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Deuxième séance du mardi 24 juillet 2012

Présidence de M. Christophe Sirugue,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Harcèlement sexuel

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au harcèlement sexuel (nos 82, 86, 85).

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à Mme Conchita Lacuey.

Mme Conchita Lacuey. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre des droits des femmes, chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est aussi urgent qu’essentiel. Le harcèlement sexuel est un problème de société dont les femmes sont les principales victimes. Il relève d’un comportement d’abus de pouvoir et d’une vision sexiste des femmes. C’est une relation qui traduit avant tout l’expression d’un rapport de domination.

C’est pourquoi mes premiers mots vont à toutes ces femmes qui ont engagé courageusement des actions en justice contre leurs agresseurs et que le Conseil constitutionnel a brusquement interrompues. Cette situation sans recours est injuste et doit guider le législateur, l’objectif étant de définir cet acte, afin de mieux l’appréhender et le réprimer.

Ce ne sera pas suffisant, il faudra aussi faire évoluer les mentalités et les pratiques. Nous devons passer de l’indignation individuelle à la réprobation collective, opérer une véritable révolution culturelle imposant une autre image des rapports entre les hommes et les femmes, basée sur le respect mutuel, et ce, dès le plus jeune âge.

Ce texte est important, car il concerne toutes les catégories sociales, les femmes exposées ayant des profils divers : étudiantes, employées, cadres, professions libérales. On retrouve la même diversité sociologique chez les agresseurs.

Nous devons prêter particulièrement attention aux femmes qui sont dans une situation de vulnérabilité économique, sociale et familiale qui les fragilise d’avantage. Le harcèlement sexuel peut conduire à des démissions, des mutations contraintes, des ruptures de carrière et ses conséquences psychologiques peuvent être très graves : dépression, maladie et parfois suicide. C’est pourquoi il nous faut insister, au-delà de la répression, sur l’accompagnement des victimes et sur le rôle primordial des associations d’aide aux victimes.

L’urgence est de réaffirmer la nécessité de combattre et de sanctionner le harcèlement sexuel et de combler le vide juridique qui résulte de la décision du Conseil constitutionnel, en définissant comme il convient les éléments constitutifs de cette infraction. Cette définition du harcèlement sexuel doit être la plus protectrice possible pour les victimes tout en satisfaisant aux exigences constitutionnelles afin de ne pas encourir une nouvelle censure.

On mesure le désarroi et le sentiment d’injustice que ressentent toutes celles qui avaient eu le courage de prendre la décision, souvent difficile, de porter plainte pour harcèlement sexuel et qui s’étaient engagées dans un long et pénible parcours judiciaire, dans l’espoir que justice leur soit rendue.

Cette loi doit être claire, globale et efficace, mais elle ne suffira pas, à elle seule, à supprimer toutes les situations de souffrances inacceptables. La lutte contre le harcèlement sexuel, et plus largement contre les violences faites aux femmes, nécessite la mise en œuvre d’une politique éducative globale. Les victimes doivent sortir d’un silence assourdissant qui les brise et qui, malheureusement, se transforme souvent en sentiment de honte, de culpabilité.

Donner un cadre législatif efficace est un signe fort pour la société dans son ensemble. La société doit condamner de tels comportements ; les harceleurs doivent être désapprouvés et dépréciés dans leur position sociale dominante.

Comme nous l’affirmons dans la recommandation n° 11 adoptée par la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, « le lieu du travail, plus que tout autre, ne doit plus admettre le harcèlement sexuel comme une pratique tolérée ou faisant l’objet d’un déni général. »

Il est temps de mettre fin à de tels comportements, qui doivent être dénoncés et faire l’objet d’une désapprobation collective. C’est une question de dignité pour la société dans son ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc.

M. Étienne Blanc. Madame la garde des sceaux, madame la ministre, madame la rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, voilà un texte qui, au fil des débats, traduit une belle unanimité au sein de notre assemblée. Rien de plus normal à cela : il s’inscrit parfaitement dans la philosophie de notre droit personnaliste qui vise à protéger celles et ceux qui, confrontés, un jour, à une autorité, sont en situation de faiblesse parce qu’ils demandent à une administration ou à une entreprise, un contrat, un salaire ou une autorisation quelconque.

Notre droit est bâti et ancré sur le respect de la personne. Le texte que vous nous présentez, madame la garde des sceaux, remplit ce devoir d’équilibre entre l’autorité et la subordination, qu’il est souvent difficile d’apprécier et de comprendre.

Avant d’en venir au fond du texte, je voudrais m’exprimer sur la décision prise par le Conseil constitutionnel le 4 mai et qui révèle trois problèmes.

Premier problème : l’instabilité chronique de notre droit. Depuis le 22 juillet 1992, date du premier texte visé dans les considérants du Conseil constitutionnel, qui établit les éléments constitutifs de l’infraction – les ordres, les menaces ou les contraintes – et l’élément intentionnel ou le mobile – la faveur sexuelle –, toute une série d’évolutions législatives a vu le jour. Dans un texte du 17 juin 1998, qui ne fait pas seulement de la sémantique, on a supprimé les termes « donner », « proférer » et « imposer » pour les remplacer par le mot « user », beaucoup plus générique. En opérant ce choix, le législateur de l’époque a cherché à donner plus de marge d’appréciation et de latitude au magistrat. Enfin, la dernière réforme du 17 janvier 2002 pose un principe global sans viser précisément tel ou tel comportement.

Deuxièmement, la censure du Conseil constitutionnel pose un vrai problème à notre droit ; son incitation à toujours plus de précision recèle même un risque de dérive. Madame la garde des sceaux, vous qui êtes une fine juriste, vous savez qu’en étant trop précis, nous pouvons rencontrer deux problèmes. D’une part, on ouvre parfois des brèches, faute d’avoir pensé à tout dans une société qui change : le génie que l’on constate dans les tribunaux correctionnels n’a parfois pas été prévu par le législateur. D’autre part, nous enfermons le magistrat dans des concepts précis en supprimant sa marge de manœuvre, l’empêchant souvent de condamner.

Troisième problème : l’article 62 de notre Constitution et les questions prioritaires de constitutionnalité. Le Conseil peut censurer une disposition qu’il estime ne pas être conforme à notre Constitution mais cet article 62 lui laisse la possibilité de reporter les effets de sa décision afin, justement, de ne pas créer un vide juridique. S’agissant d’affaires qui, dans notre société, sont considérées comme graves, pourquoi cette possibilité n’a-t-elle pas été utilisée ?

On peut même aller plus loin : une personne condamnée sur le fondement des anciens textes – ceux de 1998 ou de 2002 – pourrait saisir le tribunal qui l’a condamnée pour demander une dispense d’inscription à son casier judiciaire, considérant que le texte ayant été annulé, elle ne doit pas continuer à supporter l’opprobre d’une condamnation. C’est une question que je voulais vous soumettre aujourd’hui.

Enfin, je ferai une dernière observation concernant les termes que vous avez utilisés dans l’article 1er. Vous avez souhaité que nous votions sur un concept de « pression grave ». Faut-il la qualifier de « grave » ? Il est parfois des pressions simples s’exerçant sur des personnes particulièrement vulnérables et fragiles. Dans cette hypothèse, on peut imaginer un tribunal correctionnel qui prononcerait une relaxe, considérant que la pression n’est pas suffisamment grave, alors même que les conséquences sur la personne seraient particulièrement lourdes du fait de sa vulnérabilité. J’y vois une imprécision juridique dont je ne souhaite pas, madame la garde des sceaux, qu’elle vous expose à une nouvelle censure du Conseil constitutionnel.

Pour le reste, sur le fond, ce texte doit être adopté par notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre des droits des femmes, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteure, le délit de harcèlement sexuel a été introduit dans notre droit par la loi du 2 novembre 1992 et a même connu une évolution substantielle avec la loi du 17 janvier 2002, dite de modernisation sociale, qui a élargi son champ d’application au-delà des relations de travail.

Cependant, ce délit a été rayé du code pénal par la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 2012, en raison de son libellé évasif contraire aux principes de la légalité des délits et des peines et de clarté de la loi. Il en est résulté un vide juridique justifiant une nouvelle législation de toute urgence.

Il nous appartient, aujourd’hui, de voter la définition de ce qui relève du harcèlement sexuel afin de ne pas le confondre avec une agression sexuelle, sanctionnée plus sévèrement, ou une simple attitude de séduction.

À ce sujet, j’ai tenu, la semaine dernière, dans ma circonscription de Saône-et-Loire, près de Chalon-sur-Saône, conformément à mes engagements de campagne, une réunion, un atelier législatif citoyen. Sur les projets ou propositions de loi particulièrement importants et sur lesquels je m’investis, il s’agit de rassembler le public, les citoyens ordinaires et des personnes particulièrement concernées, en raison de leur profession, de leur engagement associatif ou autre. En 1’occurrence, l’association L’Écluse, qui gère un centre d’hébergement et de réinsertion sociale pour les femmes avec enfants, victimes de violences, a participé à cet atelier.

De cet échange, il est ressorti des réflexions ou remarques que l’on a retrouvées dans nos travaux ou ceux du Sénat, à propos notamment des difficultés d’apporter la preuve des faits de harcèlement, de la solitude et des discriminations rarement combattues.

Au-delà de ces observations, deux points apparaissent clairement. D’abord, se manifeste un réel intérêt pour le projet et l’idée d’un renforcement de la répression du harcèlement sexuel. Les propos entendus – qui ne provenaient pas seulement d’intervenantes – montrent clairement que ces pratiques sont réellement perçues comme intolérables. Leur sanction correspond une tendance lourde de notre société qui ne s’accommode plus de ces comportements portant atteinte à la dignité des êtres humains, en particulier des femmes.

Deuxième point : l’attente est d’autant plus forte en ce qui concerne la vertu dissuasive de ladite loi que la procédure contentieuse est particulièrement incertaine, difficile au regard de la charge de la preuve, longue, douloureuse.