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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 27 février 2014

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 25

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Philippe Knoche, directeur général délégué d’AREVA

L’audition commence à treize heures cinq.

M. le président François Brottes. Compte tenu du retard pris dans nos auditions, pour lequel je vous présente toutes nos excuses, monsieur Knoche, je vous propose d’en venir directement aux questions que nous souhaitions vous poser.

M. Philippe Knoche, directeur général délégué d’AREVA. J’allais vous le proposer, monsieur le président. Je me permettrai simplement, si vous en êtes d’accord, de revenir en fin de réunion sur les points qui n’auraient pas été abordés.

M. le président François Brottes. « La bataille de la compétitivité de l’EPR n’est pas perdue », déclariez-vous en 2010. À l’époque, nous étions dans l’expectative la plus totale mais, en tant que premier directeur du projet EPR en Finlande, vous disposiez – et disposez – d’une certaine capacité de recul pour évaluer la situation en France.

Quoi qu’en disent les uns ou les autres, nous avons bien compris ce matin que l’EPR et sa conception assurent plus de sûreté, mais pas nécessairement une moindre production de déchets. Nous avons aussi compris que, parce qu’il s’agit d’un prototype, il coûte au moins 25 % plus cher que s’il était produit en série. En tout état de cause, le retard qui a été pris est lié aux contraintes qui se sont imposées en cours de route, en particulier du fait de l’accident de Fukushima, et au déficit de compétence des entreprises intervenant sur le chantier.

AREVA commercialise des réacteurs – pas seulement l’EPR – dans le monde entier. Pouvez-vous nous dire où en sont le réacteur ATMEA1 et les autres projets que vous menez en commun soit avec EDF, soit avec d’autres opérateurs ? Nous nous sommes demandé ce matin, notamment avec M. Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), si l’EPR ne présentait pas une puissance trop importante, et s’il ne convenait pas de revenir à des projets plus « raisonnables ». Je crois d’ailleurs savoir qu’AREVA a dans ses cartons un autre projet, dont le cahier des charges et la description de base sont assez aboutis mais qui n’a pas encore été mis en œuvre.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Knoche prête serment)

M. Philippe Knoche. Vous avez dit que l’EPR ne produisait pas nécessairement moins de déchets. Permettez-moi de préciser qu’au mégawattheure (MWh) produit, nous pouvons aller jusqu’à 10 % de déchets en moins, le cœur du réacteur étant plus efficace
– étant entendu que la nature des déchets est la même que dans les autres réacteurs.

M. Denis Baupin, rapporteur. Je vous poserai les mêmes questions qu’aux intervenants précédents.

En ce qui concerne l’EPR de Flamanville, nous constatons un écart significatif du calendrier et des coûts de la construction avec ce qui avait été prévu. Quelle est votre analyse ? Quelles sont selon vous les principales causes d’un tel écart entre ce qui a été vendu aux pouvoirs publics il y a une dizaine d’années et ce qui advient aujourd’hui, qui met en péril la crédibilité des entreprises concernées ?

L’EPR est vendu pour pouvoir fonctionner pendant soixante ans à 90 % de disponibilité. Estimez-vous cela crédible au vu de ce que nous pouvons observer – à savoir, pour ce qui concerne la France, des réacteurs âgés en moyenne de vingt-cinq ans et qui fonctionnent à moins de 80 % de disponibilité ?

Vous avez le privilège d’avoir une vue transversale sur les quatre EPR aujourd’hui en construction. Selon vous, lequel entrera le premier en fonctionnement ? Comment faire en sorte que le retour d’expérience bénéficie rapidement aux autres ?

Il semble que la construction des EPR chinois se heurte à bien moins de difficultés que celle de l’EPR finlandais et de l’EPR français. Quelles en sont les raisons ?

Qui va payer la facture de l’EPR finlandais ? Nous avons noté hier, à l’occasion de la publication de vos résultats, qu’AREVA avait passé une nouvelle provision dans ses comptes. J’ai eu l’occasion de discuter il y a une dizaine de jours avec un ministre finlandais : pour lui, il ne faisait pas de doute qu’il n’en coûterait que 3 milliards au client, et que le contribuable français payerait le reste. Sachant que la facture sera plutôt de l’ordre de 8,5 milliards, qui payera quoi ? Le contribuable français aura-t-il vraiment à payer pour la construction de l’EPR finlandais ?

Mes dernières questions porteront sur l’ATMEA. Est-ce ce modèle ou l’EPR qui domine aujourd’hui dans les efforts de recherche d’AREVA ? Investissez-vous de la même façon dans les deux projets, comme deux voies qui seraient complémentaires, ou en privilégiez-vous un ? D’autre part, où en êtes-vous en Turquie ? Avez-vous bon espoir d’y construire un jour ces ATMEA ? Vous noterez que je fais un effort pour ne pas parler des risques sismiques… (Sourires.)

M. Philippe Knoche. S’agissant de Flamanville, je rappelle que le rôle d’AREVA est limité à la fourniture de la chaudière. Cela étant, un certain nombre d’aléas expliquent les coûts et les retards qui ont été constatés, mais M. Machenaud a dû vous dire ce qu’il en est.

En ce qui concerne votre commentaire sur la perte de crédibilité des entreprises engagées dans le projet, je dirai qu’il y a une vertu à tous nos efforts. Dans le cas de la Finlande, il s’agit de la transparence – nous disons combien cela coûte.

Le monde de l’énergie a été confronté à de nombreux imprévus au cours de ces dix dernières années. Le coût des centrales au charbon a ainsi doublé sur la période, les prix de tout un ensemble de matières premières s’étant littéralement envolés. Personne n’avait non plus prévu l’évolution des prix du gaz, notamment en Asie, et donc de la compétitivité de ces énergies. Lorsque M. Machenaud dit que, malgré les surcoûts, l’EPR reste compétitif et certain, c’est-à-dire que l’on peut prévoir son coût sur la période d’exploitation, c’est donc un élément important.

Nous tirons bien sûr les leçons de nos erreurs. Il y a eu défaut de prévision ; il est évident que plus personne ne signe aujourd’hui de contrat pour un EPR à 3 milliards. En même temps, les centrales ont atteint un niveau d’achèvement – à la fois en construction, en fabrication et en montage – et de risque qui n’a plus rien à voir avec ce qui avait pu être envisagé au moment de leur lancement.

En ce qui concerne la disponibilité, le taux de 90 % est dépassé dans les centrales qui sont à la base de la conception de l’EPR, à savoir les centrales Konvoi allemandes – et vous savez que le régulateur allemand n’est pas le plus porté à être favorable au nucléaire… Elles le doivent à une architecture qui a été reprise pour l’EPR, comportant l’existence de quatre « trains » de sûreté, ce qui permet d’assurer la maintenance de l’un d’entre eux pendant que la centrale est en service. Ce taux de disponibilité est également dépassé aux États-Unis.

Les coûts de l’EPR incluent la justification de leur durée de fonctionnement : l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) nous demande de faire les calculs à la fatigue de tous les composants qui peuvent être sollicités pour prouver qu’ils vont durer soixante ans. On ne peut nous demander de comptabiliser cette preuve dans les coûts et nous dire en même temps que le total n’est pas raisonnable. J’ajoute que les dix dernières années, soit entre cinquante et soixante ans, on arrive 1,5 euro du mégawattheure compte tenu du fait que c’est une période très éloignée. Du point de vue économique, le débat sur ce qui se passera à l’année 52 n’est donc pas fondamental.

Vous me demandez lequel des quatre EPR en construction devrait entrer en fonctionnement le premier. En termes physiques, Olkiluoto est la centrale la plus avancée. Le premier test d’ensemble, celui de son bâtiment réacteur, a été réalisé avec succès il y a quelques semaines, à la satisfaction du client Teollisuuden Voima Oyj (TVO) et de l’autorité de sûreté finlandaise, et en présence d’ingénieurs d’EDF et du client chinois.

En parallèle, d’autres EPR sont d’ores et déjà en phase d’essais partiels. C’est notre métier – et celui d’EDF et de China General Nuclear Corporation (CGN) – de nous assurer que les leçons des retours d’expérience sont tirées.

Si Olkiluoto est la centrale la plus avancée physiquement, c’est aussi celle qui rencontre le plus de difficultés du point de vue contractuel. Son rythme d’avancement est donc comparativement le plus faible. EDF a annoncé la date de 2016 pour le chargement. Taishan fait figure de challenger et a les moyens d’être le premier réacteur à entrer en fonctionnement. Je ne peux cependant préjuger des résultats de chacun. Au demeurant, nous ne sommes pas dans une course : c’est la sûreté qui prime. Soyez donc assurés qu’il sera tenu compte de chacun des retours d’expérience en temps réel. Nous avons d’ailleurs organisé, avec le client chinois et EDF, une présentation de l’ensemble des essais des quatre EPR en construction et de la façon dont ils seront essayés auprès de l’ensemble des autorités de sûreté intéressées par l’EPR – dont les autorités britannique et américaine. Cette présentation, très appréciée, a montré à la fois la cohérence des essais et certains aspects de prototype.

La construction des deux EPR de Taishan 2 se heurte en effet à moins de difficultés que celle des EPR d’Olkiluoto ou de Flamanville. Tout d’abord, l’attitude du client, très impliqué dans la réalisation du projet, est très différente. Ensuite, on observe une maturité dans le design, car ce sont les troisième et quatrième EPR, lancés après ceux de Flamanville et d’Olkiluoto, mais aussi une maturité de l’exploitant, de l’autorité de sûreté et de la chaîne de fourniture : il se construit trois réacteurs par an en Chine, ce qui vaut des effets volume. Néanmoins, pour l’îlot nucléaire, Taishan 1 et 2 sont encore à 75 % d’origine européenne en termes de design et d’approvisionnement. Mais il est vrai que l’effet de série est important, de même qu’on observe graduellement une localisation en Chine, qui s’appuie sur cet effet de série.

Cela étant, plus l’état du chantier de Taishan se rapprochera de celui des autres EPR
– ce qu’il est en train de faire puisque le circuit primaire est déjà installé alors qu’il ne l’est pas encore à Flamanville –, plus grand sera le risque d’y rencontrer des aspects de prototype.

Qui va payer la facture de l’EPR finlandais ? Permettez-moi d’abord d’observer qu’on ne peut assimiler AREVA au contribuable français : AREVA a d’autres activités que la construction de l’EPR et paye des impôts en France ; il y a des actionnaires minoritaires chez nous. Néanmoins, je suis très attentif à ce point. Nous avons demandé devant le tribunal arbitral de la chambre de commerce internationale 2,7 milliards d’euros au client finlandais, qui a lui-même fait une demande reconventionnelle, pour un montant inférieur. Mais, même si nous sommes confiants dans la solidité de notre dossier, nous n’avons pas anticipé dans nos comptes un éventuel succès de cet arbitrage. À ce stade, c’est donc AREVA qui supporte les coûts. C’est d’ailleurs la raison qui nous a conduits à recourir à l’arbitrage, avec l’attitude de notre client finlandais, qui considère aujourd’hui qu’il peut à peu près tout demander sans en payer les conséquences. Pour notre part, nous estimons que cette position est difficilement défendable.

M. le rapporteur. Pouvez-vous revenir en détail sur ce point ? Nous sommes partis de 3,3 milliards d’euros ; nous arrivons à 8,5 milliards. L’écart est donc d’environ 5 milliards. Vous demandez 2,7 milliards au tribunal arbitral mais, si j’ai bien compris, AREVA a provisionné pour l’ensemble des surcoûts – soit 5 milliards. Pouvez-vous nous redonner les chiffres pour plus de clarté ?

M. Philippe Knoche. Comptablement, nous ne pourrons jamais retrouver ces 8 ou 8,5 milliards, ni par conséquent les 5 milliards dont vous parlez : ces chiffres sont en euros d’aujourd’hui, alors qu’ils ont été constatés au fur et à mesure dans notre comptabilité. Mais, et c’est public, AREVA a comptabilisé une perte de 3,9 milliards – sur laquelle nous réclamons 2,7 milliards au client.

S’agissant de l’estimation de 8 milliards, montant qui reste incertain en l’absence de chiffres publics, je dois préciser que notre partenaire dans le consortium, Siemens, est confronté aux mêmes difficultés que nous. Il a annoncé de fortes pertes et connaît les mêmes difficultés de calendrier qu’AREVA : même si sa turbine est achevée, il n’a réalisé que 4 % des phases de test à ce jour. Cette similitude de situation nous conforte dans l’idée que le client y a une responsabilité. Les 2,7 milliards demandés devant le tribunal arbitral le sont d’ailleurs par le consortium – où, pour mémoire, Siemens entre pour environ 30 % et donc AREVA pour 70 %.

L’ATMEA et l’EPR sont bien deux voies complémentaires. Nous avons entendu dire que la demande du marché porterait majoritairement sur des réacteurs de 1 000 MW, mais cette affirmation ne peut être vérifiée. La Chine développe aujourd’hui le CAP1400, sur lequel elle fonde une partie de son avenir nucléaire, au-delà de l’EPR, et on estime à environ 15 % la part du marché qui est « spécifique 1 000 MW », c’est-à-dire les cas où les exploitants ont indiqué qu’ils n’accepteraient pas de puissance supérieure. Dans les projets en cours, que ce soit en Chine, pour les tranches suivantes de Taishan, en Inde, en Pologne, en Afrique du sud, en Arabie saoudite ou au Royaume-Uni, ce sont le coût du mégawattheure, le risque de construction et la qualité du financement qui sont en débat. Ce sont donc des facteurs de compétitivité économique, de qualité de design et des critères de sûreté qui sont privilégiés, la taille ne jouant que pour une faible part.

À l’autre extrême, 10 à 20 % du marché est « spécifique grande taille ». Par exemple, les pays scandinaves donnant des autorisations pour la construction d’un réacteur sur un site, mieux vaut maximiser la puissance de celui-ci. Voilà donc pour la dynamique de marché.

En ce qui concerne les réacteurs de 1 000 MW, je rappelle que la négociation avec la Turquie se déroule sous leadership japonais – il s’agit d’une négociation exclusive Japon-Turquie. Elle a été engagée sur la base de la construction de quatre ATMEA en Turquie. Par parenthèse, monsieur le rapporteur, si les aléas sismiques sont en effet plus importants dans ce pays qu’en Finlande, il existe des moyens d’en protéger les installations !

Nous développons donc l’ATMEA comme une voie complémentaire, également par paliers. D’une façon générale, nous travaillons sur les nouveaux réacteurs avec EDF, pour développer de nouvelles technologies et être capables de proposer des configurations nouvelles tous les trois ou quatre ans. Cette démarche s’applique aussi bien à l’EPR qu’aux 1 000 MW. Comme je l’ai dit, elle consiste à développer des briques technologiques qui viendront améliorer les produits, et ce toujours en partenariat, que ce soit avec le Japon ou avec la Chine.

S’agissant de l’EPR, ce sont plus de 150 ingénieurs qui vont se consacrer à la seule amélioration du design à moyen et long termes. L’effort est comparable à celui consenti sur l’ATMEA, sachant que l’EPR est dans une situation très différente puisque nous pouvons bénéficier du retour d’expérience des plus de 1 000 autres ingénieurs aujourd’hui mobilisés sur les projets d’Olkiluoto, de Flamanville et de Taishan.

Pour bénéficier de la courbe d’expérience dont vous parliez tout à l’heure et pour gagner plus de 25 % sur le coût de l’EPR, il importe aussi de mieux exécuter à design identique – autrement dit, de ne pas refaire les mêmes erreurs que sur les premiers réacteurs. Nous pouvons d’ores et déjà observer des progrès quantitatifs entre Olkiluoto 3 et Taishan : le nombre d’heures d’ingénierie sur notre périmètre chaudière a baissé de 60 % ; nous avons gagné 50 % sur le temps de construction, 40 % sur les temps de fabrication et jusqu’à 65 % sur les délais d’approvisionnement, notamment grâce à l’effet de série constaté chez les fournisseurs et intégré par les autorités de sûreté. Voilà pour le deuxième axe d’amélioration de la compétitivité de l’EPR.

Le troisième a trait au financement. Il est intéressant de noter que, dans le cas de la Turquie, l’exigence de 2 % de taux de rentabilité interne peut représenter jusqu’à 25 % du coût du mégawattheure. Autrement dit, celui-ci, à EPR identique, n’est pas le même avec un financement finlandais à 5 %, un financement britannique à 10 % ou un financement à taux normal en France. C’est pourquoi EDF fait preuve de prudence en matière de chiffres. Il en va de même pour les énergies renouvelables, compte tenu du poids de l’investissement dans le coût du mégawattheure. Il faut donc toujours comparer à hypothèse de rentabilité identique. C’est pour cela que M. Machenaud a bien situé la problématique de l’EPR d’Hinkley Point dans le contexte compétitif britannique pour confirmer que, dans ce cadre, avec les mêmes coûts et les mêmes taux de rentabilité, le nucléaire est bien compétitif vis-à-vis des autres moyens de production comme il l’est dans d’autres pays.

Toujours s’agissant du financement, j’appelle votre attention sur le fait que nos concurrents étrangers bénéficient de financements à l’export dans lesquels les États – Russie, Japon, mais aussi États-Unis – sont prêteurs directs. Cela ne concerne d’ailleurs pas que le nucléaire, mais tous les grands contrats à l’export. Le système d’export français passe, lui, par les banques. Or celles-ci sont sous très forte contrainte de bilan. Aujourd’hui, nos financements ne sont pas compétitifs en Inde – et dans d’autres pays. Les États-Unis, le Japon ou la Russie proposent en effet des financements à 4 % ou 4,5 %, quand nous sommes plus proches de 6,5 % ou 7 %. Cela affecte fortement la compétitivité de nos offres.

M. le président François Brottes. C’est en effet un barrage à l’entrée. Les modèles ont changé : il faut désormais arriver avec le financement pour monter une opération. Ce n’est pas seulement vrai pour le nucléaire, en effet, et il y a là une question cruciale posée à l’Europe.

L’idée selon laquelle nous prenons davantage de risques en développant un réacteur plus puissant – qui a été avancée aussi bien par les représentants de Greenpeace, ce qui paraît logique, que par M. Repussard, ce qui est plus surprenant – vous semble-t-elle pertinente ?

M. Philippe Knoche. Il est difficile d’entamer un débat avec M. Repussard en son absence… Néanmoins, je crois pouvoir dire qu’aucune autorité de sûreté dans le monde ne s’est exprimée en ces termes. L’autorité finlandaise a estimé clairement que la sûreté de l’EPR se situait au plus haut niveau. Dans l’industrie, et dans l’industrie nucléaire en particulier, des moyens adaptés sont pris en présence de risques supérieurs. Ici, le terme source est supérieur – il y a plus d’assemblages de combustible dans le cœur – mais c’est compensé par un ensemble de moyens adaptés. Les systèmes de refroidissement sont ainsi dimensionnés à proportion de ce qu’est le cœur.

En tout état de cause, une autorité de sûreté ne saurait admettre que le niveau de sûreté soit inférieur parce que le réacteur est plus gros.

M. le président François Brottes. Je souhaite également vous interroger sur le grand carénage, en vue cette fois de prolonger l’exploitation du parc existant. AREVA va être fournisseur ou prestataire de services dans ce projet. Le secret des affaires vous contraint sans doute à une certaine discrétion, mais pouvez-vous nous dire si le montant de 55 milliards d’euros qui est avancé vous paraît totalement exagéré ou au contraire conforme à l’ordre des choses, au moins pour la partie qui vous concerne ? C’est un point qui préoccupe beaucoup le rapporteur – mais nous aurons certainement des devis détaillés d’AREVA.

M. Philippe Knoche. Non seulement des devis, mais aussi des factures ! En effet, les travaux ont déjà commencé. Nous avons lancé des fabrications, notamment de générateurs de vapeur ou de gros composants, qui sont liées au grand carénage. Cela étant, AREVA n’est fournisseur que sur un périmètre limité de ce devis. Je ne peux donc vous fournir que des éléments de comparaison internationale – nous intervenons aujourd’hui dans 360 des 430 réacteurs mondiaux et nous avons donc une certaine visibilité sur les programmes d’allongement de la durée de vie des centrales en cours dans le monde. Je puis donc vous dire que 75 % des centrales américaines ont vu leur vie prolongée jusqu’à soixante ans. Cinquante-cinq milliards d’euros correspondraient quasiment à un milliard d’euros par réacteur ; jamais nous n’avons vu de programme d’investissement approchant de ce montant, même en ne prenant en compte que les autorités de sûreté dont le niveau d’exigence est proche de celui, très élevé, de l’ASN.

M. le rapporteur. Certes, mais il me semble que votre analyse mélange plusieurs choses, dont les générateurs de vapeur qui auraient dû être renouvelés au bout de trente ans. Ne pensez-vous pas que si aucun client n’a mis un milliard par réacteur, c’est aussi parce qu’il y a eu un retard dans l’investissement, spécialement en France ?

M. Philippe Knoche. Quand je parle d’un milliard par réacteur, j’inclus bien les générateurs de vapeur. Les États-Unis, où nous avons 50 % de parts de marché, ont remplacé les leurs, couvercles compris. Malheureusement pour nous, un générateur de vapeur – voire deux ou trois – ne pèse pas dans la dépense par réacteur au point de porter celle-ci à un milliard !

M. le rapporteur. C’est la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui a avancé ce coût de 55 milliards.

M. Philippe Knoche. Je ne suis pas en mesure de porter un jugement sur ce chiffre. Je vous indique simplement qu’aucun de nos clients dans le monde n’a dépensé plus d’un milliard d’euros par réacteur, en une seule fois ou sur une plus longue durée.

M. le président François Brottes. L’une des principales questions posées à notre commission d’enquête est justement celle de la pertinence de cette estimation de 55 milliards. C’est pour cela que nous vous posons cette question.

M. Philippe Knoche. Si vous le souhaitez, nous pouvons essayer de vous fournir quelques éléments sur les programmes d’investissement des exploitants qui ont allongé la durée de vie de leurs centrales, par exemple aux États-Unis, qui sont le pays où les chiffres sont les plus facilement accessibles.

M. le président François Brottes. Avec plaisir.

Mme Frédérique Massat. Nous avons été spectateurs de la « guerre froide » entre EDF et AREVA. A-t-elle eu des conséquences sur l’EPR de Flamanville, notamment sur les retards constatés ? La hache de guerre est-elle vraiment enterrée ?

D’autre part, il me semble que des réflexions sont en cours sur les petits réacteurs de 300 MW. Où en sont-elles ?

M. Philippe Knoche. Les relations entre EDF et AREVA ont pu avoir un impact sur l’EPR de Flamanville : au milieu des années 2000, il est possible que le retour d’expérience entre la Finlande et Flamanville n’ait pas été aussi fluide qu’il aurait pu l’être.

M. le président François Brottes. C’est un facteur de retard que nous n’avions pas identifié jusqu’à présent…

M. Philippe Knoche. Dès que nous l’avons pu, nous avons fait en sorte que des ingénieurs d’EDF soient présents sur le chantier d’Olkiluoto, qui est un peu plus avancé que celui de Flamanville. Je ne peux pas vous confirmer que les relations entre EDF et AREVA ont été un facteur de retard pour Flamanville ; je me borne à constater que le retour d’expérience aurait pu être plus fluide.

Je ne suis pas certain que la hache de guerre ait été déterrée, madame la députée. Quoi qu’il en soit, nous travaillons et nous investissons de mieux en mieux ensemble. Nous sommes de plus en plus au diapason sur la façon d’aborder l’export : nous travaillons main dans la main en Arabie saoudite, en Pologne, en Chine. « L’équipe de France » est donc soudée. Hinkley Point en est un excellent exemple : AREVA a fait un effort exceptionnel pour participer au tour de table ; EDF et AREVA étaient ensemble demandeurs de licence ; l’EPR est le seul à être allé au bout du processus de licensing. C’est la preuve que lorsque nos deux entreprises coopèrent, le succès est au rendez-vous, et pas seulement pour des raisons économiques, mais aussi pour des raisons techniques. Tous les concurrents ont abandonné ; seuls AREVA et EDF ont été capables – ensemble – de surmonter les obstacles.

Nous développons aussi des technologies nouvelles. À noter que cette « équipe de France » inclut aussi Gaz de France, qui peut être intéressé par l’ATMEA.

Aujourd’hui, il n’y a quasiment aucune construction de réacteurs de plus petite puissance : le marché est très faible. Il faut donc développer une politique d’offre technologique, ce qui implique des innovations. Nous y travaillons en France, en consortium avec EDF, avec DCNS et avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), mais aussi avec des partenaires internationaux, pour développer des briques technologiques qui permettent de créer un écart (gap) de compétitivité. Aujourd’hui, les petits réacteurs se situent au-delà des fourchettes de coût évoquées pour l’EPR ; nous devons donc travailler à les rendre plus compétitifs. Cela dit, ils ont d’autres avantages ; on peut par exemple envisager des coproductions de chaleur. Il y a certainement des choses à faire et nous investissons. Mais cela reste un sujet plus « amont » que les réacteurs de 1 600 ou de 1 000 MW.

M. le président François Brottes. Il nous reste à vous remercier pour vos réponses. Nous n’excluons pas de vous entendre à nouveau avant la fin de nos travaux.

L’audition s’achève à treize heures quarante.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du jeudi 27 février 2014 à 12 heures

Présents. - M. Bernard Accoyer, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, Mme Françoise Dubois, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Frédérique Massat, M. Patrice Prat, M. Michel Sordi, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, M. Philippe Baumel, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Sylvie Pichot, M. Franck Reynier, M. Éric Straumann