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Commission des affaires européennes

mardi 25 octobre 2016

17 heures

Compte rendu n° 314

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Audition de M. Harlem Désir, Secrétaire d’État aux affaires européennes, sur le Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

II. Nomination de rapporteur d’information

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 25 octobre 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 17 h 15

I. Audition de M. Harlem Désir, Secrétaire d’État aux affaires européennes, sur le Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

La Présidente Danielle Auroi. Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes réunis pour faire le point et débattre avec vous des résultats du Conseil européen de la semaine dernière. Comme d’habitude, dans un contexte difficile, l’ordre du jour en était très chargé : migrations, commerce, Brexit, relations avec la Russie, Syrie…

Nous serions heureux que vous puissiez nous préciser les principales décisions prises s’agissant des questions migratoires. L’idée de la « solidarité flexible » pour l’accueil des réfugiés a permis une détente avec les pays opposés aux relocalisations obligatoires, cependant, il semble qu’il s’agisse d’un concept difficile à manier. S’est-il concrétisé par des propositions précises ?

Qu’en est-il de la mise en œuvre de la décision de créer un corps européen de garde-frontières et garde-côtes ?

Quelle aide concrète le Conseil européen a-t-il décidé d’apporter aux pays qui se trouvent en première ligne, notamment la Grèce et l’Italie, mais également Malte qui prendra, dans quelques semaines, la présidence de l’Union ?

S’agissant des contrôles aux frontières, quel est le calendrier des discussions sur la révision du code Schengen, incluant notamment la question des contrôles des ressortissants européens aux frontières externes ? Où en sommes-nous de l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen ?

Comment avancent les discussions de fond sur la réforme des règles de Dublin, autour du principe solidarité-responsabilité ?

Quelle forme prendra le plan d’aide à l’Afrique, annoncé par le président Juncker ? Ce plan constitue, à mon sens, l’une des clés de la politique à mener s’agissant des réfugiés et des migrants.

En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, qu’il faut clairement déconnecter de la question des réfugiés, il est impératif qu’une collaboration effective entre les services de renseignement soit mise en place. Il semble que l’on ait du mal à progresser dans ce domaine. Des progrès ont-ils été constatés ?

Ce Conseil européen a été le premier auquel participait Mme Teresa May en tant que Premier ministre du Royaume-Uni. Quels enseignements peut-on tirer des échanges qui ont eu lieu avec elle à propos du Brexit ? Est-elle toujours aussi claire en ce qui concerne le début des démarches au mois de mars ?

La politique commerciale a également été débattue. Quelles sont les orientations souhaitées par le Conseil européen pour l’avenir de cette politique ? Peut-on espérer que les instruments de lutte contre les pratiques commerciales déloyales seront renforcés, et que le départ du Royaume Uni, traditionnellement hostile à ce renforcement, sera mis à profit en la matière ? Nous sommes, bien sûr, très attentifs à ce que vous pourrez nous dire, s’agissant des discussions en cours, en ce qui concerne à la fois le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) avec le Canada, mais aussi, à quelques jours de la COP22, du climat et de la mise en œuvre de l’accord de Paris. Sur ce sujet, les conclusions du Conseil européen sont sibyllines. Pouvez-vous nous éclairer ? À ce stade, comment se présente la discussion pour mettre en œuvre cet accord ? Qu’en est-il, en particulier, du partage des efforts de réduction des émissions entre États membres, ainsi que de la réforme du marché des quotas d’émission ?

En ce qui concerne le volet international et défense, êtes-vous en mesure de préciser les orientations prises s’agissant des relations avec la Russie, impliquée à la fois dans la question syrienne et la question ukrainienne ? S’agissant de la Syrie, les conclusions du Conseil sont finalement très prudentes, indiquant seulement que « l’Union européenne envisage toutes les options possibles si les atrocités devaient se poursuivre ». Voilà qui nous laisse véritablement dans le flou.

Où en sont les propositions franco-allemandes en matière de sécurité, interne et externe, en particulier la proposition de « pacte de sécurité », faite en juin ? Comment nos partenaires les accueillent-ils ? Peut-on espérer que le Conseil européen de décembre, dont le volet défense sera extrêmement important, avance sur quelques sujets clés dans ce domaine, notamment sur l’idée d’un quartier général permanent – à moins que le Royaume-Uni ne s’y oppose puisqu’il sera encore membre de l’Union à cette date ?

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Le Conseil européen des 20 et 21 octobre était le premier rendez-vous à vingt-huit après le sommet informel de Bratislava du 16 septembre dernier. Il importait pour la France qu’il s’inscrive résolument dans la mise en œuvre de la feuille de route de Bratislava. C’est chose faite : les conclusions correspondent aux priorités qui avaient été fixées, en particulier sur les enjeux de sécurité intérieure et le suivi des questions liées aux migrations ; des jalons ont également été posés sur les questions économiques prioritaires, dont l’extension du plan Juncker.

La politique commerciale de l’Union européenne et les relations avec la Russie font partie des sujets qui ont été longuement débattus. Ces deux points étaient inscrits à l’ordre du jour de longue date, mais ont été rattrapés par l’actualité.

Il s’agissait également du premier Conseil européen de Mme Theresa May. Elle a renouvelé l’annonce qu’elle avait faite au congrès de son parti, au début du mois, de l’activation de l’article 50 du traité sur l’Union européenne avant la fin mars 2017. Ce sujet n’a pas donné lieu à un débat, conformément à la ligne retenue par les Vingt-sept de ne pas mettre en œuvre de pré-négociations avant l’activation de l’article 50. Le Conseil européen s’en est donc tenu à une information par la Première ministre. Au moment où l’article 50 sera activé, commencera un compte à rebours de deux ans maximum au terme duquel le Royaume-Uni sortira de l’Union. Cela correspond au calendrier que nous souhaitions, avec une sortie avant les élections du prochain Parlement européen et la désignation de la prochaine Commission, au milieu de l’année 2019.

Sur les questions de migration et de sécurité, les conclusions du Conseil européen sont très claires. Elles reprennent le premier volet de la déclaration de Bratislava en mettant l’accent sur ses deux premiers objectifs : le contrôle de la frontière extérieure et la maîtrise des flux.

Sur le contrôle de la frontière extérieure, il faut se féliciter du lancement, le 6 octobre dernier, du corps européen de garde-frontières et garde-côtes. Il s’agit d’une avancée majeure en faveur de laquelle votre assemblée et votre commission ont souvent plaidé. Ce corps doit encore atteindre sa pleine capacité grâce au déploiement de personnels et d’équipements issus des États membres, et à la constitution d’une réserve de 1 500 personnels mobilisables d’ici à la fin de l’année.

Le Conseil européen a également rappelé les objectifs que nous devons fixer à l’Union avec des calendriers précis pour plusieurs textes.

Il souhaite une adoption rapide du code frontières Schengen révisé pour permettre le contrôle systématique et coordonné de tous les voyageurs franchissant les frontières extérieures de l’Union, y compris les ressortissants européens. Un accord existe au sein du Conseil, et ce dernier lance un appel au Parlement européen afin qu’il adopte rapidement cette législation.

Une position doit également être établie sur un système d’entrée-sortie avant la fin 2016, qui fait partie du paquet « Frontières intelligentes ».

De même, nous attendons la proposition de la Commission en vue de la mise en place du système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS). Cet équivalent de l’Electronic System for Travel Authorization (ESTA), le système électronique d’autorisation de voyage des États-Unis, permettra d’enregistrer les voyageurs qui empruntent les transports aériens de l’Union européenne préalablement à leur voyage afin d’opérer des contrôles et de parer aux risques en termes de sécurité et de migration. Un accord existe également depuis plusieurs mois sur ce sujet au sein du Conseil, notamment à l’initiative de la France et de l’Allemagne. Nous sommes impatients que la Commission se prononce afin que l’examen législatif de ce texte commence.

S’agissant de la maîtrise des flux, l’enjeu est d’abord la poursuite de la mise en œuvre de la déclaration Union européenne-Turquie de mars 2016. Les flux ont considérablement diminué en Méditerranée orientale, mais la situation reste difficile en Grèce, en raison de la saturation des centres d’accueil. Selon les autorités grecques, plus de 60 000 migrants sont actuellement bloqués en Grèce, dont 14 000 dans les îles où les procédures de retour vers la Turquie sont un peu difficiles à mettre en place. Un appel a été lancé pendant le Conseil européen afin que les États membres viennent davantage en aide au Bureau européen d’appui en matière d’asile – qui répond au nom anglais d’European asylum support office (EASO) –, et au système grec d’asile. L’appel vise aussi à ce que les relocalisations soient accélérées. Leur rythme est désormais plus soutenu, mais il demeure insuffisant. La France y prend une grande part : elle est le premier pays en termes de relocalisations depuis la Grèce avec 1 756 Syriens, Irakiens et Érythréens relocalisés depuis le 1er janvier.

La solidarité est nécessaire à l’égard des pays de première arrivée que sont la Grèce et l’Italie. Elle passe à la fois par une aide aux agences qui contrôlent la frontière – FRONTEX et l’EASO –, mais aussi par l’aide à l’accueil de ceux des réfugiés qui ont vocation à rester en Europe, c’est-à-dire par la relocalisation. Un certain nombre de chefs d’État ou de gouvernement, notamment des pays d’Europe centrale, ont voulu promouvoir l’idée que certains pays pourraient s’exonérer de cette solidarité, mais le Conseil européen ne l’a pas retenue. Pour l’instant, le cadre qui existe, c’est la relocalisation. Certains dirigeants défendent la possibilité d’apporter d’autres types de solidarité et mettent en avant le concept de « solidarité flexible ». Or cette idée n’est pas pertinente en Europe où la solidarité est le fondement de tout, qu’un partenaire soit confronté à une difficulté économique ou à des risques touchant à sa sécurité. C’est ainsi qu’après les attentats terroristes sur son sol, l’année dernière, la France a invoqué, pour la première fois, l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne, déclenchant, par solidarité, une mobilisation de ses partenaires sur le plan militaire.

Depuis le début de la crise migratoire, certains pays sont plus exposés que d’autres. Les réfugiés ne souhaitent pas particulièrement s’installer en Grèce ou en Italie, mais ces deux pays subissent les conséquences de la géographie qui en fait la porte d’entrée de l’Union européenne. Ils doivent donc être soutenus et bénéficier de la solidarité des autres États membres, en particulier en matière d’accueil. En Italie, aujourd’hui, ce sont environ 160 000 migrants qui sont répartis dans des centres d’accueil disséminés sur le territoire ou dans des hotspots.

Le Conseil européen a appelé les deux partenaires à la déclaration Union européenne-Turquie au respect de leurs engagements. La Turquie doit en particulier lutter contre les réseaux de passeurs et de trafiquants d’êtres humains afin que les flux ne reprennent pas dans la mer Égée. Dans cette partie de la Méditerranée, le nombre de drames humains et de naufrages a très nettement diminué, contrairement à ce qui se passe au large de la Libye. De son côté, l’Union européenne doit continuer d’apporter une aide financière à la Turquie pour l’accueil des réfugiés syriens sur son territoire. Cette aide a déjà été fortement mobilisée : dans le cadre de l’enveloppe de 3 milliards d’euros qui avait été décidée, 400 millions environ ont été dépensés, et plus de 2 milliards ont été affectés à des projets qui doivent maintenant être mis en œuvre.

À la demande de la France, le Conseil européen a rappelé que l’évolution en matière de visas était subordonnée au respect de soixante-douze critères, parmi lesquels une modification de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, et à l’adoption d’un mécanisme de suspension en matière de visas plus fort que celui en vigueur. Celui-ci jouerait le rôle de clause de sauvegarde en permettant de faire face à un éventuel problème migratoire pour les pays bénéficiant d’une exemption de visa.

Le Conseil européen a également porté une attention particulière à l’action relative aux causes profondes des migrations. C’est la première fois que ses conclusions comportent autant de précisions en la matière. Une prise de conscience s’est sans doute opérée que, au-delà du contrôle des frontières et des opérations de réadmission de ceux qui n’ont pas vocation à être accueillis, l’action doit aussi porter sur le développement et la stabilité des pays d’origine et de transit des migrants – et pas uniquement des réfugiés. Il a été décidé de mettre en œuvre des cadres de partenariat avec ces pays, en priorité avec les pays africains dont l’Éthiopie, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Nigeria. Dans le cadre de ces partenariats, l’Union entend mobiliser l’ensemble des politiques européennes liées au développement, au commerce, à l’appui sécuritaire ou à l’aide à l’accueil des migrants, y compris de ceux qui ne font que traverser un pays – le Niger est ainsi sur la route de la Libye. Il s’agit de réunir les conditions permettant le développement de l’activité économique, de l’emploi et de l’agriculture afin que les populations puissent rester sur place ; le développement aussi de coopérations en matière de sécurité entre pays africains. Il s’agit aussi d’avoir avec ces pays des accords migratoires portant à la fois sur les migrations légales, la lutte contre l’immigration illégale, les réadmissions ou encore les procédures de retour.

Dans le volet financier de cette politique d’action sur les causes profondes des migrations, un nouvel instrument est proposé : le plan d’investissement extérieur. Sorte de plan Juncker pour l’Afrique, il inciterait à mobiliser des investissements pour un continent, certes en proie à des problèmes, mais très dynamisé par une forte croissance économique et démographique. Le Conseil européen demande qu’une proposition sur les moyens d’accompagner et encourager les investissements dans les infrastructures, les équipements et la modernisation des économies, lui soit présentée le plus rapidement possible pour pouvoir adopter, d’ici à la fin de l’année, une position que les co-législateurs pourraient voter dans le courant du premier trimestre 2017. Nous sommes convaincus que l’Europe doit investir massivement dans le développement de l’Afrique : c’est l’une des grandes leçons qu’il faut tirer des événements qui se sont déroulés ces dernières années en Méditerranée.

La politique commerciale constituait le deuxième sujet inscrit à l’agenda du Conseil. Alors que les discussions devaient initialement porter sur les instruments de défense commerciale, il a beaucoup été question du CETA, sous les feux de l’actualité. Le Conseil européen a constaté qu’il y avait, sur ce dossier, un accord des vingt-sept États membres, mais qu’il manquait celui de la Belgique. Pour sa part, la France estime que de longues années de négociations ont permis d’aboutir à un bon accord. La reconnaissance des indications géographiques, l’ouverture des marchés publics, y compris subfédéraux, les garanties en matière de normes sociales et environnementales, le respect du principe de précaution, la protection des services publics, le mécanisme de règlement des différends sous contrôle public : tout cela nous convient. Certaines avancées constitueront même des références pour d’autres accords commerciaux. Nous sommes donc favorables à l’entrée en vigueur de ce traité, comme le Premier ministre l’a réaffirmé lors de son déplacement au Canada. La signature de l’accord est cependant suspendue à l’approbation de la Belgique, aujourd’hui bloquée par l’opposition de plusieurs parlements régionaux, notamment celui de Wallonie, en application des règles constitutionnelles de la Belgique.

Nous pensons qu’il est possible d’apporter des réponses aux questions posées par le parlement de Wallonie grâce à la déclaration interprétative discutée ces dernières semaines. Elle était aussi demandée par d’autres États membres, notamment l’Allemagne, après un arrêt de la cour constitutionnelle de Karlsruhe sur la nécessité de préserver le rôle du parlement national et du Parlement européen. La discussion doit donc se poursuivre avec la Belgique, et nous espérons qu’un accord sera trouvé au plus tôt. Bien sûr, se pose la question de savoir si le sommet entre l’Union européenne et le Canada, prévu pour la fin de la semaine, pourra avoir lieu. Cela semble difficile, mais un report n’équivaut pas à une annulation.

En revanche, s’agissant du Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) avec les États-Unis, nous considérons que les conditions nécessaires à un accord ambitieux et équilibré n’ont pas été trouvées. L’offre américaine est très faible notamment pour ce qui concerne les marchés publics subfédéraux ou la reconnaissance des indications géographiques, qui n’a pas fait l’objet d’une réponse de la part des Américains. Les conditions de non-réciprocité entre les entreprises américaines et françaises, et le refus des normes environnementales ne sont pas non plus des éléments propices à la conclusion de la négociation. La situation de blocage actuelle doit être dépassée pour repartir, le moment venu, sur de nouvelles bases. Il est maintenant clair que nous ne parviendrons pas à conclure cet accord avec l’actuelle administration américaine.

Ce qui se passe sur le CETA est, en tout cas, la démonstration que, dans ces négociations commerciales, la substance est plus importante que le calendrier. Les accords de commerce doivent être négociés de façon plus transparente, ils doivent être fondés sur la réciprocité, offrir toutes les garanties de respect des normes environnementales et sociales, et ne pas remettre en cause le droit à réguler des États. Sans quoi, ils ne seront ni soutenus par les parlements ni compris par les citoyens. Nous pensons que de bons accords commerciaux sont possibles et qu’en les négociant avec des exigences fortes, l’Europe peut contribuer à une mondialisation mieux régulée et mieux acceptée.

Ces éléments ont constitué la toile de fond de la discussion sur la modernisation des instruments de défense commerciale de l’Union européenne, en particulier ceux permettant de lutter contre le dumping. Chacun est, par exemple, conscient de l’impact extrêmement fort sur l’emploi en Europe des surcapacités internationales de la sidérurgie, notamment celles de l’industrie chinoise. Le débat a porté en particulier sur la règle du droit moindre, le « lesser duty rule », que l’Europe ne met pas en œuvre contre le dumping, mais qui est parfaitement applicable dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les États-Unis l’utilisent, par exemple, pour porter leurs droits de douane à 200 %, alors qu’en Europe, les hausses ne dépassent pas 25 %, l’Union disposant d’autres outils de défense commerciale. Dans ce domaine, plusieurs textes législatifs sont en cours d’examen, mais certains États membres, dont la France, souhaitent que le dispositif européen actuel soit vraiment renforcé, d’autant que la question se posera avec la Chine dans les mois qui viennent. Le Conseil européen a fixé comme objectif la conclusion rapide, d’ici à la fin 2016, d’un accord sur cette modernisation.

Les relations entre l’Union européenne et la Russie figuraient parmi les questions importantes à aborder lors de ce conseil. Initialement, la discussion devait être d’ordre général et porter sur le type de partenariat à instaurer avec la Russie, le renouvellement des sanctions liées à la situation en Ukraine n’étant prévu que pour le mois de décembre. Mais l’urgence de la situation à Alep l’a emporté. Le Conseil européen a envoyé un message extrêmement clair : il condamne avec force les attaques perpétrées par le régime syrien et ses alliés, notamment la Russie, contre des civils à Alep ; il déclare que ces atrocités doivent cesser, qu’un processus humanitaire doit être mis en place le plus rapidement possible et que les populations civiles doivent pouvoir y accéder de toute urgence ; il indique qu’un arrêt des combats est nécessaire – et pas seulement une trêve de quelques jours –, et qu’un cessez-le-feu créera les conditions propices à l’ouverture de négociations relatives à une transition politique en Syrie. Le Conseil a insisté avec force : « Ceux qui se sont rendus coupables de violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme doivent répondre de leurs actes. L’Union européenne envisage toutes les options disponibles, si les atrocités commises actuellement devaient se poursuivre. » Mme Federica Mogherini, la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a été mandatée, avec la Commission, pour mettre en œuvre une initiative humanitaire d’urgence et des évacuations sanitaires.

Concernant l’Ukraine, le Président de la République française et la Chancelière allemande ont rendu compte des résultats de la réunion qui s’était tenue en format Normandie, le 19 octobre, à Berlin, avec le Président Poutine et le Président Porochenko. Elles ont été très difficiles, compte tenu des relations entre l’Ukraine et la Russie. La décision a toutefois été prise de poursuivre la mise en œuvre des accords de Minsk et de continuer le travail dans un même format de négociation avec une feuille de route portant sur l’organisation des élections locales, la sécurité des observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’adoption du statut décentralisé des régions de l’est de l’Ukraine, et le contrôle du cessez-le-feu. Au mois de décembre, la question reviendra au Conseil européen sous l’angle de la reconduction éventuelle des sanctions sectorielles à l’égard de la Russie.

Sur la relation générale avec la Russie, les diverses interventions ont été marquées par des inquiétudes concernant ce qui se passe en Europe : survols aériens, cyberattaques, campagnes de désinformation. Le Conseil dit « oui » à un partenariat avec la Russie, mais en faisant face avec fermeté et unité à une réalité en matière de sécurité. Ce débat reviendra au mois de décembre.

Enfin, le Conseil européen a salué la ratification par l’Union européenne de l’accord de Paris, issu de la COP21, qui a permis que ce texte entre en vigueur. La dynamique ainsi lancée doit se poursuivre avec une ratification par l’ensemble des États membres dans les plus brefs délais.

L’ordre du jour du Conseil portait sur une partie de « l’agenda de Bratislava ». Une autre partie sera évoquée lors du Conseil européen du mois de décembre, notamment tout ce qui concerne l’agenda de la défense. Un travail préalable est en cours, et une réunion des ministres de la défense et des affaires étrangères sera consacrée à des sujets tels que les états-majors, les financements ou les bases industrielles de défense. Nous souhaitons que cette autre partie de la feuille de route de Bratislava fasse aussi l’objet de décisions.

Mme Isabelle Bruneau. En matière commerciale, le Conseil européen a réaffirmé l’attachement de l’Union européenne à un système multilatéral ouvert, fondé sur des normes. Le mode de vie européen repose, en effet, sur des normes sanitaires et environnementales qui font de notre modèle social un exemple. Si la défense et la promotion des normes sont salutaires, il faut aussi répondre aux préoccupations des citoyens et des États membres face aux défis et aux changements qu’impose la mondialisation. Nous connaissons actuellement une crise agricole sans précédent qui, à la fois, a des causes conjoncturelles et structurelles, et est aussi l’aboutissement d’un système dérégulé particulièrement prédateur et destructeur. La France n’en est pas moins l’un des pays dans lequel les normes sanitaires sont les plus fortes, assurant une protection de qualité pour les consommateurs. Or tous les pays européens n’ont pas la même exigence, ce qui entraîne souvent de forts différentiels de charges entre les agriculteurs. Ces écarts sont ressentis comme une concurrence déloyale, sentiment qui ne peut pas être assimilé à un refus des normes.

Pouvons-nous aller vers une harmonisation des normes au sein de l’Union ? Pensez-vous qu’une diplomatie des normes sanitaires et environnementales puisse être portée en Europe, à l’instar de ce qui a été accompli par Matthias Fekl, le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, avec la diplomatie des territoires ? L’idée d’une harmonisation par le haut dans l’Union européenne vous semble-t-elle envisageable ? À défaut, pouvons-nous retenir celle d’une coopération renforcée, comme celle qui existe en matière fiscale ?

M. Joaquim Pueyo. Le plan Juncker pour l’Afrique est certes très intéressant, mais il n’aura de résultats qu’à moyen et long termes. Hier encore, plus de 2 000 migrants ont été secourus dans le cadre de l’opération Sophia menée par l’Union européenne – il y en a eu plus de 10 000 en une semaine, et 153 000 depuis le début de l’année, sans parler des milliers de morts. Nous sommes inquiets face à ce flux migratoire, même si nous savons que l’Union fait tout ce qu’elle peut pour venir en aide aux migrants et trouver des solutions aux problèmes posés par ces flux.

L’accord UE-Turquie constituait l’une de ces solutions. Le ministre turc, qui n’en est pas à sa première provocation à l’égard de l’Union, vient de dénoncer l’attitude de cette dernière dans la mise en place de l’accord qui prévoit la relocalisation des migrants et des réfugiés arrivés sur les côtes européennes de la Turquie. Il reproche à l’Union européenne de ne pas tenir ses engagements, en particulier en matière d’obligation de visa pour les ressortissants turcs se rendant sur le territoire de l’Union. Il indique que si cette obligation n’est pas supprimée avant la fin de l’année, l’accord sera caduc. Disposez-vous d’informations sur ce dossier ? Des discussions sont-elles toujours en cours entre le Conseil européen et la Turquie ? Il faut bien reconnaître que l’accord avec ce pays pouvait donner quelque espoir en matière de maîtrise des flux migratoires.

M. Arnaud Richard. Somme toute, le Conseil européen des 20 et 21 octobre s’inscrit dans la droite ligne des précédents Conseils, s’agissant, en particulier, de la crise migratoire.

Je salue l’idée d’un plan Junker pour l’Afrique. Nous avions eu la même, il y a environ dix-huit mois, avec Razzy Hammadi. À l’époque, tout le monde avait semblé un peu interloqué. Il est, en tout cas, agréable de constater qu’une bonne idée, même si nous n’avons fait que l’introduire dans le débat public, a pu prospérer. Nous avons hâte de voir comment elle se concrétisera – en espérant que le texte européen qui la mettra en œuvre ne sera pas aussi compliqué que le règlement européen relatif au plan Juncker.

Afin de contrôler la route de la Méditerranée orientale, le Conseil européen a appelé à la poursuite de l’application de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Comme vous le savez, le groupe Union des démocrates et indépendants a fermement dénoncé cet accord et ses conséquences. Nous avons surtout demandé qu’il fasse l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale. Manifestement, le Gouvernement ne souhaite pas qu’il en soit ainsi. Pourriez-vous cependant nous faire connaître précisément le bilan provisoire de cet accord, en particulier en ce qui concerne les entrées et les retours des îles grecques vers la Turquie, et nous indiquer en quoi ce bilan justifie, selon vous, la poursuite de l’application de l’accord ?

Le règlement relatif au corps européen des garde-frontières et des garde-côtes est entré en vigueur le 6 octobre dernier, conformément à ce que nous étions nombreux à demander sur divers bancs de l’hémicycle depuis de nombreuses années. Quels sont les efforts consentis par la France pour fournir des personnels et des équipements à ce corps ? Pourra-t-il être totalement déployé, comme cela est prévu, à partir de décembre 2016 ?

La guerre en Syrie constitue l’une des principales causes de la crise migratoire. Le Conseil européen, comme la diplomatie française, a condamné avec force les attaques perpétrées par le régime syrien et ses alliés contre les civils d’Alep. Comment la France œuvre-t-elle avec ses partenaires européens pour obtenir le vote d’une éventuelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant l’utilisation d’armes chimiques en Syrie ? Après la visite en Turquie du ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, il s’agirait aussi de voir comment l’Union peut relancer le processus de paix avec la Syrie.

Je souhaite également vous interroger sur la méthode de négociation des accords de libre-échange avec nos partenaires économiques et commerciaux. L’échec des négociations sur le Transatlantic Trade and Investment Partnership, et les difficultés rencontrées dans la négociation du Comprehensive Economic and Trade Agreement avec le Canada – je pense évidemment à l’épisode wallon – démontrent qu’il est sans doute nécessaire d’adopter une méthode différente. Cela semble d’autant plus important dans la perspective des négociations d’un traité à venir avec le Japon et avec nos partenaires de la zone Mercosur. Seriez-vous favorable à une consultation des parlements nationaux et de la société civile en amont, afin qu’une feuille de route claire soit adoptée par chaque État membre, l’ensemble constituant enfin la base du mandat de la Commission européenne ?

Mme Marietta Karamanli. Je suis tout à fait d’accord sur le caractère non négociable de la solidarité. Il est important que nous tenions bon sur ce sujet.

Dans le « paquet sur mesure » à conclure avec les pays d’émigration pour mieux maîtriser les migrations économiques, quelle serait la nature exacte du fonds d’investissement pour l’extérieur qui est envisagé ? Requiert-il de la part des pays européens plus d’investissements ou plus de moyens mis à disposition de l’aide au développement ?

S’agissant du CETA, vous nous avez présenté la position française, en déclinant les différents domaines ayant fait l’objet d’une bonne négociation. Mais les oppositions à la conclusion de l’accord me semblent mettre aussi en évidence des interrogations sur les outils d’une meilleure défense commerciale européenne, notamment face à la règle du moindre coût, qui favorise le dumping social, mais aussi la fin des mécanismes de protection qui suivront l’adhésion de la Chine à l’OMC. Ces deux sujets ont-ils été abordés ? Si oui, quelle était la position de la France ?

Mme Nathalie Chabanne. Depuis le début de la guerre en Syrie, et même si les chiffres sont difficiles à obtenir, on sait que près de 300 000 Syriens ont été tués dans ce conflit ; que 178 hôpitaux ont été détruits ; que l’espérance de vie est passée de soixante-dix ans en 2010 à cinquante-cinq ans aujourd’hui ; que 10 millions de Syriens, soit 45 % de la population, ont fui les combats, pour tenter de sauver leur vie. On sait aussi que ce sont les pays voisins qui accueillent le plus de ces réfugiés : 2,7 millions en Turquie, 1,1 million au Liban, plus de 600 000 en Jordanie. Pendant ce temps, la France aura accueilli 11 000 Syriens.

C’est dans ce contexte qu’il y a eu une volonté européenne de passer un accord avec la Turquie, porte d’entrée de nombreux réfugiés. Cet accord permet de renvoyer en Turquie toute personne arrivée illégalement sur le territoire grec après le 20 mars 2016, y compris des Syriens. L’idée est de confier à la Turquie la possibilité de faire l’accueil et le tri administratif des demandes d’asile. Au-delà du fait qu’il est peut-être un peu contradictoire avec certaines conventions, notamment celle de Genève, cet accord est d’abord inquiétant.

D’abord, parce que la Turquie, débordée par l’afflux de réfugiés, ne répond pas vraiment aux standards internationaux en matière d’accueil des presque 3 millions de Syriens qui sont sur son territoire. Je ne reviens pas sur la situation politique en Turquie, mais je tiens tout de même à insister sur le résultat de tout ceci, parfaitement relevé dans le dernier rapport d’Amnesty International : « Seuls dix pays, qui représentent moins de 2,5 % du PIB mondial, accueillent 56 % des réfugiés de la planète ». C’est tout de même sacrément disproportionné !

Dimanche dernier, Jean-Marc Ayrault s’est rendu dans un des camps de réfugiés de Turquie. Proche de la frontière syrienne, le camp de Nizip compte près de 11 000 réfugiés et sert de référence pour de nombreux dirigeants européens. Au printemps dernier, des cas de viols d’enfants y ont pourtant été révélés et la décence des conditions de vie n’y est vraiment pas assurée. Qu’il s’agisse de la protection juridique et administrative ou encore de l’accès au marché du travail des réfugiés, toutes ces questions restent en pratique illusoire. Amnesty International, suite à des recherches menées sur place, établit que les autorités procèdent à l’arrestation de réfugiés, à leur détention, voire à leur renvoi en Syrie ou en Irak.

Aussi, on comprend la réaction de M. Vincent Cochetel, directeur Europe du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) qui, en septembre dernier, a indiqué que les conditions de protection des réfugiés syriens renvoyés en Turquie dans le cadre de cet accord n’étaient pas réunies. Même les Syriens retournés volontairement en Turquie depuis la Grèce ne bénéficient toujours pas du statut de protection temporaire.

De plus, l’accord s’appuie sur la capacité de la Grèce à stopper les réfugiés et à les renvoyer en Turquie. Cela pose de nombreux problèmes sur le terrain. Les différentes ONG dénoncent cette situation, sachant que ni elles ni le HCR, et encore moins les avocats ne peuvent avoir accès aux centres de détention dans lesquels sont placées les personnes renvoyées de Grèce en Turquie.

La situation humanitaire des réfugiés alarme à la fois l’opinion publique, mais aussi les ONG. Les différentes tentatives de cessez-le-feu n’ont, pour le moment, pas trouvé de solution pérenne. Pourtant l’urgence se fait sérieusement sentir. Au vu de tous ces éléments, et en lien avec l’actualité du déplacement du ministre des affaires étrangères, j’aimerais connaître la position et les intentions de la France quant à la situation de ces camps en Turquie, mais aussi la position de l’Union européenne quant au devenir de l’accord UE-Turquie.

La Présidente Danielle Auroi. S’agissant des gardes-frontières, je me demande, d’une manière qui vous semblera peut-être superficielle, s’il ne serait pas bon qu’ils portent un uniforme spécifique faisant référence à l’Union européenne. N’y aurait-il pas là un moyen de faire naître entre eux et à leur endroit un sentiment de cohésion ?

S’agissant d’une version africaine du plan Juncker, je confirme qu’une proposition issue de deux de nos rapporteurs, dont Arnaud Richard, était sur la table depuis quelques mois. Il me semble qu’il y a déjà de quoi faire avec ce que Jean-Louis Borloo propose en matière d’énergie, qui s’inscrit, qui plus est, dans les objectifs de la COP21. Un tel plan devrait cependant s’accompagner de clauses sévères contre la corruption. C’est un sujet que nous abordons avec les Balkans occidentaux ; pourquoi ne pas le faire aussi avec nos partenaires africains ?

Quant au Moyen-Orient, on parle beaucoup d’Alep mais moins de Mossoul et du sort de ses civils. C’est pourtant la structure de la défense française qui s’y trouve en première ligne, alors que l’État islamique se sert des civils comme boucliers humains. Le Conseil a-t-il évoqué la situation ? Comment est jugée la participation des Kurdes, bombardés par ailleurs par les Turcs ? C’est l’ensemble d’une zone qui est déstabilisée, non seulement la Syrie. Comme Nathalie Chabanne, je pense que nous ne pouvons oublier les problèmes humains.

M. le secrétaire d’État. S’agissant des normes sanitaires et de leur harmonisation, le marché intérieur et la politique agricole commune (PAC) ont, en principe, vocation à mener cette dernière à bien, même si des différences peuvent subsister d’un État membre à l’autre, notamment en cas de surtranposition des directives européennes. Servons-nous des normes européennes pour que ceux-ci soient des étalons ou éléments de benchmarking, sur le plan sanitaire ou phytosanitaire, dans les négociations internationales, pour conclure des accords de libre-échange ou dans le cadre de l’OMC.

Le monde agricole connaît cependant des difficultés. En face des crises agricoles, le ministre de l’agriculture s’est mobilisé pour que des aides exceptionnelles soient versées au secteur, mais aussi pour que des mesures soient prises afin de mieux maîtriser l’évolution du marché. Nous espérons qu’elles vont aboutir et qu’elles permettront de sortir durablement de la double crise du lait et du porc.

Monsieur Pueyo, vous soulignez que le plan d’investissement en Afrique produira ses effets sur le long terme, mais que nous sommes confrontés à des crises d’urgence et qu’il y a encore des naufrages en Méditerranée centrale. C’est bien le signe que les problèmes ne sont pas derrière nous, qui tiennent notamment à l’effondrement de la Libye, en proie à une crise interne à la résolution de laquelle nous travaillons avec nos autres partenaires. Les problèmes tiennent aussi aux causes même de l’immigration : tant qu’il y aura des guerres, des dictatures, du sous-développement et de la misère, nous observerons des tentatives de traversée de la Méditerranée.

Il faut donc lutter contre les passages illégaux, à l’origine de tant de drames et de naufrages, et cela passe en particulier par l’accord qui a été conclu avec la Turquie. Il n’existe pas d’équivalent avec la Libye, car cet État n’offre pas les mêmes garanties. C’est pourquoi les trafics continuent entre la Libye et l’Italie, et que l’on voit encore, au large des côtes italiennes, notamment de Lampedusa, des scènes de naufrages, des drames et des morts, comme ceux qui se produisaient en mer Égée avant l’accord UE-Turquie. On sait d’ailleurs, par les témoignages des migrants et réfugiés recueillis au large de l’Italie par les marines de l’Union européenne, qu’ils subissent de la part des réseaux de passeurs des traitements indignes, une quasi-mise en esclavage, des violences très graves à l’égard des femmes sur le territoire même de la Libye. Grâce à un mandat élargi, l’opération Sophia de l’EUNAVFOR MED arraisonne les bateaux de passeurs, secourt les migrants et remonte les filières des trafics de tout type, notamment d’armes. À cette fin, nous coopérons également avec les pays du Sahel, en particulier le Niger.

L’accord entre l’Union européenne et la Turquie a fait l’objet de votre part de diverses réactions : M. Richard a exprimé le désaccord de son groupe ; Mme Chabanne a repris les nombreuses remarques relatives aux droits de l’homme, au droit d’asile, à la situation des réfugiés dans les camps en Turquie qui avaient pu être formulées. S’il faut tenir compte de ces remarques, un premier bilan permet de constater que l’on est passé de 2 000 à 2 500 traversées quotidiennes de l’Égée par des migrants avant l’accord du mois de mars, à 80 par jour aujourd’hui. Nous ne sommes donc plus du tout en face du même type de trafic et il y a substantiellement moins de naufrages et de drames au large des îles grecques. C’est pourquoi le Conseil européen a souligné que les engagements doivent être tenus par les deux parties.

L’accord prévoit que, même secouru par la marine européenne, un migrant ne peut monter plus haut en Europe. La route des Balkans lui est barrée, du fait de la fermeture par la Macédoine de sa frontière avec la Grèce. Il est renvoyé en Turquie où, dans le cadre du programme de réinstallation, il peut déposer sa demande auprès de l’UNHCR ou des bureaux établis par les États membres de l’Union européenne : telle est la voie de l’accueil en Europe. Toutefois, beaucoup de réfugiés veulent vivre près de la Syrie, en Jordanie, au Liban et en Turquie. C’est là que nous leur apportons du secours, en aidant ces États à leur assurer des conditions de vie correctes, dans des camps ou dans les villes. Le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault s’est ainsi rendu dans la ville comme dans le camp de Gaziantep, qui accueille beaucoup de réfugiés. L’accord avec la Turquie fonctionne donc, même s’il fut difficile à négocier et reste difficile à mettre en œuvre. Il était, en tout cas, nécessaire, car il a permis d’interrompre le trafic.

Il faut néanmoins aider la Grèce à faire face aux migrants arrivés sur son territoire avant la conclusion de l’accord avec la Turquie. Un goulet d’étranglement s’est formé après la fermeture de la route des Balkans. Plus de 60 000 réfugiés, notamment Érythréens et Syriens, largement éligibles à l’asile, y sont concernés par le programme de relocalisation. D’autres migrants ne relèvent pas du droit d’asile et seront, selon les termes de l’accord UE-Turquie, renvoyés en Turquie, où nous sommes attentifs à ce que leurs droits soient respectés. D’autres encore seront renvoyés dans leur pays d’origine en vertu d’accords de réadmission que la Grèce peut avoir avec différents pays.

L’accord UE-Turquie doit fonctionner dans le respect du droit d’asile. Un examen individuel des dossiers doit être effectué pour tous les Syriens qui sont arrivés en Grèce, même après le mois de mars, avant qu’ils soient éventuellement renvoyés en Turquie. Très peu ont été l’objet de retour en Turquie, monsieur Richard, puisque vous m’avez interrogé sur un bilan chiffré. La procédure d’asile est très longue, mais le signe est d’ores et déjà passé que ce n’est pas une façon de pouvoir arriver en Europe. Pour ceux qui étaient là avant la signature de l’accord et qui ne peuvent être renvoyés en Turquie, 5 953 relocalisations ont eu lieu dans les autres pays de l’Union européenne, 4 637 depuis la Grèce et 1 316 depuis l’Italie. La France en a été la première destination, à hauteur de 1 756 migrants, soit 40 % des relocalisations en provenance de la Grèce. D’autres États membres se sont engagés à adopter un rythme plus soutenu pour ces relocalisations.

Avec la Turquie, le système de réinstallation repose sur le système du un pour un : pour chaque Syrien renvoyé de la Grèce vers la Turquie, l’Europe accueille un Syrien. Au-delà, l’Union européenne s’est engagée à accueillir plusieurs milliers de réfugiés déjà présents en Turquie. Non moins de 10 695 personnes ont ainsi été réinstallées dans vingt États membres, dont 1 694 dans le cadre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. La France a réinstallé 664 personnes, dont 228 en provenance de Turquie, 243 en provenance du Liban et 193 en provenance de Jordanie.

Au système de migration non contrôlé, illégal et meurtrier se substitue un système de gestion des réfugiés qui soit aussi protecteur de leurs droits que de leur sécurité.

Pour les gardes-frontières, madame la présidente, la contribution de la France devrait s’élever à 170 personnes sur les 1 500 de la réserve mobilisable à l’échelle européenne. Le Conseil européen a demandé à ce que tous soient près pour la fin de l’année, ce qui sera le cas pour notre contingent. Il s’agit en général d’agents issus de corps comparables à ceux de notre police de l’air et des frontières. Porteront-ils le même uniforme ? A priori non. Les uniformes différeront selon le pays contributeur mais seront complétés par un bandeau qui permettra une identification commune, comme cela se pratique pour les opérations de l’ONU.

S’agissant de la guerre en Syrie, la France œuvre à une résolution politique du conflit, d’abord aux Nations unies. Elle a aussi abordé le sujet à Berlin, après la réunion en format Normandie sur l’Ukraine, pour tenter de faire revenir la Russie sur le veto qu’elle a opposé de façon scandaleuse à la résolution française proposée au Conseil de sécurité, tendant à garantir l’accès à l’aide humanitaire aux populations civiles, et pour qu’elle accepte de reprendre une négociation politique. Une réunion à Londres et quelques autres n’ont pas encore débouché.

À propos des méthodes différentes à suivre pour la conclusion des accords de commerce, vous avez raison, madame Karamanli. De tels accords sont en discussion avec le Mercosur, le Japon et plusieurs pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). Il importe d’associer davantage les parlements nationaux et la société civile à la conclusion de ces accords, dès le stade de la définition du mandat de négociation. La France, au demeurant, a toujours demandé que ces mandats soient publics, sachant qu’ils font, de toute façon, toujours l’objet de fuites. Nous considérons, en effet, que la transparence est importante en ces matières, car il ne s’agit plus seulement de droits de douane et de quotas. Ce sont maintenant des réglementations concernant des services ou des questions sensibles touchant aux normes environnementales, sanitaires et sociales qui peuvent être remises en cause. Puisque les parlements sont saisis pour ratification de l’accord à la fin du processus, autant diffuser, au cours de la négociation, les informations expliquant les bénéfices et garanties pouvant être attendues, les contreparties apportées et les éléments de réciprocité.

En ce qui concerne le plan en faveur de l’Afrique, j’ai tracé un parallélisme avec le plan Juncker parce que les projets seraient garantis par le budget de l’Union européenne et par des engagements de la Banque européenne d’investissement (BEI), qui peut agir hors de l’Union européenne, quoique dans des proportions limitées de son bilan, ce qui peut être amené à évoluer. D’autres outils sont à notre disposition. C’est ainsi que nous encourageons des initiatives privées et publiques en Afrique, dans les domaines de la transition énergétique, de l’agriculture, des infrastructures de transport et dans le secteur industriel. Tous ces domaines sont générateurs d’emplois, ce qui dessine d’importantes perspectives de développement économique nécessaires pour accompagner la lutte contre les migrations – puisque c’est ce qui pousse l’Union européenne à s’engager davantage dans l’économie africaine.

Madame Chabanne, vous dites avec raison que le conflit en Syrie est le plus meurtrier de ces dernières années, avec 300 000 morts. Il est aussi très long puisqu’il dure depuis 2011. Il a amené une proportion considérable de la population syrienne à se réfugier dans les pays voisins, une petite partie venant se réfugier en Europe. La France veut inscrire son soutien dans le cadre plus large des contributions internationales, car les États-Unis et le Canada, mais aussi l’Australie, ont eux aussi un rôle à jouer.

La plupart des réfugiés se trouvent cependant dans les trois pays voisins de la Syrie. C’est là qu’un grand effort doit être fait sur les conditions de vie dans les camps et sur le respect des droits de l’homme. Avec le HCR, avec les ONG européennes et non européennes, nous travaillons pour assurer de bonnes conditions aux Syriens réfugiés en Turquie. Certes, des problèmes existent, mais je souligne que c’est la Turquie qui accueille le plus de réfugiés syriens. Nous conduisons avec elle un débat très ferme sur le respect des droits de l’homme. Si Jean-Marc Ayrault a indiqué, lors de son déplacement, que la France reconnaissait la légitimité du pouvoir turc à lutter contre les auteurs de la tentative de coup d’État, il a précisé que cela ne pouvait pas se faire en condamnant ou en mettant en prison des fonctionnaires de l’éducation nationale ou d’autres services qui n’avaient rien à voir avec l’exécution du coup d’État. En tout état de cause, les réfugiés se rendent en Turquie, ou d’ailleurs en Jordanie ou au Liban, parce qu’ils considèrent qu’ils s’y trouvent en sécurité.

Monsieur Pueyo, vous avez évoqué les risques de remise en cause de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Les membres du gouvernement turc veulent seulement que l’Union européenne respecte ses engagements. Mais la facilité financière de 3 milliards d’euros est bien là, et les réinstallations suivent leur cours. Dans l’accord sur les visas, il n’y a pas d’automaticité ; il est soumis à certaines conditions qui sont claires depuis le début : les soixante-douze critères pour la Turquie et, pour ce qui concerne l’Union elle-même, l’adoption d’une clause de sauvegarde révisée.

Quant à la situation à Mossoul, madame la présidente, l’État islamique, qui y recule, doit être combattu et battu. Ses combattants reviendront vers leur pays d’origine, et donc parfois en Europe. Tout cela est, bien sûr, l’objet d’une très grande vigilance. Les civils restent un sujet de préoccupation pour les forces de la coalition. Il y a un risque et même une probabilité qu’ils cherchent refuge hors de la ville, ce qui a été identifié comme un très gros problème à anticiper, en termes d’abri, de sécurité, de logement et de nourriture, car il s’agira d’accueillir jusqu’à la moitié de la population de Mossoul au cours des prochaines semaines et des prochains mois. Avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, des places ont donc été prévues dans les environs de Mossoul pour non moins de 750 000 réfugiés. L’Union européenne participe beaucoup au financement et à l’organisation de cet accueil humanitaire des populations civiles.

La Présidente Danielle Auroi. Merci de vos réponses et du temps que vous nous avez accordé. Sans doute nous reverrons-nous en décembre, notamment pour évoquer les questions de défense, à la suite du Conseil européen.

II. Nomination de rapporteur d’information

Sur proposition de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a nommé rapporteur d’information :

M. Arnaud Leroy, sur la stratégie européenne pour une mobilité à faible taux d’émission.

La séance est levée à 18 h 12

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 25 octobre 2016 à 17 heures

Présents. – Mme Danielle Auroi, Mme Isabelle Bruneau, Mme Nathalie Chabanne, Mme Marietta Karamanli, M. Joaquim Pueyo, M. Arnaud Richard, M. Gilles Savary

Excusé. - M. Pierre Lequiller