S O M M A I R E

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I.– le paradoxe corse : une économie largement soutenue qui reste cependant fragile, des dépenses publiques abondantes qui n’ont pas les effets escomptés

A.– Une économie déséquilibrée à la recherche de projets porteurs d’avenir *

1.– Des handicaps naturels à relativiser *

a) Des handicaps naturels incontestables *

·  Le poids économique et psychologique de l’insularité *

·  L’excessif cloisonnement de la Corse *

·  L’absence de matières premières *

·  Une crise démographique ancienne et actuelle *

b) Le mécanisme de la continuité territoriale réduit les principales conséquences de l’insularité *

·  La mise en place de la continuité territoriale *

·  La situation actuelle *

·  La dotation de continuité territoriale représente un effort financier important de l’État *

·  Les flux de transport et leurs caractéristiques *

c) Les handicaps naturels pourraient se révéler des atouts *

2.  Les fragilités actuelles d’une économie à la croisée des chemins *

a) Des constats alarmants qu’atténuent quelques notes d’espoir *

·  Un PIB par habitant inférieur à la moyenne des régions européennes comme à la moyenne nationale *

· Des signes d’amélioration économique *

b) La structure atypique d’une économie régionale relativement marquée par le problème du chômage *

·  Une économie déséquilibrée *

·  Un secteur tertiaire prédominant dans la répartition de l’emploi *

·  Des conditions de vie correctes, mais un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale *

c) Une agriculture largement assistée *

·  Malgré un poids économique limité, une place importante dans la société insulaire *

·  Les différents visages de l’agriculture corse *

·  Vingt ans de mutations parfois douloureuses *

d) Un secteur du tourisme en évolution constante *

·  Un impact globalement très positif sur l’économie et le marché de l’emploi *

·  Une fréquentation touristique en hausse *

·  Un secteur encore fragilisé par des handicaps de nature diverse *

3.– Des obstacles au développement à surmonter *

a) Un contexte politique et social agité *

b) Un passé encore très présent *

·  Un développement tardif *

·  Une culture économique à développer *

·  La persistance de l’indivision *

c) Des entreprises vulnérables *

·  Un marché trop étroit *

·  Une rentabilité insuffisante *

·  Un secteur privé sous-capitalisé et surendetté *

·  Les collectivités locales : des partenaires souvent peu fiables *

 

I.– le paradoxe corse : une économie largement soutenue qui reste cependant fragile, des dépenses publiques abondantes qui n’ont pas les effets escomptés

Au cours des dernières années, de nombreux rapports ont mis en évidence l’ampleur des concours financiers de l’État à la Corse, crédits complétés par ceux, croissants, de l’Union européenne. Plus que d’autres régions, la Corse se situe donc à la convergence d’un double effort financier. Nombreux sont ceux qui, dans l’île même, se sont étonnés du contraste entre l’importance de ces fonds publics et la situation économique, volontiers décrite comme difficile, voire catastrophique. Les handicaps naturels de l’île, les fragilités d’une économie déséquilibrée – entre un étroit secteur productif et une sphère publique hypertrophiée –, les mutations douloureuses d’une agriculture en crise et le poids d’un endettement préoccupant en constituent les explications les plus évidentes. Le poids du passé et les soubresauts de l’histoire récente jouent également un rôle non négligeable.

Selon certains observateurs, l’origine de ce paradoxe corse doit essentiellement être recherchée dans la mauvaise utilisation des fonds publics. C’est dans un souci de clarification qu’un grand nombre de députés se prononça en faveur de la création d’une commission d’enquête. Celle-ci a en effet cherché à évaluer ces masses financières en ayant le souci de la plus grande objectivité possible. Elle s’est ainsi attachée à distinguer les concours qui, parmi ces flux, témoignent de l’expression d’une solidarité spécifique pour la Corse, des dépenses qui obéissent, en fait, aux mêmes règles que celles observées dans les autres régions françaises.

Au-delà des montants annoncés, il importe que l’usage fait de ces crédits soit conforme à leur objet et, surtout, de nature à contribuer au développement économique de l’île. C’est pourquoi la commission a ordonné une partie de ses investigations autour de la question cruciale de l’efficacité des dépenses publiques.

 

A.– Une économie déséquilibrée à la recherche de projets porteurs d’avenir

Les acteurs de la vie économique insulaire entretiennent volontiers un discours alarmiste sur la situation de la Corse. L’économie doit faire face, il est vrai, à un certain nombre d’obstacles. Les handicaps naturels – au premier rang desquels l’insularité –, la faiblesse du secteur productif, la grande vulnérabilité des entreprises aggravée par un niveau d’endettement préoccupant et le poids du passé sont autant de freins au développement de l’île.

Pourtant, la Corse dispose d’un potentiel incontestable. Alors que la dotation de continuité territoriale contribue à réduire les conséquences économiques de l’insularité, l’île dispose d’une population, certes peu nombreuse, dont le niveau de vie n’est pas sensiblement inférieur à celui du reste du pays. Enfin, même s’ils n’ont pas achevé leur évolution et connaissent encore des fragilités parfois inquiétantes, les deux secteurs essentiels que sont le tourisme et, dans une moindre mesure, l’agriculture restent porteurs d’avenir.

1.– Des handicaps naturels à relativiser

Les handicaps naturels et géographiques dont souffre la Corse ont déjà été abondamment décrits. La Corse est une île montagneuse peu peuplée, constituant un marché étroit et morcelé loin des flux économiques majeurs. Pourtant, le mécanisme de continuité territoriale ayant contribué à réduire les conséquences économiques principales de l’insularité, ces handicaps pourraient paradoxalement constituer autant d’atouts pour le développement économique de l’île.

a) Des handicaps naturels incontestables

L’insularité vient évidemment en tête de ces handicaps naturels. S’y ajoutent le cloisonnement géographique liée à la structure montagneuse de l’île, l’absence de richesses naturelles et la faiblesse démographique.

·  Le poids économique et psychologique de l’insularité

Il y a quelques années un slogan touristique qualifiait la Corse de " la plus proche des îles lointaines ". En effet, la Corse est géographiquement plus éloignée du continent français que de l’Italie. Ajaccio est à 380 kilomètres de Marseille et Bastia à 240 kilomètres de Nice.

C’est dire si les transports ont un rôle essentiel à jouer tant pour la vie quotidienne des habitants de l’île que pour son économie.

Comme l’expliquait devant la mission d’information sur la Corse, M. Jean Milli, directeur régional de la Banque de France, le poids de l’insularité se fait particulièrement sentir au travers des contraintes liées aux transports : " les délais sont accrus pour les approvisionnements ; on note un surcoût de production dû au coût des transports et de livraison ; la précarité des approvisionnements nécessite l’entretien de stocks de sécurité – on ne sait jamais si l’on sera livré à bonne date. L’ensemble de ces handicaps renchérissent le prix des produits et mettent les entreprises dans une position désavantageuse face à la concurrence externe à l’île. "

Les effets économiques de l’insularité n’ont jamais fait l’objet d’étude précise dans la période récente. Pour être pertinente, une telle analyse devrait être fine et examiner la situation secteur par secteur, produits par produits. Des estimations très sommaires évaluaient pourtant le surcoût dû à l’insularité entre 3 et 5 % de la valeur des produits, sans que ce chiffre soit totalement incontestable.

Au-delà de l’effet sur les prix auquel le mécanisme de la continuité territoriale s’est attaché à répondre, il est clair que l’insularité complique les problèmes logistiques. L’ensemble des acteurs économiques, producteurs comme simples voyageurs, ne peuvent en effet utiliser leur propres moyens de transport et recourir au mode aujourd’hui le plus souple et le moins onéreux, à savoir la route. Ils doivent s’en remettre aux compagnies maritimes ou aériennes. Cette dépendance est à l’origine d’un certain nombre d’incompréhensions. L’irrégularité des transports est l’une des premières critiques avancées par les insulaires.

Si les compagnies maritimes reconnaissent que, dans le passé, les conflits sociaux internes ont pu interrompre leur service, elles notent aujourd’hui que les interruptions ne sont plus aujourd’hui de leur fait, ou très peu. En effet, beaucoup de conflits sociaux sur l’île sont l’occasion d’occupation des installations portuaires et de blocage des bateaux eux-mêmes. De plus, les compagnies ne peuvent maîtriser les grèves qui peuvent affecter les ports ou les services de la navigation aérienne. Les conditions météorologiques, notamment sur les navires à grande vitesse très sensibles aux fortes houles, pèsent également.

Mais, plus profondément peut-être, l’insularité a une forte dimension psychologique que le journal Le Monde mettait en évidence en posant la question " et si la Creuse était entourée d’eau ? ". Tous les Corses, qu’ils continuent à vivre sur l’île ou non, le disent. Comme l’écrit M. Robert Colonna d’Istria, " une île demeure, même avec les progrès des transports et des télécommunications, un monde clos, original, particulier et reste, selon l’expression de Michel Tournier, la "rupture d’un lien" ".

·  L’excessif cloisonnement de la Corse

La Corse est également " une montagne dans la mer ". Ainsi que le soulignait le Livre blanc préparatoire au schéma d’aménagement de la Corse, seuls 10 % du territoire de l’île présentent une pente inférieure à 12 % et, hormis la plaine orientale, les terrains plats sont quasi-inexistants. C’est de plus une montagne particulièrement tourmentée : pas de vallées offrant de grandes voies de pénétration, une disposition très caractéristique des chaînes secondaires – en " arêtes de poisson " – par rapport à la chaîne centrale. Orientées est-ouest, les vallées ne communiquent guère : la Corse est donc cloisonnée, divisée en de nombreuses micro-régions qui ont développé leurs caractères et leurs particularismes. D’ailleurs, la direction régionale de l’INSEE a publié en 1994 une étude sur la Corse et ses micro-régions opportunément intitulée " un puzzle en 19 pièces ".

Dès lors, les communications intérieures sont particulièrement difficiles. Les distances se mesurent plus en heures de route qu’en kilomètres. Il faut toujours près de trois heures pour se rendre de Bastia à Ajaccio, alors que les deux villes principales de l’île ne sont séparées que par 150 kilomètres.

Cependant, le relief et la géographie ne sont pas les seuls responsables de cet état de fait. Le réseau routier a été longtemps (est toujours ?) délaissé en Corse. Elle est la seule région de l’Union européenne à ne pas compter un seul kilomètre d’autoroute et la seule haute montagne à n’être pas traversée par un tunnel. De plus, les grands axes, c’est-à-dire les anciennes routes nationales, ne desservent que moins de la moitié des communes de l’île (147 sur 360) représentant seulement 41 % de la population insulaire.

En effet, il apparaît que les choix passés ont privilégié la mer plutôt que la route. Comme le soulignait le rapport du Sénateur Oudin, " la multiplication des accès maritimes aux différentes micro-régions a de tout temps été préférée au développement des infrastructures routières. Le coût moins élevé des installations portuaires par rapport au réseau routier, ainsi que les habitudes économiques et culturelles qui tournaient les différentes micro-régions corses vers Marseille plus facilement qu’entre elles, ont joué dans ce sens ".

·  L’absence de matières premières

Par ailleurs, la Corse est presque totalement dépourvue de ressources énergétiques ou minières, à l’exception de gisements de granit et de schistes qui ont donné naissance à une filière pierre, laquelle constitue l’un des sinistres financiers majeurs de la caisse de développement de la Corse. De plus, l’agriculture n’occupe qu’une faible partie de l’espace puisqu’on estime la surface agricole utile à 14 % du territoire (contre 57 % au niveau national). Encore s’agit-il de terres assez pauvres qu’il convient d’enrichir et d’amender pour y pratiquer une agriculture intensive.

·  Une crise démographique ancienne et actuelle

Le principal handicap de la Corse est la faiblesse et la structure de sa population, à tel point que certains parlent à son propos de " démographie crépusculaire "

La Corse est la seule région française et la seule grande île de la Méditerranée à ne pas avoir retrouvé sa population du début du siècle. Stabilisée aux environs de 260.000 habitants depuis 4 ans, la population de la Corse s’élevait en effet à 296.000 habitants en 1901. Comparée aux autres grandes îles de la Méditerranée, la Corse est trois fois moins peuplée que les Baléares, six fois moins que la Sardaigne et vingt fois moins que la Sicile.

La population de l’île a diminué sans interruption jusqu’au milieu des années cinquante, sous le double effet des pertes de la première guerre mondiale et de l’exode massif qui a perduré jusqu’à la disparition de l’empire colonial français. Depuis 1954 par contre, la population a recommencé à croître passant de 191.000 à 261.000 habitants en 1998.

Depuis 1990, le gain dépasse 10.000 habitants, ce qui représente un accroissement de 4,1 % en huit ans. Cette croissance, qui a plus profité à la Corse-du-Sud, est avant tout le fait d’un solde migratoire largement positif puisque le solde naturel est particulièrement faible, sept fois inférieur à celui de la France entière en 1996 (0,5 ‰ contre 3,4 ‰). Il est même devenu négatif pour la première fois en 1997 pour atteindre – 0,1 ‰.

Avec environ 2.650 naissances en 1997, le taux de natalité
– 10,2 ‰ – est l’un des plus faibles jamais observé dans l’île et largement inférieur à celui de l’ensemble du pays (12,4 ‰). Ce faible taux de natalité joint à la petite taille des communes explique que la moitié d’entre elles n’ont compté aucune naissance une année sur deux entre 1990 et 1995. Par contre, même s’il a atteint un niveau particulièrement faible en 1997 (10,3 ‰), le taux de mortalité reste supérieur à la moyenne nationale (9,1 ‰).

Peu nombreuse, la population est aussi et surtout vieillissante.

En 1997, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans représentait 17,8 % de la population de l’île (environ 47.000 personnes), alors que les moins de 20 ans en représentaient 23,4% (61.200 personnes environ). Si l’on appliquait à la Corse une répartition par âge identique à celle observée pour la France entière, l’île devrait compter 6.650 jeunes de moins de 20 ans supplémentaires (soit près de 11% de plus) et, à l’inverse, 6.400 personnes de plus de 65 ans de moins (soit près de 14% de moins) ; l’effectif de la tranche d’âge intermédiaire est en phase avec la moyenne nationale.

Par ailleurs, l’effectif des personnes âgées de plus de 75 ans a presque doublé en trente ans pour atteindre près de 20.000 personnes, pour lesquelles les problèmes de dépendance et de prise en charge commencent clairement à se poser. Cet effectif pourrait atteindre 25.000 personnes en 2010.

D’après les projections de l’INSEE pour 2010, ce vieillissement va encore se poursuivre : le nombre des plus de 60 ans dépassera celui des moins de 20 ans (69.700 contre 62.300) et leur part dans la population totale devrait passer de 23 % à 25,5 % (contre respectivement 19,8 % et 22,8 % pour la France entière). Ce vieillissement résulte évidemment du faible solde naturel et de la propension des retraités à revenir dans l’île.

De surcroît, la répartition spatiale est déséquilibrée. Les agglomérations ajaccienne et bastiaise représentent près de la moitié de la population. Le reste se disperse le long du littoral et seuls les villages situés sur le piémont parviennent à garder leurs habitants. Par contre, les villages de l’intérieur se dépeuplent et connaissent un vieillissement considérable de leur population : plus de 40 % de leurs habitants y ont plus de 60 ans. Dans de vastes espaces de l’intérieur, la densité de la population est inférieure à 5 habitants au km².

b) Le mécanisme de la continuité territoriale réduit les principales conséquences de l’insularité

La vie économique de l’île est étroitement dépendante du système de liaisons extérieures, de sa fiabilité, de sa régularité, de son confort et de son coût. Plus que les habitants des régions continentales, les insulaires ont un sentiment profond de dépendance vis-à-vis des transports. L’efficacité de ceux-ci est un facteur important tant pour le tourisme que pour l’activité économique ou la satisfaction du simple besoin de déplacement.

·  La mise en place de la continuité territoriale

Cette exigence a toujours été prise en considération par l’État avec des bonheurs divers. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, un mécanisme particulier était mis en place en 1948. Ses insuffisances conduisirent à la mise en place du système actuel à partir de 1976.

 L’élaboration du mécanisme en 1976

La desserte des lignes d’intérêt national, dont faisaient partie les lignes entre la Corse et le continent, était confiée à la Compagnie générale transatlantique dans le cadre d’une convention assortie d’un cahier des charges conclue en décembre 1948.

Pour couvrir les charges spéciales afférentes à cette exploitation, l’État s’engageait à verser une subvention forfaitaire à la compagnie qui mettait en ligne des navires loués à l’État et devait assurer un certain nombre de rotations entre l’île et le continent. Ce dispositif a permis, entre 1948 et 1976, de faire face à la croissance significative du nombre de passagers transportés et à un développement constant des flux de marchandises.

Cependant, il est peu de dire que les critiques des usagers se sont faites progressivement de plus en plus virulentes. L’acheminement des passagers souffrait notamment d’une insuffisance chronique des capacités disponibles : même en période d’extrême pointe en été, la compagnie concessionnaire ne mettait en ligne que des unités à peine susceptibles d’absorber le trafic moyen de l’intersaison.

Ces critiques ont conduit à la réunion d’un comité interministériel en décembre 1975 qui a mis en place un dispositif bâti sur des principes nouveaux. Dans le cadre d’un monopole de pavillon, le service assuré devenait un véritable service public et non plus seulement un service d’intérêt général. En contrepartie de l’effort financier – sous la forme d’une dotation de continuité territoriale – que consentait la collectivité nationale, les compagnies concessionnaires devaient mettre en place une flotte capable d’absorber les pointes de trafic et de mettre en œuvre un large éventail de dessertes. Enfin, les tarifs proposés devaient rester alignés sur ceux de la SNCF.

Dans ce cadre, l’État a passé convention en mars 1976, pour une durée de 25 ans et 9 mois, avec la société nationale Corse Méditerranée (SNCM) et la compagnie méridionale de navigation (CMN) et, en juin 1978, avec la société Pittaluga pour le transport du ciment.

En 1979, le principe de la continuité territoriale a été étendu au transport aérien de bord à bord assuré par Air France et Air Inter.

 L’implication progressive des autorités régionales

Avant 1982, c’est à l’État qu’il appartenait d’organiser les modalités de desserte de la Corse. Puis, la loi du 30 juillet 1982 a prévu la conclusion d’une convention entre l’État et la région de Corse pour déterminer les liaisons de service public, les modalités de mise en œuvre du principe de continuité territoriale, notamment en matière de dessertes et de tarifs, et arrêté les critères de détermination de la dotation que l’État devait verser à l’office des transports de la région de Corse créé par cette même loi. Sur la base de cette convention conclue en janvier 1986, l’office, établissement public national à caractère industriel et commercial, concluait des conventions particulières quinquennales avec les compagnies concessionnaires.

La convention entre l’État et la région a reconduit comme compagnies concessionnaires et sur les mêmes dessertes, les cinq opérateurs qui bénéficiaient d’une convention avec l’État (SNCM, CMN, société Pittaluga, Air France et Air Inter).

Dans le cadre de cette convention, le principe de la continuité territoriale a été étendu à de nouvelles liaisons aériennes assurées par TAT (liaisons de bord à bord avec Figari à partir de 1986) et par Air Corse, remplacée par la société Kyrnair en 1990 (liaisons de bord à bord avec Toulon à partir de 1987). Par ailleurs, la convention avait arrêté le principe de la création d’une compagnie aérienne régionale, la compagnie Corse Méditerranée (CCM), pour se substituer progressivement aux compagnies nationales sur les liaisons de bord à bord. La compagnie a été effectivement créée en 1989 et reçut alors une autorisation provisoire de transport public et des droits de trafic sur les lignes de Nice. En mars 1993, les conventions avec Air France et Air Inter ont été résiliées au profit de la CCM

La loi du 13 mai 1991 a supprimé l’intervention de l’État dans l’organisation des transports, tout en laissant à sa charge l’octroi d’une dotation de continuité territoriale.

C’est donc aujourd’hui à la Collectivité territoriale de Corse qu’il revient de déterminer l’organisation des transports sur proposition de l’office des transports de Corse. C’est elle qui octroie les concessions aux compagnies dans le cadre d’une convention qui fixe les modalités du versement de la dotation de continuité territoriale. L’office des transports les met en œuvre en concluant des conventions particulières quinquennales avec les compagnies concessionnaires, qui définissent les tarifs, les conditions d’exécution, la qualité du service ainsi que les modalités de contrôle.

·  La situation actuelle

Les concessions et conventions de service public ne reconnaissent pas à leurs signataires un quelconque monopole. L’initiative privée peut s’exercer librement mais ne peut prétendre à être subventionnée par la Collectivité territoriale.

 L’organisation de la desserte maritime

En matière maritime, les concessions de service public conclues par l’État avec la SNCM et la C.M.M. restent en vigueur jusqu’à leur expiration le 31 décembre 2001, la Collectivité territoriale de Corse étant simplement substituée à l’État. Les conventions quinquennales particulières ont été renouvelées en même temps, en juin 1996, pour couvrir la période 1996-2001, c’est-à-dire jusqu’à l’expiration des concessions.

La convention particulière avec la SNCM couvre à la fois un service de marchandises et un service de passagers et de véhicules accompagnés. Le service de marchandises est effectué par cargos rouliers – et éventuellement par paquebots transbordeurs – et concerne les liaisons au départ de Marseille et à destination de Bastia (3 allers-retours par semaine), d’Ajaccio (3 allers-retours par semaine), de Porto-Vecchio (3 allers-retours par semaine) et de la Balagne (Calvi ou l’Ile-Rousse) ou de Propriano (5 allers-retours par semaine).

Le service de passagers est organisé selon trois périodes : la période hivernale (avec 7 liaisons hebdomadaires par paquebot transbordeur entre Marseille ou Nice et la Corse, pouvant être renforcées pendant les vacances scolaires en fonction de la demande prévisionnelle), la période intermédiaire d’automne et de printemps (6 liaisons hebdomadaires par paquebot transbordeur au départ de Marseille et 7 liaisons hebdomadaires par navire à grande vitesse au départ de Nice avec renforcement pendant les vacances scolaires, les week-ends prolongés et les périodes précédant ou suivant immédiatement l’été en fonction de la demande prévisionnelle) et la période estivale (15 liaisons hebdomadaires – pouvant être portées à 18 – par paquebot transbordeur au départ de Marseille et 20 liaisons hebdomadaires – pouvant être portées à 25 – par navire à grande vitesse au départ de Nice).

La convention particulière avec la CMN définit les modalités d’exécution par la compagnie d’un service de transport de marchandises à partir de Marseille par cargos rouliers, lesquels devront également offrir un service passagers et de voitures accompagnées effectué en concertation avec la SNCM Elle couvre l’exploitation des lignes Marseille-Bastia (3 allers-retours par semaine) et Marseille-Ajaccio (3 allers-retours par semaine) sur lesquelles les services sont alternés avec ceux assurés par la SNCM et les lignes entre Marseille et les ports départementaux (3 allers-retours par semaine, dont 2 pour Propriano) que la CMN assure seule.

La desserte de la Corse en ciment en vrac est assurée par le service commun continent-Corse, constitué par les deux société Pittaluga et Someca Transport, dans le cadre d’une convention passée avec l’office des transports en septembre 1991. Cette convention avait été accordée à titre précaire à la suite d’un premier appel d’offres international infructueux et en prévision d’un nouvel appel d’offres qui n’a pas été engagé afin de ne pas lier les mains des nouvelles autorités territoriales qui allaient être mises en place en application de la loi du 13 mai 1991. D’abord prorogée pour un an, cette convention a été à nouveau prorogée, à partir du 1er janvier 1993, par la Collectivité territoriale pour une durée indéterminée avec faculté de dénonciation moyennant préavis de 6 mois. Cette faculté de dénonciation a été utilisée par l’Assemblée de Corse en décembre 1997 : la convention a donc expiré le 30 juin 1998.

 L’organisation de la desserte aérienne

En matière aérienne, les conventions actuelles ont été conclues dans les conditions prévues par le règlement communautaire du 23 juillet 1992 concernant l’accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intra-communautaires.

Dans ce cadre, l’office des transports a déterminé, en accord avec l’État, des obligations de service public sur chacune des liaisons faisant l’objet de la continuité territoriale, portant sur la qualité de la desserte, les fréquences, l’adaptation des capacités à l’importance des flux et sur les tarifs. Ces obligations ont été publiées au Journal officiel des Communautés européennes. Aucune compagnie ne s’étant manifestée pour exploiter ces liaisons sans demander de subvention, une procédure d’appel d’offres ouverte à toutes les compagnies européennes a été lancée en août 1995.

Cinq compagnies seulement, toutes françaises, ont déposé des offres. Air Inter était candidate pour l’ensemble des lignes entre Paris et la Corse, en concurrence avec TAT et Air Liberté pour certaines d’entre elles. La CCM était seule candidate pour les liaisons Marseille ou Nice/Ajaccio ou Bastia et était en concurrence avec TAT et Kyrnair sur les liaisons avec Calvi et Figari, Kyrnair étant, par ailleurs, seule candidate aux liaisons de bord à bord entre Toulon et la Corse.

Conformément à la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, l’Assemblée de Corse s’est prononcée sur le choix des compagnies retenues en décembre 1995.

Comme le reconnaissait le directeur des transports aériens au ministère de l’Equipement, des transports et du logement devant la mission d’information sur la Corse, " ce processus concurrentiel n’a pas bouleversé le paysage des entreprises qui exploitaient auparavant ces lignes. On a quasiment retrouvé les mêmes ". Les liaisons aériennes sont donc assurées dans le cadre de conventions couvrant la période 1996-1998 conclues en décembre 1995 avec Air Inter – à laquelle s’est substituée Air France après la fusion des deux compagnies – pour les liaisons entre Paris et Ajaccio, Bastia et Calvi, avec TAT – à laquelle s’est substituée Air Liberté après que celle-ci eût repris la première en location gérance en 1997 – pour les liaisons entre Figari et Paris, Marseille et Nice, avec la CCM pour les liaisons entre Marseille et Nice et Ajaccio, Bastia et Calvi et, enfin, avec Kyrnair pour les liaisons entre Toulon et Ajaccio et Bastia.

·  La dotation de continuité territoriale représente un effort financier important de l’État

Globalement, la dotation de subvention territoriale s’est élevée en 1998 à 950 millions de francs (au lieu de 937,1 million de francs en 1997, soit une augmentation de 1,4 %), inscrits au budget du ministère de l’Intérieur. Son montant évolue chaque année au même rythme que la dotation globale de fonctionnement. Elle ne fait que transiter dans le budget de la Collectivité territoriale qui la reverse intégralement à l’office des transports de Corse, lequel est chargé de la répartir entre les compagnies concessionnaires dans les conditions prévues par leurs conventions respectives. Outre 5 millions de francs (0,5 % de la dotation) prélevés pour assurer le fonctionnement de l’office, la répartition de la dotation pour 1998 est la suivante :

– les dotations aux compagnies maritimes s’élèvent à 688,5 millions de francs (soit 72,5 % de la dotation de continuité territoriale), répartis entre la SNCM (532,9 millions de francs), la CMN (147,8 millions de francs) et les sociétés Pittaluga-Someca (7,8 millions de francs pour le seul premier semestre en raison de la dénonciation de la convention) ; en outre, le budget de l’office prévoit 12,5 millions de francs au titre de diverses actions économiques en faveur des exportations, essentiellement de produits agricoles, ou de l’évacuation des déchets, ainsi qu’une enveloppe de 5 millions de francs destinée à des opérations à caractère exceptionnel décidées en cours d’année soit pour l’application de nouvelles mesures tarifaires, soit pour faire face à des besoins particuliers (soit au total 1,8 % de la dotation de continuité territoriale) ;

– les dotations aux compagnies aériennes s’élèvent à 239 millions de francs (soit 25,1 % de la dotation de continuité territoriale), répartis entre la CCM (172,4 millions de francs), Air Inter (29,3 millions de francs), TAT (31,4 millions de francs) et Kyrnair (5,9 millions de francs).

·  Les flux de transport et leurs caractéristiques

Les années récentes ont connu un recul du trafic passagers, tandis que le transport de marchandises stagnait. 1997 et l’année en cours pourraient marquer le début d’une période de progression.

 Le transport de marchandises

Plus de 95 % du tonnage net de marchandises diverses (hors ciment et produits pétroliers) transportées par voie maritime à partir du continent français relèvent de la technique dite roll et sont acheminés par des camions ou ensembles accompagnés. Les trafics réalisés par voie aérienne ou depuis l’Italie par navires sont très faibles et ne représentent que 5 % du total. Le trafic roll, du fait de l’organisation logistique à terre du transport, est concentré à Marseille (qui représente 99 % de l’ensemble). Le recul de Nice devrait se poursuivre en raison de sa spécialisation sur le créneau des navires à grande vitesse, du moins tant que ceux-ci ne seront pas en mesure d’embarquer du fret lourd.

De 1985 à 1990, le trafic roulier à partir de Marseille a progressé, en mètres linéaires, en moyenne de 5 % chaque année. Depuis 1991, il stagne aux alentours de 1,1 million de mètres linéaires. Cette stagnation est la conséquence de la situation économique générale de l’île. En ce qui concerne la répartition entre les ports insulaires, Bastia est la principale destination (51,7 % du trafic en 1997), devant Ajaccio (33,9 %) et les quatre ports départementaux qui ne représentent que 14,3 % du trafic. Contrairement au trafic passagers, le trafic de marchandises est relativement stable tout au long de l’année avec une saisonnalité inférieure à 20 %.

S’agissant des compagnies, le trafic à partir de Marseille se répartit entre la SNCM (environ 53 %) et la CMN (environ 47 %).

 Le trafic passagers

Le trafic passagers a connu une croissance presque linéaire jusqu’en 1992. Après un premier recul de 6,4% entre 1992 et 1993, il a fortement diminué entre 1992 et 1996, affichant une perte de 590.000 passagers sur cette période (soit –12,6%). Ce recul est surtout imputable au transport maritime sur les lignes italiennes, puisque la diminution du nombre de passagers entre 1992 et 1997 est de 219.000, alors que le trafic sur les lignes maritimes françaises a dépassé en 1997 son niveau de 1992 (+ 26.000 passagers).

Même si le trafic global n’a pas encore retrouvé son niveau de 1992, l’optimisme semble de retour à l’observation des chiffres de 1997, qui ont marqué une croissance de 8,9 % par rapport à l’année précédente, et des prévisions relatives à la période estivale de cette année. Le tableau ci-dessous indique l’évolution du trafic depuis 1990.

EVOLUTION DU TRAFIC DE PASSAGERS DEPUIS 1990

(En milliers de passagers)

 

 

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

Trafic maritime

2 411

2 493

2 668

2 381

2 414

2 213

2 172

2 475

· Corse – Continent

1 278

1 237

1 254

1 231

1 227

1 091

1 143

1 280

· Corse – Italie

1 133

1 256

1 414

1 150

1 187

1 122

1 029

1 195

Trafic aérien

1 968

1 883

2 029

2 014

2 054

1 991

1 935

2.000

· Corse – Continent

-

-

1 865

1 880

1 915

1 854

1 816

1 870

· Corse – Etranger

-

-

164

134

139

137

119

130

Trafic total

4 379

4 376

4 697

4 395

4 468

4 204

4 107

4 475

· Corse – Continent

-

-

3 119

3 111

3 142

2 945

2 959

3 150

· Corse – Etranger

-

-

1 578

1 284

1 326

1 259

1 148

1 325

Source : Direction régionale de l’équipement.

La part des touristes dans le trafic global de passagers atteint environ 80 %, cette proportion atteignant plus de 85 % dans le trafic maritime et 70 % dans le transport aérien. Le solde, 20 %, concerne les résidents.

L’évolution du nombre des séjours touristiques est donc étroitement liée à celle des passagers. Dès lors, la saisonnalité très marquée du trafic traduit surtout le faible étalement de la fréquentation touristique. Depuis 1992, la baisse du trafic passagers s’est accompagnée d’une accentuation de la concentration estivale puisque les deux tiers des passagers perdus l’ont été entre mai et septembre.

A la différence du fret, le trafic passagers est très saisonnalisé. En ce qui concerne le trafic entre la Corse et le continent en 1997, il a dépassé 350.000 passagers en août et 250.000 en juillet, alors qu’il ne dépasse pas 50.000 de novembre à mars.

Sur la période estivale, la part entre lignes maritimes régulières françaises et italiennes évolue peu. Les lignes italiennes assurent plus de la moitié du trafic passagers. Par contre, les liaisons aériennes entre la Corse et l’étranger ne représentent que 10 % du trafic aérien estival. La croissance du nombre de passagers transportés par avion est alimentée à hauteur de 60 % par les vols charters français, dont le trafic a doublé en une dizaine d’années et représente plus d’un quart du trafic aérien.

c) Les handicaps naturels pourraient se révéler des atouts

La géographie n’a pas été totalement ingrate avec la Corse : elle n’a pas seulement isolé l’île du continent et morcelé son territoire, elle l’a également dotée d’un patrimoine naturel que tout le monde s’accorde à qualifier d’exceptionnel. Celui-ci justifie pleinement son surnom grec de Kallisté, " la plus belle ". Ce patrimoine, la mer au pied de la montagne, représente un potentiel évident pour le développement du tourisme qui constitue, sans aucun doute, l’un des axes de développement de l’île.

De plus, avec plus de 1.000 kilomètres de côtes, la Corse dispose d’un vaste domaine maritime et littoral propice au développement de la pêche, des cultures marines voire du nautisme, dans le cadre d’un tourisme intégré.

Dans ce contexte, la faiblesse de la population insulaire constitue un élément de nature à réduire les craintes que les nécessités du développement ont fait (ou font encore) naître dans certains secteurs de l’opinion. En effet, comme l’expliquait devant la mission d’information sur la Corse le directeur général de l’INSEE, " compte tenu de la population relativement faible de l’île, le développement de celle-ci n’a nullement besoin d’un tourisme de masse qui génère des excès, (...) tel que le connaissent certaines côtes de la Méditerranée. La Corse peut asseoir son essor économique sur la base d’un tourisme relativement diffus, respectueux de l’environnement et ouvert sur la culture et les traditions locales. Un tourisme de ce type est capable d’entraîner de multiples activités, telles que l’artisanat de qualité, l’agro-alimentaire et les services de haut de gamme, et donc de tirer toute l’économie corse vers le haut ".

C’est aussi ce qu’écrivait, dès 1965, M. Olivier Guichard, alors délégué à l’aménagement du territoire : " en définitive, l’insularité dont les Corses cherchent aujourd’hui à corriger les inconvénients, sera sans doute l’atout majeur de la région. L’automobile n’y imposera peut-être pas des formes urbaines aujourd’hui mal maîtrisées, cependant que sa position méridionale lui garantit, à coup sûr, une rentabilité touristique plus grande que partout ailleurs ". Il ajoutait : " ce dessein de la Corse suppose autant de hardiesse devant l’innovation que de civisme dans la réalisation ".

Encore faut-il que ce choix stratégique soit fait et, surtout, assumé par les responsables et la population de l’île. Comme l’écrit en effet un journaliste corse " le contraste est saisissant entre les richesses potentielles de l’île et leur sous-exploitation ".

 

2.  Les fragilités actuelles d’une économie à la croisée des chemins

Les signes encourageants ne manquent pas : il semble que la Corse soit en train de combler son retard de développement relatif puisque, selon la commission européenne, elle ne devrait bientôt plus être considérée comme une région " en retard de développement " éligible aux programmes de l’Objectif 1. Cependant, la structure de l’économie insulaire demeure déséquilibrée. Elle repose, il est vrai, largement sur un secteur tertiaire aujourd’hui prédominant. Au sortir de vingt ans de mutations parfois difficiles, l’agriculture insulaire offre, quant à elle, un visage contrasté entre la plaine orientale, la montagne et l’intérieur. Elle ne représente qu’un poids économique réduit en dépit de l’importance des aides publiques qu’elle attire. Le tourisme fait, enfin, figure de secteur porteur d’avenir. Il est en effet susceptible d’entraîner des effets vertueux sur l’ensemble du tissu économique, même s’il reste fragilisé par des handicaps de différentes natures.

a) Des constats alarmants qu’atténuent quelques notes d’espoir

Peut-on parler de retard de développement en ce qui concerne la Corse ? Certains indicateurs objectifs peuvent être évoqués à ce propos.

·  Un PIB par habitant inférieur à la moyenne des régions européennes comme à la moyenne nationale

Dans une enquête rendue publique en août 1998, l’INSEE a dressé un tableau des régions européennes en 1994 – année de référence – et a ainsi montré que l’Ile-de-France, en concentrant 5 % du produit intérieur brut de l’Union européenne, était la plus riche des 196 régions d’Europe. En classant l’ensemble des régions européennes en fonction de la richesse créée par habitant, la Corse n’arrive qu’au 143ème rang (le Limousin se situe au 142ème rang et le Languedoc-Roussillon en 145ème position).Tandis que l’Ile-de-France affiche un PIB par habitant de 67 % supérieur à la moyenne européenne, le Languedoc, le Limousin et la Corse sont respectivement à 19 %, 17 % et 18 % au-dessous de cette moyenne.

Ainsi que le soulignait récemment une étude réalisée par l’INSEE (in Economie Corse – juin 1998), le produit intérieur brut de la Corse s’est élevé à 24,5 milliards de francs courants en 1994 (dernière année disponible). Cette valeur ajoutée résulte de l’agriculture à hauteur de 534 millions de francs, de l’industrie à hauteur de 2,212 milliards de francs, de la construction pour 1,831 milliard, des services marchands pour 13,493 milliards et des services non marchands pour 6,433 milliards. Ceci est le résultat d’une économie insulaire essentiellement tertiaire. En effet, le secteur des services fournit environ 80 % de la valeur ajoutée. Le tertiaire public produit à lui seul un quart de la richesse totale.

La Corse a produit, au sens des comptes de la Nation, 98.500 francs par habitant cette année, soit 23 % de moins que le produit intérieur brut national par habitant. A titre d’exemple, le PIB par habitant en Ile-de-France (198.000 francs) était le double de celui de la Corse, qui se trouve proche du Languedoc-Roussillon (97.200 francs) et du Limousin (99.300 francs). Seules trois régions françaises enregistrent un produit intérieur brut par habitant supérieur de 15 % à celui de l’île.

Les élus comme les socio-professionnels ont souvent tendance à présenter la situation économique de la Corse comme étant très déprimée, voire catastrophique. La commission d’enquête, qui a eu l’occasion de se rendre sur place à plusieurs reprises, a pu se forger la conviction que les difficultés d’adaptation de l’économie insulaire, bien que réelles, n’étaient nullement insurmontables.

Le tissu économique reste cependant fragile et vulnérable aux aléas de la conjoncture. Comme le soulignait devant la mission d’information sur la Corse le directeur régional de la Banque de France, un bref aperçu des trente dernières années permet de constater que l’économie insulaire a connu une période favorable, avec le développement du tourisme dans les années 60, 70 et 80, qui a entraîné celui du bâtiment et du commerce. En revanche, le début des années 90 a été marqué par une rupture due au changement dans les habitudes de consommation et à l’impact psychologique des manifestations de violence. De plus, les grèves répétées dans le secteur des transports ont dissuadé de nombreux touristes, notamment parmi la clientèle la plus aisée, de se rendre en Corse. La phase de repli connut deux pics, en 1991 et en 1995, années particulièrement difficiles au cours desquelles des baisses significatives du chiffre d’affaires ont été enregistrées dans le secteur de l’hôtellerie, dans le commerce de détail et les transports. L’année 1996 se solda également par des résultats décevants dans le tourisme : l’hôtellerie ne parvint pas à réaliser des taux de remplissage satisfaisants. Quant au secteur du BTP, il est aujourd’hui encore très déprimé. En 1996, l’économie insulaire semblait figée. L’investissement était au point mort, tandis que le taux de chômage atteignait des niveaux toujours élevés.

· Des signes d’amélioration économique

Ce n’est qu’en 1997 qu’une timide reprise du tourisme s’est manifestée, apportant l’espoir d’un retournement de la conjoncture. De fait, les réservations pour 1998 se sont révélées en forte augmentation et les résultats enregistrés en mai et juin 1998 sont conformes aux espérances des professionnels avec des progressions de 15 à 25 % d’une année sur l’autre. Le regain de fréquentation touristique devrait permettre aux entreprises hôtelières de renflouer leur trésorerie et de reprendre le paiement normal et régulier de leurs échéances. Notons que le commerce de détail bénéficie également des retombées du tourisme.

Le secteur du BTP enregistre quant à lui quelques signes encourageants, mais le secteur du logement neuf reste atone tandis que celui du logement social traverse une crise préoccupante. La demande pourrait être importante, mais les deux offices d’HLM susceptibles de mettre en route de nouveaux chantiers se débattent dans des difficultés financières (qui font l’objet de développements dans la deuxième partie du rapport). En matière de travaux publics, si l’on relève quelques marchés notables, les adjudications profitent principalement aux entreprises les plus performantes et non à la masse des petites entreprises rencontrant souvent des difficultés. L’agro-alimentaire, tirée par les besoins du tourisme, connaît également une embellie.

Toutefois, les projets d’investissement se caractérisent toujours par leur rareté au premier semestre 1998, tandis que l’emploi ne progresse pour l’essentiel que par des contrats temporaires, ce qui constitue un signe que la majeure partie des entreprises n’est pas encore convaincue du retour à de meilleurs résultats durables. Ce comportement d’attentisme rend particulièrement vulnérables les sociétés familiales et de taille réduite. Le nombre de dépôts de bilan s’est ainsi accéléré depuis le début de 1998.

Une étude réalisée par la Banque de France à partir d’un échantillon de 1.000 entreprises, indiquait, à la fin du mois de juin 1998, que 45 % des entreprises présentaient un bilan acceptable selon les critères de structure, d’endettement et de rentabilité communément admis par les banques. Toutefois, en appliquant des critères très stricts, il apparaîssait que seules 27 % de ces sociétés figuraient dans la catégorie des entreprises très saines. Pour les 55 % restantes, 17 % connaissaient une évolution défavorable : elles étaient considérées comme viables mais devant être surveillées par les organismes bancaires. Restaient 38 % des entreprises sur lesquelles des réserves pouvaient être émises quant à leur structure, leur endettement, leur rentabilité et donc leur viabilité. Parmi celles-ci, 16 % accusaient une situation très dégradée.

Les mois à venir marqueront peut-être l’amorce d’un assainissement financier qui devrait progressivement porter ses fruits, même si la période de transition risque d’être difficile. A une phase de laxisme économique, caractérisée par la pratique généralisée du non-paiement des dettes et des factures tant par les particuliers et les entreprises que par les collectivités locales, s’est substituée une période de reprise en main. Le courage politique impose de dire d’ores et déjà qu’un certain nombre d’entreprises et d’exploitations agricoles ne sont probablement pas viables à terme. Le courage exige aussi de préconiser qu’un examen au cas par cas de ces situations soit mené, afin de maintenir en activité celles qui peuvent l’être. Une remise en ordre des comptes des collectivités locales est également indispensable : elle prendra du temps, mais elle constitue, elle aussi, un préalable à la consolidation de l’économie insulaire sur des bases saines.

b) La structure atypique d’une économie régionale relativement marquée par le problème du chômage

Cet atypisme se traduit par un déséquilibre au profit du secteur tertiaire. La deuxième grande caractéristique de l’économie insulaire consiste dans un marché de l’emploi plus dégradé que la moyenne nationale, ce qui n’empêche pas cette région d’enregistrer par ailleurs des niveaux de conditions de vie tout à fait corrects.

·  Une économie déséquilibrée

Alors que le secteur tertiaire est très développé, le secteur primaire reste dans la moyenne nationale et le secteur secondaire demeure très limité. Seules quelques filières industrielles sont en effet représentées.

répartition des établissements par secteur d’activité

 

1994

1995

1996

1997

Primaire

1.387

1.480

1.537

2.734

Secondaire

4.347

3.980

3.950

3.901

Tertiaire

14.850

15.088

15 .161

15.890

TOTAL

20.584

20.548

20.648

22.525

Source : INSEE Corse, juillet 1998

L’économie régionale est donc marquée par la faible présence de l’industrie, la Corse étant la région la moins industrialisée de France métropolitaine. Avec environ 10 % de la valeur ajoutée, dont la moitié provient de la production d’énergie, l’industrie crée moitié moins de richesse que dans le Limousin. Le secteur de la construction est plus présent en Corse, mais son poids est plus important en termes d’emploi que de valeur ajoutée car les salaires y sont restés relativement bas.

Le secteur tertiaire est omniprésent. Il représente plus de 80 % de la valeur ajoutée régionale, contre 70 % au niveau national. Alors que la part de l’industrie dans la valeur ajoutée est la plus faible des régions françaises, les parts du BTP (11,4 %) et des services non marchands (21,7 %) atteignent les plus fortes proportions des régions françaises. L’agriculture contribue à hauteur de 2 % seulement à la création de la valeur ajoutée en Corse.

Valeur ajoutée des secteurs d’activité

dans le PIB en 1994

 

 

 

 

 

Agriculture

Industrie

Construction

Tertiaire

Valeur ajoutée

(en millions de francs)

Part dans le total de la valeur ajoutée

534

2.212

1.831

19.926

2,2 %

9,0 %

7,5 %

81,3 %

TOTAL

24.503

100 %

Source : INSEE Corse

Les services marchands, dont la santé, la Poste et France Télécom, ont une importance équivalente à celle observée sur l’ensemble du pays, mais leur contribution au PIB régional est minorée par le fait que ces services sont pour l’essentiel destinés aux ménages et se développent de façon moindre en direction des entreprises. Au sein du secteur tertiaire, il faut relever la part essentielle du tourisme qui fait l’objet de développements plus loin. Les potentialités de ce secteur laissent des marges importantes de développement à l’avenir. A condition de trouver un modèle adapté aux besoins de l’île, le tourisme est en effet susceptible d’enclencher un processus vertueux pour la consolidation d’une économie insulaire encore fragile.

Un quart de la richesse produite provient des services non marchands, composés des administrations de l’État et des collectivités locales. Le poids de ce secteur demeure très supérieur à celui qu’il a sur l’ensemble du pays. L’écart reste sensible même avec des régions comme le Languedoc-Roussillon et le Limousin. La part des entreprises publiques et de l’administration dans la structure de l’économie insulaire explique partiellement une certaine inertie de l’économie régionale face aux variations de la conjoncture nationale.

On compte environ 22.000 entreprises en Corse, dont plus de 90 % emploient moins de 10 salariés.

D’une manière générale, dans tous les secteurs d’activité, les établissements de 50 salariés et plus se caractérisent par leur faible nombre.

répartition des établissements de 50 salariés et plus

par activité en 1998

 

 

 

Nombre d’entreprises ayant entre
50 et 99 salariés

Nombre d’entreprises ayant entre

100 et 199 salariés

Nombre d’entreprises ayant plus de 200 salariés

 

TOTAL

Agriculture

Industrie

Construction

Commerce

Hôtels et restaurants

Transports et Communication

Santé et action sociale

Autres services marchands

 

1

4

6

12

5

 

7

 

11

 

12

2

1

0

3

0

 

6

 

7

 

0

0

1

1

3

0

 

4

 

4

 

1

3

6

7

18

5

 

17

 

22

 

13

TOTAL

58

19

14

91

Source : INSEE Corse, juillet 1998

·  Un secteur tertiaire prédominant dans la répartition de l’emploi

La répartition de l’emploi est aussi atypique que celle de la valeur ajoutée, avec 7 % d’actifs dans le domaine de l’industrie, 7 % des emplois dans le secteur agricole, 9,7 % dans le bâtiment et les travaux publics et 77 % environ dans le secteur tertiaire. La part de l’emploi public y est considérable : près de 20 % des emplois sont des emplois d’agents de l’État, de la Poste et de France Télécom. Les collectivités locales emploient pour leur part environ 7.000 personnes. En additionnant les emplois de l’État, des collectivités territoriales et du secteur public hospitalier, il apparaît que l’emploi public représente un tiers de l’emploi salarié de l’île, soit environ 27 % du total.

 

Estimations d’emplois (juillet 1998)

 

 

31 décembre 1993

31 décembre 1994

31 décembre 1995

31 décembre 1996

Agriculture

6.036

5.725

5.336

5.321

Industrie

5.964

6.035

6.034

6.048

Construction

8.392

8.463

8.269

8.205

Tertiaire

64.387

65.799

67.238

67.784

Ensemble

84.779

86.022

86.877

87.358

 

Source : INSEE Corse.

CAMEMBERTS INSEE ð Fichier Excel CAMEMB.XLS

 

·  Des conditions de vie correctes, mais un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale

 Un bon niveau d’équipement chez les ménages

Le niveau de vie se situe dans une moyenne acceptable. Le revenu disponible brut par an et par habitant représente 90 % du revenu métropolitain moyen. Les ménages disposent en moyenne d’un bon niveau d’équipement. Dans une note en date de juin 1997, M. François Cailleteau, inspecteur général des finances alors en charge de la Corse, notait : " des taux d’équipement proches des maximums régionaux sont enregistrés pour les lave-vaisselle ou les camescopes, qui sont plutôt des signes de haut niveau de vie. Mais c’est dans l’automobile que l’on trouve les records : 725 automobiles pour 1.000 habitants pour une moyenne nationale de 478, la seconde région la mieux équipée étant la région PACA (Provence Alpes Côte d’Azur), avec 515 soit un tiers de moins que la Corse. (…) Au demeurant, la qualité du parc frappe l’observateur mais, faute de disposer de données chiffrées, on n’en tirera pas d’autres conclusions. " 

 Un marché de l’emploi plus dégradé que la moyenne nationale

Des faiblesses subsistent cependant. Le taux de chômage ne s’améliore guère. La proportion de la population exerçant en Corse une activité professionnelle est nettement inférieure à la moyenne nationale, alors que la part de la population en âge de travailler est du même ordre qu’en métropole. Le taux d’activité reste faible, notamment celui des femmes. Les salaires sont inférieurs à la moyenne nationale, mais les écarts sont plus importants dans le secteur de la construction que dans celui de l’industrie, et surtout que dans le tertiaire.

 

 

 

taux de chômage en 1997 (au sens du bit)

 

 

1er trimestre

2 ème trimestre

3 ème trimestre

4 ème trimestre

CORSE

13,5

13,9

13,7

13,2

- Corse-du-Sud

13,6

13,9

13,7

13,3

- Haute-Corse

13,3

13,9

13,7

13,2

France

12,5

12,6

12,5

12,2

Source : INSEE Corse

En 1996 et 1997, la situation de l’emploi s’est détériorée en Corse de manière plus importante que sur l’ensemble du pays. Touchant autant les femmes que les hommes, le chômage concerne principalement les employés et semble atteindre relativement moins les jeunes que leurs aînés. En décembre 1997, le taux de chômage en Corse s’élevait à 13,2 % contre 12,2 % dans la France entière. Ce taux est supérieur à la moyenne nationale depuis 1995. Notons qu’en 1993 et 1994, il se rapproche de la moyenne nationale. Même si les deux taux ont connu une baisse en 1997, l’écart, qui avait commencé à se creuser entre les résultats corses et nationaux en 1996, et surtout à la fin de 1997, ne s’est pas réduit depuis.

Entre 1993 et 1997, le nombre de demandeurs d’emploi durable à temps plein a augmenté de 18 % sur l’île. Au début de 1993, on comptait 12.400 demandeurs, et 14.500 demandes à la fin 1997. Durant ces cinq dernières années, ce nombre s’est élevé régulièrement. Cette progression s’accéléra entre la fin de 1995 et le début de 1996, période pendant laquelle le taux de chômage en Corse s’est éloigné de la moyenne nationale. Au 31 décembre 1997, sept demandeurs sur dix avaient entre 25 et 49 ans. Un peu moins de deux demandes sur dix émanaient d’un jeune de moins de 25 ans. Les demandeurs inscrits à l’ANPE sont surtout des employés en recherche d’emploi : de 1993 à la fin de 1997, l’augmentation de leurs demandes a été constante ; au quatrième trimestre 1997, sept demandes sur dix étaient déposées par des employés. Ce sont ensuite les ouvriers et les manœuvres qui s’inscrivent à l’ANPE. Quant aux demandes émanant de cadres, de techniciens ou d’agents de maîtrise, elles sont peu élevées mais en légère augmentation. Il est vrai que les grandes entreprises qui emploient généralement beaucoup de cadres sont peu nombreuses dans l’île.

Sur la période 1993-1997, ce marché a connu beaucoup de mouvements, les demandeurs d’emploi s’inscrivant et ceux sortant des fichiers de l’ANPE étant toujours plus nombreux. Les soldes trimestriels (qui mesurent la différence au cours des trois mois de ces entrées et de ces sorties) se caractérisent par une forte périodicité, ce qui s’explique notamment par la saisonnalité du marché de l’emploi. En effet, l’activité estivale nécessite une main d’œuvre supplémentaire recrutée au cours du printemps. L’INSEE Corse explique ainsi le phénomène : " Le premier trimestre de chaque année est toujours un trimestre " neutre " pour l’emploi. D’un même ordre de grandeur, le nombre des entrées et celui des sorties sont aussi les plus faibles des quatre trimestres. Lors du deuxième trimestre, les sorties, en hausse, sont bien plus nombreuses que les entrées, en baisse à ce moment-là. C’est le seul trimestre où les personnes qui sortent des fichiers de l’ANPE sont plus nombreuses que celles qui s’inscrivent. C’est l’inverse aux troisième et quatrième trimestres, avec des demandes enregistrées en forte augmentation, plus nombreuses que les demandes sorties. Ainsi, les demandes d’emploi entrées augmentent et atteignent, lors des deux derniers trimestres, un niveau beaucoup plus élevé que celui des sorties. Les soldes trimestriels redeviennent positifs.

Sur l’année, il y a toujours plus d’entrées que de sorties. Durant l’année " charnière " 1996, il y a eu 22 776 entrées et 21 725 sorties. Ce solde de 1 051 demandes est redescendu à 479 demandes en 1997. "

En juillet 1998, le taux de chômage enregistré en Corse était d’un point supérieur à la moyenne nationale (13,2 % en Haute-Corse et 13,3 % en Corse-du-Sud) pour la France métropolitaine. Ce taux apparaît plus élevé que celui observé dans les départements ruraux peu peuplés (Hautes-Alpes, 9 % ; Ardèche, 10,7 % ; Alpes de Haute-Provence, 11,6 %), tout en demeurant inférieur à ceux enregistrés dans les départements littoraux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Alpes-Maritimes, 13,9 % ; Var, 16,3 %, Bouches-du-Rhône, 17,2 %). Le pourcentage des chômeurs de longue et de très longue durée (31,9 %), de six points inférieur à la moyenne nationale, ne distingue pas la Corse des départements de structure comparable.

c) Une agriculture largement assistée

Si elle ne participe qu’à hauteur de 2 % environ au produit intérieur brut de l’île, l’agriculture joue cependant un rôle non négligeable à la fois dans la société insulaire, dans le débat politique et en matière d’aménagement du territoire. Largement dépendante d’aides publiques, elle connaît aujourd’hui des difficultés d’adaptation réelles ; ce constat général doit être toutefois nuancé par la diversité des activités agricoles pratiquées sur la plaine orientale ou en zones montagneuses. En effet, l’agriculture corse ne se présente pas de façon uniforme sur l’ensemble de l’île.

·  Malgré un poids économique limité, une place importante dans la société insulaire

Le résultat brut d’exploitation du secteur agricole a atteint environ 445 millions de francs en 1997. L’agriculture corse tient une place modeste dans l’ensemble français. Elle apparaît cependant comme un secteur de la vie économique important assurant un revenu à près de 10 % de la population insulaire. Au sens de la statistique agricole, le nombre d’exploitations en Corse, qui était estimé à 3.800 en 1996, est descendu à 3.600 en 1997. Ce nombre est en diminution rapide : – 4,4 % en moyenne par an sur 9 ans. Quant aux installations avec DJA (dotation jeunes agriculteurs), elles sont de 45 par an en moyenne, soit la moitié du nombre nécessaire au maintien de l’ensemble actuel des exploitations agricoles.

En dépit de résultats économiques où se cotoient le meilleur et le pire, le monde agricole corse se situe au centre de préoccupations politiques depuis de nombreuses années. La multitude de plans coûteux mis en place en faveur de cette agriculture depuis les années 1970 témoigne de l’attention que les pouvoirs publics lui ont consacrée.

Par ailleurs, la commission d’enquête a entendu qu’au sein de l’univers agricole, existaient des relais pour les idées des groupes nationalistes. Certains n’hésitent pas à parler de monde " agricolo-nationaliste ". Selon ces observateurs, cette profession au sens large du terme représenterait une force de protestation que les divers gouvernements ont tenté de prendre en compte et de canaliser.

La commission d’enquête a surtout pu constater combien les principales institutions de l’agriculture corse pêchaient à la fois par leur mauvaise gestion et leur impuissance à définir une politique claire. caisse de Crédit agricole, caisse de Mutualité sociale agricole (MSA) et ODARC (office du développement agricole et rural de la Corse) illustrent l’incapacité des dirigeants professionnels de ce secteur à assumer leurs responsabilités avec rigueur et sens de l’intérêt général. La commission ne saurait néanmoins reprendre à son compte des affirmations trop générales englobant dans une indistincte réprobation toute une profession, alors même qu’une majorité des agriculteurs subit précisément les conséquences négatives des agissements d’un petit nombre.

De même, pour expliquer les difficultés rencontrées par ce secteur, les acteurs locaux privilégient trop souvent trois types d’explications qui n’ont pas convaincu la commission :

– les agriculteurs corses ne seraient pas assez soutenus par l’État,

– la situation sinistrée de certaines filières serait due en grande partie à l’insularité et aux handicaps naturels qui rendraient difficile le développement d’une agriculture performante et exportatrice,

– l’agriculture ne serait pas en mesure de lutter face à la concurrence de certains pays comme l’Espagne en matière d’agrumes notamment.

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a entendu les arguments plaidant en faveur d’une aide toujours plus forte en direction de l’agriculture, présentée comme un enjeu fort pour la société corse, encore très rurale. Elle s’interroge cependant sur un point essentiel : fallait-il multiplier durant ces dernières années les sollicitudes et les tolérances envers ce secteur fragilisé par le phénomène cumulatif de l’endettement lié à la pratique fort répandue du non-paiement et par une souplesse extrême
– pour ne pas parler de fraude – dans l’attribution de nombreuses aides nationales ou communautaires ? La situation actuelle n’est-elle pas le résultat de nombreuses années de laxisme auquel il est grand temps de remédier ?

·  Les différents visages de l’agriculture corse

Il est d’usage de distinguer en termes de production la plaine orientale, l’intérieur et la montagne. L’agriculture présente deux visages différents, tous deux typiquement méditerranéens, axés sur la montagne et sur la plaine côtière. Pour schématiser, une agriculture traditionnelle, de type extensif centrée sur l’élevage (bovin, porcin, ovin, caprin) est principalement localisée dans l’intérieur et le sud, tandis qu’une agriculture spécialisée plus intensive installée en plaine orientale et dans les basses vallées s’oriente vers les cultures fruitières (agrumes, kiwis, amandes) et viticoles.

Dans la plaine, et notamment sur la côte orientale, une agriculture moderne, organisée, mécanisée et intensive s’est progressivement développée et a fait preuve d’une certaine capacité d’adaptation. A la monoculture de la vigne s’est substituée une gamme diversifiée de spéculations : les céréales (le maïs), les vergers (les kiwis et les clémentines corses par exemple), les vignes d’appellation et le maraîchage de plein champ. Cependant, les investissements nécessaires aux réorientations qui s’imposent et les déboires de la commercialisation de certaines productions fruitières et légumières ont entraîné des difficultés financières parfois inextricables pour de nombreuses exploitations. La question de la viabilité de certaines d’entre elles se trouve aujourd’hui posée.

Rappelons que la mise en valeur de la plaine orientale avait justifié la création de la SOMIVAC en 1957. L’arrivée des rapatriés en 1962 y permit un développement rapide de la viticulture. Mais la nécessité de contrôler la production communautaire entraîna des politiques d’arrachage, puis de restructuration.

Nombre de choix de développement agricole doivent désormais être révisés. La restructuration réussie du vignoble a laissé des terres en friche. L’agrumiculture est en crise et les professionnels paraissent divisés entre eux comme dans le secteur légumier. Pourtant, la plaine orientale est une région fertile et prometteuse. Son développement pourrait être accéléré grâce à l’augmentation des productions fourragères et de l’alimentation du bétail ainsi que des productions fruitières et légumières tournées vers le marché local.

Sur les coteaux et dans les montagnes de l’intérieur de l’île, soit dans la majeure partie du territoire, l’agriculture est de type traditionnel et extensif, centré autour des activités pastorales et de transformations laitières et charcutières. Il apparaît que ce secteur souffre du sous-équipement structurel des petites communes de l’intérieur. Les filières de production n’y sont organisées que de manière embryonnaire. A côté d’exploitations traditionnelles associant quelques productions fruitières (châtaigniers, oliviers, amandiers, pommiers, noisetiers, quelquefois pêchers et clémentines) à des élevages généralement extensifs (porcs, vaches, chèvres, etc) transformant et commercialisant leurs produits (charcuterie, fromage), se sont développées des exploitations modernes. Relativement spécialisées, elles portent sur l’horticulture florale, le maraîchage, la viticulture et la production de lait de brebis.

La montagne reste essentiellement tournée vers l’élevage ; les agriculteurs cherchent la meilleure valorisation possible de leur travail à travers des productions typiques. Certains d’entre eux y parviennent grâce à des productions traditionnelles de qualité dont plusieurs sont déjà en AOC (miel, fromage par exemple). Un effort d’organisation et de rigueur devrait à l’avenir permettre de développer ces productions, qui pourraient être davantage exportées. Elles présentent notamment l’avantage d’être moins sensibles aux aléas des transports que les légumes ou les agrumes par exemple.

·  Vingt ans de mutations parfois douloureuses

D’une manière générale, les agriculteurs corses ont pris conscience avec retard par rapport à ceux du continent de la nécessité de se moderniser. Un des préalables essentiels de la réussite en ce domaine, comme dans d’autres, consiste dans la qualité de la formation et de l’ingénierie. On peut noter à cet égard que le niveau de qualification des agriculteurs s’améliore, même si le nombre de titulaires de BTA ou plus reste faible.

L’agriculture corse se caractérise par une grande diversité des structures d’exploitation entre celles d’élevage extensif, relativement importantes, notamment en Corse-du-Sud, et les petites exploitations fruitières de la plaine orientale. Aujourd’hui, cette dispersion des structures reflète des systèmes de production très divers et souvent combinés. A la disparition de nombreuses petites exploitations s’est ajoutée au fil du temps la non culture de domaines importants sur la côte orientale. Depuis vingt ans, la chute impressionnante du nombre d’exploitations (– 41 % en Corse pour – 35 % en moyenne pour la France toute entière) s’est accompagnée d’une baisse relativement réduite de la surface utilisée (– 9 %), ce qui signifie qu’il y a moins d’exploitations mais qu’elles utilisent plus d’espace. Les exploitations les plus réduites tendent, elles, à disparaître.

Le secteur de l’élevage n’a pas fondamentalement évolué depuis ces années, même si le nombre des bovins a fortement crû. Une explication à ce phénomène tient dans la mise en place des primes animales. Ceci n’a pas été sans créer de réelles difficultés car la hausse spectaculaire des cheptels ne s’est nullement accompagnée d’une mise en valeur des espaces utilisés et a entraîné un déficit fourrager préoccupant. Il convient aujourd’hui d’organiser cette filière grâce à un programme maîtrisé de constructions d’abattoirs répartis sur l’ensemble du territoire et en incitant les producteurs à se regrouper afin d’améliorer la qualité de la viande et la promotion des produits. Entre 1970 et aujourd’hui, les troupeaux ovins et caprins ont augmenté régulièrement, mais la part dans l’effectif français se situe respectivement autour de 7 % pour les ovins et de 4 % pour les caprins. L’élevage occupe une partie non négligeable du territoire. Extensif, il est conduit en montagne où de vastes espaces sont disponibles. En plaine, dans le sud de l’île et dans l’est, de nombreux troupeaux ovins et caprins fournissent la matière première à des produits de qualité bien valorisés. Le secteur porcin se développe également.

Le secteur végétal a, quant à lui, connu de profondes transformations. Le verger d’agrumes a été presque entièrement rénové. La surface de la vigne a été divisée par quatre en laissant place dans bien des cas à des terres non cultivées. Un regain d’intérêt s’est manifesté depuis peu pour les cultures de la châtaigne, de l’olive, de la noisette, de l’amande ainsi qu’en témoigne par exemple le contrat de plan en cours d’exécution. Ces productions végétales se sont surtout développées en Haute-Corse. La châtaigne, la noisette et l’amande constituent donc les principales cultures récemment réhabilitées en Corse, qui figure parmi les premières régions françaises en ce qui concerne les productions de la châtaigne et de l’amande. Les amandiers s’étendent sur une surface de 800 hectares (après un rythme de plantation de près de 150 hectares par an). La surface en agrumes a peu varié au cours des vingt-cinq dernières années. En revanche, la réorientation variétale, impulsée par les " plans agrumes " successifs, a été spectaculaire.

Les éléments positifs ne manquent pas et permettent d’espérer à terme le décollage d’un secteur agricole modernisé, qui sera possible lorsque diverses conditions seront réunies. Des propositions en ce sens figurent dans la dernière partie du rapport.

d) Un secteur du tourisme en évolution constante

Vécu comme une agression ou comme un atout pour l’économie régionale, le tourisme est un sujet qui ne laisse pas indifférents les insulaires. Sans le développement touristique important qu’a connu la Corse au cours des vingt dernières années, nombre d’infrastructures n’auraient pas été construites ou rénovées. L’augmentation des flux touristiques a sans nul doute joué un rôle essentiel dans le choix des grandes orientations du secteur des transports. La commission d’enquête doit, ici, s’inscrire dans la lignée des nombreux rapports et d’études ayant démontré l’impact économique positif du tourisme et surtout ses potentialités à venir. Sans nier le caractère spéculatif ou désordonné de certains projets immobiliers, le credo des observateurs honnêtes de la situation de la Corse depuis plus de vingt ans consiste à dire que le tourisme constitue la principale voie de relance de l’économie insulaire, le moteur de son développement du fait des retombées très larges qu’il induit sur l’ensemble de l’économie : l’hôtellerie en premier lieu, mais également le commerce, les transports, l’agro-alimentaire, l’agriculture et le bâtiment. Il est clair que le secteur touristique est celui qui possède le plus fort potentiel de développement. S’il n’est sans doute pas le seul facteur déclencheur du redressement économique, il en est assurément une pièce majeure qui mériterait d’être encore davantage exploitée.

·  Un impact globalement très positif sur l’économie et le marché de l’emploi

En 1996, la valeur ajoutée du tourisme a atteint 2 milliards de francs et représenté 9,5 % de la valeur ajoutée totale de la Corse. La valeur ajoutée directe est estimée à 1,5 milliard de francs, dont la moitié est apportée par les hébergements professionnels. Si l’on se limite à la valeur ajoutée directe, celle générée par le tourisme représente 6,8 % de la valeur ajoutée de la Corse, contre 3,8 % en Languedoc-Roussillon, soit une part presque deux fois plus importante.

L’impact économique du tourisme dans l’île constitue un débat récurrent ; son importance diffère selon les sources citées, mais il semble relativement stable au cours des années.

En moyenne sur l’année, l’emploi salarié lié au tourisme représente, au minimum, environ 6 % de l’emploi salarié total de l’île hors État et secteur de l’agriculture, soit 3.400 équivalents temps complet. Ces emplois ne constituent pas la totalité des emplois " touristiques " salariés mais l’estimation basse qui comptabilise les emplois engendrés de façon certaine par le tourisme. Le tourisme hivernal étant quasiment inexistant sur l’île, l’été constitue l’unique période réellement touristique. Alors que sur l’année, un emploi salarié sur seize est touristique, cette proportion passe en été à un emploi sur dix. Hors saison, seulement un emploi sur vingt-deux est touristique. Le niveau de l’emploi touristique connaît un pic aux alentours du 15 août : à cette date, un salarié sur neuf travaille alors dans ce secteur.

Dans des zones précises et pour certaines activités, des emplois, saisonniers ou permanents, peuvent également être induits par le tourisme. Tout en reconnaissant que " la plupart du temps, aucune méthode fiable ne permet d’en déterminer le nombre exact ", l’INSEE Corse indiquait, dans le numéro " Economie Corse " de mars 1998, que l’emploi salarié lié au tourisme a pu atteindre, en estimation haute, 12,5 % de l’emploi salarié total de l’île (hors État et secteur de l’agriculture) en 1995. Un emploi sur neuf hors saison serait donc touristique contre un emploi sur vingt-deux en estimation basse.

·  Une fréquentation touristique en hausse

En vingt ans, la Corse a connu une hausse globale de sa fréquentation de plus de 60 % malgré deux baisses importantes, l’une de 1983 à 1985 et l’autre de 1992 à 1997. Les Français, les Allemands et les Italiens constituent la principale clientèle de l’île. En 1996, 1,6 million de touristes se sont rendus dans l’île. Ce tourisme, essentiellement balnéaire et familial, engendre une forte fréquentation estivale.

De plus en plus nombreuse, cette clientèle s’est modifiée en vingt ans. En 1977, les Français et les Allemands étaient déjà très présents, mais pas encore les Italiens qui n’étaient pas plus nombreux que les visiteurs suisses ou belges. Aujourd’hui, les continentaux restent les principaux clients du tourisme corse et représentent en période estivale les deux tiers des touristes. Parmi la clientèle touristique française, les deux régions les plus représentées sont la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’Ile-de-France. Un touriste sur trois est d’origine étrangère. Mais les dépréciations successives de la peseta, de la livre sterling et surtout de la lire, ainsi qu’une concurrence accrue des destinations ont provoqué une baisse de la fréquentation touristique dans les années 1994 et 1995 notamment.

Au total, la capacité d’accueil de l’île est de 390.000 lits. La Corse pourrait donc offrir chaque année jusqu’à 140 millions de nuitées. Avec environ 20 millions de nuitées par an sur la période 1990 – 1996, dont plus de la moitié en juillet et en août, le taux d’occupation moyen de l’hébergement touristique corse s’établit à 40 % sur ces deux mois, et à peine à 14 % sur l’année. Certes, nul ne saurait préconiser pour la Corse l’utilisation maximaliste, toute l’année, de toutes les infrastructures insulaires pour accueillir sans discontinuer des visiteurs en nombre. Il n’en demeure pas moins que ces infrastructures pourraient être mieux mises en valeur et exploitées.

Avec 1,4 million de visiteurs durant la saison 1997 (de mai à septembre), le tourisme est remonté à un niveau prometteur. Durant cette saison, un touriste sur trois a pris l’avion, deux sur trois le bateau.

Pas moins de deux millions de touristes étaient attendus en 1998. D’après les informations disponibles au moment de la rédaction du présent rapport, la saison a en effet été particulièrement bonne, grâce au retour massif des continentaux, et s’est caractérisée par une progression de 15 à 20 % de la fréquentation par rapport à 1997 au cours des mois de juillet et d’août. Selon l’Observatoire du tourisme, une majorité d’établissements ont enregistré d’excellents taux d’occupation lors de ces deux mois. D’après la coordination des industries touristiques, le chiffre d’affaires du tourisme devrait atteindre cette année 4,5 milliards de francs. Les actions de promotion engagées depuis deux ans et les efforts réalisés sur les tarifs des transports ont porté leurs fruits.

·  Un secteur encore fragilisé par des handicaps de nature diverse

– Une dure concurrence

La destination corse reste soumise à la concurrence directe de destinations étrangères performantes. La Corse et le monde méditerranéen se situent en effet au coeur du premier foyer touristique mondial. La Méditerranée nord-occidentale est le premier espace touristique mondial, bien avant les Caraïbes. La Corse se place ainsi dans le registre des destinations étrangères méditerranéennes fortement concurrentielles qui comprennent entre autres les Baléares, la Tunisie et Malte. Ces autres destinations offrent des hôtels à grosse capacité, avec un recours dominant au transport aérien, des produits diversifiés à bon rapport qualité / prix, notamment hors saison. Elles ont une fréquentation et des taux d’occupation très largement supérieurs à ceux de la Corse et beaucoup mieux répartis dans le temps. Il est clair que la Corse a du mal à se positionner par rapport à ces destinations de soleil très professionnalisées.

– Une image dégradée : une " île à problèmes "

Un des handicaps majeurs du tourisme dans l’île résulte de l’image détériorée de la Corse. Plus qu’une image de violence, la Corse souffre d’une image d’" île à problèmes ". Un professionnel en charge du secteur du tourisme en Corse a estimé devant la commission d’enquête : " On pense qu’il est difficile d’aller en Corse, qu’il y a des grèves et des attentats. Lorsqu’elle ne provoque pas l’irritation, cette perception suscite au moins la réserve. "

– Une trop grande concentration dans le temps et dans l’espace de la fréquentation

Balnéaire, le tourisme corse souffre d’une concentration de la fréquentation de visiteurs à la fois dans l’espace (la fréquentation du littoral est très disproportionnée par rapport à celle de l’intérieur de l’île) et dans le temps (avec une saison touristique limitée à la période juin-septembre, voire juillet-août). Cette situation ne favorise pas la rentabilisation des structures touristiques mises à disposition des visiteurs. Celles-ci ne sont parfois même pas complètes au coeur de l’été. En 1996, qui a été une année relativement mauvaise de ce point de vue, les taux d’occupation au mois d’août étaient de 53 % dans les campings, de 62 % dans les hôtels et de 81 % dans les villages de vacances. En revanche, il faut noter que la durée moyenne de séjour des visiteurs est la plus longue des régions françaises métropolitaines : les touristes restent dans l’île en moyenne 14 jours.

Non seulement le tourisme corse reste fortement concentré dans le temps et dans l’espace, mais il n’offre qu’une gamme de produits limitée au regard du potentiel de l’île et de la demande. Un professionnel du tourisme auditionné par la commission d’enquête a déclaré : " On pourrait développer toutes les activités, tous les produits de la mer, de la montagne et du tourisme rural, mais on a le sentiment qu’ils ne sont pas montés et que l’on a perdu la notice ! "

En outre, un déséquilibre en matière de structures de liaison perdure, avec un maritime dominant et une faiblesse des liaisons aériennes, notamment avec l’étranger. Cette situation, qui favorise un tourisme individuel, en voiture particulière, et estival, accentue la saisonnalité du tourisme.

– La vulnérabilité et l’émiettement des opérateurs privés

Les opérateurs touristiques, souvent peu professionnalisés, disposent d’une faible capacité d’autofinancement. L’hôtellerie est majoritairement constituée de petits établissements financièrement fragiles et très sensibles aux aléas conjoncturels. Une saison touristique quelque peu décevante peut ainsi remettre en cause la viabilité d’un nombre important de structures de petites tailles. Le tourisme corse repose pour l’essentiel sur un nombre élevé d’entreprises familiales qui sont de plus en plus affectées par la prudence grandissante de la place bancaire corse. Cette situation défavorable aggrave leur difficulté à mobiliser des capitaux extérieurs. Malgré un noyau relativement solide d’établissements d’hébergement performants et de bon niveau, une grande majorité des opérateurs est constituée par des petites entreprises souvent endettées et à faible capacité financière. Celles-ci doivent s’efforcer aujourd’hui d’améliorer leur chiffre d’affaires tout en apurant leurs échéances bancaires, fiscales et sociales. Environ 10 % d’entre elles se sont engagées dans un processus de cessation ou de transformation d’activité.

Un témoin ayant une longue expérience en ce domaine a expliqué devant la commission d’enquête que nombre d’entreprises hôtelières avaient connu au milieu des années 90 une situation très difficile : " Le danger était de voir cette hôtellerie entrer dans la spirale de type agricole. Même s’il n’y a pas eu de demande de suppression de la dette, il y a eu une demande d’aménagement de la dette, voire de moratoire ou de remboursements différés. On a assisté, au milieu des années 90, à une revendication très forte et à des actions dures qui présentaient des analogies avec le secteur agricole "

Notons que ces sociétés ont bénéficié d’un dispositif de restructuration de la dette hôtelière corse sur fonds CODEVI et de prêts participatifs de restructuration de cette dette.

Enfin, ces entreprises se caractérisent toujours par un important besoin de professionnalisation et de soutien technique en matière de gestion, de création de produits et de commercialisation

– Une offre et une mise en marché insuffisamment structurées

Un professionnel du tourisme en Corse soulignait devant la commission d’enquête : " Chacun a ses filières, mais quiconque veut passer des vacances en Corse a indiscutablement besoin d’un contact et d’une rencontre avec une offre structurée et une bonne mise en marché. "

Par exemple, si certains professionnels ont misé sur des opérations mer-montagne, force est de constater que ces actions pourtant très attractives pour la clientèle sont demeurées peu développées.

– La faiblesse de l’appareil institutionnel du tourisme

L’appareil institutionnel du tourisme en Corse demeure insuffisamment développé au regard de l’importance prise par ce secteur économique dans l’île. L’échelon départemental (le comité départemental du tourisme et des loisirs) existe en Haute-Corse, mais pas en Corse-du-Sud. Le réseau d’expertise et de conseil des Chambres d’industrie et de commerce mériterait d’être renforcé sur le plan technique, grâce à la formation de véritables assistants techniques hôteliers. La faiblesse des moyens d’ingénierie technique de la plupart des communes touristiques s’ajoutant au niveau limité de leur capacité financière et leur fort endettement, font que les projets touristiques ont les plus grandes difficultés à être élaborés, à être menés à terme et à être pérennisés.

Selon le professionnel du tourisme déjà cité, " le maillage institutionnel, la direction des stations et surtout les moyens d’ingénierie technique et financière sont insuffisants, aussi bien dans les communes que chez les opérateurs privés. Nous avons un énorme déficit de conseil et de soutien technique. Plus que de moyens financiers, nous avons besoin de conseil et de soutien. "

La commission d’enquête, qui s’est déplacée sur le littoral et à l’intérieur de l’île, a pu vérifier que le territoire corse connaît un phénomène de découpage communal en lanières. Les bourgs anciens, sièges de la commune, sont souvent situés en montagne et ont une fenêtre sur le littoral. Pour être efficace et rationnel, l’aménagement du territoire supposerait une intercommunalité forte. Les territoires communaux sont marqués par leur verticalité, alors que l’aménagement devrait s’effectuer de manière linéaire, parallèle au littoral.

Enfin, le maillage au niveau des collectivités locales et des offices de tourisme et syndicats d’initiatives (OTSI) paraît encore trop léger. Des directions de station existent dans les quatre plus grandes villes. En mai 1998, deux autres stations étaient en cours de création sur un total de seize souhaitables d’après les estimations de certains professionnels du secteur.

– Le manque d’équipements d’animation et de loisirs

D’une manière générale, le potentiel touristique exceptionnel de l’île ne bénéficie pas encore d’un aménagement et d’une gestion des espaces touristiques à la mesure des enjeux. Ainsi, les équipements d’animation et de loisirs paraissent encore notoirement insuffisants. Il s’agit là d’un des handicaps du tourisme en Corse. Cette carence explique d’ailleurs la tentation d’un tourisme sauvage. Toujours selon le professionnel du tourisme précédemment cité, " le camping sauvage a constitué et constitue encore un peu un problème du tourisme corse. Il est dû au fait qu’il n’existe pas de produit alternatif. "

Pour être plus performant, le secteur touristique doit donc se rénover. Ce point fait l’objet de développements dans la dernière partie du présent rapport.

 

3.– Des obstacles au développement à surmonter

L’économie corse tourne au ralenti. Certes, la conjoncture au cours de ces dernières années ne lui a pas été propice. Mais d’autres facteurs entravent le développement de l’île. S’il est difficile d’évaluer leur impact respectif, il est clair qu’il faut compter au nombre des principaux handicaps le climat de violence, le poids du passé, et – fruit amer de la modernité ? – l’endettement massif.

a) Un contexte politique et social agité

Nombreux sont ceux qui ont évoqué devant la commission d’enquête les effets répulsifs pour les acteurs économiques de l’image de violence trop souvent associée à celle de la Corse.

On se bornera à citer le directeur régional de la Banque de France qui, devant la mission d’information sur la Corse, déclarait en février 1997 : " Il ne faut pas sous-estimer l’impact du contexte social défavorable de ces dernières années : grèves répétées des transports, grèves prolongées du secteur public, climat d’agitation politique et de violence. "

S’agissant de la violence elle-même, la question de la conditionnalité ou de la simultanéité des politiques répressives et de soutien à l’économie a été souvent posée.

Le rétablissement de l’État de droit constitue-t-il la condition préalable du décollage économique de l’île ou bien est-ce le redressement de l’économie insulaire qui est susceptible de créer un climat propice au retour à la paix ? Ou encore le gouvernement doit-il – peut-il – dans le même temps œuvrer pour le respect de l’État de droit et le décollage économique de la Corse ?

Trois anciens ministres de l’Intérieur ont livré leurs conceptions sur ce point à la commission d’enquête.

Pour l’un d’eux " il est bien évident que le problème de la Corse, le rétablissement de l’ordre public, n’est pas séparable du problème du développement. "

Pour un autre, "la violence est un peu inhérente à la Corse. Elle se manifeste avec plus ou moins d’intensité selon les périodes. ". Il a ajouté : " Je crois avant tout que la Corse est en état de sous-développement. Cela, chacun peut le constater et chacun, dans chaque gouvernement, pense que l’un des moyens de résoudre la crise politique, la crise issue de la violence, consiste à résoudre les problèmes économiques (...). "

Pour un troisième, " un des problèmes de la République française est d’avoir prétendu traiter de façon homogène des problèmes totalement différents. (...) Cette difficulté à considérer que des situations socio-économiques, sociologiques, historiques, culturelles différentes appellent des traitements différents explique que vis-à-vis de la Corse une grande part de l’opinion française soit partagée entre des sentiments de lassitude ou de crispation. Entre les deux, où est la vérité ? " (…). Le problème de la Corse est évidemment un problème pénal, un problème de justice, de criminalité, etc., mais il est avant tout un problème politique et psycho-sociologique. (...) Il est vrai qu’il y a un problème mécanique : comment amorcer la pompe pour entrer dans le développement et sortir du clanisme, de la délinquance, de la crainte de la délinquance ? (...) Il ajoutait : " Pour sortir d’une mécanique infernale, il faut monter une autre mécanique, qui est celle du développement et de la restauration de la démocratie. (...) Le problème de fond est de savoir quelles sont les perspectives de développement économique de la Corse. S’il n’y en avait pas, je ne dirais pas que je suis optimiste. Mais il y en a une et demie : le tourisme et l’informatique, qui permet la localisation d’activités intellectuelles à peu près n’importe où, en particulier dans les endroits agréables. Or, la Corse est un territoire vierge. (...) On peut penser que la Corse a aussi un avenir : le jour où la population et les élus corses prendront conscience que la Corse peut, avec les chances que lui offre son retard historique, choisir un nouveau type de développement (...). "

b) Un passé encore très présent

Le mode d’organisation de la société, qui a longtemps prévalu en Corse et dont l’île reste encore largement imprégnée, se heurte aux exigences d’une économie moderne.

·  Un développement tardif

Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la Corse était avant tout une société paysanne, dont l’essentiel des ressources provenaient de l’agriculture. Comme dans les autres régions rurales françaises, la crise agricole du tournant du siècle marquera profondément l’île. L’émigration va d’abord contribuer à en diminuer les effets. Mais, de 1920 jusqu’à la fin des années 1950, la Corse va donner l’image d’une région en déclin, que quittent ses éléments les plus jeunes et les plus actifs. La situation changera sous la IVème République : une commission de modernisation et d’équipement a été créée en 1953 pour établir un diagnostic précis et formuler des propositions concrètes ; un programme d’action régional est adopté en 1957 ; deux sociétés d’économie mixte sont créées dont l’une, la société de mise en valeur de la Corse (SOMIVAC) sera très active en matière d’aménagement agricole, notamment dans la plaine orientale.

Ce n’est donc qu’au cours des quarante dernières années que la Corse est entrée dans la modernité économique. Outre les tensions politiques que cela a pu entraîner, il apparaît que les mutations psychologiques et sociales ne sont pas totalement achevées et que les règles élémentaires de l’économie restent encore trop souvent oubliées.

·  Une culture économique à développer

Certains témoins ont regretté devant la commission d’enquête que l’esprit entrepreneurial et d’initiative fasse parfois défaut en Corse et entrave l’émergence de nouveaux projets. Des projets d’entreprise voient pourtant le jour dont certains sont de réels succès. Leur rythme de création est relativement constant (autour de 500 par trimestre), comme l’indique le tableau ci-dessous.

Les créations d’entreprises en Corse

 

4ème trimestre 1996

1er trimestre 1997

2ème trimestre 1997

3èmetrimestre 1997

4ème trimestre 1997

502

479

488

479

574

 

Source : INSEE Corse

Dans son rapport d’activités pour 1997, l’agence de développement économique de la Corse (ADEC) notait : " la motivation première des créateurs est plus sociale (créer son propre emploi) qu’économique et véritablement fondée sur un esprit et une culture d’entreprise. Les aspects économiques sont souvent négligés ou sous-estimés (la prime est la panacée : pour une majorité elle est considérée comme vitale et sans elle, le projet n’aboutira pas). "

Au cours de ses travaux, la commission a entendu à plusieurs reprises des critiques sur " le manque de professionnalisme " observé dans divers secteurs d’activités de l’île.

Le peu de rigueur dans la gestion a été souligné par un magistrat d’Ajaccio : " la tenue de la comptabilité est très médiocre ". Dans le ressort du tribunal de commerce de cette ville, 1.200 sociétés ne satisfaisaient pas à leurs obligations de dépôt de leurs comptes, certaines depuis de très nombreuses années.

Le faible dynamisme commercial était encore déploré récemment par le président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Ajaccio, qui se se plaignait que les commerçants rechignent à ouvrir leurs magasins un dimanche alors qu’un paquebot de croisière venait relâcher dans le port.

La disparition d’entreprises non viables reste mal acceptée. M. Noël Pantalacci, président de la CADEC (caisse de développement de la Corse), déclarait, en mars 1997, devant la mission d’information sur la Corse " Il faut savoir que le dépôt de bilan, qui est une solution technique de management, n’est pas reconnue comme telle en Corse. Quand je conseille à des entreprises de déposer le bilan, parce qu’elles bénéficieront, de ce fait, du taux zéro et qu’elles obtiendront un plan de redressement sur 10 ans, voire 12 ou 13 ans, elles refusent ; en Corse, on ne dépose pas le bilan. Elles vont tenter de trouver des solutions, qui ne sont pas forcément adaptées à la situation, plutôt que d’aller déposer le bilan au tribunal de commerce. "

Le rapporteur de la commission d’enquête a pu mesurer la véracité de cette affirmation lorsqu’il s’est rendu au tribunal de commerce d’Ajaccio. " Les dépôts de bilan sont tardifs. Parfois, il se passe 18 mois entre la cessation des paiements et le dépôt de bilan. Les périodes d’observation durent. Les plans de redressement avec continuation sont monnaie courante " disait un des témoins entendus.

Un professeur associé à l’université de Corte expliquait récemment dans les colonnes d’un journal local les échecs des politiques de développement menées en Corse : " on ne s’est pas préoccupé de savoir si les bénéficiaires seraient à même d’utiliser efficacement (les infrastructures, les services, l’argent) pour être suffisamment compétitifs. Or, dans l’ensemble ils ne l’étaient pas. Cela aurait exigé une culture de l’économie et de l’entreprise qu’ils ne possédaient pas, car elle est le fruit de révolutions économiques qui ne se sont jamais produites en Corse. Ils le sont moins que jamais aujourd’hui.(…)Oubliant, ou plutôt ignorant qu’une entreprise performante, c’est avant tout des hommes possédant cette culture, on n’a rien fait ou pas grand-chose pour la leur faire acquérir, et on a persisté à ne raisonner qu’en termes de moyens.(…) ". Il regrettait " la mise en place non d’une économie de production, de développement et d’enrichissement, mais une économie de consommation, de survie et d’assistanat qui, derrière les apparences d’une prospérité relative, a de plus en plus de mal à compenser un appauvrissement collectif impressionnant et une fracture sociale alarmante dont l’amplitude est le double de la moyenne nationale ".

En fait, le rapport établi en 1996 par le préfet Claude Erignac sur la consommation des crédits publics en Corse montrait déjà clairement la nécessité, pour une meilleure utilisation des sommes disponibles, de renforcer les structures de soutien et de conseil aux maîtres d’ouvrages, qu’il s’agisse de collectivités locales ou d’entreprises.

·  La persistance de l’indivision

Le maintien du phénomène de l’indivision à un niveau vraisemblablement inégalé en France a été spontanément évoqué par plusieurs des témoins entendus tant par la mission d’information sur la Corse que par la commission d’enquête. Les inconvénients d’une telle situation sont abondamment décrits. Devant la mission d’information sur la Corse, le directeur général des impôts expliquait que " ces indivisions ont un impact négatif sur l’activité agricole, d’une part parce qu’il est très délicat de donner un bail pour des parcelles dont on ne connaît pas les propriétaires puisqu’il faut l’accord de tous les propriétaires ou co-indivisaires pour passer un acte, d’autre part parce qu’elles nuisent à la restructuration qui souvent ne peut pas être effectuée, faute d’avoir pu identifier tous les propriétaires ". D’autres conséquences dommageables, en matière de travaux publics ou de réhabilitation du patrimoine immobilier notamment, sont aussi évoquées.

La cause principale du grand nombre d’indivisions anciennes est imputée à la culture locale, qui repose sur un grand attachement à la terre des ancêtres et à la famille et conduit à une conception de la propriété plus collective qu’individuelle. Dès lors, le maintien des indivisions est longtemps apparu, et continue de l’être, comme une situation normale : une demande de partage risquant d’être considérée comme une marque de défiance vis-à-vis de la famille. Cela explique le faible nombre d’actes de propriété existants, les répartitions réalisées découlant plus communément d’arrangements amiables et oraux. Par contre, il apparaît que, lorsqu’il existe un enjeu patrimonial et financier réel, ce qui est le cas notamment sur le littoral, les sorties de l’indivision ont été beaucoup plus fréquentes.

c) Des entreprises vulnérables

·  Un marché trop étroit

M. Jean Milli, directeur régional de la Banque de France, expliquait devant la mission d’information sur la Corse : " l’économie corse est soumise à des contraintes spécifiques qui ont façonné une spécificité corse, à la manière d’un creuset.

Constitué de plusieurs micro-régions isolées les unes des autres par un relief montagneux et des liaisons routières difficiles, le territoire corse ne présente pas d’unité économique, c’est un ensemble de micro-régions. (...) De plus, le marché est étroit : avec 255.000 habitants, il n’offre que peu de possibilités d’expansion à un tissu d’entreprises assez dense, même s’il s’agit de très petites entreprises. Pour la plupart d’entre elles, le marché corse constitue le seul débouché à leurs activités.

Dans ce contexte particulier, les entreprises ont conservé pour l’essentiel une structure familiale et une taille très modeste. Manquant le plus souvent d’envergure et de moyens financiers, elles sont très vulnérables à la concurrence d’entreprises continentales ou étrangères qui viennent en Corse, poussées par la crise, prendre des parts de marché pour compenser les effets de ce qu’elles ont perdu ailleurs. "

·  Une rentabilité insuffisante

Selon une étude réalisée par la Banque de France en Corse, la comparaison entre les entreprises corses et les entreprises du continent montre que la rentabilité des premières est plus faible que la moyenne nationale, ce qui apparaît à travers deux indicateurs : le taux de valeur ajoutée et le taux de marge brute. Le rapport de la valeur ajoutée sur le chiffre d’affaires s’établissait à 23 % en Corse au début de 1997 contre 29 % pour l’ensemble des entreprises en France de taille comparable et à 27 % en Corse en juin 1998 contre 33 % pour la moyenne française. La différence de six points en 1997 et en 1998 s’explique, d’une part, par la petite taille des entreprises (qui ne leur permet pas de bénéficier d’effets d’échelle et de gains de productivité) et, d’autre part, par l’insularité (coût d’achat des produits plus élevé, stockage nécessairement plus important qu’ailleurs pour se prémunir des risques de rupture voire, malgré la continuité territoriale, éventuel surcoût résiduel des transports). Le taux de marge brute (la rentabilité brute dégagée par l’entreprise rapprochée du chiffre d’affaires) s’élève à 4 % en Corse contre 4,8 % pour l’ensemble du territoire. L’écart moyen était en juin 1998 de 0,8 point, c’est-à-dire que la rentabilité brute des entreprises corses est inférieure de 16 à 17 % à celle constatée pour l’ensemble des entreprises de taille comparable.

Les difficultés de trésorerie, notamment en période de conjoncture basse, se trouvent en Corse amplifiées. Le pourcentage d’entreprises affectées d’une cotation de paiement défavorable par la Banque de France y était, en 1996, trois fois plus élevé que sur l’ensemble du territoire.

La faiblesse et la fragmentation du tissu industriel expliquent que les entreprises restent le plus souvent dans des zones géographiques bien délimitées. A titre d’exemple, il apparaît très rare qu’une entreprise de construction de Haute-Corse soit candidate, ou si elle l’est, qu’elle soit sélectionnée, pour l’obtention d’un marché public en Corse-du-Sud, et vice-et-versa. Un observateur de l’économie insulaire a noté devant la commission d’enquête que les marchés demeurent très cloisonnés, ce qui explique que la plupart des sociétés fonctionnent en circuit fermé et n’envisagent pas même d’exporter leurs productions sur le continent. Ne s’ouvrant pas ou insuffisamment aux marchés extérieurs, les entreprises corses ne peuvent se développer en dehors de l’île.

·  Un secteur privé sous-capitalisé et surendetté

Les entreprises corses manquent de capitaux propres. Elles supportent un endettement lourd qui génère à la fois des échéances difficiles à assumer et des frais financiers venant obérer une rentabilité brute déjà trop faible. Les fonds propres comparés au total du bilan atteignaient, au début 1997, 24 % en Corse contre 34 % sur l’ensemble de la France, et en juin 1998, 20 % pour la Corse et 44 % pour l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, si pour l’ensemble de la France, l’endettement ne représente en moyenne que 75 % des fonds propres, en Corse, le taux (crédit-bail inclus) s’élève à 200 %. Cela signifie qu’en moyenne, les entreprises sont deux fois plus endettées qu’il n’est souhaitable. En effet, l’orthodoxie financière plaide pour un rapport équilibré entre le niveau de l’endettement et les fonds propres : autant de fonds propres que de recours à l’endettement. Cet endettement, difficile à résorber en période de basse conjoncture, entraîne des frais financiers importants qui pèsent sur la rentabilité de l’entreprise et handicapent donc ses possibilités futures d’autofinancement. Ayant atteint la limite de son endettement, l’entreprise ne pourra plus, même en cas de besoin, trouver les crédits nécessaires au financement d’éventuels projets.

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 5 février 1997, le directeur régional de la Banque de France, observait : " (...) dans la compétition actuelle et l’ouverture des marchés, certaines entreprises ne sont plus en mesure de lutter, car elles n’ont ni la taille, ni la structure financière, ni parfois les compétences nécessaires, pour réagir face à la concurrence. Dès lors, ces entreprises que l’on aide parfois abusivement, au regard des critères économiques, pèsent sur l’ensemble, alourdissent le tissu économique et exercent à l’égard des entreprises saines et viables une concurrence discutable, dans la mesure où les règles du jeu sont faussées. "

Aujourd’hui, des observateurs avertis de la vie économique de l’île considèrent que la survie de certaines entreprises n’est pas seulement une aberration économique mais crée surtout une situation pernicieuse dans la mesure où leur présence sur le marché constitue une concurrence particulièrement indue vis-à-vis des sociétés qui respectent leurs obligations.

L’effet de contagion des entreprises ne s’acquittant plus de leurs dettes, et incitant ainsi progressivement l’ensemble de leurs concurrentes à adopter le même comportement, est un phénomène à craindre. Cette situation décourage toute idée d’investissement provenant de l’extérieur ou de crédit.

Inversement, un assainissement de la situation passant par la disparition de nombreuses entreprises ne serait pas sans répercussion sur le tissu économique et social de l’île et risquerait lui aussi de l’entraîner dans une spirale dépressive. Il y a donc là un point d’équilibre difficile, mais nécessaire à trouver.

On trouvera cependant quelques motifs d’encouragement dans les propos tenus, lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 5 février 1997, par M. Jean Milli, déjà cité : " le bilan d’ensemble n’est pas aussi détérioré qu’on le pense. Les banques confirment que près d’une entreprises sur deux ne leur pose pas de problème. Il s’agit là d’un élément de satisfaction, alors que l’on entend souvent parler de la " faillite de la Corse ", ce qui n’est absolument pas le cas. Cinquante pour cent des entreprises, voire un peu plus, évoluent normalement. De plus, dans tous les compartiments d’activité, nous trouvons des affaires bien gérées, qui réussissent. "

·  Les collectivités locales : des partenaires souvent peu fiables

Nombre de collectivités locales se trouvent, elles aussi, dans une situation financière tellement dégradée qu’elles ne paraîssent guère en mesure d’entraîner un quelconque enchaînement vertueux du développement économique. Elles contribuent, au contraire, par leur comportement, à accroître la fragilité des entreprises corses.

Trop souvent, ayant contracté des charges dont elles ne peuvent s’acquitter, " les factures impayées demeurent dans leurs tiroirs ", comme l’a indiqué un témoin à la commission d’enquête. Ces factures impayées et non comptabilisées, qui se sont accumulées dans de nombreuses communes, représentent, lorsqu’elles sont mises à jour, des sommes non négligeables. Or, les dépenses des collectivités locales étant un des principaux éléments de l’économie de l’île, l’existence de ces " impayés publics "  ne peut qu’handicaper son développement.

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B.– La Corse : point de convergence des sollicitudes de l’État et de l’Union européenne

 

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