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Commission des affaires européennes

mercredi 3 décembre 2014

17 heures

Compte rendu n° 175

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Audition de M. Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, sur le conseil Affaires économiques et financières (ECOFIN) du 9 décembre

II. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur les contributions des banques au fonds de résolution unique (COM(2014) 710 final – E 9889).

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 3 décembre 2014

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 17 h 15

I. Audition de M. Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, sur le conseil Affaires économiques et financières (ECOFIN) du 9 décembre

La Présidente Danielle Auroi. Monsieur le ministre, je vous remercie, au nom de notre commission, d’avoir répondu favorablement à notre invitation de venir vous exprimer avant la réunion du Conseil des ministres de l’économie et des finances de l’Union européenne, qui doit avoir lieu le 9 décembre. C’est aujourd’hui la troisième audition pré-conseil que nous tenons, dans le cadre de la nouvelle procédure établie d’un commun accord entre le Président Claude Bartolone et le Premier ministre.

Le programme de ce Conseil est particulièrement chargé, comme celui de l’Eurogroupe prévu la veille. Cinq thèmes majeurs doivent être abordés : le plan d’investissement de 315 milliards d’euros, présenté la semaine dernière par la Commission européenne ; le semestre européen, avec l’examen annuel de croissance pour 2015, le bilan de la mise en œuvre de la procédure de suivi budgétaire et économique instaurée par le Six-Pack et le Two-Pack, et l’avis de la Commission européenne sur les projets de budgets nationaux examinés dans le cadre de l’Eurogroupe ; l’union bancaire, avec l’examen du texte précisant les contributions des banques au Fonds de résolution unique que notre commission va examiner à l’issue de cette audition ; la fiscalité, avec la discussion de deux textes, l’un relatif à la taxe sur les transactions financières (TTF) et l’autre à la directive mères-filiales ; le budget de l’Union, avec l’examen du rapport de la Cour des comptes européenne sur l’exercice 2013.

Avant de vous laisser la parole, je vous poserai trois séries de questions. Nous avons pris connaissance avec intérêt des propositions du président Juncker relatives au plan d’investissement. Pour ma part, je ne peux que soutenir le principe même de ce plan, en déplorant toutefois la faiblesse et le côté tardif du financement public mobilisé, et en soulignant que nombre de questions demeurent quant à sa mise en œuvre pratique. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous faire part de votre analyse sur cette initiative de la Commission et ce que nous pouvons en espérer ?

Du point de vue la stratégie, la Banque européenne d’investissement me semble rester très attachée à la notation triple A : va-t-elle enfin se montrer un peu moins frileuse dans son soutien ? Parmi les plus de 2 000 projets dont M. Pierre Sellal, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne, nous disait hier qu’ils étaient déjà proposés, quels pourraient être les premiers sélectionnés ? Le paquet « énergie-climat » va-t-il permettre à la France, très présente dans ce domaine, de présenter des projets concrets ? Par ailleurs, les modalités de gouvernance de ce nouveau fonds d’investissement sont-elles déjà clairement déterminées, et comment la France envisage-t-elle d’y contribuer ? Nous étions hier à Rome, dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Notre inquiétude a été grande de voir que la proposition lituanienne visant à repousser l’assouplissement consistant à ne pas compter les fonds du plan Juncker dans le calcul du déficit était soutenue par certains collègues nordiques, ainsi que par ceux de la Pologne et du Bundestag – mais pas du Bundesrat. Cette proposition a donné lieu à un débat Nord-Sud où le Sud a fini par l’emporter – une fois n’est pas coutume. Pensez-vous que la discussion sur ce point risque d’être aussi rude au niveau des gouvernements ?

Pour ce qui est du semestre européen, nous avons déjà fait plusieurs propositions relatives à l’approfondissement de l’Union économique et monétaire. Deux résolutions ont été rédigées en ce sens, ce qui nous a donné autant d’occasions de débattre, notamment au sujet du Two-Pack. Avez-vous l’impression que le Pacte de stabilité et de croissance va pouvoir être lu autrement, et quelles seront les pistes de réflexion pour améliorer ce semestre européen encore loin d’être clairement intelligible des citoyens et même des députés que nous sommes ?

Enfin, dans le domaine fiscal, vous connaissez mon attachement au projet de taxe sur les transactions financières. Sur ce sujet, quelles sont les perspectives de compromis, qui nous ont paru bien faibles hier, lors de l’audition de Pierre Sellal ? Pensez-vous possible de parvenir, avant la fin de l’année, à une harmonisation suffisante pour que les onze États volontaires puissent partir avec une assiette de référence, ce qui permettrait de remettre sur les rails l’idée de cette TTF ?

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. L’Eurogroupe et le Conseil des ministres de l’économie et des finances de l’Union européenne, qui doivent respectivement avoir lieu lundi et mardi prochain, vont constituer des rendez-vous extrêmement importants, ce qui justifie que j’aie eu à cœur de répondre à votre invitation. D’une part, la situation économique de la zone euro nécessite d’être analysée en vue de lui apporter les corrections nécessaires pour pouvoir bénéficier d’une croissance plus porteuse qu’aujourd’hui, notamment en termes d’emplois. D’autre part, l’installation de la nouvelle Commission constitue un bon moment pour modifier certains angles d’analyse et formuler de nouvelles propositions – je pense notamment au plan Juncker, sur lequel il faut porter un jugement à la fois réaliste et positif.

Je commencerai par rappeler que l’Europe constitue la première zone économique du monde. L’Union européenne a traversé plusieurs crises depuis 2007, à commencer par une crise financière qui n’est pas encore totalement derrière nous, ce qui justifie que nous continuions à travailler sur la régulation des systèmes bancaires. Sur ce point, nous avons déjà bien avancé, avec la mise en œuvre de l’union bancaire. Je me souviens que les banques centrales de tous les pays affirmaient que leurs banques se portaient bien, jusqu’à ce que tout explose en 2008 et qu’elles viennent alors demander l’aide de leurs gouvernements respectifs. Cela ne devrait plus arriver avec la mise en place d’un système de surveillance unique, doté d’un superviseur qui portera un jugement sur l’ensemble des banques européennes ; par ailleurs, avec le Fonds de résolution, les banques se garantiront elles-mêmes contre les aléas de la conjoncture, sans avoir à se tourner vers le budget de leurs États.

La crise financière proprement dite a eu des conséquences économiques et sociales, mais aussi une répercussion sur les déficits publics, qui ont augmenté de façon considérable dans tous les pays : en 2008-2009, la solution – que je ne critique pas, car il n’y en avait sans doute pas d’autre – a consisté à ouvrir les vannes de l’endettement. C’est ce que l’on a appelé la crise de la zone euro, qui a fait craindre à certains pays se trouvant dans une situation particulièrement inquiétante du fait de leur niveau d’endettement et du déséquilibre de leur budget d’être obligés de sortir de la zone euro. Je pense notamment à la Grèce et au Portugal. Ce n’était pas seulement une menace pour eux, mais pour l’Europe tout entière, car dans une zone monétaire, la périphérie n’est jamais éloignée du cœur. Il fallait réagir promptement à cette crise, et c’est ce qui a été fait avec la mise en place d’une discipline budgétaire définie dans le Pacte de stabilité, certes contraignante dans ses mécanismes, mais validée par les différents gouvernements et parlements, notamment en France.

Aujourd’hui, il est permis de se demander si l’application de ces règles dans des conditions inchangées répond de manière satisfaisante à la situation économique, caractérisée notamment par une croissance et une inflation trop faibles, ce qui peut, à la longue, avoir des effets désastreux. Certes, les économies de l’Espagne et du Portugal paraissent aujourd’hui rebondir après être tombées très bas, mais d’autres, notamment celle de l’Italie, continuent de s’enfoncer mois après mois dans la récession. La France se situe exactement dans la moyenne de la zone euro, avec une très faible croissance, de 0,4 %, et une très faible inflation, de 0,3 %, ce à quoi personne ne s’attendait – à la fin de 2013, début de 2014, on tablait sur une inflation un peu supérieure à 1 % – et qui ne constitue pas une bonne nouvelle. Contrairement à une idée assez répandue, si tous les acteurs économiques, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, anticipent une baisse des prix, cela risque de conduire à un blocage de l’économie.

Ma conviction en tant que ministre des Finances et des comptes publics, mais aussi en tant qu’acteur au sein d’un certain nombre d’organismes européens, et par ailleurs européen convaincu, est que cette crise caractérisée par une faible croissance et une faible inflation ne vient pas de nous tomber dessus de façon inopinée, comme cela avait été le cas en 2008 : il s’agit, en fait, d’un phénomène que la Banque centrale européenne analyse avec une grande pertinence depuis mai dernier, et au sujet duquel elle a déjà pris des décisions adaptées et bienvenues, notamment en ce qui concerne le niveau de l’euro – je dois cependant veiller à ne pas dire trop de bien de la BCE, afin de ne pas risquer de porter atteinte à son indépendance. Toutefois, pour utile qu’elle soit, la politique monétaire ne suffit pas, et nous devons nous interroger sur le rythme de consolidation budgétaire à partir d’une analyse de la situation européenne. Procéder ainsi peut paraître aller de soi, mais ce n’est pas le cas. Si les nécessaires mécanismes de discipline budgétaire issus de la crise de la dette publique ont donné lieu à l’établissement d’un calendrier très strict – que certains voudraient voir assorti de sanctions pour les pays qui ne le respecteraient pas à la lettre –, la réflexion qu’il convient de mener au sujet de la situation économique ne se fait pas spontanément : il faut avoir la volonté de l’imposer. Selon moi, la logique veut que l’on procède à une analyse du plan budgétaire au vu du besoin global de la zone euro, et non pays par pays, car dans une zone monétaire commune, les décisions prises par un pays influent forcément sur ses voisins. C’est sans doute l’un des enjeux les plus importants des réunions de la semaine prochaine.

Cela me conduit tout naturellement à la question de l’investissement en Europe, seule question qui vaille si l’on veut éviter un débat totalement vain entre les partisans de l’offre et ceux de la demande. L’investissement, c’est la stimulation immédiate mais aussi la modernisation en profondeur des économies. Ainsi, l’investissement au profit de la transition écologique représente à la fois du travail sur l’ensemble du territoire – ne serait-ce qu’en matière d’isolation thermique – et l’opportunité de profondes transformations structurelles, grâce à la création de nouvelles filières économiques porteuses d’activité. Il permet d’agir non seulement sur le court terme, mais aussi sur le moyen et le long terme, ce qui justifie que nous accueillions favorablement le plan d’investissement de M. Juncker. Il faut s’engager résolument sur cette voie, en ayant en tête l’urgence de la situation de la zone euro, qui oblige à prendre des décisions produisant leurs effets en termes de croissance et d’emploi dès 2015, et non à l’horizon de 2017.

Néanmoins, si ce plan va dans la bonne direction, il doit, à mon sens, être vu comme une base de travail ayant vocation à être améliorée. D’abord sur le plan quantitatif : je ne pense pas tant aux 315 milliards d’euros – il ne s’agit en réalité que de 21 milliards d’euros, dont on attend un effet multiplicateur – qu’au cœur du dispositif, c’est-à-dire à l’argent frais apporté au départ. Ce n’est pas un sujet simple et, pour faire référence au débat que vous avez évoqué il y a quelques instants, madame la présidente, je souhaite que le Sud l’emporte dans la discussion portant sur le montant de l’argent public – qu’il provienne de la Commission, des États ou de la BEI – ayant vocation à être apporté dans le cadre du plan d’investissement : s’il ne s’agit que de fonds recyclés, c’est-à-dire de sommes déjà potentiellement disponibles mais pas encore utilisées, cela n’aura pas beaucoup d’effet.

Nous devons également nous interroger sur les moyens de susciter une moindre aversion au risque de la part de la Banque européenne d’investissement : ne pourrait-elle s’engager sur des projets un peu plus risqués ? S’il ne s’agit que de financer des projets qui l’auraient été de toute façon, car suffisamment rentables, nous n’aurons rien gagné. Sur ce point, il faut que la BEI montre l’exemple aux investissements privés. Un deuxième sujet de réflexion est de déterminer les bons outils pour porter ces investissements. Un troisième, peut-être le plus décisif, est de trouver les moyens permettant de repérer les bons projets – les vrais nouveaux projets, pas ceux qui sont recyclés après avoir précédemment échoué à trouver un financement. Comment faire pour que la Banque publique d’investissement (BPI) et la Caisse des dépôts et consignations chez nous, comme les organismes jouant un rôle équivalent dans les autres pays européens, soient en mesure de repérer non seulement les grands projets, mais aussi les projets plus modestes que recèle le réseau de PME-PMI et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) sur l’ensemble du territoire ? Nous avons demandé à ce que la BEI soit dotée d’une force de frappe, sous la forme d’une équipe projets chargée de repérer le plus rapidement possible, en lien avec les réseaux publics, les meilleurs projets.

Il est prévu, dans le cadre des dispositifs Two-Pack et Six-Pack, d’effectuer un examen de la situation fin 2014, afin de procéder à d’éventuelles modifications courant 2015. Si les mesures relevant d’une stricte discipline budgétaire sont justifiées en leur principe, leur mécanique trop bureaucratique et automatique peine à s’adapter à l’évolution de la situation économique. Il faut lui en donner la capacité, non pas en remplaçant le logiciel d’origine, mais simplement en l’adaptant. Il faut savoir qu’aujourd’hui, c’est à partir de l’évaluation de la croissance potentielle de tel ou tel pays, pratiquée par des gens certainement très compétents, qu’est calculé le déficit structurel. Cette notion est certes intelligente, mais si sa base de calcul est erronée, comment peut-elle donner un résultat juste ? C’est pourtant le critère fondamental retenu par la Commission pour juger de l’évolution des budgets. On voit là que la technicisation des indices rend nécessaire une évolution des règles.

Sur le plan fiscal, comme l’Allemand Wolfgang Schäuble et l’Italien Pier Carlo Padoan, avec qui nous avons rendu publique une lettre écrite conjointement, je souhaite que nous allions plus loin dans la lutte contre l’optimisation fiscale. Il s’agirait en particulier de lutter contre l’optimisation fiscale pratiquée par certaines grandes entreprises décrites comme virtuelles du fait qu’elles exercent leur activité par le biais d’Internet, mais bien réelles quant à leurs bénéfices, qui s’organisent en tirant profit de l’absence de fiscalité dans certains États pour ne plus payer d’impôt du tout. Pendant longtemps, les États-Unis ne se sont pas alarmés de la situation : dans la mesure où les entreprises en question gardaient un pied sur le sol américain, elles continuaient à y être imposées. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : les entreprises concernées ont établi leur domiciliation sur une île des Caraïbes exempte d’impôt sur les sociétés et elles y font remonter les bénéfices de leurs filiales disséminées partout. Du coup, mon homologue américain est aujourd’hui le premier à plaider en faveur d’une harmonisation permettant de lutter contre l’optimisation fiscale. De ce point de vue, le projet BEPS (Base erosion and profit shifting ou érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices), destiné à lutter contre l’érosion des bases fiscales des grandes entreprises, est absolument décisif. Il y a une vraie volonté de progresser dans ce domaine, et je souhaite, pour ma part, que nous adoptions, dans le courant 2015, les principes définis dans ce domaine par l’OCDE à la demande unanime des membres du G20, et ayant vocation à être prochainement complétés par d’autres dispositifs. Nous disposons des bons outils, il ne nous reste plus qu’à passer à l’action, en l’occurrence à l’harmonisation fiscale au sein des pays de l’Union ou, à défaut, de la zone euro.

La question de la taxe sur les transactions financières constitue un sujet très difficile. Si nous sommes nombreux à souhaiter la création de cette taxe, nous le sommes tout autant à considérer que sa mise en œuvre soulèvera de nombreuses difficultés d’ordre pratique. Deux questions se posent : d’une part, cette taxe constitue-t-elle une avancée suffisamment significative pour justifier son adoption ? D’autre part, n’est-il pas dangereux d’adopter une mesure représentant une trop faible avancée ? Pour ma part, je considère qu’une petite avancée est toujours bonne à prendre. Or, depuis des années, sinon des dizaines d’années, certains repoussent le principe d’une telle taxe – autrefois connue sous le nom de taxe Tobin – au motif qu’elle n’a de sens que si elle est mise en œuvre par tous les pays. Évidemment, avec une telle attitude, on repousse indéfiniment l’adoption de la TFF. Dans ce domaine comme dans d’autres, c’est le premier pas qui compte. Je suis donc tout à fait favorable à la mise en place de cette taxe, quitte à ce que cela se fasse progressivement. Ainsi pourrions-nous commencer par une harmonisation de la taxe sur les actions qui existe dans tous les pays, et en particulier du fléchage de son produit vers le soutien au développement des pays les plus pauvres de la planète ou à la transition énergétique. Je me bats pour que, d’ici à la fin de l’année, la Commission nous fasse une proposition, même modeste, qui nous permettrait d’avancer sur la question des actions.

Dans ce domaine, il existe encore certains produits dérivés financiers qui me paraissent extrêmement dangereux : je pense notamment aux CDS (Credit default swap), qui ne sont rien d’autre que des paris sur l’échec d’une entreprise – voire d’un pays –, donnant lieu à une spéculation pouvant avoir pour conséquence la faillite de certaines entreprises pourtant bien portantes. Nous ne devons pas perdre de vue qu’à l’origine, la taxe sur les transactions financières n’avait pas pour objet de rapporter de l’argent mais, en renchérissant le coût de certaines opérations, d’introduire un grain de sable dans des mécanismes financiers à caractère dangereux, afin d’en dissuader le recours. Je pense à des transactions répétées à de multiples reprises au cours d’une même semaine, voire d’une même journée, et pouvant mettre en péril la stabilité financière d’une entreprise ou d’un État. Cependant, il ne faut pas trop renchérir le coût des transactions, certains produits dérivés garantis étant absolument indispensables : ainsi, le fait de se garantir contre l’évolution de la valeur de la monnaie dans laquelle s’effectue une transaction est-il une bonne chose, de même que le fait pour un agriculteur de se garantir contre l’évolution erratique des prix agricoles. Ce n’est que lorsque ce produit dérivé est mis en œuvre à des fins de spéculation, perdant ainsi sa fonction première de sécurisation des marchés et des acteurs économiques, que son utilisation doit faire l’objet d’une régulation. En résumé, je souhaite que tout soit fait pour que la taxe sur les transactions financières puisse entrer en application, même de façon modeste, dès le 1er janvier 2016. Tel est l’engagement pris par onze pays, dont la France. À cet égard, je voudrais rappeler que c’est la première fois que l’on assiste à une coopération renforcée dans le domaine de l’harmonisation fiscale – un domaine souffrant de la règle d’unanimité inscrite dans les traités.

M. Joaquim Pueyo. Le plan d’investissement que vous nous présentez est tout de même compliqué, monsieur le ministre. Alors qu’on commence à peine à comprendre le mécanisme du Fonds européen de développement économique et régional (FEDER), celui du plan d’investissement de 315 milliards d’euros sur trois ans reste difficile à cerner : on s’interroge, en particulier, sur l’origine des 21 milliards d’euros constituant l’investissement initial apporté par le Fonds stratégique. Par ailleurs, on a l’impression que ce plan ne va concerner que les projets d’une certaine importance et que les territoires moyens vont se trouver mis de côté. Vous avez néanmoins dit que le plan pourrait concerner les petits projets.

M. le ministre. Petits par leur coût, pas par leur importance !

M. Joaquim Pueyo. La France va-t-elle contribuer au Fonds stratégique européen, et, le cas échéant, selon quels critères ? Le haut débit, par exemple, fait l’objet non seulement d’un plan national, mais aussi d’un plan régional, d’un plan départemental et parfois d’un plan communautaire, comme c’est le cas sur mon territoire : franchement, il y a de quoi être perdu ! C’est la même chose avec la transition énergétique, qui a déjà donné lieu à l’adoption d’une loi. Pouvez-vous nous préciser ce que le Fonds stratégique va apporter de plus par rapport aux plans déjà mis en œuvre ?

M. Philippe Armand Martin. Il a été dit que la France, l’Allemagne et l’Italie devaient être les fers de lance de la lutte contre l’optimisation fiscale. Pouvez-vous nous indiquer quelles mesures la France entend proposer à ce titre dans le cadre d’ECOFIN, étant entendu que l’adoption rapide d’une directive visant à rendre obligatoire l’échange d’informations sur les transactions hors ligne n’est pas suffisante ?

M. Pierre Lequiller. Je dois vous dire que l’analyse que vous nous avez livrée est loin d’être partagée par tous, monsieur le ministre : de nombreux parlementaires et ministres européens, de gauche comme de droite, sont très inquiets au sujet de la France, qui ne montre pas les signes de rebond que l’on observe pour l’Espagne, par exemple, qui, après avoir pris des mesures importantes, en constate déjà les effets en termes de réduction de son taux de chômage – même si, de ce point de vue, les Espagnols partaient de plus bas que nous.

Pour ce qui est du plan Juncker, j’avoue ne pas comprendre sur quoi repose l’effet multiplicateur que l’on attribue aux 21 milliards d’euros injectés par le Fonds stratégique : j’ai moi-même été banquier, et je ne vois pas en quoi cet investissement va inciter les banques à s’engager également sur des projets. Allez-vous par ailleurs obtenir des Allemands qu’ils augmentent leur programme d’investissement, s’élevant pour le moment à 10 milliards d’euros ?

Il me semble que certains sujets doivent être abordés en amont, car ils ne pourront être réglés du jour au lendemain : je pense notamment à l’harmonisation fiscale, un domaine qui concerne justement Pierre Moscovici, notre commissaire européen. Des propositions ont été faites, notamment par Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy, mais aussi par des personnalités politiques de gauche, en vue d’une harmonisation fiscale, mais chacun sait que nous n’atteindrons pas cet objectif en deux ans, ne serait-ce qu’en raison du principe de souveraineté des États en matière fiscale. La France ne pourrait-elle pas défendre, sur le long terme, une proposition visant à créer une sorte de serpent fiscal, analogue en son principe au serpent monétaire des années 70, dans le cadre duquel nous pourrions nous engager à tendre vers une harmonisation nécessaire non seulement pour combattre les pratiques de certaines entreprises, telle Google, mais aussi pour tenter d’enrayer les phénomènes de délocalisation engendrés par les différences fiscales entre les pays ?

On a beaucoup parlé de la gouvernance de la zone euro, mais a-t-on progressé dans ce domaine où le Président de la République avait promis des avancées ? Avez-vous l’intention de faire des propositions en ce sens dans le cadre des réunions de lundi et mardi prochains ?

Enfin, je veux vous faire part de mon inquiétude au sujet du Royaume-Uni, où il est question d’organiser, d’ici à la fin de 2017, un référendum sur la question de son maintien dans l’Union européenne. J’aimerais savoir si un dialogue a été engagé avec les Britanniques afin de les amener à préciser quels sont leurs souhaits ; s’il n’est pas question de céder à toutes leurs demandes, il serait tout de même préférable de ne pas les laisser partir.

M. Éric Alauzet. Chacun a pu constater que les mesures votées en France contre la fraude fiscale des particuliers, concomitamment à l’entrée en vigueur de la loi américaine FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), ont rapidement produit des résultats remarquables, puisque 30 000 comptes ouverts à l’étranger ont été régularisés – sur une estimation de 150 000, cela représente 20 %, ce qui est loin d’être négligeable. En ce qui concerne la lutte contre l’optimisation fiscale pratiquée par les entreprises, tous les pays, même les plus libéraux, ont affirmé avoir pris conscience de la nécessité d’agir et de mettre en œuvre le plus rapidement possible les mesures du programme BEPS. Il est toutefois permis de s’interroger sur la sincérité de certaines de ces déclarations. En France, par exemple, chaque débat sur ce sujet donne lieu à des mises en garde contre le risque de s’engager sur cette voie avant les autres pays. Pour ma part, je ne pense pas qu’il soit dangereux de montrer l’exemple en prenant des mesures quelques mois avant leur adoption généralisée : ainsi, le fait pour la France de s’engager un peu avant ses voisins européens en matière de reporting bancaire ne lui a-t-il pas nui. En tout état de cause, l’urgence de la situation justifie que certains pays jouent un rôle d’éclaireur afin d’entraîner les autres à leur suite. Dans la mesure où nous ne pouvons guère aller plus loin en matière de baisse de la dépense publique sans risquer de provoquer un effondrement de notre économie, nous sommes obligés d’accroître nos recettes : le BEPS doit donc entrer en vigueur rapidement, et à une échelle significativement productive de recettes.

Par ailleurs, je m’interroge au sujet de l’annonce de la réduction du déficit à 4,1 % : cela signifie-t-il 4 milliards d’euros d’économies ou de recettes supplémentaires, sachant que nous venons de produire un effort de 3,6 milliards d’euros supplémentaires en 2014 ?

Enfin, au sujet des investissements européens, dont on attend un effet de levier sur ceux réalisés en France, je veux souligner que les investissements réalisés dans le secteur de la transition énergétique, à la fois en faveur des économies d’énergie et des énergies renouvelables, ne sont pas des investissements comme les autres. Entendez là, non pas un député écologiste, mais un membre de la commission des Finances : c’est pour des raisons purement budgétaires que ces investissements doivent être au cœur du dispositif, car c’est dans ce secteur que l’on observe les retours sur investissement les plus assurés et les plus rapides. Grâce aux recettes ainsi attendues, les investissements peuvent être plus importants en volume. À mon sens, nous ne devons pas laisser passer l’occasion qui nous est offerte de doper nos investissements dans une période où ils ont tendance à se tasser.

Mme Catherine Quéré. Je suis, moi aussi, très sceptique quant à l’effet multiplicateur que l’on attend du plan d’investissement : pour ma part, je n’y vois qu’un coup de poker. Pour ce qui est de l’instruction des projets, y en a-t-il de prioritaires et qui dispose de la faculté de les activer, notamment dans le domaine de la transition énergétique ?

M. Jacques Myard. Le projet de la BEI est une véritable usine à gaz, ne serait-ce qu’au regard du nombre de fonds qu’il fait intervenir. Par ailleurs, le fait qu’il n’ait pas vocation à produire ses effets avant 2015 ne répond absolument pas à l’urgence de la situation. En économie, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, comme vous l’avez vous-même reconnu en décrivant les effets potentiellement récessionnistes de l’annonce d’une baisse des prix. Quant à l’harmonisation fiscale, ce n’est pas la peine d’en parler : quand nous ne sommes pas même capables de définir la base de taxation, il est vain d’évoquer ce que devraient être les taux. La France, qui accuse toujours les autres pays de faire du lobbying fiscal, devrait commencer par réduire sa propre fiscalité.

Sur le fond, il est évident que la France est en voie de récession, comme toute la zone euro. Quand on entend dire que la situation de l’Espagne, du Portugal et de l’Italie s’est améliorée, c’est archifaux : dans ces pays, le taux de chômage des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans atteint 50 %. Quant à l’équilibre primaire en matière de balance des paiements ou de remboursement de la dette, il ne s’explique pour les États que j’ai cités que par le fait qu’ils n’importent plus et que leurs économies sont atones : c’est la paix des cimetières qui règne –l’Italie, par exemple, n’a toujours pas retrouvé son niveau de PIB de 2007. Un tel constat impose de s’interroger sur l’outil mis en œuvre et sur la zone euro dans son ensemble.

Le multiplicateur de la dépense publique s’établit à 1,6 : quand on coupe 100 dans la dépense publique en période de récession, cela se traduit par une baisse du PIB de 160. C’est tout de même cette politique à la Laval que l’on continue de mettre en œuvre en dépit du bon sens, en confondant déséquilibre budgétaire et perte de compétitivité. Comme vous le savez, la banque d’Angleterre et la FED sont entrées dans une période d’assouplissement quantitatif. La seule solution aujourd’hui réside donc dans la création monétaire, sous la forme d’avances des banques centrales aux États pour des investissements immédiats, et non pas aux calendes grecques, comme avec le plan de la BEI. Malheureusement, l’Allemagne ne l’entend pas de cette oreille et la reine de Prusse continue à faire preuve d’une désolante rigidité dogmatique dans ce domaine. Avec son nouveau programme OMT (Outright Monetary Transactions), la BCE n’a pas vraiment changé de politique : elle rachète sur le marché secondaire des OMT de dettes souveraines, et les banques ne prêtent pas davantage.

Chaque baisse de l’euro profite plus à l’Allemagne qu’à la France, c’est pourquoi cette monnaie est tout à fait inadaptée à notre situation. Nous allons droit dans le mur, et je suis effaré de l’absence de débat sur l’instrument monétaire en France. Alors qu’il a lieu partout ailleurs, notamment au Royaume-Uni et en Italie, chez nous, c’est l’omerta. Mais, à un moment donné, nous serons bien obligés d’ouvrir les yeux.

Enfin, laissez-moi rire quand j’entends qu’on s’émerveille qu’avec l’union bancaire les banques se garantiront elles-mêmes. En réalité, seules 123 banques européennes – essentiellement les plus grandes – ont fait part de leur décision de prendre part à ce dispositif, alors que le danger provient surtout des plus petites, qui risquent de faire sauter le système en détenant des mauvaises créances issues de la titrisation. Les 55 milliards d’euros du Fonds de résolution des crises bancaires ne représentent rien du tout ; qui plus est, notre contribution sera de 16 milliards et s’il fallait recapitaliser, nous devrions payer à hauteur de 31 %. Tout cela, c’est du lip service – du soutien de façade, pour parler français. Ce n’est pas à la hauteur de la crise que nous traversons, et je crains fort que nous ne soyons déjà dans le mur.

Mme Sandrine Doucet. La capacité des banques à prêter, qui conditionne les chances que nous atteignions effectivement les 315 milliards d’euros d’investissements, va aussi dépendre de la qualité des investissements en question, car il faut bien que les banques s’y retrouvent en termes de rentabilité. Comment cette préoccupation va-t-elle se conjuguer avec le souci, pour les territoires les plus éloignés de la croissance, de se doter des équipements qui leur font défaut ?

La Présidente Danielle Auroi. Les sujets que nous évoquons semblent concerner essentiellement le monde politique et financier, alors qu’il serait bon de parvenir à mobiliser l’épargne citoyenne. Pour cela, la commission des Affaires européennes a déjà émis l’idée d’un grand emprunt européen, dont la réalisation ne serait possible qu’avec le soutien de plusieurs États s’accordant pour mettre ce projet en œuvre. Ce grand emprunt vous semble-t-il être, pour reprendre l’expression utilisée par Jacques Myard, une nouvelle usine à gaz ou considérez-vous, comme notre commission, qu’il pourrait avoir une vertu pédagogique et, dès lors, un effet mobilisateur sur les petits projets ?

M. le ministre. Pour ce qui est de l’appréciation de la situation que nous traversons, je suis plutôt d’accord avec M. Myard : une situation dite « à la japonaise », marquée par une trop faible croissance et une trop faible inflation durant une longue période, pourrait effectivement avoir des conséquences gravissimes pour un pays comme la France, se caractérisant par une démographie extrêmement positive, car elle se traduirait par une perte de valeur significative par habitant. Avec sa population en diminution, l’Allemagne ne serait pas confrontée à la même difficulté, même si elle avait le même taux de croissance que nous. Sortir de cette phase de faible croissance constitue donc un enjeu essentiel pour notre pays.

Pour ce qui est des inquiétudes exprimées par certains au sujet de la France, je comprends que notre pays, qui occupe la deuxième place au sein de la zone euro, attire davantage les regards que l’Italie, l’Espagne, le Portugal ou la Grèce : c’est la contrepartie de l’importance qu’a notre pays aux yeux des Européens, en particulier de ceux qui, comme vous et moi, sont partisans d’une Europe forte. Quand la France ou l’Allemagne vont mal, comme cela a été le cas pour nos voisins d’outre-Rhin que le choc de la réunification a confrontés à d’importants déséquilibres, notamment budgétaire, c’est toute l’Europe qui souffre. C’est d’ailleurs un lien tout à fait particulier qui unit, en dépit de leurs différences, nos économies respectives depuis la création de l’euro il y a désormais plus de vingt ans – une monnaie qui a beaucoup aidé notre pays à surmonter les difficultés qu’il a traversées ces dernières années.

M. Jacques Myard. Je ne vois pas en quoi l’euro nous a aidés !

M. le ministre. Notre responsabilité consiste évidemment à faire en sorte de garder la maîtrise de la situation, en particulier des déficits. De ce point de vue, la position que défend le gouvernement français est très claire : le rythme de consolidation budgétaire, c’est-à-dire de diminution des déficits, doit être plus lent que certains ne le souhaitent. Admettre que nous n’atteindrons pas les 3 % de déficit en 2015, mais seulement en 2017, me vaut des critiques ; or cela correspond à la trajectoire de réduction des déficits que nous avons définie, et à laquelle je suis attaché. Je ne dis pas qu’il faut augmenter les déficits, comme cela a été le cas au cours des années 2007 à 2009, marquées par une explosion des déficits et des dettes, mais simplement que les déficits doivent diminuer à un rythme compatible avec le soutien à la croissance. Certains, notamment au sein de la Commission européenne, veulent nous faire croire que la situation budgétaire consolidée de la zone euro est neutre, ce qui est censé justifier la poursuite de politiques restrictives ; je considère que c’est faux, et qu’en continuant à mener ces politiques restrictives au niveau européen, nous ne parviendrons pas à retrouver le chemin de la croissance.

Les questions relatives à la gouvernance de la zone euro sont très importantes, mais ne concernent pas seulement le ministre des finances que je suis. Il faut veiller à ce que la zone euro ne soit pas perçue que comme un gros chiffre, traduisant le décalage entre nos ambitions et la compréhension par nos peuples des politiques mises en œuvre. Leur soutien à ces politiques est déjà bien ténu. Nous devons faire un effort de simplification, car certains mécanismes sont beaucoup trop compliqués et gagneraient à être revus dans le sens d’une simplification et d’une amélioration de leurs capacités d’adaptation.

Nous devons également chercher à personnaliser la zone euro. Jusqu’à présent, le président de l’Eurogroupe a toujours été le ministre des finances de son pays d’origine, ce qui n’est sans doute pas une bonne chose car, au sein de l’Eurogroupe, on est toujours perçu comme le défenseur des intérêts du pays auquel on appartient. Ainsi, si j’affirme que nous devons adapter le rythme de diminution des déficits dans l’ensemble de la zone euro, on va immédiatement m’accuser de défendre cette position parce qu’elle correspond à la situation de la France. Toute la difficulté consiste à resolidariser les économies afin de parvenir à une vision globale, préalable à un dialogue singulier avec chacun des pays.

M. Jacques Myard. Le problème vient du fait que l’on a artificiellement plaqué une monnaie unique sur des économies divergentes !

M. le ministre. Notre objectif doit précisément consister à réduire les divergences, et même à faire en sorte que les différentes économies européennes finissent par converger. C’est tout l’enjeu de l’harmonisation fiscale. Sur ce point, si je comprends le concept de serpent fiscal, je ne pense pas qu’il puisse être mis en œuvre concrètement : je crois plutôt que nous devons procéder à une harmonisation par paquets, c’est-à-dire en prenant les sujets les uns après les autres.

Je suis favorable à ce que l’on harmonise les assiettes en laissant chaque État décider, par exemple, du taux d’impôt sur les sociétés qu’il entend appliquer. Procéder de la sorte permettrait d’ailleurs de constater que le taux d’IS de la France n’est pas si élevé que l’affirment certains. La première chose à faire est d’avancer sur le programme BEPS et sur les propositions que j’ai faites avec mes collègues allemand et italien – des points sur lesquels nous sommes d’accord à la fois entre nous et avec nos peuples. L’opinion ne conçoit pas, par exemple, qu’une grande entreprise du numérique ne paye pas d’impôt, surtout quand elle produit du bénéfice au moyen de publicités pour des produits français. Or le bénéfice se fait aussi sur le bon fonctionnement de la société, de notre économie et de nos services publics.

La directive mères-filiales, que j’ai évoquée tout à l’heure, a pour objet d’éviter que ne s’opèrent certains transferts dans des conditions beaucoup trop avantageuses pour les entreprises qui les effectuent. Ainsi, la pratique de la patent box ou boîte à brevet, consistant pour une entreprise à faire en sorte que la rémunération de ses brevets relève d’un pays fiscalement avantageux, doit-elle être combattue. Un autre moyen de combattre l’optimisation fiscale est l’échange d’informations : imposer une transparence absolue et obligatoire sur les avantages fiscaux que chaque administration accorde à telle ou telle entreprise – tel le tax ruling pratiqué au Luxembourg, dont on a beaucoup parlé récemment – aurait sans aucun doute un considérable effet dissuasif. À mon sens, l’harmonisation fiscale passe d’abord par l’harmonisation dans le domaine économique et financier. Après l’union monétaire et l’union bancaire, il est question de parvenir à une union des marchés de capitaux : c’est là un objectif qu’il est effectivement indispensable d’atteindre si nous voulons être en mesure de financer la croissance de notre économie, en permettant à nos entreprises de s’adresser aux marchés financiers dans des conditions sécurisées. Mais une union des marchés de capitaux dans la zone euro ne peut fonctionner si nous conservons des fiscalités divergentes : il sera nécessaire de procéder à une harmonisation dans ce domaine, et cela fait partie des propositions que soutient actuellement la France.

Si nombre d’entreprises et de collectivités locales éprouvent le besoin urgent de trouver des financements complémentaires pour leurs projets, le plan Juncker ne saurait constituer la réponse à tous les besoins d’investissement. En la matière, chaque pays doit assumer ses propres responsabilités pour faire en sorte que l’investissement public se maintienne, voire retrouve son niveau d’antan. Ainsi, même sans prendre pour référence la période exceptionnelle d’investissement qu’elle a connu pour la reconstruction de l’Allemagne de l’Est à la suite de la réunification, l’Allemagne a vu le niveau de ses investissements publics diminuer considérablement au cours des dernières années.

Cela dit, dans toute l’Europe, c’est aussi et surtout l’investissement privé qui s’est effondré. L’objectif poursuivi par le plan Juncker est donc d’obtenir, à partir d’une mise de capitaux garantis publiquement, le déclenchement d’investissements privés. Certes, encore faut-il que les projets nécessitant des investissements présentent une certaine rentabilité, mais chacun sait qu’une garantie publique facilite considérablement la mise au pot des investissements privés : c’est bien là le mécanisme sur lequel repose le plan Juncker, qui n’a pas vocation à financer des projets qui auraient été financés de toute façon. Convenons que la Commission, installée début novembre, n’a pas chômé durant son premier mois d’exercice, en formulant de nombreuses propositions. Il nous revient maintenant de compléter et de préciser tout ce qui se trouve sur la table, ne serait-ce que pour éviter de susciter de faux espoirs. Les petits projets peuvent, tout autant que les grands, avoir vocation à bénéficier du plan Juncker, sous réserve qu’ils remplissent les conditions pour y être éligibles : je pense tout particulièrement aux projets relatifs à la transition énergétique, non seulement en raison de leur intérêt écologique, mais aussi parce qu’ils représentent un important gisement d’emplois et peuvent procurer une rentabilité élevée.

Le plan Juncker va nécessiter l’adoption d’un règlement ; il devra faire l’objet de délibérations au Parlement européen et au Conseil, et donner lieu à des trilogues entre la Commission, le Conseil et le Parlement, toutes choses qui vont forcément prendre du temps, alors qu’il y a urgence à ce que cet outil – qui n’est heureusement pas le seul dont nous disposions – soit mis au service d’une croissance plus forte. Nous devons tout faire pour favoriser une croissance génératrice d’emplois. Comme l’a dit M. Myard, l’Espagne continue à présenter un taux de chômage élevé : elle en est encore à plus de 11 %. Dans le cadre du sommet franco-espagnol qui s’est tenu il y a quelques jours, mon homologue espagnol s’est déclaré très inquiet sur l’avenir, évoquant le risque d’une troisième dépression. Pour sa compétitivité, l’Espagne dépend beaucoup de ce qu’elle vend en dehors de ses frontières. Or, si ses voisins européens conservent de faibles rythmes de croissance, c’est sa propre capacité de rebond qui se trouve remise en cause. Comme on le voit, même des pays qui sont encore loin d’avoir retrouvé leur niveau de PIB de 2007 s’inquiètent de la situation actuelle, et rejoignent la volonté s’exprimant au niveau européen de voir bouger les choses. Plutôt que d’invectiver nos amis allemands ou de me lancer dans de grandes diatribes, je suis favorable ce que soient prises des mesures très constructives, très concrètes, partant d’une analyse réaliste de la situation économique de l’Europe et de la France – qui est peut-être le pays le plus « dans l’Europe », si j’ose dire. Nous sommes ainsi à la fois le reflet et l’acteur, au sein de la zone euro, d’une situation économique difficile, mais sur laquelle nous pouvons influer.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, Monsieur le ministre, de nous avoir largement éclairés. Nous serons très intéressés par ce que vous pourrez nous dire au retour des deux réunions qui vont avoir lieu la semaine prochaine.

II. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur les contributions des banques au fonds de résolution unique (COM(2014) 710 final – E 9889).

La Présidente Danielle Auroi. Compte tenu d’un empêchement de notre collègue Christophe Caresche, je me substitue à lui aujourd’hui pour vous présenter la proposition de règlement d’exécution du Conseil qui précise les modalités de fixation des contributions des banques au Fonds de résolution unique. Il s’agit d’un sujet important que nous sommes appelés à examiner en urgence, compte tenu de l’examen de ce texte par le Conseil Affaires économiques et financières le 9 décembre prochain et de sa transmission tardive à notre Commission.

Je vous rappelle que le Fonds de résolution unique peut être mobilisé dans le cadre d’une procédure de résolution, après la mise à contribution des actionnaires et créanciers de l’établissement concerné. Financé par des contributions du secteur bancaire, ce Fonds doit être doté, dans un délai de 8 ans à compter du 1er janvier 2016, de moyens financiers représentant au moins 1 % du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements participant au mécanisme de résolution unique. La cible s’établit ainsi à 55 milliards d’euros environ.

Il est en outre prévu une procédure de mutualisation progressive des ressources qui lui sont apportées, par l’intermédiaire de compartiments nationaux qui, au terme de la période transitoire de 2016 à 2023, seront totalement fusionnés.

Sur la base du principe posé par le règlement créant le mécanisme de résolution unique et la directive harmonisant les procédures de résolution au sein de l’Union – principe selon lequel la contribution de chaque établissement aux fonds de résolution (Fonds de résolution unique pour les États relevant du Mécanisme de résolution unique, fonds nationaux pour les autres) dépend de sa taille ainsi que de son exposition au risque – la proposition de règlement d’exécution précise la méthode de calcul des contributions au Fonds de résolution unique.

Elle tient en particulier compte du fait que le passage d’un mécanisme de contribution nationale à un mécanisme mutualisé n’est pas neutre pour les États. En effet, selon que la cible de 1 % des dépôts est appréciée au niveau national ou au niveau européen, l’impact sur les contributions n’est pas le même compte tenu des spécificités des secteurs bancaires nationaux.

Ainsi, selon la Commission européenne, 5 États devraient contribuer davantage dans le système européen que dans le système national : la France, le Luxembourg, l’Irlande, la Finlande et l’Italie. Les autres États seraient en revanche gagnants, en particulier l’Espagne et la Belgique, la situation de l’Allemagne étant légèrement positive

Dans le cas français, l’appréciation au niveau national conduit en effet à une contribution globale d’11 milliards d’euros, soit une contribution de 20 % au Fonds ; tandis que l’appréciation au niveau européen aboutit à une contribution supérieure à 17 milliards d’euros, soit 31 % du Fonds.

Aussi, la présente proposition de règlement d’exécution suggère-t-elle une introduction progressive de la « cible européenne » de financement, en la calquant sur le dispositif de mutualisation graduée des ressources du Fonds. Elle distingue donc une composante nationale et une composante européenne, la part de la première diminuant progressivement au profit de la seconde.

Ce mécanisme de mise en œuvre progressive présente l’avantage d’atténuer l’impact du passage d’une cible appréciée au niveau national à une cible appréciée au niveau européen. Pour les banques françaises, cela conduit à une contribution de l’ordre de 15 milliards d’euros, soit 27 % du Fonds.

Grâce à ce mécanisme, les contributions françaises et allemandes devraient être du même ordre de grandeur.

Pour autant, si, à l’issue de la période transitoire, le Fonds devait être intégralement reconstitué, la contribution des banques françaises s’établirait à 31 %.

Selon nos informations, plusieurs États membres de la zone euro, dont l’Autriche et le Portugal, ainsi que la Pologne et la Hongrie seraient défavorables au mécanisme ainsi proposé, tandis que la France en soutient le principe.

Il est donc proposé à la Commission d’approuver la proposition en l’état des informations dont nous disposons aujourd’hui.

M. Jacques Myard. Ce Fonds est une grave erreur, notamment parce que l’union bancaire est complètement illusoire. En effet, d’une part, les 55 milliards d’euros de dotation du Fonds seront insuffisants en cas de crise et, d’autre part, les petites banques ne sont pas concernées. Or, je vous rappelle que la crise de 2008-2009 aux États-Unis a été déclenchée par les difficultés d’une petite banque.

Avec la mise en place de ce Fonds, nous allons payer pour les pays du Sud dont certaines banques présentent des fragilités. Nous allons tout simplement renouveler l’histoire des emprunts russes !

Je me prononce donc contre cette proposition de texte, mais le coup est déjà parti.

La Présidente Danielle Auroi. Il est vrai que le fait que les petites banques ne soient pas concernées par le mécanisme de surveillance unique constitue un vrai sujet de préoccupation. Il n’en demeure pas moins de l’union bancaire est un premier pas très important.

La Commission a approuvé à l’unanimité, moins un vote contre, la proposition de règlement COM(2014) 710 final – E 9889.

La séance est levée à 18 h 35

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 3 décembre 2014 à 17 heures

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Sandrine Doucet, M. Jean-Patrick Gille, M. Pierre Lequiller, M. Philippe Armand Martin, M. Jacques Myard

Excusés. - M. Philip Cordery, Mme Chantal Guittet, Mme Sophie Rohfritsch

Assistaient également à la réunion. - M. Éric Alauzet, Mme Catherine Quéré