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Séance du mercredi 26 mars 1913

  • Batterie de l’Eure

    Situation des officiers de réserve détachés au Maroc

    Recrutement

    Contre-projet de Général Pédoya

    Rejet du contre-projet de Général Pédoya

    Discussion générale

    Présidence de M. Gallois, vice-président

    Batterie de l’Eure

    Situation des officiers de réserve détachés au Maroc

    M. Driant est autorisé à déposer son rapport sur le projet de loi relatif à la batterie de l’Eure et chargé du rapport sur le projet de loi relatif à la situation des officiers de réserve détachés au Maroc.

    Recrutement

    Contre-projet de Général Pédoya

    M. le général Pédoya développe son contre-projet. Je tiens tout d’abord à dissiper une erreur. C’est à tort qu’on soutient que la loi des 2 ans a affaibli l’effectif de notre armée tant en ce qui concerne la quantité que la qualité. Je fais exception pour la cavalerie. Avant 1905, nous n’avions pas 3 contingents sous les drapeaux ; nous avions un contingent complet et deux portions du contingent.

    En ce qui concerne la qualité, je préfère de beaucoup le système de la loi des deux ans, à celui de la loi de 1889. Tous les réservistes ont actuellement fait deux ans, c’est l’homogénéité de leur instruction qui est assurée.

    Il y a trois mois, tout allait bien ; le ministre de la Guerre se déclarait satisfait ; aujourd’hui, tout est changé. Ce qui m’effraie, c’est la précipitation avec laquelle on nous demande de discuter. Le Maroc a besoin d’hommes ; il n’est pas aussi pacifié qu’on le dit. Nous marchons en fait sur Taza.

    On nous avait dit qu’on ne dépasserait pas 40 000 hommes pour notre corps d’occupation, nous sommes à 62 000 h et on nous demande des troupes.

    On nous dit pour motiver le projet de loi que nos effectifs sont insuffisants pour l’instruction, c’est parce qu’on applique pas la loi de 2 ans dans son esprit ; on distrait trop d’hommes de la manœuvre (1 759 dans une division dont le général se montre cependant très sévère).

    En ramenant les employés au service, en faisant appel à la main d’œuvre civile, en supprimant les tambours ; en supprimant ou réduisant certains services de garde à Paris, en évitant de distraire des hommes du service pour les affecter aux cantines, cercles, coopératives, courses, concours hippiques, lits militaires, etc., nous pourrions, sans augmenter la durée du service, doter nos compagnies des 115 hommes qui leur sont nécessaires.

    Le projet de loi n’augmente pas d’un homme l’effectif mobilisable.

    L’Allemagne a 700 000 h d’active et 300 000 h de réserve ; la France 500 000 h d’active et 500 000 h de réserve ; je préfère cette dernière composition.

    Le soldat de 25 à 28 ans est plus robuste que celui de 21 à 22 ans. Il y a des régiments d’active où une classe sur deux n’a pas fait de tir ou de service de campagne et vous voulez quand même considérer que ces soldats sont supérieurs à des réservistes qui ont été bien et complètement exercés ?

    On a parlé de la fragilité de notre couverture, lorsque nous aurons 5 corps au lieu de 3 à effectifs renforcés, nous serons à égalité avec les Allemands.

    Il faut aussi tenir compte des forteresses. La bataille de Moukden a duré huit jours et pendant huit jours quelques redoutes en terre ont arrêté les Japonais. Ceci laisse le temps de mobiliser.

    Les Allemands mobiliseront avant 16 jours, mais ils ne feront pas une brusque irruption en amenant d’un seul coup leurs forces. Il faudrait aussi qu’ils laissent des corps sur la frontière orientale et ici j’insiste pour que notre gouvernement obtienne de la Russie alliée une mobilisation plus rapide.

    Notre haut commandement a envisagé trois lignes de concentration ; on ne nous écrasera pas d’un seul coup pour se retourner ensuite vers la Russie : cette hypothèse est absurde. Il faut 137 trains pour transporter un corps d’armée.

    Si notre couverture a besoin d’être renforcée, 30 000 h y suffiront et on peut les trouver dans la marine, dans les musiques, dans les ajournés, dans les colonies, dans les sapeurs-pompiers de Paris.

    Je suis pour la qualité, non pour la quantité. Nous n’avons rien fait pour les officiers et les S/officiers. Nos officiers s’en vont et quittent l’armée pour entrer dans l’industrie.

    Pour la cavalerie, je pense qu’on ne peut faire un parfait cavalier en deux ans, mais il ne faut pas dire subitement que notre cavalerie ne vaut rien, après avoir proclamé en septembre qu’elle faisait merveille. On ne fait rien pour la préparation militaire de la jeunesse aux armes à cheval ; c’est là que l’effort devrait porter.

    On donne des avantages dérisoires aux rengagés. On a tout fait pour décourager les engagements et les rengagements. On fait aux engagés et rengagés des situations très différentes suivant les régiments et la garnison. Dans la brigade de cuirassés de Paris, le 1er régiment touche des primes faibles, le second des primes fortes, pourquoi ?

    Il faut donner à la cavalerie des cavaliers tout faits, elle en fera des soldats de cavalerie.

    Le dressage des chevaux doit être confié à des cavaliers de remonte.

    Nous pourrions prélever sur le train 1 000 hommes pour la conduite des voitures de nos régiments de cavalerie.

    Il faut augmenter le nombre de nos chevaux, pour éviter les chevaux de réquisition.

    M. Bénazet Mais il faut des hommes pour dresser les chevaux.

    M. le général Pédoya 18 à 20 h par escadron pour le débourrage et le dressage. Or, le débourrage pourrait être fait en dehors du régiment, de même qu’une partie du dressage. Ce travail empêche actuellement les meilleurs cavaliers d’assister à la manœuvre.

    J’arrive à mon contre-projet. J’ai fixé la durée du service à 27 mois, afin de parer au danger de la période critique qui suit le départ de la classe. Par le passage d’une partie des effectifs dans les camps d’instruction – pendant 3 mois – j’évite l’inconvénient des casernes déjà trop étroites avec 2 classes et j’assure en même temps une meilleure instruction. Économie d’argent et meilleur rendement. Il faut réunir dans les camps active et réserve qui s’ignorent actuellement. Nous ne manœuvrons jamais les trois armes réunies, la réunion des réserves et de l’active dans les manœuvres, c’est la force de l’armée. Vos officiers et S/off. de réserve ne manœuvrent jamais, ne commandent jamais.

    Ma conclusion est celle-ci : ce n’est pas moi, qui ai vu de près les malheurs de la patrie qui voudrait voir notre armée rester en dessous de sa tâche mais encore faut-il qu’on nous dise quelles améliorations efficaces on entend apporter à son organisation. Or, le général Joffre et le ministre n’ont rien dit. On augmente la durée du service, et c’est tout ; s’il ne s’agit que de renforcer la couverture, point n’est besoin de prolonger d’un an la durée du service. Veut-on épuiser économiquement ce pays ? Nous ne voulons pas être dupes. Faisons le nécessaire, fortifions notre armée, donnons lui surtout la qualité ; mais ne croyons pas avoir tout fait en votant le service de 3 ans.

    Je m’en tiens au service de 27 mois pour les raisons que j’ai dites et par des permissions, je ramène à 24 mois le service actif.

    M. Paté combat le contre-projet ; il fait observer que la nouvelle loi assurera, contrairement à la loi de 1889, l’homogénéité des réservistes qui tous auront fait plus de deux ans. Il ne faut pas dire que les hommes de l’active sont inférieurs aux réservistes.

    M. le général Pédoya Cependant, lorsqu’ils n’ont fait aucun tir ?

    M. Paté Jamais il n’a été dit que notre frontière serait brusquement envahie par 800 000 Allemands à la fois ; mais nous avons à faire face à environ 350 000 h de premier choc. Il y a là un danger auquel il faut parer. La 6e région a besoin de 60 000 réservistes et n’en trouve sur place que 30 000.

    M. Jaurès Ces 30 000 partent-ils tout de suite ?

    M. Paté Oui

    M. Jaurès Alors je suis rassuré ; dans les trois corps, les onze classes de nos réservistes donnent 220 000 h qui ajoutés aux 105 000 de notre couverture donnent 325 000 h.

    M. Paté Vous comptez les hommes employés dans les forteresses ?

    M. Jaurès Les troupes cessent alors d’être « de couverture » lorsqu’elles sont affectées à la garde des forteresses ?

    M. Paté Je dis à M. le général Pédoya : ce n’est pas 30 000 h de plus qu’il nous faut sur la couverture, c’est 53 000 h.

    En ce qui concerne la préparation militaire pour les troupes à cheval, j’approuve ce qui a été dit, il y a beaucoup à faire.

    M. Jaurès La préparation militaire est dotée comme un député, de 15 000 F.

    M. Paté Le contre-projet du général Pédoya allonge la durée du service sans résoudre la question des effectifs, je prie la Commission de le repousser.

    M. Noël fait une rectification au sujet de la déclaration de M. Jaurès relative à l’emploi des sous-officiers du 94 » régiment à la révision cadastrale : il s’agit d’un sous-officier marié qui a obtenu, en dehors du service, l’autorisation de faire quelques travaux.

    Rejet du contre-projet de Général Pédoya

    À la majorité de 21 voix contre 2 le contre-projet de M. le gal Pédoya est repoussé.

    Discussion générale

    M. Georges Leygues Quelles sont les raisons qui justifient à nos yeux l’augmentation de nos effectifs et partant celle de la durée du service militaire ?

    Si l’on veut connaître les intentions de l’Allemagne, il n’y a qu’à étudier le nombre et les effectifs de ses unités combattantes, la distribution de ses forces, le groupement de se corps d’armée, ainsi que l’emplacement le nombre et la direction de ses voies ferrées et de ses routes.

    Quand on possède ces éléments – il n’y a qu’à savoir lire une carte ou voyager dans les régions rhénanes pour se les procurer – on en sait tout ce qu’on doit savoir, aucun doute subsiste : l’Allemagne fait un immense effort pour donner à son armée le maximum de puissance et à sa mobilisation le maximum de rapidité et c’est sur sa frontière de l’Ouest que et effort se manifeste avec le plus d’intensité.

    Depuis 1905, l’Allemagne a augmenté ses effectifs de 200 000 h tandis que les nôtres diminuaient de 40 000 h et que nous réduisions la durée des périodes d’instruction.

    Depuis 1911, elle a créée deux corps d’armée nouveaux dont l’un, le 21e sur notre frontière et l’autre sur la frontière russe.

    Avec la loi de 1913, elle va en créer deux de plus, dont un sera stationné à quelques kilomètres de la Lorraine. Grâce à cette loi, l’Allemagne va porter son armée sur pied de paix à 850 000 h et va pouvoir disposer pour une attaque brusquée d’une masse de 350 000 h à 400 000 h.

    Elle aura toute sa cavalerie, toute son artillerie disponibles prêtes à entrer en mouvement dès le second jour. À ces forces, nous ne pourrions opposer actuellement qu’une armée de 460 000 h sur pied de paix et une armée de premier choc de 175 000 h. La supériorité numérique écrasante de l’Allemagne s’accroîtrait encore de la supériorité des troupes techniques (sections de mitrailleuses, artillerie lourde, projecteurs, obusiers, télégraphie, téléphones, etc.). Elle aurait encore un autre avantage très marqué, celui que procurent l’organisation et le développement des voies de communication.

    L’Allemagne a couvert son territoire d’un réseau serré de voies stratégiques et elle a donné à ce réseau une ampleur particulière dans les régions voisines de notre frontière. Elle a construit depuis quelques années dans l’Eifel des routes et des lignes ferrées qui doivent surtout servir au transport des troupes qui relient Cologne, Aix-la-Chapelle, Coblentz à Trêves et à Luxembourg.

    Une demande de crédits de 542 millions de marks a été déposée dans le première quinzaine de mars et ces crédits sont affectés spécifiquement à ces travaux de chemin de fer (raccordements, dédoublements, quais, hangars, etc.) qui presque tous vont être exécutés dans les régions voisines de nos frontières.

    La simple constatation de ces faits démontre où se formera l’orage. On dit que nos troupes de couverture ne sont pas si faibles qu’elles ne puissent, appuyées sur nos forteresses, accomplir leur tâche.

    Il est clair que notre ceinture de forts de l’Est constitue une barrière sérieuse, mais on sait que cette ceinture a une brèche, celles de Charmes et on n’ignore pas qu’au Nord, entre Maubeuge et Longwy nous n’avons rien. Il y a là une situation angoissante. Si notre frontière de l’Est est gardée, celle du Nord ne l’est pas. Allons nous nier ce danger contre l’évidence et si nous ne le nions pas, comment le conjurons nous ?

    Nous renforcerons la couverture de l’Est a-t-on dit ; mais comment, avec quoi, je ne dis pas renforcerons-nous mais constituerons-nous la couverture du Nord ?

    M. Driant Il faudra se rappeler ce que vous dites quand viendra devant la Chambre le projet de démantèlement des forts de Lille et s’opposer à ce projet.

    M. le général Pédoya Je combattrai ce projet.

    M. Méquillet Il serait préférable de ne pas le laisser venir à l’ordre du jour.

    M. Georges Leygues Des fautes ont été assurément commises, mais je ne suis pas ici pour récriminer. Que faut-il faire ? C’est par le Nord très vraisemblablement que se produira l’invasion ; or, vous n’avez pas d’effectifs pour créer la couverture du Nord. Des remèdes indiqués ici par MM. Augagneur et Pédoya pour éviter le gaspillage de nos effectifs, presque tout est à retenir, mais j’accorde qu’on trouve ainsi 20 000 h même 30 000 h. Cela suffira t-il pour renforcer l’Est et couvrir le Nord ? Non. Il est donc clair qu’il faut envisager une autre situation. Je n’en vois pas d’autre, après un très attentif examen, que la prolongation de la durée du service. Avec la loi des 2 ans, on pourrait peut-être augmenter – et dans une mesure insuffisante, notre protection de couverture, mais on ne remédie pas à la crise des effectifs, et des unités ou des hommes que vous rapprocheriez de la frontière manqueraient à l’intérieur pour l’instruction.

    Vous avez 8 corps d’armée allemands qui forment en face de nous un bloc compact et proche à effectif de guerre. Sauf 3, nos corps d’armée sont éloignés de la frontière et sans moyens rapides de concentration et de communication. Il faut donc augmenter nos effectifs et pour les augmenter, il faut prolonger la durée du service.

    Si M. le général Legrand a voulu dire qu’on ne mettrait en plus sur la couverture que 50 000 h (70 000 h étant destinés à l’intérieur), je n’approuve pas cette répartition ; c‘est la presque totalité de notre accroissement d’effectifs qu’il faut porter sur notre couverture de l’Est et sur la couverture du Nord qui est à créer.

    M. Treignier nous a parlé du jeu protecteur des alliances ; il a fait observer que la Triple Alliance n’avait plus la même solidité ; il n’en reste pas moins qu’en cas de conflit, l’Italie masserait tout au moins assez de troupes sur notre frontière, pour immobiliser une part de nos effectifs.

    Certes nos alliances ou ententes sont sûres, mais une nation comme la France ne doit pas s’en remettre à ses alliés du soin de garder sa frontière.

    Il faut être fort ; le monde n’aime que les forts, c’est un fait. Les Turcs en font la douloureuse expérience. L’Europe est alliée aux victorieux. Voilà pourquoi il faut se rallier au principe de la loi des trois ans.

    Nous n’avons, depuis dix ans, manqué ni de calme, ni de patience ; malgré les incidents de 1905, 1908 et 1911, notre sagesse ne s’est jamais démentie et nous n’avons provoqué personne. Nous avons accepté l’infériorité numérique de notre armée, aussi longtemps que nous nous sommes crus gardés par notre ceinture de forteresses, mais notre infériorité numérique s’est accrue et elle ne saurait plus être compensée par une ligne de forteresses qui comprend de graves lacunes. L’existence même de notre pays serait donc menacée si nous ne prenions pas les mesures nécessaires. Le France ne peut pas trembler chaque matin pour son existence. Je crois que nous nous entendrons facilement. Je demande que les hommes soient soldats pendant 3 ans et que, s’ils bénéficient de congés de longue durée, ils puissent être rappelés dans le rang d’un simple signe. je crois, par exemple, que le service effectif de 30 mois pourrait suffire. (Nombreuses marques d'assentiment)

    M. le général Pédoya appuie les observations de M. Leygues en ce qui concerne l’insuffisance de notre protection sur la frontière Nord et il indique en outre la lacune que constitue la trouée de Chimay par laquelle l’invasion se produira vraisemblablement. Il ne faut pas déclasser Lille. Le 2e corps devrait être porté à effectifs de guerre.

    M. Fournier-Sarlovèze s’associe aux observations de M. Leygues.

    M. Joseph Reinach appuie également ces observations ; il indique qu’il proposera de présenter un contre-projet qui permettra de réaliser la fixité des effectifs, tout en renvoyant un certain nombre d’hommes dans leurs foyers avant l’accomplissement de leur 3e année de service.

    M. Voilin dit que dans une démocratie le service militaire doit peser également sur tous. Même avec la loi de 2 ans, le sacrifice demandé à la classe ouvrière était singulièrement plus dur que celui imposé aux classes aisées dont les enfants peuvent facilement attendre un an de plus pour gagner leur vie.

    Les jeunes gens pauvres qui partent au régiment laissent derrière eux des situations souvent très pénibles et leur salaire manque cruellement à leur famille. On ne peut donc pas parler même aujourd’hui d’égalité et l’on veut aggraver encore cette situation ?

    Le président,

    [non signé]

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