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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 9 janvier 2014

Séance de 11 h 30

Compte rendu n° 4

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Jean Desessard, sénateur de Paris et M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l’Eure.

L’audition débute à midi quinze.

M. le président François Brottes. Nous avons le plaisir de recevoir M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l’Eure, et M. Jean Desessard, sénateur de Paris, qui ont été respectivement président et rapporteur de la commission d’enquête du Sénat « sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques ». Certes, depuis les travaux de cette commission d’enquête, qui se sont déroulés durant le premier semestre de l’année 2012, certains paramètres ont évolué ; toutefois, les analyses d’ensemble proposées à l’époque restent valides. Il nous a donc paru utile de vous entendre, messieurs, car, sans recourir au copier-coller, nous entendons tenir compte de ce qui a été fait par le Sénat. Certes, notre champ d’enquête est plus restreint que ne l’était le vôtre, puisqu’il se limite à l’électricité d’origine nucléaire, mais notre réflexion s’inscrit forcément, selon les termes de la proposition de résolution, « dans le périmètre du mix électrique français et européen ».

Avant de vous laisser la parole, je dois vous demander, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de bien vouloir jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Ladislas Poniatowski et M. Jean Desessard prêtent successivement serment.)

Je vous informe que cette audition fait l’objet d’une captation audiovisuelle qui sera rendue publique.

M. Ladislas Poniatowski, sénateur. Comme la vôtre, notre commission d’enquête a été créée à l’initiative du groupe écologiste. Nous avons bénéficié de la suspension des travaux parlementaires liée aux élections présidentielle et législatives, ce qui nous a laissé le temps de mener de très nombreuses auditions. Notre champ d’investigation était, dès l’origine, plus ouvert que le vôtre car il ne concernait pas seulement le nucléaire ; nous l’avons encore élargi, d’un commun accord, en fonction de ce que suggéraient nos auditions et de ce que semblait exiger le sujet, en nous affranchissant chaque fois quelque peu des termes précis de l’exposé des motifs de la proposition de résolution créant notre commission d’enquête. Cependant, si nous avons pu prendre en compte dans notre rapport les travaux de sécurité exigés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) après l’accident de Fukushima, nous ne pouvions anticiper ni la décision du Président de la République de fermer Fessenheim, ni l’explosion de la production de gaz de schiste, dont nous n’aurions pas pu nous désintéresser en ce qui nous concerne, puisqu’elle affecte le coût de l’électricité en général.

M. le président François Brottes. La Commission des affaires économiques de l’Assemblée a créé une mission d’information « sur l’impact du gaz de schiste sur le marché du gaz et sur l’équilibre de nos systèmes européens de production et de distribution d’énergie »…

M. Ladislas Poniatowski. L’exposé des motifs de la proposition de résolution présentée au Sénat par les écologistes était politiquement très orienté – il me semble que, dans une moindre mesure, c’était également le cas du texte examiné par l’Assemblée. Pour ma part, j’ai apprécié qu’à mesure qu’il avançait dans son travail, le rapporteur de notre commission d’enquête ait fait preuve d’une réelle ouverture d’esprit sur tous les sujets. Je n’insinue pas qu’il a cessé d’être écologiste pour devenir partisan du nucléaire, mais cela a permis d’aboutir à un rapport assez complet, me semble-t-il, et dépourvu de certaines « connotations ».

Lors de nos auditions et de nos déplacements sur le terrain, nous avons beaucoup travaillé sur certains des sujets qui vous intéressent, qu’il s’agisse des dépenses de recherche, du démantèlement des centrales et de la gestion des déchets, ou encore des investissements de maintenance, qu’ils soient destinés à assurer le bon fonctionnement des centrales, à les rendre plus sûres compte tenu des enseignements tirés de l’accident de Fukushima ou à permettre de porter leur durée de vie à quarante ou cinquante ans, voire à soixante, comme l’a autorisé l’autorité de sûreté des États-Unis pour les trois quarts des centrales de ce pays. Même si, comme la Cour des comptes, nous considérons qu’il nous manque des éléments pour nous faire une idée précise du coût des opérations de démantèlement et du coût de la gestion des déchets, j’estime que nous sommes allés assez loin sur l’ensemble de ces sujets.

Nous avons également abordé des questions qui concernent moins directement votre commission d’enquête : par exemple la contribution au service public de l’électricité (CSPE), qui influe sur le prix de l’électricité payé par tous les Français et qui garantit, en plus de la péréquation tarifaire en Corse et dans les départements d’outre-mer, le développement des énergies renouvelables – la Cour des comptes nous a remis sur le sujet un rapport très intéressant –, ou encore le problème de la gestion des pointes de consommation, problème spécifiquement français puisque lié à l’importance prise par le chauffage électrique dans notre pays.

Je conclurai en profitant de l’occasion qui m’est donnée de rendre hommage à M. Desessard. Même si son approche de départ était assez orientée sur un problème aussi complexe que la prise en charge des risques d’accidents nucléaires, par exemple, son esprit critique l’a finalement emporté.

M. Jean Desessard, sénateur. Les membres d’une commission d’enquête étant désignés de façon à assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques, vous imaginez bien que les défenseurs du nucléaire et ceux qui ne partagent pas cette cause n’étaient pas représentés à parité dans la nôtre. Si les conclusions du rapport ont montré la persistance de divergences, nous avons pu toutefois dégager entre nous quelques points de consensus.

Ainsi nous sommes tombés d’accord sur le fait que le prix du kilowattheure dans notre pays – aujourd’hui parmi les plus bas du monde, même si nos factures sont élevées du fait du niveau de consommation – serait appelé à augmenter en raison de la progression des coûts de production, de celle des dépenses nécessaires à l’entretien du réseau ainsi que de l’augmentation des taxes.

L’augmentation des coûts de production de l’énergie d’origine nucléaire est liée en particulier aux exigences toujours plus fortes en matière de sécurité. L’ASN nous a confirmé que chaque accident, où qu’il se produise dans le monde, l’amène à faire des recommandations qui se traduisent par des coûts supplémentaires. L’électricité d’origine thermique devient également plus chère en raison de la raréfaction du pétrole et du gaz. Et, en attendant que les coûts de l’éolien maritime et de l’énergie solaire baissent, ces deux ressources restent assez onéreuses.

L’entretien du réseau sera de plus en plus coûteux en raison, d’une part, de l’insuffisance des investissements consentis ces dernières années en faveur de la maintenance, et, d’autre part, de la nécessité de construire des interconnexions. Selon certains la substitution de nouvelles sources d’énergie au nucléaire pourrait en outre obliger à renforcer notre réseau. Quoi qu’il en soit, RTE comme ERDF nous ont confirmé que les coûts de transport et de distribution de l’énergie augmenteraient.

Il en sera de même des taxes, si l’on veut continuer à favoriser le développement des énergies renouvelables et à combattre la précarité énergétique.

Notre commission d’enquête a également été unanime pour donner la priorité aux économies d’énergie – mais développer ce point nous éloignerait du champ de vos investigations.

Nous avons ensuite cherché à déterminer les coûts de production pour l’ensemble des filières – nucléaire, éolienne, solaire et, malgré les nombreuses inconnues propres à ce dernier secteur, hydraulique. Puis, afin de tenir compte de la diversité des sensibilités au sein de la commission d’enquête, nous avons établi trois scénarios afin de déterminer le niveau des investissements nécessaires. Un premier scénario dit « de sobriété », qui avait évidemment ma préférence, prévoyait une diminution progressive et inexorable de la part du nucléaire. Un deuxième scénario dit « nucléaire nouvelle génération » considérait le nucléaire comme une filière d’avenir dans laquelle il fallait réinvestir pour franchir une nouvelle étape technologique. Le troisième scénario, intermédiaire, combinait développement des sources d’énergie renouvelables et maintien d’une part de nucléaire. Dans chacune des trois hypothèses, les investissements à prévoir se sont révélés être considérables, mais du même ordre de grandeur.

La commission d’enquête a également travaillé sur le stockage, élément déterminant pour arbitrer entre les différents moyens de production. Elle s’est aussi intéressée à la durée d’utilisation des centrales. Le prix du nucléaire est évidemment conditionné par la durée d’amortissement de celles-ci, mais il faut également prendre en compte les temps d’utilisation au cours de l’année. EDF calcule la rentabilité sur un temps d’utilisation global alors que le marché à court terme prend de plus en plus d’importance, de sorte que, certains jours de l’année, l’éolien peut à terme devenir plus compétitif que le nucléaire.

Ayant passé en revue les incertitudes, le prix de l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique), le coût courant économique calculé par la Cour des comptes et les travaux post-Fukushima, nous avons proposé un tableau en deux colonnes : celle de gauche présentait un prix minimal, celle de droite un prix maximal prenant en compte les incertitudes relatives au coût d’un démantèlement, aux provisions nécessaires, au traitement des déchets, aux assurances, au coût d’un accident… Évidemment, nous n’avons pas additionné les incertitudes, ce que les journalistes nous ont reproché, mais cette double approche a permis de donner satisfaction à tous les membres de la commission d’enquête, chacun privilégiant la colonne qui correspondait le mieux à ses convictions.

Nous nous sommes d’abord entendus sur un prix assez bas de 54,20 euros le mégawattheure (MWh), qui reste toutefois supérieur à celui élaboré selon les méthodes de calcul de coût courant économique de la Cour des comptes, notamment en raison des investissements rendus nécessaires par l’accident de Fukushima. Nous avons ensuite estimé les incertitudes, qui pouvaient avoir sur ce prix un impact considérable. Nous étions tous d’accord pour considérer que le coût de l’EPR serait encore plus élevé – le prix de vente à la Grande-Bretagne l’a montré. Cela dit, confrontés à de nombreuses incertitudes, nous n’avons pas été en mesure d’analyser finement le dérapage d’un coût de construction qui a tout de même doublé ou triplé.

La commission d’enquête a aussi travaillé sur les réseaux intelligents, se partageant entre partisans d’un déploiement immédiat du compteur Linky et partisans d’un délai, cet outil requérant selon eux d’être amélioré. Nous nous sommes également interrogés sur la décentralisation du service public de l’électricité, posant la question des entreprises locales de distribution. Quant à l’instauration d’un tarif progressif de l’électricité, elle nous a paru poser un problème difficile – et je pense que ce diagnostic reste d’actualité.

M. Ladislas Poniatowski. Le rapport de notre commission d’enquête rend bien compte du travail très complet que nous avons mené et c’est sa force. Il souffre toutefois d’une faiblesse : il ne comporte pas de véritables conclusions. En effet, parce que celles que proposait le rapporteur revenaient, en quelque sorte, à la tonalité très orientée de l’exposé des motifs initial, les membres de la commission d’enquête s’apprêtaient, à l’exception de deux d’entre eux, à rejeter un document qui, alors, n’aurait même pas été publié. Afin que nous n’ayons pas accompli tout ce travail pour rien, j’ai proposé, une fois n’est pas coutume, que le rapport comporte six conclusions, sous forme de contributions de chaque groupe politique. Et ces conclusions sont malheureusement très différentes les unes des autres.

M. le président François Brottes. Avant de donner la parole à notre rapporteur, je profite de l’occasion pour recommander l’excellent rapport d’information présenté en octobre dernier par Mme Marie-Noëlle Battistel, ici présente, et par M. Éric Straumann sur l’hydroélectricité, au nom de la Commission des affaires économiques.

M. Ladislas Poniatowski. Je serais très heureux d’inviter ses auteurs à s’exprimer devant les sénateurs membres du groupe d’études de l’énergie que j’ai l’honneur de présider. Et nous serions de même heureux de vous entendre, monsieur le président, sur votre sujet de prédilection !

M. Denis Baupin, rapporteur. Messieurs, votre rapport m’a paru particulièrement riche ; il comporte de nombreux éléments qui seront très utiles à notre travail. J’entends aussi ce que vient de dire M. Poniatowski sur la faiblesse dont souffrirait ce document comme une mise en garde, ou plutôt comme une incitation à nous appuyer sur des éléments consensuels afin d’avancer tous ensemble : nous ne devons pas oublier en effet que nous aurons dans les mois à venir à nous prononcer sur la stratégie énergétique de notre pays.

M. Desessard a d’ailleurs mentionné certains points sur lesquels tous les membres de votre commission d’enquête se sont accordés et il a eu raison d’insister à ce propos sur la certitude d’une hausse à venir du prix de l’électricité. L’impact social et économique de cette évolution sera en effet considérable, d’autant que, comme votre rapport l’a souligné, malgré un prix à l’unité faible, les Français payent déjà l’une des factures d’électricité les plus élevées.

Je relève aussi le constat selon lequel des investissements importants seront indispensables, qu’on maintienne ou non l’option en faveur du nucléaire. Il est en effet clair qu’il n’existe pas de voie facile vers l’avenir : dans quelque direction que nous allions, nous aurons à prendre des décisions lourdes de conséquences et nous devons être éclairés sur celles-ci.

En ce qui concerne le nucléaire, le rapport appelle à réviser le cadre actuel de la responsabilité civile des exploitants en cas d’accident, suggérant d’inscrire au hors bilan du budget de la France les risques encourus par la collectivité. Vous soulignez d’autre part l’importance de l’impact qu’a le choix d’un taux d’actualisation des coûts futurs du nucléaire : plus ce taux est élevé, plus il traduit un arbitrage en faveur du présent, au détriment de l’avenir. Notre famille politique, à M. Desessard et à moi, considère que nous devons préserver les droits des générations futures et assumer par conséquent les charges qui nous incombent au lieu de les leur transférer.

Après ces constats, j’en viens à quelques questions.

Vous avez évoqué les évolutions du coût de construction de l’EPR. Selon votre rapport publié à l’été 2012, AREVA estimait alors que le coût du mégawattheure se situerait entre 50 et 60 euros mais les contrats passés avec la Grande-Bretagne font état de montants proches du double. Avez-vous disposé d’informations permettant d’expliquer un tel écart ? Il aurait paru logique que le prototype de Flamanville coûte plus cher que les réacteurs suivants, mais c’est l’inverse qui semble se produire…

Avez-vous obtenu d’EDF des détails sur ses investissements à venir en faveur du parc actuel, en particulier sur son programme de « grand carénage » ? Quelle part servira à prolonger la vie des réacteurs existants jusqu’à quarante ans – et, éventuellement, au-delà – et quelle part sera consacrée aux mesures complémentaires de sûreté demandées par l’ASN après Fukushima ?

Que penser du retraitement des déchets et de la production de MOX ? Doit-on y voir un atout pour la filière nucléaire ou une charge supplémentaire pour la collectivité ?

Enfin, estimez-vous qu’il serait légitime que la transition énergétique – je pense notamment au développement des énergies renouvelables – bénéficie du même niveau d’aides publiques que celui qui a permis l’essor de la filière industrielle nucléaire ?

Mme Sabine Buis. Notre président a mentionné la constitution par la Commission des affaires économiques d’une mission d’information « sur l’impact du gaz de schiste sur le marché du gaz et sur l’équilibre de nos systèmes européens de production et de distribution d’énergie ». Sans vouloir mésestimer l’intérêt du travail ainsi entrepris, il me semble qu’on ne peut s’en tenir à la dimension économique du sujet et que l’étude devrait être étendue aux questions environnementales et sociétales posées par l’exploitation de cette source d’énergie.

Pour en revenir au rapport de la commission d’enquête sénatoriale, il est décevant en effet qu’un travail de qualité n’ait pas permis d’aboutir à une conclusion unique. Je souhaite qu’il puisse en être autrement à l’Assemblée nationale car, d’ici à quelques mois, nous débattrons d’un projet de loi de programmation sur la transition énergétique qui dessinera un véritable projet de société. Or, en entendant ce matin les interventions des membres de notre commission d’enquête, j’ai parfois eu le sentiment d’assister à des plaidoyers en faveur de positions déjà bien arrêtées. J’avoue que cela m’inquiète car je me demande comment, dans ces conditions, les uns et les autres pourront évoluer vers des positions communes. Mais nous disposons heureusement encore de plusieurs semaines pour rapprocher les points de vue.

M. le président François Brottes. Madame Buis, la Commission des affaires économiques a décidé de créer une mission d’information après avoir entendu M. Gérard Mestrallet, président du groupe GDF-Suez, annoncer la fermeture de centrales thermiques en raison, notamment, de la baisse des prix du charbon consécutive à l’essor de l’exploitation du gaz de schiste en Amérique du Nord. En dehors de toute considération environnementale, il nous est apparu que nous devions prendre en compte cette nouvelle donne qui bouleverse les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs d’énergie en Europe.

M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le rapporteur, nous nous accordons sur la nécessité où nous serons d’investir quel que soit le bouquet énergétique et nous nous accordons aussi sur l’importance du choix d’un taux d’actualisation adéquat. En revanche, je ne puis vous suivre lorsque vous dites que nous avons en France à la fois un prix de l’électricité parmi les plus bas et les factures « les plus élevées ». Certes, grâce au nucléaire, le coût de l’électricité est dans notre pays parmi les plus faibles du continent cependant que la forte consommation liée à l’utilisation pour le chauffage pèse sur la facture payée par chaque Français, mais cette dernière est loin d’être la plus élevée d’Europe.

M. Jean Desessard. Pour ce qui est du coût de production du mégawattheure par l’EPR de Flamanville, nous avions retenu dans notre rapport le chiffre avancé par la Cour des comptes – même si celle-ci n’avait pu le valider –, soit 70 à 90 euros. M. Claude Turmes, député européen et rapporteur de plusieurs directives ou règlements relatifs au secteur de l’énergie, a considéré que le prix garanti demandé par les opérateurs pourrait être de l’ordre de 90 à 110 euros/MWh. Pour ma part, j’estimais à l’époque que l’on approcherait les 100 à 110 euros/MWh et que l’intervention de la puissance publique serait nécessaire pour apporter une garantie portant à la fois sur le risque d’accidents – aucune société d’assurance n’est prête à couvrir un risque de type Fukushima – et sur le temps d’utilisation des centrales en cours d’année sachant que le marché fonctionne de plus en plus au jour le jour.

Madame Buis, le champ couvert par notre commission d’enquête était considérable, ce qui, ajouté à nos divergences sur le nucléaire, ne nous a pas laissé le temps de parvenir à une conclusion commune. Vous avez l’avantage de travailler sur un champ plus étroit ; j’espère que vous réussirez à vous mettre d’accord au moins sur une fourchette des prix de l’électricité d’origine nucléaire. Nous sommes évidemment prêts à vous y aider.

M. le président François Brottes. Je ne suis pas certain qu’il soit vraiment plus facile de s’entendre sur une question plus précise ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Notre travail sur la durée de vie des centrales nous a amenés à soulever plusieurs problèmes. En particulier, parce que les unités en service ont été fabriquées sur le même modèle et dans une période relativement restreinte, il est à craindre que la défaillance de l’une d’entre elles ne s’étende bientôt à toutes les autres. En prolongeant leur durée de vie, nous augmentons donc les risques de rencontrer des problèmes de production. D’autre part, nous avons eu des difficultés à évaluer les coûts de cette prolongation, étant entendu qu’il faudra rénover l’ensemble des installations, cœur du réacteur excepté.

Nous n’avons pas étudié la question du MOX et du retraitement, hormis les éléments que nous avons intégrés dans le tableau que j’évoquais tout à l’heure : à côté du coût du démantèlement tel qu’estimé par EDF – l’un des plus bas d’Europe –, nous avons fait figurer, dans l’autre colonne, un coût qui serait le plus élevé du continent. J’admets que l’analyse pèche par insuffisance, mais de très nombreuses incertitudes demeurent en tout état de cause, comme j’en ai eu la confirmation lors de ma visite à Bure, ne serait-ce que sur la faisabilité d’un enfouissement définitif des déchets qui soit réversible durant une centaine d’années. Quant au coût de telles opérations, je vous souhaite bien du courage pour parvenir à l’estimer !

La gestion des périodes de pointe pose également des questions ardues, compte tenu de l’irrégularité de la consommation au cours de la journée ou d’une saison à l’autre. Ni la production d’énergies renouvelables ni celle de l’énergie nucléaire ne correspondent aux « pointes » et aux « creux » de consommation ; cela n’est pas sans avoir un impact sur les coûts.

M. Ladislas Poniatowski. Si vous vous reportez à nos auditions, dont le compte rendu figure dans le second tome de notre rapport, vous constaterez que nous avons eu du mal à obtenir des chiffres précis concernant le coût de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, et ce même de la part du producteur. Nous disposons néanmoins de fourchettes. Suivant l’état des cinquante-huit réacteurs et de chacun de leurs éléments – cuve, enceinte de confinement, etc. –, ce coût pourrait osciller entre 350 et 600 millions par centrale ! Comment parvenir à une estimation globale sur le fondement de telles données ? Mais, dans la mesure où elle se met au travail alors qu’est déjà intervenue la décision de fermer Fessenheim – quelques semaines seulement après que l’ASN, seule compétente, avait autorisé à prolonger l’activité de cette centrale ! –, votre commission d’enquête aura peut-être la chance de recueillir des éléments plus précis sur le coût total de cette opération. Ce serait en tout cas mon souhait, car l’impossibilité d’obtenir cette information a provoqué en moi un sentiment de frustration !

M. le président François Brottes. Messieurs, je vous remercie. Nous devions commencer nos travaux en vous entendant sur un travail dont l’intérêt et l’exhaustivité ne nous ont pas échappé.

L’audition se termine à treize heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Réunion du jeudi 9 janvier 2014 à 11 h 30

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Christian Bataille, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Baumel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Louis Costes, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jacques Krabal, Mme Sylvie Pichot, M. Patrice Prat, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, M. Patrice Carvalho, M. Hervé Gaymard, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Michel Sordi