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Commission des affaires européennes

mercredi 11 mai 2016

16 h 30

Compte rendu n° 279

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Examen du rapport d’information de Mme Marietta Karamanli et Charles de La Verpillière sur la proposition de règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (COM (2015) 671 final) 

II. Examen du rapport d’information de Mme Marietta Karamanli et Charles de La Verpillière sur le projet d’accord Union européenne-États-Unis pour la protection des données (« Privacy Shield »)

III. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 11 mai 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

I. Examen du rapport d’information de Mme Marietta Karamanli et Charles de La Verpillière sur la proposition de règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (COM (2015) 671 final) 

La Présidente Danielle Auroi. Nous allons entendre nos collègues Marietta Karamanli et Charles de La Verpillière qui vont nous exposer les principaux points du projet de règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes.

M. Charles de La Verpillière, co-rapporteur. Le Parlement européen devrait adopter en juin prochain le règlement instituant un corps européen de garde-frontières qui renforce considérablement les missions et les moyens de l’Agence Frontex pour parvenir à une gestion intégrée des frontières extérieures de l’Union européenne.

Marietta Karamanli vous présentera le texte proprement dit et pour ma part je voudrais faire le point sur la question des réfugiés en remontant quelques années en arrière. Vous verrez que les sujets du droit d’asile, de la crise migratoire et par conséquent la gestion des frontières extérieures de l’Union, vont devenir le premier sujet de préoccupation des institutions européennes et même représenter une menace pour la cohésion de L’Union européenne.

On peut distinguer six étapes, les dernières se succédant à un rythme de plus en plus rapide, sous la pression des événements.

La première étape dans les années 90 est bien entendu la mise en place de l’Espace Schengen, succès considérable et emblématique en ce qu’il supprimait les frontières intérieures mais Schengen n’avait pas innové en ce qui concerne les frontières extérieures. Encore aujourd’hui, les États membres ont une compétence souveraine sur les frontières extérieures, assistés, il est vrai, par l’agence Frontex.

Il aura fallu la crise migratoire qui a vu affluer plus de un million et demi de personnes ayant franchi irrégulièrement les frontières en 2015, pour qu’on prenne conscience de ce qui a posteriori apparaît comme une évidence : la décision de partager un espace commun de libre circulation ne peut se concevoir sans un contrôle efficace des frontières extérieures.

La preuve en est que la crise migratoire aux portes de l’Europe, a eu pour conséquence la réintroduction, en principe temporaire ; des contrôles à certaines frontières intérieures, voire même leur fermeture.

La deuxième étape a été en 2013 lorsque nous avons manqué de clairvoyance pour anticiper ces flux migratoires, lors de la réforme du paquet asile.

Le principe selon lequel il revient au pays où est arrivé le migrant, de statuer sur sa demande d’asile même si le migrant n’a fait que transiter dans ce pays de premier accueil n’a pas été remis en cause. Or il est inadapté à l’arrivée massive de migrants dès lors que tout le poids repose en fait sur deux États : la Grèce et l’Italie.

En soulignant ce manque d’anticipation, je veux faire preuve d’humilité car membre de la Commission des affaires européennes à ce moment-là, je n’ai pas été plus lucide que d’autres pour prévenir cette crise.

Dans un troisième point, je voudrais souligner que si l’Union européenne n’a pas engagé de réforme de fond, elle a cependant fait face à l’urgence en adoptant des mesures pragmatiques.

Face à cette situation d’urgence, l’Union européenne a apporté des réponses en renforçant tout d’abord ses opérations de sauvetage en mer des migrants, avec l’opération Triton à partir de novembre 2014, pour prendre la relève de l’intervention Mare Nostrum, initiée par l'Italie ; puis pour renforcer la lutte contre les passeurs, a été lancée l’opération Sophia en juin 2015, avec l’approbation du Conseil de sécurité des Nations Unies (résolution 2240 du 9 octobre 2015).

L’efficacité de ces opérations Mare Nostrum, Triton, Sophia, est néanmoins limitée par un principe fondamental celui du non refoulement des demandeurs d’asile.

Au-delà de ces actions opérationnelles, la Commission a en effet présenté un agenda européen sur la migration en avril 2015 et a mis en place un schéma de répartition intra européenne des demandeurs d’asile, les hotspots étant chargés du premier accueil des réfugiés.

Ces mesures sont fondées sur l’article 78§3 TFUE(1) qui permet dans une situation d’urgence migratoire, de prendre des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés.

Les États membres de premier accueil se voient ainsi aidés dans la prise en charge immédiate des migrants, lesquels peuvent ensuite être redéployés vers les territoires d'autres États membres. Au 1er février 2016, on dénombre six hotspots en Italie avec une capacité totale d'accueil de 2 100 personnes, et cinq hotspots en Grèce avec une capacité totale d'accueil de 6 229 personnes.

L'importance de ces hotspots, qui sont en réalité des centres d'enregistrement et de triage, ne doit pas être minorée : ils sont la seule réponse qui semblait possible face à l'ampleur du phénomène, là où le jeu ordinaire des règles européennes de Dublin III ne pouvait offrir de solution. Néanmoins en pratique, ils font reposer sur la Grèce et l’Italie la charge du premier accueil.

Le schéma de relocalisation a, quant à lui, fait l'objet de deux décisions du Conseil adoptées sur le fondement de l'article 78, § 3 TFUE précité. La décision du 14 septembre 2015, prévoit ainsi la relocalisation, à travers les États membres de l'Union, de 40 000 personnes se trouvant en Italie ou en Grèce (art. 4), sous réserve qu'elles aient introduit une demande d'asile dans l'un de ces deux États et qu'elles proviennent d'un État pour lequel le taux de reconnaissance de protection est supérieur ou égal à 75 % (art. 3), ce qui permet de ne pas réduire le mécanisme aux seuls ressortissants syriens, même s'ils en sont les premiers bénéficiaires. La décision du 22 septembre 2015 prévoit une relocalisation pour 120 000 personnes supplémentaires (art. 4), avec une clef de répartition par État membre fondée sur des critères socio-économiques ((). Ces mesures provisoires, qui prévoient la relocalisation de 160 000 personnes au total, sont applicables jusqu'en septembre 2017, soit pour deux années (art. 13, § 2).

Si ces mesures provisoires de relocalisation peuvent paraître constituer la solution la plus efficace, leur mise en œuvre n'est pas à la hauteur des espérances. Selon les chiffres rendus publics par l'Union européenne elle-même, au 3 mai 2016, seules 1 440 personnes avaient effectivement pu bénéficier du mécanisme de relocalisation, sur les 160 000 prévues. Elles étaient réparties au sein de 18 des États membres – la France ayant accueilli ainsi, à cette date, 499 demandeurs d'asile venus d'Italie et de Grèce.

Tout récemment l’accord avec la Turquie a marqué une quatrième étape.

Compte tenu de la position stratégique de la Turquie qui conduisait de nombreux passeurs à convoyer à partir des côtes turques des embarcations de réfugiés jusqu’aux îles grecques, il a été décidé par l’Union Européenne de signer le 18 mars 2016, un accord avec la Turquie pour tenter de mettre fin à ces flux clandestins.

Je vous en rappelle les données essentielles :

Tous les nouveaux migrants en situation irrégulière partis de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016 devraient être renvoyés en Turquie. La Commission a souligné que ces retours se feront en totale conformité avec le droit de l'UE et le droit international, excluant ainsi toute forme d'expulsion collective. Tous les migrants seront protégés conformément aux normes internationales applicables et dans le respect du principe de non-refoulement.

Ainsi, les migrants arrivant dans les îles grecques seront dûment enregistrés et toute demande d'asile sera traitée individuellement par les autorités grecques conformément à la directive sur les procédures d'asile, en coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les migrants ne demandant pas l'asile ou dont la demande d'asile aura été jugée infondée ou irrecevable conformément à la directive seront renvoyés en Turquie.

La Turquie et la Grèce, avec l'aide des institutions et agences de l'UE, ont pris les mesures législatives nécessaires pour respecter les conditions de retour des réfugiés en respectant les exigences de la Convention de Genève. Côté turc, la situation juridique n’est cependant pas très claire. Après quelques réticences, la Turquie a adopté début avril une législation permettant d’accorder une protection temporaire aux ressortissants syriens. La situation juridique des autres réfugiés n’est pas clairement définie en dépit des assurances de la Turquie de leur offrir les mêmes garanties.

L’accord prévoit par ailleurs que pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies.

La priorité sera donnée aux migrants qui ne sont pas déjà entrés, ou n'ont pas tenté d'entrer, de manière irrégulière sur le territoire de l'UE.

Le premier bilan de mise en œuvre de cet accord a fait l’objet d’une Communication de la Commission Européenne le 20 avril 2016.

En tout, 385 personnes entrées clandestinement après le 20 mars et n'ayant fait aucune demande d'asile après cette même date ont été renvoyées de Grèce vers la Turquie. À ce jour, ce sont 1 292 migrants au total qui ont été renvoyés en 2016 dans le cadre de l'accord bilatéral de réadmission entre la Grèce et la Turquie, la plupart des opérations de retour ayant eu lieu en mars.

En contrepartie, 103 Syriens ont été admis dans le cadre de la réinstallation prévue par cet accord et ont pu gagner l'Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède dans un cadre légal.

Cependant, la Grèce doit faire un effort considérable pour gérer les réfugiés qui sont arrivés dans les différents hotspots et qui y sont retenus durant la période d’instruction de leur demande d’asile. La situation est assez critique et les hotspots sont devenus des centres de rétention qui sont largement saturés.

Cet accord avec la Turquie pose de multiples problèmes juridiques et politiques. Les ONG et le HCR font valoir aussi par exemple que la Turquie ne peut être considérée comme un pays tiers sûr compte tenu du sort qu’elle réserve à certaines minorités dans sa propre population. La Grèce a elle aussi fait l’objet de plusieurs décisions de jurisprudence défavorables de la part de la Cour de Justice estimant que les défaillances de cet État dans l’instruction des demandes d’asile rendaient impossible le renvoi de certains migrants dans ce pays en application de la Directive Dublin III qui prévoit que c’est le pays de premier accueil qui doit instruire la demande d’asile.

Les contreparties accordées à la Turquie à savoir la libéralisation du régime des visas pour les citoyens turcs pour autant que tous les critères de référence soient respectés et la relance du processus d’adhésion de ce pays à l’Union européenne, ont été considérées comme très, voire trop, favorables d’autant plus que l’Union s’est engagée à verser une somme de trois milliards pour l’accueil des réfugiés en Turquie et assurera le financement d'autres projets en faveur de personnes bénéficiant d'une protection temporaire dans ce pays. Le 4 mai dernier, la Commission a donné son accord pour la levée de l’obligation de visas pour les citoyens turcs sous réserve de derniers ajustements de la part de la Turquie. Mais le Président Erdogan ne souhaite pas modifier sa législation antiterroriste que l’Union européenne trouve trop extensive. L’accord sur les réfugiés pourrait être remis en cause suite à ce désaccord politique.

Même s’il semble fragile, cet accord semble au moins avoir dissuadé les passeurs, la Turquie ayant depuis montré plus de rigueur dans sa surveillance de ses côtes. Il est incontestable que les flux d’arrivées en Grèce se sont taris. Selon le HCR, du 1er au 23 avril 2 987 personnes sont arrivées alors que le chiffre était de 26 971 en mars, ce qui correspond à une arrivée journalière de 130 personnes contre 870 en mars.

Bien évidemment la grande inconnue demeure de savoir si les passeurs ne vont pas réorganiser les routes migratoires en passant par la Crète par exemple ou par la Libye.

Un cinquième aspect de la question migratoire porte sur le renforcement du dialogue avec les pays tiers d’où proviennent la majorité des migrants qu’ils soient des migrants économiques ou des réfugiés.

À ce titre il faut rappeler les engagements pris au Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015 sur les migrations. Il a été prévu la création d’un fonds d’aide à l’Afrique qui devrait, à terme, être porté à 3,6 milliards d’euros. Le plan d’action vise notamment à s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés de populations ; à intensifier la coopération concernant les migrations et la mobilité légale ; à prévenir la migration irrégulière, et à coopérer plus étroitement en matière de retour.

La Commission européenne considère que l’Union doit veiller au respect, par les pays tiers, de l’obligation internationale qui leur incombe de reprendre en charge leurs propres ressortissants en séjour irrégulier en Europe mais il faudrait que cette position se traduise en actes concrets. Il faudrait ainsi renforcer le lien entre partenariat économique avec ces pays d’origine des migrations et l’amélioration de la délivrance de laissez-passer consulaires.

Cette question est très importante dans une optique de moyen terme car l’Union européenne sera confrontée durant plusieurs années à ces flux migratoires. Elle a donc tout intérêt à lier aide au développement pour prévenir certaines formes d’immigration économique et régulation de l’immigration légale de travail.

Enfin, j’en arrive à mon sixième point qui porte sur la réforme du droit d’asile. Je ne dirai que quelques mots de la récente proposition de la Commission européenne concernant la réforme de l’Asile, la crise des réfugiés ayant démontré que le paquet asile de 2013 était totalement inadapté.

Alors que dans une Communication du 4 avril 2016, elle présentait des solutions alternatives, dont une très novatrice pour un régime d’asile géré entièrement par l’Union européenne avec un mécanisme permanent de quotas de réfugiés par pays, la Commission a finalement opté pour une révision plus limitée.

Le système restera fondé sur le principe d’instruction des demandes d’asile par le pays de premier accueil mais grâce à un mécanisme de répartition correcteur, un pays confronté à un nombre disproportionné de demandes d’asile pourra être aidé (mécanisme dit d’équité). La proposition prévoit un mécanisme de redistribution des demandeurs d'asile en cas de dépassement d'un chiffre « limite ». Ce chiffre de référence est établi pour chaque pays, selon sa taille et sa richesse. Le système prend également en compte le nombre de personnes en demande de protection issues d’un pays tiers et déjà admises dans l’État membre considéré.

Le palier est franchi lorsque les demandes dépassent 150 % du seuil de référence. Dans ce cas, toutes les personnes pouvant prétendre à l’asile seront automatiquement réparties dans l’Union, quelle que soit leur nationalité.

Si un État membre refuse participer à ce mécanisme, il devra verser une contribution de solidarité de 250 000 euros pour chaque demandeur dont il aurait autrement été responsable en vertu du mécanisme d'équité, au profit de l’État membre de relocalisation.

Il est probable que ce mécanisme de localisation remplacera celui défini par la Commission en septembre 2015 qui serait donc ainsi simplement annulé sans avoir d’ailleurs été respecté par les États membres.

La Commission entend aussi imposer de nouvelles obligations aux demandeurs d’asile qui ne pourront choisir leur pays d’installation et qui devront rester dans le pays de dépôt de la demande d’asile durant le temps de son instruction afin de limiter les mouvements secondaires de flux de migrants à l’intérieur de l’UE.

Pour gérer tout cela, le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) va être transformé en une Agence composée d'au moins 500 experts. Elle sera chargée « d’appliquer les nouvelles règles, de favoriser les échanges et la coopération entre les États membres, de veiller à la bonne répartition des réfugiés ».

La Commission prévoit également « l'adaptation et le renforcement » du système Eurodac pour faciliter la politique de « retour » et mieux lutter contre l’immigration illégale.

Il est peu probable que cette réforme limitée du droit d’asile suffise à rendre les politiques des États membres homogènes même si la Commission a annoncé vouloir harmoniser davantage les règles d’attribution du statut de réfugié et éviter que certains États soient plus attractifs que d’autres.

C’est pourquoi elle a annoncé qu’elle proposerait deux nouveaux règlements pour remplacer les deux directives actuelles (la première sur les procédures d’asile et la deuxième sur les critères de l’asile). Elle apportera en outre des modifications ciblées de la directive relative aux conditions d’accueil. Par ailleurs je rappelle qu’un projet de Règlement établissant une liste commune de l'Union de pays d’origine sûrs, pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, est en cours de discussion au Parlement européen.

Comme vous le voyez, l’Union européenne n’est pas restée inactive face à la crise migratoire, mais dans ce domaine encore plus qu’en matière économique ou sociale, la lenteur et la complexité du processus européen de décision sont un handicap sans même parler du manque de solidarité entre les États membres. Jusqu’à présent, les événements ont toujours pris l’Union européenne de vitesse. L’Europe a toujours été dans la réaction ou la réparation plus rarement dans l’anticipation ou la prévention.

Je laisse maintenant la parole à Marietta Karamanli qui va vous présenter le règlement sur le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Après l’intervention de Charles de La Verpillière qui a abordé la question de la crise migratoire et de ses implications dans la manière de gérer nos frontières communes extérieures, je vais vous présenter les principaux changements apportés par ce règlement.

Mon propos s’articulera autour de trois idées : la constance avec laquelle nous nous sommes régulièrement et avec constance exprimés sur les mesures à prendre ; les enjeux récurrents ; les mesures proposées.

Il est devenu de plus en plus évident que les différents États membres agissant en ordre dispersé ne peuvent pas convenablement relever les défis que constituent des mouvements migratoires de masse, nécessitant à la fois une prise en charge des réfugiés et leur accueil régulé, et l’arrêt aux frontières des migrants irréguliers.

Nous avons besoin de normes à l'échelle de l’Union et d'un système unifié de responsabilité partagée pour la gestion des frontières extérieures.

L'agenda européen en matière de migration adopté en mai 2015 par la Commission européenne a mis en évidence la nécessité de passer à une gestion commune des frontières extérieures, conformément à l’objectif visant à « mettre en place progressivement un système intégré de gestion des frontières extérieures », énoncé à l’article 77 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Notre commission a émis à plusieurs reprises sa volonté de voir instituer un corps de garde de frontières.

Ainsi la résolution présentée par nos soins, Charles de La Verpillière et moi-même et adoptée par notre commission (enregistrée auprès de la Présidence de l’Assemblée Nationale le 11 février 2015) « sur les politiques européennes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière au regard des migrations en Méditerranée » demandait « un renforcement très significatif des moyens de l’agence Frontex et de ceux mis à disposition des États membres les plus concernés » et rappelait « son soutien, à moyen terme, à la création d’un corps européen de gardes-frontières ; »

Nous avons renouvelé cette prise de position à l’occasion de notre projet résolution sur le programme européen de sécurité de l’UE (déposée auprès de la Présidence de l’Assemblée Nationale le 1er décembre 2015) et adopté par la commission. Elle mentionnait la position de notre commission qui, je cite, « Réitère(ait) ses observations et demandes en matière de mise en œuvre d’un corps de garde-frontières « européen » tout au long des frontières communes »

Venons-en aux enjeux récurrents. L’espace Schengen est confronté à trois défis majeurs : une pression migratoire sans précédent, une menace terroriste se maintenant à un niveau élevé et l’augmentation continue du nombre de voyageurs.

La situation géographique de l’Union européenne fait que certains États offrant une large façade maritime et de longues frontières extérieures sont particulièrement exposés, comme La Grèce, l’Italie ou Chypre. Les États Membres où arrivent les flux migratoires doivent donc être davantage soutenus et le contrôle des frontières extérieures plus intégré et modernisé. C’est dans ce contexte que la Commission a proposé le 15 décembre 2015 un nouveau Règlement portant création d’un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et renforçant les prérogatives de l’Agence FRONTEX.

L’actuel système fondé sur un vivier de garde-frontières mis à disposition par les États Membres auprès de l’agence FRONTEX dans le cadre des opérations conjointes, a montré ses limites. Face à une crise migratoire soudaine, le système Frontex actuel manque de réactivité car cette agence ne peut déclencher une opération conjointe qu’à la demande d’un État membre en difficulté

On constate aussi une rigidité en matière d’affectation des moyens ; Frontex est tributaire de l’implication des EM qui se montrent plus réticents en période de fortes tensions budgétaires. Frontex se heurte enfin à la compétence limitée des garde-frontières mis à disposition de l’agence car opérant sous l’égide de FRONTEX dans l’EM hôte, ces garde-frontières ont des pouvoirs moindres que les agents nationaux comme par exemple pour la consultation de certains fichiers de police.

Au constat d’enjeux à prendre en compte font écho…les mesures proposées.

Sur la forme, il faut tout d’abord saluer la rapidité avec laquelle la Commission et les États membres ont mené les négociations pour aboutir à un compromis. Ce texte représente l’aboutissement de longs efforts mais il ne va pas jusqu’à créer un corps autonome de garde-frontières européens sous la seule responsabilité de l’Agence Frontex.

Cette évolution aurait heurté de front tous les États membres soucieux de préserver leur souveraineté nationale même si elle est mise à mal par les flux migratoires ou par les menaces terroristes.

Le texte proposé reste donc dans une construction de compromis, le corps européen de garde-frontières sera constitué par la coopération entre les agents mis à disposition par les États membres et des personnels propres de Frontex qui interviendront sous la responsabilité opérationnelle de l’Agence dont les prérogatives sont renforcées.

Sur le fond, et pour la commodité de l’exposé je distinguerai, les initiatives nouvelles à la main de l’agence, ses pouvoirs d’agir en urgence, le renforcement de ses capacités opérationnelles et enfin ses attributions nouvelles dans l’organisation des opérations de retour.

Une étape symbolique a été franchie : la gestion des frontières extérieures ne relève plus de la seule responsabilité des États membres mais le principe d’une gestion européenne intégrée des frontières est posé qui repose sur la responsabilité partagée entre Frontex et les autorités nationales (art 5). L’Agence Frontex voit ses prérogatives accrues car elle a la charge de définir une stratégie technique et opérationnelle de surveillance des frontières. C’est surtout en cas de crise grave mettant en danger le fonctionnement de l’espace Schengen que l’Agence aura un rôle majeur pour proposer des mesures correctrices à l’État défaillant ou décider de mesures urgentes pour répondre à la menace.

La principale innovation de ce Règlement est de conférer à Frontex la capacité de prendre l’initiative de certaines mesures lorsqu’elle constate la vulnérabilité de certaines zones ou de certains États.

Le règlement définit de manière détaillée les missions de l’Agence (art 6 et 7) qui peuvent être résumées ainsi :

L’agence aura d’abord à établir une stratégie opérationnelle et technique pour la mise en œuvre de la gestion intégrée des frontières, elle supervisera le contrôle effectif des frontières extérieures de chaque EM, via un volet préventif et un volet correctif. Le volet préventif se traduirait par une « évaluation de vulnérabilité » élaborée par l’Agence des EM face à la pression migratoire, en complément des évaluations prévues dans le Code Frontières Schengen. Le volet correctif permettrait, face à une pression migratoire disproportionnée, de déclencher une opération aux frontières de manière autonome et indépendante de l’EM sur le territoire duquel aurait lieu cette opération.

Elle pourra fournir une aide technique et opérationnelle renforcée aux EM à travers les opérations conjointes, les interventions rapides aux frontières, et dans les cas nécessitant une action urgente aux frontières extérieures et dans les hotspots.

L’accent est mis sur le rôle de veille de l’Agence qui doit renforcer son centre de suivi et d’analyses des risques pour être en capacité de détecter le plus en amont possible les risques de flux migratoires importants.

Pour renforcer la prévention il est prévu un nouveau mécanisme à l’article 12 d’évaluation de la vulnérabilité des États membres. Au cours des travaux préparatoires, certains ont critiqué cette disposition car cette procédure risquait de faire doublon ou de se superposer avec la procédure d’évaluation de vulnérabilité du Code des Frontières Schengen.

Nous avons interrogé la Commission européenne sur ce point qui nous a précisé que ces deux mécanismes ont des objectifs différents.

Dans le cas présent il s’agit d’évaluer la capacité d’un État à faire face à des pressions sur la frontière extérieure dont il a la charge et de vérifier s’il est en mesure de mobiliser des forces d’intervention, des matériels pour réagir aux franchissements illégaux de la frontière.

Le mécanisme d’évaluation Schengen a un objet beaucoup plus large et vise à faire le bilan une fois tous les cinq de la politique de sécurité de l’État membre concernant sa politique des visas, la coopération policière, l’organisation des opérations de retour, l’instruction des demandes d’asile…. La procédure suite à cet audit est très encadrée si on découvre des défaillances puisque ces manquements peuvent conduire à déroger au principe de libre circulation. Dans notre projet de Règlement, l’évaluation de vulnérabilité vise à organiser une réponse immédiate en cas de danger détecté et à définir des mesures correctrices immédiatement opérationnelles.

Troisième innovation, de ce texte est le pouvoir d’agir en urgence. L’agence pourra agir en urgence si un État membre est défaillant et ne prend pas les mesures correctives suggérées ou si une « pression migratoire disproportionnée » menace le bon fonctionnement de l’espace Schengen.

Cette disposition de l’art 18 a suscité de fortes réserves parmi les États membres car il prévoyait que la Commission pouvait, sur demande de Frontex, imposer à un État membre par un acte d’exécution l’adoption de certaines mesures correctives. Certains y ont vu une atteinte à la souveraineté des États.

Les négociations entre la Commission et les États membres ont abouti à un compromis qui devrait faire que ce soit le Conseil et non la Commission qui décide des mesures correctrices à imposer à l’État membre.

L’idée est que cet acte sera considéré comme une décision politique et qu’il aura donc plus de légitimité qu’une décision d’exécution de la Commission perçue comme plus technocratique.

La Quatrième innovation est le renforcement des capacités opérationnelles de Frontex. Afin de rendre les interventions de l’Agence plus rapide à mettre en œuvre, il est prévu de structurer les mécanismes d’intervention. L’article 19 donne des précisions sur le déploiement des équipes d’intervention. Il est prévu de constituer dans chaque État membre une réserve de personnel pouvant être mobilisée rapidement.

Cette réserve rapide européenne de garde-frontières et garde-côtes (à minima 1 500 personnes) pourra être déployée avec l’accord du Conseil d’administration de l’Agence : chaque EM serait tenu de mettre à la disposition de l’Agence un vivier de 2 % de ses effectifs de garde-frontières et garde-côtes (3 % s’il ne dispose pas de frontières extérieures terrestre ou maritime). En cas de besoin, tout déploiement complémentaire de matériels et d’équipes de gardes-frontières serait requis dans les cinq jours qui suivent le déploiement de la Réserve Rapide.

Frontex devrait aussi renforcer l’efficacité de son système d’information à vocation opérationnelle qui coopérera et échangera les données collectées avec les États membres et les autres agences européennes dans le cadre de sa mission. Les données pourront notamment être échangées et croisées avec celles d’Europol ; (art 43). Il est important de noter que l’art 9 crée une obligation générale d’échange d’informations, les autorités nationales devant transmettre à l’Agence toutes les informations demandées pour surveiller les flux migratoires, effectuer les analyses de risques et procéder à l’évaluation de la vulnérabilité. Pour permettre une meilleure connaissance des spécificités locales, Frontex disposera d’officiers de liaison dans certains EM visant à s’assurer de la bonne gestion des frontières extérieures notamment dans le cadre de l’évaluation de la vulnérabilité, par l’accès aux systèmes d’information des États membres.

La manière de gérer les frontières extérieures de l’Union doit évoluer. L’enjeu n’est plus dès lors le contrôle de la frontière en tant que telle, mais celui des personnes qui pourraient être amenées à la franchir. Il s’agit d’anticiper leurs déplacements et, le cas échéant, de les empêcher. Le contrôle n’est plus focalisé principalement sur ce que le code frontières Schengen appelle la vérification, c’est-à-dire le moment où l’officier en charge d’un point de passage frontalier spécifique se retrouve face à la personne souhaitant franchir la frontière et effectue le contrôle, mais sur la surveillance. Les zones frontalières sont mises sous observation pour détecter les déplacements potentiellement suspects et intercepter les personnes concernées.

Plus que la coordination opérationnelle, part importante de son budget, mais verrouillée par les administrations nationales, la surveillance constitue le cœur des activités de Frontex.

Dans le souci de garantir une meilleure efficacité de Frontex, le Règlement prévoit l’augmentation de ses capacités techniques par la possibilité ouverte à l’agence de procéder à des acquisitions de moyens en pleine propriété ou en copropriété, et par le renforcement des obligations des États membres concernant la mise à disposition de moyens techniques, notamment aériens et navals (art 37 et 38).

Ces nouvelles attributions auront un coût important. Le budget de Frontex était de 114 millions d’euros en 2015 et devrait être de 238 millions pour 2016 ; un recrutement de 162 postes étant prévu en 2017. L’agence devrait passer d’un effectif de 300 personnes aujourd’hui à 1 000 agents d’ici 2020. La gestion des frontières extérieures est aussi assurée par les crédits du fonds Sécurité Intérieure (FSI) qui finance certains équipements de surveillance. Ces éléments budgétaires ne figurent pas directement dans le Règlement mais en annexe la fiche financière expose précisément les implications de l’adoption de ce texte.

Enfin dernière grande innovation, des attributions nouvelles dans l’organisation des opérations de retours. La difficulté de procéder à ces réadmissions étant le point faible de la politique migratoire de l’Union européenne et des États membres, il a été décidé d’afficher clairement une volonté politique d’améliorer ce dispositif.

L’article 28 prévoit la création d’un « bureau du retour », en charge, en lien étroit avec les services compétents des EM, du retour des réfugiés déboutés du droit d’asile ou de tout autre individu en situation irrégulière dans leurs pays d’origine. Des personnels spécialement formés seront spécialisés dans cette fonction, l’art 28 instituant une réserve de contrôleurs des retours forcés et l’article 29 une réserve d’escortes pour ces opérations de réadmission.

Le règlement prévoit aussi de renforcer les pouvoirs de l’agence dans sa coopération avec les États tiers avec qui elle pourra passer des accords opérationnels. Ces accords devront être approuvés par la Commission. Il s’agit là de gagner en efficacité en organisant des opérations conjointes de surveillance des frontières extérieures et d’empêcher certains trafics d’êtres humains qui prennent leur origine dans certains États tiers. De même, un effort doit être mené avec les États tiers notamment de transit pour organiser des opérations de retour. Actuellement le principal obstacle est le refus de certains États de délivrer des documents de voyage pour le rapatriement de leurs ressortissants. Frontex devra donc œuvrer dans ce domaine et disposera d’officiers de liaison dans les états tiers (art 53 et 54)

Enfin, il faut saluer une avancée pour la garantie des droits fondamentaux des réfugiés et migrants qui sont concernés par les interventions de Frontex. Un mécanisme de plainte est institué à l’article 72 répondant ainsi à une demande pressante de la Médiatrice européenne, Emily O'Reilly, qui a demandé à Frontex de mettre en place un mécanisme de traitement des plaintes relatives à des violations des droits fondamentaux découlant de son activité le 7 novembre 2013.

Par ailleurs, le Parlement européen a adopté une Résolution le 2 décembre 2015 sur le rapport spécial du Médiateur européen demandant à ce que Frontex dispose d'un mécanisme capable de traiter les plaintes individuelles concernant des allégations d'infractions aux droits fondamentaux pendant le déroulement des opérations Frontex ou de la coopération avec des pays tiers.

Plusieurs ONG dont la CIMADE, France terre d’asile et Amnesty international ont estimé qu’il y avait un réel problème juridique du fait de l’absence de responsabilité de Frontex dans des opérations que l’agence met entièrement sur pied (certes avec les autorités de l’État membre hôte). Le point de vue de Frontex qui considère que les violations des droits de l'homme relèvent exclusivement de la responsabilité de l'État membre concerné, du fait que l’essentiel des agents œuvrant sous l’égide de Frontex reste sous l’autorité de leur État membre sera de plus en plus contestable avec l’augmentation de la part des personnels propres de Frontex.

C’est pourquoi, le point 7 de notre résolution suggère que la question de la responsabilité de l’Agence Frontex soit précisée notamment lors de l’organisation de procédures de retour qui peuvent conduire à l’emploi de la contrainte vis-à-vis des migrants et lorsque ces interventions se déroulent avec le concours d’agents de pays tiers ou sur le territoire de pays tiers.

Il faut néanmoins se féliciter des avancées apportées par ce texte et l’importance accordée dans ce Règlement au respect des droits fondamentaux avec l’adoption d’un code de bonne conduite pour l’agence Frontex, la formation de tous les professionnels intervenant dans le cadre d’opérations coordonnées par Frontex à cette problématique et les larges attributions reconnues à l’officier des droits fondamentaux.

Nous suggérons dans la résolution que l’officier des droits fondamentaux présente un rapport annuel au Parlement européen et au Conseil européen sur les suites données aux plaintes reçues tout particulièrement lorsque les agents mis en cause ne relèvent pas de l’autorité disciplinaire de l’Agence Frontex.

En conclusion, je voudrais insister sur l’importance de ce texte mais dire aussi que le changement dont il est porteur est aussi largement tributaire de la mobilisation des États membres qui devront répondre aux demandes de personnel et de matériel et qui devront négocier dans la transparence pour que les équipes de réserve de garde-frontières puissent être mobilisées rapidement.

Là encore la réforme affectant Frontex sera une bonne réforme si les acteurs, et en l’espèce, les États s’en saisissent pour la faire vivre et donner corps à cette institution nouvelle dont notre commission appelle depuis longtemps de ses vœux la mise en œuvre.

M. Joaquim Pueyo. Je partage l’avis de Charles de La Verpillière sur l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Malgré ses incertitudes, il a eu des effets plutôt positifs, le nombre des arrivées ayant fortement baissé même s’il y a eu encore récemment des naufrages de bateaux clandestins. Je voudrais évoquer un point de la résolution qui traite de la responsabilité de Frontex. Cet aspect me parait très important car ces opérations de retour doivent se dérouler en respectant les droits fondamentaux. J’espère que l’Union européenne parviendra dans un proche avenir à mieux coordonner ses opérations de surveillance en mer Méditerranée entre la partie de la Mer Egée et la zone limitrophe de la Libye, car certains passeurs pourraient réorienter leurs trafics.

Je me félicite de l’adoption prochaine de ce Règlement qui aboutira à la mise en place d’un corps européen de garde -frontières et de garde-côtes. Cette mise en œuvre a trop longtemps été repoussée et il faut le regretter. Je voudrais demander aux rapporteurs si la détermination des autorités communautaires leur parait bien réelle pour que ce texte débouche rapidement sur un dispositif opérationnel. L’Union européenne a été très critiquée pour sa gestion de la crise migratoire mais ne pensez-vous pas que la crise humanitaire aurait été bien pire si l’Union n’avait pas existé ?

M. Pierre Lequiller. Je rejoins les propos de Joaquim Pueyo pour dire que la situation aurait certainement été pire sans l’intervention de l’Union européenne mais il ne faut pas masquer que sa principale faiblesse est d’avoir été sans cesse dans la réaction sans être capable de prévenir la crise. Il y a eu un vrai déficit de prévision alors même que de nombreux camps de réfugiés existaient déjà en Jordanie, au Liban et en Turquie et que nous aurions dû comprendre beaucoup plus vite que des afflux de réfugiés en Europe étaient inévitables.

L’image de marque de l’Europe n’en sort pas grandie et il nous faut aujourd’hui intensifier nos actions humanitaires aussi bien pour les pays d’accueil de ces réfugiés qu’au sein même de l’Union où des pays comme la Grèce ont beaucoup de mal à faire face pour recevoir ces réfugiés dans des conditions décentes. La France elle-même n’est pas exempte de reproches, certains lieux de vie de ces réfugiés étant indignes de notre pays.

Quant à Frontex, je voudrais rappeler combien nous avons insisté sur le renforcement de ses moyens et nous avons voté ici même plusieurs résolutions en ce sens. Je suis donc satisfait de l’adoption de ce Règlement mais je reste vigilant car tout dépendra de la mobilisation des États membres pour réellement être plus efficace.

M. Yves Fromion. Je voudrais aborder la question des interventions de Frontex en haute mer et éventuellement, dans les eaux territoriales d’État tiers. Tout cela pose de redoutables questions de sécurité et suppose le déploiement de moyens militaires d’accompagnement. Il faudrait améliorer la coordination entre les interventions de Frontex, les forces engagées dans le cadre de notre politique de défense commune et dans certains cas même le conseil de sécurité de l’ONU qui peut être amené à donner son aval comme il l’a fait pour les opérations au large de la Libye. Il faudrait aussi mieux utiliser certains moyens disponibles comme les moyens de surveillance satellitaires et les forces militaires qui surveillent les cotes de la Méditerranée.

La Présidente Danielle Auroi. Je souhaite vous faire part de certaines de mes inquiétudes. Charles de La Verpillière a rappelé l’effort de l’Union européenne pour resserrer ses liens avec les pays d’Afrique et promouvoir des actions en faveur du développement. Si ces intentions sont très louables, il faut constater que cette politique n’a pas l’ampleur nécessaire. Constatons la disproportion entre les 6 milliards que doit recevoir à terme la Turquie alors que le Fonds pour tous les États africains ne devrait avoir que 3,8 milliards de crédits. Il faudrait un effort beaucoup plus substantiel pour aider des projets concrets et pourvoyeurs d’emplois locaux.

Quant à l’accord avec la Turquie, ne faut-il pas s’inquiéter alors qu’aucun mécanisme de contrôle de l’utilisation des fonds européens n’est prévu ? Plusieurs témoignages d’organisations humanitaires rapportent que des migrants ont été maltraités et certains expulsés vers leur pays d’origine alors qu’ils y sont en danger. N’oublions pas que la Turquie a une politique très contestable vis-à-vis de ses propres minorités qui sont parfois amenées à demander une protection internationale. Enfin, la libéralisation des visas risque de se faire sans que les autorités turques n’aient répondu à toutes les exigences de sécurité demandées par l’Union européenne car toute cette négociation se déroule dans une situation de pression migratoire.

Je déplore le manque de solidarité entre les États membres alors que certains pays sont dans une situation d’urgence humanitaire. Le groupe de Visegrad ne veut faire aucun effort et s’est empressé de dire qu’il ne paierait pas les contributions prévues en cas de refus d’accueillir des réfugiés dans le cadre de la future réforme du droit d’asile, présentée récemment par la Commission. Il faut s’inquiéter de ces refus systématiques de ce groupe de pays qui s’oppose à de multiples initiatives communautaires. La situation de l’Autriche est aussi peu réjouissante. La Commission européenne a joué un rôle positif et a œuvré pour mettre en œuvre plus de solidarité. Le règlement dont nous discutons comporte des points positifs mais là encore, les sommes allouées sont faibles au regard des enjeux pour la gestion des frontières extérieures.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteur. Malgré ses défauts cet accord avec la Turquie a eu des effets positifs car il semble avoir dissuadé les passeurs. Bien évidemment à l’avenir, il faudra s’assurer que de nouvelles routes ne s’ouvrent pas pour les navires clandestins. Je prends note de l’intervention de M. Yves Fromion et de la nécessité de mieux coordonner les moyens de Frontex et les forces d’appuis militaires et nous en ferons écho dans le rapport.

Concernant la réforme de Frontex, il est évident que la détermination des États membres à fournir du matériel et des personnels sera déterminante. N’oublions pas qu’en 2013 la Commission voulait réduire les moyens de l’agence et nous avons dû régir en votant une Résolution à ce sujet. Actuellement les besoins sont criants notamment en Grèce où il manque des agents qualifiés pour instruire les demandes d’asile.

La Présidente Danielle Auroi. Je mets aux voix la proposition de résolution européenne.

La commission des Affaires européennes a adopté à l’unanimité la proposition de résolution ci-après et a approuvé la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes COM(2015) 671 final – E 1858).

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 4 paragraphe 2 du traité sur l’Union européenne,

Vu les articles 68 et 72 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 28 avril 2015 : « Le programme européen en matière de sécurité » (COM(2015) 185 final),

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 13 mai 2015 : « Un agenda européen en matière de migration. » (COM(2015) 240 final),

Vu les conclusions des Conseils européens des 25 et 26 juin 2015 et du 23 septembre 2015 par lesquelles il a été demandé un renforcement de la gestion des frontières et de doter de ressources supplémentaires l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (Frontex),

Vu le rapport d’évaluation externe de l’Agence Frontex, basée sur l'article 33 du règlement (UE) n° 2007/2004, et les recommandations concernant d'éventuelles modifications au règlement original de l’Agence, adoptées par son conseil d'administration le 28 octobre 2015,

Vu la résolution européenne n° 499 appelant à un renforcement des politiques européennes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, particulièrement en Méditerranée, adoptée par l’Assemblée nationale le 28 mars 2015,

Vu la résolution européenne n° 652 sur le programme européen de sécurité rappelant son soutien à la création d’un corps européen de garde-frontières, adoptée par l’Assemblée nationale le 15 décembre 2015,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant le règlement (CE) n° 2007/2004, le règlement (CE) n° 863/2007 et la décision 2005/267/CE du Conseil (COM(2015) 671 final),

Considérant que l’Union européenne et les États membres sont confrontés à d’importants mouvements de populations dus à la fois aux flux de réfugiés fuyant la guerre et à des entrées irrégulières de migrants,

Considérant qu’une partie de ces franchissements des frontières se fait par le trafic organisé des êtres humains et par la détention de titres d’identité falsifiés, mettant ainsi en cause le fonctionnement normal de l’espace Schengen,

Considérant que si chaque État membre reste pleinement responsable du contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, il s’avère indispensable de progresser dans une gestion intégrée des frontières pour gagner en solidarité et en efficacité,

Considérant la nécessité de respecter les droits des demandeurs d’asile arrivant aux frontières extérieures de l’Union européenne, notamment au regard du principe de non-refoulement interdisant toute mesure qui aurait pour effet de renvoyer un demandeur d’asile ou un réfugié vers des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée,

Considérant que les politiques européennes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière doivent être fondées à la fois sur la responsabilité et la solidarité : responsabilité qui incombe aux États membres dans le contrôle de leurs frontières extérieures et indispensable solidarité de tous les États membres de l’Union, qu’ils soient ou non directement exposés à l’afflux d’immigrants en situation irrégulière,

Considérant qu’un processus plus ambitieux de réinstallation dans les États membres de l’Union de réfugiés qui ne peuvent demeurer dans l’État tiers dans lequel leur statut de réfugié a été reconnu par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (personnes enregistrées par l'ONU, hors du territoire européen), constituerait une manière efficace d’éviter que des demandeurs d’asile ne s’engagent dans des traversées périlleuses,

Considérant l’urgence de s'attaquer aux causes profondes des migrations irrégulières, notamment par une intensification de la coopération avec les pays tiers d’origine et de transit, et la nécessité de rechercher toutes les synergies possibles entre la politique étrangère et de sécurité commune et celle conduite en matière de justice et d’affaires intérieures,

Considérant la nécessité de mieux coordonner les politiques européennes visant d’une part à garantir les droits des personnes relevant de l’immigration légale et notamment des demandeurs de protection internationale et d’autre part à lutter contre le trafic des êtres humains et l’immigration irrégulière,

1. Salue la volonté de la Commission européenne d’accélérer l’adoption de la proposition de règlement relatif au corps de garde-frontières et de garde-côtes ;

2. Se félicite du projet de la mise en place d’un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes pour assurer une gestion européenne intégrée des frontières de l’Union et de l’attribution de nouvelles compétences à l’Agence Frontex ainsi qu’un renforcement de ses moyens opérationnels ;

3. Se félicite du développement des missions de veille stratégique de l’Agence Frontex avec la création d’un centre de surveillance et d’analyse des risques et le déploiement d’officiers de liaison de l’Agence dans les États membres pour renforcer les échanges d’information ;

4. Soutient le compromis proposé lors du Comité des représentants permanents (COREPER) du 6 avril 2016 permettant qu’en cas de défaillance d’un État membre dans sa gestion des frontières extérieures ou en cas de pression migratoire disproportionnée, l’Agence Frontex propose des mesures correctives qui, si elles ne sont pas respectées, peuvent être mises en œuvre après une décision du Conseil européen à la majorité qualifiée, afin de donner le plus de légitimité possible à cette intervention en situation de crise ;

5. Souhaite que soit clairement indiqué si Frontex pourra ou non intervenir dans les eaux internationales, voire même dans les eaux territoriales d’un État tiers et demande que les compétences de Frontex au titre de ses interventions dans les eaux internationales concernées soient clairement précisées, des accords internationaux devant être passés avec les États tiers limitrophes afin de permettre les interventions nécessaires dans leurs eaux territoriales, pour la sauvegarde des êtres humains, la lutte contre les passeurs et la sécurité des frontières extérieures de l’Union ;

6. Soutient le renforcement des prérogatives de Frontex pour organiser des opérations de retour visant à reconduire dans leur pays d’origine les migrants en situation irrégulière avec la création d’un Bureau chargé des retours et d’une réserve de contrôleurs des retours forcés disposant de moyens techniques spécifiques pour organiser ces retours, des moyens proportionnés aux besoins constatés devant être effectivement mis en œuvre ;

7. Demande que soit précisée la question de la responsabilité de l’Agence Frontex en lien avec celle des États membres, notamment lors de l’organisation de procédures de retour qui peuvent conduire à l’emploi de la contrainte vis-à-vis des migrants et lorsque ces interventions se déroulent avec le concours d’agents de pays tiers ou sur le territoire de pays tiers ;

8. Se félicite de l’importance accordée dans cette proposition de Règlement au respect des droits fondamentaux, avec l’adoption d’un nouveau code de bonne conduite pour l’Agence Frontex, la formation de tous les professionnels intervenant dans le cadre d’opérations coordonnées par l’Agence à cette problématique et les larges attributions reconnues à l’officier des droits fondamentaux ;

9. Approuve le mécanisme de plainte institué par cette proposition de Règlement permettant aux victimes d’établir un recours en cas de violation de leurs droits fondamentaux, sous réserve que les victimes aient été informées de leurs droits au préalable, et suggère que l’officier des droits fondamentaux présente un rapport annuel au Parlement européen et au Conseil européen sur les suites données aux plaintes reçues, tout particulièrement lorsque les agents mis en cause ne relèvent pas de l’autorité disciplinaire de l’Agence Frontex. »

II. Examen du rapport d’information de Mme Marietta Karamanli et Charles de La Verpillière sur le projet d’accord Union européenne-États-Unis pour la protection des données (« Privacy Shield »)

La Présidente Danielle Auroi. Nous allons maintenant passer à l’examen d’un tout autre sujet, par les mêmes rapporteurs, puisqu’il s’agit de la protection des données. Après les auditions de MM. Christophe Quarez du CESE et Mathias Fekl, Secrétaire d’Etat au commerce extérieur, nous continuons donc à débattre aujourd’hui des traités internationaux.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Merci madame la présidente, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne que nous vous présentons aujourd’hui a pour objet le futur accord transatlantique de protection des données personnelles, dit « Privacy Shield » ou « Bouclier de protection », dont l’adoption pourrait avoir lieu dans les semaines qui viennent.

Il nous a semblé nécessaire de proposer une résolution européenne afin que l’Assemblée prenne une position claire sur ce sujet d’apparence très technique mais qui ne doit pas être laissé aux seuls spécialistes.

Les enjeux sont trop importants, tant dans le domaine économique que pour la protection des droits fondamentaux des Européens, pour que nous ne nous en saisissions pas.

On parle beaucoup de l’accord TTIP toujours en cours de négociation, mais le futur « Bouclier de protection » pose des questions tout aussi déterminantes quant à l’avenir de notre relation avec le partenaire américain : la numérisation croissante de pans entiers de nos économies doit nous conduire à faire preuve dès à présent d’une vigilance accrue sur l’utilisation de nos données.

Nous souhaitons insister sur l’importance de se saisir politiquement de ce sujet, qui revêt une importance majeure. Les libertés engagées sont très réelles et leur protection indispensable.

Par le passé, la Commission européenne avait conclu avec les États-Unis l’accord appelé « Safe Harbor », une « sphère de sécurité » censée garantir que les entreprises américaines traitant des données sur le sol des États-Unis respectent essentiellement les mêmes obligations en termes de respect de la vie privée que les entreprises européennes. Par un mécanisme d’identification et d’auto-certification, ces entreprises d’un pays tiers pouvaient donc bénéficier d’un cadre simplifié reposant sur une confiance mutuelle.

Malheureusement, les révélations de l’affaire Snowden nous ont montré que la Commission avait peut-être trop largement accordé la confiance européenne sans avoir à l’esprit la nécessité de vérifier que ceux à qui elle était déléguée en étaient des gardiens fidèles et loyaux : les Européens n’étaient en effet pas à l’abri d’une surveillance massive et indiscriminée de leurs données, et cela s’avérait d’autant plus grave qu’ils ne disposaient pas, à la différence des citoyens américains, de recours devant la justice américaine pour contester ces opérations.

Au vu de cette relation largement déséquilibrée, certaines autorités nationales de protection des données de l’Union ont tiré la sonnette d’alarme et appelé à une renégociation rapide du traité Safe Harbor. La Commission a constaté les manquements américains et émis treize recommandations sur la base desquelles il s’agissait d’entamer cette renégociation.

Mais c’est véritablement l’arrêt Schrems du 6 octobre 2015 qui a porté le coup fatal au Safe Harbor. En invalidant la décision d’adéquation qui en était la base juridique, la Cour de justice de l’Union européenne a pris le risque de créer un vide juridique, mais a provoqué en réaction une accélération des négociations. Lors de notre déplacement aux États-Unis en avril 2015, la création d’une possibilité de recours pour les Européens allait être mise à l’ordre du jour du Congrès par le représentant Jim Sensenbrenner. Ce « Judicial redress Act » nous était présenté comme une concession majeure des Américains envers les Européens pour la protection des données : il ouvrait en effet l’accès aux tribunaux américains.

Le résultat de ces mois de négociations nous est aujourd’hui présenté par la Commission, et le Groupe de l’article 29, composé des autorités de protection des données personnelles européennes, a rendu son opinion le 13 avril sur les textes composant le futur accord.

Son avis en demi-teinte souligne les avancées obtenues, mais met aussi en lumière des failles réelles, qui pourraient exposer ce nouvel instrument aux mêmes risques d’invalidation devant la CJUE si, comme cela est à prévoir, les associations de défense des libertés fondamentales devaient se pourvoir devant la haute juridiction européenne.

Le but de notre proposition de résolution européenne est aujourd’hui que l’Assemblée se prononce d’une voix claire pour porter haut l’exigence française de défense des droits fondamentaux de protection des données personnelles et de respect de la vie privée, qui peut et doit se conjuguer avec les nécessités de la protection de l’ordre public et de la lutte contre la criminalité terroriste.

Tout d’abord, il nous semble que la forme de l’accord, composé en l’état d’un texte principal et de nombreuses annexes reprenant les échanges de lettres entre la Commission et les différentes autorités américaines, gagnerait beaucoup à être simplifiée. Cela permettrait en outre d’éviter que la terminologie ne soit parfois l’objet de fâcheux glissements, qui créent de la confusion et une possible insécurité juridique. À cet égard, vos rapporteurs estiment que l’ajout d’un glossaire reprenant les principaux termes de l’accord, comme suggéré par le G29, serait tout à fait utile.

Dans le même esprit de simplification pour une plus grande lisibilité, il nous semble que la profusion de recours désormais offerte aux Européens (pas moins de 7) n’est paradoxalement pas la meilleure garantie de l’effectivité de ces recours. À ce titre, nous appuyons l’idée d’une simplification de leur architecture et d’un renforcement des autorités européennes comme point de contact et d’accompagnement pour les recours introduits aux États-Unis.

De meilleures garanties doivent être données aux Européens quant aux dérogations permises à la protection des données pour des raisons de sécurité nationale. La surveillance massive et indiscriminée doit demeurer l’exception, et cela doit être clairement établi dans l’accord. D’autres points appellent une clarification : la durée de conservation des données permise reste particulièrement floue, et certains principes parmi les sept avancés dans l’accord semblent pouvoir se contredire dans certains cas spécifiques.

La question du transfert ultérieur des données à un pays tiers reste problématique : il est en effet délicat de translater au partenaire américain le rôle de veiller au respect de normes essentiellement équivalentes au droit européen dans un territoire tiers. Pourtant, cette question est essentielle, et trop peu prise en compte dans le futur accord.

Certaines imprécisions ou insuffisances grèvent donc le futur accord : il faudra pourtant rapidement tâcher de prendre en compte ces défauts pour parvenir à un accord optimal et suffisamment solide pour ne pas être l’objet, à son tour, d’une décision d’invalidation de la CJUE.

Le partenaire américain a déjà fait de nombreux progrès pour entendre les attentes européennes. La création d’un Médiateur auprès du gouvernement témoigne de ce souci de renforcer la prise en compte des droits tels que conçus dans l’Union. Mais les doutes quant à son indépendance et aux outils donnés, qui lui laissent peu de marge de manœuvre, viennent d’emblée limiter l’intérêt de cette nouvelle institution.

Au vu des intérêts économiques en jeu – les données des Européens pourraient selon le Boston Consulting Group atteindre une valeur de 1 000 milliards d’euros par an en 2020 –, l’Union européenne doit adopter une position très volontaire de défense des droits dans ces négociations. Elle ne peut se contenter d’avancées symboliques qui, bien qu’elles témoignent d’une évolution indéniable des positions américaines, risquent fort de demeurer des concessions essentiellement cosmétiques. En parallèle, l’Union a tout intérêt à développer ses propres champions du numérique pour pouvoir continuer à imprégner le cadre juridique de son influence, mais aussi pour pouvoir profiter des immenses opportunités économiques sous-jacentes. C’est l’ambition de la stratégie numérique proposée par la Commission Juncker, et l’objet d’un possible plus ample débat.

En rappelant les marges d’amélioration possibles de l’accord et en proposant à l’Assemblée nationale de se prononcer sur celui-ci, vos rapporteurs entendent contribuer à la réalisation de ces objectifs. Mon collègue Charles de La Verpillière va à présent revenir sur les éléments les plus récents de la négociation.

M. Charles de La Verpillière, co-rapporteur. Comme l’a rappelé ma collègue, du côté européen, le cadre juridique est encore celui de la directive de 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données personnelles et de la libre-circulation de ces données. Dans ce cadre existent deux groupes, le groupe de l’article 29 constitué des autorités européennes indépendantes de protection et de contrôle de la protection des données, équivalentes à la CNIL, et le Comité de l’article 31, qui rassemble les États-membres. Les derniers développements dans les négociations font suite à l’avis exprimé par le G29. En effet, lors de la réunion du Comité de l’article 31 du 29 avril, la Commission a indiqué que certains points soulevés par l’opinion – non-contraignante – du G29 avaient fait l’objet de nouvelles négociations avec le partenaire américain, et que cela pourrait conduire à des amendements des engagements pris par ceux-ci, et qui figurent dans les annexes de l’accord.

Ces amendements recouperaient en partie les éléments de notre résolution. Nous attendons en effet des éclaircissements sur le type de données qui font encore l’objet de collecte de masse et indifférenciée. Comme évoqué dans notre rapport, il pourrait y avoir des précisions sur le statut, l’indépendance et les missions du Médiateur prévu dans l’accord. Les ressortissants de la Norvège, de l’Islande et du Lichtenstein pourraient y avoir accès. Le rôle des autorités de protection des données des États membres de l’UE pourrait également être mieux défini. Les voies de recours ouvertes aux individus pourraient faire l’objet d’une exposition plus claire. Enfin, le partenaire américain pourrait être tenu d’informer la Commission de tout changement législatif en lien avec la protection des données. Le Comité de l’article 31 devrait se réunir le 19 mai pour l’adoption du projet de décision.

La Présidente Danielle Auroi. Les propositions du rapport me paraissent refléter tout à fait les préoccupations de notre Commission et je vous propose d’adopter la proposition de résolution.

La Commission a adopté, à l’unanimité, la proposition de résolution ci-après :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et notamment son article 16,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et notamment ses articles 7 et 8,

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et notamment son article 8,

Vu la Convention 108 du Conseil de l’Europe,

Vu la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,

Vu la proposition de directive COM(2012) 10 du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 2012 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données,

Vu la proposition de règlement COM(2012) 11 du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 2012 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données),

Vu la décision de la Commission 2000/520/CE du 26 juillet 2000 conformément à la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la pertinence de la protection assurée par les principes de la « sphère de sécurité » et par les questions souvent posées y afférentes, publiés par le ministère du commerce des États-Unis d'Amérique,

Vu l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 octobre 2015, dans l’affaire C-362/14, M. Schrems c/ Data Protection Commissioner,

Vu la communication COM(2015) 566 final de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 6 novembre 2015 concernant le transfert transatlantique de données à caractère personnel conformément à la directive 95/46/CE faisant suite à l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire C-362/14 (Schrems),

Vu la communication COM(2016) 117 de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 29 février 2016 « Flux de données transatlantiques : rétablir la confiance grâce à des garanties solides »,

Vu le projet d’accord pour un « Bouclier de sécurité » entre l’Union européenne et les États-Unis présenté le 29 février 2016,

Vu l’opinion 01/2016 du Groupe de l’article 29, constitué des autorités nationales de protection des données personnelles, sur le projet de décision d’adéquation concernant le bouclier de protection des données personnelles entre l’Union européenne et les États-Unis,

Considérant que les systèmes de traitement de données doivent respecter les libertés et droits fondamentaux des personnes, notamment la vie privée, et contribuer au progrès économique et social, au développement des échanges ainsi qu'au bien-être des individus,

Considérant le volume important des échanges de données personnelles avec les États-Unis, premier partenaire commercial de l’Union, et la nécessité de créer un cadre de protection des droits essentiellement équivalent à celui de l’Union européenne,

Considérant l’invalidation par la Cour de justice de l’Union européenne de l’accord « Safe Harbor- sphère de sécurité » introduit en 2000 entre l’Union et les États-Unis, et l’insécurité juridique qui pourrait en découler,

1. Se félicite des améliorations significatives apportées par le nouveau cadre pour les transferts transatlantiques de données, le « bouclier vie privée UE-États-Unis », notamment dans la définition de termes-clés, dans le respect des droits de correction ou de suppression de données ou encore dans la mise en place d’un mécanisme de révision annuelle ;

2. Considère que l’accord gagnerait à être simplifié sous la forme d’un document unique et plus homogène ;

3. Appelle à aller plus loin dans la clarification de la terminologie en veillant particulièrement à la cohérence de l’emploi des notions dans toutes les parties de l’accord, et en y adjoignant un glossaire ;

4. Appelle à ce que la possibilité d’une surveillance massive et indiscriminée des données des citoyens européens soit plus clairement visée pour être écartée et à tout le moins limitée et proportionnée aux seuls objectifs de sécurité et de protection de l’ordre public clairement établis ;

5. Demande à ce que l’ensemble des voies de recours pour les citoyens européens présente une architecture plus lisible, avec un rôle accru de point d’appui pour les autorités nationales européennes de protection des données ;

6. Appelle à ce que le Médiateur américain prévu dans l’accord dispose de toutes les garanties pour assurer son office dans des conditions suffisantes d’indépendance ;

7. Souligne que le transfert ultérieur des données à des pays tiers demeure en l’état un aspect problématique de l’accord ;

8 Souhaite que soit introduite dans l’accord une clause de rendez-vous pour une renégociation, afin de prendre en compte les avancées permises par la réforme du cadre européen sur la protection des données personnelles. »

III. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Communications écrites

La Commission a approuvé les textes suivants :

Ø CULTURE - AUDIOVISUEL

- Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur (COM(2015) 627 final – E 10799).

Ø PROTECTION des DONNÉES

- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion, au nom de l'Union européenne, d'un accord entre les États-Unis d'Amérique et l'Union européenne sur la protection des informations à caractère personnel traitées à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière (COM(2016) 237 final – E 11131).

- Proposition de décision du Conseil concernant la signature, au nom de l'Union européenne, d'un accord entre les États-Unis d'Amérique et l'Union européenne sur la protection des informations à caractère personnel traitées à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière (COM(2016) 238 final – E 11132).

Textes « actés »

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :

Ø ENVIRONNEMENT

- Décision de la Commission portant adoption d'un document d'orientation relatif à la notification des organismes d'accréditation ou d'agrément par les vérificateurs environnementaux exerçant dans un État membre autre que celui dans lequel l'accréditation ou l'agrément a été octroyé, en application du règlement (CE) n° 1221/2009 du Parlement européen et du Conseil (D044575/03 – E 11101).

Ø ESPACE LIBERTE SECURITE JUSTICE

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE, Euratom) n° 883/2013 en ce qui concerne le secrétariat du comité de surveillance de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) (COM(2016) 113 final – E 10997).

- Modification du règlement de procédure du Tribunal (7212/16 – E 11027).

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 539/2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (Géorgie) (COM(2016) 142 final – E 11032).

- Proposition de décision du Conseil modifiant la décision (UE) 2015/1601 du Conseil du 22 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l'Italie et de la Grèce (COM(2016) 171 final – E 11042).

- Projet de modification du règlement de procédure de la Cour de justice (7507/16 – E 11061).

- Recommandation de décision du Conseil autorisant l'ouverture de négociations sur une convention relative à la reconnaissance et à l'exécution des jugements en matière civile et commerciale (la convention sur les jugements) dans le cadre de la Conférence de La Haye de droit international privé (COM(2016) 216 final RESTREINT UE – E 11086).

- Proposition de décision d'exécution du Conseil arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés dans l'évaluation pour 2015 de l'application, par les Pays-Bas, de l'acquis de Schengen dans le domaine du système d'information Schengen (COM(2016) 101 final RESTREINT UE – E 11094).

- Proposition de décision d'exécution du Conseil arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés dans l'évaluation de 2015 de l'application, par la Belgique, de l'acquis de Schengen dans le domaine de la protection des données (COM(2016) 162 final – E 11095).

- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord entre l'Union européenne et les Tuvalu relatif à l'exemption de visa de court séjour (COM(2016) 190 final – E 11105).

Ø PÊCHE

- Proposition de décision d'exécution du Conseil modifiant la liste des pays tiers non coopérants dans le cadre de la lutte contre la pêche INN en application du règlement (CE) nº 1005/2008 établissant un système communautaire destiné à prévenir, à décourager et à éradiquer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (COM(2016) 225 final – E 11117).

Ø SECURITE ALIMENTAIRE

- Règlement de la Commission (UE) …/… de la Commission du XXX modifiant les annexes II et III du règlement (CE) nº 396/2005 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les limites maximales applicables aux résidus d’AMTT, de diquat, de dodine, de glufosinate et de tritosulfuron présents dans ou sur certains produits (D044023/02 – E 11100).

Ø TRANSPORTS

- Proposition de décision du Conseil relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, en ce qui concerne un instrument international à élaborer par les organes de l'OACI en vue d'aboutir à l'application, à partir de 2020, d'un mécanisme de marché mondial pour faire face aux émissions du transport aérien international (COM(2016) 183 final – E 11078).

- Règlement de la Commission modifiant le règlement (UE) n° 965/2012 en ce qui concerne l'agrément d'exploitation pour la navigation fondée sur les performances, la certification et la surveillance des fournisseurs de services de données et l'exploitation en mer d'hélicoptères, et corrigeant ce règlement (D042243/03 – E 11081).

- Proposition de décision du Conseil relative à la position à prendre au nom de l'Union européenne en ce qui concerne les décisions à adopter par la Commission permanente d'Eurocontrol sur les services centralisés (COM(2016) 226 final – E 11118).

Textes « actés » de manière tacite

Accords tacites de la Commission liés au calendrier d’adoption par le Conseil

La Commission a pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø ENERGIE

- Règlement de la Commission établissant un code de réseau relatif aux exigences applicables au raccordement au réseau des systèmes en courant continu à haute tension et des parcs non synchrones de générateurs raccordés en courant continu (D044617/02 – E 11060).

- Règlement de la Commission établissant un code de réseau sur le raccordement des réseaux de distribution et des installations de consommation (D044618/03 – E 11063).

Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)

- Décision du Conseil concernant le règlement du personnel de l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne (5978/16 – E 11121).

- Décision d'exécution du Conseil mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (8414/1/16 – E 11135).

- Décision d'exécution du Conseil mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye - Annexe (8414/16 – E 11136).

- Règlement d'exécution du Conseil mettant en oeuvre l'article 21, paragraphes 1 et 5, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (8415/1/16 – E 11137).

- Règlement d'exécution du Conseil mettant en œuvre l’article 21, paragraphes 1 et 5, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye - Annexe (8415/16 – E 11138).

La séance est levée à 17 h 55

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 11 mai 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Yves Fromion, Mme Marietta Karamanli, M. Charles de La Verpillière, M. Pierre Lequiller, M. Joaquim Pueyo

Excusé. - M. Kader Arif

Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy

1 () L’article 78§3 TFUE dispose que « au cas où une ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés ». Il faut noter que selon cet article, la majorité qualifiée des États membres suffit pour adopter la mesure de la Commission.

( 2) Ces critères sont la taille de la population (40%) ;le PIB (40%) ;le nombre de demandes d’asile reçues et de place de réinstallation déjà offertes ces cinq dernières années (10%) ;le taux de chômage (10%). Dans la définition des facteurs à prendre en compte, la proposition de la Commission européenne est, semble-t-il , assez juste. Le choix de la pondération est, en revanche, discutable. La prise en compte de l’effort déjà consenti en matière d’asile est insuffisante. Pour que la clé de répartition soit équitable, elle devrait mieux prendre en compte les efforts déjà effectués par les États membres au regard de la protection internationale et des autres formes d’assistance déjà mises en place, telles que l’admission humanitaire.