- Texte visé : Texte de la commission sur le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, de simplification de la vie économique (n°481 rectifié)., n° 1191-A0
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Assemblée nationale (séance publique)
Supprimer l’alinéa 2.
Le présent amendement des députés Socialistes et apparentés vise à revenir sur la suppression du Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES).
La suppression du Hcéres n’induirait pas la fin de l’évaluation mais sa prise en charge directe par le MESR
Le fait de supprimer le Hcéres rendrait caducs les articles L. 114-3-1 et suivants du code de la recherche, qui précisent ses missions et son organisation, ainsi que les textes pris pour l’application de ces articles (article R. 114-1 et suivants) et toute autre mention du Hcéres dans d’autres textes. Demeureraient en revanche en vigueur, l’article L. 613-1 du code de l’éducation, qui prévoit une « évaluation nationale » pour garantir le caractère national des diplômes nationaux, l’article L. 114-2 du code de la recherche, qui pose le principe que « les organismes publics de recherche et les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) font l'objet de procédures d'évaluation périodique », les articles L. 311-2 du code de la recherche et L. 711-1 du code de l’éducation, qui prévoient une évaluation des contrats pluriannuels passés avec l’Etat, respectivement pour les organismes de recherche et les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, l’article L. 711-4 du code de l’éducation, qui prévoit l’évaluation par le Hcéres des EPSCP en sortie d’expérimentation, ainsi que l’article L114-1 : « Les activités de recherche et d'enseignement supérieur financées en tout ou partie sur fonds publics, réalisées par des opérateurs publics ou privés, sont évaluées sur la base de critères objectifs adaptés à chacune d'elles et s'inspirant des meilleures pratiques internationales ». Le code rural, le code de la santé publique et le code du travail, qui évoquent également l’intervention du Hcéres, seraient également impactés.
Le MESR devrait alors prendre en charge en direct l’ensemble des procédures d’évaluation, au moins dans un premier temps. Cette solution serait vraisemblablement temporaire puisqu’une entité ministérielle ne remplirait pas les conditions d’indépendance lui permettant d’être reconnue au sein de l’espace européen de l’enseignement supérieur. Les références et lignes directrices pour l'assurance qualité dans l'espace européen de l'enseignement supérieur stipulent en effet que les agences nationales doivent être indépendantes et agir de manière autonome, sans l’influence de tierces parties.
La suppression du Hcéres serait coûteuse, quelle que soit la suite du processus.
En cas de suppression du Hcéres, quatre scénarios existent :
1) Les activités du Hcéres sont prises en charge directement par le MESR. Dans ce cas, le budget du Hcéres sera repris par le MESR. Outre le fait que cette solution n’est pas conforme aux standards internationaux d’indépendance de l’évaluation, il n’y aurait aucun gain financier pour l’écosystème.
2) Les établissements mettent en place des instances d’évaluation externes. Depuis 2014, la loi Fioraso donne aux établissements la possibilité de créer des instances de ce type. Dans ce cas, les procédures doivent seulement être validées par le Hcéres. Cette possibilité n’est presque jamais utilisée par les établissements, notamment en raison des coûts induits et de la complexité de mise en œuvre.
3) Les universités se tournent vers d’autres agences européennes pour obtenir une évaluation externe, conforme aux standards internationaux. Dans ce scénario, les établissements français devraient trouver des fonds pour payer ces agences, qui proposent toutes des prestations payantes. La suppression du Hcéres induirait ici des économies pour le MESR mais aurait un coût direct pour les universités. Au total, le coût pour le système tout entier serait largement supérieur au coût actuel du Hcéres.
4) Pour se conformer aux standards internationaux et minimiser les coûts pour les universités, l’Etat pourrait bien sûr créer une nouvelle agence, qui remplirait les critères d’autonomie et d’indépendance lui permettant d’être reconnue en Europe. La création d’une telle entité ne pourrait se faire qu’après un délai incluant le temps législatif national et le temps pour que cette nouvelle agence soit inscrite dans le registre européen.
La suppression du Hcéres induirait une complexification des dispositifs d’évaluation
La suppression du Hcéres introduirait plus de complexité, notamment dans l’évaluation de la recherche où les unités de recherche sont pour la moitié environ des unités ayant plusieurs tutelles.
Le Hcéres permet aux unités de s’appuyer sur un dossier d’évaluation unique. Sa suppression poserait la question de savoir qui se charge désormais de l’évaluation. Les universités n’accepteraient pas que les unités dont elles sont tutelles soient évaluées exclusivement par l’instance d’évaluation interne des organismes et les organismes n’accepteraient pas que l’évaluation se fasse exclusivement par les universités. Il y aurait donc un risque de retour à la complexité antérieure à la création du Hcéres.
Il reste certes des redondances et celles-ci doivent être supprimées. Mais la suppression du Hcéres ne simplifierait pas la situation, elle la complexifierait.
Supprimer le HCERES n’est pas une simple réforme technique. C’est une remise en cause du pluralisme institutionnel, de la séparation des pouvoirs, et un pas vers une logique illibérale.
Un État démocratique repose sur l’existence d’institutions indépendantes, garantes de l’intérêt général et de l’évaluation objective des politiques publiques. Le Hcéres, en tant qu’autorité publique indépendante, garantit que l’évaluation des formations, des établissements et de la recherche n’est ni politisée, ni soumise à des intérêts partisans.
Le Hcéres garantit que l’évaluation des établissements reposent sur des critères objectifs et transparents. C’est donc une protection indirecte de la liberté académique : les chercheurs et les universités se soumettent à une évaluation par les pairs et restent indépendants du pouvoir politique.
Les pays de l’OCDE considèrent que l’existence d’une agence indépendante d’évaluation est un pilier de l’autonomie des universités. Sans agence indépendante, les évaluations peuvent devenir politiques ou être privatisées, ce qui pose de graves problèmes de légitimité et de transparence. Il s’agit d’une norme démocratique qui vise à séparer les pouvoirs et à distinguer l’évaluation de la décision.
Rompre avec ces standards ferait de la France une exception au sein de l’OCDE et nous rapprocherait de modèles de gouvernance en rupture avec les normes des démocraties européennes. La dérive illibérale se manifeste fréquemment par la suppression des agences indépendantes (éducation, justice, médias...). L’un de nos garde-fous démocratiques serait affaibli, au profit d’un contrôle direct par l’exécutif.
La suppression du Hcéres mettrait en péril la reconnaissance internationale de l’enseignement supérieur français
La suppression du Hcéres entraînerait le retrait de la France du registre “European Quality Assurance Register for Higher Education” qui est l’organisation européenne représentant les différents pays. Or, le fait que la France dispose d’un système d’assurance qualité conforme aux standards européens est une des conditions pour la mise en œuvre de la reconnaissance des diplômes.
La suppression du Hcéres entraînerait donc des difficultés pour la reconnaissance des diplômes français, les doubles-diplômes européens et les mobilités étudiantes et académiques (Erasmus), et une perte d’attractivité de l’enseignement supérieur et la recherche français vis-à-vis des étudiants étrangers.
L’exclusion du registre “European Quality Assurance Register for Higher Education” aurait pour conséquence immédiate que la France ne serait plus autorisée à conduire des évaluations au sein de l’Espace européen de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, la France ne pourrait plus évaluer les programmes conjoints européens ou des diplômes conjoints entre deux pays européens.
En conséquence, la France perdrait toute crédibilité pour les évaluations qu’elle mène en dehors de l’Europe. Ceci entraînerait l’arrêt des évaluations et accréditations à l’international, et une perte de revenus estimée à environ 1 M€ (dont 0,5 M€ à rembourser dans les opérations déjà engagées).
Le HCERES se réforme. Depuis le référé de la Cour des comptes en 2021, des actions ont été mises en place pour suivre les recommandations. Une nouvelle présidente vient d’être nommée.
Comme préconisé par le rapport, deux départements ont fusionné (le département d’évaluation des établissements et le département d'évaluation des coordinations territoriales), les infrastructures numériques ont été renforcées et les procédures d’évaluation entièrement dématérialisées. Ces efforts se sont poursuivis pour la gestion des missions et des RH avec d’importantes améliorations réalisées ces derniers mois.
La Cour indiquait que le Hcéres n’avait mis en place aucun effort de maîtrise budgétaire. C’est chose faite avec le passage à l’API : le Haut Conseil fait voter et respecter son budget, il diversifie ses ressources et assure un suivi fin de ses dépenses. Après seulement trois ans d’exercice en propre, les objectifs sont atteints et les coûts sont maîtrisés (notamment suite à des actions permettant de baisser le loyer, les missions, les indemnités et les frais généraux).
La comptabilité analytique sera mise en place en 2025, grâce aux efforts d’enrichissement des bases réalisés ces dernières années. Les ressources propres pourront par ailleurs augmenter, d’une part via l’évaluation des structures internationales, qui sont en augmentation ces dernières années (preuve de la confiance accordée au Hcéres à l’international) ; d’autre part, via les prestations de l’OST. Enfin, les évaluations du privé sont payantes et viendront consolider le modèle économique de l’agence. Le rapport indiquait que les ressources du Hcéres étaient marginales, autour de 5%, et qu’il était peu probable que l’activité à l’étranger augmenté. Depuis le rapport, les ressources propres ont augmenté (8 à 10%) et l’activité internationale s’est intensifiée.
Une nouvelle présidente vient d’être nommée. Elle a défendu un projet visant à réformer le Hcéres, pour des évaluations plus simples et plus personnalisées. Ses auditions devant la représentation nationale montrent qu’elle prévoit des réformes profondes. Demandons-lui, un mois après sa nomination, de venir présenter son projet de façon opérationnelle et détaillée pour déterminer si les premières étapes de son mandat vont dans le sens indiqué lors de ses auditions.
Le Hcéres est l’agence qui est capable dès aujourd’hui de contribuer à l’évaluation du supérieur privé
Au moment où la question de l’évaluation des formations et des établissements privés se pose de manière de plus en plus aiguë, le Hcéres est l’instance la plus à même de s’acquitter de cette mission. Le Hcéres a vocation à évaluer toute formation qui passe devant un jury rectoral et à évaluer tout établissement qui porte des formations reconnues par le ministère d’enseignement supérieur. Il est à noter que le Hcéres évalue déjà, à leur demande et à leurs frais, un certain nombre d’écoles de management (ESCP, Neoma, EM Lyon par exemple).
Le Hcéres joue déjà un rôle dans la régulation des établissements privés de l’ESR, puisqu’il évalue les établissements et des formations qui sont reconnus par l’Etat, soit quelques dizaines d’établissements EESPIG et quelques dizaines de formations conférant des visas et des grades. Le Hcéres est donc en position d’être la pierre angulaire de l’évaluation du supérieur privé, au bénéfice des familles et d’une formation de qualité des jeunes. Par une évaluation axée sur la qualité, le Hcéres est en position de favoriser le rapprochement des exigences des secteurs public et privé.
L’Office français d’intégrité scientifique et l’Observatoire des sciences et des techniques exercent leurs missions en tant que départements du Hcéres. La suppression du Hcéres entraînerait la suppression de ces deux départements… qui devraient être recréés.
L’intrégrité scientifique est devenue un enjeu majeur dans tous les pays intensifs en recherche : elle est le socle d’une relation de confiance entre le monde de la recherche et les autres composantes de la société. La LPR a confié au Hcéres de nouvelles missions en la matière (article L. 114-3-1 du code de la recherche), mises en œuvre par l’Office français d’intégrité scientifique (Ofis), département du Hcéres.
La suppression du Hcéres entraînerait la disparition d’une pièce maîtresse du dispositif mis en place en France pour développer une politique nationale en faveur de l’intégrité scientifique et accompagner les acteurs de terrain (dont les référents intégrité scientifique et chefs d’établissement). L’Ofis agit en lien avec plusieurs autres acteurs institutionnels (Académie des sciences, ANR, France Universités, éditeurs, MESR, etc.) pour développer et coordonner les actions de promotion de l'intégrité scientifique.
De son côté, l’OST fournit des analyses sur le positionnement scientifique et technologique de la France, ainsi que des analyses thématiques et des contributions aux évaluations de politiques publiques en matière de recherche. Son dernier rapport annuel indique par exemple que de 2010 à 2022, nous sommes passés du 6ème rang mondial au 13ème rang mondial alors que l’Italie s’est maintenue au 7ème. Ces analyses sont indispensables pour éclairer le débat public et les politiques publiques visant à renforcer la place de la science dans la société.
Le budget de ces deux départements représente 2 M€, sans compter l’infrastructure de gestion et les frais généraux, qui sont aujourd’hui mutualisés à l’échelle du Hcéres (loyer, RH, SI, etc.). Ces deux départements pourraient être recréés, mais cela induirait des coûts importants.