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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 23 janvier 2014

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition du Pr. Stephen Thomas, professeur en études énergétiques à l’Université de Greenwich, et de M. Humphrey Cadoux-Hudson, directeur exécutif « Nouvelles constructions nucléaires », EDF Energy

L’audition débute à onze heures dix.

M. le président François Brottes. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Stephen Thomas, professeur en études énergétiques à l’université de Greenwich, et M. Humphrey Cadoux-Hudson, directeur exécutif « Nouvelles constructions nucléaires », EDF Energy au Royaume-Uni.

Cette commission d’enquête, constituée à l’initiative du groupe écologiste et en particulier du rapporteur Denis Baupin, tâche d’examiner la manière dont fonctionne le réseau européen, comment les pays voisins de la France s’adaptent politiquement, techniquement et financièrement aux conditions d’exploitation de l’énergie nucléaire. Nous venons d’entendre un expert allemand sur la sortie du nucléaire et, en attendant de recevoir nos amis belges, dont le pays dispose d’un parc important, nous allons écouter aujourd’hui des experts britanniques, le Royaume-Uni ayant, semble-t-il, décidé de redonner vie à cette filière.

Au terme d’un processus de plusieurs années, le Royaume-Uni a en effet engagé le renouveau de son programme nucléaire. Cette décision paraît s’inscrire dans une stratégie de réduction du contenu en carbone de la production d’énergie et de construction ou de reconstruction d’une filière industrielle nucléaire capable de servir un marché national renaissant et de se développer à l’international. Le gouvernement britannique a ainsi fixé, en collaboration avec l’industrie nucléaire, un objectif de 16 gigawatts (GW) de capacités nucléaires nouvelles d’ici à 2030, soit douze réacteurs sur cinq sites d’exploitation. Par ailleurs, les énergies renouvelables devraient représenter 35 GW de capacités supplémentaires. Tout cela se fait dans un contexte où des tarifs d’achat garantis visent à donner aux producteurs d’énergie non carbonée de la visibilité et une rentabilité minimale. Quand on évoque des tarifs d’achat garantis, on a immédiatement à l’esprit des initiatives de la Commission européenne.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Stephen Thomas et Humphrey Cadoux-Hudson prêtent successivement serment.)

M. Humphrey Cadoux-Hudson, directeur exécutif « Nouvelles constructions nucléaires », EDF Energy. Je m’occupe des nouveaux projets nucléaires pour EDF Energy
– filiale d’EDF –, le plus grand producteur et fournisseur d’électricité, puisqu’il exploite, en toute sécurité, huit centrales nucléaires. Depuis l’acquisition de British Energy par EDF en 2009, nous avons considérablement investi dans la filière nucléaire, ce qui s’est traduit par une amélioration de la production, passée de 40 TWh en 2008 à 60,5 TWh ; or il faut remonter aux années 2002-2003 pour retrouver le même niveau de production.

EDF propose de construire deux réacteurs EPR, à Hinkley Point, dans le Somerset, puis deux autres réacteurs à Sizewell, dans le Suffolk. Ces projets ambitieux s’appuient sur l’expertise et le savoir-faire du groupe EDF. Plusieurs étapes restent à accomplir, notamment le parachèvement des accords avec nos partenaires industriels, le financement par émission d’actions, par participations croisées et, évidemment, l’obtention de la garantie du Gouvernement pour l’émission d’obligations. Il conviendra d’attendre ensuite les décisions de l’Union européenne en matière d’aides publiques.

Quelque 40 % des sites de production d’électricité au Royaume-Uni doivent être démantelés au cours des quinze prochaines années, le coût de construction des infrastructures de remplacement étant estimé par le gouvernement britannique à quelque 110 milliards de livres sterling. Une nouvelle politique énergétique a été définie au cours de ces dernières années, déclinée selon les différentes technologies dans des Déclarations de politique énergétique nationale qui ont été soumises au Parlement. Aux termes de cette politique énergétique, le nucléaire doit pouvoir répondre au maximum de besoins, qui sont d’environ 10 à 14 GW. La réforme du marché de l’électricité a par ailleurs été engagée pour résoudre ses dysfonctionnements et promouvoir les investissements nécessaires dans le domaine des technologies à faible émission de CO2.

C’est ce contexte d’ensemble qui a permis que nous concluions avec le gouvernement un accord-cadre sur les clauses principales du contrat d’investissement dans Hinkley Point C.

La nouvelle centrale de Hinkley Point C fournira de l’électricité décarbonée à 5 millions de foyers, soit 7 % des besoins en énergie du Royaume-Uni. De grandes étapes ont d’ores et déjà été franchies : le gouvernement a délivré l’autorisation de construction ; pour la première fois depuis vingt-cinq ans, l’organisme de tutelle a accordé les licences nécessaires à l’exploitation d’une nouvelle centrale ; nous avons conclu avec les collectivités locales des accords visant à optimiser l’implantation de l’EPR et à réduire les désagréments ; nous avons également conclu des accords avec les principaux syndicats, afin que le site soit productif et que les personnels soient bien formés. Enfin, nous avons signé des accords de principe avec le gouvernement britannique sur les tarifs garantis pour l’électricité produite pendant la première phase d’exploitation.

Des co-investisseurs pourront par ailleurs se joindre à EDF, notamment deux sociétés chinoises qui apporteront non seulement des fonds, mais également leur expérience issue de la construction de deux réacteurs EPR à Taishan. Nous nous félicitons qu’AREVA ait décidé de s’associer au consortium, non seulement en tant que fournisseur, mais en tant qu’investisseur. Alstom, Bouygues et Laing O’Rourke seront également associés au chantier. Un groupe sera créé qui permettra la participation de PME sous-traitantes aussi bien britanniques que françaises – l’idée étant de renforcer le partenariat entre les entreprises impliquées.

Un accord a été conclu avec le gouvernement britannique pour émarger au dispositif de garanties publiques pour les grands projets d’infrastructures, ce qui facilitera la bonne réalisation de la partie du financement qui sera réalisée par endettement.

Un accord souscrit avec le gouvernement britannique garantit un tarif – le strike price – pour l’électricité produite par la centrale de Hinkley Point C pour les trente-cinq premières années de l’exploitation – sur soixante ans prévus – à 92,5 livres par MWh. Si la construction de Sizewell C est confirmée, des économies d’échelle permettront de le ramener à 89,5 livres. Ce tarif garanti inclut le coût de production, celui de l’élimination des déchets et du démantèlement des centrales. Rappelons, comme point de comparaison, que le gouvernement a fixé le prix de rachat garanti à 140 livres par MWh pour l’électricité produite par les éoliennes offshore pour les projets postérieurs à 2018 et à 90 livres par MWh pour l’éolien terrestre, pour les projets postérieurs à 2017 ; ces deux modes de production devront par ailleurs supporter des coûts d’intégration au réseau et au système électrique d’environ 10%. L’électricité d’origine nucléaire sera donc compétitive avec les autres formes d’électricité sobres en carbone et pourra s’aligner sur les prix de l’électricité produite par le gaz. Les coûts de production sont à peu près similaires dès lors que l’on tient compte des émissions en carbone. Le taux de rentabilité devrait être de 10 %, avec quelque 16 milliards de livres investis dans la construction de la centrale.

Cet accord est le résultat de longues négociations. Le gouvernement britannique a minutieusement étudié les coûts et la rentabilité du projet, en y associant des experts tiers, et a jugé qu’ils étaient raisonnables. Le contrat d’investissement offrira un juste prix à nos clients en les prémunissant contre la volatilité des coûts de l’énergie dans les années à venir ; il sera donc équitable aussi bien pour les clients que pour les investisseurs, condition indispensable à une relation stable à long terme. Il s’appuie sur un mécanisme de marché qui évite la surcompensation. Le Gouvernement ne versera la différence que si le prix du marché est inférieur au prix d’exercice, et toutes les économies réalisées dans la construction seront partagées avec les clients par le biais d’une révision du tarif garanti. EDF et ses partenaires assumeront le risque de la construction, notamment pour les coûts et les délais. Et si le refinancement du projet permet de réaliser des économies, le consommateur pourra également en bénéficier sous forme de baisse du tarif garanti.

L’accord a été soigneusement construit de façon à ne procurer que le soutien indispensable à la viabilité du projet : c’est un accord juste et équilibré.

Nous avons tiré et nous tirerons encore les enseignements des expériences antérieures – Flamanville, Olkiluoto et Taishan – et avons une connaissance approfondie des différentes étapes de la construction d’une telle centrale. Il est fondamental pour l’équilibre économique du projet que le calendrier soit réaliste et solide. Nous bénéficions d’une conception d’ensemble stabilisée, qui a été intégralement examinée par l’autorité de sûreté ; nous avons aussi défini les disciplines fondamentales associées au projet, la clef étant que nous ne commencerons rien tant que nous n’aurons pas la certitude qu’il n’y aura pas lieu de faire machine arrière. Nous disposons, avec nos partenaires industriels, de toute l’expertise nécessaire pour nous assurer que nous pouvons construire la centrale dans les temps et en respectant le budget. Reste qu’il est difficile de comparer les coûts des différents projets : ils sont le produit d’une situation propre à chaque site et de réglementations nationales différentes. Ainsi, la fiscalité locale, qui constitue une part importante des coûts d’exploitation, varie considérablement d’un pays à l’autre. Les coûts propres aux sites varient également : la centrale de Flamanville a été construite sur un site préétabli alors que celle de Hinkley Point le sera sur un site vierge ; la géologie du site est différente ce qui conduit à définir un cadre de protection sismique différent et à augmenter la quantité de béton à couler.

De nombreuses années ont été nécessaires pour arriver à ce point, à commencer par la fixation d’objectifs ambitieux et contraignants visant à réduire de 80% les émissions de CO2 d’ici à 2050. Le gouvernement a examiné les coûts et l’impact sur la sécurité d’approvisionnement des différentes techniques de production à faible teneur en carbone. Il a vu le besoin d’une nouvelle réforme du marché de l’électricité en vue de susciter les investissements nécessaires à la mise en place des infrastructures de production d’énergie faiblement carbonée. Ces décisions ont été prises à l’issue d’un processus démocratique rationnel et exhaustif qui a duré plusieurs années, auquel nous avons pris part.

La loi de 2013 prévoit ainsi une réforme du marché de l’électricité devant favoriser les investissements dans les infrastructures de production d’électricité sobre en carbone, principalement à travers les « contracts for difference ». Outre les contrats pour Hinkley Point C, onze projets de production d’énergie renouvelable sont actuellement engagés dans le même processus. Il s’agit de produire de l’électricité décarbonée au moindre coût. La réforme entend donc conjuguer les meilleurs aspects du marché et de la réglementation, non pour réduire la taille du marché, mais pour améliorer son efficacité.

Le Gouvernement a obtenu l’appui des trois grandes formations politiques pour la réforme du marché de l’électricité et pour le redémarrage du nucléaire : la Déclaration de politique nationale pour la production d’énergie nucléaire a été adoptée par 267 voix contre 14 en juillet 2011 – un moment significatif – et l’amendement du parti écologiste, qui proposait de revenir sur la partie nucléaire de la loi sur l’énergie, a été rejeté par 502 voix contre 20 en juin 2013. Et l’on constate un soutien croissant de l’énergie nucléaire au sein de la population – 67 % des citoyens britanniques sont en effet favorables à ce que l’énergie nucléaire fasse partie de notre futur mix énergétique. Le Premier ministre, David Cameron, s’est rendu à Hinkley Point en octobre dernier, à l’occasion de l’annonce de notre accord avec le gouvernement, et a déclaré au personnel de la centrale existante – Hinkley Point B – que c’était sa participation à l’exploitation sûre de la centrale, jour et nuit, qui avait permis d’envisager la construction d’une nouvelle tranche.

Notre projet est donc en bonne voie. Il offre un parfait exemple de collaboration harmonieuse entre des équipes françaises et britanniques. Les prévisions de budget et de calendrier sont établies sur une base solide et ont fait l’objet d’examens soignés aussi bien de la part de nos équipes que du Gouvernement et des investisseurs. La mise en service de Hinkley Point C sera très bénéfique pour le marché et pour la population britannique.

M. Stephen Thomas, professeur en études énergétiques à l’université de Greenwich. Une récente enquête a montré que les Britanniques accordaient aux fournisseurs d’électricité moins de confiance encore qu’à ces banques qu’il a fallu sauver à coups de milliards ! Pour ma part, je ne le cache pas, je vois d’un œil très critique l’accord dont il est ici question. Ce n’est pas que je m’oppose par principe à l’énergie nucléaire, mais ses aspects économiques m’apparaissent défaillants. Il s’agit d’un accord à haut risque, non seulement pour les consommateurs et les contribuables britanniques, mais également pour EDF.

Les médias se sont fait l’écho du prix très élevé de l’électricité que nous devrons payer : près de deux fois le prix de gros actuel. Cet accord a été conclu pour 9,6 milliards d’euros par réacteur. Un mois auparavant, le prix n’était que de 8,4 milliards d’euros et, il y a cinq ou six ans, quand le ministère a publié le Livre blanc sur le nucléaire, il était admis qu’on pouvait construire un EPR pour 2,4 milliards d’euros. En six ans, le prix du réacteur a donc été multiplié par quatre, avant même que ne débute sa construction ! Le prix des réacteurs de Hinkley Point est supérieur au coût estimé de ceux des centrales de Flamanville ou d’Olkiluoto en Finlande. Nous allons devoir payer pour les deux réacteurs de Hinkley Point plus que ce qu’on coûté deux réacteurs sur lesquels pratiquement tout ce qui pouvait aller de travers est effectivement arrivé. C’est donc une facture particulièrement élevée.

Le risque qui pèse sur les contribuables vient des garanties : deux tiers du coût estimé de la construction de la centrale devant être couverts par un emprunt, 12 milliards d’euros ont été engagés par le Trésor britannique. Si les choses se passent mal, si le consortium fait faillite, c’est le contribuable britannique qui devra payer cette note de 12 milliards d’euros.

En outre, le contrat nous lie jusqu’en 2058 – si toutefois il est réalisé dans les délais et entre en service vers 2023. N’est-il pas extraordinaire de s’engager pour quarante-quatre ans sans prévoir une possibilité de révision des prix ? Si l’on se reporte quarante-quatre ans en arrière, dans les années soixante-dix, on voit que la perception du marché de l’énergie était bien différente : le pétrole et le gaz étaient bon marché et paraissaient inépuisables, personne n’imaginait que le changement climatique s’imposerait comme un problème majeur et, si quelqu’un avait annoncé qu’on aurait bientôt recours à l’énergie éolienne pour produire de l’électricité, on l’aurait pris pour un prophète de malheur prédisant le retour au Moyen Âge !

Pour prendre conscience du risque que court EDF, il convient de revenir sur l’EPR. Les choses se passent très mal à Olkiluoto et à Flamanville. Elles semblent aller mieux en Chine, mais il est difficile de savoir exactement ce qu’il en est, en raison d’une certaine opacité de la société chinoise. Il ne s’agit pas d’un échec isolé : certaines centrales en France – Civaux et Chooz B – ont posé d’énormes problèmes et, du début de la construction jusqu’à la mise en service industriel, il a fallu de onze à quinze ans. Peut-être saura-t-on tirer les leçons de ces expériences et peut-être que tout se passera bien pour la centrale de Hinkley Point C, mais, pour le moment, il ne peut s’agir que d’un pari hasardeux.

Alors que la centrale doit être construite par le consortium NNB Generation Company, les Britanniques ont le sentiment qu’EDF en est seule responsable ; si le projet tournait mal, si ce qui s’est passé à Olkiluoto et à Flamanville se répétait – ce qui est très vraisemblable –, il se pourrait que NNB GenCo fasse faillite, que le consortium s’effondre et qu’EDF se retrouve seule à en assumer les conséquences. Cet accord comporte donc de nombreux risques pour les deux parties.

Il n’est du reste pas complètement conclu, puisqu’il doit être encore validé par la Commission européenne qui déterminera si les aides publiques ne sont pas exagérées. Onze États membres de l’Union européenne ayant indiqué qu’il s’agirait peut-être d’un modèle pour eux, la Commission se doit d’éplucher le dossier, ce qui prendra du temps : un an, peut-être deux. Si elle rejetait l’accord ou imposait de nouvelles conditions – par exemple une réduction à 20 ou 25 ans de la durée du mécanisme de prix garanti –, le projet pourrait ne plus être financé comme prévu ou les coûts pourraient exploser. Rien n’est donc acquis quant à une éventuelle poursuite du projet.

Enfin, ce qui est le plus critiquable est le coût d’opportunité de cet accord. Il est si onéreux qu’il sera probablement le seul contrat de ce type pour le nucléaire au Royaume-Uni ; il interdira toute autre politique de l’énergie pendant plusieurs années. Nous n’avons pas les moyens de tout développer en même temps et nous risquons de négliger d’autres énergies à faibles émissions de carbone.

M. le président François Brottes. On ne pourra pas prétendre que cette commission d’enquête n’entend pas des points de vue contrastés…

M. Denis Baupin, rapporteur. Même si vous avez concentré l’essentiel de votre propos sur la centrale de Hinkley Point, le but de cette commission est de mieux connaître la situation énergétique au Royaume-Uni en général.

Pour quelles raisons le Royaume-Uni a-t-il décidé de fermer quatorze réacteurs nucléaires dans les années qui viennent, après en moyenne trente-cinq années d’activité ?

M. Thomas a rappelé la très forte augmentation du coût de construction du réacteur par rapport aux projets initiaux. On constate le même phénomène en France à Flamanville et en Finlande à Olkiluoto. On nous a expliqué que la centrale de Flamanville était un prototype et que, du fait d’un effet de série, le coût des EPR suivants diminuerait. Mais le retour d’expérience se solde en fait par un renchérissement… De même, pour ce qui est du calendrier, les chantiers français et finlandais ont pris un grand retard. Comment l’expliquez-vous ?

Quelle évaluation faites-vous de l’évolution du coût de ce premier contrat sur l’ensemble du programme nucléaire qu’entend développer le gouvernement britannique ? La décision de construire un certain nombre de réacteurs risque-t-elle d’être remise en cause ?

En cas d’échec du projet, M. Thomas envisage des conséquences pour EDF, société largement détenue par l’État français. Quelles seraient-elles pour le contribuable français ?

J’en viens aux tarifs garantis. Il y a quelques mois, devant la commission d’enquête sénatoriale sur le coût de l’électricité, les représentants d’AREVA évaluaient le coût du MWh autour de 50 euros et non de 110 euros comme ici. Ce qui confirmerait que le coût du nucléaire nouveau aurait très fortement grimpé.

Les tarifs d’achat ne sont pas prévus par la réglementation européenne en ce qui concerne l’énergie nucléaire. Comment comptez-vous réagir à la décision que prendra la Commission européenne ? Existe-t-il des marges de manœuvre ? Le projet pourrait-il être abandonné par EDF ? Quel impact le projet aura-t-il sur le prix de l’électricité pour les ménages britanniques – on parle d’un doublement ? Pensez-vous que le tarif garanti prévu reflétera le prix du MWh produit par la centrale de Flamanville ?

Je terminerai par deux questions plus générales. D’abord, pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont le Royaume-Uni va traiter la question des déchets nucléaires ? Enfin, concernant le mix énergétique, il nous a été indiqué tout à l’heure que le transfert d’une partie de la production d’électricité fossile depuis le gaz vers le charbon équivaudrait au Royaume-Uni à 32 TWh, soit une augmentation de 31 % de la part de charbon dans la production d’électricité en 2013. Confirmez-vous ces chiffres ?

M. le président François Brottes. Monsieur le professeur Thomas, selon vous, le programme nucléaire du gouvernement britannique serait cher et loin de pouvoir aboutir. Quelles sont donc vos préconisations et combien coûterait leur réalisation ?

M. Humphrey Cadoux-Hudson. Nous avons en effet estimé l’âge moyen des centrales à trente-cinq ans. Mais nous avons beaucoup travaillé à l’extension de leur durée de vie. Cette décision ne relève pas d’une politique du Royaume-Uni mais du projet industriel de l’exploitant, qui tient compte des coûts de démantèlement et de l’appréciation qu’il fait de l’équilibre économique de la centrale. Nous sommes actuellement autour de trente-huit ans et nous pourrons même peut-être étendre cette moyenne à quarante-deux ans. En ce qui concerne le parc actuel, nous voulons nous assurer que les centrales pourront prolonger leur activité au-delà. À l’origine, il était prévu que les réacteurs AGR (advanced gas-cooled reactors) auraient une durée de vie de vingt-cinq ans, et les perspectives d’extension de la durée de vie sont similaires, en proportion, à celles avancées pour les réacteurs à eau pressurisée.

J’en viens à la variation des estimations de coût. Si je compare ce que l’on peut appeler la conjecture initiale du ministère de l’énergie à l’estimation robuste issue de tous nos travaux, je pense qu’il n’est pas juste d’y voir une augmentation. Nos propres estimations du coût de construction de la centrale de Hinkley Point – fondées sur les données de conception et les informations résultant des appels d’offres auprès des fournisseurs – sont restées très cohérentes au fil du temps et n’ont guère varié au cours des négociations avec les pouvoirs publics. On ne saurait donc parler d’augmentation sensible, même s’il y a eu des spéculations en ce sens à un certain moment. Nous parlons maintenant d’une base de coûts qui a fait l’objet d’un travail détaillé et long et qui a passé avec succès l’examen approfondi du gouvernement, d’experts extérieurs et d’investisseurs.

Le calendrier de construction a également été étudié dans les moindres détails, de l’ingénierie jusqu’à la mise en service, en fonction notamment du calendrier de construction des autres EPR. Ce souci du détail, j’y insiste, est de nature à renforcer la confiance.

La décision est très lourde pour EDF comme pour le Royaume-Uni. Le choix des pouvoirs publics pour les énergies à faible émission de carbone coûte entre 140 livres par MWh pour l’éolien en mer, et 90 livres pour l’éolien terrestre, montants auxquels il faut ajouter le coût systémique de l’intégration au réseau, pour environ 10 livres, ce qui est beaucoup plus cher que le projet de Hinkley Point. Par ailleurs, il est désormais difficile de trouver des sites pouvant se prêter à l’éolien terrestre. Les pouvoirs publics doivent donc parvenir au meilleur équilibre possible et traiter la question du manque de capacité pas à pas. Pour l’heure, le programme britannique prévu par ce contrat est de loin le moins cher.

Cela signifie que, pour EDF, le contrat doit être solide et lui être bénéfique. C’était le principal enjeu du « contract for difference » que d’assurer que les critères d’investissement fixés par le groupe seront bien remplis ; cela prend en compte aussi la perception du risque. L’objectif que nous poursuivons est un dispositif dans lequel nous serons partie prenante au capital ; le mécanisme de garantie publique donnera une assurance de « confort » au capital qui sera apporté et contribuera à la solidité de la structure de capitaux.

Quant au tarif, s’il est de 92,5 livres par MWh pour la première tranche, il devrait baisser pour les suivantes. Le gouvernement britannique et d’autres investisseurs sont très engagés : Hitachi a récemment repris le site de Wylfa au Pays de Galles et investit avec détermination dans la conception du réacteur ABWR. De même, Toshiba a annoncé que Westinghouse nouait des partenariats pour développer le site de NuGen. Ce sont donc deux autres projets qui sont dans les tuyaux au Royaume-Uni.

Les besoins sont tels que nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre. Il faut prendre des décisions, sinon les foyers ne seront plus éclairés ! Nous devons fournir l’électricité à nos clients en émettant le moins possible de dioxyde de carbone grâce à un système sûr et fiable et cela suppose de construire des équipements.

L’examen du projet par la Commission européenne est un passage obligé. Il a déjà commencé et la première phase a été assez courte. Nous pensons que les étapes suivantes avanceront de façon satisfaisante et nous restons relativement optimistes quant au résultat de la procédure. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de Hinkley Point C, mais, au-delà, de la fourniture en temps et heure d’électricité à faible émission de CO2 et nous sommes tenus d’atteindre l’objectif légalement contraignant de 80 % d’ici à 2050. Nous entendons donc suivre à la lettre les orientations de l’Union européenne.

Comme je l’ai dit, l’accord que nous avons conclu avec le gouvernement nous amène simplement au point où l’investissement devient envisageable et cela doit être pris dûment en considération par l’Union européenne. Nous sommes convaincus que le « contract for difference », dans sa forme actuelle, est essentiel pour la réalisation de notre investissement.

Nous tâchons de tirer tous les enseignements des projets existants. Il convient de tenir compte du contexte de chaque site si l’on souhaite se lancer dans des comparaisons, les situations n’étant pas les mêmes en France, en Finlande et au Royaume-Uni.

En ce qui concerne le mix énergétique, il y a au Royaume uni un marché à court terme qui détermine le mode de production d’énergie à partir de son coût marginal. Le prix du charbon étant inférieur à celui du gaz au Royaume-Uni, la part du charbon a augmenté récemment, ce qui ne fait qu’exacerber le problème puisque les centrales à charbon ont une durée de vie limitée. Il faut garder à l’esprit la nécessité de remplacer le charbon tout en maintenant la fourniture d’électricité. National Grid, qui est responsable de la distribution, a indiqué que, si l’hiver devait être rigoureux, la marge de capacité serait inférieure à ce qui est généralement attendu.

M. Stephen Thomas. Les déclarations sur la durée de vie de nos réacteurs nucléaires sont quelque peu trompeuses : on prétend que sept centrales sur huit seront arrêtées d’ici à 2023. Ce n’est pas vrai. Ce qui est le plus vraisemblable est que les deux plus vieux réacteurs AGR seront arrêtés en 2023, après quarante-sept ans de service. Il est difficile d’établir des comparaisons avec les centrales à eau pressurisée, car les technologies française et britannique sont très différentes et les paramètres qui déterminent la durée de vie des centrales ne sont pas les mêmes : les différences s’expliquent, me semble-t-il – je ne suis pas expert en la matière –, par la présence ou l’absence de modérateur graphite.

M. Cadoux-Hudson estime la durée de vie moyenne d’une centrale à quarante-deux ans. Deux seraient par conséquent arrêtées en 2023, trois en 2027 et deux autres en 2031. Le réacteur le plus récent, à eau pressurisée, serait, lui, arrêté en 2037, ou 2057 s’il tient soixante ans. Le déclin de la capacité nucléaire est donc beaucoup plus progressif que ce l’on veut bien nous faire croire. L’urgence n’est pas telle qu’on nous la présente.

Selon une idée reçue, la courbe du coût des technologies en général et de l’industrie nucléaire en particulier serait orientée à la baisse sur le long terme – phénomène qui ne s’est jamais vérifié pour l’industrie nucléaire au cours des soixante dernières années. Ainsi la dernière centrale construite en France a-t-elle coûté beaucoup plus cher que la première, malgré les économies d’échelle et les progrès technologiques. Cela ne signifie pas que le prix ne finira pas par baisser un jour, mais certains facteurs n’incitent pas à le croire, surtout si l’on se réfère à la catastrophe de Fukushima qui a rebattu toutes les cartes. Tous les enseignements de la catastrophe de Tchernobyl n’ont pas été tirés dans la conception des réacteurs qui sont sur le point d’être lancés et il faudra donc un certain temps pour intégrer les leçons de Fukushima. Il paraît donc improbable que les coûts diminuent.

L’échec total du programme de Hinkley Point C n’entraînerait pas la faillite d’EDF, qui est un groupe solide, mais il aurait une incidence très négative sur son image. Il y a cinq ans, EDF projetait de devenir le fournisseur d’énergie nucléaire du monde entier avec cinq marchés cibles : l’Italie et les États-Unis – deux pays où ce marché a disparu –, l’Afrique du Sud et l’Inde – qui restent une perspective très distante –, et le Royaume-Uni. Si ces derniers marchés cibles devaient disparaître, la réputation d’EDF serait gravement compromise. De même, si la centrale de Hinkley Point C n’est pas construite dans les délais et les limites budgétaires prévus, la notation du groupe en serait affectée et il lui serait plus difficile de lever des fonds.

On ne peut parler du coût de l’énergie nucléaire sans tenir compte des deux paramètres essentiels que sont le coût de construction et le coût du capital. Si le coût d’endettement est faible pour le projet de Hinkley Point C, c’est parce que les garanties couvrent l’intégralité de l’emprunt : en raison de la garantie publique, les prêts accordés par les banques au projet seront équivalents à des prêts au gouvernement britannique, dont la signature est excellente, ce qui permet de réduire le taux d’intérêt. Mais, sans ces garanties, le coût de l’énergie de Hinkley Point C serait bien plus élevé et atteindrait sans doute les niveaux de l’éolien en mer.

Quant aux projets d’élimination des déchets hautement irradiés nous ne prévoyons pas de prendre de décisions ou de chercher des sites avant une cinquantaine d’années. Ce que nous avons à gérer, à plus brève échéance, est un vaste stock de plutonium ; sur ce sujet, le débat est loin d’être clos quant à ce qu’il convient de faire des 116 tonnes de plutonium qui ont été séparées. Trois possibilités s’offrent à nous. En mélangeant ce plutonium avec de l’uranium pour obtenir du MOX, on peut l’utiliser comme combustible dans les réacteurs à eau pressurisée, mais je ne crois pas qu’EDF ait donné son accord ; il faut rappeler que le Royaume-Uni a construit une usine de production de MOX qui n’a guère fonctionné, ne produisant, en dix ans, que 4 tonnes de ce combustible au lieu des cent tonnes qui étaient escomptées chaque année. On peut ensuite construire un ou deux petits réacteurs destinés à brûler le plutonium. Une option consisterait à mettre au point et construire un réacteur à neutrons rapides d’un type totalement nouveau ; l’autre option consisterait à adapter les technologies à eau lourde canadiennes.

Il paraît assez injuste de dire que l’Allemagne utilise beaucoup plus de charbon parce qu’elle a décidé d’avoir recours aux énergies renouvelables, sans souligner que le Royaume-Uni en utilise également davantage parce qu’il a choisi la voie du nucléaire. N’ayons pas la vue courte : on ne passe pas d’une situation à l’autre du jour au lendemain. Peut-être sera-t-il nécessaire ou économique d’utiliser davantage de charbon dans un premier temps, mais il convient de se projeter dans une dizaine d’années pour évaluer le succès de la transition.

La question de savoir quelles sont les solutions de rechange à l’énergie nucléaire suppose a priori que le nucléaire est une solution ; or je n’en suis pas du tout convaincu, compte tenu des coûts et des risques. Du reste, il n’est pas exclu que toute l’industrie nucléaire soit remise en question si le projet dont nous parlons échouait. Nous devons avant tout rechercher l’efficacité énergétique, et une entreprise britannique, Npower, filiale de RWE en Allemagne, a déclaré hier que, si les factures d’électricité sont aussi élevées au Royaume-Uni, c’est à cause d’un gaspillage considérable. La qualité du bâti, de l’isolation thermique, des chaudières est mauvaise. Nous pourrions préserver notre confort tout en consommant moins d’électricité grâce à des appareils électroménagers moins gourmands.

M. Cadoux-Hudson a souligné le coût élevé de l’énergie produite par les éoliennes offshore ; c’est qu’on ne leur offre pas les mêmes conditions qu’au nucléaire, avec des contrats à trente cinq ans et des garanties d’emprunt… Je me demande si, toutes choses égales par ailleurs, la différence de coût serait aussi importante entre les deux sources d’énergie. J’ajoute que, contrairement au nucléaire, la courbe du coût de l’éolien connaît une véritable inflexion.

M. le président François Brottes. Monsieur Thomas, dans votre analyse, vous n’établissez aucune distinction entre les technologies respectives de Tchernobyl, de Fukushima ou de l’EPR ?

M. Stephen Thomas. Le réacteur de la centrale de Tchernobyl n’avait rien de commun avec ceux construits en Occident. Pourtant, l’influence de la catastrophe a été considérable sur la façon dont les autorités de tutelle ont repensé la sûreté des réacteurs. Ainsi a-t-on conçu des systèmes pour éviter qu’une défaillance du circuit de refroidissement n’entraîne la fusion du cœur de la centrale et la sortie du corium hors de l’enceinte de confinement. Quant au réacteur de la centrale de Fukushima, s’il est très différent d’un réacteur à eau pressurisée, il en est beaucoup plus proche que du réacteur de Tchernobyl.

M. le rapporteur. Je reviens sur le tarif garanti sur trente-cinq ans pour l’EPR britannique. Peut-on le considérer comme un bon indicateur du coût de l’électricité que produira la centrale de Flamanville ?

M. Humphrey Cadoux-Hudson. Ne connaissant pas suffisamment le dossier de Flamanville, je ne suis pas en mesure de répondre.

Je ne pense pas, par ailleurs, que les développeurs d’éoliennes off shore pensent qu’elles tiendront trente-cinq ans. Aucune n’a été conçue avec un tel objectif. Par ailleurs, la durée d’application du tarif garanti pour Hinkley Point – 35 ans – ramenée à la durée totale de fonctionnement – 60 ans – est, en proportion, équivalente à celle dont bénéficient les éoliennes pour lesquelles les tarifs sont garantis pendant 15 ans. D’ailleurs, le Département de l’énergie a cherché à mettre au point des solutions équilibrées entre les différentes sources d’énergie.

M. Stephen Thomas. Je serais, pour ma part, très malheureux de penser que le coût de production à Flamanville serait très inférieur à celui de Hinkley Point. Après tout, les coûts de construction sont analogues – peut-être légèrement inférieurs dans le cas de Flamanville –, et le coût du capital est similaire. Si le coût de production de la centrale de Hinkley Point était en revanche très inférieur à celui de Flamanville, cela signifierait qu’on ferait payer au consommateur britannique un surcoût injustifié.

M. le président François Brottes. Pensez-vous que la catastrophe de Fukushima a eu un impact sur le chantier de la centrale de Flamanville ? Les exigences nouvelles posées par les autorités de sûreté ont-elles pu avoir un rôle dans l’apparition de retards ou de surcoûts ? Peut-on vraiment comparer les choses compte tenu de la séquence des événements que nous observons depuis 4 ans ?

M. Stephen Thomas. Nous ne savons pas encore exactement ce qui s’est passé à Fukushima et il nous faudra un certain temps pour disposer d’un scénario complet. C’est cinq ans seulement après l’accident survenu à Three Mile Island que l’on a constaté qu’il y avait eu une fusion du cœur du réacteur ; or les dégâts à Fukushima ont été bien plus importants. Il nous faudra donc un certain temps avant d’en tirer tous les enseignements et de pouvoir les intégrer dans la réglementation. Les autorités de sûreté seront donc contraintes de donner le feu vert au projet de Hinkley Point et les éléments nouveaux devront être intégrés au fur et à mesure.

M. Humphrey Cadoux-Hudson. Le Royaume-Uni a demandé au directeur de l’autorité de sûreté d’enquêter sur les circonstances de l’accident de Fukushima. Son rapport prévoit certaines mesures pour le parc existant, mais aussi pour Hinkley Point C. Parallèlement, nous avons nous-mêmes étudié de près l’architecture de la centrale en la comparant à ce que nous savions de celle de Fukushima ; nous avons revu la conception du réacteur EPR au Royaume-Uni et procédé à des adaptations limitées. Sans doute d’autres informations nous parviendront-elles, mais l’enquête nous donne à penser que nous maîtrisons assez bien les incidences des circonstances de l’accident de Fukushima. Nous savons que le cas de Fukushima n’est pas comparable à celui d’autres centrales britanniques.

M. le rapporteur. Pouvez-vous détailler ces modifications ?

M. Humphrey Cadoux-Hudson. Les principales leçons de Fukushima concernent la prise en compte des situations hors dimensionnement. Quand on construit une centrale, on prévoit par exemple les risques d’inondation. Certains événements peuvent se produire après la mise en exploitation. Il est notamment prévu, dans ce cas, de faire parvenir sur le site du matériel d’urgence pouvant se raccorder à la centrale, comme les blocs électrogènes. Il faudrait de très nombreuses années avant qu’un risque théorique se produise. Reste que, aussi bien pour le parc installé que pour celui en construction, ce type de scénario – tout improbable qu’il soit – est prévu. Le moindre événement se produisant quelque part dans le monde est analysé et, si l’on peut améliorer la sûreté, on le fait.

M. le président François Brottes. Il ne s’agit pas de modifications concernant le process industriel, mais de mesures de riposte en cas d’incident, qui correspondent d’ailleurs aux préconisations de l’Autorité de sûreté nucléaire en France pour l’ensemble du parc.

M. le rapporteur. Je n’ai pas tout à fait la même analyse : on compte mille recommandations issues des évaluations complémentaires de sûreté par l’Autorité de sûreté nucléaire, notamment sur la mise à distance des centres de commandes afin qu’ils ne puissent pas être affectés en cas d’accident, mais aussi sur la bunkérisation. Je note du reste que Hinkley Point est au bord de la mer : qu’en est-il de la prise en compte du risque d’inondation ou d’autres risques, même si, bien sûr, on doit écarter l’hypothèse d’un tsunami ? Si je vous ai bien entendu, monsieur Cadoux-Hudson, les seules modifications apportées visent à faire venir des secours supplémentaires ? Vous n’avez prévu aucun changement quant à la configuration du site ? Ces modifications n’ont donc aucun impact sur le coût du chantier.

M. Humphrey Cadoux-Hudson. Il y a une incidence, mais elle reste modeste. Quand on compare les mesures prises en France et au Royaume-Uni, on ne peut pas affirmer la supériorité d’un système sur l’autre : tous deux travaillent à un niveau de précision extrême. Encore une fois, les normes de sûreté en France et au Royaume-Uni sont tout à fait comparables. Le réacteur EPR comporte de nouvelles normes de sûreté qui vont bien au-delà de ce qui avait été prévu initialement, et qui répondent à une nouvelle philosophie en la matière. Il n’est pas nécessaire de revoir de fond en comble la conception de la centrale que nous souhaitons construire. Nous avons tiré tous les enseignements possibles de Fukushima et des autres accidents.

M. le président François Brottes. Nous avons bien compris que, si l’un de vous faisait la promotion de l’évolution du parc nucléaire britannique, l’autre n’avait que peu de sympathie pour la filière nucléaire. Comment la société britannique appréhende-t-elle ces questions ?

M. Stephen Thomas. Il s’agit sans doute de la question la plus difficile. J’ai du mal à m’expliquer le consensus de la société autour de l’industrie nucléaire au Royaume-Uni. Le public ne manifeste pas une grande inquiétude. Il y a certes eu un grand débat après l’annonce du projet de l’EPR, mais il a surtout porté sur les considérations économiques, sur le prix et non pas sur la sûreté ou l’élimination des déchets. Depuis une cinquantaine d’années, le Royaume-Uni parle régulièrement d’un nouveau programme nucléaire sans que rien ne se produise ; le public, qui est peut-être devenu cynique ou sceptique, se dit que, de toute façon, il ne se passera rien.

En outre, on n’annonce la création d’aucun nouveau site : ce sont les sites existants qui seront transformés, ce qui suscite une certaine indifférence du public. Ainsi, à Hinkley Point, le réacteur C devrait prendre la relève en 2023, lorsque le réacteur existant sera arrêté : du point de vue de l’économie locale, la transition devrait se faire en douceur.

M. le président François Brottes. Le prix d’acquisition des sites avait provoqué un grand débat en France.

M. Humphrey Cadoux-Hudson. Il y a tout de même un débat public sur la politique énergétique, sur le fait de savoir si la capacité sera suffisante, sur l’opportunité de construire des centrales au charbon ou au gaz, sur la nécessité ou non d’investir dans l’éolien terrestre. Toutes les sources d’énergie sont contestées, hormis le nucléaire qui semble en effet faire l’objet d’un consensus. Le plus bel exemple en est que le Liberal Democrat Party, qui est, chez nous, celui qui s’apparente le plus à un parti Vert, a récemment changé d’attitude à l’égard de l’énergie nucléaire, à laquelle il est désormais favorable.

Autour de Hinkley Point, tout le monde est favorable au lancement du chantier, qui va créer des milliers d’emplois, sur place mais aussi en France chez les fournisseurs. Nous entretenons un dialogue très constructif avec les syndicats, qui ont compris que nous allions créer des emplois qualifiés et soutenir l’économie – certaines zones proches du site sont en effet sinistrées.

Les gens considèrent que nous allons dans le bon sens dès lors qu’ils ont l’assurance d’être approvisionnés, pour un prix raisonnable, en énergie sobre en carbone. D’après les sondages, et malgré Fukushima, 67 % des personnes interrogées, je le répète, sont favorables à l’énergie nucléaire : ce chiffre ne fait que s’accroître année après année.

Nous sommes à un moment où le pays doit construire de nouvelles capacités et faire les bons choix de mix énergétique. Le nucléaire fait partie de ces choix.

M. le président François Brottes. Au nom du rapporteur et des commissaires, je vous remercie, messieurs, d’avoir fait le voyage jusqu’à nous pour répondre à nos questions.

L’audition s’achève à douze heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du jeudi 23 janvier 2014 à 11 heures

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat, M. Patrice Prat, M. Michel Sordi

Excusés. - M. Damien Abad, M. Bernard Accoyer, M. Philippe Baumel, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Jacques Krabal, Mme Sylvie Pichot, M. Franck Reynier, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter