- Texte visé : Texte de la commission sur le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, de simplification de la vie économique (n°481 rectifié)., n° 1191-A0
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Assemblée nationale (séance publique)
Supprimer cet article.
Le présent amendement vise à supprimer l’article 21 quater, introduit par l’adoption de l’amendement CS509 en commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi de simplification de la vie économique, qui abroge le cadre législatif existant relatif à la loi de programmation énergie-climat (LPEC) et à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), en renvoyant à une loi ultérieure, hypothétique, d’ici 2026, la définition d’une nouvelle stratégie énergétique, prévue pour une durée de soixante ans.
Une telle révision est d’autant plus injustifiée que le droit en vigueur encadre déjà pleinement la planification énergétique. L’article L.100-1 A du Code de l’énergie prévoit qu’avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, le Parlement adopte une loi de programmation énergétique, dont la PPE constitue la déclinaison opérationnelle. Ce cadre existe et demeure pleinement applicable. Si cette loi n’a pas été déposée, c’est en raison du refus répété du gouvernement d’en engager l’examen, malgré de nombreuses initiatives parlementaires. La solution n’est donc pas de repousser encore les échéances, mais bien de faire preuve de volonté politique pour respecter le droit en vigueur.
En outre, remplacer une programmation énergie-climat quinquennale par une projection sur soixante ans constitue une aberration méthodologique. Aucune stratégie publique sérieuse ne peut reposer sur une telle durée sans outils d’ajustement. Imaginer en 2024 ce que devra être le mix énergétique de 2084, c’est nier les incertitudes climatiques, technologiques, économiques et géopolitiques. Dans un contexte énergétique en constante évolution, seule une planification souple, révisable et démocratiquement débattue peut garantir une stratégie robuste et efficace.
Cette tentative de déconstruction du cadre quinquennal entre aussi en contradiction frontale avec les engagements internationaux et européens de la France. L’Accord de Paris, que notre pays a ratifié, tout comme la directive européenne 2018/1999 sur la gouvernance de l’Union de l’énergie, imposent un double cadre : une stratégie de long terme à trente ans, et des plans nationaux de mise en œuvre actualisés tous les cinq ans. Nos dispositifs actuels permettent précisément d’assurer cette articulation : la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixe les grandes orientations climatiques à trente ans, en cohérence avec l’objectif de neutralité carbone, tandis que la loi de programmation énergie-climat et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), alignées sur les échéances quinquennales des Plans nationaux intégrés énergie-climat (PNIEC), en traduisent les déclinaisons opérationnelles. Remettre en cause ce cadre reviendrait non seulement à désorganiser notre planification nationale, mais aussi à nous exposer à un risque de non-conformité vis-à-vis du droit européen.
Par ailleurs, substituer la PPE à un simple décret d’application de la loi priverait l’État d’un levier fondamental de gouvernance. La PPE encadre les appels d’offres, fixe les volumes de soutien, oriente les investissements publics et privés, et donne de la visibilité aux filières industrielles. Sa disparition créerait un vide juridique, bloquerait les mécanismes de soutien, et affaiblirait gravement notre capacité collective à organiser la transition énergétique. Ce recul serait d’autant plus problématique qu’il intervient à un moment charnière : la France devra transmettre une nouvelle PPE à la Commission européenne d’ici mi-2026, alors même que l’élaboration de la PPE3, lancée en 2023, a déjà pris un retard considérable. Reporter encore reviendrait à faire obstacle à notre propre calendrier.
Enfin, cette disposition soulève un risque manifeste d’inconstitutionnalité au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur « l’incompétence négative ». En supprimant un cadre législatif sans en prévoir de substitution fonctionnelle, le législateur se dessaisit de ses responsabilités constitutionnelles. Une telle carence pourrait être jugée contraire à la Constitution, comme le rappelle explicitement la doctrine du Conseil constitutionnel dans ses cahiers officiels, notamment dans celui intitulé « L’état de la jurisprudence sur l’incompétence négative ».
Pour toutes ces raisons, il est indispensable de supprimer cet article. La préservation du cadre légal de la programmation énergétique constitue une condition essentielle à la conduite d’une transition énergétique sérieuse, pilotée, respectueuse de nos engagements européens et internationaux, et démocratiquement encadrée.