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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 27 mai 2010

Première séance du jeudi 27 mai 2010

Présidence de M. Tony Dreyfus,
vice-président

M. le président . La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Réforme des collectivités territoriales

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales (n° s 2280, 2516, 2459, 2510).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de treize heures vingt-huit minutes pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire, seize heures quarante-sept minutes pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, six heures cinq minutes pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, cinq heures cinquante-neuf minutes pour le groupe Nouveau Centre et quarante minutes pour les députés non inscrits.

Hier soir, l’Assemblée a continué d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Discussion générale (suite)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, mes chers collègues, le texte qui nous intéresse aujourd’hui se veut structurant et d’importance pour organiser l’avenir du pays dans les années à venir, et nul doute que les élus de 2014 seront en quelque sorte des défricheurs et des pionniers.

Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet et je voudrais ordonner mon propos selon trois axes principaux.

Premier axe, la nécessaire incarnation des élus.

Plus l’élu est éloigné d’une zone territoriale, plus le type de scrutin empêche l’identification, et moins la participation de nos compatriotes aux élections est forte. La création du conseiller territorial et le mode électif choisi, le scrutin uninominal direct, répondent à cette problématique majeure de l’incarnation de l’élu.

J’attends également de la création du conseiller territorial qu’il ouvre la perspective des conseillers généraux sur l’aspect régional, plus stratégique, alors qu’ils resteront aussi nourris de leur expérience locale, ce qui permettra à la démocratie française de continuer à progresser.

Deuxième axe de réflexion, et je m’étonne qu’il n’ait guère été évoqué sur nos différents bancs, le rôle structurant des régions par rapport aux fonds européens.

Nous avions été quelques-uns, il y a deux ans, à proposer que nos régions aient une masse critique minimale de 5 millions d’habitants. Notre pays n’échappera pas, à terme, à une nouvelle réforme, consistant à créer des régions qui ne soient ni des nains économiques ni des nains démographiques par rapport à l’Union européenne, ce qui est le cas actuellement à l’exception de quelques régions, telle la Bretagne qui, je crois, est organisée sur le plan agricole.

Parlons aussi, à l’autre bout de l’échelle, des communautés de communes. En zone rurale, les temps de déplacement sont souvent peu intégrés dans les questions de découpage territorial et d’aménagement. Pour créer une crèche ou des cantines, il nous faut une masse critique suffisante. Je ne voudrais pas que, à force d’abaisser les seuils de constitution des communautés de communes, on empêche des masses critiques de se former et on encourage l’éparpillement des structures territoriales, ce qui a souvent pour seul effet de favoriser les potentats locaux.

Dernier axe de réflexion, je suis étonné que nous parlions si peu, les uns et les autres, de la France. Je voudrais que l’on rappelle à l’ensemble des élus qu’ils sont là pour servir la nation et la patrie, et que le moindre élu territorial, qu’il soit conseiller municipal, général ou régional, a un rôle évident d’intégration de la nation. Nous nous rendons compte ici, au cours de nos discussions, de ce qui est comme un fil rouge, ténu parfois et plus prégnant à d’autres moments : l’affaissement de l’idée nationale. À l’heure où de grandes décisions vont se prendre à l’échelle de plaques continentales, où la nation reste un élément structurant qui dépasse nos vies et nos destinées individuelles, il est essentiel de rappeler aux élus territoriaux, quelle que soit leur fonction, qu’ils participent avant tout de la France. J’aimerais que la décentralisation n’ait pas le défaut de favoriser, par moments, la création de duchés régionaux et de comtés départementaux, et que nous reparlions à nouveau de la France.

Telles sont les quelques pistes de réflexion que je vous propose ce matin.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Lou Marcel.

Mme Marie-Lou Marcel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui contrevient gravement au principe constitutionnel de République décentralisée.

Il est tout d’abord extrêmement choquant que ce texte sur la réforme territoriale, qui nous est en quelque sorte « vendu par appartements », soit réécrit au gré des péripéties électorales.

Comment qualifier l’attitude du Gouvernement qui, juste avant l’examen de ce texte par la commission des lois, a déposé un amendement remplaçant l’article 1 er et fixant le mode d’élection du conseiller territorial ?

M. Alain Cacheux. Elle est inqualifiable !

Mme Marie-Lou Marcel. Alors que ce devait faire l’objet d’un projet de loi ultérieur, voilà que, par une méthode des plus cavalières, on nous l’impose dans ce texte.

Ce mode de scrutin révèle la nature de votre projet de loi : il fait de conseillers généraux à territoire élargi les représentants de leur département dans les régions. Ainsi naîtra le conseiller territorial, créature hybride issue du cerveau de technocrates ignorant les réalités locales.

Votre projet de loi, éloigné des enjeux de la démocratie locale, organise la confusion entre les collectivités.

Dans son essence même, il est anticonstitutionnel, en contradiction flagrante avec l’article 72 de notre Constitution, qui dispose qu’aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. C’est la libre administration des collectivités qui est aujourd’hui remise en cause.

La libre administration a pour corollaire l’autonomie fiscale. Or la réforme de la fiscalité locale a des conséquences financières très lourdes pour les régions, qui sont les grandes perdantes de la réforme.

Les régions étaient déjà, avant cette réforme, les collectivités territoriales les plus mal loties en termes de ressources fiscales. Elles sont aujourd’hui littéralement exsangues puisqu’elles ne disposent désormais de quasiment aucun levier fiscal. Elles n’ont plus aucun impôt direct dont elles votent le taux. Cette absence de levier fiscal les rend entièrement dépendantes des dotations de l’État.

Au moment même où nous examinons ce texte, les choses continuent de s’aggraver. Nous avons appris il y a quelques jours que les dotations aux collectivités locales seraient totalement gelées dès 2011.

Alors que le déficit de l’État atteint des records historiques, les budgets des collectivités territoriales sont, eux, en équilibre. C’est d’ailleurs la loi qui l’exige. Je rappelle que la dette française est due à 89 % à l’État et aux comptes sociaux et à 11 % seulement aux collectivités territoriales – dont 1 % à peine aux régions.

Les collectivités locales ont une gestion rigoureuse, alors que l’État se révèle impécunieux et leur impose une double peine : devoir présenter des budgets en équilibre tout en ayant des dotations de plus en plus restreintes.

Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : ce sont les collectivités territoriales qui réalisent 74 % de l’investissement public. Les régions, comme les autres collectivités, participent au développement économique et social de la France.

La région est le lieu par excellence d’investissements prospectifs pour la dynamisation économique et sociale de nos territoires. Avec la réforme de la fiscalité locale, on voit combien sont menacés l’économie et l’emploi.

L’État, grand pourfendeur des financements croisés, est le premier à solliciter les régions.

M. Alain Cacheux. C’est clair !

Mme Marie-Lou Marcel. Que deviendront les contrats de projet État-région ? Les contrats en cours ne pourront plus être honorés et les suivants risquent de ne pas voir le jour. Que deviendront certains grands investissements comme les réseaux de lignes à grande vitesse ? Que deviendront les projets de rénovation des universités et des prisons ? Que deviendront l’action culturelle et sportive et l’investissement dans les grands équipements sportifs ? Que deviendront les investissements des communes si la région ne peut plus les accompagner dans la réalisation de leurs projets ? Vous le savez bien, monsieur le secrétaire d’État, nos communes ont besoin de l’ensemble des partenaires pour mener à bien leurs investissements.

M. Jean-Claude Sandrier. Absolument !

Mme Marie-Lou Marcel. La suppression de la clause de compétence générale anéantirait les efforts déployés au quotidien par les élus locaux. On peut d’autant moins s’en désintéresser qu’il s’agit d’investissements qui sont source de croissance et d’emploi.

Les collectivités territoriales ne peuvent accepter d’être une variable d’ajustement permanente. Les régions ne peuvent subsister sans aucun levier fiscal ; comment peuvent-elles investir pour l’avenir quand le Gouvernement leur laisse comme seule ressource fiscale la taxe sur les cartes grises et les permis de conduire ? Les ressources régionales dépendent à 87 % des dotations de l’État, et les transferts de compétences sont mal compensés. Pour la seule région Midi-Pyrénées, depuis la dernière loi de décentralisation de 2005, le poids des transferts non compensés par l’État s’élève à 76 millions d’euros. Oui, monsieur le secrétaire d’État, 76 millions d’euros à la charge exclusive de la collectivité !

C’est la quadrature du cercle pour les régions : de plus en plus de charges, aucun levier fiscal, un État qui refuse de compenser ces pertes fiscales par des dotations pérennes. Comment, dans ces conditions, les régions pourront-elles honorer les financements pour lesquels elles sont sollicitées ? Elles reçoivent seulement 7 % de la fiscalité directe locale, alors qu’elles assurent 13 % des dépenses des budgets locaux.

Mes chers collègues, si je vous ai ainsi parlé de l’état des finances locales, c’est parce que ces textes sur la réforme des collectivités territoriales s’inscrivent dans une logique de mépris du Gouvernement à l’égard des collectivités.

M. Alain Cacheux. Eh oui !

Mme Marie-Lou Marcel. Ce sont des lois de recentralisation, qui s’inscrivent en même temps dans une logique de défausse croissante sur les collectivités locales.

Monsieur le secrétaire d’État, où sont les économies dans ce texte ? Le dernier amendement déposé par le Gouvernement en commission des lois définit le nombre de conseillers territoriaux. Les chiffres sont éloquents : en Midi-Pyrénées, leur nombre passerait de 91 à 255.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous répondre à mes questions ?

M. Bernard Derosier. Il ne répond jamais !

Mme Marie-Lou Marcel. Où vont-ils siéger ? Où les commissions se réuniront-elles ? Qui financera les nouvelles infrastructures ? Qui fera quoi ?

Le conseiller territorial n’aura pas les moyens matériels et physiques de siéger dans les multiples organismes où la région et les départements doivent être représentés. Il n’aura ni la proximité du conseiller général arpentant son canton ni la vision prospective du conseiller régional.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Ah bon ?

M. Alain Cacheux. C’est clair !

Mme Marie-Lou Marcel. Dans un contexte de désengagement total de l’État, ce texte met un terme au processus de décentralisation lancé en 1982, et contre lequel vous aviez voté,…

M. Alain Cacheux. Il est bon de le rappeler !

Mme Marie-Lou Marcel. …avant d’en devenir des adeptes fanatiques lorsque vous avez gagné toutes les régions ou presque. Vous l’achevez aujourd’hui pour de basses raisons politiciennes et au mépris de l’aménagement du territoire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, on ne compte plus les colloques et les rapports qui concluent, depuis des années, à l’urgence d’une réforme de notre organisation territoriale. Nous ne pouvions donc, a priori , que nous réjouir de voir le Gouvernement saisir le problème à bras-le-corps. Car c’est vrai, nous le vivons tous comme parlementaires, parfois aussi comme élus locaux : si la décentralisation a parfois des ratés, si elle a parfois déçu, c’est par manque de lisibilité, de simplicité, de transparence, donc d’efficacité. Nous attendions donc tous ce fameux projet de loi pour redonner à la décentralisation sa raison d’être – on administre mieux de près, sous le contrôle des populations concernées.

Malheureusement, la déception est grande. À l’exception de certaines mesures, notamment le fléchage des conseillers d’agglomération au moment de l’élection municipale, je ne vois sincèrement ni simplification, ni lisibilité, ni transparence, ni efficacité.

Où est la simplification quand vous ajoutez une nouvelle strate, la métropole, qui est pour les départements une véritable bombe à retardement car elle les empêchera de jouer leur rôle de redistribution en faveur des territoires ruraux ?

Où est la lisibilité quand vous vous attaquez – c’est toute la philosophie d’Édouard Balladur, inspirateur de cette réforme – aux deux collectivités les plus appréciées des Français : la commune et le département ? Pourquoi détruire ce qui marche, ce couple commune-département qu’Édouard Balladur affirmait récemment vouloir « évaporer » au profit du nouveau couple région-communauté d’agglomération, alors qu’il structure notre vie locale et représente le rempart des populations délaissées par les services publics ?

M. Alain Cacheux. C’est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Pourquoi, d’ailleurs, avoir récemment confié au département la gestion de nouvelles prestations sociales, s’il est à ce point dépassé ?

Il est vital à ce titre que le nombre de conseillers territoriaux par département soit suffisant, notamment dans les départements les moins peuplés,…

M. Henri Nayrou. Eh oui ! Même dans le Cantal !

M. Nicolas Dupont-Aignan. …pour maintenir une représentation des territoires ruraux. C’est pourquoi il faudrait porter le minimum à vingt, au lieu de quinze. Mais vous vous heurtez alors à la contradiction majeure de votre projet : il faudrait des conseils régionaux dotés d’un nombre considérable de sièges.

En vérité, vous vous attaquez de front, avec habileté, aux départements, qui vont perdre en représentativité, en proximité, en réactivité, comme l’a excellemment expliqué Dominique Souchet, député de Vendée. Vous vous attaquez aux départements en les privant de leur clause de compétence générale et de toute liberté fiscale. Ils vont devenir tout simplement des établissements publics spécialisés, sans aucune marge de manœuvre, de simples guichets administratifs.

Un jour, vous vous demanderez pourquoi nos territoires ruraux, qui sont la richesse touristique, culturelle, agricole de notre pays, dépérissent. Et il faudra reconstruire ce que vous êtes en train de défaire. C’est un immense gâchis.

L’arrière-pensée concernant le département s’applique aussi au traitement que vous réservez à la commune. En tant que maire et président d’une communauté d’agglomération, je sais d’expérience que, paradoxalement, ces regroupements ne sont pas gage d’efficacité. On fait croire que plus on concentre, plus on fait grossir les collectivités, et plus elles sont efficaces. Ce n’est pas vrai. En vérité, ce sont les administrations qui, de plus en plus, gouvernent, et les élus ont beaucoup de mal à suivre ; c’est une complexité supplémentaire pour le citoyen, sans apporter vraiment plus d’efficacité.

J’ajoute qu’en confiant au préfet le soin d’imposer l’intercommunalité, vous créerez bien plus de problèmes que vous n’en résoudrez, car pour qu’une communauté marche il y faut l’adhésion des communes qui en sont membres.

M. Jean-Claude Sandrier. Bien sûr !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Il est faux de croire que l’on peut forcer les communes à y entrer.

De même, en exigeant 50 % de financement minimum par la commune, vous allez écarter les projets des communes les plus pauvres, des communes rurales, des territoires qui aujourd’hui souffrent le plus et sont délaissés.

D’une manière générale, beaucoup s’inquiètent du dépérissement de l’engagement électif et civique, mais c’est justement cette course à la taille, cette bureaucratisation générale, cette complexification, cet embrigadement politique – nous savons que de nombreux conseillers généraux non inscrits disparaîtront et que les deux principaux partis exerceront ipso facto une influence encore plus grande dans les territoires – qui décourageront les vocations et renforceront l’abstention. La liberté communale est indissociable de notre histoire ; faute de le comprendre, vous allez recevoir, comme un boomerang, l’expression du désarroi de nos campagnes, de nos concitoyens.

Je ne crois pas un instant que le nouveau conseiller territorial soit efficace, car il ne pourra pas mener de front ses deux tâches. En vérité, ce n’est qu’une étape avant que le département, mangé d’un côté par la métropole, abîmé par les règles de financement, détruit par la fin de la clause de compétence générale, disparaisse. Ce faisant, vous allez créer de véritables déserts dans des campagnes déjà en grand désarroi.

M. Jean-Claude Sandrier. Exactement !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Et pourtant, il y avait tant à faire. Au moment où notre pays vit une crise profonde, pourquoi vous attaquez-vous à ce point à ce qui fonctionne ? Il faut arrêter de faire croire aux Français que vous allez réaliser des économies, car ce n’est pas vrai.

Les urgences aujourd’hui sont autres. La péréquation financière est l’urgence absolue, surtout en période de vaches maigres. Je ne conteste pas qu’il faille que les collectivités locales réalisent des économies ; il y a eu souvent des excès, nous le savons tous. Mais la péréquation ne corrige aujourd’hui que la moitié des inégalités ; il faut d’urgence augmenter les dotations péréquatrices, ainsi que M. de Courson l’a excellemment dit hier soir.

L’allégement des normes est également urgent – vous avez évoqué des premières mesures –, de même que la spécialisation des impôts locaux et la lisibilité de la feuille d’impôt : pourquoi ne pas avoir une feuille d’impôt par collectivité, de manière à responsabiliser les élus ? Mais il n’y a plus de responsabilité car il s’agit d’impôts d’État, de transferts financiers qui déresponsabiliseront complètement l’ensemble du système. De même, le statut de l’élu, que les petits élus attendent depuis tant d’années, est un serpent de mer qui n’avance pas ; les droits de l’opposition non plus, alors que nous savons qu’il existe une tendance au développement de féodalités dans notre pays. Ce seraient autant de moyens de réinsuffler de la vie démocratique dans notre système de décentralisation.

En conclusion, je crois sincèrement qu’il n’est jamais sain de légiférer à partir d’idées reçues censées plaire et complaire à l’opinion, et qui ne correspondent pas à la réalité, ni à partir d’arrière-pensées politiciennes, et je crains que vos bonnes intentions initiales de modernisation aient été fortement abîmées par les unes et les autres.

Au moment où notre pays traverse une crise très profonde, c’est un immense tort de déstabiliser ce qui fonctionne, ce qui rassure, ce qui panse les plaies. Ce n’est pas parce que certains ont mal géré leurs collectivités qu’il faut déresponsabiliser et recentraliser, pour aboutir à des difficultés encore plus grandes dans quelques années. C’est pourquoi je voterai contre ce texte. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Grand. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Christine Marin.

Mme Christine Marin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi arrive devant notre assemblée après de longs mois de discussions et de concertation entre le Gouvernement et les associations d’élus locaux, et après le débat au Sénat.

Cette réforme territoriale va dans le sens de l’histoire. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Claude Sandrier. Une histoire qui marche à l’envers !

Mme Christine Marin. À l’œuvre depuis les années soixante, lancée véritablement par la gauche en 1982, approfondie dans les années quatre-vingt-dix, notamment avec la montée en puissance de l’intercommunalité, relancée par Jean-Pierre Raffarin au cours du dernier quinquennat, la décentralisation a besoin d’une mise à jour qui mette de l’ordre, de l’harmonie, de la logique mais aussi de la souplesse dans l’organisation de nos territoires.

L’un des piliers de la réforme est la création du conseiller territorial. Abondamment, voire parfois exclusivement, commentée par les médias, cette disposition est de fait un axe essentiel du projet de loi, même si elle est loin de le résumer. Je lui apporte en tout cas tout mon soutien.

M. Michel Ménard. Pas nous !

Mme Christine Marin. Elle représente une avancée démocratique réelle. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Unifier en une seule élection tous les enjeux des politiques menées à l’échelle d’un territoire sera, à n’en pas douter, un acquis majeur. À chaque élection régionale, on regrette de ne pouvoir évoquer les dossiers qui relèvent de la compétence du conseil général. Aux cantonales, ce sont les dossiers de la région qui sont mis de côté. Cette situation est-elle conforme à la bonne tenue du débat public ? Évidemment non.

Rapprocher l’élu de l’électeur en procédant à sa désignation dans le cadre du canton est aussi un progrès. À ceux qui mettent en garde contre une conception de la région qui ferait de celle-ci un « tiroir-caisse » pour des élus bornés par des préoccupations locales, il faut répondre que c’est avoir là bien peu d’estime pour les élus locaux, et encore moins pour les parlementaires.

Le conseiller territorial, qui pourra siéger aussi bien aux instances de la région qu’à celles du département, est un pas vers le rapprochement de l’un et de l’autre. À ceux qui trouvent sacrilège cette évolution, il faut répondre que nous ne pouvons pas, nous Français, regarder avec envie les fameux Länder allemands (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) comme le modèle de l’euro-région du XXI e  siècle, et ne pas vouloir plus de cohérence, de cohésion, entre les échelons départementaux et régionaux.

M. Michel Ménard. Cela n’a rien à voir ! Ce ne sont pas des Länder que vous créez !

Mme Christine Marin. Que n’a-t-on pas entendu sur leur rapprochement ! À la crainte de la mort du département a succédé le spectre de la départementalisation de la région. En vérité, il ne s’agit ni de l’une ni de l’autre, mais de former un véritable couple, annonciateur d’évolutions à venir.

M. Jean-Paul Chanteguet. Ça promet !

Mme Christine Marin. Ce projet de loi introduit aussi de grands changements à l’échelle intercommunale. D’abord, par la création des métropoles ainsi que des pôles métropolitains. Pour les grandes communautés urbaines, la métropolisation est déjà un fait économique évident. La loi doit en tirer les conclusions en renforçant ce type de communautés pour leur permettre de se hisser au niveau de la concurrence mondiale.

Quant aux pôles métropolitains, dont on parle peu, j’y vois une innovation fort intéressante, qui ouvre la voie à des coopérations entre agglomérations dont le poids démographique ou la cohérence spatiale seraient insuffisants pour former une communauté urbaine mais qui ont néanmoins de grands projets à mener en commun.

Plus largement, la réforme de l’intercommunalité concerne la France entière à travers cette nouvelle loi. La rationalisation de la carte intercommunale va considérablement changer l’organisation locale, partout en France. Cette évolution est nécessaire, et ne peut aboutir sans que l’État soit à la manœuvre.

M. Michel Ménard. Et il est bien à la manœuvre !

Mme Christine Marin. Dans les années 90, c’est l’État qui a fait de l’intercommunalité ce qu’elle est aujourd’hui, avec ses réussites – qui furent grandes –, mais c’est aussi l’État qui a refusé de mettre un certain ordre, une certaine logique dans son développement. Sans doute était-ce justifié à l’époque, mais aujourd’hui cette page doit être tournée. Aux communautés de circonstance ou d’affinité doivent succéder des communautés fortes, à la dimension des vrais bassins de vie. L’État doit assumer la responsabilité qui est la sienne dans cette affaire. Bien entendu, la concertation doit être la plus nourrie possible. Mais il est certain que rien ne se fera sans que l’État fixe un calendrier et un processus de décision.

Je terminerai en abordant la question des finances locales. Elles dépassent le cadre de ce texte, mais elles font l’objet d’une certaine actualité. Je comprends l’inquiétude des élus locaux quant au devenir des finances des collectivités, mais notre démocratie mérite un peu plus de compréhension entre l’État et les territoires. Sachons, les uns et les autres, nous rappeler que nous sommes tous sur le même navire et que, dans tous les cas, il s’agit de l’argent des Français. Dédramatisons des affrontements parfois surjoués qui ne trompent pas nos compatriotes. La France ne sera pas forte sans ses territoires, et réciproquement. Nos territoires méritent une organisation renouvelée pour donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est très largement ce à quoi aboutit cette réforme, et c’est pourquoi je souhaite qu’elle réussisse.

M. Émile Blessig. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Vauzelle.

M. Michel Vauzelle. Monsieur le président, mes chers collègues, vous avez devant vous, pour reprendre votre terme, monsieur le secrétaire d’État, « un OVNI ». J’ai été repéré pour la première fois par l’observatoire de Saint-Michel-de-Provence en 1998 (Rires)  ; puis on m’a repéré à nouveau en 2004 ; la dernière fois que l’on m’a vu, c’était en mars de cette année.

M. Bernard Derosier. L’OVNI a été désintégré !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Mais non, il est vivant ! (Sourires.)

M. Michel Vauzelle. De plus, je représente un espace non identifié, puisque M. Hortefeux a dit ici même qu’il voyait bien ce qu’était l’Auvergne ou la Bretagne, mais qu’il ne comprenait pas du tout ce qu’était PACA.

M. Bernard Derosier. Il ne comprend pas grand-chose !

M. Michel Vauzelle. Je lui ai répondu qu’on pouvait en effet penser à une montagne péruvienne qui s’appellerait Pacacumac, ou à une boisson gazeuse, le Pacacola (Sourires) . Mais je tiens à vous rassurer, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit d’une terre de France, qui s’appelle Provence-Alpes-Côte-d’Azur, où vivent cinq millions d’habitants. Pour des raisons que vous comprenez, je les ai, moi, bien identifiés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

De toute façon, de tels OVNI sont aujourd’hui condamnés. Il n’est donc plus temps de savoir ce que nous sommes. Le Président de la République a en effet décidé de supprimer les régions et les départements. Ce sera fait puisque, et c’est normal, l’UMP obéit au Président de la République. Il ne gardera plus que les conseils du même nom. Mais que seront ces instances sans conseillers régionaux et sans conseillers généraux, sans finances, sans compétences, aux ordres de l’État ? Il n’y aura dans ces coquilles vides aucun élu pour y remplir les fonctions singulières qui sont celles de gérer un département ou une région, responsabilités de surcroît très différentes, comme on l’a répété ici suffisamment.

Le département est dans une grande proximité avec les communes. Aussi, au lieu de forcer la formation du couple région-département, que dis-je, le mélange entre conseillers régionaux et généraux, aurait-on pu imaginer de rapprocher conseils municipaux et conseils généraux.

De plus, en supprimant les conseillers régionaux, vous supprimez une assemblée qui représente, à travers le scrutin de liste régional, la diversité politique de la population, et qui surtout assure, conformément à la deuxième phrase de l’article 1 er de la Constitution que vous allez violer, la présence à parité des femmes en son sein.

La fonction singulière des conseillers régionaux est de dégager une vision globale du devenir. Par exemple, dans ma région de cinq millions d’habitants, ils ont pris conscience, depuis maintenant plus de douze ans, de leur communauté de destin, de la communauté de destin de la région. En raison de sa position géographique très particulière, seule celle-ci peut porter l’ensemble des problématiques situées au carrefour de l’Europe et de la Méditerranée et au cœur de l’arc latin. C’est très important. Une commune ou un département seul ne pourrait pas remplir ce rôle, ni au niveau national ni au niveau européen. Songez que nous sommes membres d’une euro-région, et je me demande ce que feront demain vos conseillers territoriaux.

La suppression des conseillers régionaux et généraux est également contraire à l’article 72 de la Constitution – on l’a suffisamment dit pour ne pas avoir à insister.

Seules donc les communes garderont la compétence générale. Quelle dérision, puisqu’elles n’auront plus les moyens d’exercer une quelconque compétence !

Heureusement, il y aura les métropoles ! Elles remplaceront tout le vieil attirail, identifié sous le nom de millefeuille, terme plutôt sympathique mais que vous voulez rendre antipathique à la population – et vous y avez réussi. Quant au terme même de « métropole », il est ambigu. Toute région a évidemment besoin d’une métropole pour la pousser en avant, pour l’incarner, mais le terme peut également concerner des métropoles d’un autre type : ces mégapoles qui se créent de manière anarchique dans les grands pays ultralibéraux où règne la richesse dans les quartiers résidentiels, dans les campus d’excellence pour l’élite étudiante et dans les quartiers d’affaires, le reste étant en général formé de quartiers abandonnés à eux-mêmes, sans services publics de proximité et où l’on se débrouille entre deux interventions des forces de l’ordre. Ce n’est bien entendu pas ce que vous voulez pour la France, mais c’est ce que les grands pays ultralibéraux ont engendré. Nous devons donc nous méfier de l’ambiguïté de la métropolisation.

Pour les autres collectivités, le Gouvernement a su trouver le mot qui tue : le célèbre millefeuille. Les médias ont adoré, et les gens ont cru à ce mensonge honteux. Il n’y a pas de millefeuille en France : il n’y a qu’un « trois-feuilles ». Les deux premières feuilles sont constituées par la commune et le département. J’ai évoqué leur grande proximité. Le couple fonctionne bien, et les gens auraient apprécié la création d’un pôle département-commune. Une réforme en ce sens aurait été la bienvenue. Mais pour vous, il s’agissait de tuer, au sens propre du terme, les départements et les régions. Vous avez donc décidé d’en faire un mélange incompréhensible, qui sera demain illisible, alors que les conseillers régionaux et les conseillers généraux n’ont pas la même fonction ni la même culture. Ce n’est pas le couple région-département qu’il faudrait créer, mais le couple État-région. Il aurait toute sa raison d’être et, comme pour le pôle département-commune, c’est sur l’organisation du pôle État-région que l’on vous attendait.

En effet, la région n’est pas un OVNI, son président non plus. Si près de vingt-deux millions d’électeurs se sont déplacés lors des dernières élections régionales, ce n’était pas seulement pour sanctionner le pouvoir UMP ou lui lancer un avertissement, mais pour élire un président de région bien identifié, qui conduise avec sa majorité une politique tenant compte des spécificités régionales – par exemple, dans ma région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la communauté de destin d’une grande région méditerranéenne de cinq millions d’habitants. Que vingt-deux millions de Français se soient intéressés au scrutin, ce n’est pas rien, et cela contribue à conforter l’institution régionale. Dans ma région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, je le disais, il s’agit de prendre en compte la communauté de destin d’une grande région méditerranéenne de cinq millions d’habitants soucieux de développement économique, de qualité de vie et d’environnement, et de la défense d’une identité culturelle très riche qui est d’un apport considérable pour la préservation de l’identité culturelle nationale.

La région est l’espace pertinent où l’on a la possibilité d’aménager un territoire plus vaste qu’une commune, un département ou une métropole, tout en travaillant cependant dans la proximité avec les problèmes des communes, des départements, des associations, des petites et moyennes entreprises, mieux que depuis Paris ou Bruxelles. Dans ce cadre démocratique, la région est ainsi le partenaire idéal de l’État pour les grands investissements d’intérêt régional, national et souvent international – je pense à la liaison ferroviaire Marseille-Turin par Montgenèvre, ou bien à ITER, en Provence, un investissement unique au monde et pour lequel ma région est sollicitée financièrement. Le contrat État-région souligne et ce rôle, et ce couple. Le travail du conseiller régional est donc, comme celui du conseiller général, un travail à plein temps, et la réponse adéquate à un mandat très particulier qui ne peut être celui donné par les habitants d’un canton.

Le système ne fonctionne pas mal, mais il nécessitait bien entendu des réformes, tout le monde en était d’accord, pour accroître la décentralisation. C’est le sens de l’histoire si l’on en juge par l’évolution des pays voisins et des démocraties du monde entier. Il ne s’agit donc pas d’un objet non identifié, dit millefeuille, mais de trois feuilles : commune, département, région. En Espagne,…

M. Dominique Perben, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République . Est-ce un modèle pour vous, monsieur Vauzelle ?

M. Michel Vauzelle. …pays où les régions sont très puissantes, on a conservé les communes et les départements – les diputaciones –,…

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Ce n’est pas un bon exemple !

M. Michel Vauzelle. …ce qui a un intérêt pour la démocratie espagnole.

M. Michel Piron. Ça n’a rien à voir avec la France : il n’y a que 1 500 communes en Espagne !

M. Michel Ménard. Voulez-vous en supprimer en France, monsieur Piron ?

M. Michel Vauzelle. Il en est de même en Italie, où les régions sont également très puissantes, au point de songer au fédéralisme – ce que nous refusons absolument pour la France, qui doit, pour conserver sa force, rester évidemment très attentive à défendre l’unité et l’indivisibilité de la République. En Italie, il y a toujours, outre les régions, des communes et des départements, appelés « provinces » ; pas de millefeuille, donc, mais trois feuilles, comme en France. Tous les pays qui tentent d’entrer en démocratie commencent, on le voit dans ce qu’on appelait autrefois le tiers-monde, par la démocratie locale, des élections municipales et régionales. Or en France, vous nous proposez de faire l’inverse. Le choix de l’UMP est un choix de société. Il consiste à priver les collectivités de moyens fiscaux, puis à geler les financements, c’est-à-dire à diminuer les dotations d’État – ce qui vient d’être annoncé –, et enfin à réclamer de l’argent aux collectivités locales qui n’en ont pas pour des tâches que l’État devrait accomplir mais pour lesquelles il n’en a pas lui-même.

Tout en demandant cet argent aux régions, on crie au secours parce que les élus locaux gaspilleraient l’argent en soutenant les associations sportives et culturelles ou en équipant les territoires afin de permettre leur développement économique, soutenant par la même occasion l’activité des petites et moyennes entreprises et l’emploi.

En réduisant le nombre des fonctionnaires, la révision générale des politiques publiques a réduit l’État, tenté par la privatisation, et supprimé des services publics qui sont pourtant l’expression de l’idéal républicain d’égalité et de solidarité : éducation nationale, santé publique, police, justice, services postaux, transports publics.

Avec ce texte, le Gouvernement suit la même philosophie politique qu’avec la RGPP : les services publics étant trop chers, il faut réduire le nombre des fonctionnaires ; les élus locaux étant trop chers, il faut réduire leur nombre.

Si les élus coûtent trop cher et dépensent trop pour équiper le pays, il faut en supprimer la moitié. C’est ce que vous faites. Pourquoi pas davantage ? Pourquoi ne pas diviser leur nombre par trois ou quatre ? Pourquoi ne pas garder simplement les élus de quelques grandes métropoles et gérer le reste avec les préfets de région, qui remplaceraient – comme c’est déjà le cas dans bien des domaines – les présidents de région et de conseil général ?

On croyait que la décentralisation allait dans le sens de l’histoire. Le général de Gaulle et le président Mitterrand, pour une fois d’accord, partageaient cette idée : pour se faire, la France a eu besoin de centralisation pendant les siècles ; pour ne pas se défaire, elle a maintenant besoin de décentralisation.

Au XVII e  siècle, la France s’est rendue célèbre par sa civilisation des jardins. Elle a aussi le même culte de l’harmonie dans ce que l’on pourrait appeler l’aménagement du territoire à la française. La création du conseiller territorial fleure bon l’Ancien Régime. Paris et Versailles géraient les territoires de province et les colonies grâce aux gouverneurs, appelés préfets de région de nos jours.

Le conseiller territorial – c’est lui l’OVNI, monsieur le secrétaire d’État – sera comme la chauve-souris de La Fontaine : tantôt souris tantôt oiseau, tantôt conseiller régional tantôt conseiller général ; il ne sera finalement ni l’un ni l’autre.

Il viendra à la région, une fois de temps en temps, observer le marché aux subventions, puis repartira avec son cabas plus ou moins plein. Il aura été un peu ennuyé de quitter son canton pour une assemblée inconnue mais peuplée. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, par exemple, il faudra un grand hémicycle à la chinoise pour accueillir 224 élus !

Alors que nous allons fêter l’union de Nice et de la France, je trouve la situation assez paradoxale : nous allons donner aux métropoles Nice-Côte-d’Azur – dont on voit bien les ambitions – et Marseille-Provence la possibilité de faire sécession. Ce serait le comble – je le dis avec beaucoup de tristesse – que deux régions se créent et que Nice entre en sécession et se sépare de la Provence, en cette année où nous fêtons son rattachement à la France. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

En tout cas, le Gouvernement a bien choisi son moment pour détruire l’édifice républicain de la démocratie de proximité. À l’époque où la mondialisation fait passer les souverainetés nationales sous la loi des grandes compagnies financières internationales, faisant ainsi mentir les proclamations de nos constitutions sur la souveraineté de la nation, les peuples souffrent non seulement des disciplines inhumaines que la crise financière leur impose – à eux et à leurs gouvernements – mais aussi d’un malaise dû à la déshumanisation de la société.

Votre Gouvernement devrait se rendre compte qu’on ne remplace pas sans dégât social et sans violence un être humain – par exemple un fonctionnaire ou un élu local de proximité – par une borne, un écran d’Internet ou un répondeur téléphonique.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire . Oh !

M. Michel Vauzelle. Si les riches n’imaginent même pas qu’il y a un peuple qui vit mal, la déshumanisation de la société démoralise les gens, qu’il s’agisse des personnes âgées qui perdent leurs repères humains, familiaux ou de voisinage avant même que l’on touche à leur retraite, ou qu’il s’agisse d’adolescents qui vont oublier dans la drogue ou l’alcool, l’absence d’emploi et souvent d’avenir, l’absence d’argent nécessaire, leur solitude.

Les républicains doivent entrer en résistance avec tous leurs élus, représentants de la nation et élus locaux, et réinstaller, là où l’on a peur, là où l’on est seul, des personnes humaines, élus ou fonctionnaires, qui offrent, avec compétence et cœur, un visage et une réponse humaine à tous ceux qui éprouvent de plus en plus le besoin vital d’être écouté, entendu, rassuré, aidé et respecté en tant que citoyens de la République française.

Telle est la philosophie de la République. C’est désormais la poursuite de la libération à laquelle nous invitait le Conseil national de la Résistance à la veille de la victoire.

Sitôt créé, le conseiller territorial sera paralysé. Viendra alors le temps d’abroger cette loi, de réunir des états généraux – ou un Grenelle comme on dit aujourd’hui – de la démocratie de proximité, afin de reprendre les voies de la République décentralisée et de la liberté, en tout cas de la liberté locale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Vannson.

M. François Vannson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la décentralisation a beaucoup apporté à notre pays. Elle a contribué à sa vitalité en renforçant les libertés locales, en libérant les énergies de nos territoires et en consacrant une forme nouvelle de gestion publique, plus proche de nos concitoyens.

Mais, s’il est important de souligner les vertus de la décentralisation, il n’est pas possible d’ignorer plus longtemps les défauts de notre organisation territoriale, qui se caractérise par un morcellement des compétences dans un paysage institutionnel fragmenté.

Aussi ne puis-je qu’apporter mon soutien entier à la volonté de simplification et de clarification souhaitée par le Président de la République et le Gouvernement et permise par le projet de loi soumis à notre discussion.

Cependant (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC) , même si je me réjouis cette démarche et de l’économie générale de ce texte, je tiens, monsieur le secrétaire d’État, à vous faire part de quelques réserves sur la façon dont ce projet de loi aborde la spécificité des territoires ruraux, et en particulier des territoires de montagne qui feront l’objet de mon intervention.

Alors même que le Premier ministre s’était déclaré favorable, devant le Conseil national de la montagne, à la prise en considération de la spécificité de nos territoires et à la nécessité d’adapter la réforme des collectivités territoriales à la montagne conformément à la loi de janvier 1985, plusieurs dispositions du texte adopté par la commission des lois apparaissent difficilement conciliables avec les besoins et les attentes des populations de montagne.

M. Henri Nayrou. Très bien !

M. François Vannson. En cas d’adoption, ces dispositions risquent de constituer un frein au développement de ces territoires.

Tout d’abord, concernant l’article 1 er et l’élection des conseillers territoriaux, je tiens à insister sur la nécessité de garantir une représentation minimale des territoires de montagne au sein de départements qui ont souvent une faible densité démographique et un territoire de grande superficie, entraînant d’importants surcoûts en termes d’aménagement du territoire.

Je pense donc qu’il est souhaitable, pour répondre aux impératifs de bonne administration du département par son assemblée délibérante, de prévoir un nombre minimal de vingt conseillers territoriaux par département.

En effet, il est crucial que les territoires ruraux et de montagne continuent de pouvoir s’appuyer sur des élus en nombre suffisant, véritables relais de proximité entre le département et le canton. Cela permettrait d’assurer le lien entre les niveaux départemental et régional, traduisant ainsi au mieux les attentes et les besoins de nos concitoyens.

De même, je soutiens l’idée selon laquelle les conseils généraux doivent être composés de conseillers territoriaux représentant non seulement la population mais également les territoires.

Ces territoires devront ainsi être définis par des critères prenant en compte la spécificité des zones de montagne sur la base des cantons. Il importe, en effet, de garantir le lien entre chaque élu siégeant dans les assemblées départementales – et donc régionales – avec une portion identifiable du territoire.

En outre, le droit à la libre administration des collectivités territoriales doit être respecté, ce qui interdit de soumettre la création de structures intercommunales à des seuils quantitatifs dont l’application uniforme à l’ensemble du territoire se révélerait inadaptée à la réalité des zones montagneuses.

Je fais ici allusion à l’article 16 du projet de loi qui fixe un seuil de 5 000 habitants pour créer un EPCI. Ce seuil n’est pas compatible avec les réalités géophysiques des zones de montagne, qui risqueraient d’être intégrées systématiquement à de grands ensembles globalement étrangers à leurs problématiques. Pour information, au 1 er  janvier 2009, 21 % des communautés de communes regroupaient moins de 3 000 habitants.

J’aimerais ensuite attirer votre attention sur l’article 35 quater du projet de loi.

M. Henri Nayrou. Eh oui !

M. François Vannson. Ce nouvel article adopté par la commission des lois pose le principe du non-cumul des subventions d’investissement et de fonctionnement des départements et des régions.

M. Henri Nayrou. Écoutez bien, messieurs les rapporteurs ! Cela vient de l’UMP, pas d’un parti révolutionnaire !

M. François Vannson. Si cette disposition venait à entrer en vigueur, de très nombreux projets, dans des domaines stratégiques tels que l’aménagement et le développement du milieu rural, risqueraient de ne jamais voir le jour, dans la mesure où leur réalisation repose sur des financements multiples ou croisés.

M. Henri Nayrou. Je vais en rajouter une couche tout à l’heure !

M. François Vannson. Enfin, toujours dans cette logique de protection de la spécificité des territoires de montagne, il serait souhaitable, dans l’hypothèse d’un constat de carence d’une collectivité territoriale, que les départements et régions dont le territoire comprend des zones de montagne disposent d’une capacité d’initiative, limitée dans la durée, afin de garantir les solidarités sociales et territoriales.

M. Henri Nayrou. Très bien !

M. François Vannson. En effet, il est à craindre que, compte tenu des nouvelles règles de répartition des compétences et de représentativité, certaines collectivités soient réticentes à réaliser des investissements dans des zones reculées.

Avant de conclure, je tiens à préciser que toutes les propositions que je viens d’énoncer sont partagées par une grande majorité des élus de la montagne, toutes tendances politiques confondues. Ils feront notamment l’objet d’amendements défendus par notre collègue Vincent Descoeur.

Je compte sur vous, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, pour faire que ce projet de loi reconnaisse véritablement la spécificité des zones de montagne et permette ainsi de veiller au mieux au développement de ces territoires. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Henri Nayrou. Très bien ! On pourrait presque vous applaudir !

M. le président. La parole est à M. Henri Nayrou.

M. Henri Nayrou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, votre réforme est à l’organisation territoriale ce que le bouclier fiscal est à votre credo d’impôt : politique, cynique et inutile. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je vais le démontrer, tour à tour comme député socialiste d’un département rural, comme ancien maire toujours conseiller général, et comme président de l’ANEM, cette association des élus de la montagne qui est à la fois loyale et déterminée.

M. Michel Piron. Saint Bernard en croisade !

M. Henri Nayrou. La première question, faussement ingénue, qui vient à l’esprit est celle-ci : auriez-vous pris le risque de lancer un tel chantier bouleversant autant la gouvernance territoriale et l’esprit de la décentralisation si l’UMP avait conservé les rênes des régions et des départements de France ?

M. Jean-Paul Chanteguet et M. Michel Ménard. La réponse est non !

M. Henri Nayrou. Poser la question équivaut à y répondre, donc à conclure que votre choix est d’abord politique…

M. Michel Ménard. Les électeurs ont mal voté !

M. Henri Nayrou. …et que la critique doit être logique et implacable.

Très tôt, le Président de la République a utilisé la bombe démagogique…

M. Bernard Roman. Idéologique, politicienne !

M. Henri Nayrou. …en annonçant au bon peuple qu’on allait passer de 6 000 à 3 000 élus. « En voilà une idée qu’elle est bonne ! » se sont alors dit les citoyens alléchés, mus par l’un de ces vieux réflexes anti-élus qui frise avec le populisme.

L’argument a fait mouche. En regardant les chiffres, tout à l’heure, on va s’apercevoir qu’il a fait « pschitt ».

M. François Vannson. Il se chiraquise ! (Sourires.)

M. Henri Nayrou. Comme l’a clamé Jean-Pierre Balligand hier à cette tribune, il s’agit d’une opération visant à abaisser gravement l’action publique sur les territoires, et qui finira par avoir des incidences néfastes au niveau des citoyens.

M. Alain Cacheux. C’est clair !

M. Henri Nayrou. Les sénateurs, qui sont des connaisseurs, ne s’y sont pas trompés. Votre texte est passé avec à peine 19 voix d’écart, et l’on peut même envisager un tout autre résultat quand il reviendra au palais du Luxembourg, lesté de ce qui est passé sous le nez du Sénat en première lecture, c’est-à-dire le nombre de conseillers territoriaux par département, la dévolution des compétences et les circonvolutions sur le mode de scrutin.

Même de nombreux députés UMP tressaillent à l’idée de revenir chez eux avec ces encombrants conseillers territoriaux, élus hybrides venus de nulle part et se dirigeant vers nulle part.

M. Michel Vauzelle. Voilà !

M. Henri Nayrou. Entre nous, fusionner les mandats de conseiller régional et de conseiller général me paraît aussi cohérent que d’accoupler un rhinocéros avec une lampe à souder. (Rires.)

Qu’il faille réformer l’organisation actuelle et qu’il soit utile d’ancrer davantage le conseiller régional dans son territoire sont deux évidences que je fais miennes ; mais regrouper deux mandats aux ADN aussi différents est une aberration : l’un est axé sur la stratégie, le conseiller régional devant assumer sa fonction d’élu représentatif d’un territoire tel que la région Midi-Pyrénées, qui est aussi grand que la Belgique ; l’autre repose sur la proximité avec les citoyens, surtout après les lois Raffarin de 2004. Bref, une telle invention n’a pu germer que dans un grand cerveau qui n’a découvert la diversité des territoires français que sur un écran d’ordinateur ; et si ce n’est pas un grand cerveau, c’est Machiavel ou l’un de ses proches parents…

Comment pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, justifier une expérimentation aussi hasardeuse ? N’invoquez pas une cohérence nouvelle, les mécanismes des contrats de plan entre État, région et département y pourvoient déjà, et les choix y sont d’ailleurs plus techniques que politiques. N’invoquez pas non plus la simplification, car votre nouvel article 35, monsieur le rapporteur, prévoit des passerelles, des conventions et autres bazars qui vont rendre encore plus complexes les rapports entre les différentes collectivités. N’invoquez surtout pas les économies d’échelle, car les représentations qui ne seront plus assurées par les élus pour cause de cumul devront l’être par d’autres, des fonctionnaires, par exemple. Si ce projet de loi passe, nous ferons les comptes.

Gardez-vous aussi d’invoquer la clarté et la vertu : dans le même article 35, vous condamnez les financements croisés, à l’exception et à l’avantage de l’État, maître d’ouvrage. N’invoquez pas, enfin, les procès d’intention quand vous nous sortez des amendements au crépuscule : celui du Gouvernement sur le mode de scrutin et celui de M. Perben sur la répartition des compétences, deux sujets qui étaient programmés ultérieurement dans des textes gigognes, sans parler de la découverte subite, mardi soir, d’un dernier amendement du Gouvernement sur le nombre de conseillers supposés territoriaux, tableau qui était jusqu’alors classé « secret défense ». (Rires sur les bancs du groupe SRC.) C’est assurément le genre d’attention qui va plaire au Sénat !

L’examen de ce tableau est d’ailleurs significatif de la nature cachée de la réforme. Rappelez-vous l’histoire des 6 000 conseillers qui deviendraient 3 000 ! Que révèle donc le premier bilan ? Il y aurait à peine 500 élus de moins siégeant dans les départements, mais deux fois plus de conseillers régionaux : 3 471 contre 1 757. Trois régions verraient le nombre de leurs élus presque tripler :…

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Vous avez mal regardé !

M. Henri Nayrou. …la Champagne-Ardenne – 138 sièges contre 49 aujourd’hui –, l’Auvergne bien traitée par les traiteurs – 144 sièges contre 47 – et la région Midi-Pyrénées – 255 sièges contre 91 – (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) ,…

M. Bernard Roman. Scandaleux ! C’est magouille et compagnie !

M. Henri Nayrou. …ce qui pourrait déboucher sur des réunions plénières au Stadium de Toulouse ! Onze autres régions verraient leurs effectifs doubler : l’Aquitaine, la Bourgogne, la Bretagne, le Centre, la Franche-Comté, le Languedoc-Roussillon, le Limousin, la Basse-Normandie, le Poitou-Charentes, les régions PACA et Rhône-Alpes. « Tout ça pour ça ? », a-t-on envie de vous demander.

Je vais à présent m’exprimer au nom de l’ANEM, l’Association nationale des élus de la montagne, au sein de laquelle s’expriment au mieux les inquiétudes et au pire la colère. Il est clair que, pour les élus de la montagne, le compte n’y est pas, et je ne sais quelle frénésie de verrouillage gouvernemental a même fait passer à la trappe les promesses du Premier ministre, lesquelles, sur le fondement de l’article 8 de la loi « montagne » de 1985, reconnaissaient à nos territoires le droit à la spécificité et à l’expérimentation.

Au nom de cet engagement du 3 novembre dernier, l’ANEM avait exprimé certaines exigences de bon aloi et de bonne gouvernance pour les zones de montagne : pas de seuil minimum de population pour créer une intercommunalité ; création de collèges de montagne dans les communautés de communes de grand volume ; aménagement, au nom de la solidarité territoriale et sociale, de la clause générale de compétences afin que les départements puissent se porter au secours des collectivités de montagne ; enfin, fixation d’un seuil réaliste pour les communes aux faibles ressources dans le cadre des financements croisés.

Toutes ces demandes ont été rejetées par la commission des lois et le rapporteur, tout comme les maigres avancées obtenues au Sénat. Pire, le sinistre article 35, tel qu’il a été réécrit, signe l’arrêt de mort des petits territoires en interdisant les chevauchements et le cumul des financements entre région et département – sauf pour Sa Majesté l’État – et en fixant, pour les maîtres d’ouvrage publics, des pourcentages d’intervention si élevés qu’ils vont stopper tout investissement. Du Bercy pur sucre ! Vous comprendrez donc aisément pourquoi l’ANEM a fait part de son insatisfaction dans un récent communiqué, et que les députés de la montagne, de droite comme de gauche, aient exprimé les mêmes sentiments, comme nous venons de l’entendre avec M. Vannson. Alors, feu sur l’article 35 !

Mais le pire est à venir. Même si le texte ne le mentionne nulle part, la messe est dite : c’est la mort des faibles, la fin d’une représentation crédible des zones rurales et de montagne de faible densité, la fin de la solidarité et de la péréquation, la disparition par effacements successifs des départements, la mort des territoires ruraux par asphyxie financière, la fin de l’aménagement du territoire, bref, de la diversité à la française. Votre carte de France, après la réforme, monsieur le secrétaire d’État, ce sont des déserts entre deux métropoles.

J’entends d’ici vos complaintes : vous critiquez, nous reprocherez-vous, et ne proposez rien. Eh bien, s’il faut une réforme, je vous en soumets une, plus logique, plus efficace et plus en harmonie avec la réalité des territoires. Il faut, non pas fusionner conseillers régionaux et généraux, mais conseillers généraux et délégués d’intercommunalité. Pour en être convaincu, monsieur le secrétaire d’État, il suffit de regarder notre paysage institutionnel. Les cantons ont deux cents ans d’âge : dessinés à angles droits sur certains plans de villes, ils sont même, dans le monde rural, dépassés en légitimité par les communautés de communes, lesquelles ont sur eux l’avantage d’être des territoires neufs, définis selon des critères récents, et plus axés sur la logique du développement que sur celle du guichet.

Convenez que, si les conseillers généraux sont aussi très souvent des présidents ou des membres d’exécutif d’intercommunalité, c’est tout simplement parce qu’ils œuvrent sur le même créneau, celui de la proximité. Cette cohérence a la clarté de l’eau de roche, alors que la vôtre… Tout cela pour vous dire que les départements, dont je reste un chaud et lucide partisan, assureraient mieux leur avenir en fédérant leurs communautés de communes qu’en se diluant dans les régions.

Je m’en voudrais enfin, monsieur le secrétaire d’État, de ne pas évoquer les conséquences de la réforme sur la délimitation des territoires électifs de 2014 : un tel choix, dans mon plan B, était confié aux élus de terrain, lesquels ont d’ailleurs déjà tracé les grandes lignes de ces territoires au fil de l’action communautaire. Dans votre réforme, la décision reviendra aux ciseaux de Beauvau. Inutile de vous faire un dessin… (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

M. Bernard Roman. Ah ! La cause des femmes, la vraie !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons en première lecture le projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Je souhaite tout d’abord saluer la volonté de réforme du Gouvernement et la création du conseiller territorial. Il faut en effet moins d’élus, et des élus plus proches de nos concitoyens.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Le texte propose l’inverse !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Toutefois, alors que nous nous apprêtons à débattre du principe même du conseiller territorial, nous posons, par anticipation, la question de son mode d’élection. En effet, le Sénat a souhaité en inscrire les grands principes dans le texte, et l’amendement du Gouvernement adopté en commission des lois est venu préciser ce mode de scrutin, qui serait donc uninominal majoritaire à deux tours. C’est à ce sujet que je souhaite émettre une réserve. Nous avons besoin d’élus de proximité, oui ; mais nous avons aussi besoin d’assemblées paritaires.

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Cette réforme ambitieuse ne peut se faire au détriment de la parité.

De fait, le mode de scrutin qui figurait dans le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, présentait déjà un défi pour la parité en politique, en combinant 80 % d’élus au scrutin uninominal à un tour dans le cadre du canton, et 20 % au scrutin de liste à l’échelle du département. Les projections que j’avais effectuées lorsque je présidais l’Observatoire de la parité étaient en effet sans appel : d’après ces estimations, à peine plus de 17 % de femmes auraient pu siéger dans les assemblées des conseils généraux et régionaux en 2014.

Toutefois, on peut d’ores et déjà imaginer les conséquences non moins importantes du scrutin uninominal à deux tours. J’en parle avec d’autant plus de liberté que j’ai moi-même été élue selon ce mode de scrutin, auquel je reconnais des qualités certaines. Mais force est de constater qu’il est pénalisant pour la parité. Actuellement, seules 13 % de femmes élues au scrutin uninominal à deux tours siègent au sein de nos conseils généraux ; en outre, le choix du ticket paritaire les assigne, la plupart du temps, aux postes de suppléance.

M. Bernard Roman. Eh oui, elles ne font souvent que de la figuration !

Mme Marie-Jo Zimmermann . Les mêmes effets produisant assurément les mêmes conséquences, ce pourcentage nous donne un aperçu de la composition de nos futures assemblées. On peut même être plus pessimiste encore : l’instauration du conseiller territorial divisant la classe politique territoriale par deux, on peut imaginer que de nombreux hommes chercheront avant tout à préserver leur siège, renvoyant l’exigence d’une gouvernance équilibrée à d’autres rendez-vous électoraux.

M. Bernard Roman. Bien sûr !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Les femmes risquent donc de se heurter à une plus grande résistance.

M. Bernard Roman et M. Michel Vauzelle. Tout à fait !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Combien de conseillères territoriales compterons-nous en 2014 ? Les projections exactes fondées sur le mode de scrutin adopté par la commission n’ont pu, faute de temps, être réalisées. Mais on sait déjà que les résultats risquent de balayer l’ensemble des efforts produits par tous les parlementaires qui œuvrent depuis dix ans, au fil des révisions constitutionnelles et des lois, en faveur d’une juste représentation des femmes dans toutes les assemblées. Comme vous le savez, les femmes représentent 52 % de l’électorat. Si les assemblées territoriales devaient compter demain 80 % d’hommes, elles ne seraient pas représentatives de la société française.

M. Bernard Roman et M. Michel Vauzelle. Très juste !

Mme Marie-Jo Zimmermann. David Cameron a d’ailleurs fait entrer des femmes dans son gouvernement, jugeant qu’il fallait en finir avec les assemblées « trop mâles et trop pâles ». (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Limiter, certes involontairement, l’accès des femmes aux assemblées territoriales, est regrettable non seulement pour nos collectivités, mais aussi pour la parité politique au niveau national. Pour les femmes comme pour les hommes qui souhaitent s’engager en politique, l’exercice d’un mandat territorial forme souvent une première expérience précieuse avant de se consacrer à d’autres responsabilités. Même si l’intention d’ouvrir aux femmes les conseils municipaux des petites communes est louable, cette mesure n’est pas compensatoire.

Mme Marylise Lebranchu. Et voilà !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Elle revient à réserver aux femmes des fonctions bénévoles, loin des collectivités qui décident de l’avenir de nos territoires.

Mme Marylise Lebranchu. Tout à fait !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Quant à la loi du 31 janvier 2007 portant obligation de parité dans les exécutifs régionaux, faudra-t-il, monsieur le secrétaire d’État, l’abroger faute de femmes élues ?

M. Bernard Roman. Bonne question !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je rappelle d’ailleurs que le Sénat avait posé le principe de parité comme impératif préalable au choix du mode de scrutin, conformément à l’esprit de l’article 1 er de la Constitution aux termes duquel : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. » L’Assemblée s’honorerait de ne pas déroger à cet impératif.

Il s’agit d’un exercice difficile, je le sais. Si les sanctions financières permettent d’apporter un correctif dans le cadre d’élections nationales, ce dispositif est à mon sens inadapté aux élections locales, auxquelles de nombreux candidats se présentent sans étiquette de parti.

M. Jean-Pierre Grand. Heureusement, d’ailleurs !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Lier le financement des partis au respect de la parité pour les élections des conseillers territoriaux déboucherait sur des investitures au niveau national, ce qui serait tout à fait regrettable. Le meilleur levier d’action reste donc le mode de scrutin.

C’est pourquoi j’ai déposé un amendement proposant un mode de scrutin mixte : scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans les cantons ruraux, scrutin de liste à la représentation proportionnelle dans les cantons urbains. En effet, les grandes agglomérations comptent de nombreux élus de proximité : les maires, les adjoints, les conseillers municipaux. Ce besoin n’est donc pas aussi prégnant que dans les cantons ruraux. La solution alternative que je propose permettrait de conserver les acquis de la parité grâce à la proportionnelle, tout en assurant la présence d’élus de proximité et d’une majorité stable dans les assemblées.

Mes chers collègues, la question de la parité ne peut rester sans réponse. Nous ne voulons pas en être les fossoyeurs. Nous ne voulons pas faire un grand pas en arrière, au détriment de nos convictions et des engagements que, les uns et les autres, nous avons pris depuis de nombreuses années. Cela ne tient qu’à vous, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP, NC et SRC.)

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’associe à mon propos Martial Quénach de Quivillic, ancien maire de l’Île-de-Batz, qui vient de nous quitter et qui expliquait si bien qu’il passait presque tout son temps de maire à essayer de boucler ses dossiers entre exigences normatives de l’État et absence de financement du même État compensée par départements et régions.

Monsieur le secrétaire d’État, attaquer les collectivités locales, c’est interrompre brutalement un processus de modernité.

Sieyès proposa en 1789 une nouvelle organisation de la France. Il s’agissait de constituer « un [seul] grand peuple, régi par les mêmes lois et dans les mêmes formes d’administration ».

En 1974, après l’échec de 1969 sur lequel je reviendrai, les régions deviennent établissements publics.

Quant à la première décentralisation, évoquée par nombre de mes collègues, impulsée par François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre,…

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Et le général de Gaulle et Olivier Guichard ?

Mme Marylise Lebranchu. Je citerai le général de Gaulle, auquel je rends hommage dans cette perspective de régionalisation. Il est bon, en outre, qu’un débat s’ouvre enfin avec vous, monsieur le secrétaire d’État !

M. Alain Cacheux. Pour une fois, M. le secrétaire d’État réagit !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. J’écoute respectueusement !

Mme Marylise Lebranchu. Cette première décentralisation, disais-je, avait pour objet de remettre en mouvement une société bloquée en inaugurant une nouvelle citoyenneté, dont avait parlé, monsieur le secrétaire d’État, le général de Gaulle en 1968.

Réformer l’organisation de la France n’est donc pas une mesure technique. Cela s’inscrit dans une démarche globale. Il conviendrait que le Gouvernement puisse enfin nous dire l’objectif politique qu’il cherche à atteindre par ses réformes.

Pour l’instant, nous n’avons que l’accumulation de bribes iniques : révision de la constitution, révision générale des politiques publiques, suppression de la taxe professionnelle, sans parler du déménagement du territoire provoqué par l’élaboration, dans les ministères, des cartes judiciaire, hospitalière, militaire, sans parler non plus de la mise en concurrence systématique des territoires par les appels à projet pour l’université, le grand emprunt, etc.

M. Jean-Michel Villaumé. Très bien !

Mme Marylise Lebranchu. Les contradictions internes de ces bribes de réformes illustrent leur caractère velléitaire. Par exemple, tout le monde en a parlé, on nous a rabâché que le millefeuille prétendument typiquement français comptait trop d’échelons, mais, à l’arrivée, avec ce projet de loi, le Gouvernement en ajoute encore deux : l’échelon métropolitain et l’échelon « pôle métropolitain ».

De même, le Gouvernement veut-il aider les élus départementaux et régionaux à être plus efficaces ? (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC.) Veut-il les aider à mieux remplir le mandat que les citoyens leur ont confié, en étant plus disponibles, plus assurés juridiquement, en bénéficiant d’un statut qui leur permette de retrouver leur emploi ? (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC.) Non : il veut simplement réduire leur nombre de moitié.

M. Alain Cacheux. Scandaleux !

Mme Marylise Lebranchu. Eh oui ! Dans ce domaine aussi, le Gouvernement se recroqueville sur la politique du chiffre.

Décidément, le chiffre est mauvais maître car, sur les 560 000 élus locaux français, le Gouvernement s’est focalisé sur les 6 000 élus régionaux et départementaux. Pourquoi donc ? Les élus des communes et des communautés ne sont-ils pas dignes d’intérêt ? N’ont-ils pas, eux aussi, besoin de meilleures conditions, plus équitables, pour mieux exercer leur mandat ?

Comme tant d’annonces du Gouvernement, cette politique du chiffre s’évaporera dans le fonctionnement concret et réel. Il est physiquement impossible de participer simultanément aux exécutifs d’un conseil général et d’un conseil régional. Certains éminents représentants de l’UMP ont commencé, dans la presse, à envisager que les suppléants puissent siéger. Ainsi repasserait-on de 3 000 élus territoriaux à 6 000 : tout ça pour ça !

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Ceux-là n’ont pas lu le texte !

Mme Marylise Lebranchu. Sans doute, en effet, le Gouvernement a-t-il le pressentiment, sinon la pleine conscience, du fait que son projet d’organisation prend le contre-pied des attentes de nos concitoyens dans leur vie quotidienne. C’est assez logiquement, en fin de compte, qu’il a rejeté la motion référendaire déposée au Sénat. Faut-il y voir un début de lucidité ?

M. Bernard Roman. Espérons-le !

Mme Marylise Lebranchu. Le Gouvernement a-t-il, se souvenant de 1969, perçu les risques qu’il y a à toucher à l’organisation territoriale de notre République lorsqu’on est en perte de légitimité, coupé des aspirations de la Nation ?

M. Bernard Roman. C’est une vraie question !

Mme Marylise Lebranchu. Qu’il reprenne alors complètement son projet ! Au regard du besoin, dans notre monde en crise, de réformes efficaces et utiles, nous ne pouvons admettre le gâchis et la confusion que nous promet cette succession de textes.

Cette politique du chiffre méprise l’intelligence des Français et des élus locaux, elle méprise aussi la réalité de notre pays.

Si je fais allusion à notre monde en crise, ce n’est pas une figure de rhétorique. L’organisation de la démocratie de notre pays a des incidences sur notre croissance et sur notre développement. Le prix Nobel Amartya Sen a dû pouvoir le dire directement au Président de la République qui l’avait invité à travailler sur la mesure de la richesse. Citons cet homme, semble-t-il si écouté : « Bien que l’on se demande souvent si la liberté politique est propice au développement, ne passons pas à côté de cette idée capitale : les libertés politiques et les droits démocratiques sont des composantes constitutives du développement. »

La notion de droits démocratiques est cependant absente du texte du Gouvernement. N’est-ce pas, monsieur le secrétaire d’État ?

M. Michel Ménard. M. le secrétaire d’État n’écoute pas !

Mme Marylise Lebranchu. Votre réforme ressemble plutôt à la restructuration libérale d’une entreprise en difficulté : elle cherche dans des compressions d’effectifs la solution à des problèmes de gestion.

Le Gouvernement ne pourra cependant pas licencier les territoires, pas même ceux qui ont le mauvais goût de se trouver loin des métropoles ou de rencontrer de graves difficultés socio-économiques. Les collectivités territoriales ne sont pas des centres de profit que l’on peut fermer si les résultats trimestriels sont mauvais. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Votre caricature de démocratie illustre bien les propos de l’historien du droit Pierre Legendre : « La réflexion sur ce que nous appelons un État n’est plus. La gestion, la simple gestion, occupe le devant de la scène. Nous vivons de recettes, qui produisent les doctrines sucrées de notre temps et consolent la nouvelle mélancolie de l’Occident. »

M. Alain Cacheux. Elle en sait, des choses !

M. Bernard Roman. Quel talent !

Mme Marylise Lebranchu. Dans les territoires en difficulté, les élus locaux tiennent bon, malgré tout. Ils savent, eux, le lien entre démocratie et développement. Ils savent bien que les réponses à la crise ne viennent pas de la seule gestion, aussi irréprochable soit-elle. Ils savent qu’ils doivent faire émerger les projets portés par les hommes et les femmes qui habitent là, mobiliser leur énergie, retrouver espoir et fierté.

Les élus locaux veulent faire de la politique, et c’est noble ! Est-ce un crime aux yeux du Gouvernement ?

Si vous reconnaissiez l’importance, pour le pays tout entier, du travail politique des élus locaux, vous auriez cherché à les aider plutôt qu’à réduire leur nombre, vous auriez accru leurs prérogatives et leurs moyens, vous n’auriez pas réduit leurs marges de manœuvre.

Effet pervers de vos arbitrages, vous maintenez la clause de compétence générale mais, sous le masque trompeur de la rigueur, vous asphyxiez financièrement les collectivités. Celles-ci seront le bas de laine auquel le Gouvernement recourra pour respecter nos engagements européens en matière de dette.

Pourtant, oui, en étant « seulement » responsable des politiques sociales, on répond à des enjeux politiques majeurs. Il faut cependant, pour y parvenir, pouvoir faire des choix, en conscience, et les assumer devant les citoyens par l’impôt.

Cette liberté a disparu. Une de plus ! C’est le signe d’une défiance vis-à-vis des élus locaux, que ne fait qu’envenimer, dans ce contexte précis, la discussion sur la clause de compétence générale. Il faut donc rappeler que les élus locaux sont, tout autant que le Président de la République, les représentants du peuple et qu’ils doivent, à ce titre, pouvoir assumer leur éminente fonction politique.

En 2012, nous aurons un projet. Réfléchissons-y aujourd’hui. Approfondissement politique, mobilisation des énergies : c’est grâce à ces principes simples que nous retrouverons le sens historique d’une décentralisation que le Gouvernement appauvrit en la réduisant – tout le monde l’a démontré – à une manœuvre électoraliste et budgétaire. Ces finasseries tactiques ne parviendront qu’à faire obstacle au mouvement en faveur de la démocratie territoriale, mais ne parviendront pas à le tarir, car la décentralisation rappelle cette autre idée neuve : la démocratie repose avant tout sur la coopération sociale et sur le débat public. Ce ne sont pas seulement des textes de loi ou des périmètres institutionnels qui ont fait la décentralisation, c’est aussi l’envie qu’ont les gens de construire une société plus juste et plus respectueuse des différences et des créativités.

Les citoyens ont compris depuis longtemps qu’il faut pour cela une démocratie qui fonctionne bien et qui soit à l’échelle de leur action et de leur engagement, mais le Gouvernement a perdu ce fil d’Ariane. Je déplore qu’il fasse faire marche arrière, dans ce domaine aussi, à notre pays et à nos concitoyens.

Il nous revient à nous, forces de progrès, au-delà de notre résistance d’aujourd’hui, de nous préparer à mener la vraie réforme de l’organisation territoriale de la République.

Anticipons de, je crois, 696 jours. Que sera la réforme que nous devrons proposer pour remettre d’aplomb notre démocratie ? Les principes sont assez éloignés de la perfide réforme-patchwork que vous nous proposez.

La justice sociale et l’égalité des possibles entre les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence sur le territoire national, est, nous semble-t-il, le premier principe à partir duquel penser ce qui doit changer dans notre organisation territoriale. La qualité des services publics, par exemple, dépend beaucoup des moyens des collectivités. En outre, les territoires les moins denses doivent payer plus cher pour le même service ; je pense à Internet aussi bien qu’au transport scolaire.

Il faudra articuler le débat entre compétences et refonte de la fiscalité, pour s’assurer que les collectivités aient les moyens de leurs compétences. Il faudra également mettre en place des fonds de péréquation qui les fassent entrer dans un jeu solidaire propice au renforcement de la cohésion territoriale de la France. Dans ce cadre également, la construction d’infrastructures publiques, notamment de fibres optiques, doit permettre des péréquations tarifaires entre usagers, sur le modèle du prix unique du timbre, d’une grande modernité. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Le deuxième principe est l’efficacité de l’action publique, que nous devons à nos concitoyens. Je suis convaincue, malgré les allégations diffamatoires de certains membres du Gouvernement, que les collectivités locales sont bien gérées, mais nous devrons continuer, avec sérieux et respect, de chercher à améliorer l’efficacité publique dans son ensemble, notamment en évitant les doublons inutiles, par exemple avec les services de l’État.

Le troisième et dernier principe est celui de la qualité de démocratie locale. Je pense que nous pouvons progresser, en matière de diversité, de parité et de représentation politique. Améliorer la démocratie locale, c’est aussi permettre le vote des étrangers aux élections locales.

Enfin, comme il n’y a pas de démocratie sans élus, nous devrons régler dans la transparence, j’y insiste, la question de leur rémunération, de leur protection sociale, de leur protection juridique et de leurs conditions de retour dans la vie professionnelle.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Marylise Lebranchu. Voilà, rapidement esquissés, monsieur le secrétaire d’État, les principes d’une réforme de l’organisation territoriale de la République qui serait porteuse d’une vision et d’un avenir pour notre pays et notre démocratie. Voilà les principes que nous proposerons à nos concitoyens pour reprendre le sens de l’histoire et du progrès, lorsqu’ils auront refermé la porte sur le désordre proposé par le Gouvernement en guise de réforme des collectivités locales.

Le déroulement, quasi-populiste, est toujours le même. Un, je culpabilise : « les élus coûtent trop cher ». Deux, je crée une commission, et je mélange les propositions. Trois, je punis.

Nous avons déjà connu cela pour les franchises en matière de santé. Un, je culpabilise les malades, qui coûtent trop cher. Deux, j’examine en commission les propositions. Trois, je crée des franchises pour que les malades aident les malades.

M. Bernard Roman. C’est pareil pour tout : les jeunes, l’école…

Mme Marylise Lebranchu. Toujours la même technique : culpabilisation ; commission ; punition ! C’est médiocre.

M. Patrice Calméjane. La gauche, c’est plus d’impôt et pas d’analyse !

Mme Marylise Lebranchu. Dans 696 jours, il faudra parler à nouveau d’égalité, de justice et de collectivités territoriales. Peut-être serez-vous à nos côtés, monsieur le secrétaire d’État, car ce débat mérite mieux qu’un populisme rampant et qu’un texte sans fondement républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. En chansons !

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, nous sommes ici depuis plusieurs jours en tant qu’élus locaux et nationaux. Nous avons tous à peu près le même parcours et nous essayons de trouver un mode d’organisation de nature à redonner de l’élan à un pays qui n’en a plus et qui se trouve confronté à des difficultés – nous les ressentons tous.

La France est un pays singulier qui réunit des peuples, des patries et des nations, ce qui a sans doute fait beaucoup pour son universalisme. Après l’Ancien Régime et la Révolution, elle a institué l’État comme élément de référence absolue pour tous ses citoyens, car l’État, symbole de l’égalité des chances, pouvait envoyer des instituteurs dans tous les villages, fussent-ils petits. Les Français ont cru, même s’ils ont été très réticents, que c’était une bonne chose que nos Constituants forgent un territoire de destins.

Dans le même temps, il y a la contrepartie historique de l’apport des provinces. Les provinces ont en effet apporté depuis toujours, sans jamais y renoncer, pas plus que les commissaires de la République, leur part d’identité emportant avec elle toute la résonance de nos territoires ancestraux. Le mariage des deux s’est avéré plutôt réussi au cours des deux cents dernières années. Nous avons en effet surmonté deux guerres mondiales tragiques – et la troisième qui l’était presque autant…

Aujourd’hui, nous connaissons à nouveau une période très difficile. N’étant pas aussi expert que la plupart d’entre vous de la question dont nous débattons aujourd’hui, je suis obligé de suivre un plan simple.

D’abord, je crois que nous ne savons plus qui nous sommes, nous, les élus, et ce que nous représentons aux yeux de nos concitoyens. Je l’ai encore vérifié à l’occasion de ma campagne pour les élections régionales au cours de laquelle j’ai eu l’honneur de me mesurer à M. Rousset. Je n’ai constaté chez nos concitoyens ni méchanceté ni agressivité à notre égard, comme cela a pu arriver à d’autres moments. Lorsque je les rencontrais sur le marché, par exemple, ils manifestaient une certaine indifférence, me considérant comme un mal nécessaire. Quant aux jeunes, ils me demandaient tous de leur donner des raisons de voter !

Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est d’abord pour tenter de faire quelques économies. Notre grand pays, pour de multiples raisons qui lui sont propres, et parce que le monde a complètement basculé au cours des trente dernières années, a perdu le fil de son histoire. Nous avons complètement perdu le contrôle de la finance, qui est aujourd’hui entre les mains d’une mafia internationale. Il est totalement incompréhensible, pour quelqu’un qui réfléchit un tant soit peu, que les États les plus riches de la planète soient les plus endettés. Nous n’avons pas un sou devant nous. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, nous avons perdu l’initiative, que nous avons abandonnée à une technostructure. Nous avançons au rythme du PIB et des taux de change !

Ce n’est pas plus la faute d’un gouvernement que d’un autre, car ils ont été nombreux à se succéder. Je suis à peu près certain que, dans l’état de dépendance qui est le nôtre, ceux qui protestent aujourd’hui contre cette loi, monsieur le secrétaire d’État, pourraient l’avoir proposée – car, malheureusement, je ne crois pas que nous en soyons à l’initiative. Ce que je souhaite, c’est que notre grand pays, en prenant langue avec l’Allemagne, l’Angleterre et les États-Unis, tous dans l’embarras comme nous, décide de mesures fortes nous permettant de reprendre en mains ses finances. Il est anormal que les choses les plus élémentaires de la vie passent aujourd’hui par l’intermédiaire de groupes privés. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas aimé toutes ces lois se succéder ; elles ne semblaient pas avoir de fil conducteur et nous ont conduits à de grandes difficultés. Je n’ai pas aimé non plus que nous modifiions la Constitution, qui, à force de révisions, ne représente plus à mes yeux ce qu’elle devrait représenter.

Nous sommes arrivés, contre toute attente, à réveiller deux morts, qui se sont révélés être deux survivants tragiques : nous avons croisé le capitalisme américain avec la technocratie soviétique (Rires) , avec une double tentation, aussi féroce d’un côté que de l’autre : la concentration humaine toujours plus forte – problème mondial, non spécifiquement français – et une espèce de démission qui conduit à la désertification de pans entiers de nos territoires. Notre problème est là.

Cet état de fait nous amène à appréhender cette loi sans enthousiasme, même si je reconnais, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’avez pas ménagé votre peine, non plus que vos collègues et que notre rapporteur. Comment pourrait-il y avoir de l’enthousiasme chez nos concitoyens, alors que nous disons nous-mêmes que ce que nous faisons ici aujourd’hui, nous le déferons dans deux ans ? Comment voulez-vous qu’ils s’y retrouvent ? Je pense qu’il faudrait pouvoir remettre l’État à sa place afin qu’il puisse jouer son rôle de modérateur, donner à tous l’égalité des chances et se montrer capable d’intervenir dans les secteurs les plus retirés, sans pour autant les transformer en parcs nationaux.

M. Bernard Derosier. Avec Sarkozy, c’est impossible !

M. Jean Lassalle. Je vous laisse imaginer ces terres de résistance qu’ont été les territoires campagnards et montagnards, qui sont aujourd’hui des parcs nationaux, où les derniers autochtones ont la chance d’être photographiés au même titre que l’ours et le mulet ! (Sourires.) Je vous laisse imaginer mon bonheur lorsque je ne porte pas de cravate et que l’on vient me photographier parce que je suis un indigène qui vit dans un parc national ! (Rires.)

M. Jacques Valax. Nous sommes d’accord avec toi !

M. Jean Lassalle. D’un côté, le gigantisme des lieux donne envie de s’y installer : malgré eux, s’y agglutinent des hommes et des femmes de toutes conditions, de toutes races, de toutes pensées, de toutes couleurs, qui n’ont aucun but commun ; de l’autre, des territoires entiers s’affaissent parce qu’ils n’ont plus rien à partager.

Un autre élément guidait notre destin : la recherche du bien commun, que nous avons changé en bien collectif. Aussi sommes-nous, aujourd’hui, bien embarrassés ! La proximité va encore en prendre un coup et, avec elle, la crédibilité – ne nous faisons pas d’illusions ! Et, avec la perte de crédibilité, c’est la technostructure qui va monter en charge. Je ne vois vraiment pas, malgré toute ma bonne volonté, comment un ancien conseiller général et un ancien conseiller régional, réunis en un seul élu, pourront faire tout le travail sans une armada de gens derrière, alors qu’il faudrait faire des économies. À y regarder de plus près, je me dis que ce n’est pas en bas que cela va le plus mal, mais en haut !

Je ferai maintenant une parenthèse sur un sujet qui me tient beaucoup à cœur, ainsi qu’à Daniel Poulou, Jean Grenet et François Bayrou : le pays «Pays Basque ». Monsieur le secrétaire d’État, vous avez expliqué pourquoi le pays ne trouvera pas sa place, mais je voudrais que nous trouvions une solution. Un travail considérable a été mené ces quinze dernières années, qui a contribué au retour du calme dans cette région pour les raisons que vous connaissez. Il serait dommage de couper l’élan de toutes celles et de tous ceux qui se sont tant investis. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. François Bayrou et M. Daniel Poulou. Très bien !

M. Jean Lassalle. Je rêve d’un pays – peut-être nos travaux y contribueront-ils – qui ait de nouveau du bonheur à légiférer et, ensuite, à gérer…

M. Bernard Derosier. C’est impossible avec Sarkozy ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Lassalle. Ce serait un bonheur comparable à celui que l’on peut ressentir un soir de victoire électorale, lorsque tout le monde a voté pour vous. Malheureusement, nous sommes pris dans un univers de complexité. Et l’on ne résoudra pas la complexité sans des élus issus du peuple et sans que le peuple lui-même ait retrouvé le sens du militantisme. À partir de là, quelles que soient les structures que nous mettrons en œuvre, si nos concitoyens voient qu’ils sont représentés par des hommes qu’ils peuvent élire, et donc sanctionner, des hommes qui leur donneront de l’espoir, si nous allégeons le carcan administratif, si nous redonnons de la vie à nos territoires, en récréant un tissu d’activités et en y intégrant les technologies modernes, c’est la France tout entière qui aura gagné et avec elle, ses merveilleuses provinces. Quelle que soit l’organisation que nous mettrons en place, nous ne pourrons faire l’économie ni de l’un ni de l’autre. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et SRC.)

M. François Bayrou. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrice Calméjane.

M. Patrice Calméjane. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, pour certains de nos concitoyens, la décentralisation a été une complexification, non une simplification.

Je veux être pragmatique et concret : l’objectif de ce projet de loi est de parvenir à une rationalisation de l’organisation des structures territoriales, et à une clarification de la répartition des compétences.

M. Michel Ménard. Ce n’est pas avec ce texte que vous y parviendrez !

M. Patrice Calméjane. Il en résultera des économies, en termes de budget et de temps comme en termes de personnels.

L’État territorial se doit donc d’adapter ses propres structures aux missions nouvelles assurées par les services décentralisés. Rappelons-nous toutefois que cette adaptation doit se faire en fonction de la diversité des territoires : elle doit apporter des solutions institutionnelles différenciées aux grandes métropoles, aux territoires urbains et périurbains, et aux territoires ruraux. Il est évident que la Lozère, avec ses 78 800 habitants, ne peut être gérée et structurée matériellement, humainement et budgétairement de la même façon que le Nord qui en compte 2 570 000, soit trente-six fois plus.

M. Alain Cacheux. Excellent exemple ! Et je suis certain que M. Derosier en convient lui aussi.

M. Patrice Calméjane. La réalité du terrain est incontestablement un critère primordial de cette réforme.

Ainsi, dans les DOM-TOM, l’instauration de collectivités uniques regroupant départements et régions ne serait-elle pas une solution envisageable ?

La restructuration territoriale passe aussi prioritairement par l’approfondissement de l’intercommunalité à partir d’un réexamen de la pertinence des périmètres et du renforcement de l’intégration entre communes et intercommunalités.

Cependant, l’attachement des Français à l’identité communale demeure une réalité forte, une base de la démocratie locale que l’on ne peut occulter. Une solution consisterait peut-être à procéder à un fléchage des conseillers communautaires sur les listes de candidats aux élections municipales.

Par ailleurs, il est souhaitable d’encourager la fusion volontaire de communes sur la base de référendums proposés par une majorité qualifiée des membres de leurs conseils municipaux. Dans le même esprit, il faudrait également ouvrir la possibilité de regroupement ou de modification des limites territoriales des régions, mais également des départements – toujours sur la base du volontariat, c’est-à-dire sur propositions concordantes des assemblées délibérantes concernées.

M. Alain Cacheux. On ne va pas aller très loin avec ça !

M. Patrice Calméjane. Notons que si, dans certains cas, la mutualisation des moyens et le cofinancement de projets par plusieurs collectivités allongent les procédures, ce financement conjoint est souvent essentiel pour que les projets aboutissent.

Pour une bonne gestion de l’intercommunalité par les élus, tous les mandats exécutifs devraient être considérés comme des mandats à part entière, et donc pris en compte comme tels pour le cumul des mandats. La gestion d’une intercommunalité prend énormément de temps et l’exercice d’un mandat exécutif met un salaire supplémentaire à la charge des finances locales.

Un autre impératif pour cette réforme consiste à parvenir à une clarification de la répartition des compétences entre les divers niveaux de collectivités afin d’assurer une meilleure lisibilité et une meilleure efficacité, tant pour les responsables politiques que pour les administrés. Cette nécessité amène à s’interroger sur la pertinence de la clause générale de compétences et sur son éventuelle articulation avec une spécialisation renforcée des compétences.

L’un des exemples que l’on peut mettre en avant est celui du secteur de l’enseignement scolaire : l’imbrication, l’enchevêtrement et l’addition des niveaux pour les prises de décisions relatives au financement ont abouti à en faire une véritable pelote de laine qu’il est devenu impératif de démêler. De même pour le logement : qui fait quoi, quand, pour qui, dans quel délai, avec quel argent ? Autant de questions qui se posent toutes à la fois.

En tout cas, une chose est sûre : il faut améliorer le système en respectant le principe de l’autonomie financière et fiscale locale, tout comme celui de la libre administration des collectivités territoriales.

Aussi, afin que la décentralisation prenne tout son sens, ne serait-il pas souhaitable d’imposer que les collectivités mettent en œuvre et financent leurs compétences prioritaires avant de consacrer une part de leurs budgets à leurs compétences optionnelles ?

M. Philippe Cochet. Très bien !

M. Patrice Calméjane. Il faut également conforter les départements dans leur rôle de garants des solidarités sociales et territoriales, et les régions dans leurs missions stratégiques liées à la préparation de l’avenir.

Cette clarification passe inévitablement par une harmonisation de l’intervention des divers acteurs dans les différentes circonscriptions. Dans certains cas, la circonscription de police ne correspond à celle des services sociaux, et pas davantage à celle de Pôle emploi ni à celle de l’éducation nationale. Cette situation complexe est difficilement compréhensible pour le citoyen qui ne sait pas toujours quel est son interlocuteur. Elle est également source d’obstacles pour les collectivités territoriales dès lors qu’il s’agit de travailler en partenariat.

Le développement du droit à l’expérimentation semble être un bon moyen pour tester, voire améliorer, les diverses situations et les différents systèmes sur le terrain ; il faut l’encourager.

Enfin, dans un souci d’organisation et d’économies budgétaires, il est indispensable de refonder les relations entre l’État et les collectivités territoriales en subordonnant toute nouvelle décision à une concertation préalable et codifiée avec les associations nationales d’élus locaux.

Après avoir évoqué de réelles propositions, je souhaite à présent aborder quelques cas concrets relatifs aux questions locales.

Depuis de nombreuses années, nous avons vu se multiplier les vecteurs de communication au service de nos collectivités : magazines, lettres, affiches, campagnes dans les médias audiovisuels, installation de bureaux dans les capitales d’Europe... La liste est longue, et tout cela financé par les impôts. En fait, toutes ces actions ont pour objectif premier de valoriser les présidents de régions ou de départements au mépris des lois sur le financement des campagnes électorales.

Dans un autre registre, les 35 heures ont été pour les collectivités locales un facteur d’augmentation des charges salariales et un élément de désorganisation.

M. Serge Grouard. C’est vrai !

M. Patrice Calméjane. Certains conseils généraux, comme celui de la Seine-Saint-Denis, avaient même anticipé sur la loi pour en faire plus, avec pour conséquence une explosion de la masse salariale.

M. Philippe Cochet. Après cela, on s’étonne que les dépenses augmentent !

M. Patrice Calméjane. D’autres collectivités ont agi autrement. Pour ma part, je suis, depuis onze ans, le maire de Villemomble qui compte 28 000 habitants : les ressources sont limitées, mais les impôts n’ont pas augmenté et la commune s’est totalement désendettée depuis le 1 er  janvier 2010 alors qu’elle investit comme les collectivités de la même catégorie et qu’elle offre à ses administrés, dans ses domaines de compétences, plus de services que certaines autres communes. Finalement, ceux qui ont à craindre de cette réforme sont ceux qui gèrent mal, et depuis trop longtemps.

Quelques mots pour terminer sur l’Île-de-France, territoire qui me concerne plus particulièrement. Je crois qu’il est opportun, au cours de ce débat sur les collectivités territoriales, de rappeler à quel point la mise en œuvre du Grand Paris est déterminante pour l’avenir – nous avons adopté hier le texte de loi qui y est consacré. Nous ne mesurons pas encore l’impact de ce projet qui permettra à Paris et à l’Île-de-France de revenir dans la compétition mondiale des capitales qui comptent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet.

M. Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après le texte sur le Grand Paris, adopté hier après-midi, et la réforme remplaçant la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale, votée en loi de finances initiale pour 2010, il me paraît nécessaire de dénoncer, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales, la volonté bien réelle de ce pouvoir de mettre en œuvre une vaste opération de recentralisation.

Pourtant, depuis près de trente ans, les Français ont pu mesurer les effets positifs de la décentralisation sur leur vie quotidienne, notamment au regard de la qualité des services publics et de la proximité. Sans la décentralisation, que serait en effet le transport ferroviaire régional ? Où en serait l’apprentissage ? Dans quel état seraient nos lycées et nos collèges ?

Par les lois de décentralisation – celles de 1982 et 1983, initiées par Pierre Mauroy, puis celles de 2003, voulues par Jean-Pierre Raffarin, qui fit même inscrire dans la Constitution que la France est une République décentralisée –, le pouvoir, au travers de transferts de compétences, a été donné aux élus locaux. Ces élus sont les mieux placés pour dessiner l’avenir de leurs territoires, eux qui, chaque jour, se confrontent à l’épreuve du terrain, sont à l’écoute de leurs concitoyens et sont les plus compétents pour décider des projets à entreprendre et des mesures à mettre en œuvre.

Bien entendu, comme le Gouvernement ne peut pas reprocher à ces collectivités territoriales de réaliser près de 75 % des investissements publics ou d’être bien meilleures gestionnaires que l’État – leur dette est dix fois moins importante que la sienne –, il stigmatise les élus, qui seraient trop nombreux et coûteraient trop cher. Par son projet de loi, il propose d’affaiblir les collectivités territoriales face au pouvoir d’État et d’opérer ainsi une recentralisation. Ainsi que l’indiquait Pierre Mauroy, « qui peut croire que le futur corps hybride des conseillers territoriaux, appelés à remplacer les conseillers généraux et régionaux, pourra faire vivre dans le même mouvement ces deux assemblées aux compétences et à l’esprit différents ? Ni l’une ni l’autre n’en sortiront indemnes. »

Il est à craindre que les centralisateurs ne soient à l’œuvre pour mettre en cause le schéma territorial français, composé de deux niveaux fondamentaux : le premier, celui de la stratégie, va de l’Europe à la région, en passant par l’État ; le second, celui de la proximité, va du département à la commune, en passant par les intercommunalités. Or, vous allez faire de la région un congrès de départements. Ainsi, vous écrirez l’histoire à l’envers, revenant trente-cinq ans en arrière, à l’époque des établissements publics régionaux.

M. Alain Cacheux et M. Bernard Roman. Exactement !

M. Jean-Paul Chanteguet. Beaucoup pensent que votre objectif inavoué est la disparition des départements. Jacques Attali n’a-t-il pas indiqué, dans son rapport sur la libération de la croissance, qu’il était urgent d’en finir avec « ces institutions sédimentées et fossilisées » qui paralysent le pays ? Quant à Édouard Balladur, n’a-t-il pas précisé que « le rapprochement des deux collectivités territoriales à travers un élu commun » amorcerait « l’évaporation du département » ?

Le projet du Grand Paris, marque, lui aussi, le retour des Jacobins. Dangereusement déconnecté des réalités que vivent les Franciliens, il est illustre la volonté du Gouvernement de liquider les acquis de la décentralisation et d’assurer la mainmise d’un État impécunieux sur l’aménagement de l’Île-de-France. Le Grand Paris se réduit en fait à la création d’un métro automatique de grande capacité, une rocade en double boucle de cent trente kilomètres avec une quarantaine de gares. Ce projet, porté par l’État et à la définition duquel les collectivités territoriales n’ont pas été associées, sera mis en œuvre par l’État à travers un établissement public, la Société du Grand Paris, qui s’appropriera une bonne partie des compétences en matière de transports des collectivités locales, aujourd’hui exercées au sein du Syndicat des transports d’Île-de-France.

L’État récupérera également les compétences de ces collectivités en matière d’urbanisme, notamment le droit de préemption prioritaire, afin de déployer les infrastructures et d’assurer les opérations d’aménagement, en particulier autour des gares, dont les plus-values doivent participer au financement du projet : 35 000 hectares répartis sur plusieurs centaines de collectivités doivent être ainsi recentralisés.

Ce projet constitue une attaque frontale de la décentralisation et l’aboutissement d’une volonté de reprise en main de l’État de l’espace francilien, ce qu’ont déjà traduit le refus du Gouvernement d’approuver le schéma de développement de la région Île-de-France et le veto présidentiel à la reconnaissance de Paris-métropole.

Le Grand Paris n’est pas un acte isolé, c’est un acte politique fort. Avec la réforme de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, cette majorité vient de procéder à une recentralisation des finances des collectivités territoriales, dont elles ne manqueront pas, dès 2011, de mesurer tous les effets. À ce sujet, c’est tout d’abord Jean-Pierre Raffarin qui, dans une tribune datée du 1 er  novembre 2009, indiquait qu’il ne pouvait accepter un recul de la décentralisation, semblant par là même découvrir la volonté centralisatrice de Nicolas Sarkozy, dont l’objectif est de mettre fin à l’autonomie fiscale des collectivités et de les rendre dépendantes de la manne de l’État. Ce sont une évolution et une vision en contradiction d’une part avec la Constitution, qui grave dans le marbre « l’autonomie financière et la maîtrise par les collectivités locales d’une partie déterminante de leurs ressources », d’autre part avec les déclarations d’un membre éminent de votre majorité, l’actuel ministre de la défense, qui précisait en 2003 : « l’autonomie financière et fiscale, c’est le principe fondamental, auquel nous sommes le plus attentifs. L’exercice des responsabilités locales dans de bonnes conditions suppose, de la part des collectivités, une autonomie de décision financière. Or, leur dépendance à l’égard des dotations de l’État ne cesse de croître, réduisant de plus en plus cette marge. L’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales est donc indispensable à l’accomplissement des libertés locales ».

Remplacer un impôt local, la taxe professionnelle, dont les collectivités arrêtaient les taux, par une contribution dont le taux sera fixé par l’État, c’est, comme l’a très bien dit Alain Juppé, « se foutre du monde » et, comme l’a très justement rappelé Jean-Pierre Raffarin, « mettre la collectivité sous tutelle » et faire reculer la décentralisation.

Comme nous le constatons aujourd’hui avec un certain désabusement, nous sommes bien loin du statut constitutionnel que Jean-Pierre Raffarin a eu le courage de donner à la décentralisation, bien loin aussi des déclarations du Président de la République qui ne manqua jamais, par le passé, de dénoncer « la vision centralisatrice et jacobine de notre société », inadaptée, selon lui, aux contraintes du monde moderne et appartenant à un passé révolu.

Demain, c’est à marche forcée que nous nous dirigerons vers une organisation de nouveau centralisée de la République, ce que les élus locaux, dans leur grande majorité, réprouvent, et dont les Français mesureront bientôt les conséquences, lorsqu’ils seront confrontés à la réduction, voire à la suppression des services publics et à l’augmentation de la fiscalité sur les ménages.

Comme pour le Grand Paris et la réforme de la taxe professionnelle, le groupe socialiste s’opposera de toutes ses forces à ce texte qui bafoue les dispositions constitutionnelles et traduit, de part de votre majorité, un véritable renoncement aux valeurs de proximité et des libertés locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Rousset.

M. Alain Rousset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une citation : « La France est la seule, parmi les cinq plus grands pays d’Europe, à ne pas avoir mis en place d’institutions fortement décentralisées […]. Une nation moderne est une nation qui revendique la décentralisation. Un État moderne est celui qui organisera son efficacité en reconnaissant qu’il lui est impossible de tout régenter, diriger, organiser ». Ces propos, tenus par Nicolas Sarkozy en 2001, sont bien loin de la réalité. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. C’est un tricheur !

M. Alain Rousset. Nous assistons en fait à la fin de l’autonomie fiscale des collectivités territoriales et à leur étranglement financier en raison du gel des dotations ; les régions deviennent la collectivité la plus dépendante des dotations de l’État, ce qui en dit long sur l’objectif « régional » de ce texte ; parallèlement au gel des dotations, l’État n’a de cesse de leur faire financer ses propres compétences – qu’il s’agisse du TGV ou des plans campus, plus rien ne se fait sans un cofinancement des collectivités locales, ce qui en dit long sur la clarification des compétences.

On peut s’interroger sur le caractère constitutionnel d’une telle disposition : des recours ne manqueront d’ailleurs pas d’être déposés sur la loi de finances. Je rappelle que les dotations aux départements et aux régions correspondent à des décisions de l’État liées aux transferts de compétences et exonérations fiscales définis par la loi

On assiste également à une recentralisation déterminée, avec un État qui cherche plus à contrôler qu’à animer, à doublonner plutôt qu’à rationaliser comme le feraient les entreprises. Ce texte ne contient d’ailleurs aucune réflexion sur les services de l’État. La RGPP ne s’est aucunement traduite par une suppression des doublons des services de l’État sur le territoire.

M. Michel Vauzelle. Tout à fait !

M. Alain Rousset. Pis, l’État intervient à nouveau dans le domaine de compétence des régions, envoie à nouveau ses sous-préfets dans les entreprises – sans argent, bien entendu – et met le bazar, passez-moi l’expression, dans l’organisation des territoires.

Ce texte, qui était l’occasion d’amorcer l’acte III de la décentralisation, n’atteindra finalement aucun des objectifs qu’il s’était fixés : ni la clarification des compétences, ni les économies de gestion, ni la proximité.

En ce qui concerne la clarification des compétences, ce texte aurait dû supprimer la clause générale de compétence. Après tout, l’existence du conseiller territorial équivaut, comme l’a dit notre collègue Chanteguet, au retour de l’établissement public régional. Si l’on veut que les régions et les départements jouent sur des compétences différentes, il faut aller jusqu’au bout, et supprimer la clause générale de compétence. Or, ce n’est pas le cas, puisque de multiples exceptions ont pour effet que l’État continue d’intervenir sur le sport, la culture, le tourisme, bref, l’ensemble des compétences. J’insiste sur le fait que la clarification des compétences, qui constitue un principe positif, ne sera pas mise en œuvre. Le conseiller territorial, élu du canton, va venir défendre les dossiers de son canton, parce qu’il sera réélu à cette condition – ce n’est pas lui faire injure que de dire cela.

M. Bernard Roman. C’est humain !

M. Alain Rousset. Autrement dit, c’est bien le rond-point qui va gagner contre l’innovation.

Sans doute me reprendrez-vous tout à l’heure sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, mais laissez-moi vous dire que je ne connais pas un expert, pas un juriste, pas un politologue qui, après avoir analysé l’évolution de l’organisation territoriale, ait écrit le contraire de ce que je viens de dire.

Par ailleurs, ce texte ne s’appuie sur aucun travail d’expert d’aménagement du territoire, de répartition des compétences.

M. Bernard Roman. Ce n’est pas leur problème !

M. Alain Rousset. Mieux, alors que tous les rapports, notamment celui sur la gouvernance du développement économique, préconisent de décentraliser et régionaliser ce pays, c’est l’inverse qui se produit : recentralisation, renforcement de l’appareil d’État sur les territoires, délégitimation de la région.

Prenons l’exemple du développement économique. Même si M. le rapporteur a limité un certain nombre d’excès du Sénat, ce texte va se traduire par un émiettement des compétences économiques – vrai ou faux ?

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Vrai !

M. Alain Rousset. Il aurait fallu dire que la région est le chef de file sur le plan économique, comme l’attendent les entreprises ; or c’est l’inverse, avec le transfert de la compétence économique aux métropoles. Nous souhaitons tous limiter la surenchère entre les territoires. Mais que va-t-il se passer demain entre les territoires d’une métropole et ceux situés à la périphérie de cette métropole ? Par définition, on assistera à une concurrence et une surenchère, avec des fiscalités et des systèmes d’aide différents.

On peut citer d’autres exemples : les pôles de compétitivité, qui ne sont pas territorialisés ; l’action économique, de plus en plus immatérielle. Comment va se répartir le fonctionnement entre région, métropole et département ? Où est le progrès, où est la rationalisation, où est la réponse à ce que demandent les entreprises, où est la création d’une véritable collectivité – qui existe partout ailleurs en Europe – qui acquiert la compétence technique et politique ? Tout cela serait grotesque si ce n’était pitoyable.

Et que dire de la compétence des lycées, qui va pouvoir être transférée aux métropoles ?

M. Serge Grouard. Ça, c’est très bien !

M. Alain Rousset. Je ne sais pas si vous avez déjà géré ces questions, mon cher collègue…

M. Serge Grouard. Oui !

M. Alain Rousset. …mais quand le lycée relève de la compétence de la région, comme le veut la cohérence, il n’y a pas de compétition entre les lycées.

M. Dominique Perben, rapporteur . Si vous ne voulez pas le faire, vous ne le faites pas ! La loi le dit expressément !

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis. Exactement ! Ce n’est pas obligatoire !

M. Alain Rousset. J’aimerais en être certain, mais ce texte doit encore passer devant le Sénat. Il y a, en tout état de cause, un risque de compétition dont rien ne justifie l’introduction dans ce texte. Les régions ont acquis des compétences, notamment en ce qui concerne les lycées professionnels. Dans ce domaine, la décentralisation a changé les choses de manière très positive. Nous ne pouvons comprendre que vous décidiez de brouiller les cartes.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. C’est déjà bien compliqué…

M. Alain Rousset. La vraie réforme aurait consisté à renforcer la compétence des régions sur l’enseignement professionnel et l’enseignement agricole, mais vous êtes passés à côté.

C’est pourtant autour de deux triptyques que sont organisées la répartition des compétences et l’action : d’une part, les échelons Europe, État, région, dont les contrats État-région constituent l’illustration ; d’autre part, les échelons département, intercommunalité, commune.

M. Henri Nayrou. Voilà la cohérence !

M. Alain Rousset. Si l’on voulait faire évoluer à l’échelle de dix ans, vingt ans ou plus, le département, c’est en renforçant sa relation avec l’intercommunalité qu’il faudrait le faire.

M. Henri Nayrou. Bien sûr !

M. Alain Rousset. Les compétences des départements – du moins certaines d’entre elles – peuvent très bien être transférées, comme cela a d’ailleurs déjà été le cas à Rennes et à Grenoble pour l’action sociale ou les collèges. Mais rien n’est fait dans ce sens, vous allez à rebours de la nature et de tout ce qui avait été construit progressivement par le législateur, de gauche comme de droite, depuis une trentaine d’années : un bloc de compétences autour du développement économique, de la formation et de l’emploi, de la solidarité et de l’équipement territorial. Pourquoi renoncer à cette répartition des compétences ?

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. À Brest, ils sont revenus sur ces transferts de compétences !

M. Alain Rousset. Savez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que 80 % des compétences des départements sont distinctes de celles des régions, qu’il n’y a de recouvrement que sur 10 %, un recouvrement qu’il peut être intéressant de maintenir ? La plupart de nos collègues, sur tous les bancs, réclament le maintien des financements croisés qui permettent d’améliorer l’équipement communal. Je constate d’ailleurs que vous ne remettez pas en cause ces possibilités – et je suis heureux de voir que vous acquiescez. C’est bien la preuve, monsieur le secrétaire d’État, qu’en matière de répartition des compétences, votre texte n’apporte strictement rien. (« Absolument rien ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Et pour ce qui est des économies de gestion escomptées, encore faudrait-il, pour qu’elles existent, supprimer les doublons administratifs. Or, ni l’État, ni les régions, ni les métropoles, qui vont devoir créer des services de développement économique, ni les départements ne vont faire d’économies. La réduction du nombre des élus départementaux et régionaux va entraîner des indemnisations dont nul ne connaît le montant, ni qui va devoir les prendre en charge. On voit bien, par ailleurs, que les départements auraient plutôt envie d’augmenter le nombre de leurs élus. Enfin, d’un point de vue très prosaïque, qui va prendre en charge le financement de l’aménagement des salles d’assemblée plénière des conseils régionaux ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Nayrou. Chaban-Delmas !

M. Alain Rousset. En Aquitaine, on va passer de 85 à 211 élus. Savez-vous que le nouvel amphithéâtre du conseil municipal qui va être construit à Marseille coûtera pas moins de 14 millions d’euros hors taxes ?

M. Dominique Perben, rapporteur . En Rhône-Alpes, c’est 150 millions d’euros !

Mme Élisabeth Guigou. Quelle gabegie !

M. Alain Rousset. Quelle gabegie, en effet. Et je sais que vous ne répondrez pas sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, car vous ne pouvez pas répondre.

Sur la proximité des élus, j’ai entendu certains collègues dire qu’à partir du moment où l’on n’est pas élu d’un canton, on est un élu « hors sol ». Cela ne correspond pas à ce que j’ai pu observer dans aucune région.

Mme Élisabeth Guigou. Pas du tout en effet !

M. Alain Rousset. Par ailleurs, comment sera-t-il possible, demain, avec un nombre d’élus divisé par deux, d’assurer les représentations au sein de tous les organismes ?

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Impossible !

M. Alain Rousset. Imaginez un peu l’élu qui sera obligé de courir de la maison de retraite à la crèche, de la crèche au collège, du collège au lycée et à l’université ! Dans ma région, il y a 1 200 organismes où il est nécessaire de pourvoir des représentations.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier et M. Serge Grouard. C’est vrai, c’est un problème.

M. Alain Rousset. Fatalement, l’élu territorial va devoir établir des priorités. Vous allez donc organiser l’éloignement de l’élu des compétences régionales – et son absentéisme. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman et M. Michel Vauzelle. C’est pervers !

M. Alain Rousset. C’est donc totalement absurde. Cela montre le caractère artificiel, indéfendable et pour tout dire pervers de votre conseiller territorial.

M. Alain Cacheux. Évidemment !

M. Alain Rousset. Pervers car, en revenant à l’établissement public régional, qu’on le veuille ou non, on affaiblit par définition la région. Les statistiques en témoignent d’ailleurs : la région ayant son mode d’élection autonome, le nombre de conseillers généraux se trouve de fait divisé par deux à chaque fois.

À tout cela, il faut encore ajouter les problèmes de la parité, de la diversité – il faudra s’en expliquer devant le Conseil constitutionnel –, et de la tutelle d’une collectivité sur une autre : dès lors que vous cantonalisez l’élection, vous créez un problème de constitutionnalité.

M. Henri Nayrou. C’est l’apocalypse qu’ils nous préparent !

M. Alain Rousset. Pour finir, il ne faut pas oublier la conformité avec la charte européenne de l’autonomie locale. Bref, une belle bagarre juridique se prépare. Cette bataille que vous allez secréter, organiser se poursuivra chaque fois que l’État fixera le montant des dotations aux collectivités locales, aux départements et aux régions : à chaque fois, les régions et les départements attaqueront les lois de finances devant le Conseil d’État et les tribunaux administratifs. C’est une machine infernale que vous mettez en place.

Pourtant, il était possible d’aller dans le sens du progrès. Il était possible d’écrire l’acte III de la décentralisation.

Mme Élisabeth Guigou. Bien sûr !

M. Alain Rousset. Qui s’occupe de l’emploi en France ? Tout le monde et personne. Il aurait été facile de prévoir, dans certaines régions, une expérimentation sur la compétence du service public de l’emploi, non pour fixer la durée du chômage ou le montant de l’indemnisation, mais pour voir plus clair dans ce tricotage compliqué entre le monde de la formation, celui du chômage et celui de l’entreprise. C’est en ces domaines que la région a des possibilités d’intervention.

De même, qui s’occupe du logement ? Personne ne le sait à la lecture de ce texte. Qui s’occupe du développement économique ? Les responsabilités sont éparpillées. Qui s’occupe du logement étudiant ?

M. Alain Cacheux. Sûrement pas l’État !

M. Alain Rousset. Nul ne le sait. Votre texte ne répond à aucune des préoccupations des Français, n’apporte aucune garantie.

M. Bernard Roman. Retirez ce texte, monsieur le secrétaire d’État !

M. Alain Rousset. Certes, tout cela est difficile à expliquer à nos compatriotes et vous jouez sur du velours. La région va sortir affaiblie après le vote de ce texte ; mais comme elle est la collectivité la moins représentée dans les deux assemblées, vous jouez facile.

M. Alain Cacheux. C’est vrai !

M. Alain Rousset. Qui plus est, tout le monde, au sein de la majorité, a très envie d’oublier rapidement le résultat des élections régionales, qui ont pourtant fait l’objet de quinze points de participation de plus que les élections européennes.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. On peut le comprendre !

M. Alain Rousset. Nous allons accentuer notre retard par rapport à l’Europe.

Monsieur le secrétaire d’État, ce texte, comme celui de Jean-Pierre Raffarin, affiche une volonté régionale ; mais il va se traduire par un éparpillement communal et sortira plutôt départemental que régional.

M. Michel Vauzelle. C’est le retour à l’Empire !

M. Alain Rousset. Vous n’aurez pas fait action utile. Ce gouvernement va renforcer la centralisation et affaiblir les collectivités locales. Or les collectivités territoriales sont à l’origine de l’investissement public à hauteur de 75 %, et interviennent à hauteur de 40 % dans le plan de relance, contre 4 % pour l’État – je vous renvoie au Moniteur des travaux publics et du bâtiment en date de quelques mois. Était-il vraiment opportun d’agir ainsi au moment où la France a besoin de montrer aux consommateurs comme aux entreprises qu’elle soutient l’investissement public ? Ce n’était pas le meilleur signal à donner à l’économie, ni le meilleur moyen de rendre un tant soit peu d’espérance dans notre pays.

Bien entendu, nous nous opposerons avec détermination à ce texte, inutile et néfaste.

Néanmoins, en terminant mon propos, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je tiens à vous féliciter pour votre constance. Il n’est pas facile en effet de défendre un tel texte en 2010, dans une Europe telle qu’elle est, décentralisée, et alors que la Constitution pose le principe d’une République décentralisée. Chapeau ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Il faut le faire, en effet !

M. Michel Vauzelle. C’est le retour à Versailles, à la Lanterne !

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Le texte dont la représentation nationale est saisie tend à rénover notre architecture territoriale, maintes fois dénoncée à travers le millefeuille institutionnel, le chevauchement des compétences et la complexité qui en résulte.

Ce texte est issu de nombreux rapports du Parlement, des travaux du Comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Édouard Balladur et d’une concertation avec les associations d’élus locaux. Il a été présenté en conseil des ministres le 21 octobre 2009 et examiné en février 2010 par le Sénat, qui l’a considérablement enrichi – le projet est ainsi passé de 40 à 64 articles.

À ce stade, je voudrais saluer le travail effectué à l’Assemblée nationale, notamment par le rapporteur, auteur de nombreux amendements, par le président de la commission des lois, s’agissant en particulier de la représentation du monde rural, et par la commission des lois dont je suis membre.

Pour la bonne compréhension des choses, je souhaite dire que nous avons refusé, concernant le conseiller territorial, ce que le Gouvernement nous proposait à travers la procédure des ordonnances.

Je note que le Premier ministre a lui-même déclaré que, s’il avait été député, il aurait eu la même position que les membres de la commission des lois : pas de recours aux ordonnances sur la fixation des effectifs de conseillers territoriaux région par région. C’est un aveu notable sur l’atmosphère qui entoure ce projet de loi.

Il nous a été remis avant-hier, en début d’après midi, un tableau confectionné durant le week-end, que le Premier ministre a qualifié de co-production législative, faisant ainsi plaisir à notre excellent président de groupe, Jean-François Copé. Cela témoigne d’une certaine vision des choses… (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Il parle sérieusement ?

M. Bernard Derosier. C’est du deuxième degré !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. À cet égard, le Premier ministre s’est également exprimé avec une certaine prudence sur la constitutionnalité concernant l’équilibre démographique entre département et région. Ce qui m’amène, comme je l’ai fait en commission, à revenir, peut-être sur la forme, sur la constitutionnalité du conseiller territorial.

M. Henri Nayrou. Très bien !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le secrétaire d’État, je ne sais si le Gouvernement a des assurances, mais je tiens à m’exprimer très librement sur le sujet. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC) d’autant plus que le texte gouvernemental a été profondément remanié à la fois par le Sénat, par le Gouvernement lui-même et par la commission des lois. Jusqu’où irons-nous dans la réécriture du projet initial ?

M. Bernard Derosier. Il faut aller jusqu’au retrait !

M. Jean-Pierre Grand. Il faut retirer ce texte !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Peut-être allez-vous me trouver provocant. Mais c’est pour la bonne cause. Il ne s’agit ni de faire plaisir à l’opposition ni de jouer au « sniper de la majorité », comme l’a titré La Gazette des Communes, des Départements, des Régions .

Trois alinéas de l’article 72 de la Constitution sont susceptibles d’être pris en compte par le Conseil constitutionnel pour censurer le chapitre I er du titre I er relatif aux conseillers territoriaux.

M. Bernard Derosier. Mais c’est une exception d’inconstitutionnalité qu’il défend !

M. Jacques Valax. Enfin un juriste !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je souhaiterais connaître l’avis du Gouvernement sur ce point. Je n’ai à ce stade pas reçu de réponse.

M. Michel Vauzelle. Le Gouvernement n’a pas d’avis sur la question !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Tout d’abord, l’alinéa 3 de l’article 72 énonce que « les collectivités s’administrent librement par des conseils d’élus ». Il semble dès lors que chaque collectivité doit disposer de son conseil élu. Conserver formellement deux conseils distincts, mais composés d’élus identiques, peut constituer un détournement de la Constitution,…

M. Alain Cacheux. Bien sûr !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. …chaque collectivité ayant un conseil mais point de conseil propre.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. C’est constitutionnel !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. On verra !

Ensuite, si la possible fusion de niveaux a été inscrite dans la Constitution par l’alinéa 1 lors de la réforme constitutionnelle de 2003, la solution du rapprochement organique ne semble pas respecter la consécration constitutionnelle de deux catégories de collectivités territoriales distinctes.

Enfin, l’interdiction d’une tutelle d’une collectivité sur une autre est inscrite à l’alinéa 5 de l’article 72 de notre Constitution.

L’interdiction d’une tutelle n’autorise pas une confusion des élus, qui aurait pour effet de permettre une tutelle sur toutes les compétences mêmes non partagées dans les deux sens.

Je ne fais ici que reprendre l’analyse de certains constitutionnalistes. Cela dit, et pour revenir sur le tableau confectionné durant le week-end, j’ai bien noté que l’équation était difficile et que nous avons imposé au Gouvernement de clarifier cet aspect.

Je salue au passage l’implication sur ce point de Dominique Perben, de Jean-Luc Warsmann et de Vincent Descœur, secrétaire général de l’ANEM.

Force est de noter que le nombre de cantons est quelque peu erratique dans notre pays et qu’un redécoupage s’impose.

J’ai bien noté les principes proposés par le Gouvernement sur une égalité non pas nationale mais régionale, sur la base de non plus 3 000 élus mais de 3 471, soit une diminution de 39 % contre 50 % annoncés, et d’une représentation minimale de quinze en référence au Territoire de Belfort – pourquoi pas vingt, puisqu’on est dans la dérogation ? –…

M. Henri Nayrou. Cela s’est fait au doigt mouillé !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. …pour les départements ruraux au titre de la bonne administration des collectivités locales avec des critères semble t-il objectifs, à savoir l’étendue géographique, la population, le nombre actuel de communes et de cantons.

Un tel seuil est un véritable filet de sécurité de la représentativité des départements ruraux dont je suis le défenseur inlassable eu égard aux difficultés récurrentes qu’ils rencontrent jour après jour, en dépit du travail de Michel Mercier. Il permettra de limiter les disparités entre départements au sein d’une même circonscription régionale.

Je salue l’exercice d’équilibriste ainsi réalisé mais je reste soucieux sur l’analyse qu’en fera le Conseil constitutionnel.

Je m’interroge également sur les modalités réglementaires de ce découpage.

Enfin, si je comprends l’esprit de l’article 35 élaboré par notre excellent rapporteur, j’émets des réserves sur un encadrement trop strict sur le plan financier comme sur celui des compétences des territoires ruraux, rejoignant ainsi la position exprimée par Vincent Descœur, député du Cantal. C’est pourquoi je souhaite qu’une certaine latitude soit laissée aux territoires ruraux en matière de co-financement et d’intervention en matière culturelle, sportive, voire touristique.

M. Henri Nayrou. Nous aussi !

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Très bien !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Voilà, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, le sentiment qui m’anime aujourd’hui et les interrogations qui sont les miennes en ce début d’examen du texte. Mais ma position pourra évoluer au cours du débat. (Applaudissements sur certains bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Nayrou. Bravo !

M. Bernard Derosier. Quelle belle motion d’irrecevabilité !

M. Alain Cacheux. Il est mal, le Gouvernement, il est mal !

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Villaumé.

M. Jean-Michel Villaumé. Ce texte a déjà fait l’objet de nombreux débats et nous avons entendu bien des points de vue s’exprimer. Mais ce qui revient le plus souvent dans les propos de leurs auteurs, monsieur le secrétaire d’État, c’est la contestation de tout projet de recentralisation, affirmé ou caché.

La décentralisation a permis aux élus, devenus plus proches du territoire et des citoyens, de mieux percevoir les problèmes et les solutions et de mettre l’action locale publique en œuvre. Si la notion de proximité doit être préservée, ce n’est pas par principe, mais parce qu’elle facilite la connaissance du terrain et permet une véritable réactivité.

C’est bien d’une autonomie locale renforcée que viendront les économies nécessaires à notre pays et non de la suppression de tel ou tel échelon de collectivités territoriales, qui ne générerait que des économies marginales.

Dans ce contexte, la collaboration entre communes, communautés, départements et régions est plus que nécessaire. La disparition d’un de ces niveaux de collectivité se retournerait nécessairement contre les communes et les communautés, dernier maillon dans la chaîne de l’organisation territoriale du pays.

Il s’agit d’améliorer notre décentralisation, de la rendre plus efficace et plus lisible sans pour autant noircir la situation actuelle. Car aujourd’hui, la réforme territoriale prend des allures de malentendu avec les élus.

Cette réforme devrait en priorité leur permettre de maintenir et développer les services publics, de renforcer leur autonomie fiscale et de clarifier la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités.

Or le projet de loi n’aborde pas les deux premiers points, tandis que la clarification des compétences n’est pas évidente et que les intentions du Gouvernement à ce sujet pas davantage affirmées.

Cette réforme, monsieur le secrétaire d’État, est menée à l’envers. La clarification des compétences entre les niveaux de collectivités, avec la désignation d’une collectivité chef de file pour chaque compétence, aurait dû être discutée en priorité avant les volets institutionnel et financier. On peut légitimement s’interroger sur la cohérence de cette démarche qui réforme l’architecture des collectivités locales.

Si des économies peuvent éventuellement être une des conséquences souhaitables de la réforme, elles ne peuvent en être l’objectif principal. Nos concitoyens savent que notre organisation territoriale a un coût qui, quoi qu’on en dise, reste maîtrisé par les élus. Le dénigrement systématique des élus locaux, ramenés à un vulgaire problème de coût qu’il faut à tout prix réduire, est une démarche démagogique et dangereuse.

On ne doit pas oublier le travail accompli sur le terrain par les quelque 500 000 élus, qui sont pour la plupart bénévoles et incarnent notre système démocratique et décentralisé.

Mme Élisabeth Guigou. Voilà un langage de vérité !

M. Jean-Michel Villaumé. Concernant les financements croisés, souvent décriés et objet de toutes les critiques, ils se révèlent pourtant indispensables à la réalisation des projets. Souplement définis par voie de contractualisation, ils demeurent même une garantie de contrôle pluraliste, plusieurs assemblées élues ayant été convaincues de la pertinence des demandes qui leur avaient été adressées.

Aujourd’hui, contrairement à ce que veut nous faire croire le Gouvernement, le problème territorial français tient moins au nombre des collectivités et à leurs niveaux qu’à leur insuffisante coordination.

Mme Élisabeth Guigou. Très juste !

M. Jean-Michel Villaumé. Pour le bon fonctionnement des pouvoirs publics locaux, l’achèvement du regroupement intercommunal est certes nécessaire et doit naturellement s’accompagner de périmètres pertinents, d’une gouvernance légitime et de moyens financiers pérennes. Il faut donc trouver des périmètres cohérents, notamment en milieu rural, où l’intercommunalité doit se développer autour de la ville-centre dans la perspective du meilleur développement territorial et du meilleur maillage possible des services publics, sans pour autant perdre de vue l’autonomie des collectivités et des élus : la commune, même insérée dans une agglomération, doit demeurer la cellule de base de la démocratie républicaine.

Dans un contexte de crise financière et économique, et alors que l’on constate que les écarts de richesse s’accroissent sur le territoire, il est primordial de soulever le problème du financement des compétences, afin d’éviter que la décentralisation aboutisse à un accroissement des inégalités territoriales.

Mme Élisabeth Guigou. Bien sûr !

M. Jean-Michel Villaumé. Pour cela, deux éléments sont incontournables : d’une part, le respect de l’autonomie financière et fiscale des collectivités locales et, d’autre part, une meilleure péréquation territoriale.

La réforme de l’impôt économique doit être l’occasion de concilier le maintien indispensable d’un lien entre économie et territoire et l’exigence d’une véritable péréquation. En tout état de cause, on ne peut accepter la disparition du lien fiscal entre collectivités et entreprises, qui garantit l’engagement des collectivités en faveur du développement économique. C’est vital pour nos territoires, monsieur le secrétaire d’État !

De plus, il n’est plus admissible que les élus locaux soient chaque année tributaires des changements parfois importants décidés à la dernière minute lors de la discussion de la loi de finances au Parlement.

Mme Élisabeth Guigou. Voilà !

M. Jean-Michel Villaumé. L’adoption d’une loi organique déterminant les conditions d’évolution annuelle des dotations d’État est nécessaire.

Enfin, si le schéma général de l’architecture territoriale peut être posé, il faut considérer que la France est multiforme, tant sur le plan géographique que sur celui de la densité de population.

Vouloir imposer un cadre structurel unique et mal concerté est un non-sens. La confiance dans les élus locaux est essentielle et les accords locaux doivent être privilégiés chaque fois que cela est possible. À ce titre, et en vue de simplifier le millefeuille territorial, le Gouvernement souhaitait supprimer le cadre juridique des pays, alors qu’ils sont le fruit de ces accords partagés et concertés sur le territoire.

Le pays est un véritable espace de concertation souple entre collectivités locales et acteurs privés. La mission temporaire du Sénat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales demandait qu’il ne soit pas porté atteinte à la liberté de coopérer des communes et des intercommunalités dans le périmètre des pays existants. Il semble qu’elle ait été entendue. C’est un moindre mal alors que, monsieur le secrétaire d’État, les territoires ruraux restent oubliés par une réforme incomplète, décousue et contestée. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Abdoulatifou Aly.

M. Abdoulatifou Aly. Monsieur le président, Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de réforme des collectivités territoriales ouvre un vaste débat sur la manière de perpétuer, dans notre République, une société ouverte, pluraliste et surtout respectueuse des responsabilités dévolues aux élus locaux.

Je souhaite formuler certaines appréciations générales sur le texte adopté en commission des lois avant de vous livrer quelques réflexions sur l’impact de cette réforme dans notre futur département d’outre-mer de Mayotte.

Pour en revenir aux principaux aspects du projet de loi, je confirme volontiers au Gouvernement que le principe d’une refonte de notre architecture institutionnelle locale s’impose à tous comme une nécessité. Au fil des ans, l’enchevêtrement actuel de l’organisation territoriale a fini par rebuter par manque de lisibilité, de rationalité et d’efficacité. Sur ce sujet comme sur d’autres, l’immobilisme n’est jamais bon conseiller.

Il faut reconnaître en outre que la méthode de travail retenue au départ, à savoir la constitution d’un comité de réflexion présidé par l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, était également porteuse de sens. Elle a d’ailleurs permis de dégager plusieurs propositions intéressantes.

M. Henri Emmanuelli. Ah oui ! Il s’y connaît, Balladur !

M. Abdoulatifou Aly. Parmi celles-ci, peut être notamment relevée la création de métropoles ; mais la plus marquante d’entre elles demeure incontestablement la notion de conseiller territorial, c’est-à-dire un élu siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional.

Si cette innovation fait incontestablement l’objet d’un large consensus, il n’en est pas de même de sa mise en œuvre.

M. Henri Emmanuelli. Vous avez un supporter à Mayotte, monsieur Marleix !

M. Abdoulatifou Aly. À cet égard, chacun a pu constater que, s’agissant par exemple du mode d’élection des futurs élus territoriaux, on est parti de la proposition du comité Balladur préconisant un scrutin un tant soit peu proportionnel dans des zones infra-départementales dotées d’un nombre significatif de sièges pour arriver à un scrutin uninominal majoritaire à deux tours avec suppression annoncée des triangulaires. C’est dire que l’objectif initial de favoriser l’enracinement local et le pluralisme des opinions semble être totalement abandonné sous des prétextes politiciens. Il n’est pas trop tard pour en revenir à la recherche d’un mode de scrutin plus consensuel et surtout plus conforme aux exigences constitutionnelles de pluralisme politique et de parité hommes-femmes dans nos assemblées locales.

S’agissant plus spécialement du futur département de Mayotte, je note avec incompréhension et inquiétude la volonté du Gouvernement de n’y appliquer que très partiellement cette réforme. Permettez-moi donc de vous soumettre diverses interrogations que soulève son projet.

Tout d’abord, la loi organique du 3 août 2009 relative aux statuts de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte prévoit, conformément au dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution, l’instauration d’une collectivité unique dans ce dernier territoire à compter du renouvellement du conseil général actuel en mars 2011. Or l’article 36 du présent projet de loi n’envisage l’entrée en vigueur de l’article 1 er , concernant le mandat de conseiller territorial, qu’à partir de mars 2014. Dans ces conditions, et même si un autre projet gouvernemental annonce la création d’un conseiller territorial spécifique à Mayotte dès mars 2011, avec un mandat réduit à trois ans, il est raisonnablement permis de douter du bien-fondé de cette idée d’élu provisoire ou – osons le mot‚– au rabais, puisque le mandat de conseiller territorial est conçu pour une durée de six ans et pour des compétences pleines et entières.

M. François Bayrou. Très bien !

M. Abdoulatifou Aly. Ainsi, cette mise en œuvre prématurée de la réforme s’avère aussi précipitée, puisque notre collectivité unique ne retrouvera la plénitude de ses compétences départementales et régionales qu’à partir du 1 er  janvier 2014, conformément aux dispositions des articles L.O. 6161‑22 à L.O. 6161‑24 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de la loi organique n° 2007‑223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, dite loi DSIOM.

En tout état de cause, votre projet pour Mayotte correspond à une expérimentation législative qui ne dit pas son nom, et par le fait totalement inconstitutionnelle puisqu’elle ne respecte pas la procédure prévue en la matière.

M. François Bayrou. Très bien !

M. Abdoulatifou Aly. Le Gouvernement et la représentation nationale doivent enfin admettre qu’après plus de trente ans de régime administratif spécial et provisoire, Mayotte souhaite s’engager résolument dans le champ du droit commun national, comme l’a clamé sa population à l’occasion du référendum local du 29 mars 2009.

Ma deuxième interrogation, monsieur le secrétaire d’État, porte sur le caractère résiduel du champ d’application à Mayotte de votre projet de loi. Il est difficilement compréhensible que ce texte ne soit appelé à s’appliquer dans ce futur département, d’ores et déjà soumis au principe de l’identité législative, que de manière limitée à deux ou trois articles. Il me semble que le principe de la départementalisation de Mayotte devrait impliquer l’application automatique et systématique du droit commun,…

M. François Bayrou. Très bien !

M. Abdoulatifou Aly. …d’autant que les six matières actuellement maintenues dans le régime de la spécialité législative par l’article L.O. 6113 1 du code général des collectivités territoriales devront basculer dans le domaine de l’identité législative au plus tard le 1 er  janvier 2014, soit quasiment en même temps que l’entrée en vigueur de la présente réforme territoriale.

Enfin, je relève avec consternation que le projet de réforme territoriale exclut sciemment l’extension au département de Mayotte de ses dispositions relatives aux finances communales et au renforcement de l’intercommunalité. Or, dans ces matières, la législation est encore au stade où elle était en métropole avant la décentralisation de 1982, alors que les collectivités mahoraises sont décentralisées depuis 2004. Leurs charges financières ont augmenté sensiblement, au point qu’elles n’ont plus les moyens de faire face à leurs responsabilités. De ce fait, elles sont trop facilement suspectées de gestion critiquable, mais il n’échappe à personne que leurs dotations financières sont dix fois moins importantes que celles dont bénéficient les collectivités métropolitaines ou domiennes démographiquement comparables.

M. Alain Cacheux. Incroyable mais vrai !

M. Abdoulatifou Aly. Où sont, pour Mayotte, les exigences constitutionnelles d’autonomie financière et fiscale et d’interdiction de la tutelle d’une collectivité locale sur une autre quand les communes sont dépourvues de ressources propres et demeurent financièrement dépendants d’une collectivité territoriale elle-même étranglée sur le plan pécuniaire ? C’est pourquoi, à l’heure où le principe d’identité législative exige l’application du droit commun national à Mayotte, je souhaite connaître les prétextes invoqués par le Gouvernement pour justifier le maintien dans ce nouveau département de dispositions législatives et réglementaires désuètes. Le respect de l’égalité républicaine est une exigence fondamentale de l’action politique en France. À ce titre, il demeure incontournable, même à Mayotte !

M. François Bayrou. Très bien !

M. Abdoulatifou Aly. C’est donc, monsieur le secrétaire d’État, à l’aune de vos réponses à ces questions légitimes que je compte me déterminer sur le vote de cette réforme territoriale.

M. Jean Lassalle et M. François Bayrou. Bravo !

M. Alain Cacheux. Encore un sceptique !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, par respect pour les élus locaux enracinés, légitimes, dévoués jusqu’à l’extrême au service public de proximité…

Mme Élisabeth Guigou. Contrairement à ce que dit le Gouvernement !

M. Jean-Pierre Grand. …et montrant leur savoir-faire an matière d’aménagement du territoire, je souhaitais exprimer à cette tribune mon regret que les plus hauts responsables de l’État justifient ce texte au prétexte d’un nombre trop élevé d’élus et de collectivités locales jugées trop dépensières.

Mme Élisabeth Guigou. Voilà !

M. Jean-Pierre Grand. Ces déclarations sont extrêmement désagréables à entendre pour nous,…

M. Alain Cacheux. Elles sont lamentables !

M. Jean-Pierre Grand. …élus locaux qui, dans cette période de crise, sommes au rendez-vous de la solidarité nationale en développant des plans locaux de relance concrétisés par la réalisation d’importants investissements publics.

M. Alain Cacheux. Eh oui ! Heureusement qu’ils sont là, les élus locaux !

M. François Grosdidier. Personne ne les insulte !

M. Jean-Pierre Grand. Dans mon département de l’Hérault, toutes les collectivités locales ont investi 1,2 milliard d’euros en 2009 dans le seul secteur sensible du bâtiment et des travaux publics.

Cette insupportable argumentation est destinée à conquérir l’opinion publique pour justifier une réforme qui affaiblira nos institutions locales en prenant des mesures financières de recentralisation.

M. Henri Nayrou. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Grand. Au nom de quelle morale politique pourra-t-on justifier que désormais les conseillers généraux, rebaptisés conseillers territoriaux, élus dans des cantons redécoupés,…

M. Alain Cacheux. Recharcutés !

M. Jean-Pierre Grand. …siégeront également au conseil régional en lieu et place de conseillers régionaux directement élus par le peuple ?

En plus de son caractère gravement antidémocratique, ce mode de désignation des élus siégeant dans les conseils régionaux privera l’assemblée régionale d’une majorité cohérente et stable.

Quant à la diminution annoncée du nombre des élus, je ne prendrai qu’un exemple, celui du département de la Lozère, cher à Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Encore !

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Belle terre !

M. Jean-Pierre Grand. Peuplé de seulement 76 000 habitants, il verra sa représentation au conseil régional passer de un à quinze élus.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. C’est mieux qu’avant !

M. Jean-Pierre Grand. Le conseil régional de ma région Languedoc-Roussillon est composé aujourd’hui de 67 conseillers régionaux, directement élus par le peuple.

M. Robert Lecou. Mais complètement inconnus !

M. Jean-Pierre Grand. La nouvelle loi prévoit 164 conseillers, qui ne seront plus directement élus par le peuple. Quel Français, quel républicain, quel démocrate pourrait accepter que les membres d’une collectivité locale aussi importante qu’un conseil régional ne soient plus directement élus par le peuple ?

M. Alain Cacheux. Quelle gabegie !

M. Robert Lecou et M. André Schneider. Mais ils seront élus par le peuple !

M. François Grosdidier. Ils seront élus comme les députés !

M. Jean-Pierre Grand. Non ! Ils ne seront pas élus directement par le peuple. Mais cela nous évitera, c’est vrai, de perdre les élections régionales ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Derosier. Ils perdront les élections territoriales, voilà tout !

M. Jean-Pierre Grand. Je suis désolé, chers collègues de la majorité, mais vous me l’avez amené sur un plateau !

Cette loi départementalise la gestion de nos régions au moment où l’État régionalise ses services déconcentrés.

La deuxième disposition de cette loi qui doit être mieux connue des élus et de l’opinion publique, c’est la création des métropoles. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de renforcer l’intercommunalité dans les zones urbaines comme dans les zones rurales, mais personne, je dis bien personne, ne souhaite la disparition des communes comme collectivités de plein exercice.

Mme Élisabeth Guigou. Bien sûr !

M. André Schneider. C’est vrai.

M. Jean-Pierre Grand. Avec la création des métropoles, les communes urbaines et périurbaines intégrées dans leur périmètre de compétence ne seront plus des collectivités de plein exercice. Leurs maires deviendront de simples officiers d’état civil. Leurs mairies, sans budget ou presque, se transformeront de fait en mairies annexes dans une métropole technocratique et déshumanisée.

Pour s’en convaincre, il suffit simplement de lire la possibilité qu’offre cette loi de transférer à la métropole la dotation globale de fonctionnement et la taxe sur le foncier bâti, principales ressources de nos communes urbaines et périurbaines.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Sur la base du volontariat !

M. Jean-Pierre Grand. J’y viens, monsieur le secrétaire d’État.

Je suis certain que les maires concernés, leurs conseils municipaux et la population ne sont pas encore informés de ces dispositions qui sonnent le glas de leurs communes.

Naturellement – vous venez de le faire, monsieur le secrétaire d’État – le Gouvernement et le rapporteur vous expliqueront que la création des métropoles est un acte volontaire des collectivités, et pousseront le cynisme jusqu’à rappeler que l’on a maintenu les compétences générales pour les communes.

Mes chers collègues, voter une loi, c’est décider qu’un texte pourra s’appliquer. Dans ce cas précis, là où la loi sera appliquée, les communes disparaîtront de fait. Il faut en avoir conscience avant de voter ces dispositions.

Je m’adresse aux députés de Bordeaux, de Grenoble, de Lille, de Lyon, de Marseille, de Nantes, de Nice, de Strasbourg, de Toulouse, pour ne citer que ces communautés urbaines. Mes chers collègues, j’imagine que vous avez prévenu les 318 maires des communes urbaines et périurbaines potentiellement concernées, leurs conseils municipaux et la population avant de voter ce texte.

M. Alain Cacheux. Ils ne l’ont sans doute pas jugé utile…

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le secrétaire d’État, au moment où la France a besoin de sérénité, d’unité et de rassemblement, cette réforme dogmatique, confuse, techniquement difficile à mettre en œuvre et contraire à l’esprit des lois de décentralisation stigmatise, divise et humilie nos collectivités, les fonctionnaires territoriaux et les élus locaux, piliers solides de nos institutions et de notre pacte républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Abdoulatifou Aly. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou. Quel réquisitoire !

M. Alain Cacheux. Ils sont KO debout !

M. Henri Nayrou. Il est lucide, cet annonciateur de malheurs !

M. Robert Lecou. Quel sniper !

M. Jean-Pierre Grand. Je suis un républicain, rien de plus.

M. le président. La parole est à Mme Henriette Martinez.

Mme Henriette Martinez. Au cours des longs mois de concertation qui ont précédé nos débats, et qui ont permis, je dois le dire, des évolutions significatives du projet de loi initial de réforme des collectivités territoriales, je n’ai cessé d’appeler votre attention sur la particularité de mon département : les Hautes-Alpes.

Peuplé de seulement 130 752 habitants, répartis sur 177 communes dont 31 comptent moins de cent habitants, mon département compte aujourd’hui trente conseillers généraux et quatre conseillers régionaux, qui sont des élus du nord de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

M. Henri Nayrou. À la trappe !

Mme Henriette Martinez. Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, je prends acte avec satisfaction de votre écoute de ma revendication souvent formulée de fixer un nombre de conseillers territoriaux minimal pour les petits départements comme le mien, et notamment pour les départements de montagne.

Cela aboutit à votre proposition d’instaurer une exception à la règle de la moyenne générale de population pour la création des nouveaux cantons.

M. Bruno Le Roux. Impossible : pour qu’il y ait des exceptions, il faut une règle. Or il n’y a pas de règle !

Mme Henriette Martinez. Vous nous proposez pour les départements peu peuplés – les Hautes-Alpes, mais aussi les Alpes-de-Haute-Provence, la Lozère, l’Ariège, la Meuse et le Territoire de Belfort – un seuil plancher de quinze conseillers territoriaux. Vous l’aviez annoncé lors du congrès de l’Association nationale des élus de montagne à L’Argentière-La Bessée, dans les Hautes-Alpes : vous avez tenu parole, et je vous en remercie. Ce seuil, vous en avez convenu, est indispensable au maintien d’une démocratie locale vivante en milieu rural, et en particulier dans les zones de montagne.

Je ne parle pas ici de proximité. J’ai beaucoup entendu ce mot, mais je crois que la notion de proximité est liée davantage à la personnalité de l’élu et à la façon dont il fait son travail qu’à la mathématique de la population et de la surface de son canton. Je vous parle ici, plus pragmatiquement, d’équité dans les conditions d’exercice des mandats locaux.

Vous en conviendrez, passer de trente conseillers généraux à quinze conseillers territoriaux représente un effort considérable pour un département comme le mien, entre autres. Leur nombre diminue de moitié, mais la charge de travail du conseil général sera la même, et le travail du conseil régional viendra s’y ajouter.

Puisque ce seuil sera fixé de façon dérogatoire, monsieur le secrétaire d’État, pourquoi ne pas faire aujourd’hui un effort supplémentaire en acceptant, comme le propose l’ANEM, de porter ce seuil minimum à vingt conseillers territoriaux ? L’effort serait un peu moins difficile pour les nouveaux élus comme pour les populations.

M. Henri Nayrou. Très bien !

Mme Henriette Martinez. Certes, on m’objectera que quinze conseillers territoriaux pour 130 752 habitants, cela signifie un conseiller territorial pour 8 700 habitants, ce qui est très en dessous de la moyenne régionale, surtout pour un petit département de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Mais comment comparer les 130 000 habitants des Hautes-Alpes avec les 4,7 millions d’habitants de la région ? Comment comparer surtout la densité de population des Hautes-Alpes, 22 habitants au kilomètre carré, soit une des plus faibles de France, à celle de la région tout entière, 144 habitants au kilomètre carré, donc supérieure à la moyenne nationale ? Comment comparer la population d’un canton urbain de Marseille à celle des cantons des Hautes-Alpes, dont le plus grand, celui de Gap sud-est, compte 9 723 habitants et le plus petit, celui de Barcillonnette, est le plus petit canton de France avec 353 habitants ?

M. Robert Lecou. Belle démonstration mathématique !

M. Henri Nayrou. On est en République, chacun a le droit d’exister !

Mme Henriette Martinez. Cela montre, j’en conviens très volontiers, la nécessité de la réforme et du redécoupage des cantons. Mais cela montre aussi la nécessité de prendre en compte la géographie, tout autant que l’histoire politico-administrative des départements de montagne où j’aurais souhaité, monsieur le secrétaire d’État, que puisse s’appliquer un critère de pondération démographique.

Il n’en a pas été ainsi et je le regrette. Pour conforter la justesse des décisions déjà prises, tout en vous donnant les arguments pour faire l’effort supplémentaire que nous vous demandons, je vous dirai aussi qu’un département comme le mien est entièrement classé en zone de montagne, et que ses habitants vivent au quotidien les inconvénients de ses avantages touristiques, avec un tiers du territoire départemental situé au-dessus de 2 000 mètres et une altitude moyenne de 1 000 mètres.

Sait-on à Paris ce qu’est la vie quotidienne des habitants et celle des élus locaux, quand on habite sous la barre des Écrins, qui culmine à 4 102 mètres, ou dans le village le plus haut de France, Saint-Véran, à 2 042 mètres, là où, dit l’ancien adage, « les coqs picorent les étoiles » ?

M. Henri Nayrou. Joli !

M. Alain Cacheux. Superbe !

M. Jean Lassalle. Bravo !

Mme Henriette Martinez. Savez-vous que le conseiller général de La Grave, ce petit canton sur le sommet des neiges, doit parcourir 300 kilomètres de routes difficiles pour se rendre à Marseille, soit plus de quatre heures de route par beau temps ?

M. Alain Cacheux. Il n’ira pas souvent au conseil régional !

Mme Henriette Martinez. Dans ces conditions, je m’interroge sur la charge de travail des quinze conseillers territoriaux que nous envisageons.

Sachez aussi, à titre d’exemple, que les conseillers généraux siègent – je me suis renseignée – dans 274 structures départementales, hors conseil général.

M. Bruno Le Roux. Mais c’est le conseiller territorial que vous remettez en cause !

Mme Henriette Martinez. Écoutez ma démonstration, monsieur Le Roux, puisque vous l’approuvez.

À raison d’une moyenne de deux élus par structure, cela représente 548 délégations, soit dix-huit par élu – sans compter que la majorité en détient davantage que l’opposition.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Il faudrait peut-être supprimer quelques-unes de ces structures !

M. François Grosdidier. Cette dispersion est une honte !

M. Robert Lecou. Il y a trop d’organismes, c’est sûr.

M. Bruno Le Roux. Quels coups de boutoir contre le projet du Gouvernement !

Mme Henriette Martinez. Demain, dans ces conditions, chaque élu devra faire face à trente-six délégations, sans compter celles du conseil régional qui viendront s’y ajouter.

J’arrête là mes calculs, qui peuvent paraître fastidieux mais qui illustrent la nécessité absolue, non seulement de fixer un seuil minimal par canton, mais de porter ce seuil à vingt conseillers territoriaux.

Sachez, monsieur le secrétaire d’État, que l’effort que vous ferez est d’ores et déjà partagé par les conseillers généraux, notamment ceux du département des Hautes-Alpes. Je ne suis ni conseillère générale, ni conseillère régionale…

M. Bernard Derosier. Pas encore !

Mme Henriette Martinez. …mais je le dis pour mes amis.

Je voudrais dire en conclusion à mes collègues de l’opposition qui se sont beaucoup exprimés pendant mon propos, et notamment à ceux de l’ANEM qui partagent mon analyse, comme à monsieur le secrétaire d’État, que mon vote est aujourd’hui conditionné par l’engagement qu’a pris le Gouvernement de porter à un minimum de quinze le nombre de conseillers territoriaux. Je vous demande de le porter à vingt.

Si d’aventure ce seuil minimal devait être censuré par le Conseil constitutionnel, alors je regretterais mon vote.

M. Bruno Le Roux. Il y a un risque, et M. le secrétaire d’État le sait !

Mme Henriette Martinez. Aujourd’hui, néanmoins, après bien des réunions et des débats au cours desquels je n’ai ménagé ni mon implication, ni mes protestations, ni mes propositions, je peux témoigner du chemin parcouru. Je vous en remercie, monsieur le secrétaire d’État, et je fais le pari de la confiance.

M. Bernard Derosier. On prend son oreiller pour se coucher ?

Mme Henriette Martinez. Je vous apporte donc mon soutien au nom des départements ruraux et de montagne, car je sais que vous les connaissez bien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. — Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Voilà une femme qui sait être convaincante.

M. Bruno Le Roux. La majorité va être difficile à réunir sur ce texte !

M. Alain Cacheux. L’inquiétude se lit sur le visage du ministre ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Armand Jung.

M. Armand Jung. Monsieur le secrétaire d’État, avant de m’exprimer à cette tribune, je me suis entouré de nombreux avis ; j’ai consulté des experts de tous bords ; j’ai écouté les commentaires des uns et des autres sur tous les bancs ; j’ai lu de nombreux articles pour essayer de comprendre cette réforme des collectivités territoriales dont nous débattons aujourd’hui.

Bien qu’ayant une certaine expérience de la politique locale, je n’ai toujours pas très bien saisi, au moment où je vous parle, l’économie de votre texte, et je continue de m’interroger.

M. Jean-Pierre Grand. Nous aussi !

M. Armand Jung. À la lumière de l’expérience que je vis en Alsace depuis de nombreuses années, j’ai essayé, en vain, de mettre en perspective votre projet de réforme.

Cette région, que vous continuez de diriger – provisoirement – multiplie les « expérimentations », mot tabou employé à tout bout de champ. Vos amis veulent en effet créer un « Conseil d’Alsace unique », le CAU. D’autres veulent également expérimenter un mode de scrutin mixte, uninominal et proportionnel, ce que vous semblez rejeter dans votre texte. Certains rêvent même d’un Parlement régional, doté de pouvoirs législatifs et réglementaires. Enfin, l’Alsace va lancer une nouvelle expérimentation et instaurer la fameuse « taxe poids lourds » qui devrait ensuite être généralisée partout en France, malgré toutes les réserves qu’ont exprimées la profession et les élus locaux. Sous votre impulsion, l’Alsace est devenue une terre d’expérimentations tous azimuts. J’aimerais vous rappeler que l’Alsace est, avant tout, une terre de bon sens et de sagesse, ce qui semble vous échapper.

M. Jean Ueberschlag. Très bien !

M. Armand Jung. Monsieur le secrétaire d’État, ôtez-moi d’un doute : si j’ai bien compris votre projet,…

M. Alain Cacheux. Cela fait trois jours qu’on essaie de comprendre !

M. Armand Jung. J’avoue que c’est compliqué !

…il y aurait dans le département du Bas-Rhin une métropole autour de Strasbourg, qui se substituerait à la communauté urbaine de Strasbourg. Celle-ci, créée en 1966, disparaîtrait purement et simplement.

M. Bernard Derosier. Non, pas forcément !

M. Armand Jung. La métropole couvrirait environ 60 % du territoire du département et exercerait notamment les compétences sociales du conseil général du Bas-Rhin qui sont déjà exercées, par convention, par la ville de Strasbourg.

M. Bernard Roman. On tombe sur la tête !

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . C’est facultatif.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Ce n’est pas obligatoire, vous n’avez pas lu le texte !

M. Armand Jung. Les nouveaux conseillers territoriaux ne seraient donc chargés que de l’administration d’environ 40 % du département et n’auraient aucun impact sur la métropole, largement dominante !

De plus, il y aurait autour de Strasbourg, des députés et des conseillers territoriaux qui, selon votre logique, ne seraient pas parties prenantes de la métropole, dont on ne sait toujours pas par qui elle sera administrée et dirigée.

M. Bernard Derosier. On marche sur la tête !

M. Armand Jung. En effet.

J’ai essayé de résumer la complexité de votre projet de métropole, proprement incompréhensible et qui s’apparente à une aporie sans issue de la décentralisation.

M. François Grosdidier. Le maire de Strasbourg n’est pas de cet avis !

M. Armand Jung. Il ne me semble pas judicieux de revendiquer le roi « Métropole » comme les grenouilles de la fable de La Fontaine qui demandaient un roi et qui eurent, au final, un soliveau !

M. François Bayrou. Bien !

M. Armand Jung. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez décidé d’abaisser le seuil de création des métropoles à 450 000 habitants pour que Strasbourg puisse prétendre à ce nouveau statut. C’est très louable, mais totalement inadapté au statut particulier de Strasbourg.

Car Strasbourg est avant tout une capitale européenne, le siège officiel du Parlement européen. Elle accueille également le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme, et d’autres institutions européennes.

Si vous souhaitez renforcer le rôle historique de Strasbourg, une option plus courageuse consisterait par exemple à faire de cette ville un véritable district européen transfrontalier avec une vocation spécifique comme Bruxelles ou, dans un autre registre, le district de Washington aux États-Unis.

M. Bernard Derosier. Voilà !

M. Armand Jung. La métropole telle que vous l’envisagez n’a de sens que pour de grandes villes qui comptent plus d’un million d’habitants, pouvant rivaliser avec Londres, Madrid ou Shanghai.

M. Bernard Derosier. Absolument !

M. Armand Jung. À la lecture de votre tableau de répartition géographique des futurs conseillers territoriaux, j’ai bien compris qu’il s’agissait avant tout de régler vos comptes avec les régions de gauche, confirmées en mars dernier.

M. Bernard Roman. Bien sûr !

M. Alain Cacheux. Cela fait trois jours qu’on le dit !

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Il faut résister à l’envahisseur !

M. Armand Jung. Appliqué à l’Alsace, votre système aboutit à la suppression de la moitié des élus locaux, qui, en l’occurrence, sont vos propres amis.

M. Bernard Roman. Ils vont perdre l’Alsace aussi !

M. Armand Jung. Sans risque de me tromper, je peux vous annoncer une immense pagaille en Alsace, car les conseillers généraux, en service à l’heure actuelle, ne vont certainement pas laisser leur place aux nouveaux conseillers territoriaux élus au mois de mars et qui sont à la recherche, pour 2010, de l’ancrage territorial qu’ils n’ont pas à ce jour.

Mme Claude Greff. Est-ce à dire qu’ils pensent à leur intérêt particulier plutôt qu’à l’intérêt général ?

M. François Grosdidier. C’est vrai qu’il faut du courage pour réformer !

M. Armand Jung. Au final, votre réforme, monsieur le secrétaire d’État, ne fait et ne fera que des déçus, à gauche comme à droite.

Mme Claude Greff. Ce n’est pas un bon argument !

M. François Grosdidier. Merci de saluer le courage de la majorité !

M. Armand Jung. Il y avait mieux à faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Claude Greff. Pas très convaincant !

M. le président. La parole est à M. François Bayrou.

Mme Claude Greff. Ah ! un revenant !

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . La troisième voie !

M. Alain Cacheux. La voix de la sagesse, de l’équilibre !

M. le président. Je rappelle à l’orateur qu’il est inscrit pour dix minutes, ce qui correspond au temps restant aux députés non-inscrits.

M. François Bayrou. Tout à fait, monsieur le président, comme mes collègues Jean Lassalle et. Abdoulatifou Aly qui se sont exprimés à ce titre.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer par une remarque de forme, dont j’espère qu’elle ne sera pas trop superficielle.

Le texte que nous examinons fait cent quatorze pages, écrites en petit comme on disait à l’école ; celui de la semaine dernière sur le Grenelle 2 en faisait deux cent soixante… Il me semble que nous perdons de vue ce que la loi devrait être : un texte posant des principes clairement dessinés, à l’image d’un travail d’architecte, autrement dit une législation lisible et compréhensible pour les citoyens.

Votre texte est illisible et incompréhensible. Ce n’est pas bon signe. Faut-il rappeler que le décret de 1789, qui crée l’architecture locale des collectivités françaises, ne fait que deux pages ?

M. Bernard Roman. Eh oui !

Mme Claude Greff. C’était en 1789 !

M. François Bayrou. Je ne crois pas que pour autant il ait été de moins bonne qualité ni qu’il n’ait marqué profondément la réalité de notre pays.

M. François Grosdidier. Le code général des collectivités territoriales est plus épais !

M. François Bayrou. Venons-en maintenant aux remarques de fond.

M. Bernard Roman. Pour l’instant, c’est juste !

M. François Bayrou. Je crois avoir été le premier à avoir, dès l’élection présidentielle de 2002, défendu l’idée d’un rapprochement des élus des départements et des régions pour améliorer la coordination et le travail en commun de ces deux assemblées.

M. Jean-Pierre Grand. C’était le bon temps !

M. François Bayrou. Ayant présidé un conseil général pendant dix ans, j’ai souvent regretté l’ignorance mutuelle dans laquelle se tenaient départements et région – en tout cas chez moi.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . C’est vrai !

M. Henri Nayrou. Ce n’est plus le cas !

M. François Bayrou. Il me semblait bon et utile que l’action des deux collectivités fût mieux coordonnée.

Je n’entrerai pas dans le débat bénédictin qui s’est déroulé tout au long de ces journées : le département fonctionne-t-il mieux avec une collectivité de proximité, la commune, et l’intercommunalité…

M. Henri Nayrou. Bien sûr !

M. François Bayrou. …la région rejoignant alors l’État et l’Europe ? À l’inverse, la cohérence doit-elle être recherchée entre départements et régions ?

M. Henri Nayrou. La cohérence est claire !

M. François Bayrou. Pour ma part, je crois que les départements et les régions font le même travail, un travail de stratégie territoriale. Mais je n’entrerai pas dans ce débat : au fond, ce qui est plus important encore, ce sont les dispositions qui vont régir la désignation, l’élection de ces élus.

Il ne suffit pas d’annoncer qu’on va rapprocher des élus pour que la représentation soit efficace et juste.

M. Bernard Roman. C’est évident!

M. François Bayrou. Le choix du Gouvernement de déposer ex abrupto , comme on disait, à la va-vite, sur un coin de table, un amendement, visant à désigner les conseillers territoriaux au scrutin majoritaire à deux tours dans le cadre de petites circonscriptions départementales porte atteinte à la légitimité même de ces élus.

Je distinguerai pour vous le démontrer deux approches. La première est une approche d’opportunité : est-il mieux de procéder ainsi ou aurait-il mieux valu faire autrement ? Cela peut mériter débat – nous en avons entendu beaucoup ces deux derniers jours. La seconde est de nature constitutionnelle : avez-vous le droit de décider de ce mode de scrutin ou n’en avez-vous pas le droit ?

M. Bernard Roman. C’est la vraie question !

M. Jean-Pierre Grand. Il n’en a pas le droit !

M. François Bayrou. Je soutiens l’idée que vous n’en avez pas le droit. La Constitution, dans deux dispositions majeures, vous interdit de faire le choix de ce mode de scrutin.

M. Henri Nayrou. Le respect de la parité !

M. François Bayrou. Je veux simplement rappeler, peut-être pour le public qui est dans les tribunes,…

Mme Claude Greff. C’est aux tribunes ou à nous que vous vous adressez ?

M. François Bayrou. …que nous avons écrit à l’article 1 er de la Constitution : « La loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . C’est vrai.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Favoriser, ce n’est pas très fort.

M. Alain Cacheux. Le projet de loi, lui, défavorise !

M. François Bayrou. Permettez-moi de faire une analyse de texte très rapide. Le verbe « favoriser » signifie qu’il y a une dynamique dans la loi qui veut constamment améliorer la situation électorale au regard de la parité souhaitée entre les hommes et les femmes.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . C’est vrai.

M. François Bayrou. Ce n’est pas un vœu. La Constitution ne parle pas d’égalité des chances, mais bien d’égal accès.

Nous sortons d’une situation dans laquelle à peu près un tiers des élus, départementaux et régionaux, étaient élus au scrutin proportionnel, c’est-à-dire avec la parité absolue ou presque ; vous voulez passer à une situation dans laquelle aucun représentant ne sera élu avec ce mode de scrutin paritaire. Vous ne favorisez donc pas : vous défavorisez. Le Conseil constitutionnel ne peut pas ne pas sanctionner ce point de vue.

M. Bernard Roman. Exactement !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il y a un risque !

M. Alain Cacheux. Le secrétaire d’État lui-même est ébranlé !

M. François Bayrou. Par ailleurs, l’article 4 de la Constitution dispose – peut-être ai-je été de ceux qui ont participé un peu à la conception de ces lignes : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » Le texte que vous proposez ne garantit pas du tout la participation équitable et le pluralisme : il fait le contraire.

M. Alain Cacheux. Tout à fait !

M. François Bayrou. Je considère donc que, sur ces deux points, le texte que vous nous proposez est anticonstitutionnel…

M. Alain Cacheux. Évidemment !

M. François Bayrou. …et que vous n’avez pas le droit de proposer à l’Assemblée nationale de l’adopter.

M. Abdoulatifou Aly. Eh oui !

Mme Claude Greff. Vous ne démontrez rien !

M. François Bayrou. Il ne deviendra pas la loi, parce qu’il a toutes chances d’être sanctionné par le Conseil constitutionnel.

Pour ce qui est de l’opportunité de ce texte, je sais bien que je suis minoritaire dans cette assemblée sur cette question…

M. Dominique Le Mèner. Largement !

M. François Bayrou. …mais je veux tout de même défendre mon point de vue. Nous avions deux assemblées, un conseil régional et un conseil général. Bon nombre d’entre nous ont siégé dans les deux.

Mme Frédérique Massat. Des cumulards !

M. François Bayrou. Nous savons bien que lorsque l’on portait un projet et que l’on ne réussissait pas, pour des raisons diverses et variées, à convaincre une assemblée, on pouvait toujours avoir recours à l’autre. Vous pouviez toujours vous tourner vers le département si la région vous ignorait, et vice-versa ; et parfois même – c’était à mon sens une très bonne idée – additionner les financements des deux.

Mme Claude Greff. Et voilà !

M. François Grosdidier. C’est vrai qu’avec le clientélisme et le sectarisme des régions de gauche…

M. François Bayrou. C’est une mauvaise idée de proposer de placer une assemblée unique dans la situation d’ignorer toutes les minorités. Une assemblée unique devrait, au contraire, être amenée à devoir convaincre, en allant chercher des majorités qui associent des opinions différentes ou des courants démocratiques différents.

M. Bernard Roman. On est d’accord là-dessus !

M. François Bayrou. Le culte, l’obsession majoritaire conduit en réalité à la dictature des majorités sur les minorités.

Mme Claude Greff. C’est n’importe quoi !

M. Abdoulatifou Aly. Non, c’est vrai !

M. François Bayrou. Sans oublier toutes celles qui sont absentes. C’est la raison pour laquelle je pense que même sur la question de l’opportunité, vous vous trompez avec ce texte.

M. Bernard Roman. Bien sûr !

Mme Claude Greff. Il n’y a là aucune démonstration majeure !

M. François Bayrou. Deuxième d’observation : l’introduction des métropoles va créer un désordre gravement dommageable à l’organisation des collectivités locales en France. Combien seront-elles, ces métropoles ? Peut-être une quinzaine, car je ne crois pas une seconde que le seuil des 450 000 habitants ne résistera. Vous êtes partis de 700 000, puis on est passé à 600 000, nous en sommes à 450 000… Expliquez-moi la différence qu’il y a entre Strasbourg et Montpellier en terme de rôle, de place !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier et M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis. Frêche ! (Sourires.)

M. François Bayrou. Pourquoi ne pas descendre jusqu’à Belfort, dans le du Territoire du même nom, si vous me permettez cette parenthèse souriante ?

Pour commencer, vous donnez aux métropoles toutes les compétences des communes qui les forment. Il n’est jusqu’aux cimetières et aux abattoirs que vous ne leur ayez confiés…

M. Henri Nayrou. Exact !

M. François Bayrou. N’y voyez naturellement aucun lien de cause à effet entre les deux ! (Sourires)

Mme Claude Greff. C’est déjà le cas avec les communautés d’agglomérations !

M. François Bayrou. Qui plus est, vous transférez aux métropoles la totalité – ce sera possible – des compétences des départements et des régions.

Monsieur le secrétaire d’État, nous ne sommes pas seulement des législateurs pour 2010 ; nous sommes les héritiers d’un très long temps, deux cents ans. Expliquez-moi ce qu’il restera du département de la Gironde ou du département de la Haute-Garonne lorsque vous leur aurez enlevé Bordeaux ou Toulouse ? Que reste-t-il de l’Alsace sans Strasbourg ?

M. Armand Jung. Un cimetière ! (Sourires)

M. François Bayrou. Que restera-t-il de la réalité du département, et même de la réalité des régions, lorsque vous aurez transféré la totalité des compétences touchant à l’économie, au social, aux lycées et aux collèges, y compris en termes de communication autour de l’image de la collectivité, de la région à l’extérieur et à l’étranger ? Que restera-t-il ?

En vérité, c’est à la démolition du département et d’un bon nombre de régions françaises que vous êtes en train de procéder. C’est regrettable et cela va semer un grand désordre, d’autant que personne ne vous le demandait – si ce n’est les maires de grandes villes de tous bords, de droite comme de gauche, tous unis pour prendre les compétences des départements et des régions.

M. François Grosdidier. MM. Ayrault et Juppé disent le contraire !

M. François Bayrou. À cette exception près, bien aisée à comprendre, je suis persuadé que personne dans l’opinion publique française n’était disposé à ce que l’on aille dans ce sens. Je crois que l’on se trompe, je crois que c’est une erreur.

Dernière observation, qui n’a pas été faite jusqu’à présent. Vous allez vous trouver dans la situation où les métropoles ayant extrait leurs compétences des départements et des régions, ces départements et ces régions n’en seront pas moins gérés par les élus de ces métropoles… Leur poids sera déterminant. Je m’interroge sur la constitutionnalité de la situation dans laquelle des élus très nombreux pèsent un poids déterminant sur le conseil d’une assemblée sans que cette assemblée n’ait la moindre compétence réelle sur le territoire qu’ils représentent ! Il y a là quelque chose d’extrê mement curieux, et à mes yeux très déstabilisant au regard de l’idée que les citoyens devraient avoir de la simplicité et de la lisibilité de leurs collectivités locales.

Pour conclure, bon nombre de dispositions dans ce texte me semblent procéder d’une idéologie que je crois fausse, celle du big is beautiful. Je sais que la pensée technocratique va souvent dans ce sens : plus c’est gros, mieux c’est ; plus c’est fusionné, plus c’est rapproché, plus on donne la compétence à des fonctionnaires plutôt qu’à des élus de terrain, mieux c’est. Je crois le contraire : l’histoire de la France montre aussi que small is beautiful. Il y a dans la proximité, dans les territoires, fussent-ils exigus, dans les élus réputés petits et que je crois pour ma part tout à fait essentiels, quelque chose d’intime dans l’histoire de notre pays. On a tort de choisir l’idéologie qui consiste à constamment les effacer : c’est une partie de notre histoire que l’on effacerait. Je maintiens que ce texte est désordonné, qu’il est inconstitutionnel à plusieurs titres ; vous seriez bien avisé d’y réfléchir, monsieur le secrétaire d’État, et votre majorité avec vous.

M. Abdoulatifou Aly et M. Jean Lassalle. Bravo !

M. Henri Nayrou. Beau tir de barrage !

M. le président. La suite de la discussion générale est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite du projet de loi de réforme des collectivités territoriales.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séancede l’Assemblée nationale,
Claude Azéma