Abolition de la peine de mort

Le débat de 1791 à l'Assemblée nationale constituante

Séance du vendredi 3 juin 1791

Présidence de M. Bureaux de Pusy

[…]

L'ordre du jour est la suite de la discussion sur le projet de code pénal (Travaux forcés.).

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Messieurs, je viens soumettre à votre délibération la rédaction en articles de décret des principes sur le Code pénal que vous avez adoptés hier dans la séance précédente. Vous avez été frappés de cette idée, qu'il y aurait un grand danger de priver les ports et les arsenaux des travaux des condamnés ; dans ce moment-ci, une grande partie des condamnés employés à ces travaux, qui portent improprement le nom de galères, sont absolument nécessaires. Vous avez pensé en outre, Messieurs, qu'il pouvait être utile d'employer les condamnés, non seulement aux travaux des ports et des arsenaux, mais encore à ceux des mines, au dessèchement des marais, etc..

C'est d'après ce principe que vos comités vous proposent une peine afflictive, une peine correspondante à celle des galères qui sera à proprement parler les galères de terre, qui, provisoirement et dans ce moment-ci, maintiendra les condamnés aux travaux auxquels ils sont employés, et qui laissera aux départements et au Corps législatif la latitude nécessaire pour former des dépôts de condamnés dans les lieux où leur pré­sence sera nécessaire pour des travaux durs et pénibles; mais pour des travaux utiles.

Ce premier principe adopté, il est nécessaire de vous rappeler que, dans l'ordre des peines actuellement existantes, la peine correspondante aux galères est celle de la réclusion dans un hôpital, des femmes qui se sont rendues coupables de crimes et délits. En effet, il est impossible d'envoyer les femmes aux travaux publics. Du mo­ment que vous adoptez ce système, votre comité doit vous proposer aussi une peine correspondante à celle de l'hôpital et que votre comité qualifiera de la réclusion dans les maisons de force. Les femmes y travailleront aussi pour des travaux de l'Etat, le tout sous l'inspection des corps administratifs.

Voilà donc, Messieurs, le premier ordre de peines : ce sont des travaux forcés conformes au principe que vous avez décrété hier; les condamnés porteront la chaîne. Mais, Messieurs, il est une autre espèce de criminels qu'il serait dangereux de joindre à d'autres, employés à des tra­vaux communs et utiles : Ce sont, par exemple, ceux qui se sont rendus coupables du crime de lèse-nation, mais dont la gravité du délit ne sera pas au premier chef et ne leur fera pas encourir la peine de mort. Alors il pourrait y avoir un grand inconvénient à livrer ces criminels d'Etat aux travaux publics. Vos comités ont pensé qu'il fallait une peine particulière, non seulement pour ces criminels, mais encore pour, ceux qui à raison de leurs crimes, qui ne les conduiraient pas à la peine de mort, ne devraient pas être joints à la troupe des autres condamnés aux travaux publics, parmi lesquels ils pourraient répandre leurs vices; ils ont pensé qu'ils devaient être enfermés dans un lieu obscur où ils soient privés de toute communication avec leurs sem­blables.

Ainsi, Messieurs, après la peine des galères de terre où les condamnés seront employés à des travaux communs, votre comité a pensé qu'il devrait être établi une réclusion particulière, où quelques criminels devaient être séparés des autres hommes, même des autres coupables. Cette réclusion a, je le répète, l'utilité d'empêcher que ces hommes corrompus ne gangrènent ceux qui se trouveraient avec eux.

Enfin, Messieurs, il est d'autres crimes moins graves tels que ceux pour lesquels, dans l'ordre actuel, il était d'usage d'appliquer la peine du bannissement; tout le monde est d'avis qu'il faut supprimer la peine du bannissement, et lui en substituer une autre. Condamner ceux qui seraient susceptibles de la peine du bannissement, aux galères de terre, ce serait aggraver leur peine; c'est pour ces circonstances que les comités vous proposent un troisième ordre de peines, c'est de les renfermer dans des maisons où il leur sera offert des travaux volontaires ; voilà donc les trois ordres de peine que vos comités vous proposent.

Vous ne voudrez pas sans doute conserver l'usage d'envoyer les voleurs d'une province dans une autre. Il parait plus convenable que désor­mais ils soient enfermés dans une maison située près le tribunal criminel, où ils pourront se livrer à des travaux non forcés, sur le produit desquels il sera prélevé un tiers au profit de l'Etat, un tiers pour leur être remis au moment de leur sortie de la maison et un tiers pour leur permettre de se procurer une meilleure nourriture....,

(M. Le Pelletier-Saint-Fargeau lit une série d'articles relatifs aux diverses peines et conformes aux principes qu'il vient d'exposer.)

M. Chabroud. Après avoir entrepris la réformation du Code pénal, il m'a paru fort utile que l'Assemblée discutât la grande question da savoir si la peine de mort serait abolie ou conservée et cette autre de savoir si on conserverait une peine des travaux publics. Maintenant, il me semble que délibérer sur les différents genres de peines, sans connaître les délits auxquels elles doivent être appliquées, c'est décréter de pures abstractions, c'est marcher dans les ténèbres. Il me semble plus utile et plus sage de passer aux détails des délits ; c'est en appréciant les circonstances de chaque délit qu'on pourra se déterminer sur le genre de peine.

Je demande donc qu'on passe au titre qui concerne les délits; ensuite, on discutera le titre des peines actuellement proposé par M. le rap­porteur.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Il faut définir les peines avant de savoir pour quels crimes elles seront prononcées, D'ailleurs la graduation que nous vous proposons n'exclut pas tous les autres genres de peines qu'on pourra proposer, lorsqu'il sera nécessaire d'en faire l'application aux délits.

Je demande donc que le projet, dont je viens de vous donner lecture, soit mis aux voix article par article.

(L'Assemblée décide que les dispositions proposées par M. Le Pelletier Saint-Fargeau, et relatives aux peines, seront d'abord mises en discussion article par article.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau. L'article premier est ainsi conçu :

« Les peines qui seront prononcées contre les accusés trouvés coupables par le juré, sont la peine de mort, la chaîne, la réclusion dans la maison de force, la gêne, la détention, la dépor­tation, la dégradation civique, le carcan. »

Comme il ne contient que l'énumération de toutes les peines, il ne pourra être mis en déli­bération que lorsque tous les autres auront été décrétés.

L'article 2 n'est autre chose que la rédaction du principe que vous avez décrété ; le voici :

Art. 2.

« La peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu'il puisse jamais être exercé aucune torture envers les condam­nés. » (Adopté.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Messieurs, vous avez posé le principe que la peine de mort existerait, mais qu'elle serait exempte de torture, et réduite à la simple pri­vation de la vie; votre comité a donc dû chercher le genre de mort qui faisait le moins souffrir le condamné. Il se trouvait partagé entre celui de la potence et celui de la décollation : La peine de la potence lui a paru être la plus lon­gue, et, par conséquent, la plus cruelle.

Une autre considération a encore déterminé l'avis de votre comité, c'est que vous avez déjà énoncé votre vœu d'éloigner de la famille des condamnés toute espèce de tache ou d'infamie résultant des crimes d'un de ses membres. Or, en présence des préjugés actuels de l'opinion, le genre de supplice que nous vous proposons est celui qui dispose le plus les esprits à accueillir le principe qui est dans vos cœurs : il nous a donc paru que c'était la décollation que vous de­viez adopter.

Nous vous proposons, en conséquence, l'article suivant :

Art. 3.

« Tout condamné à mort aura la tête tranchée ».

M. Chabroud. Il me semble que le comité défère à un préjugé qui n'existe plus. La déca­pitation exige beaucoup d'adresse. Elle peut exposer le condamné à des souffrances horribles ! Je voudrais d'ailleurs que dans aucune espèce de supplice il n'y eut du sang répandu ; ce serait à mon avis le plus horrible spectacle à présenter au peuple que celui de la décollation. Je pencherai donc à préférer le supplice de la potence.

M. Tuaut de La Bouverie. II faut un spectacle terrible pour contenir le peuple.

Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix !

M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély). Je demande que la discussion ne se prolonge pas sur un sujet aussi douloureux ; chacun doit trouver dans son cœur un motif de sa décision et je demande que l'on aille aux voix à l'instant. Il ne faut pas prolonger la peine que chacun de nous éprouve en ce moment.

M. Coroller du Moustoir. Quand il s'agit d'arracher la vie, on ne peut pas penser à quelque douce manière ; il faut bien que le cœur se ferme un instant pour prononcer la loi terrible que l'intérêt de la société demande au législateur.

M. de Lachèze. Ce qui peut rendre plus douces ou plus atroces les mœurs du peuple n'est certainement pas un objet étranger à nos observations. Je demande que la discussion soit continuée, et je rappelle aux comités que, quand il s'est décidé à nous proposer pour l'exemple un appareil au supplice de la mort, il nous a dit qu'il y répugnait, parce qu'il ne fallait pas accoutumer le peuple à voir périr son semblable. Je lui demande si cette considération ne s'élève pas avec la plus grande force contre la décollation qu'il veut faire adopter : Accoutumer le peuple à voir ruisseler le sang de son semblable, n'est-ce pas faire croire au peuple irrité contre un coupable, qu'il ne peut se venger qu'avec son sang? Je demande donc que la peine de la décollation disparaisse ; que l'on choisisse la plus douce, la moins douloureuse, et nous nous réunirons tous, pour l'adopter. Si le supplice de la potence pa­raît encore trop douloureux, je demande que le comité soit chargé de nous présenter un genre de mort plus doux.

M. Boutteville-Dumetz. Nous partageons la sensibilité du préopinant, mais vous avez remarqué que le grand objet du comité était d'épargner au peuple des spectacles féroces et barbares. Il y a une expérience certaine, c'est que le supplice de la décollation exigera une très grande adresse. Il y a des exemples où l'on a vu le supplicié exécuté avec beaucoup de maladresse. Je demande s'il peut y avoir des spectacles plus propres à occasionner la férocité des mœurs que celui où l'on est témoin d'un supplice de cette nature. Je crois qu'il faut inviter le comité à vous proposer une autre peine.

Voix diverses : Oui l oui ! — Non ! non I

M. Boutteville-Dumetz. Je m'élève de toute ma force contre le supplice de la décollation.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Il est difficile de purifier par les expressions que l'on emploie et par les objections que l'on fait une discussion de ce genre. Vos opinions sont partagées entre deux propositions : celle qui vous a été faite par M. Chabroud et celle du comité. Il faut d'abord juger la priorité. Votre comité persiste dans sa première opinion ; l'humanité et le préjugé paraissent devoir i obtenir la préférence. (L'Assemblée ferme la discussion.)

Plusieurs membres demandent la priorité : les uns pour l'avis du comité, les autres pour celui M. Chabroud.

M. Boutteville-Dumetz. Je demande le renvoi aux comités.

A gauche : Allons donc !

M. le Président met aux voix la priorité. (Une première épreuve est douteuse ; une seconde épreuve a lieu.)

M. le Président prononce, sur l'opinion du bureau, que la priorité est accordée à l'avis du comité.

Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix !

M. le Président. Je mets aux voix l'avis du comité.

(L'épreuve a lieu.)

M. le Président. J'ai prononcé tout à l'heure sur l'opinion du bureau. Maintenant qu'il s'agit du fond même de la question, j'ai la même incertitude sur le résultat de la délibération ; je ne puis donc prononcer.

M. Tuaut de La Bouverie. J'ai une simple observation à faire.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Pour abréger cette triste discussion, un ami de l'humanité vient de me communiquer une idée qui peut-être conciliera les opinions; on évite à la fois l'effusion du sang qui proviendra de la décollation et les horreurs qui sont attachées à la potence : ce serait de faire attacher condamné à un poteau et de l'étrangler avec un tourniquet. (Murmures.)

M. Chabroud. D'autres membres de l'Assemblée ont à proposer un autre genre de supplice qui n'a ni l'horreur, ni l'appareil de la délation ou de la potence. (Murmures.) Pour que l'on puisse juger du mérite de ces propositions, j'insiste pour que l'article soit renvoyé au imité et pour que ce ne soit pas dans l'Assemblée qu'on s'étende sur cette triste discussion.

M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély). Lorsqu'on offre à l'Assemblée de lui présenter des idées propres à soulager l'humanité, elle ne peut se refuser à l'ajournement.

Plusieurs membres : La délibération est commencée.

M. Tuaut de La Bouverie. Messieurs, quelque chose que vous fassiez, vous ne trouverez jamais un genre de mort qui soit doux ou exempt de douleur ; c'est là une erreur. Les peines doivent être considérées non sous le rapport de la punition du coupable, mais sous celui de l'intérêt de la société ; or, l'intérêt de la société est de donner un grand exemple. Il est extrêmement important que l'homme exposé à toutes les passions de l'humanité rentre chez lui après un supplice, le cœur pénétré de terreur et d'effroi. Je ne crois pas que le supplice de la décollation soit plus rigoureux au physique que celui de la potence ou que tout autre supplice ; mais il a pour la société l'avantage d'être plus effrayant pour le méchant et d'être plus susceptible de conserver les mœurs.

En conséquence, je demande que l'avis du co­mité soit mis aux voix.

Plusieurs membres : Aux voix I aux voix !

M. de La Rochefoucauld-Liancourt. Dans cette malheureuse et bien pénible discussion il est peut être une considération qui vous fera pencher en faveur de l'avis du comité; c'est la nécessité de faire disparaître légalement de la société un supplice qui a été si illégalement employé et qui a si malheureusement servi pendant la Révolution aux vengeances du peuple et à l'assouvissement de la rage (Applaudissements.) Je suis donc de l'avis du comité.

Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix !

M. le Président. Je consulte à nouveau l'Assemblée sur l'avis du comité ; voici son article :

Art. 3.

« Tout condamné à, mort aura la tête tranchée. »

(Cet article est adopté.)

Les articles 4, 5 et 6 sont mis aux voix dans les termes suivants :

Art. 4.

« L'exécution se fera dans la place publique de la ville où le juré d'accusation aura été convoqué. » (Adopté.)

Art. 5.

« Les condamnés à la peine de la chaîne se­ront employés à des travaux forcés au profit de l'Etat, soit dans l'intérieur des maisons de force, soit dans les ports et arsenaux, soit pour l'ex­traction des mines, soit pour le dessèchement des marais, soit enfin pour tous autres ouvrages pénibles, qui, sur la demande des départements, pourront être déterminés par le Corps législatif. » (Adopté.)

Art. 6.

« Les condamnés à la peine de la chaîne traî­neront à l'un des pieds un boulet attaché avec une chaîne de fer. »

M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély). Messieurs, je désirerais que le comité s'expliquât sur la question de savoir, si, comme par le passé, les condamnés seront enchaînés deux à deux, ou s'il entend abroger cet usage. On se ferait difficilement une idée de l'extrême facilité avec laquelle les hommes condamnés aux galères brisent les chaînes les plus fortes, malgré la précaution avec laquelle ils sont gardés. Ce n'est, pour ainsi dire, que le soin qu'on a pris de les réunir, qui empêche qu'ils ne s'évadent, parce qu'il est bien plus difficile de réunir la volonté de deux personnes que d'une seule. Ainsi je demande que le comité s'explique sur ce point.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Toute juste que soit l'observation du préopinant, je ne pense pas qu'elle soit de nature à changer la disposition de l'article proposé ; elle pourra trouver place dans une disposition particulière.

(L'Assemblée, consultée, renvoie aux comités l'observation de M. Regnaud (de Saint-Jean d'Angély), pour être placée dans une instruction, et adopte l'article 6).

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Voici l'article 7 :

« La peine de la chaîne ne pourra excéder vingt années. »

M. Prieur. Cette disposition me paraît infiniment juste. Dans l'ancienne jurisprudence, le crime se prescrivait par un intervalle de trente années ; lorsqu'il y avait jugement, la peine se prescrivait par un intervalle de vingt années... Murmures,)

Un membre : Ce n'est pas cela !

M. Prieur. On me dit que ce n'est pas cela. C'est un fait à vérifier ; au surplus, cela ne change rien à mon hypothèse, (Murmures.)

Pourquoi, au bout de ce temps, la loi remettait-elle la peine ? Parce qu'elle croyait que la crainte continuelle de cette peine avait suffi pour faire expier au coupable son crime. Or, il s'agit de savoir si la peine elle-même n'est pas plus forte que la crainte.

Nous devons donc, Messieurs, imiter la sagesse de l'ancienne loi et dire que les peines ne seront pas perpétuelles ; d'ailleurs c'est concourir au but moral du comité, qui n'a jamais vu dans les peines que l'espoir d'amender les hommes ; je demande donc que l'avis du comité soit adopté.

M. Mougins de Roquefort. Je crois qu'on ne doit pas dans ce moment-ci fixer le maximum de la peine; mais je crois d'un autre côté que vous pouvez très bien décider si la peine sera temporaire. L'objet de la délibération me paraît donc devoir se fixer sur ce point : la peine de la chaîne sera-t-elle, oui ou non, temporaire ?

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte volontiers la proposition de M. Mougins ; ou pourrait alors renvoyer la question de la durée de la peine de la chaîne, après que les articles suivants auront été décrétés, afin de la proportionner aux différents délits auxquels elle peut être appliquée.

M. Mougins de Roquefort. Je pense pour ma part, Messieurs, que la peine de la chaîne doit être temporaire. Vous avez décidé, en effet, que la peine de mort serait prononcée pour les plus grands crimes; or, je dis que les autres délits ne doivent pas être punis d'une peine perpétuelle. Si vous prononciez ce décret, il en résulterait que vous porteriez une loi dure et cruelle ; car, Messieurs, retracez-vous l'image d'un malheureux gémissant pendant toute sa vie dans les horreurs d'une prison : cet état serait pire que la mort; cette idée contraste avec l'esprit de vos nouvelles lois

Je parle à des législateurs sensibles et hu­mains; ils ont prononcé à regret la perte de la vie et, en partageant leur opinion, j'ai éprouvé le même sentiment. Ils ne voudront pas, dans des délits moindres que ceux que l'on appelle qualifiés, établir un genre de peine qui affligerait d'une manière bien dure l'humanité.

Je conclus à ce que l'Assemblée décrète que la peine de la chaîne sera temporaire.

M. Régnier. Je pense au contraire que non seulement il faut décréter que les peines dont il s'agit seront temporaires, mais qu'il importa môme de fixer le maximum auquel elles pourront être portées. En voici les raisons.

Le système de vos peines est de faire à l'humanité l'honneur de n'en pas désespérer. Or, si dans une pénitence de 20 années, on ne suppose pas que l'homme a corrigé sa mauvaise habitude par ses réflexions, vous ne devez pas espérer davantage qu'il s'est corrigé par un espace de 10 années de plus. Votre comité pro­pose même qu'ils aient l'aptitude à posséder toute les charges et tous les honneurs de la société il faut donc être conséquent avec votre nouveau système, et nous qui voulons faire des lois infiniment plus douces que celles de l'ancien régime, nous devons supprimer la perpétuité. Vous avez d'ailleurs la ressource de la dé­portation pour débarrasser la société d'un homme qui lui serait dangereux.

Je demande donc qu'il soit déclaré, dès à présent, que la durée des peines sera toujours tem­poraire.

M. Delavigne. Je crois qu'il serait absurde de fixer un maximum de temps. Comme les peines doivent être infligées à chaque crime, il n'est pas possible de déterminer leur latitude plus ou moins grande ou de laisser de l'arbitraire dans un genre aussi sérieux de l'application de la peine au crime. Ainsi, point de maximum

Quant à la question de savoir si la peine de la chaîne sera temporaire, il est à craindre que nous ne connaissions pas assez quels sont tous ces crimes qui, dans l'ancien système de peine, étaient punis de la peine de mort et auxquels dans le projet du comité il faudra plus au moins déterminer la gravité de la peine à infliger.

Je crois donc que la même raison d'équité qui ordonne d'adopter à chaque crime la peine qui lui convient, doit vous faire renvoyer la ques­tion de la durée de la peine au temps où vous vous occuperez en détail de chaque délit,

Un membre propose de renvoyer l'examen en entier de l'article aux comités, afin que cette question soit plus exactement déterminée, parce qu'il peut y avoir des circonstances, telles que la récidive, où il serait peut-être indispensable d'ordonner la perpétuité de la peine de la chaîne.

M. Tuaut de La Bouverie. Messieurs, je crois, contrairement à l'opinion de M. Delavigne qu'il est d'un préalable nécessaire, avant de: fixer les peines, de savoir si ces peines seront temporaires.

M. Briois-Beaumetz. Il me semble qu'il n'est pas dans l'intention de l'Assemblée d'ajourner ce que l'on peut décider.

Je crois que l'Assemblée peut décréter que la peine de la chaîne ne sera pas perpétuelle, en se réservant de fixer le terme plus ou moins long de sa durée, suivant la nature des délits, et d'en régler l'application à mesure que les cas lui, seront présentés.

(L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Voici comment on pourrait concevoir l'article :

Art. 7. « La peine de la chaîne ne pourra, en aucun cas, être perpétuelle, » (Adopté.)

M. de Custine. Je demande que cette disposition ait un effet rétroactif.

(Cette motion est rejetée.)

Les articles suivants sont mis aux voix dans ces termes :

Art. 8.

« Dans le cas où la loi prononce la peine de la chaîne pour un certain nombre d'années, si c'est une femme ou une fille qui est convaincue de s'être rendue coupable desdits crimes, ladite femme ou fille sera condamnée, pour le même nombre d'années, à la peine de la réclusion dans la maison de force. » (Adopté.)

Art. 9.

« Les femmes et les filles condamnées à cette peine seront enfermées dans une maison de force, et seront employées dans l'enceinte de ladite maison à des travaux forcés au profit de l'Etat. » (Adopté.)

Art. 10.

« Les corps administratifs pourront déterminer le genre des travaux auxquels les condamnés seront employés dans lesdites maisons.» (Adopté.)

Art. 11.

« Il sera statué par un décret particulier dans quel nombre et dans quels lieux seront formés les établissements desdites maisons. » (Adopté.)

Art. 12.

« La durée de cette peine ne pourra, dans au­cun cas, être perpétuelle. » (Adopté.)

Art. 13.

« Tout condamné à la peine de la gêne sera enfermé seul dans un lieu éclairé, sans fer ni lieu. » (Adopté.)

Art. 14. « Il ne sera fourni, au condamné à ladite peine, que du pain et de l'eau aux dépens de la maison, le surplus sur le produit de son travail.» (Adopté.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau,rapporteur. donne lecture de l'article 15, ainsi conçu :

« II lui sera procuré du travail à son choix dans le lieu où il sera détenu. »

M. Tuaut de La Bouverie. Chacun sent qu'il est impossible de laisser le travail au choix du prisonnier; autrement il choisirait des ouvrages qui exigent des instruments de fer ou qui exigent du chanvre et du lin, avec le secours desquels il fabriquerait des cordes et il se sauverait.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Il est bien évident que, s'il demande un genre de travail qui favorise son évasion, on le lui refusera.

M. Bouche. Il n'y a qu'à mettre : « au choix des administrateurs de la maison. »

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. On peut rédiger comme suit l'article :

Art. 15.

« Dans le lieu où il sera détenu, il lui sera procuré du travail à son choix dans le nombre des travaux qui seront autorisés par les administrateurs de ladite maison. » (Adopté.)

Art. 16.

« Le produit de son travail sera employé ainsi qu'il suit :

« Un tiers sera appliqué à la dépense commune de la maison.

« Sur une partie des deux autres tiers, il sera permis au condamné de se procurer une meil­leure nourriture.

« Le surplus sera réservé pour lui être remis au moment de sa sortie, après que le temps de sa peine sera expiré. » (Adopté.)

Art. 17.

« Il sera statué par un décret particulier dans quel nombre et dans quels lieux seront formés les établissements destinés à recevoir les con­damnés à la peine de la gêne. » (Adopté.)

Art. 18.

« Cette peine ne pourra, en aucun cas, être perpétuelle. » (Adopté.)

Art. 19.

« Les condamnés à la peine de la détention seront enfermés dans l'enceinte d'une maison des­tinée à cet effet. » (Adopté.)

Art. 20.

« Il leur sera fourni du pain et de l'eau aux dépens de la maison, le surplus sur le produit de leur travail. » (Adopté.)

Art. 21.

« Il sera fourni aux condamnés du travail à leur choix, dans le nombre des travaux qui seront, autorisés par les administrateurs de ladite maison. » (Adopté.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. donne lecture de l'article 22, ainsi conçu :

« Les condamnés pourront, à leur choix, tra­vailler ensemble ou séparément. »

M. Bouche. Il pourrait résulter les plus grands inconvénients de la réunion des condamnés. Rassemblés dans le même lieu, ils pourraient comploter d'égorger ceux qui veillent sur leurs travaux et qui sont chargés de la police. Je de­mande donc que les malfaiteurs détenus dans les maisons de correction ne puissent travailler en­semble sans le vœu des administrateurs de dépar­tement.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. La réflexion du préopinant est très juste.

Plusieurs membres demandent la question préalable sur l'amendement.

M. Tuaut de La Bouverie. Si l’on n'admet pas l'amendement proposé, il est évident que vous ne pouvez plus accorder le premier point de police aux administrateurs ; car le premier point de police est de séparer les condamnés quand il est nécessaire.

(L'Assemblée, consultée, décide qu'il y a lieu à délibérer sur l'amendement.)

M. Brillat-Savarin. Le comité paraît d'accord sur ce point que les administrateurs des maisons de correction aient lu pouvoir de séquestrer ceux qui manqueront à la police, Je demande que l'article le comprenne expressément ; et je ferai une observation, c'est qu'en renvoyant aux instructions, on nous a fait décré­ter plusieurs choses que nous ne voulions pas décréter, entre autres sur le droit d'enregistre­ment.

Je demande donc que l'article comprenne ce qu'il doit comprendre et qu'il exprime la faculté réservée à ceux qui seront chargés de la police de la maison de détention de séparer les détenus quand les circonstances l'exigeront.

M. Bouche. J'abandonne mon amendement et je me rallie à celui de M. Brillat-Savarin.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. L'article serait, avec l'amendement, rédigé comme suit :

Art. 22.

« Les condamnés pourront, à leur choix, tra­vailler ensemble ou séparément, sauf, toutefois, les réclusions momentanées, qui pourront être ordonnées par ceux qui seront chargés de la police de la maison. » (Adopté.)

Art. 23.

« Les hommes et les femmes seront enfermés et travailleront dans des enceintes séparées. » (Adopté.)

Art. 24.

« Le produit du travail des condamnés à cette peine sera employé ainsi qu'il est spécifié en l'article 16 ci-dessus. » (Adopté.)

Art. 25.

« La durée de cette peine ne pourra excéder 6 années. »

M. de Folleville. J'insiste pour que la latitude reste indéfinie, dans la fixation de la durée de la peine.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Il nous a paru que le tourment était assez long.

(L'article 25 est adopté.)

Art. 26.

« Il sera statué, par un décret particulier, dans quel nombre et dans quels lieux seront formés les établissements desdites maisons de détention. » (Adopté.)

Art. 27.

« Quiconque aura été condamné à une des peines de la chaîne, de la réclusion dans la maison de force, de la gêne, de la détention, avant de subir sa peine, sera préalablement conduit sur la place publique de la ville où le juré d'accusation aura été convoqué.

« Il y sera attaché à un poteau placé sur un échafaud, et il y demeurera exposé aux regards du peuple pendant 6 heures, s'il est condamné aux peines de la chaîne, ou de la réclusion dans la maison de force ; pendant 4 heures, s'il est condamné à la peine de la gêne ; pendant 2 heures, s'il est condamné à la peine de la détention. Au-dessus de sa tête, sur un écriteau seront inscrits, en gros caractères, ses noms, sa profession, son domicile, la cause de sa condamnation et le juge­ment rendu contre lui. » (Adopté.)

Art. 28.

peine de la déportation aura lieu dans le cas et dans les formes qui seront déterminées ci-après. »

M. Brillat-Savarin. Je demande le renvoi au chapitre qui parlera de la déportation.

M. Malouet. Puisque l'Assemblée est dans l'intention de mettre la déportation au nombre des peines, je lui demande de décréter que la déportation ne pourra avoir lieu que dans des îles désertes. L'exemple de l'Angleterre nous prouve le danger de transporter dans les colonies : chez les Anglais, la déportation se fait dans les colonies du continent ; les habitants de ces colonies s'en sont plaints plusieurs fois et en ont été très incommodes. Nos colonies seraient effrayées d'une pareille population.

M. Chabroud. Il me semble que c'est aussi le cas d'ajouter la peine de la récidive.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. La réflexion du préopinant n'a pas échappé aux comités et ils en ont senti toute la justesse. Le comité de mendicité a, comme celui de jurisprudence criminelle, des vues sur ce mode de déportation. En conséquence, les deux comités ont été trouver le ministre de la marine pour conférer avec lui; il est dans l'intention des comités et du ministre, non pas de souiller nos colonies, mais de former sur les terres diverses de la côte d'Afrique un établissement séparé, uniquement destiné à recevoir et les mendiants de la classe la plus dangereuse, et en même temps les condamnés à la peine de la déportation.

(L'article 28 est adopté.)

L'article 29 est mis aux voix dans les termes suivants :

Art. 29.

« Le lieu où seront conduits les condamnés à cette peine sera déterminé incessamment par un décret particulier. » (Adopté.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. donne lecture de l'article 30 ainsi conçu :

« Le coupable qui aura été condamné à la peine de la dégradation civique sera conduit au milieu de la place publique où siège le tribunal criminel qui l'aura jugé.

« Le greffier du tribunal lui adressera ces mots à haute voix : Votre pays vous a trouvé convaincu d'une action infâme : la loi et le tribunal vous dégradent de la qualité de citoyen français.

« Le condamné sera ensuite mis au carcan au milieu de la place publique ; il y restera pendant 2 heures, exposé aux regards du peuple. Sur un écriteau seront tracés, en gros caractères, ses noms, son domicile, sa profession, le crime qu'il a commis et le jugement rendu contre lui. »

« Le greffier du tribunal lui adressera ces mots-là haute voix : Votre pays vous a trouvé convaincu d’une action infâme : la loi vous dégrade de la qualité de citoyen français.

« Le condamné sera ensuite mis au carcan au milieu de la place publique ; il y restera pendant 12 heures, exposé aux regards du peuple ; sur un l’écriteau seront tracés, en gros caractères, ses noms, son domicile, sa profession, le crime qu'il a commis et le jugement rendu contre lui. » (Adopté.)

Art 31.

« Dans le cas où la loi prononcera la peine de la dégradation civique; si c'est une femme ou une fille qui est convaincue de s'être rendue [coupable desdits crimes, le jugement portera : « telle... est condamnée à la peine du carcan ». . (Adopté.)

Art. 32.

« Toute femme ou fille qui aura été condamnée à cette peine sera conduite au milieu de la place publique de la ville où siège le tribunal criminel qui l'aura jugée.

« Le greffier du tribunal lui adressera ces mots à haute voix : Votre pays vous a trouvée convaincue d'une action infâme.

« Elle sera ensuite mise au carcan et restera pendant deux heures exposée aux regards du peuple : sur un écriteau seront tracés, en gros caractères, ses noms, sa profession, son domicile, le crime qu'elle a commis et le jugement rendu contre elle. » (Adopté.)

Art. 33. Les dispositions portées aux deux précé­dents articles s'appliqueront également dans le cas où la loi prononcera la peine de la dégradation civique ; si c'est un étranger qui est convaincu de s'être rendu coupable desdits crimes, en ce cas le greffier adressera ces mots au condamné : Vous avez été convaincu d'une action infâme. »

M. Cigongne. Je propose par amendement que l'on mette : « la loi et le tribunal ». .

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte.

(L'amendement est adopté.)

En conséquence, l'article est mis aux voix dans ces termes :

Art. 30.

« Le coupable qui aura été condamné à, la peine de la dégradation civique sera conduit au milieu de la place publique où siège le tri­bunal criminel qui l'aura jugé.

« Le greffier du tribunal lui adressera ces mots à haute voix : Votre pays vous a trouvé convaincu d’une action infâme : la loi vous dégrade de la qualité de citoyen français.

« Le condamné sera ensuite mis au carcan au milieu de la place publique ; il y restera pendant 12 heures, exposé aux regards du peuple ; sur un écriteau seront tracés, en gros caractères, ses noms, son domicile, sa profession, le crime qu'il a commis et le jugement rendu contre lui. » (Adopté.)

Art 31.

« Dans le cas où la loi prononcera la peine de la dégradation civique; si c'est une femme ou une fille qui est convaincue de s'être rendue coupable desdits crimes, le jugement portera : « telle... est condamnée à la peine du carcan ». (Adopté.)

Art. 32.

« Toute femme ou fille qui aura été condamnée à cette peine sera conduite au milieu de la place publique de la ville où siège le tribunal criminel qui l'aura jugée.

« Le greffier du tribunal lui adressera ces mots à haute voix : Votre pays vous a trouvée convaincue d'une action infâme.

« Elle sera ensuite mise au carcan et restera pendant deux heures exposée aux regards du peuple : sur un écriteau seront tracés, en gros caractères, ses noms, sa profession, son domicile, Ile crime qu'elle a commis et le jugement rendu contre elle. » (Adopté.)

Art. 33.

« Les dispositions portées aux deux précédents articles s'appliqueront également dans le cas où la loi prononcera la peine de la dégrada­tion civique ; si c'est un étranger qui est convaincu de s'être rendu coupable desdits crimes, en ce cas le greffier adressera ces mots au con­damné : Vous avez été convaincu d'une action infâme. »

M. Cigongne. Je propose par amendement que l'on mette : « la loi et le tribunal ». .

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte.

(L'amendement est adopté.)

En conséquence, l'article est mis aux voix dans ces termes :

Art. 30.

« Le coupable qui aura été condamné à, la peine de la dégradation civique sera conduit au milieu de la place publique où siège le tri­bunal criminel qui l'aura jugé. »

M. Ménard de La Groye. Je demande que si c'est un étranger qui est convaincu de s'être rendu coupable des crimes contre lesquels la loi prononcera la peine de la dégradation civique, il soit expulsé du royaume.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à dé­libérer sur cet amendement et adopte l'article 33.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Il nous reste, Messieurs, à statuer sur l'ar­ticle 1er que nous avons ajourné à la suite de cette délibération. Le voici :

Art. 1er.

« Les peines qui seront prononcées contre les accusés trouvés coupables par le juré, sont la peine de mort, la chaîne, la réclusion dans la maison de force, la gêne, la détention, la dépor­tation, la dégradation civique, le carcan. » (Adopté.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Messieurs, il nous faudrait maintenant examiner la question relative à la dégradation des différentes espèces de crimes et à la récidive. Mais les dispositions qui concernent cet objet ont besoin de quelques modifications nécessitées par les changements qui, en vertu de vos décrets, ont dû être apportés au plan primitif de vos comités. Aussi, si l'Assemblée le juge convenable, nous pourrions passer de suite au titre relatif à la réhabilitation des condamnés.

M. Chabroud. Messieurs, je n'ai qu'une simple observation à faire. Lorsque j'ai demandé que le titre que vous venez de décréter fût ren­voyé à la fin du travail, on m'a fait cette observation, qui m'a paru être saisie par toute l'As­semblée, à savoir que la nomenclature des peines, telle qu'elle serait votée, n'exclurait pas les nouvelle propositions qui pourraient être faites, par la suite, au cours de la discussion.

Je demande qu'il soit fait mention de cette réserve au procès-verbal.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. La demande du préopinant me paraît juste. Après avoir épuisé l'ordre des peines que le comité vous propose, si dans la nomenclature des délits vous trouvez quelque délit auquel il faille appliquer quelque peine nouvelle, alors certainement vous vous réservez cette faculté.

(La motion de M. Chabroud est adoptée.)

L'Assemblée passe à la discussion du titre re­latif à la réhabilitation des condamnés.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Voici, Messieurs, l'ensemble des articles relatifs à la réhabilitation :

« Art. 1er. — Tout condamné qui aura subi sa peine pourra demander à la municipalité du lieu de son domicile une attestation à l'effet d'être réhabilité.

« Savoir : les condamnés aux peines de la chaîne, de la réclusion dans la maison de force, de la gêne, de la détention, dix ans après l'expi­ration de leurs peines ;

« Les condamnés à la peine de la dégradation civique ou du carcan, après dix ans, à compter du jour de leur jugement.

« Art. 2. Huit jours au plus, après la demande, le conseil général de la commune sera convoqué, et il lui en sera donné connaissance.

« Art. 3. Le conseil général de la commune sera de nouveau convoqué au bout d'un mois : pendant ce temps chacun de ses membres pourra prendre sur la conduite de l'accusé tels rensei­gnements qu'il jugera convenables.

« Art. 4. Les avis seront recueillis par la voie du scrutin, et il sera décidé à la majorité si l'attestation sera accordée.

« Art. 5. Si la majorité est pour que l'attesta­tion soit accordée, deux officiers municipaux revêtus de leur écharpe conduiront le condamné devant le tribunal criminel où le jugement de condamnation aura été prononcé.

« Ils y paraîtront avec lui dans l'auditoire en présence des juges et du public.

«Après avoir fait lecture du jugement prononcé contre le condamné, ils diront à haute voix :

« Un tel… a expié son crime en subissant sa peine, maintenant sa conduite est irréprochable; nous demandons, au nom de son pays, que la tache de son crime soit effacée. »

« Art. 6. Le président du tribunal, sans délibération, prononcera ces mots : « Sur l'attestation et la demande de votre pays, la loi et le tribunal effacent la tache de votre crime. »

Il sera dressé du tout procès-verbal et mention en sera faite sur le registre du tribunal criminel, en marge du jugement de condamnation.

« Art. 7. Cette réhabilitation fera cesser dans la personne du condamné tous les effets et toutes les incapacités résultant des condamnations.

« Art. 8. Si la majorité des voix du corps muni­cipal est pour refuser l'attestation, le condamné ne pourra former une nouvelle demande que 2 ans après, et ainsi de suite de 2 ans en 2 ans, tant que l'attestation ne lui aura pas été accor­dée. »

Voilà l'ensemble des articles; si l'Assemblée le désire, je vais les reprendre article par article.

M. Pierre Dedelay (ci-devant Delley d'Agier). Il me semble que, dans ces articles, il est supposé que l’homme n'est pas sorti de son pays et qu'il est encore vis-à-vis du tribunal qui l'a jugé ; car s'il avait voyagé, s'il n'était arrivé que depuis peu de temps dans sa municipalité, si enfin il se trouvait établi dans une autre, alors les mesures présentées par le rapporteur seraient insuffisantes.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. L'observation du préopinant nécessite un amendement au projet du comité. Le préopinant vous a fait considérer le cas où le condamné se­rait à cent lieues d'un tribunal qui l'aurait con­damné. Il est très facile, par un amendement, d'éviter l'inconvénient et de dire « soit les officiers municipaux du lieu de son domicile, soit les officiers municipaux de la ville où siège le tri­bunal criminel ».

M. Régnier. Je propose, par amendement, que l'exercice du droit de citoyen actif soit suspendu à l'égard du réhabilité dans le cas du crime de vol, jusqu'à ce qu'il ait restitué la valeur du vol et qu'il ait représenté la quittance.

Plusieurs membres : Et les dommages-intérêts.

M. Régnier. Egalement.

M. Bouche. Je demande qu'on ajoute: « dommages-intérêts et autres peines pécuniaires qui ont été prononcées ».

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte.

Un membre propose par amendement que la demande de celui qui sollicite sa réhabilitation soit affichée 8 jours avant que celle-ci soit prononcée.

(L'amendement n'est pas appuyé.)

M. Delavigne. Je demande que l'individu qui sollicite sa réhabilitation soit domicilié au moins depuis 2 ans dans l'étendue du territoire de la municipalité où il forme sa demande ; je demande en outre qu'il soit tenu de rapporter les attestations de bonne conduite que lui auront délivrées les différentes municipalités où il aura pu résider pendant les 10 ans qui devront précéder sa demande. Ces attestations délivrées par le conseil général de la commune devront être tel­lement légales et régulières qu'aucune espèce de suspicion ne puisse être faite sur leur sincé­rité.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte. Voici, en conséquence, avec les amendements, les articles que nous vous pro­posons:

Art. 1er.

« Tout condamné qui aura subi sa peine pourra demander à la municipalité du lieu de son domicile une attestation, à effet d'être réhabilité, savoir :

« Les condamnés aux peines de la chaîne, d$ la réclusion dans la maison de force, de la gêne, de la détention, 10 ans après l'expiration de leurs peines; les condamnés à la peine de la dégradation civique, ou du carcan, après 10 ans, à compter du jour de leur jugement. » (Adopté.)

Art. 2.

« Aucun condamné ne pourra demander sa réhabilitation, si depuis 2 ans accomplis il n'a pas domicilié dans le territoire de la municipalité à laquelle sa demande est adressée, et s'il joint à ladite demande des certificats et attesta­tions de bonne conduite qui lui auront été délivrés par les municipalités sur le territoire desquelles il a pu avoir son habitation ou son domi­cile, pendant les 10 années qui ont précédé sa demande.» (Adopté.)

Art. 3.

« Huit jours au plus après la demande, le conseil général de la commune sera convoqué, et il loi en sera donné connaissance. » (Adopté.)

Art. 4.

« Le conseil général de la commune sera de nouveau convoqué au bout d'un mois; pendant ce temps, chacun de ses membres pourra prendre sur la conduite du condamné les renseignements qu'il jugera convenables. » (Adopté.)

Art. 5.

« Les avis seront recueillis par la voie de scrutin, et il sera décidé, à la majorité des voix, Si l'attestation sera ou non accordée. » (Adopté.)

Art. 6.

« Si la majorité est pour que l'attestation soit accordée, 2 officiers municipaux, revêtus de leur écharpe, ou, avec leur procuration, 2 officiers municipaux de la ville où siège le tribunal criminel du département dans le territoire duquel le condamné est actuellement domicilié, condui­ront le condamné devant le tribunal criminel,

« Ils y paraîtront avec lui dans l'auditoire, en présence des juges et du public.

« Après avoir fait lecture du jugement prononce contre le condamné, ils diront à haute voix : Un tel a expié son crime, en subissant sa peine ; maintenant sa conduite est irréprochable; nous demandons, au nom de son pays, que la tache de son crime soit effacée. » (Adopté.)

Art. 7.

« Le président du tribunal, sans délibération, prononcera ces mots : Sur l’attestation et la demande de votre pays, la loi et le tribunal effacent la tache de votre crime, » (Adopté.)

Art. S.

« Il sera dressé du tout procès-verbal. » (Adopté.)

Art. 9. « Si le tribunal criminel, où le jugement de réhabilitation sera prononcé, est autre que celui où a été rendu le jugement de condamnation, la copie dudit procès-verbal sera envoyée pour être transcrite sur le registre, en marge du ju­gement de condamnation. » (Adopté.)

Art. 10.

« La réhabilitation fera cesser dans la per­sonne du condamné tous les effets et toutes les incapacités résultant de la condamnation. » (Adopté)

Art. 11.

« Toutefois, l'exercice des droits de citoyen | actif du condamné demeurera suspendu à l'é­gard du réhabilité, jusqu'à ce qu'il ait satisfait aux dommages et intérêts, ainsi qu'aux autres condamnations pécuniaires qui auront pu être prononcées contre lui. » (Adopté.)

Art. 12.

« Si la majorité des voix du corps municipal est pour refuser l’attestation, le condamné ne pourra former une nouvelle demande que deux ans après, ainsi de suite de 2 ans en 2 ans, tant que l'attestation n'aura pas été accordée. » (Adopté.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Messieurs, l'institution que vous venez de décréter est la proscription naturelle des lettres de grâce; car c'est avoir mis une réhabilitation réfléchie et légale à la place d'une ré­habilitation arbitraire. Je vous propose, en con­séquence, la disposition suivante :

« L'usage des lettres de grâce, de rémission, d'abolition, de pardon, de commutation de peine est aboli. »

M. l'abbé Maury. On vous propose d'abolir les lettres de grâce, d« rémission, d'abolition et de commutation de peines. J'observerai que, dans tous les pays où il y a un pouvoir exécutif déposé dans les mains d'un seul (A gauche : Ah ! ah !), le monarque étant l'exécuteur des lois ou n'étant rien, il a joui partout et il a dû jouir de la faculté d'accorder des grâces et surtout des rémissions de peine. (Murmures.) Cette institution, dont il est possible d'abuser, car on abuse malheu­reusement de tout, cette institution est néces­saire à la sage administration de la justice elle-même; car la justice rigoureuse veut que tout meurtrier même involontaire soit condamné à mort par le juge. (A gauche : Non ! non !)

Un membre : C'est sur ce point-là que portent nos décrets sur les jurés.

M. l'abbé Maury. En ce cas, vous avez seu­lement changé l'arbitraire de place; il était à la chancellerie, vous l'avez transporté dans les tri­bunaux. Ce n'est point aux jurés qui sont les té­moins d'un fait et qui ne sont pas des juges, ce n'est point aux juges même à décider si un homme mérite grâce, parce que les juges étant les officiers de la justice ne sont pas des minis­tres de miséricorde, ils ne doivent pas l'être, et dans une sage Constitution ils ne l'ont jamais été.

Aussi, Messieurs, en Angleterre où l'on a su se préserver du despotisme, non seulement on n'a point enlevé au roi le droit de faire grâce, mais on lui en a imposé le devoir ; car le serment que le roi d'Angleterre fait à son sacre est conçu en ces termes : Je promets de faire exécuter justice avec miséricorde. Voilà ce que le roi d'Angleterre promet.

On a voulu que te dépositaire du pouvoir exé­cutif fût plus clément que la loi ; car la loi ne doit point connaître de clémence, et il faut pour­tant bien qu'il y ait dans le royaume un ministre de la clémence publique. Si le roi ne l'est pas, qui le sera ? Si une commutation de peine qui est souvent un grand acte de justice n'est plus désormais au pouvoir du roi, ne voyez-vous pas que vous ôtez au roi le seul moyen qu'il y eût dans l'ordre ancien d'arrêter les effets de la prévention ou de l'injustice des juges ? Si vous apprenez que dans le royaume le peuple, trompé par des vraisemblances séduisantes, a préjugé un accuse, que cet accusé a été traduit devant les jurés, que les jurés ont cédé sans examen ou par frayeur... (A gauche : Oh ! oh !).

Je souhaite, Messieurs, que nos jurés soient des hommes inaccessibles à la crainte, car je ne dois pas supposer l'hypothèse de la corruption ; j'ad­mets donc que vos jurés s'établiront, ce qui ne m'est pas encore démontré, et je vous en de­mande pardon. Messieurs, c'est avec l'institution des jurés que les Anglais ont su allier la prérogative de la couronne. Il n'existe pas dans l'univers un monarque qui n'ait ce droit-là; et je ne sais pas, Messieurs, pourquoi on voudrait l'enle­ver au chef suprême de la première monarchie de l'univers. Quelle méfiance peut-on avoir avec les nouvelles précautions que vous avez prises pour organiser la législation criminelle; avec la responsabilité des ministres; avec la précaution que vous pouvez prendre de faire enregistrer les lettres de grâce, car les lettres de grâce en elles-mêmes n'ont jamais été exécutées sans être en­registrées ? Quelles précautions la nation va-t-elle prendre contre son roi, pour l'empêcher d'exer­cer des actes de clémence, même en matière de commutation de peine ?

Messieurs, vous avez placé la loi sur la tête de tous les Français. La loi ne connaît que des principes généraux de tous les temps et de tous les lieux ; mais souvent la loi générale n'est pas la justice particulière ; et cette justice particulière qu'on appelle souvent, et avec raison, clémence, doit être mise en dépôt dans les mains du roi. Or, dans l'organisation du pouvoir judiciaire, le peuple choisissant ses juges, le roi n'ayant même pas le droit de commutation de peine, nous établissons un gouvernement absolument républicain ; nous séparons le roi de la Constitution, et nous faisons une grande faute, car notre intérêt est de le lier à la Constitution, et nous le rendons étranger à tout. (Murmures.)

Au reste, Messieurs, ceux qui s'opposent à cette discussion voudront bien me pardonner les instances que je fais en faveur des véritables in­térêts de la nation. Il est de l'intérêt de la nation, Messieurs, que son roi puisse quelquefois remédier aux erreurs des jurés, et aux erreurs des lois elles-mêmes, car les lois ne sont pas infail­libles. Je demande donc que le roi jouisse de tous les droits de rémission, de commutation de peine et même de grâce absolue, sous la condi­tion d'un enregistrement qu'il est très facile de déterminer.

Je ne demanderai pas des lettres de grâce pour un assassinat prémédité, pour un assassinat sur le grand chemin ; mais pour les crimes inférieurs, pour les crimes mêmes qui ne méritent pas la peine de mort, je crois qu'il n'y a aucun inconvénient à allier à la prérogative royale le droit de faire grâce, droit que le roi d'Angleterre exerce avec les applaudissements de sa nation; car les anglais désirent que le roi fasse beaucoup de grâces; les jurés savent fort bien qu'il y aura au moins un tiers et souvent la moitié de leurs ju­gements qui ne seront pas exécutés : ils le savent et ils s'en applaudissent.

Et remarquez, Messieurs, que, par un mouve­ment dont la promptitude me paraît inexplicable, (Murmures) les mêmes hommes qui ne voulaient pas avant-hier qu'on pût condamner un seul homme à mort, ne veulent plus aujourd'hui qu'on puisse faire grâce à un seul condamné : ou plutôt cette prévention me paraît fondée sur un préjugé qui peut souvent nous égarer.

Si nous représentons sans cesse le pouvoir exécutif comme un hors-d'œuvre de la Constitution, comme un pouvoir menaçant pour la nation, nous ne pouvons pas trop le détruire. Si nous le considérons au contraire comme le nerf de l'Etat, comme l'unique moyen de faire perpétuer dans le royaume la Constitution qu'on lui donne, nous ne détruirons pas les pouvoirs qui doivent être délégués par la nation et qui ne peuvent tourner qu'à son profit En matière criminelle, le roi ne peut jamais faire seul l'application de la loi, mais il doit seul juger si la loi peut n'être pas exécutée contre tel ou tel individu.

J'entends dire dans cette Assemblée : mais si le roi est l'exécuteur de la loi, il n'en est donc pas le dispensateur. Voilà, Messieurs, une grande erreur. Il est l'exécuteur de la loi, mais il s'agit de savoir s'il peut dispenser de l'exécution d'un jugement particulier. (Murmures.) L'exécution générale est un devoir du roi. Il doit favoriser, protéger, ordonner l'exécution de la loi ; mais je maintiens que le droit de faire grâce est une partie du pouvoir exécutif. Cela est tellement démontré que si vous ne l'accordez pas au roi, bien certainement vous ne l'accorderez à per­sonne.

Enfin, Messieurs, quand on parle aux repré­sentants d'un peuple généreux et sensible.... (A gauche : Ah ! ah !)

Plusieurs membres à droite : Cette conduite est indécente.

M. Malouet. Il serait véritablement curieux de savoir quelle est la personne qui s'arroge le droit de censure sur l'Assemblée nationale.

M. Delavigne. C'est l'abbé Raynal.

M. l'abbé Maury. Souffrez qu'une partie des citoyens, qui fera en sorte de Savoir pas besoin de grâce fasse tous ses efforts pour que le droit de grâce soit accordé au roi. Je dis, Messieurs, et la nation ne me démentira pas, que si cette question était agitée au milieu des communes du peuple français, ce même peuple porterait avec acclamation, au trône de son roi, cette belle prérogative de fermer les tombeaux.

M. Gualbert. Il n'est personne ayant quelque connaissance du droit public qui ne sache que c'est la plus belle prérogative de la couronne. Qu'on mette aux voix, par appel nominal, cette proposition, et nous verrons qui osera s'y opposer.

M. l'abbé Maury. Je ne demande pas un pouvoir dont le roi ne puisse pas abuser, car on abuse de tout ; on abusera même des Assemblées nationales, et ce n'est pas une raison pour les supprimer. Quelle est belle cette prérogative de pouvoir sauver la vie à son semblable ; de pouvoir se dire à soi-même : aujourd'hui j'ai empêché un infortuné de terminer, dans la douleur et dans l'opprobre, le cours de sa vie ! Cicéron, qui le savait bien autant que nous, ne cessait d'en vanter les douceurs à César, parce qu'il savait en même temps qu'il importait au bonheur du peuple de nourrir l'âme de son roi de ces sentiments exquis, de ces sentiments d'humanité qui éveillent la sensibilité au fond du cœur de rois, souvent trop éloignés des misères humaines. Il savait qu'il ne fallait pas faire du roi une loi, c'est-à-dire un rocher. Il faut en faire un homme sensible, il faut lui accorder le droit de faire des grâces, il faut lui laisser cette toute-puissance pour le bien ; il faut que sur le trône, où il a des peines qui lui sont exclusivement réservées, il ait aussi des douceurs et des consolations qui n'appartiennent qu'à lui seul. (Applaudissements à droite).

Il faut vous rappeler que c'est à nous, repré­sentants amovibles de la nation, qu'est réservée toute la rigueur de la législation. C'est bien assez pour nous, Messieurs, d'être obligés, par les grandes considérations de l'intérêt du bien public, de décréter la peine de mort, sans que dans notre Code nous prenions la précaution barbare de prémunir des hommes contre la grâce même du chef suprême de l'Etat. Non, Messieurs, cette précaution n'est pas digne de vous ; cette condition ne convient point à des législateurs : elle serait la plus barbare de toutes les lois, elle serait une loi inouïe dans l'histoire des nations.

On a accordé à des généraux d'armée le droit de faire grâce : vous le leur accorderiez vous-mêmes, si vous signiez aujourd'hui la patente de leur commandement ; et le roi, le chef su­prême de l'Etat, sera privé de ce beau droit qu'il ne pourra jamais diriger contre la nation, de ce droit dont l'abus même serait excusable, parce que tous les abus de clémence et de miséricorde trouvent leur excuse au fond de toutes les âmes sensibles. Vous avez assez limité la prérogative royale, vous avez cru devoir prendre des pré­cautions contre les erreurs et tes infidélités des ministres; mais, dans ce moment, vous attaqueriez une grâce qui tient essentiellement au fond du cœur de tous les bons rois, une prérogative dont ils doivent être infiniment jaloux, une prérogative dont vous ne sauriez les priver sans les déshériter du sentiment le plus doux qu'ils puissent goûter sur leur trône, sans les dénoncer aussitôt à la nation comme des gens que vous avez crus assez peu dignes de sa confiance pour ne mériter pas même d'exercer ce droit.

Non, Messieurs, je le répète, des Français, des hommes, des législateurs, n'opposeront pas cette barrière à la clémence du roi ; ils ne lui contesteront pas le droit de faire grâce ; ils ne s'imagineront pas servir la cause publique en enlevant au pouvoir exécutif tous les pouvoirs qu'ils ne peuvent exercer eux-mêmes ; en anéantissant tous les pouvoirs dont ils ne peuvent pas s'emparer. (Applaudissements à droite.)

J'excepterais, Messieurs, très volontiers les crimes de lèse-nation, et contre lesquels le Corps législatif aura décrété qu'il y a lieu à accusa­tion. Remarquez que, dans les occasions où les coupables sont très multipliés, dans l'insur­rection d'une ville, d'un régiment par exemple, on eût bien fait d'accorder grâce par des lettres d'amnistie. Vous ne pouvez pas l'anéantir ce droit-là, parce qu’il est impossible, dans plusieurs circonstances, d'exécuter les lois à la ri­gueur.

M. Duport. Si je voulais opposer déclamations à déclamations, je dirais que la prérogative du droit de faire grâce, remis entre les mains du roi, ne serait vraisemblablement, comme tous les autres actes qui émaneront du pouvoir exécutif, que l’expression de ceux qui l'entourent habituellement. (Applaudissements à gauche; murmures à droite.)

M. l'abbé Maury. Je demande que cette question ne soit pas jugée aujourd'hui.

M. Duport. Je disais donc que, de la manière dont on envisage les choses et les personnes dans l'atmosphère du pouvoir exécutif, je doute que la cause du peuple, celle des citoyens, fût la mieux écoutée. (Applaudissements.)

On a dit que la clémence était un devoir des rois; on a cité à cet égard tous les rois qui existent et notamment celui d'Angleterre. On devrait se borner à cette seule citation, car c'est dans ce pays seul qu'il existe une Constitution dans laquelle les droits des hommes ont été plus ou moins respectés, mais où du moins ils ont été reconnus; il est temps de faire cesser le prestige qu'on a voulu nous imposer à cet égard.

Il est bien vrai que le roi d'Angleterre a le droit de faire grâce, que les Anglais lui ont en générai divisé l’administration de la justice en justice exacte et rigoureuse et en justice d'équité et de clémence. Ils ont bien senti que non pas la clémence, mais l'équité est une portion nécessaire de la justice elle-même. Ils n'ont donné à leurs jurés que le droit de dire purement et simplement leur opinion sur le crime et non sur des circonstances très évidentes qui l'atténuent. Ils ne leur ont donné que le droit pur et simple de déclarer que l'accusé est coupable ou non.

M. Menonville de Villiers. Je demande la parole.

M. Dufraisse-Duchey. Il n'y a qu'à feuilleter tous les registres de la chancellerie sur les grâces accordées. M. Duport, qui est un ci-devant con­seiller au parlement, sait bien que sur 100 lettres de grâce, il y en a 90 accordées à la classe la plus malheureuse du peuple. (Murmures.)

M. Duport. Je rends grâce à l'opinant qui m'a interrogé pour me dire d'abord que, sur un très grand nombre d'arrêts qui ont été rendus au par­lement, les grâces ont été accordées à la classe du peuple, je vais lui répondre catégoriquement. Il est constant que, tant que l'usage des lettres de cachet a subsisté, l’on ne donnait pas même au peuple cette apparence de justice que les hommes considérables commençassent une instruction criminelle. (Applaudissements à gauche. Murmures à droite.) Votre comité des lettres de cachet peut vous l'attester s'il était nécessaire, car je ne crois pas qu'il y ait un homme de bonne foi qui puisse douter que, dans l'ancienne manière dont la justice était administrée, les hommes pré­tendus comme il faut, les hommes qui avaient des moyens de fortune ou de crédit, ne trou­vassent celui de se soustraire aux premières pour­suites de la justice.

J'atteste encore que, dans la manière dont la justice était administrée, il y avait effectivement, non pas seulement des lettres de commutation, mais étonnamment de sursis qui étaient accordés aux différents criminels et cela surtout au parlement de Paris, par cette raison que les accusés avaient plus aisément accès auprès des hommes puissants qui distribuaient les sursis : je ne dis pas que ce soit en faveur des hommes considérables que ces sursis avaient été accordés, car je répète qu'à de très petites exceptions près, jamais un homme considérable n'a été mis en jugement. (Applaudissements à gauche.)

M. de Montlosier. Et M. le duc de d'Aiguillon, au parlement de Bretagne ?

M. Duport. Ce n'était pas sur de simples malheureux que le droit de grâce s'exerçait, c'était en faveur de ceux, de quelque classe qu'ils fussent, qui savaient les intéresser en leur faveur. Cela même a été un objet constant de réclamation de la part des anciens tribunaux, parce qu'ils s'é­taient aperçus que l'administration de la justice était extrêmement partiale, et qu'elle ne présentait plus au peuple le seul, le véritable et le plus utile exemple qu'elle puisse leur accorder ; une application impartiale de la loi pour tout le monde.

Je reprends mon observation et je dis que la justice des Anglais est divisée, qu'ils ont donné aux jurés le droit pur et simple de déclarer si l'accusé a véritablement commis tel crime ; mais quelquefois, par un verdict spécial, ils s'en rapportent aux juges pour savoir si véritablement l'accusé est coupable. Les Anglais ont attribué au roi en général le jugement des circonstances atténuantes, et c'est sur ce jugement qu'est fondé principalement la nécessité du droit de faire grâce attribué au roi : ce droit s'exerce par le ministère même des juges qui viennent des sessions; ils rapportent au roi la liste des différents condamnés, et la note des circonstances qui peuvent déterminer une commutation, ou même l'abolition de la peine ; et c'est sur cela que le roi exerce un droit nécessaire dans la jurisprudence anglaise : voici un autre fondement de ce droit.

Les Anglais ont admis cette doctrine générale de peines, ils ont condamné presque tous les crimes à la peine de mort; ainsi un simple vo­leur qui vole au-dessus d'un schelling est con­damné à mort par la loi. Mais voilà comment ils ont cru qu'il était nécessaire d'établir cette peine, en se réservant de l'atténuer dans les circons­tances; ils ont pour principe cette maxime que Cicéron a exprimée, et qui est que la crainte doit aller à tous, et la peine à un petit nombre : metus ad omnes, pœna ad paucos. Voilà la base du code pénal anglais. Mais vous concevez que ce serait un système atroce qui ne pourrait subsis­ter dans aucun pays, s'il n'était pas exercé avec miséricorde, et voilà pourquoi dans le sacre du roi d'Angleterre où il est dit qu'il exercera la justice, il lui est imposé de l'exercer avec miséricorde. Ainsi le système anglais est complet, il veut d'une part la peine de mort pour tous, metus ad omnes; et ensuite que les circonstances puissent être choisies, et que le jugement de ces circonstances soit réuni dans les mains du roi, qui est pœna ad paucos. C'est par là que dans de certaines circonstances l'on ordonne une commu­tation de peine, et que la peine de mort est comme en France à peu près réservée à des crimes atroces.

Voilà le double système des Anglais, et comme vous voyez il résulte évidemment de ce double système la nécessité absolue que le roi d'Angleterre ait droit de faire grâce. Mais chez nous cette nécessité existe-t-elle? Non. Le droit de grâce doit-il exister? Je ne le pense pas, parce que selon nous les fonctions des jurés ne se bornent pas seulement à examiner le fait matériel, mais à examiner le fait intentionnel. C'est en examinant les témoins; c'est en confrontant les preuves; c'est en rassemblant les différentes circonstances d'une affaire que l'on est parfaitement instruit du fait»

L'examen du fait appartient nécessairement aux jurés; il serait ridicule de le transférer au roi : comment le roi serait-il mieux instruit du fait que les jurés? Je sens bien comment il le ferait; plus mal, parce que la vérité ne parvient presque jamais jusqu'à lui. (Applaudissements à gauche) Il est donc évident que les jurés peuvent d'abord examiner le fait dans toutes les circonstances, et ensuite il est évident qu'ils ont une aptitude bien plus grande à connaître la vérité du fait dans toutes ses circonstances, que le roi qui ne peut les savoir que par des gens placés hors du lieu où le délit a été commis, et intéressés en général à lui cacher la vérité.

Cependant, Messieurs, je vous prie de saisir cette distinction qui me paraît très juste ; c'est que si vous séparez du droit de faire grâce cette né­cessité de tempérer la loi par l'équité, c'est-à-dire que dans telle circonstance la loi ne puisse être rigoureusement appliquée, que restera-t-il du droit e faire grâce ? Il ne restera qu'un droit arbitraire, de caprice, qu'il est absolument indigne d'hommes libres d'établir et de souffrir, c'est-à-dire un droit que les despotes n'osent pas avouer ; car ils établissent toujours le droit de faire grâce sur les motifs que je viens de vous dire, et si vous les séparez, le droit de faire grâce n'est plus que celui de détermi­ner sans aucun motif à qui l'on accordera ou à qui l'on n'accordera pas une faveur injuste puisqu'elle est contraire à la loi; voilà ce qui résulte du droit de faire grâce bien décomposé. (Vifs applaudisse­ments.)

M. Dufraisse-Duchey. Le jugement doit être libellé.

M. Duport. On dit que le jugement doit être libellé ; je ne sais pas si l'on pense bien à ce qu'on dit, car on vous dit bien qu'il faut que l’application de la loi au fait soit libellée ; mais comment cela instruit-il celui qui ultérieurement doit avoir à décider si les circonstances peuvent atténuer le délit ? Rappelez-vous, Messieurs, que la procédure par devant les jurés ne se fait pas par écrit. Ainsi il vous faudrait donc, comme en Angleterre, que le roi soit instruit des circons­tances par les juges.

En Angleterre cela peut se faire ainsi pour deux raisons; d'abord parce que les juges sont institués par le roi, parce qu'ils reviennent à Londres, après avoir jugé dans les comtés, et ensuite par te respect qui vient du temps, qui vient encore d'autres circonstances, et qui en­toure la qualité déjuge. Mais je vous demande, Messieurs, quelle sûreté il y aurait pour votre liberté, si les juges en France avaient le droit de déterminer presque nécessairement la volonté du roi, sur tel ou tel individu. Car remarquez bien que les jurés, éparpillés pour ainsi dire, aussitôt après le jugement, il n'y a qu'eux qui pourraient déterminer le roi à faire grâce ou non; or, cela est évidemment absurde. Ainsi, je pense, Messieurs, qu'en France vous avez pour l'intérêt public, l'équité confondue avec la justice.

On vous a dit qu'on abusait de toutes les institutions, cela est vrai ; mais quel est le moyen d'éviter les abus du pouvoir, c'est de remettre le pouvoir dans la main de celui qui n'a aucun intérêt d'en abuser : or, il est évident que les jurés qui auront des imperfections, parce que ce sont des hommes, n'ont d'ailleurs aucun intérêt à l'injustice; au contraire, ils ont par eux-mêmes l'intérêt le plus grand à la justice, par la raison qu'ils en font tous les jours l'objet : et quant au roi, on se méprend bien, ce me semble, dans la manière dont on en a parlé tout à l'heure. Qui est-ce qui rend le roi nécessaire à notre Consti­tution? Qui est-ce qui le rend inviolable? C'est qu'il est plutôt un pouvoir qu'un individu. Ainsi ce n'est pas la sensibilité d'un roi, d'un homme, qui doit servir de base à la liberté d'un pays, mais l'exercice régulier d'un pouvoir légal. (On applaudit à plusieurs reprises.) Je pense donc que l'on cherche à égarer la sensibilité de l'Assemblée.

Enfin, l'on vous a dit que, si le peuple français était assemblé en comices, il donnerait unanimement au roi le droit de faire grâce. Tel est l'avantage des gouvernements représentatifs, que le peuple choisit pour le représenter un petit nombre de personnes, afin de se prémunir contre ces mouvements oratoires, avec lesquels, du haut d'une tribune, on pourrait l'égarer. (Nombreux applaudissements.)

M. Menonville de Villiers. La dernière phrase du préopinant m'a beaucoup soulagé; je me sentais forcé de commencer par une expression fort dure, mais il m'a rendu libre à cet égard.

Je dois donc dire qu'il n'y a que la plus profonde ignorance de la forme de la législation anglaise, qui ait pu lui faire dire ce qu'il a dit dans cette tribune. Il vous a dit que, dans la forme anglaise, la justice était divisée en 2 branches, dont l'une était livrée aux jurés et l'autre remise au roi. Je réponds que les jurés anglais jugent suivant l'équité en matière criminelle, et j'en cite une preuve à laquelle je défie le préopinant et tous ceux qui l'ont instruit de répondre : c'est le texte même de l'institution du juré anglais. Il y verra que ce n'est pas sur le fait pur et simple que le juré doit prononcer, mais bien, si le l'ait a été commis malicieusement; et cela est si rigoureux, que si le mot malicieusement n'était pas compris dans l'acte d'accusation, il serait nul. Les jurés anglais jugent, comme les vôtres, de la moralité des actions; et malgré cela, la nation anglaise a cru devoir laisser au roi le droit de faire grâce avec la plus grande lati­tude et je crois qu'il faudrait la restreindre en France.

On vous a dit qu'on avait été forcé de lui laisser ce droit parce qu'à des crimes très peu condamnables, on appliquait toujours la peine de mort; mais on a oublié de vous dire que tous ces crimes-là sont effacés indépendamment de la grâce du roi par le bénéfice du clergé, telle­ment que dans 136 espèces de félonie, c’est-à-dire de crimes capitaux, il y en a 128 qui sont remises par le bénéfice du clergé.

Ainsi, ce n'est pas d'après le véritable tableau des lois anglaises, que vous devez vous décider, puisqu'il ne vous a pas été présenté. Conservez au roi la prérogative de faire grâce ; car enfin il faut la placer chez le roi ou ailleurs.

M. l'abbé Maury. Mais si un coupable est dans le cas de la mériter, si vous la lui avez promise, à qui la demandera-t-il?

M. Leleu de La Ville-aux-Bois. A qui Charlemagne l'a-t-il demandée lorsqu'il fut question du prince bavarois ? N'est-ce pas au peuple français assemblé ?

Plusieurs membres: L'ajournement !

M. Charles de Lameth. Je demande que la discussion soit fermée et qu'on mette aux voix l'article du comité ; car cette question ne peut faire la plus légère difficulté; il n'y a pas de Constitution si on met quelqu'un au-dessus de la loi.

Plusieurs membres ; L'ajournement !

M. Lanjuinais. Il faut savoir auparavant si l'Assemblée renonce elle-même au droit de faire grâce.

Plusieurs membres : La question préalable sur l'ajournement !

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il y a lieu à délibérer sur l'ajournement.)

M. Charles de Lameth. Il est permis de parler sur l'ajournement... (A droite : Non ! non !)... Il y a une tactique à droite qui fait que l'on élève des doutes sur les questions les plus simples, par des demandes ingénieuses d'ajournement. Il n'est jamais entré dans l'esprit d'un seul des membres de l'Assemblée, composant la majorité qui a fait la Constitution, d'accorder au roi le droit de faire grâce, le soutien, et il est prouvé que ce sera toujours contre les intérêts du peuple, que ce droit arbitraire sera exercé.

Si ce que je viens de dire est démontré, il est inutile d'ajourner cette question et de perdre du temps. Il n'est pas question de rien enlever au roi, il n'est question nue de ne pas lui donner un droit déplorable qui amènerait la destruction du civisme, du patriotisme et de l'attachement à la Constitution... (A droite : Au contraire)... Il sera du devoir de tout bon citoyen de défendre la prérogative constitutionnelle du roi, lorsque nous l'aurons constituée, et ce sera un acte d'incivisme éclatant que de l'attaquer et même de ne pas la défendre, comme doit le faire un citoyen libre, et non pas comme un lâche courtisan.

Je conclus, et je dis qu'il est impossible de mettre le roi au-dessus de la loi. Je ne balance pas à dire que si vous hésitez à prononcer sur une pareille question, vous donnerez à la dernière opinion politique le droit de douter du civisme de la majorité de cette Assemblée. (Ap­plaudissements à gauche et dans les tribunes.)

M. Malouet. Je demande la parole.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. On ne doit jamais craindre la lumière : le comité est donc bien éloigné de se refuser à une nouvelle discussion sur une question aussi im­portante. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : Aux voix l'ajournement !

(L'Assemblée, consultée, décide que la suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain.)

M. le Président lève la séance à trois heures et demie..

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