ce pour cela que notre pays, jour après jour, s’enfonce dans une crise du logement ! Crise au beau milieu de laquelle, pourtant, ce sont encore les bailleurs sociaux qui construisent un logement sur deux et qui logent les Françaises et les Français – la France telle qu’elle est. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS. – M. Stéphane Peu applaudit également.)
Il serait peut-être temps de faire machine arrière, de reconnaître vos erreurs et de redonner aux bailleurs sociaux les moyens d’investir dans du logement durable et accessible. Alors non, monsieur le ministre : ce n’est pas une bonne idée que de soumettre les bailleurs sociaux à l’IS. (« Eh non ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ce qui serait une bonne idée, en revanche, c’est de baisser la RLS et de permettre ainsi au secteur du logement social, comme au secteur du logement privé, de bâtir du logement digne et abordable pour les Françaises et les Français.
Je le dis et je le répète : la politique du logement est un investissement qui rapporte au budget de l’État. Cessez donc votre politique comptable et investissez, enfin, pour en récolter les fruits dans les secteurs du logement, du BTP – bâtiment et travaux publics – et du travail en général. Tant que la question du logement n’aura pas été réglée, toutes les politiques publiques ne seront que du vent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
        
Fait personnel
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Kasbarian, pour un fait personnel.
M. Guillaume Kasbarian
                        Je prends la parole sur le fondement de l’article 70 de notre règlement, puisque j’ai été nommément attaqué par M. Echaniz. (Protestations sur les bancs du groupe SOC.)
M. Echaniz, sitôt qu’il est question de logement social, est prêt à accepter toutes les exonérations d’impôt sur les sociétés, toutes les exonérations de taxe foncière, toutes les exonérations de TVA : il défend systématiquement le logement social, même quand ce n’est pas justifié. (Mêmes mouvements.)
        
Après l’article 12 (amendements appelés par priorité – suite)
Mme la présidente
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson
Le coût de l’exonération d’IS dont nous débattons est d’un peu moins de 1 milliard. Certains disent qu’il faudrait prendre ce milliard pour le redonner à ceux qui investissent le plus.
M. Roland Lescure, ministre
Bah oui !
M. Charles de Courson
Mais ce qui est proposé ici est tout autre chose : une suppression sèche de l’exonération. On pourrait recycler ce milliard pour aider des organismes HLM : certains ne peuvent pas beaucoup investir, pour différentes raisons, d’autres ont de très gros besoins. Ce n’est toutefois absolument pas ce que proposent ces amendements ; on ne peut donc pas les voter.
Mme la présidente
La parole est à M. Daniel Labaronne.
M. Daniel Labaronne
Cher collègue de Courson, vous auriez pu sous-amender ! Votre proposition est tout à fait pertinente et peut-être mon amendement n’était-il pas tout à fait parachevé.
M. Matthias Tavel
Retirez-le !
M. Daniel Labaronne
Il aurait été intéressant de recycler ce milliard en faveur des bailleurs sociaux qui construisent véritablement,…
M. Ian Boucard
Ceux qui rénovent !
M. Daniel Labaronne
…ceux qui rénovent et qui font vraiment le job.
M. Pierre Pribetich
Vous avez détruit le logement social !
M. Daniel Labaronne
On ne va pas non plus s’invectiver ! Je retiens la proposition du ministre de retravailler cette idée pour l’approfondir et pour l’améliorer. Mes amendements étaient des amendements d’appel, destinés à susciter le débat : l’objectif est atteint…
M. Emmanuel Grégoire
Ah ça, bravo !
M. Daniel Labaronne
…et je les retire donc. (« Ah ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
(Les amendements nos 1877 et 1878 sont retirés.)
M. Inaki Echaniz
Je suis heureux de voir que je vous ai fait peur !
Mme la présidente
                        Je suis saisie de trois amendements, nos 1938, 1341 et 3315, pouvant être soumis à une discussion commune.
 La parole est à M. le président de la commission des finances, pour soutenir l’amendement no 1938.
        
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
                        Cet amendement, qui avait déjà été adopté l’an dernier par cette assemblée, représente ce qui peut se faire de plus vertueux et de plus efficace en matière de justice fiscale. Il corrige, en effet, deux situations : d’une part, l’inégalité de fait des entreprises, en France, devant l’impôt ; d’autre part, l’optimisation fiscale pratiquée par les multinationales.
Au sujet des inégalités, tout d’abord, le taux implicite brut de l’impôt – cela a été dit hier – est de 14 % pour les grandes entreprises, quand il est de 21,4 % pour les PME.
Lors de la mission d’information sur la fiscalité des entreprises que nous avons conduite avec Jean-René Cazeneuve, nous avons cependant décrit une plus grande injustice encore : celle de ces entreprises qui peuvent manipuler des prix de transfert, localiser des actifs incorporels dans des paradis fiscaux ou encore contracter des emprunts auprès d’une filiale du même groupe localisée dans un pays à faible fiscalité – autant de procédés qui permettent aux multinationales de déduire de leurs bénéfices imposables une partie de leur charge d’intérêt.
Chaque étude réalisée sur la question a estimé que le manque à gagner du fait de ces pratiques se chiffrait, pour la France, à 34 milliards d’euros. C’était vrai, en 2015, selon une étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) ; c’était toujours vrai, en 2022, selon une étude menée par plusieurs économistes.
L’amendement vise à corriger cet état de fait par une imposition au prorata de l’écart entre le chiffre d’affaires réalisé en France par la société et le bénéfice qu’elle y déclare. Quand le second est totalement déconnecté du premier, on peut supposer que les profits ont été délocalisés dans des paradis fiscaux.
La mesure proposée est rentable. L’année dernière, nous avions estimé qu’elle représentait 26 milliards d’euros de recettes pour l’État, chiffre repris dans le rapport d’équilibre du gouvernement Barnier, à la fin de la discussion de la partie recettes du PLF pour 2025.
Si la France procédait de cette manière, elle ouvrirait également une voie. C’est à un mal mondial que nous nous attaquerions : sur les 2 800 milliards réalisés par les multinationales à l’étranger, un tiers sont des profits délocalisés dans des paradis fiscaux, situés pour moitié d’entre eux dans l’Union européenne.
Adopter l’amendement permettra de corriger ce problème et d’apporter des milliards de recettes à notre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
Mme la présidente
                        Je suis saisie de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 1938 par les groupes Rassemblement national et La France insoumise-Nouveau Front populaire ; sur l’amendement no 1341 par le groupe Écologiste et social ; sur l’amendement no 3315 par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Clémentine Autain, pour soutenir l’amendement no 1341.
        
Mme Clémentine Autain
                        Chaque année, environ 40 % des bénéfices des multinationales sont délocalisés dans les paradis fiscaux. Cette injustice fiscale porte atteinte au consentement à l’impôt, qui est au fondement de notre Constitution ; elle nourrit également le ras-le-bol fiscal de nos très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME), qui, elles, paient leur part. Pour nos recettes fiscales, la perte s’élève à 36 milliards par an. Devant une telle situation, il n’est plus possible, au nom de notre prétendue impuissance face à la globalisation, de rester les bras croisés. Il est de notre devoir de mettre fin à ce séparatisme fiscal et d’assurer l’égalité devant l’impôt entre les multinationales et les petites et moyennes entreprises.
Afin de lever de nouvelles recettes fiscales à la mesure de nos besoins de financement dans la transition écologique et les services publics, nous proposons, par cet amendement, d’imposer une taxation minimale sur les multinationales. Il convient, pour cela, de réduire le « déficit fiscal », c’est-à-dire la différence entre l’impôt dont la multinationale devrait s’acquitter au niveau mondial si ses bénéfices étaient taxés à 25 % et l’impôt effectivement acquitté. La France est légitime pour lever la part d’impôt qui lui revient sur ce déficit fiscal – autrement dit le ratio entre le chiffre d’affaires réalisé sur notre territoire par l’entreprise et son chiffre d’affaires mondial. Il sera ainsi possible d’exiger un impôt minimum de 25 % sur les multinationales en proportion de leurs activités en France. Ce taux minimum est à la mesure de nos besoins de financement.
Cette proposition, inspirée des travaux de Gabriel Zucman («  Ah ! » sur les bancs du groupe RN),…
        
M. Thierry Tesson
Grand penseur !
M. Pierre Cordier
Il ne lui reste qu’à se présenter à la présidentielle !
Mme Clémentine Autain
…rapporterait 26 milliards par an à l’État – quand M. Lecornu en cherche 30. Elle permettrait de mettre fin au nivellement par le bas, dans le monde, des taux d’imposition sur les sociétés, nivellement qui contribue à la concentration de l’extrême richesse aux mains de quelques-uns.
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Maurel, pour soutenir l’amendement no 3315.
M. Emmanuel Maurel
                        Rédigé dans le même esprit que les précédents, inspiré de travaux parlementaires anciens, il a reçu un très large assentiment en commission des finances. Il vise à instaurer une taxation unitaire des multinationales, autour d’un principe de base qui recueillera, je pense, l’assentiment de tous les collègues : taxer les bénéfices là où est exercée l’activité réelle. Par le jeu des prix de transfert, en effet, un certain nombre de très grandes entreprises – Amazon, Google, McDonald’s et bien d’autres encore – planquent leurs bénéfices dans des paradis fiscaux et échappent à l’impôt. Cela se traduit, chaque année, pour la France, par une perte de dizaines de milliards d’euros de recettes fiscales.
Ce sujet a été soulevé au niveau européen. Un certain nombre d’États membres de l’Union européenne bloquent cette discussion, étant eux-mêmes des paradis fiscaux. Il faut bien qu’un pays, à un moment, montre l’exemple et trace un chemin. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.) Nous proposons que la France soit ce pays et qu’elle trace ce chemin, comme elle a su le faire, jadis, avec la taxe Gafam ou, surtout, la taxe sur les transactions financières : cette dernière, très contestée hier, est plébiscitée aujourd’hui.
Nous proposons donc que si une entreprise réalise 10 % de son chiffre d’affaires mondial en France, 10 % de ses bénéfices mondiaux y soient imposés au taux en vigueur. Nous mettrions ainsi fin à l’impunité dont jouissent les entreprises pratiquant l’optimisation fiscale – il faudrait plutôt parler d’évasion fiscale. Une telle impunité est insupportable car, comme l’ont très bien dit M. Coquerel et Mme Autain, pendant que les PME paient plein pot, les grosses entreprises ne paient rien et échappent à l’impôt ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS ainsi que sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
        
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
M. Philippe Juvin, rapporteur général
                        La commission a en effet adopté l’amendement no 3315 de M .Sansu et rejeté les autres amendements.
Cela étant, je crains que ces amendements ne soient contraires à l’accord dit pilier 2 de l’OCDE, décliné dans une directive européenne de 2022. L’objet de cet accord est justement d’éviter l’évasion fiscale – la concurrence fiscale entre les pays. Pouvons-nous fixer unilatéralement un taux à 25 %, là où l’accord a fixé un taux à 15 % ? En droit, nous ne le pouvons pas, puisque cela reviendrait à nous mettre en contradiction avec une directive européenne. Nous pourrions toujours travailler à modifier cette directive mais il nous faudrait alors déployer également nos efforts à l’OCDE, pour faire changer le taux.
Si, malgré tout, nous décidions de nous affranchir de ce taux, quel serait l’effet économique ? Les entreprises, ayant le choix entre un pays qui respecte la règle des 15 % et nous, avec une taxation unilatérale à 25 %, choisiraient de quitter notre pays pour s’installer dans celui qui applique la règle la plus favorable.
Avis défavorable à titre personnel. Mais, je le répète, la commission a adopté l’amendement de M. Sansu.
        
M. Nicolas Sansu
Eh oui !
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre
                        Mme Autain parle de récupérer 20 milliards d’euros. En réalité, on va surtout récupérer 20 milliards d’ennuis – pour ne pas dire autre chose. (« Oh ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Nous avons signé 125 conventions fiscales, avec autant de pays.
        
Mme Alma Dufour
Et les résultats ne sont pas brillants ! (Mme Alma Dufour fait un zéro de la main.)
M. Roland Lescure, ministre
                        Vous avez tort, les résultats sont loin d’êtres nuls ! Ils sont évalués à quelque 500 millions d’euros, je vais y revenir.
En réalité, vos amendements reviennent à taxer deux fois les profits. Que vont faire les entreprises ? Elles n’iront pas à Genève, Washington ou New York mais saisiront le juge français, qui constatera que le dispositif ne respecte pas la convention fiscale signée par la France – et il faudra donc rembourser. Résultat : beaucoup de bruit pour rien.
Pendant ce temps, de notre côté, nous avons travaillé : cela fait des années que nous œuvrons pour amener la communauté internationale à adopter ce qu’on appelle le pilier 2 de l’OCDE, c’est-à-dire une taxation minimale de 15 % sur les multinationales,…
        
Mme Christine Arrighi
Il y a plein d’exceptions !
M. Roland Lescure, ministre
…y compris dans certains pays européens qui pratiquaient du dumping fiscal. Ce mécanisme commencera à produire ses effets dès l’année prochaine, et son rendement est estimé à 500 millions – d’euros, pas d’ennuis.
Mme Alma Dufour
500 millions potentiels !
M. Roland Lescure, ministre
Quand vous parlez des entreprises, on a parfois l’impression que ce sont de grands méchants capables de s’installer où ils veulent, de faire des profits où ils veulent, et de payer leurs impôts où ils veulent. Prenons Alstom, une grande entreprise industrielle française, deuxième constructeur de trains au monde – le premier étant chinois. Alstom construit des trains dans le monde entier. L’entreprise construit plus de trains en France qu’elle n’en vend dans notre pays, et il est vrai qu’elle est moins profitable chez nous que dans d’autres pays où elle installe des usines. Vous proposez donc de taxer deux fois les trains qu’Alstom vend en Allemagne, aux États-Unis ou dans les pays émergents ? (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Clémentine Autain
C’est faux ! C’est sur le déficit fiscal !
M. Roland Lescure, ministre
Bravo ! Vous allez simplement l’inciter à construire ses trains ailleurs ! Votre dispositif va vraiment dans le mauvais sens.
Mme la présidente
La parole est à M. Manuel Bompard.
M. Manuel Bompard
                        Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, vos arguments ne sont pas recevables. Nous parlons d’un amendement dont le rendement est estimé à 20 ou 25 milliards d’euros pour le budget de l’État – sa plus grosse recette ; vous nous répondez que des travaux sont engagés dans le cadre de l’OCDE, avec à la clé 500 millions à 1 milliard, péniblement récupérés dans quelques années.
La pratique des prix de transfert, qui permet à certaines multinationales de ne pas payer en France la part d’impôts qu’elles devraient y verser, engendre un manque à gagner de 36 milliards d’euros pour le budget de l’État selon les estimations du Cepii – agence rattachée à Matignon. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Et vous nous dites qu’on ne peut rien faire – qu’on ne va rien faire –, que ce serait contraire à telle ou telle règle !
Mais le dispositif que nous proposons n’est contraire à aucune règle. Il s’agit simplement de faire évoluer la législation et le système d’imposition français. Notre proposition est très simple : si le ratio entre le bénéfice déclaré en France et le bénéfice mondial ne correspond pas au ratio entre le chiffre d’affaires réalisé en France et le chiffre d’affaires mondial, alors on récupère la différence et le manque à gagner en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) C’est parfaitement compatible avec la législation française et le droit international. (M. le ministre fait non de la main.) Si, demain, un accord est trouvé au sein de l’OCDE pour généraliser cette pratique, tant mieux. Mais, pour l’instant, cet accord n’existe pas. (M. Frédéric Petit s’exclame.) Et tant qu’il n’existe pas, nous pouvons agir unilatéralement pour faire entrer ces recettes. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Chers collègues macronistes et de droite, il ne s’agit pas d’imposer davantage les entreprises ou les multinationales mais, simplement, de faire en sorte que le taux d’imposition légal soit effectivement appliqué. Si vous vous y opposez, cela signifie que vous cautionnez des pratiques malhonnêtes – des pratiques d’évasion ou d’optimisation fiscales. (M. Frédéric Petit s’exclame.) Et quand vous empêchez l’État de récupérer ce manque à gagner, ce sont les Français qui paient – avec toutes les erreurs que contient votre budget. Vous n’avez pas d’excuses, votez pour cet amendement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M. Jean-Paul Mattei
On peut se faire plaisir en prétendant qu’on va générer des recettes fiscales mais votre amendement ne fonctionne pas. D’abord, il ne dit pas ce que vous affirmez – vos propos sont contradictoires avec l’exposé des motifs. Ensuite, il existe des conventions internationales, qui reposent sur deux principes fondamentaux : établissement stable et absence de double imposition. (Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Pouria Amirshahi
Absolument pas !
M. Manuel Bompard
Rien à voir !
M. Jean-Paul Mattei
Votre amendement ne peut pas fonctionner dans ce cadre légal et vous émettez donc des hypothèses qui ne tiennent pas – le droit et les conventions internationales s’appliquent.
Mme Christine Arrighi
Il ne s’agit que de récupérer la différence !
M. Jean-Paul Mattei
S’il y a un contentieux, nous serons obligés de rembourser. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et EPR. – M. Jean-François Coulomme s’exclame.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 1938.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        296
        Nombre de suffrages exprimés                296
        Majorité absolue                        149
                Pour l’adoption                207
                Contre                89
        
                        (L’amendement no 1938 est adopté ; en conséquence, les amendements no 1341 et 3315 tombent.)
 (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR. – Plusieurs députés du groupe LFI-NFP et quelques députés du groupe EcoS se lèvent.)
        
M. Sébastien Chenu
Merci qui ?
Quelques députés du groupe RN
Ingrats !
Mme la présidente
                        Sur l’amendement no 2459, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
 Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Jérôme Legavre, pour soutenir l’amendement.
        
M. Jérôme Legavre
                        Dans la continuité de l’amendement précédent, il s’agit de dénoncer les avantages fiscaux considérables dont bénéficient certaines très grandes entreprises, en l’espèce CMA-CGM.
CMA-CGM, ce sont 14 milliards d’euros de bénéfices nets en 2024 – parmi les plus élevés des entreprises françaises. Pourtant, l’entreprise bénéficie d’une niche fiscale qui l’exonère totalement d’impôt sur les sociétés. À la place, elle s’acquitte d’une taxe au tonnage : pour chaque tonne de marchandises convoyée, elle verse – royalement – 24 centimes d’euro. Résultat, en 2023, CMA-CGM a payé 180 millions d’euros d’impôts, à rapporter à ses 14 milliards de profits. Si elle avait été soumise à l’impôt sur les sociétés, comme les autres entreprises, elle aurait versé plusieurs milliards.
On comprend comment son propriétaire, Rodolphe Saadé, peut se constituer un empire médiatique à la hauteur de ses ambitions – et, disons-le, conforme à ses intérêts.
Au regard des sacrifices que l’on demande à la majorité de la population – aux malades atteints de maladies chroniques, aux étudiants, aux travailleurs –, une telle situation est obscène. Il est donc impératif de revenir sur les avantages fiscaux injustifiables dont bénéficie cette entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Juvin, rapporteur général
                        La commission a rejeté l’amendement. Cette taxe existe dans la plupart des pays maritimes du monde et une vingtaine de pays l’appliquent au sein de l’Union européenne, dont tous ceux qui possèdent une grande compagnie maritime. Enfin, 90 % de la flotte mondiale est couverte par un régime similaire.
Cette taxe a rempli son rôle en matière de souveraineté européenne : trois des quatre premiers armateurs mondiaux sont européens – suisse, danois et français.
Quelles seraient les conséquences de la suppression de cette taxe ? Cela affaiblirait une grande industrie française et provoquerait probablement, à terme, la disparition de CMA-CGM – 155 000 salariés dans le monde, dont 4 000 à Marseille. Nous prenons également le risque de voir disparaître des recettes en croissance régulière si nous continuons à exercer une pression fiscale excessive. Il faut réfléchir aux effets économiques de telles mesures : en supprimant cette taxe, vous allez tout simplement gommer la base taxable.
Avis défavorable.
        
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre
Sans vouloir revenir sur l’épisode précédent, je m’étonne que des groupes parlementaires qui prétendent avoir vocation à gouverner la France puissent tirer une balle dans le pied des entreprises, en votant un amendement qui revient à ne pas respecter 125 conventions internationales. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs des groupes DR et HOR.)
M. Jean-François Coulomme
La balle dans le pied, c’est vous !
M. Roland Lescure, ministre
                        Bravo, madame Le Pen, vous pouvez être fière de vous ! (Mme Marine Le Pen s’exclame.) Ce vote envoie un message limpide à l’ensemble de nos partenaires – et aux vôtres également, d’ailleurs. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe EPR.) C’est un bras d’honneur à 125 pays – bravo ! (Mme Marine Le Pen et M. Sébastien Chenu s’exclament.) La France tire une balle dans le pied de ses entreprises qui rayonnent à l’étranger alors qu’elle prétend attirer des entreprises. On vivra pauvre, on vivra seul, mais au moins on aura voté un bel amendement – je le répète, bravo ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs des groupes DR et HOR.)
Quant à la taxe au tonnage, c’est devenu un marronnier. Tous les ans, on y revient. Les bateaux, vous savez, ne volent pas, ils naviguent ; et, le rapporteur général l’a rappelé, le siège social de CMA-CGM se situe à Marseille, où l’entreprise emploie 4 000 salariés. Si CMA-CGM part, nous perdrons 4 000 emplois.
        
Mme Sandra Marsaud
Ils n’aiment pas les entreprises !
M. Roland Lescure, ministre
Cinq très grandes entreprises internationales transportent la majorité des marchandises mondiales. Parmi elles, un champion français, troisième entreprise mondiale de transport maritime – dont je suis extrêmement fier. Les autres sont suisse, danois, chinois et allemand. Et tous bénéficient du régime de la taxe au tonnage. Les bateaux de CMA-CGM continueront à naviguer même si vous supprimez ce régime. Mais les profits, eux, ne seront plus chez nous, pas plus que les 4 000 employés marseillais.
Mme Sandra Marsaud
Quelle honte !
Mme Liliana Tanguy
Lamentable !
M. Roland Lescure, ministre
Même l’Olympique de Marseille n’aura plus de sponsor. Avis très défavorable donc, même si je suis supporter du PSG. (Sourires. – Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Didier Le Gac.
M. Didier Le Gac
La taxe au tonnage n’est ni une niche fiscale ni une spécificité franco-française. C’est un régime d’imposition qui concerne 86 % de la flotte mondiale. Si nous supprimons ce régime en France, nous ne serons plus compétitifs par rapport aux autres pays.
M. Vincent Descoeur
Eh oui !
M. Didier Le Gac
                        Un mot sur CMA-CGM : sur certains bancs de cet hémicycle, dès qu’une entreprise commence à faire des bénéfices –  a fortiori quand elle en fait beaucoup –, elle devient suspecte. CMA-CGM est une compagnie maritime française, dont le siège est en France. C’est la troisième plus grande compagnie maritime au monde. Elle emploie 1 200 navigants français, dont 425 officiers. Chaque année, 20 % des officiers formés à l’École nationale supérieure maritime sont embauchés par l’entreprise. Rien qu’en 2024, 130 navigants ont été recrutés.
Cette semaine, CMA-CGM a pris livraison de son trentième navire sous pavillon français – Le Syracuse. Un trentième navire ! J’estime donc que c’est une entreprise patriote. En 2025, elle a versé une contribution exceptionnelle de 500 millions d’euros et en 2024, une contribution volontaire de 200 millions pour alimenter un fonds de transition énergétique à la demande du gouvernement.
Vous, je ne sais pas ; mais moi, je suis fier de CMA-CGM ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe DR.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Cazeneuve, pour un rappel au règlement.
M. Pierre Cazeneuve
Sur le fondement de l’article 43 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, je souhaite rappeler l’importance de la sincérité des débats et de l’évaluation budgétaire des mesures que nous adoptons. Si l’on lit attentivement l’exposé des motifs de l’amendement qui vient d’être adopté, on se rend compte que nous venons d’ajouter 22 milliards d’euros de pression fiscale sur les entreprises françaises. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Bastien Lachaud
Des milliards de recettes supplémentaires !
M. Pierre Cazeneuve
Cela revient à assommer littéralement l’économie de notre pays ! (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs des groupes RN, LFI-NFP et Ecos.)
Mme la présidente
Ce n’est pas un rappel au règlement, monsieur Cazeneuve.
M. Pierre Cazeneuve
Il s’agit de la sincérité de nos débats ; c’est le règlement de l’Assemblée nationale. Madame Le Pen, vous n’avez pas été… (La présidente coupe le micro de l’orateur.)
Mme la présidente
                        Vous vous exprimez sur le fond, monsieur le député. Ce n’est pas un rappel au règlement.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
        
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
                        Monsieur le ministre, il faudrait peut-être arrêter de jouer l’arbitre des d’élégances en décrétant qui, ici, peut prétendre ou non être une force de gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Je vous rappelle que la taxe qui a été votée faisait partie du programme de la coalition arrivée en tête aux législatives de l’an dernier – coalition qui, contrairement à vous, aurait eu la légitimité pour gouverner. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Ensuite, il faut aussi arrêter de dire n’importe quoi. Premièrement cette disposition n’est pas contraire au pilier 2, parce que le pilier 2 fixe un minimum de 15 % d’impôt sur les sociétés, et ce minimum, même s’il est souvent traduit ainsi, n’est pas un plafond maximum. Les États ont donc le droit de taxer comme ils l’entendent –…
        
Mme Liliana Tanguy
Et de se faire hara-kiri !
M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
                        …et le niveau de la taxe est d’ailleurs souvent au-dessus de 15 %.
Enfin, il n’y aura pas non plus de renégociation des accords bilatéraux, tout simplement parce que l’imposition de ces multinationales se fera ici, en France, selon le calcul que nous aurons adopté souverainement à l’Assemblée nationale.
Que vous soyez en désaccord est une chose mais n’invoquez pas de faux arguments ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 2459.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        251
        Nombre de suffrages exprimés                249
        Majorité absolue                        125
                Pour l’adoption                76
                Contre                173
        
(L’amendement no 2459 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
                        Je suis saisie de trois amendements, nos 2478, 2390 et 2480, pouvant être soumis à une discussion commune.
Sur les amendements nos 2478 et 2390, je suis saisie, respectivement, par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Socialistes et apparentés de demandes de scrutin public.
 Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Jérôme Legavre, pour soutenir l’amendement no 2478.
        
M. Jérôme Legavre
                        Il s’agit d’un amendement de repli visant à limiter l’avantage fiscal de la taxe sur le tonnage pour le transport maritime à 100 millions d’euros. Au-delà de cette somme, les entreprises seront imposables selon le barème de l’impôt sur les sociétés.
Les arguments qui nous ont été opposés ne tiennent pas la route. Vous nous faites toujours le même chantage à la délocalisation, mais je peux vous citer des dizaines de sociétés à qui l’ont fait des ponts d’or depuis des années, sous forme d’exonérations de cotisations sociales ou d’aides publiques, mais qui réclament toujours davantage. Chaque année elles obtiennent plus, avant de finir par délocaliser. Sanofi, par exemple, qui bénéficie du crédit d’impôt recherche, a délocalisé sa branche recherche aux États-Unis et ses branches à main-d’œuvre peu coûteuse en Inde. Un paquet de grosses sociétés font la même chose et cela pourrait parfaitement s’appliquer à ce dont nous sommes en train de parler.
Vous agitez la menace du chantage mais ceux à qui on dit qu’ils vont devoir se sacrifier, ceux qui vont voir rognés tous leurs revenus, les malades atteints de maladies chroniques qui vont voir leurs remboursements diminuer et leurs indemnités journalières attaquées, qu’ont-ils le droit de dire ? Qu’ont le droit de dire ceux qui vont voir augmenter le prix du timbre des titres de séjour et qui risquent de se retrouver en rupture de droits ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Ceux-là n’ont jamais voix au chapitre ! En regard, le système que vous défendez est choquant. On marche sur la tête ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Brun, pour soutenir l’amendement no 2390.
M. Philippe Brun
                        L’amendement que j’ai l’honneur de présenter au nom des Socialistes a été adopté l’an dernier par la commission des finances et l’Assemblée nationale. Il vise, non pas à supprimer la niche armateur – nous venons de tenter de le faire, sans succès – mais à en limiter le coût. On peut maintenir ce dispositif de compétitivité commun à l’ensemble des pays européens, mais en corriger les excès par l’établissement d’un seuil de déclenchement au-delà duquel, dans les années où l’armateur réalise des bénéfices exceptionnels, ceux-ci sont assujettis à l’impôt sur les sociétés, comme pour n’importe quelle entreprise.
Il est incroyable que, cette année, CMA-CGM, qui a réalisé 5 milliards de bénéfices, ne soit pas taxée à 25 % comme le serait une boulangerie ou n’importe quelle autre société de transport et d’affrètement – par exemple, la SNCF. Non, CMA-CGM ne sera taxée qu’à 0,2 %, ce qui est absolument anormal.
Si nous devons maintenir cette niche, il faut en plafonner les bénéfices à 500 millions d’euros, au-delà desquels s’appliquera l’impôt sur les sociétés. C’est un bon compromis, qui permet de rétablir l’équité et la justice fiscale, tout en préservant la compétitivité de nos armateurs français.
        
Mme la présidente
                        L’amendement no 2480 de Mme Claire Lejeune est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
        
M. Philippe Juvin, rapporteur général
                        Ces amendements modifient les règles d’application de la taxe au tonnage de manière plus ou moins importante, mais tous, je le crains, risquent d’affaiblir CMA-CGM et, au-delà, notre souveraineté maritime. C’est parce que nous avons CMA-CGM que nous avons des emplois à Marseille et dans les ports ; c’est pour cela que nous avons encore une école française de marine marchande ; pour cela que la France peut contrôler peu ou prou ses chaînes d’approvisionnement et demeurer une nation souveraine en matière maritime – sans parler de l’importance des transports maritimes dans une économie ouverte.
Vos propositions fragilisent les équilibres d’un système très concurrentiel ; si nous les adoptons, nos concurrents ne nous imiteront pas. C’est très dangereux car il n’y a rien de plus facile pour une société maritime que de délocaliser : il suffit de changer de pavillon et de port, le choix est vite fait. N’obérez pas la souveraineté de la France et de l’Europe, demandez-vous plutôt pourquoi il n’y a plus que trois grandes sociétés maritimes en Europe, qui lui permettent de conserver sa puissance. C’est à cause de la concurrence internationale.
Avis défavorable.
        
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre
Si une niche est trop importante, il suffit de la raboter mais, en l’occurrence, vos amendements ne touchent qu’une entreprise et ils n’auront qu’une conséquence, c’est que l’entreprise en question ira voir ailleurs. Pour ma part, je reste convaincu, comme le rapporteur général, qu’une entreprise de calibre mondial dans ce secteur très concurrentiel, c’est un atout pour la France et des retombées positives multiples – par exemple, la possibilité d’acheminer de l’aide d’urgence à Mayotte après le cyclone, ce pour quoi les Suisses, les Allemands ou les Chinois ne nous auraient pas forcément aidés. Je vous mets donc en garde contre ces amendements, presque identiques au précédent : les petites entreprises continueront à bénéficier de la taxe au tonnage ; la plus grosse, elle, partira. Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Cazeneuve.
M. Pierre Cazeneuve
                        Afin que tout le monde comprenne la portée de l’amendement no 2478, il me semble important de revenir sur ce qui a été adopté. J’ai entendu les collègues du Rassemblement national s’effarer quand j’ai fait remarquer que c’étaient les entreprises françaises qui allaient être touchées par l’amendement qu’ils venaient de voter. Oui, chers collègues du Rassemblement national, à travers « toute personne morale ayant une activité en France », ce sont les entreprises françaises que vous venez de taxer massivement de plusieurs dizaines de milliards d’euros, abîmant leur compétitivité. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Madame Le Pen, vous n’étiez pas là ces deux derniers jours et on a pu croire que le Rassemblement national avait changé de logiciel pour un modèle probusiness mieux adapté à la réalité économique de ce pays. Mais il vous suffit de vous retrouver quatre heures sur ces bancs pour en revenir à une alliance avec La France insoumise (Exclamations redoublées sur les mêmes bancs), dans le but de taxer toujours plus les entreprises : vous venez de voter un amendement promu par l’association Attac, visant à taxer les multinationales de plusieurs milliards d’euros – les multinationales françaises, les LVMH, les L’Oréal, tous nos fleurons ! Vous venez de faire n’importe quoi ! Votre parole est complètement décrédibilisée. Rentrez chez vous ou retournez à la foire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – Exclamations persistantes sur les bancs du groupe RN.)
        
Mme la présidente
J’aimerais que l’on arrête les interpellations et les provocations, et que l’on écoute M. Nicolas Sansu, qui a maintenant la parole.
M. Nicolas Sansu
                        Nous allons soutenir ces amendements, mais de quoi parle-t-on exactement ? À vous entendre, on a l’impression qu’on saigne CMA-CGM. Or CMA-CGM a fait à peu près 6 milliards d’euros de bénéfice en 2024. Avec l’amendement de Philippe Brun, elle acquitterait une contribution de 1,2 milliard ce qui, sur 6 milliards, n’a rien d’exceptionnel et laisse quand même 4,8 milliards pour réaliser la décarbonation et les investissements nécessaires au maintien d’une flotte marchande de qualité. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP.)
Mais n’oublions pas que CMA-CGM, ce n’est pas que cela : le groupe profite de ses profits exceptionnels pour influencer l’opinion en achetant des médias, dont certains ne jouent pas le jeu du pluralisme. (Mêmes mouvements. – Mme Christine Arrighi et M. Philippe Brun applaudissent également.)
Il faut aussi être capable de dire que nos grandes sociétés doivent être patriotes. Je ne doute pas que M. Saadé soit un patriote, et ces taxes ne devraient pas l’empêcher d’investir en France et d’y rester.
        
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 2478.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        245
        Nombre de suffrages exprimés                245
        Majorité absolue                        123
                Pour l’adoption                87
                Contre                158
        
(L’amendement no 2478 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 2390.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        228
        Nombre de suffrages exprimés                228
        Majorité absolue                        115
                Pour l’adoption                79
                Contre                149
        
(L’amendement no 2390 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je propose que nous soumettions l’amendement suivant également à un scrutin public. Je mets aux voix l’amendement no 2480.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        242
        Nombre de suffrages exprimés                242
        Majorité absolue                        122
                Pour l’adoption                85
                Contre                157
        
(L’amendement no 2480 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
                        Je suis saisie de trois amendements, nos 2485, 686 et 835, pouvant être soumis à une discussion commune.
 Les amendements nos 686 et 835 sont identiques.
 La parole est à M. Aurélien Le Coq, pour soutenir l’amendement no 2485.
        
M. Aurélien Le Coq
                        Nous proposons que la CMA-CGM et, disons-le clairement, Rodolphe Saadé paient un minimum d’impôt. Après vous avoir proposé la suppression de la niche fiscale, nous vous proposons qu’à tout le moins la taxe au tonnage soit indexée sur l’inflation. C’est un amendement qui devrait recueillir un large consensus quand on sait que Rodolphe Saadé lui-même, qui a réalisé des profits pharaoniques, s’est dit favorable à ce qu’on augmente la contribution des plus riches de ce pays. C’est donc presque un amendement demandé par M. Saadé, et vous aurez toutes et tous à cœur de le voter.
Rappelons que nous parlons d’une niche qui coûte à l’État 5,76 milliards d’euros par an et permet d’exonérer quasi entièrement d’impôt la CMA-CGM, qui n’a acquitté en 2024 que 180 millions d’euros sur un profit net avoisinant les 14 milliards – et 24,9 milliards en 2022 ! Rendez-vous compte : cette entreprise paie 3 % d’impôt sur ses bénéfices et sur ses profits…
        
M. Philippe Brun
Cela peut descendre jusqu’à 0,2 % !
M. Aurélien Le Coq
                        J’entends même que ce taux peut descendre jusqu’à 0,2 % les années où l’écart est le plus important, sachant que 3 % est le taux à retenir pour l’année 2024.
Le présent amendement ne peut donc qu’être consensuel. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
Mme la présidente
                        Sur l’amendement n°686, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
 Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean-René Cazeneuve, pour soutenir l’amendement.
        
M. Jean-René Cazeneuve
                        Je ne sais pas bien comment je dois prendre le fait d’avoir été copié par le Rassemblement national et la France insoumise. (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Je voudrais redire que nous sommes très favorables à la taxe au tonnage, pour toutes les bonnes raisons qui ont été données jusqu’à présent. Nous sommes très fiers d’avoir un champion mondial du transport maritime.
Dans ce secteur, les entreprises peuvent, certaines années, gagner beaucoup d’argent ou au contraire en perdre. Elles doivent donc payer la taxe au tonnage même les années où elles perdent de l’argent. Cela s’est déjà produit.
L’amendement a pour objectif d’ajuster chaque année, en fonction de l’inflation, l’impôt qu’elles paient. Aucune actualisation n’a été faite depuis 2003, soit depuis très longtemps. La taxe serait ainsi indexée sur l’inflation.
        
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy, pour soutenir l’amendement no 835.
M. Jean-Philippe Tanguy
                        Nous avions déposé cet amendement, collègue Cazeneuve, parce que nous avions peur que vous retiriez le vôtre. La même crainte m’avait d’ailleurs conduit à déposer un amendement identique à votre no 666, mais ayant eu besoin de le sous-amender, j’ai fait la bêtise de ne sous-amender que le vôtre, que vous avez retiré. Ma peur de vous voir lâcher l’affaire en route était donc fondée.
Vous avez très bien défendu l’amendement, je ne vais pas perdre plus de temps. J’en profite en revanche pour défendre mes deux sous-amendements, qui visent à exclure les entreprises de taille intermédiaire (ETI) du dispositif, afin de différencier un groupe qui utilise abusivement une niche fiscale et les petits armateurs qui ont particulièrement besoin d’être protégés. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
        
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Juvin, rapporteur général
La commission a rejeté ces trois amendements. Tout d’abord, beaucoup de choses ont été dites sur la taxe au tonnage, mais vous devez comprendre que ce n’est pas une niche fiscale ; c’est un outil de souveraineté. C’est ce qui explique l’existence même de cette taxe. Sans elle, notre flotte serait sous pavillon étranger, la France dépendrait d’armateurs étrangers. La souveraineté maritime – dont nous avons évidemment besoin car nous sommes un grand pays,…
M. Emmanuel Maurel
C’est vrai, un grand pays !
M. Philippe Juvin, rapporteur général
                        …présent sur les cinq continents – n’est pas gratuite : la taxe au tonnage en est le prix.
Ensuite, on ne l’indexe pas sur l’inflation car elle repose sur un principe de prévisibilité. En effet, les investissements à faire dans le transport maritime sont considérables, ils demandent plusieurs décennies d’amortissement. Il n’est donc pas possible de laisser cette taxe fluctuer d’une année sur l’autre en fonction des événements mondiaux, l’activité maritime étant très soumise aux aléas diplomatiques, guerriers et économiques. La stabilité n’est pas un cadeau, c’est le prix à payer pour avoir une flotte française.
Avis défavorable.
        
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre
                        Même avis.
Je ne sais pas dans quelle langue le dire – peut-être avec l’accent marseillais ? (Sourires.) Nous avons un champion qui se trouve dans le top 3 mondial. Tous les concurrents bénéficient du même dispositif.
        
M. Pierre Cazeneuve
Non, pas du même !
M. Roland Lescure, ministre
Et nous, pour nous faire plaisir, nous allons complexifier le dispositif avec des amendements qui indexent la taxe au tonnage sur l’inflation et des sous-amendements qui excluent la moitié des entreprises. Ce secteur extrêmement concurrentiel a besoin de stabilité fiscale qu’au vu des incertitudes mondiales, j’ai tout sauf envie de fragiliser.
M. Patrick Hetzel
Très bien !
M. Roland Lescure, ministre
On peut se faire plaisir (Exclamations sur les bancs du groupe EcoS), mais on ne fera plaisir ni aux 4 000 salariés de Marseille, ni aux dizaines de milliers de salariés qui parcourent le monde, ni aux pavillons français. Soyons fiers des pavillons français ! J’ai l’impression qu’ici, sur certains bancs, les uns se disant patriotiques et les autres révolutionnaires, dès qu’on a un champion français, on en a honte. (Mme Sandra Marsaud applaudit.) Vous avez honte des entreprises qui rayonnent à l’échelle internationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem.) Madame Le Pen, vous avez honte des entreprises qui gagnent de l’argent dans le monde !
Mme Marine Le Pen
Non, j’ai honte de vous !
M. Sébastien Chenu
On a honte de ce que vous avez fait du pays !
M. Roland Lescure, ministre
                        Pour vous, on reste en France, on fabrique en France, on vend en France et tout ce qui se passe à l’étranger, on l’élimine. Vous êtes passée de Javier Milei à Nicolas Maduro.
Ne touchez pas à ce qui fonctionne ! Si ce n’est pas cassé, ne le réparons pas.
        
M. Jean-François Coulomme
C’est vous qui avez tout cassé !
M. Roland Lescure, ministre
Retirez, s’il vous plaît, ces amendements afin que nous restions dans un cadre stable. Je rappelle tout de même que vous avez décidé, il y a un an…
Mme Marie Pochon
On n’a rien décidé, on n’a pas pu voter.
M. Roland Lescure, ministre
                        …une surtaxe exceptionnelle sur ce secteur et sur cette entreprise qui a contribué à l’effort national, et d’après ce que j’ai vu dans les amendements à venir, d’autres efforts de ce genre sont prévus.
Demande de retrait ou avis défavorable.
        
M. Pierre Cazeneuve
Vous avez voté n’importe quoi ! Vous êtes des clowns !
Mme la présidente
La parole est à Mme Aurélie Trouvé.
Mme Aurélie Trouvé
Monsieur le ministre, il ne s’agit pas de se faire plaisir, mais de faire en sorte que les Français ne souffrent pas trop. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Sandra Marsaud
Ce que vous proposez fera souffrir les salariés !
Mme Aurélie Trouvé
Pour cela, chacun doit payer sa juste part d’impôts, notamment les entreprises. Nous n’avons aucun problème avec les entreprises championnes.
M. Roland Lescure, ministre
Ah bon ? Vous aimez les coopératives, les start-up et les entreprises innovantes ?
Mme Aurélie Trouvé
                        Beaucoup d’entre elles paient leur juste part d’impôts. En l’occurrence, ce n’est pas le cas ici.
Ensuite, monsieur Cazeneuve, depuis quand Attac est une insulte ? J’ai été présidente et porte-parole d’Attac pendant quinze ans et j’en suis très fière. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Présidente bénévole, évidemment, parce que ce n’était pas mon métier.
Le premier objectif d’Attac était d’imposer une taxe sur les transactions financières. Si cette association n’avait pas fait le boulot, nous n’aurions pas gagné au moins l’idée d’une taxe de ce type, que le bloc macroniste a, par ailleurs, complètement dévoyée. Le deuxième objectif d’Attac était de désarmer les marchés financiers pour qu’un autre monde soit possible. Je comprends que pour vous ce soit une insulte, mais c’est tout ce que nous soutenons. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)
        
M. Pierre Cazeneuve
C’est bien ce que je dis : le RN et vous, vous êtes les mêmes !
Mme la présidente
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson
Nous avons déjà eu ce débat l’année dernière. Savez-vous pourquoi les États-Unis d’Amérique n’ont pas de flotte marchande ? Simplement parce qu’ils n’ont pas la taxe au tonnage. (M. Didier Le Gac applaudit. – M. le ministre lève le pouce.) Ne modifions cette taxe qu’en cas d’accord international, sinon nous nous plombons, nous et nos emplois. Le pavillon d’un navire peut être changé en 24 heures ; rien n’est plus facile. On peut être pour ou contre ce système international, mais si l’on doit le modifier, c’est dans un cadre international. Ne votons pas des amendements qui nous pénalisent ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
(L’amendement no 2485 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 686.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
                        Voici le résultat du scrutin :
        Nombre de votants                        238
        Nombre de suffrages exprimés                234
        Majorité absolue                        118
                Pour l’adoption                104
                Contre                130
        
(L’amendement no 686 n’est pas adopté.)
Rappels au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Philippe Tanguy
Sur le fondement de l’article 100 relatif à la discussion des amendements. Pourquoi mes sous-amendements ont-ils été retirés avant d’être votés ?
Mme la présidente
Parce qu’ils portaient sur l’amendement no 666 qui a été retiré.
M. Jean-Philippe Tanguy
Je souhaitais le reprendre.
Mme la présidente
Il a été retiré avant sa discussion.
M. Jean-Philippe Tanguy
Pourquoi mes sous-amendements avaient-ils été maintenus alors ?
Mme la présidente
                        C’était une erreur d’affichage.
La parole est à M. Aurélien Le Coq, pour un rappel au règlement.
        
M. Aurélien Le Coq
C’est un rappel au règlement au titre de l’article 100. Nous nous rapprochons de 20 heures.
Mme Sandra Marsaud
Merci, l’horloge parlante !
M. Aurélien Le Coq
                        En ouverture de cette séance, le président de la commission des finances, Éric Coquerel, et ma collègue, Claire Lejeune, ont signalé que le rythme de nos discussions n’était pas suffisamment rapide, et que si nous continuions ainsi, ce budget serait adopté par ordonnance, sans que nous puissions le voter de manière démocratique. Nous avons indiqué que les Insoumis avaient déjà fait l’effort de retirer 15 % de leurs amendements qui restaient en discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Aucun autre groupe n’a fait d’annonce à ce sujet.
Nous demandons que tous les groupes prennent position sur la manière d’avancer et sur les retraits des amendements. J’interpelle notamment le groupe Droite républicaine, qui dépasse la cible prévue de 213 %, avec 469 amendements. Je ne sais pas si cela a un lien avec le fait que six des leurs participent à ce gouvernement, mais toutes celles et ceux qui ne permettent pas de faire avancer correctement le débat et d’aller au vote font le jeu d’un gouvernement qui veut adopter le budget par ordonnance. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
        
M. Vincent Descoeur
Il va nous dicter la loi maintenant. Ce n’est pas nous qui fixons les règles !
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Philippe Tanguy
Je me fonde sur l’article 47 de la Constitution relatif aux délais de l’examen du PLF. On ne peut pas dire qu’aucun groupe n’a fait d’effort. Nous avons respecté notre jauge d’amendements, comme les socialistes. Vous, Insoumis, aviez dépassé votre jauge. À présent, vous la réduisez, mais n’exagérez pas en disant que vous êtes le seul groupe à avoir fait un effort. Sous le contrôle du président Coquerel, j’appelle à ce que chacun se respecte, parce que sinon, nous aussi nous allons déposer 1 000 amendements, en retirer 15 % puis dire qu’on a fait un super effort. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Après l’article 12 (amendements appelés par priorité – suite)
(L’amendement no 835 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
                        L’amendement no 1153 de M. Franck Allisio est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
        
M. Philippe Juvin, rapporteur général
Avis défavorable : la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt de 2006, a confirmé que les propositions de l’amendement n’étaient pas applicables.
(L’amendement no 1153, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La suite de l’examen du projet de loi de finances est renvoyée à la prochaine séance.
4. Ordre du jour de la prochaine séance
Mme la présidente
                        Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
 Suite de la discussion de la première partie du projet de loi de finances pour 2026.
 La séance est levée.
        
(La séance est levée à vingt heures.)
                        Le directeur des comptes rendus
 Serge Ezdra