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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 6 février 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 13

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Luc Oursel, président du directoire d’Areva

L’audition débute à neuf heures trente-cinq.

M. le président François Brottes. Monsieur Oursel, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de notre commission d’enquête. À titre exceptionnel, cette audition se déroulera à huis clos et ne fera pas l’objet d’un enregistrement vidéo.

Nous nous concentrerons ce matin sur les questions liées au combustible nucléaire. Le nucléaire est souvent présenté comme une énergie non carbonée, ce qui choque toujours notre rapporteur, M. Denis Baupin. Il est aussi présenté comme une énergie propre, alors qu’il génère des déchets. On souligne aussi que cette énergie permet de garantir l’indépendance nationale, mais notre sous-sol ne recèle plus, ou pas, le combustible nécessaire à cette autonomie – cette question a donné lieu naguère à de vigoureux débat avec M. Yves Cochet. Le combustible nucléaire est-il inépuisable ? Les générations de réacteurs à venir sont-elles susceptibles de nous libérer de notre dépendance à l’égard de l’uranium ?

En 2013, AREVA a réalisé près de 19 % de son chiffre d’affaires, soit 1,8 milliard d’euros, dans le secteur minier, et près de 24 %, soit 2,2 milliards d’euros, dans le secteur amont, qui regroupe les activités de conversion, d’enrichissement et de fabrication de combustible. Ces chiffres, qui ne concernent pas seulement EDF, mais l’ensemble des clients d’AREVA, donnent la mesure des enjeux pour votre entreprise. Votre prédécesseur insistait du reste sur le fait qu’AREVA intervient sur la totalité du cycle nucléaire, en faisant même une affaire d’éthique pour l’entreprise. Je ne pense pas que cette stratégie ait changé sous votre autorité.

Le nucléaire est l’une des industries les plus capitalistiques et l’essentiel de ses coûts sont liés au capital, de sorte que la compétitivité de la production d’électricité nucléaire n’est acquise qu’à condition que le coût du combustible soit maîtrisé. Ce combustible est-il rare ou non ? La France est-elle prise dans des négociations « impossibles » avec certains États ? Par ailleurs – et c’est l’une des raisons justifiant la tenue de cette audition à huis clos –, la production de combustible peut mettre en jeu la vie d’hommes et de femmes dans certains pays, comme on l’a malheureusement déjà observé. Tout-à-l’heure, nous interrogerons d’ailleurs un représentant du ministère des affaires étrangères sur la dimension politique du problème. Il reste toutefois cette question essentielle que nous vous posons en premier : quelle est la réalité de notre dépendance à un combustible rare et, peut-être, de plus en plus cher ?

Monsieur Oursel, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande maintenant de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Luc Oursel prête serment.)

M. Luc Oursel, président du directoire d’AREVA. Mon exposé se concentrera particulièrement sur l’uranium naturel, c’est-à-dire sur l’activité minière d’AREVA, car les autres activités de l’entreprise – conversion, enrichissement et « assemblage » de combustible – sont réalisées en totalité dans nos installations situées sur le territoire français, ce qui les rend moins tributaires des difficultés géopolitiques et internationales.

Je dresserai donc rapidement un panorama du marché international de l’uranium naturel, avant d’évoquer son impact sur le coût de la filière, puis la place qu’occupe aujourd'hui AREVA dans ce domaine.

Les réserves identifiées d’uranium naturel sont aujourd’hui évaluées par l’OCDE à 130 années de consommation, compte non tenu des conséquences positives que pourraient avoir le développement de nouvelles technologies moins consommatrices d’uranium naturel, comme la quatrième génération de réacteurs, et la généralisation du retraitement tel qu’il est pratiqué en France. Que le chiffre retenu soit celui de 130 ou celui de 100 années, on peut le comparer aux évaluations des réserves de pétrole et de gaz – une cinquantaine d’années pour le pétrole et légèrement plus pour le gaz – et de celles de charbon, évaluées à 100 ou 110 années.

Quarante-quatre pour cent de ces ressources se situent dans des pays de l’OCDE, contre 17 % pour le pétrole et 8 % pour le gaz. Le pays qui en détient le plus est l’Australie, avec 31 % du total, suivie du Canada, avec 9 %, des États-Unis, avec 4 %, le Kazakhstan et le Niger comptant ensemble pour 20 %.

En 2013, le total de la production mondiale d’uranium naturel s’élevait à 54 000 tonnes, ce qui est peu par rapport à d’autres combustibles, mais c’est précisément une caractéristique de l’énergie nucléaire que de ne pas nécessiter la manipulation d’une importante quantité de matière pour obtenir un important potentiel énergétique.

La liste des principaux producteurs ne correspond pas à celle des principaux détenteurs de ressources. En tête vient le Kazakhstan, avec 40 % de la production mondiale. Dès le début des années 2000, en effet, ce pays a lancé une politique très agressive de développement de son potentiel, politique qui porte aujourd’hui ses fruits. Viennent ensuite le Canada, avec 15 % de la production mondiale, puis l’Australie avec 10 %, le Niger avec 8 % et la Russie avec 6 %.

Cette offre « primaire », c’est-à-dire issue des mines d’uranium naturel, est complétée par des ressources « secondaires », correspondant au recyclage de l’uranium très enrichi issu du démantèlement des arsenaux nucléaires russe et américain. En 2013, ces ressources ont représenté pour AREVA un montant très important. S’y ajoutent les matières issues du recyclage des combustibles usés et les stocks importants détenus par le Department of Energy américain, qui les relâche régulièrement sur le marché en fonction de ses propres besoins budgétaires. Enfin, les nouvelles technologies d’enrichissement permettent aujourd’hui de réenrichir l’uranium appauvri, qui constitue désormais une ressource assez significative.

On dénombre sur le marché de l’uranium peu de vendeurs et d’acheteurs – ces derniers étant, à l’exception de quelques traders, les compagnies électriques elles-mêmes. Les stocks sont importants : deux ans et demi de consommation aux États-Unis et trois ans et demi en Europe, tandis que la Chine a engagé une politique très agressive de constitution de stocks stratégiques pour accompagner le développement de son programme nucléaire.

La part de l’uranium naturel représente moins de 5 % du coût de production du kilowattheure nucléaire. En y ajoutant la transformation de cet uranium en combustible – conversion, enrichissement et assemblage –, cette part est encore inférieure à 10 % du coût complet du nucléaire. De fait, l’essentiel de ce coût – jusqu’à 70 % – est constitué par les dépenses d’investissement, les 30 % restants correspondant aux charges d’exploitation et de maintenance, dont 10 % donc pour le combustible. Ainsi, un doublement du coût de l’uranium naturel induirait une augmentation de moins de 5 % du coût total de la production d’énergie nucléaire – de l’ordre de 3 à 4 % au cours actuel.

M. le président François Brottes. Est-ce là un appel invitant les fournisseurs à doubler leurs prix ?

M. Luc Oursel. AREVA ne pourrait que se réjouir d’une telle évolution – qui devrait du reste se produire, car les prix sont, à la suite de l’accident de Fukushima, très bas. C’est en tout cas une caractéristique de l’énergie nucléaire que son coût soit relativement insensible au prix de la matière première, à la différence de celui des centrales à charbon ou au gaz – où le coût de production dépend pour 60 % du coût du gaz.

Selon nos estimations – car AREVA ne fournit pas 100 % de l’uranium qu’utilise cette entreprise –, les importations d’uranium naturel coûtent annuellement à EDF entre 500 et 600 millions d’euros, ce qui est marginal par rapport à la facture énergétique française, laquelle se situe, selon le prix des combustibles, entre 60 et 70 milliards d’euros.

La proportion des transactions effectuées sur le marché spot de l’uranium naturel n’est que de 10 à 15 %, car la plupart des électriciens préfèrent signer des contrats d’approvisionnement de long terme. Nous avons ainsi signé en 2013 avec EDF un contrat portant sur des livraisons jusqu’en 2035 – EDF est à cet égard un bon client, car les électriciens américains préfèrent les achats à plus court terme. Ces 85 % de transactions à long terme sont assorties de prix mixtes associant un prix de long terme, un prix spot et, parfois, des composantes liées aux coûts.

Après l’arrêt de quelques réacteurs nucléaires allemands et, surtout, celui des réacteurs japonais à la suite de l’accident de Fukushima, le prix spot a connu une très forte diminution, passant de 73 dollars la livre avant Fukushima à 44 dollars à la fin de 2012, puis à 35 dollars à la fin de 2013 – soit une diminution de moitié. Cela ne signifie pas que le prix des approvisionnements a été divisé par deux, car le prix spot ne s’applique qu’à une partie des transactions. Elle montre cependant le très fort impact sur le marché du retrait des acheteurs japonais. Ce déséquilibre passager est partiellement compensé par les achats importants effectués par la Chine pour constituer des stocks stratégiques.

L’analyse réalisée par un organisme spécialisé a montré que le prix à long terme avait lui aussi diminué, passant de 56 dollars la livre à la fin de 2012 à 50 dollars à la fin de 2013. Face à cette situation, de nombreux producteurs miniers ont annoncé le report, voire l’annulation de projets de développement de nouvelles mines. D’ici à 2020, la croissance du marché, notamment avec l’augmentation des capacités nucléaires dans le monde, en particulier en Asie, devrait se traduire par une augmentation des besoins, et donc des prix de long terme – qui, selon les prévisions de la profession, devraient retrouver en 2020 leur niveau de la fin de 2012, soit 56 dollars la livre.

Les activités minières occupent une place très importante dans les activités d’AREVA qui, avec une production de 9 300 tonnes en 2013, fait partie des quatre principaux producteurs, avec le Kazakhstan, le Canadien CAMECO et le russe Rosatom. Sur une quarantaine de milliards d’euros de commandes pour l’ensemble des activités d’AREVA, l’uranium représente près de 10 milliards d’euros.

Notre entreprise bénéficie déjà d’une relative diversification géographique de sa production, avec un site au Kazakhstan, deux mines au Niger et un site au Canada. C’est là une spécificité par rapport à nos concurrents, qui sont généralement beaucoup plus concentrés géographiquement : KazAtomProm ne produit qu’au Kazakhstan et de grands concurrents comme Rio Tinto ne le font en général que dans deux pays.

Nous procédons également à des achats sur le marché. Nous avons ainsi acquis, à la suite de l’arrêt des centrales du pays, des stocks détenus par les consommateurs japonais et nous avons commercialisé, à des fins évidemment pacifiques, une partie de l’uranium hautement enrichi mis sur le marché au terme d’un programme de démantèlement des armes russes et américaines, soit 2 600 tonnes.

La diversification n’est cependant pas encore arrivée à son terme et nous avons engagé deux projets en vue de la poursuivre.

Le premier est celui de la mine de Cigar Lake, au Canada, que nous exploitons en partenariat avec l’un de nos concurrents – car, comme c’est le cas dans l’industrie pétrolière, la taille des projets pousse souvent les producteurs à s’associer – et où la production débutera en 2014. Cette mine présente des teneurs en uranium très élevées et son exploitation sera totalement automatisée. Les premiers indices géologiques révélateurs de ce gisement ont été découverts alors que je faisais mes premiers pas dans une mine d’uranium, au Gabon, en 1982 : ces trente années sont un délai particulièrement long, mais il n’est pas rare qu’il s’écoule une quinzaine d’années entre la découverte des premiers indices d’un gisement et sa mise en exploitation.

Le deuxième projet important sur lequel nous travaillons est celui de la mine d’Imouraren, au Niger, qui pourrait produire jusqu’à 5 000 tonnes par an. Afin d’éviter le risque de déséquilibre que pourrait avoir la mise immédiate sur le marché d’une telle quantité d’uranium, nous réfléchissons au moment qui serait le plus opportun pour le lancement de cette production.

Nous poursuivons en outre nos activités de développement et d’exploration. Au Canada, la loi qui interdisait à un opérateur étranger de posséder plus de 49 % d’un gisement minier et imposait donc systématiquement le recours à un opérateur canadien a été abrogée à la suite des négociations qui ont eu lieu avec l’Union européenne. Nous pourrons ainsi intensifier nos activités dans ce pays.

En Mongolie, après de nombreuses années d’efforts, nous avons constitué en octobre 2013, à la suite de la visite du ministre des affaires étrangères, une joint venture avec la société nationale pour commencer à développer des gisements qui entreront en production d’ici une dizaine d’années.

En Namibie, un projet achevé à 80 % a été mis sous cocon car nous pensons qu’il n’aurait pas de débouchés sur le marché.

Les explorations se poursuivent d’autre part au Gabon et au Canada, pour certaines en partenariat avec le groupe japonais Mitsubishi.

Nos réserves représentent actuellement 28 années de production, l’objectif étant de disposer toujours de réserves supérieures à vingt années de nos besoins. Mais l’activité d’exploration et de développement est également nécessaire pour maintenir la compétence des géologues et notre capacité à traiter les minerais afin d’en extraire l’uranium.

Partout où nous travaillons, nous adoptons une logique de long terme, ce qui suppose une attention particulière à la sécurité, à l’environnement et à la bonne insertion dans l’économie locale.

En matière de sécurité, nous appliquons partout la même norme, indépendamment des réglementations nationales, parfois moins exigeantes : nos personnels doivent recevoir moins de 18 millisieverts par an et font l’objet d’un contrôle individuel, effectué par des organismes indépendants. Au Niger, nos employés et sous-traitants ont reçu moins de 3 millisieverts, la dose maximale enregistrée par une personne étant de 16 millisieverts.

Nous sommes également très attentifs à la sécurité des activités minières souterraines ou à ciel ouvert. Le taux de fréquence des accidents est de 1,08, soit 24 fois moins que la moyenne de l’industrie française, toutes activités confondues.

En ce qui concerne l’environnement, nous développons dans tous les pays où nous sommes présents, notamment au Niger, des systèmes de surveillance constante de l’eau, de l’air, des sols et de la chaîne alimentaire et respectons la limite fixée de 1 millisievert par an de dose ajoutée pour le public, qui correspond à peu près au rayonnement naturel.

Sachant que notre présence dans ces pays est durable, nous veillons à assurer un développement de nos activités en harmonie avec l’environnement économique et social national. Au Niger, par exemple, nous avons construit des hôpitaux, que nous faisons fonctionner et dont l’accès est gratuit pour la population d’Arlit, les employés d’AREVA ne représentant que 30 % des consultants. Nous menons également de nombreuses actions dans les domaines de l’éducation et du développement économique, par exemple un programme d’irrigation lancé avec le gouvernement dans le nord du pays. Bien entendu, plus nous sommes avancés dans les projets miniers, plus ces partenariats économiques font l’objet de discussions avec les gouvernements locaux.

J’en viens à l’amont, c’est-à-dire aux trois étapes de la fabrication du combustible. La conversion est réalisée en France, à Malvési et au Tricastin. À Malvési, nous avons investi plusieurs centaines de millions d’euros, dans le cadre du projet Comurhex 2, pour renouveler nos installations et les rendre capables d’assurer dans la durée la sécurité de l’approvisionnement et de l’environnement. Au Tricastin aussi, nous avons investi plusieurs millions d’euros pour construire une nouvelle usine d’enrichissement, beaucoup moins énergivore, dénommée Georges-Besse II, qui utilise des technologies de centrifugation. Nous avons déjà atteint 75 % de la capacité d’enrichissement que nous visions. Quant à l’assemblage du combustible, il est principalement réalisé à l’usine de Romans, qui couvre la quasi-totalité des besoins d’EDF. À la différence de nos concurrents, nous assurons la mise en œuvre du zirconium et des châssis d’assemblage d’une manière parfaitement intégrée entre différentes usines situées sur le territoire français.

La relation avec EDF est bien évidemment essentielle mais, comme pour l’ensemble de nos activités, notre objectif est d’être présents dans le monde entier auprès des électriciens nucléaires. Avec 25 % du chiffre d’affaires d’AREVA, EDF en est aujourd’hui le premier client, mais non le seul, les 75 % restants étant réalisés sur le marché international.

M. le président François Brottes. Combien d’emplois les activités que vous venez d’évoquer représentent-elles ?

M. Luc Oursel. L’activité minière ne procure pratiquement pas d’emplois en France, hormis pour trois centaines d’ingénieurs et d’experts chargés du développement des projets et du traitement des minerais, notamment dans notre centre de recherche de Bessines, au centre du Limousin. Les effectifs miniers, très variables selon les technologies, se montent à 6 000 personnes sur l’ensemble de nos projets.

M. le président François Brottes. Et CERCA, à Romans ?

M. Luc Oursel. CERCA fabrique essentiellement des combustibles pour les réacteurs de recherche et emploie environ 250 personnes. Je précise que ce site travaille avec de l’uranium naturel plus enrichi.

M. Denis Baupin, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur la question de l’indépendance nationale, car vous avez bien montré que, si la France doit importer l’uranium, votre entreprise s’emploie à minimiser les risques pesant sur l’approvisionnement et à limiter les coûts. Mes questions porteront plutôt sur vos prévisions quant à l’évolution du marché et sur l’impact que peut avoir celle-ci sur votre entreprise.

Tout d’abord, des prix bas se traduisent-ils par une moindre rémunération de la matière première ou par une réduction de la marge de l’entreprise ? Qu’en est-il en cas de hausse des prix ?

Votre entreprise envisage-t-elle d’avoir une activité en Australie ?

Le fait que 36 % de l’uranium vienne du Niger et 38 % du Kazakhstan, deux pays dont la stabilité n’est pas garantie, ne peut-il laisser craindre une vulnérabilité géopolitique de vos approvisionnements ? Quelle est, en particulier, votre analyse des perspectives du Kazakhstan ?

Répondant hier à une question d’actualité d’un député du groupe écologiste, le ministre délégué au développement a déclaré que l’État, actionnaire majoritaire de votre entreprise, souhaitait que la négociation avec le Niger prenne davantage en compte les attentes de ce pays. Quelle évolution attendez-vous pour les contrats avec le Niger et quel est l’état des négociations ? Pouvons-nous avoir accès à l’audit évoqué par le ministre ?

Les questions environnementales, que vous avez rapidement évoquées, soulèvent aussi quelques interrogations, notamment en ce qui concerne les poussières générées au Niger. Des études sont-elles menées sur les conséquences de l’exploitation minière pour les populations ? Quelle est l’acceptabilité de cette exploitation pour ces populations et les revendications de ces dernières pourraient-elles avoir une incidence sur l’accès à la ressource et sur les coûts d’exploitation ?

Le gain d’efficacité réalisé grâce à l’usine Georges-Besse II s’est-il soldé par une baisse des prix pour vos clients, ou simplement par un bénéfice pour votre entreprise ?

Quel est enfin, du combustible produit à partir de l’uranium naturel ou du combustible issu du retraitement, le plus économique ? Compte tenu de l’ampleur des réserves mondiales, quelle pertinence y a-t-il à nous doter d’une filière aussi complexe que celle du retraitement et de la fabrication du MOX ?

M. Luc Oursel. L’indépendance énergétique est une question qui doit être traitée en termes de sécurité d’approvisionnement par rapport à un marché dont l’histoire a montré qu’il était régulièrement secoué par des chocs géopolitiques. Dans un monde marqué par une grande interdépendance économique, les choix de politique énergétique doivent donc plutôt viser à limiter les conséquences de ces chocs. J’ai déjà indiqué que nos approvisionnements étaient diversifiés et que les coûts de production étaient pour l’essentiel locaux, ces éléments confirmant l’intérêt de l’industrie nucléaire.

L’évolution du marché de l’uranium naturel devrait nous réserver quelques années difficiles, car ni les prix spot ni les prix de long terme ne sont élevés. À de tels niveaux, certaines mines de nos concurrents ne sont déjà plus rentables. La reprise probable de la production d’électricité nucléaire au Japon, même partielle, et le développement de nouvelles capacités en Asie et en Europe laissent présager une augmentation des besoins, et donc la nécessité de développer ou de mettre en production de nouvelles mines à l’horizon 2020. Je rappelle que le prix de long terme, qui est le plus représentatif des transactions, est passé de 56 dollars la livre en 2012 à 50 dollars aujourd’hui, et devrait atteindre à nouveau 56 dollars en 2020.

L’activité minière d’AREVA enregistrera en 2013 des résultats économiques remarquables et sera l’un des contributeurs majeurs au redressement de l’entreprise que nous avons engagé. C’est là tout d’abord le résultat de notre choix de ne pas exploiter n’importe quels gisements, mais de développer les mines les plus performantes économiquement afin de réduire les coûts de production. Ce choix assure notre robustesse face aux variations économiques.

En deuxième lieu, notre diversification géographique assure notre crédibilité lorsque nous prenons à l’égard de nos clients des engagements de long terme. Nous pouvons ainsi signer des contrats comportant une forte composante de prix de long terme ou établissant un lien entre prix et coûts de production. Nous sommes ainsi moins sensibles que certains de nos concurrents aux variations du prix spot.

L’année 2013 a également été très bonne grâce aux ventes d’uranium hautement enrichi. Nous nous attendons à un certain tassement de ces résultats, mais le modèle économique d’AREVA est ainsi fait que, lorsqu’une activité faiblit, d’autres prennent le relais, comme les activités amont d’enrichissement, sur lesquelles je reviendrai tout à l’heure. C’est ainsi que la montée en puissance de l’usine Georges-Besse II nous permettra de compenser le ralentissement de l’activité minière.

Le fait qu’AREVA ne soit guère présente en Australie, où l’uranium est abondant, est un constat et une source de frustration. À la différence de nos concurrents, qui ont développé de grands gisements, nous ne sommes pas parvenus à percer dans ce pays. Le permis de recherche que nous y avions obtenu a été suspendu par une loi de protection des populations aborigènes, mais nous redémarrons quelques activités avec le groupe Mitsubishi. Notre souci de diversification nous incite clairement à développer nos activités en Australie, bien sûr dans un cadre compatible avec les exigences locales.

Une large diversification est en effet la réponse à la vulnérabilité géopolitique, tant pour les mines existantes que pour les projets à venir, tant en Australie qu’au Canada, en Mongolie et peut-être en Afrique. Je ne vois aujourd’hui ni au Niger, ni au Kazakhstan d’instabilité géopolitique susceptible de remettre en cause ces activités. Du reste, celles-ci représentent des ressources très importantes pour ces deux pays, qui ont donc autant intérêt que nous à les voir se développer.

Les mines du Niger sont parmi les plus coûteuses de notre portefeuille de production. De fait, le coût des mines a tendance à augmenter avec le temps et l’exploitation des deux mines de la SOMAÏR et de la COMINAK est déjà ancienne – la fin des gisements devrait du reste survenir vers la fin de la décennie. Dans un pays qui connaît des besoins énormes et une pression démographique colossale, et dont la situation sécuritaire est difficile, il est compréhensible que le gouvernement souhaite tirer davantage de ses ressources naturelles – la découverte de pétrole apporte heureusement un complément bienvenu à cet égard.

Pour ce qui concerne l’uranium, AREVA est confrontée à la fois à la nécessité de répondre aux demandes du gouvernement nigérien et à la réalité économique de ces mines. Pour la période récente, 70 à 80 % des bénéfices des mines ont été attribués au Niger, qui en est actionnaire, et cette part n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années. Ce mouvement a bien évidemment une limite. En 2006, période de renaissance nucléaire qui ouvrait des perspectives d’augmentation beaucoup plus importante des prix de l’uranium naturel et où le prix spot était bien plus élevé qu’aujourd’hui, le Niger avait adopté une nouvelle loi minière qui, si elle était intégralement appliquée aujourd’hui, mettrait immédiatement les exploitations existantes en lourd déficit, les condamnant à court terme.

L’audit, que le président Issoufou et moi-même avons confié d’un commun accord à un cabinet indépendant, avait pour premier objectif de vérifier la situation économique de ces mines et d’étudier l’impact de cette nouvelle législation minière. Il a confirmé notre diagnostic selon lequel, si cette législation était appliquée, les mines cesseraient à très court terme d’être viables – or elles représentent, je le rappelle, près de 6 000 emplois directs et indirects au Niger, sans parler des personnes qui vivent autour de ces activités. Les négociations se déroulent, je le rappelle, dans un contexte très défavorable pour le marché de l’uranium.

On insiste sur le fait que cet audit serait le premier exercice de ce type, mais l’État du Niger est associé à la gouvernance des mines du pays : ses représentants siègent à tous les conseils d’administration de celles-ci et ont accès à l’ensemble des données.

Dans les négociations en cours, nous nous efforçons de trouver un bon équilibre, au moyen d’aménagements qui pourraient être apportés à la législation nigérienne et de programmes que nous pourrions de notre côté mettre en œuvre pour contribuer au développement économique du pays. L’objectif est de maintenir ces mines en vie. La pire des situations serait celle où des prélèvements excessifs à court terme remettraient en cause les exploitations du Niger.

Dans le domaine de l’environnement et de la sécurité, nous suivons bien sûr, comme nous le faisons partout dans le monde, l’ensemble de nos équipes au Niger, mais nous avons également créé des observatoires consacrés à l’eau, à l’air et à la santé, auxquels nous avons associé diverses parties prenantes locales afin de partager toutes les mesures que nous prenons et d’évaluer les conséquences éventuelles de notre exploitation. Au Niger spécifiquement, un observatoire est destiné à examiner l’état sanitaire des anciens travailleurs des mines et nous recherchons – ce qui n’est pas facile – les personnes ayant travaillé pour la COGEMA, puis pour AREVA, pour la COMINAK et pour la SOMAÏR. Sur près de 350 qui ont déjà été retrouvées, il n’a pas été mis en évidence de cas avérés où le travail dans le domaine minier aurait eu un impact sur la santé.

De façon générale, nous sommes bien conscients que l’acceptabilité de nos activités dépend d’un travail régulier avec les parties prenantes, car notre présence à long terme n’est possible que si nous répondons aux questions légitimes des populations et des gouvernants des pays concernés.

Pour ce qui est de la montée en puissance de l’usine Georges-Besse II, le fait qu’elle bénéficie d’abord à AREVA n’est qu’un juste retour des choses, car le fonctionnement d’EURODIF (European gaseous diffusion uranium enrichissement consortium) consommait énormément d’énergie et les coûts de production y étaient donc beaucoup plus élevés, ce qui nous faisait régulièrement perdre des parts de marché, que nous regagnons maintenant progressivement.

Ce n’est pas nous qui fixons le prix de l’enrichissement : comme pour l’uranium naturel, il existe un prix spot – mais qui concerne des quantités encore plus limitées – et un prix de long terme, qui a baissé après l’accident de Fukushima pour les mêmes raisons qu’a baissé celui de l’uranium naturel – il est passé d’environ 130 dollars à 100 dollars par unité de travail de séparation (UTS).

Le retraitement a deux finalités : l’une, économique, est de mieux valoriser les ressources, et l’autre de mieux gérer les déchets et les combustibles usés. La réponse à votre question est donnée par les électriciens : plus d’une quarantaine de centrales dans le monde, soit plus de 10 % du parc, fonctionnent avec du MOX et plusieurs pays y trouvent un intérêt au regard des deux finalités que je viens de mentionner.

M. le rapporteur. Votre réponse ne m’a pas permis de comprendre comment vous entendiez prendre en compte les déclarations du ministre délégué relatives au Niger. Il semblerait en effet que vous lui opposiez une fin de non-recevoir. Quant à l’audit, est-il accessible et pouvons-nous en prendre connaissance ?

M. Luc Oursel. Selon la dépêche de l’Agence France-Presse publiée à 21 heures, par laquelle j’ai pris connaissance des déclarations du ministre Pascal Canfin, celui-ci indiquait que la négociation devait tenir compte des attentes du Niger et viser à préserver la viabilité économique des mines en exploitation.

Quant à l’audit, il appartient aux deux actionnaires et, à ma connaissance, le gouvernement du Niger ne souhaite pas le rendre public.

M. le rapporteur. S’il le souhaitait, en seriez-vous d’accord ?

M. Luc Oursel. Nous en discuterions afin de définir les conditions de sa publicité. Cet audit, réalisé avec le plus grand sérieux, comporte des informations commerciales très sensibles dont la communication pourrait nous mettre en difficulté face à nos concurrents ou avoir une incidence sur nos relations commerciales avec nos clients. C’est là un des cas où la transparence peut être préjudiciable aux intérêts de l’entreprise, ainsi qu’à ceux du Niger, actionnaire de ces exploitations.

M. Jean-Pierre Gorges. Vous avez rappelé que l’énergie nucléaire était celle qui disposait aujourd’hui des réserves les plus importantes, pouvant couvrir 130 années de production contre 50 à 100 ans pour les autres sources d’énergie, et vous avez souligné la faible sensibilité du coût de l’électricité nucléaire au prix de la matière première. De leur côté, les énergies renouvelables se trouvent en situation instable, d’autant que le Conseil d’État doit répondre dans les deux mois à la question de savoir si elles peuvent être subventionnées. L’Europe étant opposée à de telles subventions, il existe un risque important, y compris à titre rétroactif pour ceux qui en ont bénéficié. La transition énergétique ne peut donc pas s’appuyer sur ces technologies ni sur la fiscalité associée.

Aussi le nucléaire est-il aujourd’hui le meilleur outil de cette transition, en particulier grâce à l’ampleur des ressources disponibles et à la stabilité des approvisionnements. Quant à la pollution, le charbon a tué à ce jour beaucoup plus de gens que le nucléaire. Pourquoi alors la France ne parvient-elle pas, à l’instar de pays comme la Grande-Bretagne ou les États-Unis, à amortir les technologies du nucléaire sur cinquante ou soixante ans ? En rester à trente ans a forcément un impact sur le coût. Ne pourrions-nous pas adapter notre parc pour en prolonger l’exploitation de vingt ou trente ans, le temps de trouver des solutions alternatives durables et budgétairement plus acceptables que celle qui consiste aujourd’hui à consacrer 20 milliards d’euros de subventions aux énergies renouvelables ?

M. le président François Brottes. Je vous invite, chers collègues, à concentrer vos questions sur le combustible. AREVA sera de nouveau convoquée le 27 février afin que nous puissions aborder les autres aspects de ses activités.

M. Michel Sordi. J’ai moi aussi été satisfait d’apprendre que des réserves d’uranium importantes sont disponibles dans des pays stables, que le prix de cette matière première devrait lui aussi rester stable et qu’au demeurant, son augmentation n’aurait qu’une faible incidence sur le prix de l’énergie. Cela étant dit, au vu de ce qui s’est produit en Allemagne, il conviendrait d’étendre aux mines de charbon et de lignite la question du rapporteur relative à l’incidence des mines sur l’environnement, notamment pour ce qui concerne l’émission de poussières.

J’en viens à mes propres questions. Tout d’abord, pourquoi AREVA a-t-elle voulu prendre une participation financière dans les EPR britanniques ? Quelle est la finalité de cette diversification ?

Par ailleurs, la publication, la semaine dernière, des premiers résultats d’AREVA en 2013 fait apparaître une augmentation globale de 7 % des ventes dans le secteur nucléaire, contre une chute de 30 % dans celui des énergies renouvelables, qui ne représente en outre qu’un peu plus de 1 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Comment expliquer ces difficultés à progresser et quel avenir peut-on imaginer pour l’industrie « lourde » des énergies renouvelables en France ? Existe-t-il de vraies perspectives, en dehors de l’éolien offshore pour lequel, suite aux appels d’offres de l’an dernier, AREVA a annoncé la construction de deux usines au Havre ?

Enfin, la filière nucléaire française, dont votre présence aux côtés du Premier ministre en Chine, en décembre 2013, devait manifester l’excellence, est-elle crédible lorsque, dans le même temps, le Gouvernement envoie des signaux contraires sur le territoire national en annonçant, pour des raisons politiciennes, la fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim, bien que l’Autorité de sûreté nucléaire ait autorisé la poursuite de son activité pour dix années supplémentaires ?

M. Philippe Baumel. Certaines questions ne relèvent peut-être pas de M. Oursel et devraient plutôt être posées dans l’hémicycle.

Pour revenir au sujet, pourrions-nous connaître l’évolution des recettes budgétaires de l’État nigérien depuis le début de l’exploitation des mines ? Pourriez-vous également nous communiquer le montant des achats récurrents du groupe AREVA auprès des entreprises nigériennes ? Quelle est, enfin, la part des emplois d’expatriés et des emplois locaux liés à l’activité minière ?

Mme Frédérique Massat. Ayant moi aussi accompagné le Premier ministre en Chine, j’ai pu constater que l’accueil fait à la France, notamment lors d’un colloque sur le nucléaire et de la visite d’un site, témoignait que l’autorité de notre pays dans ce domaine n’était nullement remise en cause.

Aviez-vous prévu que la croissance des revenus de la division minière d’AREVA serait aussi forte qu’elle l’a été ? Quels sont, outre EDF, vos clients ? Avez-vous pris des parts de marché à certains de vos concurrents et, si tel est le cas, comment analysez-vous cette progression ?

M. le rapporteur. Des ONG sont-elles associées aux observatoires que vous avez mis en place au Niger ? Leur participation contribuerait à la transparence et permettrait d’éviter les contestations.

Je ne peux que déplorer, comme M. Sordi, la pollution provenant de l’usage du charbon et je regrette que le secteur des énergies renouvelables ne contribue que pour 1 % au chiffre d’affaires d’AREVA. Mais je salue la diversification de votre entreprise en direction de ces énergies d’avenir…

M. Luc Oursel. AREVA s’est en effet lancée, bien qu’un peu tard, sur le marché des énergies renouvelables. La proportion de 1 % n’a de valeur que comptable, la part de ce secteur dans nos activités est en fait, aujourd’hui, de l’ordre de 5 ou 6 %. Dans ce domaine, nous sommes partis de zéro pour atteindre un montant de quelques centaines de millions d’euros : certaines start-ups pourraient nous envier une croissance aussi rapide. Il ne nous en faut pas moins poursuivre ce mouvement.

Malgré l’intérêt porté par nombre de pays aux énergies renouvelables, les prises de commandes sur l’ensemble du marché mondial ont chuté de près de 30 % entre 2011 et 2013, car certains pays qui s’étaient lancés vigoureusement dans cette voie se sont brusquement interrogés sur la possibilité de soutenir un effort nécessairement important à coups de subventions. Cela s’est traduit par des difficultés majeures pour la quasi-totalité des fournisseurs d’équipement, qui ont dû prendre des mesures de restructuration ou arrêter certaines activités – comme Siemens, qui a renoncé à être présent dans le secteur de l’énergie solaire.

L’éolien terrestre, qui requiert de moins en moins de subventions, est cependant pour nous un marché totalement occupé, sur lequel AREVA n’a pas la possibilité de prendre pied – Mme Lauvergeon, qui avait souhaité acquérir certaines entreprises dans les années 2003-2004, n’a pas été suivie par l’actionnaire. Dans le domaine du solaire photovoltaïque, il est de même impossible à un nouvel entrant d’accéder à un marché totalement saturé, en particulier par les fournisseurs chinois. AREVA a donc choisi de se porter sur des technologies nouvelles, où nous pensons que nos savoir-faire technologiques et notre expérience de la gestion de projets peuvent permettre de faire baisser les coûts : l’éolien offshore, le solaire à concentration, la biomasse et le stockage d’énergie, qui devrait être prioritaire pour nous tous.

Afin d’accélérer nos efforts en faveur de l’éolien offshore, nous avons décidé de nous unir à Gamesa, entreprise espagnole leader dans le domaine de l’éolien terrestre. Nous poursuivrons cet effort et espérons que la part des énergies renouvelables dans nos activités continuera de croître. Nous n’avons pas l’intention d’intervenir seuls dans le secteur des énergies renouvelables et nous chercherons donc à constituer des partenariats, comme c’est notamment le cas avec Schneider Electric pour le stockage de l’énergie. Cette recherche de partenariats nationaux, européens ou mondiaux est absolument indispensable si nous voulons être capables de faire baisser progressivement le coût de ces technologies et de rendre ainsi leur développement supportable.

Ces technologies ont, comme le nucléaire, l’avantage de permettre une production locale et une réduction des émissions de CO2. Elles ont évidemment aussi leurs inconvénients, comme l’intermittence. Nos efforts doivent tendre à créer, comme nous l’avons fait pour l’ensemble des filières énergétiques, une industrie nationale ou européenne capable de se battre sur les marchés internationaux.

M. le président François Brottes. S’agissant de l’énergie marine, est-on parvenu à élaborer des modèles permettant de neutraliser les caprices de la mer ?

M. Luc Oursel. AREVA a installé ses premières turbines offshore en 2009, en mer du Nord. Les conditions y sont parfois difficiles et la construction des 120 turbines que nous avons programmée est actuellement interrompue à cause des tempêtes. La solution réside dans une plus grande coopération avec l’industrie pétrolière, qui a développé des technologies adaptées. L’aléa météorologique demeurera cependant, même s’il faut aussi noter que le taux de disponibilité des six turbines installées en 2009 a été de 98 %.

Dans ce domaine, le nucléaire peut lui aussi apporter une contribution grâce à la fiabilité technologique à laquelle il est parvenu et à son savoir-faire en matière de maintenance prédictive et de contrôle de la résistance des matériaux.

Quant à la décision d’AREVA de participer à la construction de l’EPR britannique, il ne s’agit pas d’un choix de diversification, mais de la réponse à une demande d’EDF ainsi que d’une manière de montrer qu’AREVA croyait à ce projet. Nous serons doublement intéressés au bon déroulement de la construction de cette centrale : d’abord au titre du contrat que nous avons conclu ; ensuite au titre du retour que nous pouvons en attendre en tant qu’investisseur.

Notre développement en Chine est très satisfaisant et, en 2013, notre chiffre d’affaires dans ce pays a approché du milliard d’euros pour l’ensemble de nos activités – fourniture d’uranium naturel, services et maintenance. Nous avons déjà créé six joint-ventures et en créerons d’autres pour participer au développement du programme nucléaire chinois et en retirer un retour pour l’entreprise.

M. le président François Brottes. La rumeur dit que nous avons fait beaucoup de cadeaux à nos partenaires chinois.

M. Luc Oursel. Je ne crois pas que ce soit le cas. Un partenariat déséquilibré n’aurait pas tenu trente ans et, d’autre part, la Chine ne me semble pas être un concurrent sérieux et redoutable sur le marché international des réacteurs.

Pour ce qui est des chiffres, nous les communiquons par l’intermédiaire de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), qui vise à assurer la transparence vis-à-vis des gouvernements sur les flux financiers entre les entreprises et les États. Pour le Niger, les recettes – dividendes et impôts – s’élevaient à 120 millions d’euros en 2012. Je vous ferai communiquer les chiffres se rapportant à l’évolution de ces recettes, qui accusent une hausse constante sur les cinq ou six dernières années, à partir d’un niveau il est vrai assez bas.

Les achats nécessaires au fonctionnement des mines du Niger s’élèvent à environ 180 millions d’euros par année, dont plus de la moitié faits auprès d’entreprises locales. Certains produits, comme les réactifs utilisés dans les mines, ne sont pas disponibles dans le pays. En revanche, les activités de service, de construction et de génie civil sont locales et nous avons également aidé au développement d’un certain nombre de fournisseurs locaux. En outre, bien qu’en règle générale l’industrie minière soit très capitalistique et ne soit pas créatrice d’emplois au prorata de son chiffre d’affaires, nos activités génèrent dans le pays, comme je l’ai dit, 6 000 emplois directs et indirects.

Notre chiffre d’affaires dans le secteur minier a bondi de près de 30 % en 2013 grâce à la vente du matériau issu du programme – achevé en 2013 – de démantèlement des armes, à nos efforts de gestion, notamment à la vente de stocks sur le marché, et au fait que nous avons conquis des parts de marché – sans que ce soit au détriment des prix et de la rentabilité. Nos clients sont attirés par la diversification géographique de notre production, qui nous permet de prendre des engagements de très longue durée, ainsi que par la variété de notre offre. AREVA a ainsi construit une centaine des 440 centrales nucléaires qui existent dans le monde et entretient des relations commerciales avec 360 d’entre elles, qui nous achètent au moins une partie de notre catalogue. Il n’est pas rare, par exemple, que nous nouions une relation commerciale en commençant par fournir un service de maintenance ou d’enrichissement, puis que nous étendions peu à peu notre présence en proposant l’ensemble de nos services, que ce soit au coup par coup ou dans le cadre d’offres « packagées » où nous vendons à la fois de l’uranium naturel et des activités de conversion et d’enrichissement, voire de fabrication de combustible.

Au Niger, les observatoires intègrent bien les parties prenantes locales, y compris des ONG dont je pourrai vous communiquer la liste exacte.

M. Michel Sordi. L’arrêt de la centrale de Fessenheim est-il pertinent dans le contexte actuel ?

M. Luc Oursel. Je n’ai pas d’avis à formuler sur ce sujet au nom d’AREVA. L’entreprise peut toutefois contribuer à ce débat grâce à ses activités internationales qui lui permettent d’analyser ce qui se fait dans d’autres pays. En particulier, nous connaissons bien la situation aux États-Unis, où nous réalisons près de 2,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires même si nous n’y avons pas construit de centrales. Le parc américain est plus ancien que celui de la France et l’autorité de sûreté américaine fait tout autant référence que celle de notre pays. Aujourd’hui, 75 % des centrales américaines ont reçu l’autorisation de rester en activité pendant soixante ans – moyennant bien sûr des travaux, le renouvellement de certains composants et des précautions dans l’exploitation. Ces autorisations sont génériques, mais l’autorité de sûreté peut à tout moment arrêter une centrale si elle estime que celle-ci ne respecte pas les conditions mises à l’extension de la durée de vie de toutes. Certains électriciens américains travaillent même déjà, en lien avec l’autorité de sûreté, à l’extension de la durée de vie des centrales jusqu’à quatre-vingts ans. Le système français, quant à lui, est fondé sur des autorisations par tranches de dix ans et j’écoute régulièrement ce que l’autorité française de sûreté dit des conditions qu’elle mettrait à l’extension de la durée de vie des centrales.

M. le président François Brottes. Monsieur Oursel, je vous remercie.

M. Luc Oursel. Je reste à votre entière disposition.

L’audition s’achève à dix heures cinquante.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du jeudi 6 février 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, M. Claude de Ganay, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat, Mme Sylvie Pichot, M. Patrice Prat

Excusés. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Françoise Dubois