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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIIIe législature
Deuxième session extraordinaire de 2007-2008

Compte rendu
intégral

Troisième séance du jeudi 25 septembre 2008

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Génisson

1. Démission d’un vice-président

2. Rappel au règlement

M. Victorin Lurel

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan

3. Revenu de solidarité active

Discussion générale (suite)

M. Pierre Cardo

Mme Michèle Delaunay

M. Roland Muzeau

M. Dominique Tian

Mme Danièle Hoffman-Rispal

Mme Catherine Lemorton

M. Victorin Lurel

Mme Chantal Brunel

M. Alain Néri

Mme Marie-Anne Montchamp

Mme Gisèle Biémouret

M. Hervé Mariton

M. Jean-René Marsac

M. Louis-Joseph Manscour

M. Daniel Garrigue

Mme Pascale Crozon

M. Jacques Domergue

M. Jean-Marie Morisset

M. Jean-François Lamour

M. Damien Meslot

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté

Motion de renvoi en commission

M. Roland Muzeau

M. Marc-Philippe Daubresse,, M. Christophe Sirugue, M. Pierre Cardo

2. Ordre du jour de la prochaine séance

M. le haut-commissaire.

Présidence de Mme Catherine Génisson,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Démission d’un vice-président

Mme la présidente. M. le président de l’Assemblée nationale a été informé par M. Marc-Philippe Daubresse qu’il se démettait de ses fonctions de vice-président de l’Assemblée nationale à compter du 25 septembre 2008 à minuit.

M. le président du groupe UMP a fait savoir qu’il serait remplacé, à compter de cette même date, par Mme Catherine Vautrin.

2

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour un rappel au règlement.

M. Victorin Lurel. Mon intervention se fonde sur l’article 58 du règlement et concerne le déroulement de nos travaux.

Madame la présidente, je viens d’apprendre que la plupart des amendements que nous avions déposés à l’article 15 du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active , article tendant à l’application adaptée du RSA à l’outre-mer avant 2011 – date choisie par le projet de loi –, tombaient sous le coup de l’article 40.

Ainsi, nous n’aurons plus aucune possibilité de débattre de la nécessité du RSA outre-mer pour une population dont le nombre correspond à près de 10 % du total des RMistes au niveau national. Le débat est reporté à mardi prochain, alors que l’ensemble des députés d’outre-mer seront partis. Je devais prendre l’avion le 26 septembre. J’ai reporté mon départ à mardi matin. Il n’y aura donc aucun représentant de l’outre-mer.

Nous en avons déjà discuté et mon rappel au règlement ne tend pas à revenir sur ce point. Un accord a peut-être été trouvé entre-temps. Mais il est curieux que nous ayons fait le déplacement sans avoir l’occasion de débattre au moins des amendements. D’autres collègues auraient pu défendre les idées portées par les députés d’outre-mer.

L’irrecevabilité financière m’inquiète. Cela signifie-t-il que vous ne disposez pas du financement pour le RSA outre-mer ? Mes amendements tendaient à anticiper sur l’application d’un RSA spécifique outre-mer. Nous voulons le RSA. Que va-t-il se passer ? Vous allez prélever 1,1 % sur l’ensemble des contribuables, y compris outre-mer, et vous y ajouterez un plafonnement des niches fiscales – au-delà de la morale, nous sommes tous d’accord pour l’égalité devant l’impôt. Vous prélèverez environ 100 millions sur le financement des investissements outre-mer et nous n’y aurons pas droit pendant pratiquement deux ans et quatre mois après la promulgation de la loi.

À compter de son entrée en vigueur – le 1er juin 2009 –, il se passera un an et quelques mois.

Puisque l’application est financée immédiatement, peut-être faudrait-il qu’elle soit immédiate, en préservant – comme vous l’avez indiqué – les dispositifs existants apparemment plus avantageux : l’allocation de retour à l’activité et le RSO.

Le financement est-il d’ores et déjà prévu ? La loi prise pour la République comprend-elle l’outre-mer ? Sommes-nous traités à part ? Pouvez-vous, monsieur le haut- commissaire, reprendre l’amendement que vous avez écarté, et lever le gage ?

Mme la présidente. La parole est à M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Monsieur Lurel, je ne veux pas anticiper sur le débat et je ne vais donc pas répondre sur le gage dès maintenant.

Je vous répondrai sur le fond. Le financement de 1,1 % prévu inclut les prévisions que nous avons faites pour l’application du revenu de solidarité active outre-mer.

Cependant, je voudrais rétablir la vérité. Je suis allé dans un département d’outre-mer. J’ai discuté avec les différents acteurs. Vous étiez d’ailleurs venu pour que nous en parlions.

Premièrement, nous ne voudrions pas nous trouver dans une situation où, par précipitation, nous appliquerions le RSA dont le dispositif serait moins favorable que le RSO, l’ARA, etc.

Deuxièmement, l’application ne sera pas nécessairement reportée au 1er janvier 2011. Le projet de loi prévoit la date butoir du 1er janvier 2011. Nous nous sommes fixé ce délai et ne dépasserons pas cette date. Mais, si les choses sont mûres et prêtes avant, il n’y aura aucun obstacle pour anticiper sur ce délai maximal.

Troisièmement, s’agissant du contrat unique d’insertion, qui est l’une des dispositions importantes, l’application pourra se faire dès que les choses seront prêtes. Le plan de financement montre que nous avons pris en compte l’outre-mer dans nos prévisions.

Monsieur Lurel, je pense que nous organiserons les débats pour tenir compte des différentes contraintes, afin que vous puissiez être entendu et vous exprimer à l’un des trois moments où nous débattrons du projet dans l’hémicycle.

M. Victorin Lurel. Nous ne serons pas là, monsieur le haut-commissaire !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous pourrons en reparler la semaine du 6 octobre.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Madame la présidente, M. Lurel exprime au nom de l’outre-mer une préoccupation à laquelle la commission des finances est sensible.

Nous avons proposé et défendu le principe du plafonnement des niches, dépense fiscale par dépense fiscale,et le plafonnement global.

Nous avons toujours affirmé que cela ne devait pas se faire au détriment de l’outre-mer et qu’il fallait trouver les compensations nécessaires pour que l’effort en direction de l’outre-mer soit préservé et conforté. Nous essaierons d’y être attentifs au moment de l’examen de la loi de finances.

3

Revenu de solidarité active

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion. (nos 1100, 1113,1112).

Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cardo, pour quinze minutes.

M. Pierre Cardo. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le texte qui vient nous aujourd’hui en discussion met un terme au revenu minimum d’insertion, en abrogeant l’article L. 115-1 du code de l’action sociale et de la famille, qui précisait :« Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

Le RMI était donc conçu comme un moyen de subsistance. Dans les faits, la principale critique qui lui a été adressée est qu’il apportait un revenu minimum à des personnes en grande détresse, certes, sans pour autant que soit précisé le volet « insertion ».

Celui-ci était laissé aux conseils généraux, notamment par l’apport des 20 % complémentaires, sans une réelle concertation préalable. Cela se traduisit par des populations concernées sous-évaluées, par des acteurs sociaux non formés à ces nouveaux enjeux de l’insertion et trop peu nombreux dès le départ, confrontés à de nouvelles populations éloignées des institutions ; une inadaptation des réponses du fait notamment de l’enlisement dans le social en raison d’une trop grande méconnaissance du secteur économique.

En conséquence, le volet « insertion » est totalement absent dans 50 % des contrats, et, pour ceux qui en bénéficient, le contenu est souvent vide ou inadapté.

Les usagers sont souvent soumis à des obligations qu’ils ne sont pas capables d’assumer, les travailleurs sociaux à des contraintes qu’ils ne sont pas en mesure de remplir, les acteurs de l’insertion par l’activité économique à une insuffisance des moyens et à des outils sans cesse en changement et à une absence de stratégie globale.

La participation des 20 % aura néanmoins permis aux conseils généraux de cofinancer beaucoup d’outils d’insertion en accompagnant ceux mis en place par l’État facilitant le retour à l’emploi. Mais il s’agissait le plus souvent des personnes les plus employables, les moins usées.

À l’inverse, on observera souvent que l’accompagnement des RMistes – comme ils ont été appelés par la suite – est sous-traité à des organismes extérieurs, voire privés, avec pour conséquence un éloignement des services sociaux des conseils généraux d’une population dont l’environnement social et familial nécessiterait une présence sociale accrue.

Le corollaire de tous ces problèmes est une explosion des chiffres, due à l’apparition de populations peu connues et par la suite à un enkystement et à une massification du nombre des bénéficiaires du RMI.

Le RSA, en donnant aux bénéficiaires un intérêt à reprendre une activité, constitue un élément essentiel de motivation et d’espoir de sortir de l’assistanat et du cortège de professionnels qui ont jalonné certains parcours.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Exact !

M. Pierre Cardo. D’abord, il offre de réelles perspectives d’insertion par une meilleure organisation de la gouvernance grâce à l’identification d’un chef de file : le conseil général, clairement identifié.

Les commissions locales d’insertion sont remplacées par une équipe pluridisciplinaire avec une participation des usagers – c’est vous qui l’avez voulu, ils l’ont demandé – et la mise en place d’un référent unique pour chaque bénéficiaire.

Le RMI ciblait ceux qui ne pouvaient pas trouver un emploi par un accompagnement vers l’emploi, en donnant aux bénéficiaires du RMI et de l’API un revenu minimum garanti.

Dans la réalité, le RMI était plus une mesure d’assistance que d’insertion. Car, malgré les efforts réalisés par les collectivités territoriales et l’État, il y avait un frein au retour à l’emploi en raison de plus fortes contraintes pour les bénéficiaires – le problème des gardes d’enfants, des frais et des temps de transport a été abordé – et parfois même en raison de la perte d’avantages sociaux comme la couverture maladie universelle.

Le RSA, en se préoccupant de l’augmentation de revenus de salariés peu rémunérés, change la donne. Son premier objectif est que personne ne doit perdre de l’argent en reprenant un emploi à temps plein ou à temps partiel.

Il présente ainsi un réel atout pour le retour à l’emploi et une motivation du bénéficiaire par une augmentation réelle de ses ressources.

Mais venons-en aux expérimentations menées dans les départements et observons les différences entre ces expériences et le dispositif proposé dans le projet de loi. Les expériences ne concernaient que les personnes privées d’emploi et retrouvant une activité salariée peu rémunérée. Elles apportaient alors un complément de ressources.

Si le résultat observé est un retour à l’emploi supérieur de 30 % dans les départements ayant participé à l’expérience, le problème du traitement inégalitaire par rapport aux travailleurs pauvres restait posé. Le chômeur bénéficiant du RSA expérimental voit son revenu augmenter, alors que le salarié à situation comparable dans la même entreprise ne bénéficie de rien, puisqu’il n’était pas privé d’emploi.

Cette faille est désormais corrigée et l’ambition du projet de loi est de donner un puissant coup de pouce au pouvoir d’achat des salariés les moins favorisés en prenant en compte leurs charges de famille, qu’ils aient été ou non chômeurs. Ainsi, deux millions de Français devraient voir leur quotidien s’améliorer.

Mais le projet de RSA rencontre aussi des critiques de la part d’un certain nombre de nos collègues ou d’associations, ce qui peut se comprendre. Sans aborder les questions soulevées par le financement, qui ont été abordées par mon collègue Bruno Le Maire, j’analyserai certaines de ces critiques.

La première critique concerne le traitement du temps partiel. Même si l’on peut s’interroger sur les effets pervers possibles du RSA sur le travail à temps partiel, il ne faut pas tomber dans le piège des idées reçues, qui traduisent souvent une méconnaissance de la motivation des usagers autant que du fonctionnement des entreprises. On semble, du reste, oublier, à droite comme à gauche, certaines orientations politiques antérieures.

Qu’en est-il ? Le temps partiel bénéficiant d’un complément de ressources par le RSA favoriserait le travail au noir le reste du temps. On peut se demander, compte tenu de l’intérêt que semble avoir le travail au noir, ce qui inciterait les bénéficiaires des minima sociaux travaillant au noir à plein temps de s’encombrer d’un statut intermédiaire comme le RSA, avec les obligations afférentes, qui leur rapporterait moins.

On oublie aussi la volonté partagée des gouvernements précédents de favoriser le temps dit choisi – selon les cas, on parle de temps partiel – en créant, notamment, des exonérations de charges sociales pour les employeurs qui accordent le temps partiel.

Mais les critiques pointent également le risque que les entreprises abuseraient du temps partiel si ce dernier ouvre droit au RSA.

M. Roland Muzeau. C’est sûr !

M. Pierre Cardo. Il faut rappeler que si le temps partiel est choisi, la raison est souvent liée à l’organisation du travail et non au fait qu’un salarié peut avoir ou non un complément de ressources.

M. Roland Muzeau. Eh oui !

M. Pierre Cardo. Si tel n’était pas le cas, les entreprises recruteraient prioritairement des salariés ayant des familles nombreuses, au motif qu’ils touchent plus d’allocations familiales ; mais j’exagère peut-être…

M. Christophe Sirugue. En effet !

M. Pierre Cardo. Nombre de très petites entreprises, notamment dans le commerce et l’artisanat – on évoque toujours la grande distribution, mais un jour, il n’y aura plus de caissière et le problème sera réglé –, dont l’activité ne permet, en dehors du patron, que de salarier une personne à temps partiel, ne peuvent recruter sur ces postes car les candidats possibles bénéficiaires de minima sociaux ne voient aucune amélioration de leur situation en acceptant ce type d’emploi.

Faut-il critiquer le RSA au motif qu’il permettra de pourvoir ces postes en assurant un revenu décent aux salariés à temps partiel ?

Mais il est d’autres critiques, monsieur le haut-commissaire, qui ne relèvent pas de l’innovation générée par le RSA dans le champ de l’insertion mais qui sont apparues dans le Grenelle de l’insertion. Elles touchent à l’organisation même de nos dispositifs censés aider les populations en difficulté.

La décentralisation, qui a eu pour effet de confier la formation aux régions, était censée, en la rapprochant du terrain, la rendre plus efficace et mieux adaptée aux problèmes des personnes en difficulté.

En fait, force est de constater que l’amélioration ne fut pas aussi nette que souhaité. Le sujet est complexe, mais d’importance – il a d’ailleurs été abordé par la droite comme par la gauche. Pour accompagner cette étape importante que représente le RSA, il me semblerait nécessaire de mener une réflexion approfondie sur les politiques de formation menées par les régions, ainsi que de procéder à leur évaluation.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Tout à fait !

M. Pierre Cardo. Le travail social, au sens large, a fortement évolué depuis vingt ans en raison de l’apparition de nouvelles pauvretés – et le RMI les a fait réapparaître ; il mériterait que les conseils généraux s’investissent fortement pour reconsidérer les formations de base du social et optimiser leur efficacité. Je rappelle que ce sont eux qui ont à gérer la majorité du bataillon des travailleurs sociaux.

Les conseils généraux et les CAF devraient contribuer à lever les obstacles qui freinent les politiques d’encadrement de la petite enfance, facilitant le retour à l’emploi pour ceux qui travaillent en horaires décalés, les familles monoparentales ou les familles à faibles revenus pour lesquels l’absence de réponse se traduit par l’impossibilité d’accepter un emploi. Ce problème devient particulièrement préoccupant quand on envisage de créer un droit opposable à la garde d’enfants.

La dernière critique concerne l’exclusion des jeunes de moins de vingt-cinq ans, sans charges de famille, qui acceptent de prendre un emploi en CDD ou en CDI en entreprise – hors stages – et qui tombent dans la catégorie des salariés pauvres.

M. Roland Muzeau. En effet !

M. Pierre Cardo. De mon point de vue, il est normal qu’ils ne puissent bénéficier de l’ancien RMI, devenu revenu minimum garanti. D’autres dispositifs existent leur permettant de bénéficier de ressources ou d’accompagnement, que ce soit en formation ou en recherche d’emploi ; ils peuvent toujours être améliorés.

En revanche, il est illogique, voire injuste, que, dès lors qu’ils intègrent le monde du travail, ils aient un traitement différent de celui des autres salariés. Cette disposition est d’autant plus surprenante que la véritable révolution du RSA consiste à ne pas s’attacher au statut de la personne, mais à sa situation familiale et à ses ressources.

M. Alain Néri. Oui !

M. Pierre Cardo. A-t-on le droit de faire en sorte que cette avancée considérable laisse de côté les jeunes travailleurs, au simple motif qu’ils n’ont pas de charges de famille avant vingt-cinq ans ?

M. Roland Muzeau. Bonne question !

M. Pierre Cardo. En dépit de ces quelques critiques qui, notamment pour la dernière, pourraient trouver une solution si le Gouvernement reprenait à son compte un amendement que j’ai déposé en commission – mais qui fut rejeté –, je ne peux que me féliciter que ce texte reprenne l’essentiel des travaux menés au Grenelle de l’insertion que vous avez porté et mis en oeuvre, monsieur le haut-commissaire.

Plus de deux millions de salariés à faibles ressources vont voir leur pouvoir d’achat progresser et, pour certains, nettement. De nombreux allocataires de minima sociaux pourront reprendre le chemin de l’emploi sans s’enfoncer dans la précarité – paradoxe de la situation antérieure – et les collectivités locales comme les acteurs du social et de l’insertion verront leur travail optimisé grâce à un contrat unique d’insertion, même s’il porte deux appellations différentes – contrat d’accompagnement vers l’emploi dans le secteur marchand et contrat d’initiative emploi dans le secteur non marchand ; grâce aussi à une gouvernance clarifiée avec un interlocuteur unique chargé de suivre le bénéficiaire. Par ailleurs, le secteur de l’insertion par l’économique bénéficiera de financements clarifiés, adaptés aux effectifs traités avec une stabilisation, voire, on peut l’espérer, une extension du secteur. Enfin, une plus grande implication, grâce à un amendement parlementaire, des maisons de l’emploi consolidera l’édifice.

À titre personnel et en tant qu’acteur de l’insertion depuis plus de trente ans, je tiens, au-delà de ma fonction d’élu, à vous féliciter, monsieur le haut-commissaire, pour le courage et la ténacité dont vous avez fait preuve pour faire accepter ce projet innovant, qui, s’il n’est pas parfait, est en tout état de cause bien meilleur que ce qu’aucun gouvernement précédent a jamais produit au profit des personnes les moins favorisées de notre pays. Ce projet porté par l’UMP et critiqué par la gauche aura démontré que la générosité n’a pas d’étiquette et que le paradoxe est partout ! Soyez-en sincèrement remercié, monsieur le haut-commissaire.

Pour toutes ces raisons et parce que nous sommes en train de franchir une étape décisive dans la lutte contre la pauvreté et la modernisation de l’intervention sociale, le groupe UMP votera votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Delaunay.

Mme Michèle Delaunay. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le travail est fondamentalement une valeur de gauche.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Une valeur républicaine !

Mme Michèle Delaunay. Émancipation des femmes, moteur de l’ascenseur social au siècle dernier, symbole du partage et de l’échange, fondement d’une société humaine, le travail est, depuis que ce mot existe, au cœur du socialisme. Nous ne pouvons donc que partager le principe du revenu de solidarité active. Mais parce que nous respectons le travail, nous ne voulons pas qu’il soit source d’inégalités, de précarité ou de pauvreté. Nous voulons qu’il soit digne, durable, et rétribué par un juste salaire.

Nous n’avons pas l’intention de nous opposer au RSA, mais de le compléter. En l’état, le RSA ne procure pas de travail, il le prête et engendre temps partiel et emploi précaire. Vous le savez comme nous, le RSA intéresse grandement les secteurs en tension, qui, pour la plupart, n’offrent que des emplois précaires et à temps partiel. Dans les départements où l’expérimentation a été menée, les entreprises qui avaient besoin de recourir à des intérimaires ont sauté sur le dispositif. Les emplois RSA risquent d’être des petits boulots générateurs de petits salaires et de vulnérabilité durable.

C’est la raison pour laquelle il faut prévoir des mesures dissuasives contre l’emploi à temps partiel subi, n’autoriser qu’un strict contingent, si l’employé le demande. La solidarité doit être active – vous nous l’assurez – mais l’activité doit être solidaire. Le RSA ne crée pas l’emploi et ne lève aucun des freins qui l’empêche. Il n’améliore pas le retour à l’emploi, même s’il en améliore les conditions financières.

M. Pierre Cardo. Ce n’est déjà pas si mal !

Mme Michèle Delaunay. Il faut l’accompagner de mesures relatives aux gardes d’enfants, cela a été souvent rappelé, et à la santé. Je me permets d’insister sur ce point aujourd’hui où nous apprenons que 40 % de nos concitoyens retardent ou limitent leurs soins, faute de pouvoir d’achat. Le RSA est générateur d’inégalités entre ceux qui travaillent, selon qu’ils ont plus ou moins de vingt-cinq ans ; c’est pour cela que nous vous demanderons de l’étendre aux jeunes qui travaillent. Nous vous suggérons de créer une commission d’enquête afin d’explorer toutes les possibilités de secourir et d’aider les jeunes en rupture de famille.

Deuxième inégalité : entre celui qui, dans une entreprise, percevra un SMIC pour vingt heures de travail et celui qui le percevra pour trente-cinq heures.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Les deux seront traités de la même façon.

Mme Michèle Delaunay. Vous nous répondrez sans doute au cours du débat, monsieur le haut-commissaire.

Le RSA laisse les plus pauvres sur le bord du chemin. Je souris en écoutant les orateurs de droite qui abusent de cette formule lorsqu’ils affirment que personne ne sera laissé sur le bord du chemin. Ici, les mots ont tout leur sens, car les personnes les plus exclues ou les plus éloignées de l’emploi ne connaissent aucun bonus alors même que leurs revenus se dégradent. Il faut accompagner le RSA, monsieur le haut-commissaire, de mesures d’insertion sociale d’activité, par un petit plus financier. C’est aussi de l’activité, même si ce n’est pas de l’emploi. J’ai, à cet égard, écouté avec plaisir le président Méhaignerie vous faire la même demande.

Le RSA doit être viable et nous avons, sur ce point, besoin d’un complément d’informations sur les moyens alloués pour sa mise en œuvre et sa répartition : 2 000 emplois sont demandés par les 123 CAF. Seront-ils satisfaits ?

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Michèle Delaunay. Vers quels acteurs du dispositif iront les 150 millions de frais de fonctionnement prévus ?

Enfin, il faut compléter le financement du RSA en faisant participer les bénéficiaires du bouclier fiscal. Votre gouvernement ne sera crédible que s’il est à l’origine de mesures équitables ; il ne le sera que s’il ne se contredit pas. Or, dans le même temps, M. Daubresse nous dit que le financement est pérenne, alors que le Président de la République prétend le contraire.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Vous n’avez pas compris !

Mme Michèle Delaunay. Monsieur le haut-commissaire, pardonnez-moi cette familiarité : les idées sont bonnes, voire excellentes, mais, sur le plan des travaux pratiques, l’élève, dont on ne peut mettre en doute la bonne volonté, peut mieux faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, cette intervention aurait dû être prononcée par mon amie Martine Billard, mais la désorganisation de nos travaux l’en a empêchée. Par ma voix, je vous demande de bien vouloir l’écouter.

Ce projet de loi ne présente pas que des aspects négatifs. En effet, la généralisation du revenu de solidarité active aura pour certains un effet bénéfique même s’il ne s’agit pas d’un outil miraculeux à même de faire sortir l’ensemble de nos concitoyens au chômage de la précarité ou les travailleurs pauvres de leur situation. La reprise d’un emploi ne se traduira plus comme aujourd’hui par la suppression de la somme perçue au titre du RMI mais seulement d’une partie. Le RSA aura ainsi un effet d’amortisseur pour ceux qui retrouvent une activité rémunérée, notamment lorsqu’il s’agit d’un temps partiel.

Cependant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit rapidement que votre projet reste dans la droite ligne de votre politique. Vous continuez à diviser et à morceler la société, sans doute dans l’espoir de mieux régner. En agissant ainsi, vous accélérez un peu plus la décomposition du corps social et mettez en danger le fragile équilibre du pays.

Vous dites en substance que pour être aidé, il faut le mériter. Mais c’est oublier que l’exclusion est un phénomène subi dont on ne sort pas facilement et qu’elle affecte l’ensemble de la société, du fait notamment de ses répercussions en matière de santé publique. De plus, elle provoque un malaise général qui conduit à des réflexes sécuritaires, xénophobes ou encore identitaires. À chaque recul de l’État social, vous faites avancer l’État répressif et l’État pénal, flattant souvent les réflexes populistes. Vous poursuivez ainsi le démantèlement des solidarités au profit d’une logique individualiste.

Par ailleurs, je note que vous avez durci les conditions d’attribution du RSA en donnant une nette priorité à la reprise d’un emploi. Or de nombreuses personnes sont très éloignées de l’emploi et parfois dans l’incapacité de s’inscrire dans un parcours d’insertion immédiat. En outre, votre loi ne considère plus le travail bénévole dans les associations comme un élément objectif d’insertion alors même qu’il constitue l’un des moyens d’amorcer le processus d’insertion avant d’entrer dans un parcours plus officiel.

Votre projet évite soigneusement de s’intéresser à la situation des jeunes de 18 à 25 ans, sans doute censés vivre d’amour et d’eau fraîche. Cette question remonte, il est vrai, à la création du RMI et aucun gouvernement n’a voulu s’y attaquer. Reste que depuis la suppression du dispositif TRACE sous le gouvernement Raffarin, il n’existe plus aucun dispositif spécifiquement destiné aux jeunes.

À l’égard des étrangers, vous poursuivez votre politique d’exclusion. Contrairement à ce que vous affirmez, la fusion du RMI et de l’allocation de parent isolé ne se fera pas à droit constant pour eux. Les conditions exorbitantes et discriminatoires que vous leur opposez sont encore plus restrictives que celles applicables aux actuels bénéficiaires du RMI.

À quelques exceptions près – réfugiés, apatrides, titulaires d’une carte de résident de dix ans désormais de moins en moins souvent attribuée, familles monoparentales remplissant les conditions d’attribution de l’actuelle API –, le projet impose une condition plus contraignante qu’une présence régulière depuis plus de cinq ans, à savoir l’obligation « d’être titulaire depuis au moins cinq ans d’un titre de séjour autorisant à travailler ». En conséquence seront exclus du bénéfice du RSA tous les étrangers non européens même si durant cette période de cinq ans, ils ont détenu un titre de séjour, « vie privée et familiale » par exemple.

Ils seront écartés de l’aide financière mais aussi des mesures d’accompagnement du RSA, alors même que les étrangers sont parmi les plus affectés par les difficultés d’insertion sociale et professionnelle – premiers emplois peu qualifiés, contrats précaires, temps partiels, salaires faibles, problèmes d’accès au logement. Pire, cette condition s’appliquera aussi au conjoint, concubin ou partenaire pacsé du demandeur alors que, pour le RMI, la justification de leur régularité de séjour par la détention d’un titre d’un an, quel qu’il soit, suffisait.

Cette condition de résidence préalable de cinq ans est contraire à certains engagements pris par la France au plan international. De nombreuses juridictions ou instances ont considéré qu’il s’agissait d’une discrimination : le comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe, la Cour de justice des communautés européennes, le Conseil d’État – violation des accords avec l’Algérie – ou encore des juridictions administratives – violation de la directive européenne asile 2004-1983/CE s’agissant de titulaires de la protection subsidiaire.

Les discriminations ne se limitent pas au demandeur et à son conjoint ou concubin, elles s’étendent aussi aux enfants : le projet prévoit un alignement sur les règles actuelles des prestations familiales, ce qui revient à continuer d’exclure les enfants entrés en France en dehors de la procédure du regroupement familial. Tant la Cour de cassation que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité considèrent pourtant cette exclusion comme contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et à la Convention internationale des droits de l’enfant.

Par ailleurs, vous intégrez le montant des droits annexes pour calculer le RSA, ce qui revient à limiter fortement ses effets. Pour nous, il n’est pas question d’amputer le RSA des prestations et aides sociales, particulièrement celles relatives au logement. L’expérience montre sur le terrain que de nombreuses familles se trouvent, en l’absence de telles prestations, dans des situations désespérées et désespérantes. Ce n’est pas ainsi que l’on favorisa le parcours vers l’insertion et encore moins le retour à l’emploi. De plus, vous savez très bien que le logement est le premier élément de stabilité des personnes et des familles. Cela a été souligné de manière constante dans tous les rapports et études depuis des années. Il est temps d’en prendre la mesure.

Je passerai rapidement sur l’évaluation des avantages en nature. Outre le fait qu’il apparaît difficile aux services d’y procéder – comment estimer, par exemple, les ressources provenant de la culture de légumes dans un jardin –, je rappelle que l’occupation d’un logement à titre gratuit est déjà un élément pris en compte dans le système d’aides sociales : elle est exclue du champ d’attribution de l’aide au logement. Plus généralement pourquoi faire du logement un privilège alors qu’il est presque aussi indispensable à la vie que boire ou manger ? Loin d’être un luxe, c’est un facteur essentiel pour éviter l’exclusion. Alors même que les pouvoirs publics sont incapables d’assurer l’accès au logement social des ménages qui en ont besoin, il est paradoxal de déstabiliser ceux qui en ont un. Aussi les nouvelles mesures concernant le calcul de la taxe d’habitation ainsi que celles relatives à la redevance télévisuelle ne nous paraissent-elles pas aller dans le bon sens.

S’agissant du contrôle et des sanctions, votre politique ne s’est pas infléchie. Il n’y a qu’un seul principe pour vous : le bénéficiaire d’une prestation sociale est forcément un tricheur. Cette stigmatisation populiste que vous entretenez en permanence n’est pas saine. Mais vous allez encore plus loin, puisqu’en cas de travail au noir imposé par un employeur, vous faites porter une part de responsabilité au bénéficiaire du RSA, lui imputant les turpitudes de son employeur.

M. Dominique Tian. C’est faux !

M. Roland Muzeau. Par ailleurs, vous imposez aux personnes ayant droit au RSA du fait de la faiblesse de leurs revenus du travail de rechercher un autre emploi ou de pratiquer le cumul d’emplois, sans prendre en considération la fatigue et le coût des déplacements que cela implique. À défaut, elles devront entreprendre des actions d’insertion au risque de voir leur RSA remis en cause. Plutôt que d’inciter les entreprises à proposer des emplois à temps plein, votre dispositif vise à imposer un cumul de temps partiels permettant tout juste de survivre. Somme toute, l’ensemble s’apparente à du travail sanction, ce qui est totalement contradictoire avec la valeur travail que vous chérissez tant.

S’agissant du financement du RSA, l’annonce d’une taxe sur les placements et le patrimoine aurait pu être une bonne surprise. Toutefois, à y regarder de près, le bouclier fiscal exonérera les plus nantis de toute contribution en faveur du RSA, ce qui est un comble ! En refusant que la taxe pour le financement du RSA soit appliquée à tous, y compris aux contribuables protégés par le bouclier fiscal, vous confirmez qu’il n’est pas question de toucher aux revenus des plus riches. Cette proposition empreinte de tant d’injustice sociale ayant provoqué un scandale dans le pays, vous essayez d’atténuer ses effets par la limitation des niches fiscales. Mais les montants avancés sont dérisoires. Ils provoquent l’effet inverse et scandalisent un peu plus.

De manière plus globale, on peut souligner la faiblesse du dispositif de financement et les incertitudes qui pèsent sur l’avenir. La prise en charge par les départements des montants précédemment alloués au titre de l’API sera-t-elle réellement compensée par l’État dans la durée ? Le gel de la PPE va certes diminuer le nombre de bénéficiaires mais le manque de simulations comparatives nous pousse à nous interroger sur la réalité des bénéfices que l’on peut en attendre. Individuellement, nous comprenons bien qu’un allocataire peut être gagnant, mais collectivement cela est moins évident.

Par ailleurs, il faudrait aussi éviter que le RSA ne produise un effet d’aubaine pour des employeurs encouragés à maintenir ou à développer des emplois à temps partiel imposés et mal payés. Comme toute mesure en matière économique, le RSA devrait être utilement complété par des dispositions visant à dissuader le recours abusif aux temps partiels et aux petits boulots. Or c’est le contraire que vous proposez : le refus d’accepter de tels emplois pourra conduire à perdre le bénéfice du RSA en raison des nouvelles règles relatives à l’offre raisonnable d’emploi. Ce n’est donc pas ce dispositif qui mettra un terme au développement du phénomène des travailleurs pauvres qui, rappelons-le, sont aujourd’hui plus de 2 millions.

Dans une récente étude, l’OFCE précise que « les problèmes de santé, de transport, de gardes d’enfants, le manque de qualification sont des freins au retour à l’emploi au moins aussi importants que le manque d’incitations financières » et estime que « l’effet du RSA sur l’emploi des allocataires de minima sociaux pourrait être faible ». Toujours selon le même organisme cité par l’AFP, le RSA pourrait aussi « encourager certaines femmes à réduire leur temps de travail, voire à se retirer du marché du travail ». En effet, pour les couples, « si le RSA rend le passage de l’inactivité à un SMIC plus rémunérateur, il réduit les incitations financières du travailleur secondaire, le plus souvent la femme » sachant que « lorsqu’il faut faire garder des enfants, le coût du retour à l’emploi peut être important ». Comme toujours, ce sont les femmes qui sont en première ligne. L’OFCE indique encore : « Aux États-Unis, une mesure équivalente a réduit d’un point le taux d’activité des femmes en couple. »

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Vous savez, il s’agissait davantage d’un billet d’humeur que d’une véritable analyse.

M. Roland Muzeau. « Il serait possible de réduire cet effet pervers du RSA en diminuant les frais de garde d’enfants et/ou en augmentant le nombre de places d’accueil collectif, ce qui lèverait l’un des principaux freins à l’emploi des mères de jeunes enfants mais coûterait cher. » Or les moyens envisagés seront loin d’être suffisants pour envisager une telle politique.

Le bilan de ce texte reste pour le moins déséquilibré.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Muzeau.

M. Roland Muzeau. Si la mise en place d’un contrat unique d’insertion pour le secteur privé et le secteur public reste une très bonne initiative que nous réclamions depuis de trop nombreuses années, en revanche l’absence de dispositions relatives à la formation laisse perplexe alors que nombre d’allocataires manquent de qualifications adaptées aux emplois disponibles.

Vous supprimez l’intéressement, véritable usine à gaz, mais le RSA reste pour le moins opaque quant aux montants à percevoir. On peut ainsi se demander comment se feront les calculs pour les personnes qui ont des situations de travail fluctuantes ou des horaires variables.

Enfin, comment gérerez-vous toutes les obligations faites aux bénéficiaires du RSA de retrouver du travail s’il n’y en a pas ?

Il est à craindre que le RSA ne conduise à une véritable rupture entre les bénéficiaires des minima sociaux qui réussissent à accéder à l’emploi et les autres. Ce n’est pas ainsi que l’on évite la marginalisation et la très grande pauvreté. L’échec du « I » dans le RMI n’est pas l’échec du RMI en tant que tel mais des moyens mis en œuvre pour développer les actions d’insertion. Et il risque fort d’en être de même pour le RSA.

Voilà, madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, chers collègues, ce que Mme Billard aurait aimé vous dire elle-même si l’organisation de nos travaux n’avait pas été manipulée.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian, pour cinq minutes.

M. Dominique Tian. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, j’ai eu la chance d’être le rapporteur des articles portant création de la première version du RSA dans le cadre de la loi TEPA, et je dois dire que j’avais soutenu cette mesure avec un enthousiasme qui n’a pas diminué depuis.

Il s’agissait de faire des revenus du travail le socle des ressources des individus et le principal rempart contre la pauvreté, partant du principe que tout le monde est capable de travailler. L’affirmation selon laquelle nul n’est inemployable définitivement opérait un renversement de perspective très intéressant, ne serait-ce que du point de vue intellectuel.

Offrir à chacun un accompagnement social et professionnel me paraissait rompre avec le dispositif du RMI dont on peut dire, vingt après sa création, qu’il n’a malheureusement ni résolu le problème de la pauvreté ni celui de l’insertion, bien oubliée. Il a été trop souvent dévoyé, devenant un revenu d’assistance versé quasiment sans contrôle, ce qui a donné lieu à de nombreux abus. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Roland Muzeau. Vous regardez tous les soirs sous votre lit s’il y a des fraudeurs ou quoi !

M. Dominique Tian. La Cour des comptes le souligne à longueur de rapports ! Et je dois avouer que c’est aussi un peu ma crainte pour le RSA, même si j’ai noté avec plaisir qu’il était question dans le texte de droits et de devoirs, de contrôles et d’échanges d’informations, de recours et même de récupérations, mais aussi de lutte contre la fraude et de sanctions, même si cela choque M. Muzeau.

M. Roland Muzeau. Toute personne touchant une allocation est un fraudeur pour vous !

M. Dominique Tian. Il s’agit pour moi d’un changement notable de mentalité tout simplement parce que nos concitoyens sont stupéfaits et révoltés par ceux qui pillent notre système social, qui est le plus généreux du monde mais aussi le plus coûteux, le plus désorganisé et le moins responsable. Tous les jours, les journaux nous annoncent de nouvelles affaires de fraude : Match la semaine dernière, Le Parisien cette semaine, Le Figaro hier.

M. Christophe Sirugue. Le RMI est l’allocation la moins fraudée !

M. Dominique Tian. Dans les milieux autorisés, on évoque même un coût de 28 milliards à 48 milliards d’euros entraîné par les fraudes sociales. Pierre Méhaignerie parlait d’ailleurs tout à l’heure avec justesse de la nécessité de s’interroger enfin sur la performance sociale. La commission a adopté un amendement qui suspendra le versement du RSA en cas de travail dissimulé. À cet égard, je vous rappelle que le travail au noir représente chaque année une perte de 55 milliards d’euros pour les finances de l’État.

Sans cet équilibre entre les droits et les devoirs, comment faire admettre que, pour financer le RSA, on va augmenter encore la taxation des revenus du capital, la portant à 12,1 % ? Il s’agit de sommes qui ont déjà été soumises à l’impôt et qui constituent l’épargne des Français, ce qui en fait un sujet extrêmement sensible. En effet, les Français paient déjà sur les revenus du capital 8,2 % de CSG, 0,5 % de CDRS, 0,3 % de contribution de solidarité et 2 % sur les revenus du patrimoine. Ainsi, quand vous placez 1 000 euros à 4 %, cela vous rapporte 40 euros. Mais vous devez payer 11,24 euros de taxes, c’est-à-dire que votre gain est de 28 euros. Si, par hasard, l’inflation est à un niveau élevé, de l’ordre de 2 à 3 %, il ne restera pas grand-chose de votre capital. On comprend donc que les Français, et notamment les classes moyennes, soient très attachés à cette taxe et que l’on en vérifie la bonne utilisation. Voilà pourquoi les contrôles sont nécessaires.

M. Alain Néri. Supprimez le bouclier fiscal ! Vous bénéficierez alors de 15 milliards d’euros d’un seul coup !

M. Dominique Tian. J’ai d’ailleurs du mal à admettre, comme nombre d’orateurs, qu’avec 1 000 milliards d’euros de dépenses publiques il n’ait pas été possible d’économiser 1,5 milliard d’euros. Je ne peux donc que souhaiter que cette taxe soit transitoire et qu’elle disparaisse avec la pauvreté dans notre pays.

Le RSA est populaire, les Français l’attendaient avec impatience – c’est une promesse présidentielle. Enfin les revenus du travail rapporteront plus que les revenus de l’assistance ! Malgré les réserves que j’émets quant à son financement, je voterai ce texte sur lequel je fonde beaucoup d’espoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Roland Muzeau. Rappel au règlement, madame la présidente !

Mme la présidente. Vous avez la parole, monsieur Muzeau.

M. Roland Muzeau. Monsieur Tian, il faut vous reconnaître une chose : la constance !

Mme Marisol Touraine. C’est sûr !

M. Roland Muzeau. Mais, très franchement, vous m’inquiétez ! Je me demande toujours si, en vous couchant le soir, vous ne regardez pas s’il y a un fraudeur sous votre lit, parce que je ne vois pas un seul texte échapper à vos amendements.

Pour ma part, je vais vous donner un cas concret qui vous montrera que les fraudeurs ne sont pas toujours là où on les attend.

M. Dominique Tian. Je n’ai pas dit ça !

M. Roland Muzeau. Dans le département des Hauts-de-Seine, la fille de Didier Pineau-Valencienne a touché le RMI pendant sept ans. Ce département a refusé de porter plainte. Cinq années n’ont pas été recouvrées. Je rappelle que le conseil général des Hauts-de-Seine était alors présidé par Nicolas Sarkozy.

Je cite un exemple caricatural qui va à l’inverse de ceux que vous prenez. Évitez de déposer de tels amendements ! Ça commence à bien faire !

Mme la présidente. Un mot pour répondre, monsieur Tian.

M. Dominique Tian. Monsieur Muzeau, vous venez de me donner raison, et je vous en remercie. Si Mme Pineau-Valencienne touchait le RMI alors qu’elle payait l’ISF, c’est qu’il y avait des problèmes dans la constitution de certains dossiers.

Mme la présidente. Bien ! Nous reprenons la discussion générale.

La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion dont nous débutons l’examen nous est proposé vingt ans après l’adoption du revenu minimum d’insertion.

Cette mesure, votée alors sous l’impulsion de Michel Rocard, constitue un pan essentiel de notre modèle de solidarité nationale. Le financement, retenu à l’époque par le biais de l’impôt de solidarité sur la fortune, incarnait à merveille cette solidarité aujourd’hui battue en brèche.

Le RSA, qui ambitionne de redonner un nouveau souffle aux politiques de lutte contre la pauvreté a, lui, choisi de freiner ce dispositif de solidarité. « Au possible nous sommes tenus » déclarait le rapport de la commission Familles, vulnérabilité, pauvreté. Le possible le plus urgent serait d’augmenter le pouvoir d’achat des plus démunis. Or vous avez pourtant refusé, il y a à peine quelques heures, les solutions proposées par les députés de l’opposition lors de l’examen du projet de loi sur les revenus du travail.

Le RSA y contribuera-t-il ? Il est permis de s’interroger quand on voit le décalage entre vos attentes exprimées dans le Livre vert – 2 à 3 milliards d’euros de financement – et les recettes attendues via la taxe sur les revenus du capital de 1,1 % annoncée, qui ne devrait rapporter que 1,5 milliard d’euros.

Vous avez cité tout à l’heure les propos d’un allocataire du RSA : « Je suis redevenu le chef de ma vie. » C’est beau ! Mais, pour votre part, êtes-vous toujours le chef du financement de votre projet de loi ?

Vous insistez souvent, et à juste titre, sur le supplément de revenu engendré par le RSA. Rappelons que le décrochage entre le RMI et le SMIC est aujourd’hui très important. En 1990, le RMI représentait 48,7 % du SMIC, contre 44,3 % seulement en 2007. Il est donc heureux que la somme que perçoit un allocataire du RMI puisse augmente.

Est-ce cependant à la hauteur de l’enjeu ? Un indicateur trouvé dans le dossier fourni pas vos services me semble éclairant. Même avec le RSA, un célibataire sans enfant ne dépassera le seuil de pauvreté qu’avec un emploi à trois quarts de temps ou un temps plein. Une personne isolée avec un enfant ne dépassera le seuil de pauvreté qu’avec un emploi à temps plein. Mais un couple mono-actif sans enfants ne le dépassera pas, même avec un emploi à temps plein, pas plus qu’un couple mono-actif avec un enfant ou un couple mono-actif avec deux enfants. Je me suis contentée de reprendre les chiffres du ministère.

Concernant maintenant le financement, l’idée d’une taxe sur le capital était a priori acceptable. Malheureusement, vous vous êtes contentés d’une taxation de l’épargne populaire – car il s’agit bien d’une taxe –, refusant même qu’elle s’applique aux bénéficiaires du bouclier fiscal. Quant à la suppression des niches fiscales, notre collègue Didier Migaud, président de la commission des finances, a fort opportunément fait remarquer que cette mesure ne constituait qu’un effet d’affichage. En effet, le plafonnement envisagé serait bien trop élevé et mettrait à l’abri les nicheurs les plus avisés. Rappelons également que les nicheurs ne sont pas forcément ceux qui profitent du bouclier fiscal, loin de là !

Alors que le financement du RSA est déjà bien loin de correspondre à celui qu’une majorité soucieuse de justice sociale aurait pu mettre en place, des craintes subsistent sur la manière dont la majorité va contrôler ses fantasmes portant sur la fraude.

M. Dominique Tian. Des fantasmes ? Vous plaisantez !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. M. Hirsch a pourtant rappelé en commission que le RMI était la prestation la moins exposée. J’aimerais bien que l’on s’ôte cette idée de la tête : tous les allocataires de minima sociaux ne sont pas des fraudeurs. Cela dit, M. Muzeau a raison : le conseil général des Hauts-de-Seine aurait pu porter plainte, comme le font certains de nos collègues pour des cas bien moins graves.

Je souhaite également revenir sur les travers provoqués par la communication à outrance. « Au possible nous sommes tenus » est donc votre leitmotiv. Alors que la crise financière commence à produire ses premières conséquences sur l’économie, alors que la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat ou celle sur la modernisation économique ne produisent pas les effets attendus sur la croissance, alors que la baisse du chômage devient de plus en plus hypothétique, je vous demande de ne pas créer un espoir que vous ne pourriez pas satisfaire chez les personnes les plus démunies.

Vous savez, à force de répéter à des personnes qu’elles vont percevoir le RSA sans leur expliquer qu’il leur faut trouver un emploi, certaines s’imaginent qu’elles vont toucher une prestation supplémentaire.

Vous leur affirmez que cela va valoir le coup de reprendre un emploi, et nous partageons ce point de vue, mais le RSA sera-t-il un facteur incitatif suffisant ? Si la situation s’est dégradée depuis vingt ans, c’est aussi parce qu’on ne trouve pas facilement un emploi. Les employeurs vont-ils jouer le jeu ? Y compris dans la commission que j’évoquais, l’idée était bien d’aider, et d’inciter les employeurs à redévelopper de l’embauche, ainsi que vous l’avez dit lors du Grenelle de l’insertion. Or nous sommes loin de ces questions, et c’est bien l’une de nos craintes.

Nous ne voudrions pas que cette réforme serve d’excuse pour rayer des listes des allocataires du RSA des personnes trop éloignées de l’emploi. Mais nous savons qu’elles existent.

Je conclurai mon propos par une citation de la commission : « La mise en place d’une réforme ambitieuse des minima sociaux et des prestations sociales devrait s’accompagner d’engagements collectifs sur la structure de l’emploi permettant de vérifier que la transition se fait vers le haut et non vers le bas ».

Je me demande ce que penserait le président de cette commission, Martin Hirsch, en lisant le projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Où sont, par exemple, les possibilités de revenir sur les abaissements de cotisations sociales accordés aux entreprises si celles-ci venaient à user et abuser de la soupape de sécurité accordée par le RSA pour les bas salaires ?

J’espère que la discussion qui s’engage nous permettra vraiment d’améliorer le projet de loi, tant sur le financement du RSA que sur la mise en place de mesures destinées à empêcher la multiplication des temps partiels subis, surtout par les femmes, et des emplois mal payés. Seules des améliorations dans ce sens pourraient nous permettre de nous assurer de l’effectivité de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion que vous défendez, je le sais, depuis si longtemps, monsieur le haut-commissaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Lemorton.

Mme Catherine Lemorton. Monsieur le haut-commissaire, le RSA est une mesure qui a déjà le mérite de ne pas proposer tout de go le démantèlement du pacte social, ce qui est rarement le cas avec les projets de loi déposés par ce gouvernement en la matière. D’ailleurs, je suis très surprise de vous voir assis au banc des ministres. Je vous rappelle que les franchises médicales, pour lesquelles vous ne sembliez pas d’accord l’année dernière, sont applicables à des gens très modestes depuis le 1er janvier 2008.

Complexes, multiples, les positions au sujet du RSA méritent un débat de fond et d’argumentation, en prenant le temps nécessaire pour faire disparaître les interrogations ou inquiétudes.

Quant à la philosophie de ce texte, nous ne pouvons que souscrire à la bonne volonté de son concepteur.

En effet, le système actuel des minima sociaux est complexe et illisible, avec neuf minima sociaux différents et une vision compartimentée des publics ciblés, impuissant pour enrayer la progression et l’aspect protéiforme de la pauvreté – des pauvres plus nombreux, plus pauvres, souvent salariés –, et peu incitatif pour le retour à l’emploi.

En ce sens, les objectifs affichés du RSA pourraient nous satisfaire. Simplifier le système, inciter les allocataires de minima sociaux à prendre des emplois et faire baisser la pauvreté, il ne se trouvera pas un seul socialiste pour émettre la moindre observation. D’autant plus que l’absence de limitation de durée de son application est un gage important.

Mais si nous pouvons nous retrouver sur les principes exprimés par ce projet de loi, nombreux sont les points de désaccord en ce qui concerne sa mise en application telle qu’elle est présentée actuellement.

D’abord parce que le RSA, centré sur les personnes les plus précarisées, lésera les classes populaires. Si l’on prend simplement le gel du barème de la prime pour l’emploi en 2009, ce sont les bénéficiaires du SMIC qui feront les frais du RSA.

Aider les personnes les plus précaires en défavorisant les travailleurs modestes, voire très modestes, voilà une démarche quelque peu contreproductive.

Ensuite parce que le RSA ne prend pas en compte les exclus du retour à l’emploi. Quand M. Hirsch affirme que « seules les personnes qui travaillent bénéficieront d’un surcroît de prestations par rapport à la situation actuelle », il fait le jeu de l’idéologie droitière qui associe minima sociaux et assistés. D’ailleurs, monsieur Tian, je note que vous êtes toujours dans une constance parfaite. Vous êtes toujours pris de ce trouble obsessionnel convulsif qu’on appelle le TOC à la fraude !

Tous les bénéficiaires des minima sociaux ne sont pas des assistés, tous les bénéficiaires des minima sociaux ne sont pas des personnes qui tentent d’échapper au retour à l’emploi tout en profitant des largesses de la solidarité nationale. Face à un accident de la vie, il ne reste souvent que l'aide collective pour pouvoir se relancer et retrouver confiance en soi et en l'avenir.

M. Pierre Cardo. Quelle caricature !

Mme Catherine Lemorton. En promouvant cet état d'esprit, le RSA stigmatisera encore plus les personnes les plus exclues du système tout en ne présentant qu'une vision statistique du traitement de la pauvreté.

Enfin, et quoi qu'en disent les idéologues les plus conservateurs, des doutes importants persistent quant à la capacité du RSA à améliorer le retour à l'emploi.

En axant son action sur le seul aspect monétaire, le RSA laisse de côté tout ce que les autres pays européens mettent en avant pour favoriser le retour à l'emploi : la formation et l'accompagnement. D'ailleurs, qui sera chargé de sa gestion? Quelle sera la place de la nouvelle agence pour l'emploi, dont on ne connaît toujours pas le nom – s’agira-t-il des caisses d’allocations familiales ? Du conseil général ?

Le RSA risque de devenir un énième incitateur au développement de l'emploi précaire et de la modération salariale. Les RMistes seront impérieusement poussés vers des petits boulots, qui sont davantage des impasses que des marchepieds.

Quant au financement de la mesure, entre le transfert des crédits du RMI, de l'API et le gel du barème de la PPE, nous serons encore loin du 1,3 milliard d'euros que cette mesure va coûter. L'annonce faite de taxer les revenus du patrimoine et les revenus de placement à hauteur de 1,1% ne peut que nous interroger. Qui, au sein de la majorité, va l'emporter? Les plus sociaux? Les plus libéraux? Qui, au sein de l'UMP et du Nouveau Centre, osera admettre que le bouclier fiscal mis en place il y a un an permettra aux plus nantis de passer à travers la participation à la solidarité nationale ?

Entre un principe avec lequel nous ne pouvons qu'être d'accord et une application où les effets néfastes seront extrêmement nombreux, la question des objectifs de ce texte est clairement posée.

Le rapport Hirsch, en 2005, avait su passer outre à ces errements. « Au possible, nous sommes tenus », telle était la déclaration lancée à la France voici trois ans. Aujourd'hui, nous sommes tous placés devant nos responsabilités. Le sujet est trop grave, trop sensible, pour laisser un principe soutenu par tous aboutir à un texte qui aurait plus d'aspects négatifs que de points positifs. Nos débats devront donc répondre à ces interrogations et M. Hirsch devra nous expliquer pourquoi son texte a ainsi glissé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Je regrette profondément les conditions complètement déstructurées dans lesquelles se déroulent nos travaux, mais je vous parlerai face à face et cœur à cœur.

Nous partageons la philosophie générale de votre texte, en reconnaissant à chacun le droit et la capacité de vivre des fruits de son travail comme élément central et fondamental de la dignité humaine. Le RSA réaffirme de la même manière les valeurs de solidarité en incitant les personnes intéressées à reprendre une activité ou à entreprendre les actions nécessaires à leur insertion professionnelle et sociale tout en poursuivant l’objectif de lutter contre la pauvreté au travail. Le RSA devrait renforcer notre pacte social et faire vivre davantage les idéaux républicains d’égalité et de fraternité.

Malheureusement, cette belle ambition pèche par quelques vices rédhibitoires.

Se présentant comme l’outil par excellence de la lutte contre la pauvreté, le RSA exclut pourtant de son champ les jeunes travailleurs de moins de 25 ans, les personnes handicapées, et les retraités vivant sous le seuil de pauvreté. Si l’on peut comprendre qu’il ne faut pas inciter les jeunes à s’inscrire, à l’orée de leur vie active, dans l’assistanat, il est difficile d’accepter que ceux qui travaillent en échange de rémunérations inférieures à certains minima soient exclus du dispositif. Je reste persuadé que l’argument du coût budgétaire pouvait être surmonté, car suffisamment de gisements de recettes existent pour financer une telle mesure.

Dans de nombreuses circonscriptions, des retraités, partis pour inaptitude au travail, n’atteignent pas le nombre d’annuités nécessaire pour prétendre à une retraite à taux plein. Ils vivent en dessous du seuil de pauvreté de 880 euros pour une personne seule ou de 1320 euros pour un couple. De surcroît, dans ma circonscription, la caisse générale de sécurité sociale a été créée en 1948, et le chômage endémique qui y sévit n’a pratiquement jamais permis à ceux qui partent aujourd’hui à la retraite d’atteindre le nombre nécessaire d’annuités. Plus de la moitié des retraités, sans parler des agriculteurs, croupissent dans la misère, et l’allocation supplémentaire vieillesse, chichement servie par le fonds de solidarité vieillesse, ne suffit pas pour atteindre un niveau décent. Le RSA manque là une occasion de faire reculer la pauvreté.

Autre vice qui nous pose problème, l’inclusion des contributions additionnelles dans le bouclier fiscal et l’absence d’articulation avec le plafonnement global des niches fiscales. Ces mesures ne me semblent pas de nature à rétablir la justice fiscale.

Si le résultat du plafonnement devait être pris en compte pour le calcul des effets du bouclier fiscal, les actuels bénéficiaires seraient exonérés de tout prélèvement supplémentaire – M. Migaud l’a démontré avec maestria. Il convient donc de revoir le mode de financement. Nous vous proposerons des amendements en ce sens.

Aux 300 000 contribuables aisés qui ne participeront pas au financement du RSA, vous proposez de plafonner les niches fiscales, en particulier pour la défiscalisation des investissements outre mer. J’approuve naturellement le principe de justice fiscale qui repose sur l’égalité devant la loi et devant l’impôt, mais sur les 10 000 contribuables qui investissent outre mer, seuls 180, dont le revenu dépasse le million d’euros, ne paient pas d’impôt. Ces 10 000 contribuables financent entre 1,2 milliard et 2 milliards selon les années.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mais que financent-ils ?

M. Victorin Lurel. Vous allez donc prélever entre 150 et 200 millions d’euros pour un habillage quelque peu artificiel et idéologique afin de faire croire que le dispositif est juste. Au-delà de cette moralisation que nous comprenons et approuvons, je vous demande de ne pas émasculer le dispositif de la défiscalisation, car vous allez assécher les financements. N’oubliez pas que l’État ne finance plus, et que l’Europe ne finance que les dépenses « lisbono-compatibles » - TIC, recherche, éducation, formation etc. Les infrastructures, les équipements publics, ne sont plus financés, j’en sais quelque chose en Guadeloupe. Les banques sont frileuses. Seul le contribuable accepte de défiscaliser. Ne prenez donc pas une massue pour 180 contribuables. Oui à l’égalité fiscale, mais à condition de préserver l’efficacité du dispositif. Tout dépendra de la position du curseur.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La démonstration est acrobatique.

M. Victorin Lurel. Nous contestons également les ordonnances. Nous n’aimons pas les textes pris en face à face comme s’il s’agissait d’une prescription médicale, quelle que soit la qualité de vos fonctionnaires. Nous préférons débattre de ces questions devant la représentation nationale ; aussi vous demandons-nous de revoir la date d’application.

Enfin, si les mesures contraignantes que vous proposez pour financer le RSA s’appliquent tout de suite, le RSA ne sera mis en œuvre que plus tard. Nous demandons que le RSA entre immédiatement en vigueur, en préservant le revenu de solidarité et l’allocation de retour à l’activité. C’ est parfaitement possible. Il faut modifier à la marge l’ARA, ce qui est envisageable dès juin 2009. Nous vous avons même proposé dans un amendement que vous avez refusé sur la base de l’article 40 de le faire en janvier 2010. Si vous acceptiez nos amendements, je serais heureux de voter votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Brunel.

Mme Chantal Brunel. Le RSA est une rupture forte. Une rupture forte par rapport à vingt ans de gestion passive de l'exclusion. Une rupture forte parce que chaque centime dépensé pour le RSA sera un centime de plus pour sortir de l'exclusion. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Une rupture forte parce que le RSA ne se contente pas de prendre en compte les plus démunis sans emploi : il s'attaque de front au problème des travailleurs pauvres, ceux qui survivent à peine alors qu’ils se lèvent très tôt tous les matins pour aller travailler.

M. Alain Néri. Ça, on l’a déjà entendu !

Mme Chantal Brunel. Pour eux, en plus de leur salaire, le RSA sera un complément de pouvoir d'achat. Mon attachement au principe du RSA est donc indéfectible et je voudrais ici saluer votre travail remarquable, monsieur le haut-commissaire.

Mme Catherine Lemorton. L’intéressement ! La participation !

Mme Chantal Brunel. Sans votre force de conviction, sans votre détermination sans faille, sans votre engagement total, je ne suis pas sûre que ce texte de relance de la politique sociale serait discuté aujourd'hui dans notre hémicycle. Vous avez convaincu le Président de la République et le Gouvernement du bien-fondé du RSA, il vous reste maintenant à en convaincre la gauche ! Et ce sera sans doute la tâche la plus ardue, même si le RSA figurait dans le programme présidentiel de Ségolène Royal et, partant, de la gauche rassemblée au second tour.

S’agissant du financement, je voterai la taxe de 1,1 % sur les revenus du capital et des produits de placement, même si j'aurais préféré des économies supplémentaires sur le budget de l'Etat et diverses autres mesures de solidarité.

Mme Catherine Lemorton. Bouclier fiscal !

Mme Chantal Brunel. Je la voterai, mais le Gouvernement doit orienter son action dans trois directions : la lutte contre les abus et les fraudes ; l'évaluation annuelle du financement du RSA, de son opportunité, de son impact, de ses effets positifs ou négatifs ; enfin, le plafonnement des niches, mesure de justice fiscale, pour financer une partie du RSA.

Pour mener une lutte efficace contre les abus et les fraudes qui entachent le RMI, trois éléments clés sont à prendre en compte.

J'ai voté l'amendement n° 24 en commission, afin que les ressortissants des pays de l'Union européenne, de l'Espace économique européen et de la Suisse soient dans l'obligation de fournir une attestation des services fiscaux de leur pays d'origine indiquant qu'ils ne sont pas imposables dans leur pays.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

Mme Chantal Brunel. Je souhaite que l'on progresse dans l'interconnexion des divers fichiers sociaux et fiscaux pour lutter contre la fraude (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Ainsi, il ne devrait plus être possible que certaines personnes puissent cumuler des prestations sociales dans des départements différents.

M. Christophe Sirugue. C’est de l’obsession !

Mme Chantal Brunel. Ces fraudes coûtent cher à l'État, et c'est de l'argent volé aux contribuables.

Enfin, qu'en sera-t-il des diverses prestations versées par les collectivités locales aux chômeurs ? Dans certain cas, il s'agit de sommes importantes : gratuité ou fortes réductions sur les transports, les gardes d'enfants, les cantines, voire les vêtements ou la nourriture, mais aussi transports gratuits pour les personnes sans emploi en Ile-de-France, mesure que je n'ai pas votée car elle pénalise la personne qui retrouve une activité.

Dans quelles conditions ces prestations seront-elles maintenues pour les personnes qui, bénéficiant du RSA, retrouveront un emploi ? À ma connaissance, il n’est pas fait mention, dans le projet de loi, des conditions d’attribution de ces aides par les collectivités. Je souhaite donc qu’une clarification soit apportée, en posant clairement le critère de l’ensemble des ressources du foyer, afin d’éviter l’accumulation des aides et celle des obstacles à l’efficacité du RSA.

En ce qui concerne la taxe de 1,1 %, j’en reconnais le bien-fondé, mais à deux conditions. Il faut qu’elle soit évaluée. J’ai cosigné l’amendement n° 31 qui propose que le Gouvernement remette chaque année un rapport sur la gestion du Fonds national des solidarités actives. S’il s’avère que les recettes sont supérieures aux dépenses, ce rapport pourra proposer une diminution du taux de prélèvement sur les revenus patrimoniaux. Le taux de 1,1 % ne doit pas être gravé dans le marbre, mais doit être ajustable à la baisse, si l’équilibre financier du Fonds national des solidarités actives le permet.

Enfin, en cohérence avec l’amendement n° 31, j’ai cosigné l’amendement n° 30, visant à permettre un cofinancement du coût du RSA par le plafonnement des niches fiscales propres à l’impôt sur le revenu. Je mène ce combat depuis longtemps. J’ai même eu l’occasion, ici même, en avril dernier, d’en rappeler la nécessité, ce qui a fait un certain bruit. Ce plafonnement s’impose comme une mesure de justice fiscale, même si M. Lurel considère qu’il sera difficile de le mettre en place pour la niche fiscale réservée aux DOM-TOM.

M. Victorin Lurel. Ici aussi !

Mme Chantal Brunel. Ce plafonnement, en tout cas, éviterait que certaines personnes échappent à l’impôt en achetant des appartements dans les DOM-TOM ou en recourant à d’autres techniques sophistiquées.

Mme la présidente. Il va falloir conclure, ma chère collègue.

Mme Chantal Brunel. En outre, les rentrées fiscales qu’il entraînera permettront de réduire en proportion le taux de la nouvelle taxe sur les revenus patrimoniaux. Je me félicite donc, monsieur le haut-commissaire, que la fin d’une injustice fiscale serve de support à une mesure de justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, il y a tout juste vingt ans que cette assemblée votait à l’unanimité le revenu minimum d’insertion. La commission des affaires sociales était alors présidée par notre collègue Jean-Michel Belorgey. Je tiens à lui rendre hommage ce soir, car il a toujours été un militant de la lutte contre l’exclusion et poursuit d’ailleurs son action au sein de l’association ATD Quart monde.

Je suis un peu étonné que nos collègues de la majorité considèrent que le RMI n’avait rien de formidable. Ce n’est pas très aimable pour notre collègue Pierre Méhaignerie, actuel président de la commission des affaires sociales, qui avait incité à l’expérimentation du RMI, et l’avait d’ailleurs expérimenté dans son département d’Ille-et-Vilaine.

Il est bien évident que, vingt ans plus tard, il convient de réactualiser le dispositif. Le RSA a toute notre sympathie. C’est une idée généreuse et novatrice. D’ailleurs, notre candidate à l’élection à la Présidence de la République l’avait inscrite dans son programme.

M. Jacques Domergue. Ça ne lui a pas porté chance !

M. Alain Néri. Comme pour une bouteille de bon vin, ce qui compte, ce n’est pas l’étiquette, mais le contenu. C’est pourquoi je me permets de me tourner vers M. le haut-commissaire pour lui poser une question. Quelle réaction aurait eu le président d’Emmaüs, auteur, en 2005, du projet de création du RSA, en voyant, aujourd’hui, le contenu du projet de loi du haut-commissaire ? Je crois qu’il aurait été particulièrement déçu et qu’il aurait clamé son désappointement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Déjà que vous faites parler les morts, laissez les vivants s’exprimer eux-mêmes !

M. Alain Néri. Il aurait, en tout cas, été à nos côtés pour demander des précisions. Nous aurons d’ailleurs, tout au long du débat, l’occasion de vous interroger, monsieur le haut-commissaire, sur les distorsions inacceptables entre le projet de 2005 et le présent projet de loi.

Nous savions bien, en créant le RMI, qu’il serait difficile de trouver le financement. Mais il fut beaucoup plus difficile encore de mettre en œuvre le « i »de « insertion ». Je siège dans les commissions locales d’insertion de mon département depuis 1988. Avec le recul, j’ai pu constater que, si certains bénéficiaires du RMI, qui n’ont que de légères difficultés, font un bref stage dans le RMI, retrouvent très rapidement un emploi ou s’insèrent très rapidement dans la société, d’autres, plus marginalisés par les accidents de la vie, sont là depuis la création du RMI.

M. Dominique Tian. Vingt ans de RMI !

M. Alain Néri. Pour certains, les problèmes se cumulent. Le RMI, ce n’était pas seulement l’insertion par l’emploi, mais aussi par le logement, par la santé, par la formation. Or certains rencontraient des difficultés dans tous ces domaines et il n’était pas facile de réussir l’intégration. La lutte contre l’exclusion que nous avons menée à travers le RMI a été exemplaire et a permis à un grand nombre de nos concitoyens de retrouver une place dans la société.

Mme Chantal Brunel. C’est vrai !

M. Alain Néri. Monsieur le haut-commissaire, à la lecture de votre projet, je constate avec inquiétude que certaines inégalités entre les citoyens en difficulté vont se renforcer. En effet, il y aura des oubliés, en particulier les jeunes de moins de vingt-cinq ans et sans enfant. Nombreux sont ceux qui viennent d’achever leurs études. Ils ont accepté n’importe quel emploi – ce qui devrait faire plaisir à Mme Brunel –, y compris des emplois à temps partiel qui n’ont rien à voir avec leur formation, et ils ne touchent que 500 ou 600 euros par mois. Ceux-là n’auront pas droit au RSA.

M. Pierre Cardo. Mais pour eux, même sans le RSA, ce n’était pas facile ! Le dispositif est donc bon pour les autres !

M. Alain Néri. Comme une jeune fille que j’ai rencontrée récemment, ce sont des travailleurs pauvres. Ces jeunes, je vous le concède, n’avaient pas non plus été pris en compte dans le RMI, mais nous devons réfléchir à une solution.

Il y a aussi le problème de tous ceux qui seront inscrits au RSA, mais qui sont tellement déstructurés, tellement marginalisés, qu’ils ne retrouveront pas d’emploi et n’auront aucun avantage.

M. Pierre Cardo. Ça ne vous dérange pas, la contradiction permanente ?

M. Alain Néri. Monsieur le haut-commissaire, nous partageons la volonté d’aider les personnes les plus en difficulté : notre intérêt commun, c’est donc de bien rappeler que le RSA n’est pas un emploi. Aujourd’hui, beaucoup de gens pensent que le RSA va leur en procurer un, alors qu’il ne fera qu’améliorer la condition de celui qui en a un. Là aussi, il y a une source d’inégalités, non seulement entre départements, mais à l’intérieur d’un même département. Certaines zones sont plus industrialisées que d’autres, plus porteuses d’emplois que d’autres : il sera plus facile à l’ancien RMIste d’y trouver un emploi et de bénéficier de l’amélioration apportée par le RSA. Il faudra également prendre en compte les difficultés de déplacement. Pour toutes ces raisons, nous devons travailler et réfléchir à améliorer le dispositif.

En ce qui concerne son coût, il y a de quoi s’inquiéter. Dans un premier temps, monsieur le haut-commissaire, vous avez dit que cela coûterait 5 milliards d’euros. Puis, du jour au lendemain, vous avez dit que 3 milliards suffiraient : tout le monde se réjouissait, tout le monde croyait à un miracle. À présent, vous assurez que 1,5 milliard fera l’affaire. En vérité, c’est ce que vous apportera la taxe que vous allez mettre en place. Mais vous ferez également un prélèvement de 1,5 milliard sur les aides existantes, qui allaient à ceux qui étaient déjà dans la difficulté.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Pas du tout !

M. Alain Néri. Mais si ! Un exemple : vous supprimez une aide intéressante, la prime de retour à l’emploi de 1 000 euros, et vous récupérez ainsi 240 millions d’euros au minimum.

Mme la présidente. Pourriez-vous conclure, mon cher collègue ?

M. Alain Néri. Oui, madame la présidente. Je conclurai en disant que, avec votre nouvelle taxe, vous êtes en train de demander un effort à ceux qui ne sont pas en état de le faire. Pour le financement du RSA, je vous propose trois solutions. Premièrement, supprimons le bouclier fiscal : ainsi, ce n’est pas 1,5 milliard que vous trouverez, mais 15 milliards d’un coup. Deuxièmement, taxons les bénéfices des grandes entreprises cotées en Bourse, comme Total, Gaz de France ou Suez : vous n’aurez pas à envoyer 3 millions d’avis de taxation, mais simplement deux ou trois. Ce serait un remarquable effort de solidarité.

Mme la présidente. Mon cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole !

M. Alain Néri. Certaines sociétés pratiquant des crédits à taux usuraire – tels COFIDIS, FINAREF ou COFINOGA – ont contribué à plonger ces gens dans la misère et pourraient, par souci de solidarité, participer au financement. Enfin, pour terminer par une note d’humour, peut-être pourrait-on attendre un don de M. Tapie, qui a été ministre de la ville…

M. Dominique Tian. Sous Mitterrand !

M. Alain Néri. …et pourrait distraire quelques millions des fabuleux remboursements qu’il va toucher. Mais j’avoue que, cela, je n’y crois guère.

Je suis également inquiet pour les conseils généraux. Vous avez dit que cela ne leur coûterait rien, mais, à l’ensemble des départements, vous devez déjà 2 milliards d’euros pour le RMI – 9 millions pour le seul département du Puy-de-Dôme. De même, la loi prévoyait que vous financeriez 50 % de l’APA, et vous n’en payez que 27 %.

Mme la présidente. Mon cher collègue, vous avez quasiment doublé votre temps de parole.

M. Alain Néri. Votre engagement nous convainc d’autant moins que nous avons écouté M. Sarkozy dire, à Toulon, que, contrairement à vos affirmations, le financement prévu n’est pas pérenne.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il n’a jamais dit cela !

M. Hervé Mariton. S’il l’a dit, nous sommes rassurés !

M. Alain Néri. Pour toutes ces raisons, nos inquiétudes sont grandes. Nous attendons du débat qu’il nous apporte des précisions et des propositions rassurantes. Après quoi nous verrons, ensemble, comment faire fonctionner le RSA. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je sais bien que cinq minutes passent très vite, mais je vous demande de ne pas dépasser votre temps de parole. C’est une question de respect mutuel.

La parole est à Mme Marie-Anne Montchamp.

Mme Marie-Anne Montchamp. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, quand elle est soutenue, la croissance n’est pas suffisante pour garantir la réduction de la pauvreté. Mais, quand elle ralentit, elle contribue largement à l’accroissement des inégalités.

Le contexte de crise financière et économique dans lequel nous légiférons rend plus aigu encore le besoin de réforme de la solidarité nationale. Nous serons sans doute nombreux à rappeler que la pauvreté est une réalité quotidienne pour plus de 7 millions de nos compatriotes, soit un ménage sur huit. Leur nombre ne cesse d’augmenter. Ce sont notamment des Français d’âge actif, des travailleurs pauvres, des chômeurs non ou mal indemnisés. Au total, le nombre de travailleurs pauvres a augmenté de 21 % cette année.

Dans ce contexte, le RSA est bien plus qu’une énième mesure d’assistance aux personnes en situation de précarité. La création du RSA confirme une rupture majeure dans notre approche de la solidarité et de la cohésion nationale, faisant des revenus du travail le principal outil de lutte contre la pauvreté : travailler chaque fois que c’est possible ; travailler à sa mesure et selon ses capacités, mais retrouver coûte que coûte le chemin du travail ; travailler pour gagner plus.

Le RSA constitue une alternative à l’assistance, fruit d’un modèle social daté et fragilisé par les réalités socio-économiques. Il y avait urgence à moderniser notre conception du risque social en France. Aujourd’hui, avec le RSA, nous faisons le choix d’une politique globale conciliant les enjeux économiques de contribution à la croissance et les attentes sociales de nos concitoyens.

Concrètement, le RSA permet d’affirmer le soutien de l’État à toutes les formes de travail, quel que soit le niveau de contribution, selon un principe d’attention que les mécanismes techniques du RSA s’attachent à identifier et à prendre en compte.

Ce principe d’attention, on le retrouve en premier lieu dans la logique de simplification qui caractérise le RSA, puisqu’il tend à se substituer, et non à s’ajouter, à des prestations existantes.

C’est le même principe d’attention qui prévaut lorsque l’on choisit de mobiliser les crédits de la solidarité nationale au profit d’un dispositif favorisant le travail et l’activité, dans des conditions telles que celle-ci peut être réellement créatrice de pouvoir d’achat.

Bref, au-delà de la technicité du dispositif et des avantages qui en découlent, ce qui est vraiment nouveau et fonde cette nouvelle politique sociale, c’est que l’on va enfin permettre à une population bénéficiaire de minima sociaux de percer le plafond de verre sous lequel elle est tenue enfermée.

Avec le RSA, trois conditions seront désormais conjuguées pour créer la solidarité.

La première c’est, bien sûr, l’octroi d’un minimum social, un acquis de la République, qui profitera aux plus vulnérables, quel que soit leur degré de contribution au marché du travail.

La deuxième, c’est l’accompagnement par les services dédiés, le service public de l’emploi, pour entrer ou revenir sur le marché du travail,

La troisième enfin, et elle est primordiale, c’est la sécurisation du rapport à l’emploi malgré ses aléas que sont le temps partiel, le travail temporaire ou les allers et retours emploi chômage.

L’attente sociale, on le mesure chaque jour, est extrêmement pressante ; nous nous devions d’y répondre, Il s’agit là du troisième pilier du développement durable, dans l’esprit du Grenelle de l’insertion. Car mieux mobiliser la solidarité nationale devient un impératif de performance collective.

Le texte dont nous allons débattre est le moyen de lutter contre les effets de seuil que génèrent les minima sociaux. L’allocataire vit toujours les variations de son revenu disponible comme autant d’injustices. Ce texte est aussi le moyen de corriger les défauts des mesures d’activation des minima sociaux dans le cadre des contrats aidés, qui sont pour l’essentiel à temps partiel, rendant négligeable, et souvent même négatif, le gain lié à la reprise d’une activité.

Contrairement aux nombreuses critiques qui se sont fait jour, mes chers collègues, le mode de financement du RSA présente trois avantages majeurs. Il garantit une bonne traçabilité de son financement pour nos compatriotes, ce qui induit un contrôle efficace. Il permet l’amorçage d’une politique volontariste, qui se révélera économiquement vertueuse, avec le retour à l’emploi des bénéficiaires. Enfin, l’amendement que la commission des finances a adopté à l’article 2 du projet de loi, outre qu’il permet une mesure d’équité fiscale, contribuera par le mécanisme de vases communicants qu’il porte, à alléger la charge du 1,1 % sur le revenu du capital et des placements, par le produit du plafonnement des niches fiscales. Pour toutes ces raisons, je soutiendrai ce texte fondateur.

Mais, monsieur le haut-commisssaire, il nous faudra aller au-delà et balayer le champ complet des minima sociaux pour les inclure dans une même logique de droit commun.

C’est dans cet esprit que j’ai plusieurs fois évoqué auprès de vous la situation, il est vrai, particulière, de l’allocation adulte handicapé. Bien sûr le handicap social n’est pas le handicap. Les associations de personnes handicapées se sont montrées très sensibles à cette distinction. Toutefois, le mécanisme actuel et le mode de calcul de l’AAH peuvent se révéler et se révèlent souvent être une forte trappe à l’emploi des personnes handicapées. C’est pour cela que j’ai souhaité que puisse s’engager une réflexion sur ce point afin d’explorer les possibilités d’extension du mécanisme du RSA aux travailleurs handicapés. Je suis heureuse d’avoir reçu l’assurance du Gouvernement que la réforme de l’AAH interviendra dans ce sens dès la discussion du PLF : je la soutiendrai avec la même détermination, car cette réforme est une condition clé de l’insertion professionnelle et sociale des plus fragiles d’entre nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Biémouret, pour cinq minutes.

Mme Gisèle Biémouret. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, vingt ans après l’instauration du RMI, il est aujourd’hui devenu nécessaire de mettre en place une aide financière pour les personnes les plus en difficulté qui travaillent pour la première fois ou qui retrouvent un emploi, afin de supprimer ce que l’on appelle les « trappes à inactivité ».

À travers mes fonctions de vice-présidente du conseil général, chargée particulièrement de l’insertion, j’ai constaté les effets positifs de l’expérimentation sur la circonscription d’action sociale de Condom. J’ai pu également vérifier les adaptations à apporter à un dispositif qui entend révolutionner la politique d’insertion.

En amont des discussions d’un projet aux objectifs ambitieux, mais couvert par des finalités floues, avec mes collègues socialistes, nous émettons de nombreuses réserves quant à une généralisation accélérée et exigeons des clarifications sur les points suivants durant le débat parlementaire : le danger du développement du travail à temps partiel ; le manque d’engagement concret des employeurs dans le dispositif ; l’absence d’un processus de qualification pour l’accompagnement des allocataires ; le transfert de charges supplémentaire sur les départements, alors que l’État n’a pas fini de compenser le transfert du RMI ; le risque d’un financement socialement injuste ; l’exclusion du dispositif des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans ayant déjà un emploi.

Parmi mes constatations sur le terrain, je sais combien ce projet est fondé sur l’idée que toute personne serait en mesure de travailler. Mais la réalité des situations de pauvreté est beaucoup plus complexe. Ce projet de loi ne peut se permettre de nier ces réalités. Une politique d’insertion ne peut se réduire à une simple incitation financière à la reprise d’un emploi. Elle doit s’intégrer plus largement dans une politique d’accompagnement social et d’accompagnement dans l’emploi, dans les domaines du logement, de la santé, de l’offre de garde d’enfants, des transports, etc.

Il est indispensable, comme l’a démontré l’expérimentation, de stabiliser les moyens financiers nécessaires à ces accompagnements. Comment allez-vous intégrer l’arrivée dans le dispositif d’environ 3 millions de personnes, dont une partie de travailleurs pauvres, sans le faire au détriment des plus exclus ?

Il y a cependant dans ce débat, mes chers collègues, une imposture que je souhaite dénoncer : on ne peut opposer sans arrêt, comme vous le faites, le travail à l’assistanat On ne peut davantage réduire ce débat à des chiffres. Il y a, derrière les mots, des situations humaines dues aux accidents de la vie qui font que certains n’ont pas ou n’ont plus les ressources psychologiques et morales pour sortir des difficultés qu’ils rencontrent.

Enfin, la réussite du RSA sur l’ensemble du territoire dépend du niveau de l’offre en emplois. Dans un département rural tel que le Gers, nous appréhendons le risque d’en atteindre rapidement les limites. Il est primordial de créer de l’offre en engageant le maximum d’employeurs dans le dispositif. En parallèle, de sérieux efforts sont à fournir pour adapter la réactivité, la coordination entre la formation et la demande d’emploi. De nombreuses entreprises seront très prochainement contraintes de pallier le départ à la retraite d’une partie de leurs salariés. N’y aurait-il pas dans ce domaine un effort à consentir pour résorber un déficit de coordination entre les entreprises et les organismes de formation ?

Malheureusement, ce projet ne peut à lui seul atténuer les effets de la politique de recul des droits sociaux menée depuis juin 2007. Il ne peut masquer l’instauration des franchises médicales, la réduction drastique du nombre de contrats aidés ou encore la suppression des allocations chômage imposée après le refus de deux offres dites « raisonnables » d’emploi.

En conclusion, le principe d’une aide financière au retour à l’emploi ne fait pas débat. Mais le RSA ne peut être présenté comme la seule réponse aux problèmes de l’exclusion, ni, surtout, masquer une politique injuste. Le débat qui s’ouvre permettra peut-être de préciser un projet dont la portée marquera la politique d’insertion. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. Je vous félicite d’avoir respecté votre temps de parole, madame la députée.

La parole est à M. Hervé Mariton, pour cinq minutes.

M. Hervé Mariton. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, pour résoudre le mal profond dont souffre notre pays, le 3 juin 1953, Pierre Mendès France disait, applaudi sur de nombreux bancs, que « gouverner, c’est choisir ». Cette réforme fondamentale, que nous avons appelée, que vous avez élaborée, monsieur le haut-commissaire, et que vous avez, vous aussi, associée tout à l’heure au souvenir de Pierre Mendès France, aurait été l’occasion de prouver des choix.

La critique que certains d’entre nous ont faite des modalités de financement du RSA montre, puisqu’il a fallu ajouter un impôt nouveau, qu’au fond, ce beau principe énoncé par Pierre Mendès France, selon lequel « gouverner, c’est choisir », n’a pas été respecté.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Si !

M. Hervé Mariton. Sans doute fallait-il faire preuve d’un peu d’imprudence, mais il y avait des alternatives de financement. Je pense en particulier aux observations fort justes que le Président de la République avait faites sur l’intelligence, l’opportunité, et même la justice qu’il y aurait eu à recentrer la prime pour l’emploi. Cela étant, l’amendement dont je suis cosignataire, lequel permet d’engager un financement qui devra se substituer progressivement à celui proposé aujourd’hui, permet d’avancer.

Par ailleurs, monsieur le haut-commissaire, pour ceux d’entre nous qui croient aux vertus de l’expérimentation, nous vous remercions d’avoir lancé l’an dernier l’expérimentation du revenu de solidarité, comme l’a rappelé le rapporteur du moment, Dominique Tian. Cette expérimentation a permis de tirer quelques enseignements. Mais, vous le savez, beaucoup, y compris parmi ceux chargés de proposer la synthèse de cette expérimentation, considèrent que tous les enseignements n’en ont pas été tirés, qu’une conclusion hâtive a été rendue et, qu’au fond, il s’agit d’un mauvais exemple de ce que l’expérimentation peut apporter au processus de décision publique, au processus législatif.

Vous direz qu’il s’agit là davantage de la lettre que de l’esprit. S’agissant précisément de la lettre, ce qui a cloché dans le RMI, c’est que le I de l’insertion a été oublié, jusque dans votre discours, où, parfois, vous parlez de « revenu minimum ». Je vous fais part d’une plaisante curiosité : s’agissant du RSA, sur vos dossiers et même dans le texte de votre discours, vous l’écrivez ainsi : rSa.

« La lettre tue, mais l’esprit donne la vie », nous rappelle l’épître aux Corinthiens. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) L’esprit qui rend libre ne se laisse pas réduire à l’idée ou à la vision personnelle de celui qui interprète, comme l’a dit l’autre jour Benoît XVI au collège des Bernardins. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christophe Sirugue. Ça dérape !

M. Alain Néri. On ne s’est jamais battus pour la compassion ou la charité, mais pour la justice !

Mme la présidente. Laissez l’orateur terminer, mes chers collègues !

M. Hervé Mariton. Alors, oui, monsieur le haut-commissaire, je le disais tout à l’heure en reprenant les paroles de Pierre Mendès France, il est important de répondre au problème des travailleurs pauvres, ce mal profond dont souffre notre pays. Et le dispositif que vous nous proposez apporte un progrès.

Oui, il est important d’encourager à la reprise d’activité. Cela fonde, vous l’avez dit, une espérance, qui répond à une souffrance mais qui, pour que la solidarité diffère de l’assistance, passe aussi par l’exigence. Or nous constatons que les contreparties ne sont pas ce que, dans leur sagesse, nos concitoyens demandent. Oui, monsieur le haut-commissaire, ce texte répond à une demande très forte et à un mal profond. Comment éviter que ceux qui reprennent une activité ne soient pénalisés ? Comment faire en sorte qu’ils soient encouragés ?

Mais ce texte répond mal à la question de ceux qui ne sont pas découragés de ne pas reprendre une activité. Cette exigence peut vous paraître un peu raide…

M. Christophe Sirugue. Un peu facile !

Mme la présidente. Je vous demande de bien vouloir conclure, mon cher collègue.

M. Hervé Mariton. J’ai été interrompu, madame la présidente !

Cette exigence peut vous paraître un peu raide, mais nous savons tous dans nos campagnes qu’elle est très forte. Rédigée encore dans des termes très généraux, même si des amendements peuvent peut-être l’améliorer, cette exigence de contrepartie est, me semble-t-il, insuffisamment servie et cette difficulté risque encore demain d’opposer ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. Tel n’est pas notre objectif. Il est essentiel de les réconcilier dans ce RSA, dont le « S » se dresse très haut dans vos documents. Il est donc essentiel…

Mme la présidente. De vous acheminer vers votre conclusion !

M. Hervé Mariton. …de renforcer l’exigence d’insertion, tous les citoyens l’ont compris. Le RSA a été critiqué en apparence pour son financement. En réalité, les Français ont compris que, s’il y avait une vraie recherche de progrès par rapport au RMI, elle n’allait pas au bout et qu’il y avait un risque d’empilement. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous tenons à vous encourager davantage encore, monsieur le haut-commissaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je sais qu’il est difficile de respecter son temps de parole lorsqu’il est de cinq minutes, mais je vous demande d’y veiller.

La parole est à M. Jean-René Marsac, pour cinq minutes.

M. Jean-René Marsac. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le revenu de solidarité active doit permettre de sécuriser et d’accroître les revenus des personnes en situation de pauvreté et des travailleurs précaires, mais il doit surtout favoriser leur promotion professionnelle et consolider durablement leur situation sociale, en évitant les lourdeurs administratives et les impasses de l’emploi précaire à vie.

Tout système d’intervention qui mobilise localement des partenaires publics et administratifs différents – services de l’État, conseils généraux, caisses d’allocations familiales, service public de l’emploi, structures d’insertion et autres intervenants… – crée des obligations de liaisons qui, à l’expérience, sont très difficiles pour les agents concernés, mais surtout pour les publics en insertion. Le rôle du référent unique est fondamental dans le parcours administratif du bénéficiaire du revenu de solidarité active. Il convient donc de bien préciser sa capacité d’intervention auprès des autres services publics concernés et d’éviter des circuits de décision qui rendent sa fonction de médiateur complètement illusoire. Or rien n’indique dans le texte que le référent pourra se faire entendre par les services dont il ne relève pas directement. L’introduction d’un correspondant désigné par le président du conseil général pour suivre les évolutions des situations individuelles peut être une bonne idée à la condition que cela ne conduise pas à une dilution de la responsabilité entre le référent et le correspondant.

De plus, la question de la coordination des actions conduites pour un même foyer est posée : toute personne de plus de vingt-cinq ans, membre du foyer, bénéficiera d’un contrat, chaque contrat étant suivi par un référent unique, ce qui suppose que le foyer bénéficiaire pourra être suivi par deux ou trois référents différents, missionnés soit par le service public de l’emploi, soit par le conseil général. La notion de référent unique est ainsi fortement mise à mal.

Par ailleurs, vous créez, sous l’autorité du président du conseil général, des équipes pluridisciplinaires et vous incitez les différents intervenants publics et associatifs à conclure un « pacte territorial pour l’insertion ». Cela relève de bonnes intentions mais, fort de mon expérience d’élu local et de professionnel de l’insertion par l’activité économique, j’estime que ces modalités de coordination sont trop faibles pour être efficaces.

J’insiste sur la coordination parce qu’elle est fondamentale dans la réussite des parcours. C’était déjà l’objectif de Bertrand Schwartz en 1982 avec la création des missions locales qui devaient assurer la coordination interadministrative. L’objectif a été plus ou moins atteint selon les territoires, mais la légitimité de ces missions à coordonner les actions pour les jeunes de moins de vingt-six ans est clairement reconnue. De ce point de vue, l’absence de référence aux maisons de l’emploi dans votre texte m’intrigue. Vous indiquez cependant que leur fonction pourrait être réintroduite, par voie d’amendement, dans l’articulation des parcours d’insertion.

M. Pierre Cardo. C’est fait !

M. Jean-René Marsac. Par ailleurs, l’empilage des contrats, des conventions entre acteurs de l’insertion, de référents, de correspondants, d’équipes pluridisciplinaires et d’un pacte départemental m’inquiète fortement. Je pense qu’il faudrait renvoyer plus fortement à la responsabilité des acteurs locaux au niveau des bassins d’emploi et des agglomérations pour l’élaboration de projets de véritables coopérations qui les engagent plus fermement les uns vis-à-vis des autres. Sinon, je crains que les bonnes intentions ne soient ensablées dans les arcanes de la décision administrative et dans les réflexes institutionnels.

Quelques questions me semblent majeures pour les bénéficiaires du RSA. Les professionnels et les structures d’insertion s’interrogent sur les critères qui décideront de l’orientation vers le service public de l’emploi, et donc l’objectif de recherche d’emploi immédiat, ou vers le maintien dans un accompagnement essentiellement social. Il est très important de souligner, d’autres collègues l’ont fait avant moi, que l’inaptitude au travail ne peut relever que de problèmes de santé. Sur ce point, d’ailleurs, les handicapés n’ont cessé depuis plusieurs décennies de prouver que le handicap n’était pas un obstacle irrémédiable à l’emploi. L’objectif de retour à l’emploi doit donc être affirmé pour le plus grand nombre. Les problèmes de logement, de transport, de garde d’enfants, sont à résoudre impérativement, mais ne sont pas des critères de sélection qui excluraient ces personnes d’un parcours d’insertion dans le cadre du service public de l’emploi. La très grande majorité des bénéficiaires du RSA qui se trouvent sans emploi doivent donc relever du service public de l’emploi, de structures d’insertion par l’activité économique ou d’autres partenaires favorisant la mise en situation de travail ou le placement à l’emploi.

Un de nos collègues s’est inquiété de la situation des retraités pauvres. Ma dernière question portera ainsi sur les droits sociaux des bénéficiaires du RSA. Le problème se pose pour la qualité de la couverture du risque maladie, mais surtout en matière d’ouverture des droits à la retraite. Un salarié bénéficiaire du RSA cotisera pour sa retraite sur la partie salaire de son revenu, mais pas sur le complément de ressources. Ceux qui ne bénéficient que du revenu minimum garanti par le RSA sans activité salariée n’auront, par définition, aucun droit à la retraite. Les pauvres d’aujourd’hui le seront encore plus au moment de la retraite.

En conclusion, je souhaite que le RSA soit l’occasion d’une simplification dans les parcours d’insertion et je crains pourtant que nous n’en prenions pas le chemin. Je souhaite que tous les bénéficiaires soient mobilisés dans une perspective de retour à l’emploi, et pas seulement un tiers d’entre eux : ceux qui seraient jugés a priori aptes. Je m’interroge, par ailleurs, sur la qualité de leur protection sociale, actuelle et à l’âge de la retraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour, pour cinq minutes.

M. Louis-Joseph Manscour. Monsieur le haut-commissaire, je ne vous connais pas personnellement. Cependant, je vous ai beaucoup lu. J’ai écouté vos discours. Je sais que vous êtes un militant contre l’exclusion. Je vous sais aussi généreux. Je le dis, parce que, pendant une quinzaine d’années, je vous ai suivi de très loin, depuis mon île natale. Je suis presque sûr qu’aujourd’hui les conditions dans lesquelles se déroule ce débat ne doivent pas vous réjouir et je le regrette profondément.

Ce projet de loi généralisant le revenu de solidarité active part d’une louable intention, tout comme le RMI de Michel Rocard le fut en novembre 1988. Dans le contexte actuel, marqué par la montée du chômage, la baisse du pouvoir d’achat des Français, une crise financière menaçant les économies européennes, c’est dans un esprit d’ouverture et de responsabilité que je voudrais aborder ce débat.

Qui peut refuser de lutter contre la pauvreté, de réduire l’assistanat que cachent les minima sociaux tels le RMI et l’allocation parent isolé ? Qui peut refuser d’aider ces «exclus » de la sphère productive et de revaloriser le travail, source de la dignité humaine ? En tout cas, ce ne sont pas ceux qui vivent dans nos régions d’outre-mer, dont les populations subissent les affres d’une situation économique et sociale particulièrement dégradée, où le taux de RMistes est, en moyenne, de 8 % de la population contre 1,2 % en France hexagonale, où le taux de chômage est encore trois fois supérieur : 22 % aux Antilles contre 8 % dans l’hexagone.

Monsieur le haut-commissaire, la question que je vous pose est simple. Comment, dans nos régions ultramarines, déjà en retard de développement – je pense aussi à la Martinique – accompagner une personne RMiste qui a besoin de retrouver les clés de l’accès à l’emploi ? Nombreuses sont celles qui souhaitent travailler, mais qui sont victimes de la pénurie de l’emploi et de la précarité du monde du travail. Nombreuses sont les femmes qui rencontrent des difficultés pour garder leurs enfants ou pour obtenir un logement.

La réalité des situations de pauvreté dans les DOM-TOM est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine. Il n’y a pas d’un côté « ceux qui accepteraient de se lever tôt » et de l’autre « ceux qui préféreraient l’assistanat ». Mes chers collègues, compte tenu des nombreux handicaps que je viens d’énumérer, c’est un dispositif spécifique aux DOM-TOM qui devrait être mis en place pour inverser la spirale de l’exclusion, pour contribuer à la revalorisation du travail, le rendant plus rémunérateur que l’assistance, au lieu de transférer des charges sur nos départements insulaires, qui doivent déjà assumer le social, donc le RMI et demain le RSA, et faire face à de nouvelles dépenses sans être assurés du transfert des moyens financiers.

Quelque désireux que l’on soit d’approuver ce texte, de nombreux éléments importants ne sauraient être occultés dans le débat, mes collègues l’ont déjà souligné.

Le RSA que vous proposez ne s’inscrit pas dans une politique sociale globale et cohérente. Le texte qui nous est soumis ne peut-être l’instrument unique d’une politique de solidarité en direction des plus en difficulté. Dans nos sociétés domiennes si fortement touchées par le chômage, ce n’est pas seulement le RSA qui créera des emplois. Une politique d’insertion ne peut se réduire à une simple incitation financière à la reprise d’un emploi. Elle suppose une politique sociale ambitieuse permettant aux plus démunis d’acquérir les moyens de sortir durablement de leurs difficultés par la formation, l’aide au logement, l’accès aux soins… Ce projet ne peut pas non plus, à lui seul, atténuer les effets de la politique antisociale, de recul des droits sociaux, menée depuis l’arrivée du Président de la République à la tête de l’État. Il ne peut masquer, en outre, l’instauration de franchises médicales, la réduction des contrats aidés, ni faire oublier les 14 milliards de cadeaux fiscaux attribués généreusement aux nantis, sans réelle contrepartie.

La morale n’est malheureusement pas un principe majeur en économie, loin de là, et nous le regrettons. Pour lutter contre les inégalités, ce sont des dispositifs de répartition des revenus et de redistribution des fruits de la croissance qu’il faut actionner. Votre gouvernement n’en prend malheureusement pas le chemin.

Je crains que le RSA, dont nous partageons l’esprit, ne s’attaque pas véritablement à l’accroissement des inégalités, singulièrement en outre-mer. Pire encore, ce dispositif risque de constituer un instrument de pression sociale et salariale à la baisse profitable aux entreprises et de leur procurer un effet d’aubaine pour l’emploi précaire. C’est la porte ouverte aux « jobs » bien connus en Martinique, variante des « petits boulots » dans l’hexagone avec les mêmes caractéristiques : l’incertitude, la faible durée et l’abonnement aux CDD.

Monsieur le haut-commissaire, votre texte, dans son objet, est pavé de bonnes intentions, mais quant à son contenu, nous comptons sur l’esprit d’ouverture qui vous a toujours caractérisé pour l’améliorer, l’enrichir, afin que nous puissions le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. C’était avant qu’il avait l’esprit d’ouverture ; maintenant, c’est fini !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le haut-commissaire, la réforme que vous nous proposez est une grande réforme, parce qu’elle vise à résoudre une équation jusqu’alors impossible, avec, d’un côté, le revenu minimum et, de l’autre, l’insertion – il y avait eu une avancée avec le CIRMA mais le RSA va beaucoup plus loin –, parce qu’elle s’inscrit dans la volonté de revaloriser le travail, parce qu’elle concernera aussi ceux que l’on appelle les travailleurs pauvres, parce qu’elle visera à remédier aux effets de seuil.

Le Gouvernement a pris une décision courageuse en ne s’en remettant pas, pour cette réforme, à des financements aléatoires. Dans un contexte budgétaire difficile, il a décidé de créer une contribution spéciale qui lui est dédiée.

Mme Pascale Crozon. Une de plus !

M. Daniel Garrigue. Il y a cependant un élément qui me gêne, comme, je dois le dire, un grand nombre de ceux qui soutiennent notre majorité : c’est l’application du bouclier fiscal à ces contributions.

Il y a d’abord une question de principe.

Je comprends bien qu’on ait voulu faire du bouclier fiscal un principe, mais je rappelle qu’à l’origine, il ne s’appliquait qu’à la fiscalité au sens strict et non pas aux contributions de solidarité sociale.

Il me semble de surcroît que, face à ce principe, il y en a un autre, beaucoup plus fondamental, qui est le principe de solidarité. Il est inscrit dans notre Constitution et a été appliqué par toutes les majorités de la Ve République. Pourquoi d’ailleurs parler de solidarité active ? La solidarité est une, elle ne se divise pas.

M. Jean-René Marsac. Bravo !

M. Daniel Garrigue. Il y a aussi une question liée au mécanisme même du bouclier fiscal. Lorsque l’on a créé ce dispositif, il y avait un corollaire, c’était la baisse générale de la pression fiscale. D’une certaine façon, le bouclier fiscal était une sorte de filet de sécurité. Or, on le voit bien, on est amené à créer des impositions ou à augmenter celles qui existent. Par conséquent, du fait de l’existence de ce bouclier fiscal, on sera chaque fois devant la même situation : une partie des Français subiront totalement l’augmentation ou la création des impositions et une petite partie d’entre eux y échapperont, au moins partiellement.

M. Christophe Sirugue. Eh oui !

M. Daniel Garrigue. Je pense qu’il y a là un effet un peu pervers du bouclier fiscal auquel nous devons être attentifs.

Monsieur le haut-commissaire, je me félicite de cette réforme, mais je souhaite, et je présenterai un amendement en ce sens,…

M. Christophe Sirugue. Nous le soutiendrons !

M. Daniel Garrigue. …que le financement du RSA soit retiré du bouclier fiscal. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Monsieur le haut-commissaire, pour des milliers de travailleurs pauvres, qui multiplient les contrats précaires ou s’installent durablement dans un temps partiel subi, le RSA représente, il est vrai, un complément de revenu appréciable que je ne peux que soutenir. Nous avons trop souvent appelé l’attention du Gouvernement sur l’urgence d’agir contre la paupérisation et la précarisation de nos concitoyens, alors que vos collègues ne juraient que par le bouclier fiscal et les heures supplémentaires, pour ne pas reconnaître et saluer aujourd’hui votre persévérance.

Je suis en revanche dubitative sur le discours qui transforme cet outil intéressant contre la paupérisation au travail en instrument de lutte contre l’exclusion. Il y a quelque indécence à expliquer que les 447 euros du RMI à taux plein pour une personne sans enfant seraient à ce point confortables que l’on ne serait pas motivé pour retrouver un emploi, ou à considérer que le sous-emploi des mères célibataires bénéficiaires de l’API ne serait lié qu’à des obstacles financiers.

À écouter votre majorité, un peu de motivation suffirait à libérer les Français de leur indécrottable fainéantise. Cette « petite musique » idéologique, qui entre d’ailleurs en résonance avec nos débats récents sur les offres raisonnables d’emploi, me paraît détestable tant elle s’éloigne de la réalité de l’exclusion telle que je la connais dans ma circonscription.

Vous mettez l’accent sur une hausse de 30 % du taux de reprise d’activité dans les départements pilotes, alors que, si j’ai bien lu le rapport, ces résultats sont mitigés. Cela dépend des départements, cela dépend d’un certain nombre de critères.

Alors que vous-même définissez l’insertion comme un parcours dont la visée est d’exercer une activité professionnelle durable, je ne peux que m’interroger sur ce qu’il est possible de mesurer après six mois d’expérimentation, et je pense qu’il aurait fallu effectivement aller au-delà avant de présenter ce projet.

Poussées par l’urgence sociale, pour ne pas dire alimentaire, un grand nombre de personnes accepteront, bien sûr, un emploi à temps partiel, mais c’est la qualité et la pérennité de leur reprise d’activité qui doit être l’enjeu de nos débats. Notre responsabilité est de ne pas les enfermer dans une nouvelle trappe à précarité, et de faire de cette incitation le point de départ d’un véritable parcours d’insertion.

Notre responsabilité, c’est aussi de permettre à ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi d’entrer à leur tour dans ce dispositif, ce qui suppose, au-delà du levier financier, un accompagnement social personnalisé, qui réponde aux besoins de transport, de garde d’enfants, de santé, de soutien psychologique ou de requalification, ainsi que de logement, car c’est aussi un élément essentiel pour la réinsertion des RMistes.

Notre responsabilité, c’est enfin de ne pas créer un nouvel effet d’aubaine pour le développement de l’emploi précaire, mais au contraire – et c’est ce qui manque dans votre projet – de mobiliser les employeurs autour de cet objectif d’insertion durable.

Je suis, dans ce contexte, attentive au titre III de votre projet de loi et je regrette, avec un certain nombre d’acteurs de l’insertion professionnelle que j’ai reçus dans ma permanence, qu’il paraisse en retrait des conclusions qui étaient celles du Grenelle de l’insertion.

Pourquoi, par exemple, avoir exclu les associations intermédiaires de la généralisation de « l’aide au poste » alors qu’elles jouent un rôle essentiel dans l’insertion par l’activité économique ?

Pourquoi ne pas aller au bout de la logique de l’unification des contrats aidés, dont votre gouvernement réduit par ailleurs le nombre, en désignant un gestionnaire unique garant de l’égalité de traitement et de l’efficacité du dispositif ?

Pourquoi maintenir les bénéficiaires de contrats aidés à l’écart de la comptabilisation des effectifs, signal exactement contraire à l’objectif d’insertion recherché ?

Pourquoi enfin imposer au CDDI des conditions de durée qui l’éloignent du droit commun et restreignent le nombre de bénéficiaires potentiels ? Je m’interroge à ce sujet, monsieur le haut-commissaire. Vous justifiez le RSA par l’idée que l’insertion débute dès la première heure travaillée. Or, dans le cadre du CDDI, l’aide au poste ne sera financée qu’à partir de vingt heures par semaine pour une durée de six mois, ce qui exclut les publics les plus fragiles, alors que ce sont eux, on l’a dit et redit, qui nécessitent le plus d’accompagnement.

Je vous sais conscient de l’inquiétude que susciteraient l’encouragement à un travail précaire et sa banalisation, travail qui n’aurait d’autre horizon que la précarité elle-même. C’est pourquoi je vous remercie de nous rassurer sur ces risques. Nous aurons l’occasion d’en reparler lorsque nous examinerons les amendements la semaine prochaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Domergue.

M. Jacques Domergue. Monsieur le haut-commissaire, la France s’appauvrit parce qu’elle est en sous-activité chronique et parce qu’elle est victime de son système social qu’elle a du mal aujourd’hui à assumer. Tellement victime que, pour plusieurs millions de Français sédentarisés dans un assistanat chronique, il est plus avantageux de ne pas travailler que de se remettre au travail (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR), car on cesse alors de percevoir des prestations sociales et allocations diverses.

M. Jean-René Marsac. Il ne faut tout de même pas exagérer !

M. Roland Muzeau. C’est fou ce qu’ils sont heureux, les chômeurs !

M. Jacques Domergue. Ce qui est plus grave, c’est que, lorsque l’on envisage de travailler, surtout dans certaines régions de France, il est plus avantageux de le faire dans l’illégalité que de s’afficher officiellement comme un actif pour devenir la cible d’une machine à décourager.

Drôle de système social, dont nous voudrions sortir tous ensemble car il pénètre insidieusement les générations qui montent, en s’excluant, dans une France qui voit s’accroître une immense fracture sociale.

Le RSA est fait pour répondre à cette équation, remettre les Français au travail sans les décourager, sans les désavantager, en leur faisant comprendre qu’il y va de notre destin commun, même s’il en coûte un peu plus à ceux qui avaient, de gré ou de force, je le reconnais, perdu un peu le goût du travail.

Qui pourrait remettre en cause la finalité du RSA ?

Personne, tant le remède paraît adapté au malaise social, même si certains se rappellent encore qu’on nous disait malheureusement la même chose pour le RMI.

Personne, si l’on fait référence à la méthode que vous avez utilisée et qui fait appel à l’expérimentation dans trente-trois départements disséminés sur l’ensemble du territoire national.

Personne, à la lumière des premiers résultats qui ont été publiés et qui laissent entrevoir que 30 % des personnes concernées seraient aptes au retour à l’emploi, même si des esprits chagrins voient encore que la sortie du système reste un peu floue.

Personne, et surtout pas les travailleurs pauvres qui, sans rien faire de plus, se trouvent un peu récompensés, et ce n’est que justice.

Personne, vu la perspective de simplification que vous annoncez avec la disparition de tous les contrats et l’éclaircissement de ce maquis difficile à percevoir, une prestation unique venant remplacer toutes les allocations, RMI, allocation de parent isolé, et bien d’autres.

Alors pourquoi tant de polémiques ? Tout simplement parce que le financement paraît totalement injuste.

Le redéploiement des prestations anciennement utilisées ne suffit pas. C’est normal, il y a un peu plus d’un million de RMistes et 3,5 millions de personnes vont bénéficier du RSA. Il faut donc trouver de l’argent ailleurs : 1,5 milliard d’euros, dites-vous.

On ne peut pas toucher les Français les plus riches puisque, eux, sont protégés par le bouclier fiscal. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Je sais que cela ne fait pas l’unanimité sur ces bancs, mais il faut être cohérent. Si l’on veut que ceux qui entreprennent dans notre pays et gagnent de l’argent restent et investissent chez nous, on ne peut pas faire un premier trou dans ce bouclier fiscal, il faut le maintenir. (Protestations sur les mêmes bancs.)

On ne veut pas toucher aux plus pauvres. Vous avez d’abord essayé de toucher à la prime pour l’emploi, ce qui aurait été logique, mais des voix se sont élevées pour expliquer que ce sont les pauvres qui allaient payer pour les plus pauvres.

Mme Pascale Crozon. C’est vrai !

M. Jacques Domergue. Alors qui va payer ? Toujours les mêmes, et là, il ne s’agit pas de couleur politique.

M. Jean-René Marsac. La classe moyenne !

M. Jacques Domergue. C’est elle qui est toujours ponctionnée.

M. Roland Muzeau. J’espère qu’elle va s’en rendre compte et ne plus voter pour vous !

M. Jacques Domergue. On a dit à ces gens-là qu’il fallait qu’ils travaillent et qu’ils épargnent, et que l’argent de leur épargne, des petits loyers, des assurances-vie, souvent relativement modestes, allait leur permettre d’améliorer une retraite qui, on le sait, avec l’évolution de la durée de la vie, sera de plus en plus réduite. Ce n’est pas une fatalité, c’est la réalité !

Cette taxe de 1,1 % sur les loyers et les assurances-vie est donc loin de faire l’unanimité. Il existe sûrement d’autres moyens. Dominique Tian a évoqué la fraude, qui représente des milliards. Même si ce n’est pas facile, il faut accentuer la recherche des fraudeurs, et surtout les pénaliser sévèrement.

Il y a d’autres moyens encore. On a du mal à comprendre qu’il ne soit pas possible de dégager sur le budget de l’État des marges de manœuvre à hauteur d’un milliard ou un peu plus. Le plafonnement des niches fiscales est malheureusement trop symbolique. On doit pouvoir dégager ces marges de manœuvre pour peu que la politique de restructurations et d’économies de l’État soit étendue aux collectivités locales : elles ne sont pas exemptées de cet effort que tout le pays doit faire.

Par ailleurs, certains ont dit que la formation professionnelle n’était pas totalement étrangère au RSA. Les deux sont en effet très étroitement liés. Alors que la formation professionnelle pèse 26 milliards d’euros, on connaît malheureusement les dérives et la mauvaise utilisation de certains de ses financements. De même, le fonds unique de péréquation, dont on sait qu’il dispose de 290 millions d’euros, pourrait être utilisé pour financer des personnes qui entreraient dans le système du RSA. Parce que le RSA et la formation, c’est l’emploi ; il ne faut pas éloigner les deux systèmes !

Si vous voulez que les Français adhèrent à votre projet, il faut qu’ils aient le sentiment que le financement du RSA est juste, équitable.

Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.

M. Jacques Domergue. Je termine, madame la présidente.

Aujourd’hui, ce n’est pas ce sentiment qui prévaut. Je crois donc que c’est à nous, parlementaires, de trouver des solutions innovantes pour financer le RSA. Tout le monde est d’accord sur le principe ; il s’agit à présent d’améliorer la méthode de financement. La véritable coproduction législative, comme le dit notre président de groupe, nous la testerons probablement pour la première fois sur le RSA. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme. la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Morisset.

M. Jean-Marie Morisset. Vingt ans après l’adoption de la loi relative au RMI, vous nous proposez, monsieur le haut-commissaire, de généraliser le revenu de solidarité active et de réformer les politiques d’insertion. Ces mesures sont nécessaires, opportunes et attendues par tous ceux qui se trouvent aujourd’hui dans une situation fragile.

Depuis vingt ans, j’ai eu l’occasion de participer aux différentes structures ou organismes de suivi et d’accompagnement des RMistes. Malgré les efforts des uns et des autres, force est de constater que les objectifs du législateur de 1988 n’ont malheureusement pas été atteints. Nous en connaissons les raisons : lourdeur du système suite à la cogestion des départements et des services de l’État jusqu’en 2004 ; multitude des contrats aidés, qui font souvent revenir, à l’échéance, les bénéficiaires dans leur statut initial ; absence de coordination des opérateurs dans le suivi et l’accompagnement…

Le transfert de la compétence du RMI a toutefois permis de corriger un certain nombre de dysfonctionnements et de faire prendre conscience de l’utilité et de la nécessité de la solidarité départementale. Des actions d’insertion mieux adaptées aux réalités locales se sont alors multipliées, de nouveaux dispositifs de suivi ont été mis en place, et la gestion de proximité avec tous les opérateurs a rendu possible une meilleure coordination.

C’est ainsi qu’un grand nombre de départements ont vu le nombre des bénéficiaires du RMI diminuer – avec, sur la même période, il est vrai, une baisse importante du chômage. C’est tout particulièrement le cas du département des Deux-Sèvres, où le nombre de bénéficiaires du RMI a diminué de 10 % depuis le transfert de compétence.

Cette nouvelle mesure – le RSA – est nécessaire et opportune. Comme chacun le sait, dans le dispositif actuel du RMI, de nombreux droits sont rattachés au statut du bénéficiaire et donc perdus en cas de reprise d’emploi. En liant l’attribution de ces droits, non plus à un statut, mais à un niveau de ressources, le nouveau RSA s’accompagne alors non d’une perte brutale de droits, mais d’une réduction progressive en fonction des ressources, et permet ainsi une meilleure insertion dans la vie professionnelle.

Monsieur le haut-commissaire, certains esprits chagrins aujourd’hui doutent de son efficacité et de sa pertinence.

M. Victorin Lurel. Des esprits réalistes !

M. Jean-Marie Morisset. Il est toujours difficile d’évaluer les conséquences d’un nouveau dispositif. Ce qui est encourageant et largement positif, c’est la méthode que vous avez tenu à privilégier afin d’en garantir la réussite.

Rompant avec les dispositifs éparpillés, souvent mis en place, par le passé, dans la précipitation, vous avez engagé un vaste processus de concertation avec les partenaires sociaux, les associations, les collectivités locales et les élus. Vous vous êtes beaucoup déplacé sur le terrain. Les débats ont permis d’apporter de nombreuses contributions, et en proposant l’expérimentation avant toute généralisation, vous avez souhaité vous rendre compte de l’impact du RSA sur le terrain et obtenir le témoignage des bénéficiaires, des gestionnaires, des opérateurs et des structures d’accompagnement. Cette démarche innovante dans son principe est rassurante, car elle permet de vérifier la crédibilité du dispositif et de s’assurer que les objectifs peuvent être atteints.

Au cours de cette expérimentation, vous êtes venu dans le département des Deux-Sèvres, en février dernier, pour signer la convention. Notre département ne faisait pas partie du premier appel à projet, dans la mesure où les critères retenus à l’époque – potentiel fiscal et nombre de RMistes – nous en avaient écartés. Après avoir obtenu une enveloppe budgétaire supplémentaire, nous avons pu intégrer le dispositif d’expérimentation, et même si son démarrage a été quelque peu perturbé suite aux dernières élections – vous en connaissez les raisons –, je peux aujourd’hui témoigner que le dispositif est apprécié des bénéficiaires et des structures d’accompagnement. Les premiers résultats sont très encourageants : plus de 500 bénéficiaires sont entrés dans le dispositif et près de 300 perçoivent aujourd’hui l’allocation.

La phase expérimentale a également démontré l’efficacité de la nouvelle prestation. Le rapport d’évaluation sur les expérimentations, établi par le comité d’évaluation, a d’ailleurs confirmé le premier diagnostic établi par les départements et donne des conclusions encourageantes : le RSA incite au retour à l’emploi, a un impact sur la réduction de la pauvreté et permet à des personnes éloignées depuis longtemps du travail de retrouver le chemin de l’entreprise.

Certains accusent déjà les entreprises de vouloir profiter d’un effet d’aubaine en multipliant les temps partiels ou en maintenant les bénéficiaires sous un certain plafond de revenus pour qu’ils continuent de toucher la nouvelle prestation, et ainsi éviter de les augmenter. Si tel était le cas, il conviendrait de prendre toutes dispositions pour empêcher que cette situation perdure.

Si le RSA ne pose pas trop de problèmes dans son application et doit recueillir un large consensus, comme en 1988 lors de l’adoption du RMI, il n’en va pas de même pour son financement, et à ce sujet, on peut regretter les polémiques inutiles entretenues ces dernières semaines. Dans le contexte actuel des finances de l’État, il est proposé de le financer sur les revenus du capital. Si cette solution peut sembler juste, dans la mesure où les revenus du capital ont augmenté ces dernières années plus vite que les salaires, elle doit toutefois être améliorée, pour ne pas pénaliser les actifs ou les retraités modestes dont les ressources mensuelles n’atteindraient pas le niveau du SMIC sans les produits du capital placé. Elle doit être améliorée également de façon à ce que le financement soit supporté par tous, y compris par ceux qui ont des revenus importants et en seraient exonérés. Des propositions seront faites au cours de nos débats, et j’espère, monsieur le haut-commissaire, que vous y serez attentif.

En conclusion, vous vous êtes beaucoup investi dans la préparation de cette mesure de solidarité, et malgré les critiques qui vous seront faites vous continuerez, sur le terrain, à démontrer son utilité et sa pertinence, car nous connaissons tous l’attachement que vous portez à sa réussite. Vous pouvez compter sur mon total soutien pour vous accompagner dans la mise en œuvre de ce texte fondateur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme. la présidente. La parole est à M. Jean-François Lamour.

M. Jean-François Lamour. « Les exclus sont souvent des gens à qui personne n’a jamais fait confiance » : cette citation, monsieur le haut-commissaire, est de vous, et j’y souscris pleinement. Lorsqu’il s’agit de tendre la main aux exclus, il faut être ambitieux. Le RSA représente cette ambition.

Tout a été dit au cours de cette discussion générale. Deux points cependant me tiennent à cœur. Lorsque les Restos du Cœur ont été créés par Coluche, au milieu des années 80, le but était – souvenez-vous – qu’ils ne durent pas, parce que Coluche avait imaginé que la précarité disparaîtrait. Mais l’exclusion et la précarité se nourrissent malheureusement de rêves. Le RSA devient aujourd’hui, grâce à vous, monsieur le haut-commissaire, sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre, une réalité, et surtout il aura un financement.

Nous avons adopté en commission des finances un amendement de consensus, motivé par le bon sens, et je m’en réjouis. C’est bien volontiers que j’ai participé à son élaboration, mais je vous le dis, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, ce dispositif doit être à durée déterminée. Il doit être à durée limitée car il s’inscrit dans un contexte où l’exclusion a malheureusement encore son mot à dire dans notre tissu social. Mais les réformes engagées par le Président de la République et notre majorité ont un objectif réaliste : atteindre un taux de chômage structurel de 4 à 5 %, ce qui correspond au plein emploi. Lorsque cet objectif sera atteint, alors, je le crois, il faudra revenir sur le RSA, qui n’aura plus lieu d’être.

M. Hervé Mariton. Très bien !

M. Jean-François Lamour. Le supprimer, ou plutôt le faire évoluer vers davantage de formations qualifiantes ou de facilitation des évolutions de carrière, sera une nécessité. Comme Jean-François Domergue le disait, un gros travail de rénovation doit être accompli en matière de formation professionnelle.

C’est son caractère limité dans le temps avec un objectif clair qui donnera au RSA une efficacité telle qu’il ne sera pas confiné au statut de rêve politique, et surtout qu’il sera accepté par toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui sollicités pour compléter son financement.

Le second point qui me semble important, c’est de rappeler la situation particulièrement complexe de l’agglomération parisienne. On a coutume de dire que Paris et sa banlieue sont un pôle attractif pour l’emploi, inutile de vous dire que la précarité et l’exclusion sont également très fortes. Paris a besoin et attend le RSA plus que jamais. Je sais que, dès la loi votée, vous prendrez votre bâton de pèlerin et parcourrez la France ; s’il vous plaît, arrêtez-vous à Paris et dans son agglomération, car beaucoup de travail est à faire !

La gouvernance parisienne actuelle a montré ses limites en termes d’ambitions économiques (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR)… Eh oui, c’est la vérité qui fait mal !

M. Jean-René Marsac. Ce n’est pas ce que les Parisiens ont dit au mois de mars !

M. Roland Muzeau. Vraiment, entre Tiberi et Delanoë, il n’y a pas photo ! L’un occupait les tribunaux, l’autre développe la capitale !

M. Jean-François Lamour. Les élus UMP de Paris sont très inquiets des prochaines perspectives budgétaires de notre capitale. Par imprévision et esprit purement spéculatif, les ressources parisiennes vont baisser. Cette situation va entraîner inévitablement une hausse des impôts locaux et, par voie de conséquence immédiate, une baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyens.

M. Roland Muzeau. C’est l’héritage Tiberi !

M. Jean-François Lamour. Mes chers collègues, ce n’est pas qu’une vue de l’esprit. Il suffit d’aller sur le terrain pour voir les logements qui sont encore insalubres, pour rencontrer toutes les structures associatives, sanitaires et sociales d’aide à nos concitoyens les plus démunis, qui travaillent au quotidien avec les pouvoirs publics. Je pense, par exemple, à l’ordre de Malte ou à la péniche du Fleuron, dans ma circonscription, qui font un travail remarquable.

Il suffit de dresser le triste bilan de celles et ceux que nous rencontrons lors de nos permanences et dont le quotidien se heurte à la pauvreté et au désarroi. Tous, monsieur le haut-commissaire, nous disent inlassablement à quel point il fallait changer les mécanismes, à quel point la confiance envers les exclus est un préalable nécessaire, mais pas unique, à quel point le point de bascule entre l’inactivité et la reprise d’un emploi peut être fragile pour certains.

Chers amis, le RSA n’est plus un rêve, c’est une ambition : l’ambition d’envoyer un message de confiance aux exclus, un message de solidarité à nos concitoyens, un message de réussite et de réalisme à tous les acteurs sociaux et économiques de notre pays.

Ce message est très simple : le rêve est une volonté passive de vivre un moment inespéré ; l’ambition, elle, est la volonté d’accomplir le plus beau pour atteindre le meilleur. Avec le RSA, nous laissons les rêves à la gauche et nous agissons pour concrétiser cette belle ambition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Damien Meslot.

M. Damien Meslot. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le projet de loi instaurant le revenu de solidarité active est un texte solidaire et juste à l’égard de nos concitoyens les plus démunis. Ceux qui font l’effort de s’en sortir et de retrouver un travail seront valorisés par ce dispositif. Toutefois, si j’approuve le RSA, j’émets quelques réserves quant au mode de financement qui nous est proposé.

Le RSA est une mesure de justice sociale et je me félicite que M. Martin Hirsch ait décidé de le mettre en œuvre. Une mesure de justice, car ce n’est pas un énième dispositif qui verse des aides de l’État sans rien demander en retour. Autorisant le cumul entre les revenus du travail et les prestations de solidarité, le RSA va permettre que chaque heure travaillée se traduise par un accroissement du revenu disponible. Il encourage concrètement la réinsertion par le travail, et met fin à une situation absurde dans laquelle une personne gagnait mieux sa vie en ne travaillant pas qu’en percevant un revenu d’activité. Avec le RSA, le travail rapportera enfin plus que l’assistanat !

En revanche, et je le regrette, cette mesure juste et solidaire se trouve assortie d’un mode de financement que je considère comme inadapté et injuste.

M. Hervé Mariton. C’est vrai !

M. Damien Meslot. La mise en place du RSA va coûter 1,5 milliard d’euros à l’État. Pour financer cette somme, vous avez proposé de créer une taxe de 1,1 % sur les revenus de l’épargne de nos concitoyens. Pour ma part, je pense que c’est une erreur d’alourdir la fiscalité sur les produits d’épargne des classes moyennes.

M. Hervé Mariton. Très juste !

M. Damien Meslot. En effet, 12,5 millions de Français possèdent un contrat d’assurance-vie, 2,2 millions perçoivent des revenus locatifs et 11 millions détiennent des valeurs mobilières. Vous comprenez donc aisément, monsieur le haut-commissaire, que cette mesure pénalisera lourdement la moitié des ménages français. En créant une taxe sur leurs économies, vous pénalisez non seulement une petite épargne bien utile, qui complète des salaires souvent peu élevés, mais vous touchez directement à des réserves mises de côté pour faire face aux coups durs ou aux dépenses imprévues du quotidien. Enfin, il faut faire preuve de cohérence : on ne peut pas, un jour, demander aux Français d’épargner plus pour compléter leur retraite, et, un autre jour, taxer cette même épargne qui les aidera à subvenir à leurs besoins.

Dans ce contexte, est-il concevable de taxer davantage les économies des Français ? Je ne le pense pas. Je propose au contraire de taxer les plus-values d’acquisition des stock-options. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) J’ai déposé deux amendements en ce sens. Les stock-options bénéficient d’une fiscalité privilégiée, dérogatoire à la fiscalité de droit commun. Il s’agirait d’une mesure sociale plus équitable qui ferait porter l’effort fiscal sur les revenus des classes sociales les plus favorisées de notre pays.

M. Victorin Lurel. N’oubliez pas les parachutes dorés !

M. Damien Meslot. Je tiens à préciser que cette taxation des stock-options ne créerait pas un appel d’air susceptible de faire fuir les investisseurs. J’observe que l’Allemagne a taxé les plus-values des stock-options, et que les entrepreneurs n’ont pas pour autant déserté en masse leur pays.

M. Roland Muzeau. Pensez aussi aux parachutes dorés !

M. Damien Meslot. Enfin, je rappelle qu’en octobre 2007, le Président Nicolas Sarkozy s’était déclaré favorable à ce que la taxation des stock-options serve à financer la protection sociale.

M. Christophe Sirugue. Il dit tout et ne fait rien !

M. Damien Meslot. En septembre 2007, le Premier ministre, François Fillon, et le ministre du budget, Éric Woerth, se disaient eux aussi très favorables à la préconisation de la Cour des comptes de taxer les stock-options pour trouver de nouvelles recettes au budget de l’État. L’occasion nous en est donnée aujourd’hui.

Actuellement, en France, les plus-values réalisées lors de la revente de stock-options bénéficient d’une taxation privilégiée au plus bas taux, soit à 18 %, sans être soumises aux cotisations sociales ni au barème de l’impôt sur le revenu.

M. Roland Muzeau. La faute à qui ? C’est vous qui l’avez voté !

M. Damien Meslot. Je propose d’en finir avec ce privilège en ramenant dans le droit commun la fiscalité des stocks-options, soit à 40 %, et en portant les cotisations sociales à 25 %.

M. Roland Muzeau. Avec un rappel de dix ans ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Damien Meslot. Cela rapporterait à 1’État 3 milliards d’euros. Ce serait à la fois une mesure de justice sociale et une excellente opération pour les finances publiques.

Ma proposition s’inscrit donc dans une démarche de justice sociale, afin que les plus aisés participent, eux aussi, à l’effort que le Gouvernement demande pour financer les aides aux plus démunis. Il faut cesser de faire payer les classes moyennes !

M. Louis-Joseph Manscour. Très bien !

M. Damien Meslot. Et puis, sur les 1 000 milliards de dépenses publiques engagées chaque année en France, ne pouvait-on pas faire des économies ? Faisons preuve d’imagination, trouvons de nouveaux modes de financement sans taxer davantage les petits épargnants ni creuser plus encore le déficit public.

Monsieur le haut-commissaire, je ne pourrai voter ce texte que si…

Mme Pascale Crozon. On vérifiera !

M. Damien Meslot. …le mode de financement du RSA pèse sur l’ensemble de la population, et pas uniquement sur les personnes les plus modestes et sur les classes moyennes. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Vous allez donc le voter, monsieur Meslot !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le haut-commissaire.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Mesdames, messieurs les députés, je vais essayer d’être bref, même si je suis tenté de vous répondre longuement car vous avez apporté beaucoup d’éléments dans ce débat que j’ai trouvé de très haute qualité.

Je remercie les présidents des commissions concernées, les rapporteurs et les différents intervenants. Beaucoup d’entre vous suivent ces sujets de près et se sont impliqués très fortement dans le Grenelle de l’insertion – je pense à Laurent Hénart, votre rapporteur pour avis, à Christophe Sirugue, Pierre Cardo, Francis Vercamer. Beaucoup d’entre vous, je le vois chaque fois que je vais dans les départements, sont très engagés dans la politique de solidarité active, très proches de leurs entreprises d’insertion. J’ai retrouvé cette implication dans la manière dont vous êtes intervenus tout au long de la discussion générale.

Le débat va se poursuivre. Nous nous retrouverons la semaine prochaine, puis la semaine suivante, pour une troisième reprise. Et soyez sûrs que je ne raterai pas le coche.

M. Christophe Sirugue. Plus il y a de rendez-vous, plus il y a de risque d’en louper !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous maintiendrons la qualité du débat en prenant le temps de l’approfondir.

Tout d’abord, je voudrais répondre à Marisol Touraine et Danièle Hoffman-Rispal, ainsi qu’à Alain Néri, qui m’ont demandé si je retrouvais dans ce projet de loi nos ambitions initiales. Je les renvoie aux conclusions du rapport que la commission que je présidais avait rendu il y a trois ans. J’ai essayé de tenir la ligne pour que ces ambitions initiales se réalisent. Mais il est normal que personne ne s’y retrouve complètement. Je rappelle un point de méthode : le RSA, par définition, est un compromis entre des intérêts contradictoires. Personne ne peut donc s’y retrouver à 100 %. On essaye de trouver un point de compromis entre les employeurs et les syndicats, entre des associations qui ont des approches différentes, entre l’État et les conseils généraux.

M. Victorin Lurel. S’agissant du financement, il y a tout de même eu un arbitrage !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. La bouteille n’est pas à moitié vide ou à moitié pleine : pour tout le monde, elle apparaît pleine à 90 % ou 95 %.

Marisol Touraine, Marie-Françoise Pérol-Dumont et Gisèle Biémouret m’ont demandé quel était l’impact du RSA sur la lutte contre la pauvreté. Il est sensible. Nous savons que, tel qu’il est construit et financé, il fera sortir environ 700 000 personnes de la pauvreté – nous avons des indicateurs que je tiens à votre disposition – alors que, année après année, la porte de sortie de la pauvreté s’était progressivement refermée.

Je voudrais m’arrêter sur les deux questions fondamentales que la plupart d’entre vous ont posées.

La première, c’est celle du temps partiel. Le RSA ne risque-t-il pas de pousser vers le temps partiel ? Comme le dit Pierre Cardo,…

M. Pierre Cardo. Il n’y a pas besoin du RSA pour cela.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. …le temps partiel, c’est une situation de frustration, de pauvreté et d’empêchement. J’assume le fait que le dispositif puisse augmenter les revenus des gens travaillant à temps partiel, mais sans donner d’incitation aux entreprises. Je vous rappelle qu’en 1992, une entreprise bénéficiait d’allégements de charges plus importants si elle embauchait à temps partiel. Prendre deux salariés à temps partiel lui revenait moins cher qu’embaucher un salarié à plein temps. Nous ne refaisons pas cette erreur : pour l’employeur, l’effet sera neutre ; pour la personne, nous garantissons une augmentation de revenu lors du passage du temps partiel au temps plein. Mais il est vrai que les personnes seront soutenues dès leur temps partiel.

Est-ce que cela peut mal se passer ? Je vous propose un rendez-vous annuel pour savoir comment évolue la situation du temps partiel. Pour le moment, il n’y a aucun signal d’aggravation dans les programmes expérimentaux. J’ai réfléchi à ce sujet de nombreuses fois avec les syndicats, et on leur a posé la question au sein du Conseil d’orientation pour l’emploi. Il y a des amorces de réponse, mais pas de consensus sur les conséquences du dispositif vis-à-vis des employeurs : faire peser sur eux des obligations nouvelles ne risquerait-il pas de les décourager d’embaucher un certain nombre de personnes ? Nous devons tous nous engager à nous retrouver chaque année, le rôle de l’exécutif étant de mettre en place les indicateurs pour que la représentation parlementaire puisse vérifier l’évolution du dispositif. Je souhaiterais qu’au cours de nos débats, vous nous aidiez à progresser sur cette question du temps partiel. Je souligne que les enjeux diffèrent selon les secteurs : dans les aides à la personne, il y a un enjeu en termes de structuration de l’emploi plutôt que de se contenter du gré à gré pour quelques heures, et Laurent Hénart le sait bien ; dans l’artisanat, la première embauche se fait à temps partiel – Mme Danièle Hoffman-Rispal, qui connaît bien ce secteur, ne l’ignore pas – ; dans d’autres secteurs, c’est encore différent.

En conséquence, plutôt que d’agiter la perspective du temps partiel comme un épouvantail, ce qui se traduirait par le refus de donner des aides aux personnes concernées, mieux vaudrait voir comment cette question, qui a émergé grâce au débat sur le RSA, pourra être traitée progressivement, en fonction des réalités et de la diversité des situations. En tout cas, croyez bien que cette problématique du temps partiel ne nous a pas échappé. Si nous n’avons pas prévu de mesures de sanction, c’est pour éviter de susciter d’autres effets pervers.

La seconde question fondamentale que beaucoup d’entre vous ont posée, sur tous les bancs, c’est celle des personnes laissées de côté. Y en a-t-il qu’on laissera tomber ? La réponse est non.

Pourquoi alors n’augmente-on pas le RMI de 5 %, 10 % ou 20 % ? Pour deux raisons. La première, c’est que si l’augmentation du RMI est prise par décret, elle pèse sur les départements. Ceux-ci seraient libres de l’augmenter eux-mêmes, ils en ont le pouvoir juridique et disposent des ressources.

M. Victorin Lurel. Ah ? Où ça ?

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Mais ils ne le font pas parce qu’ils savent qu’il peut y avoir un effet pervers. Le choix que je fais est assez simple : rendre plus facile le passage de l’inactivité à l’activité, relâchant, du même coup, la contrainte qui pèse sur les minima sociaux. Tel est le pari que nous devons gagner : au fur et à mesure que plus de gens reprennent un travail, on pourra à la fois repenser le rythme d’accélération du revenu minimum et disposer de plus de moyens pour accompagner et aider ceux qui sont les plus en difficulté et les plus éloignés de l’emploi. C’est ce qui se passe actuellement dans les départements. Quand les allocataires les plus proches de l’emploi en retrouvent un, ils sortent bien évidemment du RMI, bientôt du RSA, ce qui signifie plus de moyens, plus de travailleurs sociaux et plus d’entreprises d’insertion pour les autres.

Autre point fondamental : certains d’entre vous ont insisté sur le sort des gens les plus éloignés de l’emploi. Aujourd’hui, vous savez que, dans un quart des cas, ils reprennent un travail grâce aux emplois aidés. Mais alors, ils n’ont droit à aucun intéressement. En effet, les mesures d’intéressement temporaire ne s’appliquent pas aux bénéficiaires d’un emploi aidé. Avec le RSA, cette distinction sera désormais supprimée : eux aussi pourront gagner plus d’argent immédiatement.

M. Tian a posé la question de la fraude et du travail au noir. Sur la fraude, il existe des moyens de contrôle que des CAF et conseils généraux n’hésitent pas à appliquer, comme j’ai pu le constater. La fraude, c’est du vol ; nous devons faire preuve de rigueur pour l’éviter dans le cadre du RSA comme de tous les autres dispositifs. Quant au travail au noir, il est évidemment favorisé par le système actuel !

M. Victorin Lurel. Le RSA peut y conduire aussi, en partie.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Quand vous perdez 100% en reprenant du travail, c’est une incitation au travail au noir.

M. Pierre Cardo. Dans les services surtout !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Au contraire, le RSA vient renverser cette tendance. C’est évident et confirmé par plusieurs conseils généraux : dans l’Hérault, monsieur Domergue, ou en Haute-Corse, où les dépenses du RMI baissent plus fortement dans les zones d’expérimentation du RSA qu’ailleurs. Les chiffres le démontrent et je vous les transmettrai.

Mme Bello, M. Lurel et M. Manscour ont évoqué l’application dans les DOM. Nous avons deux dispositifs. Sur le contrat unique d’insertion, nous ferons le maximum, en travaillant avec vous, pour faire en sorte que la date d’application soit la même dans les DOM qu’en métropole.

M. Victorin Lurel. Écrivez-le dans le texte !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je l’indique devant la représentation nationale. Qu’est-ce que je peux faire de mieux ?

M. Victorin Lurel. L’inscrire dans le marbre du texte.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous allons essayer de l’inscrire dans le marbre !

S’agissant du RSA, le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement sera peut-être d’accord pour associer, dès maintenant, des parlementaires à un travail visant à finaliser les indispensables conditions d’adaptation dans les délais les plus rapides. Dans ce cas, nous pourrons peut-être anticiper un peu la date d’entrée en application des mesures, prévue au plus tard fin 2010.

M. Louis-Joseph Manscour. Nous sommes preneurs !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Si vous êtes preneurs, nous le ferons.

Je voudrais répondre à celles et ceux qui se sont inquiétés du franchissement du seuil de pauvreté. Madame Hoffman-Rispal, ces seuils seront plus rapidement franchis avec le RSA et les aides au logement : une personne seule sortira de la pauvreté dès qu’elle prendra un travail à mi-temps, une famille monoparentale dès la reprise d’un travail à quart temps. Je peux vous fournir les chiffres qui le prouvent.

Beaucoup d’autres thèmes ont également été abordés : l’accompagnement, les référents, la mise en œuvre du Grenelle de l’insertion…

M. Victorin Lurel. M. Méhaignerie a aussi évoqué l’incitation au temps partiel !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je crois avoir répondu à ce sujet.

M. Pierre Cardo. Il faut écouter, monsieur Lurel !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous reviendrons sur l’ensemble de ces thèmes, étape par étape, et je m’engage à faire en sorte qu’un maximum d’amendements soient retenus, qu’ils soient présentés par la majorité ou l’opposition.

Nous ferons aussi en sorte de mobiliser le plus de ressources possible. Certains ont donné des idées de ressources supplémentaires. Personnellement, j’en avais une : demander à l’UIMM d’utiliser sa caisse pour financer le RSA. (Sourires.)

Mme Pascale Crozon. Excellente idée !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Eh bien, aujourd’hui, elle a décidé de répondre à la proposition que nous lui avions faite et d’accorder 90 millions d’euros à une fondation pour l’insertion et la formation.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Sur cinq ans.

M. Roland Muzeau. L’UIMM ! C’est la meilleure !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. J’avais demandé 115 millions, ce sera tout de même 90. Vous voyez, quand on veut et qu’on se bat en faisant des propositions, on peut mobiliser l’argent là où il se trouve. C’est comme ça que nous trouverons les moyens pour que cette réforme fasse naître des tas d’idées au profit de la formation, de l’insertion et de l’accompagnement des gens les plus en difficulté. Je reste preneur de toutes vos idées…

Mme Pascale Crozon. Demandez à M. Tapie !

M. Victorin Lurel. Aux bénéficiaires du bouclier fiscal !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. …car vous voyez qu’on arrive à les traduire dans les faits, progressivement. C’est ainsi que les gens les plus en difficulté se sentent soutenus par tous : l’industrie, la droite, la gauche ! C’est ainsi qu’on peut se retrouver tous dans la solidarité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Motion de renvoi en commission

Mme. la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Roland Muzeau. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Roland Muzeau. Je savais qu’à cette heure tardive, je serais bien accueilli. Essayez de ne pas dormir !

Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, chers collègues, au cours de la présentation de cette motion, nous allons revenir longuement sur les insuffisances et les risques que comporte le présent texte, mais je voudrais au préalable formuler quelques remarques.

Le revenu de solidarité active, dont on nous propose aujourd’hui la généralisation, est né d’un constat et d’une conviction partagés : le constat du développement de la pauvreté laborieuse et la conviction de la nécessité de proposer des réformes urgentes.

Nous sommes tous convaincus des insuffisances de notre système de protection sociale qui, malgré la diversité des dispositifs de lutte contre la pauvreté, n’a pu faire barrage à l’accroissement du nombre de travailleurs pauvres – près de 4,6 millions aujourd’hui –, sachant que 7 millions de nos compatriotes vivent sous le seuil de pauvreté, comme vous l’avez rappelé, monsieur le haut-commissaire.

Nous ne pouvions donc être a priori hostiles à la proposition de réviser en profondeur les différents minima sociaux, d’en simplifier et unifier les dispositifs, de les adosser à des mesures efficaces touchant l’insertion professionnelle et l’accompagnement social.

En outre, nous sommes les premiers à considérer qu’il n’est humainement pas possible d’attendre que le marché du travail s’améliore et que des emplois de qualité se créent pour proposer, dès à présent, la mise en oeuvre de dispositifs d’aide aux millions de travailleurs pauvres et à leurs familles.

Même si nous militons en faveur d’une allocation à vocation plus universelle que le RSA, même si nous restons convaincus que la priorité doit être accordée à la revalorisation substantielle des minima sociaux, l’instauration et la généralisation du revenu de solidarité active aurait pu, sur le principe, recueillir notre assentiment. Je vous l’avais indiqué, monsieur le haut-commissaire, lors de l’examen de la loi TEPA.

Nous aurions pu considérer ce dispositif comme un premier pas, à tout le moins comme le socle d’un consensus social dans la lutte contre la précarité et la pauvreté. Tel n’est malheureusement plus le cas. Les craintes que nous avions exprimées lors du débat sur le Grenelle de l’insertion, en janvier dernier, se trouvent en effet toutes confirmées aujourd’hui.

La réflexion conduite par la commission famille-vulnérabilité-pauvreté, en 2005, est venue visiblement s’échouer sur l’écueil du sarkozysme. Le projet de loi que vous nous proposez aujourd’hui en porte les stigmates. Le revenu de solidarité active a été détourné de son objet, dévoyé notamment afin de mieux répondre aux besoins des entreprises en termes de main-d’oeuvre et de baisse du coût du travail.

Isolé du train de mesures cohérent dans lequel il avait vu le jour et qui lui aurait permis de fonctionner comme un véritable outil de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, le RSA est devenu en quelques mois un instrument au service de la politique conduite par le Gouvernement depuis un an, un véhicule du discours populiste sur la prétendue revalorisation du travail, un dispositif aux nombreux effets pervers.

Des signaux d’alerte vous ont été adressés, monsieur le haut-commissaire, tant par les conseils généraux que par des économistes et la plupart des associations qui avaient pourtant, à l’origine, accueilli avec enthousiasme la promotion du RSA. Vous avez délibérément décidé d’ignorer ces avertissements. Vous voulez tellement accrocher votre nom à cette mesure que vous avez décidé d’en rabattre sur le Martin Hirsch de 2005, président d’Emmaüs, pour privilégier le Martin Hirsch haut-commissaire.

M. Pierre Cardo. En quoi en a-t-il rabattu ?

M. Roland Muzeau. Je vais vous le dire, ne soyez pas impatient, monsieur Cardo !

Nous le regrettons très sincèrement, monsieur le haut-commissaire, d’autant que j’avais pu vous adresser des encouragements lors des débats sur la loi TEPA, malgré les maigres euros que vous aviez obtenus...

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. J’ai obtenu cent fois plus !

M. Roland Muzeau. …et vous m’indiquiez alors que nous ne le regretterions pas.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous y sommes !

M. Roland Muzeau. Nous y voici, en effet !

Nous sommes donc surpris que vous n’ayez pas, en particulier, prêté une oreille plus attentive à ceux des membres de la commission que vous animiez en 2005, qui, comme Denis Clerc, pointent aujourd’hui avec exactitude les lacunes de votre dispositif, soulignant le risque qu’il conduise à l’élargissement de la pauvreté laborieuse et à l’institutionnalisation d’emplois précaires.

Je tenterai une nouvelle fois aujourd’hui de vous convaincre, avec d’autres, de la nécessité d’entendre les objections nombreuses qui vous sont adressées.

Je commencerai par établir l’inventaire des publics oubliés par votre réforme, des personnes en situation de précarité sciemment tenus à l’écart du bénéfice du dispositif, à commencer par les jeunes de 18 à 25 ans. Les jeunes qui travaillent, comme ceux qui n’ont pas d’emploi, se trouvent à ce jour exclus du RSA. Cette position est incompréhensible. On ne peut continuer à tenir les jeunes à l’écart des minima sociaux, comme c’est actuellement le cas sauf pour ceux qui sont chargés de famille.

Chaque année, plus de 60 000 jeunes quittent le système éducatif sans qualification. À l’évidence, il faut saisir ce problème à bras-le-corps, pour leur permettre de disposer d’un minimum de ressources et de bénéficier d’un accompagnement dans un parcours de formation et d’insertion sociale et professionnelle, fût-ce en le formalisant dans un contrat.

Or, dans votre projet de loi, rien ne vient apporter la moindre réponse au désarroi de ces jeunes. Ajoutons que, dans le même mouvement, se trouve évacué le nécessaire débat sur le dossier connexe des étudiants, dont nous savons pourtant que la paupérisation compte parmi les faits sociaux les plus marquants de ces dernières années.

Alors même que vous nous dites porter l’ambition d’unifier et simplifier les différents minima sociaux, de mieux les articuler aux dispositifs d’insertion et de formation, l’absence de toute référence à la situation des jeunes constitue une première grave lacune.

D’autres publics se trouvent encore de façon surprenante tenus à l’écart du dispositif : les détenus, dont la garantie des moyens de subsistance constitue pourtant un enjeu majeur en termes de réinsertion sociale et professionnelle ; les quelque 400 000 allocataires de l’allocation de solidarité spécifique ou encore les 770 000 personnes qui perçoivent l’allocation aux adultes handicapés.

Plus largement, que deviennent tous les publics qui ne peuvent travailler ou dont la réinsertion ne peut s’envisager – vous le savez peut-être même mieux que nous – qu’à travers un suivi de longue haleine, sur plusieurs années, et pour autant que l’on accepte d’y consacrer les moyens nécessaires ? Ce sont les laissés pour compte de cette réforme, dont l’ambition se trouve dès lors largement réduite.

De fait, nous sommes très loin des deux millions de salariés pauvres potentiellement concernés par le RSA évoqués dans le rapport de 2005 ! Avec ce que vous nous proposez désormais, nous sommes surtout très loin de disposer d’un instrument efficace de lutte contre la pauvreté.

Cette formidable réduction de l’ambition de votre réforme n’est évidemment pas le fruit du hasard, mais le résultat des arbitrages successifs qui ont vidé la réforme de son sens sans vous y faire pour autant renoncer. Vous pourrez sans doute vous retrancher derrière l’argument de la nécessité d’examiner chaque problème en son temps, ou invoquer la nécessité de prendre le temps de la réflexion.

Pourtant, rien ne vous obligeait à nous présenter un texte dès l’automne, avant l’échéance de la période d’expérimentation. L’urgence que réclame la situation des personnes vivant sous le seuil de pauvreté ne vous imposait pas d’agir dans la précipitation, non plus que d’avaler les couleuvres gouvernementales ou de céder aux sirènes de Bercy. La précipitation sur ce dossier, de même que la réduction drastique et savamment orchestrée de l’ambition du projet, n’ont été guidées, chacun le sait, que par de purs motifs d’opportunité politique.

Comment, monsieur le haut-commissaire, avez-vous pu vous prêter à l’organisation scandaleuse des travaux parlementaires où sont dissociés la discussion générale et les motions, d’une part, et l’examen des articles, d’autre part ? Il devait se passer onze jours avant que nous ne reprenions le projet de loi. Ce n’est plus tout à fait le cas désormais, puisque nous allons le reprendre mardi soir pour quelques heures, puis la semaine suivante.

Par-delà ces questions d’ordre du jour, vous n’étiez pas tenu d’accepter le marchandage ministériel, non plus que de vous faire l’écho du seul signal fort qu’a voulu lancer le Gouvernement à travers cette réforme, à savoir qu’il ne saurait être question de verser des allocations à quiconque sans une contrepartie en termes d’activité.

« Pas un centime n’ira à l’inactivité », avez-vous déclaré. Pauvre slogan, triste dérive que ce discours qui ignore délibérément que l’inactivité n’est pas un choix ! Vous avez, sciemment ou malgré vous, fait vôtre, monsieur Hirsch, cette approche moralisatrice du chômage, selon laquelle « qui ne travaille pas ne mangera pas ». Cette maxime dont l’indécence le dispute à la barbarie, vous l’avez inscrite en filigrane sur chaque page de ce projet de loi. Vous avez ainsi accepté l’inacceptable : inscrire dans votre texte un article qui prévoit la suspension de tout ou partie du RMG, en cas de non-signature ou de non-respect du contrat par le bénéficiaire.

M. Pierre Cardo. Cela existe déjà !

M. Roland Muzeau. Cette simple disposition nous replonge des années, sinon des siècles en arrière. Elle conduit en effet à considérer qu’il y aurait éventuellement lieu de distinguer entre une pauvreté en quelque sorte méritée et une pauvreté méritante, et qu’il serait donc d’une certaine façon légitime que la nation prive certains de nos concitoyens de tout moyen d’existence.

M. Pierre Cardo. Il fallait expliquer cela à Rocard, quand il a mis en place le RMI !

M. Roland Muzeau. Nous ne vous suivrons pas dans cette voie, qui est une trahison des valeurs les plus fondamentales de la République.

Faut-il rappeler au Gouvernement et à nos collègues que, jusqu’à plus ample informé, le travail est, dans notre pays, un droit de valeur constitutionnelle, reconnu par le préambule de notre texte fondamental, et qu’à défaut de pouvoir assurer à chacun la jouissance de ce droit, il revient à la nation de fournir aux personnes privées d’emploi ou empêchées de travailler des moyens d’existence dignes leur permettant de se loger, de se vêtir, de se nourrir et de nourrir leur famille ?

Vous ne pouvez, messieurs de la majorité, vous exonérer si facilement de vos responsabilités politiques pour mieux faire peser sur autrui, en l’occurrence les plus fragiles de nos concitoyens, des sujétions aussi lourdes que celles que vous proposez, au mépris des personnes comme des réalités de la conjoncture économique.

Il est en outre parfaitement inacceptable de laisser entendre, comme vous le faites en permanence de manière implicite, que le chômage est un choix volontaire. Vous savez comme nous que seules 2 % des personnes privées d’emploi ne souhaitent effectivement pas retrouver du travail. Ce qui signifie que 98 % de nos concitoyens le souhaitent et peinent à retrouver des emplois stables, correctement rémunérés, à temps plein ou correspondant à leur qualification.

Plutôt que de travailler significativement sur l’accès à la formation et l’exercice du droit de formation professionnelle tout au long de la vie, de faire en sorte que la lutte contre l’illettrisme soit réellement une priorité nationale, de renforcer la proximité et la cohérence de l’action territoriale, d’assurer le financement des missions de l’ensemble des acteurs de l’insertion, de renforcer les moyens d’accompagnement des bénéficiaires des minima sociaux, vous avez choisi l’unique voie de la subvention des emplois « paupérisants ». Quelle aubaine pour les entreprises soucieuses de diminuer encore le coût du travail ! Vous les encouragez à proposer davantage d’emplois à temps partiel ou très partiel, vous leur fournissez une main-d’œuvre piégée par votre dispositif d’emploi contraint. Mais vous venez d’indiquer que nous discuterions de ce sujet.

Vous tirerez sans doute gloire demain d’avoir permis que certains emplois à temps très partiel, qui ne trouvent pas preneurs aujourd’hui, soient désormais pourvus. Mais il ne faut pas perdre de vue que ces emplois trouveront preneurs moins parce que les salariés y seront plus enclins que parce qu’ils seront contraints de le faire.

Dans la nouvelle logique de droits et de devoirs que vous mettez en place, il y aura davantage de pression sur les candidats pour qu’ils acceptent ces emplois, qui sont « paupérisants ». Les secteurs d’activité très exposés, tels que les services à domicile – où la durée de travail hebdomadaire moyenne est de huit heures –, l’hôtellerie et la restauration, vont voir affluer de nouvelles légions de travailleurs pauvres, que vous vous serez simplement appliqué à rendre un peu moins pauvres, modérément puisque vous ne proposez que de leur permettre d’atteindre péniblement le seuil de pauvreté, dont il faut donc croire que vous le prenez pour référence du revenu décent, ce qui ne saurait bien évidemment pas être le cas.

Pour être réelle, l’amélioration des revenus attendus du RSA n’est, en d’autres termes, pas substantielle. Elle ne permettra à la plupart des bénéficiaires que de disposer, au mieux, de 50 % du revenu médian, soit à peine 800 euros. Quelle formidable réduction, là aussi, des ambitions du dispositif !

Vous parviendrez sans nul doute à faire baisser de manière mécanique les statistiques de la pauvreté, mais quant à ouvrir aux bénéficiaires du RSA de réelles perspectives d’avenir, force est de constater que vous demeurez sur ce point curieusement silencieux. Vous savez en effet que vous condamnez, avec ce dispositif, la majorité de nos concitoyens parmi les plus pauvres à le demeurer longtemps, voire indéfiniment. Vous les enfermez dans une précarité moins abrupte, peut-être, mais plus inéluctable.

Non content de renvoyer les personnes les plus éloignées de l’emploi vers une pauvreté sans aucun moyen de subsistance, vous allez de fait condamner des millions de nos concitoyens à vivre dans la précarité, ballottés par les exigences d’entreprises auxquelles vous ne demandez aucune contrepartie en termes de rémunération, de conditions de travail ou de requalification des contrats précaires. Cette situation est d’autant plus choquante qu’elle condamne votre dispositif à l’échec.

Échec d’autant plus certain, en termes de lutte contre la pauvreté, que la généralisation du RSA ne s’accompagne d’aucune réflexion sur le montant des minima sociaux, dont tout porte dès lors à croire que vous les jugez satisfaisants, monsieur Hirsch, contrairement aux nombreuses associations qui, comme nous, réclament la mise en œuvre d’un véritable plan pour les revaloriser à hauteur de 25 % en cinq ans.

La réussite du RSA est plus compromise encore par le fait que vous ne consacrez aucun moyen nouveau à l’accompagnement social.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Si : 150 millions d’euros !

M. Roland Muzeau. Votre projet de loi proclame, certes, le droit à l’accompagnement, en particulier pour les personnes sans emploi. Mais cette louable proclamation ne suffit pas à dissiper les craintes que nous pouvons légitimement nourrir quant aux garanties d’un accompagnement social et professionnel de qualité. Il nous semblait pourtant que le RSA avait pour vocation de permettre aux bénéficiaires de sortir de la précarité.

Qu’en sera-t-il des moyens réellement affectés à une politique d’accompagnement personnalisée ? Qu’est-ce que le Gouvernement envisage, au-delà d’un nouveau transfert de charges aux collectivités locales ? Le service public de l’emploi aura-t-il les moyens d’accompagner les 300 000 à 400 000 personnes nouvelles qui vont s’inscrire sur les listes des demandeurs d’emploi ?

À toutes ces questions, votre projet de loi n’apporte aucune réponse. Seule certitude : la baisse de 14 % des crédits de la mission « Travail et emploi » annoncée par le Gouvernement dans les prévisions pour les projets de loi de finances de 2009 à 2011, ce qui augure mal du succès du dispositif.

Prétendre permettre aux plus modestes de sortir de la pauvreté sans se pencher sérieusement sur la question du financement et des transferts de charges, sans tenter une mise en cohérence des différents dispositifs existants, cela a un mot, monsieur Hirsch, cela s’appelle se payer de mots. L’assemblée des départements de France vous l’a d’ailleurs signifié de manière claire, sans que vous jugiez expédient de répondre à leurs légitimes inquiétudes. Le débat sur le financement du dispositif en offre une autre illustration.

J’en viens donc à ce feuilleton du financement, qui aura occupé longtemps le devant de la scène et occulté pour partie le débat de fond. Nous en connaissons l’épilogue : la commission des finances de l’Assemblée nationale a adopté la semaine dernière un amendement instaurant un plafonnement global des niches fiscales, dont vous revendiquez aujourd’hui la paternité, et qui prévoit que les rentrées fiscales supplémentaires concourront au financement du RSA. Le Président de la République a ajouté cet après-midi à Toulon que ce financement irait décroissant.

Nous avons dénoncé cette mesure comme dilatoire. L’évidence s’impose en effet qu’au prétexte de faire concourir les niches fiscales au financement du RSA, cette proposition va aboutir au maintien des avantages exorbitants que comportent certaines d’entre elles au bénéfice des ménages les plus riches et de certaines grandes entreprises. Que devient le nécessaire débat sur la remise à plat de ce maquis de dérogations fiscales ? Il passe à la trappe. Or les niches fiscales représentent une masse financière de quelque 73 milliards d’euros cette année, somme sur laquelle la majorité ne prévoit de prélever que 200 malheureux millions.

C’est vous qui avez, avec le Gouvernement, augmenté le nombre des niches fiscales. Une nouvelle est encore née il y a quelques heures dans le cadre de la discussion du texte sur les revenus du travail. De 416 en 2003, le nombre des niches est passé à 486 en 2006 – et à 487 ce soir –, soit une aggravation de la dépense fiscale de quelque 23 milliards d’euros. Ces dépenses somptuaires sont restées sans effet sur la croissance, sur l’emploi ou sur le pouvoir d’achat. Elles sont donc inutiles, et auraient été mieux employées dans le relèvement des minima sociaux, l’investissement dans la recherche, le financement des dispositifs de formation et d’insertion ou celui de la protection sociale.

La manœuvre du Gouvernement et de sa majorité est assez grossière. Elle élude totalement la question de la taxation du capital ou du patrimoine des plus aisés, d’une caste de privilégiés et d’une poignée de grandes entreprises, qui, malgré vos dénégations, continueront à bénéficier des niches fiscales au prix d’un très léger sacrifice, et éviteront ainsi de participer à l’effort de solidarité nationale à hauteur de leurs facultés contributives, comme le veut pourtant la Déclaration des droits de l’homme.

Pour ce qui nous concerne, l’enjeu est d’asseoir le financement du RSA sur un authentique dispositif d’imposition du capital, comme la taxation de la distribution des stock-options. Nous avons déposé un amendement en ce sens – la majorité en a déposé un autre presque identique –, ainsi qu’un autre amendement visant à faire échapper la taxation de 1,1 %, somme toute minime, au scandaleux couperet du bouclier fiscal.

Reste que ce débat sur le financement du RSA permettra de mettre l’accent sur les limites de la volonté politique du Gouvernement de réduire effectivement la pauvreté dans notre pays.

Mme Chantal Brunel. Personne ne vous écoute, monsieur Muzeau !

M. Roland Muzeau. Il permettra également d’observer que le Gouvernement s’est, en cette affaire, beaucoup plus attaché à parfaire sa communication qu’à satisfaire aux exigences de cohérence, ce qui est bien regrettable.

La multitude des questions cruciales encore en débat, le nombre de points qui restent à éclaircir pour éviter que le RSA ne se transforme en outil de gestion de la précarité au seul bénéfice des entreprises – nécessité du relèvement des minima sociaux, engagement de nouveaux moyens en faveur de la formation et de l’insertion – nous invitent évidemment à demander le renvoi du texte à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, et conjointement à la commission des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupes SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je serai bref, car l’heure est tardive.

M. Roland Muzeau. L’heure tardive, je n’y suis pour rien !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Vous avez défendu une motion de renvoi, monsieur Muzeau, alors même que les points que vous avez évoqués ont déjà été débattus en commission. Ainsi de ce que vous appelez les « publics oubliés » : j’ai indiqué tout à l’heure que la commission accepterait un amendement socialiste sur les jeunes de 18 à 25 ans et la nécessité de traiter cette question dans le cadre d’une réforme profonde de la formation professionnelle.

Vous dites que nous ne prenons pas en compte l’ASS, l’allocation de solidarité spécifique, mais un amendement de M. Hénart propose justement de l’intégrer à terme dans le dispositif.

Vous dites que nous ne prenons pas en compte les personnes handicapées : un amendement de M. Chossy, qui a été accepté par la commission, vise justement ces personnes.

Contrairement à ce que vous dites aussi, ce sont effectivement plus de 2,5 millions de travailleurs pauvres qui seront concernés par le dispositif : telle est bien la révolution de ce texte promu par Martin Hirsch.

Vous dites que pas un centime n’ira à l’inactivité, et que l’on va encore stigmatiser les RMistes, alors que le président du conseil général aura un pouvoir important pour les orienter soit vers l’emploi, soit vers un parcours social qui mettra le pied à l’étrier aux personnes les plus en difficulté. Quant à la suspension du RSA, elle est prévue en cas de non-respect, non du contrat de travail, mais d’un contrat d’insertion ou de parcours social, ce qui est la moindre des choses.

Vous dites que c’est une aubaine pour les entreprises, alors que nous avons évoqué tous les effets pervers que pourraient comporter les dispositifs qui sanctionneraient celles qui embauchent de la main-d’œuvre, et pourraient être tentées de ne plus le faire.

Vous avez également parlé des minima sociaux. Dois-je vous rappeler qu’au cours de ces vingt dernières années, c’est un gouvernement de droite – sous la dernière législature – qui a le plus augmenté le SMIC ?

Vous prétendez qu’il n’y a pas d’aide à l’accompagnement social pour les conseils généraux, alors que le texte prévoit pour cela 150 millions d’euros.

Vous dites que nous n’avons pas traité le problème du transfert des charges aux collectivités locales. Mais si : nous avons accepté un amendement prévoyant une compensation intégrale. Et vous omettez un élément essentiel : si le dispositif marche, comme nous le pensons, la réduction du nombre de RMistes réduira d’autant les charges pour les départements. Et pour l’heure, ces derniers ne nous ont pas dit qu’ils allaient rembourser cette diminution de leurs charges à l’État !

M. Christophe Sirugue. Aujourd’hui, c’est plutôt l’État qui leur doit de l’argent !

M. Roland Muzeau. En effet : 1,4 milliards d’euros !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Vous avez enfin évoqué le financement. Certains ont tenté de mettre mes propos en contradiction avec ceux du Président de la République, qui a déclaré à Toulon : « Et au fur et à mesure qu’un nombre croissant de ceux qui jusqu’à présent étaient piégés par l’assistance sera incité à reprendre un travail, la taxe sur les revenus de l’épargne sera diminuée. » C’est une évidence : si un nombre croissant de personnes reprennent un travail, le montant du fonds en sera diminué d’autant et, par un effet mécanique, celui de la taxe aussi. Cela n’est en rien contradictoire avec le fait que celle-ci sera pérenne.

Vous avez déclaré, monsieur Muzeau, que face à l’exclusion, il n’était « humainement pas possible d’attendre que le marché du travail s’améliore ». Il est humainement moins possible encore d’attendre que les commissions se réunissent à nouveau : il est temps d’agir. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Christophe Sirugue, pour le groupe SRC.

M. Christophe Sirugue. Je reconnais, comme le rapporteur, que nombre de débats ont eu lieu en commission. Il n’en reste pas moins que des interrogations demeurent, non seulement au sein des groupes de l’opposition, mais également au sein des groupes de la majorité.

Je crois très sincèrement que la proposition de Roland Muzeau aurait l’avantage de nous permettre d’approfondir l’approche de certains domaines dans lesquels nous avons besoin de trouver des réponses aux questions que nous avons soulevées. En effet, certains des amendements que vous proposez ne sont pas assez précis – nous l’avons dit à plusieurs reprises. Le fait que certains points soient repoussés à des discussions ultérieures ou à des rapports à venir – je pense notamment à la problématique des jeunes – montre que nous ne disposons pas aujourd’hui de tous les éléments permettant d’évaluer la pertinence de la mise en place du revenu de solidarité active.

Nous avons par ailleurs besoin de poursuivre l’information en direction de l’ensemble de nos collègues, surtout lorsque j’entends les propos qui sont tenus sur les bénéficiaires du RMI. Cette forme de culpabilisation des personnes qui sont en situation d’exclusion montre à l’évidence combien il est nécessaire de rappeler que les clichés répandus par quelques-uns ne reflètent pas, loin s’en faut, la situation générale des personnes qui sont en situation d’exclusion et dépendent du RMI.

De plus, puisque M. le haut-commissaire a évoqué les points de compromis, je conviens qu’un outil comme le RSA est, de toute évidence, un outil de compromis. Mais le projet de loi, loin de donner les éléments précis de la politique nécessaire à mener autour de cet outil, ne fait qu’en dessiner les grandes lignes.

Enfin, il me paraît tout aussi important de rappeler – nous en sommes du reste tous convenus – que le RSA n’est pas un emploi mais suppose au contraire, pour pouvoir fonctionner, qu’il y ait des emplois.

Or, en ce qui concerne les emplois publics, que vise le premier volet du dispositif, les conditions financières qui sont faites aux collectivités locales me rendent particulièrement inquiet, une inquiétude que l’annonce faite par le Président de la République, il y a quelques heures, de la suppression de plus de 30 000 emplois l’année prochaine dans la fonction publique, ne fait que renforcer. Quels emplois publics pourront dès lors être proposés dans le cadre du RSA ?

Quant aux emplois privés – le second volet du dispositif –, le chiffre, qui vient de sortir, de 40 000 nouveaux demandeurs d’emploi – le plus mauvais depuis de nombreuses années – nous conduit aussi à nous interroger.

Pour toutes ces raisons, il nous paraît justifié de suivre la proposition de Roland Muzeau et de renvoyer le texte en commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cardo, pour le groupe UMP.

M. Pierre Cardo. Madame la présidente, mes chers collègues, il y a vingt ans, je mettais en place dans les Yvelines le RMI, en en voyant d’abord les avantages pour les populations concernées – c’était un grand progrès –, puis les inconvénients au fur et à mesure de sa mise en œuvre et de son suivi. Depuis, on a beaucoup progressé en matière d’insertion, notamment grâce aux 20 % qui lui sont dévolus et aux initiatives de nombreux acteurs locaux.

Monsieur Muzeau, contrairement à ce que vous avez paru prétendre à plusieurs reprises, je ne vois pas en quoi l’application du RSA supprimera toutes ces avancées et les moyens mis en œuvre, notamment en matière d’accompagnement social. Rien de tout cela ne s’arrêtera ! Le RSA est une évolution.

Je n’apprendrai rien à personne en rappelant qu’en raison de la reprise d’une activité, la situation en termes de pouvoir d’achat de ceux qui bénéficiaient du RMI et d’autres prestations pouvait empirer. C’était tout de même anormal ! On peut critiquer beaucoup de choses dans le nouveau dispositif : je n’en constate pas moins que, sur de nombreux points en suspens, le Gouvernement apporte des réponses et réalise des avancées qui permettront de passer à une autre ère des politiques d’insertion. On va inciter à reprendre un emploi. Comment, dès lors, peut-on expliquer que le fait d’augmenter leurs ressources aggravera la précarité des personnes concernées ? C’est un paradoxe que les débats, la semaine prochaine, devraient permettre de dissiper.

Il est tard, aussi me contenterai-je de souligner que ce projet représente une avancée considérable et que le mieux est l’ennemi du bien. À l’adresse de ceux qui ont peur de possibles effets pervers, je citerai cette fois non pas un mort, mais un peuple, les Zoulous : « Si tu avances, tu meurs ; si tu recules, tu meurs ; alors pourquoi reculer ? » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, mardi 30 septembre 2008, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active.

La séance est levée.

(La séance est levée, le vendredi 26 septembre 2008, à zéro heure cinquante.)