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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du Mercredi 23 novembre 2005

76e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe Union pour la démocratie française.

crise VITICOLE ET ARBORICOLE

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud.

M. Yvan Lachaud. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

Les viticulteurs et les producteurs de fruits et légumes vivent une crise dramatique.

S’agissant des arboriculteurs, je prendrai un exemple dans un département que je connais bien, le Gard. Alors qu’on y comptait, il y a une dizaine d’années, 3 000 hectares de tomates, il n’en reste plus que 180, et nous avons tout lieu de penser que d’ici à cinq ans, il n’y aura plus du tout de producteurs de tomates.

Autre exemple, cet été, nos arboriculteurs ont vendu leurs pêches 0,80 euro le kilo, le prix de revient national s’élevant à 1,15 euro. Dans le midi de la France, nos amis espagnols viennent vendre leurs produits, mais leur main-d’œuvre est moins chère et ils utilisent des produits phytosanitaires qui coûtent 40 % de moins mais qui sont interdits sur notre territoire.

Pour les viticulteurs, la crise n’est pas moindre. La perte, dans mon département, se chiffre à 800 euros à l’hectare. S’il fut un temps où la surproduction en était la raison principale, la crise est aujourd’hui structurelle et elle les touche tant sur les volumes que sur les prix, qu’il s’agisse d’AOC ou de vins de cépage.

Nous savons tous que la difficulté vient aujourd’hui du fait que les pays voisins bénéficient d’un coût de main-d’œuvre nettement inférieur au nôtre.

M. le président. Monsieur Lachaud, veuillez poser votre question, s’il vous plaît.

M. Yvan Lachaud. L’UDF préconise, depuis très longtemps, une baisse des charges sociales.

Que compte faire le Gouvernement pour que nos viticulteurs et arboriculteurs sortent de la situation dramatique où ils se trouvent et pour qu’ils aient des revenus plus décents ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement.

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Monsieur le député, je vous prie de bien vouloir excuser Dominique Bussereau, retenu à Bruxelles par un Conseil européen, et je vais vous faire part de la réponse qu’il aurait souhaité vous donner.

Le Gouvernement connaît les difficultés rencontrées par les viticulteurs et les producteurs de fruits du Gard. C’est pourquoi le ministre de l’agriculture a décidé la mise en place d’un plan de soutien en faveur des producteurs de fruits et légumes, qui mobilise 15 millions d’euros de crédits exceptionnels ainsi qu’une enveloppe de prêts de consolidation à taux bonifié de 25 millions d’euros.

M. Jean-Michel Ferrand. Ça ne sert à rien !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Il comprend des mesures d’urgence pour les producteurs les plus en difficulté mais aussi des mesures d’adaptation et de modernisation du verger, de structuration de l’offre et de renforcement de l’interprofession. Il comporte également des mesures de dynamisation du marché aux niveaux national, communautaire et international.

Je vous rappelle que le Gouvernement a également arrêté un plan d’urgence exceptionnel en faveur des viticulteurs. Le Languedoc-Roussillon en est le premier bénéficiaire.

Par ailleurs, ainsi que vous l’évoquiez, plusieurs décisions importantes ont été prises concernant les charges. Les viticulteurs éprouvant des difficultés ont pu opter, pour le calcul des cotisations 2005, pour une assiette annuelle et non triennale. Avec l’accord du ministre délégué au budget, un guichet unique a été mis en place pour traiter les problèmes fiscaux et sociaux des viticulteurs en difficulté, ainsi, bien sûr, que des arboriculteurs.

En outre, le ministre de l’agriculture a demandé à la mutualité sociale agricole d’examiner avec bienveillance les demandes de remise de pénalités. Je vous rappelle, à cet égard, que ceux-ci peuvent également bénéficier du dispositif « Agridif » social, qui est doté, en 2005, de 11 millions d’euros.

M. Jean-Michel Ferrand. C’est insuffisant !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Enfin, le fonds de solidarité des crises agricoles a fait bénéficier les agriculteurs d’échéanciers de paiement de leurs cotisations sociales. L’enveloppe correspondante a été portée à 14 millions d’euros pour la filière fruits et légumes et à 40 millions d’euros pour la filière viticole.

Ces dispositifs s’inscrivent, vous le savez, monsieur le député, dans le cadre plus général des baisses de charges, déjà mises en œuvre, ou prévues dans la loi d’orientation agricole et dans le projet de loi de finances pour 2006, s’inspirant, en particulier, des recommandations du rapport Le Guen, que vous connaissez bien. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

réforme de la taxe professionnelle

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le Premier ministre, nous venons de vivre, dans nos villes, quelques semaines difficiles, émaillées d’actes inadmissibles. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Vous interrogez-vous parfois sur les souffrances que génère votre politique aux quatre coins du pays ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Le nombre de chômeurs et de RMIstes augmente. L’avenir est bouché pour les jeunes. Vous avez supprimé ou réduit de façon drastique les subventions aux associations qui œuvrent, sans relâche, dans les quartiers de nos villes. Devant les événements, dans l’urgence, vous avez rétabli une bonne partie de ces subventions. Mais pensez-vous que c’est en quinze jours que l’on réparera ce que vous avez détruit, vous et votre prédécesseur, en trois ans ? (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En revanche, dès lors qu’il s’agit des privilégiés, vous avez toujours des idées !

M. Lucien Degauchy. Démago !

M. Jean-Pierre Brard. Par exemple, vous avez décidé de baisser la taxe professionnelle, ou plus exactement de promouvoir une réforme de la taxe professionnelle, cet impôt qui, dès lors qu’il est à un taux substantiel, permet aux collectivités territoriales de développer des politiques sociales pour réparer une partie des dégâts que vous provoquez.

Or vous avez décidé de punir les contribuables habitant les collectivités qui développent (« La question ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) ces politiques sociales financées par la taxe professionnelle. (Vives exclamations sur les mêmes bancs.)

M. le président. Monsieur Brard, posez votre question !

M. Jean-Pierre Brard. Par exemple, dans ma bonne ville de Montreuil, sur la taxe professionnelle payée, en 2004, par les entreprises, vous avez décidé de subtiliser 857 300 euros. Et vous allez faire pire l’année prochaine !

M. le président. Monsieur Brard, avez-vous une question à poser ?

M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr, monsieur le président !

M. le président. Eh bien, posez-la !

M. Jean-Pierre Brard. Si je reprends l’exemple de M. Bocquet, à Saint-Amand et Denain, vous allez confisquer, sur 100 euros de ressources supplémentaires, 87 euros. (Exclamations ininterrompues sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Alors, ma question (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) est très simple : monsieur le Premier ministre, considérez-vous que le MEDEF a raison de dire (Exclamations sur les mêmes bancs) que votre réforme de la taxe professionnelle « est une nouvelle victoire que le MEDEF obtient, une nouvelle étape vers la suppression de la taxe professionnelle que nous réclamons depuis des années, nous ne pouvons que nous en féliciter » ?

Mais, monsieur le Premier ministre, ce qui est bon pour le MEDEF ne l’est jamais pour le pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Brard, en vous écoutant, j’ai éprouvé beaucoup de peine, parce que j’ai passé une bonne partie de la nuit avec vous (« Oh ! » sur divers bancs) dans cet hémicycle (« Ah ! » sur de nombreux bancs), à essayer de vous convaincre que cette réforme était juste pour les Français et, de surcroît, conforme à une bonne part de vos attentes. (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

En effet, 75 % du produit de la réforme fiscale profiteront aux revenus moyens et modestes. (« Mensonges ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Et l’ISF ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Quant à la réforme de la taxe professionnelle, elle va contribuer à enrayer les délocalisations d’entreprises, donc préserver l’emploi dans les territoires fragiles. (Vives exclamations sur les mêmes bancs.) Elle va également préserver les finances des communes qui, pour l’essentiel, ne sont pas concernées. Elle est, à l’évidence, particulièrement orientée pour renforcer la compétitivité de notre économie et créer de l’emploi.

Enfin, monsieur Brard, si l’on y regarde de près, elle finance toutes les priorités des Français, y compris le plan d’urgence pour les banlieues, 300 millions, décidé par le Premier ministre, et que nous intégrons dans notre budget à euros constants, de telle manière que, contrairement à ce qui a pu être fait par ailleurs, nous n’aggraverons pas le déficit ni la dette.

Seules les régions qui, à force d’augmenter les impôts risquent de casser la croissance, pourraient peut-être regretter cette réforme.

Il nous a semblé, à nous, qu’en réformant la taxe professionnelle, nous renforcions la compétitivité de notre économie, au service des Français, de leur capacité à consommer, à investir, à embaucher (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), à regarder l’avenir avec confiance, à participer à la croissance et à faire, ainsi, de notre pays un pays qui retrouve l’esprit de conquête. C’est très exactement ce que tout Français, quelle que soit sa sensibilité politique, peut souhaiter. Rejoignez-nous, monsieur Brard ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

couple franco-allemand

M. le président. La parole est à M. Yves Bur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Yves Bur. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

Hier, Angela Merkel a accédé à la Chancellerie d’Allemagne, à la tête d’une grande coalition. Au nom du groupe UMP, nous lui adressons toutes nos félicitations (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française) et nos encouragements pour mettre l’Allemagne sur le chemin de la réforme et d’une croissance retrouvée.

Viel Glück, Frau Merkel ! Bonne chance, madame Merkel !

Aujourd’hui, Angela Merkel a effectué en France sa première visite officielle, en tant que Chancelière, pour rencontrer, à l’Élysée, le Président de la République. Ce signe fort souligne l’importance qu’elle attache au couple franco-allemand, qui constitue toujours le socle de la diplomatie de nos deux pays.

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire dans quel esprit la France s’engagera dans cette nouvelle phase de l’amitié franco-allemande. À ce titre, comment la France prendra-t-elle en compte le souhait exprimé par Mme Merkel d’inscrire le moteur franco-allemand dans un dialogue plus ouvert avec nos voisins européens, notamment les nouveaux membres de l’Union européenne ?

Enfin, quels seront les objectifs du prochain Conseil des ministres franco-allemand ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, M. le Président de la République vient, en effet, de recevoir Mme Angela Merkel, qui a choisi la France comme destination de son premier voyage officiel.

M. Jean Glavany. Grâce à vous, sans doute !

M. le ministre des affaires étrangères. C’est d’autant plus important qu’elle est venue ici avant de se rendre, cet après-midi, à Bruxelles.

Le fait qu’elle ait choisi la France montre à quel point elle attache – comme nous – de l’importance au pilier franco-allemand. Il est désormais nécessaire que nos deux pays fassent des propositions concrètes, sur lesquelles nos partenaires européens pourraient se pencher. Avec Catherine Colonna, nous proposons que se réunisse, le plus vite possible, – pourquoi pas en janvier 2006 ? – un Conseil des ministres franco-allemand qui permette d’adopter un texte favorisant le développement de la coopération entre les réseaux de recherche européens et l’innovation industrielle à l’échelle de l’Europe, ainsi que la mise en commun de nos pôles de compétitivité.

Oui, au moment où l’Union européenne fait face à tant de problèmes et a tant de défis à relever, avec les questions financières qui se poseront lors du prochain Conseil européen sous présidence britannique, le couple franco-allemand reste, plus que jamais, le moteur dont la construction européenne a tant besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Fiscalité des collectivités locales

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour le groupe socialiste.

M. Alain Néri. Monsieur le Premier ministre, incontestablement, la France va mal et votre politique est néfaste et implacable pour les Français les plus modestes. À une exigence de solidarité et de proximité, vous répondez en vous défaussant sur les collectivités locales : vous transférez des compétences importantes aux départements et aux régions, sans les accompagner des crédits indispensables. Ces transferts de charges colossaux, non compensés, sont effectués sans aucune lisibilité financière (« Menteur ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et ils étranglent les collectivités locales. Les conseils généraux attendent toujours les sommes que l’État leur doit pour compenser totalement le transfert du RMI en 2004.

À cause de votre politique scandaleuse de radiation des chômeurs pour dégonfler artificiellement les statistiques, l’augmentation du nombre de RMIstes – ils sont 200 000 de plus depuis votre arrivée au pouvoir – conduit pour 2006 à une fiscalité en hausse de 5 à 6 % pour les départements.

M. Guy Geoffroy. Et les régions ?

M. Alain Néri. Vous êtes comptable et directement responsable de l’augmentation des impôts locaux (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et vous poursuivez votre politique d’annonce et d’affichage non financée en laissant la note aux conseils généraux et régionaux !

M. Robert Lamy. Bouffon !

M. Alain Néri. Ainsi, vous n’avez pas d’argent pour financer le plan d’engagement national pour le logement annoncé par M. Borloo : il vous manque 3 milliards d’euros. Alors, vous appelez au secours les départements et les régions ! Vous commandez, mais vous oubliez de payer ! (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Aujourd’hui, avec votre projet de plafonnement de la taxe professionnelle et le cynique bouclier fiscal en faveur des plus riches, vous offrez une ristourne d’impôt de 2 083 euros mensuels aux 10 000 contribuables les plus riches de notre pays, alors que les Français qui ne perçoivent que la prime pour l’emploi devront se contenter de 4,73 euros par mois. (« La question ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Non seulement vous mettez sous tutelle les collectivités locales, mais vous en faites aussi les boucs émissaires de votre politique irresponsable, dangereuse et injuste.

M. le président. Monsieur Néri, veuillez poser votre question !

M. Alain Néri. Vous pénalisez les régions, les départements, les communautés de communes, les villes les plus modestes. Vous les privez de ressources et vous les obligez à reporter les charges fiscales sur nos concitoyens déjà durement frappés. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Posez votre question !

M. Alain Néri. Monsieur le Premier ministre, dans la situation d’urgence sociale que nous connaissons, quand cesserez-vous donc de brutaliser nos concitoyens les plus fragiles pour favoriser les plus riches ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Quand mettrez-vous un terme à votre politique de désespérance sociale ? (Mêmes mouvements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Néri, ce n’est pas le sens de la nuance qui vous étouffe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Pajon. Vous êtes un expert !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. En vous écoutant, je ne savais plus très bien de quoi vous vouliez parler ! Je crois comprendre néanmoins que la question de l’autonomie financière des collectivités locales vous préoccupe.

Il me semble que l’autonomie financière des collectivités locales est menacée lorsque l’État, comme vous l’avez fait il y a quelques années, procède à une nationalisation rampante de la taxe professionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.- Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Elle est également menacée quand on laisse un certain nombre de collectivités augmenter les taux d’imposition à l’infini de telle sorte que les entreprises s’enfuient et qu’on n’a plus de bases. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Elle est menacée, enfin, quand, à force de garder le nez sur le guidon et de ne pas se demander comment agir pour l’intérêt général, les dépenses publiques et les impôts locaux explosent sans résultat aucun ! (Même mouvement.)

M. Augustin Bonrepaux. Vous savez bien que ce n’est pas vrai !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. La réforme de la taxe professionnelle est très simple : il faut renforcer l’attractivité de nos territoires pour protéger les entreprises, tout en préservant les communes et les départements, mais également les régions capables de maîtriser leurs taux et d’attirer de nouvelles entreprises. C’est ainsi que la France se modernisera, et vous avez le droit d’y participer comme tout le monde.

M. Jean Glavany. Merci de votre condescendance !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Tel est l’esprit de citoyenneté qui nous anime. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Croissance économique

M. le président. La parole est à M. Bernard Carayon, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Bernard Carayon. Monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, depuis plusieurs mois, vous nous annoncez une reprise de la croissance dans notre pays. Cette question est évidemment centrale dans le cadre du débat budgétaire pour 2006, qui s’appuie sur une prévision située entre 2 % et 2,5 %. En effet, le taux de croissance du troisième trimestre, publié il y a deux semaines, est sans ambiguïté, avec plus 0,7 %. Les faits vous donnent raison : la consommation est solide, l’investissement reprend avec une hausse de 3 % sur l’année et nos exportations sont en hausse de plus de 3 % au troisième trimestre.

Monsieur le ministre, quel est votre sentiment aujourd’hui sur les tendances de fond de notre économie ? Quelles sont les indications conjoncturelles qui peuvent fonder notre optimisme, notamment en matière de créations d’emplois dans les trimestres à venir ? Peut-on penser que la reprise sera solide et durable, en dépit de la hausse récente du prix de l’énergie, notamment du pétrole, mais aussi, élément nouveau dans le paysage économique français, de la très probable hausse des taux d’intérêts annoncée il y a quelques jours par le gouverneur de la Banque centrale européenne, M. Trichet ?

M. Jacques Myard. Scandaleux !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous avez raison de le souligner, monsieur Carayon, car il faut le dire lorsque les faits sont là : la croissance est repartie dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) En effet, comme le montrent les chiffres pour le troisième trimestre, et conformément à ce que j’annonçais depuis plusieurs mois, les indicateurs macro-économiques sont repartis au vert. En outre, compte tenu des efforts menés par le Gouvernement, la France se trouve en tête de ses partenaires européens.

M. François Hollande. Et la consommation ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Cela se traduit en particulier par une consommation extrêmement soutenue, nettement plus solide que l’année dernière, par une relance significative des investissements, la plus forte depuis 2000, et nos exportations – Christine Lagarde peut en témoigner – contribuent, elles aussi, à la reprise de la croissance.

Cela étant, le gouverneur de la Banque centrale européenne a indiqué qu’il était probable que les taux d’intérêts augmentent légèrement. Nous avons, avec les membres de l’Eurogroupe, manifesté notre détermination à ce que l’inflation ne nous menace pas. Mais il faut ramener les propos du gouverneur à leur juste proportion : ils n’annoncent pas un nouveau cycle de resserrement budgétaire, ce qui est de bon aloi pour l’année 2006.

Enfin, contrairement à ce que certains ont prétendu sur les bancs de cette assemblée, le budget que nous avons défendu au nom du Gouvernement, avec Jean-François Copé, est un budget sincère. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille. C’est faux !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En effet, les 1,5 % de croissance que vous refusez de voir sont déjà acquis au titre du troisième trimestre pour 2005 et, conformément aux révisions à la hausse de tous les conjoncturistes, nous aurons bien, en 2006, entre 2 % et 2,5 % de croissance. Oui, mesdames et messieurs les députés, la croissance que nous voyons poindre sera bien une croissance sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Apprentissage de la lecture

M. le président. La parole est à M. Alain Gest, pour le groupe UMP.

M. Alain Gest. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, il y a quelques semaines, au cours d’une conférence de presse, vous avez rappelé à juste titre que l’éducation nationale avait pour mission de garantir l’égalité des chances. C’est dans cet esprit que la loi d’orientation et de programmation pour l’école, que nous avons votée il y a quelques mois, a prévu de s’asseoir sur un socle de connaissances. Je n’en rappelle pas tous les éléments, mais cinq d’entre eux sont essentiels, dont le premier est la maîtrise de la langue française. Il est évident que, pour y parvenir, il ne faut surtout pas rater la phase d’apprentissage de la lecture. Or, à ce sujet, les critiques portent de plus en plus sur la méthode d’apprentissage dite « globale », puis « semi-globale »…

M. Patrick Roy. Oh ! là ! là !

M. Alain Gest. …qui provoque des résultats pour le moins critiquables.

Les inspecteurs, ainsi que des enseignants toujours plus nombreux, se prononcent. Selon une étude récente réalisée par des orthophonistes, dont l’activité s’est considérablement accrue, ceux-ci reconnaissent que la plupart des cas qu’ils traitent ne relèvent pas de handicaps naturels, mais plus certainement des méthodes employées. Les parents d’élèves sont parfois obligés de laisser leurs enfants compléter leur formation à la maison, grâce à la méthode syllabique, pour apprendre à lire.

L’article 48 de la loi d’orientation pour l’école consacre la liberté pédagogique des enseignants. Par ailleurs, dans le rapport annexe que nous avons voté, nous avons souhaité, à la demande de notre collègue Geoffroy, que tous les enseignants soient informés des méthodes qui avaient déjà fait leurs preuves. Cela ne semble être le cas aujourd’hui ni de la liberté du choix de la méthode ni de l’information systématique, comme en témoigne un reportage diffusé la semaine dernière sur une grande chaîne nationale de télévision.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous faire appliquer l’article 48 de la loi ? Peut-on espérer que l’efficacité de la méthode syllabique fera l’objet d’une expérimentation significative et que cette question fondamentale sera abordée dans le cahier des charges de la réforme – indispensable – des IUFM ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Émile Zuccarelli. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Quel que soit le nom qu’on lui donne, la méthode globale, tous les spécialistes le disent aujourd’hui, est nocive. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste.) J’indique donc en toute tranquillité qu’elle doit être abandonnée. (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) La méthode qui consiste à immerger l’enfant dans un mot, dans une phrase, dans une hypothèse, pour essayer de retrouver un mot mémorisé se révèle parfois être une véritable noyade !

L’apprentissage de la lecture doit commencer par la reconnaissance des sons, qui forment une syllabe pour ensuite former un mot et, enfin, donner l’accès au plaisir de lire, ce qui est la vraie récompense aux efforts consentis par les jeunes. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Émile Zuccarelli et M. Jacques Brunhes. Très bien !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les maîtres doivent se sentir libres d’appliquer la méthode traditionnelle, et le b.a-ba – c’est le cas de le dire ! –, c’est qu’ils ne doivent en aucun cas être sanctionnés s’ils y ont recours, et je veillerai à ce qu’il en soit ainsi. Ce qui compte, c’est l’efficacité de la méthode et le résultat, et c’est à cela que les inspecteurs doivent veiller. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. André Schneider. Donnez des instructions en ce sens !

Projet de directive sur les services

M. le président. La parole est à M. Jacques Floch, pour le groupe socialiste.

M. Jacques Floch. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, en tant que chef du Gouvernement et de la majorité.

Hier soir, la commission du marché intérieur du Parlement européen s’est prononcée sur la proposition de directive sur les services dite « Bolkenstein ». La majorité de cette commission, composée entre autres de parlementaires français appartenant à l’UMP, a voté un texte qui reprend l’essentiel du projet de directive proposé par la Commission européenne (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), c’est-à-dire l’application des législations des pays d’origine, et ce, contrairement à l’avis de la rapporteure, Evelyne Gebhardt, membre du Parti socialiste européen. C’est l’acceptation du démantèlement du modèle social européen, l’organisation du dumping social dans le marché intérieur…

Une députée du groupe socialiste. C’est scandaleux !

M. Jacques Floch. …c’est-à-dire l’utilisation du « moins bien protégé » et du « moins bien payé » ; c’est encore la mise en place des inégalités de salaires pour un même travail, de l’inégalité de la protection sociale et de la protection de la santé. Cette attitude est contraire à toutes vos déclarations et à celles du Président de la République, Jacques Chirac.

Monsieur le Premier ministre, c’est un Européen convaincu qui vous pose cette question : après le vote de vos amis UMP, membres du groupe du Parti populaire européen, quelle sera la position du Gouvernement français et des députés UMP lors du vote final, en janvier 2006 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le député, le Gouvernement est aussi vigilant que vous sur l’évolution du projet de directive sur les services (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et la nécessaire réorientation du texte aura lieu. Le Conseil européen a demandé à l’unanimité que la première version soit remise à plat, car elle était trop déséquilibrée pour être acceptable.

Avec de nombreux pays partenaires, nous demandons l’exclusion des secteurs les plus sensibles du champ d’application de la directive, la remise en cause du principe dit du pays d’origine, …

M. Patrick Lemasle. Ce sont vos députés qui l’on adopté !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. …et la reconnaissance de la primauté du droit du travail du pays de destination. Je le répète, c’est le droit du travail français qui s’appliquera en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Desallangre. Repoussez plutôt la directive !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Après la commission Emploi en juillet, la commission Marché intérieur du Parlement européen, hier, a profondément remanié ce texte. (« UMP ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Les services d’intérêt général de nature non économique – en particulier l’audiovisuel et la santé – ont été, entre autres, exclus du champ d’application de la directive.

M. Alain Bocquet. Ce n’est pas suffisant !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. La primauté du droit du travail a été réaffirmée et un début de remise à plat du principe du pays d’origine a été effectué. Pour nous, ce n’est qu’une première étape, et  il faudra aller plus loin.

M. Jacques Desallangre. À la poubelle, la directive !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Le vote en séance plénière du Parlement européen interviendra en janvier. Ensuite seulement, la Commission devra réécrire sa proposition initiale, en prenant en compte l’ensemble des préoccupations qui se sont exprimées.

Enfin, le Conseil – c’est-à-dire les États membres – devra se prononcer. D’ici là, le Gouvernement restera vigilant et actif. (« UMP ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Le sujet est à l’ordre du jour du comité interministériel sur l’Europe qui doit se tenir cet après-midi sous la présidence du Premier ministre, Dominique de Villepin. Mardi, à Bruxelles, je réaffirmerai la position constante de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. — Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Logement outre-mer

M. le président. La parole est à M. Bertho Audifax, pour le groupe UMP.

M. Bertho Audifax. Monsieur le ministre de l’outre-mer, je vous remercie d’avoir annoncé à La Réunion le dégel de tous les crédits inscrits sur la ligne budgétaire unique, ce qui a rassuré les constructeurs de logements sociaux. Cependant, le besoin considérable de logements sociaux outre-mer nécessite des actions fortes et pérennes. Pourriez-vous, monsieur le ministre, envisager une programmation budgétaire pluriannuelle de la politique de logement outre-mer afin d’assurer plus de lisibilité pour nos bailleurs sociaux et de nous permettre de mener efficacement les programmes d’aménagement de quartiers ?

En outre, pourriez-vous nous exposer les actions que vous comptez mettre en place pour libérer des terrains constructibles pour le logement social à la Réunion ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.

M. le ministre de l’outre-mer. Le constat est très simple : pour les quatre départements d’outre-mer et pour Mayotte, il faudrait construire 15 000 logements neufs et réhabiliter 69 000 logements anciens ou insalubres.

Nous connaissons les causes de ce retard. Certaines ont un aspect positif, comme le dynamisme démographique : la croissance de la population, avec 1,6 % d’augmentation par an, est quatre fois supérieure à celle que l’on connaît en métropole. Les pouvoirs publics se doivent d’adapter leurs politiques à cette évolution positive.

Les autres causes sont plus préoccupantes : la situation dégradée des collectivités territoriales ; l’absence de maîtrise du foncier, qui crée, notamment à La Réunion – vous êtes bien placé pour le savoir, monsieur Audifax –, une forme de spéculation foncière, de course à l’échalote qui empêche de libérer les terrains nécessaires et donc de livrer les logements sociaux en temps et en heure.

Qu’avons-nous fait ? Au premier rang des priorités de l’action du ministère de l’outre-mer figure le rattrapage du logement social. C’est dans cet esprit que j’ai sollicité le Premier ministre, ainsi que vous l’avez souligné, afin de débloquer les crédits pour la ligne budgétaire unique, outil utile et même indispensable à la commande publique et donc à la production de logements sociaux.

Mais il nous faut aller plus loin. Je partage votre objectif de redonner de la lisibilité à la politique du logement pour l’ensemble des acteurs économiques de la filière : collectivités territoriales, État, et naturellement les offices HLM et les bailleurs sociaux. Voilà pourquoi nous travaillons avec Jean-Louis Borloo, sous l’autorité du Premier ministre, à un plan quinquennal qui permettrait d’utiliser les outils de défiscalisation et de développement de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, de bénéficier des études d’impact et de l’efficacité de l’Agence nationale pour le renouvellement urbain, et de parvenir à une résorption de la dette pour les bailleurs sociaux, …

M. Bernard Accoyer. Très bien ! Bravo !

M. le ministre de l’outre-mer. …un engagement que le Premier ministre a pris au nom de l’État et qui naturellement sera décliné outre-mer.

indemnisation exceptionnelle pour catastrophe naturelle

M. le président. La parole est à M. Frédéric Soulier, pour le groupe UMP.

M. Frédéric Soulier. Ma question, à laquelle s’associent le président du conseil général de la Corrèze, Jean-Pierre Dupont, et de nombreux collègues concernés, s’adresse à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État.

Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur les communes exclues, en fonction de critères météorologiques, des zones éligibles à l’état de catastrophe naturelle à la suite de la sécheresse de l’été 2003, et dont la situation est dramatique. Je salue les initiatives volontaristes prises par le Gouvernement en ce domaine : élargissement du périmètre de l’éligibilité lorsque Dominique de Villepin était ministre de l’intérieur, mais aussi, en juillet, mise en place, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, d’une procédure d’examen individuel hors procédure « cat. nat. », avec un financement de 150 millions d’euros au plan national. En Corrèze, vingt-trois communes sont concernées.

Conformément aux instructions du ministre, les préfets ont demandé aux communes concernées de procéder pour chaque immeuble touché à un inventaire des dommages. En Corrèze, nous connaissons des familles durement touchées, mais exclues du champ de l’indemnisation, alors que leur situation est sans doute comparable, voire identique à celles des victimes reconnues. Pour elles, la situation est urgente. 

Je me réjouis qu’un amendement du Gouvernement ait été voté la nuit dernière à l’Assemblée pour mettre en place cette nouvelle procédure exceptionnelle. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser le dispositif réglementaire et le calendrier prévisionnel de ces indemnisations, qui doivent répondre aux attentes légitimes des familles concernées, soucieuses de rétablir ou de sauvegarder leur patrimoine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’état.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Il s’agit là, monsieur le député, d’un sujet très difficile, qui a mobilisé une grande partie des parlementaires, toutes sensibilités confondues. Chacun se souvient en effet de la situation inédite entraînée par la canicule de 2003 : un drame humain, mais aussi des dégâts catastrophiques causés aux habitations de nombre de nos compatriotes.

La reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, traditionnellement utilisée en pareil cas, n’a pas suffi. Le ministre de l’intérieur et celui de l'économie, des finances et du budget ont donc travaillé à la mise en place d’un dispositif exceptionnel pour régler les situations les plus dramatiques. L’idée est d’ajouter à l’aide apportée aux communes un dispositif centré, à titre dérogatoire, sur les habitants. C’est l’objet de l’amendement que je vous ai soumis cette nuit, qui consacre 180 millions d’euros supplémentaires aux propriétaires dont l’habitation principale a subi de gros dégâts. Notons qu’une partie de cette somme bénéficiera aux habitants des communes limitrophes.

La procédure est très simple : le préfet collectera les demandes des propriétaires et prononcera l’éligibilité au vu de l’examen de chaque dossier et de l’évaluation des travaux à effectuer. Cette avancée significative permettra, en partie du moins, de réparer les dégâts constatés à l’occasion de cette terrible canicule. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Réforme de la taxe professionnelle et intercommunalité

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Pierre Balligand. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

La réforme de la taxe professionnelle donne des sueurs froides aux élus locaux, de droite comme de gauche.

M. Alain Néri. Oh oui !

M. Jean-Pierre Balligand. En plafonnant son produit à 3,5 % du chiffre d’affaires des entreprises, vous allez, dans l’immédiat, sanctionner les collectivités qui en ont le plus besoin et, pour l’avenir, attenter à l’autonomie financière de toutes les collectivités. Ne pouvant plus décider librement de leur taux, elles seront contraintes, du fait de votre réforme, à augmenter la fiscalité qui pèse sur les ménages, comme la taxe d’habitation et la taxe sur le foncier bâti, pour remplacer cette ressource.

Mais la principale victime est l’intercommunalité. La taxe professionnelle, en effet, représente 93 % des ressources fiscales des groupements de communes à fiscalité propre. En empêchant toute progression de leurs ressources, vous allez les asphyxier.

Une offensive sans précédent est menée depuis plusieurs semaines contre l’intercommunalité, couronnée par la publication, ce matin, du rapport de la Cour des comptes sur le sujet – même si celui-ci, loin de faire le procès de l’intercommunalité comme veut le faire croire M. le ministre délégué aux collectivités territoriales, se montre beaucoup plus équilibré qu’on ne le croit.

Que fait ce gouvernement ? Il propose de rompre le pacte intercommunal que nous avons collectivement inventé, un pacte qui rassemble 88 % des communes de France et 84 % des Français, …

M. Marc-Philippe Daubresse. N’importe quoi !

M. Jean-Pierre Balligand. …un pacte qui permet de dépasser les égoïsmes locaux en permettant aux communes de mettre leurs moyens en commun et de réaliser ensemble des investissements collectifs qui sans cela n’existeraient pas.

Ma question est donc directe : prendrez-vous la responsabilité, en maintenant cette réforme, mais aussi en cautionnant le discours partisan qui fait de l’intercommunalité un bouc émissaire, de mettre à mort la seule structure territoriale qui soit aujourd’hui en mouvement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur certains bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je sais que la politique a ses propres règles, monsieur le député, mais j’ai parfois du mal à vous suivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. — Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Pourquoi critiquez-vous aujourd’hui le principe d’une réforme que vous avez vous-même appelée de vos vœux lorsque vous étiez dans la majorité ?

La réforme de la taxe professionnelle devrait être approuvée par tous : il s’agit d’assurer la compétitivité de nos entreprises.

M. Augustin Bonrepaux. Vous mentez !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Pour le reste, je veux ici, monsieur Balligand, dire à nouveau ce que je vous ai répété pendant une bonne partie de la soirée d’hier.

M. Jean Glavany. Ne vous mêlez pas des finances locales !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Premièrement, nous nous engageons à ce qu’aucune entreprise ne soit désormais taxée à plus de 3,5 % de sa valeur ajoutée. Certaines d’entre elles, en effet, subissent aujourd’hui un taux atteignant 10 %.

Deuxièmement, nous nous engageons à ce que l’État absorbe la totalité des augmentations passées – dans la limite de 4,5 % pour 2005, parce que quand on voit les augmentations décidées dans certaines régions, il ne faut quand même pas charrier ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Troisièmement, nous avons veillé avec vous à ce que l’intercommunalité à taxe professionnelle unique ne soit pas touchée. Je vous l’ai démontré chiffres à l’appui, monsieur Balligand.

M. Augustin Bonrepaux. Vous tuez l’intercommunalité !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je vous demande simplement, comme on dit dans le film La vérité si je mens, de donner sa chance au produit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. — Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. C’est honteux !

accès aux services en milieu rural

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Anciaux, pour le groupe de l’ UMP.

M. Jean-Paul Anciaux. Monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, le Morvan attendait depuis de nombreuses années son rattachement au Massif Central. Plusieurs ministres nous l’avaient promis, mais vous, vous nous l’avez obtenu. En visite il y a un mois à Saint-Léger-sous-Beuvray, vous avez pu nous annoncer cette excellente nouvelle. Bravo et merci au nom de tous les Morvandiaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

À l’occasion de ce déplacement en Saône-et-Loire, vous nous avez détaillé l’action que vous menez, au nom du Gouvernement, pour améliorer la qualité et l’accessibilité des services au public dans les communes rurales. Hier, au Salon des maires, vous avez d’ailleurs évoqué à nouveau cette action prioritaire, soutenue par les parlementaires qui, comme moi, comptent de nombreuses communes rurales dans leur circonscription.

Pendant cette table ronde, vous avez rappelé l’évolution des besoins des habitants, et notamment la demande d’une présence médicale plus forte dans certains territoires. Quelles actions comptez-vous entreprendre…

M. Augustin Bonrepaux. Aucune !

M. Jean-Paul Anciaux. …pour pallier la carence d’offre de soins dans ces départements, qui ont besoin du soutien de l’État ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Augustin Bonrepaux. Rien n’est fait pour les communes !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur le député Jean-Paul Anciaux, l’accessibilité aux services publics dans notre ruralité…

M. Augustin Bonrepaux. Il n’y en a plus !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …et plus particulièrement l’accès aux soins, constituent une véritable priorité pour le Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) L’équité à la fois humaine et territoriale est une exigence. Nous avons donc pris des mesures fortes et concrètes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) D’abord, une incitation financière est mise en place en faveur des professions de santé, découlant de la loi relative au développement des territoires ruraux. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Il n’y a rien dedans !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. J’ai veillé à ce que les régions identifient les zones de sous-médicalisation afin de rendre les textes applicables le plus rapidement possible et de leur adresser les aides financières nécessaires. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Qui paie ?

M. le président. Monsieur Bonrepaux, calmez-vous !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je m’engage, de plus, à ce que tous les décrets d’application soient transmis avant la fin de l’année au Conseil d’État, pour débloquer les aides des collectivités territoriales. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Ensuite, en matière de télémédecine, notre objectif est de généraliser le haut débit et le numérique sur tout le territoire national d’ici à 2007. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Nous en sommes aujourd’hui à 96 % de couverture. En généralisant la mise en réseau de la télémédecine avec les praticiens de la santé en milieu rural, nous faciliterons aussi les expertises, les diagnostics, les soins opératoires, la mise en réseau des hôpitaux ruraux avec les centres hospitaliers urbains et les CHU. Le Premier ministre a annoncé, hier, devant le Congrès des maires, qu’une enveloppe de 50 millions d’euros pour les projets innovants en milieu rural serait débloquée, ce qui contribuera, bien évidemment, au développement de ces réseaux. Enfin, nous proposons une globalisation de l’offre en association avec les maires, principaux partenaires de l’aménagement et du développement du territoire, concernant notamment l’aide à l’installation des médecins en milieu rural, le logement et l’activité pour le conjoint. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous le voyez, monsieur le député, là où d’autres avant nous ont fait le choix de fermer des hôpitaux publics (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), là où ils ont découragé l’implantation des médecins, nous passons à l’action ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Augustin Bonrepaux. Il n’y a pas de moyens !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, restez calme !

aide publique au développement

M. le président. La parole est à M. Daniel Fidelin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Daniel Fidelin. Madame la ministre déléguée au commerce extérieur, vous avez récemment effectué une mission en Afrique. En vous rendant au Kenya, au Nigeria et au Bénin, vous avez pu vous rendre compte des conditions dramatiques dans lesquelles vivent les populations des pays de l’Afrique subsaharienne. Exclus du commerce mondial, ces pays peuvent rarement se procurer à des prix raisonnables des médicaments, alors que leurs habitants souffrent de maladies pour lesquelles il existe des remèdes.

Par ailleurs, leurs économies pâtissent souvent des subventions agricoles américaines dans le secteur du coton.

À la veille de la conférence de Hong kong où vous dirigerez la délégation française et quelques jours après le Conseil « Affaires générales » qui s’est tenu à Bruxelles le 21 novembre dernier, pensez-vous que le cycle de Doha et le développement récent des négociations répondent réellement aux besoins des pays les plus pauvres et de leur population ? Que fait la France pour s’assurer que le développement reste bien au cœur de ces négociations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée au commerce extérieur.

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. L’engagement de la France en faveur des pays en développement dans le cadre du cycle du développement de Doha est bien connu. Le Président de la République l’a indiqué, nous souhaitons que ces pays puissent bénéficier, par leur intégration dans le commerce mondial, d’une amélioration de leur développement économique. Mais, comme vous, le Gouvernement est inquiet. En effet, les négociations actuelles en matière de développement ne progressent pas assez vite, alors que la situation des pays les moins avancés, ne cesse de s’aggraver. Mes collègues des affaires étrangères et européennes et moi-même, nous en sommes émus. Nous l’avons réaffirmé auprès de la Commission européenne et avons demandé à ce que nos positions soient prises en compte.

Si nous nous mobilisons, toutefois, Hong kong peut être une étape importante en vue de permettre aux pays les plus pauvres de bénéficier de la mondialisation. La France et d’autres pays de l’Union européenne ont ainsi demandé à la Commission de négocier auprès de l’Organisation mondiale du commerce un « paquet développement » permettant aux pays les moins avancés de progresser. Ce paquet contient, d’abord, l’extension par tous les pays développés du régime « Tout sauf les armes » qui permet aux pays les moins avancés d’exporter en franchise de droits l’ensemble de leurs produits, comme nous le faisons déjà au sein de l’Union européenne ; ensuite, un mécanisme relatif à la propriété intellectuelle, permettant à ces pays de se procurer des médicaments plus facilement et à des conditions financières plus avantageuses en vertu de licences obligatoires ; un dispositif adapté leur garantissant, dans la durée, des régimes commerciaux préférentiels ; enfin, un règlement du problème du coton, qui pénalise de toute évidence, les pays francophones d’Afrique de l’Ouest qui figurent parmi les plus pauvres des pays pauvres. Comptez sur nous pour, comme nous l’avons expliqué en Afrique et à Bruxelles et comme je l’ai dit Washington et à Shanghai, réaffirmer la position française en faveur des pays les moins avancés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Loi de finances pour 2006

Explications de vote
et vote sur l’ensemble d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2006.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le ministre de l’économie, monsieur le ministre délégué au budget, mes chers collègues, je centrerai ce court propos sur la réforme fiscale ambitieuse qui a été au cœur de nos débats, des débats denses, de qualité, de cette seconde partie du budget : réforme de l’impôt sur le revenu, d’une part, réforme de la taxe professionnelle, d’autre part.

La réforme de l’impôt sur le revenu repose sur quatre piliers.

Premier pilier, la justice fiscale. Les trois quarts de l’effort – baisse de l’impôt sur le revenu, augmentation de la prime pour l’emploi, – vont en direction des ménages à bas revenus ou à revenus modestes, et un amendement du président de la commission a concentré davantage encore l’effort vers les ménages les plus modestes.

Deuxième pilier, l’attractivité du territoire. Pour la première fois, nous aurons un taux marginal de 40 %. Cela fait quinze ans que nous regrettons l’hémorragie de talents, artistes, sportifs, chercheurs, jeunes diplômés. Nous serons désormais au standard européen et nous allons stopper ces délocalisations si coûteuses pour notre pays.

Troisième pilier, l’impôt ne pourra plus être confiscatoire en France puisqu’il sera plafonné à 60 % des revenus.

Enfin, quatrième pilier, le civisme fiscal. Nul, dès lors qu’il profite de revenus aisés, ne pourra s’exonérer totalement de l’impôt sur le revenu. Je remercie les ministres d’avoir accepté la création dans les semaines qui viennent d’un groupe de travail pour généraliser ce principe qui a été fortement et très clairement défendu par le président Méhaignerie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mes chers collègues, nous avons donc une belle, une grande réforme, juste pour les Français et efficace pour notre économie et pour l’emploi.

La réforme de la taxe professionnelle était devenue indispensable car c’est notre devoir de protéger nos entreprises. Au-delà de 3,5 % de la valeur ajoutée, le prélèvement devient insupportable.

M. Jacques Brunhes. Ce n’est pas une explication de vote !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Or les entreprises qui paient beaucoup plus que 3,5 % de leur valeur ajoutée, ce sont les entreprises industrielles, c’est-à-dire les plus vulnérables aux délocalisations. Ce défaut est corrigé, sans qu’il y ait un seul perdant. Il n’y aura que des diminutions de taxe professionnelle.

Les inquiétudes des collectivités locales, qui ont pu être exploitées ici ou là, sont excessives puisque l’assiette de la taxe professionnelle n’est pas changée. Par ailleurs et surtout, aucune collectivité n’aura à contribuer en quoi que ce soit dès lors que les taux de taxe professionnelle ne seront pas augmentés. Je sais que, du côté droit de cet hémicycle, les élus responsables que nous sommes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) ne veulent pas augmenter les taux de taxe professionnelle, contrairement aux régions socialistes qui les ont augmentés de 25 % en une seule année. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Augustin Bonrepaux. C’est de la provocation, de l’esprit partisan ! Ces propos ne sont pas dignes d’un rapporteur général de la commission des finances !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. L’État consent un effort considérable pour cette réforme puisque le contribuable national prendra à sa charge 3 milliards d’euros supplémentaires au titre de la taxe professionnelle.

Par ailleurs, nous avons pu redéployer 325 millions d’euros au bénéfice des banlieues, des quartiers en difficulté, pour améliorer le soutien scolaire, augmenter les subventions aux associations, accélérer les opérations de rénovation urbaine, et cela par redéploiements, sans aggraver le déficit, et je salue la rapidité de la réaction du Gouvernement.

Je tiens à remercier les ministres pour la qualité du travail qui a été mené en commun entre l’Assemblée et le Gouvernement, je remercie aussi l’ensemble des collaborateurs de l’Assemblée, en particulier mes collaborateurs de la commission des finances, et tous les députés qui ont été extrêmement assidus tout au long du débat et qui ont fait des propositions très intéressantes, dont une partie a été reprise par le Gouvernement. Je vous remercie personnellement, monsieur le président, d’avoir accepté de présider notre séance de la nuit de vendredi à samedi. Enfin, je me félicite à nouveau de la qualité de la collaboration avec le Gouvernement.

Pour toutes ces raisons, la commission des finances vous appelle, mes chers collègues, à voter ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Brunhes. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. Nous abordons les explications de vote, pendant lesquelles n’y a pas de rappel au règlement.

Explications de vote

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour le groupe de l’UMP.

M. Hervé Mariton. Le budget emporte la confiance du groupe UMP. Le véritable enjeu, c’est d’emporter la confiance des Français.

M. Didier Migaud. C’est mal parti !

M. Hervé Mariton. Nous avons un devoir de pédagogie sur la situation financière de la France, sans angoisses ni illusions.

La dette se stabilise, trop haut. La dépense se modère, trop élevée. Le déficit est contrôlé, trop important. Cela souligne l’urgence d’une véritable réforme de l’État. Monsieur le ministre du budget, vous êtes aussi ministre de la réforme de l’État. Nous vous faisons confiance pour que, ensemble, nous y allions. Dominique de Villepin s’y est attelé. La tâche est urgente. Une réforme fiscale équilibrée y contribue, c’est une bonne façon de montrer le respect que l’on doit au citoyen contribuable.

Nous devons répondre aux défis de l’avenir en matière de recherche, d’innovation et d’infrastructures. Cela passe par une politique de compétitivité, en particulier le soutien aux pôles de compétitivité, mais aussi par une compétitivité fiscale, avec la réforme fiscale : réforme de l’impôt sur le revenu, réforme de la taxe professionnelle, plafonnement de l’impôt.

Nous devons aussi, et c’est sans doute l’essentiel, répondre aux préoccupations des Français.

Le pouvoir d’achat d’abord. La réforme fiscale apporte un plus,…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Aux plus riches !

M. Hervé Mariton. …sans que l’État devienne gérant des salaires et du pouvoir d’achat.

Des initiatives innovantes, ô combien justifiées, ont été prises pour les banlieues, la qualité de la politique menée comptant plus que la quantité des moyens.

S’agissant de la sécurité, nous respectons la loi de programmation.

Avec une croissance de 0,7 % au troisième trimestre, nous sommes sur un bon chemin. Le budget est établi sur des bases solides, saines et sérieuses. En six mois, le chômage est passé de 10,2 à 9,8 %. L’effort doit être poursuivi. Le budget y contribue, encourageant le développement de l’apprentissage et des emplois de services. La réforme fiscale elle-même est favorable à l’emploi.

Pour rencontrer la confiance des Français, ce qui est l’enjeu essentiel à ce stade de notre débat budgétaire, l’UMP doit parler à tous.

À ceux qui regarderaient du côté du parti socialiste, nous devons éclairer la course à gauche à laquelle s’est livrée ce parti, course à gauche ultra, pauvre en idées et riche en impôts (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) : remise en cause des baisses d’impôts, création d’une taxe écolo, d’une taxe européenne, d’une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés, d’une taxe pour les retraites.

À ceux qui regarderaient vers l’UDF, je ferai observer que l’UDF veut mortifier et commence par se mortifier elle-même. (Exclamations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) L’UDF, hélas ! s’apprête à voter contre ses électeurs aujourd’hui orphelins, auxquels nous devons donc parler directement.

Ce budget a un sens politique. Il s’adresse à tous les Français pour le mieux-être de chacun. Il a pour priorité l’emploi. Il vise au redressement de la France.

Alors oui, en nous adressant à tous les Français qui veulent accompagner cette action et cet effort, nous, au groupe UDF, nous votons pour ce budget. (Rires et exclamations sur de nombreux bancs.)

M. François Sauvadet. Rendez-le nous !

M. le président. Pour ma part, j’ai parfaitement compris que M. Mariton parlait de l’UMP. Il n’y a ni contrefaçon ni équivoque !

La parole est à M. Didier Migaud, pour le groupe socialiste.

M. Didier Migaud. Il y a manifestement de la confusion dans les rangs de l’UMP et cela ne nous étonne pas !

Le Premier ministre avait demandé cent jours pour la confiance. En fait de confiance, nous avons l’état d’urgence social ! C’est, pour partie, le résultat de la politique économique et sociale profondément injuste de la droite depuis juin 2002.

Messieurs les ministres, votre projet de loi de finances est-il en mesure de répondre aux préoccupations des Français ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Non, malheureusement !

Ce budget s’inscrit dans la continuité du gouvernement précédent. Loin de tirer les leçons de l’échec de votre politique économique et sociale (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) vous amplifiez les mesures injustes et inefficaces prises sous le gouvernement Raffarin. De surcroît, les perspectives économiques ne sont pas aussi roses que vous le dites.

M. Michel Piron. C’est vrai, ce n’est pas « rose » !

M. Didier Migaud. Certes, les résultats du troisième trimestre pour 2004 sont plutôt positifs, et nous nous en réjouissons, mais les premiers chiffres de la consommation sont mauvais pour le mois d’octobre, comme bien d’autres indicateurs. Les dépenses augmentent en dépit de la remise en cause de nombreuses politiques publiques, de même que les déficits, la dette et les impôts de la plupart de nos concitoyens. La consommation et le pouvoir d’achat sont en berne et le chômage est encore beaucoup trop élevé.

Nous l’avons dit lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, ce mauvais budget se caractérise par l’injustice, l’absence de responsabilité, le manque de sincérité. Mais vous y ajoutez l’indécence, car, monsieur le rapporteur général, les mesures fiscales que vous proposez sont le contraire de la justice fiscale. D’un côté, des mesures très faibles en direction du plus grand nombre – la prime pour l’emploi représentera en moyenne cinq euros par mois pour 8,5 millions de bénéficiaires – de l’autre, un petit nombre de contribuables privilégiés profite de la baisse de l’impôt sur le revenu et de l’impôt de solidarité sur la fortune, ainsi que de ce fameux bouclier fiscal qui ressemble fort à un paradis fiscal. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Lellouche. N’importe quoi !

M. Didier Migaud. Ces réductions d’impôt atteindront, pour un tout petit nombre de contribuables, plusieurs centaines de milliers d’euros, voire, pour quelques-uns, le million d’euros ou plus. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Que valent cinq euros en regard de cela ?

Non, vos réformes ne profitent pas du tout aux classes moyennes et modestes de notre pays : 1 % de nos concitoyens bénéficiera de 30 % des sommes que vous consacrez aux réductions de l’impôt ! Et encore allez-vous vraisemblablement ajouter d’autres mesures injustes dans le collectif budgétaire adopté ce matin.

Votre budget dur et injuste pour les ménages, l’est aussi pour les collectivités locales dont vous faites le procès. Nombre d’entre elles seront asphyxiées par votre très mauvaise réforme de la taxe professionnelle. Et ce n’est que grâce aux amendements déposés par le groupe socialiste que vous avez découvert certains effets pervers de la réforme que vous proposiez. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Vous l’avez vous-même reconnu !

Pourtant, des mensonges répétés ne deviennent jamais une vérité. Votre politique est profondément injuste, dangereuse et irresponsable. Elle n’est pas financée et reporte certaines dépenses sur les exercices 2007 et 2008, alors que, nous l’espérons, vous ne serez plus aux responsabilités.

Votre budget est en complet décalage par rapport aux problèmes des Français. Il creusera les inégalités et accentuera les difficultés des collectivités locales. Notre vote n’est pas de circonstance : d’emblée, nous avons combattu votre politique car nous en pressentions les effets négatifs. Plus nos concitoyens ressentent ces effets, plus notre opposition se renforce.

Bien évidemment, nous voterons contre votre projet de budget ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.).

M. le président. Avant de donner la parole aux deux derniers orateurs inscrits dans les explications de vote, je fais annoncer le scrutin public dans l’enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe UDF.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour le groupe UDF, le projet de budget pour 2006 présente cinq caractéristiques.

Tout d'abord, il n'est pas sincère ni sur les prévisions de croissance – qu’il s’agisse du consensus des experts ou des prévisions économiques de la Commission européenne qui ont été rendues publiques le 17 novembre –, ni sur les taux de croissance des dépenses de l’État – celui de 1,8 % que vous affichez est dû à un ensemble d'artifices de présentation budgétaire, alors qu'en réalité les dépenses de l'État augmenteront, en 2006, de près de 4,8 %.

Au total, on renonce à dire la vérité aux Français sur l'extrême gravité de la situation des finances publiques de notre pays et à en tirer les conséquences en fournissant un indispensable effort de réduction des dépenses, au contraire de ce que vient de décider la grande coalition allemande.

En deuxième lieu, ce budget est porteur de menaces pour l'avenir des finances publiques. Il engage pour 2007 6,2 milliards de baisses d'impôt non financés. Il encaisse en 2006 les 12 milliards de recettes espérées de la privatisation des trois sociétés d'autoroutes, renonçant ainsi à des dividendes qui ont augmenté pendant un quart de siècle, et consacre le tiers de cette somme à des dépenses reconductibles. Il entérine un déficit public insupportable, l'aggravation régulière depuis trois ans de la pression fiscale et sociale et la hausse constante de la dette publique qui atteindra 1 162 milliards à la fin de 2006.

M. Jean-Pierre Blazy. C’est accablant !

M. Charles de Courson. À cette dette réelle s'ajoute une dette potentielle de 1 000 milliards d'euros environ si l'on tient compte des engagements financiers pour les retraites de la fonction publique de l’État et des régimes spéciaux. Aussi ne faut-il pas s'étonner que l'agence de notation « Standard and Poor’s » s'interroge sur le maintien de la note « triple A » accordée jusqu'à présent à la République française.

M. Gérard Bapt. C’est grave !

M. Charles de Courson. Troisièmement, et c’est plus grave, le projet de budget comporte des dispositions fiscales injustes. Au lieu de soulager la pression fiscale sur les classes moyennes qui supportent de lourds et croissant impôts et charges sociales, ce budget concentre les cadeaux fiscaux sur les plus gros contribuables. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Plus des deux tiers du coût du bouclier fiscal, estimé à 400 millions, – soit 280 millions d'euros – profiteront avant tout à 16 800 contribuables imposables à l’ISF…

M. Alain Néri. Alors, que répondez-vous, monsieur Copé ?

M. Charles de Courson.… dont certains seront même exonérés d'impôts locaux sur leur résidence principale. L'intégration des 20 % d'abattement dans la baisse du barème de l'impôt sur le revenu coûtera 3,6 milliards d'euros et profitera surtout à 100 000 personnes pour 885 millions d'euros.

Au total, 116 800 personnes bénéficieront de près de 1,2 milliard d'euros de réduction d'impôt, soit près de 10 000 euros par personne ! Ainsi 0,4 % des 35 millions de contribuables français bénéficieront de 25 % de l'ensemble des mesures relatives à l'impôt sur le revenu.

Quatrièmement, votre budget n'est pas économiquement efficace. En ne réduisant pas significativement les déficits, publics et en ne maîtrisant pas les dépenses publiques, ce budget pèsera sur une croissance économique déjà insuffisante et risque fort d’entraîner la réactivation par l'Union européenne de la procédure pour déficits excessifs. En 2006, plus de la moitié de la richesse créée par les Français, sera prélevée par le secteur public.

Il est vrai que la gauche porte une large part de responsabilité dans la profonde dégradation des finances publiques (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.), mais les erreurs des uns n'excusent pas les erreurs des autres ! (Exclamations sur divers bancs.)

Enfin, votre projet de budget porte une nouvelle atteinte à l'autonomie fiscale des collectivités territoriales et à la nécessaire responsabilisation des élus locaux devant leurs électeurs. La réforme de la taxe professionnelle, en gelant plus de la moitié de l'assiette de cet impôt en moyenne, réduit encore leur autonomie fiscale. Une nouvelle fois, les collectivités territoriales bien gérées et à pression fiscale faible seront sanctionnées financièrement et celles qui ont une fiscalité élevée seront encouragées. L'intercommunalité, notamment celle qui a choisi la taxe professionnelle unique, sera largement freinée et la situation financière des départements largement dégradée.

Le diagnostic que je viens de porter au nom du groupe UDF est partagé, bien au-delà des bancs de notre groupe. Ce que certains disent en privé, nous le disons publiquement. Aussi, le groupe UDF a décidé d'en tirer les conséquences, de respecter les engagements pris devant ses électeurs et de ne pas voter le budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.- Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe communiste.

M. Alain Bocquet. Messieurs les ministres, c'est peu de dire que votre budget est un budget de classe. Les plus riches seront plus riches encore. Les plus pauvres, ceux qui gagnent péniblement leur vie par le travail, mais aussi les collectivités locales, s'appauvriront. Toute honte bue, vous avez fait voter, nuitamment, par votre majorité un abattement de l'impôt sur la fortune de 75 % sur certaines actions qui permettra, par exemple, à votre ami Thierry Desmarets, PDG de Total, de récupérer au passage 120 000 euros, auxquels s'ajoutera, un allégement de 224 512 euros de son impôt sur le revenu, soit l'équivalent de 235 SMIC. C’est tout simplement scandaleux !

Quelque 12 000 hauts cadres et PDG actionnaires se partageront ainsi un allégement fiscal de 68 millions d'euros. Décidément, notre République est devenue, à cause de votre politique, celle des copains et des coquins ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.- Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Plafonnement de la TVA, confirmation de la suppression de la surtaxe Juppé dans l'impôt sur les sociétés, démantèlement du mécanisme d'imposition des plus-values à long terme des entreprises sur cessions de titres : ces trois mesures représentent 5 milliards d'euros de pertes de recettes sur les deux prochaines années. Or ces cadeaux fiscaux seront sans effet sur la courbe du chômage, car l'essentiel de cette manne servira à accroître les marges du capital.

Le 1,2 milliard d’euros de réduction fiscale offert à une minorité de nantis est tout aussi injuste que stérile. La remise en cause de la progressivité de l'impôt sur le revenu, le bouclier fiscal et l'abattement de l’impôt sur la fortune pour les PDG actionnaires ne relanceront pas la consommation des ménages. Ces réformes nourriront la spéculation.

Alors que nous avions proposé de mobiliser ces 6,2 milliards pour financer un plan d'action en direction des quartiers populaires, cette loi de finances est une fin de non-recevoir, à un moment où l'argent coule à flots dans notre pays. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Pour satisfaire au pacte de stabilité, la majorité actuelle continue de privatiser à tout-va : autoroutes, GDF, EDF, bientôt Aéroports de Paris, ensuite sûrement la banque postale, et, comme le redoutent les cheminots, des pans entiers de la SNCF. Qu'importent l'intérêt général et les conséquences à long terme : ce budget consacre un État rabougri et une marchandisation envahissante. Les hôpitaux publics, asphyxiés par la rigueur, subissent la concurrence de cliniques privées subventionnées. Seuls la défense, la justice et l'intérieur sont épargnés.

Votre réforme de. la taxe professionnelle va coûter 3,2 milliards d'euros aux finances publiques, dont 1,5 milliard au titre du plafonnement, réduisant ainsi le rendement de la taxe professionnelle de 13 %.

La majeure partie de ce cadeau fiscal bénéficiera aux grandes sociétés ou à leurs filiales. A contrario, les collectivités locales seront privées de la possibilité de dégager des ressources indispensables au financement de leurs missions de service public.

M. Philippe Auberger. C’est faux !

M. Alain Bocquet. Cette mesure est inacceptable pour les maires de France, dont le congrès, qui se tient en ce moment, est dominé par l’inquiétude devant les conséquences du budget 2006 sur les finances locales et l’autonomie financière des communes.

Cinq mille postes sont supprimés dans la fonction publique.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Il en reste encore trop !

M. Alain Bocquet. La perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires, évaluée à 5 % depuis 2000, va encore s’amplifier. Votre unique ambition pour les services publics, monsieur le ministre, c’est de les gérer comme des hypermarchés, et de réduire leur utilité au maintien de l’ordre et d’une cohésion sociale a minima.

Le groupe des députés communistes et républicains propose au contraire une relance de la dynamique de l'action publique. Dégageons des ressources nouvelles en élargissant la base de l'impôt sur le revenu à tous les actifs financiers et immobiliers ; en créant de nouvelles tranches supérieures ; en améliorant le rendement d'un impôt sur les sociétés en le modulant selon les politiques d'emploi, de formation et de salaires des entreprises ; en faisant de la taxe professionnelle un véritable impôt assis sur les actifs matériels et financiers des entreprises, ou encore en renforçant l'impôt de solidarité sur la fortune.

Votre loi de finances, rédigée avec l’encre du MEDEF non seulement ignore toute alternative à la domination de l'argent prédateur, mais elle affaiblit encore les capacités des pouvoirs publics à répondre aux besoins collectifs et à promouvoir le progrès social.

M. le président. Terminez, monsieur Bocquet.

M. Alain Bocquet. Nous voterons donc contre ce texte de classe, qui ignore les attentes et la défiance à l'égard des politiques libérales exprimées par nos concitoyens, à travers le mouvement social et dans les urnes, notamment lors du référendum du 29 mai dernier. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'ensemble du projet de loi de finances pour 2006.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Luc Warsmann.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Lutte contre le terrorisme

Discussion, après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (nos 2615, 2681).

La parole est à M. le ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, dans ce monde tourmenté qui est le nôtre, la sécurité des Français constitue l’un de nos devoirs les plus sacrés. Votre assemblée est aujourd’hui appelée à se prononcer sur les moyens de dissuader et de combattre l’une des formes les plus barbares et les plus pernicieuses de la violence : celle du terrorisme.

Barbare, le terrorisme l’est, parce que sa logique de terreur est fondée sur le meurtre de victimes parfaitement innocentes. Pernicieux, il l’est aussi, parce que ses modes opératoires n’obéissent à aucune des règles juridiques ou morales qui régissent la communauté internationale.

La France a déjà été frappée par ce fléau. Elle connaît le prix de cette épreuve sanglante. Elle connaît ce sentiment de peur, qu’il convient cependant de maîtriser. Elle connaît les objectifs et les pratiques de cette guerre souterraine, qu’elle n’a pas déclarée, mais à laquelle elle a décidé de répondre sans faiblesse.

Toutes majorités confondues – qu’il s’agisse de la gauche ou de la droite – la France n’a jamais cédé et ne cédera jamais aux intimidations des fanatiques, des assassins et des barbares que sont les terroristes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur certains bancs du groupe socialiste.)

M. Daniel Vaillant. C’est vrai !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. C’est une constante de la vie politique de notre pays, un consensus de la gauche et de la droite : aucune faiblesse à l’endroit des terroristes et du terrorisme.

La France vit en paix et n’a aucun adversaire désigné. Mais avec la disparition de la bipolarité Est-Ouest qui structura le débat international durant un demi-siècle, notre planète est traversée par des tensions nationales, régionales et culturelles dont les répercussions ne sont pas localement circonscrites. C’est l’étrange paradoxe de notre monde contemporain qui, en se décloisonnant et en s’unifiant, libère simultanément des haines longtemps retenues et des rivalités nouvelles.

La France est une nation pacifique, et pourtant je viens de prononcer le mot « guerre ». Ce terme n’est pas excessif : la guerre contre le terrorisme est une guerre d’un genre particulier, une guerre qui ignore les frontières et les États, une guerre épistolaire et sans véritables préavis, une guerre dont les combattants vivent dans l’ombre, une guerre au sein de laquelle les structures et les acteurs sont à la fois ordonnés et hiérarchisés, et en même temps disséminés et isolés.

Notre pays n’a pas été confronté à des actes terroristes sur son sol depuis plusieurs années, mais nous ne sommes nullement à l’abri de cette guerre, car ses instigateurs sont parfaitement imprévisibles. Je vous le dis avec gravité : les ingrédients de la menace existent, les scénarios d’actions violentes sur notre sol sont réels !

Rien ne serait donc plus trompeur, ni plus inconséquent, que d’imaginer un seul instant que ce qui s’est déroulé à New York, à Madrid ou à Londres pourrait passer à côté de la France. Les prétendus motifs géopolitiques ou spirituels qui ont motivé ces attentats sont à géométrie variable, et donc extensibles et transposables ailleurs, c’est-à-dire en France. La raison en est simple : ces prétendus motifs des assassins terroristes ne sont animés que par une logique de haine dont nous sommes l’une des cibles, la haine des sociétés démocratiques, prospères, ouvertes et tournées vers les horizons du monde. Voilà pourquoi il serait irresponsable et illusoire de faire preuve d’attentisme ou d’angélisme face au spectre du terrorisme.

L’heure est venue de prendre acte de ces mutations, car ce sont elles qui nous contraignent à ajuster notre posture et nos modes de protection.

Deux questions centrales se posent.

La première est de savoir si les attentats terroristes perpétrés au cours de la dernière décennie manifestent l’émergence d’une évolution fondamentale des phénomènes terroristes. Toutes les indications dont je dispose me conduisent à répondre « oui » : nous sommes face à une évolution fondamentale du terrorisme.

La seconde question va de pair avec la première : assiste-t-on à l’émergence d’un terrorisme global, représentant pour la sécurité de la France, et plus généralement de l’Europe, une menace de niveau stratégique ? Tous les renseignements dont je dispose me conduisent, là encore, à répondre « oui » : la menace terroriste est une menace de dimension stratégique.

Le constat est, malheureusement, tout à fait irréfutable : dans la nature et l’organisation du terrorisme, un saut qualitatif et quantitatif, si je puis dire, a été franchi – dans l’attractivité idéologique et la capacité fédératrice de mouvements divers, et dans l’élévation du niveau de violence infligée. Jamais, avant les attentats de Londres et, dans une moindre mesure, de Madrid, nous n’avions connu de kamikazes sur le territoire européen. Cela est d’autant plus choquant que ces kamikazes étaient parfaitement inutiles : on peut tuer dans le métro de n’importe laquelle de nos capitales sans utiliser de kamikazes. Ils ont été utilisés de façon gratuite, ce qui renforce encore l’horreur de ce qui s’est passé. Jamais, en Europe, nous n’avions connu ça. Les auteurs de l’attentat de Madrid ne sont pas morts au moment des explosions dans la gare, mais, encerclés, une partie d’entre eux a préféré se tuer plutôt que se rendre.

Un niveau a été franchi dans les moyens sophistiqués employés, et un autre niveau a été franchi dans l’extension géographique, jamais vue, du terrorisme.

Nous sommes passés du terrorisme d’État des années 70 à un terrorisme infra-étatique infiltré dans nos sociétés ; nous sommes passés du terrorisme politique, aux objectifs relativement ciblés – il ne s’agit pas pour moi, chacun l’aura compris, de le justifier, encore moins de le minimiser ou de l’excuser, mais de décrire un phénomène –, à un terrorisme idéologique, aux desseins élargis et parfois apocalyptiques ; nous sommes passés du terrorisme localisé à un terrorisme globalisé exploitant les outils modernes de communication et de destruction. Voilà la métamorphose qui est en cours, voilà le visage actuel du terrorisme, qui n’a jamais été aussi global, jamais été aussi sophistiqué, jamais été aussi disséminé, jamais été aussi violent, jamais été aussi menaçant pour nos sociétés. Je ne dis pas ça, à l’ouverture de ce débat, pour effrayer quiconque, mais pour qu’au moins nous soyons d’accord sur le diagnostic avant que de parler des solutions. Le terrorisme a muté. Cette mutation lui a fait faire un saut quantitatif et qualitatif jamais vu dans l’histoire du terrorisme international.

Ce visage du terrorisme s'est trouvé au surplus une identité nouvelle dont il se pare de façon injurieuse et odieuse pour couvrir ses crimes et pour structurer ses élans, une identité dont je ne veux pas esquiver le nom devant l’Assemblée nationale : celle de l'islam.

Cette ancienne et si respectable religion du Livre, dont les préceptes de paix et de tolérance mutuelle sont bafoués par le terrorisme, constitue, pour l'heure, l'axe doctrinal autour duquel ceux que je n’hésite pas appeler nos adversaires, pour ne pas dire nos ennemis, s'organisent. Cette exploitation éhontée de l'islam nous place, là encore, devant un défi nouveau, un défi politique et moral lancé au cœur de nos sociétés occidentales : celui de l'unité et de la cohésion face au prétendu choc des civilisations. J’ai voulu prononcer le mot « islam » pour ne pas céder à la terreur idéologique des terroristes, qui voudraient nous faire croire que certains mots nous sont interdits par peur de l’amalgame que, par ailleurs, nous devons naturellement combattre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Absolument !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Nous nous trouvons donc dans la situation suivante : il nous faut non seulement lutter contre les terroristes et leurs alliés, mais, dans le même temps, et c’est pourquoi j’ai prononcé ce mot qui n’est pas tabou dans la République française, lutter et combattre contre les idées fausses et les réflexes de rejet qui pourraient conduire à assimiler islam et terrorisme. Car la bataille, c’est une bataille contre les assassins, mais également une bataille idéologique, pour ne pas dire politique, que nous devons engager. En fait, nos démocraties sont appelées à agir sur deux fronts : celui de l'extrémisme – je viens d’en parler – et celui de l'amalgame, cet amalgame que les terroristes cherchent très précisément à provoquer, à susciter, à organiser. À cet égard, j'indique avec force que la lutte contre le terrorisme n'est en rien un conflit contre l'islam ; c’est une lutte contre des filières, contre des groupes et contre des réseaux qui dévoient la tradition humaniste de l’islam.

Aujourd'hui, la principale menace stratégique réside dans ce phénomène que les experts appellent « le jihadisme global », dont tout porte à croire qu'il vient encore de frapper à Amman. Ce jihadisme global n'est pas ancré territorialement, il ne fonctionne pas sur un mode exclusivement hiérarchique et structuré. Ce jihadisme global est souple, furtif, décentralisé. Ses modes d'actions sont infiniment complexes et difficiles à déjouer. Ce n’était d’ailleurs pas le moindre des paradoxes que de voir les actes les plus barbares être perpétrés par les assassins les plus primaires utilisant parfaitement la structure en réseaux des sociétés les plus modernes et les plus complexes. Nous sommes face à une stratégie d'implantation de petites cellules autonomes. Nous avons constaté, lors des dernières arrestations, une division du travail, ce qui veut dire en vérité une spécialisation du travail, entre les doctrinaires, les logisticiens, les financiers et les auteurs. Nous sommes face au raccourcissement des trajectoires d'embrigadement entre le recrutement et le passage à l'acte, par le fait d'un processus – malheureusement connu dans l’histoire de l’humanité – de dépersonnalisation des individus. Qui ne connaît l’histoire de cette citoyenne belge qui a traversé de très nombreux pays pour se rendre en Irak et jouer la kamikaze ? Elle était belge de souche, et elle a fait des milliers de kilomètres, avec son mari, pour devenir une kamikaze. C’est un phénomène de dépersonnalisation. Nous avons, hélas, certains de nos compatriotes qui se sont trouvés dans ce cas.

Face à cette situation que j’ai tenu à décrire longuement – je m’en excuse, monsieur le président, mais il me semble que c’est tout de même mon devoir d’expliquer à la représentation nationale à quoi nous sommes confrontés –, qu'en est-il pour la France ?

Là aussi je n’emploierai pas de périphrases et je serai clair : la menace qui pèse sur nous provient d'abord de mouvements ou de groupes implantés à l'étranger. Les déclarations de l'émir du groupe salafiste pour la prédication et le combat, le GRPC, en sont l'illustration la plus évidente. Mais je dois vous indiquer que la menace provient tout autant de personnes vivant chez nous, recrutées par des structures salafistes, formées dans les écoles du Proche ou du Moyen-Orient, et qui, lors de leur retour dans notre pays, constituent un véritable danger. Tous les suspects ne présentent pas un profil aussi inquiétant, mais, sur notre sol, il existe des disciples de la violence et de la barbarie. Sur le plan judiciaire, depuis le début de l'année 2002, 367 personnes ont été interpellées, 100 ont été mises en examen et écrouées. C’est à la fois rassurant sur l’efficacité de nos services et extraordinairement inquiétant s’agissant de la prégnance et de la dangerosité de certaines cellules.

M. Richard Mallié. Tout à fait !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Dois-je vous préciser que cette menace intérieure a, par ailleurs, ses prédicateurs ? Depuis le 1er janvier 2005, nous avons expulsé dix-neuf islamistes intégristes. Les choses sont désormais très claires dans mon esprit : les prêcheurs de haine n'ont pas leur place sur le territoire national. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Chaque fois que nécessaire, la République rejettera ceux qui injurient ses principes et bafouent ses valeurs.

Fort de ces constats, j'invite votre assemblée à prendre la mesure des risques potentiels qui planent sur la France. Je la convie, à travers ce projet de loi, à un devoir renforcé de vigilance et de protection.

Certes, notre démocratie est, par nature, un espace perfectible, au sein duquel le respect des droits fondamentaux ne se négocie pas. Mais la liberté n'est pas synonyme d'imprévoyance, et la démocratie n’est pas synonyme de faiblesse. Les adversaires de la démocratie doivent savoir que les démocraties sont décidées à se défendre et à rendre coup pour coup (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française),…

M. Roland Chassain. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …avec les valeurs et les méthodes qui sont les nôtres ! Il faut agir maintenant, car je ne veux pas que nous ayons un jour à prononcer les mots « trop tard ». Voilà pourquoi ce projet de loi est examiné en urgence par le Parlement.

Mesdames, messieurs les députés, nous ne partons pas de rien. Depuis une vingtaine d'années, chaque gouvernement et chaque majorité s’est employé à affûter nos dispositifs de lutte en adaptant les moyens, en accentuant les coopérations et en ajustant notre droit à la réalité du temps. J’ai repris tous les textes qui ont été votés : sur les vingt dernières années, aucune majorité ne peut se dire qu’elle a fait plus qu’une autre en matière de terrorisme. Chacun a essayé de faire le mieux possible.

Concernant les moyens, une meilleure coordination de l'action des services a été mise en place à travers l'UCLAT. Des plans spécifiques, au premier rang desquels Vigipirate, ont renforcé nos outils de prévention. Depuis 2002, les effectifs du RAID, de la DST et de la Division nationale antiterroriste, ainsi que ceux de la police judiciaire et des services spécialisés des renseignements généraux, ont été renforcés.

Concernant la coopération avec les pays alliés, elle n'a jamais cessé de s'approfondir, notamment au niveau européen. J’ajoute que quasiment aucune des arrestations de ces trois dernières années n’aurait pu être réalisée sans le concours d’informations données par des services étrangers. Bien des choses restent encore à faire sur cette question stratégique de la coopération, mais l'extradition prochaine de Rachid Ramda révèle qu'un changement d'esprit et de méthode est enfin à l'œuvre.

M. Manuel Valls. Il est temps !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Le renforcement d'Europol, la création d'un véritable parquet européen, la clause de solidarité entre États victimes d'un attentat constituent, selon moi, les prochaines étapes indispensables à l'élaboration d'une véritable stratégie commune.

Concernant le droit enfin, les textes votés en 1986 ont permis la centralisation et la spécialisation des poursuites et de l'instruction des infractions terroristes. La loi du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne a facilité les fouilles de véhicules, autorisé les perquisitions et les saisies en enquête préliminaire. Elle a aussi permis l'utilisation des moyens militaires de déchiffrement et le recours à la visioconférence dans les procédures judiciaires ; elle a modifié diverses dispositions du code pénal relatives à la répression du terrorisme. Je ne rentrerai pas dans le détail, mais cette loi a renforcé l’arsenal de lutte contre le terrorisme. La loi du 18 mars 2003 a pérennisé toutes ces dispositions puisqu’il y avait la fameuse clause des trois ans, et celle du 9 mars 2004 a renforcé les moyens d'enquête judiciaire en créant de nouvelles infractions en matière de terrorisme. Bref, nous disposons d'instruments juridiques qui ont été conçus pour donner davantage de moyens à l'autorité judiciaire.

Mais ces moyens ont une caractéristique qui est aussi une faiblesse : ils s’appliquent davantage après un acte terroriste qu'avant qu'il ne soit commis. J’insiste sur ce point capital à mes yeux : nous avons un arsenal pour retrouver les coupables, qui est assez performant, mais la question qui est débattue aujourd’hui est de savoir ce qui se passe en amont de l’acte terroriste et pas ce qui se passe après celui-ci, en aval.

M. Roland Chassain. Bien sûr !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Car qu’attendent de nous nos concitoyens ? Que nous évitions le drame, pas simplement que nous retrouvions les coupables qui l’ont organisé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Voilà pourquoi il s’agit bien pour nous – je m’adresse à tous les groupes – de prévenir le terrorisme pour ne pas le subir, de parer les coups plutôt que de panser les plaies. En un mot, il faut agir en amont des attentats potentiels en permettant une meilleure collecte des renseignements. Voilà tout l'esprit du projet de loi que je vous propose, et en voilà toute la difficulté également, car alors se pose la question d’une démarche administrative et non pas simplement d’une démarche judiciaire. En effet, il va de soi qu’il faut qu’un acte ait été commis ou commencé à l’être pour qu’un juge soit désigné. Or le travail de la police et de la gendarmerie, c’est justement de faire en sorte que cet acte n’ait pas lieu.

Les objectifs sont donc clairs et ciblés. Permettez-moi de m’arrêter sur chacun d’entre eux.

Le premier concerne le développement du recours à la vidéosurveillance. Il est fondé sur les enseignements de l’expérience britannique. Nous vous proposons de multiplier nos efforts en la matière en aménageant le régime de la loi du 21 janvier 1995, sans prétendre aux mêmes objectifs que la Grande-Bretagne, qui va installer 25 millions de caméras sur son territoire. Je vous laisse méditer ce chiffre, pour un pays qui est l’exemple de la démocratie à travers le monde !

Si ce projet est adopté, des personnes morales exposées à un risque terroriste – comme les lieux de culte ou les grands magasins – pourront déployer des caméras filmant la voie publique aux abords de leurs bâtiments. Une procédure d’installation en urgence de caméras sera créée. Un agrément technique, garantissant le bon fonctionnement des systèmes de vidéosurveillance, est également prévu. Enfin, des agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie pourront accéder aux images.

Toutes les garanties de procédure prévues en 1995 sont maintenues et deux garanties s’y ajoutent : la limitation à cinq ans de la validité de l’autorisation de chaque système et la possibilité donnée à la commission départementale présidée par un magistrat d’exercer à tout moment un contrôle sur les modalités de fonctionnement de chaque dispositif.

Nous souhaitons par ailleurs que le préfet puisse prescrire l’installation de tels systèmes dans certains sites constituant des cibles potentielles, comme les centrales nucléaires, les grandes installations industrielles, les aéroports ou les gares.

Deuxième objectif : renforcer les possibilités de contrôle des déplacements et des échanges téléphoniques et électroniques des personnes susceptibles de participer à une action terroriste. Leur mobilité est connue : elle est nécessaire à leurs activités ! Leur utilisation intensive des technologies de communication les plus modernes l’est tout autant.

Je n’accepte pas de voir nos services avoir un temps de retard sur ces pratiques ! C’est pourquoi je vous propose de leur donner les armes de l’action préventive.

Nous allons faciliter les contrôles d’identité dans les trains internationaux. Pour des raisons qui m’échappent, on n’a aujourd’hui le droit de procéder à ces contrôles que dans une zone de vingt kilomètres avant et après la frontière !

M. Richard Mallié. Cherchez l’erreur !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. S’agissant de la conservation de données informatiques, nous souhaitons soumettre les personnes offrant au public à titre professionnel une connexion à l’Internet – à l’exemple des cybercafés – aux mêmes obligations que les opérateurs de communication classiques. Les cybercafés seront systématiquement visités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous entendons autoriser des agents des services de police et de gendarmerie spécialisés dans la lutte contre le terrorisme à se faire communiquer dans un cadre administratif certaines données techniques détenues par les opérateurs de communication. Il ne s’agit en aucun cas d’intercepter le contenu des échanges électroniques ou téléphoniques, mais de pouvoir recueillir de manière rapide des données comme l’identification des numéros d’abonnement, le recensement des abonnements d’une personne désignée, la localisation des équipements terminaux. Il nous importe moins d’écouter le contenu d’une conversation entre deux individus que de connaître, grâce aux dates et aux lieux de leurs communications, leur identité. Il y a bien longtemps qu’il est inutile d’écouter leurs conversations : ils ne se disent rien ! En revanche, lorsqu’un individu est arrêté, son téléphone est une pièce extrêmement précieuse. Conserver les données téléphoniques est donc absolument indispensable.

Une procédure ad hoc, impliquant une personnalité qualifiée et un contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, offrira toutes les garanties nécessaires.

Le troisième objectif relève des traitements automatisés de données à caractère personnel. Il s’agit d’améliorer les conditions dans lesquelles nos services pourront exploiter des données collectées par la police aux frontières sur les cartes d’embarquement et de débarquement des passagers des compagnies aériennes, ainsi que des données collectées par les compagnies aériennes lors de la réservation du titre de transport en provenance ou à destination de pays extérieurs à l’Union européenne. Nous pourrons ainsi suivre à la trace des individus partant s’entraîner au djihad sur des théâtres étrangers, comme l’est aujourd’hui l’Irak.

Lorsqu’un individu séjourne quatre mois dans un pays sensible et que l’on ignore ce qu’il y fait, il est du devoir de la police de surveiller de près les activités de cet individu dès son retour en France, notamment lorsqu’il n’a ni travail ni revenu. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je ne veux montrer aucun pays du doigt : le Pakistan, l’Afghanistan ou l’Irak sont des pays de grande civilisation. Mais s’y rendre aujourd’hui, rester quatre mois dans une madrasa et en revenir : voilà des éléments qui doivent autoriser l’administration – hors de toute procédure judiciaire – à obtenir un certain nombre de renseignements. D’autres démocraties disposent déjà de tels moyens.

Certes, ces individus peuvent partir de Bruxelles ou de Londres : nous ne pouvons pas tout contrôler. Mais pourquoi Paris serait-il le « ventre mou » de l’Europe ? Nos principaux aéroports ne sauraient être des passoires d’où l’on embarque pour n’importe quelle destination, sans que personne ne s’en préoccupe.

Le projet de loi consolide aussi les dispositifs de surveillance automatique des véhicules sur certaines zones à risques. Après les attentats du mois de juillet à Londres, l’un des terroristes est reparti vers l’Italie en passant par la France. Avec un dispositif de surveillance automatique de certains véhicules, nous aurions pu le repérer.

Il s’agit de créer un traitement automatisé des données signalétiques des véhicules en prenant la photographie de leurs occupants. Ces données seront rapprochées du fichier des véhicules volés ou signalés et conservées dans des délais très limités.

Il est nécessaire, en outre, d’accroître les possibilités de consultation de certains fichiers administratifs du ministère de l’intérieur – immatriculations, permis de conduire, cartes nationales d’identité, passeports, gestion des dossiers de ressortissants étrangers – par les services de police antiterroriste. Pourquoi ces derniers auraient-ils le droit d’accès le plus restreint à des fichiers dont on peut tirer profit en les rapprochant ?

Le quatrième objectif, élaboré avec le garde des sceaux, complète le dispositif pénal qui sanctionne les actes de terrorisme. Il s’agit, ni plus moins, de criminaliser l’association de malfaiteurs terroristes lorsque celle-ci a pour objet la préparation de crimes portant atteinte aux personnes, en la punissant désormais de vingt ans de réclusion – au lieu de dix – et de trente ans – au lieu de vingt – lorsque leurs dirigeants organisateurs sont en cause. M. le garde des sceaux et moi-même souhaitons à la fois punir plus durement les « têtes de réseaux », mais aussi sanctionner les « petites mains ». La République se montrera sévère avec tous les membres des réseaux terroristes, du penseur à l’exécutant.

Il est proposé, d’autre part, de centraliser auprès des juridictions de l’application des peines de Paris le suivi des personnes condamnées pour des actes de terrorisme.

M. Jean-Paul Garraud. Cette mesure est en effet très importante.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Après avoir centralisé l’instruction, le jugement et les poursuites, il est incompréhensible que l’on ne centralise pas la gestion de ces détenus dont on connaît la capacité à propager leurs idées en milieu carcéral.

Le cinquième objectif consiste à lutter contre les stratégies d’implantation territoriale des terroristes, dont certains tentent de tirer avantage de l’acquisition de la nationalité française. À cet égard, il est nécessaire de porter de dix à quinze ans les délais permettant d’engager la procédure de déchéance de la nationalité française dès lors que les personnes en cause ont fait l’objet d’une condamnation pour un acte portant une atteinte manifeste aux intérêts fondamentaux de la nation.

M. Richard Mallié. Excellente idée !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Notre dernier objectif – défini avec le ministre de l’économie – prévoit des dispositions pour lutter contre le financement des activités terroristes.

C’est un point capital qui, me semble-t-il, ne devrait guère faire débat entre nous. Si ce projet est adopté, le ministre de l’économie pourra geler les différents avoirs financiers détenus ou contrôlés par des personnes qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Cette mesure de gel, qui a vocation à être très réactive et d’une durée de six mois renouvelable, sera placée sous le contrôle de la juridiction administrative, ainsi que l’a souhaité le Conseil d’État. Cette décision, qui sera prise par le ministre de l’économie, sera applicable sans délais.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les objectifs que le Gouvernement vous propose de poursuivre. Leur but est simple : il s’agit ni plus ni moins que d’élever notre garde face à tous ceux qui sont tentés, ou pourraient l’être, de frapper la France ou ses alliés.

Ce projet est le fruit d’un équilibre entre les exigences de la sécurité et celles des libertés. Cet équilibre est confirmé par l’avis favorable du Conseil d’État qui est, avec le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, le gardien des libertés publiques.

À cet égard, deux garanties me paraissent essentielles. La première est que toute création de fichier informatique est conçue dans le respect scrupuleux de la loi de 1978 sur l’informatique et les libertés. Nous définirons distinctement les finalités des fichiers ; nous préciserons les personnes désignées et spécialement habilitées y ayant accès.

Il en va de même pour l’accès administratif à un fichier existant : les personnes pouvant accéder aux données sont clairement désignées. La « traçabilité » des accès est et sera donc assurée, ce qui signifie que des sanctions pourront être appliquées en cas d’usage inapproprié.

La seconde garantie est la « clause de rendez-vous » en 2008. Les dispositions les plus sensibles – j’ai bien conscience qu’il en existe ! – du projet de loi sont d’une durée de trois ans. En 2008, le Parlement devra se prononcer à nouveau sur la nécessité de ces dispositions. Cette « clause de rendez-vous » figurait déjà, après les attentats du 11 septembre, dans la loi votée à l’automne 2001 à l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin. Eh bien, j’en approuve le principe. On ne peut pas mieux illustrer la volonté consensuelle du Gouvernement et sa détermination à inscrire la lutte contre le terrorisme dans une tradition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

J’en approuve d’autant plus le principe que nos stratégies et nos dispositions légales doivent s’inscrire dans un processus d’évaluation et d’adaptation permanent, à l’image même des menaces dont les évolutions sont constantes. Il serait d’ailleurs curieux que les terroristes s’adaptent à l’organisation de l’État et que l’État se révèle incapable de s’adapter à l’organisation des terroristes.

Dans l’intervalle, un livre blanc sur le terrorisme, dont les travaux sont déjà largement amorcés, sera présenté au Parlement dans les prochains mois. Il constituera un socle sur lequel nous pourrons coordonner nos réflexions et nos actions.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la démocratie est une conquête humaine précieuse mais fragile. (« C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) La démocratie a ses adversaires. Ceux-ci sont résolus. Ils sont organisés. Ils ont déjà frappé. Par ce projet de loi, notre République, fidèle à ses valeurs humanistes, leur répond de façon claire, ferme et par-dessous tout, je l’espère, efficace pour nos compatriotes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, mes chers collègues, nous voici réunis pour répondre à l’une des attentes des français, à l’une de leurs inquiétudes, à un moment où ils donnent l’impression de ne pas en manquer.

Celle-ci est aussi relative à la violence mais à une violence bien spécifique, puisqu’elle se manifeste par le crime à l’égard des populations, arme ultime des terroristes qui ont choisi de livrer un combat sans précédent contre nos démocraties. Il s’agit pour nous tous ici, législateurs, de libérer nos concitoyens de leur peur.

Alors oui, monsieur le ministre d’État, n’ayons pas peur des mots, surtout en cette période. En effet, sous la dictature de l’euphémisme, la moindre vérité devient provocation verbale et soulève de vertueuses vitupérations, notamment nous l’avons vu récemment de la part d’émeutiers que l’on imaginait moins à cheval sur les bonnes manières et le beau langage quand il s’agissait d’attiser des incendies au cœur de nos villes. On a peur d’attraper des mots comme on a peur d’attraper la grippe aviaire, nous rappelait ces jours-ci le romancier Philippe Muray.

Alors, disons-le franchement, nous sommes là pour légiférer afin de défendre la nation contre les menaces d’un terrorisme international violent, d’inspiration politico-religieuse, principalement islamique, qui a pour intention l’anéantissement de notre monde, et de rien d’autre.

M. Jean-Paul Garraud. Tout à fait !

M. Alain Marsaud, rapporteur. Contrairement à ce que l’on dit dans certains cercles, dans certains cénacles, il ne s’agit pas d’une affaire de prosélytisme religieux, mais tout simplement de conquête politique : il s’agit de remplacer notre système politique et de société par un autre. Ne nous racontons pas d’histoire et ne nous laissons pas abuser par un discours lénifiant. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Que l’on ne nous accuse pas de tel ou tel amalgame, car nous venons d’assister, certes, Dieu merci en qualité de spectateurs, aux massacres de New York, de Madrid et de Londres, sans oublier Bali ou Amman, et nous savons qui en sont les auteurs ou les inspirateurs.

On nous dit aussi que nous aurions du être frappés et que le hasard, la chance ou le savoir-faire de nos systèmes nous ont épargné la douleur et la peine. Tant mieux !

Le jihadisme, ce nouvel avatar du terrorisme, connaît, depuis le 11 septembre 2001, une double mutation : d’une part, dans sa nature ; d’autre part, dans ses méthodes.

En premier lieu, dans sa nature. La cible du terrorisme est en effet, vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, le monde entier – on assiste à une recherche du massacre et de la déstabilisation – et les technologies les plus modernes sont utilisées alors que le discours reste le plus souvent archaïque. Ce terrorisme est opportuniste et profite de toutes les crises ou conflits, voire des événements les plus divers.

En second lieu, dans ses méthodes. Afin d’optimiser les pertes, les groupes ont ou auront recours, soyons-en sûrs hélas ! à des armes de destruction massive de type chimique, bactériologique ou radiologique. Ce danger existe en France, comme l’a montré récemment le démantèlement du réseau de Romainville. De plus, vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, le choix de l’attentat suicide rend la prévention forcément plus aléatoire et la répression plus relative.

Face à cette menace d’un type nouveau, nous devons adapter notre réponse, et c’est ce que vous proposez dans le présent projet de loi pour lequel la procédure d’urgence a été déclarée, faut-il le remarquer.

Ce projet est dual puisque les huit premiers articles relèvent de la mise en œuvre de mesures de police administrative préventive. Il s’agit au fond de réglementer l’activité de certains services spécialisés ou de renseignements dans la détection précoce de la menace terroriste.

C’est la première expérience législative dans ce domaine. Jusqu’à présent, ces services agissaient de manière empirique et l’accès aux données de renseignements nécessaires n’était pas encadré par des règles de compétence, ce qui n’était satisfaisant ni pour l’efficacité de ces services, ni bien sûr pour la protection des libertés individuelles.

J’en profite pour répondre par avance à des critiques entendues ici et là, tant en ce qui concerne l’extension des procédures de vidéosurveillance que l’exploitation des fichiers sensibles.

Avec ces nouvelles dispositions, nous saurons enfin qui fait quoi dans ces services et dans quel but il le fait. Il n’est, en effet, pas absurde de croire que ces différents accès à des informations se réalisaient précédemment sans contrôle a priori ou a posteriori. Ce projet de loi, j’insiste sur ce point, marque donc un progrès dans l’exercice de ces missions, en général confidentielles, voire clandestines.

Sans revenir sur chacun de ses articles, je note que ce projet tend à modifier et à adapter des dispositions existantes afin qu’elles répondent aux nouvelles menaces. C’est le cas de la vidéosurveillance, puisque la loi de 1995 n’avait pas prévu son utilisation dans un contexte de contre-terrorisme.

On a pu dire que l’expérience londonienne démontrait que la vidéosurveillance ne permettait pas d’éviter l’attentat, mais au mieux d’en identifier les auteurs. Cela est à la fois faux et vrai. La vidéosurveillance permettra bien sûr de visualiser, sur la voie publique ou aux abords des lieux privés, la préparation ou la réalisation d’actes violents. Mais elle aura aussi, c’est certain, un effet dissuasif important de protection des sites visés. Elle permettra de détecter les situations suspectes et les comportements douteux afin qu’une alerte puisse être donnée, activant ainsi les services compétents.

Nous aurons le temps, lors de la discussion des amendements, d’évoquer ces différents points et en particulier le pouvoir donné au préfet de prescrire ce système de protection en cas d’inaction des propriétaires de sites sensibles.

Vous proposez aussi, monsieur le ministre d’État, de contrôler les déplacements et échanges téléphoniques et électroniques des membres présumés d’organisations terroristes.

Il s’agit en fait d’avoir accès, chez les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d’accès Internet, à des informations et uniquement des informations concernant l’identité de l’appelant et de l’appelé, éventuellement leur position géographique et la durée de la communication ou de la connexion Internet.

Dans ce but, un certain nombre de données devraient être conservées par ces opérateurs qui apparaissent bien réticents, y compris ceux qui ont obtenu, sans contrepartie, de lucratives licences d’exploitation de téléphonie mobile – un certain nombre d’amendements iront en ce sens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Il est sans doute temps, messieurs les ministres, de mettre au clair certains modes de facturation que je qualifierai d’hasardeux.

M. Gérard Léonard. Ou les frais de justice !

M. Alain Marsaud, rapporteur. Vous voyez que je sais manier, moi aussi, hélas ! l’euphémisme.

Je souhaite, monsieur le ministre d’État, que l’application de ce dispositif permette l’avancée des investigations. Cependant, j’ai un doute et je me dois de l’exprimer après les différentes auditions auxquelles notre commission a procédées.

J’espère que le réseau sans fil « Wifi », Wireless Fidelity, présent à Paris notamment et qui permet à un utilisateur d’ordinateur portable de se connecter à Internet sans entrer dans un cybercafé, ne donnera pas aux terroristes les moyens de contourner votre dispositif. De plus, le système de ce que l’on appelle la « boîte aux lettres morte » rend illusoire en l’état le système de surveillance de l’émission ou de la réception d’un courrier électronique. N’oublions pas par ailleurs que les groupes ont aussi recours au cryptage, en particulier par l’usage du logiciel PGP qui rend le cryptage impossible à casser.

Mais tout cela démontre, s’il en était besoin, que nous sommes passés dans une autre dimension du terrorisme, et donc du contre-terrorisme, et qu’il importe de proposer, dans l’urgence, des modifications radicales dans ce domaine.

Dans l’éternel affrontement entre la cuirasse et l’épée, renforçons la première face à la technologie et surtout l’imagination des groupes violents.

Les membres de ces groupes se déplacent à travers le monde et le territoire national. Vous vous donnez les moyens, monsieur le ministre d’État, de surveiller leurs déplacements, par train, par véhicule mais aussi, bien sûr, par avion. Vous proposez tout simplement de légaliser certaines pratiques qui consistent à accéder à des informations recueillies par les compagnies aériennes, en particulier sur les destinations à risque. C’est bien la moindre des précautions, et le système américain contenu dans le concept de Homeland Security peut sans doute nous inspirer en matière de circulation, mais aussi d’accès au territoire des membres d’organisations terroristes.

Cependant, nous avons constaté que de nombreux jihadistes européens utilisent, lors de leurs déplacements, un ou plusieurs pays « coupe-circuit » pour brouiller le suivi de leurs itinéraires, en particulier l’Algérie, la Turquie et l’Égypte. Il faudra sans doute, monsieur le ministre d’État, vous adapter à ces nouveaux modes opératoires.

Cette première partie du projet de loi réglemente en quelque sorte l’amont de la lutte anti-terroriste par l’utilisation de nouvelles technologies et par l’accès de personnes qualifiées et habilitées à des informations sensibles, voire ultrasensibles. Il s’agit de la première initiative républicaine ayant pour objet d’encadrer le fonctionnement des services de renseignement, en leur donnant des moyens nouveaux, mais aussi en contrôlant leur activité dans un contexte de légalité prenant en compte la protection des libertés publiques individuelles.

Ce premier volet de police administrative à titre préventif, l’amont comme vous l’avez défini, monsieur le ministre d’État, m’apparaît très équilibré, même s’il peut sans doute être amélioré à la marge.

Le second volet de ce projet est d’inspiration judiciaire, monsieur le garde des sceaux. C’est en quelque sorte l’aval du contre-terrorisme puisqu’il fait intervenir l’institution judiciaire. On n’est plus véritablement dans le domaine du préventif, quoique… mais plutôt dans celui du répressif.

Il s’agit notamment de créer une qualification, de nature criminelle, d’association de malfaiteurs avec circonstances de terrorisme relevant de la cour d’assises et non plus du tribunal correctionnel.

Cette criminalisation relève d’un constat : l’insuffisance de la répression de certaines actions terroristes, punies actuellement de dix ans d’emprisonnement, c’est-à-dire, en réalité, avec l’érosion des peines, de cinq ans, alors même qu’il s’agissait de personnes qui préparaient des attentats homicides mais qui en avaient été empêchées, en général, par une interpellation préventive.

J’ai eu l’occasion de proposer une telle réforme à deux reprises durant les années précédentes. Je n’avais pas été suivi.

M. Pierre Lellouche. Aujourd’hui, il l’est !

M. Alain Marsaud, rapporteur. Je vous en remercie, monsieur Lellouche. Je ne peux donc que manifester mon intérêt pour une refonte de l’article 421-5 du code pénal.

Ce projet prévoit la centralisation de l’application des peines à Paris, ce qui semble à la fois logique et urgent, au moins dans le but de mettre fin à des contrariétés de décision de libération conditionnelle ou d’aménagement de peine. À ce jour, sur 353 détenus pour actes de terrorisme, 115 sont condamnés au sein de 35 établissements pénitentiaires. Qu’il soit bien entendu qu’il s’agit de centraliser la juridiction du juge de l’application des peines et non les détenus, qui, eux, resteront répartis dans les différents centres de détention. Ce déplacement du JAP et la téléconférence doivent, de plus, éviter des transfèrements qui s’avèrent en général dangereux et coûteux.

Vous vous proposez de donner un peu plus de temps, donc de moyens, pour mettre en œuvre la procédure dite de déchéance de la nationalité française. Même si l’on peut penser que cela concernera peu de cas, ce message politique m’apparaît bienvenu à l’égard de ceux qui, portant la violence sur notre territoire, auraient acquis la qualité de nationaux. Ces citoyens qui auront trahi la nation méritent cette forme de dégradation.

Enfin, un dispositif assez complexe se donne pour objet de lutter contre le financement des activités terroristes. Il s’agit, en grande partie, de transpositions d’instruments judiciaires et de règles de l’Union européenne de l’après 11 septembre.

Le ministre de l’économie et des finances peut ordonner le gel de certains avoirs appartenant à des particuliers ou à des personnes morales, soupçonnés de se livrer à des actes de terrorisme.

Je doute, à titre personnel, de l’efficacité de ces systèmes très compliqués de gel et de confiscation, voire de surveillance des flux financiers internationaux. Si l’organisation centrale, de type Al Qaïda, si toutefois cette organisation existe, ce dont certains doutent au demeurant, bénéficie de contributions importantes et anonymes, il faut en revenir à la réalité : celle du coût finalement peu élevé de la mise en œuvre d’une opération terroriste.

M. Pierre Lellouche. Très juste !

M. Alain Marsaud, rapporteur. On parle de 500 000 dollars pour le 11 septembre 2001 et de 23 000 euros pour les attentats de 1995 en France.

Les derniers réseaux interpellés à Paris ou en province fonctionnaient avec très peu de moyens, s’agissant pour la plupart, nous l’avons dit, de personnes intégrées dans la vie civile ou dans leur communauté, leur seul « luxe » consistant à financer des billets d’avion afin de se rendre sur la zone moyen-orientale ou pakistanaise.

Cependant, ces différents modes de contrôle de flux financiers peuvent s’avérer utiles en cas de changement de stratégie des groupes terroristes internationaux, comme ils nous y ont habitués.

Il faut éviter là aussi, tout amalgame dans ce que l’on qualifie de financement du terrorisme entre le macro-financement, qui est concerné par ce texte, et le micro-financement, qui relève en réalité de l’infraction de droit commun.

M. Pierre Lellouche. Très juste !

M. Alain Marsaud, rapporteur. Nous aurons lors de ce débat à mener une réflexion sur la durée de la garde à vue dans l’enquête terroriste. C’est un débat exigeant qui doit être exempt de toute arrière-pensée. Il ne peut y avoir des libéraux d’un côté et des répressifs de l’autre. Cherchons ensemble les moyens les plus adaptés dont les magistrats et enquêteurs auraient besoin dans l’avenir.

Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi de vous faire un reproche et de vous faire part de quelques réflexions.

Le reproche, c’est que le rapporteur n’a eu que quinze jours pour travailler sur ce projet de loi. J’aurais aimé procéder à davantage d’auditions – pour la petite histoire, celles-ci se montent au nombre de quarante-huit : services de renseignement, gendarmes, policiers, magistrats, avocats, ou encore fournisseurs d’accès. Il eût été utile de pouvoir expertiser ou comparer certains dispositifs et de faire des études d’impact. Je comprends, cela étant, que le temps nous est compté pour légiférer et pour vous donner les moyens juridiques dont vous avez besoin, monsieur le ministre d’État, pour la protection des Français. Il n’était sans doute pas possible non plus d’attendre que le livre blanc, que vous pilotez sur ce sujet, soit rédigé et publié.

Dans le cadre des réflexions que nous avons pu mener dans l’identification précoce de la menace, il nous a paru utile cependant de vous proposer certaines initiatives.

Il est absurde de penser que la prévention des actes violents sera un succès à 100 %. Aussi, dans l’hypothèse de futures attaques chimiques, bactériologiques ou radiologiques susceptibles de toucher des milliers de victimes, apparaît-il urgent de faire également porter notre effort sur la sécurité civile.

La réponse ne peut d’ailleurs être strictement nationale. Il importe sans doute, dans le cadre de la clause de solidarité décidée au Conseil européen du 25 mars 2004, d’unifier dès à présent nos législations et pratiques dans le domaine de la prévention et de la riposte en matière de terrorisme.

Compte tenu de l’urgence, ces réformes doivent être mises en place en priorité dans les pays du G5, tant les approches du phénomène terroriste, et donc du contre-terrorisme, sont différentes entre l’Europe du Nord, totalement réticente aux évolutions, et celle du Sud, qui comprend des pays victimes et donc à la recherche d’une nouvelle efficacité.

Il faudra aussi faire porter la réflexion sur l’assurance du risque terroriste. Le marché privé aujourd’hui n’est pas susceptible de répondre à une attaque de grande ampleur et d’en couvrir les pertes, en particulier dans le domaine du NRBC. Un partenariat public-privé serait peut-être une solution.

Enfin, la relative efficacité du système français de lutte contre le terrorisme ne peut pas être considérée comme un acquis. Priorité doit être impérativement donnée à la formation des acteurs du contre-terrorisme. Celle-ci est aujourd’hui empirique et répond bien souvent aux hasards de la vie administrative. Nombreux sont les acteurs de la lutte contre le terrorisme qui, formés à l’école des années 80, vont quitter l’institution, tant dans le renseignement, la police que le judiciaire. Ils partiront, d’une part, avec leur culture, engrangée parfois depuis plusieurs décennies, mais aussi et surtout avec leur savoir-faire. Si quelques-uns d’entre eux seulement devaient quitter aujourd’hui leurs fonctions, notre outil serait immédiatement désorganisé. C’est la raison pour laquelle il faut pérenniser cette culture et ce savoir-faire, afin qu’ils soient transmis entre les acteurs.

Nous devons donc, dès à présent, envisager la création d’un institut de formation au contre-terrorisme, qui, dans le cadre d’une formation continue, accueillerait toutes celles et tous ceux qui, dans les trois métiers principaux, se destinent à la lutte antiterroriste. L’évolution de la menace et son caractère global nous obligent à professionnaliser notre action sur le long terme.

Les dispositifs de lutte antiterroriste exigent la prise de mesures qui, si elles doivent rester proportionnées, peuvent avoir un impact sur la vie quotidienne de la population et sur ses droits et libertés, notamment le droit d’aller et de venir ou le droit à la vie privée.

Ainsi, au moment où le législateur s’apprête à offrir un cadre à l’action préventive de police administrative des services de renseignement pour lutter contre le terrorisme, nous considérons qu’il serait légitime d’ouvrir une réflexion sur la nature et le degré de contrôle parlementaire à exercer sur ces services.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. Alain Marsaud, rapporteur. En effet, la France est pratiquement le seul pays démocratique occidental, avec le Portugal et la Turquie – la Turquie n’étant d’ailleurs pas réellement un pays démocratique occidental –,…

M. Pierre Lellouche. Vous vous égarez, monsieur Marsaud ! (Sourires.)

M. Alain Marsaud. …à ne pas disposer d’une structure parlementaire ou para-parlementaire de contrôle des services de renseignement. La généralisation quasi-totale de ce type de contrôle fait douter que l’existence d’une telle commission soit un frein à l’action des services de renseignement. Les États-Unis en sont l’illustration.

La mise en place d’un commission de contrôle en France ne saurait pour autant suivre le modèle américain et devrait être entourée des garanties nécessaires afin de ne pas entraver l’action des services de renseignement.

Nous voilà donc, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en situation de relever le défi que des groupes violents ont lancé à notre société. Notre responsabilité est grande à l’égard de nos concitoyens auxquels nous devons la mise en œuvre de tous les moyens de protection que nous jugeons efficaces, et ce quel qu’en soit le prix si l’on estime que la menace terroriste peut être le premier déstabilisateur d’une société. C’est, là aussi, le pacte social qui est en cause.

Ce projet de loi devra forcément être réadapté dans l’avenir. Vous prévoyez d’ailleurs, monsieur le ministre, une forme de clause de rendez-vous dans plusieurs des dispositions, en particulier les dispositions technologiques. C’est un projet qui correspond à la perception que nous nous faisons aujourd’hui de la menace, dans un contexte évolutif et sans doute en voie d’aggravation, comme vous l’avez signalé.

Notre commission des lois a adopté votre projet et suggérera quelques modifications susceptibles de l’améliorer. Imagination et courage, c’est ce qu’attendent de nous les Français. Nous ne gagnerons la paix terroriste que si nous la méritons. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Question préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

La parole est à M. André Gerin.

M. André Gerin. Monsieur le ministre d’État, je partage votre diagnostic sur l’aspect durable, global, stratégique de la question du terrorisme. J’exprimerai cependant des critiques sur le projet lui-même et je reviendrai, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, sur les enjeux géopolitiques.

Aujourd’hui s’ouvre à l’Assemblée nationale le débat sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers. Le conseil des ministres a déclaré l’urgence sur ce projet. Le Gouvernement, par l’inscription à l’ordre du jour et par la déclaration d’urgence, souhaite montrer à l’opinion publique, après les attentats de Londres, qu’il s’occupe en priorité de la lutte contre le terrorisme. Dont acte.

Cependant, l’intitulé du texte et son contenu qui ne prend pas en compte la globalité de la lutte contre le terrorisme démontrent qu’il s’agit d’un projet ponctuel qui possède de surcroît des dispositions attentatoires aux libertés.

En effet, pour lutter contre le terrorisme, il faut aborder ce phénomène dans ses caractéristiques d’aujourd’hui. La lutte contre le terrorisme se gagnera par le développement social et économique des peuples. La coopération mutuellement avantageuse est la meilleure arme contre le terrorisme. C’est un enjeu pour tous les pays démocratiques de la planète. C’est l’enjeu du XXIe siècle.

Ce contexte nécessite une action à tout autre échelle. Construire des barrières autour de quelques pays dont la France est un leurre. Nous débattons aujourd’hui d’un projet de loi en fort décalage avec une lutte efficace de portée universelle.

Au-delà des aspects fondamentaux de ce débat, notre pays est dans un contexte particulier : il est sous état d’urgence. En effet, nous sommes toujours sous les dispositions prévues par la loi du 3 avril 1955, selon lesquelles le ministre de l’intérieur et ses préfets ont entre leurs mains de très nombreux pouvoirs, et ce pour les trois mois qui viennent. Les dispositions de ce projet, si elles étaient adoptées en lien avec l’état d’urgence, entraîneraient une situation nouvelle. Notre pays et sa population seraient régis par des règles policières ultra renforcées. Je m’interroge sur cet empilement unique attentatoire aux libertés publiques.

En dehors de ce contexte social et juridique particulier, l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée de ce projet de loi semble plus répondre à des circonstances de politique nationale qu’à un vrai projet de lutte contre le terrorisme. En effet, je veux reprendre les propos de notre Garde des sceaux, le jeudi 17 novembre 2005 : « Notre législation a également été renforcée depuis les attentats du 11 septembre 2001 : outre évidemment les atteintes aux personnes et aux biens, on compte désormais au rang des infractions terroristes les agissements ayant trait à leur financement ou à leur blanchiment. Par ailleurs, sont aussi sanctionnées les infractions de terrorisme écologique ou biologique qui viseront à atteindre la santé des êtres vivants ou du milieu naturel. »

Le Premier ministre Dominique de Villepin a par ailleurs lancé en mai 2005 le projet d’un livre blanc sur la sécurité intérieure face au risque terroriste. Lors de la journée du 17 novembre dernier consacrée aux « Français face au terrorisme » il a annoncé que les conclusions de ce livre blanc seront rendues publiques avant la fin de l’année. Ce livre blanc répondra à la définition de la menace, en envisageant les scénarios d’attentats possibles sur notre sol ; il se penchera sur l’évaluation de nos besoins techniques et juridiques, sur la sensibilisation de nos concitoyens à la réalité de la menace terroriste et sur leur mobilisation face à celle-ci.

Au cours de cette même journée, vous-même, monsieur le ministre, avez évoqué la globalité du terrorisme. « C’est notre responsabilité, parce que l’État ne peut manquer à son premier devoir qui est d’assurer la sécurité de ses citoyens. Et nous devons le faire avec le souci de l’efficacité mais aussi en respectant nos valeurs. Il ne faut pas que nous y perdions notre âme », avez-vous dit. Et de poursuivre : « Le Gouvernement a choisi d’élaborer un livre blanc pour tenir un langage de vérité avec les Français, aux citoyens, mais aussi aux élus, aux entreprises, aux associations. »

La philosophie de cette journée du 17 novembre me paraît en décalage avec le contenu du projet de loi déclaré en urgence. Eu égard à ce projet de loi et à la publication du livre blanc, je m’interroge de nouveau sur la précipitation d’aujourd’hui. Soit le projet est utile et le libre blanc superfétatoire, soit l’inverse.

Vous comprendrez qu’il paraît difficile, dans un pays où l’État d’urgence est pris, de débattre une première fois du terrorisme en novembre sans intégrer les enjeux géopolitiques du terrorisme, de publier un livre blanc sur le terrorisme en décembre et, pour le mettre en œuvre, d’élaborer un nouveau projet de loi contre le terrorisme dans les mois qui suivent.

La lutte contre le terrorisme est une vraie question de politique nationale, non partisane, sur laquelle chaque force politique, de gauche ou de droite, devrait être consultée pour aboutir à l’engagement de tous, dans l’unité nationale.

La République doit certes prendre toutes les mesures de lutte contre le terrorisme, mais que penser du Gouvernement qui vient de recourir à l’état d’urgence en utilisant la loi de 1955 ?

L’analyse précise des dispositions du projet de loi renforce encore ma conviction qu’il y a un décalage entre la nécessaire lutte contre le terrorisme dans toutes ses dimensions et les dispositions dont nous allons débattre. Si ce projet ne portait pas atteinte aux libertés, il serait dérisoire.

Dès le premier chapitre, nous rentrons dans le vif du sujet avec la vidéosurveillance. Il est étrange que les premières dispositions concernent ce secteur. La très grande médiatisation du rôle de la vidéosurveillance, l’identification a posteriori des auteurs des attentats de Londres sont-elles la raison de l’intégration de ce dispositif de vidéosurveillance dans le projet ? Cette mesure étant très importante pour l’opinion publique, le Gouvernement veut montrer qu’il s’occupe de notre sécurité. Or, elle possède des aspects attentatoires aux libertés fondamentales, mais surtout – et la question sera posée au cours du débat – elle pose la question du rôle de l’État et de la nation dans cet usage de la vidéosurveillance.

En effet, il est proposé de permettre des installations de vidéosurveillance par des opérateurs privés pour filmer la voie publique. La police nationale et la gendarmerie pourraient, d’autre part, avoir accès directement aux images en dehors de tout cadre judiciaire.

L’exposé des motifs du projet de loi est clair. Il y est écrit qu’il est proposé « d’une part, de prévoir explicitement dans l’article 10 de la loi du 21 janvier 1995 que des systèmes de vidéosurveillance pourront être installés sur la voie publique ou dans des lieux et établissements ouverts au public, pour une finalité de prévention des actes de terrorisme ; d’autre part, de permettre aux seules personnes morales exposées à des risques d’actes de terrorisme de déployer des caméras filmant la voie publique aux abords immédiats de leurs bâtiments. La sensibilité des lieux ou établissements exposés à des risques nécessitant l’installation à leurs abords immédiats de moyens de vidéosurveillance sera déterminée par l’autorité préfectorale, dans le cadre de l’autorisation qu’elle délivre en application des dispositions du III de l’article 10 de la loi du 21 janvier 1995 ».

Cette extension des possibilités d’installation de systèmes de vidéosurveillance sans contrôle maîtrisé globalement par l’autorité de l’État n’est pas crédible. De plus, elle est dangereuse pour la République.

En effet, elle renvoie la lutte contre le terrorisme au niveau local ou au niveau privé avec toutes les imperfections et les dérives qui peuvent en résulter. Si l’utilisation de la vidéosurveillance ne nous choque pas a priori, L’État ne peut s’en décharger sur les collectivités locales ou des opérateurs privés. Le transfert des fonctions régaliennes de l’État, dont fait partie intrinsèquement la lutte contre le terrorisme, serait une dérive dangereuse d’abandon du modèle social français, d’éclatement de la nation au nom de la loi du marché qui contribue à renforcer une absence criante de démocratie.

La Commission nationale informatique et libertés, dans son avis du 9 septembre 1986 rendu public, pose de nombreuses questions que je souhaite vous rappeler. Voici ce qu’elle dit :

« Il faut savoir que cet objectif conduit à mettre à la disposition des services de police et de gendarmerie dans le cadre de leur mission de police administrative, des fichiers et enregistrements vidéo susceptibles de “tracer” de façon systématique et permanente une très grande partie de la population dans ses déplacements et dans certains actes de la vie quotidienne. ».

Et la CNIL poursuit : « Comment seront obtenues, exploitées, rapprochées ces données ? Combien de temps seront-elles conservées ? Qui sera habilité à les consulter ? Y aura-t-il un contrôle des interrogations de fichiers effectué par la police ? Comment le public sera-t-il informé de la mise en place de ces dispositifs ? Comment les informations tractées par la police seront-elles utilisées vis-à-vis des personnes concernées ? »

Le projet manque de précision à cet égard. Les commissions départementales sont actuellement quasiment formelles. Elles ne procéderont de fait qu’à un contrôle a priori.

De surcroît, ce dispositif, déjà limité, pourra être contourné par le préfet en cas d’urgence. Concernant l’une des questions de la vidéosurveillance, par une décision de janvier 1995, le Conseil constitutionnel a refusé que le silence de l’administration, à l’issue du délai de quatre mois, puisse valoir autorisation implicite du dispositif de vidéosurveillance envisagé, du fait que le législateur ne pouvait subordonner cette autorisation à la diligence de l’autorité administrative sans priver de garanties légales les principes constitutionnels de liberté d’aller et venir et d’inviolabilité du domicile. Que fera le Conseil constitutionnel en cas de saisine ?

L’implication des opérateurs privés dans la lutte contre le terrorisme rejoint les pratiques en vigueur aux États-Unis. En fait, nous craignons la privatisation des missions d’intérêt public et d’intérêt général, contraire à la République une et indivisible, que ce marché nouveau et profitable pourrait rendre dépendantes d’une logique économique et financière.

M. Thierry Mariani. Mais non !

M. André Gerin. Le poids des multinationales dans ce nouveau secteur de services n’est plus à démontrer avec la prolifération des sociétés militaires privées. La recherche du profit dans ces domaines publics sensibles peut se retourner contre la liberté. Or, la liberté est une valeur universelle.

Les articles concernant la vidéosurveillance sont le résultat d’une politique sécuritaire. Aucun travail approfondi n’a été effectué sur les notions de temps, de lieu, d’espace – public ou privé – et sur les règle éthiques en jeu.

L’article 6 concerne le contrôle des déplacements internationaux hors de l’Union européenne. Les caractéristiques du terrorisme actuel rendent ce dispositif quasiment caduc. La directive du 29 avril 2004 le limite au trafic aérien, mais le projet l’étend au fer et à la mer.

De nombreuses imprécisions, approximations, existent. Les libertés publiques peuvent être à nouveau mises à mal. Au fond, votre véritable objectif n’est-il pas le contrôle et la maîtrise de l’immigration clandestine ?

En outre, on porterait de dix à quinze ans le délai autorisé pour engager une procédure de déchéance de la nationalité française à l’encontre de personnes ayant acquis cette nationalité par naturalisation à raison du mariage ou par réintégration dans la nationalité française.

Il paraît paradoxal de discuter aujourd’hui d’un projet de loi contre le terrorisme alors que nous sortons à peine d’une période de violences urbaines de plusieurs semaines qui a montré à tous quelle était l’urgence sociale. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que de nombreux citoyens feront le rapprochement entre les violences – voitures brûlées, bâtiments publics dégradés – et le terrorisme, ce qui peut donner lieu à des interprétations délicates.

Au-delà des critiques, je souhaiterais maintenant rappeler certains propos que j’ai tenus en juillet 2004 sur le contexte géopolitique :

« L’intégrisme et l’islamisme, cette idéologie nourrit et fonde le terrorisme aujourd’hui dans le monde, pointe un projet politique. Il est né avec la révolution islamique de 1979, en Iran, appuyée et soutenue par les pays occidentaux. La première guerre du Golfe au début des années 90 a aussi eu des conséquences. N’ignorons pas enfin le rôle, la complicité, des politiques conduites par les dirigeants américains en direction de l’Arabie Saoudite, pour des raisons économiques, financières et stratégiques. Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite est la principale tirelire du terrorisme, terre du prosélytisme et de l’antisémitisme. Le capitalisme et l’impérialisme américain ont produit un monstre. Bien évidemment, les États-Unis et le capitalisme ne sont pas responsables de tous les maux. Je n’oublie pas l’intervention soviétique en Afghanistan. Pendant la guerre froide, la stratégie des occidentaux a été de soutenir les intégristes, les talibans, tout ce qui était archaïque. Face à une situation inédite créée par l’écroulement du communisme soviétique, les États-Unis, les occidentaux tentent de combler le vide laissé par le communisme, en nourrissant ce nouvel adversaire qu’est l’islamisme. » Et ce nouvel adversaire se retourne aujourd’hui contre la démocratie.

Je n’ai pas hésité à dire certaines choses après les événements du 11 septembre. Le combat contre le terrorisme est vital et doit être mené sans confusion. Quoi que l’on pense du gouvernement américain et du rôle des États-Unis dans le monde, l’on ne peut avoir le moindre doute pour combattre ce nouveau fascisme. Ben Laden cultive la haine contre les valeurs démocratiques, contre l’occident, par l’instrumentalisation du monde arabe, en faisant un usage pernicieux de l’islam, en cultivant son côté le plus archaïque et le plus rétrograde. Mais je ne fais pas l’amalgame entre Al Qaïda ou Ben Laden et l’ensemble des musulmans.

Dans nos quartiers, nous devons mener un combat impitoyable contre ces pseudo-religieux, ces prédicateurs qui ont entamé une islamisation de la vie civile et remettent en cause la mixité, les avancées démocratiques, les libertés. Nous l’avons constaté avec l’affaire Bouziane, dénommé « l’imam de Vénissieux », les responsables politiques gardent trop souvent le silence sur ces sujets. Je rappelle que j’ai déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de résolution pour la « création d’une commission d’enquête relative aux propos intégristes et hostiles aux institutions, aux lois et à la France, tenus par des prédicateurs qui combattent la République, au nom d’une idéologie intégriste et islamique qui nourrit le terrorisme ».

Depuis plusieurs décennies, la France est, elle aussi, touchée par les actes terroristes. N’oublions pas les attentats de 1986, le détournement de l’Airbus d’Air France reliant Alger à Marseille en décembre 1994 et la vague d’attentats de 1995 qui a frappé Paris en son cœur. Mais depuis cette période, le monde a changé. La menace terroriste n’a jamais été aussi forte. Sur le plan mondial, le choc a été énorme après les terrifiants attentats du 11 septembre 2001 à New York. Ces attentats odieux n’ont pas mis fin à la terreur que connaissent de nombreux pays et leurs citoyens. Toutefois, on ne peut occulter que le Proche-Orient et le Moyen-Orient sont au centre de la tourmente, comme l’ont montré les récents attentats de Amman en Jordanie et surtout le chaos en Irak, dont le peuple fut la victime successive du joug de Saddam Hussein et de l’intervention américaine voulue par le gouvernement Bush.

Au cours des deux dernières années, deux pays membres de l’Union européenne ont été touchés : l’Espagne en sa capitale, Madrid, et la Grande-Bretagne en sa capitale, Londres. Dans les deux cas, des centaines de morts innocents ont été à déplorer ; des centaines de familles ont été détruites.

Ces attentats et l’idéologie qui les motive n’épargnent aucun pays, aucun peuple. Chaque gouvernement le sait, aucun territoire ne semble à l’écart de cette menace. Contre cet état de fait, la France a instauré le plan Vigipirate. A ce jour, il est au rouge.

Les derniers attentats de Madrid et Londres changent la donne. Surtout, ces actes ont changé de dimension par rapport aux attentats de Paris de 1995. Le Premier ministre a déclaré la semaine dernière : « Cette menace est d’autant plus sérieuse qu’elle a changé de nature. Elle repose sur un mode d’organisation complexe qui mêle des prédicateurs extrémistes importants sur notre territoire, des individus souvent bien intégrés et parlant notre langue et des organisateurs rompus aux technologies les plus modernes. »

Et M. le Premier ministre poursuivait : « S’agissant des modes opératoires, nous savons que les groupes terroristes ne reculeront devant aucun type d’action, qu’il s’agisse du recours à des armes non-conventionnelles, chimiques, bactériologiques ou radiologiques, ou encore d’attentats kamikazes. » Nous savons en effet que de jeunes Français ou Européens ont été recrutés récemment pour des attentats kamikazes en Irak. En outre, on peut même envisager des attaques sur les réseaux de distribution d’eau ou les circuits d’air confiné.

Pour protéger les citoyens, la démocratie, la République, nous devons comprendre les causes du terrorisme sans nous éloigner de notre devise : « Liberté, Égalité, Fraternité ». II faut appréhender le terrorisme dans sa globalité avant de légiférer dans l’urgence comme nous le faisons.

Dans un premier temps, il est indispensable de s’arrêter sur la définition d’un acte terroriste. La France a adopté une législation spécifique, dont la loi du 9 septembre 1986 est l’ossature.

En droit français, l’acte terroriste combine deux notions : l’existence d’un crime ou d’un délit de droit commun, et une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par intimidation ou terreur.

Cette définition juridique est trop souple. La notion de trouble à l’ordre public et le critère d’association de malfaiteurs en liaison avec une entreprise terroriste ne sont-ils pas trop vagues ? D’ailleurs, d’autres pays européens n’ont pas la même définition d’un acte terroriste.

L’Organisation des Nations unies s’est saisie de cette question cruciale. Elle rappelle que les actes criminels, particulièrement ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves, sans oublier la prise d’otages, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire, qui sont visés ou érigés en infractions dans les conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme, ne sauraient en aucune circonstance être justifiés par des motifs de nature politique, religieuse ou similaire.

Ces termes relativement imprécis démontrent la nécessité, au niveau international, d’une définition pointue de l’acte terroriste. Une définition élaborée sous l’égide de l’ONU permettrait un réel combat contre ces actes odieux, et ce sans arrière-pensée politique ou géopolitique.

Dans un premier temps, toute société doit s’interroger sur les raisons et les causes de l’existence du terrorisme. Une lutte efficace suppose de s’attaquer aux effets, mais aussi aux causes. Ce sont là de réelles difficultés pour les États, car souvent le terrorisme est un instrument de géopolitique.

Dans le passé, les actes terroristes criminels n’ont-ils pas été utilisés par les services de tous les pays du monde ? Vous l’avez d’ailleurs évoqué, monsieur le ministre d’État.

De surcroît, des États alliés aux grandes puissances utilisent souvent le terrorisme pour maintenir une chape de plomb sur leur peuple ou sur leurs opposants. Des États parfois alliés aux grandes puissances utilisent le terrorisme comme moyen de propagande.

Cette situation rend quelque peu limitée et douteuse la publication de la célèbre liste des États terroristes. En effet, cette liste est créée et manipulée politiquement par le gouvernement Bush. Elle permet de faire pression sur le gouvernement de certains États. Parfois, elle permet aussi de préparer l’opinion publique pour des déclarations de guerre, comme lors de la guerre en Irak.

L’attitude envers les mouvements terroristes est à géométrie variable, en fonction des intérêts géopolitiques. Lors de la guerre en Afghanistan de 1978 à 1989, de nombreux États ont soit fermé les yeux, soit favorisé certains mouvements, car ils luttaient contre l’occupation illégitime de ce pays par l’Union soviétique, qui était leur ennemie d’alors. Pendant cette période, l’Arabie Saoudite a joué un rôle non négligeable. En effet, selon de nombreux spécialistes, la royauté avait des liens étroits avec les talibans, mais aussi avec les services secrets pakistanais, par l’intermédiaire de leurs réseaux.

D’autre part, la masse financière énorme du pétrole a permis à certaines sociétés de financer des pétrodollars. Ce poids financier n’a-t-il pas mis de nombreux pays en situation de fermer les yeux et d’ignorer les réels dangers du terrorisme islamiste ?

Comment le terrorisme peut-il rencontrer des soutiens et des activistes – qui, parfois, sacrifient leur vie – non seulement dans de nombreux pays sous-développés mais aussi dans des pays développés, comme l’ont démontré les massacres de Madrid ou de Londres, dont les auteurs avaient pignon sur rue ?

Cette question doit être au cœur de la réflexion sur la lutte contre le terrorisme. Aujourd’hui, on ne peut plus, on ne doit plus se contenter d’une analyse franco-française qui rejetterait les responsabilités sur quelques individus ou sur quelques idéologies, sans analyser les raisons de la propagation dans le monde de ce qu’il faut bien appeler un nouveau fascisme.

L’ampleur des actes terroristes, notamment en Asie, doit obliger les États à lutter contre ces mouvements, et ce dans toutes leurs dimensions.

La misère, l’ignorance et l’impossibilité des peuples à disposer d’eux-mêmes constituent un terreau formidable pour le terrorisme. Plus les inégalités et plus les fractures grandiront dans le monde, plus les dangers d’actes terroristes existeront. Cette ampleur devrait obliger les États à lutter pour le progrès social et le progrès économique, ainsi que pour le développement de l’éducation et de la culture de la totalité des peuples de la planète.

Le respect des droits de la personne est foulé aux pieds par des pratiques moyenâgeuses, par l’existence des camps de travail, de zones de non-droit et de nouvelles formes d’esclavage et d’exploitation. Des formes de barbarie se développent dans le monde.

La fonction et la sauvegarde des droits de l’homme sont absolument fondamentales pour défendre un art de vivre et des progrès de civilisation. Une éducation aux droits de la personne humaine et au développement de l’emploi peut jouer un rôle initial pour déraciner les causes psychologiques profondes de la violence et de la terreur. Utiliser les événements et les faits de la vie quotidienne pour renforcer l’esprit de tolérance, de vigilance et de reconnaissance des autres, et s’efforcer de faire vivre cet esprit à travers nos actions concrètes sont des moyens de créer une culture forte de résistance, d’esprit et de responsabilité en faveur des droits de la personne humaine.

Éradiquer la pauvreté constitue le défi de civilisation du XXIsiècle. La pauvreté est la source implicite du pourrissement de bien des conflits armés et du terrorisme. La coopération internationale devient de plus en plus nécessaire pour éliminer la monstrueuse disparité entre pauvreté et richesse dans le monde. Dans ce domaine, il faut mettre en œuvre au niveau national un plan comparable à celui élaboré en son temps par le Conseil national de la Résistance : la suppression de la dette des pays pauvres les plus lourdement endettés permettrait de libérer des fonds qui seraient consacrés à combattre la pauvreté, à développer l’éducation, à accroître les moyens affectés à la santé et aux soins médicaux, ou encore à améliorer les infrastructures sociales.

La question du désarmement ne doit pas non plus être occultée dans ce débat.

De surcroît, il est essentiel de renouveler nos efforts dans le domaine du désarmement nucléaire car, depuis le 11 septembre 2001, l’usage possible d’armes nucléaires par des terroristes est source d’anxiété croissante. Cela ne concerne pas que le terrorisme mais aussi les États. Je tenais à poser cette question, avant de vous en adresser d’autres, monsieur le ministre d’État, à la fin de cette motion de procédure.

Aujourd’hui, il est aussi nécessaire d’organiser un vrai débat national sur les violences, sur leur prévention, ainsi que d’élaborer un projet de loi visant à les prévenir.

Les violences ordinaires, les violences quotidiennes, les pratiques barbares et sauvages qui s’instaurent entre adolescents, les enfants exploités par le racket et ceux de moins de douze ans qui sont en danger après vingt-deux heures, le nombre considérable de suicides chez les adolescents, l’augmentation vertigineuse des troubles psychologiques et psychiatriques dès l’âge de trois ans,…

M. Thierry Mariani. Nous nous éloignons du sujet !

M. Éric Raoult. En effet ! Tout cela n’a rien à voir avec le terrorisme.

M. Jean-Paul Garraud. Ni avec la question préalable !

M. André Gerin. Mes chers collègues, je vous invite à la tolérance. Si j’aborde ces différents sujets, c’est parce que certaines conditions, nous l’avons tous dit, favorisent l’éclosion du terrorisme. Des gamins français – ou du moins européens – ont servi de kamikazes en Irak. Si je soulève ces problèmes devant le ministre d’État, c’est que, sans être liés au combat stratégique ou global contre le terrorisme, ils touchent notre vie quotidienne, tout comme ils concernent l’actualité de ces dernières semaines. C’est pourquoi je pense qu’il faut les poser directement, simplement, concrètement et sans état d’âme.

Mme Maryse Joissains-Masini. Même s’ils n’ont rien à voir avec le sujet ?

M. André Gerin. Dans ce cadre, une véritable politique de prévention doit être défendue. Cela me semble fondamental.

Monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, l’ensemble de cette question préalable tend à démontrer qu’il est souhaitable d’avoir une analyse globale sur la lutte contre le terrorisme.

L’élaboration d’un texte qui me semble de circonstance n’aura qu’une efficacité incertaine, d’autant que certaines de ses dispositions sont attentatoires aux libertés. D’une approche judiciaire où le terrorisme était considéré par le Gouvernement comme un phénomène d’exception, ce projet de loi est passé à une approche administrative et policière.

J’en viens aux questions que je vous annonçais, monsieur le ministre d’État. Où en est l’évaluation de la coopération entre les services de renseignement européens et américains ? Où en sont les modes de surveillance satellitaires des communications, dont le premier réseau, appelé ECHELON, a été mis en œuvre par les États-Unis et certains pays européens, dont la Grande Bretagne ? Qu’en est-il du rôle joué par l’OTAN sur ce contrôle ? Qu’en est-il de l’introduction des technologies biométriques dans l’identification des citoyens ? Toutes ces questions sont lourdes de conséquence.

L’analyse du terrorisme et de l’islamisme, ces nouveaux fascismes, nécessite une riposte sans précédent, au-delà des appréciations différentes que l’on peut porter sur ces phénomènes et au-delà des remarques que j’ai pu formuler sur ce projet de loi.

Pour toutes les raisons que j’ai exposées, je vous demande, mes chers collègues, de voter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Michel Vaxès. À l’initiative du Premier ministre, un livre blanc est actuellement en préparation sur la sécurité intérieure face au terrorisme. Selon notre rapporteur – et, j’imagine, selon le ministre –, son objectif est triple : stratégique, afin de préciser la nature de la menace terroriste et d’en mesurer les risques ; opérationnel, afin d’évaluer les ressources humaines, ainsi que les moyens techniques et juridiques nécessaires au maintien d’un dispositif de protection adapté ; pédagogique, afin d’informer les Français et de définir les comportements à adopter.

Je me demande – comme vous, monsieur le rapporteur, car j’ai lu votre rapport avec attention – pourquoi ne pas avoir attendu la publication de ce document et les résultats de la réflexion en cours avant de modifier notre système de lutte antiterroriste, lequel, de l’avis de tous les observateurs avisés, a fait les preuves de son efficacité.

Pourquoi déclarer l’urgence et ne laisser à l’Assemblée nationale que quinze jours pour apprécier un texte qui, de l’aveu même de son rapporteur, est si complexe que son décryptage nécessiterait « le concours d’un polytechnicien ou d’un ingénieur des télécommunications » ? Oui, pourquoi, sinon parce que ce que vous recherchez relève davantage du faire connaître que de l’action efficace ?

L’objectif de ce texte, maintes fois rappelé par le Gouvernement, est de concilier la nécessaire et légitime exigence de sécurité de nos concitoyens et la préservation de leurs droits et libertés individuels. La réalité, à notre sens, est que ce projet de loi n’atteindra ni l’une ni l’autre de ces cibles. Il réduira les libertés sans garantir la sécurité.

J’ai le sentiment qu’il accélère une dérive préoccupante pour notre modèle démocratique. Le modèle anglo-saxon qui l’inspire consacre en effet une rupture avec nos traditions démocratiques et notre histoire.

Le terrorisme est abject, et nous le condamnons avec la plus grande fermeté, sans aucune faiblesse. Il est la négation de la démocratie, des libertés et de tout sentiment humain. Or, en organisant un contrôle accru de tous les Français, qui aura un « impact sur la vie quotidienne de la population » – pour citer encore notre rapporteur – « notamment sur leurs droits et libertés, notamment le droit d’aller et de venir ou le droit à la vie privée », ce texte fait une concession à ceux-là mêmes qu’il veut combattre.

Je ne reviendrai pas sur tous les arguments développés par mon ami André Gerin. Le groupe communiste votera la question préalable, pour que les parlementaires puissent travailler dans la sérénité,…

M. Jean-Paul Garraud. Il est urgent d’attendre !

M. Jacques Remiller. La lutte contre le terrorisme n’attend pas !

M. Michel Vaxès. …s’inspirer des réflexions qui seront contenues dans le livre blanc et enrichir celui-ci. Nous nous donnerons ainsi les véritables moyens d’améliorer sensiblement nos dispositifs de lutte contre le terrorisme non seulement pour en prévenir les effets, mais aussi pour s’attaquer avec détermination à ses causes, ce que ne fait absolument pas le projet du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, pour le groupe de l’UMP.

M. Thierry Mariani. Nous avons tous écouté avec tolérance et attention M. Gerin qui, dans la deuxième partie de son intervention, a évoqué avec sincérité sa ferme condamnation du terrorisme, tout en livrant des analyses géopolitiques intéressantes et en appelant à la coopération internationale. Quant à sa conclusion, elle nous aurait presque donné envie de le compter dans nos rangs.

Dans sa première partie, par contre, il ne paraissait guère convaincu, donnant l’impression de prononcer un discours de commande. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Muguette Jacquaint. Parce que vous, vous n’êtes pas en service commandé pour le compte du Gouvernement !

M. Thierry Mariani. Nous avons ainsi eu droit aux éternels procès d’intention contre un texte qui porterait atteinte aux libertés et à la vie privée et privatiserait la sécurité, alors que, ainsi que l’a rappelé notre excellent rapporteur, toutes les garanties nous sont données. Je ne retiendrai donc que la seconde partie de son intervention, et j’oublierai la première.

La question préalable a pour objet de faire décider qu’il n’y a pas lieu de légiférer. Comment pouvez-vous défendre avec conviction une telle position après les attentats de New York, de Madrid ou de Londres ? Comment pouvez-vous dire qu’il est urgent d’attendre et de ne rien faire, alors que notre pays peut être frappé à son tour ? Soit vous faites preuve d’angélisme en ne voyant pas les nouveaux dangers qui menacent nos concitoyens,…

M. Noël Mamère. Nous voyons les dangers que présente ce texte pour les libertés !

M. Thierry Mariani. …soit vous vous enfermez dans une opposition systématique à tous les projets présentés par la majorité. Quoi qu’il en soit, une fois de plus, vous faites preuve d’une grande irresponsabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Louis Idiart. Il n’est pas le seul !

M. Thierry Mariani. Monsieur Gerin, nous partageons votre diagnostic, mais vous ne proposez aucun remède. Nous soutenons ce projet de loi, car il y a évidemment lieu de légiférer, et en urgence de surcroît. C’est pourquoi le groupe de l’UMP ne votera pas votre question préalable, qui n’a aucune raison d’être. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Floch, pour le groupe socialiste.

M. Jacques Floch. Nous avons écouté avec beaucoup d’intérêt André Gerin, qui a su trouver les mots justes pour évoquer les difficultés qu’ont les démocraties à se défendre, voire à prendre l’offensive contre le terrorisme, ainsi que le rôle que chacun d’entre nous doit jouer pour gagner ce combat tout en défendant nos libertés fondamentales. Toutefois, le projet de loi qui nous est proposé peut, si nous l’améliorons, participer de l’arsenal dont nous avons besoin, et le groupe socialiste a déposé des amendements en ce sens. Plutôt que de voir le débat s’achever prématurément, nous souhaiterions qu’il se prolonge en commission. En conséquence, le groupe socialiste ne participera pas au vote sur la question préalable.

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, certains prétendent que « le terrorisme, ça ne s'explique pas, ça se combat ». Mais combattre sans comprendre, c'est à coup sûr se condamner à l'échec. Or ce combat, nous voulons le mener sans faiblesse, pour le gagner. De quelque fanatisme qu'il émane, de quelque cause qu'il se réclame, le terrorisme, qui ne se confond pas avec la résistance de peuples défendant leur indépendance et leurs libertés, est insupportable. Insupportable, car contraire aux valeurs humaines dont doivent se nourrir les luttes qui servent ces valeurs et les démocraties dignes de ce nom ; insupportable parce que, quels que soient leurs mobiles, les actes terroristes ne sont pas et ne seront jamais un bon moyen de résoudre les conflits.

Aucune avancée démocratique, aucun progrès humain ne peut se réaliser durablement par d'autres moyens que ceux de la démocratie et de l'humanisme. Or le terrorisme est la négation de la démocratie, de l'humanisme et du combat libérateur. Le terrorisme, fondamentalement contraire à notre conception des luttes de transformation sociale, est la négation de l'action politique, et les idéologies qui l'inspirent sont fondamentalement fascisantes.

Le terrorisme d'État est tout aussi méprisable. À cet égard, la réaction de Bush et de son administration aux attentats du 11 septembre, le patriot act, la guerre à l'Irak et les mensonges qui l'ont précédée n'ont rien réglé, permettant au contraire au terrorisme de s'étendre au territoire de pays qui avaient été jusqu’alors épargnés. Ils ont contribué à son développement, encouragé le recrutement de terroristes, renforcé les motivations et le soutien aux djihadistes partout dans le monde.

Pour asseoir sa domination économique au Moyen-Orient, pour faire main basse sur les ressources énergétiques de l'Irak, pour affirmer son hégémonie dans le monde, l'empire américain a continué de susciter les vocations de ceux qu'il prétendait combattre. En vérité, impérialisme et terrorisme se nourrissent mutuellement. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Vanneste. Robespierre et Lénine, vos idoles, étaient des terroristes !

M. Michel Vaxès. Depuis, le sang de centaines d'innocents s'est répandu à Madrid, Londres, Casablanca, Riyad, Istanbul, Amman, Bagdad.

Ne pas s'interroger sur les causes du terrorisme et sur ses évolutions, c'est se condamner à écoper la cale d'un navire en tentant désespérément de colmater ses innombrables brèches. Si nous voulons éviter le naufrage, il est indispensable de changer et de bateau et de cap.

La France s'est honorée en prenant position contre la guerre en Irak. II faudrait, aujourd'hui encore, que sa voix porte haut et fort à l'échelle internationale les propositions audacieuses qu'exigent la résolution des conflits et la réduction des dramatiques inégalités et discriminations, ces plaies qui meurtrissent le Sud et l'Est et nourrissent trop souvent les plus abjects des fanatismes.

Non, monsieur le ministre d’État, la dimension géopolitique du problème ne renvoie pas seulement à l'organisation de colloques, comme vous le disiez lors de votre audition devant la commission des lois. Elle doit inspirer les prises de positions, les initiatives et les actes de la France à l'échelle internationale. Quel nouvel ordre mondial notre pays propose-t-il ? Quelles initiatives diplomatiques, économiques, financières et humanitaires efficaces organise-t-il en Europe et dans le monde ? Pour quelle autre répartition des richesses milite-t-il ? Quels actes met-il en oeuvre pour donner force à ses déclarations ?

Non, monsieur le ministre d’État, ce ne sont pas là que sujets de colloques, mais autant d'exigences et d'actes politiques qui relèvent de la responsabilité du gouvernement auquel vous appartenez. La lutte contre le terrorisme est une question bien trop sérieuse pour que l’on adopte l'attitude suicidaire qui consisterait à écarter d'un revers de main les actions visant à en éradiquer les causes pour ne tenter que d'en prévenir les effets.

Prévenir les actes terroristes et traquer leurs auteurs est une absolue nécessité, mais nous ne pouvons nous en tenir là. Laisser croire que les dispositions de ce texte garantiront l'efficacité de la lutte contre le terrorisme, c'est au mieux courir derrière d'impossibles rêves, au pire tromper nos concitoyens – et je crains, hélas ! que la deuxième hypothèse soit plus conforme à la réalité.

Combattre le terrorisme et les terroristes exige de les isoler et de décrédibiliser leurs actions aux yeux de ceux qui pensent encore que, même sans justifier leurs actes, il faudrait les comprendre au motif que, depuis trop longtemps, la communauté internationale reste désespérément sourde aux cris de détresse de millions d'êtres humains humiliés, privés de terre et de pain, de culture et d'éducation, de toits et de soins, de liberté et de démocratie.

Les maîtres du monde acceptent sans trop s'émouvoir l'innommable violence que représentent le décès de 100 000 personnes par jour et la mort pour cause de malnutrition d’un enfant toutes les sept secondes – soit une centaine le temps de mon intervention. Pourtant, en un peu moins d'une décennie, le produit mondial brut a doublé, le volume du commerce mondial a triplé et, au stade actuellement atteint par les moyens de production agricole, notre terre pourrait nourrir 12 milliards d'êtres humains alors qu'elle n'en compte qu'un peu plus de 6 milliards aujourd'hui. Réduire cette insupportable fracture, ce serait priver le terrorisme du terreau qui le nourrit et le faire condamner par ceux-là même qui s'en accommodent ou, pire, qui ont été, dans la dernière période, de plus en plus nombreux à accepter de le servir.

Ces terroristes se recrutent aujourd'hui dans chaque pays européen contaminé par la pauvreté, les discriminations et les injustices que le libéralisme produit. Il n'est plus besoin de faire venir les candidats au suicide de l'extérieur : de ce point de vue, les États de l'Union sont pour ainsi dire devenus autosuffisants.

Je rappelais hier, dans cet hémicycle, le message qu'un député de la Convention adressait aux législateurs : « N'oubliez pas, leur disait-il, que la source de l'ordre, c'est la justice et que le plus sûr garant de la tranquillité publique, c'est le bonheur des citoyens ».

M. Éric Raoult. Ben Laden n’existait pas !

Mme Muguette Jacquaint. Qui a aidé Ben Laden ?

M. Christian Vanneste. La Convention, c’était la Terreur !

M. Michel Vaxès. Plus tard, André Gide affirmait : « L'humilité ouvre les portes du paradis, l'humiliation celle de l'enfer ». Quant à Bernanos, il prédisait que « le recrutement des terroristes n'était pas prêt de s'épuiser car, pour un homme capable de mourir par amour, il y en a dix, vingt, cent capables de mourir par haine. »

M. Éric Raoult. Et encore, il n’y avait pas eu le 11 septembre !

M. Michel Vaxès. Ce type d’observations ne vous grandit pas et ne grandit pas notre assemblée.

L'époque et l'actualité nous imposent de méditer ces justes et fortes paroles. D'ailleurs, la communauté internationale commence à prendre en compte cette dimension essentielle du problème, comme en témoigne la déclaration des chefs d'État et de Gouvernement au Sommet du G8 qui s’est tenu en juillet dernier : « II est de notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour régler les conflits, faire face à l'oppression, lutter contre la pauvreté. Nous devons promouvoir les droits sociaux et politiques et la réforme démocratique, lutter contre l'intolérance, encourager le débat public et une éducation tolérante, favoriser la compréhension entre les cultures. Ces points sont importants en soi, mais ils permettront aussi de saper la propagande des terroristes. »

M. Éric Raoult. Comme en Corée du nord ?

M. Michel Vaxès. Vous pouvez critiquer les déclarations du G8, mais je vous en laisse la responsabilité.

II faut maintenant passer aux actes. Ce travail restera à faire quel que soit le sort que notre assemblée réservera au texte soumis à notre examen.

J'en viens maintenant au contenu du projet de loi. Vouloir aller à l'essentiel, c'est-à-dire éradiquer les causes du terrorisme, ne nous dispense pas de nous prémunir de ses effets. Il est parfaitement légitime – c'est même un devoir – de rechercher les moyens de prévenir les attentats, d'arrêter ses auteurs et, mieux encore, d'intercepter ceux qui s'apprêtent à les commettre.

Ces moyens manquent-ils dans le dispositif législatif français ? Rien n’est moins sûr. Notre arsenal législatif prévoit en effet, depuis une vingtaine d’années, des dispositions spécifiques au terrorisme, et notre capacité à prévenir la réalisation d’attentats a été, à juste titre, fréquemment louée par tous les observateurs avertis.

Depuis la loi sur la sécurité intérieure de 2003 et celle de 2004 sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité…

M. Éric Raoult. Que vous n’avez pas votée !

M. Michel Vaxès. Non, car elle ouvrait la voie à la dérive sécuritaire, sur le modèle américain ou britannique.

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !

M. Christian Vanneste. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont des pays où règnent la liberté.

M. Michel Vaxès. Ces lois ont donné des pouvoirs considérables aux services de la justice, de la police et de la gendarmerie, sans améliorer d’un iota la qualité de notre intervention en matière de lutte contre le terrorisme.

Désormais, la procédure de l’enquête préliminaire offre la possibilité de mener une enquête sans que la personne concernée en ait connaissance, selon une procédure secrète non contradictoire et de durée illimitée.

M. Éric Raoult. On va faire comme Poutine !

M. Michel Vaxès. Les services de police peuvent mettre en œuvre des techniques spéciales de recherche, de mise sous écoute, d’infiltration, de surveillance rapprochée par placement de micros et de caméras dans les lieux privés, perquisitionner la nuit en l’absence de la personne suspectée.

Toutes ces méthodes sont déjà mises en œuvre. Est-il nécessaire d’en rajouter (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et, le cas échéant, jusqu’où faut-il aller ?

À vous suivre, on risquerait d’aller très loin – trop loin –, ce que tous les démocrates redoutent.

M. Christian Vanneste. Relisez donc le Premier cercle de Soljenitsyne !

Mme Muguette Jacquaint. Décidément, vous vivez dans le passé ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Vanneste. Il vaut mieux entendre ça que d’être sourd !

M. Michel Vaxès. Ne convient-il pas plutôt de veiller à concilier deux impératifs : d’une part, la nécessité de disposer de moyens efficaces de lutte contre le terrorisme ; d’autre part, celle de ne pas malmener les libertés individuelles au risque de provoquer de légitimes réflexes de rejet de la part de démocrates lucides ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et la Corée du Nord ?

M. Michel Vaxès. À cet égard, l’exemple britannique, avec la mise en minorité de Tony Blair aux Communes, n’est-il pas éloquent ? Soupçonner tout le monde…

M. Thierry Mariani. …comme à Cuba ?

M. Christian Vanneste. À Cuba, on met les journalistes en prison !

M. Michel Vaxès. …mettre tout le monde sous surveillance au prétexte, très aléatoire, de ne pas laisser passer l’éventuelle occasion de repérer un terroriste potentiel, n’est-ce pas avoir déjà créé ce dangereux déséquilibre qui faisait dire à Benjamin Franklin : « Toute personne prête à échanger sa liberté contre la sécurité n’obtiendra et ne méritera ni l’un ni l’autre » ?

M. Éric Raoult. Il n’y avait pas de kamikazes à l’époque !

M. Michel Vaxès. En décrétant l’état d’urgence comme normes et en érigeant la police comme figure centrale, notre démocratie se mutile sous nos yeux. Prenons garde que, de dérive en dérive, nous ne donnions pas aux régimes les plus répressifs de nouvelles occasions de qualifier tout contestataire de sympathisant terroriste pour mieux étouffer toute opposition, comme c’est déjà le cas dans certains pays d’Afrique et d’Asie du Sud-Est.

La multiplication de dispositifs limitant les libertés civiles et réduisant les garanties contre les atteintes aux droits fondamentaux n’est pas un gage d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme. En revanche, il est certain qu’elle constitue une concession faite aux terroristes, dont l’objectif est précisément d’instaurer la terreur afin de mettre à mal les libertés, la démocratie, et toutes les avancées de civilisation.

La Grande-Bretagne s’est équipée depuis longtemps d’un système performant de vidéosurveillance comprenant actuellement quatre millions de caméras – avec un objectif de vingt-cinq millions à brève échéance. Le problème, c’est qu’il n’y a personne pour surveiller en temps réel les images qu’elles transmettent. Ces millions de caméras, que le ministre a citées en exemple, n’ont pourtant pas permis d’empêcher l’attentat du métro londonien.

M. Éric Raoult. Elles ont permis d’en retrouver les auteurs, c’est déjà ça !

M. Michel Vaxès. En revanche, comme le relève la Commission nationale informatique et libertés dans son avis du 10 octobre dernier, les caméras sont attentatoires aux libertés individuelles tant elles manquent de garanties quant à leur utilisation. Les articles 3, 4, 5, 6 et 7 du projet de loi ont, de la même façon, fait l’objet de critiques sévères dans la mesure où ils portent atteinte aux droits fondamentaux sans pour autant nous assurer d’une réelle efficacité dans la lutte contre le terrorisme.

Les articles suivants ne visent que la période postérieure à la commission des crimes terroristes.

Puisque mon temps de parole dans le cadre de la discussion générale arrive à son terme,…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Il est épuisé depuis longtemps !

M. Michel Vaxès. …nous développerons notre argumentation de façon plus détaillée lors de la discussion des articles. Mais, d’ores et déjà, nous tenions à exprimer nos plus vives inquiétudes face à une évolution législative qui malmène notre démocratie, alors même que notre dispositif pénal, nos services de renseignement et d’investigation ont prouvé leur efficacité et qu’un renforcement significatif de leurs moyens techniques et humains, sur les plans quantitatif et qualitatif, aurait sans doute été la meilleure garantie d’une amélioration sensible de la prévention des attentats sur l’ensemble du territoire national. La mise en échec de la tentative d’attentat de Strasbourg milite en ce sens.

Je constate que M. le ministre d’État n’est plus en séance…

M. le président. Mais le Gouvernement est toujours présent, en la personne de M. Estrosi.

M. Michel Vaxès. Celui-ci pourra donc lui transmettre le message que je souhaite lui faire passer : à condition de sortir des généralités, nous pourrions peut-être nous retrouver sur le diagnostic ; mais sur les réponses que propose le Gouvernement, c’est tout à fait exclu. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Entendre le parti communiste s’ériger en défenseur des libertés est toujours un moment marquant ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Vanneste. C’est surréaliste ! (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Éric Raoult. Beria doit se retourner dans sa tombe !

M. Jean-Louis Idiart. Vous n’êtes pas le mieux placé pour parler des libertés, monsieur Mariani !

M. le président. Allons, mes chers collègues, laissez M. Mariani s’exprimer !

M. Thierry Mariani. Nous abordons aujourd’hui un sujet grave, qui mériterait de faire le consensus dans cet hémicycle.

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. Thierry Mariani. En effet, notre pays est menacé par une forme de terrorisme que nous n’avons jamais connue. Comme le soulignait tout à l’heure M. le ministre d’État, le terrorisme a muté. C’est pourquoi nous devons rompre avec nos habitudes et que nous ne pouvons que nous féliciter des dispositifs novateurs qui nous sont proposés aujourd’hui.

Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, les textes précédents issus des majorités successives, de gauche comme de droite, nous ont dotés d’instruments qui permettent de rechercher efficacement les auteurs d’actes terroristes. Cependant, sanctionner les coupables ne suffit plus. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est avant tout d’essayer de les empêcher de tuer.

Nous avons encore tous en mémoire les images terribles, diffusées en boucle sur toutes les chaînes de télévision, des attentats commis ces dernières années : ceux du 11 septembre 2001, ceux de Madrid ou encore ceux perpétrés à Londres au mois de juillet dernier. Le terrorisme, dont l’Occident est désormais menacé, a changé de nature. Les attentats de Riyad, de Bali, de Casablanca, ceux commis il y a quelques jours en Jordanie, ou quotidiennement en Irak, montrent que le terrorisme est hélas un sujet dont il est urgent de se préoccuper.

Auparavant, les terroristes utilisaient les attentats pour ouvrir des négociations en vue de satisfaire leurs revendications. Les meurtriers d’aujourd’hui n’ont pas de revendications.

Auparavant, les terroristes se servaient de la peur. Ils prévenaient des attentats – comme l’ETA le fait encore de temps à autre – en appelant la police pour signaler qu’une bombe allait exploser. Les terroristes islamistes n’ont jamais prévenu qu’un de leurs engins allait répandre la mort. Ils sont en guerre totale et ne souhaitent qu’une chose : que le monde soit débarrassé de ceux qui ne croient pas en leur Dieu. Le piège serait de tomber dans l’amalgame. Il n’en est bien entendu pas question, mes chers collègues. Entre les terroristes radicaux islamiques et la majorité des musulmans qui pratiquent sereinement leur religion, nous savons qu’il n’y a rien de commun.

Face à cette menace diffuse et multiforme, face à ces nébuleuses d’organisations sans chef commun ni hiérarchie, nous ne pouvons plus continuer à agir avec des méthodes mises en place à l’époque où nous connaissions nos ennemis et leurs revendications.

En matière de lutte contre le terrorisme, comme dans d’autres domaines, la rupture s’impose. Nous devons admettre qu’aujourd’hui, la lutte contre le terrorisme ne consiste plus seulement à arrêter les auteurs d’un attentat.

Les terroristes d’aujourd’hui sont des kamikazes. Non seulement, ils donnent leur vie pour accomplir leurs crimes et meurent avec leurs victimes, mais, par fanatisme, ils sont prêts à se suicider même lorsque l’accomplissement de leur projet ne l’exige pas. Or juger des cadavres ne sert à rien.

Notre dispositif de lutte contre le terrorisme doit donc être repensé, suivant deux axes.

Premièrement, nous devons utiliser tous les moyens pour empêcher la réalisation des attentats, en arrêtant les terroristes avant qu’ils ne meurent en tuant nos concitoyens.

Deuxièmement, nous devons renforcer notre législation afin d’arrêter ceux qui ont organisé ou soutenu financièrement ou matériellement l’organisation d’un attentat terroriste.

Monsieur le ministre d’État, avec ce projet de loi, vous nous démontrez une fois de plus qu’il convient d’agir avec pragmatisme.

Certains de nos collègues de l’opposition vont s’élever contre une imaginaire atteinte aux libertés.

M. Noël Mamère. Elle est réelle !

M. Thierry Mariani. Ce faisant, ils vont une fois de plus nous démontrer qu’ils sont inconscients des réalités et que, dans ce domaine comme dans d’autres, ils ne savent qu’exposer des idées, pas trouver des solutions efficaces. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Muguette Jacquaint. Avec M. Mariani, c’est tout en nuances, comme d’habitude !

M. Thierry Mariani. J'en viens au texte pour lequel le groupe de l’UMP m'a désigné porte-parole.

Les enseignements opérationnels recueillis après les attentats les plus récents prescrivent l’adoption de nouveaux instruments juridiques, dans le respect du nécessaire équilibre entre les exigences de la sécurité et celles des libertés.

Sans revenir sur le détail des quinze articles que comporte ce projet, je souhaite vous rappeler les dispositions qui vont enfin nous permettre, d’une part, de prévenir la réalisation des attentats terroristes et, d’autre part, de mieux lutter contre les terroristes.

Afin de mieux prévenir les attaques terroristes, il convient de développer la vidéosurveillance, le contrôle des échanges téléphoniques et électroniques et l’exploitation des données.

Le chapitre premier du projet de loi autorise et encadre le développement du recours à la vidéosurveillance, afin d’accroître la protection des principaux lieux accueillant du public et des installations sensibles, exposés à une menace d’acte de terrorisme.

Il est ainsi proposé : d’une part, de prévoir que des systèmes de vidéosurveillance pourront être installés sur la voie publique ou dans des lieux et établissements ouverts au public, afin de prévenir les actes de terrorisme ; d’autre part, de permettre aux seules personnes morales exposées à des risques d’actes de terrorisme de déployer des caméras filmant la voie publique aux abords immédiats de leurs bâtiments.

Des enquêteurs spécialisés et individuellement habilités pourront être destinataires des images prises par les systèmes de vidéosurveillance, dans des lieux tels que les centres commerciaux, les stades ou les musées, indépendamment de la commission d’une infraction, afin de renforcer les moyens de détection des opérations préparatoires à des actes de terrorisme. Je ne vois pas en quoi ces mesures pourraient être considérées comme liberticides.

Il est proposé que ces installations fassent l’objet d’une autorisation limitée à cinq ans. Au terme de ce délai, il sera vérifié si les motifs ayant justifié la mise en place de caméras demeurent pertinents. Les systèmes de vidéosurveillance devront, de plus, répondre à des normes techniques d’agrément garantissant leur bon fonctionnement, qui seront fixées par arrêté ministériel.

Le projet de loi autorise l’autorité publique à prescrire la vidéosurveillance de certains sites constituant des cibles potentielles importantes pour l’activité terroriste, comme les centrales nucléaires, les grandes installations industrielles, les aéroports ou les gares. Cette mise en œuvre se fera dans un cadre garantissant le respect des libertés individuelles. Le public sera informé de l’installation des caméras. En outre, l’accès aux images sera encadré.

Le chapitre II renforce les possibilités de contrôle des déplacements et des échanges téléphoniques et électroniques des personnes susceptibles de participer à une action terroriste.

Il précise la définition des opérateurs de communications électroniques en y incluant les personnes offrant au public à titre professionnel une connexion permettant une communication en ligne. Par ailleurs, il autorise les services de police et de gendarmerie spécialisés dans la prévention du terrorisme à se faire communiquer, dans un cadre administratif, certaines données techniques détenues par les opérateurs de communications électroniques, selon une procédure offrant des garanties.

Le chapitre III définit les dispositions relatives à des traitements automatisés de données à caractère personnel dont la mise en œuvre est nécessaire à la prévention du terrorisme.

Il améliore les conditions dans lesquelles les services de police, spécialement chargés de prévenir les actions terroristes, peuvent exploiter les renseignements dont ils disposent, grâce à l’analyse de données recueillies dans le cadre des transports de voyageurs.

Il renforce également le dispositif de surveillance automatique des véhicules dans certaines zones à risques. De plus, il accroît les possibilités de consultation de certains fichiers administratifs du ministère de l’intérieur par les services antiterroristes.

Deuxièmement, afin d’arrêter ceux qui ont organisé ou soutenu financièrement l’organisation d’un attentat terroriste, ce texte améliore le dispositif pénal de lutte contre le terrorisme.

Le chapitre IV complète le dispositif pénal prévu pour sanctionner les actes de terrorisme. Il permet de réprimer plus fermement l’association de malfaiteurs à des fins terroristes – lorsque celle-ci a pour objet la préparation des crimes d’atteintes aux personnes – en la punissant de vingt ans de réclusion, et de trente ans lorsqu’il s’agit de leurs dirigeants et organisateurs. Il prévoit de centraliser auprès des juridictions de l’application des peines de Paris le suivi des personnes condamnées pour terrorisme.

Permettez-moi, chers collègues, de sortir quelques instants de mon rôle de porte-parole du groupe de l’UMP pour m’arrêter à titre personnel sur certains amendements que nous allons discuter dans le cadre de ce chapitre visant à sanctionner les terroristes.

M. Jean-Marc Ayrault. C’est le moment de nous faire le récit de votre voyage à Bagdad avec M. Julia !

M. Thierry Mariani. M. Ayrault semble avoir oublié l’attitude qu’ont eue, à l’époque, certains des membres de son groupe. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je souhaite aborder l’allongement du délai de garde à vue, la réduction des frais de justice, notamment des frais d’écoute téléphonique, ainsi que la nécessité de créer au sein de notre assemblée une commission du renseignement.

Concernant l'allongement du délai de garde à vue, l’amendement que nous avons adopté en commission va nous permettre d'avoir un réel débat dans cet hémicycle. J'espère que, pour une fois, il sera serein.

Que proposons-nous ? En matière de terrorisme, il est des affaires où la durée maximale actuelle de la garde à vue, soit quatre jours, se révèle insuffisante.

Je fais allusion ici aux cas où l'enquête, ou la garde à vue elle-même, fait apparaître des risques sérieux d'une action terroriste imminente.

Je pense également aux affaires où la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme doit être poursuivie pour s'opposer à l'action envisagée.

Avant de crier au liberticide, permettez-moi de rappeler qu'avec six jours de durée maximale de garde à vue en matière terroriste, nous resterons bien en deçà du délai en vigueur chez nos voisins d’outre-Manche où la garde à vue peut déjà atteindre quatorze jours. En tout état de cause, nous pourrons échanger ces arguments au cours du débat.

Je souhaite aussi parler ici de la nécessité pour l'État de réduire les frais de justice, notamment les frais d'écoute téléphonique.

Nous avons en la matière deux solutions : la mauvaise consiste à réduire les écoutes téléphoniques et à priver ainsi les services de lutte contre le terrorisme d'un outil indispensable ; la bonne consiste à réduire les prix pour les ramener à leur vrai niveau.

En effet, désormais une grande partie des enquêtes comprend :

L'identification du titulaire de la ligne téléphonique, facturé 9,15 euros si on a le numéro et plus cher encore si l'on n'a que le nom ;

La liste détaillée des appels entrants et sortants – 54,88 euros pour Orange, 22,87 euros pour Bouygues, pour les appels des trois derniers mois ;

L'identification des numéros ayant été appelés ou appelant – 9,15 euros en principe, mais 0,94 euro par identification si la commande dépasse 50 numéros.

Bref, il faut compter au minimum 100 à 150 euros pour obtenir des opérateurs ce qui, en réalité, ne constitue que la copie d'une facture détaillée et d'une partie de l'annuaire !

M. Alain Marsaud, rapporteur. Très juste !

M. Thierry Mariani. Pour la localisation du téléphone ou la mise sur écoute, par exemple, il faut compter plusieurs milliers d'euros par affaire.

Manifestement, les opérateurs de téléphonie, notamment mobile, ont décidé de facturer plus, bien plus, qu'une juste rémunération.

C'est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à les obliger à baisser leurs tarifs. Je sais d’ailleurs que la commission des lois a adopté un amendement de notre collègue Warsmann allant dans le même sens.

Enfin, avant de revenir à mon rôle de porte-parole du groupe de l’UMP, je voudrais profiter de la discussion générale pour soutenir, dès à présent, l'amendement de notre excellent rapporteur visant à créer une commission parlementaire du renseignement.

En effet, au moment où nous nous apprêtons à offrir un cadre à l'action préventive de police administrative des services antiterroristes, il est légitime d'ouvrir enfin une réflexion sur la nature et le degré du contrôle parlementaire sur ces services.

Rappelons-le, la France est pratiquement le seul pays démocratique occidental à ne pas disposer d'une structure parlementaire ou paraparlementaire de contrôle des services de renseignement. La généralisation quasi totale de ce type de contrôle fait douter que l'existence d'une telle commission soit un frein à l'action des services de renseignement. Mais nous en reparlerons au cours du débat.

Le chapitre V porte de dix à quinze ans les délais permettant au ministre chargé des naturalisations d'engager la procédure de déchéance de la nationalité française. Il pourra ainsi la prononcer à l’encontre de personnes ayant acquis cette nationalité par naturalisation, à raison du mariage ou par réintégration dans la nationalité française, dès lors qu'elles ont fait l'objet d'une condamnation pour un acte portant une atteinte manifeste aux intérêts fondamentaux de la nation, un acte de terrorisme ou un acte incompatible avec la qualité de Français et préjudiciable aux intérêts de la France.

Avec de telles conditions, je ne vois vraiment pas pourquoi la déchéance de la nationalité française ne se justifierait pas dans ces cas-là, monsieur Vaxès.

Mme Muguette Jacquaint. M. Vaxès n’a rien dit sur le sujet !

M. Thierry Mariani. Le chapitre VI prévoit des dispositions relatives à la lutte contre le financement des activités terroristes en instaurant une procédure de gel des avoirs par le ministre chargé de l'économie.

Oui, il y avait urgence à agir. Oui, ce texte tire les conséquences des derniers attentats. Les Français ne nous pardonneraient pas aujourd’hui l’inaction.

Monsieur le ministre d'État, en tant que porte-parole du groupe de l’UMP, je vous assure que vous aurez tout notre soutien pour ce texte qui vise à mieux assurer la sécurité de nos concitoyens, dans le respect des libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Muguette Jacquaint. Quelle surprise !

M. le président. La parole est à M. Jacques Floch.

M. Éric Raoult. M. Floch va sûrement nous parler des écoutes téléphoniques de Carole Bouquet !

M. Jacques Floch. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, les démocraties sont confrontées à une forme de conflit que, paradoxalement, seules les dictatures devraient rencontrer : le combat clandestin armé. Combat qui, par nature, n'affronte pas les pouvoirs à armes égales, mais utilise les destructions ciblées d'objectifs vitaux, l'exécution sommaire de responsables politiques, économiques, des médias, voire religieux ou philosophiques.

À cela s'ajoute l'idée de terroriser la population soit pour annihiler ses potentiels de résistance, soit pour l'obliger à prendre partie.

Certes, on peut parler de guerre comme vous l’avez fait, monsieur le ministre d’État, mais cette expression risque de donner raison aux terroristes, qui pourraient exiger, si les démocraties acceptaient le contenu de leurs combats, l'application des règles de la guerre qu'eux-mêmes ne respecteraient pas. Dans ce combat, les mots ont leur poids.

Les combats contre les dictateurs ont très souvent obligé les démocrates, les défenseurs des libertés à utiliser de telles méthodes. Nombre de dictatures sont tombées après un combat clandestin armé.

Des dictatures se sont installées avec la même méthode. La différence essentielle entre ces deux visions est celle utilisée pour éviter cette forme de conflit. Les dictatures renforcent leurs moyens liberticides, et c'est toujours par la terreur qu'elles imposent leur férocité. Les démocraties, elles, ne peuvent répondre que par l'usage du droit, de la précaution et de la diplomatie.

La France est bien entendu dans cette situation. Notre première exigence est d’assurer la sécurité de nos concitoyens, et la première des sécurités est le droit à la vie libre dans un espace de démocratie. Mais la sécurité énoncée seule n'est pas suffisante : les dictatures peuvent aussi assurer un semblant de sécurité ! Par ailleurs, nos concitoyens ne veulent et ne peuvent accepter, sous le prétexte d'une meilleure sécurité, des limites à leurs libertés.

Alors, quelles propositions peut-on faire ? Celles que tous, ici, nous émettons, avec certaines nuances, cependant. Faire savoir à ceux qui seraient tentés par un acte terroriste, que leurs projets seront voués à l'échec et que des sanctions majeures les attendent ? L'efficacité sera politiquement nulle face à des ennemis qui ne veulent rien craindre et dont les motivations les conduisent à accepter le risque majeur.

Améliorer le contrôle des populations dans le cadre du respect des droits fondamentaux ? Le problème est que l'on ne sait pas définir les limites à ne pas dépasser. Rentrent dans ce processus la liberté de circulation des personnes, des biens, de l'information, la protection de la vie personnelle, professionnelle ou sociale, la confidentialité des communications privées ou professionnelles, l'accès aux divers fichiers nécessaires à l'organisation de la vie dans un État moderne et le croisement de ces fichiers.

Il nous faut donc renforcer le rôle et les possibilités des forces de sécurité, la police, la gendarmerie, les douanes, mais aussi les services financiers de l'État et les services de protection sanitaire. Ce renforcement passe par la recherche de l'information donc l'entrée dans les réseaux susceptibles de porter atteinte à la nation.

Les forces de sécurité, dont il nous faut bien connaître la liste, les formations, le rôle, les modes de travail, doivent recevoir une reconnaissance spécifique lorsqu'ils agissent dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, car un de nos problèmes est d'éviter tous les amalgames. Le terrorisme étant multiforme, il n'est pas nécessaire d'accentuer notre regard sur telle ou telle autre action délinquante.

Il est vrai aussi que la lutte contre le terrorisme permet de rencontrer toutes les possibilités d'actions criminelles : trafics en tous genres, délinquance financière, vol à mains armées, organisation de l'immigration clandestine.

Parmi les actions contre le terrorisme, l'infiltration d'agents dans toutes les organisations doit être entreprise avec les moyens les plus optimisés car, aux dires des spécialistes, c'est le moyen le plus efficace pour éviter que la terreur donne raison aux terroristes.

Mais les agents dont les actions sont particulièrement dangereuses doivent pouvoir bénéficier en permanence du contrôle et de la protection du législateur et du juge. Il est donc nécessaire que le législateur puisse assurer l'évaluation des actions conduites par les services de renseignement et d'information dépendant des ministères concernés par cette défense des droits des citoyens.

La lutte contre le terrorisme, est-il besoin de le dire, doit être une lutte de caractère nationale et, pour cela, doit rencontrer l'aval de la grande majorité de la nation et de ses représentants. Elle ne peut tolérer aucune instrumentalisation de qui que ce soit, comme on ne peut accepter de laisser entendre que le terrorisme viendrait d'ailleurs et qu'il faut se défendre essentiellement contre l'étranger.

Les récents événements de Londres montrent que ceux qui se sont engagés étaient des individus nés en Angleterre et ayant reçu une instruction britannique, mais qu'ils ont été happés et endoctrinés par des manipulateurs dont certains, certes, étaient étrangers mais d'autres, comme eux, citoyens britanniques. Les contrôles frontaliers ne sont et ne restent donc qu'un outil parmi d’autres, quelquefois efficace et parfois aussi dérisoire.

Nos services de renseignements ont depuis longtemps été reconnus comme de grande qualité, précisément parce qu'ils savent expertiser l'ensemble des informations qu'ils peuvent recueillir dans le cadre des infiltrations, des recoupements de fichiers, des suivis de déplacements, des lectures appropriées des résultats des systèmes de communication.

Il nous faut leur faciliter l’ensemble de ces possibilités, dans le cadre de la loi. Par exemple, l'utilisation des multiples fichiers qui existent dans tous les domaines. En France, nous avons très heureusement une commission nationale capable de faire la part des choses entre l'utilisation abusive des fichiers et la protection des libertés individuelles. Renforçons son rôle !

Il est anormal que des enquêteurs, désignés par le juge, ne puissent avoir accès à des fichiers administratifs ni les recouper parce que la loi actuelle ne le leur permet pas. Dès lors que le juge et la loi habiliteront ces agents, ceux-ci pourront faire leur travail en toute sécurité juridique. Et nos concitoyens seront protégés contre les utilisations abusives par un contrôle a posteriori, dont ils doivent être parfaitement informés. Les utilisations abusives devront précisément être sanctionnées par une décision judiciaire et pas seulement administrative.

La loi qui nous est soumise, malgré la forte médiatisation dont elle a fait l'objet, doit rester une loi ordinaire dans son exposé des motifs et dans son contenu, mais aussi dans sa durée car son but est de nous protéger en maintenant l'ensemble de nos libertés fondamentales.

Point n'est besoin d'aller chercher plus que nécessaire des pratiques extérieures, notre droit a depuis longtemps su faire face au respect de cet équilibre. C'est pourquoi il n’est pas utile de répéter dans ce texte ce qui existe déjà dans notre code civil ou notre code pénal. La répétition n'est pas un élément de protection supplémentaire.

Depuis le 11 septembre 2001, trois textes ont été adoptés pour améliorer, dit-on, la sécurité des Françaises et des Français : la loi sur la sécurité quotidienne, la loi relative à la sécurité intérieure, la loi sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Cette dernière, votée en 2004, porte déjà des mesures d'exception pour lutter contre le terrorisme : infiltration des réseaux, écoutes téléphoniques, sonorisation des locaux privés, prolongation de la garde à vue, perquisitions de nuit. Il n'empêche qu'en juin 2005, notre éminent collègue Jean-Luc Warsmann constatait que ces mesures étaient presque ou pas utilisées. S’agissant par exemple des infiltrations, on n’en connaît qu'une seule, qui a été utilisée pour démanteler un réseau de trafiquants de drogue.

M. Jean-Paul Garraud. C’est déjà bien !

M. Jacques Floch. De même, le décret prévu à l’article 29 de la loi relative à la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001, article obligeant les opérateurs de communication à conserver les éléments permettant d’identifier les numéros de téléphone composés à partir de mobiles, pour une durée maximale d’un an, n’est toujours pas publié, faute d’accord avec les opérateurs, dont les prix sont particulièrement abusifs. Pourtant, ceux-ci, en contrepartie du surcoût occasionné par une prestation assurée à la demande de l’État, doivent recevoir une indemnité.

Le garde des sceaux s’est ému de cette situation au point de souhaiter une mise en garde du législateur dans le cadre du projet de budget pour 2006. Mais qu’il nous autorise à douter de l’efficacité de textes dont on s’efforce aujourd’hui de réécrire le contenu ! Cela peut durer encore longtemps.

Force est de constater que nous avons un problème de méthode, et, sur ce point, je m’associe aux propos de nos collègues André Gerin et Michel Vaxès. Il y a plus d’un an, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin nous a annoncé un livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme. Cette réflexion très utile nous aurait permis d’évaluer la pertinence de l’ensemble de notre dispositif législatif, policier et sanitaire, qui comporte trois objectifs : le premier, stratégique, précise la nature de la menace terroriste et mesure les risques sur le territoire français ; le deuxième, opérationnel, évalue les ressources humaines et les moyens techniques et juridiques nécessaires au maintien d’un dispositif de protection adaptée ; le troisième, pédagogique, informe les Français sur la réalité du risque terroriste et les moyens mis en œuvre pour faire y face – il ne faut certes pas confondre pédagogie et propagande sur la sécurité, mais il est important que les Françaises et les Français soient régulièrement informés du risque terroriste, tout simplement parce qu’il existe.

Le livre blanc ne nous a pas encore été soumis. Je suppose que ses conclusions seront conformes à ce projet de loi. Si tel n’est pas le cas, nous serons en droit de nous poser des questions sur ce décalage temporel.

Deux éléments de ce projet de loi attirent plus particulièrement notre attention.

Tout d’abord, les dispositions sur la vidéosurveillance sont manifestement destinées à satisfaire le besoin de sécurité de nos concitoyens. Ce n’est pas condamnable en soi, mais encore faut-il expliquer aux Françaises et aux Français les limites du dispositif. Nous n’en sommes pas encore à une caméra pour deux habitants, ce qui pourrait arriver à nos amis britanniques, mais vous laissez entendre que la multiplication par mille, voire par cent mille du nombre de caméras, tant dans les lieux publics que dans les lieux privés, permettrait de prévenir les actes de terrorisme, et vous prenez pour exemple ce qui s’est passé à Londres cette année. À Londres, le rapporteur l’a reconnu, les caméras n’ont pas empêché les actes terroristes ; toutefois, et c’est très important, elles ont permis l’arrestation des coupables.

Tous les spécialistes que j’ai été amené à rencontrer m’ont affirmé que si une caméra, dans la mesure où les images sont exploitées et exploitables, permet d’accélérer le processus judiciaire, elle ne peut en aucun cas empêcher l’action de terroristes déterminés. Nous devons être conscients de cela.

Enfin, soyons pragmatiques – certains diront terre à terre – compte tenu de l’importance des objectifs à atteindre : le projet de loi ne précise pas quelles compensations financières seront accordées aux personnes ou aux sociétés privés, voire publiques, que la loi obligera à installer un système de vidéosurveillance. Je me permets de vous rappeler que cette compensation financière est une exigence du Conseil constitutionnel, qui précise dans sa décision 2000-441 du 28 décembre 2000 que le concours apporté à la sauvegarde de l’ordre public dans l’intérêt général de la population ne saurait, en raison de sa nature, incomber directement aux opérateurs. Cette décision concernant les opérateurs de réseaux de télécommunications s’appliquera, aux dires de certains juristes, à ceux que les représentants de l’État auront obligés à mettre en place un système de vidéosurveillance.

L’autre point, et il est important, concerne la durée de la garde à vue. Il est vrai qu’aux yeux de nos concitoyens, la garde à vue apparaît comme une nécessité, en cela qu’elle permet aux policiers et aux gendarmes de faire convenablement leur travail, à savoir obtenir des éléments judiciaires permettant d’alimenter le dossier qui conduira un présumé coupable devant le juge, ou qui permettra au gardé à vue de sortir libre s’il est innocent.

Il semble assez curieux que, dans le pays des droits de l’homme, l’on admette aussi facilement, même si j’en conçois la nécessité, que quelqu’un puisse être placé hors du temps et privé de ses libertés fondamentales, même quelques heures, simplement parce qu’un fonctionnaire de police ou un gendarme, certes après en avoir avisé un magistrat, en a décidé ainsi !

En cas de flagrance de crimes ou de délits, j’admets une prolongation si elle est utile, et seulement dans ce cas-là. Mais dans tous les autres cas, l’enquêteur doit travailler sous l’autorité réelle du juge. Nous avons déjà assuré la prolongation de la garde à vue dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme, le trafic de drogue et le terrorisme, point n’est besoin d’en rajouter !

La proposition de la commission des lois me semble satisfaisante, tous les spécialistes que nous avons rencontrés, et pas seulement à l’occasion du débat sur le terrorisme, nous ayant assuré qu’un bon policier ou un bon gendarme étaient capables de faire leur travail de recherche dans le délai qui est imparti aujourd’hui. Le prolonger relèverait, comme me l’ont dit certains, du confort – je leur laisse la responsabilité de cette appréciation.

Si vous ne voulez pas, mes chers collègues, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, d’une simple loi d’affichage, d’une loi pour se faire plaisir, mais d’un texte qui nous permettra de lutter contre un grave danger, tout en respectant un juste équilibre entre sûreté et liberté, évitons tous les amalgames qui portent préjudice à notre cohésion nationale. Faisons attention à ne pas supprimer, petit à petit, les garde-fous qui ont été mis en place pour prévenir les usages attentatoires à nos libertés fondamentales, dont nous sommes tous ici – dont nous devons tous être – les garants !

De la discussion qui va suivre, mes chers collègues, dépendra le positionnement final du groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Léonard. Soit !

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi vise à prévenir et à lutter contre le terrorisme : le groupe UDF partage les objectifs du Gouvernement.

Ce texte contient des mesures propres à prévenir les actes terroristes et à assurer la sécurité des biens et des personnes. Mais le recours à la vidéosurveillance, le contrôle des déplacements, des échanges téléphoniques et électroniques, le traitement automatisé des données à caractère personnel, l’utilisation des systèmes de surveillance automatique des véhicules ne sont pas, vous le savez, sans conséquence sur les libertés individuelles.

En ce qui concerne l’application des dispositifs, il convient de concilier sécurité, prévention et respect des libertés individuelles. Seriez-vous prêt, monsieur le ministre, à soumettre l’application de ces mesures, et plus généralement l’action des services de renseignement, à un contrôle parlementaire ? Le groupe UDF vous le suggère.

De New York à Madrid, de Londres à Amman, c’est l’État de droit qui a été visé.

La lutte contre le terrorisme dans le respect de la légalité nationale et dans le respect des droits de l’homme est une exigence suprême.

Si la première des libertés, le premier des droits et des devoirs est le respect de la vie, le fait de lui porter atteinte sous les formes les plus intolérables doit être traité avec fermeté, mais aussi avec humanité et dignité.

Le terrorisme est un défi au monde entier. Des réseaux terroristes se constituent à travers le monde, généralement dans des pays qui n’ont pas la volonté de lutter contre la criminalité organisée. Le terrorisme, on le sait, se développe sur le terreau de la pauvreté et de la frustration dans des pays où sont alimentés des sentiments anti-occidentaux et anti-américains.

Les actes terroristes sont des crimes qui violent le droit le plus fondamental de l’homme qu’est le droit à la vie, et qui souvent s’attaquent lâchement à des populations civiles.

Il est nécessaire de donner à la lutte contre le terrorisme une dimension internationale, car seule une coopération avec tous les pays concernés sera le gage d’une plus grande efficacité. En effet, le terrorisme ne connaît pas les frontières : c’est un problème international, pour lequel il faut trouver des solutions internationales, sur la base d’une approche politique globale.

La nation doit montrer – et c’est le but du projet de loi – qu’elle ne capitulera pas devant le terrorisme et qu’elle défendra plus vigoureusement à l’avenir les valeurs démocratiques, l’État de droit, les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

C’est sur ce point, monsieur le ministre d’État, que le projet de loi dont nous sommes saisis donne lieu à discussion. Nous ne devons en aucun cas, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, accepter le recul de valeurs auxquelles nous sommes tous attachés : la liberté fondamentale d’aller et venir, la garantie pour tous d’un jugement équitable, la préservation de la présomption d’innocence et le droit à l’accès de la défense.

C’est pourquoi mon propos s’attachera à évoquer successivement le problème du financement du terrorisme, le cadre légal de cette lutte et, enfin, la nécessaire coopération internationale.

En ce qui concerne la lutte contre le financement du terrorisme, il est nécessaire d’éliminer les soutiens dont il bénéficie et surtout le priver de toute source de financement : c’est l’élément essentiel de la prévention.

L’Union européenne et le Conseil de l’Europe, en janvier et en septembre derniers, ont réactualisé la convention et la directive de lutte contre le blanchiment de l’argent des trafics en y incluant la lutte contre le financement du terrorisme. Sur les recommandations du GAFI, ils ont élaboré des règles nouvelles visant à assurer la traçabilité des mouvements financiers. Dois-je rappeler que le recyclage de l’argent des activités criminelles, de la drogue, des trafics d’immigration clandestine, du travail clandestin, et l’affectation de sommes pour la préparation d’actes terroristes représentent des sommes considérables ?

Il est d’ailleurs inacceptable qu’aujourd’hui encore des pays membres de l’Union européenne tolèrent en leur sein des centres off-shore, des paradis fiscaux ou des sociétés écrans servant à blanchir l’argent d’organisations qui prospèrent grâce à des activités criminelles.

La difficulté de la lutte en ce domaine vient de ce que des sommes d’origine licite peuvent être désormais utilisées à des fins terroristes, alors que dans une opération de blanchiment classique, c’est le produit d’activités criminelles qui est recyclé.

Monsieur le ministre d’État, en matière de lutte contre la criminalité organisée, vous avez eu le souci de coordonner les actions des différents services de l’État chargés de la sécurité, et le bilan des GIR – groupements d’intervention régionaux – est flatteur. En ce qui concerne le financement des actes terroristes, ne faut-il pas aller plus loin que les institutions déjà existantes et accroître notre efficacité au niveau international ? J’ai noté avec satisfaction le gel des fonds terroristes : c’est une première étape importante.

Le groupe UDF vous demande, monsieur le ministre, de faire ratifier rapidement par le Parlement la convention du Conseil de l’Europe relative à la prévention et au financement du terrorisme de mai 2005 et la directive de septembre 2005. Ce serait un signe fort de la France à ses partenaires.

J’en viens au cadre légal de la lutte contre le terrorisme. Il ne peut y avoir d’autres dispositions que celles prises dans le respect et l’attachement aux valeurs démocratiques, aux idéaux auxquels s’attaquent les terroristes.

Certes, il est tentant, au regard de l’horreur et de la gravité des actes, d’exiger une répression sans limite, mais c’est la grandeur de l’État de droit que de garantir un jugement et un traitement équitables.

Les images du camp de Guantanamo, les révélations récentes sur l’existence de camps sur le territoire européen ne peuvent être tolérées. Sous l’égide du Conseil de l’Europe, les démocraties ont préconisé un certain nombre de mesures afin de lutter contre le terrorisme, tout en respectant les droits de l’homme.

L’action internationale contre le terrorisme ne sera efficace qu’avec la coopération de tous les gouvernements. Pas plus ce qui se passe en Angleterre concernant la durée des gardes à vue que ce qui se passe dans d’autres pays en matière de restriction des libertés n’est transposable dans notre pays. Sur ce point, le projet de loi que vous nous présentez est équilibré.

Comment, en effet, retenir la qualification juridique d’actes préparatoires à une action terroriste si leur définition n’est pas parfaitement encadrée ? Sinon, les risques d’abus sont considérables. Il ne sert à rien de communiquer sur l’arrestation de certaines personnes si c’est pour les relâcher quelques jours plus tard, sous prétexte que les accusations n’ont pu être réellement établies – il est de mon devoir de le dire à cette tribune.

Concernant la durée de la garde à vue et le rôle du juge des libertés à l’issue de celle-ci, nous veillerons à assurer la présence effective de l’avocat et à garantir la présomption d’innocence.

Dans la lutte contre le terrorisme, l’État doit s’interdire les procédures arbitraires, les traitements discriminatoires ou racistes et le recours à la torture. Il doit respecter les garanties juridiques encadrant l’arrestation, la garde à vue et la détention provisoire, garantir à chacun le droit à un procès équitable et, enfin, s’interdire d’extrader une personne vers un pays où elle risque une condamnation à mort. D’une manière plus générale, l’État doit veiller au respect de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’inspirent des conventions du Conseil de l’Europe et des Nations unies.

Nous souhaitons, pour notre part, que la consultation de fichiers, de données électroniques soit motivée et qu’elle se fasse sous le contrôle de la Commission nationale des interceptions de sécurité.

J’évoquerai enfin la nécessaire coopération internationale.

Il doit y avoir une action concertée entre les actions des ministères de l'intérieur, de la défense et de la justice pour lutter contre le terrorisme, mais aussi, au-delà des frontières, un lien étroit avec les autres pays d'Europe. Car monsieur le ministre d’État, c'est d'un véritable espace judiciaire européen, d'un espace de sécurité commune dont nous avons besoin pour lutter efficacement contre le terrorisme. Comment être réellement efficace lorsque les infractions, les actes préparatoires aux actions terroristes ne sont pas définis de la même façon d'un pays à l'autre ? Lorsque les juges se heurtent à des commissions rogatoires sans lendemain ? Lorsque le secret bancaire est opposé en matière de lutte contre le financement du terrorisme ?

C'est aussi de la réponse à ces questions essentielles que dépendra l'efficacité du texte qui nous réunit aujourd'hui.

Jamais dans notre pays le besoin de sécurité n'a été aussi grand, jamais le monde de la démocratie et du droit n'a été si violemment attaqué, vous l’avez rappelé, et jamais les populations civiles n'ont été aussi cruellement meurtries qu'au cours de ces derniers mois.

Dans ses objectifs, votre projet de loi réunira, j'en suis certain, une majorité d'entre nous, prête à admettre la légalisation, la mise en place de mesures qui, je l’espère, veilleront à prévenir les actes terroristes.

Pour autant, monsieur le ministre d'État, n'y voyez pas une confiance aveugle. Au contraire, le consensus et le soutien dont vous allez bénéficier pour l’adoption de ce texte vous obligent et nous obligent.

Au-delà des mesures prévues dans ce projet, une lutte sans merci contre les causes du terrorisme – la haine, l'ignorance, la pauvreté, l'incompréhension – doit être engagée, car l’on sait que c'est sur ce terreau-là que se recrutent les terroristes.

À deux reprises, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a élaboré des recommandations rappelant l'ardente nécessité de lutter contre le terrorisme en respectant les droits de l'Homme. Elle préconise aussi que, sous le prétexte de lutter contre le terrorisme, il n'y ait pas un recul des libertés les plus essentielles et nous invite, au-delà, à nous attacher aux causes même sur lesquelles prospère le terrorisme. Cette lutte ne doit justifier ni les juridictions d'exception, ni l'affaiblissement de la présomption d'innocence et des droits de la défense.

Il faut, au contraire, encourager l'entente, la tolérance, le respect, l'éducation. Le comité des ministres du Conseil de l'Europe, dans sa résolution du 30 septembre 2005 intitulée « Combattre le terrorisme par la culture », a voulu mettre en œuvre un programme d'éducation aux droits de l'Homme et au dialogue interculturel, destiné à la jeunesse et fondé sur la promotion de la coopération interreligieuse et le respect de la différence culturelle. Nous devons aussi donner une telle dimension si l’on veut prévenir le terrorisme !

Dans vos propos introductifs, monsieur le ministre d’État, vous avez cité le mot « islam ». Je connais votre attachement personnel à la défense de la laïcité et, au-delà, au respect de toute appartenance religieuse et croyance. À mon tour, je vous demande avec force de veiller à ce qu’il n’y ait aucun amalgame. La lutte contre le terrorisme exige la sérénité, mais aussi le respect de l’autre, en définitive, le respect de l’homme !

Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

M. Michel Hunault. Car lutter contre le terrorisme, c’est choisir notre camp, celui de la justice, de la fraternité, de la paix. Ce qui nous rassemble ce soir dans cet hémicycle, c’est aussi un certain combat pour l’humanité où l’homme est la valeur suprême.

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait ! C’est bien !

M. Michel Hunault. C'est face aux défis et aux menaces – que vous avez rappelés tout à l’heure dans vos propos devant la représentation nationale, monsieur le ministre d'État – que je voudrais, pour terminer, saluer votre action et vous dire combien le groupe Union pour la démocratie française sera vigilant afin que l'État de droit soit, quelle que soit la gravité des menaces, préservé et garanti en toutes circonstances.

Jamais, peut-être, la mission d'assurer la sécurité des biens et des personnes dans notre pays n'a été aussi difficile. Face aux menaces terroristes, la nécessaire union sur les objectifs doit nous rassembler. Pour autant, c'est la grandeur du Parlement, berceau de la démocratie, de veiller au respect des libertés individuelles et de l'État de droit. Nous ne sommes, ne l’oublions jamais, que les dépositaires d’un idéal qui s’est forgé au fil des siècles et qui doit continuer à guider notre action.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre d'État, permettez-moi, dans cette brève intervention, de saluer tout d'abord la cohérence et la continuité de vos efforts sur ce grave sujet qu'est la lutte contre le terrorisme et le renforcement du dispositif destiné à prévenir les atteintes à la sécurité et à la vie de nos concitoyens. Après la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, le présent projet de loi introduit de nouvelles avancées afin de pallier certaines lacunes de notre droit, à la lumière, hélas ! des attentats récents, notamment à Londres l’été dernier.

Qu'il s'agisse en effet de la réglementation de la vidéosurveillance – instrument utile appelé à se développer, mais qui doit être encadré par l’État –, de l'indispensable renforcement des contrôles aux frontières, de la conservation d’un certain nombre de données – relatives aux connexions par téléphone, par exemple – ou encore du gel des avoirs financiers détenus par des ressortissants communautaires dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme, les mesures qui nous sont aujourd'hui proposées par le présent projet de loi vont, à l'évidence, dans la bonne direction et méritent, à mon sens, un soutien unanime de l'ensemble des députés au sein de cette assemblée.

Mes chers collègues, la problématique de la lutte contre le terrorisme soulève, dans une démocratie comme la nôtre, attachée au respect des règles de l'État de droit, un certain nombre de questions de fond, qu'il importe d'avoir présentes à l'esprit dès lors que l'on est amené à légiférer sur ce sujet.

La question fondamentale est de savoir jusqu'à quel point une démocratie peut, dans le but légitime de protéger ses citoyens, limiter, voire suspendre certaines des libertés fondamentales constitutives de son identité démocratique ? Car si l'on va trop loin dans ces limitations ou ces suspensions des libertés, ne risque-t-on pas, ce faisant, de pervertir le cœur même de la démocratie et de faire en définitive triompher nos ennemis, c'est-à-dire les terroristes, qui visent précisément à détruire la démocratie ? Il y a donc là un équilibre délicat à trouver entre la nécessité de défendre la démocratie – et le premier des droits de l’homme, celui du droit à la vie – et le souci de ne pas pervertir l’âme de celle-ci.

Cette question est d'autant plus difficile que l'avènement du terrorisme de masse djihadiste depuis le 11 septembre 2001 a fait basculer le monde dans une ère radicalement nouvelle par rapport aux vagues terroristes successives que l'Europe a connues dans les années 70 et 80 notamment. Les terroristes basques, irlandais, kurdes, palestiniens, tout comme les terroristes d'extrême gauche de la Rote Armee Fraktion, des Brigades rouges ou d'Action directe, avaient ceci en commun de viser des objectifs politiques précis et limités, avec des revendications nationales ou idéologiques. Il s'agissait alors de terroriser la population par des actions ciblées, mais spectaculaires, pour faire plier le gouvernement en place, de sorte que ce terrorisme-là était une forme – je le concède, bien particulière – de négociation engagée avec les autorités politiques en place.

À l’opposé, mes chers collègues, la violence de masse contre les populations civiles, commanditée par les métastases du cancer d'Al-Qaïda, ne recherche au contraire nulle négociation : son but avéré, comme l’a justement exprimé notre rapporteur, Alain Marsaud, est de faire basculer le monde dans une guerre globale entre les tenants de l'islamisme radical et l'Occident, auquel les réseaux d'Al-Qaïda assimilent les régimes arabo-musulmans modérés, également visés.

Qu'on le veuille ou non, ces mouvements-là ont bel et bien déclaré la guerre aux démocraties. Ces mouvements-là, nous le savons par leurs propres textes, cherchent à acquérir des armes de destruction massive et, tôt ou tard, la courbe de la prolifération de ces armes rencontrera celle du terrorisme. C'est en ce sens-là que l'on doit parler d'une situation de guerre, une guerre radicalement différente de toutes celles que nous avons connues au cours des siècles écoulés, une guerre sans États ni uniformes, mais une guerre tout aussi cruelle. Tout le dilemme des démocraties, confrontées à ce péril, consiste, comme nous le faisons en France, à conserver pour l'essentiel les normes du temps de paix en matière de libertés publiques, sans pour autant baisser la garde face à ceux qui sont déterminés à nous détruire.

Ce dilemme est rendu plus complexe du fait des contraintes nées de la mondialisation, de l'irruption des nouvelles technologies de l'information et de la communication et, bien sûr, de l'imbrication des États dans la construction européenne. Comment, par exemple, contrôler les transmissions de données sur la Toile ? Comment légiférer, brouiller, contrôler ou interdire des télévisions appartenant ou liées à des groupes terroristes – sujet sur lequel j'ai beaucoup travaillé l’an dernier à propos de la chaîne Al Manar ? Comment légiférer contre l'immigration, les transferts de capitaux, le trafic de drogue ? On peut, par exemple, se demander si le système actuel de lutte contre les trafics et le blanchiment d'argent, avec le GAFI, est adapté à la lutte contre le terrorisme, alors que, nous le savons, le terrorisme est financé soit par des fondations « charitables »  basées au Moyen-Orient, soit par des opérations de droit commun locales.

Certaines grandes démocraties occidentales alliées de la France ont choisi la logique de guerre. C'est notamment le cas des États-Unis après le 11 septembre, le président Bush ayant déclaré publiquement la guerre au terrorisme, avec les conséquences que l'on sait, non seulement en Afghanistan, puis en Irak, mais également à l'intérieur. C'est ainsi que l'on a vu justifier outre-atlantique le recours à la torture, le refus d'appliquer la convention de Genève sur les prisonniers de guerre et la détention à Guantanamo ou ailleurs de prisonniers capturés en Irak ou en Afghanistan, échappant au droit national et donc aux droits de la défense.

Ces dérives ont entraîné des réactions, notamment de la part du Congrès des États-Unis, qui sont à l'honneur de ce pays. Les sénateurs américains ont, le mois dernier, soutenu massivement un amendement proposé par John McCain, lui-même ancien prisonnier de guerre au Vietnam, visant à préciser les techniques d'interrogatoire autorisées et à prohiber expressément l'usage de la torture et de toute forme de traitement cruel. Plus récemment, au Royaume-Uni, le Parlement a refusé d'étendre à 90 jours, comme le souhaitait le gouvernement Blair, la durée de la garde à vue pour les suspects de terrorisme, et s’est contenté de la porter de 14 à 28 jours.

Dans ces conditions, monsieur le ministre d'État, et malgré la menace terroriste réelle – que vous connaissez mieux que personne – qui pèse aujourd'hui sur notre pays, vous avez choisi, et cela mérite d'être soutenu sur l'ensemble des bancs de notre assemblée, d'inscrire les mesures de police administrative que vous nous proposez dans le strict respect des libertés publiques fondamentales dans notre pays. Loin d'être un texte « liberticide », comme je l’ai entendu dire ici ou là, votre projet se borne à prévoir des mesures de bon sens, strictement encadrées par le droit. Il en va ainsi, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, du développement du recours à la vidéosurveillance, du renforcement des contrôles aux frontières, de la définition des dispositions relatives au traitement automatisé de données à caractère personnel et de l'encadrement de l'accès aux fichiers administratifs des personnes physiques ou des véhicules, du renforcement du dispositif pénal sanctionnant l'association de malfaiteurs terroristes et, enfin, de l'introduction d'un dispositif de gel des avoirs des personnes physiques ou morales, dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme.

C’est donc une approche médiane, et je tenais à le souligner de nouveau.

Je voudrais, pour finir, soulever trois points.

Premièrement, la situation à Paris.

Monsieur le ministre d'État, vous comprendrez aisément que je soulève cette question à la fois en tant qu'élu parisien, mais surtout en tant qu'élu du quartier Gare Saint Lazare - grands magasins - Champs-Élysées, une zone à forte concentration humaine, ce qui en fait une cible privilégiée pour les terroristes. Le débat qui nous réunit aujourd'hui est l'occasion de revenir sur la fameuse loi « Paris-Lyon-Marseille ». Nous savons quel est le poids de l'histoire dans cette affaire. Le problème est que cette loi, résultat des flambées révolutionnaires de la Commune de Paris, comme de la méfiance historique des rois de France à l'égard des habitants de la capitale, n'a rien à voir avec la situation que nous connaissons aujourd'hui. Et dans le contexte tumultueux et difficile de ce début de XXIe siècle, il me paraît difficile de considérer que le maire de Paris doit se satisfaire de demeurer sur la touche, en voyeur impuissant, alors que pèse sur la population parisienne un risque mortel.

Pour avoir visité New York à de nombreuses reprises et parlé aux autorités municipales, je suis frappé par la préoccupation de ces autorités et par l'attention qu'elles accordent aux questions de sécurité. Sans vouloir calquer à l'excès notre système sur le système fédéral américain, il me paraît indispensable que le maire de Paris, élu par les Parisiens, soit enfin pleinement associé aux affaires de police dans la capitale, dûment associé à la prévention, mais aussi au dispositif de secours et de défense civile. En un mot, le premier élu de la capitale doit pouvoir être une force d'animation et d’impulsion en matière de lutte contre le terrorisme. Cela suppose une abrogation ou une adaptation de la fameuse loi PLM, afin de renforcer la démocratie, la responsabilisation et la mobilisation citoyennes des habitants. C'est le sens d’un amendement que j'ai déposé.

J’ai conscience que ce débat, que j’espère ouvrir, pose problème dans la mesure où, précisément, le terrorisme exige une action régalienne fortement coordonnée par les services spécialisés de l’État. Mais ce débat mérite d’être ouvert.

Deuxièmement, je crois qu'il est normal, toujours dans le même souci de débat et de contrôle démocratiques, que le Parlement soit directement associé aux opérations de contrôle et à l'action de nos services de renseignement. Sur ce point, j’ai déposé un amendement parallèle à celui de notre rapporteur et je rejoins totalement ce qui vient d’être dit, notamment par notre collègue Hunault

Enfin, je voudrais parler des victimes, qui souhaitent trois choses.

Elles veulent d’abord être reconnues. La loi de 1991 leur accorde le statut de « victime civile de guerre », ce qui montre bien que la situation que nous avons à traiter ici n’a rien à voir avec celle du temps de paix. Cependant, force est de constater − et de déplorer − que, chez nous, les victimes du terrorisme, toutes ces vies brisées ou marquées à jamais, ne suscitent que très peu d’attention ou de compassion de la part des médias ou des pouvoirs publics, beaucoup moins en tout cas que les victimes de guerres étrangères ou de catastrophes naturelles. Il y a là, me semble-t-il, quelque chose de choquant, et je serais heureux, monsieur le ministre d’État, de connaître votre sentiment sur cette question, comme sur les mesures que le Gouvernement pourrait envisager pour veiller à un meilleur accompagnement des victimes.

Celles-ci veulent ensuite que la justice soit rendue. La loi de 1990 leur permet de se constituer partie civile dans les procès pénaux, afin d’aider à ce que les coupables soient punis des peines prévues par la loi. Cela concerne les auteurs des actes de terrorisme, mais aussi leurs commanditaires et leurs financiers, qui doivent pouvoir être jugés quel que soit leur niveau de responsabilité dans la hiérarchie d’un État étranger. On ne peut que regretter que, en l’état actuel de la jurisprudence française, nos tribunaux s’interdisent de mettre en jeu la responsabilité pénale internationale des chefs d’État étrangers, en raison de ce que le Quai d’Orsay appelle leur immunité « traditionnelle ». Curieuse frilosité diplomatico-juridique ! Il me semble au contraire essentiel de faire reculer l’impunité, là comme ailleurs. La solution pourrait être d’étendre la compétence de la Cour pénale internationale. Je serais également heureux, monsieur le ministre d’État, de connaître votre sentiment à cet égard.

Enfin, les victimes veulent pouvoir être indemnisées. La loi du 6 juillet 1990 a institué un fonds de garantie financé par la solidarité nationale : il s’agit d’une contribution forfaitaire de 3,30 euros prélevée sur chaque contrat d’assurance souscrit dans notre pays. Il conviendrait cependant de veiller au respect de l’équité afin que les ayants droit étrangers puissent être indemnisés en toutes circonstances, mais je crois que mon collègue Alain Marsaud a défendu, en commission des lois, un amendement qui va dans ce sens et que, naturellement, je soutiens sans réserve.

Au-delà, je souhaiterais soulever, comme M. Marsaud tout à l’heure, le problème des risques d’attentats majeurs, ceux qui pourraient faire un grand nombre de victimes. Dans cette éventualité, le système ne risquerait-il pas d’être saturé ? À défaut d’une réponse immédiate, il serait bon, à tout le moins, que la question soit posée. Je relève à cet égard que la résolution 1566 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 8 octobre 2004, prévoyait, dans ses paragraphes 9 et 10, la création d’un groupe de travail composé de membres du Conseil de sécurité et chargé « d’étudier la possibilité d’un fonds international d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et des membres de leur famille, pouvant être financé par des contributions volontaires et dont les ressources proviendraient en partie des avoirs confisqués aux organisations terroristes, à leurs membres et à leurs commanditaires ». À ma connaissance, ce groupe de travail n’a toujours pas vu le jour. Je souhaiterais, là aussi, monsieur le ministre d’État, connaître les intentions du Gouvernement.

Au total, vous l’aurez compris, monsieur le ministre d’État, je veux vous assurer de mon soutien plein et entier pour l’ensemble de votre action et, plus spécifiquement, dans le cadre de la discussion du présent projet de loi. Une course de vitesse est engagée entre les terroristes et la puissance publique qui a la responsabilité de protéger nos concitoyens. Les Français ne comprendraient pas que nous tardions à prendre les mesures qui s’imposent. Je vous remercie, monsieur le ministre, de la détermination, de l’énergie et de la lucidité avec lesquelles vous apportez ces réponses. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Saisine pour avis d’une commission

M. le président. J’informe l’Assemblée que la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République a décidé de se saisir pour avis des articles 4, 6, 9 à 19 et 22 du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux offres publiques d’acquisition.

Ordre du jour
de LA prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 :

Rapport, n° 2683, de M. Jean-Pierre Door.

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2615, relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers :

Rapport, n° 2681, de M. Alain Marsaud, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)