- Texte visé : Proposition de loi visant à exonérer de l’impôt sur le revenu les médecins et infirmières en cumul emploi-retraite, n° 263
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Supprimer cet article.
Cet amendement du groupe LFI-NFP vise à supprimer l’article 1 de cette proposition de loi qui propose une exonération d’impôt sur le revenu pour les médecins et infirmiers libéraux exerçant en cumul emploi-retraite.
Ce dispositif est à la fois injuste fiscalement, dangereux pour le droit du travail et inefficace pour lutter contre la désertification médicale.
D’abord, l’exonération d’impôt contribuerait à un affaiblissement massif des finances publiques, car elle entraînerait une perte importante de recettes fiscales pour l’État. Ce dispositif causerait une perte de recettes estimée à 450 millions d’euros par an rien que pour les médecins en cumul emploi-retraite actuel. Pour les infirmiers, on peut envisager une perte de recette de l’ordre de 20 à 40 millions d’euros. Cette somme ne prend pas en compte l’effet incitatif que pourrait créer cette mesure, aggravant ainsi les pertes fiscales.
Par ailleurs, les médecins libéraux en cumul emploi-retraite bénéficient depuis 2023 d’une exonération de cotisations à la CARMF (Caisse Autonome de Retraite des Médecins de France), ce qui constitue déjà un avantage socio-fiscal significatif. Ce sont environ 13 500 praticiens qui sont déjà en cumul emploi-retraite selon les statistiques produites par la CARMF en janvier 2024, ce qui correspond à 14,8 % des médecins retraités ou 10,9 % des praticiens en activité.
Ajouter à cela une exonération d’impôt sur le revenu crée une double niche socio-fiscale pour des professionnels aux revenus déjà élevés. Les revenus des médecins libéraux augmentent tendanciellement plus vite que ceux du reste de la population. La situation de départ leur est pourtant très favorable : en 2017, les médecins libéraux gagnaient en moyenne 120 000 euros par an. C’est un peu moins pour la seule catégorie des généralistes qui ont un revenu moyen de 90 000 euros. Cela place tout de même les médecins dans les 2 % des individus les mieux rémunérés de la population française.
En outre et pour ce qui relève des médecins généraliste, la convention médicale récemment signée prévoit une hausse de leur rémunération avec la revalorisation du tarif de la consultation à 30 euros. Les finances sociales sont donc déjà mises à contribution pour améliorer leurs conditions matérielles : il n’y a nul besoin d’y ajouter un dispositif fiscal.
Ces avantages fiscaux, en faveur des plus aisés, vont à l’encontre de la justice fiscale et sociale.
De plus, ce dispositif encourage les professionnels de santé à allonger leurs temps de travail, au-delà de l’âge légal de la retraite, avec la possibilité d’exercer jusqu’à 72 ans (notamment pour les infirmiers). Alors que les professionnels de santé ont déjà des carrières souvent longues et éprouvantes, ils devraient avoir le droit de se reposer et de profiter de leur retraite. Ce dispositif encourage à pérenniser un système dans lequel les médecins âgés sont poussés à rester en activité par intérêt fiscal.
Enfin, cet article est inefficace pour résorber les déserts médicaux, car il n’établit aucune distinction entre les zones avec une forte présence de professionnels de santé et les zones sous-dotées. En exonérant indistinctement tous les médecins et infirmiers libéraux, quelle que soit leur localisation, ce texte ne favorise pas l’installation des praticiens dans les territoires dans lesquels les besoins sont les plus criants.
Ce serait même plus l’inverse : les données de la DREES indiquent qu’à « spécialité, sexe et année de départ comparables, l’âge des spécialisations à la cessation est plus tardif dans les zones où les médecins sont nombreux à être installés ». Cela signifie que les spécialistes restent en activité là où ils sont déjà les plus nombreux, notamment dans les centres-villes.
Quant aux médecins généralistes, ils ne prolongent pas leur activité pour des raisons financières mais parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas remplacés et considèrent donc ne pas pouvoir laisser leur patientèle sans solution. Proposer une mesure incitative reposant sur des fondements économiques n’a aucun sens !
Le problème des déserts médicaux ne se résoudra pas avec des avantages fiscaux non ciblés.
La réponse appropriée au problème de l’insuffisante démographie médicale et la lutte contre la désertification médicale qui touche 87 % du territoire national est toute autre. Nous avons d’abord besoin d’une politique de formation ambitieuse. Cela suppose de financer les universités de manière à ce qu’elles puissent ouvrir rapidement de nouvelles places dans leurs cursus et accueillir davantage d’étudiants. La régulation de l’installation des médecins est une impérieuse nécessité. Nous devons urgemment régulariser les médecins étrangers qui travaillent dans notre pays. Enfin il nous faut améliorer les conditions et réduire la charge de travail des médecins en développant l’exercice salarié en centres de santé.
Les rémunérations des infirmières libérales sont autrement plus faibles que celles des médecins. Elles touchent en moyenne un salaire de 2960 euros net mensuel. Leur présence sur le territoire est essentielle afin de permettre l’accès aux soins des patients en affection de longue durée (ALD), notamment ceux non pourvus de médecin traitant. La plus grande injustice qui leur est faite est l’absence de revalorisation de leurs actes sur les 15 dernières années. Elles ont également été écartées des revalorisations du Ségur de la santé en obtenant en tout et pour tout qu’une ridicule revalorisation de 25 centimes de leur indemnité forfaitaire de déplacement.
La situation de leurs homologues exerçant à l’hôpital est difficile : l’OCDE estime leur rémunération annuelle comme étant inférieur de 10 % au salaire national moyen, à 32 397 euros. C’est moins qu’en République Tchèque ou en Pologne. Cela place la France à 26ème position sur 29 pays étudiés par l’OCDE. S’il faut évidemment soutenir l’installation d’infirmières libérales dans les zones sous-dotés, ce sont les conditions de travail et la rémunération de l’ensemble de la profession, notamment des soignantes hospitalières, qui doivent être améliorées.
Il est absolument nécessaire de revaloriser le métier qu’elles exercent et notamment de revoir à la hausse leur rémunération, sans que cela ne passe par une hausse du reste à charge pour les patients et/ou un déport vers les complémentaires santé. Leur laisser la possibilité de réaliser ou de prescrire certains actes médicaux participerait également à mieux reconnaître leurs compétences.
Pour toutes ces raisons, le groupe LFI-NFP propose la suppression de cet article.