Deuxième séance du mercredi 07 mai 2025
- Présidence de M. Jérémie Iordanoff
- 1. Lutte contre les déserts médicaux
- Discussion des articles (suite)
- Article 2 (suite)
- Amendement no 40
- Sous-amendement no 134
- M. Guillaume Garot, rapporteur de la commission des affaires sociales
- M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
- Amendement no 44
- Article 3
- Après l’article 3
- Amendement no 110
- Article 4
- Mme Claire Marais-Beuil
- M. Thibault Bazin
- Amendements nos 2, 46, 62, 102, 43 rectifié, 53 et 29
- Après l’article 4
- Article 5
- Titre
- Amendement no 105
- Article 2 (suite)
- Explications de vote
- Vote sur l’ensemble
- Discussion des articles (suite)
- 2. Création de l’homicide routier et lutte contre la violence routière
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Jérémie Iordanoff
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Lutte contre les déserts médicaux
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, d’initiative transpartisane (nos 966, 1180).
Discussion des articles (suite)
M. le président
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé la discussion des articles, s’arrêtant à l’amendement no 40 à l’article 2.
Je rappelle que la conférence des présidents a souhaité inscrire à l’ordre du jour la suite de l’examen de ce texte, qui avait débuté lors d’une précédente semaine de l’Assemblée ; il convient donc que nous allions ce soir au terme de la discussion. Je vous laisse en tirer toutes les conséquences.
Article 2 (suite)
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 40 qui fait l’objet d’un sous-amendement no 134.
M. Thibault Bazin
Même si nous ne soutenons pas le texte en l’état, il est important d’en débattre jusqu’au bout.
Le présent amendement de notre collègue Christelle Petex vise à corriger une rédaction imprécise du point de vue juridique : en l’état, l’article exige que le patient prouve l’échec de sa recherche d’un médecin traitant, sans préciser les modalités de cette preuve. Il convient de remplacer les mots « ne parvient pas à désigner un » par les mots « est dépourvu de » et de préciser que l’assurance maladie transmet les coordonnées des structures territoriales à chaque assuré sans médecin traitant, afin de simplifier ses démarches. On ne peut pas constater qu’un patient n’a pas de médecin traitant et rester inactif, alors qu’on développe l’espace numérique de santé. Le rôle de l’État est aussi d’aider les patients.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Garot, rapporteur de la commission des affaires sociales, pour soutenir le sous-amendement no 134 et donner l’avis de la commission sur l’amendement.
M. Guillaume Garot, rapporteur de la commission des affaires sociales
Je rejoins vos préoccupations, monsieur le rapporteur général, mais je rappelle que la commission avait repoussé l’amendement que vous présentez. Je propose un sous-amendement qui précise la formulation trop large et juridiquement imprécise de « dépourvu de médecin traitant ». Celle que je suggère – lorsque le patient « a indiqué à son organisme gestionnaire de régime de base d’assurance maladie qu’aucun médecin n’accepte d’être désigné comme son » médecin traitant – conserve l’idée initiale du texte : supprimer la majoration du ticket modérateur en cas d’incapacité du patient à désigner un médecin traitant du fait de la désertification médicale. Je serai favorable à l’amendement s’il est sous-amendé.
M. le président
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, pour donner l’avis du gouvernement sur l’amendement et le sous-amendement.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault Bazin
Monsieur le rapporteur, je suis favorable à votre sous-amendement et je remercie le ministre de s’en remettre à nous. Si l’amendement sous-amendé est adopté, les députés du groupe Droite républicaine voteront l’article 2.
(Le sous-amendement no 134 est adopté.)
(L’amendement no 40, sous-amendé, est adopté.)
M. le président
L’amendement no 44 de M. le rapporteur est un amendement rédactionnel de coordination.
(L’amendement no 44, accepté par le gouvernement, est adopté.)
(L’article 2, amendé, est adopté.)
Article 3
M. le président
La parole est à M. Timothée Houssin.
M. Timothée Houssin
Le groupe Rassemblement national votera en faveur de l’article 3.
M. Philippe Brun
Il était temps !
M. Timothée Houssin
Nous y sommes favorables, notamment parce qu’il crée une première année de médecine dans l’ensemble des départements de France. On a beaucoup débattu ici des conditions d’installation des médecins. Malgré nos divergences, on peut être tous d’accord sur un point : les étudiants en médecine s’installent en priorité là où ils ont des liens sociaux et familiaux. Les médecins susceptibles de remplir, demain, les déserts médicaux sont les jeunes de ces territoires. L’article 3 contribuera à les pousser à s’engager dans les études de médecine, qu’ils évitent parfois pour des raisons sociales et financières – dont l’éloignement du lieu des études.
Avant la première année de médecine, il y a cependant le lycée. (Murmures.) En examinant la loi Valletoux, en décembre 2023,…
M. Philippe Vigier
Quel rapport avec le sujet ?
M. Timothée Houssin
…nous avions voté la création d’une option santé dans les lycées de trois académies volontaires situées dans un désert médical. Il s’agissait d’amener des élèves de première et de terminale à suivre cette option dans le but de les orienter, eux et leurs parents, vers les études de médecine. L’idée avait recueilli un large consensus – je crois d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous aviez voté cette disposition. Je souhaitais que la Normandie fasse partie des académies volontaires et expérimente le dispositif – j’avais pris contact avec le président de région et l’académie.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Super ! (Sourires.)
Mme Claire Marais-Beuil
Écoutez l’orateur !
M. Timothée Houssin
Aujourd’hui, cependant, cette option santé est au point mort : un an et demi après le vote, rien n’a été instauré. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en donner des nouvelles ? Où en est-on et quand déploiera-t-on enfin cette option santé souhaitée par une large majorité de députés ?
M. Hadrien Clouet
Les questions au gouvernement, c’était à 14 heures !
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault Bazin
L’idée de permettre aux étudiants de réaliser la première année de formation en médecine, en pharmacie, en odontologie ou en maïeutique au sein des déserts médicaux est intéressante. Elle soulève cependant plusieurs questions.
Des expérimentations sont en cours ; ont-elles déjà été évaluées ? J’ai auditionné plusieurs étudiants : ils adhèrent à l’idée, mais veulent s’assurer qu’ils auront les mêmes chances que les autres de réussir les concours à la fin de cette première année. Pouvez-vous garantir que les conditions d’une égalité des chances seront réunies ?
Les universités ont l’air sceptiques. Lors de l’introduction du numerus apertus, elles n’ont pas forcément ouvert autant de places qu’elles auraient pu avec la suppression du numerus clausus. Peut-on s’assurer qu’elles contribueront aussi à cet aménagement du territoire ?
M. le président
La parole est à M. Jean-François Rousset.
M. Jean-François Rousset
L’option santé au lycée marche bien : en Aveyron, à Millau, une classe proposant cette option est ouverte depuis 2023. Les premiers étudiants qui en sont sortis sont déjà en première année de médecine et n’ont pas démissionné en novembre, comme cela arrive souvent.
Je suis favorable à une première année au plus près des territoires ruraux, dans les chefs-lieux de départements ; mais il est surtout important que des étudiants en fin de cycle aillent dans nos territoires, dans nos hôpitaux, auprès des spécialistes. C’est là qu’on en a vraiment besoin, et c’est là qu’ils ont vraiment besoin de formation. C’est ainsi qu’ils resteront dans les déserts médicaux.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre
Monsieur Houssin, il est en effet nécessaire de sensibiliser les futurs étudiants aux études médicales au moment de leur orientation. Celle-ci, pour les lycéens de l’éducation nationale, renvoie à une compétence régionale.
Je préfère être honnête : je ne peux pas vous dire avec précision où en est l’expérimentation menée dans les trois régions sélectionnées ; mais je suis favorable à ces mesures de sensibilisation, comme à la création de premières années de médecine dans les départements. En effet, j’ai été pendant huit ans vice-président de région ; parmi mes compétences, j’avais notamment l’enseignement supérieur. Dans deux départements, l’Ain et l’Ardèche, nous avons créé des premières années de médecine qui donnent satisfaction. Le taux d’abandon n’est pas plus élevé qu’ailleurs – la réussite est peut-être même plus fréquente qu’en moyenne, comme le note M. Rousset.
Forts de ces expérimentations locales, nous généralisons cette mesure dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux, présenté dans le Cantal fin avril. L’objectif, en renforçant les capacités d’accueil des universités et en jouant sur l’organisation, est de faire en sorte que chaque département ait une première année de médecine. Certains départements, en avance, pourraient même, à terme, se doter d’un premier cycle d’études de médecine – première, deuxième et troisième année.
Cela nécessitera des moyens. Nous avons travaillé avec la conférence des doyens sur les postes à créer pour donner corps au dispositif. En décembre 2023, l’Assemblée a adopté la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins, que j’avais déposée : elle prévoyait de supprimer le numerus apertus pour définir le nombre d’étudiants en fonction des besoins du territoire avant tout – et des capacités d’accueil des universités « à titre subsidiaire » ; lorsque ce texte entrera en vigueur, les universités bénéficieront d’un accompagnement qui leur fournira les moyens de former plus, mieux et partout.
M. le président
L’amendement no 112 de M. François-Xavier Ceccoli est défendu.
M. Philippe Brun
Où est la droite ?
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Avis favorable. Nous sommes attachés à la création d’un centre hospitalier universitaire (CHU) en Corse. Le Sénat débat d’ailleurs aujourd’hui du sujet.
Je voudrais dire un mot de la formation dans le cadre de cette première année de médecine. L’enjeu est essentiel et simple : permettre à des jeunes issus du milieu rural ou des quartiers populaires d’embrasser des études de médecine qu’ils s’interdisent parfois, estimant que l’établissement est trop éloigné de chez eux et que leur famille ne pourra pas les accompagner financièrement. C’est tout le sens de l’article 3.
Je me réjouis que le gouvernement ait repris et développé cette idée : il devrait se montrer favorable aux amendements que nous lui soumettrons ce soir.
M. le président
Sur l’article 3, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis du gouvernement sur l’amendement no 112 ?
M. Yannick Neuder, ministre
Je suis tout à fait favorable à la création d’un CHU dans chaque région, notamment en Corse, mais cette décision est déjà prise : la proposition de loi Colombani a été adoptée à l’Assemblée nationale. Les alinéas 5 à 7 sont donc superfétatoires, car satisfaits.
Mme Delphine Batho
C’est pourquoi l’amendement propose de les supprimer !
M. Yannick Neuder, ministre
Merci, madame Batho ! Avis favorable.
(L’amendement no 112 est adopté ; en conséquence, les amendements nos 64 rectifié, 85, 45 et 31 tombent.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 3, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 88
Nombre de suffrages exprimés 88
Majorité absolue 45
Pour l’adoption 88
Contre 0
(L’article 3, amendé, est adopté.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, EcoS, Dem, LIOT et GDR.)
Après l’article 3
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 110, portant article additionnel après l’article 3.
M. Thibault Bazin
Cet amendement vise à inciter les étudiants en médecine à découvrir l’exercice libéral, afin de favoriser les installations. Il est nécessaire de produire un choc d’attractivité en faveur de la médecine libérale, sans quoi de moins en moins de médecins feront ce choix, préférant l’exercice salarié, le remplacement exclusif ou la télémédecine. Par ailleurs, il faut trouver les voies pour inciter les futurs ou jeunes médecins à s’installer partout sur le territoire. C’est le sens de cet amendement d’appel.
Cependant, monsieur le ministre, je crois comprendre qu’un autre véhicule législatif – la proposition de loi du sénateur Philippe Mouiller – pourrait accueillir ces mesures.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Vous proposez de créer, à destination des étudiants en médecine, un stage obligatoire en cabinet médical libéral ou en établissement de santé privé. Je crains que cette mesure n’apparaisse trop coercitive, et que vous créiez ainsi une contrainte que d’aucuns considéreront comme insupportable.
Par ailleurs, vous risquez de déshabiller Pierre pour habiller Paul, en l’occurrence le secteur public hospitalier pour le secteur privé, alors que ce dernier ne participe toujours pas de façon systématique à la permanence des soins.
M. Jean-Paul Lecoq
Cela aiderait beaucoup, pourtant !
M. Guillaume Garot, rapporteur
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Je comprends le sens de l’amendement : éviter, pendant les études de médecine, que l’ensemble des stages s’effectuent en milieu hospitalier,…
M. Thibault Bazin
Exactement !
M. Yannick Neuder, ministre
…que ce soit dans un centre hospitalier universitaire ou dans un centre hospitalier périphérique disposant d’un agrément pour accueillir les internes.
S’agissant de la forme juridique de la mesure, nul besoin de véhicule législatif : il est possible de procéder par voie réglementaire.
M. Philippe Vigier
Absolument !
M. Yannick Neuder, ministre
Je préfère que nous retravaillions le dispositif pour définir précisément les lieux de stage où il importe d’envoyer des internes : il peut s’agir d’établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic), de cliniques privées ou de plus petits établissements hospitaliers.
Mme Ségolène Amiot
Et de maisons de santé !
M. Yannick Neuder, ministre
Nous obtiendrons ainsi une cartographie des lieux de stage agréés, ce qui permettra d’assurer un contenu pédagogique de qualité, comme nous le faisons à destination des internes de médecine générale pour lesquels nous travaillons étroitement avec le Collège national des généralistes enseignants (CNGE).
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Yannick Neuder, ministre
Je partage l’esprit de l’amendement ; voyons comment le retravailler sous forme réglementaire. Je vous demande donc le retrait, sans quoi mon avis sera défavorable.
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault Bazin
Je me réjouis que le ministre soit ouvert à la diversification des lieux de stage. L’appel ayant été entendu, je retire l’amendement.
J’ajoute que se pose la question du lieu d’installation des docteurs juniors. Je sais que des décrets sont attendus en ce sens ; il importe de réussir cette étape, en prévoyant de véritables compensations.
(L’amendement no 110 est retiré.)
Article 4
M. le président
La parole est à Mme Claire Marais-Beuil.
Mme Claire Marais-Beuil
Cet article vise à instaurer un service continu de soins en rétablissant l’obligation, pour l’ensemble des praticiens – salariés ou libéraux –, de participer à la permanence des soins ambulatoires (PDSA). Depuis 2002, la participation des médecins libéraux à ce dispositif repose sur le volontariat, sauf en cas de réquisition par le préfet.
La suppression de cette obligation de permanence des soins, notamment en médecine de ville, est l’une des sources de l’engorgement des services d’urgences dans les hôpitaux, qui donne lieu à un accueil particulièrement précaire aboutissant à une perte de chances et, parfois, à des situations dramatiques.
Si cette obligation de permanence des soins part d’une bonne intention – tenir la promesse d’un accès optimal et continu à une offre de soins –, nous vous alertons quant à son application, qui peut se révéler délicate. Nous avons déposé un amendement à ce sujet, afin de prendre en compte la situation particulière de certains professionnels de santé, tels que les femmes médecins enceintes ou les médecins retraités ayant repris une activité.
De plus, je tiens à vous faire remarquer qu’à l’inverse des médecins hospitaliers, aucun repos compensatoire n’est prévu pour la médecine de ville.
M. Philippe Vigier
Oh là là !
Mme Claire Marais-Beuil
Vous avez déjà travaillé 70 heures par semaine, en assurant des nuits et en reprenant le lendemain ? Arrêtez !
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault Bazin
L’article 4 est, avec l’article 1er, celui qui suscite le plus d’inquiétudes. Deux questions subsistent : n’allons-nous pas désinciter à l’installation ? Autre effet pernicieux et contre-productif, ceux qui travaillent beaucoup, jusqu’à 70 heures par semaine, ne finiront-ils pas par réduire leur temps médical si on les oblige à assurer la PDSA ? Le cas a été évoqué des femmes médecins enceintes, qui ont parfois besoin d’en être exemptées.
Mme Delphine Batho
C’est déjà dans le texte !
M. Thibault Bazin
La question importante n’est pas celle du taux de participation à la PDSA, mais de savoir si celle-ci est assurée sur l’ensemble du territoire. Or 96 % ou 97 % du territoire est couvert : cela ne rend-il pas cet article inutile, voire contre-productif ? Ne faisons pas fausse route en prenant de telles mesures. J’ai peur…
M. Nicolas Sansu
N’ayez pas peur, comme disait l’autre !
M. Thibault Bazin
…qu’elles désincitent à l’installation, voire qu’elles fassent perdre du temps médical. Or si on veut lutter contre les déserts médicaux, il faut libérer du temps médical.
M. le président
Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 2, 46 et 62, tendant à supprimer l’article 4.
La parole est à M. Paul-André Colombani, pour soutenir l’amendement no 2.
M. Paul-André Colombani
Cet amendement vise à supprimer l’article 4, qui rétablit la permanence des soins ambulatoires. Elle existe là où c’est possible. Si des territoires en sont dépourvus, c’est que les bras manquent pour l’assurer : la population et les praticiens ont vieilli. Rétablir cette permanence des soins obligerait certains professionnels, qui travaillent déjà 40 à 60 heures par semaine, à travailler le dimanche. Je ne suis pas certain que cela rende ces territoires attractifs.
M. le président
L’amendement no 46 de Mme Christelle Petex est défendu.
La parole est à M. Jean-François Rousset, pour soutenir l’amendement no 62.
M. Jean-François Rousset
Nous avons récemment évoqué le sujet de la permanence des soins avec les représentants des syndicats de médecins : ils indiquent qu’au niveau national, près de 90 % du territoire est couvert. Par ailleurs, ils nous demandent de faire confiance aux médecins, qui s’organisent en prenant en compte leurs différences d’âge et de capacité à assurer des gardes – certaines femmes enceintes n’en ont pas la possibilité.
Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui se déploient progressivement, permettent une organisation optimale de la permanence des soins ; nous considérons qu’il n’y a pas lieu de la réguler.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements de suppression ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Avis défavorable. Le rétablissement du caractère obligatoire de la permanence des soins est une nécessité. Ne serait-ce qu’au profit des services d’urgences : leur engorgement est évidemment lié à l’absence de permanence des soins, même s’il est vrai que dans certains départements, comme en Mayenne, les urgences se trouvent saturées alors que la permanence des soins remplit son office. Sur le terrain, nous constatons l’épuisement de ceux qui assurent cette permanence des soins, parce qu’ils sont trop peu nombreux : seule la moitié des médecins généralistes y participe.
Le principe de l’article est simple : faire en sorte que tous les médecins assument cette permanence des soins, afin que la charge qui pèse sur chacun soit la moins lourde possible.
M. Hadrien Clouet
C’est du bon sens !
M. Guillaume Garot, rapporteur
Il s’agit d’un principe d’équité et de partage, qui garantira durablement l’attractivité du beau métier de médecin généraliste.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Comme le rapporteur, je suis favorable à ce qu’on demande peu à beaucoup de médecins, afin d’éviter de demander beaucoup à peu de médecins. Cependant, mon expérience personnelle me conduit à soutenir ces amendements de suppression. J’ai été maire durant vingt ans et, pendant les premières années de mon mandat, nous n’avions pas suffisamment de médecins dans le territoire. Mais je me suis toujours opposé à la réquisition que proposait le préfet : si les futurs médecins susceptibles de s’installer dans un territoire en difficulté apprennent qu’ils y seront réquisitionnés plusieurs fois par mois, ils renoncent à venir. Progressivement, en évitant ces réquisitions dissuasives, et compte tenu de la pyramide des âges, de nouvelles installations ont eu lieu, et nous avons finalement pu assurer la permanence des soins.
L’obligation de participer à la permanence des soins est donc très désincitative, à la fois pour les jeunes médecins qui voudraient s’installer, et pour les médecins plus âgés qui, passé la soixantaine, partiront plus tôt à la retraite s’ils se trouvent contraints d’assurer des gardes.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
C’est faux !
M. Yannick Neuder, ministre
Les chiffres ont été rappelés : 90 % du territoire, ou presque, est couvert par une permanence de soins. Son organisation doit conserver une dimension incitative.
M. le président
Il y a six demandes de prise de parole. Il nous sera difficile de terminer à l’heure si nous continuons à ce rythme. Je vais donc donner la parole à deux orateurs favorables aux amendements et deux orateurs qui leur sont opposés.
M. Jean-Paul Lecoq
Beaucoup de médecins !
M. le président
La parole est à M. Michel Lauzzana.
M. Michel Lauzzana
Je suis favorable aux amendements de suppression pour les raisons déjà exposées.
J’appelle en outre votre attention sur les rapports annuels que publie le Conseil national de l’Ordre des médecins au sujet de la permanence des soins ambulatoires. En 2019, il estimait qu’elle était mal assurée, mais il a constaté depuis une forte amélioration : elle est désormais assurée dans 90 % du territoire.
Ainsi, alors qu’il existe une dynamique favorable à la permanence des soins, vous allez la casser en cherchant à contraindre les personnes. La moitié des médecins vont partir à la retraite d’ici quelques années ; une grande partie d’entre eux sont d’un âge avancé, fatigués, avec une grosse clientèle : les obliger à assurer la permanence des soins, source de fatigue supplémentaire, ne les incitera pas à poursuivre leur activité alors que nous avons besoin d’eux.
M. le président
La parole est à M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet
Le groupe La France insoumise s’opposera évidemment à ces amendements.
Qu’est-ce que la permanence des soins ? Il s’agit d’accueillir la nuit, les jours fériés ou le week-end les personnes qui auraient la mauvaise idée de tomber malade en dehors des heures ouvrables, ce qui arrive évidemment à toutes et à tous. Alors qu’il est nécessaire – on en conviendra – de disposer d’une capacité d’accueil et de soins à ces moments-là, cette charge – nombre d’heures d’accueil et personnes accueillies – repose quasi exclusivement, à hauteur de 85 %, sur le service public. (M. Michel Lauzzana proteste.)
Une autre part incombe aux praticiennes et aux praticiens libéraux dont un peu plus d’un tiers organise volontairement cette permanence des soins. Dans l’exposé des motifs de certains amendements puis lors de certaines interventions, on nous a dit que ce taux était passé de 38 à 39 % en deux ans. C’est formidable ! On n’a plus qu’à attendre : dans 120 ans, on sera à 100 % ! Ce n’est pas très sérieux…
La permanence des soins a été supprimée en 2002. La couverture territoriale s’est-elle améliorée depuis ?
M. Jean-François Rousset
Oui !
M. Hadrien Clouet
Non, elle s’est même encore détériorée l’an dernier dans quarante départements. Il y a urgence à empêcher cette dégradation d’un territoire à l’autre.
Cela répond à une demande des patientes et des patients mais aussi – entendez-le ! – de ce tiers des praticiennes et des praticiens libéraux qui assurent la permanence des soins et qui ont besoin que cette contrainte soit mieux répartie. Cela diviserait leur charge de travail par trois : ils passeraient d’une permanence toutes les quatre ou six semaines à une toutes les quinze semaines. C’est une demande formulée par des soignantes et des soignants qui exercent dans des territoires où ils et elles sont trop peu nombreux à assurer cette tâche d’utilité publique pour répondre aux besoins de la population.
Cela répond aussi à la question de l’attractivité car dire qu’il y aura trois fois moins de permanences à assurer permettra d’attirer trois fois plus de médecins sur le territoire.
M. le président
La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier
Je voterai contre ces amendements de suppression. Jusqu’au début des années 2000, des gardes n’étaient-elles pas organisées nuit et jour sur le territoire national ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et GDR.)
Deuxième élément, si l’hôpital public reçoit de plus en plus de patients, ce qui pose des difficultés, on ne peut s’arrêter à ce constat sans chercher des solutions.
Le volontariat, c’est très bien, mais au bout d’un moment, les volontaires se découragent. S’il n’y a pas d’obligation, la crise s’amplifiera et il y aura moins de volontaires pour assurer cette permanence des soins. Il est impossible de faire reposer un modèle sur le seul volontariat.
Qu’ils exercent dans le public ou dans le secteur privé, les médecins participent au service public territorial de santé. Pour moi, s’occuper des gens, les soigner, c’est un axe sociétal essentiel. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille
M. Cyrille Isaac-Sibille
Il existe de nombreuses manières d’exercer la médecine libérale. Il y a le modèle d’antan, celui du médecin de famille qui travaille jusqu’à 20 ou 21 heures, qui se déplace, qui peut être appelé le week-end. Lorsque vous êtes ainsi à la disposition de votre patientèle, vous assurez une permanence des soins vis-à-vis d’elle. Mais ce modèle tend à disparaître.
D’autres modes d’exercice ont tendance à se développer, qui se caractérisent par des horaires très stricts. Aux personnes qui excercent dans ce cadre-là, on peut demander d’assurer la permanence des soins.
Cet article est intéressant dans la mesure où il vise les médecins salariés, travaillant dans les centres de santé. Ces médecins salariés arrêtent à 17 heures ; ils travaillent 35 heures par semaine et n’ont pas du tout le même exercice que le médecin de famille qui exerce 60 ou 70 heures par semaine.
Au regard de l’hétérogénéité des modes d’exercice de la médecine générale, je ne pense pas qu’on doive contraindre tout le monde. Dans mon département, récemment, les gendarmes sont arrivés chez une jeune femme médecin – qui avait cet exercice de médecin de famille, consacrant son temps à ses patients – pour lui remettre un arrêté de réquisition en vue de la contraindre à réaliser des gardes. Dégoûtée, elle s’est mise en arrêt de travail pendant un mois. La contrainte est-elle vraiment la solution ? Contraindre tout le monde, non ! Contraindre les salariés, pourquoi pas ?
(Les amendements identiques nos 2, 46 et 62 ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 102.
M. Thibault Bazin
Avons-nous un souci majeur de permanence des soins ?
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Oui !
M. Thibault Bazin
Non, puisque 96 % des territoires sont couverts. Il demeure que 4 % ne le sont pas. Cet amendement propose d’y remédier.
Philippe Vigier nous dit que qu’on ne peut pas se reposer sur le volontariat car la situation va être de plus en plus compliquée. Avec mon amendement, s’il s’avère que ce ne sont plus 4, mais 8 % des territoires qui posent un problème, nous pourrons le gérer.
Le taux de participation des professionnels de santé n’est pas un critère suffisant pour évaluer de manière qualitative le fonctionnement de la PDSA. Dans certains départements, le taux de participation est faible – par exemple, il est de 9 % à Paris – sans qu’il y ait de difficulté à remplir les gardes. Il faut donc prendre en compte la diversité des territoires et je sais, monsieur le ministre, que vous y êtes très attentif. Je propose de modifier cet article en ne rétablissant l’obligation de permanence des soins ambulatoires que dans les départements où c’est nécessaire. Tel est le sens de l’amendement.
Cela ne devrait pas poser de difficulté à ceux qui soutiennent cette proposition de loi puisqu’en votant cet amendement ils obtiendront le résultat recherché par l’article 4 dans les départements où le problème de la permanence des soins se pose.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Monsieur le rapporteur général, une fois de plus – j’en suis désolé – j’émets un avis défavorable à l’un de vos amendements…
M. Thibault Bazin
À tous mes amendements !
M. Guillaume Garot, rapporteur
…pour des raisons simples et très concrètes.
Premièrement, vous exemptez du caractère obligatoire de la permanence des soins des départements dans lesquels elle ne fonctionne aujourd’hui qu’au prix de l’épuisement des quelques professionnels qui en assument l’effort au nom de tous les autres. Il y a là une question d’inégalité – et même d’efficacité – à traiter
En outre, il n’est pas certain que le département constitue l’échelon adéquat pour organiser les choses. Dans un département comme la Meurthe-et-Moselle, que vous connaissez bien, il faut sans doute agir à l’échelle infradépartementale. Avis défavorable
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable. Vous voulez introduire une différenciation territoriale, mais les choses peuvent changer très vite, d’une année à l’autre, en fonction des départs en retraite et de l’arrivée, ou non, de nouveaux médecins.
Je comprends l’esprit de votre amendement, mais il me paraît quand même vraiment difficile à mettre en œuvre. Avis défavorable. (M. Philippe Vigier applaudit.)
(L’amendement no 102 est retiré.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements, nos 43 rectifié et 53, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 43.
M. Guillaume Garot, rapporteur
Il s’agit d’un amendement rédactionnel : il vise à préciser que l’ensemble des médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes, libéraux ou salariés, sont concernés par le dispositif. Il est important de le rappeler et de l’écrire noir sur blanc.
M. le président
L’amendement no 53 de M. Jérôme Nury est défendu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 53 ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
La commission a repoussé l’amendement, le considérant satisfait puisque la terminologie « médecins » inclut par définition les médecins remplaçants.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement sur ces deux amendements ?
M. Yannick Neuder, ministre
Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée sur le no 43 rectifié et je suis défavorable à l’amendement no 53.
M. le président
La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.
M. Cyrille Isaac-Sibille
L’amendement du rapporteur n’est pas vraiment un amendement rédactionnel puisqu’il soumet les spécialistes à la PDSA, alors qu’ils en étaient exemptés. Il est intéressant car il reprend un de mes amendements, adopté en commission, qui visait à inclure les médecins salariés dans le dispositif. Les médecins des centres de santé, généralistes ou spécialistes, qui se cantonnent souvent à 35 heures de travail, doivent être impliqués dans la permanence des soins, au même titre que les médecins libéraux.
(L’amendement no 43 rectifié est adopté ; en conséquence, l’amendement no 53 tombe.)
(M. Philippe Brun applaudit.)
M. le président
Sur l’article 4, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Katiana Levavasseur, pour soutenir l’amendement no 29.
Mme Katiana Levavasseur
Cet amendement vise à préserver l’équilibre entre la continuité des soins et la prise en compte des situations particulières des professionnels de santé, tout en laissant la possibilité d’une participation volontaire à la permanence des soins.
Si la permanence des soins ambulatoires est un élément fondamental du système de santé, garantissant un accès continu aux soins pour les usagers, son application doit tenir compte des contraintes spécifiques rencontrées par certains professionnels de santé. Les femmes enceintes doivent bénéficier d’un aménagement adapté à leur état afin de prévenir tout risque pour elles-mêmes et pour l’enfant à naître.
Par ailleurs, des professionnels peuvent être confrontés à des limitations médicales ou physiques rendant difficile l’accomplissement de certaines missions.
Plutôt qu’une exemption automatique liée à l’âge, il apparaît plus pertinent de confier cette évaluation aux ordres professionnels compétents, qui sont les mieux placés pour apprécier la capacité des soignants à assurer la PDSA. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
L’amendement est satisfait, pour une raison extrêmement simple : le droit commun des inaptitudes, qui s’appliquera en l’occurrence, prévoit le cas des femmes enceintes. Avis défavorable.
(L’amendement no 29, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 4, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 110
Nombre de suffrages exprimés 110
Majorité absolue 56
Pour l’adoption 92
Contre 18
(L’article 4, amendé, est adopté.)
Après l’article 4
M. le président
Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 4. La parole est à Mme Katiana Levavasseur, pour soutenir le no 24.
Mme Katiana Levavasseur
Garantissant un accès continu aux soins pour les usagers, la permanence des soins constitue le pivot de l’organisation du système de santé. Toutefois, sa mise en application doit tenir compte des réalités physiologiques et professionnelles des soignants : l’imposer sans distinction pourrait avoir des conséquences néfastes, notamment pour les femmes enceintes, dont l’état de santé nécessite une adaptation des conditions de travail en vue de prévenir tout risque pour elles et pour l’enfant à naître. De même, les professionnels de santé qui ont atteint l’âge de 60 ans…
M. Hadrien Clouet
La retraite à 60 ans !
Mme Katiana Levavasseur
…et mérité en conséquence de liquider leur retraite devraient être dispensés de cette obligation, compte tenu des difficultés de leur métier. Cet amendement vise donc à intégrer au texte une mesure de bon sens, conciliant continuité des soins et préservation des soignants les plus vulnérables, sans interdire pour autant, le cas échéant, leur participation volontaire à la permanence des soins. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Même réponse, madame la députée, qu’au sujet de votre précédent amendement : celui-ci est également satisfait grâce au régime des inaptitudes, à l’incapacité pour cause de grossesse, qui continueront bien évidemment de s’appliquer. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
L’amendement étant satisfait, même avis.
(L’amendement no 24 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 36 de M. Elie Califer est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable. S’agissant des médecins itinérants, la création d’une réglementation incitative serait certes intéressante, mais il convient de renvoyer ce débat à l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Avis défavorable : l’amendement est satisfait.
(L’amendement no 36 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 101.
M. Thibault Bazin
Je ne pense pas que ce texte règle le problème de la pénurie de médecins, donc de l’accès aux soins. Il faudrait adopter un ensemble de mesures puissantes : former davantage, libérer du temps à nos soignants, permettre à ceux qui ont été formés de faire le choix d’une installation en médecine libérale.
Cet amendement d’appel vise à ce que soit évaluée, sous forme de rapport, l’opportunité de deux mesures. D’une part, l’introduction de modules préparatoires au concours de première année de médecine au sein des classes de première et de terminale des départements en grande difficulté d’accès aux soins ; la crise des vocations étant d’autant plus forte dans les déserts médicaux, il serait intéressant d’y créer plus particulièrement les conditions de la réussite. D’autre part, l’expérimentation d’un statut d’assistant territorial pour les médecins, quelle que soit leur spécialité, ayant achevé leur formation à l’issue de leur internat et qui se porteraient volontaires pour exercer, un ou deux ans durant, dans une zone sous-dotée.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Je suis très réservé au sujet de ces rapports qui sont de plus en plus souvent demandés et n’aboutissent pas toujours, tant s’en faut. Quant au fond, la situation est documentée : notre groupe transpartisan a travaillé en ce sens, la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins se penche sur le problème. Nous disposons de données qui nous permettent de légiférer en toute connaissance de cause. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Monsieur le rapporteur général, je conçois le sens de votre amendement, qui porte sur deux éléments essentiels. Compte tenu du déficit numérique des professionnels de santé, nous souhaitons, en lien avec le ministère de l’éducation nationale et les dispositifs d’orientation des régions, généraliser la sensibilisation au sein des classes de première et de terminale : cette volonté vaut non seulement pour la formation médicale, mais pour toutes les formations paramédicales ainsi que la pharmacie ou l’odontologie. C’est en train de se faire ! Sur ce point, l’amendement est donc satisfait.
Quant à votre seconde proposition, des postes d’assistant spécialisé existent déjà ; afin de favoriser les installations, je travaille plutôt en ce moment à la création de postes d’assistant de territoire, dans la continuité des docteurs juniors et dans le cadre du pacte de lutte contre les déserts médicaux. Par conséquent, je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.
(L’amendement no 101 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Géraldine Bannier, pour soutenir l’amendement no 15.
Mme Géraldine Bannier
Il prévoit que « le gouvernement remet au Parlement, avant le 1er janvier 2026, un rapport sur la possibilité, dans les zones où existe une première année du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d’odontologie et de maïeutique, de proposer une deuxième année ». Le rapporteur l’a dit, la première année de médecine fonctionne parfois fort bien : en Mayenne, les résultats sont supérieurs à la moyenne nationale. Il n’y a donc aucune raison de ne pas en instaurer une deuxième ; ce serait important pour les jeunes issus de milieux défavorisés, qui peuvent avoir peur de s’établir dans une grande ville, loin de l’endroit où se situe leur lycée, et pour qui il n’est pas non plus évident d’envisager dix ans d’études. Là où la première année fonctionne très bien, je le répète, nous devons impérativement encourager la possibilité d’une deuxième.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Peut-être conviendrait-il d’évaluer d’abord la première année là où elle existe, même si nous souhaitons généraliser ces bonnes pratiques et ouvrir largement les études de médecine à des élèves qui, aujourd’hui, se les interdisent. Demande de retrait ; à défaut, sagesse.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Je vous comprends parfaitement, madame la députée, puisque, comme je l’ai dit tout à l’heure, il y a dans les territoires des premières années qui se passent très bien ; pourquoi pas une deuxième année, voire une troisième ? J’ai grande envie d’émettre un avis favorable, mais je ne le ferai pas, pour une simple et bonne raison : nous avons force discussions avec le ministre de l’enseignement supérieur au sujet de la réforme du système Pass-LAS – parcours d’accès spécifique santé et licence accès santé. Il y a eu là beaucoup de reports juridiques, et vous savez que je ne valide pas, pour ma part, cette façon de sélectionner les étudiants. Si nous voulons être tout à fait logiques, cela ne présenterait guère de sens de convenir d’un rapport en vue de l’évaluation d’un système qui sera bientôt réformé afin de mieux tenir compte des besoins et surtout, à terme, de supprimer le numerus apertus, augmentant ainsi les capacités. Cela n’entache en rien notre volonté, dans le cadre du pacte de lutte contre les déserts médicaux, d’instaurer partout une première année…
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Yannick Neuder, ministre
…et si elle se passe bien, d’enclencher un premier cycle. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
(L’amendement no 15 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille, pour soutenir l’amendement no 20.
M. Cyrille Isaac-Sibille
Nous nous occupons beaucoup de l’organisation du système de santé, de son financement, mais les acteurs ne sont pas forcément au fait de ce dont nous parlons. Il importe de les responsabiliser, à commencer par les professionnels de santé ; la moindre des choses serait que leurs études comportent un module consacré à cette organisation, à ce financement, qu’il s’agisse de l’hospitalisation, des médicaments, des transports. Je le répète, si nous voulons responsabiliser les médecins, il convient avant tout qu’ils soient au courant. Cet amendement consiste donc en une demande de rapport évaluant l’opportunité d’introduire un tel module de formation.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Avis défavorable par principe, s’agissant, encore une fois, de cette multiplication des demandes de rapport. En outre, je crains que le sujet de la formation de nos futurs médecins ne soit abordé que sous un seul angle, alors que c’est l’ensemble de cette formation qu’il convient de remettre sur le métier, de repenser ; il s’agit là d’une évidence, du moins d’une forte demande des étudiants en médecine. L’approche doit être cohérente et globale, non parcellaire.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
J’entends le message que vous souhaitez faire passer : ces dix années d’études de médecine, très orientées vers une carrière hospitalière, ne sont pas en lien avec l’activité libérale. L’un des freins à l’installation en ville réside dans le fait que nous ne préparons pas tellement nos médecins à être des chefs d’entreprise – ce qu’ils sont aussi, d’une certaine manière –, à gérer l’emploi de secrétaires, d’assistants médicaux, à évaluer les politiques de prévention ou savoir combien coûte un bon de transport. Je partage donc votre opinion sur le fond ; peut-être les modules ont-ils beaucoup évolué, mais cela ne mangerait pas de pain de faire le point et d’affirmer qu’à l’enseignement académique de la médecine doit s’ajouter la question de sa pratique, ce qui constitue le sens de votre amendement. Avis favorable.
(L’amendement no 20 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Géraldine Bannier, pour soutenir l’amendement no 14.
Mme Géraldine Bannier
Deuxième chance pour la députée de la Mayenne ! Cet amendement est issu de ceux que je dépose depuis 2019, prolongés par une proposition de loi qu’ont signée soixante députés. Il s’agit d’une demande de rapport visant à ce que soit étudiée l’instauration pour les jeunes médecins qui viennent d’obtenir leur diplôme d’État d’un service médical citoyen, fondé sur le volontariat, partout où nous aurons des places – maisons de santé, centres de santé, car il s’y trouve des postes vacants, bien que les collectivités investissent beaucoup. Les étudiants en médecine y sont favorables, les internes également ; nous avons le soutien de l’Académie de médecine, à qui le service médical citoyen doit cette appellation. (Mme Stella Dupont applaudit.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Je considère qu’il s’agit d’un amendement d’appel, sur un sujet que vous défendez depuis plusieurs mois. La commission s’est exprimée défavorablement à cette demande de rapport.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre
Sachez que, dans le cadre du pacte de lutte contre les déserts médicaux, nous allons créer un statut de praticien territorial de médecine ambulatoire. Une fois que les docteurs juniors auront effectué leur année, ils pourront poursuivre avec un statut de praticien. Cet amendement est cohérent avec les dispositions prévues dans ce pacte. Je m’en remets donc à la sagesse de l’Assemblée.
(L’amendement no 14 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Josiane Corneloup, pour soutenir l’amendement no 16.
Mme Josiane Corneloup
Cet amendement propose la remise d’un rapport du gouvernement portant sur la suppression du médecin traitant ou du médecin référent. Compte tenu de la pénurie actuelle de médecins généralistes, de plus en plus de Français se retrouvent sans médecin traitant. L’idée de définir un médecin traitant ou un médecin référent était d’éviter le nomadisme médical ; force est de constater que l’objectif n’a pas été atteint.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
La commission avait également repoussé cette demande de rapport, arguant du fait que le médecin traitant doit rester au centre de notre système de santé. Un tel rapport viendrait finalement contredire cette conviction partagée même si, nous le savons bien, ce système fondé sur le médecin traitant est perfectible. Nous devons évoluer et travailler sur des pistes d’amélioration permettant de promouvoir le partage de pratiques ou les délégations de compétences pour le renforcer.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Je suis très défavorable à cet amendement. La rédaction d’un rapport proposant la suppression du médecin traitant n’est pas souhaitable. Je crois au contraire qu’il est temps de rappeler que nous avons besoin de médecins traitants dans ce pays, et qu’il faut en former davantage, parce qu’ils jouent un rôle fondamental.
Notre objectif est de lutter contre l’inefficience de certains actes médicaux, contre la reproduction d’ordonnances ou de prescriptions de biologie, qui pèsent sur le budget de la sécurité sociale. Or, si ces phénomènes existent, c’est souvent parce que nos concitoyens s’adressent à plusieurs professionnels de santé qui, à la différence du médecin traitant, ne connaissent pas l’intégralité de leur dossier médical.
Je ne veux pas d’un rapport qui acterait l’enterrement du médecin traitant ; je préférerais disposer d’un rapport permettant d’en former davantage, et mieux, partout dans le territoire. C’est justement l’objet du pacte de lutte contre les déserts médicaux.
(L’amendement no 16 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 100.
M. Thibault Bazin
J’anticipe votre réponse. Je pense aussi que l’abus de rapports nuit à la santé démocratique. L’important, c’est de leur donner suite. Ces amendements sont donc plutôt des amendements d’appel – d’appel au gouvernement.
Certes, cette proposition de loi contient plusieurs mesures – dont certaines peinent d’ailleurs à me convaincre – mais d’autres sont nécessaires si l’on veut vraiment lutter contre les déserts médicaux et ne pas risquer d’aggraver encore la situation. La question de l’accès aux soins excède celle de l’accès aux médecins généralistes. L’accès à certaines spécialités est tout aussi nécessaire : je pense par exemple à l’imagerie et à la biologie.
Monsieur le ministre, pourrait-on réfléchir à l’opportunité d’instituer un statut spécifique pour le plateau d’imagerie médicale ambulatoire de proximité ? Certaines régions bénéficient déjà d’un maillage territorial de proximité, du fait d’une nouvelle modalité d’organisation. La création d’un statut propre conférerait un cadre légal au modèle, réduirait les délais et garantirait un accès de proximité à l’imagerie.
C’est un enjeu de prévention. On sait bien que lorsqu’on a un maillage de proximité efficace, on a une prévention efficace. Je prendrai l’exemple du dépistage du cancer du sein. À ce jour, seules 50 % des femmes invitées au dépistage entre 50 et 75 ans s’y rendent effectivement. Ce taux de participation est notamment lié à l’accessibilité des cabinets de proximité. Ce n’est pas satisfaisant ; nous devons progresser.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Monsieur le rapporteur général, vous avez vous-même fort bien répondu à la question que vous posez. (Sourires.) Faut-il multiplier le nombre de rapports ? Nous n’en sommes absolument pas convaincus, d’autant que votre amendement porte sur un point très spécifique qui ne mérite pas nécessairement la rédaction d’un rapport dédié.
M. Thibault Bazin
C’était un amendement d’appel au gouvernement !
M. Guillaume Garot, rapporteur
J’ai bien compris mais, en tant que rapporteur, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Vous voulez renforcer l’accessibilité des plateaux d’imagerie.
M. Thibault Bazin
Vous aviez vous-même déposé une proposition de loi sur le sujet !
M. Yannick Neuder, ministre
Je vous remercie de le rappeler. C’est un sujet important. Vous l’avez rappelé, dans le cas du cancer du sein, le taux de dépistage de la population-cible s’élève à environ 50 %. Nous avons donc des marges d’amélioration. Il faut naturellement accentuer les campagnes de prévention et favoriser par tous les moyens l’accès à la mammographie.
Du reste, aucun obstacle juridique ne bloque la possibilité de créer un plateau d’imagerie médicale ambulatoire de proximité. Votre amendement me paraissant satisfait, je vous invite à le retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
(L’amendement no 100 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Christophe Marion, pour soutenir l’amendement no 54.
M. Christophe Marion
La demande de rapport que je formule par cet amendement est un moyen de vous interpeller sur les assouplissements qui pourraient être apportés à l’exercice de la télémédecine dans le but de permettre un meilleur accès aux soins dans les territoires sous-dotés.
Évidemment, je n’appelle pas à déréguler le secteur de la téléconsultation ; l’accord trouvé entre les parties prenantes et l’assurance maladie est précieux, et il est impératif d’utiliser la télémédecine avec modération pour profiter de ses avantages sans dégrader l’offre de soins ou nuire au suivi des patients. Il est notamment indispensable de ne pas déroger à certaines conditions, telle que l’alternance de rendez-vous en présentiel et en distanciel.
Néanmoins, des exceptions à d’autres conditions existent déjà et permettent de tenir compte des difficultés d’accès aux soins. Je pense aux dérogations permises au respect du parcours de soins coordonnés et au respect de la territorialité pour les patients ne disposant pas de médecins traitants ou pour les patients résidant dans les zones d’intervention prioritaires.
Dans le même esprit, nous pourrions réfléchir à des dérogations à une autre condition : la limitation de l’exercice de la télémédecine à 20 % maximum du volume d’activité d’un médecin. Ce niveau pourrait par exemple être dépassé pour les médecins qui réalisent des consultations à destination de personnes résidant dans un désert médical, ou pour les médecins retraités.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
La commission a pris une position de principe, s’agissant des demandes de rapports. Je donne donc un avis défavorable à votre amendement, même si le sujet est important.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Vous proposez de supprimer le seuil d’exercice de la télémédecine dans le volume d’activité des médecins. J’y suis partiellement favorable. Nous allons y procéder dans le cadre du pacte de lutte contre les déserts médicaux, en assouplissant les critères pour les médecins retraités. Cette exception s’explique par le fait que les médecins retraités n’ont, par définition, plus de cabinet. Je suis donc favorable à la suppression du seuil des 20 % dans ce cas-là.
En revanche, je ne suis pas favorable à la généralisation de cet assouplissement. La lutte contre les déserts médicaux doit permettre d’assurer une présence médicale physique à proximité de l’ensemble de nos concitoyens. Il serait insatisfaisant de remplacer toute activité médicale par de la télémédecine.
Bien évidemment, je ne suis pas contre la télémédecine ; elle constitue une aide importante, c’est l’un des moyens permettant de résoudre les tensions actuelles liées à l’offre médicale, mais elle ne peut pas être le seul moyen de lutter contre les déserts médicaux. En cas de dérégulation, on sait très bien qu’il y aura des dérives.
Des enquêtes ont montré que certains rendez-vous en téléconsultation duraient 4 à 5 minutes. J’ai été médecin pendant 25 ans ; je ne suis pas sûr que l’on puisse vraiment régler le problème des gens en 4 ou 5 minutes de téléconsultation. Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, c’est un avis défavorable.
(L’amendement no 54 est retiré.)
M. le président
L’amendement no 18 de M. Fabrice Brun est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Avis défavorable, du fait même de l’adoption de l’article 2 qui résout une grande partie de la question posée.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
(L’amendement no 18 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 80 de Mme Katiana Levavasseur est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Défavorable, d’autant que nous disposons déjà des données sur la question.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
(L’amendement no 80 n’est pas adopté.)
Article 5
(L’article 5 est adopté.)
Titre
M. le président
La parole est à M. Michel Lauzzana, pour soutenir l’amendement no 105.
M. Michel Lauzzana
Je propose de modifier le titre du texte, car rien n’est pire que le dépit provoqué par des promesses non tenues. Or, je pense que la promesse de ce titre ne sera pas tenue.
Tout d’abord, les agences régionales de santé (ARS) disent que les dispositions de ce texte ne sont pas applicables ; cette loi ne sera donc pas appliquée
Ensuite, je souhaite souligner que dans les circonscriptions rurales, comme la mienne, la médecine générale reste la médecine de premier recours. Or, les étudiants en médecine vont très certainement adopter une stratégie pour éviter d’exercer la médecine générale en zone rurale. La création d’une nouvelle obligation n’y changera rien ; ils pourront toujours la contourner, en choisissant des spécialités, en s’orientant vers la médecine non conventionnelle, en s’inscrivant dans d’autres secteurs, en exerçant en tant que médecin salarié ou en tant que médecin du travail. Ils ne s’installeront pas en zone rurale.
De plus, vous ne prenez pas en compte le fait que les grandes villes sont aussi des déserts médicaux. Or les ARS reçoivent aussi les maires des grandes villes, qui ont beaucoup plus de poids. On peut donc s’attendre à ce que les médecins généralistes soient affectés prioritairement dans les grandes villes. Cela veut dire qu’il n’y aura pas d’installation de médecins dans le tissu rural. La priorité sera toujours mise sur les grandes villes.
Enfin, vous allez casser la dynamique que nous avons créée avec le dispositif des docteurs juniors. Ils sont au nombre de 3 700 et, dans mon département, une quarantaine d’entre eux vient gonfler les effectifs de médecine générale. Vous allez casser cette dynamiqu : vous verrez qu’il y aura beaucoup moins d’inscriptions en médecine générale, et moins de médecins sur le terrain.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Guillaume Garot, rapporteur
Avis défavorable. Nous tenons au contraire à ce titre : il exprime le sens de notre combat contre les déserts médicaux. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes EcoS et GDR.)
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre
Sagesse. Il serait en effet malhonnête de penser que les solutions que contient cette proposition de loi sont les seules à même de lutter contre les déserts médicaux : il y en a bien d’autres, au contraire, et nous y reviendrons.
M. le président
La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.
M. Cyrille Isaac-Sibille
Nous sommes unanimes pour constater que la répartition des professionnels de santé sur le territoire n’est pas homogène.
M. Emmanuel Duplessy
Mais il est urgent de ne rien faire !
M. Cyrille Isaac-Sibille
Cependant, cette proposition de loi envoie trois mauvais messages.
D’abord, on le sait, la médecine libérale ne va pas très bien : seuls 14 % des jeunes diplômés s’installent dans la première année qui suit l’obtention de leur diplôme. Cette proposition de loi ne fera qu’aggraver le déclin de la médecine libérale – ce que pourtant personne, je crois, ne souhaite. Elle est donc contre-productive.
Ensuite, elle envoie un faux message en disant à nos concitoyens que le problème des déserts médicaux va être réglé. Je suis persuadé que ce ne sera pas le cas. Nous, politiques, de droite comme de gauche, sommes responsables de cette situation. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Mais nous n’allons rien régler…
Mme Marie Pochon
On essaye, au moins !
M. Cyrille Isaac-Sibille
…et, de nouveau, nous allons faire une erreur.
Enfin, quel message envoyons-nous aux jeunes ? Je me suis rendu à la manifestation pour discuter avec les gens qui étaient là : de jeunes internes, de jeunes externes, des jeunes installés. Nous leur faisons porter le poids de nos erreurs : ce sont bien eux que vous ciblez, alors qu’ils ne sont pour rien dans nos problèmes démographiques – je le redis, ce sont tous les politiques depuis trente ans qui sont responsables.
Mme Farida Amrani
Nous n’y sommes pour rien, nous !
M. Cyrille Isaac-Sibille
Je suis donc favorable à cet amendement. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
(L’amendement no 105 n’est pas adopté.)
M. le président
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Explications de vote
M. le président
La parole est à M. Yannick Favennec-Bécot.
M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT)
Un jour de juillet 2022, lorsque notre rapporteur, mon collègue et ami mayennais Guillaume Garot, est venu me voir pour m’informer qu’il avait l’intention de prendre l’initiative de créer un groupe transpartisan pour lutter contre les déserts médicaux, je lui ai tout de suite dit « banco ». J’étais le premier membre de ce groupe, car je savais – comme nous tous ici – le désespoir de nos concitoyens de ne pouvoir se soigner, faute de médecins.
En juillet 2022, avec une quarantaine d’autres collègues, nous l’avons imaginé. Ce 7 mai 2025, nous sommes en passe de réussir.
Pendant près de trois années, ce furent des réunions chaque semaine et en tout, des dizaines et des dizaines d’auditions ; nous avons fait un tour de France, avec plusieurs dizaines d’étapes dans les départements sous-dotés. Depuis 2024, ce groupe réunit 100 députés, issus de neuf groupes parlementaires, et 256 collègues ont cosigné une proposition de loi de quatre articles, dont l’article 1er sur la régulation de l’installation des médecins, voté en avril dernier. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Ce soir, notre détermination de 2022, qui nous a permis de travailler d’arrache-pied, est en passe de se concrétiser pour donner enfin un peu d’espoir aux 8 millions de Français qui renoncent à se soigner faute de médecin traitant.
Ce soir, grâce à la pugnacité de notre rapporteur (Mêmes mouvements) et à la mobilisation d’une grande partie d’entre nous, nous allons enfin contribuer à réduire l’inacceptable inégalité territoriale d’accès aux soins.
Mme Stéphanie Rist
Mensonge !
M. Yannick Favennec-Bécot
Le groupe LIOT votera, dans sa très grande majorité, notre proposition de loi transpartisane. (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, SOC, EcoS et GDR ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – Plusieurs députés du groupe SOC se lèvent pour applaudir.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier (Dem)
Cela fait quinze ans que j’essaye, avec beaucoup de modestie, de défendre ce sujet dans cet hémicycle.
Ce soir, nous faisons un petit pas. Je le dis à Cyrille Isaac-Sibille : faire de la politique, c’est être courageux ; faire de la politique, c’est apporter des solutions. Il y a eu tant d’échecs en matière d’accès aux soins ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et SOC.) Nous n’avons pas réévalué le numerus clausus, nous avons fait partir les médecins en retraite plus tôt – rappelez-vous le Mica, le mécanisme d’incitation à la cessation d’activité, dans les années 2000. (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.)
Ici, nous ouvrons de nouvelles voies.
Les soins non programmés sont essentiels. Il faut dire à tous les soignants de France, qu’ils exercent dans le public ou dans le privé, qu’ils contribuent ainsi à s’occuper de la santé des gens où qu’ils habitent.
La proposition de loi marque aussi des avancées importantes en matière de formation. Les médecins sont les seuls à ne subir aucune régulation ! Les dentistes eux-mêmes, les kinés, les pharmaciens : tout le monde a accepté. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SOC, LFI-NFP, EcoS, HOR, LIOT et GDR.)
Alors il faut bien, à un moment, avancer.
Monsieur le ministre, je tiens à saluer votre engagement. Chacun apportera sa pierre à l’édifice. De notre côté, nous sommes tenaces et nous ne lâcherons pas. Nos amis sénateurs travaillent de leur côté.
Notre responsabilité est lourde : 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant. Il faut répondre à cette situation. Nous faisons ce soir un petit pas, qui en appelle d’autres. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Dem, SOC, EcoS, HOR, LIOT et GDR.)
M. le président
La parole est à Mme Claire Marais-Beuil.
Mme Claire Marais-Beuil (RN)
C’est grâce au groupe Rassemblement national que l’article 1er a été rejeté en commission des affaires sociales.
M. Philippe Brun
Eh ben bravo !
Mme Claire Marais-Beuil
Cet article prévoyait d’instaurer un régime d’autorisation d’installation pour les nouveaux médecins, sur validation des agences régionales de santé. Je rappelle que le Rassemblement national est favorable à la suppression des ARS, instances technocratiques lointaines et déconnectées des réalités territoriales. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Mais cet article a été réintroduit en séance grâce au vote du bloc de gauche et du centre.
M. Inaki Echaniz
Rends l’argent !
Mme Claire Marais-Beuil
Restreindre la liberté d’installation est une fausse bonne idée, et aurait les conséquences inverses de celles recherchées : cela réduira le nombre de médecins, en particulier dans les zones rurales et les outre-mer. Une telle coercition créerait par ailleurs des déserts médicaux dans des territoires qui ne sont pas encore sous-dotés en médecins, et elle nuirait à l’attractivité de la profession.
Réguler arbitrairement l’installation des médecins dans les déserts médicaux ne réglera en rien la pénurie de soignants. Le problème central, et urgent, c’est celui de la formation aux métiers du soin. Le Rassemblement national propose de lever totalement la limite du nombre d’étudiants afin de former davantage de médecins, de décentraliser les études en santé, de développer les dispositifs, notamment fiscaux, d’incitation à l’installation pour les jeunes médecins, d’augmenter le nombre de médecins stagiaires, de faciliter le recrutement d’assistants pour gagner du temps médical dédié aux soins plutôt qu’aux tâches administratives, d’aider les collectivités territoriales qui accompagnent les nouveaux médecins et de moduler les tarifs en fonction des territoires.
Cette proposition de loi s’affiche comme transpartisane. Or son auteur, le député socialiste Guillaume Garot (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SOC, dont plusieurs députés se lèvent pour applaudir, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR), a en réalité volontairement ignoré le groupe RN.
Je vous dirai comme les médecins : le curatif sans le préventif, ce n’est pas une solution. Vous ne résoudrez pas à long terme le problème des déserts médicaux.
Nous nous abstiendrons sur ce texte, en espérant que dans leur grande sagesse, les sénateurs supprimeront l’article 1er. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Exclamations sur de nombreux bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
M. Hadrien Clouet
Le groupe RN, c’est un bien grand mot pour ce soir !
M. Marc de Fleurian
Ce n’est pas la taille qui compte !
M. le président
La parole est à Mme Stéphanie Rist.
Mme Stéphanie Rist (EPR)
Nous connaissons tous ici les difficultés d’accès aux soins de nos concitoyens. Nous avons tous envie d’améliorer cette situation. Vous proposez de réguler l’installation des médecins, avec pour l’essentiel cet argument : on n’a jamais essayé, alors essayons.
Vous voulez davantage, je le crains, montrer que vous agissez – on peut le comprendre, au vu des difficultés de nos concitoyens – qu’agir efficacement.
Mme Ayda Hadizadeh
N’ayez pas peur !
Mme Stéphanie Rist
Nous l’avons dit à de multiples reprises : cette proposition de loi est inefficace – réguler la pénurie ne sert à rien. D’ailleurs, vous n’avez jamais réussi à nous dire dans quelle ville nous pourrions prendre des médecins. Où sont-ils trop nombreux ? À Limoges, à Pau, à Toulouse ? Je ne sais pas.
M. Jérôme Nury
À Paris !
M. Nicolas Sansu
À Nice !
Mme Stéphanie Rist
Cette proposition de loi ne sera pas seulement inefficace : elle aggravera la situation. Les médecins en préretraite pourront partir en retraite plus tôt et faire racheter leur patientèle plus cher ; les étudiants pourront contourner l’obligation.
Le groupe Ensemble pour la République ne participera pas à cette fausse promesse que vous faites à nos concitoyens sur un sujet si important.
Vous applaudirez certainement après ce vote. (« Oui ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Sautez de joie, même : vous aurez au moins été heureux dans cet hémicycle.
Pour ma part, c’est avec tristesse que je le quitterai (« Oh ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS), en pensant aux jeunes engagés dans des études en santé, en pensant à nos concitoyens et au lien démocratique qui se perd à vouloir faire semblant, à voter des propositions de loi dont on sait – c’est mathématique – qu’elles seront inefficaces. Je le regrette profondément. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Cyrille Isaac-Sibille
Bravo !
M. le président
La parole est à M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP)
Ma première pensée va à celles et ceux qui nous regardent hors de l’hémicycle, y compris depuis les tribunes du public, et qui sont soignantes, soignants, syndicalistes, militantes et militants associatifs, anciens collaborateurs parlementaires, membres du collectif pour une santé engagée et solidaire. Ce sont des professionnels de santé, des médecins, qui attendent ce texte et qui nous ont soutenus pendant nos mois et même nos années de travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et SOC ainsi que sur plusieurs bancs des groupes EcoS et GDR.)
Ils ont ainsi soutenu un collectif comme on en a rarement vu dans cette assemblée, un collectif qui va du groupe Les Républicains à La France insoumise, et qui s’est uni autour de certaines revendications concrètes et immédiates : soulager dans tous nos territoires les difficultés d’accès aux soins ; faire reculer les déserts médicaux.
Ces revendications sont au nombre de quatre, et nous avons su emporter la conviction. Nous pouvons en être fiers, toutes et tous ensemble. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Nous avons emporté la conviction sur la régulation de l’installation. Cessons de voir, année après année, ces inégalités qui déchirent les territoires au sein de la nation. Les professions régulées – sage-femme, infirmier, kiné – ne voient pas progresser ces inégalités de la même façon ; la seule profession qui connaît des inégalités croissantes, c’est celle de médecin. Nous partons donc de la réalité de ce qui fonctionne pour l’élargir à toutes et à tous, au bénéfice des patientes et des patients.
Une fois cela acquis, nous avons supprimé les majorations tarifaires appliquées quand une personne va voir un médecin qui n’est pas son médecin traitant : c’est la fin de la double peine. Non seulement les inégalités doivent arrêter de progresser, mais il faut cesser de les facturer aux patientes et aux patients ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.)
Une fois la situation stabilisée, nous partons à la reconquête, territoire après territoire, de la présence médicale.
Mme Stéphanie Rist
Mensonge !
M. Hadrien Clouet
Pour cela, nous luttons pour la démocratisation du recrutement. C’est le sens de l’ouverture de premières années dans l’ensemble des départements : lorsque vous êtes jeune et que vous partez étudier, il y a des barrières matérielles et culturelles. Vous n’osez pas toujours aller à 100 ou 150 kilomètres de chez vous, au risque de l’échec.
En votant comme nous l’avons fait, nous ouvrons les portes des études de santé à des milliers de jeunes qui n’auraient pas osé les franchir (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS) et qui, parce qu’ils viennent de territoires désertifiés médicalement, y retourneront, et qui, parce qu’ils connaissent les milieux populaires pour en être issus, comprendront l’expérience d’un allocataire de la CMU – couverture maladie universelle – ou de malades de certaines pathologies. Ils pourront ainsi prendre en charge de la façon la plus égalitaire et universaliste l’ensemble de la population qui s’adressera à eux. Ce faisant, nous répondons d’ailleurs aux critiques émises hier par la Défenseure des droits sur les discriminations dans l’accès aux soins, qui sont directement liées à des préjugés de classe. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
Enfin, nous allégeons la peine de ces 38 % de praticiens qui donnent tout et qui participent déjà à la permanence des soins toutes les quatre, cinq ou six semaines. Désormais, ils pourront ne la pratiquer que toutes les treize, quatorze ou quinze semaines. Oui, ces praticiens attendent notre vote de ce soir. Ils voulaient mieux répartir la charge pour pouvoir se reposer un peu.
Mme Stéphanie Rist
Mais ils ne le pourront pas !
M. Hadrien Clouet
En faisant tout cela, ne vous inquiétez pas – ne criez pas, s’il vous plaît –, nous avons fait œuvre utile dans cette assemblée. Rappelons une chose très simple : quand les parlementaires travaillent ensemble, sans 49.3, sans immixtion de l’exécutif – qui connaît un renouvellement assez rapide sur le sujet de la santé –, nous parvenons à des résultats utiles, efficaces et populaires. Bravo à toutes et à tous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
M. le président
La parole est à M. Joël Aviragnet.
M. Joël Aviragnet (SOC)
Depuis plus de dix ans que je suis élu, je suis interpellé, comme beaucoup d’entre nous, par des habitants de ma circonscription au sujet de l’accès aux soins – de plus en plus difficile – et de la baisse du nombre de médecins. Ils sont toujours plus nombreux à m’interpeller et les réponses apportées sont toujours les mêmes – elles n’en sont pas réellement.
Depuis dix ans, j’entends parler de régulation et je me bats pour qu’on arrive à l’instaurer. Depuis dix ans, ceux qui s’y opposent mobilisent toujours les mêmes arguments, qui ne reposent jamais sur des études ni sur un quelconque rapport. Ils se contentent de répéter inlassablement que cela ne marchera pas. Il y a même eu une ministre de la santé qui m’a dit : « mais enfin, monsieur le député, vous n’allez pas envoyer de jeunes médecins qui ont fait toutes leurs études en ville travailler à la campagne ! ». La campagne, chez moi, elle est à 30 kilomètres de Toulouse – ce n’est pas la Sibérie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe HOR.)
Depuis dix ans, en revanche, ce qui a changé, c’est le nombre de députés qui sont favorables à la régulation. Je l’ai vu augmenter tous les ans (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Thierry Benoit applaudit également), car face à la dégradation de la situation, nous ne pouvons plus rester sans rien faire. Ce n’est plus acceptable : c’est une question d’accès aux soins, un enjeu national. Aujourd’hui, nous allons adopter un texte très important et nous serons fiers demain, dans nos circonscriptions, de pouvoir dire qu’au moins, nous avons essayé. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS ainsi que sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
Bien sûr, la régulation ne résoudra pas tout. Elle fera partie d’un dispositif qui comprendra aussi des mesures incitatives. Mais du moins aurons-nous essayé. Je salue l’obstination et l’engagement de notre collègue Guillaume Garot : depuis plus de dix ans, il n’a jamais baissé les bras. (Mêmes mouvements.) Je crois que c’est notre grandeur en politique. Le groupe Socialistes et apparentés votera avec beaucoup de joie et d’engagement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et GDR. – M. Philippe Brun se lève pour applaudir.)
M. le président
La parole est à Mme Marie Pochon.
Mme Marie Pochon (EcoS)
Il y a peu de jours où l’on peut être aussi fier de siéger dans cet hémicycle et de prendre la parole pour une explication de vote. Je le suis particulièrement aujourd’hui, pour bien des raisons. Sur le fond, ce texte ne réglera pas tout, mais il améliorera un petit peu la vie des gens, ce qui est rare et donc précieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.) Il assurera la solidarité nationale par une meilleure répartition de l’offre de soins tout en garantissant la liberté d’installation des médecins sur près de 90 % du territoire national.
M. Inaki Echaniz
Tout à fait !
Mme Marie Pochon
Il supprimera la majoration des tarifs pour les si nombreux patients qui se trouvent sans médecin traitant. La première année de médecine sera proposée dans chaque département, pour que tous les jeunes puissent y avoir accès. La permanence des soins sera rétablie.
Oui, il faudra faire encore plus, mais c’est un texte qui changera un peu la vie, pour le mieux, pour des millions de nos compatriotes. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR.)
Sur la forme, nous voyons aboutir près de trois ans de travail, une centaine d’auditions, un tour de France des déserts médicaux, deux propositions de loi et je ne sais combien d’amendements. Ce travail a mobilisé très exactement 256 parlementaires de tous les bords politiques de cet hémicycle – je le dis au nom de mes collègues du groupe Écologiste et social qui ont été très actifs dans ce groupe de travail transpartisan, en particulier Delphine Batho et Jean-Claude Raux. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
Ces 256 parlementaires ont su dessiner des compromis et des propositions partagées et construire du commun autour d’un intérêt qui dépasse les postures et les clivages partisans : l’intérêt général. Dans cet hémicycle qu’on dit si fracturé et si ingérable, c’est précieux. Au-delà de tout ce que ce texte changera pour le mieux à la vie des gens, nous aurons montré aujourd’hui le rôle immense et si utile que peut et doit jouer notre assemblée.
Pour tout cela, merci beaucoup, Guillaume Garot. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, SOC et GDR.) Il m’arrive souvent, comme à vous sans doute, de croiser des concitoyennes et concitoyens qui, sous le poids des problèmes du quotidien, me demandent ce que la République fait pour eux. Ce vote est la meilleure réponse à leur apporter. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, SOC et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Loïc Kervran.
M. Loïc Kervran (HOR)
Au-delà de nos différences sur ce texte, l’engagement dans la lutte contre les déserts médicaux est un engagement ancien de tous les députés du groupe Horizons – je pense en particulier à Thomas Mesnier, qui ne siège plus sur ces bancs, à Frédéric Valletoux et à Agnès Firmin Le Bodo. Sur un plan plus personnel, je veux vous dire mon émotion, après des années d’engagement en faveur de la régulation de l’installation, de voir enfin aboutir ce travail transpartisan.
Mme Stéphanie Rist
On est en première lecture ! Ce n’est pas le vote définitif !
M. Loïc Kervran
Je refuse en effet l’impuissance publique sur cette question qui est la première préoccupation de nos concitoyens. Sur un sujet comme celui-ci, tant que l’on n’a pas tout essayé, on n’a rien essayé. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes HOR et SOC. – Mme Delphine Batho applaudit également.)
Mme Stéphanie Rist
Super argument !
M. Loïc Kervran
J’ai eu l’honneur de servir aux côtés de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Comme lors d’une intervention, il y va ici de la vie ou de la mort de nos concitoyens. Tant que l’on n’a pas tout essayé, on n’a rien essayé.
C’est très important : comme le rappelait notre collègue Marie Pochon à l’instant, l’égalité entre les territoires est au cœur de la promesse républicaine. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes HOR et SOC. – Mme Marie Pochon et M. Marcellin Nadeau applaudissent également.) Il ne doit pas y avoir de citoyens de seconde zone dans notre pays et la santé est aujourd’hui le sujet sur lequel on en compte le plus. J’ai l’espoir qu’avec ce texte défendu avec brio par Guillaume Garot (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC) et des députés de presque tous les groupes de cette assemblée, nous contribuions à répondre à cette promesse républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, SOC et EcoS. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu (GDR)
Nos collègues l’ont souligné, l’accès aux soins est la première préoccupation de nos concitoyens en ruralité comme en outre-mer – nous n’en avons pas beaucoup parlé –, mais aussi dans les quartiers populaires. C’est la première des exigences. Nos concitoyens sont souvent dans l’angoisse ; ils mettent trois, quatre, cinq, six semaines, parfois des mois, pour obtenir un rendez-vous chez un généraliste ou un spécialiste. Alors ce soir, ce n’est pas le grand soir, ne vous en déplaise – ne nous en déplaise –,…
M. Damien Maudet
Pas encore !
M. Nicolas Sansu
…mais c’est l’assurance que grâce à la pugnacité des membres de notre groupe transpartisan, en particulier de notre excellent rapporteur, Guillaume Garot (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC), nous ferons œuvre utile en inscrivant dans la loi une forme de régulation, l’amélioration de l’accès aux soins et aux études et la mise en œuvre d’une permanence des soins mieux partagée. Aujourd’hui, le mot régulation est inscrit dans le débat public et c’est une très belle victoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et EcoS – MM. Philippe Vigier et Damien Maudet applaudissent également.)
Bien sûr, nous écoutons et entendons les inquiétudes des organisations de médecins, jeunes ou moins jeunes, mais nous écoutons et entendons d’abord les patients qui n’en peuvent plus, ainsi que les médecins des zones sous-dotées, qui sont au bord de l’épuisement. Les médecins ne peuvent pas être en dehors du récit national et de l’exigence de faire vivre nos belles valeurs républicaines, en particulier l’égalité.
M. Emmanuel Maurel
Très bien ! Il a raison !
M. Nicolas Sansu
Dans notre pays, nous avons collectivement choisi et fait en sorte que l’accès aux soins et aux services de santé soit permis par une socialisation des moyens et des ressources. C’est la belle et grande sécurité sociale qui nous permet cela ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.) Les avancées que nous préconisons s’inscrivent pleinement dans la belle aventure collective de la sécurité sociale. Les médecins, comme les dentistes, les pharmaciens, les infirmières, les kinésithérapeutes, les sages-femmes, pourront être fiers de répondre à l’angoisse de nos concitoyens et de participer au redressement du pays. (Mêmes mouvements.)
Faisons confiance aux médecins : ils contribueront à faire vivre le droit à la santé qui irrigue nos textes fondamentaux. Le combat n’est pas fini, mais aujourd’hui les habitants de notre pays savent que nous ne nous interdirons plus d’utiliser l’outil de la régulation comme choix politique, dont nous pourrons collectivement être fiers. Nous donnons rendez-vous à nos amis sénateurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback et M. Christophe Marion applaudissent également.)
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 118
Nombre de suffrages exprimés 108
Majorité absolue 55
Pour l’adoption 99
Contre 9
(La proposition de loi est adoptée.)
(Les députés des groupes SOC, EcoS et GDR se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur.
M. Guillaume Garot, rapporteur
Un mot pour conclure ce beau débat : nous avons franchi ce soir une étape importante pour nos concitoyens. Voilà des années que nous essayons les uns et les autres de conduire ce débat contre les déserts médicaux. Voilà trois ans que nous avons fait vivre un groupe transpartisan à l’Assemblée nationale (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et GDR), considérant que nous pouvions construire ensemble, au-delà de nos différences, des majorités de projets, des majorités d’idées, des majorités de convictions. Nous y sommes.
D’autres l’ont souligné avant moi, nous n’avons pas de solution miracle à avancer, mais nous voulons créer de nouveaux outils pour renforcer l’efficacité de nos politiques publiques de santé et lutter contre la désertification médicale. Nous devons nous mettre à la tâche pour stopper l’aggravation des inégalités entre les territoires, donc entre nos concitoyens. (M. Philippe Brun applaudit.)
Un mot pour conclure : on dit souvent que lorsque les déserts médicaux avancent, c’est la République qui recule. Ce soir, nous avons remis un peu de République dans notre organisation collective,…
M. Emmanuel Maurel
Il y en a besoin !
M. Guillaume Garot, rapporteur
…cette République qui doit veiller sur chacun de nous, qui que nous soyons, où que nous habitions – notre santé ne peut pas dépendre de notre code postal. Je veux vous dire combien je suis fier du travail collectif que nous avons réalisé ensemble. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.) Nous avons avancé pour redonner à notre pays la cohésion qu’il mérite. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, dont plusieurs députés se lèvent, EcoS, HOR et GDR. – MM. Jérôme Nury et Xavier Breton applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre
En tant que ministre, je souhaite naturellement saluer le travail du Parlement et celui du groupe transpartisan. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.) Même si nous ne sommes pas d’accord sur les solutions à apporter, nous partageons le constat que les déserts médicaux et les difficultés d’accès aux soins demeurent une des principales préoccupations de nos concitoyens, quels que soient les territoires – en métropole, en outre-mer, en ruralité.
Je veux souligner la qualité du travail qui a été conduit avec chacun des groupes politiques et avec le groupe transpartisan. Je le répète, si j’avais pensé que la régulation est le bon remède à la situation, je l’aurais soutenue. Mon expérience de vingt-cinq ans en tant que médecin et en tant qu’élu local m’amène à poser plusieurs constats. Le problème des déserts médicaux en France est le résultat d’une trentaine d’années de politiques. Le constat est numérique : nous manquons de médecins en France. Nous formons à peu près le même nombre de médecins qu’en 1970 – oui, vous avez bien entendu –, alors que la France compte 15 millions d’habitants de plus et connaît un vieillissement de sa population et une croissance des maladies chroniques.
Autre fait important dont il faut tenir compte : le rapport au travail des professionnels de santé a changé. Quand un médecin généraliste part en retraite, il en faut 2,3 pour le remplacer. Le sujet est numérique : il faut former plus et former mieux. Nous proposerons dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux la suppression du numerus apertus, pour former en fonction des besoins des territoires, et l’augmentation de la capacité d’accueil des universités. (Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback applaudit.) Nous voulons aussi permettre le retour dans le système de formation français des jeunes Français qui sont partis étudier à l’étranger – en Roumanie, en Belgique, en Espagne. (Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback applaudit.) Il n’est pas acceptable que la septième puissance mondiale ait perdu le contrôle de son système de formation et d’études de santé médicales et paramédicales.
L’axe suivant sera naturellement de favoriser les passerelles. Des professionnels, notamment paramédicaux, veulent devenir médecins dans le cadre de la formation continue. N’oublions pas les 3 700 docteurs juniors qui seront disponibles dès le 2 novembre 2026. En tant que ministre de la santé, j’ai pris l’engagement de prendre les décrets qui préciseront les conditions de leur installation et de leur rémunération dans des cabinets, ainsi que celles dans lesquelles les maîtres de stage les accueilleront.
Enfin, il s’agira aussi de faciliter l’accès aux concours aux praticiens diplômés hors de l’Union européenne en tenant compte de leurs compétences et de leurs connaissances, afin qu’ils puissent davantage exercer : près de 4 000 d’entre eux seront admis dans nos effectifs. Les mesures que je viens d’évoquer prennent un peu de temps pour faire sentir leur plein effet, même si l’augmentation du nombre de docteurs juniors sera rapidement visible dans les territoires. Entre-temps, des solutions rapides doivent donc être imaginées.
C’est pourquoi nous mobilisons l’ensemble des élus locaux – les maires, les présidents d’intercommunalité et d’agglomération, les départements, les régions – autour des préfets, au titre de l’aménagement du territoire. Personne ne veut aller vivre dans un territoire où il est impossible de se faire soigner, mais personne non plus n’a envie de le quitter. En lien avec les agences régionales de santé, nous favoriserons donc, dès septembre prochain, une dimension collective de l’offre de soins en créant une obligation pour les médecins, en fonction de leurs capacités, d’assurer jusqu’à deux jours par mois une présence médicale qui fait tant défaut dans les déserts médicaux, grâce aux assistants médicaux et aux locaux mis à disposition par les élus.
Au fur et à mesure que nous augmenterons le nombre de médecins en formation pour pouvoir satisfaire les besoins, ces mesures pourront se poursuivre et se compléter pour, je l’espère, favoriser l’installation des médecins.
M. Inaki Echaniz
Et la régulation !
M. Yannick Neuder, ministre
Il convient aussi de favoriser la formation dans chaque territoire, en proposant un accès à la première année de médecine dans chaque département. En effet, comme vous l’avez tous souligné, on ne s’installe pas dans un territoire qu’on ne connaît pas. Voilà les mesures que nous proposerons et que nous appliquerons grâce à différents véhicules législatifs. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, SOC, DR, Dem et HOR.)
M. Inaki Echaniz
Sept ans pour ça !
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures quinze, est reprise à vingt-trois heures vingt.)
2. Création de l’homicide routier et lutte contre la violence routière
Deuxième lecture
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (nos 157, 1354).
Présentation
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
La représentation nationale examine aujourd’hui, en deuxième lecture, une proposition de loi très attendue, très réclamée et à bien des égards indispensable : la création dans notre droit pénal d’un délit spécifique d’homicide routier. Il est temps, en effet, de nommer les choses et d’affirmer clairement, par la loi, que tuer sur la route, sous l’emprise de l’alcool ou de drogues, à des vitesses délirantes ou au mépris total des règles élémentaires de prudence, n’est pas un simple accident de la route. C’est, du point de vue du droit pénal, un acte criminel qui doit être reconnu et condamné comme tel.
Aujourd’hui, notre droit pénal parle encore d’homicide involontaire. Mais comment expliquer à des familles brisées qu’il y a de l’involontaire lorsque l’auteur des faits roulait à 160 kilomètres à l’heure en ville, après avoir consommé plusieurs verres d’alcool et pris de la cocaïne ? Comment continuer à banaliser l’irréparable ? Comment accepter que le code pénal qualifie encore d’imprudence ce qui relève en réalité d’un comportement délibéré, récurrent et criminel dans ses conséquences, à la manière d’un homicide ?
Je pense à cette adolescente de 17 ans, percutée mortellement sur un passage piéton par un conducteur multirécidiviste, ivre et sous l’emprise de drogues, qui roulait à 90 kilomètres à l’heure en pleine agglomération. Je pense à cette famille fauchée sur l’autoroute, au retour des vacances, par un chauffard qui venait de passer plus de dix heures en boîte de nuit avant de prendre le volant sous l’emprise de stupéfiants. Je pense aussi aux motards de la police nationale, à ces policiers de Roubaix qui rentraient chez eux à 6 heures du matin, un beau dimanche du Nord, après avoir protégé une victime, à ces cyclistes, ces piétons, ces femmes et ces hommes qui rentrent à scooter, à vélo ou à pied, invisibles pour certains conducteurs qui transforment leur véhicule en arme par leur irresponsabilité, mais invisibles aussi parfois pour la société, qui qualifie d’involontaire leur mort perpétrée par ceux qui, manifestement, avaient envie de commettre l’irréparable.
Dans tous ces drames, les faits sont connus, les articles de presse pullulent, les comportements sont récurrents et les risques assumés, voire revendiqués. Pourtant, la justice ne disposait pas jusqu’alors de l’outil juridique clair et dissuasif pour qualifier ce que tout le monde comprend : ces morts ne sont pas des accidents, mais des crimes commis sur la route. Le criminel, à la différence de l’auteur d’un homicide classique, ne sait pas forcément qui il va tuer, mais il va tuer. Statistiquement, il va rencontrer la personne qui ne demande rien, qui a respecté le code de la route, n’a consommé ni alcool ni drogue, a mis son casque, est rentrée tard de son travail, a voulu retrouver sa famille.
Cette proposition de loi vise justement à faire cesser cette hypocrisie juridique. Elle crée une infraction autonome, distincte, identifiable, et surtout à la hauteur de la gravité des faits : l’homicide routier. Elle permet une réponse pénale plus lisible, plus ferme et plus juste. Elle envoie un message clair : désormais, l’impunité n’a plus sa place sur nos routes. Lorsqu’on boit de l’alcool, lorsqu’on prend de la drogue, on sait que la justice nous qualifiera de criminel.
En 2023, plus de 3 000 personnes ont perdu la vie sur les routes de France. Des familles entières ont été détruites, des enfants ont été fauchés sur le chemin de l’école. Des mères, des pères, des frères et des sœurs ne sont jamais rentrés chez eux. Derrière chaque chiffre, il y a un nom, un visage, une histoire, une douleur qui ne s’éteint jamais. Les élus locaux que nous sommes, pour certains d’entre nous, ont recueilli des témoignages de personnes qui ne répareront jamais l’absence d’un enfant.
Trop souvent, la douleur immense de perdre un fils, une fille, un mari, une femme, des parents, se heurte à un mur administratif, judiciaire et pénal : le mur de l’incompréhension judiciaire. Trop souvent, les victimes ont entendu au cours de l’instruction, puis du procès, quelques années après les faits, que ce n’était « qu’un accident ». Elles l’ont entendu de la part des auteurs, qui prétendent être d’autant plus excusables qu’ils se trouvaient sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool. Trop souvent, les condamnations, qui respectent évidemment les dispositions du code pénal, ont semblé dérisoires au regard de la perte subie. Trop souvent, les familles ont eu le sentiment que la justice ne parlait pas le même langage qu’elles.
Ce texte vient réparer une injustice. Il ne ramènera pas les êtres chers, mais il offrira aux familles endeuillées ce qu’elles demandent depuis tant d’années : la reconnaissance – la reconnaissance que ce qu’elles ont vécu n’est pas une fatalité ou un accident de la route, et que la loi condamne désormais clairement ceux qui prennent volontairement le volant en toute connaissance des risques et choisissent par conséquent de mettre en danger la vie des autres.
La création de l’homicide routier n’est pas faite seulement pour les victimes, ni pour les magistrats, ni pour les courageux enquêteurs qui, devant les drames, continuent à essayer de confondre leurs auteurs. En votant cette proposition de loi, le Parlement permet surtout à notre société d’adopter une arme de dissuasion : le rappel sévère, mais nécessaire, que conduire est une responsabilité ; que le permis n’est pas un blanc-seing et que le bitume n’est pas une zone de non-droit.
Ce texte complète un arsenal déjà renforcé par la majorité : contrôle plus fréquent des stupéfiants, aggravation des peines en cas de récidive, suspension automatique du permis en cas de conduite sous emprise – mesure que j’ai prise lorsque j’étais ministre de l’intérieur. Je remercie d’ailleurs les parlementaires d’avoir toujours soutenu les propositions de renforcement de la sécurité routière lorsque j’étais Place Beauvau. Mais il manquait le mot juste et le mot fort. C’est ce manque que nous réparons aujourd’hui.
Ce texte a été interrompu dans sa belle unanimité par la dissolution de l’Assemblée nationale. Je remercie Éric Pauget et l’ensemble des parlementaires qui, auprès de lui et quel que soit leur bord politique, ont continué à se battre pour l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi.
M. Emmanuel Mandon
Eh oui !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je remercie les associations de victimes, celle de M. Alléno comme toutes les autres, dont les membres aident inlassablement les victimes et apportent leur pierre à l’édifice avec un grand sens de l’honneur alors qu’ils sont eux-mêmes dans la peine. Je formule un vœu : celui que vous puissiez adopter la proposition de loi dans une version conforme à celle du Sénat – après que les deux assemblées et la société en ont déjà longuement débattu – pour que, très vite, elle rentre dans le droit ; pour que tout le monde sache que conduire sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool, c’est désormais commettre un homicide routier ; pour que les prochains auteurs de tels faits soient condamnés à la hauteur de ce grave crime, et que les prochaines victimes puissent être reconnues comme telles.
Ce texte est ferme. Il doit l’être, parce que les vies brisées par la route valent bien cela et parce que d’autres pays voisins ont adopté il y a bien longtemps des dispositions similaires. À ceux qui s’inquiéteraient d’un glissement vers une pénalisation excessive, je réponds qu’il n’y a pas d’excès à vouloir protéger la vie. Il n’y a pas d’excès à refuser l’impunité. Il n’y a pas d’excès à donner à la justice, aux magistrats, les moyens d’être à la hauteur de la souffrance des victimes. Les magistrats sont à l’écoute ; ce ne sont pas eux qui excusent les auteurs, c’est le code pénal.
Le gouvernement soutiendra le travail du rapporteur. J’espère que les sénateurs adopteront le texte sans modification, puisque M. le rapporteur a d’ores et déjà travaillé avec eux pour gagner un temps précieux. Je tiens à saluer l’engagement de l’ensemble des élus locaux et nationaux de tous bords qui soutiennent cette proposition de loi. Je veux surtout saluer le combat de tous ceux qui ont été dans la peine ou le seront à l’avenir. Cette peine peut tous nous toucher ; le téléphone peut retentir dans la nuit ; cela peut être le maire, un gendarme, un policier qui vous prévient que votre vie ne sera plus comme avant.
Puisse cette proposition de loi convaincre ne serait-ce qu’un seul potentiel criminel de la route de ne pas prendre sa voiture lorsqu’il a bu ou consommé de la drogue. Si le texte sauve ne serait-ce qu’une vie, nous aurons œuvré en faveur du bien commun. La République ne doit jamais être en retard sur la douleur des innocents. Le droit ne doit jamais être en retard sur la douleur des innocents. Je sais donc que ce soir – la fin de la séance approche, c’est vrai, mais le gouvernement a tout son temps –, nous adopterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, EPR, SOC, DR, Dem, HOR, LIOT et GDR. – Mme Stella Dupont applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Éric Pauget, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Éric Pauget, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
C’est un honneur que de vous présenter aujourd’hui, en deuxième lecture, cette proposition de loi transpartisane que j’ai déposée il y a maintenant plus d’un an et demi avec notre ancienne collègue Anne Brugnera, dont je tiens à rappeler et à saluer l’important travail sur ce texte et l’engagement en faveur de la sécurité routière.
Permettez-moi de souligner avant tout l’esprit de collaboration et d’unité dans lequel nous avons travaillé. Ce texte est le fruit d’un véritable effort collectif. Je tiens à remercier tous les députés cosignataires ainsi que les associations qui nous ont accompagnés dans cette démarche.
Je profite d’ailleurs de cette prise de parole pour saluer les associations et les familles qui sont présentes ce soir dans les tribunes. Votre expertise, votre éclairage et, plus encore, votre soutien tout au long de ce parcours parlementaire ont été précieux. Ce texte a été conçu en lien direct avec vous et avec d’autres associations de terrain. Je tiens à vous remercier pour ce rôle moteur et pour votre engagement quotidien en faveur de la sécurité routière. L’ancien garde des sceaux l’avait dit lors de la première lecture en janvier 2024 : ce texte, nous vous le devons et c’est pour vous – pour les associations et les familles de victimes – que nous le faisons.
Notre assemblée l’a adopté en première lecture à l’unanimité des suffrages exprimés. Je tiens à rappeler ce vote car il me semble que nous avons alors fait œuvre utile, tous ensemble, en montrant que le Parlement est capable de dépasser les clivages entre les sensibilités politiques pour répondre aux attentes de la société. Loin d’être anecdotique, ce vote à l’unanimité est riche de sens et nous engage collectivement.
Suivant le trajet de la navette parlementaire, cette proposition de loi a ensuite été examinée au Sénat en mars 2024. Nos collègues sénateurs ont très largement adhéré à l’esprit du texte. Ils ont adopté quelques modifications, notamment en ce qui concerne la structure de l’article 1er, qui ne me semblaient pas tout à fait adaptées et sur lesquelles nous sommes revenus la semaine dernière, lors de l’examen en commission des lois. Nous avons toutefois conservé plusieurs ajouts du Sénat, par exemple l’article 1er bis A qui prévoit une meilleure information des parties civiles au cours du procès en appel. Ces évolutions qui enrichissent encore le texte sont bienvenues et utiles.
Après un faux départ en juin 2024, dissolution oblige, nous en venons à la deuxième lecture de cette proposition de loi à la fois ambitieuse et pragmatique qui vise à apporter des réponses concrètes aux tragédies quotidiennes causées par les accidents de la route. Ne l’oublions pas, nous parlons ici de milliers de victimes : en 2024, 3 431 personnes ont perdu la vie sur la route – il y avait eu consommation d’alcool ou de drogue dans 40 % des cas – et plus de 16 000 personnes ont été gravement blessées.
Par ce texte, nous nous attaquons directement à une terminologie qui, depuis trop longtemps, heurte la sensibilité des familles de victimes. Lorsqu’une personne perd la vie sur la route, notre droit parle d’homicide involontaire. Si ce terme est correct sur le plan juridique, il ne rend pas compte de la réalité des comportements à l’origine de ces drames. En effet, de nombreux accidents mortels ou graves sont causés par des comportements délibérément fautifs, notamment en cas d’excès de vitesse ou de conduite sous l’emprise de l’alcool ou des stupéfiants. Le terme « involontaire » ne reflète pas la gravité de ces faits et ne tient pas compte de la faute initialement commise, du risque volontairement pris ; ce faisant, il banalise malheureusement ces actes et affaiblit leur gravité. Les victimes et leurs familles ressentent cette ambiguïté comme une forme d’injustice. Pour reprendre les termes de Yannick Alléno, cette terminologie est même « insupportable, injuste et injustifiée ».
Cette revendication a été entendue par les autorités, puisqu’elle a fait l’objet d’une recommandation officielle du comité interministériel de la sécurité routière (CISR). Le texte s’inscrit dans la continuité de cette réflexion et répond donc à une préoccupation légitime des associations et de la société tout entière. Il vise en effet à préciser le droit en créant une nouvelle qualification pénale permettant de mieux distinguer la simple négligence des comportements manifestement délibérés et dangereux. Ainsi, en certaines circonstances qui incluent notamment la conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, nous parlerons désormais d’homicide routier ou de blessures routières. Par là, nous reconnaîtrons mieux la gravité de l’acte et de la faute initialement commise par le conducteur mis en cause. Ce changement, loin de se limiter à une simple évolution sémantique, représente un signal fort. En adoptant cette nouvelle terminologie, nous affirmerons clairement que notre société ne tolère plus les comportements à risque sur la route.
À mon sens, l’autonomie de ces infractions est nécessaire pour garantir la force du dispositif. Ces comportements ne sont pas anodins et notre droit explicitera ainsi la responsabilité de ceux qui mettent volontairement en danger la vie d’autrui.
Il est en outre impératif que les peines prononcées par la justice soient à la hauteur de la gravité de ces actes dangereux. La réforme de la qualification pénale en est la première étape, car mieux nommer les faits permettra de mieux les juger. Nous prêtons ainsi main-forte aux magistrats pour faire face à ce phénomène encore trop massif.
Le sujet de la violence routière, je le sais, nous réunit tous. Je salue une nouvelle fois la mobilisation de chacun et la qualité de notre travail sur ce texte. Dans cet état d’esprit, nous prenons ce soir l’engagement partagé de garantir la sécurité de nos concitoyens, de reconnaître la douleur des victimes et de leurs familles ainsi que d’œuvrer pour une société où la vie humaine est protégée à tout prix. J’espère que nous voterons à nouveau le texte à l’unanimité. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, DR, Dem, HOR et LIOT.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Schreck.
M. Philippe Schreck
Il est des appels qui déchirent les vies et broient les existences. Un gendarme, un médecin, un pompier, un infirmier ou un policier municipal vous demande de vous rendre à l’hôpital. Il affirme que c’est grave et urgent. Sur place, vous apprenez de but en blanc que votre enfant ou un parent n’est plus, que vous ne l’aurez plus, que vous ne le verrez plus. L’horreur vous submerge. Votre enfant, votre parent est mort d’un « accident » de la circulation.
Cette douleur impossible à décrire s’accompagnera de sidération et de colère lorsque vous apprendrez que l’auteur de ce qui est qualifié d’accident était alcoolisé ou sous l’emprise de stupéfiants, ou bien qu’il a commis un délit de fuite et n’a pas appelé les secours. Plus tard, la peine et la colère se doubleront de révolte et d’un sentiment d’injustice lorsqu’il sera avancé, à l’appui d’une peine d’emprisonnement avec sursis, que les faits sont involontaires. Celui qui a pris la route alcoolisé ou sous l’emprise de stupéfiants a tué votre enfant mais ne l’a pas fait exprès, vous dit-il.
Les proches de la victime, plongés dans la douleur et dans la sidération, ne sauraient accepter qu’on leur oppose la simple idée que « ce n’est pas de chance ». C’est incompréhensible pour les victimes et pour leurs proches. Nous devons donner un sens législatif au terme de violence routière et espérer qu’il en résultera aussi une amélioration dans les comportements. Le traitement judiciaire de telles affaires, avant et pendant le procès, est trop influencé par la mise en avant du caractère involontaire de l’infraction, au point de masquer une réalité incroyablement violente.
Cette proposition de loi qui vise à créer une infraction autonome d’homicide routier est juridiquement novatrice et va dans le bon sens. Nous avons voté la réécriture du texte proposée par le rapporteur, considérant que la version du Sénat était minimaliste compte tenu des objectifs visés. Elle va dans le bon sens car, si la mort ou les graves blessures ne sont pas recherchées ab initio par l’auteur, la situation dans laquelle il s’est lui-même placé et qui a eu un rôle causal évident dans la survenance du drame procède, elle, du fait pleinement volontaire. En présence de certaines circonstances, il doit y avoir une place pour une qualification intermédiaire entre « vouloir tuer » et « tuer sans le vouloir ». Cette proposition de loi est donc utile pour mieux appréhender la situation des victimes.
Elle tient aussi compte des effets sur la sécurité routière du contexte sociétal plus large. Ainsi, la surconsommation d’alcool en France demeure fortement problématique ; l’usage de stupéfiants s’est banalisé au point de la généralisation et n’en finit plus de ravager des pans entiers de la société ; enfin, la chute du sens civique entraîne la multiplication des délits de fuite, de refus d’obtempérer ou de non-assistance à personne en danger.
À ceux qui pourraient considérer que cette proposition de loi n’opère qu’un glissement sémantique, nous répondons que les termes ont une vraie importance dans la justice et dans le parcours de douleur des victimes. Pour lutter contre les grands maux, il faut savoir utiliser les bons mots. Le groupe Rassemblement national soutient ce texte depuis l’origine de son parcours législatif et le votera naturellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Béatrice Roullaud
Bravo !
M. le président
La parole est à Mme Emmanuelle Hoffman.
Mme Emmanuelle Hoffman
Nous sommes ce soir face à un choix de société, un choix qui ne souffre ni l’ambiguïté ni la demi-mesure, un choix qui engage notre responsabilité collective. Il s’agit de protéger nos concitoyens et de rendre enfin justice à toutes les victimes de la route en adoptant sans hésitation cette proposition de loi qui prévoit la création d’un délit autonome d’homicide routier. Je le dis très clairement, la seule solution, la seule réponse à la hauteur des drames que vivent chaque année de nombreuses familles consiste à inscrire enfin dans notre droit ce délit autonome. Tout le reste n’est que rustine, compromis ou faux-semblant.
Il faut voir la réalité en face : nos routes sont encore trop souvent le théâtre de comportements dangereux. Quand un conducteur prend le volant après avoir bu, consommé des stupéfiants ou alors qu’il n’a plus de permis, il ne commet pas une simple imprudence ; il fait un choix, un choix qui tue, un choix qui détruit des vies, des familles, des destins.
Pourtant, notre droit continue de qualifier ces actes d’homicide involontaire, comme si la mort d’un enfant, d’un parent ou d’un ami fauché sur le bord d’une route par un chauffard ivre ou drogué relevait de la fatalité ou d’un simple concours de circonstances. Non : c’est le résultat d’une décision irresponsable.
La société ne peut plus détourner le regard. Les victimes, leurs proches, les associations nous le disent : cette qualification d’homicide involontaire est une double peine. Elle minimise la gravité du geste, nie la souffrance des familles et la réalité du drame. Elle entretient l’idée que sur la route, tout serait permis, tout serait excusable. Nous ne pouvons, nous ne devons plus l’accepter. Il est temps de dire stop.
La création d’un délit autonome d’homicide routier n’est pas seulement un symbole, mais un acte de justice, de respect et de responsabilité. C’est la seule façon de dire à tous les citoyens que la vie humaine n’est pas négociable, que chaque conducteur doit répondre de ses actes.
Prendre le volant, c’est accepter un devoir de responsabilité. Certains diront que la loi actuelle suffit, qu’il n’y a qu’à appliquer les textes. Mais regardons la réalité en face : ce n’est pas suffisant. Les familles se sentent abandonnées, les récidives sont trop nombreuses ; surtout, le message envoyé est brouillé, ambigu, inacceptable. En créant ce délit autonome, nous envoyons un signal fort, celui de la clarté, de la fermeté, de la justice. Nous permettons de distinguer nettement les accidents véritables des comportements délibérément dangereux. Nous donnons les moyens aux juges de condamner à la hauteur de la gravité des faits. Nous affirmons que la société ne tolérera plus que l’on prenne le volant lorsqu’on est un danger public. Ainsi, le fait de consommer de l’alcool ou des stupéfiants avant de conduire remettra en cause le caractère involontaire de l’acte. Le texte élargit aussi la liste des circonstances aggravantes et prévoit des peines complémentaires adaptées.
Il vise à sanctionner avec la force de la loi ceux qui font le choix de mettre la vie des autres en danger. Il tend à mieux protéger, prévenir et responsabiliser. En créant ce délit autonome, nous passons de la confusion à la clarté, de la douleur à la reconnaissance. Il est temps de sortir de l’ambiguïté et de donner aux victimes la reconnaissance qu’elles méritent. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’écrire une page importante de notre droit, de montrer que nous sommes à la hauteur des attentes de nos concitoyens. La solution, c’est la création d’un délit autonome d’homicide routier à travers l’adoption de cette proposition de loi.
C’est pour cela – je tiens à le souligner – qu’un consensus s’est dégagé en première lecture à l’Assemblée nationale, sous la précédente législature, et encore une fois la semaine dernière lors de l’examen en commission – preuve que sur un sujet aussi grave que la sécurité routière, notre assemblée sait se rassembler et agir dans l’intérêt général.
Le groupe EPR soutiendra évidemment cette proposition de loi, fruit d’un véritable travail de fond mené par les parlementaires, avec l’implication remarquable du rapporteur, Éric Pauget, que je tiens à saluer. J’ai également une pensée particulière pour notre ancienne collègue Anne Brugnera, dont l’engagement et la persévérance ont été décisifs. Nous saluons enfin la volonté dont vous avez fait preuve, monsieur le ministre, d’abord au ministère de l’intérieur puis à la Chancellerie, pour faire adopter ce texte.
Cette proposition de loi incarne ce que le Parlement sait faire de mieux : débattre, amender, construire ensemble un texte juste et efficace au service de l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR.)
M. le président
La parole est à M. Rodrigo Arenas.
M. Rodrigo Arenas
Je suis un élu de Paris où, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’alcool et les drogues tuent aussi au volant. En 2023, à Paris, près d’un conducteur sur quatre a été contrôlé positif à l’alcool et plus d’un sur trois l’était pour les stupéfiants. Entre 2019 et 2023, 41 % des accidents mortels dans les rues parisiennes ont impliqué un conducteur alcoolisé ou drogué.
L’insécurité routière est un fléau qui ne doit en aucun cas être banalisé. Pourtant, je suis presque sûr que nous avons toutes et tous déjà vu un ami, un proche, un voisin prendre le volant alors même qu’il avait trop bu, ou trop consommé de produits stupéfiants, sans réussir à l’en dissuader. Il est compliqué de convaincre quelqu’un qui n’a plus tout son discernement de respecter la loi. Ces chauffards potentiels pensent souvent pouvoir s’en affranchir, sans vraiment mesurer que ce qu’ils font est potentiellement criminel.
Ce soir, il est question d’adopter ou non une proposition de loi dont on se demande tout de même quel est l’objet. Vise-t-elle à réduire les accidents mortels ? Nous savons tous qu’elle n’atteindra pas l’objectif. À bien nommer les choses ? Tous les juristes vous diront que pour bien nommer un phénomène, il faut éviter de complexifier la loi en y introduisant une notion aussi impossible à définir que l’involontaire volontaire. Car il ne s’agit pas seulement de ceux qui prennent le volant en ayant consommé trop d’alcool ou de la drogue. Le conducteur sous neuroleptique ou anxiolytique aura-t-il lui aussi commis un acte volontaire involontaire ? Et que dire du chauffard qui, sans être sous l’emprise d’un produit, brûle volontairement un feu pour ne pas être en retard et commet l’irréparable ? Sera-t-il condamné pour homicide routier ? Où une telle proposition de loi trouve-t-elle sa limite ? Comment prouver l’existence ou l’absence d’une intentionnalité non intentionnelle ? Non, ce texte n’est pas de nature à apaiser les proches des victimes ; il n’a aucune visée pédagogique ; il n’éclaircit ni ne simplifie la lecture de tels actes. Rappelons que la loi punit déjà de façon aggravée celles et ceux qui conduisent sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue.
Mme Anne Bergantz
Encore heureux !
M. Rodrigo Arenas
La violence routière est un fléau insupportable, qui ne doit pas être combattu de cette façon. Bien évidemment, nous nous tenons nous aussi aux côtés de toutes ces familles. Des députés du groupe La France insoumise ont été confrontés dans leur chair, dans leur intimité, dans leur famille, à l’objet que nous étudions. Nul dans cet hémicycle n’est insensible à cette question. Cependant, notre rôle de législateur n’est pas de tomber dans les pièges faciles d’une communication qui deviendrait alors inefficace, mais d’empêcher toutes ces morts, qui sont bien trop nombreuses, et d’assurer la protection de nos concitoyens. Pour cela, des moyens renforcés doivent être consacrés à la formation et à l’information, notamment à destination des enfants. C’est dès l’école qu’il faut apprendre les bonnes conduites et comprendre les risques liés à la consommation de produits stupéfiants ou alcooliques. En effet, nous avons la chance de tous y aller, puisque c’est la loi.
Nous pouvons aussi faire avancer les choses à travers d’autres mesures. Par exemple, on peut obliger les constructeurs automobiles à équiper toutes les nouvelles voitures d’alcolocks, qui sont des antidémarreurs éthylométriques. Si ce système était standardisé, il verrait ses coûts d’installation baisser et pourrait être appliqué à l’ensemble des conducteurs. Le dispositif a déjà été testé dans certaines provinces canadiennes et les résultats sont probants : il est efficace. Nous pouvons aussi déposer tous ensemble une proposition de loi obligeant les collectivités à équiper tous les territoires ruraux de transports en commun, à l’instar de la Suisse.
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
Avec quel argent ?
M. Rodrigo Arenas
En effet, les régions où les transports en commun sont les moins développés sont les plus touchées par l’alcoolémie au volant. Nous avons la responsabilité de fournir aux collectivités territoriales les budgets pour déployer de telles mesures. C’est le rôle du Parlement.
M. Emmanuel Mandon
On demande à voir !
M. Rodrigo Arenas
Le groupe La France insoumise refuse de céder à l’émotion facile pour produire des lois qui ne seront pas efficaces. Nous ne nous donnerons pas bonne conscience en votant pour une proposition de loi qui, nous le savons, ne résoudra rien, n’apaisera rien, n’apportera rien.
Mme Emmanuelle Hoffman
Essayons !
M. Rodrigo Arenas
D’autres propositions que celle-ci peuvent être déposées. C’est cela que nous devons aux familles des victimes. Indépendamment de l’émotion qui surgit dans nos rangs, nous préférons adopter des lois efficaces plutôt que nous acheter une morale à petit prix.
M. le président
La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé Saulignac
Nous avons toutes et tous connu, dans notre entourage, parmi nos proches, parfois dans notre famille, le drame des morts sur la route. Chaque année, 3 000 de nos concitoyens perdent la vie sur la route et ce sont autant de familles qui sont touchées. C’est avec le poids de ces drames dans nos cœurs et dans nos mémoires que nous examinons ce texte, sous le regard des victimes qui ont survécu et des familles qui ont perdu un proche. Ne leur mentons pas, les dispositions dont nous débattons ne changeront pas les chiffres de la sécurité routière – je crois que personne ici ne se fait d’illusion sur ce point.
Néanmoins, elles changeront la nature des procès à venir, dans lesquels la justice aura désormais des mots plus justes pour distinguer et graduer sa réponse selon les circonstances. C’est la principale avancée de ce texte. Certes, elle est sémantique et symbolique ; elle n’en est pas moins utile. En effet, contrairement à ce que suggère l’expression, ce n’est pas la route qui tue, mais trop souvent l’irresponsabilité humaine. Je pourrais préciser celle des hommes, qui représentent 84 % des présumés responsables d’accidents mortels – je soumets ce chiffre à la sagacité de mes congénères masculins.
Rappelons aussi que la moitié des accidents mortels sont liés à un excès de vitesse, à un état d’ivresse ou à l’usage de stupéfiants. Qualifier ces comportements d’homicide involontaire occulte largement la grave responsabilité des auteurs ayant causé la mort.
Quand on perd un enfant, un père ou une mère, percuté par un homme ivre, comment admettre la qualification d’involontaire ? Certes, nous savons qu’il n’y avait pas d’intention préalable de donner la mort. Toutefois, s’asseoir derrière un volant avec 2 grammes d’alcool dans le sang n’a rien d’involontaire, de léger ou d’excusable ; c’est danser sur un fil au-dessus de la foule avec les poches remplies d’explosifs.
Si ce texte est adopté, la qualification d’homicide involontaire laissera donc place à une qualification d’homicide routier dès lors que le conducteur du véhicule qui a causé l’accident était en état d’ivresse, sous l’influence de produits stupéfiants, qu’il conduisait sans permis de conduire, qu’il a commis un grand excès de vitesse ou une autre violation du code de la route telle que le délit de fuite ou le refus d’obtempérer.
En 2025, plus personne ne peut plaider la naïveté comportementale. Après des décennies de politique de prévention – je veux saluer ici le travail de l’association Prévention routière –, les personnes qui ont une conduite à risque ne peuvent plus prétendre ignorer le danger. Quand on prend le volant alors que l’on n’est pas maître de soi, comment penser qu’on le sera d’un véhicule ? Celui-ci devient presque une arme par destination, s’agissant d’une masse de 2 tonnes parfois lancée à des vitesses folles. La responsabilité des conducteurs est complète.
Mark Twain disait que « le mot juste est un agent puissant. » En l’espèce, ces nouveaux mots deviendront un agent au service des familles de victimes, de la mémoire de leurs proches disparus et de la justice, qui gagne toujours quand elle est plus précise dans ses termes. Force est de constater que le mot « involontaire » n’est pas le mot juste ; il n’apaise pas les familles ni ne manifeste à l’auteur la gravité de ses actes. L’évolution de la qualification prévue par ce texte est la bienvenue. Elle distingue plus finement les situations et permet à la loi de gagner en précision. Or quand celle-ci est formulée dans les mots justes, elle suscite davantage d’adhésion. Nos concitoyens attendent de nous des mots justes, mais aussi des actes forts. Le texte introduit donc des peines complémentaires, désormais obligatoires, que le rapporteur a rappelées. Trouver les mots justes pour réconcilier les familles avec la justice de leur pays et agir pour prévenir d’autres drames, tel est le double objectif de ce texte et telle est la raison pour laquelle le groupe Socialistes et apparentés y apportera tout son soutien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EPR, DR, Dem et HOR.)
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault Bazin
Alors que nous débattons d’une évolution essentielle de notre droit pénal, je voudrais commencer par adresser une pensée sincère et émue à toutes les familles frappées par les drames de la route. Nous pensons à Yannick Alléno et à son association, engagés pour la mémoire de son fils. Nous pensons à M. Auger, dont le petit-fils a perdu la vie dans des conditions insupportables. Nous pensons à toutes les victimes et à toutes les familles endeuillées dont le quotidien a été brisé par des comportements irresponsables au volant. Leur douleur est immense, leur combat est digne et notre responsabilité politique est de leur répondre.
C’est ce que fait la proposition de loi défendue par notre collègue Éric Pauget, dont je salue l’engagement et la persévérance. Le groupe Droite républicaine la soutient pleinement, avec conviction et détermination, parce qu’elle incarne une exigence de justice, parce qu’elle traduit une volonté de fermeté et parce qu’elle remet les victimes au cœur de notre droit.
Il est temps de cesser de parler d’homicide involontaire lorsque quelqu’un prend le volant ivre, drogué, sans permis – et tue. Ce n’est pas un accident, ce n’est pas une fatalité mais c’est une faute grave, une transgression majeure et un choix criminel. Il est temps que notre droit le dise et le sanctionne. Créer une infraction spécifique d’homicide routier, c’est reconnaître la gravité du geste et offrir aux familles une réponse pénale à la hauteur de leur drame.
Nous soutenons cette proposition de loi, parce qu’elle ne généralise pas la suspicion mais cible les comportements les plus dangereux. Elle refuse l’angélisme et l’excuse permanente pour rétablir le principe de responsabilité. Nous la soutenons parce qu’elle s’inscrit dans l’histoire d’une droite républicaine qui, depuis Pierre Messmer en 1972 jusqu’à Jacques Chirac en 2003, a toujours été à l’initiative des grandes réformes de sécurité routière – parce qu’elle s’inscrit dans l’histoire d’une République qui refuse de banaliser la violence routière. Nous la soutenons parce qu’elle offre à la justice de nouveaux moyens d’action, des sanctions renforcées et une meilleure reconnaissance des victimes. Nous la soutenons parce qu’elle prévoit des dispositifs de prévention efficaces, concrets, réellement applicables. Nous la soutenons, enfin, parce qu’elle répond à une attente forte des Français : ce texte ne divise pas, il rassemble ; il ne flatte pas l’émotion, il transforme la colère en réforme. Nous devons cela aux familles, à la justice, à la société tout entière.
C’est pourquoi, sans réserve et sans ambiguïté, nous voterons pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR, Dem et HOR.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
3. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, lundi 12 mai, à seize heures :
Discussion de la proposition de loi relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs ;
Discussion de la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra