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Commission chargée des affaires européennes

mercredi 14 janvier 2009

16 h 15

Compte rendu n° 84

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Audition de M. Pierre Sellal, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne, sur le bilan et les perspectives de la présidence française de l’Union européenne

II. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 14 janvier 2009

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq

I. Audition de M. Pierre Sellal, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne, sur le bilan et les perspectives de la présidence française de l’Union européenne

Le Président Pierre Lequiller. Monsieur l’ambassadeur, je suis très heureux de vous recevoir ici pour évoquer le bilan de la présidence française de l’Union européenne, qui a été assez unanimement reconnue comme un grand succès, et surtout ses perspectives. J’inaugurerai la liste des questions en commençant par les relations franco-allemandes. Malgré les différences de méthode et d’appréciation qui existent indubitablement, il me semble que le lien franco-allemand reste indispensable, ou plutôt son extension, le Triangle de Weimar. Quelle est votre position sur la question ?

Pour ce qui est de la ratification du traité de Lisbonne et lorsque l’hypothèque tchèque et celle du président polonais seront levées, bientôt je l’espère, le débat en Irlande changera de sens. Étant les seuls à ne pas avoir procédé à cette ratification, les Irlandais devront exprimer clairement une volonté de faire partie de la maison ou d’en sortir. Mais, dans la perspective des prochaines élections européennes, comment gérer le passage des 72 députés français qui seront élus aux 74 que prévoit le traité de Lisbonne ? Et comment évoluera aussi la composition de la Commission européenne, modifiée par le traité ?

Enfin, dans un contexte institutionnel compliqué où la présidence tchèque risque de souffrir de l’influence de son propre président de la République, on voit bien la nécessité d’une présidence stable de l’Union. L’Europe politique a fait des progrès extraordinaires sous la présidence française. Comment faire en sorte que cet élan se poursuive ? Si la France ne joue pas un rôle majeur dans la troïka qu’elle a constituée avec la République tchèque et la Suède, le soufflé ne risque-t-il pas de retomber très vite ?

M. Pierre Sellal. C’est toujours un honneur et un plaisir que de me retrouver parmi vous, et d’autant plus que la délégation est devenue commission. Avant de répondre aux questions, et sans passer en revue l’ensemble des dossiers traités par la présidence française, sur lesquels vous êtes très bien informés, je voudrais résumer l’esprit de cette présidence que j’ai vécue de l’intérieur et la comparer aux autres que j’ai connues, françaises ou étrangères.

Il y a un an, notre mot d’ordre avait été défini : « une Europe qui agit pour répondre aux défis d’aujourd’hui ». Il n’aurait pu être plus approprié ! Conformément au sentiment du Président de la République d’avoir œuvré pour une Europe qui ne subit pas, mais qui agit et qui protège, on nous crédite d’avoir défini un cap, pris les décisions nécessaires, érigé l’Union en acteur international et réagi aux crises qui se sont présentées.

Le premier trait caractéristique de cette présidence est qu’elle a été globale, exhaustive. Comme cela était attendu d’elle – et ne l’est pas d’un plus petit pays – la France a appréhendé, au-delà des grands dossiers prioritaires, l’ensemble des sujets et des politiques de l'Union, de l’espace à l’éducation en passant par la santé ou la politique maritime. Certes, cela correspond à notre conception d’une Europe acteur global, mais cette ligne directrice a aussi directement servi l’autorité même de la présidence française et sa capacité de négociation. Ne rien laisser de côté, répondre aux préoccupations de chacune des délégations donne un crédit très utile dans le reste des négociations. Ainsi, la façon dont la France a pris en considération les préoccupations majeures des Roumains – la question des relations avec la Moldavie et celle des Roms – lui a donné un crédit considérable auprès d’eux.

Le deuxième trait est l’articulation entre ce qui était programmé et l’imprévu. Certains dossiers ont obéi au calendrier très rigoureux qui avait été fixé. Ce fut le cas de la politique européenne de sécurité et de défense : tout au long de ces six mois, il s’est d’abord agi de faire émerger une analyse commune sur les menaces encourues, puis de réunir un consensus sur les capacités nécessaires, et donc sur leur insuffisance actuelle, et enfin de définir des voies d’action – complémentarité avec l’OTAN, organisation interne… Ce programme rigoureusement respecté a permis à la défense européenne de franchir une étape supplémentaire. D’autres dossiers ont été en revanche complètement bouleversés par les événements. Ainsi, alors qu’une des priorités du mandat français devait être la mise en place du traité de Lisbonne pour le 1er janvier 2009, l’objectif est devenu de réunir les conditions pour permettre aux autorités irlandaises de lancer une deuxième consultation dans des délais compatibles avec les besoins institutionnels. Sur d’autres sujets enfin, il a fallu estimer à quel point les événements modifiaient ou non la programmation établie. Ainsi, nous avons puisé dans la crise géorgienne un surcroît de mobilisation en faveur de la défense européenne et un moyen d’affirmer l’Europe en tant qu’acteur international. En revanche, la crise économique et financière aurait pu faire changer la donne pour ce qui est de la lutte contre le réchauffement climatique. Nous nous sommes battus pour que l’on réaffirme, au contraire, l’objectif environnemental, tout en rendant sa mise en œuvre soutenable dans le contexte économique actuel. La présidence française a donc articulé en permanence les actions programmées et les événements auxquels elle a eu à faire face.

Par ailleurs, et c’est encore plus singulier par rapport aux présidences antérieures, y compris françaises, ces six mois ont été marqués par une coopération totale entre les institutions. La présidence française étant à l’avance créditée d’un grand savoir-faire, on craignait de sa part une certaine mise à l’écart de ses partenaires. Mais elle a travaillé en permanence avec la Commission – le Président de la République a constamment associé M. Barroso à ses initiatives – et de manière encore plus spectaculaire avec le Parlement européen. Le renforcement du Parlement, qui est une des réformes qui a le plus sensiblement transformé le système européen, a pris encore plus d’acuité. Le Président de la République s’est rendu trois fois à Strasbourg et les membres du gouvernement cent onze fois, mieux que la performance allemande. Les présidents de groupes politiques ont plusieurs fois été invités à Paris, une manifestation de considération sans précédent qui a certainement facilité le travail de négociation et la mise au point des textes. Aucun accrochage avec le Parlement n’a eu lieu de toute la présidence.

Le Président Pierre Lequiller. Sauf avec M. Cohn-Bendit.

M. Pierre Sellal. Mais pas d’un point de vue institutionnel.

Une autre caractéristique a été l’ambition de la France de restaurer la vocation du Conseil européen. Créé pour être l’instance centrale du système, il s’en est éloigné au point que ses conclusions, redoutablement soporifiques, étaient devenues une sorte de bilan semestriel d’activité au lieu de la définition d’un cap politique. D’aucuns nous garderont reconnaissance d’avoir réduit leur volume des deux tiers. Surtout, nous aurons rétabli le Conseil dans un rôle d’instance qui fixe un cap, décide sur l'essentiel et oriente le travail. La France a aussi essayé d’utiliser tous les formats de réunion existants, ou non d’ailleurs, le Président de la République ayant su se montrer très imaginatif. Du G4 de Paris à la session extraordinaire du Conseil en passant par le sommet de l’Eurogroupe à Paris – une novation – ou le sommet fondateur de l’Union pour la Méditerranée, les rencontres se sont multipliées sans jamais paraître excessives aux yeux de nos partenaires. Un seul exemple : M. Zapatero, lors du conseil européen extraordinaire qui, le 7 novembre, préparait le sommet de Washington du 15 novembre, considérait qu’il n’était pas question d’attendre le 12 décembre pour se revoir !

La France a aussi veillé à tenir compte des positions de chacun. Lorsqu’un grand pays assure la présidence de l’Union, on craint toujours qu’il fasse cavalier seul ou qu’il privilégie ses grands partenaires. Cela n’a pas été le cas. Ainsi, pour ce qui est du paquet « changement climatique », le Conseil européen d’octobre était censé préparer une prise de décision en décembre alors même que, la crise économique débutant, de nombreux pays doutaient de sa pertinence – la Pologne, mais aussi l’Allemagne ou l’Italie par la voix de M. Silvio Berlusconi avaient fait part de leurs hésitations. Le Président Nicolas Sarkozy a alors déclaré qu’il ne chercherait pas à obtenir une décision à la majorité mais qu’il voulait un consensus, en s’engageant à trouver une réponse pour chacun. C’était prendre un risque considérable. Compte tenu de la difficulté du dossier, beaucoup pensaient que l’unanimité bloquerait toute décision. Mais tout au contraire, si la présidence avait cherché une majorité, des alliances se seraient formées et les positions durcies jusqu’au blocage. En l’occurrence, l’assurance qu’un consensus serait recherché a rendu les négociations beaucoup plus fluides et malgré l’importance de l’enjeu, l’accord a été trouvé en décembre sans le moindre drame, avec le plein soutien du Parlement européen dont les prérogatives auront été pleinement respectées… La visite du Président de la République à Gdansk a d’ailleurs probablement contribué à convaincre les pays que le paquet « changement climatique » mettait en difficulté que leurs points de vue seraient pris en considération.

Cette présidence a donc été marquée à la fois par l’ambition et par le compromis. Ainsi que l’a remarqué le Président de la République, l’un favorise l’autre car si l’on ne poursuit que des objectifs restreints, rien ne justifie qu’on bouscule les positions nationales ! La volonté de compromis de la France, sa capacité à tenir compte des positions de chacun a permis de tenir le cap sans jamais abâtardir les ambitions fixées au départ. Ainsi, aucun des objectifs du paquet « changement climatique » n’a été abandonné.

Enfin, la présidence aura été marquée par une volonté d’équilibre entre l’intergouvernemental et le communautaire. On l’a décrite comme une période de retour des Etats au détriment de la Commission. C’est excessif, même si en situation de crise les gouvernements, l'Etat qui apporte la garantie ultime, sont bien sûr au centre du jeu. Les Etats ont été mobilisés dans leur capacité d’impulsion, d’initiative, mais toujours au profit de la recherche d’une solution communautaire. Sur le plan économique et financier par exemple, il faut tout leur engagement et toute leur légitimité pour rétablir la confiance et lancer une réaction, qui doit être poursuivie par la mise en place de règles communautaires de supervision et de protection des épargnants. Quant au paquet « changement climatique », seul l’engagement fort des Etats permettra de mettre en oeuvre les politiques qu'impliqueront les nouvelles disciplines communautaires.

Quatre leçons me semblent devoir être tirées de cette présidence. La première, c’est que l’on peut prendre des décisions dans l’Europe élargie. Les structures sont lourdes, mais il a été possible d’agir vite. Le paquet « changement climatique », le dossier législatif le plus lourd de ces dernières années, a été résolu en quatre mois, fait sans précédent dans les annales de la codécision !

Mais, et c’est la deuxième leçon, cela n’est possible que si un leadership se manifeste. Ce rôle, qui n’est évidemment pas celui d’un Parlement, même aux pouvoirs renforcés, et qui ne peut être exercé par la Commission, concurrencée qu’elle se trouve par le Parlement dans l’expression de l’intérêt général européen, revient donc au Conseil, doté d'une présidence effective, d’où la nécessité de ratifier le traité de Lisbonne.

La troisième leçon est que nous avons besoin de solutions collectives qui tiennent compte de la diversité des positions.

La dernière – compte tenu que la prochaine présidence française, dans l’état actuel des choses, s’exercera au premier semestre 2022 ! – est que la clef de notre influence est notre capacité d’initiative et de proposition, notre goût de formuler des solutions qui n’apparaissent pas dictées par l’intérêt national.

J’en viens à vos questions, Monsieur le Président. Pour ce qui est de l’Allemagne, nos différences de style et d’organisation sont apparues durant ces six mois plus crûment que d’habitude. L'unité de commandement qui caractérise le système français, de l’Elysée à la représentation permanente, la réactivité que cette chaîne directe autorise, contrastent avec les contraintes d’un système fédéral et d’un gouvernement de coalition, qui expliquent une bonne part de ce qu’on a appelé parfois les « lenteurs » et les « hésitations » de notre partenaire. Mais il n’y a pas eu de divergence de fond majeure durant ces six mois. La discussion a été permanente. Des difficultés ponctuelles se sont certes présentées, comme sur la question des émissions de CO2 des automobiles – et comme depuis vingt ans dans ce domaine ! – mais c’est la volonté de trouver un compromis qui a primé, compromis lui-même voué à devenir la matrice de l’accord collectif. Il n’y a pas eu de divergence au sujet de la Géorgie et de la Russie, ni du bilan de santé de la PAC. Quant à la réflexion sur la PAC du futur, elle n’est pas allée aussi loin que prévu. Nous avons considéré dès le début de septembre que le sujet, compte tenu de la crise économique et à l’approche des élections européennes, ne pouvait pas être traité à fond.

Vous vous demandez ensuite si la présidence tchèque peut pérenniser ce qui a été accompli sous la nôtre. Pour ce qui est du rôle du Conseil européen, elle a déjà dit vouloir poursuivre dans la même voie et ne semble pas non plus vouloir se contenter d’attendre les réunions prévues en cas de crise, comme témoignent ses initiatives dans le contexte de la crise gazière actuelle. Elles dispose de personnalités fortes, comme le vice-Premier ministre Alexandre Vondra, qui lui permettront de faire face aux difficultés intérieures et au défi que représente pour un pays l'exercice pour la première fois de la présidence européenne.

Pour ce qui est de la ratification du traité de Lisbonne, ces six mois ont démontré la vertu d’un leadership. Le traité est la seule solution pour éviter l’aléa et la discontinuité inhérents aux présidences tournantes. Il fallait donc placer le gouvernement irlandais dans les meilleures conditions pour tenter une deuxième consultation. Cela impliquait que les Irlandais se prononcent en dernier, ce qui rend l’enjeu plus important, mais aussi que M. Cowen obtienne ce dont il estime avoir besoin pour interroger à nouveau le peuple irlandais. La présidence française n’a pas voulu faire valoir sa propre analyse : elle lui a tout simplement demandé à quelles conditions il serait prêt à tenter ce deuxième référendum et s’est engagée à essayer de les faire accepter aux autres partenaires. Ces conditions sont simples : réaffirmer que le traité n’affecte en rien la neutralité, la fiscalité ou le droit de la famille irlandais et donner la certitude à l’Irlande qu’elle sera toujours représentée au sein de la Commission. Ce deuxième point, qui implique que chaque Etat dispose d’un commissaire et qui impose une modification du traité de Lisbonne, a fait l’objet d’un consensus pratiquement immédiat.

M. Jérôme Lambert. D’un point de vue juridique, cela rend-il une modification du traité obligatoire dans chacun des Etats ?

M. Pierre Sellal. Oui, mais pas dans l'immédiat; ce devra être fait avant 2014, date à laquelle le traité de Lisbonne prévoit la diminution du nombre des commissaires alors que le traité de Nice, sous l’empire duquel nous sommes, l’imposait dès 2009. Nous devons donc faire en sorte que le référendum irlandais ait lieu avant l’expiration du mandat de la Commission actuelle le 1er novembre. Dans ce cas, il y aura un commissaire par Etat membre jusqu’en 2014 et pour la suite, il faudra concrétiser la décision prise de ne pas réduire le nombre des commissaires, en faisant ratifier cette modification du traité par chaque Etat membre. Pour éviter d’engager une procédure spécifique, il est possible d’adjoindre ce point à un autre traité européen soumis à ratification – le premier devant être le traité d’adhésion de la Croatie. C’est la seule des garanties demandées par l’Irlande qui appelle une modification du droit primaire. Pour le reste, il est évident que le traité de Lisbonne n’affecte ni la neutralité du pays, ni son droit fiscal, ni son régime de l’avortement.

Pour ce qui est du nombre des députés, le Parlement européen sera élu sur la base du traité de Nice puisque le référendum irlandais ne peut avoir lieu avant juin. Mais plusieurs Etats, dont la France, ont déjà demandé que si le traité de Lisbonne était adopté, on n’attende pas la fin de la législature pour procéder aux ajustements. Sauf qu’il n’est bien sûr pas question de priver de leur siège les députés élus dans les pays qui verront leur représentation réduite, comme l’Allemagne.

Le Président Pierre Lequiller. La France n’aura élu que 72 députés. Comment seront désignés les deux supplémentaires ?

M. Pierre Sellal. Il serait difficile d’organiser des élections pour deux députés. La solution sera sans doute une sorte de liste complémentaire. Ce pourrait être un peu compliqué, puisque le scrutin est régional, mais je ne veux pas préjuger de la solution qui sera retenue; elle relève en tout cas de notre responsabilité au plan national.

Le Président Pierre Lequiller. Nous en venons aux questions des députés.

Mme Marietta Karamanli. Merci, Monsieur l’ambassadeur, pour cette intervention. D’abord, quelle est la position de la France concernant la proposition allemande d’un pacte européen pour l’emploi ? Ensuite, le plan européen de l’innovation pourrait mobiliser des crédits du fonds européen d’ajustement à la mondialisation doté de 500 millions par an. Ces crédits sont-ils disponibles, et ont-ils été sollicités ? Sont-ils suffisants, alors que certains économistes parlent plutôt de 5 milliards ? Par ailleurs, quelles sont les sommes nouvelles dégagées pour les grands travaux d’infrastructures dans le cadre du plan de relance, et quels sont les secteurs concernés ? Enfin, quelles sont les suites données aux recommandations concernant Chypre et la Turquie que MM. Gérard Voisin et Bernard Deflesselles et moi-même avions adjointes à notre rapport sur le règlement de la question chypriote ?

Mme Chantal Brunel. Ces six derniers mois, grâce à la présidence française et à cause de la crise, la Grande-Bretagne a donné le sentiment de s’investir beaucoup plus que d’habitude en Europe. Quelles seront les conséquences sur ses relations avec l’Union ? Par ailleurs, l’ambassade a-t-elle disposé de moyens supplémentaires pour gérer l’intense activité générée par la présidence française ?

M. Michel Herbillon. Nous connaissons tous ici l’agenda de la présidence française mais votre très intéressant exposé, Monsieur l’ambassadeur, nous a donné les notes d’ambiance qui nous manquaient.

Je voudrais d’abord savoir quels sont les aspects de la présidence française qui seront selon vous pérennisés. Les événements extraordinaires auxquels elle a été confrontée, tels que le conflit de Géorgie ou la crise financière, auraient pu avoir des effets très différents sous une autre présidence et ont fait apparaître la capacité de leadership de notre Président de la République, mais une telle capacité ne se décrète pas. Le fait de veiller à tenir compte des positions de chacun tranche nettement avec l’arrogance qui est toujours prêtée à la France. En revanche, si les institutions ont travaillé de concert et si les réunions se sont multipliées, nous avons le sentiment que cela a été au détriment de la Commission européenne, et le retour à un commissaire par pays ne nous semble pas de nature à renforcer son rôle. Par ailleurs, et dans l’hypothèse funeste d’un échec du second référendum irlandais, quelles seraient les solutions de sortie de crise ?

M. Pierre Sellal. Pour ce qui est des enjeux sociaux, la France et l’Allemagne, confrontées aux mêmes difficultés, rapprochent leurs positions et travaillent à élaborer des outils pour préserver l’emploi. Dans le secteur automobile notamment, un cadre a été défini par le Conseil européen qui doit être dorénavant rempli par les actions nationales. Les crédits du fonds d’ajustement à la mondialisation, 500 millions par an, ne sont que faiblement utilisés parce que les critères, imposés à sa création par les délégations les plus orthodoxes sur le plan budgétaire, sont extrêmement restrictifs. Le Conseil européen de décembre a donc prévu de les retravailler afin de rendre le fonds, comme d'autres instruments existants, plus efficace. Quant aux crédits nouveaux, 5 milliards sont proposés pour des projets d’infrastructures notamment en matière d’interconnexion énergétique ou d’internet à haut débit.

S’agissant de Chypre, nous avons depuis septembre, discrètement mais activement, encouragé le dialogue direct entre les deux parties de l’île. Cela n’a pas encore donné grand résultat, mais la démarche est positive. Quant à la Turquie, les négociations se poursuivent. Deux chapitres supplémentaires ont été ouverts et le processus de rapprochement continue, même si les Turcs ont été marris de ne pas le voir qualifié de négociation d’élargissement. C’était un sujet délicat pour la présidence française. Nous avons pu à la fois maintenir le consensus européen, prévenu une dégradation des relations entre l’Union et la Turquie et évité tout drame tout en restant parfaitement en ligne avec la position de la France telle que définie par le Président de la République en 2007.

En ce qui concerne le Royaume-uni, une solution originale a été trouvée lorsqu’il a été question de réunir l’Eurogroupe au plus haut niveau. Il était évident que Gordon Brown, après dix années en charge des finances de son pays, connaissait parfaitement la question bancaire et financière et qu’il avait beaucoup d’idées sur le sujet. Mais il était déjà délicat pour la présidence vis-à-vis des autres Etats membres de ne réunir que l’Eurogroupe, et donc inenvisageable d’inviter en outre la seule Grande-Bretagne. La solution a été d’inviter le Premier ministre britannique, M. Gordon Brown, juste avant la réunion, pour une rencontre avec le Président de la République et d’en profiter pour lui demander de s’exprimer au début de celle-ci. M. Gordon Brown est donc parti après avoir présenté ses idées mais le Royaume-Uni a pleinement participé au travail européen pendant ces six mois, et la préparation des conclusions du Conseil n’a donné lieu, contrairement à l’habitude, à aucune difficulté particulière avec ce grand partenaire.

Mme Chantal Brunel. Cela va-t-il durer ? Un certain nombre de pays commencent à apprécier la fermeté de l’euro !

M. Pierre Sellal. Les pays qui ont choisi de rester à l’écart de l’euro ont pris conscience de leur vulnérabilité. Cela n’a pas encore provoqué une lame de fond dans les opinions des pays concernés pour l’admission dans la zone euro, mais la crise a mis les vertus de l'euro en évidence et peut-être le calendrier de certains va-t-il être accéléré. Les pays qui ne remplissent pas aujourd'hui les conditions d'admission dans la zone euro sont dans une situation différente, même s'ils sont tentés eux aussi de revoir leur calendrier. Pour ce qui est de la régulation financière, la Grande-Bretagne souscrit à l'objectif de règles renforcées, mais veille à ce que le surcroît de surveillance qu'il implique soit compatible avec sa vision des intérêts de la City et son organisation. Le gouvernement britannique devra préciser ses vues sur ce sujet.

En ce qui concerne la pérennité des changements de posture tels que constatés ces derniers mois, les crises qui ont eu lieu ont certes permis d’affirmer l’Europe en tant qu'acteur politique, mais elles auraient pu être le fossoyeur de nos ambitions. L’Europe aurait pu éclater dès le mois d’août, la Russie étant le sujet le plus porteur de divisions parmi les 27, et la crise économique et financière aurait pu conduire à l’abandon complet du programme de lutte contre le changement climatique. Il est heureux que ces crises aient plutôt entraîné un surcroît de détermination. Ce qui est sûr, c’est que le besoin de travailler en commun à des solutions collectives s’est fortement affirmé. Il me semble que les chefs d’Etat et de gouvernement ont pris le goût et mesuré tout le prix de réunions régulières. Le fait, ainsi que je l’ai déjà dit, que nous ayons mobilisé tous les formats de réunions possibles montre d’ailleurs la plasticité de ce système institutionnel qu’on disait dépassé après l’élargissement. Encore faut-il que la présidence le veuille et apporte l'impulsion nécessaire : le système a besoin d’un leadership et tant que le traité de Lisbonne ne sera pas adopté, cela ne sera pas acquis de manière pérenne. La taille du pays n’est pas en cause : la présidence luxembourgeoise, bien qu’elle ait été desservie par l’échec des négociations sur le paquet financier dû au Royaume-Uni, s’est révélée remarquable. En revanche, il n’y a pas de doute que dans les circonstances que traversons, il y a un net avantage à ce que le pays présidant l’Union dispose d' un siège au Conseil de sécurité et soit membre du G8 !

Le Président Pierre Lequiller. La réunion au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement sur la zone euro est sans précédent. Sera-t-elle pérennisée ?

M. Pierre Sellal. Il y aura sans doute une suite, parce que les Etats ayant l'euro comme monnaie ont cette responsabilité en partage et que l’ampleur de la crise implique une mobilisation au plus haut niveau.

Le Président Pierre Lequiller. Mais qui prendra l’initiative, alors que les Tchèques ne font pas partie de la zone euro ?

MPierre Sellal. Il n’est pas question que ces réunions soient institutionnalisées. Mais si les circonstances ou l'importance des mesures à prendre le justifient au cours des prochains mois, je suis convaincu que les Etats membres de l'Eurogroupe, son président au niveau des ministres des finances, Jean-Claude Juncker, qui est aussi Premier ministre, et la présidence tchèque sauront déterminer pragmatiquement de quelle manière une telle réunion pourrait se tenir.

Enfin, en cas d’absence ou d’échec d’un second référendum irlandais, nous en resterions au traité de Nice. Nous devrions alors nous passer d’une présidence stable du Conseil européen, de représentants supplémentaires au Parlement européen et de possibilités étendues de décision à la majorité qualifiée. Mais je ne pense pas que les négociations institutionnelles repartiraient immédiatement, parce que la lassitude est grande sur la question.

M. Guy Geoffroy. Pour ce qui est de l’euro, il me semble que la BCE s’est montrée beaucoup plus réactive et constructive qu’on ne s’y attendait, et qu’elle a été loin de démériter face à l’inventivité et la mobilité de la présidence française. Quel est l’Etat des lieux de l’élargissement de la zone euro ? Peut-on mesurer son impact sur la sécurisation de nos économies ? Quels sont les pays qui envisagent d’accélérer leur calendrier d’adhésion ? Je sais par exemple que l’accession à l’euro a littéralement transformé la relation à l’Europe des Chypriotes. L’euro permet d’enraciner une véritable citoyenneté. Par ailleurs, il est très regrettable que la France n’ait pas augmenté sa contribution financière aux actions menées pour rapatrier les restes des disparus de Chypre entre le nord et le sud de l’île, comme d’autres pays l’ont déjà fait. Est-ce envisagé ? Il s’agit de sommes indispensables à la réussite du projet et tout à fait acceptables pour notre pays.

M. Jean Dionis du Séjour. J’ai moi aussi été très intéressé par vos propos, Monsieur l’ambassadeur, mais je me demande si votre lecture de la présidence française n’est pas quelque peu optimiste. Il y a eu de grandes divergences entre la France et l’Allemagne sur les réponses à apporter à la crise – le plan allemand vient d’ailleurs seulement d’être adopté, en dehors de la présidence française – et la réponse britannique est encore plus spécifique, avec la nationalisation des banques en difficulté. Peut-être les réunions se sont-elles multipliées, mais le résultat politique ne paraît pas flagrant ! Des mots très durs ont été prononcés au sein du couple franco-allemand. Quel avenir lui voyez-vous tant que le leadership voulu par le traité de Lisbonne ne sera pas instauré, surtout dans le contexte de la présidence tchèque ? Enfin, sur le sujet de l’équilibre entre l’intergouvernemental et le communautaire, le recul du rôle de la Commission, qui devrait porter l’intérêt général communautaire, est loin d’être neutre pour des militants européens tels que nous. Revenir à un commissaire par pays est un contresens ! Que va-t-il rester de cette présidence d’aussi important que le Conseil européen, issu de la présidence exercée par M. Valéry Giscard d’Estaing et qui est devenu l’axe central du système ? L’intergouvernemental va-t-il monter en puissance, par le biais notamment de l’Eurogroupe, ce qui affaiblirait encore la dimension communautaire ?

M. Thierry Mariani. Comment l’Union pour la Méditerranée, l’un des grands projets du Président de la République, va-t-elle évoluer ? Nous sommes déjà très en deçà des ambitions de départ, à cause notamment des réticences allemandes. Presque aucun financement n’est dégagé. Avec les présidences tchèque et suédoise qui n’en feront certainement pas une priorité, le soufflé ne va-t-il pas retomber ? Il s’agit pourtant d’une idée généreuse, et indispensable du point de vue des flux migratoires. Par ailleurs, pouvez-vous nous en dire plus sur votre vision de l’évolution des discussions avec la Turquie ? Enfin, n’est-il pas préjudiciable que chaque présidence veuille privilégier sa zone propre – l’Asie centrale pour l’Allemagne, la Méditerranée pour la France, les pays de l’ex-URSS pour la République tchèque et, peut-être, bientôt, l’Amérique latine pour l’Espagne ? Il ne faudrait pas que l’Europe en vienne à diluer toutes ses intentions dans des discours, sans moyens pour mener aucune action.

M. Didier Quentin. Merci, Monsieur l’ambassadeur, pour votre exposé très argumenté. Je voudrais juste savoir s’il est des points où le bilan de cette présidence a été inférieur à vos attentes.

M. Pierre Sellal. S’il est une institution qui s’est imposée dans le contexte de la crise financière, en faisant preuve de réactivité et en bâtissant un plan d’action reconnu des plus pertinents dans le monde entier, c’est bien la Banque centrale européenne. Chaque rencontre au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement a été marquée par une forte présence de son président Jean-Claude Trichet, et par l'instauration d'un véritable dialogue entre eux, comme la France l'appelait de ses voeux. Les vertus stabilisatrices voire protectrices de l’euro sont apparues pleinement dans cette situation, alors que la crise a touché de plein fouet les pays extérieurs à la zone tels que l’Islande.

Cela va-t-il accélérer l’élargissement de la zone euro ? Le débat est ouvert au Danemark et en Suède, il commence peut-être en Grande-Bretagne ; tous pays qui avaient choisi de rester en-dehors de l’euro. La situation est très différente pour ceux qui ne remplissent pas encore les critères. Les pays concernés, la Pologne par exemple, doivent évaluer, s'ils entendent accélérer leur adhésion, l’effort d’ajustement qui serait exigé, et qui s'ajoute aux conséquences de la crise. La zone euro elle-même doit veiller à sa propre stabilité et intégrité, qui passe par une convergence suffisante des situations économiques en son sein. Il faut donc rester prudents.

Pour ce qui est de Chypre, il est clair que la France a un rôle spécifique à jouer. C’est d’ailleurs un des pays qui ont salué avec le plus de chaleur la présidence française, en saluant la compréhension qu'elle avait manifesté pour ses difficultés spécifiques. La France doit tenir sa place sur la question des disparus, et peut-être se montrer encore plus présente.

Pour répondre à M. Jean Dionis du Séjour sur le couple franco-allemand, le besoin de bâtir un plan européen de réponse à la crise n’a pas été contesté par l’Allemagne, loin s'en faut : le problème était le degré d’harmonisation des mesures à adopter. La France et l’Allemagne sont très vite tombées d’accord sur une action européenne vigoureuse dont chaque Etat membre déterminerait le contenu en fonction de sa situation nationale. La différence de rythme tient à celle des situations objectives, et à une différence d’appréciation sur l’urgence à agir, mais il n’y avait pas de divergence sur le besoin d’une action collective et concertée, que Mme Angela Merkel a elle-même sollicitée , de même que la réunion de l’Eurogroupe. Elle doit peut-être gérer plus de contraintes que la France, mais sur le fond, le travail en commun a été très important. Notre souci de nous montrer à l’écoute de chaque délégation a eu pour contrepartie la volonté d’éviter un affichage ostentatoire de la relation franco-allemande, a fortiori d'un condominium franco-allemand. Pour autant, la coopération entre nos deux pays reste un devoir pour chacun d'entre eux, et une nécessité pour que le système fonctionne – aucun dossier ne pourrait avancer en cas de divergence majeure.

Pour ce qui est de l’intergouvernemental et du communautaire, je n’ai pas vécu ces six derniers mois comme un affaiblissement de ce dernier. La crise a rendu l’implication des gouvernements plus nécessaire et plus visible que précédemment. C’était indispensable : les Etats se sont révélés être la garantie de dernière instance, celle qui protège les citoyens. Leur place était immanquablement au centre du système. Mais cette implication doit déboucher sur la recherche d’une solution communautaire, sur la mise au point de règles de surveillance et d’encadrement. Le paquet « changement climatique » est la démarche communautaire la plus intégrée et la plus juridiquement contraignante que nous ayons connue depuis longtemps ! Quant à la Commission, le renoncement à la réduction de ses membres ne me paraît pas nécessairement un recul de l’esprit communautaire, à moins qu’elle ne devienne un nouveau Conseil où chacun défendrait une position nationale. Nous avons besoin d’une Commission capable de prendre des décisions, et donc dotée de la légitimité nécessaire. Or, bien qu’ayant défendu le traité de Lisbonne, je n’ai jamais été convaincu par le principe de rotation égalitaire des commissaires. Une Commission réduite aux deux tiers des Etats membres qui compterait toujours deux Etats baltes sur trois et quatre des Etats des Balkans occidentaux sur six, mais une fois sur trois pas l’Allemagne ou la France ne me paraît pas forcément très légitime. L’idéal eût été une Commission restreinte sans rotation égalitaire, mais puisqu’il n’a pas été atteint, la représentation de chacun des Etats donne une légitimité plus assurée à la Commission. C’est pourquoi la modification du traité sur ce point n’a pas été contestée.

Le lancement de l’Union pour la Méditerranée, le 13 juillet 2008, a constitué un très efficace et spectaculaire lancement de la présidence française, car beaucoup de nos partenaires doutaient de la possibilité de réunir ces 43 chefs d’Etat et de gouvernement autour d'une même table. Je pense pour ma part qu’elle sera pérenne. Nous avons en effet commencé par bâtir une structure. L’UPM dispose de règles d’organisation, d’un périmètre composition, d’un secrétariat, de procédures et d’un programme de travail. Cela ne suffit certainement pas à forcer un esprit de coopération, mais le cadre est néanmoins posé.. Ce cadre a été complété à la fin de l’année par un effort de rehaussement des relations bilatérales de l’Union avec chacun des grands partenaires méditerranéens. Nous disposons ainsi des bases pour développer effectivement, car tel est le véritable enjeu, des coopérations concrètes. Cela ne se fera pas sans la persévérance de la France, qui doit rester présente, mais de façon compatible avec les responsabilités incombant aux présidences tchèque et suédoise. L'engagement de la France a été et reste capital, mais il faut aussi veiller à ce que les autres pays européens s’approprient le dossier.

En ce qui concerne la Turquie, l’année 2009 sera certainement délicate car le rythme des réformes et le règlement de la question chypriote marquent le pas. Le nombre de chapitres susceptibles d’être ouverts, compte tenu du défaut de règlement de la question chypriote et des diverses réserves, est de plus en plus restreint. Il est donc possible que le rapprochement concret soit ralenti.

Quant à la succession des « marottes » de chaque présidence, elle constitue à la fois un inconvénient et une vertu – elle permet de couvrir un champ plus large, mais au risque d’un manque de continuité. La France, qui s’est intéressée à tous les dossiers en cours, apporte un soutien très actif aux projets de la République tchèque et de la Suède, y compris à propos du Partenariat oriental.

Au chapitre des déceptions, il est clair que le lancement de l’UPM, la nomination de deux secrétaires généraux adjoints, palestinien et israélien et le rehaussement des relations politiques entre l’Union et Israël n’ont pas suffi à éviter le déclenchement des violences à Gaza, ni même à conférer à l’Europe une capacité à peser de manière décisive sur le conflit. Mais l’Europe, qui a toujours eu des difficultés à influer dans cette partie du monde, est peut-être en train de réunir les conditions pour y parvenir.

Par ailleurs, s’il n’y avait pas eu la crise économique et financière, peut-être aurions-nous eu le temps d’engager une réflexion sur l’avenir des politiques communes après 2013. Nous n’en avons pas eu l’occasion, faute de maturité de la question et de disponibilité des autres institutions, mais cela ne peut pas être considéré comme une déception. Les circonstances ne nous ont pas permis non plus de redéfinir notre stratégie commerciale après l'échec au mois de juillet des négociations de l'OMC à Genève . C’est un dossier à reprendre.

M. Daniel Garrigue. On nous a poussés à donner un avis favorable à l’accord de coopération euro-israélien sous prétexte qu’il contribuerait à rapprocher les points de vue et à créer des instances de dialogue. Ce n’est pas le cas. Les engagements pris par Israël en matière de colonisation de la Cisjordanie par exemple ne sont pas plus respectés qu’à Gaza. La question de la pérennité de cet accord se posera-t-elle ?

M. Pierre Forgues. Si la présidence française a couvert tous les champs, elle s’est donc intéressée aux services sociaux d’intérêt général. A-t-elle obtenu un bilan concret ? L’insécurité juridique et la perspective de la transposition de la directive sur les services inquiètent les associations concernées. Par ailleurs, peut-être vaudrait-il mieux attendre un ou deux ans avant de se livrer à une description aussi positive de la présidence française. Il me semble en effet qu’il n’y a pas de réponse européenne à la crise financière, simplement un empilement de plans nationaux sans coordination, certains fondés sur la demande, d’autres sur l’offre. L’engagement de crédits européens reste très faible et le total des plans nationaux n’arrive pas à la moitié du plan américain pour une population comparable. Restons donc prudents sur l’efficacité de cette présidence ! Par ailleurs, lorsque le Président Nicolas Sarkozy, qui a marqué de sa personnalité la présidence de l’Union, se rend quelques jours après la fin de son mandat en Israël, comme ne pas se croire revenu à une politique des Etats ?

M. Gérard Voisin. Vos explications limpides, Monsieur l’ambassadeur, nous ont permis de passer deux heures remarquables. Je suis heureux que vous considériez l’UPM comme d’une importance capitale. Je note aussi tout l’intérêt de la politique de proximité pratiquée par le Président de la République. Enfin, il serait tout à l’honneur de la France d’augmenter sa contribution à l’opération qui permet de rapatrier les ossements des disparus de Chypre. C’est le seul pays en Europe où subsiste un mur !

M. Daniel Fasquelle. On pourra certes mieux apprécier la présidence française dans quelque temps, mais je me félicite tout de même aujourd’hui de sa grande réussite. Je voudrais savoir où en sont les dossiers relatifs au marché intérieur – libre circulation des services, reconnaissance des qualifications professionnelles, remise en cause de certaines professions réglementées, paramédicales ou juridiques par exemple… La Commission est-elle toujours aussi déterminée sur ces dossiers ? Et quelles sont les chances de succès d’une directive sur la libre circulation des patients en Europe pour 2009 ?

Par ailleurs, je voudrais m’inquiéter de la situation de la langue française en Europe. Il y a quinze ans, on l’entendait parler partout dans les bureaux. On n’entend plus aujourd’hui que de l’anglais, même parmi les fonctionnaires français. C’est choquant. L’Europe, c’est l’unité dans la diversité. Si tout le monde parle anglais, on se retrouve aux Etats-Unis ! La présidence française a-t-elle permis de soutenir l’emploi du français et de l’allemand ?

M. Pierre Sellal. On ne peut pas reprocher au Président de la République son déplacement au Proche-Orient. D'abord, l'action internationale de la France ne s'est pas achevée le 31 décembre 2008. Ensuite, l’enjeu humanitaire était tel qu’il était légitime d’essayer de profiter du capital acquis sous la présidence française. L’Europe, qui a toujours eu du mal à peser sur le Proche-Orient, a l’ambition d’être écoutée. L’UPM est la première base pour cela, l’accord d’association entre l’Europe et les grands partenaires de l’UPM la deuxième. Mais l’objectif de rehausser ces relations ne doit pas nous conduire à ignorer le contexte, ou certaines pratiques, notamment colonisatrices.

Pour ce qui est des services d’intérêt économique général, nous avons organisé un forum entre la Commission, les Etats membres et les parties prenantes pour faire le point sur leur rôle dans le maintien de la cohésion sociale. Le traité de Lisbonne nous donnera une base juridique supplémentaire qui les confortera. Dans le contexte actuel, ces services ont poursuivi leur activité sans difficulté notable. L ’approfondissement du marché intérieur reste un enjeu fondamental, qui a donné lieu à des négociations et à des décisions dans de très nombreux domaines. Nous avons soutenu les efforts de la Commission pour que les principes fondamentaux du marché intérieur, en particulier l'interdiction des discriminations entre les Etats membres et leurs citoyens, ne soient pas malmenés par les mesures prises dans l'urgence de la crise financière, alors que certaines mesures nationales de soutien aux banques faisaient litière de ses principes fondateurs, en accordant par exemple une garantie à certains particuliers ou établissements selon leur nationalité. Il était important de rappeler que les principes du marché intérieur demeurent intangibles et s’imposent aux mesures nationales, et de les distinguer des règles de concurrence, qui sont nécessairement d’une application plus flexible, notamment pour ce qui concerne les délais de procédure, en fonction des circonstances.

Le plan européen, pour ce qui est de sa partie financière, a posé les principes du soutien au secteur bancaire qui devaient être mis en oeuvre. Les mesures nationales ont été prises en fonction des situations respectives, mais dans un cadre très cohérent. Il n’y a pas eu de Lehman Brothers européen. Quant au soutien à l’économie, les objectifs quantitatifs, qui n’étaient pas tout à fait atteints en décembre, sont probablement dépassés maintenant que l’Allemagne a adopté son plan. Nous ferons en mars le point sur la mise en œuvre du plan, et nous verrons alors de quelle manière le compléter, si nécessaire

Enfin, la présidence française a été un grand moment de francophonie à Bruxelles. J’ai, pour ma part, constamment présidé en français. C’est non seulement notre devoir, mais aussi un avantage considérable que de pouvoir négocier dans sa propre langue. En outre, si nous savons bien que le français recule dans le monde, je reste convaincu que l'Union et son fonctionnement sont des facteurs de résistance à cette érosion. Ainsi, pour chacune de nos initiatives, le texte français était disponible dans les capitales avant la traduction anglaise. Ceux qui voulaient réagir rapidement devaient l’utiliser. Le système européen est donc un levier formidable pour endiguer le déclin du français. Soyez assuré que durant toutes mes années à Bruxelles, j’ai veillé en toute occasion à soutenir la langue française.

M. Thierry Mariani. Je voudrais juste faire remarquer que tous les pays africains qui sont reliés à l’euro par l’intermédiaire du franc CFA en ont retiré une stabilité exceptionnelle. C’est un grand succès pour l’euro.

Le Président Pierre Lequiller. Il me reste à vous remercier, Monsieur l’ambassadeur, pour la grande précision de vos réponses. C’est toujours un plaisir de vous accueillir ici.

II. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a approuvé les textes suivants :

l Point B

Ø Agriculture

- proposition de décision du Conseil concernant la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, d'un oeillet (Dianthus caryophyllus L., lignée 123.8.12) génétiquement modifié pour change la couleur de la fleur (document E 4127) ;

Ø Commerce extérieur

- proposition de décision du Conseil relative à la signature au nom de la Communauté et à l'application provisoire de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse modifiant l'accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif aux échanges de produits agricoles. Proposition de décision du Conseil approuvant l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse modifiant l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif aux échanges de produits agricoles (document E 4189) ;

- proposition de décision du Conseil arrêtant la position de la Communauté au sein du Conseil général de l'Organisation mondiale du commerce concernant l'adhésion du Monténégro à l'Organisation mondiale du commerce (document E 4199) ;

- proposition de décision du Conseil sur la position à adopter par la Communauté en ce qui concerne la proposition visant à modifier la Convention douanière relative au transport international de marchandises sous le couvert de carnets TIR (Convention TIR 1975) (document E 4205).

Ø Industrie

-projet de directive de la Commission .../.../CE du [...] modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique, la directive 72/245/CEE du Conseil concernant les parasites radioélectriques (compatibilité électromagnétique) produits par les véhicules à moteur (document E 4202) ;

Ø Institutions

- proposition de la réglementation commune des institutions des Communautés européennes modifiant la réglementation commune fixant les modalités de composition du comité du statut (document E 4201) ;

- décision du Conseil portant nomination de deux membres allemands au Comité économique et social européen (document E 4208) ;

- décision du Conseil portant nomination d'un membre espagnol du Comité économique et social européen (document E 4209) ;

Procédure d’examen en urgence

Par ailleurs, la Commission a pris acte de l’approbation, selon la procédure d’examen en urgence, du texte suivant :

- décision du Parlement européen et du Conseil portant nomination du contrôleur européen de la protection des données et du contrôleur adjoint (document E 4210).

Accord tacite de la Commission

Enfin, en application de la procédure adoptée par la Commission le 23 septembre (textes antidumping), celle-ci a approuvé tacitement le document suivant :

- proposition de règlement du Conseil instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (document E 4211).

La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.