Première séance du lundi 23 juin 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Mise en place d’un registre national des cancers
- 2. Traité de coopération en matière de défense entre la France et Djibouti
- Présentation commune
- Discussion générale
- M. Julien Limongi
- Mme Amélia Lakrafi
- M. Bastien Lachaud
- M. Stéphane Hablot
- Mme Agnès Firmin Le Bodo, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Frantz Gumbs, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Mise en place d’un registre national des cancers
Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat (procédure de législation en commission)
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers (nos 119, 1590).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné dans son intégralité selon la procédure de législation en commission. En application de l’article 107-3 du règlement, nous entendrons d’abord les interventions du gouvernement, du rapporteur et du président de la commission, puis les explications de vote des groupes. Nous passerons ensuite directement au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Je suis très heureux de me tenir devant vous pour saluer et accompagner, avec conviction, l’examen d’un texte aussi important, qui concerne une cause nationale, humaine et scientifique : la lutte contre le cancer. Permettez-moi d’abord de saluer l’esprit transpartisan dans lequel cette proposition de loi a été conçue, débattue et adoptée, à l’unanimité, par le Sénat et la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Je tiens à remercier chaleureusement les sénatrices Sonia de La Provôté et Marie-Pierre de La Gontrie pour leur initiative, ainsi que Nadia Sollogoub, rapporteure au Sénat, et Michel Lauzzana, rapporteur à l’Assemblée nationale.
Je veux saluer la qualité du travail accompli dans un esprit d’unité politique rare et précieux : il nous honore collectivement. Permettez-moi aussi d’ajouter quelques mots pour saluer le courage des parlementaires qui, à l’image de la présidente de l’Assemblée nationale, ont entamé un combat qui force respect et admiration : je pense notamment au député Aurélien Rousseau et aux députées Marine Hamelet et Nathalie Da Conceicao Carvalho. Je crois que nous pouvons leur rendre hommage. (M. Jean-Michel Brard applaudit.)
Dès ma nomination, j’ai tenu à ce que ce texte puisse rapidement terminer son chemin législatif, tant il embarque l’espoir de centaines de milliers de nos compatriotes et de nombreuses associations de patients, mais aussi parce qu’il s’inscrit pleinement dans les priorités du gouvernement : mieux prévenir, mieux soigner et mieux comprendre le cancer et ses causes liées à l’environnement. Nombre d’entre vous se sont saisis à bras-le-corps de cette dernière question ; en témoignent les travaux menés par Sandrine Josso, Benoît Biteau, Dominique Potier, Vincent Thiébaut, Paul Christophe, Vincent Jeanbrun ou encore Nicolas Thierry, pour ne citer qu’eux. Je serai heureux de prolonger ces débats et ces travaux au-delà du texte en discussion.
En 2023, près de 433 000 nouveaux cas de cancers ont été diagnostiqués en France. Chaque jour, malheureusement, plus de 1 100 Français apprennent qu’ils sont atteints d’un cancer ; plus encore, le nombre de nouveaux cas a doublé en trente ans. Chez les jeunes adultes, certaines localisations, notamment le cancer du sein, progressent de manière inquiétante, et près d’un cancer sur deux est lié à des facteurs évitables. Nous ne pouvons pas nous contenter, en la matière, de retards, d’estimations et d’approximations.
Pour mieux prévenir, mieux diagnostiquer, mieux soigner et mieux comprendre les cancers, nous devons mieux les connaître. La proposition de loi vise à confier à l’Institut national du cancer (Inca) la mise en œuvre d’un registre national des cancers, véritable socle d’une épidémiologie de précision, indispensable à la réussite de nos politiques de santé. Les données dont nous disposons reposent pour le moment sur trente-trois registres locaux qui couvrent à peine un quart de la population française. Ces outils, bien que fondamentaux, sont hétérogènes, inégalement répartis, souvent sous-dotés et parfois technologiquement dépassés. Des zones rurales sont surreprésentées tandis que des territoires exposés à des risques environnementaux ou marqués par des inégalités sociales, comme la Seine-Saint-Denis, sont absents du périmètre de surveillance. Nous devons être lucides et partir de l’existant mais aussi aller plus loin, en évitant les écueils d’une généralisation purement administrative.
Le gouvernement partage pleinement l’esprit de cette proposition de loi. Nous accompagnerons donc cette mise en œuvre avec les parlementaires, les associations et les acteurs des territoires, afin de construire un registre intelligent, évolutif et robuste. Ce tout nouveau registre national sera bâti sur deux piliers. Le premier consiste en la consolidation du réseau des registres locaux, au moyen d’un pilotage renforcé par l’Inca, mais aussi en la création de deux nouveaux registres dans des zones sous-représentées, à savoir une zone urbaine défavorisée et une zone plus exposée que la moyenne à des risques chimiques. Il s’accompagne d’une homogénéisation des pratiques, des outils et du cadre juridique.
Le deuxième pilier sera l’extension de la plateforme de données en cancérologie de l’Inca, dont le but est d’agréger de manière sécurisée et pseudonymisée les données du système national des données de santé (SNDS), des registres et des bases de données biologiques, cliniques, sociales et environnementales – comme le Green Data for Health. Cette plateforme documente déjà les trajectoires de plus de 12 millions de patients atteints d’un cancer. C’est elle qui, en intégrant les données relatives au dépistage, aux parcours de soins, à la génétique moléculaire et à la qualité de vie après cancer, constituera le socle de notre registre national. En outre, disposer de davantage d’informations sur l’origine environnementale des cancers est une priorité ; la création du registre national devra permettre d’y répondre.
Au-delà des registres, nous devons aussi changer de paradigme dans notre manière d’appréhender les causes du cancer. Il ne s’agit plus seulement d’identifier un agent cancérogène isolé : nous nous efforçons désormais de comprendre les expositions multiples auxquelles chacun est confronté dans la durée. C’est tout l’enjeu de l’approche par l’exposome, qui vise à documenter l’ensemble des expositions environnementales, professionnelles, alimentaires et comportementales, et ce depuis la naissance voire la période prénatale. Cette approche est d’autant plus pertinente que les effets de ces expositions ne sont pas linéaires : ils s’additionnent et se potentialisent, comme le député Benoît Biteau nous l’a très bien expliqué, à moi et à mon cabinet : c’est ce que l’on appelle l’effet cocktail, qui rend particulièrement difficile l’évaluation toxicologique classique.
Ce registre devra donc s’articuler avec les travaux du plan national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNR EST), qui intègre pleinement cette complexité, et avec les initiatives qui émergent autour du Green Data for Health ; celles-ci croisent données de santé et données environnementales pour mieux prévenir les pathologies chroniques. Parmi les facteurs environnementaux, l’exposition de la population aux pesticides est une priorité de santé publique.
Mme Marie-Charlotte Garin
Il ne faut peut-être pas voter la loi Duplomb, alors !
M. Yannick Neuder, ministre
En octobre, je réunirai le comité de suivi des études nationales sur les pesticides pour faire le point sur les dernières données concernant les effets des pesticides sur la santé. Par ailleurs, je me suis engagé, avec Agnès Pannier-Runacher et Annie Genevard, à renforcer la protection des captages d’eau potable vis-à-vis des pesticides. L’eau que nous buvons au robinet doit rester de qualité pour tous et nous devons pour cela agir de manière préventive afin de limiter l’utilisation des pesticides autour des captages. Les substances actives phytopharmaceutiques les plus dangereuses sont progressivement interdites grâce à la réglementation européenne qui garantit un cadre protecteur.
Je serai particulièrement vigilant à l’égard des décisions prises en matière de renouvellement de l’approbation des substances actives, car il faut agir à la source pour limiter l’exposition de la population et de l’environnement aux substances toxiques. J’ai confiance dans le système européen d’évaluation des risques – je vous ai entendue, madame la députée Garin –, qui garantit l’indépendance de l’expertise et donc une analyse rigoureuse des effets sanitaires et environnementaux des pesticides.
Je veux ici saluer l’engagement inlassable de nos partenaires associatifs, qui font vivre la lutte contre le cancer au quotidien. Je pense notamment à la Ligue contre le cancer, acteur historique mobilisé sur tout le territoire pour l’aide aux malades, la recherche et la prévention ; à Jeune & Rose, association qui porte avec force la voix des jeunes femmes confrontées au cancer du sein en adoptant une approche innovante et inclusive, et qui s’est massivement mobilisée en faveur de ce texte ; mais aussi à RoseUp, à Vivre comme avant, à Europa Donna, à l’AF3M – Association française des malades du myélome multiple – et à tant d’autres collectifs de patients ou de proches qui rappellent, jour après jour, qu’une donnée de santé n’est jamais abstraite – elle porte des visages, des histoires, des parcours de vie. Ce registre national, nous le construirons avec eux.
Il ne s’agit pas d’un instrument technique : c’est un outil de justice sanitaire, d’équité territoriale et de démocratie en santé. La rédaction actuelle de la loi permet d’intégrer cette vision hybride et moderne du registre national. Un décret sera pris d’ici la fin de l’année pour en définir les modalités, dans le respect de l’intention du législateur – je remercie encore les sénatrices à l’origine du texte –, des exigences éthiques, de la souveraineté numérique de l’hébergement, confiée à l’Inca, et de la protection des données, qui seront pseudonymisées et utilisées à des fins strictement encadrées.
Vous l’avez, compris, le gouvernement est pleinement favorable à une adoption conforme de ce texte. La création d’un tel registre nous dotera d’un nouvel outil scientifique mais c’est aussi un acte politique fort, qui nous permet d’affirmer que nous ne tolérons plus l’invisibilité de certains territoires, de certaines populations face au cancer. C’est un levier pour accélérer la recherche, cibler nos politiques de prévention, réduire les inégalités et, demain, sauver des vies.
Le cancer n’est pas une abstraction : c’est une réalité, brutale et quotidienne, qui touche plus d’un Français sur deux au cours de sa vie – 4 millions de nos compatriotes en sont atteints –, qui bouleverse des familles, des couples, des parcours professionnels, des destins. C’est la première cause de mortalité en France, devant les maladies cardiovasculaires, et c’est aussi un combat collectif que nous menons depuis plusieurs décennies, comme en témoignent les plans cancer successifs, la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 ainsi que la mobilisation des soignants, des chercheurs, des patients, des aidants et des associations. Tous ensemble, nous avons réussi à améliorer les taux de survie, à renforcer les dépistages, à ouvrir la voie aux thérapies ciblées et à la médecine personnalisée.
Cependant, la maladie continue à frapper de manière inégale. L’environnement, les conditions sociales, le lieu de résidence jouent un rôle dans le risque de développer un cancer ; or nous savons que ce que nous ne mesurons pas bien, nous ne pouvons ni le corriger ni le prévenir. C’est pourquoi la création d’un registre national des cancers est une question politique et non technique. Elle conditionne l’égalité réelle face à la maladie, la justice en santé publique et la puissance de notre recherche.
Elle est aussi une promesse : ne laisser aucune trajectoire de patient dans l’ombre.
Cette proposition de loi poursuit l’ambition de faire de la France un des pays les plus avancés au monde dans la surveillance et la compréhension des cancers ; le registre national sera un des piliers de ce projet.
Le gouvernement s’engage à prendre avant la fin de l’année le décret venant préciser les modalités de mise en œuvre de ce registre national. Dispositif unique au monde dans le suivi exhaustif des cancers, il aidera toute la filière de la cancérologie à mieux répondre aux défis de demain.
Je vous remercie pour votre engagement, pour votre travail collectif et pour l’esprit d’unité dont vous faites preuve aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, DR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Lauzzana, rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Michel Lauzzana, rapporteur de la commission des affaires sociales
Je suis heureux de vous retrouver pour examiner en séance la proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers. Adoptée en 2023 par nos collègues sénateurs à l’initiative de Sonia de La Provôté – dont je salue la présence en tribune –, cette proposition de loi est demeurée en souffrance jusqu’à ce que le gouvernement – je l’en remercie – décide son inscription à l’ordre du jour à la suite d’une question posée par notre collègue Aurélien Rousseau le 3 juin dernier, reprise à la volée par notre présidente Yaël Braun-Pivet.
Les chiffres ont déjà été donnés : en 2023, on a dénombré 433 000 nouveaux cas de cancers en France ; avec 162 000 décès annuels, le cancer représente la première cause de mortalité chez les hommes et la deuxième chez les femmes.
Nous ne pouvons nous habituer à ces constats. Face à cette situation, nos outils sont connus ; ils se nomment : prévention, surveillance, dépistage ou bien encore traitements précoces et impliquent tous de mieux connaître la maladie et de cerner ses déterminismes.
Pour ce faire, nous disposons en France de registres épidémiologiques destinés à recueillir au sein d’une population géographiquement définie des données individuelles nominatives sur un ou plusieurs événements de santé tels que les cancers. On compte trente-trois registres en 2025, dont dix-neuf registres généraux – parmi lesquels cinq registres ultramarins –, douze registres spécialisés et deux registres nationaux pour les cancers de l’enfant.
Alors même que les données médico-administratives ne sont pas suffisamment précises à elles seules, nos registres actuels ne nous permettent pas de disposer de données fines et exhaustives sur les cancers frappant l’ensemble de la population française car ils sont établis à partir d’extrapolations réalisées sur la base des registres généraux existants, lesquels couvrent moins qu’un quart de la population nationale. Cette situation, qui nous distingue de celles de nos voisins européens, entrave nos capacités à combattre les cancers.
Pour être plus concret : la population actuellement suivie par les registres étant une population plus rurale que la moyenne française, les extrapolations réalisées sur leur base pourraient être biaisées et nous offrir un panorama faussé des cancers en France de nature à entraver nos efforts pour surveiller, prévenir, dépister et traiter les cancers partout sur le territoire.
De l’Académie nationale de médecine à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en passant par de nombreux acteurs associatifs, administratifs ou scientifiques – que je tiens ici à saluer, en particulier le professeur François Guilhot, présent en tribune, mais également l’association Jeune & Rose qui s’est mobilisée aux côtés de nombreuses autres – nous sommes nombreux à avoir posé ce constat.
La proposition de loi entend faire évoluer notre système en ajoutant au code de la santé publique un article créant un registre national des cancers dont la gestion sera attribuée à l’Inca. Pour améliorer la prévention, le dépistage, le diagnostic et la prise en charge des patients, ce registre national a pour objet de centraliser et de mettre à disposition les données populationnelles relatives à l’épidémiologie et aux soins des cancers. La proposition de loi renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser l’organisation concrète du registre national des cancers, notamment le rôle de chaque entité et les modalités d’interopérabilité entre elles.
Ainsi, la proposition de loi nous dote enfin de l’organisation et in fine des données nationales à la hauteur de l’enjeu que représentent les cancers en France.
Ce registre ambitieux n’atteindra ses objectifs qu’à la double condition que le pouvoir réglementaire fasse le choix d’une organisation adaptée, reposant sur des sources diverses et multiples de données issues de la totalité du territoire et de la population, et que le gouvernement accompagne budgétairement sa mise en œuvre. (Mme Alma Dufour applaudit.) Si l’effort budgétaire doit être contenu, il n’en reste pas moins nécessaire pour que le fichier soit adapté aux besoins et pour garantir sa pérennité. Ce registre autorisera des avancées majeures tant dans le domaine épidémiologique qu’en matière de soins et de recherche.
Permettez-moi de rappeler que les enjeux liés à la prise en charge du cancer ne se résument pas à la création d’un registre, aussi ambitieux soit-il. Au-delà de ce texte, je formule le v?u que, d’ici 2027, nous puissions défendre de manière transpartisane de nouvelles avancées en matière de dépistage – dont les résultats demeurent insuffisants – mais aussi en ce qui concerne l’accès et la simplification des essais cliniques en cancérologie auxquels je tiens particulièrement. La France doit rester en pôle position au niveau européen !
Cette proposition de loi est indispensable dans notre combat contre les cancers. Il nous appartenait de l’adopter au plus vite afin qu’il s’applique rapidement ; à cet égard, je salue l’accord des groupes en faveur de la législation en commission et l’absence d’amendement. Pour mieux lutter contre le cancer et mieux œuvrer pour la santé des Français, je forme le vœu qu’à l’image de la commission des affaires sociales, nous adoptions ce texte dans sa version transmise par le Sénat. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.– Mmes Alma Dufour et Marie-Charlotte Garin et M. Aurélien Rousseau applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
L’Assemblée nationale examine une proposition de loi qui, derrière son apparente simplicité, engage une transformation profonde de la lutte contre les cancers en France. Elle a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires sociales ; j’espère que nous ferons de même ici dans une heure.
Ce texte crée un registre national des cancers permettant de rassembler de façon exhaustive et sécurisée des données actuellement dispersées, souvent inaccessibles aux chercheurs et aux soignants. Il faut mesurer la portée de cette création. Nous parlons non d’un simple outil technique mais d’un puissant levier de santé publique car mieux connaître c’est mieux prévenir, mieux soigner, mieux accompagner.
Ce texte a été défendu avec force et ténacité par les membres de l’Association Jeune & Rose qui se sont appuyés sur les travaux du professeur François Guilhot. Ils sont en tribune et je salue leur commune détermination : nous devons beaucoup à leur engagement. Le texte a été déposé par notre collègue sénatrice Sonia de La Provôté : qu’elle soit remerciée de son initiative ! J’applaudis enfin le travail mené par la commission des affaires sociales du Sénat et par la rapporteure Nadia Sollogoub.
Madame la présidente, je rends hommage à votre engagement, depuis votre élection, en faveur de l’ouverture de notre assemblée à une meilleure compréhension des sujets liés à la santé, notamment la santé des femmes : l’accueil par notre institution du bus « Agir pour le cœur des femmes » il y a quelques semaines en constitue une illustration.
La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par le Sénat, sans ajout ni réserve, dans un esprit d’unité qu’il faut célébrer. La même unité a guidé nos travaux : je remercie les présidents de groupe pour cette volonté commune d’avancer dans le sens de l’intérêt général. À ces remerciements, j’associe notre rapporteur, Michel Lauzzana, qui a su convaincre la commission de se prononcer, elle aussi, à l’unanimité en faveur du texte voté par le Sénat.
La bataille contre le cancer ne se déroule pas dans les hémicycles ; pour nos concitoyens qui affrontent cette épreuve toujours bouleversante – ils se comptent en millions –, le combat se livre dans les hôpitaux, les centres de soins, les laboratoires, les centres de recherche et dans les cabinets de ville.
Il se livre aussi dans la sphère intime, avec le soutien des familles et des proches : nous sommes plusieurs dans cette assemblée à le savoir et à l’avoir vécu – ou à le vivre – dans notre propre chair, ce qui renforce sans doute notre compréhension du formidable pas en avant que nous allons faire ce soir.
Nous allons enfin donner l’arme qu’attendent à la fois les 400 000 personnes touchées chaque année et tous ceux qui militent pour un fichier de santé national : médecins de santé publique, hommes et femmes de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’Inca, associations, patients et tous les soignants qui accompagnent les malades, soulagent leur douleur et soutiennent leur espoir. Ce texte est aussi pour eux.
J’y insiste, simple dans sa rédaction, ce texte est fondamental dans ses effets. Fruit d’un travail législatif exemplaire, partagé et serein, il est l’exemple de ce que le Parlement peut faire de mieux : agir pour le bien commun ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.– M. Aurélien Rousseau applaudit également.)
Explications de vote
Mme la présidente
J’appelle maintenant dans le texte de la commission l’article unique de la proposition de loi qui, compte tenu de la législation en commission, ne fait pas l’objet d’amendement. Nous en venons immédiatement aux explications de vote.
La parole est à Mme Nicole Dubré-Chirat.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR)
Alors que le cancer demeure la première cause de mortalité en France, l’examen de ce texte m’amène à avoir une pensée pour les malades – l’annonce de la maladie est toujours un choc – ainsi que pour les proches et les soignants qui les accompagnent avec courage au quotidien. Chaque année près de 430 000 nouveaux cas de cancers sont détectés dans notre pays et l’on estime que 3,8 millions de personnes y vivent avec un diagnostic de cancer.
Ce constat exige que nous nous dotions des meilleurs outils pour comprendre, prévenir et traiter cette maladie. En effet, compte tenu des chiffres actuels, le taux de dépistage ne peut que s’améliorer…
C’est dans cet esprit que, dès le premier quinquennat, nous nous sommes emparés du sujet en faisant de la lutte contre le cancer une priorité nationale. Nous avons lancé la stratégie décennale de lutte contre le cancer 2021-2030 : cette feuille de route s’accompagne d’un investissement inédit de 1,74 milliard d’euros sur cinq ans, preuve de notre détermination à agir sur ce sujet.
Pourtant, notre pays peut encore progresser en matière de collecte des données. Alors que celles-ci sont indispensables pour la recherche, qu’elles permettent de détecter les tendances, d’évaluer les politiques publiques et d’affiner les stratégies de prévention comme le dépistage, les registres généraux de cancers ne couvrent que 24 % de la population française, quand vingt-deux pays européens disposent déjà d’un registre national.
Pour combler ce retard, la proposition de loi vise la création d’un registre national des cancers, centralisé et piloté par l’Inca, rassemblant les données sur l’épidémiologie, les soins et les parcours des patients. Les registres actuels sont fragmentés – certains sont généraux et couvrent une zone géographique quand d’autres sont organisés par typologie de cancers –, ils souffrent de lacunes en matière de couverture et de cohérence ; le registre national les complétera.
Le texte confie la mission de piloter cette collecte à l’Inca à travers la labellisation de structures de lutte contre le cancer. L’examen de ce texte est l’occasion de saluer le travail réalisé par cet organisme en matière de recherche et de prévention.
Les données de santé sont sensibles et nous sommes bien conscients des enjeux liés à leur gestion. C’est pourquoi la loi encadre rigoureusement leur usage en limitant la collecte aux seules données strictement nécessaires.
Au regard du coût pour les finances publiques de la prise en charge des cancers – 22 milliards en 2021 selon la Cour des comptes, soit plus de 12 % des dépenses maladie –, ce registre est un investissement primordial.
Le groupe Ensemble pour la République soutient pleinement ce texte parce qu’il répond à une urgence de santé publique et renforce notre capacité à prévenir et à soigner.
Il est nécessaire que cette avancée, attendue de longue date, entre en vigueur au plus vite.
La semaine dernière, la commission a voté à l’unanimité ce texte essentiel pour renforcer notre politique de lutte contre le cancer. Je vous invite à faire de même. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Alma Dufour.
Mme Alma Dufour (LFI-NFP)
Alors que l’extrême droite et la Macronie sont déterminées à faire croire aux Français que nous vivons une époque de plus en plus violente, en dépit des chiffres qui montrent que les homicides ont baissé de plus de 20 % en vingt ans, il faut le dire : la sécurité est réellement compromise partout, dans nos assiettes, nos foyers, nos lieux de travail, les parcs où nous faisons jouer nos enfants. Elle ne l’est pas par des étrangers, mais par une maladie qui n’épargne personne, sans pourtant constituer une priorité politique – le cancer.
Les cancers sont la première cause de mort prématurée en France : ils ont emporté 162 000 d’entre nous rien qu’en 2021. Le nombre de cancers a doublé depuis 1990 ; pourtant, aucun journal télévisé n’y est consacré. Les malades sont de plus en plus jeunes ; aucune édition spéciale n’en parle.
Si personne n’est épargné, des territoires sont plus touchés que d’autres – vous l’avez dit, monsieur le ministre. Depuis trop longtemps, ils subissent une indifférence qui confine souvent à l’omerta.
En France, il existe des territoires où la santé des habitants est sacrifiée depuis des décennies. C’est le cas du mien, la Seine-Maritime, où les occurrences de cancer du poumon et de la vessie sont quatre à cinq fois plus nombreuses que la moyenne nationale.
À Saint-Nazaire, la surmortalité des plus de 65 ans est supérieure de 28 % à la moyenne nationale, notamment à cause de cas cancers plus nombreux. Tout le monde sait que c’est à cause de l’industrie lourde – à l’exception des macronistes et de l’extrême droite, qui avaient voté contre l’amendement par lequel je proposais d’organiser des campagnes de dépistage sur la base du volontariat à destination des travailleurs et des riverains des sites classés Seveso. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Nous avons bonne mémoire : nous nous souvenons que, lorsqu’ils ont bloqué les dépôts de carburants, les travailleurs de Total, en particulier les raffineurs, ont été lynchés par une caste médiatique, au motif que leurs salaires étaient « assez élevés ». Tout le monde a choisi d’ignorer royalement que si ces salaires sont effectivement assez élevés par rapport à ceux des autres ouvriers, c’est parce que tout le monde sait depuis longtemps que le métier de raffineur est dangereux, voire mortel.
Vous évitez aussi soigneusement de parler du taux de cancer du poumon anormalement élevé à Narbonne, ville qui accueille le plus grand site d’Europe de traitement de l’uranium et de stockage des déchets nucléaires.
Les causes des cancers sont variées et complexes – c’est vrai. Ce registre, pour lequel évidemment nous voterons, nous aidera à progresser et à mieux connaître ces maladies.
Mais n’oublions pas et reconnaissons que pendant longtemps, on n’a pas cherché ce qu’on ne voulait pas trouver. Encore aujourd’hui, on redoute de devoir conclure que beaucoup de cancers sont aussi dus au modèle économique que nous avons choisi. Nous en avons fait une nouvelle fois la démonstration dans cette assemblée en réintroduisant certains néonicotinoïdes par la loi Duplomb.
Néanmoins, je ne peux vous dire combien je suis heureuse de voter en faveur de ce registre national aujourd’hui avec mes collègues. La France est le seul pays d’Europe, avec l’Espagne, à ne pas disposer d’un tel fichier. Sa création est donc d’une étape cruciale. L’État ne pourra pas balayer d’un revers de main ce que lui disent les collectifs de victimes, en arguant qu’on ne dispose pas d’éléments statistiques suffisants, comme il l’a fait trop longtemps, notamment à Fos-sur-Mer.
Chez moi, nous pourrons enfin connaître les conséquences sanitaires de l’incendie du site industriel de Lubrizol ou celui de Bolloré Logistics. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Marie-Charlotte Garin applaudit également.) Je remercie le collectif des victimes de Lubrizol, qui est venu aujourd’hui assister à nos débats.
Je remercie les associations qui sont venues à bout de l’indifférence du Parlement. Ce texte a été adopté en première lecture il y a plus de deux ans, lors de la précédente législature. Dans l’intervalle, plus de 800 000 cas de cancer ont été détectés dans notre pays.
Aujourd’hui reste une belle journée pour l’intérêt général. Je le répète : c’est avec plaisir et fierté que le groupe La France insoumise votera pour ce texte.
Nous n’oublierons cependant pas que le gouvernement Bayrou a supprimé 19 millions d’euros alloués à la recherche sur les cancers pédiatriques. (Mêmes mouvements.) Nous n’oublierons pas non plus que ceux qui ont refusé de censurer ce budget ont cautionné cet état de fait. Ainsi, les chercheurs de l’Institut Curie, qui ont fait une découverte absolument extraordinaire pour les traitements du cancer, attendent encore qu’on leur donne les moyens de passer au stade des essais cliniques, nécessaires au développement de ces traitements. L’austérité tue.
Vous l’avez dit : la cause est transpartisane et il faut agir. Mais agissons avec des moyens. La bataille contre le cancer se joue aussi dans cet hémicycle, qui doit dégager les moyens nécessaires. Sinon, à quoi sert le Parlement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Rousseau.
M. Aurélien Rousseau (SOC)
Me voici donc à mon corps défendant devenu un des relais de la cause du registre national des cancers. En montant à cette tribune, j’ai pensé à toutes les associations qui mènent ce combat depuis longtemps. Je remercie le professeur Guilhot, qui assiste à ce débat, ainsi que notre collègue sénatrice Sonia de La Provôté qui a soutenu ce texte avec force.
Peut-être est-il utile de le redire : nous ne partons pas de zéro en matière de registres sur les cancers. Je saisis cette occasion pour saluer tous ceux qui travaillent pour les registres existants dans les centres hospitaliers universitaires (CHU), notamment les biostatisticiens – tous ceux qui gèrent EPI-PHARE ou le système national des données de santé. Ils garantissent aujourd’hui une vision globale à partir d’éléments parcellaires. Nous raterions notre objectif si nous semblions dire qu’aujourd’hui nous évaluons mal le cancer.
Ce projet, qui fera l’objet d’un texte réglementaire publié dans l’année – je remercie M. le ministre de l’avoir dit –, ne doit pas être une cause de lourdeur supplémentaire, mais un registre agile. Comme l’ont écrit ce week-end les professeurs Bégaud et Zureik, certains éléments aussi élémentaires que le codage des actes resteront centraux pour disposer de données fiables et stabilisées.
Comme l’ont dit plusieurs de mes collègues, dont Mme Dufour, nous ne pouvons pas prendre le risque de passer à côté de certaines dynamiques. Quand on consulte les chiffres de cancers causés par des perturbateurs endocriniens, la contraception hormonale ou l’environnement, on observe de très faibles variations territoriales qui sont peut-être liées à des biais de récolement des données. À l’heure où toutes les données épidémiologiques témoignent de l’augmentation des cas de cancers, nous ne pouvons pas prendre le risque de négliger des facteurs nouveaux qui, d’une façon ou d’une autre, nous ramèneront souvent aux inégalités territoriales en matière de santé.
Nous pouvons d’autant moins prendre ce risque que nous nous trouvons à un moment où tout peut se potentialiser, pour utiliser une expression à la mode – c’était le point de départ de la question que j’ai posée au gouvernement il y a quelques semaines. Le congrès de l’Asco – je ne parle pas du site préhistorique mais de la Société américaine d’oncologie clinique –, qui a eu lieu récemment à Chicago, a montré combien de perspectives en matière de dépistage, de repérage, de traitement et de prévention s’ouvraient aujourd’hui partout dans le monde, en particulier en France. Nous serions doublement fautifs si, à l’heure où ces nouvelles possibilités sont à notre portée, nous n’étions pas en mesure de saisir avec le plus de finesse possible ce qu’il en est d’un point de vue épidémiologique.
C’est le sens de cette proposition de loi, de cet article unique. Monsieur le ministre, soyez assuré que les membres du groupe d’études sur le cancer, présidé par Michel Lauzzana, seront à vos côtés, et qu’ils vous accorderont leur confiance – la confiance n’exclut pas toujours le contrôle –, pour travailler avec le gouvernement sur les textes réglementaires qui doivent permettre de créer dans les meilleurs délais un registre efficace, utile et agile. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – M. Jean-Michel Brard et Mme Nicole Dubré-Chirat applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Jeanbrun.
M. Vincent Jeanbrun (DR)
Je voudrais d’abord saluer le ministre de la santé, Yannick Neuder, pour son engagement constant et déterminé en faveur de cette proposition de loi et de la santé environnementale en général – merci, monsieur le ministre.
Je voudrais aussi remercier tous les acteurs impliqués, notamment les professionnels de santé qui ont contribué à faire aboutir ce texte dans un esprit de responsabilité. Je voudrais également féliciter le groupe Les Républicains du Sénat, à l’origine de cette proposition de loi, et l’ensemble des membres de nos groupes dans les deux assemblées pour le travail fourni, qui a permis de déboucher aujourd’hui sur une belle unanimité.
Le contexte sanitaire est extrêmement alarmant. Depuis trente ans, le nombre de cancers ne cesse d’augmenter en France. En 2023, on estime à 433 000 le nombre de nouveaux cas en France métropolitaine – pas loin d’un demi-million. Le cancer reste donc la première cause de mortalité dans notre pays, avec plus de 150 000 décès annuels. C’est inacceptable. Insupportable.
Le texte que nous examinons représente une avancée majeure et nous devons nous en réjouir. Le registre national permettra de mutualiser des données qui sont pour l’heure considérablement dispersées : il existe une trentaine de registres locaux ou spécialisés. Cette fragmentation nuit à la recherche, à la prévention et, plus généralement, à l’action publique. Grâce au registre national, il sera possible d’améliorer le suivi sur l’ensemble du territoire et de mettre en évidence des liens entre l’environnement ou des situations sociales spécifiques et la santé. Le registre constituera donc un appui solide pour la recherche médicale et permettra, nous l’espérons, de développer de nouveaux traitements.
En choisissant de confier la création du registre national à un organisme aussi compétent que l’Institut national du cancer, nous garantissons le sérieux de la collecte des données et de la protection des informations personnelles, qui est un enjeu très important.
Avec le groupe Droite républicaine, nous soutiendrons pleinement ce texte pour qu’il soit voté conforme à la version du Sénat. Ce registre est un outil vital pour sauver des vies à court et moyen terme. Il incarne une politique de santé ambitieuse et responsable. Je renouvelle tout mon soutien à M. le ministre et à son administration pour leur travail formidable. (M. le rapporteur, M. le président de commission et Mme Élisabeth de Maistre applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS)
Le nombre de cancers explose : en France, on a dénombré plus de 433 000 nouveaux cas de cancers en 2023. Depuis 1990, on constate une augmentation de 65 % chez les hommes et de 93 % chez les femmes. Chez les enfants, on compte plus de 2 200 nouveaux cas chaque année. Vous me direz que c’est dû au vieillissement de la population. Mais les chiffres sont têtus : seuls 70 % des nouveaux cas de cancer chez les hommes et 57 % chez les femmes s’expliquent par l’âge. Le reste est la conséquence directe de ce que nous avons laissé faire et cautionné, car le cancer est politique.
Ainsi, la pollution de l’air est responsable de 40 000 morts prématurées par an selon Santé publique France. Elle a causé une réduction de l’espérance de vie moyenne de 7,6 mois. Pourtant, il y a quelques jours, vous supprimiez les zones à faibles émissions (ZFE).
Venons-en à la pollution de l’eau. S-métolachlore, acide trifluoroacétique (TFA), chlorure de vinyle monomère – des noms à coucher dehors, mais des effets très concrets : cancers, maladies neurologiques, infertilité, troubles du développement fœtal. L’eau du robinet continue pourtant à couler. Quid de la fameuse eau en bouteille ? En janvier, une enquête conjointe de Radio France et du Monde révélait que les géants de l’eau en bouteille – Nestlé Waters et Alma – auraient eu recours à des traitements interdits pour décontaminer leurs eaux dites minérales. Des procédés illégaux, normalement réservés à l’eau du robinet, ont été utilisés en douce sur des marques comme Cristaline, Perrier, Vittel, Hépar, Saint-Yorre. Que s’est-il passé ? Rien. Le gouvernement, informé depuis 2021, a diligenté un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), mais a surtout évité que cela se sache.
Quand le gouvernement couvre les entorses à la loi d’une multinationale, mais reste sourd aux alertes des chercheurs et des associations sur les causes environnementales du cancer, le registre national des cancers que nous examinons aujourd’hui devient un pansement sur une plaie que l’on refuse de voir se refermer.
Je continue avec les sols. On recense pas moins de 6 500 sites pollués aux métaux lourds, aux hydrocarbures, aux pesticides ou aux polluants éternels. Tout cela se retrouve comme par magie dans notre assiette. Mais ne soyons pas alarmistes : un peu de cadmium sur vos tartines, un soupçon de glyphosate sur vos fraises, tout ira bien. Sauf pour les enfants : 36 % des moins de 3 ans dépassent la dose journalière tolérable de cadmium.
Chers collègues, vous voyez où je veux en venir. Nous examinons aujourd’hui dans cet hémicycle une proposition de loi créant un registre national des cancers. Nous sommes d’accord, remercions les associations qui ont bataillé pour que l’on aboutisse à ce texte, et nous le voterons.
Il est même incompréhensible que ce registre national n’existe pas depuis longtemps et qu’un système d’alerte automatique n’ait pas été instauré en cas d’identification d’un foyer de contamination suspect. Aujourd’hui, seulement 24 % de la population est couverte par des registres et, devinez quoi, les zones les plus polluées, exposées et défavorisées sont souvent les plus mal couvertes.
Le registre national des cancers doit être territorialisé, interconnecté, accessible aux associations, aux élus locaux et aux scientifiques, et ne pas se limiter à un outil statistique. Il doit servir à prévenir, pas seulement à constater. Vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre : on doit savoir pour mieux prévenir. Je crois toutefois qu’on sait déjà beaucoup, notamment grâce aux travaux du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), situé à Lyon. La littérature scientifique est claire sur les causes du cancer. Certains ici qui soutiennent le texte ont pourtant voté pour la proposition de loi Duplomb – ou devrais-je dire la « proposition de loi poison ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Matthias Tavel
Quelle honte !
Mme Marie-Charlotte Garin
Lundi prochain, cette proposition de loi poison sera examinée en commission mixte paritaire. Chers collègues, je vous conjure d’être cohérents. Écoutez les scientifiques, les pédiatres, les victimes du cancer et ne votez pas la semaine prochaine pour une proposition de loi qui dit exactement l’inverse de ce que nous faisons aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.) Ne votez pas pour un texte qui dit en substance : « Continuons à empoisonner les sols. Empoisonnons les nappes phréatiques et les corps. »
Le registre national des cancers ne servira à rien s’il ne s’accompagne pas d’une rupture politique. Sans un véritable politique de prévention, il sera comme un thermomètre dans une maison en feu. Vous ne pourrez pas dire : « On ne savait pas. » Les faits sont là, les causes sont identifiées et c’est vous qui votez. Vous pourrez toujours, une fois par an, porter un ruban rose dans un élan de compassion avec les victimes, aujourd’hui vous ne pouvez pas faire semblant. Le cancer est un fait biologique, mais l’épidémie actuelle est un fait politique.
Le 29 juin 2025, partout en France, une trentaine d’associations appellent à la mobilisation pour les paysans, pour notre santé, pour notre environnement et pour le respect de la science. Avec le groupe Écologiste et social, nous serons à leurs côtés pour dire non à la proposition de loi Duplomb.
Lundi prochain, chers collègues, vous aurez à choisir entre la connaissance et le déni, entre la santé publique et les intérêts privés. Les victimes du cancer qui nous regardent aujourd’hui nous regarderont demain. Soyons à la hauteur ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Josso.
Mme Sandrine Josso (Dem)
Nous le savons tous, la lutte contre le cancer est bien plus qu’un enjeu médical : c’est un combat profondément humain, qui nous touche au cœur, une cause qui nous unit, qui éveille notre solidarité et qui appelle chacun de nous à se mobiliser.
Le nombre de cas et le nombre de décès liés à des cancers augmentent année après année : 400 000 nouveaux cas en 2023, environ 150 000 décès par an. Pourtant, nous naviguons à vue, avec des registres régionaux couvrant à peine un quart de la population et alimentant les chiffres nationaux. Ce n’est plus possible !
La proposition de loi défendue sans relâche par notre collègue sénatrice Sonia de La Provôté et par l’association Jeune & Rose, dont des représentants sont présents dans les tribunes, est indispensable. Nous sommes réunis dans cet hémicycle pour rattraper un retard. Ce texte a été adopté en première lecture, au Sénat, en avril 2023. Aujourd’hui, les associations, les familles et les professionnels de santé réclament l’instauration du registre national des cancers. Il n’est plus concevable qu’en 2025 la France fasse encore partie des rares pays européens à ne pas disposer d’un tel outil.
Dans mon département, la Loire-Atlantique, le collectif « Stop aux cancers de nos enfants » a tiré la sonnette d’alarme au sujet d’un cluster de cancers pédiatriques. Selon l’agence régionale de santé (ARS), dans le bassin de vie de Saint-Nazaire, la surmortalité due au cancer est supérieure de 40 % à la moyenne nationale. Des adultes tombent malades, des enfants meurent.
Depuis trop longtemps, nous laissons les inégalités territoriales dicter la qualité du suivi, de la prévention et de l’accompagnement. Dans certains départements, on ne sait même pas combien de nouveaux cas apparaissent chaque année. Comment peut-on prétendre lutter efficacement contre le cancer sans connaître précisément où il frappe, à quelle fréquence et dans quelles conditions ? Ce registre national est bien plus qu’un simple outil administratif, c’est un thermomètre sanitaire. Il permettra une meilleure mise à disposition des ressources, une détection plus rapide des inégalités et une réponse sanitaire adaptée. Il rendra visibles celles et ceux qu’on ne voit jamais dans les chiffres et dont la souffrance reste muette dans les statistiques.
Ne pas instaurer le registre national des cancers, c’est continuer d’avancer les yeux fermés, se satisfaire d’une ignorance coupable, considérer que la vie d’un patient à Paris vaut plus que celle d’un patient de Loire-Atlantique ou des outre-mer. Nous devons ce registre aux soignants, aux malades, ainsi qu’à ceux qui les accompagnent. Nous le devons à celles et ceux pour qui ce combat n’est pas un débat technique, mais une réalité quotidienne douloureuse, parfois tragique. Un simple registre ne guérit pas, il ne remplace ni la prévention ni la recherche, mais il donne à chacun les mêmes armes contre la maladie.
Chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à voter avec lucidité et surtout humanité. Car derrière chaque donnée, chaque courbe, chaque pourcentage, il y a des visages, des familles, des histoires. Au groupe Démocrates, nous pensons qu’il est de notre responsabilité de faire exister pleinement ce registre dans nos politiques publiques. C’est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs des groupes EPR, LFI-NFP et SOC.)
Mme la présidente
Sur l’article unique de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Paul-André Colombani.
M. Paul-André Colombani (LIOT)
Responsable de 150 000 décès chaque année, le cancer est la principale cause de mortalité prématurée en France. Selon l’Institut national du cancer, le nombre de cas diagnostiqués a doublé entre 1990 et 2023. Malgré la prévention et les progrès thérapeutiques, la maladie continue de progresser, reste difficile à vivre et entraîne une forte mortalité. Les facteurs de risque environnementaux sont encore trop peu étudiés en dépit des alertes.
Il y a deux ans, le Sénat a adopté une proposition de loi qui permettrait d’améliorer nos connaissances, le suivi épidémiologique des cancers et ainsi notre réponse à l’augmentation des cancers. Patients et médecins nous appellent à poursuivre le travail. Je pense en particulier à l’association Jeune & Rose, dont je salue l’engagement, remarquable. Mais pour agir efficacement, il nous faut d’abord disposer de données fiables et complètes. Or nous n’en sommes pas là, puisque trente-trois registres couvrent à peine un quart de la population, principalement dans les zones rurales, dont les habitants sont âgés et relativement favorisés.
L’instauration d’un registre national des cancers est complexe et je peux en témoigner personnellement. En tant que président de l’observatoire régional de la santé de Corse, lequel pilote le registre des cancers de notre territoire, je mesure chaque jour les difficultés liées au recueil des données, au financement et aux contraintes administratives. Nous allons d’ailleurs formaliser prochainement une convention avec nos homologues sardes et italiens afin de renforcer notre connaissance partagée.
Dans le même temps, les grandes agglomérations telles que Paris, Marseille, Lyon, Toulouse et Nice restent en dehors du dispositif. Autrement dit, nous ne surveillons pas les territoires où les expositions aux polluants et aux facteurs de risque sont les plus concentrées. Cette couverture partielle peut fausser nos conclusions, limite notre capacité à identifier les facteurs environnementaux, sociaux ou professionnels à l’origine des cancers, et freine une action ciblée et efficace en matière de santé publique. L’instauration d’un registre national des cancers permettrait de connaître avec précision le nombre de cas, de détecter les zones à forte incidence, de mieux évaluer les risques liés à certaines expositions et surtout d’adapter notre offre de soins. Un tel outil renforcerait aussi les actions de prévention et le suivi des politiques de santé publique. Il permettrait enfin de clarifier le cadre légal en encadrant la collecte des données en cancérologie.
La priorité est d’élargir la couverture du territoire, surtout dans les zones sensibles. Les populations sont souvent les premières à s’inquiéter. Les sollicitations pour suspicion de cluster, en particulier pédiatrique, se multiplient. Les registres actuels sont précieux, mais encore sous-exploités. Ils sont en outre difficiles à alimenter, ce qui entraîne un retard de trois à cinq ans dans leur exploitation, et s’articulent mal avec les autres données médico-administratives. Par ailleurs, leur gouvernance n’est pas optimale. L’existence d’un registre national des cancers pédiatriques nous amène à nous interroger sur l’absence d’un tel registre pour tous les autres types de cancers. Ce modèle doit de toute évidence être exporté.
Le groupe LIOT soutiendra cette proposition de loi très attendue. La création d’un registre national des cancers suppose toutefois un financement pérenne et ambitieux. Nous attendons des engagements du gouvernement en ce sens. À ceux qui s’inquiètent des coûts d’un tel dispositif, je veux dire qu’ils sont à mettre en perspective avec le coût du cancer pour notre société aujourd’hui : 22 milliards par an, soit 12 % du budget de la sécurité sociale. Mieux prévenir, c’est aussi mieux dépenser. Au-delà des chiffres, il y a la vie, les patients, le poids de la maladie et l’espoir d’un parcours de soins plus humain, plus efficace et plus juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et des commissions. – Mme Marie-Charlotte Garin applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
Enfin, nous avons la possibilité d’achever l’examen de la proposition de loi visant à créer un registre national des cancers ! Il était grand temps, en effet, que ce texte présenté et voté à l’unanimité au Sénat il y a plus de deux ans, en avril 2023, termine son parcours législatif et permette à notre système de veille sanitaire, de prévention et de soins de disposer, dans les meilleurs délais, d’un outil essentiel à la lutte contre les cancers.
Malgré l’implication sans faille des chercheurs et les progrès indiscutables de la science médicale, le cancer demeure un fléau qu’il convient de combattre avec des moyens adaptés. En 2023, l’Institut national du cancer estimait à plus de 433 000 le nombre de nouveaux cas en France. Ils représentent la première cause de décès prématurés chez l’homme, la deuxième chez la femme. Depuis trente ans, le nombre global de nouveaux cas de cancers augmente chaque année dans notre pays. Plus précisément, depuis 1990, l’incidence des cancers a augmenté de 65 % chez l’homme et de 93 % chez la femme, une hausse qui pour 6 % des cas chez l’homme et 45 % des cas chez la femme n’est pas attribuable à la démographie.
Ces chiffres nous questionnent, d’autant qu’ils ne sont qu’une extrapolation, les registres à partir desquels ils sont élaborés étant épars et parcellaires. Au nombre de vingt-sept, ces registres sont spécifiques à des zones géographiques et à certains types de cancers. Ils ne couvrent que 24 % de la population, soit 14 millions de personnes. De surcroît, si l’incidence des cancers est globalement plus faible dans les territoires dits d’outre-mer par rapport à la métropole, certains sont surreprésentés, comme le cancer de la prostate en Martinique, le cancer de l’œsophage à La Réunion ou le cancer du col du col de l’utérus en Polynésie. Ces variations sont malheureusement peu documentées, ce qui contribue à un dépistage tardif dans ces territoires.
Dans ce contexte, la création d’un registre national des cancers, plébiscitée par les personnels soignants, les chercheurs et les associations de patients, est une disposition très utile, qui permettra d’améliorer tous les aspects de la lutte contre le cancer – la prévention, le dépistage, le diagnostic et la prise en charge humaine des patients. Ce registre permettra notamment de combler les lacunes concernant les causes nouvelles de cancer, notamment environnementales, trop peu étudiées. Le Circ classifie pourtant la pollution atmosphérique comme cancérigène pour l’homme depuis 2013. Mes concitoyens de l’agglomération du Havre qui vivent à proximité de la zone industrielle de Gonfreville-l’Orcher en savent quelque chose. Le maire de cette commune réclame d’ailleurs depuis longtemps la création d’un observatoire santé environnement. Dans certains territoires, de telles instances sont nécessaires, en plus du registre national des cancers, pour mesurer l’impact de la pollution environnementale sur la santé.
Le registre national des cancers constituera également un appui précieux pour identifier et prévenir les cancers d’origine professionnelle. On estime leur nombre à près de 12 000 – Alma Dufour y a fait référence tout à l’heure en évoquant les travailleurs des raffineries. Or moins de 1 % d’entre eux sont reconnus comme des maladies professionnelles. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine.
La création de ce registre a certes un coût, mais celui-ci est bien modique au regard du poids économique de la prise en charge des personnes atteintes d’un cancer, cette pathologie étant la plus onéreuse pour l’assurance maladie, le ministre le sait bien. La Cour des comptes a évalué le coût de cette prise en charge à 22,5 milliards d’euros en 2021, ce qui représente 12,1 % des dépenses d’assurance maladie.
Il est urgent de faire des progrès. Il faut se décider à investir massivement pour faire reculer cette maladie qui touche toujours plus de personnes. Beaucoup l’ont dit avant moi : pour développer la recherche, améliorer la prévention et mieux soigner, il faut des moyens financiers suffisants et adaptés.
Pour toutes ces raisons, les députés communistes et les députés des territoires dits d’outre-mer du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Dogor-Such.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN)
Nous examinons une proposition de loi qui vise à créer un registre national des cancers pour l’ensemble du territoire. Pour l’heure, les données relatives à l’épidémiologie des cancers reposent sur des estimations calculées à partir des données collectées dans les registres territoriaux du cancer, généraux ou spécialisés, qui couvrent environ 24 % de la population nationale. Cette cartographie épidémiologique est partielle et inadaptée à une politique de santé qui se voudrait ambitieuse. Elle est de nature à complexifier la recherche en empêchant les pouvoirs publics de disposer d’une base interopérable pour tout le territoire.
Depuis trente ans, le nombre global de nouveaux cas de cancer augmente chaque année, ce qui s’explique par l’accroissement de la population, son vieillissement et les progrès du diagnostic. À l’inverse, le taux de mortalité est en constante diminution depuis vingt-cinq ans grâce aux progrès thérapeutiques et aux nouvelles méthodes de diagnostic qui permettent de déceler les cancers à un stade plus précoce, ce qui facilite leur prise en charge.
Il est devenu nécessaire d’estimer les besoins de prise en charge de la population pour évaluer les politiques de santé. La surveillance épidémiologique des pathologies cancéreuses repose sur l’enregistrement ainsi que le suivi continu et exhaustif des nouveaux cas de cancer survenant dans une zone géographique donnée grâce à des registres du cancer.
L’Académie nationale de médecine a considéré en 2021 que la création d’un registre national des cancers serait une étape importante dans la perspective d’une prochaine harmonisation au niveau européen. Le cadre juridique du registre national des cancers doit prévoir un traitement des données conforme au règlement général sur la protection des données (RGPD). Géré par l’Institut national du cancer, le registre doit être doté de ressources financières pérennes. Il pourrait alors enrichir le système national des données de santé et alimenter une recherche de qualité, recourant aux outils de l’intelligence artificielle.
La création de ce registre national permettra donc à la France de rejoindre le réseau européen des registres du cancer, qui existe depuis 1990, et de se rapprocher ainsi des pratiques de ses voisins européens. La prévention s’en trouvera améliorée grâce à un dépistage qui permettra de poser un diagnostic plus précoce. Les travaux de recherche en seront facilités, ce qui permettra une prise en charge plus équitable.
Cependant, nous aimerions obtenir quelques garanties : la couverture des différents territoires sera-t-elle équitable ? Les données feront-elles l’objet d’un hébergement souverain, sur le sol français ou européen ?
Ce registre national est un outil indispensable pour assurer la transparence des données, l’efficacité de la recherche et la justice sanitaire. Parce que le cancer demeure en France la première cause de mortalité chez l’homme et la deuxième chez la femme, nous ne pouvons que nous féliciter de la création de cet outil épidémiologique qui centralisera les données relatives au cancer de l’enfant et de l’adulte dans tout le territoire. Mon groupe votera donc pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe (HOR)
Au moment où notre assemblée s’apprête à se prononcer définitivement sur la proposition de loi visant à créer un registre national des cancers, le groupe Horizons & indépendants souhaite rappeler la portée essentielle de ce texte, adopté par le Sénat et que nous avons eu à cœur de ne pas modifier pour qu’il soit voté conforme et entre en vigueur le plus rapidement possible.
Face à la réalité implacable du cancer, première cause de mortalité chez l’homme, deuxième chez la femme, avec près de 400 000 nouveaux cas chaque année dans notre pays, il est urgent de doter la France d’un outil qui soit à la hauteur de l’enjeu.
Jusqu’à présent, la fragmentation de nos registres, couvrant à peine un Français sur cinq, représente une faiblesse majeure pour notre politique de prévention et de suivi ainsi que pour les travaux de recherche. Nous ne pouvons plus accepter que la France reste en retrait alors que vingt-deux pays européens disposent déjà d’un registre national.
Par ce texte, nous faisons le choix de l’efficacité, de la transparence et de l’ambition collective. En confiant la gestion du registre à l’Inca, nous garantissons la rigueur scientifique, l’indépendance et la valorisation des données au service de tous les Français.
Sans surprise, eu égard à mes précédents travaux et aux côtés de la fédération Grandir sans cancer et de l’association Eva pour la vie, je voudrais également appeler votre attention sur le sujet des cancers pédiatriques, parent pauvre de la recherche.
J’espère que ce registre national sera un levier puissant pour améliorer la prévention, le dépistage, la prise en charge, la recherche, mais aussi pour répondre aux attentes de nos concitoyens qui s’inquiètent des expositions environnementales. C’est pourquoi notre groupe votera avec conviction ce texte très attendu, puisqu’il a déjà été adopté par le Sénat il y a deux ans. Il permettra à la France de franchir un cap décisif dans la lutte contre le cancer. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et EPR. – M. le président de la commission des affaires sociales et M. le rapporteur applaudissent également.)
Vote sur l’article unique
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 74
Nombre de suffrages exprimés 74
Majorité absolue 38
Pour l’adoption 74
Contre 0
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de loi.)
(Applaudissements sur tous les bancs.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix, sous la présidence de Mme Nadège Abomangoli.)
Présidence de Mme Nadège Abomangoli
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est reprise.
2. Traité de coopération en matière de défense entre la France et Djibouti
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti (nos 1450, 1563).
Présentation commune
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux.
M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux
Je suis heureux de présenter le projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024.
La France et Djibouti entretiennent un partenariat privilégié, fondé sur une confiance mutuelle et assis sur une coopération déployée dans de nombreux domaines, tels que la défense, l’éducation, la santé, les infrastructures ou le spatial. Ce partenariat a été réaffirmé à l’occasion du deuxième déplacement du président de la République à Djibouti en décembre dernier. Le présent traité matérialise la convergence des intérêts stratégiques français et djiboutiens dans la Corne de l’Afrique, en mer Rouge, dans le golfe d’Aden et au-delà.
La présence militaire française à Djibouti a une double vocation : sécuriser la voie maritime vers l’Indo-Pacifique et nos outre-mer, d’une part, et contribuer à la sécurité de Djibouti dans un environnement régional complexe, d’autre part. La mission de nos forces est tournée à la fois vers nos intérêts de défense nationaux et vers la défense de notre partenaire. Le traité se distingue en effet par le maintien d’une clause de sécurité selon laquelle la France s’engage à contribuer, avec les moyens qu’elle juge appropriés, à la défense de l’intégrité territoriale de Djibouti.
Signe de l’importance des enjeux, Djibouti accueille à la fois une base militaire chinoise et une base militaire américaine ; des détachements des forces japonaises et italiennes y sont également présents. La France est l’unique puissance, parmi les cinq qui disposent de forces prépositionnées à Djibouti, à assumer une mission de défense au profit de ce pays. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet de loi qui vous est soumis, adopté au Sénat le 21 mai dernier.
Ce traité, en négociation depuis mai 2023, remplacera le précédent accord en vigueur depuis 2014. Il vise à conforter notre relation bilatérale de défense dans les domaines opérationnel et stratégique ainsi qu’à sécuriser les accès militaires permettant une projection dans la région et vers l’Indo-Pacifique, notamment vers nos collectivités d’outre-mer qui y sont situées, durant les vingt prochaines années.
En cas de crise, la base militaire française à Djibouti est essentielle pour notre autonomie stratégique, comme en témoigne l’évacuation, via Djibouti, de plus de 1 000 ressortissants d’environ quatre-vingts nationalités, dans le cadre de l’opération Sagittaire, lors du déclenchement d’affrontements armés au Soudan en avril 2023. Elle a aussi été utilisée, notamment, pour assurer les approvisionnements à la suite du passage du cyclone Chido à Mayotte.
Le traité permet également aux 1 500 militaires qui composent les forces françaises stationnées à Djibouti de poursuivre leurs entraînements sur l’ensemble du territoire djiboutien avec davantage de prévisibilité.
Il réaffirme l’approche partenariale de la France en prévoyant une coopération renforcée avec les forces armées djiboutiennes. Celle-ci peut prendre diverses formes : formations, entraînement des forces djiboutiennes aux opérations de maintien de la paix ou encore accueil de membres de ces forces au sein d’écoles ou d’unités militaires françaises.
Notons que le traité prévoit une augmentation de la contribution financière versée à Djibouti, qui n’avait pas été réévaluée depuis longtemps.
Ce nouveau traité, qui conforte notre position de principal partenaire de défense de Djibouti, est avantageux pour tous, dans un contexte de compétition géostratégique accrue. Bâti à partir du précédent traité, il offre davantage de stabilité et de prévisibilité à chacune des parties.
Telles sont les principales observations qu’appelle le traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti qui fait l’objet du projet de loi soumis à votre approbation.
Mme la présidente
La parole est à M. Marc de Fleurian, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. Marc de Fleurian, rapporteur de la commission des affaires étrangères
Au terme de deux ans de tractations, le mercredi 24 juillet 2024, le président de la République française et son homologue djiboutien se sont accordés sur le renouvellement de notre partenariat de défense.
Dès le mois de juin 1977, date de l’accession de la république de Djibouti à l’indépendance, un protocole provisoire de sécurité avait été conclu. Il établissait les modalités du stationnement des forces françaises sur le territoire national djiboutien et faisait office d’accord de défense entre les deux États.
Après une convention qui, en 2003, avait précisé les modalités financières de la présence française, le premier traité de coopération en matière de défense était signé en 2011. Il accordait aux forces françaises stationnées à Djibouti un statut juridictionnel protecteur et garantissait l’accès à certaines infrastructures sur le sol djiboutien, moyennant le versement d’une contribution forfaitaire annuelle.
Ainsi, depuis près de cinquante ans, un contingent militaire français y est déployé. Djibouti accueille aujourd’hui environ 1 500 militaires français et leurs familles. Cette base, unique en son genre, est la seule à disposer en permanence de capacités terrestres, aériennes et maritimes ainsi que d’un état-major interarmées.
Cette configuration exceptionnelle nous permet de garantir une réactivité opérationnelle optimale face aux enjeux de sécurité régionaux et internationaux. Elle offre des conditions climatiques particulièrement difficiles pour les entraînements et rend possibles des exercices conjoints avec nos alliés.
La position de Djibouti est hautement stratégique d’un point de vue militaire et économique : implantée sur la rive occidentale du détroit de Bab-el-Mandeb, carrefour maritime névralgique entre la mer Rouge, le golfe d’Aden et l’océan Indien, où transitent quotidiennement près de 12 % du commerce mondial, dont plus de 6 millions de barils de pétrole, et où sont disposés dix-sept câbles sous-marins. J’en profite pour saluer l’excellent travail des ouvriers d’Alcatel, fleuron de l’industrie calaisienne.
Il est important de disposer d’une base à Djibouti. J’en veux pour preuve le fait que la Chine et le Japon y ont construit leur unique base militaire à l’étranger – respectivement à Doraleh, qui peut accueillir plus de 5 000 soldats, et à Ambouli. Les États-Unis y ont également bâti leur plus grande base permanente en Afrique, qui compte plus de 4 000 soldats et abrite le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom). Djibouti se distingue ainsi sur la scène internationale en étant l’unique nation au monde à accueillir sur son sol les forces militaires de plusieurs grandes puissances dotées.
Toute instabilité affectant cette zone a des répercussions considérables sur les flux énergétiques et commerciaux mondiaux, ce qui a des conséquences immédiates pour l’économie et les ménages français.
Depuis de nombreuses années, des évènements déstabilisent la Corne de l’Afrique. La guerre civile dans le Tigré entre 2020 et 2022 a entraîné des déplacements de population massifs vers Djibouti – 200 000 personnes en 2024 pour un pays de 1,1 million d’habitants. En Somalie, les chebabs, qui appellent notamment à frapper les bases françaises et américaines, représentent une menace terroriste.
En outre, la situation sécuritaire du détroit du Bab-el-Mandeb, déjà marquée par la piraterie, s’est aggravée depuis octobre 2023 avec le déclenchement, depuis le Yémen, d’offensives menées par les houthistes sur les navires en transit. Pas moins de 40 % des navires choisissent de passer par le cap de Bonne-Espérance, ce qui renchérit le coût du transport maritime.
Djibouti a également fait face à des incursions érythréennes sur son territoire en 2008 ainsi qu’à des attaques du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud), un groupe armé djiboutien, qui ont causé la mort de sept militaires djiboutiens en 2022.
Dès lors, le maintien de la clause de sécurité, qui figure à l’article 4 du traité, est capital. Elle prévoit la possibilité d’un engagement des troupes françaises en cas de menace ou d’atteinte à l’intégrité territoriale de Djibouti. Cette clause n’est pas théorique puisqu’elle a déjà été activée en 2008.
Le nouveau traité intervient dans un contexte de réorganisation de notre dispositif militaire en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale depuis la fin de l’opération Barkhane et la réduction significative de notre présence au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad.
Par ailleurs, notre présence à Djibouti est indispensable pour garantir la sécurité de nos compatriotes qui résident outre-mer et à l’étranger. C’est ce qu’a démontré l’opération Sagittaire, évoquée par M. le ministre, qui a permis d’évacuer via Djibouti plus d’un millier de ressortissants de quatre-vingt-quatre pays, dont 225 Français, à la suite du déclenchement du conflit armé au Soudan. Une quarantaine de pays ont d’ailleurs remercié la France pour l’évacuation de leur personnel diplomatique et de leurs citoyens dans le cadre de cette opération.
La position géographique stratégique de Djibouti permet également à la France d’intervenir rapidement en cas de crise dans les territoires d’outre-mer, comme ce fut le cas au moment du cyclone Chido en 2024.
La présence militaire française à Djibouti offre un point d’appui aux forces françaises projetées vers la zone indo-pacifique, le continent africain et le Moyen-Orient. Elle favorise la sécurisation des approvisionnements énergétiques et de marchandises vers la France tout en contribuant à la sécurité de Djibouti. Elle permet le déploiement des opérations Atalante et Aspides qui visent à lutter contre la piraterie et les attaques des houthistes.
Comme le prévoit la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030, la base de Djibouti doit bénéficier d’un réinvestissement important au cours des prochaines années, notamment en prévision du remplacement des avions Mirage par des Rafale, des blindés AMX-10 RC par des Jaguar et des véhicules de l’avant blindé (VAB) par des Griffon.
Outre le maintien de la clause de sécurité, le traité conclu en 2024 reprend globalement l’architecture de celui de 2014. Il rappelle les différentes modalités de la coopération militaire franco-djiboutienne en matière de formation, de conseil et d’armement. Il reconduit les dispositions relatives au statut des membres des forces françaises stationnées à Djibouti en matière de permis de conduire, de port d’arme ou encore de coopération judiciaire.
La France conserve ainsi l’ensemble de ses installations et sécurise son accès à l’aéroport et à certains quais du port. Elle cède 40 % de l’îlot du Héron à la demande des Djiboutiens, qui ont souhaité se réapproprier cette zone. Cette rétrocession sans conséquence opérationnelle est la marque d’une négociation équilibrée et respectueuse des parties.
Le nouvel accord apporte des évolutions dans quatre domaines principaux : le dialogue stratégique, la coopération civile, les facilités opérationnelles et la contribution pour la mise à disposition des installations.
Tout d’abord, le traité prévoit la création d’un comité militaire de dialogue stratégique ainsi que d’un mécanisme d’alerte visant à donner une portée plus efficace à la clause de sécurité.
Ensuite, dans le domaine militaro-civil, le traité précise que la France s’engage à apporter une aide médicale aux forces djiboutiennes, mais aussi, dans la mesure du possible, à la population. Il indique également que la France participe à la régulation du trafic aérien en appui de nos alliés djiboutiens.
Par ailleurs, le nouveau traité prévoit une simplification des contraintes administratives – un point essentiel. Déplacements et exercices nécessiteront désormais une simple notification aux autorités nationales djiboutiennes alors qu’un accord préalable était auparavant exigé.
La contribution financière passera de 30 à 85 millions d’euros par an. Cette augmentation significative doit être appréciée au regard de l’étendue des emprises dont bénéficie la France, partenaire privilégié de la république de la Djibouti, et de la concurrence des autres pays qui s’y sont implantés ou désirent le faire. Le montant antérieur, qui avait été fixé en 2003, était nettement sous-évalué.
Enfin – et c’est, là encore, essentiel –, le traité renégocié prévoit un engagement plus long, d’une durée de vingt ans au lieu de dix jusqu’à présent, ce qui nous permet d’avoir une plus grande visibilité sur nos actions et sur notre coopération avec nos amis djiboutiens.
Précisons que le partenariat franco-djiboutien ne repose pas uniquement sur une coopération militaire. Nous partageons notamment une culture commune – le français étant, avec l’arabe, la langue officielle du pays. Saluons ici l’action de l’institut français de Djibouti ainsi que le programme d’échange entre les lycées d’excellence de Djibouti et plusieurs lycées français.
En outre, notre coopération économique bilatérale permet de favoriser le développement et la création d’emplois, comme l’atteste le choix de Djibouti de confier le contrat de conception de son nouvel aéroport international à deux entreprises françaises, Egis et ADP Ingénierie.
Un partenariat a également été noué avec des centres hospitaliers universitaires (CHU) français pour la rénovation et de l’équipement des polycliniques de Djibouti-ville.
J’ajoute qu’une coopération dans le domaine spatial a permis le lancement de deux satellites djiboutiens et que l’extension du réseau d’assainissement de Djibouti-ville constitue un autre chantier d’ampleur.
Djibouti est ainsi le premier récipiendaire de l’aide publique au développement française si l’on rapporte le montant de l’enveloppe au nombre d’habitants.
L’autorisation par l’Assemblée de la ratification de ce traité renforcera notre coopération militaire mais aussi notre relation singulière en matière de développement économique et culturel. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Discussion générale
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Limongi.
M. Julien Limongi
Nous sommes appelés à autoriser la ratification du nouveau traité de coopération en matière de défense entre la France et la république de Djibouti. Cet accord actualise et prolonge un partenariat stratégique ancien, solide et profondément enraciné. Le groupe Rassemblement national votera en faveur de la ratification de ce traité, qui s’inscrit dans une logique de continuité, de stabilité et de souveraineté.
À Djibouti, la France dispose d’une base militaire majeure qui constitue un levier unique de projection pour nos forces armées dans une région charnière : la Corne de l’Afrique, la mer Rouge, l’océan Indien. Cette zone est essentielle pour la liberté de navigation, pour la lutte contre le terrorisme, pour la protection de nos intérêts économiques et maritimes, mais aussi pour notre crédibilité internationale.
Or ce traité consolide notre présence puisqu’il renforce la clause de sécurité, instaure un dialogue stratégique structuré et prolonge le partenariat pour vingt ans. Il reflète la volonté partagée de bâtir une coopération durable.
Je souhaite, à cette tribune, rendre un hommage appuyé aux forces françaises stationnées à Djibouti. Leur engagement, leur professionnalisme et leur résilience forcent le respect. Depuis plus de vingt ans, elles sont en première ligne dans diverses opérations, qu’elles soient bien sûr militaires – citons, entre autres, les opérations Barkhane, Chammal, Sangaris, Licorne, Artémis et Boali –, humanitaires – après le passage du cyclone Chido à Mayotte – ou d’évacuation – je pense au retrait de ressortissants du Yémen en 2015 ou du Soudan en 2023, avec l’opération Sagittaire. Elles ont aussi défendu nos ressortissants face à la piraterie lors des affaires du Ponant, du Carré d’As ou du Tanit. Toutes ces missions attestent l’efficacité, la disponibilité et l’importance de ces forces dans notre dispositif de défense. Elles méritent notre gratitude mais aussi un engagement de notre part à leur fournir les moyens d’agir.
S’il est bienvenu, ce traité ne doit pas masquer deux sujets majeurs d’inquiétude. Tout d’abord, il n’y a pas de stratégie de défense efficace sans diplomatie claire, cohérente et crédible. Or, depuis plusieurs années, les prises de position du chef de l’État sur les questions internationales oscillent entre ambiguïtés, volte-face et déclarations contradictoires. Cette instabilité affaiblit la parole de la France. Elle brouille nos alliances et alimente la défiance, notamment en Afrique, où Emmanuel Macron a gravement dégradé notre image.
Dans ce contexte, le lien solide que nous conservons avec Djibouti constitue une exception – et une chance qu’il nous faut préserver.
Ensuite, ce traité engage la France à long terme, y compris sur le plan budgétaire. La contribution forfaitaire annuelle passera de 30 à 85 millions d’euros – un effort notable. Une telle augmentation ne remet pas en cause l’intérêt de ce texte. Bien au contraire : à l’heure où nos positions s’érodent sur le continent africain, il est plus que jamais essentiel de conforter notre partenariat avec un allié fiable et durable.
Encore faut-il être capable d’honorer nos engagements. À cet égard, l’application de la loi de programmation militaire soulève de sérieuses inquiétudes, que notre groupe n’a cessé d’exprimer et qui ont d’ailleurs été récemment reprises dans un rapport sénatorial dont votre propre majorité est à l’origine. Disons-le franchement : l’audition du ministre des armées par la commission de la défense ne nous a pas rassurés.
M. Bastien Lachaud
Il ne fallait pas voter la LPM !
M. Julien Limongi
Les forces françaises à Djibouti doivent bénéficier d’un renouvellement de leur équipement d’ici à 2028. Or la LPM, censée les y aider, rencontre des blocages persistants : les crédits tardent à être dégelés ; les commandes aux industriels prennent du retard ; les 13 milliards d’euros de recettes extrabudgétaires manquent de sincérité ; certains crédits ont été redirigés, sans compensation, notamment vers le soutien à l’Ukraine – ce qui n’était pas prévu.
Ratifier un traité ne suffit pas ; il faut ensuite lui donner corps dans la durée. Il faut des moyens, des ressources, une volonté politique ferme. Pleinement conscients des enjeux, nous soutenons ce texte, parce qu’il sert nos intérêts stratégiques et consolide notre présence dans une région clé. Nous n’en demeurerons pas moins vigilants quant à la préservation de notre bonne relation avec Djibouti, dans le cadre d’une politique de défense ambitieuse, cohérente et à la hauteur des capacités de nos armées. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Amélia Lakrafi.
Mme Amélia Lakrafi
Je tiens à souligner l’importance capitale de ce traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti. Je rappelle d’abord que Djibouti est un pays important de ma circonscription et que son lien avec la France est des plus étroits : 4 000 Français y résident, dont de nombreux Franco-djiboutiens, et 1 500 de nos militaires y sont stationnés. Djibouti fait en outre figure de bastion de la francophonie dans une région presque totalement anglophone, ce qui confère un sens plus profond encore à nos liens d’amitié. Ce pays fait partie des principaux partenaires de la France en Afrique de l’Est et l’on y compte une école et un lycée français ainsi qu’un institut français. On y trouve également trois conseillers des Français de l’étranger, ces élus locaux que nos ressortissants élisent tous les six ans et dont je souhaite ici saluer le dévouement – je regrette qu’ils soient trop peu connus et reconnus. La signature de ce traité de défense constitue donc un signal fort envoyé à la partie djiboutienne, qui marque la solidité de notre partenariat et de nos liens d’amitié historiques.
Djibouti occupe une position clé dans la région de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique, qui s’étend entre la mer Rouge et le golfe d’Aden. Notre pays y a très tôt installé une base militaire, qui nous a été fort utile à maintes occasions, dans cette partie du monde soumise à de nombreux troubles. Je pense notamment à l’opération Sagittaire, menée en 2023 dans le contexte du conflit au Soudan. Cette opération exemplaire, conduite avec l’appui des autorités djiboutiennes – que je remercie –, a permis le rapatriement de plus de 900 ressortissants étrangers, dont plus de 250 Français installés dans la région.
À l’heure où notre présence militaire en Afrique se réduit, conformément aux objectifs formulés dans le discours de Ouagadougou en 2017, cette base deviendra à terme notre dernier ancrage stratégique militaire permanent sur le continent – si l’on excepte la base de Libreville –, ce qui ne fait qu’en renforcer l’importance pour nous.
Je l’ai dit : dans cette partie du monde importante sur le plan stratégique et soumise à de nombreuses tensions et turbulences graves, d’autres pays ont, ces dernières années, implanté des bases militaires à Djibouti. Cela ne fait qu’accentuer la nécessité de signer un nouveau traité de défense, qui constitue le point d’aboutissement d’un travail diplomatique tout à fait remarquable, auquel je rends hommage.
Si ce texte reprend pour une large part les stipulations du précédent traité, il vise à donner davantage de prévisibilité aux deux parties et clarifie plusieurs procédures. Tout d’abord, je souhaite mettre en avant l’allongement de la durée de validité du traité, qui passe de dix à vingt ans, ce qui témoigne de la confiance mutuelle entre nos deux pays et constitue un gage de stabilité pour nos forces militaires. Il met aussi à jour la liste des emprises mises à disposition par la partie djiboutienne, en prévoyant notamment la restitution de 40 % de l’îlot du Héron, ce que nous pouvons parfaitement comprendre dans la mesure où cela contribuera au développement économique et social du pays. Par ailleurs, cette restitution ne nous pénalise pas. Le traité prévoit encore la création d’un comité militaire de dialogue stratégique, afin que nous puissions mieux faire face ensemble aux enjeux régionaux.
Le point le plus important, qui distingue notre base militaire de celles d’autres pays, est la clause de sécurité qui est au cœur du traité. En effet, c’est pour pouvoir répondre à nos obligations envers Djibouti que nous entretenons des capacités dans tous les domaines – aérien, terrestre et maritime. C’est ce qui nous différencie des autres États disposant de forces dans ce pays : contrairement aux nôtres, les leurs ne contribuent pas à la sécurité de Djibouti. Nous jouons donc un rôle assumé de protecteur du territoire djiboutien et, par conséquent, de nos ressortissants sur place et dans toute la région. Enfin, le traité prévoit la participation de la France à la police de l’espace aérien et à la surveillance des eaux territoriales de Djibouti.
Certains s’étonnent de l’augmentation de notre contribution annuelle forfaitaire. Je considère pour ma part qu’elle est conforme avec la relation de respect mutuel que nous souhaitons entretenir avec ce pays.
Pour conclure, je formulerai une remarque qui me tient particulièrement à cœur : à l’heure où la relation de certains régimes, notamment ceux de l’Alliance des États du Sahel, avec la France est marquée par des tensions, il est essentiel de rappeler que cinquante des cinquante-quatre États africains entretiennent avec nous des relations de confiance, dynamiques et respectueuses. Ce traité avec Djibouti en est une belle illustration. Je vous invite donc tous à voter en faveur de ce texte. (Mme Liliana Tanguy, M. Christophe Blanchet et Mme Anne Le Hénanff applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien Lachaud
L’accord entre la France et Djibouti s’inscrit dans la continuité de la présence de nos forces armées dans une région clé pour la géopolitique mondiale. Djibouti constitue un point d’appui majeur pour la projection de nos forces, tant vers La Réunion et Mayotte que vers des zones sensibles comme le Moyen-Orient ou l’Asie de l’Est. Notre présence dans ce pays permet de garantir la sécurité des navires français et de défendre nos intérêts dans la région, notamment en matière de liberté de navigation. Djibouti est au carrefour des routes maritimes internationales : située aux portes de la mer Rouge, qui relie la mer Méditerranée à l’océan Indien, elle constitue un nœud commercial crucial pour la France – près de 70 % du trafic maritime de et vers l’Europe y transite.
Toute déstabilisation de la région aurait des conséquences sur la vie quotidienne des Français et sur notre économie, qui en dépend largement pour ses importations, notamment de pétrole. Que fera notre gouvernement, qui a toujours refusé le blocage des prix, si ceux de l’essence grimpent en flèche ?
Plus qu’ailleurs, notre diplomatie doit être cohérente et se faire entendre. Or notre débat intervient quelques jours après les bombardements israéliens puis étasuniens contre l’Iran. Loin de se montrer cohérente, de défendre le droit international, de faire entendre une voix singulière pour la paix, notre diplomatie se révèle complice, par son silence, des violations graves du droit international qui s’y déroulent. Après les récentes attaques israéliennes contre l’Iran, la première réaction du gouvernement et du président Emmanuel Macron lui-même a consisté à invoquer le droit d’Israël à se défendre, allant jusqu’à proposer l’aide de la France pour protéger Israël, pourtant coupable d’une agression parfaitement illégale au regard du droit international. En effet, ces bombardements ne sont ni une riposte, ni une action défensive face à une attaque préalable qu’aurait commise l’Iran, mais bien une offensive. Les conséquences de ces événements sur la stabilité de la région sont incalculables. Personne ne sait quelle sera la réaction de l’Iran à cette agression.
Face à un risque aussi grand pour la stabilité de la région et, plus largement, du monde, que fait le gouvernement ? Rien. Ne pas vouloir condamner ces violations caractérisées et manifestes du droit international est grave. Celui-ci n’est brandi que dans certaines circonstances : face à la Chine, à la Russie, au Sud global, mais jamais face aux pays dits occidentaux. Ce « deux poids, deux mesures » inacceptable est visible de tous. Il s’agit d’une stratégie dangereuse, qui ne peut qu’affaiblir le droit international, alors qu’il est le seul rempart contre l’emploi généralisé de la force et l’exercice du droit du plus fort.
D’ailleurs, le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou ne s’y trompe pas : après dix-huit mois de génocide et malgré une condamnation de la Cour pénale internationale, il se sent parfaitement libre de continuer à faire usage de la force la plus brutale, à Gaza, puis au Liban, et à présent en Iran. Pourquoi cesserait-il de le faire puisque les États-Unis entrent à leur tour dans cette escalade ? Le gouvernement français n’est toujours pas capable de condamner, d’appeler à la désescalade et au respect du droit international. Pour toute réaction, à ce jour, le quai d’Orsay a exprimé sa « préoccupation » au sujet des bombardements étasuniens.
Où est passée la France du discours du général de Gaulle à Phnom Penh, qui condamnait la guerre du Vietnam et toutes les aventures néocoloniales et impérialistes, qui « ne pouvaient conduire à rien, qu’à des pertes, des haines, des destructions sans cesse accrues » ? Où est passée la France du président Mitterrand qui, à Cancún, en 1981, disait : « Appliquons à tous la même règle, le même droit : non-ingérence, libre détermination des peuples, solution pacifique des conflits, nouvel ordre international. » Où est passée la France du président Chirac, celle qui s’opposait en 2003 à l’intervention militaire des États-Unis en Irak ? Celle qui refusait l’unilatéralisme américain et le droit de la force ? Celle qui faisait du droit international sa boussole ? Celle qui défendait la paix face au désastre prévisible de l’impérialisme étasunien ?
Aujourd’hui, la voix de la France est inaudible, alignée, sans aucune espèce de conséquence sur les événements. Comment pourrait-elle être audible alors qu’elle ne fait pas un geste pour remettre en cause l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), ne formule aucune demande de sanction envers Israël, ne remet pas en cause sa participation à l’Otan et assiste, silencieuse, au premier génocide télévisé de l’histoire de l’humanité ?
Quand il n’y a plus de force du droit, seul reste le droit de la force. La France doit retrouver sa voix et son indépendance, affirmer une diplomatie non alignée au service de la paix. Nous devons refaire du droit international un cap plutôt qu’un outil diplomatique à géométrie variable. Voilà ce que serait une diplomatie insoumise. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Christophe Blanchet s’exclame.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Hablot.
M. Stéphane Hablot
Permettez-moi d’abord de saluer nos collègues Yannick Favennec-Bécot, président du groupe d’amitié France-Djibouti, et Isabelle Santiago, membre de la commission de la défense, qui est très attachée au traité de coopération en matière de défense entre la République française et la république de Djibouti – on la connaît aussi pour ses combats en faveur des droits de l’homme, notamment des droits des enfants.
Les guerres en Ukraine, au Proche-Orient et au Moyen-Orient nous rappellent chaque jour que le monde s’embrase et cristallise un ébranlement géopolitique international d’une ampleur inédite. C’est dans un contexte marqué par ces tensions internationales que nous nous apprêtons à autoriser la ratification de ce traité particulièrement important, puisqu’il concerne un territoire géostratégique par excellence. En 2023, lors de l’opération Sagittaire, en s’appuyant sur sa base de Djibouti, la France a assuré l’évacuation depuis le Soudan de 900 personnes de quatre-vingts nationalités différentes.
Notre objectif doit être noble et respectueux du droit international. Par ce traité, la France confirmera sa présence entre la mer Rouge et l’océan Indien, dans le détroit de Bab-el-Mandeb, où transite 12 % du commerce mondial. Là, nous pouvons lutter contre le narcotrafic et le terrorisme, nous pouvons réguler et faire appliquer le droit international.
En même temps, comment être crédible ? On sait très bien que certains alliés de la république de Djibouti – la Chine, les États-Unis, bientôt la Russie, qui entre en négociations avec elle – ne sont pas respectueux du droit international. Cependant, nous sommes vraiment proches de Djibouti et nous travaillons avec ses autorités – nous pouvons notamment y organiser des entraînements de nos troupes par une simple notification. Il est important de préserver cette proximité et ce rapport de prédilection. Nous voterons pour la ratification de ce traité, mais nous demeurons interrogatifs et prudents, car ce territoire est partagé avec des puissances qui violent le droit international et les droits de l’homme.
Notre coopération avec Djibouti porte également sur la francophonie, sur l’éducation et sur d’autres coopérations, notamment en matière de justice.
Le président de la République a passé la nuit de Noël à Djibouti. Il s’est dit préoccupé par la détention arbitraire de binationaux et a aussi abordé le cas de la petite Liya Lider – la justice française avait évoqué un enlèvement de cette enfant par sa mère, ce qui n’a pas empêché l’ambassade de France de délivrer un passeport à la mise en cause en toute impunité.
Il faut rester positif et constructif mais, en tant que vice-président du groupe d’amitié France-Djibouti, je considère que l’amitié ne se décrète pas : elle doit se construire dans la confiance, dans l’épreuve et par les preuves.
------------------Cette partie de la séance est en cours de finalisation---------------------------------------------
Mme Estelle Youssouffa, rapporteure
S’agissant du transfert des compétences aujourd’hui non exercées par la collectivité, je regrette que les règles de la recevabilité financière ne m’aient pas permis de déposer un amendement pour l’organiser à l’horizon 2028.
Il est décevant que le toilettage institutionnel auquel procède ce texte ne s’accompagne pas d’un calendrier clair et d’une réflexion plus globale sur les dotations versées à la collectivité de Mayotte. Un toilettage sans dotation de rattrapage ni trajectoire financière des transferts de l’État vers la nouvelle assemblée de Mayotte me paraît bien léger et de nature à hypothéquer les ambitions structurantes du département. Compétences et moyens financiers – le nerf de la guerre – font cruellement défaut à ce toilettage institutionnel qui se concentre sur la modification du mode de scrutin de la future assemblée prévue à l’article 31. Un tel toilettage n’a de sens que s’il nous permet de sortir des baronnies villageoises, de la corruption du troisième tour – qui voit des élus s’enfermer dans un hôtel pour sortir un président de leur chapeau en échange de valises de billets – et de l’inertie du conseil départemental, incapable de défendre des projets d’envergure devant les électeurs. Alors que Mayotte va enfin pouvoir se construire, nous avons besoin d’une assemblée renouvelée, ambitieuse et agile, autant d’objectifs auxquels doit participer la modification du mode de scrutin.
Comme vous le savez, les vingt-six conseillers départementaux de Mayotte sont élus, dans les treize cantons, au scrutin binominal majoritaire à deux tours. Depuis au moins dix ans, le conseil départemental souhaite voir changer ce mode de scrutin afin de rapprocher l’assemblée d’une assemblée régionale, avec un scrutin de liste à la représentation proportionnelle, et afin de voir doubler le nombre de conseillers. C’est ce à quoi tend l’article 31, par le découpage de la circonscription en cinq sections et par la réduction de la portée de la prime majoritaire, fixée à dix sièges sur cinquante-deux – environ 20 %. L’enjeu est de respecter les équilibres géographiques et démographiques de l’île, tout comme le pluralisme politique, sans pour autant mettre en danger la stabilité de la future nouvelle assemblée. Les modifications apportées sur ce point par le Sénat ne répondant pas aux obligations constitutionnelles, nous avons choisi de revenir presque intégralement à la rédaction initiale du gouvernement.
À mon initiative, la commission a adopté une autre modification, qui concerne les modalités de répartition des sièges entre les sections. À Mayotte, seuls 30 % des habitants sont inscrits sur les listes électorales, contre 70 % dans l’Hexagone : c’est un écart très important. S’il reflète naturellement le grand nombre de jeunes dans notre île, il s’explique aussi par la forte proportion de personnes étrangères qui y vivent. J’ai donc proposé qu’à l’avenir, dès lors que cet écart est supérieur à 60 %, la répartition des sièges au sein de cette assemblée ait lieu à la représentation proportionnelle des personnes inscrites sur les listes, et non en fonction de la population totale. S’il s’agit bien d’une dérogation au droit commun, elle peut s’inscrire dans l’article 73 de la Constitution, dont Mayotte dépend. Elle me semble entièrement justifiée par la situation particulière de notre territoire, qui fait l’objet d’ingérences et de revendications territoriales de la part de l’Union des Comores, laquelle instrumentalise à cette fin les flux migratoires massifs. Il me semble capital de préserver les votes des Mahorais de cette influence étrangère.
Le projet de loi organique – qui procède à des coordinations avec le projet de loi ordinaire – n’a quant à lui fait l’objet d’aucune modification en commission.
Je voudrais, pour conclure, vous appeler à faire preuve de responsabilité et à voter ce projet de loi pour Mayotte. Il est imparfait, mais nous en avons besoin. Donnez-nous le temps d’achever l’examen de ce texte. Alors que plane la menace d’une motion de censure, permettez-moi de vous rappeler que Mayotte ne peut plus attendre ni se payer le luxe d’une nouvelle vacance gouvernementale. Laissez-nous aller au bout, il sera bien temps de censurer après. (M. le rapporteur général et M. Florent Boudié, président de la commission des lois, applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour le titre IV du projet de loi ordinaire.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Je vous prie de bien vouloir excuser mon retard : mardi dernier, quand j’ai posé une question au gouvernement sur l’avancement de la ligne Paris-Normandie, je n’imaginais pas qu’elle allait trouver aujourd’hui une aussi bonne illustration – deux corapporteurs se sont en effet retrouvés coincés dans le train du fait des problèmes que j’ai évoqués ce jour-là.
Le titre IV de la proposition de loi ordinaire que nous examinons vise à créer de meilleures conditions de vie à Mayotte, au moyen de mesures au service de la santé, de la protection sociale, du sport et de la culture. Il met en œuvre la promesse républicaine d’égalité issue de la départementalisation.
L’article 15 habilite le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures permettant d’assurer la convergence du niveau des droits et des prestations sociales à Mayotte avec celui en vigueur dans l’Hexagone. Le calendrier précis de cette convergence est fixé dans l’étude d’impact et dans le rapport transmis par le gouvernement en application de la loi d’urgence : l’alignement des prestations sociales et du Smic devra être effectif d’ici 2031, celui des cotisations sociales d’ici 2036.
Dans la limite des contraintes liées à la recevabilité financière, la commission des lois a voulu se donner les moyens d’exercer un suivi attentif du respect de ces différents engagements. Je me félicite ainsi que nous ayons pu inscrire dans le marbre de la loi, à l’article 15 bis, la première étape de la trajectoire de convergence du Smic net qui atteindra, dès le 1er janvier 2026, 87,5 % du Smic hexagonal. L’article 15 prévoit l’information annuelle du Parlement sur ces mesures de convergence, ainsi que l’association de deux parlementaires aux travaux d’élaboration des ordonnances.
Afin de poursuivre l’alignement des droits et d’améliorer l’accès aux soins des Mahorais, je présenterai, avec le gouvernement, un amendement étendant la prestation universelle d’assurance maladie à Mayotte, en remplacement du système actuellement en vigueur. Il s’agit également de faciliter, pour les Mahorais bénéficiaires de l’AAH – l’allocation aux adultes handicapés – et de l’Aspa – l’allocation de solidarité aux personnes âgées –, l’accès à la complémentaire santé solidaire.
Le montant moyen des retraites à Mayotte est d’environ 300 euros mensuels. L’article 16 prévoit l’extension de la retraite complémentaire Ircantec aux contractuels de droit public. La question de la retraite complémentaire des salariés de droit privé – qui devra faire l’objet d’un accord entre les partenaires sociaux – ne figure pas, en tant que telle, dans le texte ; la commission a toutefois complété l’article 16 afin de lever un point de blocage.
Grâce au recensement exhaustif prévu, par l’article 14, en 2025-2026, le montant des dotations aux collectivités ainsi que l’offre de services publics pourront être mieux adaptés, au cours des années à venir, à la population réelle de l’archipel. Le dernier recensement exhaustif date de 2017 ; or la connaissance précise de la population est un préalable à des solutions pérennes de développement économique et social. La commission a adopté un amendement proposant le versement anticipé de la dotation de recensement par l’État, afin que les communes mahoraises n’aient pas à en avancer les fonds.
Le projet de loi aborde ensuite deux sujets importants en rapport avec l’amélioration de l’offre de soins et l’organisation des soins de ville.
Les conditions encadrant l’ouverture des pharmacies d’officine ne sont pas les mêmes à Mayotte et dans l’Hexagone. Actuellement, à Mayotte, une licence autorisant l’ouverture d’une pharmacie d’officine est accordée par tranche entière de 7 000 habitants dans les communes de 15 000 habitants et plus. Dans les communes de moins de 15 000 habitants, la tranche entière de 7 000 habitants peut être appréciée au niveau du territoire de santé – Mayotte constituant actuellement un unique territoire de santé. L’article 17 se proposait initialement, comme après son examen par le Sénat, de permettre l’ouverture de pharmacies d’officine dans les communes de moins de 7 000 habitants, pourvu qu’elles soient comprises, selon les chiffres du dernier recensement officiel, dans une intercommunalité de plus de 7 000 habitants. En commission, nous sommes revenus au droit en vigueur et nous avons réintroduit l’échelle du territoire de santé afin que le directeur de l’ARS – l’agence régionale de santé – puisse, par dérogation, permettre l’ouverture de nouvelles pharmacies – tout en recueillant l’avis simple de l’Ordre national des pharmaciens.
La réglementation sur l’ouverture de nouvelles pharmacies – permettez-moi d’y insister – doit évoluer parallèlement à un changement dans les circuits de distribution des médicaments, qui sont encore majoritairement distribués dans les centres médicaux de référence et au centre hospitalier, alors que les personnes affiliées à la sécurité sociale devraient être redirigées vers les pharmacies de ville. Nous avons fait adopter, en ce sens, un amendement portant article additionnel afin que l’agence régionale de santé puisse élaborer un schéma à même d’améliorer l’organisation de l’offre de médicaments et les circuits de distribution.
L’article 18 traite de la question de la représentation des professionnels de santé de Mayotte dans l’Union régionale de professionnels de santé de l’océan Indien. Le nombre de professionnels de santé libéraux exerçant à Mayotte est faible. Cependant, maintenir des unions régionales de professionnels de santé (URPS) communes à La Réunion et à Mayotte n’a pas paru souhaitable à nos collègues sénateurs, quand bien même la représentation des professionnels de Mayotte en serait améliorée. Ils ont donc proposé la création des unions régionales des professionnels de santé de Mayotte. À mon initiative, la commission a adopté un amendement créant une union interprofessionnelle des professionnels de santé de Mayotte, afin qu’il n’y ait qu’une seule URPS qui soit l’interlocuteur de l’ARS et réunisse des représentants des dix professions de santé concernées.
Le texte tend également à créer un fonds de soutien en faveur des communes et des établissements publics de coopération intercommunale de Mayotte ayant vocation à se substituer au fonds de soutien au développement des activités périscolaires.
Deux articles, enfin, visent à améliorer l’attractivité des postes de la fonction publique. Le premier crée une priorité légale de mutation pour les fonctionnaires de l’État ayant accompli au moins trois années de service effectif dans un emploi à Mayotte. Je me réjouis que nous ayons, en commission, étendu aux fonctionnaires de la fonction publique hospitalière le bénéfice de cette mesure. Le second accorde aux fonctionnaires d’État et aux fonctionnaires hospitaliers, à Mayotte, un avantage spécifique d’ancienneté. (MM. le rapporteur général et le président de la commission des lois applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frantz Gumbs, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, à laquelle la commission des lois a délégué l’examen des articles 10, 19, 19 bis, 19 ter, 20, 21, 21 bis, 23 et 24 du projet de loi ordinaire.
M. Frantz Gumbs, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
Les Mahorais attendent depuis longtemps – bien avant les désastres causés par le cyclone Chido – certaines dispositions de ce projet de loi. Car, bien que la promesse d’égalité républicaine soit restée lettre morte, ils n’ont cessé, depuis de longues décennies, de témoigner de leur attachement à la France. Ils expriment aujourd’hui leur défiance vis-à-vis d’un État qui n’a pas su – ou qui n’a pas voulu – contrôler l’immigration, doter l’île des infrastructures essentielles et engager, pour de bon, le rattrapage économique et social.
C’est dans ce contexte que je vous présente les neuf articles délégués au fond à la commission des affaires économiques.
L’article 10 prévoit de faciliter les opérations d’évacuation et de démolition de l’habitat informel à Mayotte. L’équilibre de cet article a été préservé par les travaux en commission. Il prévoit notamment de réduire d’un mois à quinze jours le délai minimum à respecter pour pouvoir procéder à l’évacuation de l’habitat informel et permet de déroger à l’obligation d’annexer une proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence à l’arrêté d’évacuation et de démolition. Il réforme, enfin, les modalités de l’opération de flagrance, dans le but de répondre rapidement à la constatation de l’édification d’habitat informel.
Afin qu’un droit au recours effectif soit garanti aux personnes concernées par un arrêté d’évacuation et de démolition, je défendrai un amendement visant à rétablir le caractère suspensif du recours en référé-suspension et en référé-mesures utiles.
L’article 19, pour sa part, vise à faciliter la prise de possession anticipée de terrains, dans le cadre des expropriations pour cause d’utilité publique. À l’issue des travaux en commission, le champ de l’article a été limité aux seules infrastructures portuaires et aéoroportuaires. Qu’en est-il, cependant, du projet de troisième retenue collinaire, du deuxième centre hospitalier, des installations de production et de distribution d’électricité et des établissements pénitentiaires ? Ne s’agit-il pas là également de projets prioritaires, dont le caractère d’intérêt général est indiscutable, et que nous devons aux Mahorais dans les plus brefs délais ? Nous aurons à débattre de cette question sensible ; mais permettez-moi de le dire avec la plus grande clarté : nous ne créons pas un cadre spécifique ad hoc pour Mayotte. Ce que change ce projet de loi, ce n’est pas la procédure de prise de position anticipée, qui existe déjà, mais les objets auxquels elle s’applique.
Je regrette la suppression, en commission, des articles 19 bis et 19 ter, qui poursuivaient l’objectif de faire gagner à la construction d’un nouvel aéroport à Mayotte, sur le site de Bouyouni, deux à trois ans de procédure – quand il est prévu qu’il ne soit pas opérationnel avant 2036. Je défendrai donc des amendements de rétablissement de ces articles, car je suis convaincu que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre davantage de temps en la matière.
L’article 20 est un article utile, qui permettra d’accélérer les régularisations foncières, en prévoyant la rétroactivité du délai d’usucapion, fixé à dix ans dans les outre-mer, et en repoussant le terme du dispositif des actes notariés renforcés.
L’article 21 vise à faciliter la construction d’établissements scolaires et d’enseignement supérieur, en permettant le recours aux marchés de conception-réalisation.
L’article 21 bis A, adopté en commission, étend la possibilité de réserver jusqu’à 30 % du montant des marchés des travaux de reconstruction aux entreprises de taille intermédiaire ainsi qu’aux grandes entreprises relevant du secteur de l’économie sociale et solidaire dont le siège social était établi à Mayotte avant le passage du cyclone Chido.
L’article 21 bis, quant à lui, exonère de l’obligation de publicité la passation de marchés relatifs à la construction temporaire de bâtiments scolaires et d’enseignement supérieur. S’il me semble que le temporaire peut être un tremplin pour le développement de structures pérennes, l’État devra veiller à ce que ces structures temporaires ne deviennent pas définitives.
Je proposerai la suppression de l’article 21 ter, qui formule une demande de rapport au gouvernement sans lien direct avec l’objet du projet de loi.
L’article 23 permet de classer la totalité de l’île en QPV – quartier prioritaire de la politique de la ville. Si c’est là une nécessité, il convient que les crédits afférents au programme budgétaire « politique de la ville » alloués à Mayotte augmentent ; cette mesure, sinon, sera inutile.
L’article 24, enfin, étend les possibilités de délégation des compétences relevant de la chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte. Dans la perspective d’une meilleure structuration des filières pêche et conchyliculture, je proposerai un amendement visant à permettre l’installation, sur l’archipel, d’un comité régional des pêches et des élevages marins. Je fais le vœu que l’équilibre général de ces articles soit préservé à l’issue de nos débats. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
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