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Amendements  sur le projet ou la proposition


N
° 3468 

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 31 mai 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE relative à l’introduction d’une taxe sur les transactions financières en Europe (n° 3439)

PAR M. Pierre-Alain MUET,

Député.

——

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 3456



INTRODUCTION
5

I.– LA TAXATION, NÉCESSAIRE INSTRUMENT DE MAÎTRISE DE LA SPÉCULATION 6

A.– UNE SPÉCULATION D’ABORD CONCENTRÉE SUR LE MARCHÉ DES CHANGES 6

1.– Une croissance des transactions déconnectée de l’évolution du commerce mondial 6

2.– La croissance exponentielle des produits dérivés sur devises 7

B.– LA PROLIFÉRATION DES OPÉRATIONS SUR INSTRUMENTS DÉRIVÉS 8

1.– L’expansion de tous les marchés dérivés 8

2.– Des marchés hautement spéculatifs 11

3.– Un développement très rapide en Europe 12

C.– LES LIENS COMPLEXES ENTRE TAXATION, VOLATILITÉ ET SPÉCULATION 13

1.– La moindre liquidité des marchés, source d’une volatilité accrue ? 13

2.– La réduction du noise trading 14

II.– POUR UNE ÉTUDE D’IMPACT SUR LA TAXATION DES TRANSACTIONS FINANCIÈRES 14

A.– LE CADRE MÉTHODOLOGIQUE D’UNE ÉTUDE D’IMPACT 14

1.– Les objections à une évaluation préalable des recettes 15

2.– Les réserves méthodologiques à observer et les évaluations déjà disponibles 15

B.– QUELQUES ÉVALUATIONS PLAUSIBLES 16

1.– Des montants faibles à partager entre toutes les parties prenantes à la transaction 16

2.– Les différentes hypothèses de réduction du volume d’échanges 17

3.– Les estimations de recettes 18

C.– L’EMBRYON D’UNE TAXATION SPÉCIFIQUE DES TRANSACTIONS 19

1.– Une source de revenus stable et un outil de maîtrise de la spéculation 19

2.– Un moyen de conforter la régulation 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 27

INTRODUCTION

En vertu des articles 151-5 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, les propositions de résolution européenne sont instruites en deux temps avant d’être, le cas échéant, discutées en séance publique. Elles sont d’abord examinées par la commission des Affaires européennes, puis renvoyées devant la commission permanente compétente au fond.

Le présent rapport fait donc suite au rapport présenté devant la commission des Affaires européennes (1). Étant du même auteur, il ne répète pas les développements sur le contexte international et européen dans lequel cette proposition de résolution voit le jour. Mais il se penche de manière plus spéciale sur l’évolution des marchés financiers qui a rendu cette taxation nécessaire, et sur les conséquences économiques, financières et fiscales que son introduction pourrait entraîner.

Une taxation des transactions financières revêt en effet une double dimension. Elle peut être aussi bien un instrument de lutte contre la spéculation qu’un pourvoyeur de ressources nouvelles.

L’Assemblée nationale s’est récemment intéressée de manière approfondie au premier aspect, mais en le liant au second. Au cours du second semestre 2010, elle a constitué une commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies. La commission d’enquête a rendu ses conclusions le 21 décembre 2010 (2). De manière étonnante, elles n’abordent qu’en passant la question de la taxation des transactions financières.

La position de principe est cependant claire : la taxation des transactions financières serait plus propre à procurer des ressources nouvelles qu’à enrayer la spéculation, car « les prix intégreront probablement le coût de cette taxation ». En économie de marché, l’élévation du prix constitue pourtant le mécanisme de base agissant dans le sens d’une restriction des volumes. Le présent rapport s’éloigne donc sur ce point des conclusions rendues par la commission d’enquête.

Il faut regretter que la commission des Affaires européennes ait adopté la présente proposition de résolution sous une forme modifiée qui, sans en altérer la nature profonde, introduit un décalage avec la proposition déposée simultanément devant le Bundestag. Le traité de Lisbonne a ouvert aux parlements nationaux des perspectives nouvelles de coopération dans le système politique de l’Union européenne. Les modifications apportées déforment ainsi l’esprit d’une initiative franco-allemande qui avait aussi pour but d’affirmer de manière constructive les droits des représentations nationales.

I.– LA TAXATION, NÉCESSAIRE INSTRUMENT DE MAÎTRISE
DE LA SPÉCULATION

Il est étonnant de penser que, dans la plupart des pays économiquement développés, un particulier qui vend sa maison s’acquittera sur cette transaction de droits bien supérieurs à ceux qu’il devrait verser s’il réalisait une opération d’un même montant sur des actions, des obligations ou des instruments dérivés. Peut-être faut-il voir dans cette franchise fiscale l’une des raisons qui expliquent la progression exponentielle des volumes d’échanges sur les marchés financiers au court du dernier quart de siècle. Cette progression est elle-même source de déséquilibres qui ont amené de nombreux économistes à réfléchir au moyen de limiter la volatilité des cours par le moyen d’une taxation des transactions.

A.– UNE SPÉCULATION D’ABORD CONCENTRÉE SUR LE MARCHÉ DES CHANGES

Les marchés de change ont joué un rôle précurseur dans la sophistication des instruments d’échange boursiers. Les mêmes pratiques de trading entraînant les mêmes conséquences, il est tentant de voir dans les mouvements erratiques des monnaies dès les années 1970 la préfiguration des actuelles fluctuations brutales et exagérées des cours (overshooting) des actions et des obligations. Les tensions présentes sur le marché obligataire, minant la capacité d’emprunt de certains États membres de la zone euro et fragilisant la monnaie commune, nous rappellent que l’évolution de ces différents segments de marché est au demeurant liée.

1.– Une croissance des transactions déconnectée de l’évolution du commerce mondial

Depuis le milieu des années 1980 et la déréglementation des activités financières, les volumes d’échange sur les marchés mondiaux ont crû dans des proportions bien supérieures à l’expansion réelle des économies au cours de la même période. Comme l’illustre le tableau suivant, l’écart s’est notamment creusé entre le volume du commerce mondial et les volumes d’échanges sur devises.

LE COMMERCE INTERNATIONAL ET LES TRANSACTIONS SUR DEVISES

Source : BIS, WFE, OECD, Oxford Economic Forecasting (OEF) in Schulmeister, Stephan ; Schratzenstaller, Margit ; Picek, Oliver 2008, “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”.

Non seulement les volumes d’échange sur devises paraissent croître de manière déconnectée du commerce mondial, mais cette croissance décalée est plus forte encore s’agissant des opérations sur instruments dérivés. L’augmentation des transactions sur devises va ainsi de pair avec une sophistication de plus en plus poussée de la nature des échanges financiers.

2.– La croissance exponentielle des produits dérivés sur devises

Certes, il peut être nécessaire à une entreprise exportatrice de se couvrir contre un risque de change en acquérant des instruments dérivés d’opérations sur devises. Mais ce type de produits financiers peut également servir de support à une spéculation à très court terme. Cela expliquerait l’explosion du volume des échanges, les mêmes titres pouvant être revendus et rachetés, en l’espace de quelques secondes, jusqu’à un millier de fois dans une journée.

En 2006, les opérations au comptant, ou spot transactions, étaient près de deux fois inférieures aux opérations sur instruments dérivés et représentaient moins d’un tiers du volume total.

Volume de transactions total et volume de transactions sur devises
en 2006

Source : BIS, WFE, OECD, OEF in Schulmeister, Stephan ; Schratzenstaller, Margit ; Picek, Oliver 2008, “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”.

À l’origine, la taxe Tobin était censée frapper les seules transactions de change, pour éviter les fluctuations trop brutales de la monnaie en régime de change flottant. Son inventeur James Tobin la proposa en 1972, soit un an après l’abandon de la parité or-dollar, dernier vestige du système de Bretton Woods. Son projet répondait aux inquiétudes nées de cette nouvelle liberté des changes, avec les incertitudes qui l’accompagnent.

La croissance du volume des échanges a pourtant gagné d’autres segments des marchés financiers.

B.– LA PROLIFÉRATION DES OPÉRATIONS SUR INSTRUMENTS DÉRIVÉS

1.– L’expansion de tous les marchés dérivés

Comme le montre le graphique suivant, ce ne sont pas seulement les marchés d’instruments dérivés sur devises, mais les marchés dérivés dans leur ensemble qui ont crû en quinze ans sept fois plus vite que les opérations au comptant (spot transactions), qu’il est possible d’assimiler pour l’analyse aux « échanges réels ».

TOTAL DES TRANSACTIONS FINANCIÈRES DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

Source : BIS, WFE, OECD, OEF in Schulmeister, Stephan ; Schratzenstaller, Margit ; Picek, Oliver 2008, “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”.

Les transactions sur valeurs à taux d’intérêt variable offrent un exemple intéressant de cette évolution en Allemagne. Il apparaît en effet que les volumes d’échange sur le principal marché obligataire de l’actuelle zone euro sont montés en flèche dès le début des années 2000, cette tendance s’accentuant encore après l’introduction de la monnaie commune. Or cette hausse des volumes est due quasiment exclusivement à la multiplication des échanges sur produits dérivés, comme l’indique le graphique suivant.

Les produits dérivés, une esquisse de typologie

Les produits dérivés représentent des opérations financières reposant sur d’autres opérations qui peuvent elles-mêmes être des dérivés d’autres opérations. Les produits dérivés, qui font l’objet de marchés, s’analysent comme des contrats qui consistent en des droits à terme ou des droits conditionnels résultant de contrats ou de promesses de contrats. Ils sont liés à des actifs ou indices dits « sous-jacents » et leur évolution dépend de l’évolution de ces actifs ou indices entre la conclusion du contrat et son dénouement. La valeur du produit est ainsi dérivée de celle des actifs sous-jacents qui peuvent être un taux d’intérêt, un taux de change, une valeur mobilière.

On distingue plusieurs catégories de produits dérivés :

– les contrats à terme (futures), qui sont des contrats d'achat ou de vente d'un actif à une échéance et à un prix fixé. Ces contrats à terme peuvent porter sur des actifs monétaires ou financiers (effets, valeurs mobilières, indices ou devises ou instruments équivalents)  ou sur des marchandises. Il s'agit par exemple de contrats de vente de devises ou de contrats de vente de pétrole ;

– les contrats d'échange (swaps), qui sont des contrats d'échange d'actifs ou de flux financiers (ils peuvent porter par exemple sur des devises ou sur des taux) ;

– les contrats d'option, par lesquels l'acheteur de l'option paie une prime contre la faculté d'acquérir (option d'achat) ou de vendre (option de vente) une quantité déterminée d'instruments financiers à un prix et à une date ou pendant une période donnée.

Ces produits ont été développés comme instruments de couverture. Ils ont cependant évolué et sont utilisés notamment pour prendre des positions spéculatives à tel point qu’ils ont été qualifiés par le milliardaire américain Warren Buffet « d’armes de destruction massive ».

L’innovation financière a créé des produits dérivés de plus en plus complexes. Le développement se fait autour de deux axes : transformation des caractéristiques des contrats et extension de la nature du sous-jacent. L’innovation financière est particulièrement active sur les marchés de gré à gré. Des nouveaux contrats y sont sans cesse créés : contrats sur l’inflation, le chômage, la volatilité des marchés financiers ou les prix de l’immobilier.

Les produits dérivés ont été présentés comme des instruments, permettant une allocation optimale des risques. En pratique, on constate qu’ils favorisent la volatilité des marchés sous-jacents en permettant de prendre des positions à fort effet de levier. La complexité des produits et la concentration des risques sont elles-mêmes des sources de nouveaux risques. L’effet déstabilisant est en particulier lié au fait que les marchés dérivés encouragent les agents à choisir les stratégies les plus risquées.

Source : Rapport n° 3034 de la commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, décembre 2010.

INVESTISSEMENT BRUT ET TRANSACTIONS SUR VALEURS À TAUX D’INTÉRÊT VARIABLE (AU COMPTANT ET DÉRIVÉES)

Source : BIS, WFE, Deutsche Börse/EUREX, OECD in Schulmeister, Stephan ; Schratzenstaller, Margit ; Picek, Oliver 2008, “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”.

Le marché obligataire apparaît ainsi comme une pyramide de transactions dérivées construites sur une base de transactions réelles toujours stable, voire en recul certaines années, comme en 2002. Bien que ces valeurs, tirées d’une étude de 2008, soient par définition un peu plus anciennes, elles semblent a posteriori annoncer l’affolement actuel des marches obligataires, que la défiance sur la dette des États ne saurait à elle seule expliquer.

2.– Des marchés hautement spéculatifs

Par un paradoxe courant en économie, c’est pour se protéger des risques individuels qu’apparurent initialement la plupart des instruments qui ont conduit à la déresponsabilisation des acteurs financiers et à la montée des risques. Si les marchés à terme sont apparus au milieu du XIXème siècle (marché des grains de Chicago) pour protéger notamment les agriculteurs contre le risque d’une baisse des prix au moment de la récolte, les produits dérivés sont relativement récents. Ce sont des marchés à terme de produits ou d’instruments financiers (matières premières, actions, obligations, crédits …), des contrats d’options ou encore des contrats d’échange (swaps) sur des instruments financiers.

Nés théoriquement pour prémunir les acteurs économiques contre les risques, ces produits dérivés sont devenus le support de la spéculation et un instrument de déstabilisation macroéconomique. Deux facteurs favorisent la spéculation sur les produits dérivés. Tout d’abord, il n’est pas nécessaire de détenir un actif pour acquérir un produit dérivé fondé sur cet actif. Il n’est pas nécessaire, par exemple, de détenir des obligations d’un État pour spéculer sur les CDS – Credit Defaut Swap – protégeant le détenteur de l’obligation du risque de défaut de l’État en question. Comme le remarque Attac, « c’est comme si l’on pouvait souscrire une assurance sur la maison de son voisin, y mettre le feu et toucher la prime ». Ensuite, il est possible de spéculer sur des montants très élevés à partir d’une mise de fond très faible avec un « effet de levier » considérable.

3.– Un développement très rapide en Europe
Contrairement à une opinion reçue, l’Amérique du Nord n’est pas le principal théâtre de cette augmentation des mouvements de capitaux. L’Europe l’a au contraire devancée dans cette évolution, comme l’indique le graphique suivant.

OVERALL FINANCIAL TRANSACTIONS BY REGIONS

Source : BSE, WFE, OECD in Schulmeister, Stephan ; Schratzenstaller, Margit ; Picek, Oliver 2008, “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”.

La présente proposition de résolution s’inscrit d’une part dans la lignée de la résolution du Parlement européen du 8 mars 2011 sur le financement innovant à l’échelon européen et mondial. Elle procède d’autre part d’une initiative commune du groupe SRC de l’Assemblée nationale et du groupe social-démocrate du Bundestag, qui déposent simultanément un texte identique dont la présente résolution est la version française.

La commission des Finances (Finanzausschuss) du Bundestag, avec laquelle son homologue française entretient des relations suivies, s’est déjà penchée il y a un an, le 17 mai 2010, sur la taxation des transactions financières. Des économistes de renom ont participé ou contribué par écrit à cette journée d’études, tel le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, Jeffrey Sachs (Columbia University), Tony Atkinson (Oxford) ou encore Dean Baker (Center for Economic and Policy Research in Washington, D.C. (USA) (3).

C.– LES LIENS COMPLEXES ENTRE TAXATION, VOLATILITÉ ET SPÉCULATION

La taxation des transactions financières renchérirait leur coût et induirait dans cette mesure une réduction des échanges, donc une réduction de la spéculation. Mais, de manière paradoxale, la taxation pourrait aussi induire une plus grande volatilité des cours. Le lien entre spéculation et volatilité des cours est cependant rien moins qu’établi.


1.– La moindre liquidité des marchés, source d’une volatilité accrue ?

En introduisant « du sable dans les rouages bien huilés de la spéculation », pour reprendre l’image de Tobin, la taxation des transactions agit dans le sens d’une réduction de leur volume. C’est l’inspiration même de la taxe sur les opérations de change qu’il a proposée en 1972.
Mais en limitant les ajustements, la taxation pourrait selon certains accroitre la volatilité des cours.

Les investisseurs tendraient en effet à repousser le passage à la transaction jusqu’au moment où le gain espéré apparaît supérieur au montant de la taxe à acquitter. Les micro-ajustements de prix n’auraient donc plus lieu. Les ordres d’achat ou de vente s’accumuleraient dans l’attente d’un écart significatif entre le prix affiché et le prix espéré. Lorsque cet écart apparaîtrait, les investisseurs se presseraient en masse compacte pour acheter ou pour vendre, au lieu de se présenter en ordre dispersé au gré de leurs attentes individuelles. Les prix évolueraient ainsi par à-coups, en dents de scie. Dans cette mesure, la taxation des transactions serait susceptible d’accroître leur volatilité.

Les opinions des économistes s’affrontent cependant sur la question du lien entre volatilité et taxation des transactions financières. Les preuves empiriques font largement défaut aux uns et aux autres. Il semble qu’en tout état de cause, le risque d’une volatilité accrue n’apparaisse vraiment qu’à des niveaux de taxation élevés, qui représentent une vraie dissuasion à la transaction. En revanche, si la fiscalité reste modérée, voire très modérée, à 0,05 %, il paraît impossible d’invoquer le danger d’une plus forte volatilité, à supposer qu’on puisse être jamais fondé à le faire. En outre, il convient de distinguer la volatilité moyenne de la réduction spécifique qu’exerce la taxation sur les comportements spéculatifs.

2.– La réduction du noise trading

En tout état de cause, les transactions qui n’auraient plus lieu sont précisément celles dont l’extrême rapidité trahit la nature spéculative. En 1989, dans le Journal of Financial Service Research, Joseph Stiglitz a signé à ce sujet un article intitulé « Using tax policy to curb short-term trading », ou comment réduire les échanges boursiers à court terme par la politique fiscale. Il y développe l’idée, reprise de Keynes, que la spéculation à court terme s’apparente à une rémanence sonore, un bruit parasite (noise trading) qui perturbe la bonne circulation de l’information sur les marchés. Il désigne sans détour le meilleur moyen de lutter contre ce type particulier d’échanges : la taxation des transactions.

II.– POUR UNE ÉTUDE D’IMPACT SUR LA TAXATION
DES TRANSACTIONS FINANCIÈRES

Frein à la spéculation ou source de revenus pour les États, ces deux effets ne s’excluent pas l’un l’autre. La taxation des transactions financières peut présenter le double avantage d’être à la fois dissuasive et rémunératrice.

Conçue initialement comme un frein à la spéculation, la taxation des transactions financières apparaît également aujourd’hui comme une forme de fiscalité moderne et innovante. Dans sa résolution du 8 mars 2011, le Parlement européen l’envisage dans cette perspective. Les estimations préalables de recettes fiscales étayent cette position.

Par suite de la révision constitutionnelle de 2008, et en vertu de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, les projets de loi font l’objet d'une étude d'impact. Or la présente proposition de résolution appelle le Gouvernement à prendre l’initiative sur le plan législatif pour introduire une taxation des transactions financières. Il paraît donc nécessaire d’envisager d’ores et déjà quels éléments pourraient nourrir l’étude d’impact préparatoire, et quelle pourrait être la méthode suivie.

A.– LE CADRE MÉTHODOLOGIQUE D’UNE ÉTUDE D’IMPACT

Les adversaires d’une taxation des transactions financières soutiennent en général qu’il est impossible d’évaluer les recettes à en attendre. Le Rapporteur estime que leurs objections sont en partie fondées, mais qu’elles n’empêchent pas toute évaluation des recettes prévisibles. Ce chiffrage doit cependant s’entourer de certaines précautions.

1.– Les objections à une évaluation préalable des recettes

Trois éléments d’incertitude compliquent le travail d’estimation des recettes que pourrait apporter une taxation des transactions financières.

a) Un recul inéluctable des transactions

Les adversaires de la taxation soulignent d’abord qu’elle aurait une incidence très significative sur la masse des transactions, puisque les opérations qui étaient gratuites auparavant auraient désormais un coût fiscal, si minime soit-il. L’introduction d’une taxe irait donc de pair avec un recul des transactions.

b) Un probable effet d’éviction

Dans le cas où tous les États n’institueraient pas simultanément la taxation des transactions financières, il faudrait également s’attendre à ce qu’une partie des transactions soient effectuées de préférence là où la taxation n’a pas encore été mise en place. Il n’est donc pas permis d’exclure un effet d’éviction. Mais il est probable que cet effet d’éviction concernera principalement les transactions les plus spéculatives et donc les moins utiles à l’économie réelle.

c) Des frais de recouvrement à ajouter

De manière subsidiaire, les adversaires de la taxation invoquent enfin les frais de recouvrement de la taxe, qui seraient à déduire des recettes brutes. Ils font en particulier entrer sous ce chapitre le coût de la surveillance et de la poursuite des fraudeurs. Le coût de collecte de la taxe devrait être faible car il s’agit pour la plus grande partie des échanges d’une ligne supplémentaire dans des programmes informatiques.

2.– Les réserves méthodologiques à observer et les évaluations déjà disponibles

Ces objections sont fondées. Mais, loin d’interdire toute évaluation scientifique, elles en dessinent plutôt le cadre.
a) Des objections à réinterpréter de manière constructive

Il est évident que la taxation apportera des recettes nouvelles, mais aussi qu’il est impossible de se contenter pour les évaluer de projections tablant sur les transactions existantes.

Au cours des dernières années, de nombreuses études, publications et propositions sont parues au sujet de la taxation des transactions financières. Les plus solides d’entre elles incluent une évaluation chiffrée des recettes prévisibles. Mais elles ont été établies à des dates différentes, et sur la base d’assiette et de taux différents, de sorte que de nombreuses approximations circulent et paraissent se contredire.

b) L’existence d’un travail de référence

C’est l’Institut autrichien pour la recherche en économie (4) qui a publié les évaluations les mieux étayées, dans une étude de 76 pages réalisée par Stephan Schulmeister, Margit Schratzenstaller et Oliver Picek. Parue en mars 2008, elle est intitulée “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”. Il faut remarquer d’emblée que les trois auteurs répondent à une demande du Forum social européen, auquel participe régulièrement l’Association pour la taxation des transactions et l’aide aux citoyens (Attac), dont le nom même indique les positions de principe.

L’étude est cependant cofinancée par deux ministères autrichiens, le ministère fédéral des Finances et le ministère fédéral de l’Économie et du Travail. Malgré l’engagement proclamé du commanditaire, elle présente en outre les garanties d’impartialité scientifique qui en font un travail de référence. Elle a ainsi été reprise dans une étude menée pour le Parlement européen(5) à l’occasion des travaux préparatoires à sa résolution du 8 mars 2011 sur le financement innovant à l’échelon européen et mondial.

B.– QUELQUES ÉVALUATIONS PLAUSIBLES

Pour cerner le montant probable des recettes à attendre d’une taxation des transactions financières, il semble qu’il faille suivre l’exemple de Schulmeister et procéder par cercles concentriques en partant des données les plus sûres pour tenter d’approcher les données moins certaines.

1.– Des montants faibles à partager entre toutes les parties prenantes à la transaction

Il est d’abord raisonnable d’imaginer que la future taxe puisse être acquittée pour moitié par l’acheteur et pour moitié par le vendeur, de sorte que les montants à payer par l’un et par l’autre ne seraient pas très élevés, ni sans doute très dissuasifs. Le tableau suivant propose une simulation de la taxe à payer, selon les différents taux retenus.

MONTANT DE LA TAXE POUR DIFFÉRENTES VALEURS THÉORIQUES

En euros

Volume de la transaction

0,1 %

0,05 %

0,01 %

Acheteur

Vendeur

Acheteur

Vendeur

Acheteur

Vendeur

10 000

5

5

2,50

2,50

0,50

0,50

100 000

50

50

25

25

5

5

1 000 000

500

500

250

250

50

50

1 milliard

500 000

500 000

250 000

250 000

50 000

50 000

La colonne centrale correspond au taux préconisé par la présente proposition de résolution, soit 0,05 %. Elle montre que les parties prenantes à une transaction de 100 000 euros n’auraient à s’acquitter que de 25 euros… Il paraît difficile de soutenir qu’à ce niveau, la taxe entraverait de manière rédhibitoire les transactions.

2.– Les différentes hypothèses de réduction du volume d’échanges

Cela suppose toutefois que les transactions aient un support réel, qui ne soit pas un simple prétexte à une opération spéculative par le biais d’instruments dérivés. C’est qu’illustre le tableau suivant, tiré de l’étude de Schulmeister.

HYPOTHÈSES SUR LES COÛTS DE TRANSACTION, TAUX DE MARGE (EFFET DE LEVIER) ET LA RÉDUCTION DU VOLUME D’ÉCHANGE EN RÉPONSE À L’INTRODUCTION D’UNE TFF

 

Transaction

Réduction du volume d’échanges imputable à une taxe sur les transactions (en %)

 

Coûts

en %

0,10 %

0,05 %

0,01 %

Opérations de change au comptant

 

basse

moyenne

haute

basse

moyenne

haute

basse

moyenne

haute

Actions

0,3

5

10

15

3

5

8

0

0

5

Obligations

0,2

3

5

10

0

3

6

0

0

3

Instruments dérivés négociés en bourse

                   

Indice boursier

0,005

60

70

80

50

60

70

10

20

30

Taux d’intérêt

0,003

70

80

90

60

70

85

20

30

40

Changes

0,004

65

75

85

50

65

75

15

25

35

Matières premières

0,005

60

70

80

50

60

70

10

20

30

Instruments hors bourse

0,003

70

80

90

60

70

85

20

30

40

Source : Schulmeister, Stephan ; Schratzenstaller, Margit ; Picek, Oliver 2008, “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”.

Il ressort de manière nette que les échanges portant sur des instruments dérivés seraient bien plus impactés que les opérations au comptant, ou échanges réels, par l’introduction d’une taxe sur les transactions financières. Schulmeister va jusqu’à pronostiquer que, pour des taux de taxation relativement faibles -tels 0,05 % ou 0,01 %- et sur des segments de marché précis –telles les obligations négociées au comptant, l’introduction de la taxe pourrait n’avoir… aucune incidence. Sur les instruments dérivés, en revanche, la réduction du volume d’échanges pourrait atteindre 65 % ou 70 %, voire 85 % dans une hypothèse haute, si l’on retient un taux de 0,05 %.

3.– Les estimations de recettes

En prenant en compte la réduction des échanges, Schulmeister propose une première évaluation chiffrée, par pays, des recettes à attendre d’une taxation des transactions financières, selon le taux retenu.

RECETTES CONJECTURALES D’UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS POUR DIFFÉRENTS PAYS ET RÉGIONS

En eruos

 

France

Allemagne

Royaume-Uni

Europe

Monde

 

en % du PIB

en milliards de dollars

en % du PIB

en milliards de dollars

en % du PIB

en milliards de dollars

en % du PIB

en milliards de dollars

en % du PIB

en milliards de dollars

0,10 %

0,843

18,8

1,488

43,3

8,612

204,4

2,109

321,3

1,523

734,8

0,05 %

0,612

13,7

1,070

31,2

6,352

150,8

1,528

232,8

1,097

529,1

0,01 %

0,273

6,1

0,473

13,8

2,901

68,9

0,682

103,9

0,485

234,0

Source : Schulmeister, Stephan ; Schratzenstaller, Margit ; Picek, Oliver 2008, “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”.

Dans une étude plus récente, il affine encore l’analyse. Il y croise les hypothèses de taux avec les hypothèses de réduction des échanges pour obtenir des recettes prévisionnelles chiffrées en pourcentage du PIB.

 

Monde

Europe

Amérique du Nord

Asie et espace Pacifique

 

Taux d’imposition

Taux d’imposition

Taux d’imposition

Taux d’imposition

 

0,10%

0,05%

0,01%

0,10%

0,05%

0,01%

0,10%

0,05%

0,01%

0,10%

0,05%

0,01%

Réduction du volume des transactions

Basse

2,411

1,565

0,598

3,260

2,129

0,823

3,583

2,323

0,884

2,682

1,713

0,638

Moyenne

1,688

1,205

0,527

2,257

1,630

0,724

2,515

1,792

0,780

1,928

1,341

0,565

Haute

0,965

0,682

0,455

1,253

0,893

0,624

1,448

1,019

0,673

1,174

0,821

0,489

Source : WIFO.

Il faudrait enfin s’efforcer d’évaluer l’ampleur de l’éviction possible, dans la probable hypothèse où tous les États membres des Nations unies n’introduiraient pas simultanément une taxe uniforme sur une assiette identique. Schulmeister paraît tenir cette éviction pour négligeable, dans la mesure où il ne paraît pas l’intégrer dans ses calculs comme variable autonome.

Le Rapporteur considère que ces évaluations fournissent un ordre de grandeur vraisemblable du produit de la taxe.
Quant aux frais de recouvrement de la taxe, il estime qu’ils seraient peu élevés. La passation d’un ordre sur les marchés boursiers suppose nécessairement le recours à un intermédiaire. Les entreprises assumant ce rôle joueraient donc également le rôle de collecteur de l’impôt pour les États, en percevant la taxe en même temps que les autres frais de transaction.


C.– L’EMBRYON D’UNE TAXATION SPÉCIFIQUE DES TRANSACTIONS

La taxe envisagée pourrait être le point de départ d’une fiscalité différenciée des transactions. Car deux taxes spécifiques pourraient en prolonger les effets bénéfiques, en orientant les décisions des agents économiques dans un sens défavorable aux pratiques spéculatives.

1.– Une source de revenus stable et un outil de maîtrise de la spéculation

Aux yeux du Rapporteur, le passage en revue des éléments nécessaires à une étude d’impact montre que les adversaires de la taxation se refusent à en chiffrer précisément le produit parce que cet impôt aurait de toute évidence un rendement élevé. Il est en effet manifeste que cet impôt pourrait constituer une source de revenus stable et importante pour les États, soumis à des besoins de financement croissants en raison notamment de la pression accrue des marchés obligataires.

Certes, la taxation aurait une incidence dissuasive sur les échanges, et en particulier sur les transactions relatives aux instruments dérivés. Mais rappelons que c’était l’objectif premier de James Tobin lorsqu’il proposa en 1972 la taxe dont est issue la réflexion actuelle sur la taxation des transactions financières. Si la réduction du volume des échanges, et notamment des échanges spéculatifs à très court terme, est susceptible de limiter ces ressources nouvelles pour l’État, elle n’en irait pas moins dans le bon sens. Elle ne saurait en aucun cas être considérée comme un effet secondaire néfaste. Dans l’esprit des auteurs de la présente proposition de résolution, ce serait au contraire un bénéfice adventice de la taxation nouvelle.

2.– Un moyen de conforter la régulation

Bien que le corps de la résolution ne le mentionne pas, l’exposé des motifs du texte initial évoque la possibilité de taxer plus spécialement les opérations spéculatives des banques pour leur compte propre, ainsi que les transactions de gré à gré effectuées en dehors des marchés réglementés, hors du regard des pouvoirs publics européens.

Le premier type de taxation constituerait pour les établissements bancaires une incitation à se concentrer sur leur activité de dépôt. Dans certains pays, le droit national a naguère imposé une séparation légale entre les banques de dépôt et les banques d’affaires, ainsi le Glasse-Steagall Act adopté aux États-Unis à l’époque du New Deal. La même distinction juridique servirait de base à une taxation spécifique des opérations pour compte propre, par opposition aux opérations pour compte de tiers. Le premier rôle des établissements bancaires doit en effet consister dans la gestion des comptes des épargnants, ou gestion pour autrui. Sans introduire d’interdiction légale, la taxation des opérations pour compte propre produirait au contraire des effets non négligeables.

La fiscalité pourrait également agir dans le sens d’une différenciation positive des activités financières, si les transactions de gré à gré effectuées hors des marchés réglementés étaient frappées d’une taxe de 0,1 %, soit le double de la taxe proposée sur l’ensemble des transactions. L’exposé des motifs du texte initial qualifie ces transactions de gré à gré sur la base d’un élément intentionnel qui trahit la visée spéculative de l’opération : « faisabilité d’une taxe portée à 0,1 % pour toutes les transactions financières dont il s’avèrerait qu’elles ont été délibérément effectuées hors du regard des pouvoirs publics européens. » La proposition de résolution invite le Gouvernement à présenter un projet de loi dont l’étude d’impact devrait, aux yeux du Rapporteur, s’étendre à cette taxation spécifique, dont le premier effet serait de réduire l’opacité des opérations financières.



EXAMEN EN COMMISSION

Statuant en application de l’article 151–5 du Règlement, la Commission examine la proposition de résolution européenne relative à l’introduction d’une taxe sur les transactions financières en Europe (n° 3439).

M. Jérôme Cahuzac, Président. L’ordre du jour appelle l’examen, en application de l’article 151–5 du Règlement, de la proposition de résolution relative à l’introduction d’une taxe sur les transactions financières en Europe.

Cette proposition de résolution, déposée par le groupe SRC, a été examinée par la commission des Affaires européennes la semaine dernière et amendée. C’est ce texte qui est maintenant soumis à la discussion de notre Commission, rapporté par Pierre-Alain Muet, à qui je donne la parole.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Cette proposition de résolution, élaborée avec nos partenaires sociaux-démocrates du Bundestag, engage les gouvernements à présenter au plus tard lors du premier conseil européen de l’automne 2011 une proposition législative visant à introduire une taxe sur l’ensemble des transactions financières, y compris les produits dérivés.

Ce n’est pas un hasard si l’idée d'une taxe sur les transactions financières développée par Tobin pour le marché des changes a resurgi après la crise financière. Au cours des années de folie financière, une gamme toujours plus étendue de produits financiers a été créée. Les échanges financiers ont proliféré, portant principalement sur des produits dérivés et se déroulant souvent sur des marchés informels et opaques, dits de gré à gré. S’est ainsi édifiée une vertigineuse pyramide de produits dérivés qui sert aujourd'hui de force de frappe à la spéculation financière.

L’idée s’impose qu’il faut réguler les marchés financiers. Alors que l’empilement et la multiplication des produits financiers ont mis l’économie mondiale en péril, il est temps de mettre fin à cette aberration qui fait que les produits financiers sont moins taxés que les autres produits. La proposition de résolution préconise la solution la plus générale et la plus souple, pour être acceptée par nos partenaires et pour éviter de prêter le flanc à des détournements, à savoir une taxation qui frappe l’ensemble des transactions et dont le champ géographique serait l’Europe. J’ajoute que le risque de délocalisation serait circonscrit aux transactions sans incidence sur l’économie réelle. Cela a donc un sens que l’Europe, ou même un groupe de pays européens, avance dans un premier temps seule sur la taxation.

La taxe envisagée s’établirait au taux uniforme de 0,05 %, même s’il aurait été possible de distinguer entre les opérations à terme et les opérations au comptant, de telle sorte que les banques soient incitées à privilégier leur vrai métier, le financement de l’économie. Quant au produit de la taxe, il serait affecté au budget national. Cette priorité n’est cependant pas exclusive de tout autre choix, en particulier l’aide publique au développement pour laquelle la taxe avait été à l’origine conçue.

Contre mon avis, la commission des Affaires européennes a modifié la proposition de résolution initiale, d’où était absente toute référence à l’action du gouvernement de Lionel Jospin en  2001, comme toute référence susceptible de mettre en jeu un clivage gauche-droite. Le texte avait en effet pour objectif de créer un consensus en France comme en Allemagne. Parce que, à mon sens, l’amendement adopté par la commission des Affaires européennes ne respecte pas cet esprit, je vous propose deux amendements : l’un vise à revenir au texte initial ; l’autre tend, à défaut, à reformuler dans un sens plus consensuel le texte transmis.

M. Jérôme Cahuzac, Président. Avant d’examiner les deux amendements du Rapporteur, je propose de donner la parole à ceux des collègues qui souhaitent intervenir.

M. Charles de Courson. Quels sont les objectifs d’une taxation des transactions financières ? Il y en a trois, à mon avis : lutter contre la spéculation à tout va, renforcer la transparence des marchés financiers et procurer des recettes publiques supplémentaires.

Avant la crise, les grands groupes bancaires réalisaient effectivement 30 à 50 % de leurs profits grâces à des produits spéculatifs, sans engager en contrepartie de fonds propres. C’est une évolution très dangereuse. Il est légitime de viser à décourager cette spéculation qui atteint un volume annuel considérable, de l’ordre de quatre cents fois le produit intérieur brut mondial.

L’assujettissement à une taxe est-il le meilleur moyen d’y parvenir ? Je ne le crois pas. Il me semble préférable d’imposer aux établissements financiers d’isoler dans leurs filiales ces produits risqués et de disposer d’un niveau suffisant de fonds propres.

J’ai toujours estimé qu’une approche fondée sur la taxation échouerait faute de parvenir à rallier tous les pays : or, le Luxembourg et d’autres, en Europe ou dans le monde, n’en veulent pas.

Je crois que l’on cherche surtout, avec cette proposition de résolution, à se faire plaisir à bon compte. Une autre approche, plus réaliste, plus pertinente aussi, fondée sur des ratios prudentiels de solvabilité, me semble préférable.

M. Jean-Yves Cousin. Permettez-moi de revenir sur l’intervention du Rapporteur. Il nous a rappelé que la Commission des affaires européennes avait modifié, contre son avis, le texte de la proposition de résolution ; l’amendement adopté avait alors permis de dégager un consensus. Je découvre qu’une nouvelle rédaction nous est proposée ; il ne me paraît pas possible d’y souscrire.

M. Jérôme Cahuzac, Président. Je précise que nous examinons le texte issu des travaux de la Commission des affaires européennes. C’est par voie d’amendement que notre Rapporteur propose de revenir sur la modification opérée.

M. Jean-Pierre Brard. Je trouve que cette proposition de résolution est une bonne idée, à double titre. Elle est présentée à un moment judicieux, alors que la mise en œuvre des normes dites Bâle III – destinées à tirer les leçons de la crise bancaire et financière – est renvoyée à plus tard. Je soutiens aussi ce texte parce qu’il résulte d’une initiative franco-allemande et qu’il me semble opportun, sur de tels sujets, de développer une approche commune. Je vous annonce d’ailleurs le dépôt, à l’automne prochain, d’une proposition de résolution conjointe des députés allemands du groupe DIE LINKE et des membres du groupe GDR.

Je réponds à notre collègue Charles de Courson, qui ne conçoit qu’une taxation universelle des transactions financières et repousse toute initiative isolée, que le Luxembourg ou le Royaume-Uni ne doivent pas nous servir d’alibis à l’inaction.

Nos débats démontrent qu’il n’est guère possible de trouver de consensus sur des sujets aussi sérieux ; pour ma part, je ne le regrette pas, car je crois qu’il est vain de chercher à échapper au clivage entre la gauche et la droite.

M. Henri Emmanuelli. Je veux bien entendre les arguments en faveur de la réglementation prudentielle, mais il faut aller plus loin. La commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, que j’ai présidée et dont M. Jean-François Mancel a rapporté les travaux, a mis en évidence la masse des transactions de gré à gré qui échappent à toutes les règles. Elle a aussi dénoncé les risques du courtage à haute fréquence qui gonfle artificiellement les transactions. C’est pourquoi cette proposition de résolution me paraît de bon sens.

J’observe, par ailleurs, la situation des émetteurs souverains et plus particulièrement celle de la Grèce : croit-on sérieusement que cette dernière sera capable de rembourser sa dette colossale ? Cela m’ennuierait que notre Commission donne à penser qu’elle a été dupe de cette fiction. Par conséquent, je souhaiterais qu’il soit proposé au bureau d’organiser un débat sur la situation de la Grèce.

M. Jérôme Cahuzac, Président. Nous avons abordé ce sujet, au cours du déjeuner qui a réuni aujourd’hui plusieurs membres de la Commission et une délégation de la Commission du budget du Bundestag. Nos homologues allemands se sont montrés favorables à une restructuration de la dette de la Grèce tandis que d’autres pays, dont la France, s’y opposent, car ils dépendent très largement des conditions de marché pour refinancer leur endettement.

S’agissant de la demande formulée à l’instant par notre collègue Henri Emmanuelli, j’accepte de la soumettre au bureau de la Commission.

M. Alain Joyandet. L’idée d’une taxation des transactions financières avait été envisagée, initialement, dans le but de financer le développement des pays du Sud. Je ne trouve aucune référence à cet objectif dans le texte qui nous est soumis.

M. Daniel Garrigue. J’en reviens aux trois objectifs déjà évoqués. Premièrement, la taxe est supposée lutter contre la spéculation : son taux est-il alors suffisant ? Deuxièmement, elle est supposée renforcer la traçabilité des transactions financières – c’est effectivement souhaitable – mais il faudrait alors mettre en place des outils spécifiques pour les opérations de gré à gré, comme les chambres de compensation. Enfin, quelle est l’échelle la plus adaptée pour une mise en œuvre de cette taxe ? Le niveau européen me semble pertinent ; une mutualisation des recettes pourrait même être envisagée pour financer par exemple la restructuration de la dette grecque. Je soutiendrai donc cette proposition de résolution.

M. Marc Goua. Je fais observer que les banques ne sont pas les seules à spéculer ! Le développement des normes prudentielles imposées aux établissements de crédit est certainement souhaitable, mais il n’est pas exclusif d’une taxation qui serait acquittée par l’ensemble des acteurs de la sphère financière.

On pourrait également envisager des taux différenciés en fonction des caractéristiques des transactions afin d’encourager le recours à des chambres de compensation.

M. Jérôme Chartier. Je veux compléter les propos de notre Président en rappelant qu’un des députés allemands, au cours de notre déjeuner commun, s’est déclaré opposé à une restructuration de la dette grecque. Il serait, à cet égard, intéressant de connaître l’exposition des banques allemandes sur la Grèce : cela expliquerait peut-être la position de la chancelière Angela Merkel.

M. Jean-Pierre Brard. Et réciproquement… L’exposition des banques françaises explique sans doute l’attitude de nos autorités nationales.

M. Jérôme Cahuzac, Président. Nous en venons aux amendements.

La Commission est saisie d’un amendement CF 1 du rapporteur.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Avec cet amendement, je propose de revenir à la rédaction initiale de la proposition de résolution européenne. Il me semble en effet plus opportun de ne faire aucune mention de mesures nationales afin que le texte soit acceptable pour les parlementaires français et allemands, par la gauche comme la droite.

Je regrette que, au rebours de la pratique de nos collègues allemands, le consensus ne soit pas davantage enraciné dans nos traditions.

M. Charles de Courson. Nous sommes en train de discuter d’une proposition relative à une imposition de toute nature : il s’agit bien d’une compétence du législateur nationale et non de l’Union européenne.

En réponse à notre collègue Alain Joyandet, je fais remarquer que le Parlement français demeurerait libre de décider de l’affectation du produit de cette taxe, si celle-ci devait entrer en vigueur.

M. Alain Joyandet. Oui, mais si la France le faisait seule, son initiative aurait bien peu de portée. Je pense qu’il vaudrait mieux une initiative européenne.

La Commission rejette l’amendement CF 1.

Elle examine ensuite l’amendement CF 2 du rapporteur.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Ce second amendement conviendra sans doute à nos collègues du groupe UMP puisqu’il fait explicitement référence aux démarches entreprises en faveur de la taxation des transactions financières par les gouvernements français – et allemands – successifs.

M. Charles de Courson. Cette affaire a de quoi lasser les plus patients : la taxe a été créée dans notre droit il y a neuf ans mais elle n’est jamais entrée en vigueur ! La leçon n’a pas vraiment porté puisque l’on a voté une taxe sur les billets d’avion quelques années plus tard.

Est-il bien opportun, dans ces conditions, de viser l’article du code général des impôts correspondant ?

M. Henri Emmanuelli. Lors du débat, il avait été explicitement indiqué qu’il s’agissait d’un premier pas, qui ne pourrait pas se concrétiser immédiatement.

M. Yves Censi. Dans la mesure où il n’existe pas d’impôt européen sur les transactions financières, il me semble opportun de le proposer dans une résolution européenne.

En outre, contrairement à ce que laissait entendre Charles de Courson, la taxation des billets d’avion constitue un premier pas très positif. Il pourrait en être de même pour les transactions financières.

Je fais enfin observer que le soutien au Président de la République, qui incarne pour nos partenaires étrangers la voix de la France, devrait permettre de dépasser les clivages partisans et de laisser provisoirement de côté les échéances électorales.

M. Charles de Courson. Je veux encore formuler trois observations. La première a trait à l’intitulé de cette proposition qui ne devrait pas être qualifiée d’européenne puisque l’on se place en dehors des compétences de l’Union. En deuxième lieu, je rappelle que j’étais déjà opposé en 2001 à une démarche unilatérale lorsque le principe de cette taxe a été voté.

M. Henri Emmanuelli. Le Canada l’avait fait avant nous !

M. Charles de Courson. La démarche de la majorité de l’époque était totalement solitaire. Troisième point, je suis, comme vous le savez, rapporteur spécial du budget annexe Contrôle et exploitation aériens et j’ai, en connaissance de cause, voté contre la taxe sur les billets d’avion.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. À Yves Censi, je fais remarquer que, si l’on est soucieux de défendre la voix de la France, rien ne s’oppose à rappeler les efforts engagés par les majorités successives.

La Commission rejette l’amendement CF 2.

Elle adopte ensuite sans modification l’ensemble de la proposition de résolution européenne.

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION (6)

Amendement n° CF-1 présenté par M. Pierre-Alain Muet

Article unique

I.– Supprimer l’alinéa 9.

II.– En conséquence, à l’alinéa 10, supprimer les mots : « en conséquence ».

Amendement n° CF-2 présenté par M. Pierre-Alain Muet

Article unique

I.– Remplacer l’alinéa 9 par les paragraphes suivants:

« Vu l’article 235 ter ZD du code général des impôts instaurant une taxe sur les transactions de devises introduit par l’article 88 la loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001)

Vu la démarche engagée depuis 2001 par les gouvernements français successifs et défendue conjointement avec le gouvernement fédéral allemand au sein des institutions européennes et du G20 en faveur d’une taxe sur les transactions financières ; »

II.– En conséquence, à l’alinéa 10, supprimer les mots : « en conséquence ». 

© Assemblée nationale

1 () Rapport n° 3456 déposé le 24 mai 2011 par M. Pierre-Alain Muet.

2 () Rapport d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies n° 3034 déposé le 14 décembre 2010 par M. Jean-François Mancel.

3 () Voir http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2010/29742426_kw20_finanzen/index.html .

4 () Ou Österreichisches Institut für Wirtschaftsordnung, WIFO.

5 () The rationale for a financial transaction tax, Irène Knoke, Institut Südwind, Allemagne, janvier 2011.

6 () La présente rubrique ne comporte pas les amendements déclarés irrecevables ni les amendements non soutenus en commission. De ce fait, la numérotation des amendements examinés par la commission peut être discontinue.