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Séance du jeudi 20 mars 1913

  • Recrutement

    Élection d’un rapporteur provisoire

    M. Paté est nommé rapporteur provisoire.

    Motion préalable de M. Jaurès

    Rejet

    Contre-projet de M. Messimy

    Présidence de M. Gallois , vice-président

    Recrutement

    Élection d’un rapporteur provisoire

    M. le président annonce qu’il va ouvrir le scrutin pour la nomination d’un rapporteur provisoire.

    M. Bénazet pose sa candidature ; il se déclare favorable au projet sous réserve de modifications de détail. En présence de l’augmentation de la puissance militaire offensive allemande, le service de trois ans s’impose si nous voulons doter notre armée des effectifs immédiatement mobilisables et des troupes actives qui lui permettront de résister et de vaincre. Le Conseil Supérieur de la guerre et le gouvernement ayant déclaré que la défense nationale ne pouvait être assurée qu’à ce prix, l’hon membre droit de son devoir strict d’appuyer le projet de loi.

    M. Paté pose également sa candidature ; il est également, lui aussi, favorable au principe du projet et promet de rapporter rapidement, s’il est élu.

    Le scrutin est ouvert à 4h 5.

    Il est clos à 4h 35.

    Ont obtenu : MM. Bénazet 16 voix

       Paté   15 “

       Treignier  6 “

       B. Blancs  3 “

                sur 40 votants.

    Il y a lieu de procéder à un 2e tour de scrutin.

    M. Treignier déclare n’avoir pas été candidat au premier tour.

    Le scrutin est ouvert à 4h 40.

    Il est clos à 5h 5.

    Votants : 37

    Obtenu : MM. Paté  16 voix

      Bénazet 15 “

    M. Paté est nommé rapporteur provisoire.

    M. Paté est nommé rapporteur provisoire.

    Motion préalable de M. Jaurès

    M. Jaurès présente une motion préalable ainsi conçue : « La Commission de l’Armée, considère que la puissance d’une armée réside à la fois dans l’excellence de son organisation technique et dans la force du sentiment moral qui anime les citoyens soldats.

    Elle est convaincue que la force et l’élan de l’armée seront d’autant plus grands qu’elle aura la certitude de combattre pour une cause juste et pour la seule sauvegarde de la patrie.

    Elle affirme qu’en offrant à tous les peuples représentés à la Conférence de La Haye l’arbitrage étendu à tous les conflits la France accroîtra la puissance morale de son armée, appellera sur elle la sympathie de l’humanité civilisée et affaiblira la force d’agression de l’adversaire qui par le refus de l’arbitrage aura manifesté son esprit de brutalité et de violence.

    Elle déclare donc que l’offre générale d’arbitrage intégral est la préface nécessaire et la condition absolue d’une organisation militaire défensive vraiment efficace et elle estime que cette offre d’arbitrage doit s’accompagner de négociations tendant à la limitation des armements, […] à la diminution simultanée et corrélative des effectifs […] dans les régions frontalière […] de défiance réciproque d’alarme et des conflits. »

    Cette motion est signée de M.M. Voilin, Roblin, Rognon et Bouhey-Allex.

    M. Jaurès À nos yeux, et nous l’espérons, aux yeux de la Commission cette motion n’est pas étrangère à son objet. Personne n’est affligé ici du souci exclusif du matérialisme de la force ; tout le monde s’accorde pour affirmer que le problème à résoudre est à la fois d’ordre technique et moral. Nous pensons certes qu’une organisation technique puissante est nécessaire et nous ne sommes pas disposés de nous en remettre, à l’heure du conflit, à une improvisation héroïque pour organiser la défense du pays, mais vous reconnaîtrez que la force morale de l’armée, la certitude de son droit est aussi un élément important, vital dans une république. Voilà pourquoi nous considérons que c’est une partie de l’organisation défensive du pays que de donner à tous les combattants la certitude que ce n’est ni pour un caprice, ni dans un esprit d’agression, ni pour une aventure, mais pour la défense du droit national menacé que le peuple est appelé à combattre, tout autre moyen que la force lui faisant défaut pour se défendre.

    Le peuple qui devant le monde aurait fait la preuve qu’il n’a pris les armes que parce que tout moyen de défense pacifique lui a manqué entrerait dans la lutte avec l’appoint d’une magnifique force morale.

    La puissance d’enthousiasme d’une armée se transforme en résistance à la fatigue [mot barré], en courage et en élan. Il y a là un élément militaire de premier ordre à considérer.

    C’est une naïveté de croire que nos propositions d’arbitrage intégral doivent dispenser le pays de tout effort ; on nous dit, vous offrirez l’arbitrage et on le refusera et on triomphe ! Il y a un malentendu sur ce point. Nous disons, nous : ou bien les peuples accepteront l’arbitrage offert par la France et un grand pas aura été fait dans le chemin de la civilisation et de la raison et un magnifique exemple aura été donné par ce pays aux autres, ou bien les peuples refuseront et vous pourrez alors dire aux milliers de soldats que vous devez arracher à leurs foyers pour la défense du sol : nous avions offert l’arbitrage, l’adversaire le refuse, c’est un barbare et c’est avec toute la vigueur d’une conscience révoltée que le mécanisme de notre force militaire se mettra dès lors en mouvement. Cette politique sert donc à la fois au maximum la civilisation et la patrie. Car vous avez beau développer nos forces de caserne, il viendra toujours une heure où vous devrez faire appel aux masses profondes du peuple. Je considère comme impie de dire que c’est du sort d’un seul combat que dépendrait le destin de la patrie. Il ne faut pas entrer dans ces tourments ou bien une fois qu’on y est entré, il faut continuer le combat jusqu’à la dernière heure de résistance. Si c‘est là la condition de défense moderne d’un grand peuple, si vous ne pouvez pas faire seulement une guerre d’avant-garde, ce n’est qu’avec le levier du bon droit incontestable que vous soulèverez les masses.

    Nous voulons une organisation technique très forte, mais actionnée par une force morale ardente.

    C’est dans la paix et par l’arbitrage que pourra se résoudre la douloureuse question de l’Alsace-Lorraine. Les Alsaciens le comprennent d’ailleurs de plus en plus et je pourrais apporter ici les déclarations de leurs hommes politiques qui tous envisagent la solution de cette question dans l’autonomie de l’Alsace-Lorraine réalisée pacifiquement. Notre motion n’irait donc pas à l’encontre de leurs rêves.

    M. Adigard Je connais personnellement les hommes politiques dont vous parler pour les recevoir fréquemment moi-même. Tous, Preiss, Wetterlé, d’autres, lorsque chez moi, ils boivent à la liberté de l’Alsace, eux comme moi, nous savons ce que cela veut dire : il y a des formules qui s’imposent.

    M. Vandame Je crois qu’à délibérer sur la motion de M. Jaurès, la Commission sortirait de sont rôle. Avec notre système d’alliances, cette motion est pratiquement inapplicable. J’ajoute qu’il ne saurait me plaire de faire savoir aux Alsaciens-Lorrains qu’à tout jamais nous refuserons de profiter d’une occasion de reconquérir l’Alsace.

    M. Driant M. Jaurès ne prévoit pas non plus le cas d’une invasion brusque, non précédée d’une déclaration de guerre. Au surplus la question de l’Alsace se pose et elle suffirait à motiver le rejet de la motion.

    M. Jaurès Notre idéal serait la conclusion de traités universels d’arbitrage. Je fais d’ailleurs remarquer que les alliances « défensives » jouent avec les traités d’arbitrage : le Japon, les Etats-Unis et l’Angleterre sont unis de la sorte. L’Angleterre n’accordera son appui à l’un des contractants que contre un peuple qui aura refusé l’arbitrage.

    La lassitude, l’exaspération sourde des peuples ?? mûrissent ?? des solutions qu’on considérait naguère comme utopiques.

    Rejet

    À la majorité de 22 voix contre 5 la motion préalable de M. Jaurès n’est pas adoptée.

    Contre-projet de M. Messimy

    Audition de M. Messimy sur son contre-projet.

    M. Messimy  expose les raisons qui l’ont amené à déposer un contre-projet dont il indique les grandes lignes.

    L’Allemagne, c’est incontestable, a augmenté ses effectifs depuis 1905. (+ 220 000 hommes)

    Les effectifs français ont, par contre, diminué, non pas du fait de la loi de deux ans, mais par suite de la baisse de la natalité. Il faut aussi tenir compte de nos besoins en hommes au Maroc.

    L’effectif de paix de 1904 à 1913 a baissé de 30 à 40 000 hommes.

    Les augmentations des effectifs en Allemagne, sauf une division sur la frontière russe, sont dirigées contre nous. Depuis 1904, 120 000 à 130 000 de plus ont été placés sur la frontière allemande.

    Sans aller jusqu’à penser que 700 000 allemands pourront tout à coup envahir la France, on peut dire que dans les trois jours 300 000 à 350 000 hommes pourront se jeter sur notre couverture la rompre et troubler notre mobilisation.

    M. Painlevé Mais le 3e jour, nous n’aurons pas que 120 000 hommes sur la couverture.

    M. Messimy Bien peu davantage : il faut constituer les unités avant de les diriger sur la frontière et nos troupes de couverture reçoivent en 36 heures, avec les réservistes locaux, tout leur appoint, soit 120 000 h sans les places fortes, et 150 000 avec les places. Il y a là un péril grave contre lequel il faut nous prémunir.

    Les réservistes habitant sur le territoire des corps de couverture sont trop nombreux pour être encadrés dans les unités déjà constituées ; il faut les enrégimenter dans des formations de réserve constituées en arrière.

    M. Jaurès Quelle part de réservistes est ainsi ramenée en arrière ?

    M. Messimy Les réservistes de ces régions sont ou bien versés pour une part, dans des corps de couverture, pour une très grosse part, dans les places, et pour une faible part, ramenés en arrière. Pour parer au péril de l’irruption allemande que devons nous faire ? Augmenter nos effectifs dans nos unités ; faire participer plus d’unités à la couverture.

    Pour les armes montées, il est indispensable de prolonger la durée du service ; pendant six mois, notre cavalerie est presque indisponible.

    Pour l’armée de l’intérieur, il faut aussi – ne serait-ce que pour l’instruction - renforcer les effectifs, mais ici la mesure, si elle est utile, n’est pas inéluctable, comme pour la couverture.

    En dehors de l’augmentation de la durée du temps de service, il faudra rendre au service armé tous les hommes disponibles.

    J’ai recherché une solution d’égalité, car le pays répugne à l’inégalité, sans quoi la solution théorique idéale serait celle-ci : 4 ans pour la cavalerie, 3 ans, pour l’artillerie, 30 mois pour les troupes de couverture, 27 mois pour les troupes de l’intérieur.

    En ?? redestinant ?? au service armé tous les hommes qui en sont actuellement distraits, on n’obtient pas une augmentation d’effectifs suffisante.

    M. Jaurès l’administration des contributions directes emploie des sous-officiers à la révision cadastrale.

    M. Messimy Racler les fonds de tiroir, comme on dit, ne donnerait que quelques centaines d’hommes ; il faut les prendre, c’est entendu, mais il faut faire plus, il faut augmenter le temps de service. Quelle doit en être la durée ? Trois ans, intégralement ? Ce serait trop, je propose 28 mois, à deux ou trois jours près, le ministre pouvant renvoyer les hommes de la dernière classe aux environ du 10 février, si les circonstances le permettent.

    Nous aurions ainsi des effectifs suffisants et nous n’imposerions pas à nos fantassins une 3e année de service complète pendant laquelle ils ne feraient que répéter des exercices déjà connus.

    M. Joseph Reinach Vous dites : les militaires accomplissant leur 3e année de service pourront être mis en congé le 10 février ; cela veut-il dire qu’en temps normal, régulièrement, les hommes ayant accompli 28 mois de service seront renvoyés ?

    M. Messimy  Je fais une loi d’égalité. Il va de soi que le ministre aura l’obligation de renvoyer ces militaires aux environs du 10 février, à quelques jours près et si les circonstances le permettent.

    M. Jaurès En fait, ce sera l’obligation de renvoi ; il deviendra impossible à un ministre, à moins de circonstances exceptionnellement graves, de garder les militaires au-delà du 10 février. Comment d’autre part vivront les hommes en congé ? Seront-ils toujours militaires et justiciables des tribunaux militaires ?

    Vous ne hâteriez d’ailleurs pas votre mobilisation en conservant des hommes 4 mois de plus, puisqu’il vous faudra toujours attendre les réservistes.

    M. Messimy Il y a là une question de cohésion (proportion d’active et de réserve) et d’instruction qui n’échappera pas à la Commission.

    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    Le président,

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