Première séance du mardi 31 janvier 2023
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine
- 2. Questions au Gouvernement
- 3. Communications de Mme la présidente
- 4. Questions au Gouvernement (suite)
- Emploi public et réforme des retraites
- Zones à faibles émissions
- Lutte contre le terrorisme en Israël
- Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations
- Réforme des retraites
- Axe ferroviaire Clermont-Paris
- Augmentation des tarifs des péages routiers
- Écoles rurales
- Réforme des retraites
- Situation dans les Ehpad
- Accueil fait à Salah Hamouri et lutte contre l’antisémitisme
- Réforme des retraites
- Réforme des retraites
- Réforme des retraites
- Réforme des retraites et droit de grève
- Gestion des autoroutes
- Réforme des retraites
- Réforme des retraites
- 5. Accélération de la production d’énergies renouvelables
- 6. Fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs d’emballages ménagers et des producteurs de papier
- 7. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine
Mme la présidente
Madame la Première ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, mesdames et messieurs les députés, chers collègues, nous avons l’honneur d’accueillir aujourd’hui M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent très longuement.)
Il y a quelques mois, j’ai pris la tête d’une délégation de l’Assemblée nationale se rendant à Kyïv pour exprimer l’appui indéfectible des députés français à l’Ukraine et à son peuple. Le président Stefantchouk nous a accueillis chaleureusement. Avec lui, nous sommes allés au contact des Ukrainiens. Nous avons vu leur extraordinaire résistance, leur détermination à se battre contre l’agresseur russe et leurs premiers efforts pour reconstruire le pays.
À cette occasion, M. le président de la Rada, vous nous avez demandé de relayer votre voix auprès de l’opinion publique française et internationale. C’est ce que nous avons fait. Le 30 novembre, à l’issue d’un débat nourri, l’Assemblée nationale a voté une résolution affirmant son soutien à l’Ukraine et condamnant la guerre menée par la fédération de Russie. Depuis, plusieurs députés se sont rendus à Kiev pour signifier directement leur soutien. Aujourd’hui, à l’occasion de la visite de M. Stefantchouk, l’Assemblée nationale arbore les couleurs ukrainiennes : elle accueille une exposition des œuvres de Christian Guémy – nous venons de l’inaugurer ensemble – et organise plusieurs réunions associant nos commissions permanentes et le groupe d’amitié France-Ukraine nouvellement constitué.
L’agression russe se poursuit, effroyable, avec son lot d’exactions et de crimes de guerre, de bombardements aveugles et de destruction. Chaque jour apporte des nouvelles accablantes ; mais chaque jour, les démocraties s’unissent pour apporter tout le soutien nécessaire à l’Ukraine. Car l’Ukraine doit gagner cette guerre : elle doit retrouver son intégrité territoriale et la paix. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN, LR, Dem, SOC, HOR, Écolo-NUPES et LIOT.) Pour la soutenir dans ce combat, la représentation nationale est pleinement mobilisée aux côtés du gouvernement français, car le combat de l’Ukraine a aussi pour enjeu la défense de nos valeurs démocratiques, de l’humanisme, de la liberté. Aussi nos deux assemblées viennent-elles de signer un protocole d’accord, particulièrement utile pour préparer l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, où l’appelle son destin – car l’Ukraine fait partie de la famille européenne. Monsieur le président Stefantchouk, vous pourrez témoigner, lors de votre retour à Kiev, de l’entière mobilisation de la représentation nationale française en faveur du peuple ukrainien et de sa souveraineté. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR, Dem, SOC, HOR, Écolo-NUPES et LIOT, et sur quelques bancs du groupe RN. – M. André Chassaigne applaudit également.)
C’est avec beaucoup d’émotion et de plaisir et avec une grande amitié que je vous cède à présent la parole. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine
Madame la présidente, madame la Première ministre, mesdames et messieurs les députés, chers amis, je tiens d’abord à vous remercier de m’avoir invité à cette haute tribune, au cœur même de la vie politique de votre pays, et de m’avoir offert la possibilité de prendre la parole devant l’Assemblée nationale française. Il est très important pour nous que nos amis et partenaires puissent voir et entendre les Ukrainiens, comme vous l’avez fait, madame la présidente, lors de votre venue.
Chère Yaël, je me souviens des moindres détails de votre visite à Kyïv. Quittant la capitale, nous nous sommes ensuite rendus en train dans la ville voisine de Tchernihiv. C’était un acte de courage. Je n’oublierai jamais la façon dont vous avez tenu les mains d’une femme âgée dont la maison avait été frappée par un missile. Vous avez vu de vos propres yeux l’ampleur des ravages qui touchent notre pays. Vous avez ressenti la douleur et le malheur de chaque Ukrainien. Votre visite a manifesté de manière éclatante la solidarité de la République française envers l’Ukraine et le soutien qu’elle apporte à notre indépendance et à notre intégrité territoriale, ces principes qui nous unissent.
Ce qui nous unit également, ce sont les ponts de toute sorte, qu’ils soient physiques ou symboliques. Ainsi, les ponts fraternellement offerts par la France à l’Ukraine ont contribué à rétablir le trafic routier dans la région de Tchernihiv, permettant d’acheminer les équipements militaires et l’aide humanitaire en provenance des pays alliés. Ces ponts, qui renforcent le soutien militaire et technique accordé à l’Ukraine, sont le symbole de l’amitié qui nous lie. Nous continuerons à l’avenir à construire de nouveaux ponts susceptibles d’unir encore plus étroitement nos deux pays.
L’agression à grande échelle de l’Ukraine par la Russie a débuté il y a bientôt un an. Nous connaissons mieux que quiconque son unique objectif : satisfaire l’aspiration criminelle de la Russie à la conquête de territoires qui ne lui appartiennent pas, priver l’Ukraine de sa souveraineté, faire obstacle à son avenir européen et euratlantique. La Russie emploie contre nous l’ensemble des arsenaux dont elle dispose et se livre à un chantage nucléaire envers le monde.
Madame la présidente, j’ai eu aujourd’hui la chance exceptionnelle de tenir entre les mains les trésors de la bibliothèque de l’Assemblée nationale. J’ai consulté un grand atlas de Johannes Blaeu dont les cartes représentent la cité antique de Chersonèse, en Tauride, comme on appelait autrefois la Crimée ; cette ville a donné son nom à Kherson, récemment libérée par l’armée ukrainienne. J’ai également vu un exemplaire édité en 1660 de la Description d’Ukranie, ce livre extraordinaire du grand ingénieur, cartographe, voyageur et écrivain français Guillaume Levasseur de Beauplan. Cet ouvrage mentionne le noble peuple des Cosaques zaporogues ; on y lit qu’il s’agit d’un peuple subtil, ne recherchant pas la richesse, mais très attaché à sa liberté, sans laquelle il ne saurait vivre. Trois cent soixante ans plus tard, l’Ukraine résiste, car, aujourd’hui encore, elle ne s’imagine pas vivre sans liberté.
À notre résistance, l’agresseur répond par des attaques contre nos villes, nos villages et nos infrastructures, privant ainsi les Ukrainiens de chauffage, d’électricité et d’eau courante. Depuis ce matin, ils ont déjà dû descendre à trois reprises dans les abris qui les protègent des missiles russes. L’agresseur cherche à leur ôter toute possibilité de vivre dignement. La propagande cynique de la Russie continue à produire ses mensonges, induisant en erreur aussi bien ses propres citoyens que ceux qui, dans le monde, y croient encore. Tous ceux qui participent à ce crime doivent être punis ; tous les responsables doivent être traduits devant la justice.
Ces agissements relèvent du terrorisme, ni plus ni moins ; c’est ainsi que se comporte un pays terroriste, un État terroriste. Une telle politique agressive et irresponsable représente une menace pour la démocratie et pour la liberté. La communauté internationale ne doit pas s’y tromper. Ainsi, le 23 novembre 2022, le Parlement européen a reconnu la Russie comme un État promouvant le terrorisme, employant les méthodes du terrorisme. Les assemblées parlementaires de l’Otan et du Conseil de l’Europe avaient d’ailleurs adopté des résolutions identiques. Par conséquent, je vous appelle, chers collègues, à reconnaître vous aussi la Russie en tant qu’État terroriste, dans les murs de l’Assemblée nationale, temple du droit et de la liberté. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, SOC et HOR, et sur quelques bancs du groupe LR.)
Dans ces murs ont été prises des décisions importantes, parmi lesquelles la résolution que vous avez adoptée le 30 novembre afin d’affirmer votre soutien à l’Ukraine et de condamner l’agression russe. Cette résolution soutient l’idée particulièrement importante de la création d’un tribunal spécial. Cette juridiction devra établir la responsabilité de chaque criminel, qu’il s’agisse des idéologues qui ont défendu cette agression insensée, des donneurs d’ordres directs, ou encore de ceux qui ont personnellement tué, violé, mutilé. Personne ne doit échapper à sa responsabilité ; c’est cela, la justice.
Je remercie le peuple français, son président, son gouvernement et vous tous pour l’aide apportée à l’Ukraine depuis le début de cette agression à grande échelle. Je vous remercie avant tout pour votre aide sur le plan militaire. Votre décision d’accroître les forces de l’Ukraine avec des systèmes de défense antiaérienne, de fournir des blindés, notamment des chars, a encouragé d’autres pays à faire de même. La France a toujours été un leader et elle le sera encore à l’avenir.
Grâce à vous, nous avons enrichi notre lexique de nouveaux mots français : nous savons désormais ce que désignent « Crotale », « Caesar » (camion équipé d’un système d’artillerie), « LRU » (lance-roquettes unitaire) ou « AMX-10 RC ». Nous sommes prêts à continuer à enrichir notre vocabulaire avec d’autres termes. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, SOC et HOR.)
Au sol, les chars Leclerc français viendront accroître nos forces avec les Leopard, les M1 Abrams et les Challenger. Dans les airs, les Mirage et les Rafale, avec d’autres avions de nos alliés, protégeront le ciel ukrainien. Donnez-nous les avions ; donnez-nous les ailes de notre victoire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE, ainsi que sur quelques bancs des groupes LR et Dem.) Ces ailes protégeront notre Ukraine mais aussi l’ensemble de l’Europe.
Chers membres de l’Assemblée nationale, la plus haute valeur que nous partageons est l’humanité. Je remercie le peuple français, en particulier toutes les familles qui ont accueilli mes concitoyens, au nom de chacun des 100 000 Ukrainiens qui ont trouvé refuge en France. (Applaudissements.) Vous avez donné aux enfants ukrainiens la possibilité de poursuivre leur scolarité et leurs études ; vous avez assuré aux Ukrainiens une protection sociale ; vous avez créé des possibilités pour qu’ils trouvent un travail. Nous n’oublierons jamais votre attitude envers nos concitoyens. Vous les avez accueillis comme les membres de votre propre famille, de la famille française et européenne.
L’Ukraine revient à ses sources européennes malgré la résistance féroce de Moscou. Nous remercions de tout cœur la France d’avoir accordé à l’Ukraine le statut de candidat à l’Union européenne. Le peuple ukrainien, qui fait preuve d’une force extraordinaire, s’épanouira au sein de la grande famille européenne. Nous travaillons sur notre législation et sur l’introduction des réformes nécessaires. Nous savons ce que nous devons faire et comment le faire. Nous avançons le plus vite possible, même dans les conditions que nous impose la guerre.
Le président de l’Ukraine, le gouvernement et le parlement se montrent inflexibles dans la lutte contre la corruption, afin d’éradiquer ce phénomène. Ainsi, au cours des dix derniers jours, plusieurs fonctionnaires de haut niveau peu scrupuleux ont dû démissionner ; ils seront traduits en justice et devront répondre de leurs actes, car c’est cela, la démocratie.
L’Ukraine achèvera le plus vite possible ces réformes afin de mettre en œuvre toutes les mesures demandées par la Commission européenne. Nous espérons que cela nous permettra d’ouvrir dès cette année les pourparlers pour l’entrée dans l’Union européenne.
Nous espérons également que la France accordera son soutien politique à la demande d’adhésion accélérée de l’Ukraine à l’Otan, dans le contexte du sommet de l’Alliance atlantique qui aura lieu à Vilnius les 11 et 12 juillet 2023. Nous avons prouvé par notre lutte que nous pouvons et que nous devons devenir membres de la famille européenne et de l’Alliance atlantique.
Nous cherchons souvent dans l’histoire l’explication de ce qui nous arrive aujourd’hui. Je tiens à évoquer dans ce noble hémicycle l’événement historique qu’est l’Holodomor, la famine qu’a étudiée l’historien français Laurent Rucker. Du fait des actions génocidaires du régime de Staline et de cette famine artificielle organisée en 1932 et 1933, des millions d’Ukrainiens ont péri. La reconnaissance par la France de l’Holodomor comme un génocide sera un signal fort et important. En effet, comme l’a fait le régime soviétique par le passé, le régime de Poutine n’aspire qu’à une chose : détruire la nation ukrainienne. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, HOR et SOC.) Dès lors, je vous demande de contribuer à la reconnaissance par le Parlement de la famine de 1932 et 1933 comme un génocide du peuple ukrainien.
Cette guerre s’achèvera avec notre victoire commune – j’en suis persuadé. Après cette victoire, viendra la période de la reconstruction de l’Ukraine. Nous espérons que la France, son gouvernement et ses entreprises, se joindront activement à cette reconstruction, qui doit être un succès pour l’ensemble du monde civilisé.
Je m’adresse à vous au nom de tous les Ukrainiens qui se battent et donnent leur vie pour leur liberté et leur dignité. Je parle au nom des citoyens ukrainiens qui, aujourd’hui même, aident l’armée, continuent à travailler, à étudier, en croyant en leur victoire et en espérant une vie pacifique. Nous voulons vivre dans une société pacifique et civilisée que personne ne menace ; c’est pourquoi nous proposons un plan de paix.
Au sommet du G20, le 15 novembre 2022, le président Volodymyr Zelensky a proposé aux leaders mondiaux notre plan de paix en dix points. Nous savons que la France est un leader puissant qui aidera à le réaliser. C’est précisément grâce à l’aide de la France et de nos autres partenaires et alliés que nous voulons fixer les points clés d’une organisation de l’espace euratlantique à l’issue de la guerre qui comprenne des garanties pour l’Ukraine. Nous comptons beaucoup sur le soutien de la France au plan de paix proposé par le président ukrainien.
En Ukraine, tout le monde a parfaitement entendu les propos du Président de la République Emmanuel Macron : « Nous vous aiderons jusqu’à la victoire et nous serons ensemble pour bâtir une paix juste et durable. Comptez sur la France et comptez sur l’Europe. » Nous avons entendu ces paroles sous les tirs, sur le champ de bataille, où elles ont retenti plus fort que les explosions des obus ou que les sirènes des alertes aériennes.
Chers amis, en guise de conclusion, permettez-moi, depuis cette haute tribune, de partager avec vous un rêve. Je me souviens que, lors du championnat d’Europe de football 2012, un match entre les équipes nationales de France et d’Ukraine a eu lieu à Donetsk, au stade Donbass Arena ; il a été interrompu par un orage. Moins de deux ans plus tard, l’agression et l’occupation russes ont interrompu notre vie pacifique. La guerre est entrée dans notre maison, portant la mort et la destruction. Je voudrais tant que nous gagnions ensemble ce match contre la mort et que nos équipes nationales puissent de nouveau jouer à la Donbass Arena dans Donetsk libéré. (Applaudissements.) Ce sera le match de notre victoire commune, le match de la paix et de la mémoire. Ce sera le match d’une vie nouvelle.
Je vous remercie de votre attention. Gloire à l’Ukraine et vive la France ! (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
Monsieur le président de la Rada, je vous remercie au nom de la représentation nationale.
Mes chers collègues, je vous propose de suspendre la séance le temps que le président de la Rada, Rouslan Stefantchouk, rejoigne la tribune pavoisée aux couleurs de l’Ukraine, avant d’en venir aux questions de chaque groupe politique consacrées à la situation en Ukraine, ainsi que nous en avons décidé en conférence des présidents.
(La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.)
2. Questions au Gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé que les dix premières questions porteraient sur l’Ukraine. La durée maximale de chacune d’entre elles a été fixée à trois minutes et elles donneront lieu à une réponse groupée de Mme la Première ministre.
Situation en Ukraine
Mme la présidente
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne
Des enfants et des femmes frappés par les bombes, jetés sur les routes par millions, des centaines de milliers de civils et de soldats tués. Voilà le terrible bilan de la folie meurtrière déclenchée il y a près d’un an par le sinistre Poutine qui a fait le choix irresponsable d’envahir l’Ukraine, le choix du sang et des larmes. Ce choix viole les règles du droit international, met en péril la sécurité en Europe et relance une désastreuse course aux armements.
Ce constat implacable nous rappelle une évidence, trop peu évoquée en ces heures de déchaînement de violence : notre seul horizon doit être celui de la paix. Oui, la paix, sans que cette exigence ne puisse être perçue comme un signe de capitulation. En effet, il y a bien un agresseur – il est clairement désigné – et un pays en état de légitime défense, que nous soutenons sans ambiguïté en lui apportant les moyens de se défendre pleinement. C’est dans ce cadre que doit continuer de s’inscrire notre engagement militaire, avec la volonté de ne pas devenir cobelligérants et de ne pas contribuer à une dangereuse escalade guerrière par la livraison d’armes lourdes offensives qui serait bien plus qu’un simple enrichissement du vocabulaire.
Nous avons un autre devoir, tout aussi important : celui de porter assistance à une population courageuse plongée dans le tumulte et le chaos. C’est ce que nous faisons dans nos communes depuis le début du conflit, grâce à l’action des élus et des bénévoles, et à la générosité des familles accueillant des réfugiés. Je veux saluer ce mouvement fraternel, cette main tendue à nos amis ukrainiens, représentés aujourd’hui par le président de leur assemblée nationale.
Ce soutien passe aussi par la recherche d’une solution diplomatique la plus rapide possible, comme le demandent les mouvements pacifistes de l’Ukraine et de la Russie. À l’inverse d’une escalade guerrière, dans laquelle aucune limite ne serait plus posée à l’utilisation des armes les plus destructrices, il faut ouvrir les chemins de la paix : n’oublions jamais, chers collègues, les 80 millions de morts des deux guerres mondiales du siècle passé. C’est la raison pour laquelle il nous semble urgent de remettre l’ONU au centre des discussions.
Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France a un rôle important à y jouer. Madame la Première ministre, la France est-elle prête à engager des moyens diplomatiques plus importants auprès de l’ONU pour parvenir à la définition d’un cadre de sécurité collective, durable, et acceptable par toutes les parties impliquées ? Par ailleurs, êtes-vous prête à répondre favorablement à la demande que j’ai formulée avec mon collègue Fabien Roussel au nom du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES concernant l’organisation à l’Assemblée nationale d’un débat sur la position de la France en matière de livraison d’armes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et LFI-NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot
Madame la Première ministre, monsieur le président de la Rada, le groupe parlementaire La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale souhaite tout d’abord adresser tout son soutien à ses homologues ukrainiens et au peuple ukrainien meurtri par la guerre. Nous formons le vœu qu’une solution diplomatique soit trouvée au plus vite afin de garantir le retour de la paix.
Madame la Première ministre, il est du devoir de la France de soutenir et d’aider l’Ukraine et les Ukrainiens, y compris en matière militaire. Mais alors que ces derniers jours, l’Allemagne, les États-Unis et d’autres pays ont annoncé la livraison d’armes lourdes à l’Ukraine, notre préoccupation est double : si les Ukrainiens doivent pouvoir se défendre face à l’agression des Russes, il faut éviter que le conflit ne monte en puissance. Au-delà même de la question de savoir si nous disposons de stocks suffisants et d’équipements adaptés pour nous engager dans cette voie, nous partageons tous ici la volonté de ne pas alimenter une logique d’escalade et de ne pas précipiter notre pays au seuil d’une guerre totale.
Le Président de la République lui-même est conscient de ce danger, qui déclarait en octobre 2022 : « Nous soutenons l’Ukraine dans sa résistance, sans participer à la guerre, parce que nous ne voulons pas de guerre mondiale. » Nous partageons cette position, et c’est pourquoi nous demandons l’organisation d’un débat à l’Assemblée nationale sur le rôle que la France doit tenir dans le conflit. Dans cette optique, et afin d’éclairer leur réflexion, les parlementaires doivent pouvoir disposer d’informations stratégiques. La gravité des enjeux mérite un débat démocratique, et je sais que plusieurs groupes y sont favorables. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Par ailleurs, l’invasion russe en Ukraine pose la question de la reconstruction du pays à long terme. À l’initiative de notre groupe, la commission des affaires étrangères a récemment reçu une délégation de défenseurs de l’environnement ukrainiens, parmi lesquels une députée de la Rada. Ils revendiquaient notamment la prise en compte des conditions sociales et écologiques dans le processus de reconstruction : les saccages causés par l’armée russe en Ukraine ne doivent pas laisser place à d’autres, causés par la prédation des multinationales.
Sur ce sujet, j’espère, madame la Première ministre, que vous vous désolidarisez des propos tenus par le président délégué du Medef à Bercy au sujet de la reconstruction de l’Ukraine. Il avait en effet déclaré : « C’est l’occasion […] – pardon de l’expression […] – de tirer parti de ce qui s’est produit ». (Murmures sur plusieurs bancs du groupe RE.) La période appelle à la décence : les horreurs de la guerre ne sauraient représenter une chance économique. Nous souhaitons donc qu’un débat soit organisé concernant les modalités de l’aide française et européenne à la reconstruction de l’Ukraine, afin que le Parlement soit associé à ce processus. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Pour finir, permettez-moi d’adresser, au nom de mon groupe, un soutien politique et humaniste au peuple ukrainien, qui vit la terreur et l’horreur, ainsi qu’aux Russes qui subissent et s’opposent à une guerre voulue par Poutine. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix
À travers vous, monsieur le président de la Rada, c’est l’engagement, le courage et la résistance du peuple ukrainien que nous voulons honorer cet après-midi. Jour après jour, les Ukrainiens forcent l’admiration du monde. Pour nous, il n’y a aucun doute : oui, la Russie a violé la souveraineté ukrainienne et porte seule la responsabilité du retour de la guerre en Europe, avec son cortège insensé de crimes contre l’humanité, de Boutcha à Kharkiv.
Madame la Première ministre, si la France doit aider l’Ukraine – et notre pays n’a cessé d’étendre son soutien militaire, humanitaire et financier –, le conflit, figé depuis l’automne, connaît depuis plusieurs semaines des mouvements inquiétants, laissant entrevoir la perspective d’une offensive de grande ampleur de la Russie, qui pourrait aligner jusqu’à un demi-million de nouveaux conscrits.
Le président Poutine, habité par les idées de destruction et de reddition de l’Ukraine, s’est engagé dans une guerre qui n’a aucun sens politique ou économique – à moins de vouloir reconstituer le glacis soviétique. Malgré le maintien d’un fil de communication – parfois ténu – avec l’agresseur depuis le début du conflit, les espoirs de trouver une porte de sortie négociée à court terme s’amenuisent devant l’intransigeance russe : aucune négociation n’est évidemment possible tant que l’Ukraine est sous les bombes.
La France, grande puissance – européenne notamment – et membre de droit du Conseil de sécurité des Nations unies, a vocation à imaginer la fin de la guerre. Pourtant elle ne fait pas entendre sa voix singulière : notre pays donne le sentiment d’être à la remorque de ses partenaires européens et de son allié américain (« Oh ! » sur quelques bancs du groupe RE), parfois en décalage avec eux et sans initiative propre. Elle n’est pas à la hauteur de son histoire : sans doute la position française souffre-t-elle de l’isolement du Président de la République jusque dans son propre pays,…
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq
C’est indécent !
Une députée du groupe RE
Le naufrage des Républicains !
M. Olivier Marleix
…une des seules démocraties dans laquelle le chef de l’État n’évoque pas ses options stratégiques avec le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Madame la Première ministre, vous devez vous appuyer sur le Parlement pour construire la position française. Vous devez partager avec nous un état des lieux réaliste de nos capacités en matière de soutien militaire, et nous présenter les scénarios de désescalade et de paix pour l’Ukraine qui guident le Gouvernement. La solidarité de la France envers le peuple ukrainien sera d’autant plus solide qu’elle sera éclairée et partagée : êtes-vous prête à organiser un débat au Parlement sur ce sujet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Aurore Bergé.
Mme Aurore Bergé
À l’instar de toutes les assemblées démocratiques, la Rada d’Ukraine est sœur de notre Assemblée nationale, et votre présence aujourd’hui, monsieur le président de la Rada, est d’autant plus symbolique que cela fera bientôt un an que la Russie a déclenché ce qu’elle refuse, encore et toujours, d’appeler une invasion, malgré des dizaines de milliers de morts, malgré les bombes lancées sur Kyïv, Kharkiv, Kherson ou encore Odessa, malgré les milliers de crimes de guerre, de tortures, de viols, d’attaques délibérées et ciblées d’écoles et d’hôpitaux, d’exécutions sommaires et les souffrances infligées à tout un peuple – un peuple dont Vladimir Poutine est, depuis un an, le persécuteur et le bourreau systématique.
En dépit du déséquilibre des forces, face à l’agression préméditée et massive de l’armée russe, l’Ukraine a tenu. Elle a tenu, d’abord, grâce au courage de ses citoyens et de ses dirigeants. Elle a tenu, aussi, parce que nous, Français, Européens, démocrates, nous sommes alliés sans fléchir et avons répondu présents en sanctionnant durement la Russie, même quand certains nous demandaient de cesser toute sanction. Malgré le prix à payer, nous avons montré que nos valeurs ne sont pas à vendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.) En accueillant des millions d’Ukrainiens fuyant les combats, nous avons rappelé que la fraternité n’était pas un vain mot ; en fournissant un soutien à la fois humanitaire et militaire à l’Ukraine, nous avons prouvé que les intimidations ne nous empêcheront jamais de venir en aide à un État souverain et à un peuple libre. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
Merci, monsieur le président de la Rada, de vos mots pour notre pays et nos concitoyens. Dans toutes ses actions, la France a fait honneur à ses principes : dans le cadre de sa présidence de l’Union européenne, elle a ainsi organisé, en décembre, un sommet qui a permis de récolter des millions d’euros pour l’aide d’urgence et la reconstruction de l’Ukraine. En début d’année encore, la France était la première à annoncer, par la voix de son président, l’envoi de chars de combat aux forces ukrainiennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) À ceux qui demandent jusqu’à quand nous soutiendrons l’Ukraine, nous n’apportons qu’une seule réponse : jusqu’à sa victoire. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Tant que l’Ukraine n’aura pas recouvré sa pleine souveraineté et les Ukrainiens leur liberté, nous serons à vos côtés, comme nous le serons, demain, pour célébrer votre appartenance à l’Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
Alors qu’une nouvelle attaque massive de la Russie est à craindre au printemps, il nous incombe de continuer, encore et toujours, à soutenir les Ukrainiens dans la résistance. Madame la Première ministre, quel nouveau soutien militaire la France entend-elle fournir dans ce cadre, en coordination avec ses alliés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem. – M. Henri Alfandari applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marine Le Pen.
Mme Marine Le Pen
Madame la Première ministre, monsieur le président de la Rada, chers collègues, nous sommes profondément touchés par le drame que subit le peuple ukrainien. C’est pourquoi nous avons toujours condamné l’invasion du territoire souverain de l’Ukraine et appelé au rétablissement des principes du droit international, piétinés depuis bien trop d’années par ceux qui devraient les défendre.
Cette guerre européenne fratricide a vu naître une remarquable mobilisation, qui cherche à atténuer la souffrance de ceux qui subissent le conflit. Elle est le témoignage de notre identité, car elle n’est pas née uniquement de l’action des nations, mais également des initiatives locales, qui ont rassemblé dans un même élan les peuples et leurs corps politiques. L’accueil des réfugiés et le soutien matériel nécessaire à un peuple souffrant du froid et de la faim sont admirables. Mais si nous comprenons la politique de livraison d’armes défensives, qui traduit la volonté de défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale des nations, il est légitime de s’interroger sur une poursuite de l’escalade, dont l’issue nous est inconnue. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Un député du groupe RE
On vous voit venir !
Mme Marine Le Pen
Au-delà du drame humain, la poursuite de cette guerre risque de renverser définitivement l’équilibre du monde : la victoire militaire de la Russie lancerait un signal dramatique à ceux qui pensent pouvoir, demain, régler leurs conflits territoriaux par la force ; la livraison au compte-gouttes d’armements offensifs signerait probablement une guerre de Cent Ans ; et un engagement total de l’Otan, seule hypothèse permettant véritablement d’envisager une victoire de l’Ukraine, conduirait à une troisième guerre mondiale. Si le conflit n’est pas résolu par la voie diplomatique, les pays qui siègent au Conseil de sécurité des Nations unies auront échoué à défendre la paix. Ils seront retournés à l’application de la loi du plus fort, annihilant ainsi la souveraineté des peuples et l’espoir d’une justice internationale. C’est pourquoi nous soutenons les actions diplomatiques du Gouvernement en faveur de la paix. (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe RE.)
L’instabilité géopolitique mondiale, conséquence des choix de la Russie, nous oblige à une grande prudence. Ne mésestimons pas non plus les nouvelles alliances de la Russie qui, séparée de l’Europe, est devenue un partenaire privilégié de l’Inde et de la Chine. Alors que la paix a disparu des consciences, il est nécessaire de commencer dès aujourd’hui son édification. C’est pourquoi je vous demande solennellement, madame la Première ministre, si le Président de la République peut faire entendre au monde qu’un espoir demeure en organisant avec l’ensemble des parties une grande conférence pour la paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Marcangeli.
M. Laurent Marcangeli
Monsieur le président de la Rada, je vous remercie pour votre intervention. Votre présence ici nous engage : j’avais déjà eu l’occasion de le faire chez vous, à Kyïv, en décembre, mais au nom du groupe Horizons et apparentés, que je préside, je veux vous assurer à nouveau de tout notre soutien.
Près d’un an après le début de la guerre en Ukraine, et quatre-vingt-dix ans après la plus grande famine que le pays ait connue, voilà que resurgit le spectre de l’Holodomor – M. le président l’a évoqué. La Russie menace une nouvelle fois la sécurité alimentaire des peuples, c’est donc nécessairement l’affaire de tous. Rappelons qu’avant l’invasion russe, l’Ukraine était le quatrième exportateur mondial de maïs et de blé. Mais avec la guerre, la Russie a d’abord imposé un blocus en mer Noire, qui n’a ensuite été levé qu’au prix d’âpres négociations et d’un contrôle accru sur les exportations maritimes.
Depuis s’ajoutent au manque de carburant les dommages continuellement infligés aux infrastructures de stockage et aux machines agricoles. Les agriculteurs sont donc en première ligne dans ce conflit. Il a fallu aider l’Ukraine à écouler sa production en dépit des blocus. La France et l’Union européenne l’ont fait, en créant des corridors de solidarité qui lui ont permis de dégager 15 milliards d’euros de revenus ; il reste que les capacités du dispositif sont limitées par son coût logistique et par des goulets d’étranglement. Pour qu’il continue de porter ses fruits, si j’ose dire, des investissements supplémentaires devront être consentis. De surcroît, l’Union européenne finance, avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un programme de soutien aux agriculteurs ukrainiens.
Si, face à l’invasion russe, l’aide militaire constitue une nécessité à court terme, nous devons également nous engager pour faire en sorte que ce conflit n’aggrave pas une famine mondiale déjà fortement accrue par les sécheresses qui frappent le continent africain. Par conséquent, madame la Première ministre, ma question sera double : premièrement, dans l’éventualité d’un nouveau blocus en mer Noire, comment pouvons-nous améliorer et pérenniser les corridors de solidarité ? Deuxièmement, est-il possible d’envisager d’autres programmes de soutien aux agriculteurs ukrainiens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR, ainsi que sur quelques bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Après avoir entendu dans l’hémicycle, à la fin de la précédente législature, le président Zelensky s’exprimer depuis Kyïv, après avoir rencontré le Premier ministre ukrainien, M. Chmygal, dans l’enceinte du Palais-Bourbon, je tiens à remercier le président de la Rada pour l’honneur qu’il fait à la représentation nationale française et à vous renouveler en sa présence, madame la Première ministre, l’expression du soutien indéfectible des députés du groupe Socialistes et apparentés à l’action française et européenne en faveur de l’Ukraine (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et RE) depuis ce funeste 24 février, ainsi qu’aux sanctions prises contre la Russie de Vladimir Poutine et ses dirigeants.
Les occasions ne nous ont d’ailleurs pas manqué de manifester ce soutien par le dépôt ou le vote de résolutions, mais aussi, de manière plus directe, par la voix de Valérie Rabault lorsque celle-ci vous a accompagnée, madame la présidente, ainsi qu’une délégation de députés, en Ukraine. Nous sommes désormais nombreux à nourrir l’espoir, j’oserai même dire la conviction, que la victoire sur l’obscurantisme du régime de Poutine est non seulement possible mais, pour nous tous, nécessaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.) Cette victoire ne sera complète que lorsque l’Ukraine aura recouvré sa pleine et entière souveraineté, c’est-à-dire ses frontières internationalement reconnues, celles de 1991 (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et RE. – Mme Lisa Belluco applaudit également) ; elle suppose également la création d’un tribunal spécial visant à établir les responsabilités et juger les auteurs des crimes commis lors de la guerre, le versement d’indemnités, la libération de tous les Ukrainiens déportés en Russie.
Cependant, je voudrais à présent, madame la Première ministre, vous interroger au sujet d’une autre aide que nous devons à l’Ukraine. Après un tel conflit, gagner la paix, une paix civile durable, constitue un défi non moins vertigineux que de gagner la guerre. Si l’unité des Ukrainiens force aujourd’hui l’admiration, ils retrouveront dans la victoire les divisions politiques et culturelles qui, comme dans tout autre État, existaient avant la guerre ; s’y superposeront les cicatrices et traumatismes du conflit, l’expérience de la mort, de l’exil en Europe pour les uns, de la déportation en Russie pour les autres, de la résistance aux forces d’occupation, ou au contraire d’un rôle de supplétif de celles-ci, comme nous le rappellent les récentes lois ukrainiennes ayant trait à la collaboration. Des tensions pourraient se faire jour, et avec elles une forme d’instabilité.
Dès lors, ma question est la suivante : comment faire en sorte qu’à l’union dans la guerre succèdent l’union dans la paix, la concorde, la réconciliation ? Madame la Première ministre, comment les autorités françaises, en lien avec les autorités ukrainiennes et nos partenaires européens, peuvent-elles anticiper ce formidable défi : aider l’Ukraine, notamment grâce au processus d’adhésion à l’Union européenne, à retrouver sa paix intérieure ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, ainsi que sur quelques bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Louis Bourlanges.
M. Jean-Louis Bourlanges
Au-delà de la guerre, au-delà du devoir de solidarité collective, durable, sans faille, qui est le nôtre jusqu’à la libération du peuple ukrainien et au rétablissement de sa souveraineté dans les limites internationalement reconnues de son territoire, je souhaiterais aborder une question proche de l’impératif catégorique : celle du sens profond que revêt la promesse d’une adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Porte-parole d’un groupe passionnément attaché à la construction de l’Europe, je vous invite, madame la Première ministre, à tordre le cou à l’idée perverse selon laquelle cette adhésion sonnerait le glas de l’aventure communautaire, telle qu’à l’appel des Français et des Allemands, nous l’avons conçue et menée à partir du 9 mai 1950. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – M. Guillaume Garot applaudit également.) Nous, au MODEM, faisons le pari inverse : nous attendons de ce grand rendez-vous un double enrichissement de notre projet commun. Par son courage, par son héroïsme, l’Ukraine nous enseigne que le droit n’est rien quand la force n’est pas, que l’exemplarité est vaine quand l’esprit de résistance fait défaut (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe RE. – M. Dominique Potier applaudit également), que l’Union ne sera qu’une apparence si elle ne se donne pas les moyens d’armer ses valeurs. Grâce à vous, chers amis d’Ukraine, nous faisons enfin nôtres les paroles que Thucydide prête à Périclès : « Il n’y a pas de bonheur sans liberté, ni de liberté sans vaillance ».
Si l’Ukraine nous rappelle au devoir de vaillance nous lui ouvrons un monde dont l’accès lui avait jusque-là toujours été refusé : un monde où la force n’exclut pas le droit, où l’on sait que l’on ne défend vraiment ses intérêts légitimes qu’à la condition de prendre en compte ceux des autres, où les gens s’envisagent au lieu de se dévisager, où nul n’ignore qu’il n’est pas d’élargissement qui vaille sans un solide renforcement des institutions communes. C’est la rencontre de ces deux exigences qui fera de l’Europe un acteur à part entière. En 1051, Anne de Kyïv, fille de Iaroslav le Sage, devenait reine de France par son mariage avec Henri Ier, troisième souverain de la dynastie capétienne. Mille ans ont passé depuis lors, et la princesse d’Ukraine, naguère lointaine, désormais toute proche, est de retour parmi nous. Puissions-nous, madame la Première ministre, mes chers collègues, l’accueillir pour ce qu’elle est devenue : une immense figure de résistance, qui s’est donné la mission d’arracher nos peuples désorientés à leur somnolence historique et qui, pour citer Malraux, porte aux yeux du monde l’honneur de l’Europe entière « comme un invincible songe ». (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, ainsi que sur de nombreux bancs des groupes RE et HOR. Plusieurs députés appartenant à ces trois groupes se lèvent.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
À travers vous, monsieur le président de la Rada, vous qui combattez avec courage, avec force, avec détermination l’invasion russe, c’est le peuple ukrainien que je souhaite saluer : face à vous, le mythe de la puissance russe s’est étiolé. Au nom du groupe écologiste, je tiens à vous assurer de notre soutien et de notre solidarité. Dans ce combat, l’Ukraine défend des valeurs que nous partageons : liberté et démocratie. Par conséquent, c’est l’honneur de la France que d’avoir accueilli les Ukrainiens arrachés à leur maison, à leur famille, à leurs amis.
La Russie de Vladimir Poutine espérait isoler l’Ukraine de l’Europe : elle nous a rapprochés. Nos peuples n’ont jamais été aussi liés ; demain, une Ukraine rétablie dans son intégrité territoriale intègrera pleinement l’Union européenne. Face au retour de la guerre à ses portes, celle-ci n’a pas failli : des sanctions ont été prises, la solidarité internationale, européenne, française s’est organisée en vue de fournir aide humanitaire et matériel militaire. Une telle solidarité se révèle indispensable à la victoire, puisque la stratégie russe consiste à priver l’Ukraine et les Ukrainiens de tout : d’énergie, de soins, d’eau potable et, autant que possible, d’avenir. La guerre brise des vies – peut-être est-ce là un lieu commun, mais il convient de le rappeler lorsque tout un peuple subit les bombardements, les tortures, les viols, la mort. La guerre empoisonne des terres : les munitions dispersées, les mines enfouies sur plus de 250 000 kilomètres carrés mettent en danger la vie des Ukrainiens et contaminent les sols les plus fertiles d’Europe. La guerre saccage un pays et son patrimoine : 200 000 hectares de forêt brûlés, 900 aires naturelles protégées et un tiers des espaces protégés affectés par le conflit.
Enfin, cette guerre met l’Europe en danger. Les infrastructures nucléaires ukrainiennes sont régulièrement prises pour cibles ; devenues des zones de combat, leur sécurité n’est jamais complètement garantie. Elles constituent ainsi un péril non seulement pour l’Ukraine mais, je le répète, pour toute l’Europe, d’autant que le nucléaire est aussi un levier d’influence au sein d’un monde incertain où l’indépendance énergétique devient cruciale. Pendant des années, nous avons fait de Poutine un partenaire politique, car l’Union européenne ne pouvait se passer des énergies fossiles russes ; aujourd’hui, l’uranium russe demeure susceptible, par l’intermédiaire de l’entreprise Rosatom, de se transformer en outil de chantage. Nous devons mettre un terme à tout ce qui nous maintient dans la dépendance vis-à-vis de la Russie ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Madame la Première ministre, alors que l’uranium a été exclu du champ de l’embargo décidé à l’encontre de la Russie, comment comptez-vous soustraire enfin la France à ce levier d’influence russe et l’émanciper de ses fournisseurs d’uranium autoritaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Naegelen.
M. Christophe Naegelen
Je tenais à saluer tout d’abord le courage des Ukrainiens, hommes et femmes, qui vivent désormais depuis un an sous une menace constante : ils ont montré au monde entier ce que signifie l’engagement d’un peuple résolu à défendre son territoire. Depuis février dernier, la Russie a fait le choix de la guerre, de l’escalade ; la France reste aux côtés du droit, en ce sens que, comme il est normal, elle prend toute sa part de l’aide fournie à un État voisin et ami en détresse. De manière régulière, appuyée, suivie, nous apportons ainsi à l’Ukraine un soutien diplomatique et matériel, et nous affirmons notre sincère solidarité avec le peuple ukrainien. Cette aide n’est pas uniquement nationale, du ressort de l’État : elle provient de toutes les strates territoriales – communes, départements, régions, comme le Grand Est en offre un parfait exemple.
En plus de la diplomatie, de l’humanitaire, de l’armement, nombreux sont les domaines dans lesquels notre pays dispose d’une réelle expertise. Nous comptons beaucoup d’entreprises dont les compétences peuvent et doivent être mises au service de cette cause ; il convient de mobiliser ces acteurs économiques au service de la population ukrainienne afin de bâtir la paix qui succédera à la guerre et que nous appelons de nos vœux. Dès à présent, il faut identifier les besoins, déterminer les secteurs prioritaires, reconstruire les infrastructures civiles détruites, qu’il s’agisse d’accès à l’énergie, à l’eau, aux produits agroalimentaires, à la santé, à l’éducation, aux transports.
Madame la Première ministre, ma question sera simple : comment la France se positionne-t-elle, y compris en se coordonnant avec les autres États membres de l’Union européenne, en vue de prendre part à moyen et long terme à l’effort de reconstruction de l’Ukraine ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Il y a près d’un an, la Russie lançait une offensive contre l’Ukraine – une attaque fondée sur des mensonges, au mépris de toutes les règles du droit international, une attaque brutale et meurtrière.
Depuis près d’un an, l’Ukraine subit les assauts et les bombardements russes. Civils, hôpitaux, écoles et même convois humanitaires sont ciblés. Mais depuis près d’un an, l’Ukraine résiste, tient et repousse les forces russes.
Monsieur le président Rouslan Stefantchouk, je veux saluer votre présence à l’invitation de la présidente Yaël Braun-Pivet. À travers vous, je veux dire mon respect et mon admiration pour le courage exceptionnel des forces armées et du peuple ukrainien. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR et sur plusieurs bancs des groupes LR, SOC et Écolo-NUPES.) Monsieur le président, en attaquant votre pays, ce sont nos valeurs que la Russie cherche à atteindre. Ce sont les droits humains, la liberté et la démocratie, qu’elle a voulu faire plier. Nous devons défendre ces valeurs. La lâcheté aujourd’hui provoquerait les conflits demain. Alors, comme l’a assuré le Président de la République, nous sommes et nous resterons avec vous jusqu’à la victoire.
Mesdames et messieurs les députés, le soutien de la France, de l’Europe et des alliés passe d’abord par des livraisons d’armements. Nous sommes l’un des premiers contributeurs dans la livraison d’équipements, de munitions et dans la formation de centaines de soldats ukrainiens. Ce sont des équipements qui font la différence sur le terrain. Je pense aux canons Caesar, aux lance-roquettes unitaires ou encore aux systèmes antiaériens Crotale. Début janvier, le président Emmanuel Macron a annoncé la livraison de chars légers AMX-10 RC, répondant à la demande ukrainienne en matière de blindés et lançant une dynamique. Depuis, d’autres pays ont annoncé la livraison de chars à l’Ukraine. Nous sommes prêts à étudier les demandes supplémentaires des Ukrainiens, en veillant au respect de trois principes. D’abord, notre aide ne doit pas provoquer d’escalade. Ensuite, elle doit être utile et efficace rapidement. Enfin, elle ne doit pas affaiblir nos propres capacités de défense. Celles-ci augmenteront significativement ces prochaines années, comme le proposera le futur projet de loi de programmation militaire. Sur ces fondements, le ministre des armées étudie les options possibles. Chaque pays dispose de domaines d’excellence et nous devons nous coordonner au mieux avec nos alliés. Par ailleurs, nous avons créé un fonds spécial de soutien de 200 millions d’euros pour permettre à l’Ukraine de commander les équipements auprès des industriels français. Enfin, nous prenons toute notre part dans la Facilité européenne pour la paix, qui aide à équiper et à former les forces ukrainiennes.
Mais notre soutien à l’Ukraine ne se limite pas à la question des équipements, loin de là. Notre réponse face à l’agression, ce sont également les sanctions contre la Russie. En lançant cette guerre, la Russie pensait diviser l’Union européenne. Elle a échoué : au contraire, nous avons fait bloc. Moins de vingt-quatre heures après l’attaque, un premier paquet de sanctions était adopté. Aujourd’hui, nous en avons adopté neuf. Finance, banque, commerce, propagande, intérêts des oligarques : ce sont des sanctions fortes, massives, dans tous les domaines. Notre but est de rendre le coût de la guerre insupportable pour la Russie. Et n’en déplaise aux admirateurs des régimes forts, ces sanctions fonctionnent.
M. Thomas Rudigoz
Oui.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Paralysie du système productif, difficultés à réorienter les exportations, difficultés d’approvisionnement : la récession russe devrait atteindre 5,5 % en 2023 selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Bien sûr, cette guerre a des conséquences sur nos compatriotes. C’est pourquoi nous avons adopté les mesures les plus protectrices d’Europe face à la montée des prix. La France est un des pays où l’inflation est la plus faible en Europe et, avec le Gouvernement, nous continuerons à protéger nos compatriotes contre les conséquences du conflit.
Notre soutien à l’Ukraine est également diplomatique. Il vise à isoler chaque jour davantage la Russie sur la scène internationale. Aujourd’hui, les faits sont là. L’adoption des résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU de mars et octobre 2022, par une très large majorité d’États, l’a montré. J’ajoute que nous avons reconnu pleinement l’appartenance de l’Ukraine à la famille européenne. Je pense notamment à la décision historique du Conseil européen de juin dernier, qui lui a accordé à l’unanimité le statut de candidat.
Mais notre soutien est aussi humanitaire. Plus de 275 millions d’euros ont été mobilisés et 2 700 tonnes de matériel livrées par la France. La conférence « Solidaires du peuple ukrainien », organisée à l’initiative du Président de la République en décembre dernier à Paris, a permis de recueillir 1 milliard d’euros d’engagements nouveaux concentrés sur l’aide d’urgence pour permettre à l’Ukraine de passer l’hiver. Pour sa part, la France a donné la priorité au secteur énergétique, avec notamment la fourniture à l’Ukraine de générateurs électriques de haute puissance ou encore de millions d’ampoules LED. La conférence a également abouti à la mise en place du mécanisme de Paris, qui permet de faire le lien entre les demandes exprimées par les autorités ukrainiennes et les dons internationaux.
Ce soutien humanitaire va de pair avec l’accueil sur notre territoire de personnes fuyant la guerre. Plus de 100 000 ressortissants ukrainiens ont été accueillis et près de 20 000 enfants scolarisés. Je veux saluer ici la mobilisation des associations, des ONG, des collectivités et de nos concitoyens. J’ajoute que l’Europe a été au rendez-vous : la protection temporaire a été accordée aux déplacés ukrainiens. C’était une première.
Notre soutien consiste enfin à accompagner dès maintenant la reconstruction de l’Ukraine. À la conférence de Lugano, début juillet, nous avons décidé de parrainer la reconstruction de l’oblast de Tchernihiv, selon le mécanisme proposé par le président Zelensky. Une plateforme sur la reconstruction réunit désormais les membres du G7 et les institutions financières internationales ; nous y prenons toute notre part. En parallèle, et après la conférence de Berlin d’octobre dernier, nous avons mobilisé à Paris plus de 700 entreprises pour contribuer à la reconstruction du pays.
Au-delà de son soutien à l’Ukraine, notre pays, avec l’Europe, tient son rang face aux crises provoquées par ce conflit, notamment face au risque de pénurie alimentaire mondiale. Dès le mois de mars dernier, le Président de la République a pris les devants en lançant l’initiative Farm – mission pour la résilience alimentaire et agricole. L’initiative des corridors de solidarité destinée à répondre au blocus imposé par la Russie a permis d’exporter plus de 23 millions de tonnes de produits céréaliers d’Ukraine par voie terrestre. Avec les exportations permises par l’initiative céréalière en mer Noire, ce sont plus de 37 millions de tonnes de produits agricoles qui ont été exportées vers le marché mondial. Dans le même temps, nous soutenons les efforts de la Roumanie en soutenant les capacités logistiques et de navigation dans les ports de Galati et de Sulina. Nous livrerons prochainement une première pilotine.
Pour être efficace, notre action doit être coordonnée. Sur tous les sujets, elle s’inscrit dans un cadre européen. Dans ce contexte, je me réjouis qu’un sommet entre l’Union européenne et l’Ukraine se tienne ce vendredi 3 février. Il sera l’occasion de réaffirmer le caractère indéfectible de notre soutien, qui se chiffre aujourd’hui à près de 50 milliards d’euros, tous sujets confondus. Surtout, ce sommet sera l’occasion de rappeler notre volonté commune de poursuivre et d’intensifier notre action.
Nous resterons aux côtés de l’Ukraine tout au long du conflit mais la paix se construira autour d’une table de négociation. Nous saluons et nous soutenons la proposition de paix en dix points du président Zelensky. Une fois de plus, l’Ukraine cherche les conditions de la paix quand la Russie entretient les conditions de la guerre. Avec l’Europe, avec les alliés, nous serons jusqu’au bout aux côtés des Ukrainiens, jusqu’au bout pour défendre nos valeurs, et jusqu’au bout nous protégerons les Français des conséquences de la guerre. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR, et sur quelques bancs des groupes LR et SOC.)
Mme la présidente
Merci, madame la Première ministre, et merci au président Stefantchouk. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et, se tournant vers la tribune, applaudissent longuement M. Rouslan Stefantchouk.)
3. Communications de Mme la présidente
Mme la présidente
Je suis heureuse de souhaiter la bienvenue à nos deux nouveaux collègues élus dimanche dernier : M. René Pilato, député de la première circonscription de Charente (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES) et Mme Laure Miller, députée de la deuxième circonscription de la Marne. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Je salue également la réélection de M. Bertrand Petit, député de la huitième circonscription du Pas-de-Calais. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Enfin, je vous informe que j’ai reçu du Conseil constitutionnel communication d’une décision portant annulation de l’élection législative des 12 et 19 juin 2022 dans la première circonscription de l’Ariège, à la suite de laquelle Mme Bénédicte Taurine avait été proclamée élue.
4. Questions au Gouvernement (suite)
Mme la présidente
Nous en venons aux questions au Gouvernement.
Emploi public et réforme des retraites
Mme la présidente
La parole est à Mme Charlotte Leduc.
Mme Charlotte Leduc
Ma question s’adresse à Mme la Première ministre. Vendredi dernier, le collectif « Nos services publics » publiait une note qui a de quoi nous laisser perplexes, notamment en ce jour où nos concitoyens déferlent par millions dans la rue pour vous dire que le retrait de votre réforme n’est pas négociable ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.) Cette note est intitulée « Le déficit est-il artificiellement gonflé pour justifier la réforme ? »
Le déficit de notre système de retraites par répartition, qui vous sert d’épouvantail pour justifier de voler leurs deux plus belles années de retraite à l’ensemble de nos compatriotes, dépend pour une part significative de l’emploi public. Plus de masse salariale publique, c’est plus de cotisations dans les caisses de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Or, entre juin 2021 et septembre 2022, les projections d’emploi public produites par Bercy – par vos services ! – et transmises au Conseil d’orientation des retraites – COR – pour réaliser ses calculs ont été très fortement dégradées. Ces projections prévoient en effet, pour la fonction publique d’État et territoriale, l’impossibilité de recruter au-delà du remplacement des départs pendant toute la durée du quinquennat – c’est-à-dire une rigidification des recrutements dans les services publics inédite depuis 2012. Concernant les salaires, les hypothèses retenues par le Gouvernement prévoient un quasi-gel des rémunérations sur toute la durée du quinquennat – donc en réalité, en tenant compte de l’inflation, une baisse de près de 11 % de la rémunération réelle des fonctionnaires entre 2022 et 2027.
Si la masse salariale publique évoluait comme la masse salariale totale des secteurs public et privé, la moitié du déficit des retraites serait comblée à horizon 2030, avec une hausse de 3,3 milliards d’euros de cotisations. Je vous pose clairement la question, madame la Première ministre : envisagez-vous de mettre en danger le fonctionnement de nos services publics, déjà à l’os, tout en rabotant drastiquement le pouvoir d’achat des fonctionnaires déjà dans la galère ? Ou justifiez-vous votre réforme injustifiable et brutale par un déficit artificiellement gonflé et dramatisé ?
Où se situe votre mensonge ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur quelques bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Benjamin Lucas
Et du retournement de veste !
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
Permettez-moi d’apporter d’abord une réponse à votre question précise puis de revenir sur ce qui sous-tend son idée générale. Vous évoquez les hypothèses retenues dans le rapport du COR en matière d’évolution de la rémunération des agents publics. Je voudrais d’abord dire, concernant les hypothèses d’évolution de la rémunération et des effectifs des fonctions publiques territoriale et hospitalière, que le COR a retenu les mêmes que dans ses rapports précédents.
M. Boris Vallaud
Fournies par Bercy !
M. Olivier Dussopt, ministre
Le choix des hypothèses ne soulève donc pas de difficulté majeure. La Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), qui gère les retraites de ces deux fonctions publiques, accuse il est vrai un déficit de 6 à 8 milliards d’euros, alors qu’elle couvre environ 10 % de la population active et 10 % des retraités.
S’agissant de la fonction publique d’État, l’argument que vous souhaitez déployer ne tient pas puisque l’État assure l’équilibre du régime de retraite de ses fonctionnaires…
M. Pierre Cordier
Vous avez voté un budget en déficit de 155 milliards d’euros !
M. Olivier Dussopt, ministre
…à tel point que le taux de cotisation de l’État dépasse 75 % pour les agents administratifs et 125 % pour le personnel militaire. Les variations de rémunération des agents publics, quelles qu’elles soient, n’ont pas d’impact sur le solde du système de retraite. J’espère vous avoir ainsi convaincue que vos arguments ne tiennent pas.
Votre question me permet de rappeler que la réforme est nécessaire, pour une seule raison : alors qu’il y avait 3 cotisants pour un retraité dans les années soixante-dix, il n’y a plus aujourd’hui que 1,7 cotisant pour un retraité et il n’y en aura plus demain que 1,2. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Paul Vannier
Vous avez supprimé des postes de fonctionnaires !
M. Olivier Dussopt, ministre
Cela se traduit dans les chiffres : le déficit atteindra 1,8 milliard d’euros par an dès 2023 et se creusera année après année, pour atteindre 12,5 milliards par an en 2027 et 25 milliards en 2035. Si on ne fait rien, nous aurons en dix ans 150 milliards d’euros de dette supplémentaire. Notre responsabilité, celle que nous assumerons…
M. Jérôme Guedj
C’est de faire payer les gens !
M. Olivier Dussopt, ministre
…c’est de sauver le système par répartition. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Jérôme Guedj
Vous n’avez même pas réussi à convaincre dans votre propre camp !
Zones à faibles émissions
Mme la présidente
La parole est à Mme Laure Miller.
Mme Laure Miller
Permettez-moi d’exprimer ma fierté d’être à vos côtés aujourd’hui, pour la première fois. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Je veux vous faire part d’une forme de satisfaction à voir le Rassemblement national reculer dans notre hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Alexandre Loubet
C’est grâce à la NUPES et à Mélenchon !
Mme Laure Miller
Je veux aussi dire ma reconnaissance à l’égard des électeurs de la deuxième circonscription de la Marne. Le mandat qu’ils m’ont confié m’honore et, surtout, m’oblige.
M. Pierre Cordier
Un Playmobil de plus !
Mme Laure Miller
La majorité est très engagée en faveur de la préservation de l’environnement, et plus particulièrement de la qualité de l’air. À cet égard, les zones à faibles émissions (ZFE) sont un outil utile : en tant qu’adjointe au maire de Reims et avec la participation des élus locaux, nous avons établi une ZFE que nous avons voulue très pragmatique et la plus adaptée possible à notre territoire. Mais nous avons ressenti une forme de défiance de la part de certains de nos concitoyens à l’égard de cette ZFE,…
M. Sébastien Chenu
À juste titre !
Mme Laure Miller
…défiance d’ailleurs largement instrumentalisée et alimentée par le Rassemblement national, à l’occasion de l’élection législative qui vient de se dérouler. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Le Rassemblement national a choisi un nouveau cheval de bataille pour opposer les Français les uns contre les autres – urbains contre ruraux, modestes contre plus fortunés – et faire primer le principe de libre circulation sur un objectif de santé publique, l’amélioration de la qualité de l’air.
M. Maxime Minot
Voilà un beau Playmobil !
Mme Laure Miller
Comment accompagner les habitants lors de l’installation d’une ZFE ? Comment les convaincre qu’il s’agit d’une mesure juste ? Comment aider les plus modestes d’entre eux ? Comment agir en faveur des habitants de notre belle ruralité ? Surtout, comment concilier la préservation de l’environnement et la liberté de circulation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
M. Sébastien Chenu
Elle est nulle !
M. Alexandre Loubet
Rendez-nous Anne-Sophie !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Maxime Minot
Et des bigoudis !
M. Pierre Cordier
Et des chasses traditionnelles…
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Je vous félicite, madame la députée, d’avoir remporté cette élection sur votre nom, après avoir été attaquée en tant qu’adjointe à l’environnement d’une ville qui a mis en place une zone à faibles émissions.
M. Laurent Jacobelli
Invalidez-la !
M. Christophe Béchu, ministre
Le RN n’a eu de cesse de relater les mêmes fake news, les mêmes intox…
M. Sébastien Chenu
Nous vous obsédons !
M. Christophe Béchu, ministre
…expliquant que l’objectif de cette mesure était d’ennuyer les Français plutôt que de les protéger. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
M. Grégoire de Fournas
C’est faux !
M. Christophe Béchu, ministre
La méthode utilisée à Reims pour installer une ZFE s’appuie sur l’intelligence locale et la concertation, par exemple pour déterminer quelles dérogations pouvaient être accordées – en faveur des personnes atteintes d’affections de longue durée, en cas de déménagement ou encore pour les artisans. Les élus locaux se sont saisis du sujet et la preuve est faite que l’idée selon laquelle l’accès à la ville serait interdit au plus grand nombre n’est qu’un fantasme éloigné de toute réalité.
Mme Sophie Blanc
Non, c’est la réalité !
M. Christophe Béchu, ministre
Comme vous l’avez rappelé, l’enjeu est de préserver la santé de nos concitoyens : près de 47 000 personnes décèdent chaque année de la pollution de l’air, soit une perte d’espérance de vie pouvant atteindre deux à trois ans. (Protestations sur les bancs du groupe LR.) Manifestement, certains, en plus d’être climatosceptiques, doutent du lien entre cancers et pollution de l’air – laquelle provoque notamment la mort d’une partie de nos concitoyens les plus fragiles ! L’honneur de la politique, c’est précisément de les protéger,…
M. Alexandre Loubet
Et de taper sur les pauvres !
M. Christophe Béchu, ministre
…y compris en tordant le cou à la démagogie ! Je pense à ceux qui vous expliquent qu’ils sont d’accord avec l’objectif mais qui sont aux abonnés absents dès qu’il s’agit de passer aux actes ! Alors, madame la députée, je vous dis bravo, merci et bienvenue ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
Lutte contre le terrorisme en Israël
Mme la présidente
La parole est à M. Meyer Habib.
M. Meyer Habib
Vendredi dernier, nous avons célébré vendredi le 78e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz à l’occasion de la Journée internationale de commémoration de la Shoah : 6 millions de Juifs, dont 2 millions d’enfants, déportés, gazés, brûlés, victimes de la folie meurtrière de la barbarie nazie, dans le silence des nations.
Après un exil de deux mille ans, après l’Inquisition, après les pogroms cosaques, après la Shoah, le peuple juif est retourné à Jérusalem, sa terre ancestrale. En 1948, l’État d’Israël renaît – un État démocratique, moral et fort.
Non, que ce soit clair : l’État d’Israël n’est pas une compensation de la Shoah, car le sionisme existe depuis deux mille ans. Mais la réalité est que si l’État d’Israël avait existé à cette époque, il n’y aurait jamais eu la Shoah – la Shoah que le régime sanguinaire iranien rêve de reproduire.
C’est ce 27 janvier, jour symbolique, qu’un djihadiste a choisi pour abattre à Jérusalem, devant une synagogue, sept civils, dont une réfugiée ukrainienne – j’ai une pensée pour eux et leurs familles.
Si la France a condamné cet attentat – je m’en réjouis –, une certaine gauche et des grands médias parlent de « colons juifs » et d’« ultraorthodoxes » pour justifier à demi-mot le terrorisme, le même que celui qui frappe aussi à Paris ou à Nice. Pas un mot de condamnation de la part de ceux-là mêmes qui, deux jours plus tôt, parlaient de massacres alors qu’Israël ne fait que se défendre et éliminer des bombes à retardement humaines avant qu’elles ne passent à l’acte. Pour cette gauche, tuer des Juifs, c’est de la résistance !
Pire, ce sont les mêmes qui accueillent en héros à l’Assemblée nationale Salah Hamouri, cadre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation terroriste notamment responsable de l’attentat de la rue Copernic, qui a ensanglanté la France !
Célébrer, dans le temple de notre démocratie, un terroriste qui a reconnu avoir programmé l’attentat contre le grand rabbin d’Israël, voilà le nouvel antisémitisme. Je ne parle pas d’antisionisme mais bien d’antisémitisme !
M. André Chassaigne
Scandaleux !
M. Meyer Habib
Madame la Première ministre, ne jugez-vous pas intolérable la visite de Salah Hamouri à l’Assemblée nationale ? À quarante-huit heures de la rencontre, à l’Élysée, entre le Premier ministre israélien et le Président de la République, quels sont les gestes forts que la France compte accomplir afin de soutenir le gouvernement israélien dans la lutte contre le terrorisme ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et RN.)
M. André Chassaigne
Cette question est une honte !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Alexandre Loubet
Il fait quel temps à Kiev ?
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Monsieur le député, je comprends votre émotion et je la partage. Vendredi, un Palestinien radicalisé a ciblé une synagogue à Jérusalem, dans une attaque abjecte, le jour de shabbat, au sortir de la prière et, qui plus est, un 27 janvier, journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah.
Vous l’avez dit, la France a aussitôt condamné cet attentat dans les termes les plus clairs. Nos pensées vont aux familles des personnes décédées et aux blessés. Certains groupes terroristes, en Palestine et ailleurs, ont célébré cette attaque, dans une posture de haine méprisable qui ne résoudra rien – au contraire.
Semaine après semaine, nous assistons à une escalade très grave des tensions, en Israël et dans les Territoires occupés. On ne compte plus les actes de violence et les victimes. La trajectoire actuelle ne peut mener qu’à davantage d’affrontements, de haine et de souffrances. Il est indispensable de l’infléchir.
La France réitère sa position : elle est déterminée à œuvrer à la paix, sur la base du droit international et de la solution à deux États – la seule qui permettra aux Israéliens et aux Palestiniens de vivre en paix et en sécurité, comme ils en ont le droit.
Ce message constant de la France, le Président de la République le répétera au Premier ministre israélien, qu’il recevra jeudi soir. Pour ma part, je le porterai auprès d’autres pays de la région, où je me rendrai cette semaine. Il est urgent, tout autant que nécessaire, de restaurer un horizon politique qui manque aujourd’hui cruellement. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations
Mme la présidente
La parole est à Mme Astrid Panosyan-Bouvet.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet
Madame la ministre déléguée, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, nous saluons le lancement, par la Première ministre, du plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine, que vous avez la mission – magnifique – de conduire.
Le 20 janvier, le conseil scientifique de la Dilcrah, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, a été dissous par sa déléguée. Ce conseil composé d’universitaires, qui avait pour objet d’éclairer les politiques menées par la Dilcrah, était traversé depuis le mois de mai 2022 par de multiples tensions sur les questions de transidentité, liées à l’appartenance du président à l’Observatoire de la petite sirène. Cette association, jugée transphobe par certains membres du conseil scientifique, a été créée par Céline Masson et Caroline Eliacheff, deux psychanalystes qui dénoncent régulièrement les dérives potentielles du transgenrisme chez les mineurs.
S’il est tout à fait possible d’être en désaccord avec les positions de cet observatoire – la déléguée de la Dilcrah les a même portées sur le terrain pénal en les signalant au Parquet, sans succès d’ailleurs –, il ne semble pas que le débat ait eu lieu. L’accusation de transphobie dont les deux psychanalystes font l’objet est lourde. Elle soulève un problème spécifique, celui des mineurs. Doit-on considérer le désir de transition d’un enfant comme indiscutable, au point d’accéder à une demande de médicalisation, aux conséquences potentiellement irréversibles ?
M. Nicolas Meizonnet
La réponse est non !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet
Ou doit-on poser des conditions ? C’est tout le débat, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant – principe à valeur constitutionnelle.
En outre, cette dissolution nous conduit à nous interroger sur le respect des libertés académiques et plus largement, sur la protection de la liberté d’expression. Pouvez-vous nous éclairer sur les conditions de cette dissolution ? Nous comptons sur vous pour que le combat contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, que vous menez de façon déterminée dans le cadre de ce plan national, se poursuive en cohérence avec notre idéal républicain et universaliste. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs des groupes Dem et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances
La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations nous tient particulièrement à cœur et nous y consacrons toute notre énergie. Il nous revient de traquer inlassablement ces haines qui entaillent notre pacte social, fondé sur l’universalisme – un universalisme républicain, donc humaniste ; pas un universalisme dévoyé qui nie l’existence d’un monde pluriel. L’universalisme auquel nous aspirons est celui qui offre à chacune et à chacun la dignité qui lui revient. La Première ministre a présenté hier un plan de quatre-vingts mesures concrètes, que je suis fière de piloter aux côtés de ministres et d’une majorité engagés.
Le conseil scientifique dont vous avez évoqué la dissolution n’avait pas de cadre juridique ; ni sa composition ni ses missions n’étaient définies par un texte. Force est de constater qu’il ne produisait plus grand-chose depuis plusieurs mois. Dans la lutte contre notre ennemi commun, seule l’efficacité compte. C’est donc pour nous appuyer plus efficacement sur la communauté scientifique que nous avons choisi de renouveler les modalités de travail avec les chercheurs, dont l’expertise, dans divers domaines, est une ressource précieuse.
Nous avons la même ambition pour le futur plan de lutte contre la haine anti-LGBT+. Je serai toujours intraitable face aux haines, qu’il s’agisse du racisme, de l’antisémitisme, de l’homophobie ou de la transphobie – il n’y a pas de hiérarchie. Vous pouvez compter sur ma détermination pour les combattre sans relâche. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Réforme des retraites
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-France Lorho.
Mme Marie-France Lorho
Madame le Premier ministre, vous avez qualifié votre réforme de « réforme de justice ». Avec un âge légal de départ à la retraite fixé à 64 ans, que répondez-vous aux salariés qui devraient atteindre les quarante-trois annuités à 62 ans et devront travailler deux ans de plus que les autres ? Ce sont les mères de famille, les ouvriers, les employés et tous les travailleurs de seconde ligne – souvent des femmes – qui seront dans ce cas !
Vous avez également qualifié votre réforme de « réforme de progrès ». Or vous faites peser l’essentiel des efforts sur la classe moyenne. En quoi est-ce un progrès ? Plus les débats avancent, plus les Français découvrent la réalité de votre réforme, et plus ils y sont opposés – c’est assez logique.
M. Benjamin Lucas
Le RN n’a pas déposé un seul amendement ! Vous exercez votre droit à la paresse législative !
Mme Marie-France Lorho
Les manifestations du jour, complémentaires de l’opposition que nous menons ici sur divers bancs, illustrent bien cette opposition grandissante. Nous comprenons que vous ne soyez pas très à l’aise car, comme le rappelle le Conseil d’orientation des retraites (COR), ce ne sont pas les dépenses de retraite qui posent problème mais bien les recettes, ce qui découle directement de vos politiques.
Et comme si cela ne suffisait pas, après avoir délocalisé l’industrie française et ses emplois, après avoir détruit la productivité, base de notre modèle de retraite par répartition, le Gouvernement continue de tirer les salaires vers le bas avec le futur texte sur l’immigration. En effet, le titre de séjour pour les métiers en tension aggravera la paupérisation de notre pays et de nos travailleurs. Nous avons appris il y a quelques jours deux chiffres qui illustrent votre politique migratoire : en 2022, les motifs économiques sont en hausse de plus de 45 % et les régularisations de sans-papiers ont augmenté de 8 %.
Au lieu de servir les desiderata de la Commission européenne et, derrière, le lobby des fonds de pension, pourriez-vous, s’il vous plaît, écouter l’appel à l’aide des Français en leur épargnant cette réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
Vous interrogez Mme la Première ministre et le Gouvernement sur le relèvement progressif de l’âge de l’ouverture des droits de 62 à 64 ans. Est-ce un effort ? Oui, un effort de travail supplémentaire demandé aux Français pour garantir la pérennité du système par répartition. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Benjamin Lucas
Un effort qui leur est imposé, et non demandé !
M. Olivier Dussopt, ministre
Depuis le début des concertations, l’objectif que nous poursuivons avec la Première ministre est de faire en sorte qu’il soit le plus justement réparti.
M. Sébastien Jumel
C’est raté !
M. Jérémie Iordanoff
C’est mal barré !
M. Olivier Dussopt, ministre
Vous avez évoqué plus particulièrement la durée de cotisations et le cas de celles et ceux qui, au moment où ils atteindront l’âge légal, auront cotisé peut-être plus longtemps qu’exigé. C’est une situation qui existe déjà dans le système actuel : sur les 800 000 personnes qui partent chaque année à la retraite, 180 000 ont un nombre de trimestres cotisés supérieur à ce qui est requis. Retournons-nous vers le passé : avant que ne soit créé le dispositif pour carrière longue en 2003, …
M. Pierre Cordier
Merci François Fillon !
M. Olivier Dussopt, ministre
…l’âge de départ à la retraite était fixé à 60 ans et la durée de cotisation était de trente-sept ans et demi. Ceux qui commençaient leur carrière à 23 ans partaient donc autour de 60,5 ans en ayant travaillé exactement le temps requis tandis que ceux qui commençaient à 15 voire à 14 ans devaient travailler quarante-cinq ou quarante-six ans pour avoir le droit de partir à la retraite à 60 ans. Cet écart entre la durée minimale de cotisation requise et le nombre de trimestres cotisés par les assurés, le dispositif pour carrière longue a permis de le réduire et depuis, chaque réforme a contribué à le réduire davantage.
Il y a parfois dans le débat une facilité – mais je ne vise pas votre question, madame la députée – qui consiste à considérer la durée de cotisations requise comme un plafond. En réalité, depuis que notre système de retraite a été créé, la durée de cotisations nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein est un plancher. Je le redis, un quart des assurés travaillent déjà au-delà de ce qui est requis.
Tout ce que nous avons fait avec la Première ministre, c’est de réduire au maximum l’écart pour établir un maximum d’égalité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
M. Sylvain Maillard et M. Bruno Studer
Très bien !
Axe ferroviaire Clermont-Paris
Mme la présidente
La parole est à Mme Delphine Lingemann.
Mme Delphine Lingemann
Je souhaite associer à ma question ma collègue Laurence Vichnievsky ainsi que les parlementaires du Puy-de-Dôme et l’association Objectif capitales. Le prochain rapport sur la période 2023-2032 du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), présidé par notre collègue David Valence, est très attendu, à tel point que certains extraits sont d’ores et déjà connus.
L’Auvergne est le territoire métropolitain le plus mal relié à la capitale sur le plan ferroviaire.
M. André Chassaigne
Très juste !
Mme Delphine Lingemann
Le trajet entre Clermont-Ferrand et Paris prend trois heures trente, du moins quand tout va bien. (M. André Chassaigne applaudit.) De nombreuses défaillances techniques liées au vieillissement du matériel roulant et des infrastructures provoquent fréquemment des retards qui suscitent la colère des usagers. Victime de décennies de sous-investissements structurels et de promesses d’investissements non tenues, l’axe ferroviaire Clermont-Paris fait pourtant partie des trois lignes structurantes des trains d’équilibre des territoires (TET).
L’État s’est engagé financièrement à hauteur de 760 millions d’euros jusqu’en 2026. Toutefois, pour diverses raisons, des retards sont pris dans la régénération de la ligne et la livraison de nouvelles rames. (Exclamations sur quelques bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Agir au plus tôt pour garantir une ligne de qualité, durable et efficace est une question de survie pour notre territoire d’autant que, selon le rapport du COI, l’engagement de l’État prendrait fin en 2026. Or nous avons besoin de poursuivre les investissements pour moderniser la ligne et ramener le temps de trajet à deux heures trente.
M. Vincent Descoeur
Elle a raison !
Mme Delphine Lingemann
« La grande vertu du rapport du COI sera de mettre sur la table une liste de priorités et une nouvelle programmation » a déclaré le ministre délégué chargé des transports le 5 octobre dernier au Sénat. Mes questions seront simples : la ligne structurante Clermont-Paris fait-elle partie des priorités de l’État au-delà de 2026 ? Est-elle inscrite dans un programme de modernisation ? Si tel est le cas, pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Dem et LR. – Mme Christine Pires Beaune et M. André Chassaigne applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Madame la députée, j’ai le plaisir de vous répondre en l’absence de Clément Beaune. Le 24 février prochain aura lieu la réunion annuelle du comité de suivi des dessertes ferroviaires mais vous le savez, des réunions associant l’ensemble des parlementaires des départements traversés se tiennent à intervalles plus rapprochés pour se pencher sur ces questions. Après s’être rendu à Clermont et à Vichy, le ministre délégué chargé des transports a pris l’engagement de vous tenir régulièrement informés des actions engagées pour mettre fin aux retards que vous évoquez.
Il est prévu de consacrer 1,1 milliard d’euros à la régénération de la ligne Clermont-Paris et à l’amélioration du confort des usagers. Les rames devront être livrées dans leur totalité en 2026 et la première sera mise en circulation dès 2025. Malgré les incidents liés aux retards pris dans les travaux de régénération, la régularité s’est améliorée au premier semestre – le taux est de 86 % contre 78 % au semestre précédent – mais évidemment, ce sont ces travaux qui permettront à cette ligne structurante de trouver toute sa place dans la carte ferroviaire que nous avons définie.
Le rapport du COI présidé par votre collègue David Valence sera remis dans les prochains jours et viendra éclairer la méthodologie choisie par le Gouvernement pour tenir compte de ces enjeux. Il ne vous aura pas échappé, si vous avez pu en lire quelques pages, qu’il contient des propositions structurantes guidées par une ambition cohérente avec la transition écologique comme avec la nécessité de rapprocher les territoires et d’améliorer le confort des usagers. (Mme Delphine Lingemann et M. Nicolas Turquois applaudissent.)
Augmentation des tarifs des péages routiers
Mme la présidente
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Le 1er février, les tarifs des péages d’autoroute vont augmenter de près de 5 %. Face à ce racket, les gilets jaunes de Lyon mènent aujourd’hui une opération « péage gratuit » et je les soutiens. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.) Pour reprendre les mots de la CGT Énergie de Marseille, « c’est illégal, mais c’est moral ».
Selon Le Canard enchaîné, un rapport remis au ministre de l’économie il y a deux ans préconisait de baisser le prix de péages de 60 % mais vous l’avez gardé secret.
M. Benjamin Lucas
C’est scandaleux !
M. Antoine Léaument
M. Le Maire a déclaré au Medef : « un superprofit, je ne sais pas ce que c’est ». Eh bien, nous allons vous le dire : en 2021, les sociétés d’autoroutes ont réalisé 3,9 milliards de profits. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.) Et que font-elles fait de ces superprofits ? Augmentent-elles les salaires ? Non, elles donnent tout aux actionnaires : 3,3 milliards en 2023, soit 85 % des bénéfices !
Jean-Luc Mélenchon a raison : oui, accumuler ces milliards sur le dos des Français est immoral ; oui, ces actionnaires sont des parasites !
M. Pierre Cordier
Il est bien placé pour en parler, celui-là !
M. Antoine Léaument
Le Gouvernement s’engage-t-il à rendre public le rapport sur les autoroutes jusqu’à maintenant gardé secret ? Le ministre de l’économie et d’autres membres du Gouvernement ont-ils à titre personnel des conflits d’intérêts avec ces entreprises, chose qui pourrait expliquer un tel laxisme ? Le ministre va-t-il faire cesser le racket des automobilistes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)
À ces trois questions, j’ajoute un conseil : comme le proposait Jean-Luc Mélenchon, renationalisez les autoroutes, 77 % des Français y sont favorables ! (Mêmes mouvements.) Faites enfin respecter l’intérêt général et la volonté du peuple afin qu’ils l’emportent sur l’intérêt privé et l’égoïsme des riches. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
J’ai bien noté que votre question s’adressait à Bruno Le Maire et je vais vous y apporter une réponse.
M. Maxime Minot
Quelle polyvalence !
M. Christophe Béchu, ministre
Le 1er février, il y aura une augmentation des tarifs des péages, conformément aux clauses inscrites dans les contrats, qui prévoient une indexation sur l’inflation. Celle-ci n’est toutefois pas entièrement répercutée, selon les souhaits du Gouvernement. En outre, selon une clause spécifique, les véhicules électriques bénéficient d’une réduction de 5 % des prix au titre de la transition écologique.
L’essentiel de votre question n’est pas là, je l’ai bien compris. Si un rapport a été demandé, c’est pour obtenir davantage des sociétés concessionnaires d’autoroute (SCA) du point de vue fiscal.
Mme Clémence Guetté
Pourquoi l’avoir gardé secret ?
M. Christophe Béchu, ministre
Nous avons en ce moment deux contentieux avec des sociétés d’autoroute. Pour le premier, qui porte sur l’indexation de la taxe d’aménagement du territoire (TAT), nous avons gagné une manche le 13 janvier dernier devant le tribunal administratif.
Mme Clémence Guetté
Et vous, vous savez ce que c’est, les superprofits ?
M. Christophe Béchu, ministre
Le deuxième renvoie, quant à lui, à la contribution exceptionnelle des concessions autoroutières.
M. Patrick Hetzel
Comment répondre sans répondre !
M. Christophe Béchu, ministre
Ce rapport a pour but de nourrir l’argumentation du Gouvernement et le fait que des contentieux soient en cours explique qu’il n’a pas été encore publié. L’enjeu pour nous est de chercher l’argent dans ces profits importants, avec une obsession : la fin des concessions.
Mme Émilie Bonnivard
Nous l’attendons toujours !
M. Christophe Béchu, ministre
Vous dites que la solution serait de nationaliser les autoroutes mais cela impliquerait de consacrer 40 milliards d’argent public à leur rachat pour ensuite les financer. Ce n’est pas ce que la transition écologique commande de faire. Il faut au contraire prélever de l’argent sur les sociétés d’autoroutes pour être en mesure de financer le report modal, notamment sur le ferroviaire. Les SCA sont à ce titre les premières contributrices de l’AFITF France – Agence de financement des infrastructures de transport de France. (M. David Valence applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Eh bien, monsieur le ministre, vous devriez suivre les recommandations du rapport, alors : récupérez le contrôle des autoroutes dès 2026 ou taxez les sociétés à 63 %, voilà ce qu’il faut faire ! Là, vous ne faites qu’attendre et vous rendez l’État impuissant. Un peu de bonne volonté : les Français se font racketter et ils en ont ras le bol ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas et M. Jérôme Guedj applaudissent également.)
Écoles rurales
Mme la présidente
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari
Alors que les arbitrages relatifs aux moyens d’enseignement occupent activement les services déconcentrés de l’éducation nationale, les suppressions de postes à venir pour la rentrée prochaine sont une source d’angoisse pour les communautés éducatives rurales.
M. Sébastien Jumel
C’est peu de le dire !
M. Patrick Hetzel
Sans oublier les postes inoccupés !
M. Henri Alfandari
Ces suppressions de postes viennent percuter les efforts menés par les collectivités rurales et les services déconcentrés de votre ministère. Le stade expérimental du dispositif des territoires éducatifs ruraux (TER), qui ne concerne que trois académies, les suppressions de moyens d’enseignement et les réalités vécues par les enseignants et les familles en matière de mobilité nous amènent à nous interroger.
Nous ne pouvons pas faire disparaître nos ruralités, lesquelles se renouvellent toujours davantage dans leur mode d’organisation pour relever les nouveaux défis qui se présentent à elles. L’école est au cœur des préoccupations des élus ruraux. Elle est souvent la colonne vertébrale des politiques qu’ils déploient au service de la cohésion et de l’attractivité de leurs territoires. Surtout, l’école rurale est un levier essentiel pour accompagner l’égalité des chances, ambition que vous soutenez, et pour permettre aux enfants et aux familles de construire sereinement leur avenir.
M. Sébastien Jumel
Écoutez la sagesse d’Édouard Philippe !
M. Henri Alfandari
Ne serait-il pas temps de réexaminer certains des critères utilisés pour fermer les classes, notamment le nombre d’élèves par classe annualisé ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe HOR.)
M. Jean-Yves Bony
Il a raison !
M. Vincent Descoeur
Excellente idée !
M. Pierre Cordier
C’était une question pour Blanquer !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse
Depuis la rentrée 2019, aucune fermeture d’école ne peut intervenir sans l’accord du maire.
M. Sébastien Jumel
Encore heureux !
M. Pap Ndiaye, ministre
Nous faisons face à une forte baisse de la démographie scolaire : 90 000 à 100 000 élèves de moins sont prévus pour la prochaine rentrée et celles à venir, ce qui porte le total à un demi-million pour l’ensemble du quinquennat. Dans votre département d’Indre-et-Loire, il y aura ainsi 756 élèves de moins à la rentrée 2023. Néanmoins, les suppressions de postes ne se font pas de manière arithmétique.
M. Vincent Descoeur
Des suppressions interviennent à effectifs constants !
M. Pap Ndiaye, ministre
Le taux d’encadrement, sur l’ensemble du territoire comme dans votre département, va continuer à s’améliorer.
M. Patrick Hetzel
Ce n’est pas ce que disent les inspecteurs d’académie !
M. Pap Ndiaye, ministre
Il est de 22,3 % en Indre-et-Loire et nous visons vingt-deux élèves par classe.
Les territoires ruraux ne sont pas traités de la même manière…
M. Jean-Yves Bony
Oui, ils sont maltraités !
M. Pap Ndiaye, ministre
Nous tenons compte du fait que les services publics ne sont pas répartis comme ailleurs et nous prêtons une attention particulière à leur situation. Toutefois, les directions académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) sont parfois obligées de regrouper plusieurs niveaux dans les mêmes classes tout en veillant à maintenir le chiffre d’environ vingt-quatre élèves au plus par classe pour les grandes sections, les CP et les CE1.
M. Sébastien Jumel
Elles utilisent Google Maps pour faire leurs cartes scolaires !
M. Jean-Pierre Vigier
Et les regroupements ne sont pas gênants en eux-mêmes.
M. Pap Ndiaye, ministre
Enfin, nous en sommes à ce stade au début de l’évaluation du processus pour la rentrée 2023 et je sais que vous êtes régulièrement en lien avec le directeur académique de votre département. Un dialogue se construit, des évolutions verront encore le jour d’ici au mois de juin et à la fin du mois d’août : le processus est donc en cours, rien n’est définitif et le dialogue avec les élus locaux est maintenu. (Mmes Nadia Hai et Stella Dupont applaudissent.)
Réforme des retraites
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau
J’étais tout à l’heure place d’Italie, dans ma circonscription, où il y avait vraiment beaucoup de monde. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.) J’ai bien sûr discuté avec les personnes présentes, qui avaient des questions à vous poser. Je vous les livre, car elles sont intéressantes et mériteraient d’ailleurs que vous les entendiez, que vous les écoutiez et même que vous y répondiez parce que la sagesse de la rue, c’est quelque chose !
Je commence par la question de Lisa : « Croyez-vous vraiment que les gens de plus de 55 ans qui sont au RSA retrouveront du travail pour cotiser ? » Je précise qu’elle ne parlait bien sûr pas des quinze à vingt heures de travail gratuit obligatoire que vous imposez (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Écolo-NUPES et LFI-NUPES), mais d’un vrai travail rémunéré, avec un vrai salaire !
M. Pierre Cordier
Et Mbappé, il n’a pas de salaire ?
Mme Sandrine Rousseau
La question de Pierre, également : « Pourquoi ce serait aux petites gens de payer pour que les retraites soient à l’équilibre ? » Bonne question, en effet ! Ensuite, celle de Thomas : « Avez-vous repéré, madame la Première ministre, que dans un système comptable, il y a des dépenses mais aussi des recettes ? » Il faut dire que Thomas est économiste, alors, forcément !
M. Pierre Cordier
Et le petit Kylian : « Qu’allez-vous faire de moi ? »
Mme Sandrine Rousseau
Robin, aussi : « Je fais mes études, mais au rythme où vont les choses, j’ai peur de mourir avant la retraite ! » (« Oh ! » sur plusieurs bancs des groupes RE et LR.) « Pourquoi ne pas prendre l’argent là où il est ? »
M. Pierre Cordier
Et Kylian ?
Mme Sandrine Rousseau
Karine, elle, s’interrogeait : « Pourquoi le Gouvernement dit-il que ce truc se fait dans l’intérêt de tous, alors qu’il ne touche que les plus précaires, les carrières hachées et les carrières longues ? » (Brouhaha sur les bancs des groupes LR et RN.) Nicolas ensuite, au sujet du handicap : « Les personnes ayant fait l’objet d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) devront-elles également effectuer des trimestres supplémentaires » ? Maryse : « Sommes-nous censés mourir au travail ? » Nathalie demande : « Comment les années de travail des sans-papiers sont-elles comptées ? Le projet de loi ne le précise pas. » Lila : « Quand en finirons-nous avec les 49.3 ? »
M. Pierre Cordier
Et le petit Kylian ?
Mme Sandrine Rousseau
Valérie : « Je n’ai pas envie de travailler jusqu’à 64 ans. Comment fait-on ? » (Mêmes mouvements.)
M. Maxime Minot
Laissez Valérie tranquille ! (Sourires.)
Mme Sandrine Rousseau
Leinka, encore : « Je suis médecin à la retraite. Je suis là pour tous les patients que j’ai soignés de troubles musculo-squelettiques. Que deviendront-ils ? »
M. Benjamin Lucas
Vous avez peur du peuple !
Mme Sandrine Rousseau
Marie-Pierre, 83 ans, voulait vous rappeler que vous étiez auparavant socialiste, et demande : « Pourquoi avoir tant changé ? » (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.) Saïd, pompier professionnel…
Mme la présidente
Je vous remercie, chère collègue.
M. Maxime Minot
Il n’y avait donc pas de question !
M. Sébastien Chenu
C’était nul !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Benjamin Lucas
Et du retournement de veste !
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
Madame la députée, je note que vous avez besoin qu’on vous aide à poser vos questions ! (Sourires sur plusieurs bancs des groupes RE et LR. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes Écolo-NUPES et LFI-NUPES.)
Mme Sandrine Rousseau
Pas du tout !
M. Olivier Dussopt, ministre
Je note, à travers les questions que vous faites mine de relayer, que vous vous faites en réalité l’écho de la désinformation, des fake news et des mensonges que vous ne cessez de proférer s’agissant du système de retraite. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Je note une différence entre nous… (Mme Sandrine Rousseau proteste.)
Mme la présidente
Un peu de silence, s’il vous plaît !
M. Olivier Dussopt, ministre
Je suis sûr que Mme Rousseau prendra plaisir à écouter la fin de ma réponse. Je note une grande différence entre vous et les bancs de la majorité, qui ne tient qu’en un seul mot : responsabilité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Jérôme Guedj
C’est l’argument de la semaine, la responsabilité !
Situation dans les Ehpad
Mme la présidente
La parole est à M. Kévin Pfeffer.
M. Kévin Pfeffer
Il y a un an éclatait le scandale de la gestion des Ehpad, avec Orpea au banc des accusés : maltraitance par négligence, rationnement de la nourriture et des équipements de soin, manque de personnel ou encore détournement de fonds publics.
Les membres du Gouvernement et les députés de la majorité défilaient alors sur les plateaux, larmes aux yeux et main sur le cœur, promettant qu’il y aurait un avant et un après. Mais, de l’aveu même du président de l’Observatoire du grand âge, en un an « rien n’a changé » et les contrôles sont faits « à la va-vite ». Bref, rien de nouveau en faveur de nos anciens, qui restent en grande difficulté.
Vous avez annoncé que les inspections autrefois conduites tous les vingt à trente ans devraient couvrir les 7 500 établissements français d’ici à 2024. Mais avec seulement 18 % d’entre eux contrôlés à ce jour, l’objectif ne sera pas tenu. Pire, il n’existe toujours aucun référentiel comme base de contrôle et le syndicat des directeurs d’Ehpad dresse ce terrible constat : « Le plus souvent, on nous demande d’envoyer par e-mail des documents comptables et administratifs ».
Alors que la maltraitance se poursuit, vous avez refusé, il y a quelques jours, une proposition de loi de bon sens, présentée par notre collègue Laure Lavalette, visant à créer un droit de visite des parlementaires dans les Ehpad notamment.
Le taux d’encadrement moyen de trois soignants pour dix résidents est au centre du problème. Dans son rapport publié à la mi-janvier, la Défenseure des droits recommande un taux de huit encadrants pour dix résidents, taux en dessous duquel, malgré toute la bonne volonté et la bienveillance des soignants, il n’est pas possible de travailler sans maltraitance. Ce n’est pas la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023, qui ouvre 3 000 recrutements alors que 20 000 seraient nécessaires en urgence, qui résoudra le problème !
Combien de lanceurs d’alerte, de signalements par plateforme numérique et de rapports vous faudra-t-il encore ? La loi sur le grand âge se fait attendre depuis vingt-cinq ans. Ma question est donc simple : quand nos aînés seront-ils enfin mieux considérés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées
Vous l’avez rappelé, la publication, il y a un an, du livre Les Fossoyeurs a provoqué un choc de conscience chez l’ensemble de nos compatriotes. Ce terrible choc a été suivi d’une réponse puissante de la part des pouvoirs publics, afin d’éradiquer des établissements ainsi que des activités à domicile ces actes scandaleux, qui ont de nouveau été mis en lumière il y a quelques jours dans plusieurs reportages.
Cette réponse puissante s’est traduite par le contrôle des établissements : 400 Ehpad ont ainsi été contrôlés immédiatement après la publication de l’ouvrage ; plus de 1 400 l’ont été à ce jour et je peux vous confirmer que l’ensemble des 7 500 établissements que compte notre pays le seront d’ici à la fin de l’année 2024. Ces contrôles ont donné lieu à des réponses fortes : plus de 1 800 injonctions et 11 saisines du procureur de la République. Il faut désormais que le processus s’accélère pour que les choses changent concrètement dans l’ensemble des Ehpad.
J’ai fait de la lutte contre la maltraitance dans les établissements l’une des priorités de mon action. Je lancerai, dans quelques jours, les états généraux de la lutte contre la maltraitance afin de réunir l’ensemble des parties prenantes, ainsi qu’une plateforme de signalement… (Exclamations sur les bancs des groupes RN et LR.)
M. Alexandre Loubet
Encore un numéro vert ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre
…parce qu’il est important, comme l’ont rendu possible les lanceurs d’alerte, que la parole se libère dans les établissements et que les familles puissent signaler l’ensemble de ces maltraitances. C’est ce qui se passe aujourd’hui.
M. Fabien Di Filippo
On en a marre des numéros verts !
M. Jean-Christophe Combe, ministre
Pour faire face au vieillissement de la population, notre pays doit s’organiser, grâce notamment aux 9 milliards d’euros inscrits dans la trajectoire de la branche autonomie, au lancement du recrutement de 50 000 professionnels soignants dans les Ehpad pour les cinq ans à venir…
M. Jérôme Guedj
Trois mille seulement cette année ! Ce n’est pas assez !
M. Jean-Christophe Combe, ministre
…et grâce à l’augmentation du nombre de places dans les services de soins infirmiers à domicile. (Mme Astrid Panosyan-Bouvet applaudit.)
Accueil fait à Salah Hamouri et lutte contre l’antisémitisme
Mme la présidente
La parole est à M. Mathieu Lefèvre.
M. Mathieu Lefèvre
Ma question, à laquelle j’associe ma collègue Caroline Yadan, s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Demain, la ville de Lyon s’apprêtait à accueillir à l’occasion d’une conférence sur les accords d’Oslo, à l’initiative de son maire Grégory Doucet, un sinistre personnage : Salah Hamouri. (M. Pierre Dharréville proteste.) D’autres villes, de Gennevilliers à Aubervilliers, n’hésitent pas non plus à mettre à l’honneur un individu qui a été reconnu coupable d’appartenance à une entreprise collective…
M. Pierre Dharréville
Ce que vous dites est scandaleux !
M. Mathieu Lefèvre
…en vue de commettre des actions terroristes sur le territoire israélien.
Nous devons ce renoncement salutaire à des héros tels que Claude Bloch, dernier rescapé du camp d’Auschwitz, qui vit à Lyon et a tourné le dos à la représentante du maire pour protester contre la venue de M. Hamouri.
M. Thomas Rudigoz
Exactement !
M. Mathieu Lefèvre
Si la France a condamné son expulsion par l’État d’Israël et défend son droit à un procès équitable, sa participation à ce simulacre de conférence aurait été un scandale. Oui, c’eût été un scandale que de prendre prétexte d’une pseudo-conférence universitaire pour réhabiliter un homme condamné par l’État d’Israël pour sa participation à la tentative d’assassinat du grand rabbin Ovadia Yossef. C’eût été un scandale, parce que l’on ne met pas impunément à l’honneur un homme dont les liens avec une organisation classée comme terroriste par l’Union européenne sont avérés.
M. Pierre Dharréville
N’importe quoi !
M. Mathieu Lefèvre
Cette banalisation de la haine n’est, hélas, que le dernier épisode d’une tentative de réhabilitation de cet individu par une partie de cet hémicycle qui, dans l’indécence la plus totale, a osé comparer son extradition à une déportation, n’hésitant pas à l’acclamer à sa descente d’avion ou à le recevoir au sein de notre institution, la déshonorant de sa présence.
M. Pierre Dharréville
C’est Israël qui parle !
M. Mathieu Lefèvre
Ma question est donc simple : quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de protéger les Français en général et les citoyens juifs en particulier des actions qu’il pourrait entreprendre sur le sol français, telles que l’apologie de la haine ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem et sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer
Vous avez raison, monsieur le député Lefèvre. Heureusement que le maire de Lyon a renoncé à la mise à l’honneur et à la participation de cette triste personnalité, devant les appels à la fois de sa propre population, notamment lors de la commémoration de ce week-end que vous avez évoquée, et de la représentante de l’État puisque, à ma demande, la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes a prévenu le maire que si cette conférence devait être maintenue, l’État se verrait contraint de l’interdire pour menace à l’ordre public. Il est heureux que le maire de Lyon ait renoncé à son projet mortifère, car il n’y a, dans notre pays, aucun doute quant à notre volonté de lutter contre l’antisémitisme. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.)
Je veux également souligner votre action, monsieur le député, en tant que nouveau président du groupe d’études sur l’antisémitisme et rappeler que, grâce au travail mené par les forces de l’ordre, les préfets de la République mais aussi les associations, nous avons constaté une diminution d’un quart des actes antisémites au cours de l’année 2022. Cependant, il ne faut pas crier victoire trop vite, puisque 430 actes antisémites ont encore eu lieu en 2022, des insultes, des attaques physiques, des attaques contre des lieux de culte, contre des écoles confessionnelles ainsi que d’innombrables insultes et ignominies sur les réseaux sociaux.
Devant la mobilisation de toute la France, puisque le problème de l’antisémitisme est celui de tous les Français et non pas seulement celui des concitoyens de confession juive, 1 500 cyberpatrouilleurs seront au rendez-vous de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur que vous avez votée. De même, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), qui permet de signaler la haine en ligne, sera désormais ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Enfin, la protection de tous les lieux de culte juifs, de leurs lieux communautaires et des écoles – qui ont malheureusement connu, vous le savez, le terrorisme ces dernières années – sera bien évidemment poursuivie. Je sais que votre bureau, monsieur le député, c’est le terrain. Aidez-nous à travailler ensemble contre l’antisémitisme ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Réforme des retraites
Mme la présidente
La parole est à M. Mansour Kamardine.
M. Mansour Kamardine
Les présidents Ciotti et Marleix ont exprimé leur volonté d’accompagner le Gouvernement dans une réforme des retraites qui soit juste, en particulier pour les plus petites d’entre elles. Si, pour le Gouvernement, la réforme juste concerne le territoire métropolitain, pour le groupe Les Républicains elle doit concerner aussi les territoires ultramarins.
M. Patrick Hetzel
Bien sûr ! C’est essentiel.
M. Mansour Kamardine
Or les ultramarins partent, en moyenne, plus tard à la retraite, perçoivent des pensions plus faibles et meurent plus jeunes ! En outre-mer, la retraite moyenne pour une carrière complète est de 20 % inférieure à la moyenne nationale et le taux de grande pauvreté des retraités est treize fois supérieur à celui de métropole. Pire encore, à Mayotte, la pension moyenne est de 276 euros alors que l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) est plafonnée, pour des raisons que j’ignore, à 50 % de celle de droit commun !
La réforme des retraites est donc une occasion à saisir afin d’améliorer deux situations spécifiques : le système de retraite à Mayotte et les petites retraites agricoles en outre-mer, notamment aux Antilles. C’est pourquoi le groupe Les Républicains vous propose de mettre en place dans les territoires ultramarins un dispositif de rachat de trimestres à un prix raisonnable pour les agriculteurs et les travailleurs agricoles, de supprimer sans délai la discrimination de la décote de 50 % de l’Aspa à Mayotte et de porter la pension moyenne à Mayotte à 400 euros au moins, au lieu des 276 euros actuels.
Aussi pouvez-vous, madame la Première ministre, préciser les initiatives que vous envisagez de prendre pour répondre à nos propositions et améliorer le sort des retraités ultramarins ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Patrick Hetzel