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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2011-2012

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 8 novembre 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

. Questions au Gouvernement

Plan d’équilibre des finances publiques

M. Rudy Salles

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Plan d’équilibre des finances publiques

M. François Asensi

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Réduction des dépenses publiques

M. Yves Censi

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Intempéries dans le sud de la France

M. Michel Vauzelle

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration

Plan d’équilibre des finances publiques

M. Christian Eckert

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Intempéries dans le Sud de la France

M. Jean-Sébastien Vialatte

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation

Yémen

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Plan d’équilibre des finances publiques

M. Pierre-Alain Muet

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

2. Rappels au règlement

M. Jean-Marc Ayrault

M. Yves Cochet

M. Christian Jacob

M. le président

M. Jean-Marc Ayrault

3. Conformité au principe de subsidiarité du contrôle aux frontières intérieures

M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des affaires européennes

Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes

Discussion générale

M. Patrick Braouezec

M. Yvan Lachaud

Mme Marie-Louise Fort

M. Christophe Caresche

M. Dominique Souchet

Article unique

Amendements nos 1, 2, 3

M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes

Vote sur l’article unique

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Plan d’équilibre des finances publiques

M. le président. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Rudy Salles. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Depuis plusieurs années, notamment au travers de la règle d’or, dont il est à l’origine, tendant à interdire le financement par la dette des dépenses de fonctionnement, le groupe Nouveau Centre alerte le Gouvernement sur la nécessité d’aller plus loin dans la réduction des déficits, compte tenu des sombres prévisions de croissance pour 2011 et 2012.

M. le Premier ministre partage cette vision. Il a tenu compte de la réduction à 1 % du taux de croissance prévu pour 2012 et a eu le courage de présenter, hier, un plan comportant des mesures d’économie et des recettes nouvelles.

Nous soutenons la plupart de ces mesures de rigueur, dont certaines s’inspirent d’ailleurs de nos propres propositions, qu’il s’agisse du coup de rabot sur les niches fiscales et sociales, du taux intermédiaire de TVA ou des mesures visant les grandes entreprises. En revanche, nous sommes réservés sur la limitation à 1 % de la revalorisation des prestations familiales et des allocations logement, car nous pensons qu’il est nécessaire de protéger les familles et les locataires face à une situation économique et sociale difficile. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Par ailleurs, je veux souligner que nos principaux partenaires s’engagent dans la même voie, notamment l’Allemagne qui a décidé de porter à 67 ans l’âge de départ à la retraite, pendant qu’ici certains parlent encore, de façon totalement irresponsable, de le ramener à 60 ans. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Devant la gravité de la situation, qui requiert une mobilisation générale de tous les acteurs tout en protégeant les plus vulnérables, M. le Premier ministre est-il prêt à un dialogue avec sa majorité pour remplacer la mesure frappant les familles et les locataires par un coup de rabot supplémentaire sur les niches fiscales ou par un effort fiscal plus grand demandé aux grandes entreprises ? (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics…

M. Roland Muzeau. Et du déficit !

M. le président. …et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, comme vous le savez, face à une situation de turbulence économique qui touche toute la zone euro, le Gouvernement a été obligé de réagir de manière rapide, sincère et crédible pour tenir nos engagements de réduction des déficits.

Les mesures annoncées hier par M. le Premier ministre, permettez-moi de vous le dire, monsieur le député, sont nécessaires, équilibrées et justes. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Roland Muzeau. Ce n’est pas vrai !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Elles sont nécessaires pour tenir notre engagement intangible de réduction de nos déficits. Cette année, le déficit représentera 5,7 % de la richesse nationale.

M. Roland Muzeau. Ce déficit, c’est le vôtre !

Mme Valérie Pécresse, ministre. En 2012, il sera de 4,5 %, en 2013 de 3 %, notre objectif ultime étant de parvenir à l’équilibre des finances publiques en 2016.

Notre effort est équilibré car il est réparti pour moitié entre des économies sur les dépenses et des recettes nouvelles. C’est ce qui nous distingue de l’opposition qui, elle, ne propose que des taxes, des taxes et encore des taxes. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Ce plan est juste également, monsieur le député, parce que nous demandons davantage à ceux qui ont davantage. (Nouvelles exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Paul Lecoq. Non, vous faites encore des cadeaux aux riches !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Vous me posez la question des prestations sociales. Eh bien oui, nous disons aujourd’hui aux Français que nous ne pouvons pas dépenser plus que la richesse que nous créons, et c’est pourquoi nous indexerons les dépenses familiales et les dépenses d’aide au logement sur le taux de croissance, c’est-à-dire 1 %. Cependant, tous les revenus et les minima sociaux seront exonérés de cette règle puisqu’ils progresseront au rythme de l’inflation. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Roland Muzeau. Et le bouclier fiscal ?

Plan d’équilibre des finances publiques

M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. François Asensi. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, mais je ne le vois pas.

M. Roland Muzeau. Il n’est pas là, il se fout de l’Assemblée !

M. François Asensi. Le plan d’austérité annoncé hier constitue une déclaration de guerre sociale contre le peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

L’injustice est le seul plan de bataille que ce gouvernement aura respecté. Hier, il prenait 2,2 milliards d’euros des poches des assurés avec la taxe sur les mutuelles. Aujourd’hui, il réduit les APL et les allocations familiales ; il asphyxie les collectivités ; il durcit la réforme des retraites ; il impose de nouvelles restrictions dans les hôpitaux et les services publics ; il augmente la TVA, l’impôt le plus injuste. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Pas une de ces mesures ne relancera notre économie.

Les spéculateurs ne doivent pas être des boucs émissaires, dit le Premier ministre. Mais quels sont les chevaux de Troie de la tragédie grecque promise à l’Europe ? Les « boursicoteurs » et les fondés de pouvoir du capitalisme financier ! Les diktats des agences de notation conduisent notre pays vers la récession.

M. Alain Gest. Ridicule !

M. François Asensi. Cependant, le parallèle qui a été fait avec la France de 1945 est indécent. En 1945, malgré une France exsangue et une Europe anéantie par les combats, les élites politiques surent relever le pays et financer de grandes réformes sociales.

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. François Asensi. Alors, oui, comme en 1945, le temps des ruptures est venu. Les alternatives existent : en supprimant les cadeaux aux plus riches, en taxant plus le capital, en éradiquant la spéculation et les paradis fiscaux, en sortant du traité de Lisbonne.

Les députés du Front de gauche défendent ce nouveau partage des richesses en faveur de la croissance et de l’emploi. Quand le Gouvernement va-t-il abandonner la voie de l’austérité et de la récession et promouvoir enfin la croissance pour notre pays ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, j’ai une question à vous poser. (« Non ! Vous, répondez à la question ! » sur les bancs du groupe GDR.)

M. Jean Glavany. Dans quelle République vous vous croyez ? On marche sur la tête ! Et vous laissez faire, monsieur le président ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Qu’est-ce que la justice pour vous ? Est-ce ce que fait l’Espagne socialiste, c’est-à-dire fermer les blocs opératoires pendant des mois, baisser le niveau des retraites, baisser le niveau des prestations sociales, baisser le niveau des allocations familiales ?

M. Roland Muzeau. Nous sommes en France !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Est-ce cela la justice pour vous ? Ou la justice est-ce de faire ce que fait notre gouvernement, c’est-à-dire augmenter de 37 % sur cinq ans les dépenses sociales de l’État – jamais les filets de protection sociale n’ont été aussi solides dans notre pays.

M. Jacques Desallangre. Oh !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous avons eu le courage, monsieur le député, de faire des réformes.

M. Jacques Desallangre. Mais non !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Des réformes comme celle des retraites, qui nous permet aujourd’hui de ne pas baisser le montant des retraites.

M. Pierre Gosnat. C’est faux !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Des réformes comme celle de l’État, qui nous permet, en effet, de voter le budget le plus économe depuis 1945, un budget où les dépenses de l’État baisseront par rapport à l’année précédente, ce qui n’était jamais arrivé. Parce que la facilité, c’est fini, parce que, aujourd’hui, on ne doit pas dépenser plus qu’on ne crée de richesses.

M. Roland Muzeau. Les coupables, c’est vous !

M. Jean-Paul Lecoq. C’est vous qui nous faites tomber dans le trou, depuis dix ans que vous gérez !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais les plus fragiles seront protégés de cet effort, et vous le savez, parce que nous demandons plus à ceux qui ont plus, plus d’impôt sur le revenu, plus d’impôt sur la fortune, plus d’impôt sur le patrimoine. Vous en parlez, monsieur le député, mais l’harmonisation de la fiscalité des revenus, du patrimoine et du travail, c’est nous qui l’aurons faite. (Protestations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Nous sommes, en matière de justice, en mesure de donner des leçons, pas d’en recevoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

Réduction des dépenses publiques

M. le président. La parole est à M. Yves Censi, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Yves Censi. Madame la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, comme l’avait annoncé le Président de la République le 27 octobre, la révision à la baisse de la prévision de croissance pour 2012 a été assortie d’un ensemble de mesures dévoilé hier par le Premier ministre. Ces mesures doivent nous permettre non seulement de tenir nos engagements de réduction des déficits publics l’an prochain, mais également de renforcer de façon crédible la perspective d’un retour à l’équilibre de nos finances publiques en 2016.

Comme l’a rappelé le Premier ministre, nos comptes publics n’ont plus été en équilibre depuis 1975. L’effort inédit dans lequel nous nous engageons en vue de désendetter la France doit donc tous nous rassembler. Je salue, bien sûr, l’action du Gouvernement qui fait preuve, encore une fois, de réactivité et de réalisme face à une conjoncture en constante évolution.

La cohérence d’ensemble des mesures qui sont proposées doit nous permettre de surmonter cette crise le plus rapidement possible, sans peser ni sur le potentiel de croissance ni sur le dynamisme de notre économie.

Faut-il rappeler, notamment à nos collègues de gauche, que cet objectif que vous poursuivez, que nous poursuivons tous, n’est pas uniquement budgétaire, il a pour finalité première de protéger notre modèle social et de préserver notre compétitivité et, bien sûr, nos emplois.

M. Roland Muzeau. N’importe quoi !

M. Yves Censi. Madame la ministre, dans le souci de préserver notre compétitivité et compte tenu du niveau de prélèvements obligatoires qui est le nôtre aujourd’hui, il est prioritaire de faire peser l’essentiel de ces mesures sur la dépense publique. Pouvez-vous indiquer à la représentation nationale les modalités de l’effort de réduction de ces dépenses ainsi que sa part dans le plan total ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous posez une question cruciale : comment la France peut-elle sortir renforcée de cette crise ?

M. Jean-Jacques Candelier. En faisant payer les riches !

Mme Valérie Pécresse, ministre. En investissant dans l’avenir. C’est ce qu’elle va faire avec les 35 milliards du plan d’investissements d’avenir qui seront déployés dans l’éducation, la formation, la recherche et l’innovation.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais elle sortira également renforcée de la crise si nous diminuons nos dépenses de fonctionnement, si nous sommes économes, si nous nous désendettons et si nous réduisons nos déficits.

M. Roland Muzeau. Vous allez tuer le malade !

M. Patrick Lemasle. Vous êtes au pouvoir depuis dix ans, vous êtes responsables !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Comme vous le soulignez, monsieur le député, 50 % de l’effort qui aujourd’hui est demandé aux Français pèsera sur la dépense publique. Nous avons fait énormément d’économies : depuis 2010, nous avons réduit de 150 000 le nombre des fonctionnaires, nous avons diminué de 10 % les dépenses de fonctionnement de l’État, avec tout ce que cela implique sur le train de vie de l’État en matière de logements de fonction, de voitures de fonction, et une réduction de 17 % des effectifs des cabinets ministériels. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Nous avons également réduit la progression des dépenses d’assurance maladie, en baissant les prix des médicaments, en baissant les tarifs hospitaliers, en demandant aux médecins de prescrire mieux, de prescrire moins. C’est grâce à toutes ces économies, à ces investissements et, bien sûr, à la réforme courageuse des retraites, que nous pouvons sortir renforcés de cette crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Intempéries dans le sud de la France

M. le président. La parole est à Michel Vauzelle, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Michel Vauzelle. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

De nombreux députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Guérini ! Guérini !

M. Michel Vauzelle. Les départements du Var et des Alpes maritimes ont été durement touchés par de très violentes intempéries, les 5 et 6 novembre.

De nombreux députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Guérini ! Guérini !

M. le président. Mes chers collègues, un peu de dignité, s’il vous plaît !

M. Michel Vauzelle. Des milliers de personnes ont été évacuées. Elles sont évidemment sous le choc, physiquement et moralement, à cause de ces inondations qui ont détruit ce que chacun a de plus cher après sa famille : son foyer.

De nombreux députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Guérini ! Guérini !

M. le président. Mes chers collègues, veuillez cesser ces cris ridicules !

M. Michel Vauzelle. Le choc est d’autant plus fort que ces personnes avaient déjà connu le même drame il y a un an : chacun se souvient des vingt-trois morts et des deux disparus à Draguignan.

De nombreux députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Guérini ! Guérini !

M. Michel Vauzelle. Il semble bien, hélas, que tout le monde ici ne s’en souvienne pas…

Il y a aussi le cas des chefs d’entreprise implantés dans les zones comme celle de Lapalud, à Fréjus. Victimes eux aussi des inondations pour la deuxième fois en deux ans, ils sont découragés. Certains d’entre eux pensent aux réticences des assureurs face à ces inondations à répétition. Tous regrettent la lenteur ou l’inexécution des travaux prévus en 2010. Aussi les élus craignent-ils de les voir abandonner ces poumons de leurs cités.

M. Lefebvre était présent hier en Provence-Alpes-Côte d’Azur – et j’en remercie le Gouvernement – mais, ayant entendu hier matin le Premier ministre parler des « folies budgétaires » des collectivités locales,…

De nombreux députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Guérini ! Guérini !

M. Michel Vauzelle. …je me demande aujourd’hui si j’ai bien fait de débloquer un million d’euros d’aide d’urgence de la région pour les populations sinistrées. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je rassure la majorité : le Gouvernement n’est pas responsable des tempêtes – encore que… – mais l’État doit prévenir leurs effets quand elles se répètent. Outre le problème de la lenteur des travaux, le Gouvernement ne pourrait-il pas revenir sur la RGPP pour renforcer les équipes de secours, ainsi que les équipes d’entretien des anciennes directions départementales de l’équipement, qui faisaient un utile travail de prévention ?

Je terminerai en rendant hommage aux pompiers, aux gendarmes et aux forces de sécurité, ainsi qu’aux républicains qui siègent sur ces bancs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Monsieur le député, je voudrais d’abord, au nom du Gouvernement, exprimer toute notre solidarité et la solidarité de la nation aux personnes touchées par les intempéries dans les départements du sud de la France.

Je voudrais aussi dire mes remerciements à toutes les forces de sécurité – notamment aux sapeurs-pompiers – engagées sur le terrain et qui se sont dévouées sans compter. J’insiste sur le fait que le dispositif mis en place à titre préventif a permis une grande efficacité des secours : deux mille personnes ont pu être évacuées à titre préventif ; neuf hélicoptères de la sécurité civile et deux hélicoptères de la gendarmerie nationale ont été prépositionnés ; 136 hélitreuillages ont été effectués ; les sapeurs-pompiers ont procédé à cinq mille interventions et 650 sauvetages ont été réalisés.

Malheureusement, comme vous le rappeliez, nous avons à déplorer cinq victimes : trois personnes emportées par les flots et deux personnes intoxiquées par les émanations d’oxyde de carbone.

Vous soulevez, monsieur le député, la question des secours et celle des travaux d’aménagement. En ce qui concerne les secours d’urgence, l’État a fait ce qui était nécessaire, puisque j’ai délégué hier 300 000 euros au préfet du Var. Par ailleurs, la procédure d’urgence a été immédiatement engagée pour qu’un arrêté de catastrophe naturelle puisse être pris dans les meilleurs délais.

S’agissant des travaux, l’État s’y est engagé de façon résolue. Je rappelle cependant – et vous me comprendrez, vous qui êtes un militant de la décentralisation – qu’ils relèvent de compétences qui ne sont pas exclusivement exercées par l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Plan d’équilibre des finances publiques

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Christian Eckert. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

En août dernier, vous avez présenté au pays un premier plan d’austérité de 12 milliards d’euros, dont 11 milliards d’euros de hausses d’impôts. La loi de finances pour 2012 n’est pas encore votée que vous nous présentez un nouveau plan d’austérité de près de 7 milliards, qui pèsera à 86 % sur les ménages en 2013.

M. Pierre Lang. Ça s’appelle la conjoncture !

M. Christian Eckert. Le paquet fiscal que vous avez fait voter en 2007, addition de cadeaux, niches et autres boucliers pour les gros revenus, les gros patrimoines, les multinationales et les banques, grève toujours de près de 10 milliards le budget 2012.

Il faut par exemple rappeler que le bouclier fiscal pèsera sur le budget en 2011 et en 2012, tandis que l’ISF est allégé dès 2012 de 1,9 milliard et que les mutuelles de santé ont été brutalement taxées de plus d’un milliard en 2011 et le seront de plus du double en 2012, ce qui pénalisera les affiliés les plus modestes, y compris les étudiants !

Monsieur le Premier ministre, une autre voie existe et nos propositions sont claires. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.) Il faut d’abord faire rembourser les cadeaux faits avant la crise, et qui continuent pendant la crise, par ceux qui les ont reçus et par eux seuls ! Ces cadeaux indécents n’ont pas produit de croissance, ont détruit l’emploi et ont fait exploser le déficit. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Pour résorber les déficits que vous avez creusés depuis dix ans, et pour que l’État assure ses missions, il faut imposer de façon progressive tous les revenus, ceux du patrimoine comme ceux du travail, les plus-values, les bonus, les stock-options !

Monsieur le Premier ministre, votre incapacité à résoudre la crise mondiale d’un système fou que vous avez encensé pourrait se comprendre. Mais faites donc payer l’addition à ceux qui en ont profité, en revenant sur le paquet fiscal ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, j’aimerais que vous arrêtiez de citer des chiffres exorbitants qui ne veulent rien dire. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je voudrais que vous arrêtiez d’aligner les contrevérités !

Quand vous parlez de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat votée en 2007 par cette assemblée,…

M. Jean Launay. Péché originel !

Mme Valérie Pécresse, ministre. …vous mentionnez un bouclier fiscal qui coûte 600 millions d’euros. Mais ce bouclier fiscal, vous le savez, nous l’avons supprimé ! (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC.) Vous avez voté sur ces bancs la suppression du bouclier fiscal !

En revanche, figuraient dans la loi TEPA des mesures en faveur du pouvoir d’achat des classes moyennes. Et ces mesures, nous les assumons, monsieur le député. Oui, nous assumons la défiscalisation des droits de succession pour 95 % des successions. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) En effet, quand on a travaillé toute une vie, on a le droit de céder son patrimoine à ses enfants sans être taxé !

Oui, nous assumons la défiscalisation des heures supplémentaires ! (Mêmes mouvements.) Elles concernent neuf millions de Français, dont le salaire moyen est de 1 500 euros par mois et qui gagnent chaque année grâce à cette mesure 450 euros de pouvoir d’achat supplémentaire.

M. Patrick Lemasle. Ce n’est pas vrai !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Ce sont des ouvriers ou des enseignants, ce ne sont pas des cadres, monsieur le député ! Oui, nous assumons le fait d’avoir aidé les primo-accédants à devenir propriétaires de leurs logements. Le travail, l’accès à la propriété, le soutien aux PME sont nos valeurs, et nous les défendons ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Intempéries dans le Sud de la France

M. le président. La parole est à M. Jean-Sébastien Vialatte, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.

Le département du Var vient à nouveau de connaître, ce week-end, une crue majeure, dix-sept mois après la première inondation qui avait dévasté sur son passage des dizaines d’habitations, de bâtiments publics mais aussi d’entreprises. Je tiens, avant tout, à féliciter les services de secours pour leur efficacité et la coordination de leurs interventions.

Monsieur le secrétaire d’État, vous qui étiez dans le Var hier, vous avez pris la mesure de la catastrophe qui plonge les entrepreneurs dans le plus grand désarroi : la perte de leur outil de production et la menace de mise au chômage de leurs employés.

Ces inondations ont mis au jour le défaut ou l’insuffisance d’assurances pour nombre d’entreprises artisanales. L’expérience a montré que le redémarrage des entreprises sinistrées est directement lié à la bonne couverture des risques. Malheureusement, certaines zones commerciales subissent des sinistres à répétition. De ce fait, les franchises imposées par les compagnies d’assurances atteignent des taux qui privent les entreprises de moyens pour redémarrer leur activité.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures allez-vous prendre dans l’immédiat pour soutenir le redémarrage des entreprises affectées et, plus largement, pour que soit améliorée la couverture en assurance des entreprises implantées sur le territoire ?

Serait-il envisageable de lancer des mesures d’urgence pour éviter la dénonciation unilatérale des contrats par les sociétés d’assurances ou l’application de tarifs qui mettent en péril la poursuite des contrats dans de bonnes conditions de couverture des risques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur le député, je me suis rendu en urgence, hier, dans le département du Var, car il était essentiel que le Gouvernement témoigne immédiatement de sa solidarité envers les familles des victimes.

J’ai constaté, comme vous, que chacun reconnaissait l’efficacité et la réactivité de la chaîne des secours. J’ai tenu à informer les populations que le Gouvernement était bien décidé à faire preuve de la même diligence quant à la réparation des préjudices.

Le ministre de l’intérieur a déclaré qu’avait été immédiatement déclenchée la procédure de classement en catastrophe naturelle. La commission interministérielle se réunira dans les plus brefs délais. J’ai également mis en place un plan FISAC intempéries – Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce – pour les commerçants, les artisans, les entreprises de service, notamment celles du tourisme, les plus touchées.

Pour ce qui est de l’accompagnement des entreprises dans les secteurs les plus gravement touchés, je pense notamment à La Palud, le préfet a ouvert un guichet unique qui fonctionne depuis huit heures trente, ce matin.

J’ai, par ailleurs, demandé au préfet de créer une cellule d’accompagnement en matière d’assurance pour les entreprises, car il faut les aider et les accompagner.

Surtout, les plans de prévention des risques d’inondations permettront de réduire les franchises des assurances.

Enfin, il est indispensable, je l’ai dit à La Palud, de faire preuve de fermeté et de prendre des mesures de prévention pour éviter qu’une telle catastrophe ne se reproduise. Nous le devons à ces populations durement frappées, désemparées et parfois en colère. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Yémen

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Jean-Christophe Lagarde. Hier soir, avec un certain nombre de nos collègues, et en votre nom, monsieur le président, nous recevions à l’Assemblée nationale le nouveau prix Nobel de la paix 2011, Mme Tawakkul Karman, qui est également la coordinatrice des jeunes de la révolution au Yémen.

Le Yémen, pays peu connu en France, est dirigé par M. Saleh depuis trente-trois ans – excusez du peu ! –, et son appareil répressif est aux mains de toute sa famille. Ce pays connaît des difficultés importantes puisqu’il est l’un des plus pauvres de la région, mais aussi l’un des plus peuplés avec 24 millions d’habitants.

Depuis des mois, il connaît une révolution pacifiste par de nombreuses manifestations, et les pays du Golfe, à trois reprises, ont amené M. Saleh à s’engager dans un processus qui devait conduire à sa démission, à son retrait du pouvoir. Il s’est toujours dédit au dernier moment.

Notre pays soutient les résolutions de l’ONU qui visent justement à ce que ce plan de retrait du pouvoir de M. Saleh soit respecté. Malgré tout, depuis le début de cette révolution, 861 morts et près de 25 000 blessés, d’après l’ONU, sont à déplorer.

Les révoltés poursuivent leur mouvement, la répression s’accentue, les armes sont achetées par le pouvoir pour réprimer sa propre population sur ses deniers personnels.

Mme Tawakkul Karman transmet la demande du peuple yéménite, à la fois à la représentation nationale et au Gouvernement – vous l’avez reçue, monsieur le ministre des affaires étrangères, hier matin –, que soit accentuée la pression sur la famille Saleh, et le Président en particulier, en gelant les avoirs qu’ils peuvent posséder en France et dans les pays européens, mais également en transférant à la Cour pénale internationale le dossier de M. Saleh et de sa famille pour les crimes commis contre le peuple yéménite.

M. Jean-Paul Lecoq. Ce n’est pas encore fait ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le ministre des affaires étrangères, la France va-t-elle participer à accentuer cette pression ? S’engagera-t-elle et engagera-t-elle ses partenaires européens à geler les avoirs de la famille et à transmettre le dossier à la Cour pénale internationale ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Roland Muzeau. L’adjoint de BHL !

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le député, j’ai reçu comme vous, hier, Mme Tawakkul Karman, qui est le nouveau prix Nobel de la paix. Sa personnalité, le rayonnement qui émane d’elle, sa détermination à poursuivre son combat, la clarté de son expression et de sa pensée m’ont fortement impressionné. J’ai même été ému lorsque, évoquant les valeurs qui inspirent son combat, elle m’a tout simplement cité la devise de notre république : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Elle m’a dit aussi combien la jeunesse yéménite attendait de nous, attendait de la solidarité des démocraties.

Notre politique à l’égard du Yémen est très claire : nous avons soutenu, dès le départ, le plan élaboré par le conseil de coopération des États arabes du Golfe qui préconise la transition du pouvoir. Le président Saleh doit passer la main, il doit quitter le pouvoir.

Nous avons également soutenu la résolution 2014 du Conseil de sécurité, qui institue une commission d’enquête chargée de se prononcer sur la poursuite des auteurs d’actes criminels.

Enfin, j’ai assuré Mme Karman que nous examinions avec nos partenaires européens la possibilité de prendre des sanctions, comme le gel des avoirs de certaines personnalités yéménites qui cautionnent cette répression.

Je peux vous assurer que nous continuerons à écouter attentivement la voix de Mme Karman qui nous dit, tout simplement, que le pari que nous avons pris vis-à-vis des printemps arabes est raisonnable. Il ne saurait y avoir d’incompatibilité entre l’islam et la démocratie. C’est ce qui inspire aujourd’hui la diplomatie française. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Plan d’équilibre des finances publiques

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Pierre-Alain Muet. Ma question, puisque M. le Premier ministre n’est pas là, s’adressera à Mme Pécresse.

Hier, en présentant son plan d’austérité, le Premier ministre a parlé de courage. Est-ce du courage que d’augmenter l’impôt le plus injuste, la TVA, qui pèse sur nos concitoyens les plus modestes ? (« Démago ! » sur les bancs du groupe UMP.) Est-ce du courage que d’accélérer le passage à 62 ans de l’âge de la retraite (« Oui ! » sur les mêmes bancs), en obligeant les salariés qui ont toutes leurs annuités à cotiser pour rien ? Est-ce du courage que d’accroître encore les inégalités en diminuant le pouvoir d’achat des allocations familiales et des allocations logement ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Le courage, madame Pécresse, aurait été d’annuler l’allégement de l’ISF de 1,8 milliard d’euros, que vous tous, à droite, avez voté au mois de juillet ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – « Les 35 heures ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Le courage, cela aurait été, comme le disait mon collègue Eckert, d’annuler les 10 milliards d’euros du paquet fiscal – 10 milliards qui pèsent sur nos comptes ! (Mêmes mouvements.)

Le courage, cela aurait été de rétablir vraiment les droits de succession sur les grandes fortunes que vous avez exonérées !

M. Jean-Pierre Door. Les 35 heures !

M. Pierre-Alain Muet. Le courage, enfin, cela aurait été de supprimer une partie des 75 milliards d’euros de cadeaux fiscaux que cette majorité aura faits en dix ans et qui sont très largement responsables de l’explosion de notre dette ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Le Premier ministre a parlé de faillite en évoquant les années où la France a vécu à crédit. La dette de notre pays aura doublé en moins de vingt ans, passant de 42 % du PIB en 1993 à 86 % en juin 2012 : ce doublement ne résulte pas de l’ensemble des gouvernements, mais uniquement des gouvernements de droite (Protestations sur les bancs du groupe UMP), car nous, nous avons réduit la dette. La faillite, c’est vous ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous prie d’abord de bien vouloir excuser l’absence du Premier ministre qui est en Allemagne, aux côtés de la chancelière Angela Merkel et du président russe Dmitri Medvedev, pour continuer le travail en vue de la coordination des politiques publiques afin de soutenir notre croissance.

Monsieur le député, vous avez posé la question du courage. Est-ce du courage que de proposer, pour satisfaire quelques catégories prétendument favorables sur le plan électoral, la création de 60 000 emplois dans l’éducation nationale ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC. – « Non ! » sur les bancs du groupe UMP.) Est-ce du courage que de proposer, dans la même veine, 300 000 emplois financés sur fonds publics (Mêmes mouvements),alors qu’aucun parti de gauche au monde ne propose aujourd’hui de créer des emplois publics ? Est-ce du courage que de ne pas revenir sur les 35 heures ? (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP.) Est-ce du courage de dire que vous allez revenir à la retraite à 60 ans, alors que vous ne le ferez jamais ? Est-ce du courage que de mentir, de basculer dans la démagogie, de taire la vérité, de vous accrocher à de vieilles lunes socialistes qui vous ont, certes, conduit par effraction au pouvoir en 1997 (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), vous qui n’avez rien fait de la croissance venue de l’extérieur avec la bulle Internet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !

M. François Baroin, ministre. Oui, je le répète, c’est par effraction (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), car c’est sur un coin de table que vous avez rédigé l’affaire des 35 heures ! (Mmes et MM. les députés des groupes SRC et GDR se lèvent et conspuent le ministre. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.) C’est sur un coin de table que M. Strauss-Kahn et Mme Aubry ont rédigé l’affaire des emplois-jeunes ! Oui, c’est par un coin de table que vous êtes arrivé aux affaires, et c’est sur un coin de table toujours que vous avez rédigé un projet qui est aujourd’hui caduc et qui, dans le même esprit, vous a amené à proposer un projet qui ne correspond en rien à la réalité de la situation économique de notre pays ! (Mmes et MM. les députés des groupes SRC et GDR commencent à quitter l’hémicycle. – Mmes et MM. les députés des groupes UMP et NC commencent à se lever à leur tour.)

Vous pourrez crier, le bruit n’ajoutera rien à l’affaire ! Vous pourrez vous lever, cela ne réglera pas l’affaire du projet socialiste ! (Des boulettes de papier sont jetées depuis les bancs du groupe SRC vers le ministre). Vous pourrez quitter la salle et adresser des quolibets, vous serez vous aussi, face aux Français, au rendez-vous de la vérité ! Nous, nous le serons ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Huées prolongées sur les bancs des groupes SRC et GDR.).

De nombreux députés du groupes SRC. Voyou !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !

Plusieurs députés du groupe UMP. Guérini ! Guérini !

M. Noël Mamère. Karachi !

M. le président. Je demande à chacun de regagner sa place ! Chacun pourra alors prendre la parole. (« Non ! Nous voulons des excuses ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Si vous ne regagnez pas vos places, je me verrai obligé de suspendre la séance ! (« Démocratie ! Démocratie ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président de l’Assemblée nationale, mes propos seront solennels. J’aurais aimé que vous disiez vous-même, il y a quelques instants, qu’aucun député, qu’il soit de droite, de gauche, du centre ou non-inscrit, ne siège ici par effraction, mais uniquement par la volonté du peuple français. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Je peux comprendre qu’un ministre soit fatigué ; nous pouvons tous l’être. Je peux comprendre que, dans le cours de la confrontation légitime qui est la nôtre, les mots aillent plus loin que ce que nous pourrions souhaiter. Mais tout à l’heure, François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, a commis une faute politique contre les citoyens, et je le lui ai dit. Je lui ai demandé de présenter ses excuses.

En 1997, il était très proche de Jacques Chirac, il le reste sans doute, et il sait parfaitement que le gouvernement de l’époque, dirigé par Alain Juppé, se sentait incapable de présenter un budget pour 1998 et de qualifier la France pour l’euro. Nous étions dans une situation difficile et le Premier ministre en poste parlait alors, lui aussi, de faillite des finances publiques.

Mme Chantal Bourragué. Et alors ?

M. Jean-Marc Ayrault. Selon lui, il était impossible d’agir ce qui explique que Jacques Chirac ait décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, espérant ainsi résoudre tous ses problèmes et retrouver une majorité qui lui aurait permis de faire ce qu’il voulait. Seulement, cela n’a pas marché.

M. Jean Glavany. Si, si, ça a très bien marché ! (Sourires.)

M. Jean-Marc Ayrault. Les citoyens français ont confié la majorité à la gauche et Lionel Jospin a été invité à rencontrer le Président de la République, Jacques Chirac. Croyez-vous qu’il aurait été nommé Premier ministre s’il avait été élu par effraction ? Non : il est devenu Premier ministre parce qu’il représentait la majorité parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Nous n’avons pas à rougir du travail accompli à cette époque. Ceux qui prétendaient que les finances publiques étaient plombées et qu’il était impossible d’agir, ceux qui avaient réussi à convaincre Jacques Chirac de dissoudre s’étaient largement trompés. En effet, Lionel Jospin, son gouvernement et la majorité qui le soutenait ont réussi non seulement à qualifier la France pour l’euro et à réduire les déficits, mais aussi à créer les conditions de la croissance et à augmenter le nombre de créations d’emplois. Voilà le bilan dont nous sommes fiers (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP), un bilan que François Baroin a voulu caricaturer au point de commettre une faute politique.

Monsieur le président, au nom de mon groupe politique et de tous ceux qui partagent le sentiment qu’une faute a été commise, j’attends que vous transmettiez au Gouvernement notre demande de le voir présenter ses excuses, non pas aux députés socialistes, mais plutôt à la représentation nationale et aux citoyens français. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet, pour un rappel au règlement.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, comme leurs collègues socialistes, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ont été extrêmement choqués (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP) par les propos tenus publiquement dans cet hémicycle par M. Baroin.

Nous connaissons M. Baroin et nous savons la maîtrise parfaite qu’il a de la langue française. Son discours empreint d’une certaine volubilité peut même parfois intriguer, voire fasciner. L’expression « par effraction » ne relève donc pas du lapsus freudien, mais bien d’une volonté politique. Son emploi constitue en conséquence une faute politique, qui ne peut être effacée que par des excuses publiques telles que vient de les demander le président du groupe SRC.

Nous attendons que le Gouvernement présente des excuses à la représentation nationale et à tous les citoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour un rappel au règlement.

M. Christian Jacob. Monsieur le président, mes chers collègues, je crois qu’il faut ramener les choses à ce qu’elles sont : un incident de séance. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

François Baroin a tout simplement voulu rappeler tout à l’heure, avec l’élan et la détermination que nous lui connaissons, les promesses démagogiques que vous avez faites. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Lorsque François Hollande annonce que 300 000 emplois jeunes vont être créés,… (Brouhaha sur les bancs du groupe SRC.)

M. Daniel Vaillant. Cela n’a rien à voir !

M. Christian Jacob. …lorsqu’il annonce la création de 70 000 postes d’enseignants, lorsqu’il annonce une allocation d’autonomie, nous sommes dans la démagogie la plus totale. (Mêmes mouvements.) C’est cela que François Baroin a voulu dire. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Monsieur Ayrault, si vous voulez des excuses, je vous demande moi aussi de vous excuser (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), au nom de votre groupe, pour les insultes que l’ensemble des élus de gauche profère contre le Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Ramenons cet incident à ce qu’il est, un incident de séance, et reprenons nos travaux avec sérieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Monsieur le président Ayrault, dans cet hémicycle, par principe, la parole est libre.

M. Patrick Lemasle. Pas pour insulter la démocratie !

M. le président. C’est vrai de la parole des députés comme de celle des membres du Gouvernement. Je fais respecter cette règle scrupuleusement.

On ne peut que regretter certains propos pour le moins inadaptés. Je souhaitais vous donner la parole avant la suspension de séance mais, dans la confusion qui régnait, cela n’a pas été possible. Vous venez toutefois de vous exprimer, ce qui me semble normal et satisfaisant.

Nous ne pouvons que regretter ce genre d’incident qui n’honore ni notre institution ni les parlementaires. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean Glavany. C’est le Gouvernement que cela n’honore pas !

M. le président. Je transmettrai, monsieur le président Ayrault, votre demande à François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, et au Gouvernement, et je vous redonne la parole, puisque vous me l’avez demandée.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je vous remercie de vous être engagé à transmettre à M. Baroin la demande que je lui ai déjà faite oralement.

Je ne veux pas polémiquer avec le président du groupe UMP, car cela ne servirait à rien, mais je l’incite à ne pas se tromper de débat. Monsieur Jacob, jamais vous n’avez entendu, ni de ma part ni de celle des responsables socialistes, pas plus ici qu’ailleurs, la mise en cause de la légitimité de l’élection du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Nous contestons sa politique et nous souhaitons que le peuple français choisisse un autre Président, mais nous n’avons jamais contesté le choix du suffrage universel, et nous ne le ferons jamais. Nous ne l’avons pas fait hier, nous ne le faisons pas aujourd’hui, nous ne le ferons pas demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Le ministre chargé des relations avec le Parlement était présent dans l’hémicycle il y a un instant.

M. Daniel Vaillant. Il vient de sortir !

M. Jean-Marc Ayrault. J’aurais aimé qu’il puisse nous donner le point de vue du Gouvernement sur ce qui s’est passé tout à l’heure ; c’est son rôle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant poursuivre la séance. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean Glavany. Ce serait bien qu’il y ait un président digne de ce nom !

3

Conformité au principe de subsidiarité du contrôle aux frontières intérieures

Discussion d’une proposition de résolution européenne

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement relative à la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (n° 3765).

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des affaires européennes.

M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des affaires européennes, mes chers collègues, l’espace Schengen est sans doute l’une des plus grandes réalisations concrètes de l’Europe, qui a su faciliter la vie de ses citoyens et des ressortissants étrangers au sein d’un espace de libre circulation regroupant vingt-six États, dont vingt-deux membres de l’Union. Dans cet esprit, l’accord de Schengen puis la convention de Schengen, qui a été communautarisée par le traité d’Amsterdam, ont pour objet la suppression des contrôles aux frontières intérieures entre les États signataires, et la création d’une frontière extérieure commune.

Le 27 septembre dernier, notre commission des affaires européennes a adopté à l’unanimité une proposition de résolution portant sur la proposition de règlement visant à instituer de nouvelles règles communes pour la réintroduction temporaire de contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen dans des circonstances exceptionnelles. Nous examinons pour la première fois en séance publique, cela mérite d’être souligné, à la demande de Pierre Lequiller, président de notre commission des affaires européennes, une proposition de résolution portant avis motivé, c’est-à-dire négatif, sur la conformité d’un projet d’acte législatif européen au principe de subsidiarité.

Comme vous le savez, les autorités italiennes ont décidé au mois d’avril dernier de délivrer des titres de séjour provisoires aux ressortissants tunisiens arrivés illégalement sur leur territoire. Cette mesure a été à l’origine d’une polémique sur les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les États membres dans la surveillance des frontières extérieures de l’espace Schengen dont ils ont la charge, ainsi que sur la libre circulation, au sein de cet espace, des titulaires du titre de séjour italien.

Par une lettre conjointe en date du 26 avril 2011, le président Nicolas Sarkozy et le président du conseil des ministres italien ont saisi la Commission européenne en lui demandant plusieurs aménagements, tant des règles applicables à l’espace Schengen que de la politique commune en matière d’immigration et d’asile.

Le Conseil européen du 24 juin 2011 avait également demandé la création d’une nouvelle clause de sauvegarde qui soit bien encadrée, en cas d’afflux massif d’immigrants ou de manquement d’un État membre dans la surveillance des frontières extérieures. En conséquence, la Commission européenne a déposé, le 19 septembre 2011, sa proposition réformant l’ensemble des clauses de sauvegarde. Or ce texte vise à communautariser entièrement les procédures, ce qui, selon la résolution adoptée par notre commission des affaires européennes, porte atteinte au respect du principe de subsidiarité.

Je rappelle rapidement l’encadrement actuellement applicable au rétablissement du contrôle aux frontières intérieures. Il faut en effet souligner qu’une clause de sauvegarde a été prévue, dès l’origine, dans les accords de Schengen, qui permet à un État membre de rétablir les contrôles à ses frontières dans deux situations.

Premièrement, en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure liée à un événement prévisible – tel qu’un sommet international, comme le G20, ou un événement sportif de grande dimension –, pour une période limitée à trente jours au maximum ; l’État membre doit informer les autres États membres et les institutions européennes. La Commission européenne peut ensuite émettre un avis. Les prérogatives de la Commission européenne sont donc limitées, en amont de la prise de décision, ce qui, à notre sens, est pleinement justifié.

Deuxièmement, de manière urgente et exceptionnelle, lorsque l’ordre public ou la sécurité intérieure l’exige, l’État membre peut réintroduire immédiatement le contrôle aux frontières intérieures ; il notifie ensuite sa décision aux autres États et à la Commission européenne. Là encore, ce sont bien les objectifs de réactivité et d’efficacité qui priment.

J’en viens aux propositions de la Commission européenne, propositions qui posent problème au regard du principe de subsidiarité. La proposition de règlement de la Commission prévoit de communautariser les clauses de sauvegarde existantes. Ce dernier aspect n’est conforme ni aux demandes du Conseil européen ni au principe de subsidiarité. Or il appartient aux parlements nationaux de veiller au respect de ce principe, dans le cadre des nouvelles prérogatives qu’ils ont collectivement obtenues dans le cadre du traité de Lisbonne. Nous sommes donc pleinement dans notre rôle.

Que penser, en l’espèce, de l’initiative de la Commission européenne ? Il ne fait aucun doute que la libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen appartient au champ des compétences communautaires. Toutefois, la question centrale ici posée est celle de la compétence des États membres en matière d’ordre public et de sécurité intérieure. Rappelons que la compétence de maintien de l’ordre public est définie, dès l’article 4 du traité sur l’Union européenne, comme l’une des fonctions essentielles de l’État, que l’Union doit respecter.

La proposition de directive sur laquelle nous devons nous prononcer vise trois cas distincts.

Tout d’abord, une première procédure prévoit, en cas de menace prévisible et grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, qu’il revienne à l’État membre concerné d’évaluer dans quelle mesure la réintroduction des contrôles est nécessaire et proportionnée. Toutefois, il appartiendrait à la Commission européenne de prendre la décision de réintroduire le contrôle ainsi que de prolonger la réintroduction éventuelle. Elle pourrait également décider de réintroduire le contrôle de sa propre initiative. Il est ainsi proposé de transférer la prise de décision du niveau national au niveau communautaire.

Ensuite, la deuxième procédure prévue, qui vise les cas nécessitant une action immédiate, ne laisserait à l’État membre concerné la possibilité de rétablir les contrôles aux frontières intérieures que pour une période limitée à cinq jours. Si la menace grave se prolongeait au-delà de cinq jours, la Commission européenne déciderait de la prolongation du contrôle.

Enfin, un nouveau dispositif communautaire en cas de manquements graves et persistants dans la surveillance des frontières extérieures serait créé. Cette mesure a davantage de sens, puisque l’on imagine bien qu’un État défaillant dans le contrôle aux frontières extérieures ne prenne pas la décision de rétablir le contrôle à ses frontières intérieures.

Notre commission des affaires européennes a jugé la proposition de directive non conforme au principe de subsidiarité. S’agissant des deux premières procédures, notre commission des lois a confirmé la position exprimée par la commission des affaires européennes. En effet, il nous paraît infondé de vouloir communautariser des décisions prises en réponse à des menaces locales, alors même que les contrôles aux frontières, lorsqu’ils sont rétablis, ne concernent le plus souvent que des zones limitées pour un temps très bref. Ces contrôles ne peuvent donc être considérés comme ayant un impact communautaire tel que la décision doive être prise au niveau européen. La Commission européenne – qui, dans le processus décisionnel actuel, exerce un contrôle a posteriori et peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne – n’a pas, en conséquence, à se voir transférer la compétence de décider de la réintroduction du contrôle aux frontières quand la question centrale serait celle du maintien de l’ordre public et de la sauvegarde de la sécurité intérieure.

Le fait que la libre circulation des personnes soit un bien commun n’est pas à remettre en cause. Toutefois, la nécessité de prendre ces décisions à l’échelon européen n’est pas, en l’occurrence, justifiée. À notre sens, l’efficacité même de ces mesures impose de laisser aux États membres la capacité d’agir sous contrôle a posteriori de la Commission européenne. La proposition de cette dernière recèle en effet des risques de blocage importants.

Nos partenaires européens ont, du reste, vivement réagi à la proposition de règlement et les avis sont, dans leur grande majorité, très négatifs quant au fond du texte. Les autorités françaises, espagnoles et allemandes ont, par la voie d’un communiqué de presse commun des ministres de l’intérieur, fait valoir leur opposition. J’ai là une longue liste d’avis motivés, que je ne détaillerai pas, rendus par plusieurs parlements – Portugal, Pays-Bas, Suède, Lituanie – et les observations négatives faites par l’Espagne ou 1’Italie, ainsi que par le rapporteur de la commission des libertés civiles au Parlement européen lui-même. À cet égard, il convient de rappeler que le traité de Lisbonne prévoit qu’en matière de liberté, de sécurité et de justice, lorsqu’un avis motivé émane d’au moins un quart des parlements nationaux, le projet doit être réexaminé : d’où ce « carton jaune », après lequel la Commission européenne se voit tenue de motiver dûment un éventuel maintien du texte.

En conclusion, la résolution adoptée par notre commission des affaires européennes et sur laquelle il vous est demandé de vous prononcer est à la fois ferme et équilibrée. Il nous semble inopportun de communautariser des procédures touchant le cœur de la souveraineté nationale. Sur un sujet aussi sensible, il nous est apparu que l’Union n’avait pas à intervenir, dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée pouvaient être atteints de manière suffisante par les États membres. Nous sommes donc bien dans la stricte application du principe de subsidiarité. Tel est le sens de notre avis négatif. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(M. Jean-Christophe Lagarde remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes.

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes. Monsieur le rapporteur, vous avez raison de relever, même si le mot est un peu galvaudé, le caractère historique de cette séance : c’est en effet la première fois qu’est débattue dans l’hémicycle une résolution relevant de l’article 88-6 de la Constitution. Cet article, issu de la révision constitutionnelle de 2008, vous permet d’émettre un avis motivé sur la conformité d’un projet d’acte législatif européen au principe de subsidiarité. L’Assemblée nationale voit ainsi son importance renforcée au cœur du débat européen. Le Gouvernement se félicite de cette nouvelle avancée de la démocratie en Europe. La France fera en effet entendre sa voix avec d’autant plus de force et de clarté qu’elle pourra invoquer la volonté du peuple français, exprimée par le vote du Parlement.

Chacun admet désormais qu’il est nécessaire d’agir afin que l’espace Schengen soit préservé. Cette nécessité s’est progressivement imposée comme une évidence, grâce à la détermination du Président de la République, qui a agi à plusieurs niveaux afin que nous renforcions ce dispositif.

L’espace Schengen, comme l’ensemble de la construction européenne, repose sur la confiance et la solidarité. Il est ainsi apparu clairement au premier semestre 2011 que l’efficacité et la légitimité de l’espace Schengen étaient menacées. Il fallait donc améliorer nos outils et renforcer la mutualisation de nos moyens à travers l’agence FRONTEX.

La gouvernance même de l’espace Schengen devait également être repensée pour rendre le système plus réactif et efficace. En effet, les règles en vigueur ne permettaient pas de réagir à deux cas de figure : l’incapacité persistante d’un État membre de Schengen à contrôler une frontière extérieure de l’Union – et c’est le cas d’un certain nombre de pays – et une immigration forte et soudaine mettant en cause le bon fonctionnement des règles Schengen.

La France a fait partager cette analyse aux autres États membres de l’Union et elle a largement inspiré, avec l’Allemagne et l’Espagne, les conclusions du Conseil européen du 24 juin 2011, lequel a invité la Commission à présenter des propositions pour permettre la mise en place de clauses de sauvegarde dans des circonstances exceptionnelles ainsi que pour améliorer le suivi et l’évaluation de Schengen.

Conformément à ce mandat – et je dois saluer ici l’action de la commissaire Cecilia Malmström –, la Commission a présenté, le 16 septembre, deux propositions législatives qui visent à instaurer un système d’évaluation et de suivi renforcé et une nouvelle procédure de décision pour le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures.

Toutefois, plusieurs points nous semblent problématiques dans la proposition de règlement modifiant les règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans les cas de menace grave à l’ordre public ou la sécurité intérieure. Nous devons donc continuer de travailler dans un esprit constructif sur ce projet. Ainsi que l’a rappelé M. Quentin, d’autres États partagent nos préoccupations et nos inquiétudes, à commencer par l’Espagne et l’Allemagne : leurs ministres de 1’intérieur ont cosigné un communiqué conjoint avec Claude Guéant, dont je veux saluer l’action déterminée dans ce dossier.

Premier problème : l’appréciation des cas de menace grave à l’ordre public et à la sécurité intérieure doit continuer à relever des compétences de souveraineté nationale.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jean Leonetti, ministre. Comme l’indique expressément l’article 72 du traité de l’Union – que M. Myard connaît bien –, la décision de rétablir temporairement des contrôles aux frontières intérieures est fondée sur une évaluation approfondie de la situation en termes de sécurité nationale. Cette évaluation ne peut être conduite que par les États membres sur la base de l’expertise et des ressources de leurs services de sécurité. Dans ces conditions, un contrôle a priori de la mise en œuvre des mesures de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures n’est pas acceptable. Plusieurs États membres l’ont fermement souligné lors du Conseil justice et affaires intérieures du 22 septembre dernier. En outre, de l’avis même de la Commission, les dispositions actuellement applicables ont été mises en œuvre sans donner lieu à aucun abus depuis 2006. Il n’est donc pas pertinent de vouloir réformer ce qui fonctionne déjà avec mesure et efficacité.

Deuxième problème : le choix de la Commission vise à regrouper au sein de la même procédure et sous l’angle exclusif des menaces à l’ordre public ou à la sécurité intérieure l’ensemble des situations justifiant la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures. La proposition de la Commission fait ainsi un amalgame entre ces menaces et des situations d’augmentation forte et soudaine de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.

Or, on l’a vu ce printemps à Vintimille, une augmentation inattendue et massive des mouvements secondaires de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur le territoire français n’a pas obligatoirement de conséquences en termes de sécurité ou d’ordre publics. Pour autant, les États doivent pouvoir y faire face, car une telle situation entraîne un transfert indu de charges d’un pays vers un autre, en particulier la prise en charge de l’éloignement pour les clandestins. C’est ainsi que la France a dû précéder à l’éloignement d’un très grand nombre de Tunisiens, soit vers l’Italie – le pays d’où ils provenaient directement –, soit vers la Tunisie – leur pays d’origine. Il importe par conséquent de pouvoir disposer d’une procédure ad hoc. Un État membre doit pouvoir, en cas de pressions migratoires fortes et soudaines dans un État membre voisin, rétablir, de manière exceptionnelle et pour une durée limitée – quinze jours au maximum –, les contrôles à ses frontières intérieures.

Le troisième problème réside dans la procédure prévue en cas de manquements graves et persistants d’un État membre dans le contrôle aux frontières extérieures ou les procédures de retour. Cette proposition rejoint des préoccupations déjà exprimées par la France. Néanmoins, nous ne pensons pas qu’il faille nécessairement constater une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l’Union européenne ou à l’échelon national.

Dès lors qu’un manquement grave et persistant est constaté, conformément aux dispositions prévues par le règlement portant création d’un mécanisme d’évaluation, il n’y a pas lieu de se référer en outre à d’éventuelles conséquences en matière d’ordre public. La défaillance d’un État membre dans ses devoirs relatifs à l’application de l’acquis de Schengen a en effet des conséquences importantes, indues et illégitimes pour les autres États. Les charges exorbitantes qu’elle implique – instruction des demandes d’asile, charge du retour des ressortissants des pays tiers en situation irrégulière – justifient, là aussi, l’application d’un mécanisme de sauvegarde.

Par ailleurs, ce mécanisme doit pouvoir s’appliquer tant que le manquement constaté persiste. Il n’est ni logique, ni souhaitable de limiter, comme le propose la Commission, la durée possible de rétablissement des contrôles à un maximum de trois prolongations.

Enfin, il serait certainement préférable, pour des raisons d’ordre juridique interne des États membres, de prévoir que la Commission « autorise » la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures plutôt qu’elle la « décide » –, y compris pour sa prolongation.

Chacun connaît la fable de La Fontaine : contrairement au chêne, le roseau plie mais ne rompt pas,…

M. Christophe Caresche. Oui, mais attention à ne pas se le prendre dans la figure !

M. Jean Leonetti, ministre. …ce qui montre bien la fragilité des systèmes trop rigides. Si nous voulons conserver ce qui est l’un des éléments majeurs de l’acquis européen, à savoir la libre circulation des personnes et des biens à l’intérieur de l’espace Schengen, nous devons protéger le système existant en lui donnant plus de souplesse et de réactivité.

Nous ne sommes ni pour l’Europe-forteresse que nous proposent les populistes et l’extrême droite, ni pour le « sans-frontiérisme » utopique parfois défendu par la gauche démocratique. Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont su faire partager à leurs partenaires européens une approche réaliste, celle d’un Schengen solidement acquis, mais plus flexible, plus réactif et donc plus efficace. Je suis heureux que, sur ce point comme sur tant d’autres, le Gouvernement et le Parlement partagent la même vision lucide et le même idéal, et que cette résolution ait été votée à l’unanimité en commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes là pour décider si, oui ou non, la France peut se substituer à l’Union européenne pour réintroduire le contrôle aux frontières dans des circonstances exceptionnelles, étant précisé que ce texte a été considéré comme adopté par la commission des lois le 12 octobre dernier.

La première question porte sur la nature des « circonstances exceptionnelles » dont il est question. Nous ne sommes pas dupes : ne nous demandez pas de croire à la peur qui semble s’emparer de vous et que vous entretenez auprès des citoyens lorsque des migrants arrivent sur notre sol – ou vont peut-être y arriver.

Je veux revenir un instant sur l’événement qui, à vos yeux, justifie cette proposition. Notre gouvernement a tremblé – il ne fut pas le seul – lorsque, après la chute du Président de Tunisie, quelque 25 000 migrants, tunisiens pour la plupart, ont débarqué en Italie. Tout en se félicitant de la fin de la dictature tunisienne, l’Union européenne et certains de ses États membres, dont la France, ont préféré fermer leurs frontières à ces nouveaux arrivants pour tenter de juguler ce qu’ils ont considéré être un afflux massif de migrants économiques.

Il n’est pas inutile de rappeler quelques faits. Dès les premières arrivées de migrants venant de Tunisie, et après avoir lancé en vain quelques appels à la solidarité à ses voisins, l’Italie cherche à leur fermer ses frontières et à les renvoyer de l’autre côté de la Méditerranée. Le gouvernement italien va même jusqu’à précipiter, en février dernier, la signature d’un accord de réadmission « au compte-gouttes » avec le gouvernement transitoire tunisien, en échange d’aides financières et techniques destinées à développer le pays et à fixer sa population. Comme on peut le voir, les habitudes des pays anciennement colonisateurs ne changent pas ! La Tunisie refuse de reprendre ses quelque 22 000 ressortissants.

L’Italie décide alors de faciliter le départ des exilés vers d’autres pays européens. La France réagit avec force et intensifie le contrôle de sa frontière avec l’Italie, dans le but de contenir « l’afflux », allant jusqu’à donner des consignes ciblées à la police nationale pour des interpellations en priorité et, soulignons-le, en l’absence de menace à l’ordre public.

La commissaire européenne en charge des affaires intérieures rappelle aussitôt à l’ordre les autorités françaises, indiquant qu’en vertu de l’accord de Schengen, elles « ne peuvent ni renvoyer les migrants en Italie », ni « faire de contrôles aux frontières », sauf en cas de « menace grave à l’ordre public (…), or, ce n’est pas le cas ».

Certaines associations s’alarment de ces dérives, d’autant plus sérieuses que le ministère de l’intérieur français n’a pas saisi les instances européennes pour demander le rétablissement provisoire des frontières intérieures. L’action de ces associations a, heureusement, permis le retrait d’une note du commissariat de Cannes, qui demandait, ni plus ni moins, aux forces de l’ordre d’interpeller en priorité les Tunisiens en situation irrégulière pour les renvoyer vers l’Italie. Je cite les propos du secrétaire départemental du syndicat Unité Police SGP-FO, selon lequel ses collègues de la PAF « font des heures supplémentaires à tire-larigot, leur repos sautent, ils ont une surcharge de travail impressionnante depuis début février ». Il résume ainsi la situation : « en fait, on lutte contre l’immigration par l’interpellation ».

Les autorités françaises brandissent alors l’accord franco-italien de Chambéry de 1997, qui prévoit que les deux pays peuvent réadmettre sur leur territoire, à la demande de l’autre État, « toute personne qui ne remplit pas les conditions d’entrée ou de séjour applicables ». Elles estiment qu’elles peuvent légitimement renvoyer des migrants en situation irrégulière en Italie à des fins de réadmission si le pays est en mesure de démontrer qu’il s’agit de leur pays de provenance. Le ministre de l’intérieur invoque même l’article 6 de la directive 2008-115 du 16 décembre 2008, dite « directive retour », qui précise que les États membres peuvent décider d’appliquer les accords de réadmission bilatéraux plutôt que de renvoyer des personnes en situation irrégulière dans leur pays de nationalité.

Le gouvernement italien réplique en délivrant des titres de séjour « à titre humanitaire » aux « citoyens de pays d’Afrique du nord » débarqués à Lampedusa et enregistrés dans un centre entre janvier et avril 2011. Accompagnés d’un document de voyage, ces titres de séjour, négociés dans le cadre d’un accord italo-tunisien destiné à renforcer la coopération policière entre les deux pays et à faciliter le rapatriement forcé des migrants tunisiens, permettent en théorie de circuler librement dans l’espace Schengen.

En réponse, la France rend publique une circulaire dans laquelle elle rappelle les conditions d’entrée sur le territoire d’étrangers titulaires de titres de séjour délivrés par d’autres États membres, à savoir « un document de voyage reconnu par la France », « un document de séjour en cours de validité », « justifier de ressources suffisantes », soit 62 euros par jour et par personne ou 31 euros si l’intéressé dispose d’une attestation d’hébergement, enfin, ne pas « constituer une menace pour l’ordre public ».

Mon deuxième questionnement porte sur un constat effarant pour un gouvernement Ces bras de fer entre la France et l’Italie visent une population en raison de son origine. Au-delà des contrôles non conformes aux règles fixées par le code de Schengen, ces mêmes contrôles dévoilent le caractère ouvertement discriminatoire des actions menées. De nombreux textes prévoient que les contrôles effectués ne peuvent se faire sur une base discriminatoire. J’en cite quelques-uns : l’article 6 du code de Schengen, l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux, mais aussi le considérant 21 de la directive 2008/115/CE de décembre 2008, dite « directive retour », qui précise qu’elle doit être « mise en œuvre sans que les États fassent de discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, l’origine ethnique ou sociale ».

Rien n’y fait, même les engagements internationaux ou européens : la France continue sur sa lancée et fustige la défaillance et l’irresponsabilité de l’Italie, qu’elle accuse de ne pas avoir contrôlé efficacement ses frontières externes et d’avoir violé l’esprit de l’accord de Schengen en octroyant des titres de séjour temporaires à des ressortissants extracommunautaires. Cette réaction est indigne des valeurs que nous devons défendre : la solidarité et le partage, même en temps de crise.

La France finit par demander à la Commission européenne de contrôler le respect de l’accord de Schengen par l’Italie. Celle-ci estimera que les titres italiens ne permettent de circuler dans l’espace Schengen que pour une durée de trois mois, et que la France est en droit de vérifier si les titulaires disposent de ressources suffisantes pour couvrir la totalité de leur séjour. La Commission européenne a cédé aux pressions françaises, mais il faut se demander ce que notre pays y a gagné : peut-on, après avoir agi de la sorte, se poser en parangon de la construction européenne ?

La façon dont ont été traités les réfugiés tunisiens en dit long sur les objectifs migratoires du Gouvernement. L’afflux de migrants était bien loin de déborder les États européens, qui comptent près de 500 millions d’habitants quand, dans le même temps, la Tunisie a accueilli près de 200 000 exilés ayant fui la Libye en guerre. La réaction à cette pseudo-crise migratoire met à mal la cohérence politique de l’Union européenne, tout comme l’effectivité du principe de suppression des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen, pilier de la construction européenne.

Dès lors, sous prétexte que le droit européen serait inadapté aux arrivées prétendument massives d’étrangers extracommunautaires, la France – qui n’était pas la seule, je le reconnais, et cela n’a d’ailleurs rien de rassurant – n’a pas hésité à remettre en cause les obligations qui lui incombent en vertu de son adhésion à la convention de Schengen. La restriction de la libre circulation au sein de l’espace Schengen, opposée par la France aux migrants tunisiens débarqués en Italie, puis la remise en cause de la convention de Schengen, montrent la fragilité des bases juridiques et politiques de l’Union – et malheureusement, cela ne fait que commencer.

Ce contentieux aura révélé l’image d’une Europe malléable au gré de la volonté et des intérêts de certains États membres. Il est à regretter que la Commission européenne, pourtant gardienne des traités, ait accepté de se soumettre à la position française plutôt que de s’y opposer, comme le Parlement européen.

Ne nous y trompons pas : cette escalade dans la politique migratoire du Gouvernement vise, pour l’essentiel, à permettre un affichage récurrent de fermeté vis-à-vis des étrangers dans un objectif électoraliste. Une telle politique peut-elle avoir des limites ? Du point de vue des valeurs, la responsabilité de ceux qui en sont les artisans est de plus en plus grande : renvoyer un être humain vers un pays en guerre ou vers la pauvreté n’est pas un acte administratif anodin. Cette politique d’expulsion restera d’ailleurs très probablement dans l’histoire de notre pays comme l’un des éléments marquants de ce début de siècle.

La chasse aux migrants tunisiens révèle, par les déclarations successives auxquelles elle a donné lieu, les égoïsmes nationaux de certains dirigeants, qui préfèrent surenchérir en ce qui concerne l’application du droit européen. Quelle image envoie-t-on au peuple tunisien, qui vient de se débarrasser de son dictateur et aspire à la démocratie ? Plus largement, quelle image envoie-t-on aux milliers de Franco-Tunisiens qui vivent sur notre sol ?

Décidément, cette Europe-là n’est pas à la hauteur des enjeux actuels sur le pourtour méditerranéen. Il serait temps que notre gouvernement – comme d’autres, d’ailleurs – comprenne que la question de l’immigration, sous ses multiples facettes, mérite une vraie politique européenne, une politique qui ne se limite pas à des mesures sécuritaires et qui ne désigne pas l’autre comme étant l’ennemi. Encore faut-il la définir, avoir une vision à long terme, et faire preuve de courage et de volonté politique.

« Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde », écrivait Aimé Césaire. Je vous invite à méditer ces paroles, mes chers collègues !

M. Jacques Myard. Quand on a des principes, il vaut mieux qu’ils soient rusés !

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud.

M. Yvan Lachaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de résolution européenne constitue, pour nous centristes, l’occasion de débattre des frontières que nous entendons donner à l’Europe et, plus largement, de l’étendue des compétences que nous souhaitons attribuer aux États membres, notamment dans le domaine de la sécurité.

Vous le savez, la liberté de circulation des personnes se situe au cœur de notre politique européenne.

Inscrite dans le traité de Rome comme l’une des quatre libertés fondamentales, elle a été reconnue dès l’origine de la construction européenne comme l’une des composantes essentielles à l’établissement d’une Europe susceptible de rétablir la paix sur le continent. C’est dans cet esprit que le groupe Nouveau Centre, dont vous connaissez l’engagement profondément européen, est attaché au respect de la libre circulation, tant celle des hommes que celle des biens, des services et des capitaux.

Évidemment, la liberté de circulation n’a été totale qu’à partir de l’entrée en vigueur, en 1995, de la fameuse convention de Schengen, qui visait la suppression des contrôles aux frontières intérieures entre les États signataires et la création d’une frontière extérieure commune.

Qui ne connaît aujourd’hui l’espace Schengen ? Né de la volonté de certains États membres de l’Union européenne d’étendre aux ressortissants de pays tiers le bénéfice de la libre circulation des personnes sur leur territoire, il constitue aujourd’hui l’une des caractéristiques de notre Europe qui se manifeste dans notre vie de tous les jours.

La législation actuelle permet, dans des circonstances exceptionnelles, d’apporter des limites au principe de la liberté de circulation. Ainsi, une clause de sauvegarde, prévue dès l’entrée en vigueur de la convention de Schengen, permet à un État membre de rétablir les contrôles à ses frontières dans deux situations : en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, d’une part, et, d’autre part, de manière urgente et exceptionnelle.

La proposition de résolution de la commission des affaires européennes que nous examinons aujourd’hui fait suite à la décision des autorités italiennes de délivrer le 5 avril 2011 aux Tunisiens arrivés clandestinement en Italie des titres de séjour provisoires au titre de la protection subsidiaire.

Nous en convenons : l’arrivée de près de 30 000 Tunisiens sur le territoire européen concerne, dans un espace unique de circulation, l’ensemble des États membres et donne lieu à de nombreuses interrogations, non seulement sur la possibilité pour les titulaires du titre de séjour de circuler librement dans l’espace Schengen, mais également sur la question de la solidarité au sein de l’Union s’agissant de la politique de l’immigration. À ce titre, on peut légitimement comprendre le vif débat qu’ont suscité la décision des autorités italiennes ainsi que celle de la Commission européenne, qui en a résulté.

La question qui s’impose donc, suite à cette décision, est la suivante : faut-il restaurer les contrôles systématiques aux frontières intérieures en cas d’afflux massif d’immigrants ou de défaillance d’un État membre dans la surveillance des frontières extérieures dont il a la charge ? Il importe de rappeler avant tout que, comme l’a dit le Conseil européen le 24 juin 2011, la libre circulation constitue une liberté fondamentale et que, en conséquence, la solidarité entre États membres doit jouer vis-à-vis des États en difficulté.

C’est dans ce contexte que la proposition de règlement de la Commission européenne a prévu – outre la création d’une procédure nouvelle de rétablissement du contrôle aux frontières intérieures en cas de manquements graves et persistants dans le contrôle aux frontières extérieures ou dans les procédures de retour – de communautariser les clauses de sauvegarde existantes en cas de menace grave à l’ordre public ou à la sécurité intérieure.

Or, ainsi que le souligne notre rapporteur, cette mesure porte atteinte au principe de subsidiarité, selon lequel l’Union n’intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, que si « les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres ».

Pour ces raisons, les ministres de l’intérieur de l’Allemagne, de la France et de l’Espagne ont d’ores et déjà rejeté les propositions de la Commission européenne s’agissant des cas d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité intérieure. La Commission européenne ne peut assumer la responsabilité de décider le rétablissement temporaire de contrôles aux frontières intérieures pour des cas de maintien de l’ordre public et de sécurité intérieure qui, jusqu’à présent, ont relevé de la souveraineté nationale des États membres. Nous partageons ce raisonnement et considérons que l’action envisagée doit continuer à relever des États membres, sous le contrôle de la Commission européenne.

Enfin, je rappellerai la volonté de notre groupe de promouvoir le développement d’un véritable espace Schengen des droits sociaux. Si la libre circulation des biens, des services et des capitaux est une réalité quotidienne, la liberté des travailleurs reste encore bien marginale. La création d’un espace Schengen des droits sociaux pourrait constituer un moyen de remédier à cette situation bien difficile à vivre.

En conclusion, nous approuvons la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil visant à créer une procédure nouvelle de rétablissement du contrôle aux frontières.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Louise Fort.

Mme Marie-Louise Fort. Monsieur le ministre, monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, le 19 septembre dernier, la Commission européenne a déposé une proposition visant à réformer l’ensemble des dispositions permettant aux États membres de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures en cas de menace grave à l’ordre public ou à la sécurité intérieure.

La responsabilité qui est la nôtre aujourd’hui est donc d’étudier la conformité de cette proposition à notre Constitution, en particulier au principe de subsidiarité – principe garant de notre souveraineté autant que de la démocratie européenne.

Cette responsabilité accordée par le traité de Lisbonne implique en effet les Parlements nationaux dans le processus de décision européen, ce qui renforce nos droits et l’aspiration légitime qui est la nôtre et celle de nos concitoyens à peser sur les décisions communautaires qui réglementent et impactent nos vies. C’est là une avancée considérable du traité de Lisbonne. Mais, mes chers collègues, être acteur d’un processus de décision signifie aussi que l’on en est comptable devant les Français. En ces temps de crise et de défiance, il est important de tenir un discours de vérité et de combattre l’idée selon laquelle les élus ne seraient pas consultés et qu’ainsi la décision nous échapperait.

Il n’est pas inutile de rappeler que l’Europe est ce que nous décidons qu’elle doit être. Le sujet qui nous occupe cet après-midi peut en témoigner. La question de la réintroduction exceptionnelle du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen touche en effet au fondement des principes de la construction européenne. La libre circulation en est naturellement un enjeu majeur. Mais il s’agit aussi de la répartition des pouvoirs entre États et institutions européennes, de la coopération et de la solidarité entre les membres, et, plus encore, d’une politique commune en matière d’immigration.

Notre tradition en matière de pensée, de relation à l’autre et d’immigration, tout comme notre attachement à notre souveraineté et notre situation au sein de l’Union ont conduit la France à être toujours très en avant et active sur l’ensemble des problématiques soulevées par l’édification de l’espace Schengen et la disparition des frontières intérieures. C’est au regard de cet héritage et de cette sensibilité que je vous invite à apprécier la proposition de résolution que nous a excellemment présentée notre rapporteur.

Dans ce texte, comme dans le rapport de la commission des affaires européennes, il analyse très finement la proposition de modification du règlement présentée par la Commission. Celle-ci consiste en fait en la communautarisation de la procédure de réintroduction du contrôle aux frontières. Disons-le dès à présent : ce dispositif ne nous satisfait pas, mais il ambitionne de répondre à une vraie question que les événements d’avril dernier nous ont posée en des termes on ne peut plus clairs.

Les lacunes de notre système actuel se sont révélées criantes, alors que des milliers de Tunisiens, fuyant leur pays en pleine révolution, ont clandestinement immigré vers l’Italie et que, face à cette marée humaine,…

M. Patrick Braouezec. Marée ? Quelle marée ?

Mme Marie-Louise Fort. …les autorités italiennes ont décidé de délivrer des titres de séjour provisoires aux migrants, afin d’éviter la cristallisation de la crise sur leur territoire, notamment sur la désormais célèbre île de Lampedusa.

L’Italie n’étant qu’un point de passage pour ces clandestins dont l’horizon était l’Angleterre, l’Allemagne, le Benelux ou la France, cette décision était lourde de conséquences pour l’ensemble de la zone. Elle l’aurait été davantage encore si le Président de la République et le ministre de l’intérieur n’avaient pas immédiatement pris les décisions qui s’imposaient pour maintenir l’ordre public.

La frontière extérieure de l’espace Schengen faisant défaut, les lacunes de nos règlements sont apparues au grand jour et il convenait que, la crise passée, nous adaptions nos dispositifs. C’est le sens de la lettre que Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi ont écrite conjointement le 26 avril 2011 au président de la Commission européenne. Dans cette lettre, ils demandaient plusieurs aménagements, tant du code des frontières de l’espace Schengen que de la politique commune en matière d’immigration et d’asile. Or la réponse de la Commission ne peut nous satisfaire.

Elle enfreint le principe de subsidiarité et ne permet pas de facto l’efficacité et la réactivité qu’appelle une crise telle que celle d’avril. La libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen appartient, certes, au champ des compétences communautaires. Mais celles-ci ne s’étendent pas au maintien de l’ordre public et aux questions de sécurité intérieure.

Permettez-moi de reprendre quelques points. L’article 4 du traité sur l’Union européenne dispose que l’Union « respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. » Or c’est bien d’ordre public, d’intégrité territoriale et de sécurité intérieure qu’il est question.

Trois types de procédure de rétablissement du contrôle aux frontières intérieures nous sont proposés : le premier en cas d’événements prévisibles, le deuxième en cas d’urgence et le troisième en cas de défaillance d’un État membre dans la surveillance des frontières extérieures de l’espace Schengen.

Dans le premier cas, l’État membre devrait dorénavant présenter une demande à la Commission européenne au plus tard six semaines avant la réintroduction des frontières. S’ensuivraient des échanges d’informations et de précisions entre la Commission et les États membres. La Commission pourrait consulter FRONTEX, Europol ou Eurojust, puis elle réaliserait des inspections sur place afin de vérifier les informations transmises par les États, avant de statuer selon la décision d’un comité composé des représentants des États membres – la plupart, par définition, très éloignés de la réalité concrète des menaces à l’ordre public dans un autre pays membre.

En cas d’urgence, la Commission européenne pourrait adopter des actes d’exécution qui s’appliqueraient immédiatement. Deux semaines après son adoption, l’acte devrait être soumis au comité et abrogé dans le cas où ce dernier émettrait un avis défavorable. L’État membre concerné pourrait, exceptionnellement et immédiatement, rétablir un contrôle aux frontières intérieures pour une période n’excédant pas cinq jours. Il devrait en aviser les autres États membres et la Commission européenne et communiquer les informations visées à l’article 24. Si la menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure se prolongeait au-delà de cinq jours, il reviendrait à la Commission européenne de décider de la prolongation du contrôle aux frontières intérieures.

Enfin, en cas de graves manquements persistants dans la surveillance des frontières extérieures, une clause de sauvegarde nous est proposée : si la Commission constatait de « graves manquements persistants dans le contrôle aux frontières extérieures ou les procédures de retour » et dans la mesure où ces manquements représenteraient « une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l’Union ou à l’échelon national, le contrôle aux frontières intérieures » pourrait être réintroduit pour une période n’excédant pas six mois. Trois prolongations de six mois chacune pourraient être décidées par la Commission européenne si l’on ne remédiait pas aux manquements.

Le rapporteur a dit son opposition aux dispositifs répondant au cas des événements prévisibles et aux cas d’urgence. Il rejoint en cela les ministres de l’intérieur de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne, qui ont conjointement rejeté les propositions de la Commission européenne en la matière. En effet, ce n’est pas à elle qu’il revient d’assurer ces missions. La Commission n’en a pas la légitimité démocratique et ne dispose ni de l’expertise ni des moyens de prendre des décisions opérationnelles dans le cadre de menaces terroristes ou pour la protection d’un événement politique ou sportif majeur.

Le contrôle communautaire des décisions des États est évidemment légitime au regard des enjeux pour l’espace Schengen et pour la cohésion de l’Union, mais nous pouvons nous interroger sur la nécessité de limiter autant des dispositifs qui, jusqu’à présent, n’ont fait l’objet d’aucun contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne. La réponse de la Commission va à contresens des attentes et des droits des États membres.

Concernant l’article 26 et le troisième cas de figure, à savoir la défaillance d’un État membre dans la surveillance de ses frontières extérieures, la proposition de la Commission correspond davantage à ce que nous attendions comme réforme. Une prise de décision au niveau européen apparaît naturellement plus logique.

L’équilibre des dispositifs de réintroduction des frontières à l’intérieur de l’espace Schengen est fragile et ne va pas sans difficulté au regard du principe de subsidiarité. Cela a été largement rappelé : qui mieux que les États membres est à même d’apprécier la nécessité du rétablissement des contrôles aux frontières et doit pouvoir opérer ce rétablissement, sous réserve d’un contrôle a posteriori de la Commission européenne ? La proposition de la Commission ne répond ni aux enjeux soulevés ni au principe de subsidiarité.

En conséquence, mes chers collègues, le groupe UMP votera cette proposition de résolution de notre commission des affaires européennes, née de l’initiative de son président, Pierre Lequiller. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Bravo, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, revenons au contexte qui a amené la Commission à proposer un règlement visant à modifier la clause de sauvegarde du code frontières Schengen.

Rappelons qu’au départ, la Commission n’était pas demandeuse : vous le savez, elle considérait que les clauses de sauvegarde existantes étaient suffisantes et permettaient de répondre à un certain nombre de situations. Il n’y avait donc pas de raisons, selon elle, de les modifier. C’est sur l’insistance – le mot est faible – de la France et de l’Italie, après une lettre conjointe du Président de la République française et du Président du Conseil italien, après une discussion au sein du Conseil européen avec une lettre du Président du Conseil européen, que sa position a évolué. C’est dire les pressions qu’il a fallu exercer sur la Commission pour qu’elle bouge dans cette affaire !

Il est donc évidemment un peu paradoxal, après lui avoir réclamé une réforme, de déclarer, une fois la réforme faite, qu’elle ne nous satisfait pas. D’un certain point de vue, j’ai le sentiment que la France se retrouve un peu dans la situation de l’arroseur arrosé.

Cela étant, quel était, sur le fond, l’enjeu du débat entre la Commission et les autorités nationales, particulièrement les autorités françaises, au moment de l’afflux de migrants à nos frontières via l’Italie ? La Commission considérait que la clause de sauvegarde qui figurait depuis le début dans les accords de Schengen, repris sous forme de règlement en 2006, pouvait permettre de faire face à cette situation : en cas de menace grave pour l’ordre public ou sa sécurité intérieure, un État a la possibilité de rétablir le contrôle aux frontières intérieures, pour peu qu’il respecte une procédure d’information et de contrôle a posteriori de la Commission. D’où la réponse de la Commission : ou bien existait une menace grave pour l’ordre public, auquel cas la France avait une raison légitime de fermer ses frontières ; ou bien il n’y en avait pas. De fait, je constate que la France n’a pas fermé ses frontières – peut-être pour des raisons juridiques, mais avant tout, me semble-t-il, pour des raisons éminemment politiques touchant à nos relations avec l’Italie, mais peut-être aussi pour des raisons d’affichage. La réaction pouvait paraître disproportionnée par rapport au problème à traiter : peut-on vraiment considérer que quelques dizaines de milliers d’immigrants constituent une menace grave pour l’ordre public ?

Telle était donc la position de la Commission, que je voulais rappeler : si nous nous en étions tenus là, nous n’aurions pas à discuter d’une proposition de règlement tendant à réformer la procédure existante de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, ni à la contester.

La réforme proposée pose-t-elle problème au regard du principe de subsidiarité ? C’est à cette question qu’il faut tout d’abord répondre. Je ne suis pas certain que ce soit le cas, même si je ne suis pas suffisamment juriste pour en juger. L’adoption – probable – de la proposition de résolution européenne nous dira ce qu’il en est.

Reste que le fait est là, indéniable : les accords de Schengen ont bel et bien confié la gestion des frontières à l’Union européenne. C’est même un sujet éminemment communautaire : quoi de plus commun, si j’ose dire, qu’une frontière ? Les accords de Schengen, d’ailleurs communautarisés par le traité d’Amsterdam, donnent à la Commission une compétence évidente dans ce domaine, et il me paraît difficile de le contester sur le plan juridique.

Quelle est la proposition de la Commission ? Il s’agit, conformément, d’ailleurs, au souhait de la France, de permettre de faire jouer la clause de sauvegarde dans l’hypothèse où un pays ne serait pas en capacité de faire respecter les frontières extérieures de l’Union, notamment face à un important afflux d’immigrants. La Commission a très clairement, à travers l’article 26, fait une proposition, acceptée par la France, qui tendrait à lui donner, dans ces situations extrêmes, la capacité de décider ou non de la fermeture des frontières.

Cette position apparaît assez cohérente avec le discours qu’a toujours tenu la Commission : Elle considère effectivement que son problème est, d’abord, de garantir la libre circulation : c’est le rôle qui lui est confié par les textes, c’est le rôle qu’elle veut assumer. En se donnant cette capacité de décision, la Commission manifeste clairement qu’elle est l’autorité qui a la responsabilité de veiller à la libre circulation. Elle le fait après les difficultés rencontrées par l’Italie, mais aussi après la décision de fermer ses frontières prise unilatéralement par le Danemark. Cela aussi a pesé – naturellement, vous le savez, monsieur le ministre – sur la décision de la Commission.

Sur ce point, qui n’est pas l’objet de contestations, la position de la Commission me paraît parfaitement cohérente, notamment au regard de la mission qui lui est confiée en matière de libre circulation.

Il est vrai que la Commission étend le champ de ce dispositif aux cas de menace grave pour l’ordre public ou pour la sécurité intérieure. Encore une fois, j’ai le sentiment que, pour la Commission, une capacité défaillante de surveillance des frontières peut entraîner une menace grave pour l’ordre public. Pour parler clairement, j’ai le sentiment, en lisant tant le projet de règlement que le compte rendu du débat qui s’est tenu au Parlement européen, que la Commission reste assez attachée, sur le plan juridique, à la notion de menace grave pour l’ordre public qui figurait dans Schengen.

Je pense enfin que la Commission a considéré que, si le champ d’application des clauses de sauvegarde était étendu, il fallait que la libre circulation soit plus fortement garantie. C’est pourquoi elle s’est donné cette capacité de décision. Encore une fois, cela me paraît cohérent sur le plan des principes.

J’éprouve en revanche quelque réserve sur la procédure instituée, et je souscris en partie au point de vue du gouvernement français. Cette procédure me semble excessivement lourde et bureaucratique. On peut s’interroger d’ailleurs sur les compétences de la Commission en la matière, d’autant qu’elle envisage elle-même de recourir à un comité pour se forger une opinion.

Les modalités prévues pour faire face à une menace grave pour l’ordre public me paraissent présenter un caractère extrêmement procédurier, alors que, dans les faits, les situations qui ont amené, ces dernières années, des pays européens à rétablir momentanément les contrôles aux frontières résultaient de circonstances très particulières. Il s’agissait, pour l’essentiel, de manifestations sportives ou d’événements politiques, comme la réunion du G20. Imposer des procédures aussi lourdes pour traiter des cas aussi limités paraît excessif.

J’ai cependant cru comprendre, en entendant M. le ministre, que le dialogue n’était pas tout à fait rompu entre la France et la Commission. Il faudrait réfléchir à des modalités qui, sans remettre en cause le principe de libre circulation, puissent permettre à un État d’agir rapidement et de manière efficace, sans bureaucratie.

Pour résumer, nous pensons que, sur le plan des principes et sur le plan juridique, le texte qui nous est soumis a sa cohérence et sa légitimité. Sur le plan des modalités et de la mise en œuvre en revanche, il faudra sans doute travailler encore pour définir en accord avec la Commission une procédure qui permette aux États d’agir rapidement dans les cas que j’ai évoqués, toujours très circonscrits.

Pour le reste, et pour l’essentiel, le nouvel article 26 recueille l’assentiment général. Lorsqu’un afflux de migrants excède nos capacités de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, la Commission doit pouvoir fermer lesdites frontières extérieures. Telle est notre position.

Je présenterai quelques amendements relatifs à la subsidiarité, et nous nous abstiendrons lors du vote sur l’ensemble du texte. Nous considérons, je le répète, que la procédure proposée est trop lourde et qu’il faut continuer de travailler sur cette question.

M. le président. Pour les non-inscrits, la parole est à M. Dominique Souchet.

M. Dominique Souchet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me félicite de voir notre assemblée mettre en œuvre la procédure de contrôle de conformité d’un projet d’acte législatif européen au principe de subsidiarité à propos du projet de règlement relatif au rétablissement du contrôle aux frontières intérieures.

Celui-ci a pour origine la demande adressée à la Commission par le Président de la République française et le Président du Conseil italien en vue de restaurer les contrôles systématiques aux frontières intérieures en cas d’afflux massif d’immigrants ou de défaillance d’un État membre dans la surveillance des frontières extérieures dont il a la charge. Cette demande faisait suite à l’afflux sur le territoire italien de ressortissants tunisiens, consécutif à la révolution tunisienne du mois de janvier dernier.

À la faveur de cette demande franco-italienne, et en la détournant de son objectif, la Commission propose de communautariser, ce que personne ne lui demande de faire, les clauses de sauvegarde existantes, applicables en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. C’est donc un véritable coup de force que tente la Commission en vue d’étendre sans justification et de manière illégale ses compétences, selon la méthode, hélas bien connue, du débordement permanent du texte des traités.

Le projet de règlement envisage trois cas de figure.

Les mesures les plus graves sont prévues pour faire face au premier cas, celui de menaces prévisibles. L’État membre se trouverait alors totalement dépossédé de ses pouvoirs actuels, puisque sa demande serait soumise à autorisation préalable de la Commission, qui prendrait elle-même la décision de réintroduire le contrôle et, éventuellement, de le prolonger, en recourant à la procédure dite de comitologie.

Dans ce cas, la Commission se substituerait à l’État membre lorsqu’il s’agit, par exemple, de faire face à une menace terroriste ou d’organiser la protection d’un événement politique majeur. Il y aurait là une redoutable confusion des genres et un véritable empiétement du pouvoir de la Commission dans des domaines qui relèvent du cœur même de la souveraineté nationale.

C’est donc à bon droit que les trois ministres de l’intérieur français, allemand et espagnol ont rappelé publiquement qu’il appartenait aux États membres de maintenir l’ordre public et d’assurer la sécurité intérieure.

Je souscris entièrement à la conclusion du rapporteur lorsqu’il indique que « la Commission n’a pas à se voir transférer la compétence de décider de la réintroduction du contrôle aux frontières alors que la question centrale serait celle du maintien de l’ordre public et de la sauvegarde de la sécurité intérieure ».

La communautarisation proposée présente en outre de très graves dangers en termes d’efficacité. Alors même que des questions d’ordre public seraient en jeu, proposer de les traiter par l’intermédiaire des lourdes procédures de comitologie, c’est prendre le risque de délais et de blocages inacceptables.

Laisser à l’initiative de la Commission la décision de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures et soumettre cette décision à la comitologie, risque d’aboutir à des flottements redoutables et à ce que la décision finale soit arbitrée par une majorité d’États totalement étrangers à la réalité concrète des menaces qui pèsent sur un État membre.

C’est donc à juste titre que le rapport dénonce la confusion introduite par la Commission qui souhaite placer sur le même plan et faire relever d’un processus décisionnel unique deux types de problèmes distincts : celui de la menace à l’ordre public ou à la sécurité intérieure, d’une part, et celui des défaillances graves et persistantes dans le contrôle des frontières extérieures, d’autre part. Cette confusion paraît avoir été opérée à seule fin d’étendre le champ de compétence de la Commission.

Nous devons rappeler avec force que les États membres sont les mieux à même d’apprécier la nécessité du rétablissement des contrôles aux frontières et de procéder de manière proportionnée aux opérations de rétablissement de ces contrôles. J’approuve donc totalement les conclusions de la résolution qui nous est présentée constatant que la proposition de règlement élaborée par la commission n’est pas conforme au principe de subsidiarité et demandant qu’elle soit modifiée en conséquence.

Cette position, si elle est suivie par un nombre suffisant de parlements nationaux, peut contribuer à l’avenir à dissuader la Commission de procéder à de nouvelles dérives auxquelles, hélas, la communautarisation du traité de Schengen a ouvert la voie. Dans le cadre des pouvoirs qui nous restent, nous n’en devons pas moins demeurer des plus vigilants.

M. le président. La discussion générale est close.

Article unique

M. le président. J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de résolution dans le texte considéré comme adopté par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

La parole est à M. Christophe Caresche, pour soutenir les trois amendements, nos 1, 2 et 3, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

M. Christophe Caresche. Ces amendements visent à contester le fait que la proposition de règlement pose un problème de subsidiarité. Je ne reviens pas sur les arguments que je viens de développer, sauf pour rappeler que, dans la mesure où la convention de Schengen a communautarisé la gestion des frontières, on ne peut contester la légitimité ni la compétence de la Commission européenne en la matière.

Surtout, j’appelle votre attention sur le fait que si le principe de subsidiarité était, ici, appliqué conformément à la proposition de résolution, on sortirait de la logique Schengen pour revenir à un système où les États, en matière d’ordre public et de sécurité, retrouveraient toute leur souveraineté sur le contrôle des frontières intérieures : ce ne serait pas un retour à la situation ante, autrement dit à la clause de sauvegarde prévue par la convention Schengen, mais bel et bien la sortie de Schengen. Ce qui devrait nous inciter à la vigilance au moment où certains pays gouvernés par des majorités parfois inquiétantes – il n’est pas question ici de la France, bien entendu – sont plus ou moins tentés de remettre en cause la convention de Schengen et la gestion commune des frontières.

Ma position ne préjuge pas d’une discussion avec la Commission sur les modalités d’un contrôle aux frontières qui pourrait fort bien permettre à un État de disposer d’une latitude beaucoup plus grande que celle prévue dans les textes actuellement en vigueur.

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des affaires européennes, pour donner l’avis de la commission sur ces trois amendements.

M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des affaires européennes. La commission n’a pas examiné ces amendements. J’y suis pour ma part défavorable. En effet, contrairement à ce que vient d’affirmer notre collègue Caresche, le système, en l’état actuel des textes, paraît assez équilibré : d’une part, la libre circulation au sein de l’espace Schengen ne relève pas de la compétence exclusive de l’Union européenne ; d’autre part, plusieurs dispositions du Traité rappellent la compétence première des États membres dans le domaine du maintien l’ordre public.

Comme il n’est pas démontré que la communautarisation de ces contrôles assurerait une plus grande efficacité ni, inversement, que la décision de réinstaurer les contrôles au niveau national aurait des effets tels sur l’Union que la décision devrait être prise par la Commission européenne, l’avis motivé que nous avons exprimé tout à l’heure me paraît tout à fait fondé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces trois amendements ?

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes. L’avis du Gouvernement est défavorable, mais on peut lever vos inquiétudes, monsieur Caresche : on pourrait penser, à vous entendre, que l’application de la clause de sauvegarde annihilerait les règles en vigueur au sein de l’espace Schengen. Or le règlement antérieur continue de s’appliquer et la clause de sauvegarde ne fait que s’y ajouter.

Ensuite, comme vient de le rappeler M. le rapporteur, le principe de subsidiarité est mentionné pour la première fois en 1992 dans le traité de Maastricht et dispose que l’on doit faire référence au niveau d’intervention le plus pertinent lorsqu’une compétence est partagée. Or la compétence en question ici est partagée entre l’Union européenne et les États membres.

L’intervention européenne ne se justifie que si l’Union européenne est réellement en mesure d’agir plus efficacement que les États membres. Suivant le critère de l’efficacité, le principe de subsidiarité n’implique pas le choix automatique de l’échelon le plus proche mais du niveau d’action le plus proche et le plus approprié. À l’évidence, l’État membre est ici le niveau de pertinence et d’efficacité le plus élevé.

Aussi la résolution proposée par M. Quentin et approuvée par la commission ne mérite-t-elle pas d’être affaiblie par vos amendements qui sont du reste déjà satisfaits. Vos inquiétudes, monsieur le député, ne sont pas fondées.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes.

M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes. J’abonderai dans le sens des interventions de M. le ministre et de M. le rapporteur. La commission a discuté de cette proposition de résolution de façon très sereine. Le rapport a été préparé par M. Quentin et par M. Caresche et, me semble-t-il, voté à l’unanimité des commissaires – je parle de mémoire : certes, un avis peut évoluer entre le moment où la commission tient ses travaux et la discussion en séance publique…

La commission des affaires européennes est très favorable à la Commission européenne et aux institutions européennes en général. Or le rapporteur et le ministre l’ont souligné, la proposition de règlement pose un problème de subsidiarité soulevé par plusieurs parlements et par le rapporteur au Parlement européen lui-même – la question vaut donc d’être discutée.

On a toujours intérêt, même si cela arrive rarement – Didier Quentin rappelait que c’était la première fois en séance publique –, à ne pas laisser dériver le principe de subsidiarité. C’est rendre service à l’Europe.

(Les amendements nos 1, 2 et 3, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Vote sur l’article unique

M. le président. Je ne suis saisi d’aucune explication de vote.

Je mets aux voix l’article unique de la proposition de résolution.

(L’article unique de la proposition de résolution est adopté.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2012 :

Outre-mer.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures vingt-cinq.)