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N°1018 (1ère partie)

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juillet 2003

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et l'évaluation de leur efficacité

Président
M. Edouard LANDRAIN,

Rapporteur
M. Christophe PRIOU,
Députés
.
--

TOME I

RAPPORT

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Transports par eau.

La commission d'enquête sur l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et l'évaluation de leur efficacité, est composée de : M. Edouard LANDRAIN, Président ; MM. Jean-Pierre DUFAU et Jean LASSALLE, Vices-Présidents ; MM. Bernard DEFLESSELLES et Daniel PAUL, Secrétaires ; M. Christophe PRIOU, Rapporteur ; MM. Jean-Yves BESSELAT, Maxime BONO, Gilles COCQUEMPOT, Jean-Pierre DECOOL, Michel DELEBARRE, Léonce DEPREZ, Éric DIARD, Mme Marie-Hélène des ESGAULX, MM. Jean GRENET, Louis GUÉDON, Michel HUNAULT, Christian JEANJEAN, Aimé KERGUERIS, Mme Marguerite LAMOUR, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Jean-Yves Le DRIAN, Jacques LE GUEN, Jean-Louis LÉONARD, Claude LETEURTRE, Christophe MASSE, Didier QUENTIN, Mme Hélène TANGUY, MM. Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Alain VIDALIES.

S O M M A I R E

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Pages

INTRODUCTION 99

première partie : Le naufrage du Prestige et la pollution des cÔtes espagnoles et françaises : le retour de l'inadmissible, trois ans après l'Erika 1515

I.- Les faits incontestables du naufrage : de fortes similitudes avec l'Erika, mais une différence essentielle dans les conditions de la gestion de crise 1515

A.- Deux navires anciens transportant du fioul lourd et confrontés à des conditions météorologiques très défavorables 1515

1.- Des navires âgés à simple coque 1515

2.- Le transport d'un produit spécifique : le fioul lourd 1717

3.- Une situation météorologique très dégradée 1818

B.- La multiplicité d'acteurs aux responsabilités diluées 1919

1.- L'Etat du pavillon : un registre de libre immatriculation 1919

2.- Un armateur difficile à identifier 1919

3.- L'affréteur : une différence significative avec l'Erika 2020

4.- La société de classification : des acteurs reconnus au plan mondial, mais qui ne sont pas irréprochables 2121

C.- le Prestige : Un sinistre dont la gestion a été assumée uniquement par l'Espagne, mais dont les conséquences ont affecté plusieurs Etats 2222

II.- Des analyses divergentes de l'accident 2525

A.- L'auto-disculpation de l'état du pavillon 2525

B.-  la position très « mesurée » des sociétés de classification (abs et IACS ) 2626

C.- L'analyse du BEA-mer : un navire ayant subi trop de réparations, peu adapté au transport de fioul lourd 2828

D.- Le rapport de l'administration espagnole : tout a été fait... 3030

III.- Les difficultés rencontrées en Espagne 3232

A.- l'éloignement du navire : une décision contestée 3232

B.- les difficultés rencontrées dans la lutte contre la pollution 3636

C.- La répartition des compétences entre les autorités 3737

D.- La sécurisation définitive de l'épave : une opération complexe et incertaine 3939

E.- Le problème de l'enquête judiciaire, lié à celui de l'indemnisation des dommages 4040

IV.- Une gestion de la crise par l'administration française sensiblement améliorée 4343

A.- La réponse française en mer : une action forte, le choix de solutions opérationnelles nouvelles 4343

1.- L'utilité reconnue de la lutte en mer 4343

2.- Une action maritime forte, menée en coopération avec des moyens internationaux 4444

3.- Le recours au soutien des marins pêcheurs 4747

4.- L'utilité très relative des barrages 4949

b.- l'action à terre : une coordination renforcée, le choix de la mécanisation 5151

1.- Des améliorations indéniables dans la coordination des opérations 5151

2.- Une mise en œuvre efficace du nettoyage des côtes, malgré des débuts difficiles 5858

3.- Une meilleure gestion de la communication 6868

4.- Un remboursement très accéléré des avances des collectivités locales 7070

5.- La problématique de la sortie du plan POLMAR-terre : le problème de l'incertitude, la nécessité de moyens financiers supplémentaires 7272

C.- Des circonstances particulières d'arrivée des pollutions, une situation encore évolutive pour les plages françaises ? 7878

1.- Une crise à la fois plus aisée et plus difficile à traiter que celle de l'Erika 7878

2.- Quelles perspectives pour les littoraux français ? 8181

V.- l'opinion publique et l'économie locale : le sentiment de l'inacceptable 8383

A.- La légitime indignation des populations 8383

B.- Une économie locale frappée de plein fouet 8484

C.- Une indemnisation du FIPOL très faible 8686

VI.- FAUT-IL VRAIMENT Relativiser les catastrophes successives par la diminution globale de la sinistralité maritime ? 8787

A.- L'augmentation continue du transport maritime international 8888

B.- Une baisse marquée du nombre d'accidents à partir des années 1980 8989

C.- La diminution de la fréquence des pollutions, en termes statistiques, ne saurait justifier un quelconque attentisme 9090

deuxième partie : Des évolutions réelles, malgré une apparence d'immobilisme

I.- Depuis l'Erika : des avancées significatives, mais qui n'ont pu toutes être pleinement mises en oeuvre

A .- Au plan national

1 .- Les règles et l'organisation

2.- Les problèmes de contrôle des navires

3 .- Une meilleure connaissance du trafic maritime

4.- Un code de déontologie pour le transport des produits pétroliers

B.- Le renforcement de la coopération bilatérale et multilatérale

1.- Des accords bilatéraux et multilatéraux couvrant l'ensemble des façades maritimes françaises, dès avant l'Erika

2.- D'opportunes avancées décidées en Méditerranée et en Manche depuis l'Erika

C.- Au plan communautaire : un « Oil Pollution Act » européen ?

1.- La référence incontournable à l'exemple américain ?

2.- Les deux paquets Erika I et II

D.- L'OMI et les normes de sécurité maritime

1.- Les décisions de l'OMI, expressions d'un consensus

2.- Un contrôle défaillant de l'application des conventions

3.- Quelques exemples de normes négociées au sein de l'OMI

II.- Une forte accélération consécutive a la catastrophe du Prestige

A.- Au plan national : un sursaut particulièrement marqué

1.- Les mesures opérationnelles adoptées sous l'effet de la crise du Prestige

2.- L'évolution des règles

B.- Au plan communautaire : un réel dynamisme

1.- L'engagement d'actions concrètes nouvelles

2.- Des initiatives en vue d'une application accélérée des mesures Erika I et II

3.- L'adoption d'un calendrier de retrait des navires à simple coque plus rigoureux et l'interdiction du transport de fioul lourd dans des navires à simple coque

4.- Une proposition ambitieuse : l'instauration de sanctions pénales au niveau communautaire pour les pollutions maritimes issues de navires

5.- Le contrôle du niveau de formation des gens de mer, aux modalités de mise en œuvre complexes

6.- La volonté d'intervenir de manière plus déterminante au sein de l'OMI

c.- Au plan international : un rythme plus lent

1.- Les groupes de travail en cours

2.- La conférence diplomatique de l'OMI de mai 2003

troisième partie : Quelles perspectives souhaitables et réalistes ?

I.- Au plan national : maintenir la volonté politique

A.- EXIGER, à court terme, des améliorations et la consolidation des « bonnes pratiques » dans la gestion de la lutte contre la pollution

1.- Améliorer la coordination de l'action de l'Etat en mer : une action plus cohérente par une garde-côtes qui ne dirait pas son nom ?

2.- Accentuer le rôle de coordination au niveau de la zone de défense

3.- Préparer le littoral méditerranéen au risque d'une pollution majeure

4.- Le problème particulier du risque de pollution des eaux utilisées pour le refroidissement des centrales nucléaires en bord de mer

5.- Poursuivre les efforts de constitution des stocks de matériels POLMAR-terre

6.- Dégager des solutions opérationnelles à la problématique des lieux de refuge

B.- Inscrire la politique de sécurité maritime dans le temps et dans la réforme budgétaire

c.- Les déballastages et dégazages sauvages : sanctionner et surtout prévenir par le développement des capacités de traitement portuaire

1.- Développer la politique de prévention

2.- Renforcer la politique de répression, afin de dissuader les pollueurs

D.- Des efforts technologiques nécessaires à court ou a moyen terme

1.- A court terme : renouveler enfin les matériels trop anciens, et améliorer les connaissances en courantologie

2.- A moyen terme : mener les études préalables à des applications réelles

e.- Relancer le pavillon français

1.- Enrayer le déclin du pavillon français : un enjeu essentiel pour renforcer la sécurité maritime261261

2.- Mettre en œuvre des mesures ambitieuses pour restaurer l'attractivité du pavillon français

II.- Au plan communautaire : concrétiser les décisions prises, poursuivre les orientations retenues

A.- Sur le plan opérationnel : donner à l'europe les moyens opérationnels d'une ambition élevée

1.- Donner à l'Agence européenne les moyens d'accomplir ses missions premières et lui conférer de nouvelles attributions

2.- Organiser le retrait des navires à simple coque, en prévoyant des mesures de transition pour éviter la pénurie de moyens de transports277277

3.- Mobiliser les mécanismes d'assurances comme moyen de sélection des navires ?

b.- Sur le plan des orientations

1.- Prendre l'initiative d'une politique ambitieuse vis-à-vis des pays moins développés

2.- Parvenir à une convergence souhaitable et possible des positions des Etats membres actuels et nouveaux

3.- Faire de l'Union européenne une puissance maritime incontournable engagée en faveur de la sécurité

C.- vers la création de gardes-côtes européens ?

1.- Une transposition du système américain difficile à mettre en œuvre

2.- Vers une coordination accrue des Etats, autour de l'Agence européenne de sécurité maritime

III.- Au plan international : les besoins d'évolution plus marqués se heurtant a des obstacles plus importants

A.- Sécuriser le transport maritime, en particulier du fioul lourd

1.- Chercher les moyens de réduire la production et le transport maritime des fiouls lourds

2.- Appliquer et contrôler les dispositifs existants en matière de sécurité

3.- Anticiper le problème du vieillissement des navires à double coque

B.- Moderniser le droit maritime international

1.- Une évolutivité limitée par les divergences d'intérêts des Etats littoraux et des puissances maritimes

2.- La portée nécessairement limitée de tout dispositif purement régional, dans la configuration européenne

3.- Réformer le droit de la mer : une ambition à terme, qui suppose une volonté indéfectible dans la durée

quatrième partie : le régime international de responsabilité et d'indemnisation doit contribuer à améliorer la sécurité maritime

I.- Un système international de responsabilité et d'indemnisation limité à la pollution par les hydrocarbures

A.- La convention de 1992 sur la responsabilité civile doit etre améliorée

1.- Une conception restrictive du dommage par pollution et des navires concernés

2.- La responsabilité objective du propriétaire

3.- Une responsabilité strictement limitée

4.  La responsabilité canalisée sur le seul armateur et l'immunité pour l'ensemble des autres opérateurs de la chaîne maritime

5.- L'obligation de souscrire une assurance

b.- Le FIPOL assure une indemnisation très partielle des dommages de pollution

1.- Le FIPOL assure une indemnisation complémentaire de celle de l'assurance de l'armateur

2.- Une indemnisation plafonnée

3.- Un financement assuré exclusivement par les compagnies pétrolières

4.- Le problème lié à une définition trop restrictive des préjudices indemnisables

5.- Le bilan des dommages indemnisés par le FIPOL au titre du naufrage de l'Erika

II.- Confrontées a une pollution chimique, les victimes seraient aujourd'hui privées de toute indemnisation

A.- la lente gestation de la convention HNS

1.- La convention HNS applique des principes similaires aux conventions CLC et FIPOL

2.- Les professionnels, tout en convenant de la nécessité de prévoir un mécanisme d'indemnisation, jugent cette convention trop complexe

B.- La Commission européenne incite les etats membres à ratifier cette convention

III.- Responsabiliser l'ensemble des acteurs du transport maritime tout en améliorant les mécanismes d'indemnisation

A.- responsabliser les armateurs

1.- Relever et moduler les plafonds de responsabilité civile des armateurs

2.- Mettre en cause plus facilement la responsabilité civile de l'armateur en cas de faute caractérisée

B.- Moduler les contributions au FIPOL pour inciter les chargeurs à recourir à une flotte de qualité

C.- Impliquer les sociétés d'assurances pour une meilleure sécurité maritime

1.- Des compagnies d'assurances peu vigilantes quant à la sécurité des navires

2.- Comment les compagnies d'assurances peuvent contribuer à la sécurité maritime

D.- Ameliorer les mécanismes d'indemnisation du FIPOL

1.- Mobiliser les Etats membres de l'Union européenne pour ratifier le protocole créant un fonds complémentaire

2.- L'incompréhension suscitée par la décision du Comité exécutif du FIPOL au sujet des dommages du Prestige

3.- Rendre prioritaires les créances de subsistance et prévoir une procédure d'urgence

4.- Améliorer le caractère contradictoire des demandes d'indemnisation

5.- Une meilleure prise en compte des dommages écologiques

IV.- Un fonds d'indemnisation communautaire pour pallier LES carences des mécanismes d'indemnisation internationaux

A.- Un Fonds Communautaire pour suppléer LES carences du FIPOL ?

B.- La necessité de mobiliser les financements comMunautaires pour la réparation immédiate du littoral et la reconstitution du potentiel économique

CONCLUSIONS et préconisations

EXAMEN DU RAPPORT

EXPLICATIONS DE VOTE

Glossaire

ANNEXES

TOME II : AUDITIONS


 

INTRODUCTION

« Homme libre, toujours tu chériras la mer » : quoique galvaudé, ce vers de Baudelaire traduit bien la relation particulière entre l'espace de la mer, et l'idéal d'indépendance, l'exigence fondamentale de liberté, qui ont donné naissance à tant de vocations de marins.

Mais, aujourd'hui, le principe de la liberté des mers qui a prévalu pendant des siècles a été dénaturé par des pirates économiques, qui, pour quelques centaines de milliers de dollars de bénéfice, sont prêts à risquer sans vergogne des vies humaines sur des navires-poubelles, mais aussi à polluer des centaines, voire des milliers de kilomètres de littoral, fussent-ils parmi les plus beaux du monde, occasionnant des dommages dépassant le milliard d'euros, et exigeant des mois de travail pour une remise en état qui demeurera longtemps imparfaite.

« Plus jamais ça ! » : il y a trois ans, le naufrage de l'Erika paraissait, par la gravité de ses conséquences, devoir contraindre les pouvoirs publics à faire en sorte que l'inacceptable ne se reproduise pas, et que l'évitable soit évité. Car il n'y a pas de véritable fatalisme dans les pollutions maritimes, seulement l'accumulation de facteurs permissifs qui, accentués par une météo et une mer violentes dans des parages dangereux, finissent par conduire au désastre. Le même slogan est pourtant revenu, aujourd'hui en espagnol, plus fort encore peut-être, après le naufrage du Prestige.

Six mois après le choc d'une nouvelle marée noire, la mobilisation, nationale et internationale est encore forte. Mais, comme il y a trois ans, elle risque de s'atténuer rapidement, une fois la crise passée, les plages nettoyées, et l'urgence oubliée.

Il convenait, au contraire, pour éviter le renouvellement de telles situations intolérables par leur proximité dans le temps, leur ampleur, et le sentiment d'impuissance tolérée ressenti par les populations affectées, d'instituer de nouveau un instrument de suivi régulier, approfondi, effectué en toute indépendance par des représentants élus de la Nation.

En adoptant le 5 février 2003, trois ans et 15 jours après le vote de la création d'une Commission d'enquête sur l'Erika, le principe de la création d'une nouvelle Commission d'enquête sur la sécurité des transports maritimes, l'Assemblée nationale a choisi d'utiliser de nouveau le même instrument de contrôle parlementaire1, pour signifier son souhait d'analyser en détails, de la manière la plus solennelle, les suites qui avaient, ou surtout qui n'avaient pas été données aux recommandations faites en 2000. Justifiée dans le temps par le naufrage du Prestige et par ses conséquences, cette Commission devait cependant étendre son champ d'investigation à un niveau beaucoup plus large et peut-être anticiper une forme de contrôle et de suivi régulier dans le temps, s'appuyant notamment sur la démarche de la délégation à l'Union européenne pour le suivi permanent, sur la durée de la législature, des mesures communautaires (cf. annexe 1).

Aussi l'objectif de la Commission d'enquête a-t-il été élargi à l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et à l'évaluation de leur efficacité, au regard notamment d'une mise en œuvre malheureusement trop récente.

La nouvelle Commission d'enquête, dont une partie des membres appartenait déjà à la précédente, s'est vue, à cet égard, assigner par la résolution n°83 du 5 février 2003 une mission large :

« - évaluer l'efficacité des dispositifs existants en matière de sécurité maritime, de prévention des pollutions marines par les hydrocarbures et de lutte contre ces pollutions, notamment les conditions de déclenchement et la mise en œuvre des plans POLMAR-terre et mer ;

- examiner si les mesures préconisées de la Commission d'enquête du 5 juillet 2000 sur la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants ont bien été appliquées ou sont en passe de l'être (cf. annexe 1) ;

- apprécier l'état d'avancement de notre pays dans l'application des objectifs du « Paquet Erika I » et dans la transposition des directives européennes relatives au contrôle renforcé des navires à risque ;

- formuler des propositions concrètes pour mettre en place une politique de sécurité maritime ambitieuse à l'échelle nationale, européenne et internationale. »

Elle s'est donc attachée, comme la précédente Commission d'enquête, à ne pas centrer ses travaux uniquement sur le cas du naufrage qui a démontré la nécessité de lui donner naissance, mais, dans le respect des prescriptions de l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 qui lui interdisait de procéder à des investigations sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires en cours, à se fonder sur cette expérience singulièrement regrettable comme un nouveau banc d'essai. La crise du Prestige constitue en effet, malheureusement, une mise à l'épreuve, en grandeur réelle, des mesures normalement prévues pour éviter qu'un tel accident ne survienne, et, lorsqu'il est cependant survenu, des modalités de lutte à terre contre la pollution par les hydrocarbures lourds qui sont venus souiller les côtes.

A contrario, si, par construction, la Commission a entendu des intervenants pour partie identiques à ceux auditionnés par la précédente Commission sur l'Erika, elle a néanmoins cherché à éviter des redites avec celle-ci, sauf lorsque la répétition lui a paru avoir une valeur pédagogique.

Ainsi, après sa réunion constitutive le 26 février 2003, la Commission d'enquête a procédé à 27 auditions à l'Assemblée nationale, et a interrogé plusieurs ambassades pour obtenir des informations concernant les solutions mises en place, avec succès ou de manière moins fructueuse, par nos partenaires étrangers.

La Commission d'enquête a entendu, en premier lieu, le secrétaire d'Etat aux Transports et à la mer, M. Dominique Bussereau, lors d'une audition pour partie ouverte à la presse, et pour partie à huis clos. Toutes les autres auditions se sont tenues hors la présence de la presse, conformément à la décision initiale de la Commission. Ont notamment été auditionnés des représentants des administrations centrales compétentes et des services déconcentrés des différentes façades maritimes, des représentants de la société civile concernés par les questions intéressant la Commission, ainsi que de nombreux professionnels.

Par ailleurs, des délégations de la Commission, composées de trois à six membres de la majorité et de l'opposition, se sont déplacées en France et à l'étranger. Ces déplacements ont eu lieu sur les façades maritimes de l'Atlantique, (à Brest et dans les trois départements de la région Aquitaine concernés par la pollution due au Prestige), et de la Méditerranée (à Marseille et Toulon). A ces différentes occasions, ont été auditionnés tant les représentants des multiples administrations en charge de la gestion de la lutte contre la pollution en mer et à terre, que les représentants des collectivités locales, des marins pêcheurs ou encore des entreprises d'ostréiculture ou de tourisme victimes de dommages. Une délégation s'est également rendue à Nantes, auprès de l'école chargée de la formation des inspecteurs assurant le contrôle de sécurité des navires.

Enfin, une délégation de la Commission s'est rendue à Athènes, Etat membre de l'Union à l'influence prépondérante sur le transport maritime au niveau communautaire et mondial et, au premier semestre 2003, chargé de la présidence de l'Union européenne ; auprès du Parlement européen et des autorités de la Commission européenne à Bruxelles ; à Londres auprès des organisations internationales maritimes qui y ont leur siège et de l'Association internationale des sociétés de classification ; ainsi que, in fine, en Espagne, à Madrid et en Galice, sur les lieux du sinistre.

Il ressort de ces différents travaux que l'analyse sur l'origine du naufrage et la gestion du navire en mer, puis sur la gestion de la lutte contre la pollution en mer et à terre, appelait des commentaires approfondis. Ceux-ci apparaissent cependant globalement plus favorables que ceux résultant des travaux de la précédente Commission d'enquête, qui avaient relevé de nombreuses observations critiques, en particulier sur la coordination de la lutte contre la pollution, et sur la communication sur celle-ci (1ère Partie).

Par ailleurs, contrairement au sentiment répandu dans l'opinion publique, l'étude des suites données au cas de l'Erika montre combien l'effort consenti par les pouvoirs publics nationaux, mais aussi communautaires -pourtant souvent injustement mis en cause- et internationaux, a été important, en particulier au niveau des règles, mais également de l'organisation administrative et des moyens mobilisables (2ème Partie).

Pour autant, toutes ces mesures n'ont pas été prises à temps, ou n'ont pas été appliquées de manière suffisamment vigoureuse pour produire les effets qui en étaient attendus. Un certain nombre n'a finalement débouché qu'en raison du supplément de pression médiatique et de l'opinion publique résultant de l'accident du Prestige, qui a montré, à ceux qui l'auraient oublié, que rien, absolument rien, n'était vraiment réglé de manière définitive.

Par ailleurs, beaucoup de projets importants demeurent encore en attente, voire sont suspendus, sinon reportés sine die, généralement par pénurie de moyens. Certaines auditions des mêmes personnes, à trois ans d'intervalle, laissent d'ailleurs parfois le sentiment d'une véritable redite, qui n'aurait pas utilement trouvé d'écho.

Pourtant, l'obstacle financier constitue un motif d'inaction à courte vue, car, par rapport aux coûts financiers engendrés par une pollution massive, et compte tenu du risque de la perte de confiance des citoyens dans leurs autorités publiques incapables de faire face à leurs responsabilités régaliennes essentielles, la contrainte budgétaire paraît relative (3ème Partie).

En tout état de cause, la répétition, à trois ans d'intervalle, d'une tragédie environnementale particulièrement sévère doit inciter les pouvoirs publics à rechercher, à tous les niveaux, toutes les voies d'amélioration possibles, sans exclusive : il n'est aujourd'hui plus temps de tergiverser !

Enfin, la question de l'indemnisation, liée à la responsabilisation impérative des acteurs du transport maritime, et au comportement que l'on peut ou non attendre d'eux, a appelé un examen tout particulier. Il est en effet apparu singulièrement inadapté aux besoins, quantitativement comme qualitativement (4ème Partie). Le relèvement du plafond du FIPOL, récemment acquis à l'OMI, constitue certes une avancée, mais il n'épuise pas la question du fonctionnement du fonds, de la nécessité d'un fonds complémentaire, par exemple à l'échelle communautaire, et de l'indemnisation des dommages par pollution chimique, aujourd'hui inexistante.

En conséquence, la Commission a proposé, comme cela lui était demandé, une série de recommandations, dont certaines présentent un caractère opérationnel immédiat ou à court terme, et d'autres s'inscrivent dans une logique de long terme et de réforme de fond, qui doivent être d'autant moins écartés que leur mise en œuvre exigera une action de conviction, dans la durée.

L'opinion publique ne supportera plus un nouvel accident du même type que les deux récents, impliquant sur les côtes françaises des navires très âgés, à simple coque, transportant du fioul lourd.

Il convient donc à la fois de s'insérer dans une démarche pragmatique susceptible d'être rapidement mise en œuvre, mais aussi de chercher à supprimer les causes les plus profondes qui rendent de tels sinistres possibles, même si les remèdes qui pourront y être apportés (Conclusion et préconisations) demanderont, à l'évidence, autant de temps que de volonté politique, de puissance de conviction, de pugnacité et de continuité dans l'action.

PREMIÈRE PARTIE : LE NAUFRAGE DU PRESTIGE ET LA POLLUTION DES CÔTES ESPAGNOLES ET FRANÇAISES : LE RETOUR DE L'INADMISSIBLE, TROIS ANS APRÈS L'ERIKA

Amoco Cadiz, Exxon Valdez, Aegean Sea, Nakhodka, Baltic Carrier, Erika... A la litanie des déversements de fioul lourd survenus au cours des 20 dernières années, s'ajoute désormais celui du Prestige, pétrolier au nom particulièrement mal choisi, de 26 ans, qui transportait 77 000 tonnes d'hydrocarbures, au large de l'Espagne, dans le Golfe de Gascogne. Une nouvelle marée noire affecte ainsi les côtes françaises moins de trois ans après l'Erika et suscite la colère et l'indignation des populations touchées.

De surcroît, une fois encore, les Etats côtiers se trouvent confrontés à une pollution majeure sans avoir eu aucune possibilité d'intervenir en amont : le Prestige venait d'un port de Lettonie et se rendait sans doute en Asie du Sud-est, sans faire escale dans un port européen -dans lequel il aurait pu être contrôlé- mais en transitant au large des côtes européennes, où il a fait naufrage.

I.- LES FAITS INCONTESTABLES DU NAUFRAGE : DE FORTES SIMILITUDES AVEC L'ERIKA, MAIS UNE DIFFÉRENCE ESSENTIELLE DANS LES CONDITIONS DE LA GESTION DE CRISE

Le sinistre qui affecte l'Espagne, la France et, dans une moindre mesure, le Portugal, semble d'autant plus inacceptable qu'il présente beaucoup de points communs avec le naufrage de l'Erika.

A.- DEUX NAVIRES ANCIENS TRANSPORTANT DU FIOUL LOURD ET CONFRONTÉS À DES CONDITIONS MÉTÉOROLOGIQUES TRÈS DÉFAVORABLES

1.- Des navires âgés à simple coque

L'Erika comme le Prestige étaient deux navires anciens, construits respectivement en 1975 et 1976, qui avaient fait l'objet de nombreuses réparations. A titre d'exemple, pour le Prestige, 362 tonnes d'acier avaient été remplacées sur le chantier naval de Canton, en Chine, en 2001. Par ailleurs, il est apparu qu'à partir de 1991, les opérations ont systématiquement porté sur la zone milieu du navire, ce qui conduit à penser que celle-ci était fragilisée. De même, l'Erika avait été réparé à de multiples reprises, notamment pour remédier à la corrosion de sa partie haute.

Les navires étaient tous deux de type pré-MARPOL, c'est-à-dire à simple coque et ne disposant pas de citernes à ballast séparé, ce qui constituait un facteur de risque supplémentaire.

En effet, la convention internationale MARPOL (convention pour la prévention de la pollution par les navires) adoptée en 1973 a été modifiée en 1992 afin de renforcer la sécurité des navires. Elle prévoit que les pétroliers doivent désormais respecter des prescriptions de double coque et de double fonds, ou des dispositions équivalentes.

Les navires plus anciens ont dû être adaptés pour pouvoir continuer à naviguer. Ainsi, dans des bâtiments tels que le Prestige ou l'Erika, des citernes de cargaison ont été spécialement dévolues au ballast, mais étant conçues au départ pour le transport de produits pétroliers, leur revêtement n'était pas adapté à leur nouvel usage : c'est pourquoi elles étaient particulièrement exposées à la corrosion, ce qui constituait un facteur d'affaiblissement de la structure.

Au surplus, le Prestige était initialement conçu pour transporter du pétrole brut, donc à température ambiante, et a ensuite été reconverti pour le transport de fioul, c'est-à-dire sous haute température, ce qui a engendré des problèmes de dilatation et de condensation qui ont augmenté la corrosion. On notera également que le Prestige a été utilisé durant de longues périodes, en 2001 et en 2002, pour des opérations de transbordement d'hydrocarbures, à Fujaïrah (Emirats Arabes Unis) et Saint-Pétersbourg : ces transferts s'accompagnent d'accostages, donc de contacts répétés entre les navires, qui peuvent fragiliser certaines zones latérales. En l'absence de données sur la fréquence des accostages, le BEA-mer (Bureau d'enquêtes accidents-mer) n'a cependant pu conclure de façon formelle sur ce point.

Ces deux navires présentaient donc des caractéristiques similaires d'âge avancé et de réparations multiples, induisant inévitablement, quelle que soit la qualité des réparations et de l'entretien du navire, des tensions sur sa structure. Construits avant la modification de la convention MARPOL, ils ont été adaptés aux nouvelles normes en vigueur, mais ces aménagements ont en eux-mêmes entraîné l'affaiblissement de leur structure. En ce sens, la convention MARPOL, s'appliquant aux navires en exploitation et non seulement aux bateaux nouvellement construits, a porté en son sein les germes de sinistres, qui sont intervenus 10 ans plus tard.

Les mêmes causes aboutissant aux mêmes effets, les deux navires se sont progressivement déstructurés et brisés, à la suite d'une avarie de coque pour le Prestige et de l'effondrement d'une cloison interne pour l'Erika. Cependant, au vu des enquêtes menées sur les deux navires, l'état structurel du Prestige était sans doute meilleur que celui de l'Erika, ce qui lui a permis de résister à un remorquage de plus de six jours, sans toutefois empêcher son naufrage.

On signalera enfin que le Prestige était un navire de type Aframax, c'est-à-dire capable de transporter 80 000 tonnes de marchandises, et, en application des règles actuelles, il aurait dû être retiré de la navigation en 2005. Selon le rapport du BEA-mer, il existe environ 550 navires-citernes de ce type actuellement. Si leur âge moyen est de 11 ans, ce chiffre ne doit pas faire illusion : près d'un tiers de l'effectif a plus de 15 ans et est constitué de navires pré-MARPOL. C'est une des catégories de navires citernes la moins modernisée... et la plus potentiellement dangereuse pour l'environnement.

2.- Le transport d'un produit spécifique : le fioul lourd

La cargaison du Prestige, comme celle de l'Erika, était constituée de fioul lourd, c'est-à-dire un combustible résultant des processus de raffinage du pétrole brut.

Les caractéristiques des fiouls transportés par les deux navires étaient très proches : en effet, il s'agissait de fioul lourd n°2, dont la viscosité est très forte et dont la densité est proche de celle de l'eau. Ce produit a montré dans chacun des cas une très faible tendance à se disperser naturellement et à s'évaporer. En revanche, il tend à se mélanger avec l'eau de mer, pour former une émulsion extrêmement visqueuse et difficile à recueillir. Il est donc très malaisé de traiter une telle pollution.

Le fioul lourd est un produit très particulier, ne représentant qu'une partie minoritaire du transport d'hydrocarbures : il est utilisé par les centrales thermiques ainsi qu'à bord des navires de commerce, où il est brûlé dans les moteurs diesel de propulsion. Sa valeur marchande est faible, mais il se commercialise très bien sur le marché international.

De cette caractéristique, résulte une situation pour le moins paradoxale : alors que les navires les plus récents sont utilisés pour le transport de pétrole brut, à plus forte valeur ajoutée, le fioul lourd est le plus souvent transporté par des navires plus anciens. Les produits les plus polluants sont donc transportés par les navires les moins sûrs, d'autant qu'une fois utilisées pour un produit noir du type fioul n°2, les cuves du bateau deviennent difficiles à nettoyer, ce qui conduit à spécialiser encore davantage les navires anciens dans le transport de produits particulièrement polluants...

Au cours des dernières années, une grande partie des événements de mer de navires citernes a d'ailleurs concerné des transporteurs de fioul lourd (Nadhodka en 1997 au Japon, Erika en 1999, Baltic Carrier en 2001 en mer Baltique, Pindar et Princess Pia en 2002 à nouveau en mer Baltique...)

3.- Une situation météorologique très dégradée

Le rapport du BEA-mer sur le naufrage du Prestige fait état de conditions météorologiques exécrables au large du cap Finisterre au moment des faits, le 13 novembre 2002. Lors de son audition devant la Commission, M. Tourret, directeur du Bureau d'enquêtes, a rappelé que l'accident du Prestige s'est produit dans les jours mêmes où les bateaux engagés dans la course du Rhum démâtaient ou se cassaient les uns après les autres.

De même, le 11 décembre 1999, le pétrolier Erika a été pris dans des conditions très défavorables, caractérisées par un vent d'ouest de force 8 à 9 et des creux de 6 mètres.

Pour autant, ces situations météorologiques sont relativement normales en cette saison dans ces zones : elles n'étaient ni imprévisibles, ni imprévues, comme le montrent par exemple les prévisions d'origine britannique, dont disposait le Prestige le 13 novembre à 0h15, qui annonçaient des vents de force 8 à 9. De plus, les navires sont conçus pour résister à de telles conditions, ainsi que l'a rappelé M. Théobald, délégué général de la Chambre syndicale des constructeurs de navires, lors de son audition devant la Commission : « Les navires qui sortent des chantiers navals sont conçus pour ne pas se rompre dans la tempête. Il n'est pas possible d'évoquer une tempête ou les mauvaises conditions du Golfe de Gascogne, même s'il s'agit d'une des plus mauvaises mers du monde, pour expliquer ou justifier un naufrage. »

On relèvera cependant que dans la deuxième édition de sa contribution provisoire sur le naufrage du Prestige, le BEA-mer rapporte les dernières analyses de Météo France sur la situation météorologique du 13 novembre 2002, qui mentionnent la possibilité de « vagues anormales », très dangereuses, qui auraient résulté de trains de vagues croisées. Le BEA-mer indique sur ce point que l'état de la mer pourrait avoir été un facteur déclenchant du naufrage, et qu'il existe des exemples d'avaries de coque engendrées par des vagues exceptionnelles.

En tout état de cause, pour l'Erika comme pour le Prestige, les conditions météorologiques ont rendu les opérations de sauvetage des équipages et du navire extrêmement difficiles, comme l'illustrent les tentatives infructueuses de remorquage du Prestige mises en œuvre dans la nuit du 13 au 14 novembre. De même, les interventions en mer des navires de dépollution et de pêche afin de recueillir le fioul n'étaient possibles que durant des laps de temps réduits en raison des conditions météorologiques dégradées.

B.- LA MULTIPLICITÉ D'ACTEURS AUX RESPONSABILITÉS DILUÉES

Le fonctionnement du transport maritime international se caractérise par sa complexité et le foisonnement de ses intervenants.

On doit en effet distinguer l'Etat du pavillon, auprès duquel le navire est immatriculé ; l'armateur, propriétaire du navire ; l'affréteur, à qui appartient la cargaison transportée ; et la société de classification, chargée de certifier et d'inspecter le bateau. De plus, ce dernier est assuré, d'une part, contre le risque de perte ou d'avarie par une société d'assurances traditionnelle, d'autre part, contre les dommages causés aux tiers en raison du navire par des mutuelles d'armateurs, les « P&I Clubs » (Protection and Indemnity Clubs).

Cette multiplicité d'acteurs a pour conséquence directe une dilution très nette, voire une complète « évaporation » des responsabilités lorsque survient un sinistre. Quand chacun des maillons de la chaîne du transport maritime se dérobe à ses obligations ou les réalise a minima, on aboutit à des dérives aux conséquences inacceptables, dont les exemples de l'Erika et du Prestige constituent tous deux une illustration caricaturale.

1.- L'Etat du pavillon : un registre de libre immatriculation

Ces deux navires étaient immatriculés auprès d'Etats dits de libre immatriculation -Les Bahamas pour le Prestige et Malte pour l'Erika- considérés comme relativement peu regardants sur la qualité des navires inscrits dans leur registre. Ces deux Etats détiennent respectivement la troisième et la cinquième flotte mondiale, et tirent une partie importante de leurs ressources de cette activité. Cependant, leur administration maritime est très peu développée, se réduisant à un échelon central déléguant l'ensemble de ses responsabilités à des sociétés de classification. Les Bahamas et Malte n'exercent qu'un contrôle très limité sur leur flotte.

2.- Un armateur difficile à identifier

Les propriétaires des deux navires étaient très difficiles à identifier, compte tenu des montages financiers complexes mis en place : en effet, le propriétaire du Prestige était la compagnie libérienne Mare Shipping, qui était une « single-ship company », c'est-à-dire une société ne possédant qu'un seul navire, et par conséquent responsable sur ce seul patrimoine, au demeurant d'une valeur nécessairement limitée s'agissant de navires très anciens. Cette société libérienne était elle-même filiale d'un groupe grec, Universe Maritime, lequel en assumait la gestion nautique via une filiale ad hoc implantée dans les mêmes locaux à Athènes.

La chaîne de propriété et de gestion de l'Erika était plus complexe encore, impliquant un particulier, M. Savarese, une société maltaise, Tevere Shipping, une société italienne, Panship, chargée de la gestion nautique du navire, et une société helvético-bahaméenne, Selmont/Armarship, qui affrétait à temps le navire...

De tels montages juridiques et financiers entretiennent délibérément la plus grande opacité sur l'identité des armateurs et permettent à ces derniers d'échapper non seulement à des obligations fiscales jugées trop contraignantes, mais aussi à leurs responsabilités civiles et éventuellement pénales.

3.- L'affréteur : une différence significative avec l'Erika

Si l'affréteur de l'Erika était bien connu, puisqu'il s'agissait de la compagnie pétrolière française Total, l'identification du propriétaire de la cargaison du Prestige est en revanche plus ardue.

En effet, selon les informations fournies par le rapport du BEA-mer, la cargaison a vraisemblablement été vendue par Alpha, conglomérat industriel et financier russe controversé, à l'une de ses filiales, Crown Resources, laquelle était chargée de la négocier sur le marché international et de la faire transporter, en affrétant les navires nécessaires, jusqu'à destination. Cette société de « trading » pétrolier, installée en Suisse, n'a pourtant plus d'existence légale aujourd'hui : après le naufrage du Prestige, elle a été revendue à ses cadres, et une nouvelle entité a été créée, baptisée ERC Trading. Il n'y a donc plus aucun lien entre Alpha, l'exportateur réel du fioul lourd chargé sur le Prestige, et le dernier affréteur de ce navire.

Cette opération financière intervenue opportunément permet donc à la société Alpha de se dégager de toute responsabilité.

Il convient cependant de rappeler que le régime international de responsabilité en cas de dommages de pollution actuellement en vigueur fait peser la responsabilité sur le seul armateur. D'un point de vue juridique, l'affréteur n'est donc nullement tenu d'indemniser les victimes des pollutions. Lors de la catastrophe de l'Erika, la compagnie Total avait certes participé aux opérations de dépollution, de traitement des déchets et de pompage. Mais il s'agissait d'une démarche volontaire, destinée à restaurer son image très écornée par le sinistre, et, encore aujourd'hui, très marquée par celui-ci, comme l'ont montré les réticences du monde de la voile à accepter son partenariat pour le Tour de France à la voile.

En tout état de cause, le négociant affréteur du Prestige semble avoir estimé suffisants les contrôles effectués antérieurement sur le navire et n'a lui-même procédé à aucune inspection avant l'affrètement : il n'en avait d'ailleurs probablement pas les moyens, comme la plupart des entreprises de « trading » de ce type.

4.- La société de classification : des acteurs reconnus au plan mondial, mais qui ne sont pas irréprochables

Les sociétés de classification exercent une double mission : d'une part, elles élaborent des règles relatives à la sécurité des navires et vérifient leur application au moyen de visites et d'inspections régulières pour le compte des armateurs ; d'autre part, elles peuvent exercer une mission de service public par délégation de l'Etat du pavillon, en délivrant des certificats attestant la conformité des navires aux règlements officiels, qu'elles ont parfois elles-mêmes élaborés.

Cependant, en ce qui concerne cette dernière responsabilité, le rôle effectif de la société de classification varie largement selon l'Etat délégataire : un Etat disposant d'une administration maritime importante exerce un contrôle réel lors de la mise en service du navire en sus de celui effectué par la société de classification, alors que des Etats tels que Malte ou le Libéria s'en remettent complètement à ces sociétés pour la vérification des navires sous leur pavillon. Or, comme le soulignait M. Tourret devant la Commission : « On pourrait penser qu'une société de classification n'a pas le même comportement quand elle sait que, derrière elle, il y a ou pas une administration d'Etat ». Il s'agit là d'une question centrale : on ne peut laisser la seule responsabilité des contrôles d'un navire à une société indépendante, même si sa fiabilité est reconnue, sans aucun contrôle supplémentaire par l'administration de l'Etat du pavillon.

La certification du Prestige ainsi que ses inspections successives ont été réalisées par l'« American Bureau of Shipping » (ABS), société bien établie, jouissant d'une bonne réputation et membre du club fermé des dix sociétés de classification de l'« International Association of Classification Societies » (IACS), association qui a vocation à ne regrouper que les sociétés répondant à des standards élevés de qualité et de taille.

La dernière inspection du navire a été effectuée par l'ABS à Dubaï, en mai 2002, et semble répondre aux exigences réglementaires en vigueur. Le BEA-mer a cependant relevé dans son rapport que les citernes de ballast n°2 bâbord et tribord, qui auraient dû faire l'objet d'une inspection interne, n'ont pas été visitées, et l'audit réalisé par l'IACS formule quelques remarques sur certains des contrôles faits par l'ABS à Dubaï. On relèvera sur ce point que l'Espagne a introduit une plainte contre la société ABS devant les tribunaux américains.

Les contrôles de l'ABS apparaissent cependant moins sujet à caution que, comme le relève le rapport de la précédente Commission d'enquête, les contrôles effectués par la société classant l'Erika, le « Registro Italiano Navale » (Rina) -qui est également membre de l'IACS-s'agissant notamment de la vérification de l'état de corrosion de certaines zones du navire.

C.- LE PRESTIGE : UN SINISTRE DONT LA GESTION A ÉTÉ ASSUMÉE UNIQUEMENT PAR L'ESPAGNE, MAIS DONT LES CONSÉQUENCES ONT AFFECTÉ PLUSIEURS ETATS

Le sinistre du Prestige présente la particularité d'avoir touché plusieurs Etats : l'Espagne, bien évidemment, mais aussi la France et le Portugal, mais à la suite d'une décision des seules autorités espagnoles.

En effet, l'avarie du Prestige s'est produite dans la Zone économique exclusive (ZEE) de l'Espagne, et la gestion du navire en difficulté a incombé aux responsables espagnols. En revanche, les arrivées de pollution ont affecté des centaines de kilomètres de côtes espagnoles et françaises, s'étendant de la Galice à la Bretagne : la Galice, les Asturies, la Cantabrie, le Pays Basque espagnol, les Pyrénées-Atlantiques, les Landes, la Gironde, la Charente-Maritime, la Vendée, la Loire-Atlantique, le Morbihan, le Finistère, les Côtes d'Armor et la Manche ont reçu des quantités plus ou moins importantes -massives ou ponctuelles- de déchets. Le Portugal a également été quelque peu touché.

Il n'en était pas de même lors du naufrage de l'Erika, pour lequel la crise gérée par les autorités françaises n'a eu aucune conséquence pour les Etats avoisinants. En effet, le navire s'étant cassé en deux à une trentaine de milles au sud de la pointe de Penmarc'h (Pointe sud du Finistère), c'est le préfet maritime de l'Atlantique qui a assumé les opérations de sauvetage de l'équipage et de remorquage du navire. La pollution de grande ampleur qui en est résultée a affecté le seul littoral français : ont notamment été souillées les côtes du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Atlantique, de la Vendée et de la Charente-Maritime.

Cette différence majeure entre les deux crises s'explique par les caractéristiques des courants et des vents du Golfe de Gascogne, qui ont largement diffusé les hydrocarbures de la pointe du Finisterre vers les littoraux français. Mais elle trouve également sa source dans la décision prise par les autorités espagnoles, qui ont choisi d'éloigner le navire au large de leurs côtes. Le naufrage du navire à 130 milles du littoral galicien a eu pour conséquence logique une très forte diffusion de la pollution dans tout le Golfe de Gascogne. Un déversement d'hydrocarbures plus proche de la côte aurait nécessairement abouti à une moindre propagation de la pollution.

Ce constat soulève bien évidemment la question de la responsabilité de l'Etat espagnol dans la pollution qui a affecté les côtes françaises. Ce point sera abordé de façon plus détaillée dans la partie suivante, mais il convenait d'évoquer dès maintenant cette caractéristique spécifique du sinistre du Prestige.

Chronologie du naufrage du Prestige

5 novembre 2002

Le Prestige, chargé de 76 972 tonnes de fioul lourd, quitte Ventspills (Lettonie).

9 novembre 2002 

Le Prestige franchit le détroit du Pas-de-Calais et entre en Manche

11 novembre 2002 

Le navire passe Ouessant et se signale au CROSS Corsen, déclarant comme destination Gibraltar. A sa sortie du rail d'Ouessant, le Prestige fait route pour rallier le dispositif de séparation du trafic (DST) du cap Finisterre.

13 novembre 2002 

- 15h10 : alors qu'il sort, par très gros temps, du DST du cap Finisterre, un grand bruit, accompagné d'une vibration de la coque, est entendu. Le navire commence à prendre une gîte de plus en plus importante.

- 15h15 : le navire lance un SOS, reçu à Madrid, et signale un début de pollution. Les opérations de sauvetage et de remorquage sont immédiatement lancées par les autorités espagnoles.

- 18h00 : le commandant décide de rectifier la gîte en remplissant par gravité des citernes de ballastage, ce qui permet de redresser le navire. Les membres de l'équipage, à l'exception du capitaine, du chef mécanicien et du second, sont hélitreuillés.

- soir : quatre remorqueurs d'assistance espagnols sont sur zone : le système de remorquage d'urgence du navire ne fonctionne pas et les tentatives de prise en remorque échouent au cours de la nuit.

14 novembre 2002 

- 8h00 : le navire se trouve à six milles de la côte.

- 9h15 : trois techniciens de l'entreprise de remorquage néerlandaise SMIT sont déposés à bord. Cette entreprise devient dès lors l'interlocuteur des autorités maritimes espagnoles.

- dans l'après-midi : après consultation du pilote chef du port de La Corogne, les autorités espagnoles décident d'éloigner le navire à plus de 60 milles vers le nord-ouest : le Prestige est remorqué et son moteur est relancé pour soulager l'effort des remorqueurs. A la demande expresse des autorités espagnoles, la société SMIT s'engage à ne pas rapprocher le navire à moins de 120 milles des eaux espagnoles.

15 novembre 2002 

- matin : le navire a été remorqué à 60 milles des côtes espagnoles. A la suite d'une intervention du préfet maritime de l'Atlantique français, le convoi fait route vers le sud. Une déchirure de 35 mètres de long est observée sous la flottaison.

Les remorqueurs sont confrontés à de nombreuses difficultés techniques pour maîtriser le remorquage du Prestige.

16 novembre 2002

- 9h00 : il est fait état d'une brèche béante de 53 mètres, qui s'étend au pont.

17 novembre 2002 :

- 11h00 : la brèche s'agrandit et on constate une importante reprise de la pollution.

Le navire se trouve à environ 75 milles à l'ouest du cap Finisterre. L'ordre d'éloignement est maintenu.

18 novembre 2002 

Le convoi se situe à plus de 100 milles nautiques dans l'ouest-sud-ouest du cap Finisterre. Les fuites de fioul se poursuivent.

19 novembre 2002 

- 00h00 : après l'intervention d'un navire de guerre portugais, le convoi constitué du Prestige et de ses remorqueurs reçoit instruction des autorités espagnoles de ne pas entrer dans la zone économique exclusive portugaise et d'infléchir sa route du sud vers le sud-est.

- 8h00 : le Prestige se brise en deux parties à 130 milles des côtes espagnoles.

A 11h30, puis à 16h20, les parties arrière et avant du Prestige sombrent respectivement par 3 500 et 3 800 mètres de fond.

Source : BEA-mer et rapport de la Direction générale de la Marine marchande espagnole.

Le Prestige, après la perte du ballast

graphique

Source : Direction des Douanes

II.- DES ANALYSES DIVERGENTES DE L'ACCIDENT 

Lorsque survient un tel sinistre, plusieurs rapports sont élaborés par les acteurs impliqués. C'est en principe à l'Etat qui a immatriculé le navire qu'il revient d'analyser les causes de l'accident. La société de classification du navire produit également ses propres analyses. Peuvent également intervenir des rapports des administrations des Etats affectés par les conséquences du naufrage, notamment en termes de pollution : c'est à ce titre que le BEA-mer, organisme français, s'est saisi très rapidement de l'affaire et a rédigé une contribution, d'ailleurs remise en primeur à la présente Commission d'enquête, lors de l'audition de M. Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports et à la mer, le 4 mars dernier.

L'analyse de ces différents documents met en lumière bon nombre de divergences sur les circonstances et les causes du naufrage.

A.- L'AUTO-DISCULPATION DE L'ÉTAT DU PAVILLON

Aux termes de l'article 94 de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer, un Etat du pavillon doit ordonner l'ouverture d'une enquête sur tout accident de mer impliquant un de ses navires.

Dans le cas du Prestige, les Bahamas, Etat du pavillon, ont notifié à l'OMI l'ouverture d'une enquête et ont récemment indiqué qu'ils remettraient leur rapport à la fin du mois de juin. Cependant, ce dernier n'est toujours pas disponible à ce jour, et les autorités ont simplement fait des déclarations à la suite de l'accident. M. William O'Neill, secrétaire général de l'OMI, avait d'ailleurs rappelé à la délégation de la Commission d'enquête, lors de son déplacement à Londres2, qu'il attendait toujours le rapport de l'Etat du pavillon... lequel, compte tenu du fait que l'épave du Prestige repose à plus de 3 500 mètres sous la surface de l'eau et des procédures pénales ouvertes en Espagne comme en France, risque de se faire attendre encore un certain temps.

Il est, à cet égard, intéressant de rappeler que seul le rapport de l'Etat du pavillon fait foi dans le cadre de l'OMI, comme l'a indiqué à la Commission M. Tourret, directeur du BEA-mer. Ainsi, lors du naufrage de l'Erika, le BEA français avait envoyé son rapport au Secrétariat général de l'OMI, mais c'est le rapport maltais qui a été discuté et a fait foi.

La flotte des Bahamas occupe la troisième place mondiale, après celle du Panama et du Liberia, et compte près de 1200 navires. Les Bahamas peuvent être qualifiés de pavillon de complaisance mais leur administration maritime, la « Bahamas Maritime Authority » -située à Londres, à proximité du siège de l'OMI- est jugée plutôt plus sérieuse que celle d'autres Etats de libre immatriculation. Le taux de détention dans les ports de ses navires est d'ailleurs relativement faible.

Pour autant, les déclarations de cette administration ne diffèrent pas de celles habituellement tenues par les Etats de libre immatriculation lors d'un sinistre. Elles relèvent d'une approche d'auto-justification, et de négation de toute responsabilité.

M. Tourret a indiqué à la Commission que la réaction de la « Bahamas Maritime Authority » : « a consisté à montrer que tous les contrôles avaient été faits avec une société de premier rang, la société ABS. L'Etat du pavillon considérant qu'ayant délégué son pouvoir de contrôle à une société de classification de premier rang, les contrôles à la charge de l'Etat du pavillon avaient par conséquent été réalisés dans les meilleures conditions. L'Etat du pavillon en a conclu que l'accident ne pouvait être dû qu'à la faute du commandant et des autorités maritimes chargées de gérer la situation de crise après l'avarie, mais pas en tout cas à celle de l'Etat du pavillon. (...) C'est là une forme de non-discours. »

La « Bahamas Maritime Authority » a notamment souligné que les premiers éléments dont elle disposait montraient que le Prestige était un navire bien entretenu, régulièrement inspecté et réparé ; elle a également affirmé que si le navire avait été déplacé dans un lieu abrité dès le début de la crise, il aurait sans aucun doute été sauvé, de même que sa cargaison. De même, le ministre des Transports des Bahamas a précisé après le sinistre qu'il n'y avait absolument aucune preuve de la défaillance de l'autorité maritime dans ses contrôles et que cet Etat bénéficiait d'une réputation de premier ordre au sein de l'industrie, prouvée par le grand nombre de navires de qualité inscrits dans son registre...

Autant de déclarations qui paraissent relever d'une démarche d'auto-disculpation systématique.

B.-  LA POSITION TRÈS « MESURÉE » DES SOCIÉTÉS DE CLASSIFICATION (ABS ET IACS )

La société de classification du Prestige, l'ABS, a également fourni un rapport d'analyses techniques sur le naufrage du Prestige, le 28 février 2003. De son côté, l'IACS, à laquelle appartient l'ABS, a également réalisé un audit sur le travail d'inspection de l'ABS réalisé sur le Prestige.

Le rapport de l'ABS se caractérise par sa technicité et son approche prudente : il présente les circonstances de l'accident et les analyses techniques du navire, en étudiant les points vulnérables potentiels et en émettant des hypothèses sur leur responsabilité dans le naufrage. En introduction, il prend la précaution d'indiquer que les causes exactes du naufrage ne peuvent être connues puisque le navire se trouve aujourd'hui à 3 800 mètres de fonds : selon l'ABS, il est donc impossible de valider les explications théoriques avancées. Les dirigeants de l'IACS, entendus au siège de cette association, à Londres, ont naturellement exprimé le même point de vue très raisonnable.

Malheureusement, il est peu probable que l'épave puisse un jour faire l'objet d'analyses précises, permettant d'imputer les responsabilités respectives de chacun des acteurs. Pour autant, on peut regretter que, comme l'a indiqué M. Nicot, procureur de la République au tribunal de grande instance de Brest, lors de son audition le 11 juin dernier, les autorités espagnoles n'aient pas encore pris la peine de diligenter une expertise technique de l'épave.

Le rapport de l'ABS souligne tout d'abord que le navire respectait l'ensemble des prescriptions existantes lors de sa construction en 1976 et qu'il remplit les exigences structurelles actuelles fixées par l'ABS et l'IACS.

Ses principales analyses portent ensuite sur la fatigue de la structure du navire et sur la résistance de sa coque après un choc. Le rapport étudie également les conséquences possibles de l'utilisation du Prestige dans des opérations de transbordement d'hydrocarbures entre juin 2001 et octobre 2002 : en effet, le contact entre les navires lors de tels transferts peut entraîner des déformations permanentes de leur flanc. Il indique que la structure du Prestige pourrait avoir effectivement subi de telles déformations, aboutissant à une réduction de la résistance de certaines zones de la coque, mais ne conclut pas sur ce point de façon formelle. En tout état de cause, lors de son audition, M. Bernard Anne, directeur de la division marine du Bureau VERITAS, indiquait, sans prendre de risque démesuré, que les navires sont construits pour résister aux fatigues dues aux accostages, même multiples, car un navire doit en principe être en mesure d'accoster...

De même, le rapport aborde la question des réparations subies par le Prestige en mai 2001, indiquant que les tensions en résultant pourraient avoir affaibli la résistance des zones concernées, mais ne se prononce pas de façon définitive sur cet aspect.

Il insiste enfin sur le fait que le remorquage du navire et son exposition prolongée à des conditions météorologiques très dégradées sont sans doute à l'origine de la rupture de sa coque et de son naufrage.

Après avoir réalisé des visites, ouvertes aux experts indépendants, au siège de l'ABS et sur les lieux de la dernière inspection du Prestige, à Dubaï, et de ses dernières réparations, à Canton, l'IACS a publié à son tour un rapport, afin d'établir si la société ABS a bien respecté les règles qu'elle définit en matière de certification et de contrôles ; ce document, publié sur internet, se fixe également pour objectif d'émettre les recommandations qui pourraient s'avérer nécessaires au regard des résultats de ses analyses, afin d'améliorer la sécurité maritime.

Le rapport de l'IACS conclut en l'espèce que la société ABS a pleinement appliqué les règles en vigueur, mais il formule quelques remarques. Il relève notamment que l'inspection des ballasts adjacents aux citernes n'a pu être réalisée lors de la visite du Prestige à Dubaï en 2002, alors que les règles adoptées à la suite de la catastrophe de l'Erika imposent cette inspection lors de chaque visite annuelle. Il note également que toutes les citernes n'ont pas été testées hydrostatiquement jusqu'au bout comme prévu par les exigences de l'ABS, mais n'émet pas de critiques de fond sur les contrôles effectués.

Les rapports de l'ABS et de l'IACS soulèvent quelques points importants relatifs aux incidences des réparations et des opérations de transbordement, mais ne remettent pas en cause la qualité des contrôles réalisés par l'ABS et son application rigoureuse des règles actuellement en vigueur.

Pourtant, comme l'ont indiqué tant M. Tourret que M. Anne, l'ABS n'a pas rempli toutes ses obligations de contrôle. Même si cela ne permet pas d'établir un lien de causalité direct avec l'avarie, puis le naufrage, cette attitude peut jeter un réel discrédit sur la qualité du travail effectué par l'ABS sur le Prestige. Ainsi qu'il a déjà été dit, l'Espagne a d'ailleurs porté plainte contre l'ABS devant un tribunal de New York.

C.- L'ANALYSE DU BEA-MER : UN NAVIRE AYANT SUBI TROP DE RÉPARATIONS, PEU ADAPTÉ AU TRANSPORT DE FIOUL LOURD

Le BEA-mer est un organisme français créé en 1997, dont les missions et l'indépendance ont été significativement confortées par la loi du 3 janvier 2002. Il a pour vocation d'identifier les circonstances et les causes des événements de mer, en toute neutralité. La qualité de ses analyses techniques et sa compétence sont très largement reconnues.

Il convient de noter que de tels organismes d'enquête, indépendants de l'administration, sont peu nombreux, et n'existent pour l'essentiel que dans les pays anglo-saxons et nordiques. Le BEA-mer n'avait par exemple pas d'homologue espagnol immédiatement après la survenance du sinistre, avec lequel il aurait pu collaborer. Un équivalent du BEA-mer a été mis en place depuis, mais c'est l'administration maritime espagnole qui a été chargée à titre principal d'enquêter sur l'accident du Prestige, sous l'autorité du directeur général de la Marine marchande, lequel a été le responsable opérationnel de la gestion de la crise. Les autorités espagnoles ne semblent d'ailleurs guère avoir fait preuve d'empressement pour fournir des informations et coopérer avec le BEA-mer sur le dossier du Prestige.

En application des règles d'ouverture d'enquête qui lui sont applicables, le BEA-mer a lancé ses travaux sur l'accident du Prestige dès l'arrivée de la pollution dans les eaux sous juridiction française, le 31 décembre 2002, et a remis sa contribution le 5 mars 2003 au Président de la Commission d'enquête, par l'intermédiaire de M. Bussereau.

Le rapport du BEA-mer met en exergue plusieurs facteurs qui pourraient être à l'origine du naufrage du Prestige. Il relève en premier lieu une faiblesse structurelle conceptuelle des cloisons transversales internes du navire, d'un dessin particulier et peu fréquent sur un pétrolier de cette taille.

Il souligne également que l'avarie est survenue dans une partie du navire ayant fait l'objet de nombreuses réparations, ce qui pourrait révéler une tenue insuffisante de ces réparations ; ce constat pourrait également s'expliquer par leur caractère incomplet au regard des corrosions importantes et récurrentes dans les citernes de ballastage, aménagées en application des dispositions antipollution, mais dont la protection interne reste un problème majeur. Il souligne que les navires pré-MARPOL utilisés pour le transport de fioul lourd sont pour cette raison plus sensibles à la corrosion. En tout état de cause, et même si cela reste pour l'instant une simple hypothèse, il n'est pas interdit de penser que les réparations du Prestige à Canton en 2001 ont été réalisées a minima et n'ont peut-être pas permis de stopper le processus de corrosion.

Le rapport évoque également l'incidence des efforts supplémentaires sur la structure résultant des opérations de remorquage, ainsi que le maintien en mer du navire dans des conditions délicates après son avarie initiale, lié aux difficultés d'accueil du navire, elles-mêmes dues à la configuration du littoral galicien, au très fort tirant d'eau du navire après l'avarie de sa coque et aux moyens de remorquage espagnols limités.

En conclusion, il préconise de ne plus accepter le transport de fioul lourd dans des navires pré-MARPOL sans prendre les plus grandes précautions dans le contrôle des navires retenus.

L'ensemble de ces analyses pourrait être utilement complété par la récupération d'éléments du navire naufragé, qui permettrait d'affiner les études sur l'état de corrosion effective de certaines zones. Après le sinistre de l'Erika, plusieurs morceaux du navire ont ainsi été recueillis et leur examen a permis de constater la mauvaise qualité des soudures ainsi que l'état de corrosion des aciers, qui était bien plus avancé que ce que pouvaient laisser supposer les données théoriques dont le BEA-mer disposait. Le sous-marin Nautile, qui a réalisé des opérations de colmatage des brèches de l'épave du Prestige, a pu recueillir de petits éléments du navire ; il serait également envisageable de rechercher la partie du ballast qui s'est détachée du Prestige le 17 décembre dernier et qui a coulé dans la zone économique espagnole, à 2 600 mètres de profondeur : cette opération ne paraît pas techniquement irréalisable.

En tout état de cause, les analyses présentées dans la contribution provisoire du BEA-mer sur la faiblesse conceptuelle des cloisons sont particulièrement intéressantes, d'autant que cet élément n'est pas évoqué dans les rapports de l'ABS et de l'IACS. De même, l'étude de l'impact des réparations sur la structure du navire rejoint celle de ces rapports mais les prolonge, en soulignant la possibilité d'une tenue insuffisante des réparations, qui n'aurait pas été relevée lors de la dernière inspection par l'ABS, menée à Dubaï en 2002.

Enfin, le rapport rejoint les analyses de l'ABS en soulignant les tensions supplémentaires exercées sur la structure du navire par les opérations de remorquage et par le maintien en mer du navire dans des conditions difficiles.

Ce constat soulève bien évidemment la question des conséquences des décisions prises par les autorités espagnoles dans la gestion de la crise.

D.- LE RAPPORT DE L'ADMINISTRATION ESPAGNOLE : TOUT A ÉTÉ FAIT...

A la suite du sinistre, la direction générale de la Marine marchande espagnole, placée sous la responsabilité du ministère de l'Equipement, a également rédigé un rapport. Comme on l'a vu plus haut, il n'existait pas lors du sinistre d'organisme d'investigation espagnol indépendant de l'administration, similaire au BEA-mer français. Ceci n'est peut-être pas étranger au fait que le rapport adopte une approche de justification systématique des décisions de l'Etat espagnol : s'éloignant d'une démarche purement factuelle, il s'efforce de démontrer que toutes les mesures nécessaires ont été prises par les autorités espagnoles et que ces dernières ont fait, lors de la crise, le choix qui s'imposait en éloignant le navire en difficulté.

Les trois premières parties de cette contribution sont consacrées à l'exposé des mesures prises par l'Espagne en matière de sécurité maritime, afin d'illustrer son dynamisme dans ce domaine. De longs développements détaillent les dispositifs de sauvetage maritime et les lois adoptées en la matière avant et après la catastrophe. Est ensuite mis en avant le rôle moteur de l'Espagne au sein de l'Union européenne et de l'OMI pour le renforcement de la sécurité du transport maritime. Le rapport souligne notamment que l'Espagne avait soutenu la proposition initiale de calendrier d'élimination des pétroliers à simple coque faite par la Commission européenne, qui aurait abouti au retrait du Prestige à partir de septembre 2002 et aurait empêché le sinistre. Il décrit enfin la mobilisation des moyens matériels lors de la crise, soulignant qu'elle s'est très bien passée.

Le rapport aborde ensuite le déroulement de la crise elle-même, en détaillant les différentes options envisagées pour traiter le sinistre. Il souligne que les experts et les différents acteurs concernés ont été consultés lors de l'examen de ces alternatives et conclut que l'éloignement du navire était la meilleure solution possible, compte tenu de l'état du navire et de la configuration des côtes galiciennes.

Le rapport justifie notamment le refus des autorités espagnoles d'accueillir le navire dans un lieu de refuge sur le littoral espagnol -qui a été au centre de tous les débats en Espagne, mais aussi en France-, par les grands dangers qu'une telle manœuvre aurait représentés. A cet égard, il fait référence à plusieurs précédents de pétroliers en difficulté qui ont été éloignés des côtes ou maintenus au large, et sauvés après leur allègement, et note également que l'Erika, en état d'avarie, s'était vu refuser l'autorisation d'entrée dans le port de Saint-Nazaire, fait qui est d'ailleurs loin d'être établi à ce jour.

Le rapport insiste également sur la mauvaise volonté du capitaine grec du navire, qui n'aurait pas coopéré avec les autorités espagnoles dans le sens qu'elles souhaitaient.

De la lecture de ce rapport, il ressort donc que l'Etat espagnol, soutien indéfectible de la sécurité maritime dans les enceintes internationales, a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires au niveau national et a pris la seule décision possible lors du sinistre, c'est-à-dire l'éloignement du navire.

Ce dernier constat apparaît cependant sensiblement différent des analyses du BEA-mer et de l'ABS, qui ont souligné que le remorquage du navire durant six jours, affaiblissant sa structure déjà endommagée, constituait sans nul doute un des facteurs du naufrage.

III.- LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES EN ESPAGNE

On a souligné plus haut que la pollution consécutive au Prestige se caractérise par le fait d'avoir affecté plusieurs Etats, l'Espagne, bien évidemment, mais aussi la France et le Portugal, alors que seules les autorités espagnoles ont assumé la gestion de la crise.

Il est donc apparu nécessaire aux membres de la Commission d'enquête de rencontrer les autorités espagnoles qui ont géré cette crise, afin de comprendre les circonstances de l'accident et le déroulement des opérations de sauvetage du navire et de lutte contre la pollution. Ces autorités n'ont mis aucun obstacle aux rencontres souhaitées, aux différents niveaux impliqués : ont notamment été entendus le sous-secrétaire d'Etat aux Transports, M. Adolfo Menendez ; le directeur général de la Marine marchande, M. José-Luis Lopez Sors ; le haut-commissaire chargé de la gestion du Prestige, M. Martin Villa, ainsi que son directeur de cabinet, M. Domingo Menendez ; l'avocat d'Etat de La Corogne, M. Antonio Vazquez Guillen et les administrations galiciennes qui étaient en charge de la lutte opérationnelle contre la pollution.

A.- L'ÉLOIGNEMENT DU NAVIRE : UNE DÉCISION CONTESTÉE

La décision d'éloignement du navire est au cœur des interrogations sur le traitement du sinistre : en effet, beaucoup ont souligné que si le navire en difficulté avait été accueilli dans un port ou dans une ria, la pollution aurait été circonscrite et n'aurait pas affecté des centaines, voire des milliers de kilomètres de côtes.

A l'inverse, les autorités espagnoles ont décidé de remorquer le Prestige loin des côtes espagnoles, d'abord vers le nord-est, puis vers le sud, et enfin, vers le sud-est. Ces changements de cap successifs (cf. carte ci-après) s'expliquent par les interventions des autorités françaises et portugaises, qui ne souhaitaient pas, à juste titre, que l'Espagne amène le navire sinistré au large de leurs côtes afin de protéger son propre littoral.

Sur ce point, le préfet maritime de l'Atlantique, l'amiral Gheerbrant, a indiqué à la Commission : « Lorsque l'on s'est aperçu de la route que le bateau prenait vers le Nord, j'ai pris tout de suite une initiative, en passant par Paris, puis par le directeur de cabinet du Premier ministre, qui n'a pas voulu intervenir au niveau des Affaires étrangères et qui m'a laissé le soin de m'en charger. J'ai fait savoir par télécopie au directeur de la sécurité maritime en Espagne que la route qui mettrait le lendemain à 14 heures le bateau à la latitude d'Arcachon ne me paraissait pas extrêmement raisonnable. (...)

Cette intervention n'a pas été rendue publique parce que ce n'était pas nécessaire, ne serait-ce que pour ne pas gêner nos amis espagnols, mais c'est bien à cause d'elle que le bateau s'est un peu éloigné de nous. Ensuite, les Portugais ont protesté, et c'est alors que le navire a pris une route vers l'ouest qui ne déplaisait ni aux uns ni aux autres. » 

Au terme de ce remorquage quelque peu mouvementé de six jours, le navire s'est abîmé, en deux morceaux, à 130 milles des côtes espagnoles, à une profondeur de plus de 3 500 mètres. La présentation faite en Galice à la délégation de la Commission d'enquête par les autorités espagnoles, est retracée en annexe 2.

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Source : Rapport provisoire du BEA-mer

Afin de comprendre les conditions de la prise de décision de l'éloignement, les membres de la Commission ont donc entendu le sous-secrétaire d'Etat espagnol aux Transports, M. Adolfo Menendez, accompagné du directeur général de la Marine marchande, M. José-Luis Lopez Sors : en effet, ce dernier est l'autorité maritime la plus élevée en Espagne et, à ce titre, était chargé de prendre les décisions relatives au navire en difficulté.

Dès la survenance de l'avarie, trois options ont été envisagées par les autorités espagnoles : le transvasement de la cargaison en mer à un autre navire, l'entrée dans un port et l'éloignement. La première solution a été jugée impraticable pour des raisons techniques et météorologiques. De même, l'accueil du navire dans le port de la Corogne ou dans une ria proche a été écarté après avoir consulté le pilote chef du port de la Corogne : ce dernier a estimé cette opération quasiment impossible en raison des conditions naturelles de la côte et du port, des conditions météorologiques et de l'état du navire, dont le tirant d'eau atteignait alors 21 mètres. Cet important tirant d'eau, qui supprimait quasiment tout franc-bord du navire, résultait des manœuvres engagées par le capitaine pour rééquilibrer la gîte du navire à la suite de la rupture d'une partie de la coque.

De plus, les autorités espagnoles ont insisté sur le fait que la loi des ports de l'Etat et l'instruction de la préfecture militaire de la Marine de La Corogne de 1977 interdisaient l'entrée de pétroliers qui ne disposeraient pas d'éléments de gouvernail propre et de machines en parfait état, ainsi que l'entrée de pétroliers dont le tirant d'eau serait supérieur à 15,50 mètres. Selon les personnes auditionnées, l'application de ces textes rendait impossible l'accueil du Prestige dans un port espagnol.

En se fondant sur ces analyses et ces textes, les autorités espagnoles ont donc décidé d'éloigner le navire des côtes : les interlocuteurs de la délégation de la Commission ont indiqué que leur objectif était de l'amener dans une zone plus calme, par exemple vers les îles du Cap Vert, où le navire pourrait être allégé plus facilement. Mais le navire a fait naufrage bien avant de parvenir dans une zone aussi éloignée et a répandu tout au long de son remorquage de larges nappes de fioul.

Subsiste l'impression d'une errance peu maîtrisée du navire durant six jours. Il semble que les autorités espagnoles aient cherché à envoyer le navire le plus loin possible de leurs côtes : elles ont d'ailleurs exigé de la société néerlandaise SMIT, chargée du remorquage dans le cadre de sa mission d'assistance, qu'elle s'engage à ne jamais rapprocher le Prestige à moins de 120 milles de la côte. Peut-être les autorités espagnoles escomptaient-elles que le navire coulerait dans les profondeurs de l'océan, où la température entraînerait la solidification du fioul dans les citernes du navire. Malheureusement, cette hypothèse ne s'est pas vérifiée : le fioul a continué à fuir et à remonter alors que l'épave gisait à moins 3 500 mètres. Cette profondeur rendra d'ailleurs le traitement définitif de l'épave extrêmement complexe.

De fait, de nombreux experts jugent que l'éloignement du navire a constitué une erreur : un groupe de 422 scientifiques espagnols a d'ailleurs dénoncé la gestion de la crise par les autorités espagnoles, en particulier s'agissant de l'éloignement du navire, dans un article de la revue « Science » parue en janvier 2003.

Il semble donc que la décision espagnole, qui a finalement abouti à une pollution de grande ampleur, soit contestée, et il est apparu un certain consensus sur le fait que les autorités auraient dû tenter de faire entrer le navire dans un port ou une crique abritée, malgré les difficultés techniques qu'aurait présentées cette manœuvre. Le traitement de la pollution, qui aurait alors été concentrée dans une zone plus restreinte, se serait avéré plus simple, et l'ampleur des littoraux touchés aurait été bien moindre.

Pour autant, ce jugement doit être tempéré par le fait que les autorités devaient prendre une décision dans l'urgence et étaient confrontées à des conditions météorologiques exécrables3. De plus, la côte de Galice, et notamment la « Côte de la Mort » bien nommée, est une zone dangereuse, où s'exercent des phénomènes de houle et de mers croisées qui rendent les manœuvres difficiles, d'autant que le navire était en avarie et sans propulsion. Lors des opérations d'entrée dans un port ou une ria, il était possible que le navire échoue, casse, voire se fracasse sur la côte et que la pollution se diffuse ensuite largement par les courants.

M. Girin, directeur du Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE), a rappelé à cet égard lors de son audition : «Nous ne connaissons pas d'exemples de bateaux qui aient été amenés volontairement dans un port dans la situation où se trouvait le Prestige. Cela ne signifie pas que l'on ne peut pas et que l'on ne doit pas le faire, mais cela veut dire que le responsable espagnol, confronté à cette situation et se basant comme tout le monde sur ce qui a été fait dans le passé, aura trouvé plus facilement des exemples de bateaux éloignés que des exemples de bateaux entrés dans un port dans ces conditions. En outre, le port de La Corogne a subi deux marées noires dues à deux ratages d'entrée dans le port par des navires manœuvrants. (...) Le pire n'a pas eu lieu ; pour moi, le pire aurait été le déversement progressif de 76 000 tonnes de fioul d'un bateau échoué sur la « côte de la mort ». Il ne faut pas simplement considérer l'hypothèse d'un bon déroulement de l'entrée dans le port du navire, il faut aussi analyser l'hypothèse d'une tentative manquée qui aurait abouti à une situation encore pire. Ce n'est pas une défense des Espagnols, mais une constatation technique. »

Il s'agissait donc bien de choisir la moins mauvaise des solutions. Déterminer si les autorités espagnoles ont effectivement fait le bon choix se révèle, à l'évidence, complexe et délicat.

B.- LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES DANS LA LUTTE CONTRE LA POLLUTION

La Galice a connu de nombreuses marées noires au cours de son histoire, de l'Urquiola en 1976 à l'Aegean Sea en 1992. De ces catastrophes, la Communauté autonome détient malheureusement une certaine expérience dans le domaine de la pollution par hydrocarbures.

Pourtant, il semble que les moyens matériels dont dispose l'Espagne et l'organisation de la lutte contre la pollution soient perfectibles, en tout cas au moment du naufrage du Prestige.

En effet, le sinistre a montré que l'Espagne ne possède pas de remorqueurs de forte puissance, tels que les remorqueurs français basés à Brest ou dans la Manche. Lors de son audition, M. Tourret a notamment indiqué : « dans le nord-ouest de l'Espagne, les moyens de remorquage ne sont pas du type de ceux dont on peut disposer à la hauteur du Cotentin, dans le Nord-Pas-de-Calais ou à Ouessant. Ce sont des remorqueurs portuaires, certes très puissants, mais dont la puissance est néanmoins de moitié inférieure à celle de l'Abeille-Flandre. » Cette insuffisance peut expliquer une partie des difficultés de remorquage observées au début de la crise.

De même, la flotte espagnole de navires de dépollution est relativement réduite. Certes, l'activation du Biscaye-Plan, plan de coopération bilatérale franco-espagnole, et du mécanisme communautaire d'assistance multilatérale, a permis de mobiliser rapidement de nombreux navires antipollution dans la zone affectée, notamment en provenance de France, des Pays-Bas, de Belgique, d'Allemagne et de Norvège : par exemple, le navire français Ailette était présent dans les eaux espagnoles dès le 15 novembre, et l'Alcyon est arrivé peu après. Cependant, si les autorités espagnoles se sont félicitées du bon déroulement de cette coopération, et tout particulièrement de la collaboration franco-espagnole, la faiblesse du dispositif espagnol n'en demeure pas moins préoccupante.

Sur cette question, M. Adolfo Menendez a indiqué à la délégation de la Commission d'enquête que lors d'une telle pollution, les moyens de lutte ne sont jamais suffisants, et que seule la prévention des catastrophes est efficace : cet argument semble cependant relativement contestable, en ce qu'il pourrait conduire finalement à ne se doter d'aucun moyen de dépollution...

Il faut relever ici l'extraordinaire travail réalisé par les pêcheurs galiciens, asturiens et basques, qui ont complété, voire dépassé, l'action des navires dépollueurs : ils se sont massivement mobilisés pour recueillir le fioul en mer, en mettant en œuvre des techniques artisanales qui se sont avérées d'une grande efficacité. Plus de 200 navires de pêche espagnols sont ainsi intervenus au plus fort de la crise et ont finalement recueilli de plus fortes quantités d'émulsion que les navires spécialisés, ce qui constitue une performance tout à fait remarquable.

Enfin, en ce qui concerne la récupération des déchets à terre, les interlocuteurs espagnols ont indiqué que le nettoyage des plages était coordonné par le ministère de l'Environnement et que des structures ont été créées au niveau territorial pour assurer la distribution des matériels, coordonner les opérations et fournir les informations disponibles aux intervenants.

Cependant, beaucoup ont souligné que l'organisation et la coordination des actions à terre n'étaient pas parfaites, du moins dans les premiers mois de la crise. Ainsi, les volontaires ont afflué en masse dès les premières arrivées de pollution, mais leur encadrement et les matériels disponibles n'étaient pas suffisants. De même, la mobilisation des militaires espagnols pour nettoyer les plages a été jugée tardive : lors de leur arrivée, un détachement de l'armée belge était déjà à l'œuvre. Enfin, la communication des gouvernements espagnol et galicien est apparue parcellaire et marquée par la volonté de minimiser la crise : dans un premier temps, le ministre de la Pêche et de l'agriculture, M. Miguel Arias Canete, a affirmé que l'on ne pouvait pas qualifier le sinistre de marée noire, mais de « déversement très sérieux »...

A cet égard, M. Girin, directeur du CEDRE, a indiqué à la Commission : « En Espagne, il s'est agi en fait d'un nouvel Erika. Il y a eu des problèmes techniques, une communication insuffisante, un débordement par des bénévoles et, vous l'avez vu dans la presse, une image généralement négative pour le public de l'action de l'Etat espagnol face au Prestige. »

L'organisation espagnole de la lutte en mer et à terre a en effet suscité de fortes critiques de la part de la population et de la presse espagnole, entraînant une véritable crise politique : tant le gouvernement espagnol que celui de la Communauté de Galice ont été mis en cause avec virulence pour leur gestion de la crise.

C.- LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES AUTORITÉS

L'organisation administrative de l'Espagne est très spécifique et se caractérise par la grande autonomie de ses régions, les Communautés autonomes. Dans le contexte de la crise du Prestige, on peut se demander si ce système politique très décentralisé n'a pas entraîné un certain manque de coordination entre l'Etat central et les Communautés affectées dans les prises de décision et l'organisation de la lutte contre la pollution.

Comme l'a indiqué le sous-secrétaire d'Etat M. Adolfo Menendez aux membres de la délégation de la Commission, l'Etat espagnol exerce seul la responsabilité des opérations de sauvetage en mer : c'est en effet la SASEMAR, société nationale de sauvetage dépendant directement de la direction générale de la Marine marchande, qui en est chargée et détient à ce titre tous les moyens.

Cependant, les communautés autonomes exercent certaines compétences sur la zone maritime des 12 milles, et certains pouvoirs relèvent également des collectivités locales et des autorités portuaires. La communauté de Galice dispose ainsi de moyens propres dans ce domaine, notamment avec ses deux hélicoptères, Pesca I et II.

Les personnes auditionnées par la délégation de la Commission lors de son déplacement à Madrid et en Galice ont mis en avant la bonne coordination des actions de l'Etat espagnol et le gouvernement de Galice en matière de sauvetage maritime, laquelle est prévue et formalisée dans une convention conclue en 1991 entre les deux parties. De même, ils ont indiqué qu'une commission nationale de sauvetage maritime est chargée d'assurer la bonne articulation des compétences de chacun des échelons politiques. Cependant, cette dernière commission n'a été créée que le 22 novembre dernier, c'est-à-dire après le naufrage du Prestige, ce qui peut laisser penser que l'amélioration de la coordination des actions était nécessaire. Par ailleurs, la fonction de haut-commissaire chargé de la gestion du Prestige, créée par un décret du 3 janvier 2003, semble avoir été mise en place pour pallier les carences de la gestion de la crise, notamment s'agissant de la coordination entre les différents niveaux, alors que l'action des autorités nationales et locales faisait l'objet de fortes critiques de la part de la population espagnole.

La gestion de la crise a sans doute souffert de la pluralité des autorités impliquées, qui ne facilite guère la prise de décisions rapides. La superposition de l'action du gouvernement central et des gouvernements régionaux a ainsi pu entraver l'organisation des opérations sur le terrain et diluer les responsabilités des intervenants.

D'ailleurs, il est à ce jour difficile de déterminer quelle est l'autorité qui a véritablement pris la décision d'éloigner le navire : si le directeur général de la Marine marchande est chargé, en application des textes, de faire un tel choix, sans doute cette décision a-t-elle fait l'objet d'une concertation entre les différents niveaux politiques ; mais ce point reste actuellement indéterminé. En tout cas, le directeur général de la Marine marchande a été présenté à la délégation de la Commission d'enquête comme celui qui a pris la décision.

D.- LA SÉCURISATION DÉFINITIVE DE L'ÉPAVE : UNE OPÉRATION COMPLEXE ET INCERTAINE

Le Prestige a fait naufrage au large des côtes espagnoles, où les eaux sont très profondes : le navire s'étant brisé en deux, la partie avant du navire, qui contient la majorité des cuves, gît à une profondeur de 3 820 mètres tandis que la partie arrière a coulé à trois kilomètres de distance, à 3 545 mètres de profondeur. Cette localisation rend extrêmement difficile le traitement de l'épave.

En effet, alors que l'on pensait que la température régnant à cette profondeur figerait le fioul lourd, le produit a continué à s'échapper des cuves et est remonté à la surface. Les fuites atteignant après le naufrage 125 tonnes par jour, les autorités espagnoles ont fait appel au sous-marin français Nautile, appartenant à l'IFREMER, afin de colmater les brèches des cuves. Cette opération a été couronnée de succès : les 20 brèches identifiées ont été obturées au cours des plongées successives du Nautile et les fuites ont été fortement réduites, ne représentant plus actuellement que moins d'une tonne par jour. Les autorités espagnoles ont d'ailleurs tenu à rendre hommage au travail remarquable effectué par le sous-marin français.

Cependant, ces obturations ne constituent qu'une solution temporaire et l'épave doit être sécurisée de façon définitive : on estime en effet à 37 500 tonnes environ la quantité de fioul restant dans les cuves du Prestige et la corrosion au fond de l'océan « grignotera » lentement mais inexorablement les tôles de l'épave, à un rythme de 0,1 à 0,3 millimètre d'épaisseur par an.

Le traitement de l'épave se heurte cependant à une difficulté de taille : jamais une intervention n'a été réalisée à une telle profondeur, y compris par les compagnies pétrolières exploitant des gisements off-shore. Les outils permettant de travailler à moins 3 500 mètres, dans des conditions de pression et de température très contraignantes, n'existent pas actuellement et doivent être développés. La faisabilité de cette opération, son coût et les risques qui y sont associés sont donc très difficiles à déterminer.

Les autorités espagnoles ont confié à un conseil scientifique créé spécialement à cet effet la charge de mener des études sur les différentes options envisageables et de lui indiquer la meilleure solution. Le conseil s'appuie sur l'expertise technique d'un groupement d'entreprises pétrolières, constitué autour de la première compagnie pétrolière espagnole, Repsol.

Trois possibilités ont été retenues : un système novateur d'extraction par gravité, utilisant la différence de densité entre le fioul lourd et l'eau, qui serait le moins coûteux mais le plus aléatoire ; la mise en place d'une sorte d'auvent au-dessus de l'épave pour recueillir le fioul ; le pompage direct. Des études ont été lancées simultanément sur l'ensemble de ces options, dont le coût prévisible varie entre 60 et 70 millions d'euros pour les deux premières. Le coût de la troisième n'a pas été évalué, car les autorités espagnoles estiment que soit la première, soit la deuxième, devrait fonctionner, la solution de pompage soulevant plus de difficultés. En ce qui concerne les délais de mise en œuvre, il a été indiqué à la Commission que la première option conduirait sans doute à la fin de l'année 2003 ou au printemps 2004, la deuxième à l'été 2004, et la dernière à l'été 2005.

De grandes incertitudes pèsent cependant sur la mise en œuvre de ces opérations à une telle profondeur. Leur réussite dépend notamment beaucoup de l'état de viscosité du fioul restant dans l'épave, lequel est difficile à estimer à ce jour. Pour mémoire, le traitement de l'Erika à 120 mètres de profondeur avait été jugé complexe à réaliser...

En tout état de cause, le gouvernement espagnol a décidé qu'une solution au problème devait être impérativement trouvée, contrairement au cas du Nakhodka, au large du Japon, et qu'aucune limite budgétaire ne serait fixée pour cette opération. Par ailleurs, il a été indiqué que le coût de l'opération ferait l'objet d'une demande de remboursement auprès du FIPOL, ce qui pourrait sembler contestable s'il devait s'avérer que les pouvoirs publics espagnols détiennent une quelconque responsabilité dans le naufrage du Prestige et la pollution qui en est résultée.

E.- LE PROBLÈME DE L'ENQUÊTE JUDICIAIRE, LIÉ À CELUI DE L'INDEMNISATION DES DOMMAGES

A la suite du naufrage du Prestige, des procédures judiciaires ont été engagées tant en Espagne, auprès du tribunal de Corcubion, qu'en France, la compétence juridictionnelle française étant fondée sur l'arrivée de pollutions dans les eaux territoriales françaises. Ces procédures devraient permettre d'établir clairement les responsabilités respectives des uns et des autres, ainsi que les circonstances exactes du naufrage.

Mais, le lancement concomitant de deux instructions judiciaires n'est pas sans poser des difficultés. Comme le soulignait M. Nicot, procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Brest : « Par rapport aux principes généraux du droit, il pourrait y avoir, à terme, quelques difficultés -j'en conviens volontiers. Si la justice espagnole jugeait certains responsables avant la justice française, la règle du non bis en idem s'appliquerait éventuellement et nous poserait des problèmes juridiques. Cela étant dit, si nous sommes plus rapides qu'eux, le problème serait le même, mais inversé. »

Si le principe non bis in idem s'applique effectivement, ce sera la juridiction qui instruira et jugera le plus rapidement l'affaire qui imposera ses conclusions. Or les approches retenues par les deux juridictions ne sont pas nécessairement identiques et peuvent aboutir à des résultats très différents.

Des mécanismes de coopération ont été mis en œuvre afin de coordonner les deux procédures judiciaires : dans le cadre de l'instance européenne Eurojust, récemment mise en place, les autorités judiciaires françaises se sont rendues en Galice et ont rencontré leurs homologues espagnols, afin d'évoquer les difficultés susceptibles de se poser. Par ailleurs, par l'intermédiaire d'une commission rogatoire internationale, le juge français a obtenu l'ensemble du dossier d'instruction espagnol, ce qui permet aux deux juridictions de travailler de concert dans de bonnes conditions pour l'instruction de l'affaire.

Cependant, cette coopération ne permettra sans doute pas de résoudre les divergences dans le déroulement des procédures judiciaires espagnoles et françaises lorsqu'elles aborderont le fond de l'affaire. M. Nicot a notamment indiqué sur ce point : « Concrètement, dans cette coopération, dans ce travail de justice des deux Etats, les commissions rogatoires internationales ont produit, jusqu'à présent, leurs premiers effets. Je ne sais pas ce qu'elles produiront de concret s'il devait y avoir des approches un peu différentes, des susceptibilités... ».

Sur ce point, un exemple est particulièrement significatif : le juge français estime nécessaire de procéder, dans le cadre de son instruction, à des expertises sur les circonstances du naufrage lui-même, ce qui semble effectivement indispensable pour établir les causes de l'accident et les éventuelles responsabilités des différents acteurs. Si l'analyse des conditions du naufrage est complexe, car le navire gît par 3 500 mètres de fond, elle est sans doute techniquement réalisable. Pourtant, ainsi qu'il a été dit, aucune expertise n'a été demandée par les autorités judiciaires espagnoles.

Certaines expertises pourraient d'ailleurs être menées sur des points peu étudiés jusqu'alors. Comme l'a relevé le député européen M. Bernard Poignant, le Prestige a perdu ses ballasts de tribord (cf. photo p.23) dans la nuit du 15 au 16 novembre : ainsi qu'il a été dit précédemment, récupérer cette partie du navire, qui se trouve dans la zone économique espagnole à 2 600 mètres de profondeur ne paraît pas techniquement impossible, et permettrait sans doute d'éclairer les causes du sinistre.

Aux difficultés liées aux différences d'approche des deux juridictions, s'ajoute un problème pratique : le capitaine du navire est placé sous contrôle judiciaire par le juge espagnol en charge du dossier et ne peut donc quitter le territoire espagnol. Cette décision espagnole peut avoir des incidences importantes sur les procédures judiciaires menées en France, ainsi que l'a indiqué M. Nicot : « Par ailleurs, vous avez raison de dire que, quelque part, nous sommes paralysés. Si le juge d'instruction français veut mettre en examen le capitaine du bateau pour une infraction à la législation française -infraction au code de l'environnement-, il doit le faire venir sur le territoire national. Or le capitaine est actuellement placé sous contrôle judiciaire par le juge espagnol, et n'a donc pas le droit de quitter le territoire. Vous pouvez ainsi imaginer les difficultés que nous rencontrons... Nous sommes donc obligés de passer par les procédures de coopération. »

Ces questions d'ordre judiciaire sont d'autant plus délicates qu'elles ne sont pas sans rapport avec l'indemnisation des dommages. Ainsi que l'indiquait Mme Obadia, responsable de la justice pénale spécialisée au ministère de la Justice : « L'Espagne est en train de se positionner par rapport au FIPOL. Tout est lié : victimes, indemnisations, réparations, parties civiles ; la position de chacun des Etats est liée également à ses demandes d'indemnisation. Le jour où l'on voudra appréhender tout cela de manière globale, il conviendra de tenir compte de l'ensemble des dispositifs de responsabilités civiles, indemnitaires, etc. C'est loin d'être simple. »

Or le dossier des indemnisations des préjudices subis est également très complexe, d'autant que la délégation de la Commission a pu constater lors de son déplacement en Galice que la position espagnole est pour le moins intransigeante en la matière.

En effet, selon les règles régissant le FIPOL, si les demandes atteignent un montant supérieur au plafond d'indemnisation, il est appliqué un prorata au marc-le-franc entre les demandeurs, sur la base des créances éligibles au fond, les victimes étant placées sur un pied d'égalité. Compte tenu du plafond actuel du FIPOL, qui s'élève pour le Prestige à 171 millions d'euros, et du coût estimé des dommages résultant du naufrage, qui atteint plus d'un milliard d'euros, il est évident que les crédits seront largement insuffisants pour indemniser les victimes de façon satisfaisante.

L'Etat français a donc décidé de présenter ses créances au FIPOL après celles des victimes privées du sinistre et des collectivités locales. En revanche, si le gouvernement espagnol a également prévu de ne présenter ses demandes qu'après celles du secteur privé et des collectivités locales espagnoles, le haut-commissaire pour la gestion du Prestige, M. Martin Villa, a indiqué à la délégation de la Commission que le gouvernement espagnol n'entendait pas placer ses propres créances au même niveau que celles de l'Etat français. Selon M. Martin Villa, un tel choix entraînerait en effet une indemnisation d'un niveau inacceptable pour l'Espagne, conduisant à une répartition des fonds d'un tiers pour la France et de deux tiers pour l'Espagne, alors qu'il a estimé que l'étendue des dommages dans les deux pays justifiait une répartition de l'ordre de 90% pour l'Espagne et de 10% pour la France.

Au regard de l'opinion publique française, une telle appréciation paraît contestable. Le refus des autorités espagnoles de présenter les créances de l'Etat au même niveau que celui de l'Etat français suscite donc les plus vives interrogations de la Commission.

IV.- UNE GESTION DE LA CRISE PAR L'ADMINISTRATION FRANÇAISE SENSIBLEMENT AMÉLIORÉE

Confrontées à une nouvelle marée noire moins de trois ans après l'Erika, les autorités françaises ont malheureusement pu bénéficier d'un retour d'expérience récent, et le dispositif mis en place pour faire face à la crise a tenu compte des enseignements tirés du naufrage de l'Erika. Le rapporteur de la précédente Commission d'enquête, M. le Drian, a ainsi tenu à souligner: «  Des progrès réels ont-ils été effectués ? Sur la gestion POLMAR (plan de lutte contre les pollutions marines), manifestement oui, d'après nos constatations. Il faut dire que la gestion antérieure était tout de même calamiteuse. Manifestement, il y a eu révision des textes et révision des responsabilités. (...) Globalement, cette dernière gestion fut meilleure. »

La coordination de l'action en mer et à terre, principal point faible relevé alors, a été améliorée, de même que la gestion de la communication, et des procédures financières innovantes ont permis d'accélérer le remboursement des frais engagés par les collectivités locales. Reste cependant la question difficile de la sortie de crise, et notamment du traitement des pollutions qui arrivent encore actuellement de façon sporadique sur les plages françaises, et pour lesquelles il faut trouver une réponse adaptée et proportionnée.

A.- LA RÉPONSE FRANÇAISE EN MER : UNE ACTION FORTE, LE CHOIX DE SOLUTIONS OPÉRATIONNELLES NOUVELLES

1.- L'utilité reconnue de la lutte en mer

Etant donné l'impossibilité technique de disperser un produit tel que le fioul n°2, la seule option de lutte en mer consistait à confiner et à recueillir les nappes par tous les moyens possibles.

L'expérience de l'Erika a prouvé le rôle important de la lutte en mer par pompage des hydrocarbures. Comme le soulignait M. Girin lors de son audition devant la Commission : « Le premier enseignement tiré de l'Erika a été l'intérêt de la lutte en mer. Lorsque le Prestige est arrivé, il n'y avait pas de doute. Je suis obligé de rappeler qu'au moment où a démarré la lutte en mer contre la pollution de l'Erika, le FIPOL a averti le préfet maritime du fait qu'il s'engageait dans une action qui n'était pas nécessairement raisonnable. Ceci ne s'est pas reproduit au moment de la lutte contre la pollution du Prestige. Tout le monde avait admis, y compris les indemnisateurs, que la lutte en mer était une action raisonnable. » Il est heureux que le FIPOL ait bien voulu s'abstenir, cette fois, d'un avis qui se serait révélé manifestement erroné.

Le retour d'expérience de l'Erika a été d'autant plus utile que le produit déversé par le Prestige était relativement similaire : les difficultés liées à la viscosité du produit étaient donc bien connues et des matériels adaptés avaient été développés, tels les chaluts Thomsea, ce qui a permis de gagner beaucoup de temps dans la lutte.

Nos interlocuteurs ont d'ailleurs souligné que l'action en mer est absolument fondamentale pour épargner le milieu marin, mais aussi le littoral : en effet, l'expérience a prouvé qu'il existe un facteur considérable, allant de cinq à dix de multiplication des volumes et des masses à traiter entre le fioul déversé en mer et les déchets à traiter à terre. Ainsi, mille tonnes de fioul répandues en mer se traduiraient par la nécessité de recueillir environ cinq à dix mille tonnes de déchets sur les côtes, en particulier sur les plages de sable.

La pollution était extrêmement dispersée, sous forme de « boulettes » plutôt que de nappes, et est arrivée progressivement, sur une longue période : ces caractéristiques spécifiques, nécessitant une réponse adaptée de l'action en mer, ont cependant permis de recueillir une quantité maximale de fioul en France ainsi qu'en Espagne : selon le CEDRE, au total, plus de 53 000 tonnes d'émulsion4 ont été récupérées en zone française et espagnole, ce qui représente la plus vaste opération de recueil de fioul jamais mise en œuvre. La quantité de fioul récupérée a notamment été bien plus importante que lors de l'Erika, grâce à l'expérience acquise et au caractère progressif de l'arrivée de la pollution sur les côtes.

2.- Une action maritime forte, menée en coopération avec des moyens internationaux

Le naufrage ayant eu lieu loin des côtes françaises, les autorités maritimes ont disposé de temps pour s'organiser, à la différence du cas de l'Erika : le naufrage a eu lieu le 19 novembre et le plan POLMAR-mer, cadre juridique de la mobilisation des moyens de lutte, a été déclenché le 3 décembre.

Le préfet maritime de l'Atlantique, M. Jacques Gheerbrant, a d'ailleurs tenu à souligner la bonne coopération de toutes les administrations civiles et militaires agissant en mer, c'est-à-dire la Marine nationale, les Affaires maritimes, les Douanes, la gendarmerie maritime et départementale, la sécurité civile et la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) : « La gestion de la crise du Prestige a révélé une mobilisation très efficace de l'ensemble des parties prenantes et la mise à disposition de tous les moyens de l'administration au bénéfice du préfet maritime, dès l'instant où une situation d'urgence le justifiait, s'est déroulée parfaitement. »

Comme lors de l'Erika, plusieurs types de navires dépollueurs, français ou étrangers, ont pris part à la lutte contre la pollution, intervenant isolément, en petits groupes ou en formation de flottille. De même qu'en Espagne, les moyens français, notamment les bâtiments Alcyon et Ailette, ont en effet été complétés par huit navires hauturiers européens de lutte contre la pollution, placés sous le contrôle opérationnel du préfet maritime, et ce dans le cadre de l'accord franco-espagnol du Biscaye-Plan et du mécanisme de coopération civile de la Commission européenne.

Tant en France qu'en Espagne, ces mécanismes bilatéraux et européens ont bien fonctionné et les moyens internationaux mobilisés ont été dans l'ensemble très utiles ; le CEDRE a notamment salué les excellentes performances du navire néerlandais Arca, qui était d'ailleurs déjà intervenu lors du naufrage de l'Erika pour la récupération du fioul en mer.

Capacités respectives des navires antipollution mobilisés

Navire

Nationalité

Capacités

Quantité récupérée (en tonnes)

ARCA

Pays-Bas

- Marflex MSP 250

- 2 sweeping arms (15 m)

- 400 mètres de barrage hauturier

357

NORMAND DRAUPNE BAMSE

Norvège

- NOFO Transrec 350

- Skimmer HIWAX

- 400 mètres de barrage hauturier (ROBOOM 3500)

231

FAR SCOUT

Norvège

- NOFO Transrec 350

- Skimmer HIWAX

- 400 mètres de barrage hauturier (ROBOOM 3500)

328

GUNNAR SEIDENFADEN

Danemark

- Pompe Rotan HD 152 ERM

- Skimmers TERMINATOR et DESMI 250

- 1 000 mètres de barrage hauturier (ROBOOM 2000)

165

Source : Préfecture maritime de l'Atlantique

La mise en œuvre de la coopération européenne a cependant permis de constater à la fois l'insuffisance globale des capacités actuelles de tous les navires dépollueurs existants et le fait que les navires dont dispose la France ne comptent pas parmi ceux qui ont permis de récupérer le plus de pétrole en mer, disposant de capacités plus faibles (700 m3 contre 800 à 3 500 m3 pour les navires étrangers utilisés, à l'exception de deux petits navires belges et danois).

En outre, la récupération de fioul en mer s'est heurtée à deux limites majeures : tout d'abord, les navires dépollueurs ne peuvent mettre en œuvre leur système de pompage du fioul à partir d'un état de mer de 4 à 5. De fait, les mauvaises conditions météorologiques observées lors de la période de lutte contre la pollution ont fortement limité la durée d'intervention des navires.

Ensuite, si la récupération du fioul par pompage s'avère l'instrument privilégié des premiers moments de la crise, au-delà d'une certaine période, -qui était de l'ordre de deux mois et demi pour le Prestige-, la pollution est trop fragmentée et trop dispersée et elle n'est plus récupérable par les navires5. A ce stade, les navires de pêche deviennent un outil plus performant.

L'action des navires antipollution spécialisés a été complétée dans le cas du Prestige par des chalutiers opérant en couple, qui ont tracté dans un premier temps des chaluts de surface conçus par la Marine nationale, ramassant jusqu'à quatre tonnes de fioul par trait, puis dans un second temps par des systèmes de récupération d'hydrocarbures conçus par les professionnels eux-mêmes, tels que le chalut Thomsea Vendée. Ces unités étaient assistées de navires de soutien de la Marine nationale, chargés de collecter les polluants récupérés.

Les opérations de lutte en mer doivent être impérativement associées à l'intervention d'hélicoptères : en effet, la détection d'une nappe ou de galettes de fioul à partir de la passerelle d'un navire est pratiquement impossible. Des moyens aériens -des hélicoptères pour l'essentiel- ont donc été mobilisés pour repérer les nappes de fioul et organiser le guidage des bateaux.

3.- Le recours au soutien des marins pêcheurs

a) Une intervention particulièrement justifiée

L'intervention des pêcheurs résulte du retour d'expérience de l'Erika. Ainsi que l'a indiqué M. Frémont, préfet de la région Aquitaine et de la zone de défense Sud-ouest, au cours de sa première audition : « En ce qui concerne l'utilisation des professionnels, nous avons tiré des leçons de l'Erika. Je me suis souvenu de notre capacité à mobiliser les pêcheurs dans le Finistère. Dès le début, le préfet maritime et moi-même avons estimé qu'à tous points de vue, il fallait utiliser les pêcheurs, d'une part, parce qu'ils rendaient de grands services et, d'autre part, parce que cela évitait qu'ils restent à quai. J'avais vécu des expériences douloureuses sur ce plan, notamment au Guilvinec en 1993 ou 1994 [en tant que préfet du Finistère]. »

De même, le préfet maritime de l'Atlantique, l'amiral Gheerbrant, a souligné lors de son audition l'intérêt de la participation des pêcheurs : « j'ai absolument tenu à mettre en œuvre ce principe : l'association des professionnels de la mer, non seulement pour tirer parti de leur expertise dans des techniques comme le chalutage où il est bien évident qu'ils sont plus qualifiés que les marins d'Etat mais aussi, et peut-être surtout, pour éviter que l'Etat se trouve seul face à l'opinion publique dans le traitement de cette affaire, il m'a paru politiquement très important d'avoir la participation active du maximum de monde plutôt que de se retrouver en situation de bouc émissaire tout désigné. »

Ainsi, le recours aux moyens des pêcheurs se justifiait naturellement et principalement par leur efficacité incontestable, mais aussi par des raisons psychologiques, car il permettait d'associer à la lutte une population particulièrement sensibilisée aux risques de pollution et directement concernée par les conséquences économiques immédiates du naufrage.

b) Des résultats remarquables

L'intervention des pêcheurs a été tout à fait déterminante dans les opérations en mer. Au plus fort de la crise, 96 bateaux de pêche français étaient mobilisés : en utilisant des moyens artisanaux, ils ont recueilli des quantités de fioul très importantes, de l'ordre de 3 200 tonnes, contre 1 000 tonnes pour les navires spécialisés, dans les eaux françaises.

L'action des pêcheurs espagnols s'est avérée tout aussi efficace, de sorte que les navires de pêche dans leur ensemble ont recueilli davantage de fioul que les navires spécialisés. En tout état de cause, l'action en mer de ces différents navires a permis de limiter considérablement la quantité de déchets arrivée sur les plages.

Bilan des déchets récupérés au 14 mars 2003

(en tonnes)

Déchets

Estimation au plus juste de l'équivalent pétrole

1- Emulsions récupérées en mer

- par les navires antipollutions européens

- par les pêcheurs français et espagnols

19 600

33 900

9 800

11 300

2- Déchets récupérées à terre

- sur les côtes espagnoles

- sur les côtes françaises

58 120

13 300

11 600

2 660

3- Fuel évaporé en mer

Environ 5% des 40 000 tonnes déversées

2 000

Total

124 920

37 360

Source : Le CEDRE et les autorités espagnoles

De fait, lorsque la pollution arrive en zone plus côtière ou devient morcelée, le recours à une importante flottille de navires de pêche équipés de moyens adaptés, tels des filets ou des épuisettes, est un outil plus performant que les navires spécialisés. Les pêcheurs ont donc complété l'action des navires dépollueurs, l'ensemble étant coordonné par un bâtiment de la Marine, le D'entrecasteaux.

De plus, les petits navires de pêche ont joué un rôle très important dans le dispositif de veille et de protection des côtes, et notamment de certains sites particulièrement vulnérables, à l'instar des pertuis charentais -peu menacés- et surtout du bassin d'Arcachon : ils pouvaient ainsi donner l'alerte en cas de découverte d'hydrocarbures et recueillir dans leurs filets de petites quantités de produits. Le préfet Frémont a notamment indiqué à la Commission : « Les pêcheurs connaissent la mer. Leurs petits bateaux leur permettaient d'approcher plus près des côtes, là où se trouvait le pétrole. Les barrages qu'ils avaient établis en face de Biarritz ou d'Arcachon m'ont paru être la méthode, et de loin, la plus sérieuse de protection de la côte. »

Les professionnels ont réalisé une performance remarquable, en assumant une tâche ardue et physiquement éprouvante, dans des conditions météorologiques difficiles. Au cours de la crise, ils ont mis au point des méthodes artisanales très efficaces, en développant des outils de récupération nouveaux afin de s'adapter aux caractéristiques du fioul lourd, avec l'appui très apprécié des conseils et de l'expertise du CEDRE. Les pêcheurs ont également reçu des équipements fournis par la Marine nationale ainsi que par les autorités terrestres, tels que des combinaisons ou des épuisettes.

Les pêcheurs français ont tenu à souligner que la collaboration avec les pêcheurs espagnols a été très fructueuse : ils ont échangé des informations sur la localisation des nappes et ont travaillé ensemble, de façon coordonnée, intervenant parfois indifféremment dans les zones espagnoles ou françaises, en fonction de la dérive des pollutions.

La mobilisation des pêcheurs français a été réalisée dans le cadre de réquisitions par la préfecture maritime, puis par les préfectures de département pour la lutte proche de la terre. Il s'agissait de réquisitions « à l'amiable », sur la base du volontariat. De l'avis de tous, y compris des pêcheurs entendus à Bayonne, ce dispositif a bien fonctionné.

Cependant, il convient de relever qu'il a eu aussi un coût non négligeable ; les tarifs ont été fixés par des négociations port par port, par l'intermédiaire de l'administration des Affaires maritimes, et une certaine tendance inflationniste a été observée par rapport à la crise de l'Erika. Sur ce point, le préfet Frémont a indiqué lors de sa première audition : « Le choix du recours aux pêcheurs a eu une conséquence financière : les pêcheurs ont fait monter les prix. Ils ont pris comme base les tarifs pour l'Erika et les ont augmentés de 40%. Nous nous sommes battus avec le préfet maritime pour revenir à des niveaux plus raisonnables. Mais, sur le plan opérationnel, les pêcheurs ont indéniablement joué un rôle important. »

4.- L'utilité très relative des barrages

Les personnes auditionnées par la Commission ont souligné que comme lors de la crise de l'Erika, les barrages ont révélé leurs limites et ont été finalement peu utilisés. En effet, en Bretagne comme en Aquitaine, les courants sont tellement forts que, pour le type de pétrole transporté par le Prestige ou l'Erika, les nappes passent au-dessous ou au-dessus des barrages.

Le préfet Frémont a précisé à la Commission : « Nous avions organisé au Croisic, six ans avant l'Erika, un exercice de fermeture du port. Les corps-morts et les gueuses de vingt tonnes que nous avions mis en place avaient été déplacés par la seule force du courant. »

Le constat est encore plus net en Manche, ainsi que l'a souligné le préfet maritime, l'amiral Pinon : « Au large de Cherbourg, à l'ouest, dans la partie dite du Raz-Blanchard, les courants peuvent atteindre 12,5 nœuds lors des marées exceptionnelles. Dans le Pas-de-Calais, les courants atteignent 4,5 nœuds, ce qui génère des conséquences très importantes. En particulier, il est impossible de poser des barrages hauturiers, aucun n'étant en effet capable de retenir la pollution dès lors que le courant dépasse 0,7 nœud. Depuis la catastrophe de l'Erika, 900 mètres de barrages flottants sont arrivés à Dunkerque et quand bien même ils seraient mis à l'eau, ils ne pourraient pas retenir la pollution en mer en raison de la force du courant. (...) Ils peuvent être utiles pour protéger les côtes dans des endroits abrités, à l'intérieur d'un port ou dans une baie peu soumise au courant. Leur présence est alors nécessaire mais, en tout état de cause, ils ne serviront pas en haute mer pour arrêter une pollution. Je n'essaierai d'ailleurs probablement même pas de les installer, compte tenu des difficultés que cela suppose, surtout en cas de mauvais temps, et du nombre d'engins nécessaires pour accomplir un travail peu utile en haute mer, dès lors qu'il y a du courant. La seule « utilité » des barrages serait alors médiatique, ce qui ne correspond pas au but recherché. »

De surcroît, leur utilisation est lourde et longue à mettre en œuvre ; les barrages sont fragiles et ne peuvent être déployés sans risque par mer forte. Enfin, les caractéristiques de l'entrée du bassin d'Arcachon et les particularités de la Côte Basque faisaient qu'il n'y avait pratiquement pas d'endroit où l'on pouvait utiliser les barrages. Quelques-uns ont pu être installés, notamment à l'entrée des rivières ou pour protéger quelques plages particulières, comme celle de Biarritz, mais leur utilisation est restée marginale et la protection assurée par les navires de pêche était beaucoup plus efficace.

Cependant, il est indéniable que l'installation de barrages joue un rôle psychologique important auprès des populations, en permettant de visualiser les mesures préventives prises contre la pollution.

A cet égard, M. Didier Simmonet, directeur du Transport maritime, des ports et du littoral, a indiqué que le stock de barrages avant le Prestige représentait sur l'ensemble des façades maritimes un linéaire total de 31,745 kilomètres. Pour le seul centre d'Aquitaine (Le Verdon), le stock de barrages ne s'élevait avant la catastrophe qu'à 3,440 kilomètres.

Pour autant, malgré leur utilité globalement réduite, le préfet Frémont a souligné le paradoxe des pressions pour en acquérir plus que de besoin : « Concernant les barrages, ils avaient montré leurs limites au moment de l'Erika, mais de façon naturelle, l'Etat et les collectivités locales tendent à vouloir se prémunir contre le danger. Nous subissons une pression extrêmement forte pour acheter des barrages, des filets à civelles ou des « serpillières », comme on disait sur la Côte Basque. Je suis convaincu qu'il faut résister à cette demande, d'autant que lorsque l'on trouve facilement des barrages sur le marché en cas de besoin, beaucoup plus d'ailleurs que des filets. »

B.- L'ACTION À TERRE : UNE COORDINATION RENFORCÉE, LE CHOIX DE LA MÉCANISATION

1.- Des améliorations indéniables dans la coordination des opérations

Le rapport de la précédente Commission d'enquête avait déploré l'insuffisante articulation entre les plans POLMAR terre et mer lors du déroulement de la crise et le flou régnant sur l'autorité chargée de la coordination opérationnelle de la lutte à terre.

On ne peut que se féliciter de constater que les leçons de l'Erika ont été tirées dans ce domaine et que la coordination, tant entre l'action à terre et en mer qu'au niveau des opérations terrestres, s'est avérée bien meilleure lors de la crise du Prestige.

a) Entre l'action à terre et en mer

· Entre les administrations déconcentrées

L'instruction générale POLMAR du 4 mars 2002 clarifie notablement les modalités de la coordination entre l'action en mer et à terre, en disposant que le préfet de zone de défense assure la coordination de l'ensemble du dispositif dès que les plans POLMAR terre et mer sont déclenchés.

Le précédent texte régissant les plans POLMAR, de 1997, était beaucoup plus flou sur ce point : il indiquait que le préfet de la zone de défense chargé de la centralisation des opérations à terre «devenait alors le correspondant privilégié du préfet maritime pour la coordination des opérations terre-mer », ce qui ne permettait pas de savoir qui devait exercer l'autorité en dernier ressort. Les personnes auditionnées lors de la précédente Commission avaient d'ailleurs souligné que la gestion de l'interface entre l'action en mer et à terre constituait un vrai problème, qu'il était nécessaire de résoudre. L'instruction de 2002 a mis fin à l'ambiguïté qui subsistait en ce domaine.

Ainsi, lors de la crise du Prestige, la coordination entre la mise en œuvre des plans POLMAR mer et terre a été assurée par le préfet de zone de défense Sud-ouest, M. Christian Frémont.

L'ensemble des personnes auditionnées par la Commission a jugé ce dispositif très satisfaisant. Le préfet maritime Gheerbrant a notamment indiqué : « En temps de crise, le dispositif que nous avons appliqué pendant le Prestige est la bonne solution. Les préfets des zones de défense concernées, dont l'autorité a été renforcée par la refonte des plans POLMAR-terre, en particulier, sont les bons interlocuteurs pour nous. Nous avons établi des relations simples et directes, à tous les niveaux. »

Dès le premier jour, la préfecture maritime a mis à la disposition du préfet de zone de défense un officier de liaison, qui assurait un contact permanent. Les services des Affaires maritimes ont également assuré une fonction d'interface entre les deux administrations, et ont notamment pris en charge la gestion du recours aux pêcheurs. Enfin, l'utilisation de la visioconférence a contribué à l'amélioration de la coordination : ont été notamment organisées des visioconférences entre le préfet maritime et le préfet de zone de défense, d'abord quotidiennement, puis de manière plus espacée au fil du déroulement de la crise. L'intérêt de ces visioconférences, qui permettaient de résoudre plus facilement et directement les difficultés éventuelles, a notamment été souligné par M. Thierry Dusart, directeur interdépartemental des Affaires maritimes, qui indiquait ainsi à la Commission : « je dirai un dernier mot très positif sur les échanges par visioconférence. Pour ma part, je ne me suis déplacé qu'une seule fois à Pau pendant toute la crise du Prestige. J'estime que cette performance est un gage d'efficacité. »

On notera cependant que la délimitation des compétences respectives de la préfecture maritime et de la préfecture terrestre définie par les textes est parfois source de difficultés. En effet, la récupération des pollutions en mer relève des autorités maritimes, mais lorsque les déchets sont très proches des côtes, la mise en œuvre de la répartition des compétences pose des difficultés pratiques. Ainsi, M. Bouabane-Schmitt, directeur de cabinet du préfet de Gironde, a indiqué lors de son audition : « la limite de compétence entre le préfet terrestre et le préfet maritime est extrêmement ténue. Il est vrai que nous avions pris quelques initiatives allant un peu plus loin que le bord de la plage, sur lesquelles on nous a rapidement fait comprendre que c'était au préfet maritime d'intervenir. Cela a été partiellement réglé par la présence d'un officier de liaison du préfet maritime au PC fixe à la préfecture pendant toute l'activation de la crise. Mais il faut bien reconnaître qu'à un moment donné, même cet officier de liaison n'avait pas la bonne information ni le relais direct et immédiat à Brest. Nous avons donc eu, effectivement, un certain nombre de difficultés ponctuelles, dirais-je, pas structurelles. »

Cependant, dans l'ensemble, les autorités maritimes et terrestres ont collaboré dans de bonnes conditions et les difficultés ponctuelles rencontrées ont pu être résolues de façon satisfaisante. A titre d'exemple, la lutte contre la pollution dans le bassin d'Arcachon a fait l'objet d'une concertation, qui a permis de trouver une solution appropriée : « la question s'est posée de savoir si c'était le préfet maritime ou terrestre qui allait s'occuper de la lutte de la pollution à l'intérieur du bassin et il a été décidé, en intelligence commune, que cette intervention relevait de POLMAR-terre, ce qui donnait bien plus de réactivité et surtout plus de légitimité aux différents services de l'Etat qui, à un moment ou un autre, intervenaient. (...) Cela s'est bien passé. C'est un accord qui a été tacite et verbal, qui n'a même pas été écrit, et qui a permis d'avoir une gestion de proximité et la souplesse dont nous avions besoin pour travailler. »

· Au niveau interministériel

De façon plus globale, les procédures de coordination au niveau interministériel ont également été largement améliorées par rapport à la crise précédente.

D'une part, l'instruction précitée du 4 mars 2002 prévoit un renforcement substantiel des compétences du Secrétariat général de la mer. De fait, si l'intervention de cet organisme avait été relativement réduite lors de l'Erika, il a joué un rôle important de coordination et d'interface dans le déroulement de la crise du Prestige.

Le préfet maritime Gheerbrant a notamment indiqué : « Par rapport à la crise de l'Erika, nous avons eu la chance d'être appuyés très efficacement par le Secrétariat général de la mer pour valider les orientations, donner les directives et peut-être surtout constituer une interface efficace entre la préfecture maritime et les autorités politiques centrales. Il est parfaitement évident que ce type de crise ne peut pas être géré de façon efficace si, en plus de la conduite de l'action, il faut passer sa journée au téléphone avec l'ensemble des cabinets ministériels concernés. La réponse, que prévoient les textes et que nous avons appliquée avec pas mal de succès est le rôle d'interface que le Secrétariat général de la mer peut jouer dans ce domaine. »

Le secrétaire général de la mer, M. Jean-René Garnier, a tenu également à souligner : « Les conditions dans lesquelles s'est déroulée la gestion de la crise du Prestige ont été très différentes de celles que mon collègue Roncière a pu évoquer s'agissant de l'Erika, ceci d'ailleurs grâce aux conclusions tirées de la gestion de la crise consécutive à son naufrage.(...) Il y a donc eu un effort de prévision et de coordination. S'agissant de la coordination au niveau central, dès le début de ces opérations, le secrétaire général de la mer a assuré, par des réunions périodiques, la coordination des actions, en liaison avec Matignon. »

De même, la coordination au niveau interministériel a donné de bons résultats, selon l'appréciation du préfet Frémont : « Le cabinet du Premier ministre a organisé, tous les vendredis depuis la première semaine de janvier -et cela continue6-, une réunion interministérielle à laquelle je participe. Elle permet de poser et, en général, de régler les problèmes qui surgissent sur le terrain. Cette procédure a été extrêmement fructueuse. Tous les ministères étant représentés autour de la table. Quand apparaissait une difficulté avec le ministère de l'Environnement, de l'Agriculture ou de l'Equipement, je recevais une réponse immédiate aux questions que je posais, ce qui est relativement rare dans le fonctionnement de l'administration territoriale. »

Ces déclarations très positives venant des principaux intéressés ont été corroborées par les autres personnes auditionnées, qui ont relevé une nette amélioration de la coordination d'ensemble par rapport à la crise de l'Erika.

Sur ce sujet, les conclusions de la précédente Commission ont donc été mises à profit, notamment dans les textes intervenus en 2002, et le retour d'expérience de l'Erika s'est manifestement avéré très utile.

b) Au plan régional

· Un renforcement bienvenu des pouvoirs du préfet de zone

Le texte de 1997 désignait déjà le préfet de zone de défense comme autorité de coordination des opérations terrestres. Pour autant, le dispositif existant avait paru perfectible à la Commission d'enquête précédente, qui préconisait la définition de modalités fortes de coordination à l'échelon zonal.

A cet égard, l'instruction cadre du 2 avril 2001, puis l'instruction générale du 4 mars 2002 renforcent considérablement les compétences du préfet de zone dans la gestion de la crise, ce qui constitue une amélioration indéniable en matière d'articulation des opérations terrestres. Le premier texte attribue au préfet de zone la mission d'assurer la liaison entre l'échelon local et l'échelon national pour l'ensemble des questions qui ne relèvent pas de la compétence du préfet maritime. Le second texte prévoit l'automaticité de la prise en charge, par le préfet de la zone de défense, de la coordination de l'ensemble des opérations dès lors qu'un plan POLMAR-mer et qu'un ou plusieurs plans POLMAR-terre ont été déclenchés.

Les préfets de département concernés ont eux-mêmes souligné la pertinence de l'échelon zonal lors de la crise du Prestige. Les auditions conjointes effectuées à Bayonne, dans les Pyrénées-Atlantiques, à Capbreton, dans les Landes, et à Bordeaux, en Gironde, ont confirmé cette appréciation. M. Jacques Sans, préfet des Landes, a ainsi tenu à indiquer : « Le premier point concerne la pertinence du niveau zonal : elle me semble validée et je juge souhaitable de renforcer ce niveau zonal. Je tiens à souligner, par ailleurs, la bonne coordination interdépartementale que nous avons constatée ».

Pour sa part, Mlle Kervella, représentante du préfet du Finistère pour le plan POLMAR-terre, a analysé ainsi l'intérêt du rôle central du préfet de zone devant la Commission d'enquête, à la préfecture maritime de Brest : «Concernant le rôle du préfet de zone, on constate toujours certaines susceptibilités entre les préfets. Le préfet de département demeure en effet le directeur des opérations de secours dans son département, mais le rôle du préfet de zone est essentiel en termes de coordination et d'appui.

Pour la gestion de la coordination, il faut souligner que la pollution n'est jamais la même dans tous les départements du littoral. En termes de mobilisation de moyens, tant humains que matériels, il est normal d'affecter le plus de moyens disponibles au département le plus touché. Mais ces moyens ne sont pas extensibles et atteignent vite leurs limites, notamment pour les barrages et le petit équipement. Le rôle de coordination est essentiel dans ce domaine.

Le rôle d'appui, en particulier dans les domaines financiers et dans les procédures et la gestion des marchés publics répond, pour les préfectures terrestres, à un souci important. Certaines procédures sont extrêmement lourdes en matière de mobilisation des moyens. Dans cette affaire, le rôle de la préfecture de zone de défense et des services régionaux chargés de passer les marchés a été essentiel. Ces procédures sont très difficiles à gérer pour obtenir une réactivité adaptée. »

L'intérêt de la coordination zonale est apparu clairement au cours de la crise ; cependant, des retards dans l'application effective du dispositif ont été constatés. En effet, pendant une période de deux à trois semaines, la crise a été gérée par chacun des départements touchés : des flottements dans la mobilisation des moyens et dans l'organisation de la lutte ont alors été observés, notamment dans les Landes.

Ce n'est qu'au terme de cette période transitoire que la préfecture de zone a pleinement assumé un rôle opérationnel central et a pris en charge la coordination des actions, la communication et la gestion financière : cette organisation a alors bien fonctionné, de l'avis des administrations auditionnées ainsi que des élus.

A la lumière de l'expérience du Prestige, la pertinence de l'intervention de la préfecture de zone est pleinement validée ; cette intervention doit être la plus précoce possible, car elle s'avère la plus efficace pour gérer une crise affectant plusieurs départements.

· La question du déclenchement des plans POLMAR-terre

En application des textes, la responsabilité du déclenchement du plan POLMAR-terre dans chaque département relève du préfet de département. La Commission a relevé au cours de ses auditions des divergences d'opinion sur les modalités de ce déclenchement. Le préfet de la région Aquitaine, M. Frémont, a souligné que le plan POLMAR ne devait pas être déclenché avant l'arrivée des premières pollutions, afin de ne pas susciter de confusions au sein de la population. Des préfets de départements ont mis en avant qu'au contraire, la mise en œuvre précoce du plan POLMAR rassurait l'opinion et permettait de préparer la mobilisation des moyens.

Calendrier de déclenchement des plans POLMAR-terre
et des arrivées de pollutions

Déclenchement du plan POLMAR-terre

Arrivées des premières pollutions

Charente-Maritime

3 janvier 2003

1er janvier 2003

Gironde

2 janvier 2003

1er janvier 2003

Landes

8 décembre 2002

31 décembre 2002

Pyrénées Atlantiques

7 décembre 2002

mi-janvier 2003

Source : Secrétariat général de la mer

De fait, le plan POLMAR a été déclenché de façon différenciée selon les départements. Dans les Pyrénées Atlantiques et les Landes, il a été lancé très rapidement, respectivement les 7 et 8 décembre 2002, alors que les premières pollutions ne sont arrivées sur leurs côtes que près d'un mois après ; en revanche, les préfectures de Gironde et de la Charente-Maritime l'ont déclenché plus tardivement, les 2 et 3 janvier 2003.

Le préfet Frémont a notamment indiqué : « Les préfets ont la possibilité actuellement de déclencher le plan POLMAR de leur propre initiative. Je ne pense pas que ce soit la bonne formule. Le préfet des Pyrénées-Atlantiques a déclenché le plan POLMAR, sans doute sous la pression des élus, un mois sinon un mois et demi avant l'arrivée réelle des hydrocarbures. Cela a engendré une confusion pour la population, notamment quand on lui a appris la création d'un centre d'enfouissement de pétrole à Mouguerre, en plein Pays basque. Pour ma part, j'ai déclenché le plan POLMAR en Gironde le jour où le fioul est arrivé sur les plages. Cela ne m'a gêné en rien pour le traitement de la crise. »

On notera cependant que c'est sur la forte recommandation du gouvernement que le plan POLMAR-terre a été lancé de manière anticipée dans les Pyrénées-Atlantiques et les Landes. Le préfet des Landes a même indiqué à la Commission avoir été informé de cette décision a posteriori.

Quel que soit le moment choisi, il est en tout état de cause souhaitable d'harmoniser le déclenchement du plan entre les différents départements concernés, afin d'assurer une meilleure cohérence de l'action administrative. Reste la question des modalités de cette coordination : le niveau zonal doit-il décider de la date de lancement du plan dans les différents départements ? En tout cas, le préfet de zone doit être intimement associé aux décisions, qui doivent être coordonnées a priori, et non a posteriori.

· Pour un plan POLMAR zonal 

Un déversement de fioul d'une ampleur telle que celui du Prestige affecte nécessairement les côtes de plusieurs départements. Lors des auditions de la Commission, a été abordée la question de la pertinence d'un plan POLMAR à l'échelle régionale ou zonale, afin d'assurer une meilleure coordination des opérations et une meilleure répartition des moyens disponibles.

Le premier élément de cette réflexion portait sur les moyens matériels mobilisés lors de la crise. Le préfet Frémont a notamment indiqué à la Commission : « La coordination des moyens a été décidée courant janvier. Auparavant, beaucoup d'achats de prévention avaient été faits par les préfets, dont peu se sont révélés réellement utiles car c'est quand la crise a été là que nous avons identifié les besoins. Je suis tout à fait convaincu que l'on peut améliorer le dispositif en donnant à la préfecture de zone la responsabilité de l'achat des matériels nécessaires. A charge pour elle ensuite de les répartir immédiatement en cas d'arrivée de pollution. Des économies auraient été possibles si l'organisation actuelle avait été anticipée. Si j'avais dû centraliser les moyens de prévention dès le début, j'aurais dépensé moins d'argent que cela a été fait. »

Il est effet regrettable que les acquisitions de matériels aient été réalisées par les départements sans une coordination minimale : une concertation au niveau régional ou zonal est absolument indispensable, afin de disposer d'une vision globale des besoins et d'éviter des redondances dans les équipements ou l'achat de matériels peu adaptés.

Pour autant, cette coordination ne doit pas empêcher, lorsque c'est utile, les collectivités locales d'acquérir leurs propres équipements pour faire face à des cas d'urgence. Cette adaptation exigerait toutefois une adaptation du fonds POLMAR, qui ne permet pas actuellement le financement d'investissement en matériels si ces derniers peuvent être loués. Ainsi, le préfet des Landes, M. Sans, a évoqué l'achat de seize cribleuses réalisé dans son département avec l'aide du Conseil général, ces cribleuses ayant été mises à la disposition des communes : « Il n'a pas été accepté que cet équipement puisse être financé sur les fonds POLMAR. Si l'Etat est intervenu dans les Landes, ce n'est pas du tout sur les fonds POLMAR, mais sur des fonds de développement local de la DDR, selon un montage financier acrobatique et original, auquel mon collègue de Dax et M. Bouyrie ont beaucoup contribué et qui a finalement trouvé l'assentiment de tous. »

Le préfet délégué pour la sécurité et la défense de la zone de défense à la préfecture de région, M. Roger Parent, a présenté une approche plus radicale : il a préconisé un rôle accru du préfet de zone, en poursuivant l'évolution amorcée par le décret du 16 janvier 2001, qui renforce les compétences du niveau zonal dans plusieurs domaines, et notamment dans la gestion des crises. Il a souligné que la préfecture de zone dispose d'une vision globale des situations et peut recourir en temps réel à plusieurs niveaux d'expertise, ce qui permet leur mutualisation entre toutes les préfectures de département. A l'instar de M. Frémont, il a mis en exergue l'achat et la mobilisation trop désordonnés de certains matériels au début de la crise, qui n'obéissaient pas à une logique globale, même s'ils paraissaient localement tout à fait justifiés.

Cependant, il est important que la gestion opérationnelle soit assumée par des autorités proches des administrés et des élus : le niveau départemental paraît à ce titre bien adapté.

2.- Une mise en œuvre efficace du nettoyage des côtes, malgré des débuts difficiles

Les débuts de la crise ont été marqués par un certain flottement dans les opérations de nettoyage. Le préfet Frémont l'a lui-même indiqué : « Nous avons tous hésité, pendant les deux ou trois premières semaines, sur le bon traitement à appliquer. Nous ne savions d'ailleurs pas s'il fallait envoyer des hommes sur les plages ou utiliser des machines. ».

Cependant, après ces premières difficultés, notamment dues à des problèmes de coordination et à l'adaptation aux formes spécifiques de la pollution, l'efficacité des actions engagées à terre a été jugée globalement très satisfaisante.

a) Une organisation efficace

Trois départements, à la configuration côtière très diverse, ont été affectés par la pollution : les Pyrénées-Atlantiques, au littoral rocheux et escarpé ; les Landes et la Gironde, qui comportent surtout de larges plages de sable, longues de plusieurs kilomètres, voire de dizaines de kilomètres.

Les littoraux ont donc dû être traités de façon différente, le nettoyage des rochers s'avérant beaucoup plus difficile et coûteux que celui des plages. Le préfet des Pyrénées-Atlantiques, M. Pierre Dartout, a notamment indiqué : «Les marchés de nettoyage des rochers sont techniquement beaucoup plus difficiles dans leur mise au point. L'intervention des entreprises n'est pas de même nature, en ce sens que les opérations doivent être réalisées sur certains secteurs de la côte, notamment sur la corniche entre Socoa et Hendaye, ou sur certains sites du côté de Guéthary ou de Biarritz, qui exigent des précautions physiques. La corniche des Basques est notamment un site très particulier. Donc, il ne s'agit pas de travaux « simples », comme ceux menés sur les plages de sable. »

Il a également été relevé que les moyens disponibles des collectivités locales touchées varient largement : alors que certaines petites communes des Landes sont responsables de plus de 10 kilomètres de plage et ne disposent pas de moyens humains et matériels importants -qui parfois se résument à deux agents techniques-, les communes de la Côte Basque, telles qu'Anglet, Biarritz ou Saint-Jean-de-Luz, sont plus importantes et leurs services techniques sont plus fournis. Ces données constituent autant de paramètres à prendre en compte lors de la gestion du nettoyage.

Afin d'organiser les opérations de lutte à terre, ont été mis en place des PC au niveau de la région et de chacune des préfectures, ainsi que des PC opérationnels et des PC avancés sur les sites souillés, qui relayaient les demandes de matériels sur le terrain. Dans chacun de ces PC, des agents du CEDRE ont été envoyés pour fournir des conseils techniques appréciés sur les moyens de traitement de la pollution.

Le nettoyage à terre a mobilisé les administrations communales, départementales, régionales et nationales : sont notamment intervenus les personnels communaux, les Services départementaux d'incendie et de secours, les directions de l'Equipement ainsi que l'armée, et les militaires des unités d'intervention de la sécurité civile, allant jusqu'à 5 000 hommes/jour, avec un pic de 6 000 début février 2003.

Au total, au 15 juin 2003, près de 15 000 tonnes de déchets avaient été ramassées à terre dans la zone de défense Sud-ouest7.

graphique

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Source : Préfecture de la zone de défense Sud-ouest

b) Des difficultés ponctuelles rencontrées dans la mobilisation de certains services

La mobilisation des différents services s'est globalement déroulée dans de bonnes conditions, et les interlocuteurs de la Commission se sont déclarés dans l'ensemble satisfaits de la bonne collaboration entre les différentes administrations impliquées.

Cependant, au cours de ses auditions, la Commission a relevé certains dysfonctionnements regrettables lors de la participation de certains services aux opérations menées à terre.

· Une implication des services de l'Equipement sans doute insuffisante

L'intervention des personnels des directions départementales de l'Equipement dans les opérations de dépollution n'a pas été unanimement jugée satisfaisante.

Le préfet des Landes, M. Sans, a tenu à indiquer que, eu égard à la relative faiblesse de leurs effectifs, les services de l'Equipement ont accompli leur mission de façon tout à fait convenable : « J'évoque à nouveau la DDE, car la qualité et l'ampleur de son engagement ont fait ici ou là l'objet de polémiques ; il s'agit d'une DDE d'un département de 330 000 habitants, qui n'est manifestement pas adaptée pour mettre en œuvre un chantier de 100 ou 110 kilomètres. Une telle question doit être réglée de façon solidaire, au niveau régional ou zonal, voire national.

(...) la DDE était parfaitement engagée là où elle pouvait l'être, notamment dans la mise en place des barrages -M. Carrère, qui a été très actif durant cette période, pourra en témoigner- ainsi qu'au PC opérationnel, car les cadres supérieurs de la DDE ont été des acteurs tout à fait déterminants dans la conduite de l'ensemble de la lutte. »

En revanche, le préfet de la zone de défense, M. Frémont a jugé que le travail fourni par l'administration de l'Equipement a été très insuffisant et que les services ont fait preuve d'une mauvaise volonté évidente : « Vous avez également abordé un sujet délicat. C'est la question de la participation des services de l'Etat aux opérations de nettoyage. Vous parlez de la Gironde, je pourrais parler tout aussi bien des autres départements de la zone. Le ministère de l'Equipement -je le dis d'autant mieux que je l'ai répété quasiment tous les vendredis à l'hôtel Matignon- n'a pas entièrement joué le jeu. La DDE de la Gironde a été sans doute, parmi les trois concernées, celle qui a le mieux travaillé, ou le moins mal. Mais il y a eu à l'évidence, parmi les fonctionnaires de l'Equipement -et quand je dis fonctionnaires, il ne s'agit pas du cantonnier de base- l'idée que cette affaire ne les concernait pas vraiment et que, si le service devait être mobilisé, cette mobilisation devait s'accompagner d'heures supplémentaires payées selon des règles qui m'ont paru d'une très grande obscurité, et nécessitant, de surcroît, une modification du statut... Bref, cela a été d'une grande complexité et le ministère de l'Equipement, tant au niveau central que local, a fait preuve d'une certaine mauvaise volonté.

Le résultat n'a pas été trop grave en Gironde. Les maires sont aujourd'hui sensibles au manque de réactivité de la DDE parce que c'est elle maintenant qui signe les bons de commande. C'est pour cela qu'ils se plaignent d'elle. Mais, dans les Landes, la DDE pendant la période la plus difficile a été pratiquement absente des opérations de nettoyage, ce qui explique pour partie les difficultés rencontrées dans ce département, très supérieures à elles rencontrées dans les deux autres départements de la zone touchés par la pollution. »

De même, lors de l'audition des maires de Gironde, ces derniers ont estimé que les services de l'Equipement n'ont pas joué leur rôle :

« M. le Président : Le rôle des DDE ne vous semble pas à la hauteur de ce que vous en attendez ?

M. Michel SAMMARCELLI : Pour être clair, ils ont été étrangement absents pendant toute la crise.  Ce sont les mairies qui ont fait le travail avec une entreprise privée. »

L'explication fournie par les responsables de ces services n'a pas paru totalement convaincante. Lors de son audition à Bordeaux, M. Dupin, directeur départemental délégué de l'Equipement a ainsi justifié les difficultés constatées lors de l'échange suivant :

« M. Frédéric DUPIN : « Il n'y a eu aucune tension ni aucune friction. Nous avons pu, dans notre administration, être confrontés à des problèmes de statut. En effet, nous avons participé aux différents PC, le PC départemental, le PC opérationnel et les PC avancés et avons dû faire travailler sous un régime d'astreinte des agents de catégories A et B. Or, qu'ils soient ingénieurs ou techniciens, leurs régimes statutaires ne nous permettent pas de rémunérer des temps de travail, qui ont été considérables, aussi bien en préfecture que sur le terrain. Il n'existait pas à ce moment-là de régime d'astreinte et nous n'avons pas la possibilité de régler les heures supplémentaires qui ont été faites.

M. le Président : D'où les difficultés ?

M. Frédéric DUPIN : Cela n'a eu aucune conséquence, c'est-à-dire que le système a été basé sur la bonne volonté des personnes. Mais il faut le noter... »

Au vu de ces différents propos, il semble que l'implication et la qualité du travail réalisé par les services de l'Equipement aient été défaillantes. Cette question mériterait d'être résolue à l'avenir car le volontariat peut trouver ses limites ; la réponse de la DDE de Gironde ne paraît pas vraiment à la hauteur du problème.

De même, la capacité des directions départementales des Affaires maritimes à répondre efficacement à la crise a fait l'objet de réserves. Le préfet Frémont a notamment indiqué : « Vous n'avez pas abordé le problème de l'administration des Affaires maritimes, qui relèvent aussi en partie de l'Equipement. J'avais l'habitude de m'appuyer, en Bretagne, sur les directions régionales et départementales des Affaires maritimes. J'ai constaté ici, et ce n'est pas du tout une attaque contre les hommes, l'insuffisante capacité de cette administration, probablement adaptée à la gestion du quotidien, mais totalement inadaptée à la gestion de crise. Elle aurait dû jouer un très grand rôle. Mais, dès la première heure, j'ai compris que ce ne serait pas le cas et qu'il fallait utiliser un autre dispositif. »

Il semble donc souhaitable de réfléchir rapidement à une réorganisation des services de l'Equipement et des Affaires maritimes, par exemple dans un cadre zonal ou interzonal, en prenant les mesures nécessaires pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle, éventuellement en mutualisant, en période de crise, leurs moyens humains.

· Un terrain militaire insuffisamment dépollué, source de résurgence de déchets sur les plages voisines

On relèvera enfin une difficulté ponctuelle, qui emporte cependant des conséquences très regrettables. En effet, dans la commune de La Teste-de-Buch, qui compte 24 kilomètres de plages, trois kilomètres de ces plages relèvent du domaine militaire : ce terrain est géré par les militaires car il s'agit d'un ancien champ de mines, avec un dépôt de munitions, qui n'a jamais été dépollué. En conséquence, le passage est interdit sur ce terrain et seuls les militaires peuvent y intervenir. Or M. Jean-François Acot-Mirande, maire de La Teste-de-Buch, a indiqué à la Commission : « Des militaires, au cours de la deuxième quinzaine, sont venus dépolluer, puisqu'ils sont les seuls à pouvoir entrer sur ce site. Mais leur action est insuffisante. Actuellement8, et depuis plus d'un mois, les militaires ne viennent plus sur le site, ce qui fait que c'est une cause de nouvelle pollution, puisqu'aux gros coefficients, à marée descendante, cette pollution part soit vers le sud, vers Biscarosse et les Landes, soit vers le nord, où cela vient « ensemencer » le bassin. Donc, cela touche l'ostréiculture. »

Le préfet Frémont a également souligné l'inertie des militaires en matière de dépollution : « Concernant la zone militaire, je reconnais que les militaires n'ont pas été dans cette affaire d'une discipline parfaite. C'est au moins la troisième ou quatrième fois que je suis obligé de demander aux armées de nettoyer cette zone, sur laquelle nous n'avons pas le droit d'aller : il s'agit d'une zone d'essai de tir et, sur la plage, il y a des restes de ces tirs, obus et armes diverses, non explosés. Les militaires préfèrent que nous n'y allions pas, et j'avoue partager ce point de vue. Mais ils ne nettoient pas ! (...) Le pétrole est déposé là et la mer le prend et le ramène à côté, après le nettoyage. »

L'attitude des militaires est tout à fait regrettable et il est indispensable qu'ils procèdent régulièrement aux opérations de dépollution de leur site, afin de ne pas entraîner l'arrivée de déchets sur les plages avoisinantes.

Au regard de ces différentes remarques, la Commission insiste sur le fait que l'ensemble des services de l'Etat doit se mobiliser pleinement lors d'une telle crise.

c) Des arrivées de pollutions difficiles à anticiper et à prévoir

Le dispositif retenu pour organiser la lutte a dans l'ensemble donné satisfaction. Cependant, comme on l'a indiqué plus haut, les deux à trois semaines suivant les premières arrivées de pollution ont été marquées par d'importants atermoiements dans la lutte : chaque département gérait lui-même la crise à son propre niveau et tant les effectifs que les matériels étaient insuffisants.

Les élus ont souligné qu'aux premiers moments de la crise, ils avaient eu le sentiment d'être livrés à eux-mêmes, sans encadrement ni moyens. M. Jean-Pierre Dufau, député des Landes, a tenu à préciser : « Il faut savoir que, jusqu'à la mi-février, nous avons travaillé pratiquement sans aide extérieure. Ce n'est qu'à partir de la dernière semaine de janvier que quarante-deux escadrons d'une vingtaine de personnes de la protection civile sont arrivés. Nous nous sommes débrouillés tout seuls pendant trois semaines. Il faut le savoir et le dire. La pollution est arrivée ici en pleine tempête. M. Christian Carrère, responsable de la sécurité maritime, se souvient encore des conditions dans lesquelles les barrages ont été posés. Pendant quinze jours, cela a été très difficile. Nous étions livrés à nous-mêmes sans matériel, en pleine tempête, face à une pollution massive, alors qu'elle n'avait pas encore atteint les Pyrénées-Atlantiques, et nous avons eu le sentiment d'être vraiment seuls. Puis, dès le début du mois de février, les choses sont rentrées dans l'ordre et, en deux ou trois semaines, nous avons reçu des moyens supplémentaires et cela a très bien marché. Nous avons collecté beaucoup de déchets. Mais entre-temps, nous avons eu le sentiment d'avoir perdu du temps. »

Par la suite, la préfecture de zone a assumé un rôle de directeur de coordination et de mobilisation des moyens humains et matériels au niveau interdépartemental. L'intervention accrue du niveau zonal s'est notamment traduite par l'arrivée d'unités d'intervention de la sécurité civile, dont le savoir-faire a été essentiel pour la conduite des chantiers sur les plages.

Cette organisation a alors bien fonctionné : les élus d'Aquitaine ont d'ailleurs tenu à saluer l'efficacité des opérations de nettoyage à terre, malgré ses débuts quelque peu chaotiques.

Au-delà de ces difficultés initiales, le principal problème rencontré dans la gestion de la crise a sans doute été la prévision des arrivées de pollution et l'organisation du dispositif de nettoyage en conséquence. Le préfet Frémont a tenu à souligner : « Nous étions confrontés à une sorte de fatalité tous les matins, sans savoir ce qu'il allait se passer, sans savoir s'il fallait mobiliser pendant la nuit les réserves de militaires dont je disposais. Je n'avais et je n'ai toujours aucune visibilité. »

Ce manque de prévisibilité s'explique notamment par les connaissances actuelles très limitées sur les courants du Golfe de Gascogne, qui ne permettent pas de disposer d'une modélisation fiable de l'arrivée des nappes et des « boulettes ». Cette lacune, aux conséquences très dommageables, doit être comblée au plus vite par un renforcement des études dans ce domaine.

d) Le choix de la mécanisation

· Une option rapidement adoptée

Dès le début de la crise, les autorités ont décidé de recourir au nettoyage mécanisé des plages, principalement au moyen de cribleuses. Le préfet des Landes, M. Sans, a ainsi précisé : « Un temps, nous nous sommes interrogés sur l'arbitrage entre ramassage manuel ou mécanique des pollutions. Mais il est apparu très clairement qu'il était illusoire de parier sur une mobilisation exclusivement humaine, comme cela a pu avoir cours pendant un temps. Il est donc apparu indispensable de disposer d'engins mécaniques en assez grand nombre concentrés en certains lieux et de personnels professionnels notamment les Unités d'intervention de sécurité civile (UISC), pour pouvoir faire face à l'intensité de la pollution. »

De même, le préfet Frémont a indiqué : « Depuis le début, j'ai fait ce pari du nettoyage mécanisé. (...) Le nettoyage par machine sur des plages de cette étendue était certainement la seule méthode efficace. »

Le choix s'est imposé pour l'ensemble des plages aquitaines, la mécanisation étant en effet le moyen de lutte le plus adapté à la configuration des côtes polluées ; en revanche, le littoral rocheux des Pyrénées-Atlantiques a fait l'objet d'un traitement différencié, retardé dans le temps en raison des difficultés particulières, et parfois du danger, des opérations en cause.

Dans ce domaine, le retour d'expérience de l'Erika a été essentiel. Ainsi que l'a souligné M. Girin : « La mécanisation et la professionnalisation de la lutte à terre avaient été demandées par le gouvernement et, là aussi, les cribleuses, les rouleaux et les sociétés spécialisées ne sont pas nées de rien puisque ce sont des résultats de l'Erika. »

· La mise en œuvre par les collectivités locales et les entreprises, sans recours aux bénévoles

Les opérations de nettoyage ont été réalisées avec les moyens des entreprises spécialisées -mobilisées dans le cadre de la réquisition- ainsi que des communes. En effet, ces dernières disposaient déjà de cribleuses pour nettoyer les plages avant et pendant l'été, qui ont été adaptées au ramassage des « boulettes » et des galettes de fioul et étaient opérationnelles au bout de deux à trois semaines. Ont également été utilisés des rouleaux « oléophiles », permettant de collecter des déchets dans des conditions très précises de planéité et d'humidité du sable.

Si l'organisation opérationnelle retenue n'a pas été remise en cause, le préfet des Landes, M. Sans, a cependant relevé des difficultés de mobilisation des cribleuses dans son département et a indiqué qu'elles avaient rendu difficile la conduite des chantiers : « Dans le département des Landes -je parle sous le contrôle des maires- nous ne disposions au départ que de quatre ou cinq cribleuses. Cela signifie que toutes les autres sont venues de l'extérieur, essentiellement d'entreprises dans un premier temps. (...) C'est d'abord par l'intermédiaire de l'entreprise qui intervient habituellement dans le département que nous avons cherché à mobiliser des moyens mécaniques, principalement des cribleuses. Très rapidement, nous nous sommes rendus compte qu'elles étaient en nombre insuffisant et nous avons cherché à en mobiliser auprès d'autres entreprises ; les cribleuses ne sont cependant pas arrivées aussi vite que nous l'aurions souhaité, puisqu'il a fallu à peu près trois semaines pour atteindre un niveau satisfaisant.(...)

Ce n'est pas par la mobilisation interdépartementale que nous avons trouvé le plus gros potentiel de mécanisation, en dépit des efforts du ministère de l'Intérieur engagés dès les 6 et 7 janvier. Nous avons bénéficié tout de même de l'arrivée et de la contribution d'un certain nombre de machines venues d'ailleurs, en particulier de la côte méditerranéenne. »

Le nettoyage a été réalisé pour l'essentiel par des personnels professionnels, issus des services techniques administratifs et des entreprises, qui étaient formés à l'utilisation des moyens mécaniques. Le recours aux bénévoles a été relativement réduit : c'était un choix des autorités préfectorales, compte tenu des contraintes d'encadrement que le bénévolat impliquait, qui étaient clairement apparues lors de l'Erika.

De plus, l'administration encourait le risque d'un engagement de sa responsabilité par les volontaires en raison des incertitudes sur la toxicité réelle du fioul. L'Agence de sécurité sanitaire n'a en effet pas fourni d'avis sur la dangerosité du produit dans des délais satisfaisants : son manque de réactivité est à cet égard tout à fait regrettable.

· Le recours aux détenus : un bilan mitigé

En revanche, il a été décidé de recourir à la participation des détenus pour le nettoyage des plages. Cette expérience a fait l'objet de jugements partagés.

Le préfet Frémont s'est déclaré réservé sur les résultats de cette opération : « Le Garde des Sceaux m'avait demandé d'accueillir une équipe de détenus qui a été utilisée pendant quelques semaines dans les Landes, avec des résultats mitigés. L'expérience a été pleine d'enseignements, mais nul ne tient vraiment à la renouveler. »

Le préfet des Landes, M. Sans, a jugé cette expérience positive, bien que contraignante: « Les détenus ont été les bienvenus. Des bras supplémentaires étaient évidemment bien accueillis, même si les populations se demandaient pourquoi les détenus étaient mobilisés alors que les bénévoles étaient écartés. Nous avons également dû assurer leur encadrement et les mettre à l'abri de la curiosité médiatique, ce qui constituait une difficulté supplémentaire. Nous avons dû trouver des terrains d'activité qui leur conviennent, à l'abri de la curiosité.

J'espère que, pour eux, cette expérience a été positive. En tout cas, elle l'a été pour nous. Le maire de Vieux-Boucau s'est beaucoup engagé puisqu'il a été le premier maire d'accueil. Le travail s'est déroulé dans de très bonnes conditions entre les détenus et les professionnels. »

M. Jean-Jacques Anglade, adjoint du maire pour la sécurité à Capbreton, a ajouté que des aménagements devraient être prévus si cette expérience devait être reconduite : « Leurs horaires étaient en effet très particuliers car ils ne pouvaient partir de leurs centres d'accueil que vers 9 heures et n'arrivaient sur zone qu'une heure après, pour repartir à 16 heures. Or, lorsque la mer était basse l'après-midi, ils se contentaient de venir prendre l'air, si je puis m'exprimer ainsi, parce qu'ils n'avaient pas le temps matériel de travailler. Il faudrait sans doute essayer d'y remédier, même si c'est difficile, compte tenu des contraintes du service pénitentiaire. Il est parfois arrivé qu'ils viennent pour rien. »

Il semble donc que le recours aux détenus ait constitué une expérience humainement enrichissante mais que son efficacité ait été relativement réduite, en raison des contraintes de leur encadrement et de leurs horaires.

· Le traitement des déchets

Le traitement des déchets recueillis a été réalisé au fur et à mesure du nettoyage, quasiment en flux tendu : le fioul était stocké dans des bennes puis transporté dans des sites d'élimination, en l'occurrence les usines SIAP et STRIAC. L'élimination s'est déroulée de façon satisfaisante, mais n'a pas été exempte de contraintes. En effet, la gestion des bennes ainsi que le transport des produits vers les sites a posé un certain nombre de difficultés logistiques et le choix de sites de stockage intermédiaire a parfois posé problème. Ainsi, le flux des bennes a pu être parfois considérable et donner lieu à des encombrements : ce fut notamment le cas dans les Landes, où la décision a été prise de collecter, au titre des déchets, les arbres morts et les déchets divers amenés avec les pollutions, sans tri particulier. L'aller-retour Landes-Bordeaux représente environ 350 kilomètres, et le département a dû, certains jours, gérer plus de 330 bennes.

Le préfet des Landes, M. Sans, a notamment indiqué sur ce point : « La troisième difficulté, que j'ai déjà évoquée, est la logistique du transport. Le transport est long, même s'il l'est moins que des Pyrénées-Atlantiques. La distance à parcourir était moindre, mais nous devions gérer un nombre très élevé de bennes. Nous butions à la fois sur la distance, sur la capacité de traitement de l'usine d'incinération qui, au plus fort moment de la crise, ne suivait pas le rythme, ainsi que sur la capacité de transport, qui était également saturée. A un moment donné, nous devions gérer et contrôler un nombre impressionnant de camions. »

Enfin, les personnes auditionnées ont souligné que le traitement des déchets s'est avéré onéreux.

3.- Une meilleure gestion de la communication

La précédente Commission avait déploré le caractère éclaté de la communication lors de la crise de l'Erika, finissant par laisser le champ libre aux spéculations les plus hasardeuses, notamment sur la toxicité du fioul ou l'état de propreté des plages.

L'Erika a malheureusement illustré la difficulté de l'Etat à communiquer en temps de crise et à faire émerger un message unique, jouant un rôle de référent. Les leçons ont été tirées dans ce domaine et pour le Prestige, la communication a été beaucoup mieux coordonnée et centralisée.

a) Une communication davantage coordonnée

Lors de la crise du Prestige, la communication des autorités françaises a été centralisée et confiée au préfet de zone de défense. Cela s'est traduit par la tenue quotidienne d'une conférence de presse du préfet d'Aquitaine, M. Frémont, préparée avec les représentants du préfet maritime.

En ce qui concerne la communication unifiée des autorités terrestres, M. Bouabane-Schmitt, directeur de cabinet du préfet de Gironde, s'est déclaré satisfait de ce dispositif : « L'aspect communication est l'un des aspects assez positifs de la gestion de la crise. Par rapport à l'Erika, nous avons eu l'avantage que le gouvernement nous confie la coordination de cette communication pour le POLMAR-terre sur les quatre départements. Nous n'avons pas muselé les autres préfets ; la parole est restée libre. Mais nous étions pour les journalistes, y compris ceux des départements hors Gironde, le service de communication référent, le pôle de ressources.

En liaison avec l'état-major de zone, sur la base de ses informations, nous avons produit des données qui ont alimenté la presse quotidiennement. Je pense que cette gestion de la communication a plutôt pas mal fonctionné et que nous avons plutôt bien encadré et canalisé l'information. »

Ainsi, les autorités préfectorales, tant terrestres que maritime, se sont exprimées d'une seule voix, ce qui a évité des divergences dans la diffusion des informations, qui peuvent provoquer des confusions regrettables dans les médias et auprès de l'opinion publique, en donnant un sentiment de désorganisation et de mauvaise gestion, voire d'incohérence ou de volonté de dissimuler la vérité.

Le choix de centraliser ainsi la communication s'est donc avéré très positif. A cet égard, on relèvera que l'instruction du 4 mars 2002 précitée est ambiguë sur la question de la coordination de la communication : elle dispose que « les autorités maritimes et terrestres et le préfet de zone de défense agissent de concert afin d'unifier le message des administrations de l'Etat luttant contre la pollution en mer et à terre » et ne prévoit pas explicitement de centralisation de la communication des autorités terrestres entre les mains du préfet de zone. Il est heureux que la pratique soit allée au-delà des textes et ait prévu une véritable canalisation de la communication, assurée par une autorité unique. Il serait d'ailleurs souhaitable que ce principe soit effectivement inscrit dans les textes.

b) La diffusion d'une carte unique des dérives des nappes

De même, dans le domaine de communication scientifique, un dispositif de coordination a été mis en place.

En effet, lors de l'Erika, les différents organismes détenant une compétence scientifique en matière de météorologie ou de dérive des produits polluants s'étaient exprimés de façon quelque peu autonome, ce qui a pu susciter l'impression d'une communication désordonnée et peu fiable, et créer des troubles et des incertitudes.

De plus, Météo France avait fourni des prévisions de dérive des nappes à long terme, dont la validité a été démentie par la suite : ses analyses ont fait l'objet de très fortes critiques, et leurs effets ont été d'autant plus négatifs qu'elles ont été communiquées sur internet et ensuite abondamment relayées par les médias.

Sur ces deux points, le secrétaire général de la mer, M. Garnier, a notamment indiqué : « Au moment du naufrage de l'Erika, il est certain que les différentes administrations avaient des avis quelque peu divergents sur la question, peut-être pas sur le fond mais en tout cas sur le mode de publication. Il suffit d'un décalage de vingt-quatre heures pour que cela apparaisse incohérent. »

C'est pourquoi une communication scientifique collégiale unique a été instaurée lors de la crise du Prestige. Ont donc été réunis tous les services détenant des compétences scientifiques dans ce domaine, c'est-à-dire le CEDRE, l'IFREMER, le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) et Météo France. Mettant en commun leurs expertises, ils ont produit une carte unique de prévision des dérives des nappes. De plus, ils se sont mis d'accord pour considérer qu'il était inutile, voire contre-productif, de donner des prévisions couvrant une période supérieure à 5 jours.

Ce dispositif, résultant des expériences passées de l'Erika, mais aussi du naufrage du chimiquier Ievoli Sun, a donc permis une meilleure canalisation de l'information et une communication plus organisée.

De plus, comme l'a indiqué M. Girin, directeur du CEDRE, cette centralisation au niveau français a permis de confronter nos prévisions à celles réalisées en Espagne et au Portugal : « Dans le même temps, nos collègues portugais et espagnols faisaient eux aussi des prévisions de dérive mises sur internet, que nous confrontions aux nôtres. Lorsqu'il y avait des désaccords entre nos prévisions, nous comparions nos éléments d'information pour en trouver la raison et aboutir à quelque chose d'aussi précis que possible. »

4.- Un remboursement très accéléré des avances des collectivités locales

Un dispositif administratif innovant a été mis en place pour financer les opérations de lutte contre la pollution menées par les communes. Il s'est avéré très efficace.

Alors que les premiers crédits débloqués avaient été mis à la disposition des préfets de département, le ministère des Finances a décidé de déléguer, à partir du 20 février 2003, les crédits du fonds d'intervention POLMAR au préfet de zone, et non aux préfets de département, de façon à raccourcir la procédure. La centralisation des crédits au niveau zonal a été obtenue à la demande de la préfecture de zone, qui constatait que le règlement des dépenses était jugé trop lent par les communes, et le ministère des Finances, de l'Economie et de l'Industrie a fait preuve d'une grande réactivité.

Dès lors, toutes les factures émanant des collectivités territoriales, notamment concernant le nettoyage des plages, étaient adressées aux services de la préfecture d'Aquitaine. De même, les dépenses que les collectivités comptaient engager étaient soumises à l'approbation de la préfecture régionale.

De plus, le préfet de zone a été autorisé à utiliser une procédure comptable extrêmement simplifiée, ce qui a permis de rembourser beaucoup plus rapidement les communes. En effet, seul devait être fourni au comptable public pour paiement un relevé des factures correspondant aux dépenses engagées, sans pièces justificatives. La procédure était la suivante : les communes devaient envoyer une demande de remboursement mentionnant le montant total à payer, à laquelle devait être jointe une copie du bordereau des mandats individualisant les différentes dépenses éligibles au remboursement. Les factures justificatives n'étaient envoyées à la préfecture qu'ensuite et ne conditionnaient pas le remboursement.

La gestion financière zonale a été assurée par une cellule financière, mise en place dès le 8 janvier 2003, placée sous l'autorité du préfet de zone et confiée au secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR). Cette cellule, dont la compétence était par sa nature même interministérielle, était notamment composée du responsable du centre opérationnel de zone, de représentants de la trésorerie générale, des directions régionales des services de l'Etat (DIREN, DRIRE, DRE et DRCCRF), et en tant que de besoin, de collaborateurs du CEDRE et de la DRASS.

La mise en place de ce dispositif a permis un remboursement plus rapide des collectivités locales, souvent dans des délais de 24 à 48 heures. Certes, les élus locaux ont constaté quelques retards pour certaines dépenses, et ont souligné notamment que l'administration ne prenait pas suffisamment en compte l'urgence des remboursements de certains particuliers : les lenteurs administratives leur sont alors d'autant moins acceptables que leur survie économique est parfois en jeu. A cet égard, la simplification des procédures administratives et comptables devrait être poursuivie et consolidée. Pour autant, les élus locaux ont dans l'ensemble salué le bon fonctionnement de cette procédure allégée de remboursement.

Le bilan de ce dispositif spécifique appelle deux remarques. D'une part, la centralisation zonale ne permet pas de contrôler l'enveloppe globale des dépenses : si elle est bien adaptée dans des situations d'urgence, elle a un coût non négligeable et ne peut être prolongée indéfiniment. D'autre part, l'allègement de la procédure comptable a prouvé son efficacité pratique en cas d'urgence, et cette approche de simplification pourrait être utilement étendue au-delà des cas de crises ponctuelles liées à des pollutions.

5.- La problématique de la sortie du plan POLMAR-terre : le problème de l'incertitude, la nécessité de moyens financiers supplémentaires

Il est toujours difficile de gérer une sortie de crise et de définir les modalités d'une transition progressive et adaptée.

A partir de la fin du mois de mars, l'arrivée des pollutions s'est beaucoup ralentie, mais des « boulettes » ont continué à se déposer de façon sporadique et peu prévisible sur les littoraux. Comment traiter de façon appropriée et proportionnée ce type de pollution ? Si les moyens mis en œuvre au plus fort de la crise ne sont bien évidemment plus adaptés, il est nécessaire de rester mobilisé.

Cette question prend un relief d'autant plus important qu'elle se pose aux débuts de la saison touristique : la plus grande vigilance s'impose, afin de garantir la propreté continue des plages et de ne pas affecter la fréquentation des littoraux aquitains.

a) Le nécessaire maintien de moyens pour assurer la surveillance des littoraux

Les plans POLMAR terre et mer ont été levés conjointement le 25 juin dernier9, après une période transitoire durant laquelle ils n'avaient pas été interrompus mais avaient été mis en sommeil. Se pose désormais la question des moyens devant rester disponibles sur zone en cas de nouvelles pollutions, lorsque l'enveloppe initiale aura été consommée.

Ce point a été soulevé tant pour l'action à terre qu'en mer. A cet égard, le président du Comité local des pêches des Pyrénées Atlantiques a indiqué : « Il nous semble, en tant que marins pêcheurs, que si la crise est derrière nous pour l'essentiel, il serait souhaitable de maintenir deux ou trois bateaux en veille pendant l'été pour gérer d'éventuelles arrivées résiduelles et éviter qu'elles ne parviennent sur le littoral, contraignant alors les communes à la fermeture de leurs plages, comme le rappelait M. le maire de Guéthary. Un tel dispositif permettrait d'éviter une surmédiatisation qui n'aurait pas lieu d'être. Sous quel mode, quel fonctionnement et selon quel financement pourrions-nous le mettre en œuvre ? Nous ne connaissons pas la réponse. »

Les élus des collectivités locales exposées au risque de pollution partagent cette préoccupation : ils redoutent les conséquences de la désactivation des moyens publics de lutte, la réactivité des services administratifs étant alors nécessairement moindre qu'en période de mobilisation maximale.

Au vu de la poursuite d'arrivées dispersées de fioul, il pourrait être opportun de maintenir des moyens mobilisables rapidement, tant en mer, le cas échéant, qu'à terre, sous réserve de ne pas entretenir de manière illimitée une flottille de pêcheurs détournée de son objet économique normal, avec un coût non négligeable pour la collectivité.

b) Les difficultés associées à l'arrêt du régime de réquisition

Le système de réquisition des entreprises de dépollution a laissé la place, à partir d'avril, à la passation de marchés à bons de commandes. En effet, la réquisition est un système certes très efficace mais aussi coûteux, la réactivité accrue des entreprises se traduisant nécessairement par des tarifs plus élevés, ce qui a d'ailleurs fort bien convenu à celles-ci. Lors de sa seconde audition, M. Frémont a précisé : « Les entreprises n'ont pas apprécié le changement de régime, le précédent leur étant plus favorable. L'entreprise Le Floch, qui est concernée par les plages du bassin d'Arcachon et du Médoc, a plutôt mieux joué le jeu que certaines autres ; en particulier celle qui avait réussi à obtenir le marché dans les Landes s'est montrée déficiente dès le premier jour. Elle a refusé d'appliquer le marché parce qu'elle considérait qu'elle était mieux payée auparavant. S'est donc posé le problème des entreprises qui, ayant été habituées à l'« aisance », sont aujourd'hui soumises à des règles plus strictes. »

Compte tenu du coût des réquisitions, la mise en œuvre des marchés à bons de commandes est plus adaptée à une action normalisée de nettoyage. De plus, ce changement de système s'impose pour des raisons juridiques : en temps normal, lors de la mise en œuvre de marchés publics, les entreprises doivent être mises en concurrence dans ce cadre.

Cependant, le passage au système des marchés a pour conséquence une moindre réactivité des entreprises -associée aux lenteurs des procédures administratives-, que déplorent les élus. M. Michel Sammarcelli, maire du Cap-Ferret, a indiqué à la Commission : « La preuve est faite aujourd'hui que, quand des « boulettes » arrivent un vendredi matin, on ne peut les retirer, dans le meilleur des cas, que le mardi. Ainsi, on nous a retiré nos prérogatives, nos compétences. L'Etat a récupéré, pour contrôler les deniers publics, un marché public d'Etat. J'en suis tout à fait d'accord, mais la réactivité est insuffisante. »

De surcroît, plusieurs élus ont souligné les retards dans le lancement de ces marchés. Le sous-préfet des Landes, M. Férin, a justifié ces délais ainsi : « Je souhaite apporter une précision sur les marchés. Tout d'abord, indubitablement, il est toujours difficile de passer d'un système à un autre. Le système de réquisition qui a été utilisé doit être abandonné pour passer dans un système de marché. Evidemment, surviennent des problèmes de liaison entre les deux systèmes, pour assurer la continuité des opérations. La montée en puissance de tout système ne se fait pas en vingt-quatre heures. Elle demande toujours un délai de mobilisation, parce que différentes étapes se succèdent : la préparation administrative, le contact, la concertation, la présence sur le terrain et la mise en œuvre.

Aujourd'hui, concrètement, nous sommes le 6 mai : il est vrai que la passation des marchés a demandé un peu de temps, je ne le conteste pas du tout, mais trois chantiers sont déjà ouverts : un chantier conventionnel avec cribleuses et mini-cribleuses et deux autres chantiers novateurs dits de « surf washing » ou, pour utiliser un terme français, de lessivage, selon une technique parfaitement adaptée à la nature du terrain et de la pollution. Mais il est vrai que cela ne s'est mis en place qu'au début de semaine. Des délais sont toujours nécessaires car la mise en œuvre d'un système est toujours un peu longue. »

Cependant, de tels retards ne sont guère satisfaisants : la transition entre les systèmes de réquisition et de passation de marchés devrait être mieux organisée, afin de ne pas observer des discontinuités dans le déroulement du nettoyage, qui peuvent être très préjudiciables à l'image du littoral.

c) Une enveloppe initiale importante mais néanmoins insuffisante

A la difficulté pratique liée au changement de système, s'est conjugué le manque de moyens financiers. Les moyens débloqués pour le traitement de la crise, principalement l'enveloppe initiale de 32 millions d'euros, ont été épuisés en mai. La mise en œuvre de certains marchés s'est alors heurtée à l'insuffisance de crédits disponibles : ainsi, le marché de traitement des littoraux rocheux des Landes a été fortement retardé pour des raisons financières.

Des moyens supplémentaires, d'un montant de 23 millions d'euros, ont ensuite été débloqués, par la voie normale d'un décret d'avance. Cependant, la « rallonge » budgétaire a été tardive, en raison de la longueur de la procédure et des réticences des ministères dont les budgets ont été sollicités, à savoir l'Environnement, la Défense et l'Intérieur. Un tel délai est très regrettable car il s'est traduit par le refus du trésorier-payeur général de viser certains marchés et des retards dans le nettoyage des littoraux encore souillés.

La continuité des financements doit être impérativement assurée, y compris lorsque la crise se ralentit, afin de permettre la poursuite des opérations de nettoyage dans de bonnes conditions.

d) Le bilan financier des remboursements

Dans un premier temps, des crédits d'un montant total de 32,035 millions d'euros ont été fournis et mis à la disposition des administrations concernées comme suit :

- 14,67 millions d'euros destinés au financement du plan POLMAR-mer, qui ont été délégués à la préfecture maritime de l'Atlantique ;

- 15,3 millions d'euros, délégués à la préfecture de zone de défense Sud-ouest pour le financement du plan POLMAR-terre, auxquels on doit ajouter les crédits délégués directement aux préfectures de département, avant que la centralisation zonale n'ait été mise en place, pour un montant de 1,065 million d'euros. Au total, la région Aquitaine a reçu 16,365 millions d'euros ;

- 1 million d'euros fourni à la préfecture de zone de défense Ouest, afin de faire face à d'éventuelles arrivées de pollutions, qui ne se sont finalement pas produites.

Comme on l'a vu plus haut, dans un deuxième temps, des moyens supplémentaires ont été débloqués par décret d'avance, avec retard, au profit des différentes administrations, pour un montant de 23 millions d'euros :

- 2,9 millions d'euros délégués à la préfecture maritime de Brest ;

- 16,9 millions d'euros délégués à la préfecture de zone de défense Sud-ouest ;

- 3,2 millions d'euros ont été mis en réserve et sont actuellement à la disposition du ministère de l'Ecologie et du développement durable ; ils seront utilisés en tant que de besoin par les administrations.

Au total, la préfecture de zone de défense Sud-ouest a reçu une enveloppe financière de 32,2 millions d'euros et la préfecture maritime de l'Atlantique une enveloppe de 17,57 millions d'euros. A ces crédits, s'ajoutent les moyens fournis dans un premier temps aux préfectures de département et à la préfecture de zone de défense Ouest, d'un montant respectif de 1,065 et 1 million d'euros.

L'enveloppe globale destinée à lutter contre la pollution à terre et en mer atteint donc un montant de 55,035 millions d'euros. Le tableau, ci-après, fourni par le SGAR d'Aquitaine ne présente toutefois un état récapitulatif des dépenses que pour un montant de 28,7 millions d'euros, qui représente 89% des crédits de 32,2 millions d'euros alloués à la préfecture : en effet, à l'heure actuelle, certaines dépenses sont toujours en cours et toutes les factures ne sont pas mandatées.

Récapitulatif des dépenses POLMAR (Marchés au 13/06 et Réquisitions au 10/06) (en euros) - Source : SGAR Aquitaine

Département

 

Nettoyage

Transport

Elimination

Accueil personnel

Protection

Matériel

Divers

Communes

Autres

Totaux

 

 

Réquisitions

Marchés

Réquisitions

Marchés

Réquisitions

Marchés

 

 

 

 

 

 

 

Charente Maritime

Payé

199 129

 

37 229

5 000

 

1 742 109

31 707

26 854

196 290

 

 

 

502 901

En instance

 

 

 

 

 

 

 

6 694

 

Sous-Totaux

 

199 129

 

37 229

5 000

 

31 707

26 854

196 290

 

6 694

 

Gironde

Payé

2 515 316

1 017 592

138 566

16 116

1 110 428

443 798

686 719

104 894

 

703 232

 

9 130 714

En instance

1 683 502

76 503

261 725

4 534

6 821

16 414

23 031

321 521

Sous-Totaux

 

4 198 818

1 017 592

215 069

16 116

1 372 153

448 332

693 540

121 309

23 031

1 024 754

Landes

Payé

1 253 947

726 025

1 101 611

403 592

947 848

149 457

100 976

552 498

26 262

159 822

 

11 374 175

En instance

3 625 047

1 046 006

919 882

177 053

 

10 165

11 332

162 653

 

Sous-Totaux

 

4 878 994

726 025

2 147 616

403 592

1 867 730

326 510

100 976

562 663

37 595

322 475

 

Pyrénées -Atlantiques

Payé

323 829

1 169 346

350 802

250 392

932 641

8 896

31 376

352 405

 

132 712

 

5 555 266

En instance

251 121

558 988

626 917

29 341

 

195 153

9 681

331 666

 

Sous-Totaux

 

574 950

1 169 346

909 790

250 392

1 559 558

38 237

31 376

547 558

9 681

464 378

 

COZ

Payé

 

 

44 915

 

 

 

40 277

 

14 697

179 585

 

 

440 165

En instance (hors SDIS)

 

 

 

35 617

 

5 728

119 347

 

 

Sous-Totaux

 

 

 

44 915

 

 

 

75 894

 

20 425

298 932

 

 

Elimination

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 742 109

Conseil Régional

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

6 600

6 600

SPS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

8 249

8 249

Hors Marchés

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

27 352

27 352

TOTAUX

 

9 851 890

2 912 963

3 354 619

675 100

4 799 442

1 742 109

920 680

852 746

1 448 244

369 238

1 818 300

42 201

 

TOTAUX GENERAUX

 

12 764 853

4 029 719

6 541 551

920 680

852 746

1 448 244

369 238

1 818 300

42 201

28 787 532

Pourcentage

 

44,34%

14,00%

22,72%

3,20%

2,96%

5,03%

1,28%

6,31%

0,14%

 

-  77  -

Source : préfecture de la zone de défense Sud-ouest

C.- DES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES D'ARRIVÉE DES POLLUTIONS, UNE SITUATION ENCORE ÉVOLUTIVE POUR LES PLAGES FRANÇAISES ?

1.- Une crise à la fois plus aisée et plus difficile à traiter que celle de l'Erika

a) Une arrivée tardive des pollutions

Tout d'abord, comme cela a été exposé plus haut, les autorités françaises ont pu bénéficier, si l'on peut dire, de l'expérience de l'Erika et de l'Ievoli Sun en 1999 et 2000. Les enseignements retirés de ces crises ont été très utiles sur de nombreux points et ont notamment permis d'améliorer l'organisation administrative, de mieux coordonner la communication des autorités et de disposer de moyens matériels plus efficaces de lutte. Certains personnels mobilisés lors du Prestige, notamment à la préfecture maritime de Brest, étaient d'ailleurs présents lors de la catastrophe de l'Erika et ont pu faire partager leur expérience.

Le préfet maritime Gheerbrant a également noté : « Une autre particularité dans le cas du naufrage du Prestige tient à ce que les autorités françaises n'ont pas eu de responsabilité dans l'accident initial, ce qui, naturellement, a constitué un facteur favorable puisque nous avons été jugés sur le traitement de la crise et non pas sur son origine. »

En effet, le naufrage du Prestige s'est produit loin des côtes françaises, au large du littoral espagnol : de fait, la France n'était pas affectée la première par les arrivées de fioul et a disposé de temps pour mettre en place les moyens de lutte contre la pollution : le naufrage a eu lieu le 19 novembre et les premières pollutions sont arrivées sur les côtes françaises le 31 décembre. Ce n'était nullement le cas lors de l'Erika : les côtes bretonnes avaient alors été frappées de plein fouet dans des délais très courts -moins de 11 jours après la survenance du sinistre-, ce qui avait rendu l'organisation de la lutte beaucoup plus difficile. M. Girin a insisté sur ce point lors de son audition par la Commission : « Elément très important, la France n'était pas en première ligne dans le Prestige ; nous avons eu du temps pour nous préparer et nous organiser. Je ne garantis pas qu'un accident similaire au Prestige où la France serait la première touchée se passe aussi bien que s'est passé le Prestige avec la France en deuxième ligne. »

Certes, cet avantage avait son revers, puisque la réponse des autorités devait être d'autant plus efficace qu'elles avaient disposé de temps. Comme l'indiquait M. Garnier, « il aurait été d'ailleurs plus coupable de ne pas anticiper les situations dans un tel cas. »

Les délais d'arrivée du fioul lourd ont donc permis de mobiliser l'ensemble des services et de mettre en place les moyens nécessaires de façon progressive. Comme l'a expliqué le préfet des Landes, M. Sans, « La période de préparation, pour nous, démarre dès le lendemain du naufrage, c'est-à-dire dès le 14 novembre. Elle est utilisée, de façon intense, à définir les principes de la lutte et à repérer quels seront nos opérateurs, quels seront nos fournisseurs d'équipements individuels, les entreprises de nettoyage et celles de transport et de traitement des déchets. C'est une période de concertation étroite avec les élus locaux, que nous avons rencontrée à trois reprises dès la fin du mois de novembre jusqu'à la fin de l'année, c'est-à-dire jusqu'à l'arrivée des premières « boulettes ». »

De même, le préfet maritime Gheerbrant a indiqué : « Pour le Prestige, nous avons bénéficié de délais pour nous organiser. Le premier signal de détresse du Prestige remonte au 13 novembre 2002, son naufrage au 19 novembre et le plan POLMAR-mer a été déclenché le 3 décembre. Nous avons pu anticiper l'arrivée de la pollution sur nos côtes avec la mise sur pied, dès le 19 décembre, de notre centre de traitement des crises, armé 24 heures sur 24. »

Ce sont, de même, les conditions de diffusion et de dérive progressive de la pollution qui ont permis de mettre en œuvre une vaste opération de récupération du fioul en mer. De fait, par sa durée et les quantités récupérées, la lutte en mer contre le fioul du Prestige n'a pas d'équivalent dans l'histoire des marées noires. Une flotte très importante de navires dépollueurs spécialisés et de bateaux de pêche a été déployée et a recueilli en mer plus de 53 000 tonnes d'émulsion, en Espagne et en France. Cette particularité mérite d'être soulignée.

b) Une crise longue et marquée par l'imprévisibilité

Cependant, en raison de ces mêmes caractéristiques, la lutte contre la pollution a été très longue et marquée par de grandes incertitudes, d'une part quant à la date, la localisation et la forme des arrivées de pollution, d'autre part quant à la sortie de crise.

Tout d'abord, il était très difficile de savoir à quel moment la pollution toucherait les côtes françaises. Ainsi que l'a souligné le préfet des Pyrénées Atlantiques, M. Dartout, « Nous avons déclenché le plan POLMAR-terre parce qu'une menace avait été repérée par les avions contrôlés par le préfet maritime, qui laissait penser qu'une nappe d'hydrocarbures s'approchait de la côte basque, notamment d'Hendaye. Par souci de précaution et de prudence, nous avons déclenché le plan POLMAR, sans avoir la certitude, bien entendu, que cette menace allait se produire. (...) En fait, il s'est avéré, quelques jours après, que cette alerte était prématurée : il y avait une menace certes, mais la nappe était constituée sans doute de déchets agglomérés venant d'Espagne et de restes de pollution venant d'un dégazage opéré par des bateaux dans le Golfe de Gascogne.»

De fait, les premières pollutions ne sont arrivées sur les côtes des Pyrénées-Atlantiques qu'à la mi-janvier. Alors que l'on pensait que ce département serait le premier affecté, ce sont finalement les Landes qui ont reçu les premières « boulettes » de fioul, dès le 31 décembre.

Ces erreurs d'appréciation montrent à quel point il était difficile de prévoir la localisation et la dérive des nappes de fioul, malgré les analyses du CEDRE et de Météo France et les vols de reconnaissance effectués par les aéronefs de la préfecture maritime et des Douanes. On retrouve sur ce point le constat fait lors de la catastrophe de l'Erika et déjà mentionné pour le Prestige : les prévisions de dérive des nappes s'étaient avérées erronées à de multiples reprises, notamment pour les premières arrivées de pollutions.

Par ailleurs, tout au long de la crise du Prestige, les autorités préfectorales ont déploré l'imprévisibilité des arrivées de fioul sur les plages, rendant l'organisation et la mobilisation des moyens très difficiles. A cet égard, cette situation, liée à la grande dispersion des pollutions, se distingue de celle l'Erika : les arrivées étaient alors beaucoup plus massives et prévisibles -ce qui entraînait d'ailleurs d'autres problèmes dans la lutte.

La prévision des formes de la pollution a également posé des difficultés. Ainsi que l'indiquait M. Frémont à la Commission : « Cette pollution est arrivée dans des conditions physiques qui n'étaient pas du tout celles qui avaient été prévues. On m'avait annoncé l'arrivée d'une plaque. Nous avons vu se produire plusieurs phénomènes au fil du temps. D'abord sont arrivées de petites boulettes ; puis nous avons baptisé ces dépôts de pétrole des noms de boulettes, galettes et plaques. Maintenant nous en sommes à pourchasser les microparticules. (...) Aucun de ces phénomènes ne se prêtait à un traitement identique à celui des grosses plaques qui étaient apparues à la suite du naufrage de l'Erika. »

Cette pollution diffuse est progressivement devenue de plus en plus difficile à observer, à repérer et naturellement à traiter. Les moyens de lutte ont dû être adaptés à ces conditions spécifiques : ainsi, lorsque l'efficacité des actions des navires dépollueurs est devenue moindre, voire nulle, en raison de la forte fragmentation du fioul, les pêcheurs ont pris le relais, en adaptant leurs outils au fur et à mesure. Les différents intervenants ont dû faire preuve d'une grande capacité d'adaptation face une pollution multiforme et évolutive.

Enfin, l'une des grandes difficultés de la gestion de la crise réside dans sa durée. En effet, les arrivées de pollution se sont succédées durant plus de cinq mois et se poursuivent encore à ce jour, en moindre quantité, ce qui a nécessité et nécessite encore une mobilisation continue des moyens humains et matériels. Au-delà de ses implications financières, nécessairement importantes, une telle situation est extrêmement éprouvante pour les personnels mobilisés, qui ont le sentiment d'être confrontés à une pollution sans fin et à une sorte de fatalité. Il est sans doute plus facile de répondre à une crise très forte, mais ponctuelle, que de maintenir un dispositif de lutte dans la durée sans pouvoir évaluer à quel moment elle s'achèvera. De plus, l'incertitude régnant sur la fin des arrivées de pollution fait peser des menaces sur la saison touristique des régions affectées.

En tout état de cause, la Commission doit évidemment rester modeste : les progrès constatés dans la gestion de la crise ont été évidents par rapport à celle de l'Erika, mais la situation était très différente. Les investigations réalisées ne permettent pas de conclure, de manière certaine, que la France aurait été à même de traiter avec la même efficacité la pollution, si celle-ci s'était produite avec l'intensité de celle du Prestige, au large de nos côtes, et pas de celles de l'Espagne.

2.- Quelles perspectives pour les littoraux français ?

A l'issue de ces six mois de crise, la situation des côtes françaises ne laisse pas d'être préoccupante.

A la suite des importants travaux menés, les plages aquitaines sont aujourd'hui nettoyées. Nos interlocuteurs ont même relevé que jamais elles n'ont été aussi propres que cette année, puisque tous les déchets ont été scrupuleusement recueillis, y compris les déchets ménagers !

Cependant, le littoral subit toujours des arrivées sporadiques et aléatoires de pollution : cette situation est particulièrement difficile à vivre pour les populations locales et les services mobilisés, qui ont déjà subi une crise longue et éprouvante. L'incertitude la plus absolue prévaut : il est devenu impossible de détecter les arrivées et de les prévoir, et on ne peut déterminer aujourd'hui à quel moment les pollutions cesseront définitivement.

Cet état de fait est d'autant plus inadmissible que le littoral aquitain n'est désormais plus le seul touché : en effet, depuis la mi-avril, les plages du Finistère, du Morbihan, de la Loire Atlantique, de la Charente Maritime, de la Vendée, des Côtes d'Armor et de la Manche reçoivent également des fragments de fioul, sous la forme de « boulettes » et de petites galettes, dont l'origine ne fait aucun doute : après des analyses menées par le CEDRE, il est établi que ces pollutions proviennent effectivement, pour une proportion très majoritaire, du Prestige. Ce constat peut sembler particulièrement étonnant au regard de la distance séparant les côtes bretonnes du lieu de naufrage du Prestige, mais il résulte des forts courants et vents s'exerçant dans le Golfe de Gascogne, que l'amiral Gheerbrant, préfet maritime de l'Atlantique, compare, par une formule frappante, à une vaste « machine à laver » ! Encore une fois, il est extrêmement difficile de prévoir l'ampleur de la pollution risquant de souiller ces côtes et la durée de la crise, notamment parce que l'on ne connaît pas précisément la quantité de fioul encore présente dans le Golfe de Gascogne -estimée, en avril 2003, à environ 2 500 tonnes, selon une réponse du Secrétariat général de la mer.

A cet égard, tous les acteurs économiques locaux ont exprimé à la Commission leur inquiétude pour la saison estivale 2003, mais aussi pour les années à venir. Il est en effet difficile de redresser dans un court délai l'image d'une région ainsi affectée et médiatiquement surexposée.

A cette inquiétude générale, s'ajoutent des préoccupations plus précises. Tout d'abord, il est très difficile de connaître l'incidence de la pollution sur la faune et la flore du Golfe de Gascogne et sur l'ensemble de ses fonds marins à moyen et à long terme.

A également été évoqué le risque de la réapparition de pollutions enfouies sous le sable : en effet, en dépit du nettoyage réalisé au fur et à mesure des arrivées des déchets, certains n'ont pu être enlevés immédiatement en raison des conditions météorologiques. Ils ont alors été très vite recouverts par du sable, ce qui a pu donner lieu, sur certaines plages, au phénomène bien connu de « millefeuille », très difficile à traiter, qui a d'ailleurs été déjà observé en Bretagne lors de l'Erika.

Par ailleurs, les élus du littoral aquitain ont indiqué à la Commission que la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) leur avait transmis une circulaire sur les conditions d'ouverture des plages, dont les exigences ont été jugées particulièrement rigoureuses, voire irréalistes. La circulaire préconise notamment l'inspection hebdomadaire des plages par des personnels équipés de chaussons de couleur blanche, afin de détecter d'éventuelles traces de pollution et de déterminer en conséquence si les plages peuvent être ouvertes : une telle condition est manifestement impossible à remplir, car, comme l'ont relevé à juste titre les élus, même sur une plage qui n'a pas été souillée par une pollution spécifique, les chaussons ne resteraient pas immaculés... Le perfectionnisme administratif apparaît en la matière excessif et dicté à la fois par l'application trop systématique du principe de précaution, porté à son paroxysme jusqu'à l'absurde, et par la volonté de transférer à d'autres que l'Etat -les communes- une charge trop lourde à gérer par lui.

Enfin, reste en suspens la question de l'épave du Prestige gisant au large des côtes espagnoles, qui constitue une véritable épée de Damoclès pour les littoraux galiciens, mais aussi français. Comme cela a été indiqué plus haut, les deux parties du navire ne libèrent qu'une faible quantité de fioul à ce jour, grâce au colmatage des brèches de la coque réalisé par le sous-marin Nautile. Selon les informations fournies à la délégation de la Commission par M. Domingo Menendez, directeur de cabinet de M. Martin Villa, les missions réalisées par le Nautile à la fin du mois de mai ont permis de constater que le flux des fuites s'était même ralenti, représentant désormais environ 700 kg par jour, sans doute en raison de l'augmentation de la viscosité du fioul due à son refroidissement dans l'épave. Cependant, les obturations des brèches sont temporaires et l'épave doit être sécurisée de façon définitive : cette opération sera très complexe à réaliser et son succès n'est encore pas assuré.

Quant à l'importance des fuites de fioul lourd par les brèches demeurant ouvertes, le CEDRE, interrogé à ce sujet, considère que, après la première intervention du Nautile, l'évaluation des pertes journalières après l'intervention de février était de 2 m3/jour. L'estimation aux plongées de juin était de 0,7 m3/jour. En faisant l'hypothèse que les fuites se seront naturellement réduites dans une proportion comparable d'ici avril 2004, soit un niveau résiduel de l'ordre de 0,2 m3/jour10, et en estimant les fuites autour de 1,3 à 1,4 m3/jour de février à juin, on arrive à un total compris entre 200 et 300 tonnes de fioul perdues par l'épave depuis février. Les dérives de bouées laissent supposer que cette pollution dériverait actuellement au large de la Galice.

V.- L'OPINION PUBLIQUE ET L'ÉCONOMIE LOCALE : LE SENTIMENT DE L'INACCEPTABLE

A.- LA LÉGITIME INDIGNATION DES POPULATIONS

Après cette nouvelle catastrophe maritime, les populations littorales voient leur environnement souillé par un produit particulièrement polluant, le fioul lourd, et ont le sentiment d'être victimes d'un système de transport maritime dérégulé, dont des opérateurs mal identifiés tirent des profits considérables, sans aucune considération a priori pour les impératifs de sécurité et sans assumer a posteriori leurs responsabilités.

Les acteurs maritimes, que ce soit les armateurs, les affréteurs ou les Etats accordant leur pavillon sans aucun contrôle, semblent en effet jouir d'une totale impunité en cas de sinistre, du fait des règles régissant le transport maritime. Comment admettre, par exemple, que l'armateur ait été très rapidement indemnisé de la perte de son navire par son assurance, alors que les victimes de la pollution n'obtiendront que des réparations partielles, au bout de plusieurs mois, voire plusieurs années ?

Une telle situation ne peut qu'indigner les populations littorales, qui ont un sentiment légitime de profonde injustice, mais aussi de fatalité : il semble impossible d'avoir la moindre prise sur de tels sinistres, qui, s'ils se produisent au large des côtes, n'en affectent pas moins les Etats riverains.

Cette nouvelle catastrophe apparaît d'autant plus inadmissible qu'elle intervient moins de trois ans après le naufrage de l'Erika et présente des similitudes très fortes avec ce dernier : se fait jour le sentiment que les leçons de l'Erika n'ont pas été tirées et que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, rien n'a été fait depuis 1999 pour prévenir et éviter ces sinistres -même si ce constat n'est pas justifié, au vu des mesures importantes adoptées tant au niveau national que communautaire. Le renouvellement d'une telle pollution est particulièrement mal accepté dans les départements bretons, souillés à deux reprises en moins de trois ans, sans compter les dégazages intervenant à intervalles réguliers.

B.- UNE ÉCONOMIE LOCALE FRAPPÉE DE PLEIN FOUET

Afin d'évaluer les conséquences économiques de la pollution du Prestige, la Commission a auditionné des représentants des secteurs économiques locaux, notamment les pêcheurs et les ostréiculteurs, les hôteliers, les commerçants, les établissements de thalassothérapie et les surfeurs, dans chacun des départements touchés.

L'ensemble de ces secteurs, représentant une part importante de l'activité économique locale et un nombre significatif d'emplois, a été affecté par les conséquences de la pollution et a enregistré une forte baisse d'activité.

Concernant les pêcheurs, M. Larzabal, le président du comité local des Pêches de Bayonne a notamment indiqué : « La majeure partie du préjudice a porté sur le mareyage et les poissonniers, là aussi de manière très diverse. Cela va de 30 à 70% de pertes d'exploitation, dues au fait qu'avec la réquisition des navires, peu de poissons ont été vendus à la criée. Selon leur dépendance à l'égard de la criée, les entreprises ont perdu plus ou moins d'argent. » Outre les pertes de chiffre d'affaires liées à l'impossibilité de pêcher lors des arrivées de pollution, les pêcheurs risquent de souffrir à l'avenir d'une forte baisse des prix, ainsi que l'a souligné M. Inda, pêcheur de Bayonne : « Notre grande inquiétude actuelle, est que les gens ayant l'habitude d'acheter des poissons sur le port ou dans les étals à Capbreton boudent les poissons pêchés ici ; ils ont peur que le poisson ne soit contaminé. Donc, nous allons subir un préjudice maintenant. Nous constatons déjà actuellement une baisse des prix par rapport à ceux qui se pratiquent habituellement à cette saison. »

De même, le représentant des entreprises d'ostréicultures de la région Aquitaine a souligné à la Commission les pertes de chiffre d'affaires subies par son secteur. Les hôteliers ont mis en avant les fortes baisses de réservation constatées pour la saison touristique à venir.

Si les conséquences économiques totales du sinistre ne pourront bien évidemment être évaluées qu'à la fin de la saison touristique, les entreprises ont d'ores et déjà constaté d'importantes pertes de chiffre d'affaires, qui se traduisent par des difficultés de trésorerie et de maintien de l'emploi : des contrats à durée déterminée n'ont pas été renouvelés, certaines entreprises ont demandé à leurs salariés de prendre leurs congés en février ou en mars...

Ces difficultés économiques sont d'autant plus mal ressenties qu'elles ne sont pas nécessairement justifiées par les conséquences effectives de la pollution et qu'il existe un grand décalage entre la réalité de la pollution et l'image que peut en avoir l'opinion publique, ce qui résulte en partie de la couverture médiatique de la crise. Nombre des personnes auditionnées ont ainsi souligné qu'à la pollution réelle subie par le littoral, s'est ajoutée une véritable « pollution médiatique ».

Ceci explique que ces secteurs souffrent de la désaffection des consommateurs, parfois en dépit des faits objectifs. Ainsi, les analyses menées sur les poissons et les coquillages ont prouvé qu'ils n'étaient pas contaminés et étaient tout à fait propres à la consommation. De même, comme le soulignait le directeur d'une entreprise de thalassothérapie, les systèmes de pompage utilisés dans les centres recueillent l'eau à 10 mètres sous le sable et la qualité de l'eau utilisée n'est nullement affectée par la pollution.

Afin de soutenir les activités économiques locales, des mesures nationales, incluant des dispositifs d'allègements des charges et le lancement d'une campagne de communication en faveur de la région Aquitaine, ont été mises en œuvre. Cependant, elles ne peuvent bien évidemment pas compenser toutes les pertes subies ; en toute logique, ce ne devrait d'ailleurs pas être à l'Etat français d'assumer cette charge, puisque l'indemnisation de l'ensemble des dommages issus de la pollution devrait être assurée par le fonds international spécialement prévu à cet effet, le FIPOL. Cependant, la réparation des dommages qui pourra être obtenue de ce fonds sera sans doute très insuffisante.

Mesures adoptées en faveur des conchyliculteurs et pêcheurs d'Aquitaine

· L'exonération à hauteur de 50% du montant des charges sociales pour le premier trimestre, avec la possibilité d'étaler le paiement du solde restant jusqu'à la fin de l'année : cette mesure s'applique aux conchyliculteurs de l'Etablissement national des invalides de la Marine (ENIM) ainsi qu'aux conchyliculteurs appartenant au régime de la mutualité sociale agricole. Cette indemnisation représentera, selon les estimations actuelles, la somme de 450 000 euros.

· L'exonération des redevances domaniales, assumée par l'Etat et par le département de la Gironde : les concessions allouées appartiennent pour un tiers au domaine public maritime alors qu'une partie d'entre elles est la propriété du département de la Gironde.

· L'utilisation de la procédure du Fonds d'allègement des charges (FAC), couramment utilisée en matière agricole, au profit des jeunes conchyliculteurs. Ce dispositif suppose une prise en charge partielle des intérêts d'emprunts pour l'année 2003. Les dossiers n'avaient pas encore été examinés, au début juin.

· Des aides à la trésorerie des entreprises sont également envisagées, sous forme de bonification des intérêts ou emprunts, ou par des prêts spéciaux, avec priorité pour les jeunes entreprises.

Par ailleurs, les conchyliculteurs d'Arcachon ont été touchés pendant l'année 2002 par la perte des naissains dont ils sont les principaux producteurs. Tout a été mis en œuvre pour que les dossiers d'indemnisation déposés dans le cadre de la procédure des calamités agricoles soient traités en priorité. Le taux d'indemnisation, initialement fixé à 12%, a été porté à 20% en raison de l'importance des pertes pour ces exploitations.

C.- UNE INDEMNISATION DU FIPOL TRÈS FAIBLE

Tout d'abord, l'expérience passée de l'Erika montre que le processus d'indemnisation du FIPOL est complexe et long, et ne prend pas en compte l'urgence des situations auxquelles sont confrontées les victimes.

Cependant, lors de l'Erika, l'Etat et Total s'étant engagés à ne présenter leurs créances que si le montant des fonds disponibles était suffisant, les victimes ont pu être indemnisées de façon relativement satisfaisante, à hauteur d'environ 80% des demandes, selon les estimations actuelles. L'administrateur du FIPOL a d'ailleurs décidé le 25 avril 2003 que, compte tenu du niveau du fonds et des créances présentées, le niveau des paiements pourrait finalement être porté à 100% du montant des dommages éligibles subis par les demandeurs.

En revanche, il n'en sera pas de même pour le Prestige : en effet, le 7 mai 2003, le FIPOL a déclaré qu'au vu des estimations des dommages présentées par la France et l'Espagne, les victimes, y compris les deux Etats et les collectivités locales, ne seront indemnisées, pour la première estimation, qu'à hauteur de 15% environ de leurs demandes.

Estimations des préjudices subis en Espagne et en France fournies au FIPOL

(en millions d'euros)

Espagne

- Opérations de nettoyage

- Opérations liées à l'épave

- Versement d'une aide aux victimes par les autorités

- Pêche et mariculture

- Divers

361

57-72

140

10

2

Total Espagne

662-677

France

- Opérations de nettoyage

- Dommages à l'environnement

- Pêche et mariculture

- Tourisme

78

9

6

11-100

Total France

104-193

Total général

786-870

Source : FIPOL

Cette annonce a suscité l'indignation des populations ainsi que de nombreuses personnalités politiques et du monde de la mer. La faiblesse de ce taux s'explique par le plafond limité du fonds, qui s'établit pour le Prestige à 171 millions d'euros environ11, alors que les dommages de la catastrophe ont été évalués -par l'administrateur du FIPOL lui-même, sur la base des estimations des Etats- à plus d'un milliard d'euros ! De plus, à la différence de l'Erika, trois Etats -l'Espagne, la France et dans une bien moindre mesure le Portugal- ont été affectés par la pollution du Prestige et doivent donc se partager les fonds disponibles.

La faiblesse des indemnisations est inadmissible au vu des préjudices subis, et a d'ailleurs été dénoncée par les Etats concernés : sous la pression de l'Union européenne et à la suite du Prestige, l'OMI a accepté le 16 mai 2003 une augmentation substantielle de ce plafond, porté à un niveau de près d'un milliard d'euros : cependant, cette mesure ne sera pas rétroactive et les victimes du Prestige n'en bénéficieront pas...

VI.- FAUT-IL VRAIMENT RELATIVISER LES CATASTROPHES SUCCESSIVES PAR LA DIMINUTION GLOBALE DE LA SINISTRALITÉ MARITIME ?

La survenance de deux catastrophes majeures sur les côtes françaises à moins de trois ans d'intervalle donne le sentiment que les sinistres se succèdent à un rythme accéléré, et d'aucuns affirment que la survenance régulière des marées noires et autres accidents en mer montre que rien n'est fait pour améliorer la sécurité maritime.

Toutefois, cette appréciation doit peut-être être tempérée, d'un strict point de vue rationnel, par l'analyse de l'évolution de la sinistralité maritime au cours des dernières décennies. Celle-ci montre en effet une diminution sensible du nombre d'accidents, dont il est indéniable qu'elle résulte directement du renforcement des normes internationales en matière de sécurité maritime, engagé à la suite des premières grandes marées noires des années 1970. Il ne serait donc pas totalement justifié de taxer la communauté internationale d'immobilisme complet, en affirmant que rien n'a changé, même si chaque nouvelle catastrophe emporte des conséquences dramatiques et reste absolument inadmissible.

A.- L'AUGMENTATION CONTINUE DU TRANSPORT MARITIME INTERNATIONAL

Environ 90% du transport de marchandises se fait par voie de mer. L'évolution à court terme des volumes ainsi transportés dépend étroitement des variations économiques mondiales, ce secteur subissant très rapidement l'impact des ralentissements de la croissance, voire des récessions.

Toutefois, en longue période, on constate que, avec la croissance des échanges internationaux, les tonnages transportés par voie de mer ont très fortement augmenté, parallèlement au fort développement du commerce international : depuis 1970, les tonnages transportés ont quasiment doublé. Cette croissance a d'ailleurs été particulièrement marquée au cours des années 1990 : ainsi, entre 1989 et 1998, le trafic total de marchandises calculé en milliards de tonnes-milles -unité qui prend en considération non seulement le poids des cargaisons, mais aussi la longueur du trajet qu'elles effectuent- est passé de 16,3 à 21,4, soit une augmentation de près de 31%, qui ne s'est pas ralentie depuis.

Si les hydrocarbures constituent toujours le premier produit transporté par voie maritime -environ 45% de l'ensemble des marchandises transportées dans le monde, pondéré par la longueur du trafic-, les volumes en jeu ont fortement varié au gré des chocs et contre-chocs pétroliers. En revanche, les vracs secs ainsi que le transport par conteneurs ont connu une croissance significative et continue.

Néanmoins, en dépit de la forte augmentation du transport maritime, on constate une diminution régulière du nombre de sinistres depuis le début des années 1980.

B.- UNE BAISSE MARQUÉE DU NOMBRE D'ACCIDENTS À PARTIR DES ANNÉES 1980

Le nombre d'accidents maritimes et la quantité de pétrole déversé ont connu un pic à la fin des années 1970, culminant à 35 sinistres sur des pétroliers de plus de 700 tonnes en 1979, résultant du fort accroissement du transport d'hydrocarbures et de l'insuffisance des réglementations existantes. Le caractère inadmissible d'une telle succession de sinistres maritimes a fait l'objet d'une prise de conscience : ont alors été décidés des mesures internationales de réglementation du trafic plus rigoureuses ainsi que le renforcement des normes de sécurité des navires, conduisant à l'amélioration de la qualité des flottes.

Evolution du nombre de sinistres annuels portant sur des pétroliers de plus de 700 tonnes

graphique

01

Source : FFSA

Ces réglementations ont porté leurs fruits, puisqu'on observe à partir du début des années 1980 une réduction très significative des accidents, notamment de pétroliers, et des pollutions déversées. Ainsi, le nombre de naufrages de pétroliers de plus de 700 tonnes est passé, en trois décennies, de 30 événements en moyenne par an à moins de 7 au cours de la période actuelle. Mais il demeure que sept accidents de pétroliers de plus de 700 tonnes par an demeure un niveau inacceptable : en tout état de cause, la diminution constatée ne doit en rien justifier le relâchement de la volonté de les éradiquer complètement.

C.- LA DIMINUTION DE LA FRÉQUENCE DES POLLUTIONS, EN TERMES STATISTIQUES, NE SAURAIT JUSTIFIER UN QUELCONQUE ATTENTISME

Cette évolution apparemment favorable s'est poursuivie au cours des années 1990, même si la baisse observée a été moins significative. Ainsi, M. Xavier Conti, directeur des assurances transports à la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), a indiqué à la Commission : « Nous constatons, ce qui peut vous paraître paradoxal, une amélioration sensible de nos statistiques relatives aux pertes totales de navires par rapport à la flotte mondiale. En effet, le pourcentage de ces pertes -tous navires confondus- qui était de 0,4% en 1989, est passé en dessous de 0,2% en 2001. Ces chiffres sont corroborés par la courbe en tonnage qui permet d'effectuer une légère correction statistique et qui part, elle, de 0,2%, en 1989, pour arriver à 0,1% en 2001, ce qui correspond à une diminution par deux du nombre des pertes de navires. »

Evolution de la sinistralité sur la flotte mondiale

(en % des pertes totales sur la flotte mondiale)

graphique

Source : FFSA

L'analyse de l'évolution des déversements pétroliers tend à corroborer celle effectuée en termes de sinistralité par les assurances. En effet, comme l'indique le graphique suivant, la décroissance apparaît régulière sur les dix dernières années, à une importante « exception » près : l'année 1991, avec le naufrage d'un pétrolier de grande taille -l'ABT Summer, 260 000 tonnes.

Il n'en reste pas moins, là encore, que si les sinistres du Prestige et de l'Erika peuvent, par comparaison, paraître comparativement plus faibles, les masses de pétrole qu'ils ont déversées demeurent considérables.

Evolution annuelle des déversements d'hydrocarbures

graphique

Source : ITOPF (International tanker owners pollution federation limited)

Cette évolution favorable s'explique notamment par le fait que l'évolution engagée dans les années 1980 a été confortée : les réglementations internationales et nationales ont été renforcées, par exemple par les modifications de la convention MARPOL, par l'introduction du Code ISM en 1998 ou par l'adoption de l'« Oil Pollution Act » en 1990 aux Etats-Unis. Afin d'appliquer les normes adoptées, des efforts ont été consentis au niveau du contrôle de l'Etat du port, de la maintenance des navires et des sociétés de classification.

Cette rapide analyse de la sinistralité au cours des dernières décennies prouve que les réglementations maritimes, tant internationales que nationales, sont loin d'être dépourvues d'effets et ont permis d'obtenir des résultats non négligeables.

Pour autant, on ne saurait se satisfaire d'un tel constat : le nombre d'accidents reste élevé et chaque sinistre est un sinistre de trop, une catastrophe évitable. Il faut tendre vers le risque zéro.

S'il est satisfaisant de voir que les préoccupations des autorités maritimes ont été de nature à accroître la sécurité des voies maritimes et à réduire le nombre de naufrages, on doit constater que des points noirs subsistent, comme le montre très clairement la carte suivante.

Carte des principaux sinistres pétroliers des 20 dernières années

graphique

Source : ITOPF

L'Europe, et notamment la France, connaissent ainsi des sinistres majeurs trop fréquents, dans la zone du rail d'Ouessant et du Golfe de Gascogne, compte tenu de leur trafic important et des conditions climatiques difficiles qui y règnent en hiver.

Par conséquent, l'appréciation favorable que l'on peut porter sur l'amélioration de la sécurité maritime connaît des exceptions, ainsi que la succession des accidents de l'Erika et du Prestige a fait la démonstration, et des mesures drastiques doivent être prises afin de sécuriser les rivages et les populations de ces régions.

Deuxième partie

N° 1018 - Rapport commission d'enquête sur la  sécurité du transport maritime des produits dangereux et polluants (MM. Edouard Landrain et Christophe Priou) (tome I)

1 Ce que n'ont fait ni le Parlement européen, qui a développé ses investigations dans le cadre d'une simple information de ses commissions permanentes compétentes, ni le Parlement espagnol.

2 Le déplacement a eu lieu le 22 mai dernier.

3 Même si la photo du Prestige présentée infra, prise par les Douanes françaises après le 15 novembre, ne démontre pas de conditions météo particulièrement rigoureuses.

4 Représentant, selon les données du CEDRE, 21 100 tonnes de pétrole pur.

5 Une densité minimale des plaques et des « boulettes » est en effet nécessaire pour permettre le fonctionnement des écrémeurs.

6 L'audition a eu lieu le 1er avril dernier.

7 Données du CEDRE

8 L'audition a eu lieu le 7 mai 2003

9 Le plan POLMAR-terre, déclenché le 24 décembre 1999 dans le département du Morbihan à la suite de l'Erika, n'avait pas encore été interrompu : il a été également levé le 25 juin 2003.

10 1 m3 équivaut approximativement à 1 tonne de fioul lourd.

11 Le plafond du fonds du FIPOL est fixé à 135 millions de DTS (Droits de tirage spécial) : le montant en monnaie nationale varie au gré des taux de change. Compte tenu de l'appréciation récente de l'euro et de la décision d'appliquer pour le Prestige le taux de change constaté à la date du 7 février 2003, le niveau final du plafond s'établit à 171 millions d'euros pour ce sinistre, alors qu'il atteignait 184 millions d'euros lors de l'Erika.


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