Séance du mercredi 15 octobre 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au gouvernement
- Réforme des retraites
- Reconstruction de Gaza
- Plan de paix à Gaza
- Lutte contre le réchauffement climatique
- Reconstruction de Gaza
- Crise économique et sociale dans les territoires
- Suspension de la réforme des retraites
- Projet de loi de finances pour 2026
- Niveau des retraites
- Annonces budgétaires du premier ministre
- Prix Nobel français
- 2. Transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et évolution du dialogue social
- 3. Simplification du droit de l’urbanisme et du logement
- 4. Ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Réforme des retraites
Mme la présidente
La parole est à Mme Nadège Abomangoli.
Mme Nadège Abomangoli
Monsieur le premier ministre, votre présence sur ces bancs est une anomalie démocratique car vous êtes illégitime. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Vous perdez les élections mais continuez à confisquer le pouvoir. Nous vous ferons partir, comme vos prédécesseurs, jusqu’à ce qu’Emmanuel Macron parte – car le problème, c’est bien lui. (Mêmes mouvements.)
M. Pierre Cordier
Dans une quinzaine de mois, il ne sera plus là !
M. Alexandre Dufosset
Nous n’avons pas voté Macron, nous !
Mme Nadège Abomangoli
Depuis huit ans, votre mission auprès d’Emmanuel Macron n’a pas changé. Vous multipliez les coups de force pour faire passer des politiques de guerre sociale, de saccage écologique et de division du peuple.
Vous nous dites que vous n’utiliserez plus l’article 49.3. Vous refusez pourtant l’abrogation d’une réforme des retraites rejetée massivement dans le pays et dont la majorité de cette assemblée ne veut pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Vous êtes un 49.3 à vous tout seul. (Mêmes mouvements.)
Votre suspension n’est qu’un écran de fumée, un stratagème grossier qui masque mal un budget de violence sociale que seuls les naïfs refusent de voir, des coupes budgétaires qui écrasent les plus faibles et cajolent les plus riches : 30 milliards d’économies sur le dos des retraités, des malades, des chômeurs et des apprentis. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Pour nous, ce sera la censure. Nous refusons d’emblée et en bloc la saignée dans l’hôpital, dans nos écoles, ou encore la suppression des APL pour les étudiants étrangers – encore une concession au Rassemblement national après une énième loi « asile et immigration » indigne. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Élu pour faire barrage à Marine Le Pen, Emmanuel Macron l’aura érigée en alliée qui le protège quand vient l’heure de proposer sa destitution. (Mêmes mouvements.)
Mme Mathilde Panot
Exactement !
Mme Nadège Abomangoli
Parce que vous gouvernez contre la dignité et l’unité du peuple, vous devez partir. Deux tiers des Français veulent l’organisation d’une élection présidentielle anticipée. Fidèles aux aspirations populaires, nous redéposerons une motion de destitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Il y a un devoir infiniment plus noble que la fidélité au chef : celui du démocrate de se soumettre à la volonté du peuple, dans la transparence et la clarté. Ma question est la suivante : ferez-vous passer votre arnaque de décalage dans le temps de la réforme des retraites par un amendement ou par une loi ? (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement.
Mme Maud Bregeon, ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement
Vous parlez d’illégitimité. Or s’il y a bien une chose qui est légitime, c’est l’Assemblée élue il y a plus de douze mois par des Français qui étaient allés voter à plus de 75 %.
Le premier ministre a mis sur la table l’abandon du 49.3, une mesure que vous réclamiez. Il a aussi mis sur la table la possibilité de débattre de la fiscalité et de la réforme des retraites – ce que vous aviez demandé. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous proposons le débat, vous voulez le désordre.
Il n’y a aucun coup de force,…
Mme Ségolène Amiot
À part votre présence ici !
Mme Maud Bregeon, ministre déléguée
…seulement le respect de la Constitution.
Faire de la politique, c’est défendre des positions. Le gouvernement s’y emploiera, sur ces bancs, lors du débat budgétaire. Chacun des groupes pourra agir de même. En revanche, faire de la politique, ce n’est pas se comporter en éditorialistes mais bien être en mesure de faire le pas, le chemin nécessaires pour éviter le blocage et permettre à la France de disposer d’un budget au 31 décembre.
Mme Sophia Chikirou
Elle ne répond pas à la question !
Mme Maud Bregeon, ministre déléguée
J’en viens à la question du véhicule législatif. Vous me demandez si un amendement au projet de loi de finances sera déposé. Nous aurons l’occasion de le préciser. (« Ah ! », rires et exclamations prolongées sur les bancs des groupes RN et LFI-NFP. – M. Matthias Renault mime un joueur de violon.) De mon côté, je vous pose une question : acceptez-vous d’entrer dans le débat budgétaire pour lequel les Français vous ont élus ?
Mme Sophia Chikirou
Allez-vous en !
Reconstruction de Gaza
Mme la présidente
La parole est à Mme Dieynaba Diop.
Mme Dieynaba Diop
Ma question s’adresse au ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Lundi, l’espoir d’une paix durable au Proche-Orient est enfin apparu. La libération des otages israéliens détenus par le Hamas et des prisonniers palestiniens constitue le premier pas de ce chemin long et exigeant. Le deuxième devrait être la réouverture, ce jour, du point de passage de Rafah pour acheminer une aide humanitaire indispensable.
Deux ans après les attaques terroristes du 7 octobre et après des mois de bombardements ayant causé la mort de dizaines de milliers de civils palestiniens dans une logique génocidaire, le sommet de Charm el-Cheikh a rassemblé plusieurs pays et organisations internationales autour d’un objectif clair : amorcer la reconstruction d’une enclave devenue un champ de ruines et marquée par un effondrement humanitaire sans précédent.
L’urgence humanitaire se double d’un impératif politique. La reconstruction ne pourra être efficace que si elle s’inscrit dans une perspective de paix durable respectueuse de la solution à deux États.
Dans ce moment décisif, la France ne peut rester en retrait. Elle doit porter haut la voix de celles et ceux qui, depuis trop longtemps, vivent sans État et surtout sans avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.) Reconstruire Gaza, c’est aussi contribuer à restaurer la possibilité d’y vivre dignement.
Ma question est donc simple : quelle sera concrètement la contribution de la France à la reconstruction de Gaza ? Comment articuler les principes du plan proposé par Trump et ceux de la déclaration de New York promue par la France et adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU ? Comment la France compte-t-elle agir sur la scène internationale afin de poursuivre, par d’autres moyens, le processus de reconnaissance de l’État de Palestine et d’aboutir à une paix juste et durable au Proche-Orient ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Vous l’avez dit, la journée de lundi a été marquée par la libération tant attendue des vingt otages qui étaient encore retenus par le Hamas à Gaza. Immense soulagement et immense émotion. C’était la première étape du plan de paix présenté par les États-Unis le 29 septembre.
Il n’aurait pas été possible d’y parvenir sans les efforts déployés depuis un an par la France et par l’Arabie Saoudite car, tout simplement, il aurait été illusoire d’espérer obtenir un cessez-le-feu et la libération des otages sans la formation d’un consensus concernant l’immédiat après-guerre et l’horizon politique. Or c’est précisément cette carence que l’initiative franco-saoudienne a permis de pallier.
Si cette étape est considérable, la situation reste fragile. Nous parlons d’un cessez-le-feu, ce n’est donc pas encore la paix. Si le sommet de Charm el-Cheikh, auquel le président de la République a participé, était si important, c’est parce qu’il nous a permis de nous coordonner avec les autres pays européens et avec les pays arabes qui veulent prendre toute leur part dans la construction d’une paix durable dans la région.
S’agissant de ces efforts, auxquels la France contribuera pleinement, trois axes se dégagent. Le premier, c’est évidemment l’aide humanitaire et la reconstruction. Il faut inonder la bande de Gaza d’aide humanitaire et commencer d’ores et déjà le travail de reconstruction. C’est la raison pour laquelle la France coorganisera, avec l’Égypte, une conférence dédiée à cette question.
Deuxièmement, il faut assurer la sécurité, notamment des Gazaouis. C’est pourquoi la France présentera au Conseil de sécurité des Nations unies, avec le Royaume-Uni et en lien avec les États-Unis, une résolution visant à donner mandat à une force internationale de stabilisation en mesure d’opérer très prochainement à Gaza.
Le troisième enjeu est la gouvernance de Gaza. Nous voulons que les Palestiniens y trouvent toute leur place, notamment une autorité palestinienne réformée, profondément transformée, comme le prévoit la déclaration de New York que nous avons défendue avec l’Arabie Saoudite et qui a été adoptée à l’immense majorité des États membres des Nations unies le 12 septembre. (Mme Anne Bergantz applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Dieynaba Diop.
Mme Dieynaba Diop
Nous saluons les avancées obtenues et resterons extrêmement vigilants s’agissant de l’action menée concrètement par la France dans la bande de Gaza. Elle est plus que jamais nécessaire, au nom de toutes celles et tous ceux qui souffrent depuis de très nombreux mois. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Nicolas Bonnet applaudit aussi.)
Plan de paix à Gaza
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Barnier.
M. Hadrien Clouet
Un expert de la censure !
M. Michel Barnier
Pendant que nous avons des débats nationaux – parfois même très hexagonaux, comme nous le constatons ces jours-ci –, le monde, autour de nous, continue de tourner et d’avancer, parfois plus vite qu’on ne le croit, parfois dans la bonne direction. C’est ce qui vient de se produire au Proche-Orient, où une lueur de paix et d’espoir s’est allumée, avec le retour des vingt derniers otages, même si nous pensons aussi à toutes celles et à tous ceux, nombreux, qui ne reviendront jamais.
Nous devons cette lueur à la forte détermination du président des États-Unis d’Amérique, aux pays de cette région ainsi qu’à la France qui a coorganisé la conférence de New York. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes DR, EPR et Dem.)
Cependant, cette lueur est très fragile. J’aimerais poser, sur ces enjeux, deux questions à M. le premier ministre. Tout d’abord – M. le ministre Barrot vient d’évoquer le sujet –, dans quelle mesure notre pays prendra-t-il part sur place, avec nos partenaires européens, à ce plan de paix pour lui donner une vraie chance de durer ? Je pense à l’aide et à l’urgence humanitaires dans la bande de Gaza, au démantèlement effectif du Hamas et à la formation des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ainsi que, évidemment, à la reconstruction de Gaza mais aussi, dans le même temps, aux garanties de sécurité que nous devons, de manière définitive, durable au peuple d’Israël pour travailler à la perspective de deux États – l’État d’Israël et l’État de Palestine – vivant côte à côte en paix et se reconnaissant mutuellement.
Ma deuxième question, liée à la première, porte sur la recrudescence des actes et des paroles antisémites ici, chez nous, notamment depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023, avec, pour le seul trimestre… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés du groupe DR applaudissent ce dernier.)
Mme la présidente
Je rappelle que le temps de parole est de deux minutes sauf pour le premier ministre.
La parole est à M. le premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
Vous l’avez dit, nous avons enfin abouti à un accord de paix, fruit de plusieurs mois de mobilisation de la communauté internationale et des pays de la région avec lesquels la France n’a jamais perdu le fil ni le contact. Nous sommes ainsi parvenus, progressivement, à entrer dans le jour d’après, avec bien sûr la part d’aléas que cela comporte et auxquels nous devrons faire face dans un contexte d’urgences.
La première d’entre elles demeure l’urgence humanitaire, aussi bien s’agissant de l’alimentation que de l’accès aux soins. Je l’ai rappelé hier soir à un autre député : le fil conducteur de l’action de la France depuis de nombreux mois, y compris lorsque vous étiez le chef du gouvernement, est la possibilité donnée au ministère des affaires étrangères et au ministère des armées de procéder à un acheminement très important de denrées, de vivres et de médicaments. Nous poursuivrons dans ce sens, notamment avec le partenaire égyptien et dans le cadre des conférences évoquées à l’instant par Jean-Noël Barrot.
La deuxième urgence est la gouvernance du territoire palestinien. Cette question a déjà été abordée, je n’y reviens pas.
La troisième urgence est bien sûr la sécurité : désarmement du Hamas et capacité à faire monter en puissance des forces de sécurité palestiniennes. C’est indispensable pour la sécurité des civils mais aussi pour celle d’Israël. La France dispose des compétences nécessaires – forces armées et de sécurité intérieure – pour accompagner une telle formation et pour trouver un cadre avec nos partenaires britannique et américain, notamment au sein des Nations unies. J’ai cru comprendre, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, que des réflexions étaient en cours, en tout cas qu’un brouillon de résolution était actuellement élaboré, débattu et étudié au Conseil de sécurité des Nations unies.
La deuxième question que vous avez posée – même si ceux qui suivent nos débats ne l’ont peut-être pas entendue – porte sur la lutte contre l’antisémitisme à l’intérieur de notre pays.
La triste réalité, c’est que les actes antisémites ont augmenté. Ils ont été multipliés par quatre depuis le 7 octobre 2023. La triste, et inacceptable, réalité, c’est que nos compatriotes de confession juive représentent 1 % de la population mais concentrent plus de la moitié des agressions à caractère religieux enregistrées par les forces de police et de gendarmerie et par l’autorité judiciaire.
Face à un tel constat, vous nous appelez à redire – comme vous-même l’aviez fait en tant que premier ministre – la détermination totale du gouvernement de la République à ne rien accepter, à ne rien laisser passer, à lutter par tous les moyens contre l’antisémitisme, aussi bien à l’école qu’en matière de politique pénale ou de sécurisation des lieux de culte. Mais – je veux le dire parce que c’est un combat que vous avez mené au cours de votre vie politique : aucun plan, aucune ligne budgétaire, aucune loi ne changeront rien au fait que ce combat est un combat pour la République, qui doit être mené par l’ensemble des groupes politiques de cette assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.) C’est bien là l’enjeu essentiel des semaines, des mois à venir : refuser l’antisémitisme et comprendre que lorsqu’on s’en prend à un juif de France, on s’en prend à la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem. – Mmes Dieynaba Diop et Ayda Hadizadeh applaudissent également.)
Lutte contre le réchauffement climatique
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
Monsieur le premier ministre, sur tous les continents, l’extrême droite mène une guerre contre l’écologie. Pourtant, hier, dans votre discours de politique générale, vous n’en avez pas dit un mot. Donald Trump présente le changement climatique comme une grande arnaque, Milei rase les forêts, Poutine se réjouit de la fonte du permafrost en Sibérie et leur alliée, l’extrême droite européenne, exige l’abandon du pacte vert. Les scientifiques de tous les pays, y compris en France, font face à une croisade obscurantiste. Quelque 90 % des militants écologistes subissent des violences en ligne et sont parfois physiquement menacés.
Dans ce contexte, votre silence est alarmant. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.) Il nous fait craindre que vous ayez déjà abdiqué, d’autant plus que la politique conduite depuis 2022 est celle du grand bond en arrière s’agissant de l’écologie, avec pas moins de quarante-trois reculs environnementaux depuis le printemps.
Je n’ai pas le temps de vous questionner sur l’ensemble de ces reculs. Je n’aborderai donc qu’un seul sujet, pour lequel le gouvernement est décisionnaire : notre trajectoire climatique. J’ai deux questions. D’abord, dix ans après l’accord de Paris, allez-vous cesser de bloquer la hausse des objectifs climatiques au niveau européen ? Ensuite, allez-vous publier une programmation pluriannuelle de l’énergie sérieuse pour garantir le développement de l’éolien et du solaire (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC – M. Jimmy Pahun applaudit également) et permettre que, d’ici à 2030, 44 % de l’énergie que nous consommons soit d’origine renouvelable ?
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
Je vous l’ai dit : hier, je ne pouvais pas parler de tout au regard de la situation politique. Vous me permettrez de me livrer, en répondant à votre question, à une séance de rattrapage. Sans mépris aucun pour l’Assemblée nationale, j’aurai l’occasion d’y revenir plus longuement au Sénat, s’agissant notamment de la dimension locale des politiques environnementales.
Plusieurs défis sont devant nous. Je répondrai à vos deux questions et j’irai même un peu plus loin. La priorité est de continuer la décarbonation d’une partie de notre économie et de notre vie quotidienne. C’est une évidence en matière d’émissions et de souveraineté. Vous le savez, c’est aussi une évidence en matière économique car des filières économiques ont été créées sur le territoire, qui sont désormais porteuses d’emplois, et il n’y aurait rien de pire que de faire du stop and go – pour parler en mauvais français –, ce qui fragiliserait l’élan donné. Cela va peut-être trop lentement et le débat à ce sujet aura lieu si vous laissez la discussion budgétaire se tenir ici même. Il est en tout cas clair que freiner définitivement nos efforts de sobriété énergétique nous exposerait aux pires difficultés.
J’en viens à la production d’énergie, au sujet de laquelle vous avez posé une question très précise. C’est la même urgence : la décarbonation est essentielle pour des raisons non seulement climatiques mais aussi – pardon ! – géopolitiques. Dépendre du Moyen ou du Proche-Orient, de la Russie, d’un certain nombre de grands compétiteurs est évidemment inacceptable. On ne pourra pas parler de réindustrialisation si notre politique énergétique n’est pas au niveau. Si vous nous demandez si nous souhaitons ou allons dégrader, dans les documents à venir, nos objectifs en matière d’énergies renouvelables, la réponse est non.
En revanche, nous devons davantage interroger la manière dont l’argent public est employé pour financer les énergies renouvelables et faire en sorte qu’il n’y ait pas de rente de situation. Je sais de quoi je parle car j’étais secrétaire d’État chargé de ces sujets il y a huit ans et on voit bien qu’aujourd’hui, la situation du marché de l’électricité, la structure des coûts afférents aux énergies renouvelables, les filières économiques, s’agissant par exemple de l’éolien en mer, tout comme la manière d’équilibrer notre système électrique et de stocker cette énergie ne sont pas les mêmes qu’alors. Le vrai débat relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie portera sur le nucléaire – je sais que nous ne sommes pas d’accord à cet égard et je l’assume –, les énergies renouvelables et les bons moyens d’éviter que des effets de rente, des effets de bord ne découlent du financement de ces énergies. Ce sujet est essentiel.
Troisième thème, qui chevauche le national et le local : la biodiversité, un terme que je n’ai pas prononcé hier à l’occasion de mon discours de politique générale, pas plus que vous dans votre question. Ce thème pose la question des déchets, celle de l’eau et celle de la lutte contre les pollutions, sur laquelle la ministre chargée de l’écologie reviendra très prochainement. La dynamique et les enjeux afférents sont aussi globaux, nationaux que locaux. Nous ne ferons pas l’impasse sur un réexamen de la planification écologique à l’échelon local : les compétences en question sont fondamentalement décentralisées et les élus locaux doivent s’en emparer davantage. Nous en débattrons peut-être. Étant donné l’endroit d’où je viens, en tant qu’ancien maire et ancien président de département, je reste convaincu que c’est absolument essentiel.
La dernière étape est bien sûr internationale et européenne : il s’agit de faire en sorte que la France continue de mener le combat politique que vous avez décrit à un moment où le climatoscepticisme est plus puissant qu’il y a cinq ou dix ans. Ce qui, ces dernières années, était évident ou du moins à peu près consensuel a cessé de l’être, y compris au regard des politiques menées par un certain nombre de grandes puissances. Je crois pouvoir dire que la nomination, que vous n’avez ni citée ni saluée, de la ministre Monique Barbut témoigne, eu égard à son engagement et à son bilan de femme dirigeante d’ONG, de ce que le gouvernement de la République est capable de faire pour la France ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
Je vous ai connu plus précis, monsieur le premier ministre : vous n’avez rien dit au sujet du soutien à la hausse des objectifs climatiques à l’échelon européen, qui requiert un combat immédiat, et vous n’avez rien répondu au sujet de l’objectif de production d’énergies renouvelables à hauteur de 44 % de notre consommation énergétique.
Surtout, je vous alerte : la France n’a diminué ses émissions de gaz à effet de serre que de 0,8 % alors que ce chiffre aurait dû atteindre 5 %. Ceci doit être notre priorité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – Mme Dieynaba Diop applaudit également.)
Reconstruction de Gaza
Mme la présidente
La parole est à Mme Louise Morel, à laquelle je souhaite un joyeux anniversaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme Louise Morel
Merci, madame la présidente.
Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, lundi dernier, 737 jours s’étaient écoulés depuis le 7 octobre 2023, ce jour d’horreur où plus de 1 200 personnes ont été tuées, dont 51 Français, et plus de 250 Israéliens pris en otage. 737 jours d’angoisse et d’attente pour leurs familles et pour tous ceux qui refusent d’oublier, tant d’attente aussi pour les proches des prisonniers palestiniens, suspendus eux aussi à l’espoir de recevoir des nouvelles des leurs.
Le lundi 13 octobre dernier, un espoir s’est enfin réalisé : les visages, les retrouvailles, les étreintes des vingt derniers otages libérés ont ému le monde entier. Je veux rendre hommage à toutes celles et ceux qui ont rendu cela possible, à votre action diplomatique, monsieur le ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR), à celle du président de la République, à nos armées, à nos associations humanitaires, qui œuvrent chaque jour pour la paix et la vie.
Je veux aussi saluer le plan de paix proposé par les États-Unis d’Amérique et soutenu par l’Égypte, le Qatar, la Turquie, les Émirats arabes unis et plusieurs pays européens, dont la France, plan qui a accéléré la libération des otages.
Cependant, nous ne devons rien oublier. Rien des mois d’horreur à Gaza, rien des familles brisées, des enfants tués, de la famine orchestrée, rien de ce que le droit international devra juger. Face à ces tragédies, le multilatéralisme et la force du droit demeurent nos meilleurs remparts contre la barbarie. Nos institutions internationales doivent certes être plus rapides et plus fermes mais nous ne devons pas renoncer à cet idéal : le droit doit primer la loi du plus fort.
Lundi a été une lueur d’espoir qui doit continuer à briller. Comment la France entend-elle répondre à l’urgence en renforçant l’aide humanitaire et, à long terme, soutenir la reconstruction de Gaza et accompagner les perspectives d’une paix durable dans la région ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – MM. Vincent Caure et Jean-Luc Fugit applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Merci pour cette question qui nous rappelle de ne rien oublier. Souvenons-nous des 1 200 innocents sauvagement assassinés le 7 octobre 2023, lors du pire massacre antisémite de notre histoire depuis la Shoah. Souvenons-nous que, ce matin-là, quarante-huit de nos compatriotes ont été assassinés par les terroristes du Hamas, que huit autres ont été kidnappés pour être plongés dans l’enfer des tunnels du Hamas à Gaza, que cinq d’entre eux ont été libérés dans la joie et dans les larmes tandis que trois d’entre eux y ont laissé la vie. Souvenons-nous de certains de nos compatriotes qui se sont distingués ce matin-là : je pense à Liel Itach, citoyen français de 22 ans, qui a donné sa vie pour que d’autres puissent sauver la leur (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR), mort en héros. Nous ne l’oublions pas, parce que la France n’oublie aucun de ses enfants. (Mme Mathilde Panot s’exclame ce qui suscite des protestations en réaction sur les bancs des groupes RN et UDR ainsi que sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Mais la France ne se contente pas de dénoncer ou de condamner : la France agit. (Mêmes mouvements.) Le mois dernier, la France a rassemblé la communauté internationale à New York pour qu’au travers de la déclaration que cette dernière a endossée, à terme, la sécurité d’Israël soit garantie et les droits légitimes du peuple palestinien reconnus, afin que toutes les souffrances endurées ces deux dernières années ne se reproduisent jamais.
La semaine dernière, c’est à Paris, au Quai d’Orsay, que se sont réunis les ministres des pays arabes et européens, qui veulent donner toutes ses chances à ce plan de paix et contribuer à sa réussite. Le 13 octobre dernier, à Charm el-Cheikh, le président de la République a réuni à son tour ses homologues pour que, s’agissant de la reconstruction de Gaza et de sa future gouvernance, de la sécurité des Gazaouis et d’Israël, qu’évoquait le premier ministre, toutes les forces soient mobilisées afin que tout ce que nous avons vécu ne se reproduise jamais. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
Crise économique et sociale dans les territoires
Mme la présidente
La parole est à M. David Taupiac.
M. David Taupiac
Monsieur le ministre de l’économie, nos territoires sont en grande souffrance. À la faveur d’une crise économique et sociale d’une rare intensité et malgré la mobilisation des élus, des syndicats, des associations et des acteurs économiques, nous constatons tous la dévitalisation de bassins de vie entiers. Le constat est alarmant : avec plus de 65 000 défaillances d’entreprises en 2024, chiffre en hausse de 17 % par rapport à 2023, nous faisons face à une crise structurelle qui affecte durablement nos territoires.
Je citerai un seul exemple dans mon territoire du Gers, qui illustre à mon sens cette réalité tragique. En mars dernier, à Vic-Fezensac, la fermeture de l’abattoir Delpeyrat a entraîné la perte de soixante-quinze emplois directs. Le mois suivant, un incendie a ravagé l’usine Gerstube, privant soixante-dix salariés supplémentaires de leur travail. Au total, 145 emplois ont disparu dans un bassin de vie de 11 000 habitants où l’agroalimentaire, la viticulture et le tourisme constituent des piliers de l’économie locale.
À ces drames humains et économiques s’ajoutent des effets d’aubaine inattendus liés à ce type de sinistres, qui pénalisent encore davantage nos territoires. Entreprise familiale qui existe depuis près de quatre-vingts ans, Gerstube a été rachetée par le groupe Alfiplast. Depuis l’incendie qui l’a touchée, malgré la mobilisation des acteurs, la direction est restée quasiment injoignable. Ayant choisi de ne pas reconstruire l’usine, elle a finalement présenté un plan de sauvegarde de l’emploi qualifié de très insuffisant par les services de l’État. Se pose maintenant la question du devenir des indemnisations d’assurance.
Ces fonds sont notamment le fruit de la valeur ajoutée créée par les salariés et les acteurs du territoire. À ce titre, il paraîtrait incompréhensible qu’ils ne soient pas réinvestis localement pour maintenir l’activité économique du territoire. Comment l’État peut-il intervenir pour que cette activité économique reste dans ce territoire ? Plus globalement, comment instaurer un cadre légal pour garantir que les indemnités d’assurance soient réinvesties en faveur de la revitalisation de leur territoire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.
M. Roland Lescure, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique
J’ai eu l’honneur d’être pendant deux ans ministre de l’industrie de la République française et je continuerai de mener les combats que j’ai alors engagés.
Mme Mathilde Panot
On a vu le désastre !
M. Roland Lescure, ministre
Je suis très heureux que notre ancien collègue Sébastien Martin, qui connaît bien l’industrie et les territoires, m’ait rejoint pour traiter ce dossier essentiel.
Vous l’avez dit : en avril dernier, un incendie dévastateur a littéralement rasé l’usine de Gerstube à Vic-Fezensac. C’est un drame.
Vous vous êtes fortement mobilisé aux côtés de la présidente de région, du président du département et de la maire pour tenter de convaincre le groupe Alfiplast de reconstruire l’usine, ce qu’il a refusé. Je tiens à vous dire que je regrette cette décision.
Ma priorité, comme la vôtre je pense, sera de veiller au sort des salariés car, vous l’avez dit, le plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas suffisant, notamment à l’aune des indemnités d’assurance qui ne manqueront pas d’être versées. Je travaillerai avec le ministre du travail pour m’assurer que ce plan les accompagnera dans de bonnes conditions et que de nouveaux emplois leur seront proposés, pourquoi pas au sein même du groupe.
Ma deuxième priorité sera le territoire. Il y a moins d’un mois, le gouvernement a notifié à la Commission européenne le fait que l’aéroport d’Auch sera désormais un point de passage transfrontalier. L’entreprise JCB Aero est présente dans cette zone. Grâce à cette décision, nous allons pouvoir développer l’emploi.
Le combat industriel est essentiel et difficile, mais grâce à des élus comme vous et à la mobilisation sans faille du gouvernement, je suis persuadé que nous allons y arriver.
Suspension de la réforme des retraites
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe
Monsieur le premier ministre, on ne peut bâtir un compromis sur un mensonge. Vous avez annoncé hier, dans votre déclaration de politique générale, que vous proposeriez au Parlement la suspension de la réforme des retraites. Vous le savez, nous considérons que cette proposition est d’une dangereuse facilité.
M. Fabien Di Filippo
Tout dépendra de la capitalisation…
M. Paul Christophe
Les données démographiques sont sur ce sujet aussi factuelles qu’irréfutables. À sa création, notre système de retraite par répartition reposait sur plus de quatre actifs cotisants pour un retraité. Nous sommes aujourd’hui à moins de 1,8 actif pour un retraité alors même que la durée d’indemnisation moyenne a été multipliée par quatre.
Depuis quarante ans, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont dû procéder à des réformes paramétriques pour maintenir le système à flot, tant bien que mal. La réforme de 2023 n’échappe pas à cette règle. Faire croire à nos concitoyens que la sortie de crise, dans un pays aussi endetté que le nôtre, passe par une suspension de cette réforme est une fable dont nous paierons tôt au tard le prix. La vérité, c’est que nous devons être plus nombreux à travailler et que nous devons travailler plus longtemps.
Par ailleurs, le discours ambiant depuis votre déclaration d’hier – je ne vous en tiens pas responsable – laisse croire aux Français que la suspension de la réforme est actée. Il faut que chacun soit très prudent : tant que le Parlement ne l’a pas adoptée définitivement, la suspension n’existe pas. Dès lors, il ne faudrait pas que les annonces d’hier amplifient encore un peu plus, dans quelques mois, la défiance de nos concitoyens envers leurs institutions.
Aussi, j’ai plusieurs questions précises à vous poser : par quel véhicule législatif le gouvernement proposera-t-il au Parlement la suspension de la réforme des retraites ? (« Ah ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Le coût de 400 millions d’euros évoqué pour 2026 comprend-il les pensions supplémentaires versées et les pertes de cotisations qu’impliquent les départs en retraite plus tôt que prévu ? Enfin, et surtout, qui va payer ?
En réalité seules trois options sont possibles : augmenter les cotisations pesant sur les actifs, baisser les pensions de retraite…
Mme Prisca Thevenot
Non !
M. Paul Christophe
…ou faire peser cette charge sur nos enfants et nos petits-enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
Vous avez raison, un bon débat, un débat loyal, ne peut pas s’appuyer sur des mensonges ou des imprécisions. Votre première question est de savoir quel vecteur sera utilisé. Cette question n’est pas très grand public mais, en effet, soyons précis : pour aller vite, dans des délais tenus, et pour avoir un débat de qualité, il faut que le gouvernement dépose un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale…
Mme Sandrine Runel
Quand ?
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
…dès le mois de novembre, c’est-à-dire dès le début de la discussion du PLFSS, comme chaque année depuis des décennies.
M. Jérôme Guedj et Mme Sandrine Runel
En commission !
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
Oui, en commission. Les Françaises et les Français qui nous regardent sur les chaînes info peuvent voir que le débat a déjà démarré ! Mais ces éléments sont importants, car la procédure garantit la transparence démocratique.
Le gouvernement déposera donc cet amendement, mais il appartiendra au Parlement de décider – je l’ai suffisamment répété hier dans ma déclaration de politique générale. Chacune et chacun ici aura donc l’occasion de défendre ses convictions dans la plus grande des clartés (Mme Danielle Brulebois, M. Vincent Caure et Mme Anne-Cécile Violland applaudissent), comme vous avez commencé à le faire, monsieur le député, en disant ce que vous souhaitez pour les retraites non seulement pour aujourd’hui, mais, n’ayons pas peur, également pour demain. J’ai d’ailleurs ouvert cette réflexion dès hier, réflexion dont le rendez-vous était en principe fixé à l’élection présidentielle. Votre famille politique et le président de votre parti se sont déjà exprimés. Certains défendront peut-être la capitalisation, d’autres un système par points avec un âge pivot, d’autres encore un système par points sans âge pivot. J’ai mes propres convictions et j’aurai l’occasion d’y revenir le moment venu.
Ensuite, il ne peut y avoir de suspension de la réforme des retraites sans coût. Sur ce point aussi j’ai été précis hier et je le répète : je n’endosserai pas n’importe quoi ; il y va de la pérennité du système actuel. Vous l’avez dit, toute suspension adoptée devra s’accompagner de recettes en contrepartie. Il reviendra également au Parlement de se prononcer, dans la plus grande des clartés, avec les différents outils que vous connaissez.
Je souligne enfin, parce que nous ne devons pas être autocentrés et nous focaliser uniquement sur le gouvernement et le Parlement, que le véritable sens de cette suspension est non seulement la stabilité du pays (Mme Ségolène Amiot s’exclame) et le retour du calme dans nos débats – nous y sommes arrivés cet après-midi et je crois que c’est possible –, auxquels nous a invités un prix Nobel d’économie – ayons l’humilité de reconnaître que ceux qui connaissent leur sujet peuvent tracer un chemin –, mais surtout le rétablissement de la confiance entre les partenaires sociaux, lequel pourrait permettre d’atténuer l’amertume laissée par le conclave. Toutes les discussions pourraient ainsi reprendre, pas seulement sur les retraites, mais aussi sur le travail, le partage de la valeur et sa répartition dans l’entreprise – autant de sujets dont vous savez bien, en tant qu’ancien ministre des solidarités, qu’ils sont bloqués depuis le mois de juin dernier. (M. Louis Boyard s’exclame.)
Mme Mathilde Panot
Laissez voter l’Assemblée !
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
La suspension, qui n’est pas l’abrogation – on nous l’a suffisamment reproché sur certains bancs –, est une chance. Soit nous nous en saisissons et vous déciderez, soit nous ne nous en saisissons pas et chacun devra assumer ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et HOR.)
Projet de loi de finances pour 2026
Mme la présidente
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
Hier, le premier ministre a présenté les grandes mesures du budget 2026, dans la droite ligne des précédents, ceux-là mêmes qui ont mis nos comptes dans le rouge, qui ont fait reculer le pouvoir de vivre, appauvri les retraités, les chômeurs, les jeunes et les classes moyennes et populaires, tout particulièrement en outre-mer. Ces mêmes budgets qui vantaient une réindustrialisation pendant qu’une pluie de fermetures d’entreprises s’abat sur notre pays. Ces mêmes budgets qui abreuvent des multinationales d’argent public pendant que 35 000 emplois dans le bâtiment pourraient encore disparaître cette année.
Les Français se serrent la ceinture, des milliers d’emplois sont brisés, mais Emmanuel Macron, enfermé dans sa tour d’ivoire, contemple le pays qu’il a fracturé. Son monde est celui des actionnaires et des cabinets de conseil, pas celui des travailleurs et des travailleuses, des soignants, des familles et des mères seules qui galèrent. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – MM. Carlos Martens Bilongo et Sébastien Delogu applaudissent aussi.) Votre budget, c’est sa politique. Vous osez présenter une taxe sur le patrimoine financier comme une mesure de justice, mais en excluant les titres d’entreprises vous épargnez plus de 95 % de la fortune des milliardaires. Bernard Arnault peut dormir sur ses deux oreilles. En revanche, de manière nette et précise, taxe par taxe, vous visez les plus modestes, les malades, les retraités, les étudiants, les apprentis et les étrangers. (Mêmes mouvements.)
Les Français scandent « justice fiscale ! », ils ne reçoivent que mépris de classe. Et même quand vous répondez à l’immense mobilisation contre la réforme des retraites par un obscur décalage, vous promettez que la facture sera salée pour le monde du travail. Pire, vous évoquez une possible capitalisation. Vous appelez à la responsabilité nationale alors que vous livrez l’État à un capitalisme sans foi ni loi ! Vous parlez d’ordre, mais c’est le désordre social que vous semez ! Vous invoquez la République, mais vous piétinez l’égalité et méprisez le résultat des urnes. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Quand vous nous parlez du débat parlementaire comme d’une concession qui serait faite, on le voit bien : vous ne cherchez pas l’accord avec le Parlement, vous cherchez l’alibi du désaccord sur le dos d’un pays que vous avez déjà bien trop fracturé. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Mme Sandrine Runel applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’action et des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l’action et des comptes publics
Vous nous demandez quels sont nos choix économiques dans le projet de loi de finances pour 2026. Si vous pouvez nous poser la question, c’est parce que vous avez devant vous un premier ministre et un gouvernement (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP),…
Mme Mathilde Panot
Illégitimes !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…qui ont déposé un texte et qui ouvrent le débat. Dans quelques heures, certains d’entre vous veulent nous censurer.
Mme Mathilde Panot
Tout à fait !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Si vous nous censurez, il n’y aura plus de gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Mathilde Panot
Et alors ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Il n’y aura donc pas de débat non plus. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Les seules questions dont nous débattrons seront l’incertitude et le désordre économiques, et le trouble créé dans le pays faute de stabilité.
M. Stéphane Peu
Pouvez-vous nous répondre sur vos choix budgétaires ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Si vous nous censurez, le seul débat que nous aurons ne concernera pas le budget, mais la loi spéciale. Or celle-ci ne permet aucun choix. (Mêmes mouvements.) Censurer, c’est donc repousser les débats, repousser les choix.
Aujourd’hui, nous faisons des propositions. Nous mettons sur la table une taxe sur le patrimoine financier des holdings. On peut ne pas débattre et laisser les choses telles qu’elles sont. On peut laisser les ultrariches continuer à prospérer dans ces montages. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. Stéphane Peu
Vous les avez gavés pendant huit ans !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Nous proposons une contribution différentielle sur les hauts revenus. Souhaitez-vous l’adoption de cette mesure ? (Nouvelles exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et GDR.) Allons-nous en discuter ou préférez-vous ne rien faire du tout ? Nous proposons aussi des investissements pour les outre-mer et pour les PME. Mais pour en débattre, encore faut-il qu’il y ait un texte et un gouvernement, et donc qu’il n’y ait pas de censure.
Mme Mathilde Panot
Cessez de nous prendre pour des imbéciles !
Niveau des retraites
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre-Henri Carbonnel.
M. Pierre-Henri Carbonnel
Permettez-moi, en ce jour si particulier pour elle, d’avoir une pensée pour ma prédécesseure et amie Brigitte Barèges. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UDR et RN.) Elle a siégé onze ans sur ces bancs et a eu le courage de l’union des droites. Elle est pour moi un modèle. Merci Brigitte !
M. Pierre Cordier
Je la préfère à Brigitte Macron !
M. Pierre-Henri Carbonnel
Monsieur le ministre du travail, votre gouvernement a annoncé la non-indexation des retraites sur l’inflation. Vous voulez faire les poches de nos retraités. C’est une honte ! Ils ont travaillé dur toute leur vie. Arrêtez de punir les plus fragiles ! Aujourd’hui, 2 millions de retraités vivent sous le seuil de pauvreté et 42 % d’entre eux envisagent de réduire leurs dépenses alimentaires, un tiers ayant déjà renoncé à un soin Les retraites agricoles sont misérables – 700 euros en moyenne. Ancien membre du parti LR, je vois les députés de ce groupe soutenir un gouvernement qui taxe les retraités. Chers collègues, réveillez-vous et censurez le gouvernement ! (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UDR et RN.) Vous comptez sur vos bancs des agriculteurs et j’en suis un moi aussi. Alors, du courage !
Monsieur le ministre, comptez-vous, oui ou non, indexer les retraites et sortir de l’injustice ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail et des solidarités.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités
Puisque c’est la première fois que je m’exprime dans une séance de questions au gouvernement, permettez-moi de commencer par vous dire que je suis un homme de dialogue, ce que j’ai démontré, je crois, à la SNCF. (Rires sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Je suis partisan de poursuivre dans cet esprit avec la représentation nationale. Mon ministère et mon téléphone vous sont ouverts ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Je veux aussi profiter de cette occasion pour remercier le président de la République et le premier ministre de leur confiance. Je le sais, le ministère qui m’a été confié est difficile.
Pour vous répondre sur le fond, il est vrai qu’au regard de la situation des finances publiques, que nous connaissons tous, un effort juste et partagé est nécessaire. Dans ce contexte, une année blanche a été annoncée, qu’il s’agisse des prestations ou des barèmes, qui ne seront pas augmentés, non plus que le montant des retraites. (« Une honte ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) L’effort sera collectif et concernera toutes les catégories de Français.
M. Hervé de Lépinau
Vous demandez aux pauvres de participer à l’effort… C’est de l’inhumanité !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
La règle sera de ne pas dépenser en 2026 plus qu’en 2025. Cette mesure rapportera 3 milliards d’euros d’économies au budget de la sécurité sociale.
Il est vrai qu’un effort particulier est demandé aux retraités avec le gel des pensions en 2026 et la sous-indexation des pensions, de 0,4 point, jusqu’en 2030. Reste qu’il s’agit d’une copie de départ et que les débats vont se tenir. Par ailleurs, soyez-en sûrs, nous serons attentifs aux pensions les plus modestes et aux retraités les plus démunis.
M. Hervé de Lépinau
On verra dans l’ordonnance !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Les mesures proposées s’inscrivent dans le cadre du rapport du comité de suivi des retraites, mais aussi du travail de la délégation paritaire permanente. Nous devons faire attention : le déficit de la branche retraite ne cesse d’augmenter et atteindra 6 milliards en 2025, 6,6 milliards en 2030 sans ces mesures. Le gouvernement souhaite maîtriser la charge des retraites dans le budget de la sécurité sociale. Je le redis, nous aurons l’occasion d’en discuter et nous serons attentifs, dans le débat, aux plus petites retraites et aux retraites des plus démunis. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre-Henri Carbonnel.
M. Pierre-Henri Carbonnel
J’apprécie votre franchise : vous avouez faire les poches des retraités. C’est misérable, mais au moins vous avez l’honnêteté de l’avouer. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Annonces budgétaires du premier ministre
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
M. Jean-Philippe Tanguy
Pas moins de 19 milliards d’impôts nouveaux en 2026 sur les Françaises et les Français, les salariés et les entrepreneurs. Hier, monsieur le premier ministre, je le regrette, mais vous avez donc menti… Vous avez réussi à promettre plus de pouvoir d’achat, alors que votre budget est une véritable boucherie fiscale pour les classes moyennes et les familles, ces dernières payant déjà le plus lourd tribut de tous les pays développés. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe RN et sur de nombreux bancs du groupe UDR.) Pire, la charge fiscale est tellement insupportable dans notre pays que depuis quatre ans, les impôts ne rentrent plus comme ils le devraient… À défaut d’écouter la souffrance des contribuables, lisez les rapports de Bercy : peut-être y serez-vous alors moins insensible.
Hier, vous avez menti en louant la valeur travail alors que vous allez geler tous les salaires des fonctionnaires et spolier les pensions des retraités à hauteur de 20 milliards, et pas pendant un an mais pendant quatre ans !
Hier, vous avez menti car vous promettez de régler la crise des finances publiques alors que vous continuez à augmenter la dépense de 28 milliards. En huit longues années, vous et vos gouvernements n’aurez donc jamais été capables de baisser d’un seul centime la dépense publique !
M. Erwan Balanant
Avec vous, ce serait 100 milliards de dépenses supplémentaires !
M. Jean-Philippe Tanguy
Vous avez caché tous ces mensonges, monsieur le premier ministre, par une forfaiture particulièrement cynique puisque vous avez ainsi menti à des milliers de Françaises et de Français qui travaillent dur et qui nourrissent le légitime espoir de pouvoir prendre leur retraite plus tôt. Vous avez trompé tous ces travailleurs avec la complicité des sociotraîtres de service, jamais avares d’insulter l’intelligence et la dignité de nos compatriotes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur de nombreux bancs du groupe UDR.) La suspension des retraites n’existe pas autrement que dans vos mensonges ! Vous mentez avec les socialistes, mais vous mentez mal !
M. Erwan Balanant
Baisse un peu de ton !
M. Jean-Philippe Tanguy
Grâce à la sagacité de Marine Le Pen, vous avez dû avouer depuis hier qu’il n’y avait ni amendement, ni projet de loi, seulement un simple accord d’appareil avec des socialistes qui ne savent rien faire d’autre que mentir ! 19 milliards d’impôts plus un mensonge sur les retraites : quel beau pacte de lâcheté avec les LR et les socialistes ! (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
Alors avouez, avouez vos mensonges ! ! ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’action et des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l’action et des comptes publics
Il est dommage que vous n’ayez pas mis à jour votre question.
M. Pierre Cazeneuve et M. Erwan Balanant
Eh oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Le premier ministre vient d’y répondre : il vient de préciser que la suspension passera par un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il vient de le dire, mais vous n’avez pas écouté. Or je pense que dans une assemblée, le respect c’est l’écoute.
M. Jean-Philippe Tanguy
Le respect, ce n’est pas le mensonge !
Mme la présidente
Monsieur Tanguy, s’il vous plaît !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Et quand le premier ministre s’exprime, nous devrions l’écouter. Ce sera un amendement…
M. Jean-Philippe Tanguy
Un cavalier !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…que cet hémicycle aura donc à débattre.
Mais vous êtes dans une drôle de position puisque vous nous dites que vous voulez combattre ce budget tout en voulant censurer le gouvernement… Venez donc débattre, ne nous censurez pas (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem et HOR), ne prêtez pas à l’idée que c’est dans les urnes que les Français vont voter le budget alors que ce n’est pas ainsi que cela se passe, pas ainsi que la Constitution l’a prévu.
S’agissant du budget de l’État, vous parlez de mensonges. Mais il faut nous dire la vérité :…
M. Jean-Philippe Tanguy
La vérité, ce sera les ordonnances !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…dans le projet de loi de finances, la dépense publique rapportée au PIB baisse. Je le répète : elle baisse. Cela veut dire que si ce budget est voté tel que nous le proposons, il y aura moins de dépenses publiques en 2026 par rapport à ce que notre pays produit, soit 56,4 % du PIB l’année prochaine au lieu de 56,8 % cette année.
M. Jean-Philippe Tanguy
Vous mentez et vous le savez !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Vous parlez d’impôts, disant que c’est horrible… Mais il y aura l’année prochaine moins d’impôts par rapport au PIB…
M. Théo Bernhardt
Mais arrêtez !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…qu’en 2019 (Exclamations sur les bancs du groupe RN), comme il y aura moins d’impôts dans le budget l’année prochaine qu’en 2019. Vous dites que vous ne pouvez nous croire, que le gouvernement ment, mais je dois alors vous rappeler que semaine après semaine, mois après mois, j’ai suivi avec vous, en toute transparence, l’exécution du budget 2025. Et on a pu constater que oui, le déficit baissait, au niveau exact du chiffre que les députés avaient inclus…
M. Jean-Philippe Tanguy
Non, c’est vous !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…dans le compromis du mois de février : le déficit sera de 5,4 %, le gouvernement s’y était engagé et nous y sommes parvenus devant vous, avec méthode et avec rigueur. C’est d’ailleurs bien le moins que l’on doive au Parlement. Vous débattez, vous votez, nous exécutons. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
M. Jean-Philippe Tanguy
Et vous ruinez !
Prix Nobel français
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Midy.
M. Paul Midy
Ma question s’adresse au ministre de l’économie et des finances.
Dans notre pays, il y a aussi des bonnes nouvelles : ces dernières années, nous assistons à une véritable pluie de prix Nobel français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem e t HOR. – Mme Ayda Hadizadeh et M. Eli Califer applaudissent également.) Merci pour vos applaudissements adressés à Alain Aspect, Anne L’Huillier, Pierre Agostini et Michel Devoret, tous français… et d’ailleurs tous issus de ma magnifique circonscription de Paris-Saclay – je les salue aussi à ce titre.
Et avant-hier encore, c’est le Français Philippe Aghion qui a reçu le prix Nobel d’économie (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR) car ses travaux ont permis de démontrer que la clé de la croissance, c’est l’innovation et le leadership technologique, ainsi que la capacité à créer un environnement qui permet le développement des meilleures technologies au monde. Et plus de croissance, c’est plus de ressources publiques et de meilleurs salaires pour tous les Français. Par conséquent, plus d’innovation, c’est aussi plus de ressources publiques pour payer la santé, l’éducation et notre sécurité. C’est bien le projet que je défends depuis des années avec ma famille politique, c’est-à-dire avec Gabriel Attal et tous les députés du groupe Ensemble pour la République. Nous avons donc consacré beaucoup de moyens à l’innovation ces dernières années, mais il faut continuer à accélérer car nous sommes en compétition avec les États-Unis et la Chine, qui ont considérablement accéléré. Il faut, à cet égard, maîtriser nos dépenses pour retrouver des marges de manœuvre sur les sujets prioritaires comme la recherche et l’innovation.
Nous serons donc particulièrement attentifs dans les débats budgétaires à ce que l’innovation soit une priorité et que les dispositifs qui y concourent soient préservés ou renforcés : je pense à la loi de programmation de la recherche, à France 2030, au crédit impôt recherche, au dispositif jeune entreprise innovante ou encore au dispositif jeunes docteurs.
Aussi, monsieur le ministre, partagez-vous les conclusions de notre prix Nobel et pouvez-vous dès lors nous rassurer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.
M. Roland Lescure, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique
En 1983 – je pense que vous n’étiez pas né –, quinze ans après la création du prix Nobel d’économie, la France avait son premier lauréat, Gérard Debreu, et cinq ans plus tard Maurice Allais ; il a fallu ensuite attendre trente-cinq ans avant d’avoir un autre prix Nobel d’économie, Jean Tirole, puis Esther Duflo, et maintenant Philippe Aghion. Les trois derniers sont absolument exceptionnels et ils ont travaillé sur des sujets très différents : la micro-économie et la théorie de l’incertain pour Jean Tirole, l’économie de la pauvreté pour Esther Duflo et les théories de la croissance, vous l’avez rappelé, pour Philippe Aghion. Ils ont enseigné à l’étranger – Philippe Aghion notamment à Harvard – et leur rayonnement est mondial. Très important : ces prix Nobel d’économie, ces chercheurs de classe mondiale, se sont intéressés à la vraie vie et sont capables d’éclairer la décision publique par des recommandations concrètes qu’on peut ensuite décider de débattre et de voter ici.
Philippe Aghion, en effet un des pères des théories de l’innovation au service de la croissance et au service du bien-être de nos concitoyens, a présidé la commission sur l’intelligence artificielle, qui a conduit au sommet de l’intelligence artificielle de février dernier, puis au lancement des travaux sur l’intelligence artificielle qui font de la France peut-être pas la première encore, mais déjà la deuxième puissance internationale sur ce sujet fondamental. Je tiens donc vraiment à le remercier et j’en profite pour inciter l’ensemble des parlementaires à écouter son interview sur France Inter hier matin parce qu’il y a exposé plusieurs idées concrètes, entre autres sur la réforme des retraites.
Et puis vous l’avez dit : il faut qu’on continue à travailler pour que l’innovation soit au cœur de nos priorités. Je sais que plusieurs sujets vous tiennent particulièrement à cœur comme à moi, sur d’autres sans doute y aura-t-il débat, mais nous partageons évidemment, je le sais, la même volonté forte et entière de s’assurer que l’innovation est au centre de nos stratégies de croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme Prisca Thevenot
Excellent !
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Présidence de Mme Nadège Abomangoli
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est suspendue.
Mme la présidente
La séance est reprise.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Nadège Abomangoli.)
2. Transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et évolution du dialogue social
Commission mixte paritaire
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social (no 1683).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Viry, rapporteur de la commission mixte paritaire.
M. Stéphane Viry, rapporteur de la commission mixte paritaire
Je souhaite la bienvenue à M. le ministre et suis heureux de pouvoir enfin conclure l’examen de ce texte après plusieurs mois d’attente. Rappelez-vous : il y a trois gouvernements de cela – c’est devenu un repère chronologique dans notre vie parlementaire –, à l’automne 2024, le premier ministre, Michel Barnier, et la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, prenaient l’initiative courageuse de relancer le dialogue social.
J’avais salué avec enthousiasme cette orientation conforme au caractère social de la République. En effet, l’article 1er du code du travail consacre le dialogue entre partenaires sociaux comme le fondement de notre pacte social. Dans une époque marquée par les divisions croissantes, restaurer la place centrale de celles et ceux qui incarnent le monde du travail constitue un choix politique exemplaire.
Plusieurs sujets avaient été confiés à la négociation interprofessionnelle, dont l’emploi des travailleurs expérimentés, les seniors, un thème trop longtemps négligé alors que la population vieillit. Cette réalité démographique ne pouvait rester sans réponse.
Nous sommes réunis pour examiner les conclusions d’une commission mixte paritaire (CMP) totalement fidèles à la volonté des partenaires sociaux. Le gouvernement s’était engagé à la respecter, le Parlement l’a fait. La preuve qu’il fut un temps – pas si lointain – où tout cela fonctionnait encore !
M. Pierre Cordier
Avant la dissolution, surtout !
M. Stéphane Viry, rapporteur
J’en profite pour remercier chaleureusement les rapporteures du Sénat, Mmes Anne-Marie Nédélec et Frédérique Puissat. Notre travail commun n’a été guidé que par un seul objectif : respecter les accords nationaux interprofessionnels, les ANI, rien que les ANI.
Permettez-moi de rappeler les principales avancées de la CMP. À l’article 1er, deux des thèmes de la négociation de branche sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés ont été rendus facultatifs afin de respecter la souplesse demandée par les partenaires sociaux. À l’article 2, la mobilisation du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu) a également été replacée dans les thèmes facultatifs des négociations d’entreprise. Enfin, l’article 4 crée un contrat de valorisation de l’expérience (CVE) pour faciliter l’embauche des demandeurs d’emploi seniors.
Outre les accords signés en novembre 2024, le gouvernement a proposé de transcrire l’ANI du 25 juin, conclu pendant la navette parlementaire. Ces dispositions modifient le pilotage du projet de transition professionnelle pour lui donner de la souplesse et lui offrir une meilleure gouvernance.
Ces accords posent des jalons essentiels pour notre avenir. Toutefois, puisque, comme je l’avais dit au début de nos travaux, l’Assemblée nationale et le Sénat ne sont pas des chambres d’enregistrement. Ce projet de loi n’épuise pas son sujet, il ne prétend d’ailleurs pas tout résoudre. Je confirme ma conviction initiale : ce texte trace une ligne directrice et il nous appartient de la poursuivre, de continuer à progresser. Dans leur esprit comme dans leur contenu, ces ANI traduisent une volonté qui m’anime et que je revendique comme un héritage de Philippe Séguin : refaire la France par le travail et par ses valeurs. Dans ce moment où les repères vacillent, notre feuille de route doit être claire : écouter, créer collectivement, redonner un sens au travail et faire en sorte que chacun y trouve sa place, pleinement et dignement.
En adoptant le texte qui nous est proposé, nous ne clorons pas le débat mais nous préparerons les prochaines étapes d’une réflexion plus vaste – que j’appelle de mes vœux – sur le travail, les parcours professionnels, le partage de la valeur et les retraites, sujet d’actualité s’il en est. Monsieur le ministre, je lance un appel. La dernière grande loi sur le travail aura 10 ans l’année prochaine. N’est-ce pas le moment de commencer une nouvelle réflexion sur le monde du travail, qui a tant évolué en une décennie ?
Je conclurai en disant que je suis heureux que notre assemblée puisse enfin refonctionner normalement, car il y a beaucoup à faire pour améliorer la vie de nos compatriotes. Avec d’autres, je serai amené à intervenir à nouveau à propos de l’emploi et du travail, avec un objectif simple mais ambitieux : travailler tous, travailler mieux. Je vous donne rendez-vous pour traduire concrètement ces ambitions lors de l’examen du budget pour 2026. En attendant, j’invite l’Assemblée à adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR ainsi que sur les bancs des commissions. – M. le ministre du travail et des solidarités applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Turquois, rapporteur de la commission mixte paritaire.
M. Nicolas Turquois, rapporteur de la commission mixte paritaire
Je souhaite à mon tour la bienvenue à M. le ministre pour son exercice inaugural.
J’avais prévu de tenir peu ou prou ce discours dans l’après-midi du jeudi 10 juillet, le Sénat s’étant prononcé le matin en faveur des conclusions de la CMP. Mais l’ordre du jour a été quelque peu chamboulé. Avant la pause estivale, à cause du grand nombre de saisines du Conseil constitutionnel ; après l’été, par la démission du gouvernement de M. Bayrou et l’abandon de la session extraordinaire.
Mme Sophie Taillé-Polian
C’était donc bien une démission !
M. Nicolas Turquois, rapporteur
Ce texte relève d’un exercice particulier : retranscrire les compromis trouvés par les partenaires sociaux dans plusieurs pans du droit du travail et de l’emploi. L’Assemblée nationale et le Sénat – je salue au passage la fluidité et la qualité de nos échanges avec les rapporteures Anne-Marie Nédélec et Frédérique Puissat – ont eu à cœur de suivre une ligne claire, bien que peu intuitive au regard du droit d’amendement des parlementaires : l’accord, tout l’accord, rien que l’accord. Telle a aussi été la méthode de la CMP.
Voici à quoi elle est arrivée pour la partie du texte dont j’étais le rapporteur. L’article 8, relatif aux mandants dans les comités sociaux et économiques, avait été adopté en termes conformes par les deux chambres. Les articles 5, 6, 7, 9, 9 bis et 11, moyennant des corrections rédactionnelles, ont été adoptés dans la version de l’Assemblée. Les quatre premiers concernent les justifications que l’employeur doit apporter s’il refuse une demande de passage à temps partiel ou à temps réduit dans le cadre de la retraite progressive, la possibilité de négocier par accord collectif un versement anticipé de l’indemnité de départ à la retraite lors d’un passage à temps partiel, la sécurisation de la mise à la retraite d’un salarié recruté après qu’il a atteint l’âge de départ à la retraite à taux plein, l’adaptation des conditions d’activité requises pour les primo-entrants à l’assurance chômage.
Les articles 9 bis et 11 ont été introduits par des amendements du gouvernement. Leur création ne pouvait qu’être tardive puisqu’il fallait attendre la signature, le 25 juin, d’un nouvel accord entre partenaires sociaux. Deux motifs sont désormais exclus du dispositif de bonus-malus sur les contributions à l’Unedic et un Conseil national de l’orientation et de la formation professionnelles pour le développement des compétences est créé.
Les dernières discussions se sont donc concentrées sur les articles 4, 10 et 12. Afin de respecter la volonté que les signataires de l’ANI ont réitérée lorsque nous les avons entendus, la CMP a réduit de deux ans à six mois le délai de carence avant la réembauche d’un salarié par l’employeur. Ensuite, elle a transposé les clauses de l’accord du 25 juin indiquant que, dans le cadre de la période de reconversion, la rupture d’un commun accord du contrat avec l’entreprise d’origine n’entraînerait pas l’application du régime du licenciement économique. Cela est logique puisque, dans ce cas, la période d’essai dans l’entreprise d’accueil a été concluante.
Enfin, nous avons reproduit plus fidèlement que sous la plume initiale du gouvernement deux points du même accord. Le premier concerne le droit à l’aide au retour à l’emploi ; le second, qui a fait couler un peu d’encre, a trait à la gouvernance du projet de transition professionnelle. L’association Certif Pro se voit attribuer un rôle clair de répartition des fonds auprès des associations régionales, au lieu d’un circuit à la seule main de France Compétences. Sur ce sujet, le travail de la CMP ne pouvait qu’être incomplet, à moins de méconnaître l’article 40 de la Constitution. C’est pour cette raison que le gouvernement dépose un amendement à l’article 12, amendement préparé par les quatre rapporteurs de la CMP, après pleine validation par les représentants syndicaux et patronaux.
J’invite donc l’Assemblée à approuver le texte qui lui est soumis pour transposer les accords en faveur de l’emploi des seniors, du dialogue social et des transitions professionnelles. Au-delà de son caractère technique, nous pouvons voir dans ce texte, que nous avions certainement tous un peu mis de côté pendant la période estivale, un signe d’espoir. Sur le rapport au travail, la formation et la transition entre l’emploi et la retraite, les partenaires sociaux ont su proposer de façon largement consensuelle des avancées utiles aux salariés, aux entreprises et, donc, au pays. À mon sens, c’est avec la même méthode qu’il faudra aborder de nouveau le sujet des retraites. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR ainsi que sur les bancs des commissions. – M. Éric Martineau applaudit également. )
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail et des solidarités.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités
Comme MM. les rapporteurs l’ont souligné, l’adoption définitive de ce projet de loi est très attendue par les organisations syndicales et patronales, à l’origine du texte. La signature de cinq accords paritaires en neuf mois témoigne de la vitalité du dialogue social et du sens des responsabilités des partenaires sociaux. C’est d’autant plus remarquable que ces accords sont appuyés par un large consensus.
Les partenaires sociaux montrent l’exemple de la recherche du compromis au service des entreprises et des salariés. Je m’en réjouis car le dialogue social forme les rails que nous souhaitons emprunter, ainsi que le premier ministre l’a clairement affirmé dans sa déclaration de politique générale. Cette conviction trouve chez moi un écho particulier. Quand on est à la tête d’une grande entreprise, a fortiori si elle est investie, comme la SNCF, de missions de service public, on ne peut pas conduire de grandes transformations sans embarquer l’ensemble du collectif de travail.
Il était donc normal que le gouvernement choisisse le projet de loi de transposition des ANI comme un des tout premiers textes à inscrire à l’ordre du jour de la présente session parlementaire. Je rends hommage à mes prédécesseures, Catherine Vautrin et Astrid Panosyan-Bouvet, qui, avec tous les parlementaires, ont veillé à ce que le projet de loi transcrive fidèlement la volonté et les intentions des partenaires sociaux.
Depuis novembre 2024, les services du ministère du travail ont mené des échanges approfondis avec les organisations syndicales et patronales pour les associer pleinement à la transposition. Il me semble important de préciser que ces échanges préparatoires ont eu lieu avec toutes les organisations représentatives des salariés et des employeurs. Le gouvernement a également veillé à ce que les rapporteurs soient étroitement associés à toute la procédure. Je tiens d’ailleurs à remercier chaleureusement les deux rapporteurs de l’Assemblée. Chers Stéphane Viry et Nicolas Turquois, votre travail, votre investissement et votre écoute ont joué un rôle important et ont permis de faciliter les choses.
L’économie générale du texte est désormais bien connue. Il s’agit de la transposition législative des trois accords du 14 novembre 2024 portant sur l’assurance chômage, l’emploi des travailleurs expérimentés et le dialogue social. Adopté par le Sénat début mai, le texte a été enrichi par les débats de l’Assemblée nationale, qui ont permis d’intégrer les conclusions de la négociation paritaire sur l’assurance chômage ainsi que les dispositions de l’ANI sur les transitions et reconversions des 27 mai et 25 juin.
Ces dispositions figurent respectivement à l’article 9 bis pour l’assurance chômage et aux articles 10, 11 et 12 pour les transitions et reconversions professionnelles. L’article 9 bis intègre l’accord signé le 27 mai 2025 pour réviser certains paramètres du mécanisme de bonus-malus créé en 2019. Cette disposition législative ajuste le dispositif pour le recentrer, notamment en excluant du champ du dispositif les fins de contrat pour inaptitude ou faute lourde.
Lorsque vous avez été saisis de ce projet de loi début juillet, quelques semaines après l’examen du texte au Sénat, la négociation sur les transitions et les reconversions venait de s’achever, le 25 juin. Votre mobilisation et celle des partenaires sociaux ont permis d’intégrer en un temps record ses conclusions par voie d’amendements. Je souhaite vous rendre hommage, en particulier aux rapporteurs Stéphane Viry et Nicolas Turquois, pour ce tour de force parlementaire.
Portant sur les transitions et les reconversions professionnelles, les articles 10, 11 et 12 permettront trois avancées concrètes, dont les salariés et les entreprises pourront se saisir rapidement.
La première consiste en la création d’un dispositif unique de reconversion, interne ou externe, à la main de l’entreprise, et d’un dispositif de transition, à la main du salarié. La seconde avancée permet de mieux cibler et de mieux orienter les projets de transition professionnelle engagés par des salariés vers les métiers porteurs. La troisième avancée repositionne l’entretien professionnel afin de permettre un suivi des compétences et du parcours professionnel du salarié. Ces trois avancées seront utiles à toutes les entreprises. Elles apporteront ainsi des réponses à l’usure professionnelle de leurs salariés en leur permettant de changer de métier en milieu de carrière.
Les nouvelles dispositions relatives aux transitions et aux reconversions professionnelles complètent les avancées intervenues en faveur de l’emploi des seniors et s’intègrent dans notre stratégie en faveur de l’emploi des 50 ans et plus. Ainsi, nous posons les unes après les autres les briques qui doivent permettre leur maintien dans l’emploi et faciliter leur recrutement, au même titre que n’importe quel salarié.
Ces évolutions législatives sont d’autant plus importantes qu’elles interviennent à un moment où les fondamentaux de notre économie se transforment rapidement sous le coup des grandes transitions. Pour assurer une meilleure continuité professionnelle et salariale, nous devons mieux accompagner les salariés, les entreprises et les territoires touchés par des restructurations.
Les questions de gouvernance relatives à la gestion et à la répartition des fonds du projet de transition professionnelle n’ont pu être traitées en CMP en raison des règles de recevabilité financière. Aussi le gouvernement a-t-il déposé un amendement, que j’aurai l’honneur de présenter dans quelques minutes. Le parlement a joué un rôle décisif pour assurer une transcription fidèle des différents accords. Sous réserve de l’adoption de l’amendement du gouvernement, je vous invite donc à adopter le texte établi par la commission mixte paritaire.
Nous avons bien travaillé ensemble pour les entreprises et les salariés de ce pays. Nous nous retrouverons cet automne pour d’autres rendez-vous importants. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur les bancs des commissions.)
Discussion générale
Mme la présidente
La parole est à Mme Justine Gruet.
Mme Justine Gruet
La nation se renforce lorsque chaque génération trouve sa place au travail, notamment les Français les plus âgés, parfois usés par la vie et éprouvés par les mutations du marché du travail.
L’âge est la première discrimination sur le marché du travail, selon la Défenseure des droits. Les plus de 50 ans ont trois fois moins de chances d’être recrutés ; cette réalité ne peut pas nous laisser indifférents. Cela se traduit également dans les statistiques. Le taux d’emploi des seniors en France est très inférieur à la moyenne de l’Union européenne, en particulier pour les 60-64 ans : il s’établit à 39 % en France en 2023, contre 51 % en moyenne dans l’UE, plus de 65 % en Allemagne et même 69 % en Suède. Ce constat invite le législateur à adapter le marché du travail et à mieux accompagner les seniors.
Dans cet esprit, un précédent gouvernement a invité les partenaires sociaux à négocier pour identifier les mesures favorables au maintien et au retour à l’emploi des seniors. Cet exercice de dialogue social s’est conclu par la signature de deux accords nationaux interprofessionnels, le 14 novembre 2024. L’accord portant sur l’emploi des seniors a été signé par les trois organisations patronales et quatre des cinq syndicats de salariés représentatifs. Seule la CGT n’a pas signé. C’est donc un exercice singulier auquel nous nous sommes livrés. Le Parlement traduit dans la loi un accord interprofessionnel, en étant prié de ne pas trop l’amender. Le groupe Droite républicaine a souhaité respecter l’accord interprofessionnel et la voix des syndicats tout au long de l’examen.
Ce texte sera utile à nos seniors. Il prévoit notamment une nouvelle obligation de négocier sur l’emploi des seniors ; la suppression de la limitation du nombre de mandats successifs pour les élus du comité social et économique (CSE) ; le renforcement des entretiens professionnels de mi-carrière et de fin de carrière ; l’expérimentation d’un contrat de valorisation de l’expérience pour faciliter l’embauche de seniors en CDI en contrepartie d’avantages pour l’entreprise ; l’assouplissement des conditions d’aménagement de fin de carrière, notamment la retraite progressive et le cumul emploi-retraite.
La commission mixte paritaire a rationalisé le projet de loi. À l’article 1er, une proposition commune des rapporteurs a permis de rétablir, conformément à la volonté des partenaires sociaux, le caractère facultatif dans la négociation de branche des thèmes « santé au travail et prévention des risques professionnels » et « organisation du travail et conditions de travail ». De même, à l’article 2, l’examen de la possibilité de mobiliser le Fipu a été inscrit parmi les matières facultatives de négociation d’entreprise.
En définitive, ce texte permettra aux seniors de mieux préparer la deuxième partie de leur carrière et d’offrir aux entreprises davantage d’outils pour les intégrer. C’est heureux. Les députés du groupe Droite républicaine continueront à œuvrer en ce sens, car c’est ce que les Français attendent de leurs représentants. Nous voterons bien entendu en faveur du projet de loi.
L’amélioration de notre taux d’emploi, pour les seniors comme pour l’ensemble des Français, doit être une priorité. Si ce texte va dans le bon sens, il ne saurait se suffire à lui-même. Alors que les débats budgétaires vont commencer et que le Parlement devra pleinement jouer son rôle, nous devrions avoir un chiffre en tête : avec le même taux d’emploi que l’Allemagne, nous aurions 15 milliards d’euros de cotisations sociales supplémentaires et 5 milliards de prestations en moins à verser – 20 milliards d’euros, soit la moitié de l’effort recherché ! Voilà le principal défi à relever.
Je livre ici plusieurs pistes, parmi tant d’autres, qui pourraient faire l’objet d’une loi travail : déplafonner pour tous le cumul emploi-retraite, afin d’inclure ceux pour qui cette possibilité est limitée, alors qu’ils ont eu des carrières incomplètes et qu’ils perçoivent souvent de petites retraites qu’ils ne peuvent améliorer autrement que par le travail ; améliorer le taux d’activité des parents de jeunes enfants en leur permettant de travailler à temps partiel plutôt que d’opter pour une mise en disponibilité – de droit –, un choix souvent subi, faute d’obtenir un temps partiel pour les enfants de plus de 3 ans ; faire connaître aux futurs retraités leurs droits à pension en amont, afin qu’ils fassent leur demande en toute connaissance de cause – des dysfonctionnements, notamment au sein de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), rendent nécessaires d’ouvrir ses droits pour en connaître les conditions ; développer la retraite progressive ; supprimer les trappes à inactivité, qui dissuadent des salariés à temps partiel d’augmenter leur temps de travail, car ils y perdraient.
Nous aurons l’occasion de traiter certains de ces sujets lors du prochain débat budgétaire. Les Français nous demandent de travailler ensemble, le cheminement du projet de loi ANI est un exemple de ce que nous savons faire. Je forme le vœu que cet esprit de responsabilité se prolonge dans les prochaines semaines. C’est l’intérêt de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Océane Godard.
Mme Océane Godard
Le projet de loi qui nous réunit à nouveau nous concerne toutes et tous, que nous soyons déjà des seniors ou des seniors en devenir. Ce texte nous parle à toutes et tous, parce qu’il parle du travail et de nos vies professionnelles.
Dans une période où le paritarisme est souvent malmené, nous saluons les partenaires sociaux, qui sont parvenus à un accord équilibré et responsable. Le groupe socialiste a voté pour le texte en commission, en séance publique, et nous soutenons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire. Transposer fidèlement un accord est certes une étape nécessaire, mais notre rôle de parlementaires ne s’y réduit pas. Nous devons aussi ouvrir la voie aux évolutions à venir et veiller à ce que la loi accompagne concrètement la transformation du travail dans notre pays.
Suite à la CMP, l’accord est préservé. Je salue le maintien des dispositions sur les entretiens de mi-carrière et de fin de carrière. Je salue également la consolidation du cadre relatif à la retraite progressive et au temps partiel de fin de carrière, qui donne davantage de souplesse aux entreprises et aux salariés, ainsi que le maintien des « modalités de management » et non plus « de gestion du personnel » parmi les thèmes facultatifs des négociations de branche. À ce titre, nous saluons le renforcement du rôle de Certif Pro et la création du Conseil national de l’orientation et de la formation professionnelles pour le développement des compétences, instance de pilotage qui sera utile. Ces éléments inscrits dans la loi posent des jalons importants.
Cependant, plusieurs dispositions adoptées à l’Assemblée nationale ont été affaiblies en CMP. À l’article 1er, la santé au travail, la prévention des risques professionnels et l’organisation du travail ont été ravalés au rang de thèmes facultatifs, et non plus obligatoires, des négociations de branche sur l’emploi des salariés expérimentés. Or la question de l’emploi des seniors ne peut être déconnectée de celles de l’organisation et des conditions de travail. Cette question nous oblige au contraire à coordonner des politiques publiques traditionnellement distinctes l’une de l’autre : l’emploi et le travail.
À l’article 2, la mobilisation du Fipu est, elle aussi, redevenue facultative dans les négociations d’entreprise. À l’article 4, le délai de carence du contrat de valorisation de l’expérience a été ramené de deux ans à six mois. Enfin, à l’article 11, la CMP a précisé que la rupture d’une période de reconversion ne donne pas droit à l’application du régime de licenciement économique.
Ces reculs ont été présentés comme des ajustements techniques visant à coller à la lettre de l’ANI, mais ils réduisent les marges de protection pour les salariés et empêchent d’embrasser les questions dans leur globalité et leur complexité. Or le vrai sujet n’est pas seulement l’ « emploi des salariés expérimentés », mais le travail – ses conditions, son organisation, sa qualité ainsi que la capacité des entreprises, et de la société, d’accompagner les parcours professionnels dans la durée.
En France, la question de l’emploi des seniors revient comme un dossier à rouvrir, faute d’avoir été traitée entre deux réformes – on en parle rarement lors des débats sur la formation professionnelle, la gestion des compétences ou la qualité de vie au travail. Nous devons sortir de cette approche fragmentée et, disons-le, parfois médicalisante, qui traite la fin de carrière comme une fragilité à compenser plutôt que comme une richesse à valoriser, afin de permettre à chacun de travailler autrement. Le cœur du problème tient à la nécessité d’un changement culturel, à l’évolution des organisations du travail et de pratiques managériales trop souvent inadaptées, ce que confirme un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Ce changement culturel n’aura pas lieu sans un recours massif à la formation professionnelle continue pour les salariés en poste, en particulier les managers.
En conclusion, le groupe Socialistes et apparentés votera pour les conclusions de la commission mixte paritaire. Néanmoins, j’appelle dès à présent à ouvrir un chantier national sur la transformation du management, car c’est là que se jouent concrètement l’emploi durable et la qualité de vie au travail. À nous désormais de construire un plan d’investissement ambitieux pour les compétences managériales – c’est une proposition, monsieur le ministre –, afin d’accomplir cette révolution des pratiques dont les actifs et les entreprises ont besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Joséphine Missoffe applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Louise Morel.
Mme Louise Morel
Le texte que nous examinons n’a rien d’une grande réforme spectaculaire mais il touche à quelque chose d’essentiel : le sens du travail à tous les âges de la vie. C’est un texte né du dialogue social, de la concertation et du compromis – autant de valeurs qui, aux yeux du groupe Les Démocrates, sont au cœur même de notre démocratie. Selon l’article 1er de notre Constitution, la République française est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Or cette dimension sociale ne se résume pas à la solidarité nationale : elle s’incarne aussi dans la place donnée aux partenaires sociaux dans la construction des politiques publiques. C’est cette démocratie sociale que nous, Les Démocrates, défendons avec constance et conviction.
Nous saluons donc la volonté du gouvernement de transposer fidèlement les accords nationaux interprofessionnels du 14 novembre 2024 relatifs à l’emploi des salariés expérimentés et au dialogue social, ainsi qu’une mesure concernant la convention d’assurance chômage. Ces accords, signés par toutes les organisations représentatives à l’exception de la CGT, traduisent une responsabilité partagée, celle de mieux préparer la vie au travail à tous les âges. Soyons lucides : la France reste en retard s’agissant de l’emploi des seniors. Aujourd’hui, moins de 40 % des 60-64 ans travaillent dans notre pays, contre un sur deux en moyenne dans l’Union européenne et plus des deux tiers en Allemagne ou en Suède.
Ce retard n’est pas une fatalité. Il s’explique par des freins économiques – un marché du travail encore trop rigide – mais aussi par des freins culturels, à savoir une vision parfois dépassée de la valeur des salariés expérimentés. Nos voisins allemands ont su bâtir une culture du travail tout au long de la vie et je le dis d’autant plus qu’en tant que députée d’Alsace, je porte un regard privilégié sur les politiques menées outre-Rhin. Les parcours y sont plus évolutifs, la transmission des savoirs y est mieux reconnue et la transition vers la retraite y fait l’objet d’un meilleur accompagnement. C’est donc à notre tour de construire un modèle français du vieillissement actif fondé sur la dignité, la compétence et la reconnaissance.
Le présent texte apporte des réponses très concrètes sur ces sujets. Il crée d’abord deux rendez-vous professionnels, l’un à 45 ans pour anticiper la seconde partie de carrière, et l’autre entre 58 et 60 ans afin de préparer la transition vers la retraite. Le groupe Les Démocrates avait déjà défendu le principe de ces entretiens lors de l’examen de la réforme des retraites de 2023. Ils permettront à chacun de mieux se projeter, de prévenir l’usure professionnelle et d’accompagner les transitions.
Ensuite, le texte crée à titre expérimental un contrat de valorisation de l’expérience pour les plus de 60 ans. Ce dispositif, attendu depuis longtemps, permettra de lever les freins à l’embauche en garantissant davantage de sécurité juridique pour les entreprises ainsi qu’une vraie valorisation de l’expertise des candidats seniors.
Enfin, le texte comprend aussi des mesures qui ont trait à la retraite progressive et aux aménagements du temps de travail. Elles vont dans le bon sens en offrant plus de souplesse, plus de choix et plus de respect des parcours. On peut vouloir continuer à travailler mais différemment !
Au-delà des parcours individuels, l’emploi des seniors est un enjeu collectif qui nous concerne tous. Notre modèle social repose sur un équilibre fragile : il nécessite une population active assez nombreuse pour financer la solidarité nationale. Selon l’économiste Jean-Hervé Lorenzi, si la France atteignait le taux d’emploi des 60-64 ans observé aux Pays-Bas, le gain pour nos finances publiques serait de plus de 140 milliards d’euros. 140 milliards ! C’est considérable. C’est le budget cumulé de l’éducation nationale et de la défense et c’est la preuve qu’un modèle social fort ne repose pas sur plus d’assistance mais sur plus de participation. En valorisant les seniors, nous ne défendons pas seulement une génération : nous défendons la pérennité d’un modèle social auquel, j’en suis convaincue, nous sommes toutes et tous ici profondément attachés.
En définitive, ce texte promeut une ambition simple : réconcilier la France avec le travail à tous les âges de la vie. C’est un texte d’équilibre, de confiance et de responsabilité, fruit d’un dialogue social vivant et d’une volonté sincère de compromis. Vous l’aurez compris, le groupe Les Démocrates, fidèle à sa vision d’un progrès juste et d’une société fondée sur la responsabilité, soutiendra avec conviction ce projet de loi. Permettez-moi enfin de saluer le travail des deux rapporteurs et plus singulièrement celui de notre collègue Nicolas Turquois. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR ainsi que sur les bancs des commissions. – Mme Justine Gruet applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe
Nous sommes réunis pour entériner le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social. Il s’agit là de l’aboutissement d’un processus législatif particulièrement riche, qui traduit notre volonté collective – celle des partenaires sociaux et du Parlement – d’agir rapidement et concrètement dans ces domaines.
D’apparence technique, ce texte est exceptionnel par le nombre et la portée des accords qu’il transpose : l’accord du 14 novembre 2024 relatif à l’emploi des salariés expérimentés, qui pose les bases d’obligations négociées pour une meilleure inclusion des seniors dans l’emploi et pour la transmission des savoirs en entreprise ; l’accord sur le dialogue social, signé le même jour, qui modernise la représentation du personnel et élargit les règles de désignation des membres des CSE ; la convention d’assurance chômage du 15 novembre 2024, qui adapte les règles de couverture des intermittences professionnelles et améliore l’accès au droit, en particulier pour les jeunes et les publics fragilisés ; l’avenant n° 2 du 27 mai 2025 relatif au bonus-malus sectoriel, qui affine les outils de lutte contre la précarité des contrats courts et recentre le dispositif sur les filières concernées ; enfin, l’accord du 25 juin 2025 en faveur des transitions et reconversions professionnelles, qui regroupe et simplifie les droits existants afin de rendre la formation et la mobilité professionnelle plus accessibles et surtout plus lisibles pour tous les salariés.
Plusieurs réformes structurantes ont déjà vu le jour ces dernières années concernant la formation ou encore l’apprentissage, mais il reste à franchir une nouvelle étape pour répondre à un double défi de société : l’emploi des seniors et la valorisation de l’expérience. Rappelons-le : à peine 40 % des 60-64 ans sont aujourd’hui en activité en France, contre 50 %, voire 60 %, chez certains de nos voisins européens. J’aimerais donc revenir sur les réponses immédiates que le présent texte apporte à nos concitoyens.
Tout d’abord, il crée le contrat de valorisation de l’expérience, un CDI spécifiquement adapté aux demandeurs d’emploi de plus de 60 ans pour leur garantir une fin de carrière sécurisée, faciliter leur retour à l’emploi et offrir aux employeurs des dispositifs incitatifs. C’est à la fois un progrès social et une avancée pour notre économie ; nous nous en félicitons.
L’accès à la retraite progressive est également mieux encadré, afin de permettre à davantage de salariés d’aménager leur transition vers la retraite. Le texte rend aussi plus simple et plus lisible le droit à la reconversion professionnelle, grâce à la création de la « période de reconversion » et à un accès facilité à la formation certifiante à tous les âges de la vie. L’entretien professionnel devient quant à lui un véritable entretien de parcours, pensé pour anticiper les transitions et garantir l’employabilité de chacun, en particulier lors des moments clés de la carrière.
Ce sont là des étapes décisives pour protéger chaque Français face aux évolutions du marché de l’emploi, aux mutations technologiques et aux aléas personnels. Nous pouvons nous féliciter collectivement de l’esprit de compromis et du sens des responsabilités ayant animé la commission mixte paritaire, qui a transposé fidèlement les accords des partenaires sociaux. Au fond, ce texte n’est pas un aboutissement mais une étape. Il s’inscrit dans la volonté partagée d’œuvrer à la valorisation de tous les âges, à la protection des trajectoires individuelles et à la promotion d’un dialogue social renouvelé. Il répond finalement de la manière la plus concrète aux attentes des Français concernant le maintien dans l’emploi, la justice sociale et la cohésion entre les générations.
Enfin, permettez-moi, monsieur le ministre, de profiter de cette occasion pour saluer l’investissement de votre prédécesseure, Astrid Panosyan-Bouvet, à propos de ces enjeux. J’ai une pensée pour elle alors que nous concluons ces travaux ; vous avez compris qu’un bout du chemin reste à parcourir et que nous comptons sur vous. C’est donc avec conviction que le groupe Horizons & indépendants votera la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire. Nous invitons l’ensemble de la représentation nationale à faire de même, pour l’emploi, le dialogue social et l’expérience au service de toutes et tous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et EPR ainsi que sur les bancs des commissions. – Mme Justine Gruet applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian
Je me réjouis de constater qu’enfin – depuis hier seulement –, les groupes du socle macroniste ont admis l’évidence : la réforme des retraites de 2023, passée en force contre la volonté du peuple, ne peut s’appliquer en l’état.
Mme Joséphine Missoffe
Alors ne votez pas la censure !
Mme Sophie Taillé-Polian
Oui, cette réforme est une profonde blessure démocratique et nous ne cesserons jamais de nous battre jusqu’à l’obtention de son abrogation. L’annonce de sa suspension ne suffit pas et d’ailleurs, les propos tenus tout à l’heure par le premier ministre, qui a évoqué son inclusion dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale plutôt que dans un texte isolé, ne sont pas faits pour nous rassurer.
En effet, les conséquences de cette réforme sont désastreuses pour les salariés les plus abîmés par le travail, les plus précaires, les femmes et les plus âgés. À l’époque, notre groupe – en particulier Sébastien Peytavie, que je salue et à qui je souhaite un prompt rétablissement – avait proposé des mesures de justice sur la question précise de l’emploi des seniors, véritable angle mort de la réforme. Il y a deux ans déjà, nous relevions le caractère contradictoire de votre politique qui consistait à reculer l’âge de départ à la retraite sans se préoccuper de la précarité des seniors exclus du marché du travail. Faut-il rappeler qu’à 62 ans, en France, 40 % des personnes qui ne sont pas encore à la retraite ne sont déjà plus en emploi et sont donc davantage exposées à la précarité ?
Pour nous faire avaler la pilule, M. François Bayrou, alors premier ministre – on ne les compte plus ! –, a misé sur une opération politicienne sous couvert de dialogue social : le fameux conclave, qui n’était qu’un trompe-l’œil car il n’était pas possible, pour les organisations syndicales, de discuter de l’essentiel, à savoir le report de l’âge légal de départ. S’agissant de la pénibilité, le patronat ne voulut rien lâcher et ce fut un échec. Le gouvernement Lecornu propose cette fois une conférence sur les retraites et le travail. Les partenaires sociaux jugeront si les conditions sont réunies pour y participer – je le souhaite et j’aimerais qu’elle soit fructueuse –, mais si le Medef reste sur ses positions de blocage et préfère organiser des manifs de voitures de luxe ou des meetings entre riches, on peut déjà douter de sa réussite.
Le présent projet de loi vise à améliorer l’emploi des seniors ; nous saluons cet objectif. Mais les dispositions présentes dans le texte sont microscopiques au regard des enjeux, qui sont immenses. Pourquoi ? Parce que – je viens de le dire – le dialogue social est bloqué par un patronat qui ne veut rien lâcher, ou si peu. Des accords ont lieu, certes, mais ils sont dérisoires. Comment peut-on appréhender le sujet ô combien important de l’employabilité des seniors en faisant l’impasse sur la question de la santé au travail et sur celle, si grave, de la pénibilité et des corps brisés ? Comment peut-on chanter les louanges de la valeur travail tout en obligeant les bénéficiaires d’un CDI senior à quitter leur emploi dès qu’ils ont atteint l’âge d’une retraite à taux plein, alors que beaucoup aspirent à continuer à travailler pour partir en retraite avec une surcote, si leur santé le leur permet.
Alors c’est vrai, le texte comporte quelques avancées. Nous nous réjouissons notamment d’une victoire obtenue par notre groupe : l’employeur de plus de 300 salariés est désormais obligé d’examiner la possibilité de mobiliser le Fipu lors de la négociation triennale. Sur les 5 milliards prévus, moins de 22 millions d’euros ont en effet été consommés en 2025.
Cependant, ces avancées sont notoirement insuffisantes. Dans la France de Macron, depuis huit ans, le bilan est clair : alors que des milliards ont été distribués aux entreprises sans la moindre contrepartie, on observe une dégradation du climat social dans les entreprises et une augmentation du nombre de demandeurs et de demandeuses d’emploi de plus de 50 ans.
Nous regrettons aussi que dans la version finale du texte, l’entretien de parcours professionnel, prévu tous les quatre ans, ne soit obligatoire que pour les salariés restés dans la même entreprise durant cette période, alors que l’on sait à quel point les carrières, souvent hachées, sont marquées par la flexibilité. Nous regrettons ainsi que certains ne puissent pas bénéficier du dispositif. Nous déplorons également les risques de détournement du dispositif CDI senior et nous dénonçons l’obligation faite à ses bénéficiaires de faire valoir leurs droits à la retraite dès qu’ils peuvent être ouverts à taux plein : la retraite est un droit, pas une obligation. Enfin, ce projet de loi vient consacrer une nouvelle exonération sociale, un nouveau cadeau pour le patronat susceptible de créer un effet d’aubaine : alors que les difficultés budgétaires de notre pays ne cessent d’être invoquées pour demander des efforts, nous ferions encore des largesses ?
La gauche et les écologistes portent un autre projet de société. Celui-ci permettrait à toutes celles et tous ceux qui sont exposés à des facteurs de pénibilité de bénéficier de manière systématique d’un départ anticipé à la retraite ; c’est une question de justice sociale. Concrètement, outre le rétablissement des anciens critères, supprimés par les ordonnances Macron, nous souhaitons l’intégration de nouveaux critères de pénibilité qui prennent en compte les métiers féminisés. Nous voulons sortir de la logique purement individuelle de la prise en compte de la pénibilité, alors que le compte professionnel de prévention est une usine à gaz : ses critères sont trop étroits et sa mise en œuvre trop complexe.
Plus largement, c’est un plan d’investissement dans la prévention dont nous avons besoin. La marche qui reste à franchir est haute ; c’est pourquoi nous nous abstiendrons.
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Fayssat.
M. Olivier Fayssat
Ce texte, issu des travaux de la commission mixte paritaire, tend à transposer plusieurs accords nationaux interprofessionnels relatifs à l’emploi des salariés expérimentés et à l’évolution du dialogue social, afin de mieux reconnaître la place des salariés expérimentés dans l’entreprise.
C’est une exigence de justice mais aussi d’efficacité : dans un pays où l’on vit et travaille plus longtemps, il est impératif de rendre le travail soutenable et de permettre à tous ceux qui le souhaitent de rester actifs plus longtemps.
Plusieurs mesures vont dans le bon sens. La négociation obligatoire, tous les quatre ans, dans les branches et les entreprises de plus de 300 salariés, permettra d’aborder concrètement les questions liées au maintien dans l’emploi, à la transmission des savoirs ou à l’aménagement de la fin de carrière. Nous partageons cet objectif de mobilisation du dialogue social, à condition qu’il ne se traduise pas, demain, par une inflation de contraintes administratives.
Le contrat de valorisation de l’expérience, ensuite, constitue un dispositif intéressant pour lever certains freins au recrutement des seniors. Il permettra de conjuguer flexibilité pour les entreprises et sécurité pour les salariés, avec la garantie d’un départ à la retraite à taux plein. Mais nous resterons attentifs à ce que son évaluation, prévue après cinq ans, tienne compte des effets réels sur l’emploi et ne se transforme pas en une nouvelle usine à gaz.
Les dispositions relatives à la retraite progressive, au temps partiel choisi ou à la réintégration après reconversion professionnelle, vont également dans le bon sens. Elles ouvrent des perspectives de souplesse.
Quant à la baisse du seuil d’affiliation à l’assurance chômage pour les primo-entrants, elle permettra à de nombreux jeunes de bénéficier d’une première protection, sans remettre en cause les équilibres financiers du régime.
Mais, mes chers collègues, ce texte ne saurait être une fin en soi. Il permet des ajustements utiles, sans pour autant répondre aux racines profondes de nos difficultés d’emploi. Le véritable défi, celui du plein emploi, ne sera relevé ni par la multiplication des dispositifs, ni par l’installation de nouvelles instances consultatives. Il suppose de libérer la création de richesse, de soutenir l’investissement et de redonner du souffle à nos entreprises.
Tant que la fiscalité du travail restera parmi les plus lourdes d’Europe, tant que l’écart restera aussi marqué entre le coût du travail pour l’employeur et le revenu net pour le salarié, nos marges de manœuvre seront étroites. Le dialogue social, aussi vertueux soit-il, ne remplacera jamais la compétitivité. C’est pourquoi nous appelons le gouvernement à compléter cette démarche par une politique économique plus courageuse, en réduisant durablement les impôts de production qui freinent l’embauche, en allégeant la fiscalité sur le revenu du travail, afin de mieux récompenser l’effort et le mérite, en simplifiant les normes qui pèsent sur les TPE et les PME (les très petites, petites et moyennes entreprises), premières pourvoyeuses d’emploi dans nos territoires.
Ce texte peut être un point de départ, à condition qu’il s’inscrive dans une vision d’ensemble, celle d’une économie qui fait confiance aux acteurs, qui favorise l’initiative et qui récompense le travail. Nous soutiendrons donc les conclusions de la commission mixte paritaire, parce qu’elles respectent le dialogue social et qu’elles préservent l’équilibre des accords signés. Cependant, notre vote favorable s’accompagne d’une exigence, celle d’un véritable changement de cap en matière de compétitivité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Théo Bernhardt.
M. Théo Bernhardt
Le Rassemblement national votera ce texte issu de la commission mixte paritaire car il respecte le dialogue social et apporte des réponses concrètes à l’emploi des seniors. Nous saluons la méthode : quand les partenaires sociaux s’accordent, la représentation nationale doit les écouter.
Mais permettez-moi de souligner l’ironie de ce débat. Nous discutons aujourd’hui de l’emploi des seniors, de leurs fins de carrière, de leur maintien au travail jusqu’à 64 ans. Pourquoi ? Parce qu’une réforme des retraites brutale, imposée sans vote par 49.3, les y contraint.
Et où sont aujourd’hui ceux qui prétendaient s’opposer à cette réforme ? Il y a quelques jours, les socialistes se drapaient dans leur indignation. Ils manifestaient, ils protestaient, ils juraient qu’ils n’accepteraient jamais cette injustice. Mais hier, ils ont lâchement vendu leur opposition pour une suspension temporaire, une simple pause jusqu’en 2027. Pas une abrogation, pas une annulation – une suspension !
Qu’avez-vous obtenu exactement ? Le droit de dire aux Français qu’ils devront attendre 2027 pour, peut-être, voir cette réforme discutée à nouveau, pendant que M. Lecornu organise une « conférence sur les retraites », qui sent déjà le renvoi aux calendes grecques ?
Et vous osez parader en criant victoire ? Mais quelle victoire, si ce n’est juste l’opportunisme ? Celle d’avoir sauvé un gouvernement qui maintient 19 milliards d’impôts supplémentaires sur le dos des travailleurs ? Celle d’avoir validé le gel des retraites et des prestations sociales ? Celle d’avoir gelé le point d’indice pour les fonctionnaires ?
M. Pierre Pribetich
Ce n’est pas le bon débat !
M. Théo Bernhardt
Et pour enfoncer le clou dans cette comédie, regardez ce qu’il se passe avec le budget : la suspension de la réforme des retraites n’y figure même pas ! Soit elle est introduite par un amendement, et sera considérée comme un cavalier législatif, soit le gouvernement gagne du temps, et c’est le budget initial, sans la moindre suspension, qui passera par ordonnances.
Mme Karen Erodi
Vous êtes en retard d’un jour !
M. Pierre Pribetich
C’était hier, ça ! Il faut remettre vos fiches à jour.
M. Théo Bernhardt
Vous avez gobé l’appât, et votre pari sur le débat parlementaire n’est qu’un suicide politique déguisé. Vous vous êtes vendus au plus offrant, vous avez échangé deux ans de vie de millions de Français contre votre petit confort politique. Vous prétendiez défendre les ouvriers, les infirmières, les retraités ? Vous les avez méprisés. Vous prétendiez combattre l’injustice ? Vous l’avez ratifiée. Vous prétendiez vous battre pour les Français ? Vous vous êtes battus pour vos postes.
M. René Pilato
Vous n’avez pas censuré.
M. Théo Bernhardt
Quant aux Républicains, béquilles d’un macronisme en décomposition avancée, vous n’êtes pas en reste dans ce bal des tartuffes. Éric Ciotti a raison de vous pointer du doigt : vous accusez le gouvernement d’être l’otage des socialistes mais vous refusez de censurer l’incompétence qui nous gouverne depuis huit ans, vous, les LR, vendus à la Macronie. Vous êtes prêts à tout pour éviter une dissolution. Avec les socialistes, vous formez le duo infernal de traîtres en série, l’UMPS en son temps, tandem dilué dans la Macronie, qui concentre le pire de la gauche et le pire de la droite.
M. René Pilato
Le pire de la droite, c’est vous !
M. Théo Bernhardt
Vous préférez négocier dans l’ombre, dans les couloirs de Matignon, plutôt que de défendre les Français. Le Rassemblement national, lui, est cohérent. Nous avons proposé l’abrogation pure et simple. Le 31 octobre 2024, nous vous avions donné l’occasion unique de voter un texte clair au service de la justice sociale : abroger cette réforme injuste. Vous avez refusé de la voter ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Stella Dupont
L’ANI, c’est cela le sujet !
M. Théo Bernhardt
Vous êtes en réalité prêts à toutes les compromissions et les bassesses pour éviter une dissolution qui ouvrirait la porte à un retour à la démocratie – le retour aux urnes du peuple français. Comme si une élection représentait un danger majeur pour la démocratie. Comme durant l’intégralité de votre histoire, vous persistez à faire ce que vous réussissez le mieux : trahir le peuple français, car en réalité, vous en avez peur.
Les Français jugeront. Ils verront que pendant que vous négociez des suspensions bidon, le Rassemblement national maintient le cap : abroger la réforme des retraites, baisser les impôts, défendre leur pouvoir d’achat.
Ce texte sur l’emploi des seniors, nous le voterons parce qu’il est issu du dialogue social, parce qu’il apporte des solutions concrètes, et parce qu’il agit pour l’employabilité et l’activité des séniors, l’une des propositions du RN pour financer notre système de retraites.
En 2027, si nous arrivons au pouvoir avec Marine Le Pen…
M. Pierre Pribetich
Dans tes rêves !
M. Théo Bernhardt
…nous abrogerons cette réforme des retraites injuste. Pas de suspension, pas de négociation mais une abrogation pure et simple avant d’engager notre propre réforme de justice sociale qui sera, quant à elle, économiquement performante. Cette réforme nous permettra alors de répondre à un autre problème majeur, celui du taux d’emploi des jeunes, bien trop faible.
En résumé, nous redonnerons aux Français ces deux années de vie que vous leur avez volées.
Le Rassemblement national votera pour ce texte mais nous n’oublions pas, et les Français ne l’oublieront pas non plus, qui les a trahis aujourd’hui et qui les trahira demain lors du vote de la motion de censure. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Pierre Pribetich
Zéro !
Mme la présidente
La parole est à Mme Joséphine Missoffe.
Mme Joséphine Missoffe
Le texte que nous nous apprêtons à voter n’est pas une simple transposition juridique. C’est une traduction concrète de ce que notre modèle social a de plus précieux : la confiance dans le dialogue et la volonté d’avancer ensemble. Il répond à un constat clair : l’emploi des seniors est une urgence sociale et une exigence de justice. Trop longtemps ignoré, nous nous y attaquons avec force pour inverser la tendance et atteindre 65 % d’emploi des seniors d’ici 2030.
Durant plusieurs mois, les organisations syndicales et patronales se sont réunies pour signer cinq accords majeurs sur l’emploi des salariés expérimentés, le dialogue social, les transitions professionnelles et la gouvernance de notre assurance chômage. Ce sont des accords d’équilibre, exigeants et pragmatiques. Ils montrent qu’il est possible de bâtir des solutions partagées au service du travail, de l’emploi et de la dignité de chacun. Ce texte en est la fidèle traduction législative.
Grâce au contrat de valorisation de l’expérience, nous ouvrons une nouvelle voie pour celles et ceux qui veulent continuer à transmettre et s’impliquer. Le CVE est une réponse à un constat simple : en France, trop de personnes expérimentées quittent le marché du travail alors qu’elles ont encore tant à transmettre !
Par ce nouveau dispositif, un salarié expérimenté pourra mettre ses compétences au service d’une autre entreprise, dans une logique de transmission et de valorisation de l’expérience.
C’est aussi un texte de prévention et d’anticipation. La visite médicale de mi-carrière et un entretien professionnel mieux articulé permettront de préparer la deuxième partie de la vie professionnelle, de prévenir l’usure et de choisir son rythme.
Ce texte reconnaît enfin une évidence que nous avons trop longtemps ignorée : l’âge ne devrait jamais être un frein à l’emploi, mais bien une force pour l’entreprise et la société.
M. René Pilato
On va les faire travailler jusqu’à la mort.
Mme Joséphine Missoffe
Au fond, ce projet de loi est à l’image de ce que nous voulons pour la France : une nation qui n’oppose pas les générations mais les relie, qui n’exclut pas mais inclut, qui n’impose pas mais associe.
À travers ce texte, nous affirmons, avec force, notre confiance dans la démocratie sociale, notre attachement à la valeur du travail et notre volonté de bâtir un pays où chacun, à chaque âge, peut trouver sa place et être reconnu pour ce qu’il apporte.
Mme Sophia Chikirou
Vous ne croyez même pas à ce que vous dites.
Mme Joséphine Missoffe
Le groupe Ensemble pour la République votera en faveur de ce texte qui incarne notre conception du progrès, celle du dialogue, de la responsabilité et du respect du travail, celle d’une France où on ne parle pas d’âges qui séparent mais d’expériences qui rassemblent. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à M. Louis Boyard.
M. Louis Boyard
Monsieur le ministre, je ne vais pas faire semblant, je ne sais pas qui vous êtes. Je sais simplement que vous étiez PDG de la SNCF avant d’être ministre du travail – je ne comprends d’ailleurs pas cette tendance à nommer des PDG pour s’occuper des travailleurs. Quand on nommera un ouvrier pour s’occuper des multinationales, on aura certainement une manifestation des cravates jaunes sur les Champs-Élysées, et il y a fort à parier que vous les soutiendrez !
On a quand même le droit de demander ce que vous faites au gouvernement. Qui vous êtes, monsieur ? Qu’est-ce que vous faites là ? Qui vous a donné la légitimité d’être là ? Lecornu ? Celui qui démissionne le lundi en disant « Je ne peux pas être premier ministre » puis revient le vendredi en disant « Ah finalement, je veux bien être premier ministre » ? Le même Lecornu qui fait suite à François Bayrou ? Rappelez-vous : Bétharram, 40 milliards d’euros d’économies…
Mme Sophia Chikirou
De coupes budgétaires, plus précisément !
M. Louis Boyard
…sur les écoles, les hôpitaux. Ce même François Bayrou qui vint après le fiasco Barnier, plus court premier ministre de la Ve République après Lecornu, qui n’a tenu que quatorze heures.
Vous n’êtes pas sérieux. Vous n’avez pas de programme. Vous n’avez pas de projet pour notre pays.
Mme Sophia Chikirou
Ni pour la SNCF d’ailleurs.
M. Louis Boyard
Vous ne devriez pas être ministre. Vous le savez. Vous n’avez pas la légitimité du peuple. Vous n’avez pas la légitimité de l’Assemblée nationale. Votre seule légitimité est celle d’un président de la République qui n’a plus aucune légitimité.
Vous seule raison d’être dans ce gouvernement, c’est d’être au pouvoir. Ne rien changer. Gagner du temps. Faire perdre du temps. Mais quand on a mon âge, le temps c’est précieux. Très précieux.
Pardon d’en parler mais nous venons déjà de dépasser le seuil de 1,5 degré de réchauffement climatique. C’est fait. Écologiquement, il y a neuf limites planétaires à ne pas dépasser ; je vous informe que nous venons de franchir la septième la semaine dernière. Ce n’est pas un sujet pour l’Assemblée nationale ?
Un jeune sur quatre se dit en dépression dans notre pays. Ce n’est pas un sujet pour l’Assemblée nationale ?
Vous savez pourquoi les jeunes se sentent mal ? Parce qu’il y a 10 millions de pauvres dans notre pays. Et pour beaucoup d’entre eux, ce sont des jeunes. Des étudiants. Des apprentis. Des sans-emploi qui n’ont pas le droit au chômage. Des enfants – 3,6 millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté en France.
Pour quelles perspectives ? 20 % des jeunes, soit un sur cinq, sont au chômage. Les professeurs et les soignants commencent leur carrière dans une école ou un hôpital au bord de l’effondrement. Dans le public comme dans le privé, le salaire, qui ne suit pas l’inflation, ne permet pas de vivre correctement de son travail, de payer le loyer et l’essence. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Nous n’avons pas de temps à perdre avec vous monsieur le ministre ! C’est pourquoi je ne fais pas semblant. Demain aura lieu un vote de censure ; je souhaite de tout cœur que vous partiez. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Aux socialistes qui ont annoncé ne pas voter la censure…
M. Hendrik Davi
Ils ne sont pas là !
M. Louis Boyard
…je dis : vous vous apprêtez à commettre une monumentale erreur.
M. Sylvain Berrios
Ils sont absents !
M. Louis Boyard
Vous avez exigé la suspension immédiate et complète de la réforme des retraites mais vous n’avez obtenu ni l’une, ni l’autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ce que Macron a daigné vous céder, c’est uniquement un potentiel décalage de trois petits mois de la réforme. Que tout le monde comprenne bien : ce décalage ne concerne que la génération née en 1964, qui pourrait partir à la retraite à 62 ans et 9 mois, alors qu’avec l’abrogation soutenue par la majorité de l’Assemblée nationale, tout le monde partirait à 62 ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Qui – et c’est le plus grave – va payer cette compromission ? Les retraités : Macron veut geler leur pension ; les jeunes : Macron veut augmenter les taxes sur les apprentis qui bossent pour moins d’un smic et geler les aides aux logements pour les étudiants malgré l’inflation ; le service public : plus de 3 000 postes y seront supprimés ; les hôpitaux : leur budget sera trois fois inférieur aux besoins et les étrangers : les taxes pour les demandes de naturalisation augmenteront de 200 euros, le prix du titre de séjour de 100 euros et celui d’un recours administratif de 50 euros ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Frédérique Meunier
Hors sujet !
M. Louis Boyard
Chers camarades socialistes, vous dites vouloir empêcher Le Pen d’accéder au pouvoir mais c’est littéralement son programme que vous sauvez avec ce budget (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) : pour que ce petit amendement sur les retraites soit appliqué, il faut que toute la loi sur le budget soit adoptée. Tout ce dont je vous ai parlé, les macronistes vont vous contraindre à le voter !
Heureusement, la jeunesse n’est pas dupe : je tiens à remercier les jeunes socialistes qui se mobilisent depuis hier pour faire revenir leur direction à la raison. Ils refusent que l’on piétine le programme du Nouveau Front populaire et disent avec nous ce que dit solennellement toute la jeunesse du pays : nous n’avons pas le temps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Censure ! Censure ! Censure ! (Mme Valérie Bazin-Malgras s’exclame.)
M. Éric Martineau
Au boulot ! Au boulot ! Au boulot !
M. Louis Boyard
Ne pas voter la censure, c’est s’attaquer au Nouveau Front populaire et abîmer la confiance que place le peuple dans notre capacité à gouverner. Camarades socialistes, demain, la génération Nouveau Front populaire vous attend au tournant. Censurez ! Censurez ! Censurez ! Et demain, Macron partira, sonnant l’avènement de la VIe république. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP dont plusieurs députés se lèvent.)
M. Pierre Pribetich
Tout ça pour ça !
Mme Sophia Chikirou
On ne sait toujours pas qui est le ministre !
Mme la présidente
Sur l’ensemble du projet de loi, je suis saisie par les groupes Ensemble pour la République et Droite républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet
En juillet dernier, lors de l’examen de ce projet de loi, nous avions exprimé un certain désarroi. Désarroi, d’abord, quant à la forme de ce texte et à ses conditions d’examen. Ce projet de loi transpose non pas un, mais trois accords nationaux interprofessionnels et deux compromis paritaires relatifs à l’assurance chômage. Il aurait été opportun de permettre des votes distincts sur chacun des sujets traités, en particulier sur l’ANI relatif aux transitions professionnelles, qui prévoit de nouvelles mobilisations du compte personnel de formation fort contestables. Cet accord a été intégré au texte par voie d’amendements du gouvernement en séance : cette procédure n’a pas favorisé un débat de fond sur un sujet pourtant essentiel de la vie professionnelle.
Désarroi, ensuite, sur le fond du texte. Une fois n’est pas coutume, je reprendrai à mon compte une expression utilisée par le gouvernement en décembre 2023. Invitant les organisations patronales et syndicales autour d’un « Pacte de la vie au travail », il disait que négocier sur l’emploi des travailleurs expérimentés était « à contretemps ». Cela l’est encore davantage après une réforme des retraites absolument régressive pour tous les travailleurs, et particulièrement pour les plus âgés d’entre eux.
Les travailleurs dits expérimentés sont en effet les grandes victimes de la réforme des retraites de 2023. Depuis qu’en 2010, l’âge de départ à la retraite a été repoussé de 60 à 62 ans, nous savons bien – la Cour des comptes l’a confirmé – qu’une telle mesure a notamment pour conséquence d’allonger la période entre la fin de la carrière professionnelle et le début de la retraite. En moyenne, entre 55 et 61 ans, 21 % des travailleurs – surtout des ouvriers et des employés – ne sont ni en emploi ni à la retraite. La dernière étude de l’Unedic montre combien les entreprises demeurent rétives à garder ou à embaucher des salariés expérimentés. S’y ajoutent des conditions de travail toujours plus difficiles, accentuées par les reculs successifs en matière de prévention et de santé au travail. En réalité, la précarisation des travailleurs expérimentés – comme de tous les travailleurs – relève de causes structurelles qui ne sont pas traitées dans ce projet de loi.
Pire, les quelques avancées obtenues en juillet dans cet hémicycle pour tenter de traiter ces causes structurelles ont été supprimées à l’issue de la CMP : la santé au travail et la prévention des risques professionnels ainsi que l’organisation du travail et les conditions de travail sont devenues des thèmes facultatifs de la négociation de branche sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés alors que l’Assemblée en avait fait des thèmes obligatoires.
De la même manière, le Sénat a rendu facultative la possibilité de mobiliser le Fipu dans le cadre de la négociation d’entreprise.
Dans un pays qui détient le triste record de compter près de trois morts au travail par jour en moyenne et qui a institutionnalisé la sous-évaluation chronique des accidents du travail et des maladies professionnelles, il est déplorable de faire de la prévention de l’usure professionnelle un sujet facultatif. Exclure les licenciements pour inaptitude du bonus-malus de l’assurance chômage envoie également un mauvais signal aux entreprises et aux secteurs concernés en les déresponsabilisant davantage quant aux conditions de travail.
Nous maintenons nos réserves sur le contrat de valorisation de l’expérience, défendu par la droite sénatoriale lors du débat sur les retraites en 2023 avant d’être repris par le patronat. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une nouvelle dérogation au CDI – qui est la norme en droit du travail. Ce contrat brade les compétences de ceux qui sont reconnus comme « expérimentés » au profit d’une nouvelle niche d’exonération de cotisations sociales, évaluée à 123 millions d’euros par an. Cette disposition est une véritable provocation alors que notre collègue communiste Fabien Gay vient de dénoncer le scandale des 211 milliards d’euros d’aides publiques accordées aux entreprises sans contrepartie et que ce gouvernement prévoit un gel des pensions et des prestations sociales pour l’année à venir.
En conclusion, ce projet de loi vient effectivement à contretemps et en décalage avec les réalités de discrimination, de pénibilité, de blocage des salaires et des évolutions de carrière que connaissent tous les travailleurs et pas seulement ceux dits expérimentés. Pour toutes ces raisons, les députés communistes et des territoires dits d’outre-mer s’abstiendront.
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Texte de la commission mixte paritaire
Mme la présidente
J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.
Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, je vais appeler l’Assemblée à statuer d’abord sur les amendements dont je suis saisie.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement no 1.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Il s’agit d’un amendement rédactionnel pour préciser la notion de « salarié expérimenté », qui figure à l’article relatif aux obligations de négociation dans les branches, en lui adjoignant la mention « en considération de l’âge ».
Conformément à ce qui était prévu par l’ANI, l’amendement opère aussi un renvoi à l’article L. 221-5 du code de la sécurité sociale à propos du Fipu.
M. Guillaume Kasbarian
Très clair !
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission mixte paritaire ?
M. Stéphane Viry, rapporteur
Avis favorable.
(L’amendement no 1, modifiant l’article 2, est adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement no 2.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Cet amendement vise à transposer fidèlement l’article 2 de l’ANI en faveur des transitions et reconversions professionnelles. Il confie à la nouvelle instance paritaire reconnue dans la loi – Certif Pro – le soin de répartir dans les régions auprès des associations Transitions Pro (ATpro) les crédits relatifs aux projets de transition professionnelle. Il s’agit d’une enveloppe fermée, bornée par les crédits votés dans le projet de loi de finances.
Dans la mesure où Certif Pro assurera la gestion des fonds publics, le présent amendement prévoit la présence d’un commissaire du gouvernement en son sein et soumet l’association au contrôle économique et financier de l’État ainsi qu’à un agrément étatique. Cette mesure revient sur certaines dispositions issues de la CMP qui, ayant imparfaitement retranscrit l’accord des partenaires sociaux, avaient laissé la gestion financière des fonds à France Compétences.
La rédaction finale de l’amendement a été élaborée avec les rapporteurs et les partenaires sociaux. Le transfert de la gestion des fonds de France Compétences à Certif Pro sera effectif au 1er janvier 2027. Avec l’adoption de cet amendement, conformément à l’engagement du gouvernement, le schéma de gouvernance, de gestion et de financement des projets de transition professionnelle conçu par les partenaires sociaux dans l’ANI du 25 juin pourra pleinement s’appliquer.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission mixte paritaire ?
M. Nicolas Turquois, rapporteur
Avis favorable.
(L’amendement no 2, modifiant l’article 12, est adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements adoptés par l’Assemblée.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 176
Nombre de suffrages exprimés 168
Majorité absolue 85
Pour l’adoption 143
Contre 25
(L’ensemble du projet de loi est adopté.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Simplification du droit de l’urbanisme et du logement
Commission mixte paritaire
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement (no 1672).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. Harold Huwart, rapporteur de la commission mixte paritaire.
M. Harold Huwart, rapporteur de la commission mixte paritaire
La crise du logement et de la construction a pris dans notre pays les proportions d’une bombe sociale à retardement. Quatre millions de ménages attendent un logement. Des milliers de maires s’épuisent, quotidiennement, à débloquer des projets de construction et d’aménagement, et les acteurs du logement et de la construction, dont le poids dans l’économie est si déterminant, se désespèrent de l’inflation des coûts et des délais que notre législation engendre tous les jours. Pour eux, ce texte, avec ces limites, est utile et attendu.
L’objectif était clair : simplifier les procédures pour construire plus vite, sans dégrader les garanties démocratiques, environnementales et patrimoniales auxquelles nos concitoyens sont attachés et qui garantissent la préservation de nos paysages et de notre cadre de vie.
De quatre articles à l’origine, nous sommes passés à près de quarante. De nombreux champs de simplification ont été ouverts, ici en séance mais aussi par les sénateurs puis par les membres de la commission mixte paritaire (CMP), qui ont permis de préserver la cohérence du texte – je les en remercie.
Monsieur le ministre du logement, vous allez prendre la parole pour la première fois ici, dans vos nouvelles fonctions. Beaucoup de nos collègues sont très désireux d’entendre vos premiers mots et, surtout, attendent de vous un engagement fort en matière de simplification – et j’ajouterai de décentralisation, puisque le premier ministre en a fait une priorité et que nous sommes nombreux sur ces bancs à considérer que le logement est l’une des compétences qui a prioritairement vocation à faire l’objet d’une forme de décentralisation.
Permettez-moi de vous faire une confidence, que vous ne répéterez pas et qui restera entre nous. Issu d’une longue lignée d’élus, je me surprends toujours à comparer les conditions d’exercice des maires que nous avons été, que nous sommes ou que nous redeviendrons sans doute à brève échéance, avec celles de nos prédécesseurs, de ceux qui ont rebâti la France, notamment lors de la reconstruction et des Trente Glorieuses. Je suis consterné de constater que, dans une ville comme la mienne, il a fallu huit ans pour aménager un rond-point de sécurité routière sur une rocade que mon prédécesseur avait réussi à aménager en deux ans ; je suis consterné de constater que, pour aménager un jardin public, six ans de procédures et de recherches de financement ont été nécessaires, et quatre ans pour démolir un bâtiment construit en dix-huit mois à l’époque du général de Gaulle. De même, je m’étonne que, pour, aujourd’hui, rénover une salle de sport, il faille deux fois plus de temps que nos prédécesseurs n’en ont mis à la construire.
Si je vous dis cela, c’est pour vous convaincre que, quand on parle de décentralisation comme le premier ministre l’a fait hier, on parle de maires et d’élus locaux qui ont, en réalité, moins de pouvoirs et moins de moyens d’action que n’en avaient leurs prédécesseurs avant la décentralisation, moins de prérogatives d’urbanisme, moins de pouvoir réglementaire et moins de marges financières que les maires bâtisseurs d’il y a cinquante ans.
Or, à un moment où l’on demande aux maires de résoudre la crise du logement, de redynamiser les centres-villes, de financer la transition écologique et énergétique et que sais-je encore, il n’y a pas d’autre issue pour la France que de simplifier et de décentraliser massivement les compétences que l’État n’a, en réalité, jamais voulu lâcher ni abandonner, ne faisant, à défaut de capacité d’action, que multiplier les procédures de contrôle et d’autorisation qui affaiblissent l’action publique et discréditent l’autorité même de la puissance publique. Cela, monsieur le ministre, nous sommes très nombreux, ici, à en partager la conviction.
C’est tout le sens de cette proposition de loi, dans le cadre nécessairement restreint qui a été le sien et compte tenu du peu d’heures qui ont été accordées à son examen : fusionner et alléger les procédures d’urbanisme, faciliter la transformation des bâtiments existants, raccourcir les délais de recours, renforcer les pouvoirs des maires contre les constructions illégales et soutenir la production de logements abordables, quand plus de 4 millions de ménages attendent un toit.
Permettez-moi, pour conclure, de remercier mes collègues du groupe LIOT qui ont permis que ce texte puisse vivre dans le cadre de leur niche parlementaire, et d’avoir une pensée pour Valérie Létard, votre prédécesseure, avec qui ce travail a commencé et dont vous aurez, je l’espère, l’occasion de prolonger l’action, dans le délai qui vous sera imparti par cette assemblée. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et LIOT. – Mme Stella Dupont et M. Lionel Vuibert applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de la ville et du logement.
M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement
Je souhaite tout d’abord remercier l’ensemble des parlementaires ayant contribué à l’élaboration de ce texte, en particulier pour le sérieux du travail mené en commission mixte paritaire. Je remercie également M. le rapporteur, qui l’a défendu avec énergie et conviction. Nous avons en commun d’avoir été maires, et je partage totalement ses propos sur l’incompréhension de nos concitoyens et des élus locaux face à toutes les difficultés qui enlisent les projets les uns après les autres. Après dix ans de mandat de maire, mon projet de cœur de ville, pourtant tant attendu, se trouve toujours bloqué ; c’est dire si cette proposition de loi est frappée au coin du bon sens et répond aux appels venus du terrain qui peuvent se résumer en trois mots : simplifier, débloquer, renforcer.
Simplifier, débloquer, renforcer, pour rendre plus efficace l’action locale en matière d’urbanisme et de logement, tels sont les enjeux sur lesquels nous sommes tous attendus.
Cette proposition de loi est le fruit d’un constat largement partagé : les normes, souvent redondantes, parfois inadaptées, freinent la réalisation de nombreux projets utiles et attendus.
Je me réjouis que cette CMP ait été conclusive et qu’elle vienne confirmer l’ambition du texte initial, tout en intégrant des améliorations précieuses, issues de la navette parlementaire.
Le texte comporte quatre volets principaux. Mieux accompagner les collectivités locales, d’abord. La loi donnera plus de souplesse aux communes, ce qui est une très bonne chose car cela leur permettra d’utiliser plus largement la procédure simplifiée de modification des plans locaux d’urbanisme (PLU), notamment pour augmenter la constructibilité jusqu’à 50 %. Concrètement, cela veut dire moins de temps perdu en procédures et moins de dépenses pour les services qui instruisent les dossiers. C’est un outil gagnant-gagnant essentiel pour relancer la construction de logements.
Pour faciliter, en second lieu, la construction de logements, le texte assouplit les règles dans plus de 1 800 communes situées en zone tendue, là où chaque mètre carré est précieux. Il permet aussi d’introduire de la mixité fonctionnelle dans les zones d’activités : autrement dit, on pourra y construire du logement sans devoir se lancer dans une révision longue et lourde du PLU. Il adapte également le cadre juridique des résidences à vocation sociale pour pouvoir accueillir temporairement les salariés mobilisés sur les grands chantiers industriels. C’était une demande forte de nombreux élus locaux, que j’ai soutenue ici même et que vous avez bien voulu intégrer au texte – je m’en réjouis.
La simplification des démarches administratives, en troisième lieu, découlera de la généralisation du permis d’aménager multisites, qui supprime des chaînes de demandes redondantes, soulageant de nombreuses collectivités et les services de l’État et permettant d’accélérer nombre de projets.
Enfin, pour accélérer les procédures et améliorer les contrôles, le texte réduit de moitié les délais de recours gracieux contre les permis de construire et supprime leur effet suspensif, qui créait trop d’incertitudes pour les projets.
Mme Sophia Chikirou
C’est poussif, cette lecture ! Un peu de conviction !
Mme Mathilde Panot
Il n’a pas de convictions !
M. Vincent Jeanbrun, ministre
Il renforce aussi la police de l’urbanisme : les collectivités pourront désormais prononcer directement des amendes administratives allant jusqu’à 30 000 euros, pour lutter plus efficacement contre les constructions illégales.
Mes chers collègues, ce texte ne résout pas tout – ce n’était pas sa mission –, mais il simplifie utilement la vie des élus locaux, des collectivités et des services de l’État. Il donne des leviers quand il y avait des blocages, de la souplesse là où il y avait de la rigidité,…
Mme Sophia Chikirou
Où ça ?
M. Vincent Jeanbrun, ministre
…et fait gagner du temps aux élus quand ils se perdaient en démarches inutiles.
Mme Sophia Chikirou
Combien de temps ?
M. Vincent Jeanbrun, ministre
Je veux retenir l’esprit de construction partagée qui a animé les travaux du Parlement. C’est la preuve que nous sommes capables de dégager des consensus et des majorités dans cette assemblée.
Mme Sophia Chikirou
Avec qui ?
M. Vincent Jeanbrun, ministre
Je terminerai en remerciant le rapporteur qui a défendu ce texte concret avec conviction…
Mme Mathilde Panot
Ce n’est pas votre cas !
M. Vincent Jeanbrun, ministre
…et l’ensemble des députés qui l’ont examiné. Je salue également ma prédécesseure, Valérie Létard, qui a soutenu ce texte et participé activement à son élaboration, ainsi que tous ceux qui ont œuvré à la simplification avant elle. Je pense notamment à notre collègue, M. Kasbarian.
Je vous invite évidemment à voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau
Mon collègue Harold Huwart a pu mettre à l’ordre du jour de notre niche parlementaire ce texte qui a été très enrichi au cours de la navette, puisqu’il compte désormais une quarantaine d’articles. Son objectif est de simplifier les procédures liées aux documents d’urbanisme, de faciliter la production de logements dans un certain nombre de zones situées en périphérie urbaine, d’accélérer les projets en limitant les recours dilatoires, d’accueillir les travailleurs dans le cadre des résidences hôtelières à vocation sociale (RHVS) et, enfin, de renforcer les outils de lutte contre les constructions illégales.
Toutes ces mesures de bon sens, marquées par l’expérience de maires de communes de différentes tailles qu’un certain nombre d’entre nous partagent, ne remettent pas en cause l’essentiel des réglementations visant à maintenir la protection de l’environnement et de notre cadre de vie. En revanche, elles participent à l’allègement administratif dont nous avons absolument besoin.
Si je devais retenir un dispositif prévu dans ce texte, ce serait celui qui permet aux communes en tension, sans entamer une longue révision du PLU, et dorénavant du PLUI – plan d’urbanisme intercommunal –, de convertir une partie des zones d’activité en zones mixtes afin d’accueillir de nouveaux logements, en cohérence avec la sobriété foncière prévue par la loi ZAN – zéro artificialisation nette.
Ce n’est certes pas le grand soir en matière de simplification administrative des règles d’urbanisme qui, au fil des années, se sont considérablement alourdies pour toutes sortes de raisons mais, toujours, avec de bonnes intentions. Ce n’est pas non plus un texte qui suffira, à lui seul, à relancer une production de logements en panne depuis deux ou trois ans. Il faudra, pour cela, enfin reconnaître le rôle du bailleur privé – peut-être en auront nous l’occasion au cours de l’examen du projet de loi de finances. Toutefois, ne serait-ce que parce que cette proposition de loi facilitera la vie de tous ces maires qui essaient encore d’être un tant soit peu bâtisseurs, je vous invite, chers collègues, à la voter des deux mains.
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Brugerolles.
M. Julien Brugerolles
Nous arrivons au terme de la discussion d’un texte qui comprenait à l’origine quatre articles et désormais plus d’une trentaine. Si nous sommes de ceux qui considèrent que la complexité des démarches de délivrance des autorisations ou de révision des documents d’urbanisme place nombre d’élus – notamment ceux des petites communes rurales – devant des difficultés bien réelles, nous restons pour le moins perplexes sur le texte de simplification issu de la navette parlementaire.
Il a été transformé en un catalogue de dérogations au droit de l’urbanisme sur lesquelles nous ne disposons pas d’étude d’impact et dont les effets pourraient être très variables d’un territoire à l’autre.
S’il est nécessaire de faire évoluer notre droit de l’urbanisme pour une mise en application plus facile de la part des élus, de telles dispositions ne sauraient se traduire par des coups de canif dans les objectifs de transition écologique et de protection de l’environnement, ou dans les procédures de participation du public.
À cet égard, la proposition de loi comporte un certain nombre de mesures très discutables parmi lesquelles : l’assouplissement des obligations de solarisation pour les parcs de stationnement, alors que ces surfaces artificialisées doivent concentrer les efforts pour atteindre nos engagements climatiques plutôt que les zones agricoles ou naturelles ; la limitation du droit de recours, et l’extension des possibilités de recours à la consultation du public par voie électronique ; l’abrogation de l’obligation pour toute action ou opération soumise à évaluation environnementale de faire l’objet « d’une étude d’optimisation de la densité des constructions dans la zone concernée, en tenant compte de la qualité urbaine ainsi que de la préservation et de la restauration de la biodiversité et de la nature en ville ».
Les travaux en CMP ont heureusement permis de voir disparaître des propositions très problématiques comme la réduction des obligations de solarisation des bâtiments ou la mesure imposant aux locataires des logements sociaux de louer une place de parking dans leur immeuble.
Il reste que ce texte porte de nouvelles atteintes au droit de l’environnement et aux droits de nos concitoyens, en les éloignant parfois des grandes décisions d’aménagement, alors que 50 % des enquêtes publiques sont des enquêtes d’urbanisme, et que les enquêtes de proximité sont celles qui enregistrent la plus forte participation du public.
Par ailleurs – et c’est le point le plus problématique –, ce texte n’apporte pas de réponse à la crise du logement que connaît notre pays. Il n’impulsera pas de réel élan pour relancer la construction, tant les réponses à la crise que nous vivons sont structurelles et ne relèvent pas directement des problèmes liés au seul droit de l’urbanisme.
Rappelons que seuls 259 000 logements ont été mis en chantier en 2024 contre 435 000 en 2017, soit quasiment moitié moins.
Ce texte n’ouvre pas non plus de perspectives pour remédier à la baisse de 19 % en dix ans de l’offre locative sociale. Je rappelle que 2,8 millions de ménages, soit environ 5 millions de personnes, attendent un logement social, sans compter les 350 000 personnes sans domicile fixe dont certaines continuent de mourir chaque année dans la rue.
Même si je salue le travail du rapporteur et certaines mesures inscrites dans ce texte – notamment la meilleure transmission des données de l’administration fiscale aux collectivités pour lutter contre la vacance –, le véhicule de la proposition de loi apparaît très insuffisant au regard de l’urgence à reconstruire une grande politique du logement.
Adapter notre droit de l’urbanisme aux enjeux d’aménagement différencié de nos territoires, aux défis posés par le changement climatique comme répondre à la crise du logement tout en permettant de développer l’emploi et la réindustrialisation dans les secteurs du bâtiment et de la construction supposent d’opérer un travail de fond et de renouer sérieusement avec ces gros mots que sont la planification et la programmation.
Nous en sommes très loin aujourd’hui,…
M. Guillaume Kasbarian
Pas si loin que cela !
M. Julien Brugerolles
…que ce soit sur le plan budgétaire, monsieur le ministre, ou au regard du désengagement continu des gouvernements qui se sont succédé ces dernières années.
Comme en première lecture, les députés du groupe GDR s’abstiendront sur ce texte, et restent dans l’attente d’une véritable loi de programmation digne de ce nom. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Fayssat.
M. Olivier Fayssat
Notre pays souffre – voire agonise – de la paralysie administrative. Pour construire un logement, un atelier, une école ou une zone d’activité, il faut franchir plus d’obstacles que dans n’importe quel autre pays. À terme, il faudra une étude d’impact pour planter un arbre dans son jardin.
Pendant que l’on remplit les formulaires, les chantiers ne démarrent pas, les entreprises stagnent et les citoyens attendent un toit. La simplification, c’est pour construire, avancer et rendre enfin aux élus la liberté d’agir sans que la prise de décision soit dictée par la procédure.
Cette loi est d’abord un outil pour libérer l’action locale. Elle allège les procédures des PLU et des schémas de cohérence territoriale (Scot), trop souvent devenus des labyrinthes réglementaires. Elle permet aux maires et présidents d’intercommunalités d’agir plus rapidement et efficacement, sans passer des mois dans les méandres administratifs. Elle modernise les règles de délivrance des autorisations, en réduisant les délais de recours et en sécurisant les décisions.
Lors de sa niche parlementaire, le groupe UDR avait également proposé un texte fort pour soulager la crise du logement. Cette proposition de loi suit cette volonté de passer d’un système de suspicion à un système de confiance. En simplifiant les règles, on redonne de l’air aux entreprises, aux architectes, aux promoteurs, à tous ceux qui font réellement. L’acte de construire, c’est aussi de l’emploi et de la croissance locale.
Ce texte rend possible la reconversion des friches, accélère les projets grâce au permis d’aménager multisites et donne plus de souplesse aux établissements fonciers. C’est une approche concrète, tournée vers l’action, fondée sur des mesures qui redonnent aux territoires les moyens de se réinventer.
Au-delà des textes et des sigles, une philosophie habite ce texte : celle de la liberté locale. Les maires connaissent leurs communes, ils savent où construire, où préserver, où réhabiliter. Leur donner davantage de latitude, c’est faire le pari de l’intelligence du terrain. On veut des maires qui passent plus de temps à couper des rubans qu’à remplir des formulaires, des entrepreneurs qui embauchent des maçons plutôt que des avocats.
On ne manque ni de volonté, ni d’idées en France. Notre pays est seulement empêché par sa propre complexité. Nous avons trop longtemps cru qu’ajouter des couches de règles, c’était gouverner. À l’UDR, nous croyons qu’en libérant les forces locales, on gouverne mieux. Cette proposition de loi va plutôt dans ce sens : elle simplifie et libère.
Mme Anne-Laure Blin
Il faut aussi supprimer des agences !
M. Olivier Fayssat
Cependant, l’article 4 nous semble trop dissuasif en matière d’accès à la justice et il comporte des sanctions excessives. Le doublement du montant des amendes pour certaines infractions aux règles d’urbanisme, la réduction drastique des délais de recours, divisés par deux, et l’absence de prorogation du délai de recours contentieux par le recours gracieux incitant à déposer un recours contentieux en parallèle du recours gracieux, ne nous semblent pas pertinents.
Nous émettons aussi des réserves sur l’article 6 bis qui facilite les procédures d’installation d’équipements d’énergies renouvelables individuels. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Pour ces raisons, le groupe UDR s’abstiendra sur ce texte.
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Falcon.
M. Frédéric Falcon
Depuis 2012, sous les gouvernements socialistes puis macronistes, l’État a voulu tout contrôler : les loyers, la construction, la rénovation. Après quatorze ans de cette politique, le marché du logement est à l’arrêt.
La vérité, c’est que le socialo-macronisme a complétement échoué.
M. Guillaume Kasbarian
Oh là là !
M. Frédéric Falcon
On nous dit : nous allons relancer le logement. Et pour cela, que fait le gouvernement ? Il multiplie désespérément les lois pour gérer la pénurie et les dispositifs – certes, parfois bienvenus – comme l’extension du prêt à taux zéro ou encore l’exonération des droits de mutation pour l’achat d’une résidence principale.
Ces mesures n’ont presque eu aucun effet sur la relance du secteur depuis leur mise en œuvre, parce que le marché ne se relance pas avec des lois ou des dispositifs, mais d’abord avec la confiance. Or la confiance et la croissance ne se décrètent pas, et vous avez largement participé, chers collègues macronistes ou de gauche, à saborder croissance et confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Les Français n’ont plus confiance et ils perdent espoir. Ils voient de nouvelles taxes et un projet de loi de finances qui les ponctionnera de plusieurs dizaines de milliards d’euros, réduisant un peu plus leur pouvoir d’achat immobilier. Cette nouvelle coalition prostitutionnelle socialo-macroniste assombrit encore leurs perspectives, n’inspirant rien de bon à ceux qui seraient tentés d’investir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
Comment un jeune couple peut-il investir quand il ignore quelle taxe viendra demain, s’il conservera ses emplois alors que les faillites d’entreprises ont atteint un record historique en septembre ? Comment un promoteur peut-il construire quand chaque décret ajoute une contrainte, un surcoût, une incertitude ? Comment une banque peut-elle prêter quand la précarité ne cesse de s’aggraver, en même temps que la smicardisation croissante des salariés ?
Vous nous parlez de simplification, mais vous avez été les plus jusqu’au-boutistes dans la surtransposition et dans l’imposition de nouvelles normes qui paralysent un secteur tout entier. L’instauration des contraintes liées au diagnostic de performance énergétique (DPE) est un véritable scandale, provoquant le retrait massif du marché locatif de logements ne répondant pas à vos critères arbitraires, ni à votre idéologie décroissante. D’ailleurs, un décret modifiant le paramétrage de ces DPE vient, d’un coup de baguette technocratique, de rendre décents, du jour au lendemain, près de 1 million de logements classés hier F ou G.
Comme le Rassemblement national le dénonce depuis près de trois ans, c’est bien la preuve qu’il s’agit d’une escroquerie organisée, puisqu’un mauvais DPE entraîne une décote de 20 à 30 % de la valeur d’un bien. Vous pouvez être fiers, chers collègues macronistes et d’extrême gauche…
M. Laurent Alexandre
Il n’y a pas d’extrême gauche dans l’hémicycle !
M. Sylvain Berrios
En tout cas, vous vous êtes reconnus ! (Exclamations continues sur les bancs du groupe RN et protestations continues sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Laurent Alexandre
Il n’y a pas d’extrême gauche ici !
M. Frédéric Falcon
… d’avoir organisé la dépossession de centaines de milliers de Français, souvent parmi les plus modestes. (Les exclamations se poursuivent sur les bancs des groupes RN et LFI-NFP.)
M. Frédéric Weber
Un peu de silence !
M. Frédéric Falcon
Je crois qu’un jour, il vous faudra rendre des comptes, ou tout au moins présenter vos excuses aux Français que vous avez spoliés et qui ont dû vendre à perte. Mais le Parti socialiste et la gauche proposent d’aller encore plus loin, en intégrant la performance énergétique parmi les critères d’encadrement des loyers ou en contraignant les propriétaires qui n’ont pas les moyens de faire les travaux de rénovation de vendre à un bailleur social – c’est-à-dire à un prix très décoté. Bref, d’organiser un transfert massif de la propriété immobilière des petits propriétaires vers les grandes foncières institutionnelles, c’est-à-dire des bailleurs sociaux massivement dirigés par des copains socialistes, dans une perspective clientéliste.
Toutes ces contraintes ont provoqué un effondrement sans précédent de l’offre locative : en trois ans, le nombre d’annonces proposant des logements à louer à Paris a baissé de 50 % à 70 % selon les études. Malgré cela, vous persistez.
Autre norme insupportable, le fameux zéro artificialisation nette, qui gèle l’offre de foncier disponible pour construire des logements et renchérit le prix des parcelles.
M. Frédéric Weber
Oui !
M. Frédéric Falcon
La réglementation environnementale 2020 (RE 2020), quant à elle, impose des normes intenables à la construction neuve et participe de l’augmentation des coûts.
Toutes ces normes satisfont sans doute quelques technocrates, qui préfèrent voir des logements performants vides que les Français, eux, n’ont désormais plus les moyens d’acquérir. Ces derniers sont peu à peu exclus du marché locatif, comme les étudiants laissés sur le carreau.
Les normes sont le seul levier d’action auquel vous refusez de vous attaquer, alors que desserrer cet étau ne coûterait pas un seul euro d’argent public et relancerait la croissance. En effet, les normes sont des taxes qui nous coûtent, dans l’immobilier comme ailleurs, près de 4 points de PIB par an.
Il faut dire la vérité aux Français : les deux mandats d’Emmanuel Macron constituent une décennie perdue pour le logement en France. Il n’y aura ni relance ni sortie de crise du logement tant que ce gouvernement, tenu en laisse par le Parti socialiste, restera en place. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Alexandre Dufosset
Eh oui !
M. Frédéric Falcon
Monsieur le ministre, chers collègues macronistes : vous qui avez tant abîmé la France, vous qui empêchez la relance immobilière, partez avec la censure et la dissolution. Vous nous rendrez service ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Pierre Meurin et M. Matthieu Marchio
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Kasbarian.
M. Alexandre Dufosset
Un ancien ministre du logement qui n’a rien fait, si ce n’est apparaître dans les pages de Paris Match.
M. Guillaume Kasbarian
Je veux tout d’abord saluer la nomination de Vincent Jeanbrun au poste de ministre de la ville et du logement. (M. Sylvain Berrios applaudit.)
M. Frédéric Weber
Ah !
M. Guillaume Kasbarian
Chacun connaît son engagement et son expérience de maire bâtisseur et je suis convaincu qu’il sera un interlocuteur solide dans les mois à venir. Votre nomination, monsieur le ministre, intervient dans un contexte de crise du secteur et c’est dans ce moment si important que nous examinons aujourd’hui un texte qui, sans être une grande réforme structurelle attendue, apporte des réponses utiles et concrètes.
En réalité, le premier adversaire du logement n’est pas le manque d’argent public, mais la suradministration. L’empilement de décrets, de circulaires, de procédures en vient à verrouiller le marché.
Nos élus, nos aménageurs et, surtout, nos maires le vivent au quotidien. Un projet de construction peut prendre des années, parce qu’il faut réussir à sortir d’un véritable labyrinthe administratif. Cette inflation réglementaire ralentit, renchérit, décourage.
M. Laurent Alexandre
Il fallait agir quand vous le pouviez !
M. Guillaume Kasbarian
Ce texte apporte des réponses utiles, concrètes et immédiates au blocage que rencontrent chaque jour les collectivités. Je veux saluer plusieurs des avancées qu’il permet.
L’article 1er A simplifie profondément les procédures d’évolution des PLU : ce changement technique offre en réalité un gain considérable de temps et d’argent pour les collectivités. L’article 1er B permet de remplacer l’enquête publique par une participation du public par voie électronique (PPVE) pour certains projets de plus de cinquante logements en zone tendue : moins de lourdeur pour plus d’efficacité.
L’article 1er relève de 20 % à 50 % le seuil de majoration de construction, avant qu’une modification de droit commun ne s’impose : c’est une vraie respiration pour les maires bâtisseurs. L’article 2 étend les dérogations au PLU à tout le territoire et autorise aussi la création de logements dans les zones d’activité économique (ZAE), ce qui permettra de revitaliser celles qui sont désertées tout en répondant au besoin de logements.
L’article 1er bis D, introduit dans le texte grâce à un amendement de notre collègue Olivia Grégoire, apporte de la souplesse pour combiner solarisation et végétalisation des grands parkings. Une mesure pragmatique et attendue.
Enfin, l’article 3 bis, issu d’un amendement de Marie Lebec, simplifie la construction d’installations nucléaires, point stratégique pour notre souveraineté énergétique.
En revanche, nous ne pouvons pas approuver l’article 2 bis D, qui vide de leur substance les conventions d’utilité sociale (CUS).
Le logement social bénéficie chaque année de plusieurs milliards d’euros d’argent public. Cet engagement du contribuable suppose que les bailleurs sociaux soient soumis à des exigences fortes : il est donc inacceptable que cette disposition les exonère de leur devoir. En outre, il s’agit d’un cavalier législatif qui n’a pas sa place dans ce texte et serait censuré si le Conseil constitutionnel était saisi.
Avec les députés du groupe EPR, nous proposerons des amendements au projet de loi de finances (PLF), pour contrebalancer la faveur faite aux bailleurs sociaux dans ce texte.
Fidèles à notre esprit constructif, nous voterons pour cette proposition de loi, qui contient des mesures de bon sens, utiles à nos territoires.
Monsieur le ministre, je salue à nouveau votre nomination. Nous partageons des valeurs communes, mais aussi des propositions communes puisqu’il y a peu, vous déclariez souhaiter mettre fin au logement social à vie – Stéphane Vojetta et moi-même défendions cette mesure, contre l’avis des deux ministres qui vous ont précédé.
M. Pierre Pribetich
Oh !
M. Guillaume Kasbarian
Sur ce sujet, j’espère que le débat parlementaire pourra avoir lieu.
M. Pierre Pribetich
Ça va être chaud.
M. Guillaume Kasbarian
Le fait que certains acteurs du logement accueillent votre arrivée tout aussi fraîchement que la mienne, à l’époque, déclenche chez moi une grande sympathie et un immense espoir à votre égard.
M. Pierre Pribetich
Il faut faire un club !
M. Guillaume Kasbarian
Votre tâche ne sera pas simple. Une partie des acteurs du secteur, marqués par une idéologie profondément ancrée à gauche, rejettera systématiquement vos réformes et ne vous applaudira que si vous leur versez plus d’argent public. Et encore, il n’est même pas sûr qu’ils applaudissent, quoi que vous fassiez !
Sachez que vous pourrez compter, dans notre groupe, sur des parlementaires libres et attachés à la liberté. Des députés prêts à réduire drastiquement les normes qui renchérissent et ralentissent la construction. Prêts à défendre la propriété privée contre les multiples formes de squats. Prêts à faciliter l’accès à la propriété, en diminuant la folie fiscale et normative qui fait exploser les prix et non pas en payant les prêts bancaires avec l’argent du contribuable. Prêts à laisser les propriétaires et les locataires fixer librement leurs conditions de location, dans un bail flexible aux dispositions de leur choix. Prêts à remettre à plat les subventions à la rénovation, alors que notre pays réussit l’exploit de dépenser des milliards d’euros d’argent public pour que finalement, les artisans et les usagers s’en plaignent et soulignent, à juste titre, que le système « fonctionne très très mal. » Prêts à réformer l’hébergement d’urgence, dont les règles absurdes aboutissent à une saturation complète des places et à une explosion du budget qui lui est consacré – un budget qu’aucun autre pays d’Europe ne consacre au même sujet. Prêts à mettre fin aux rentes de situation dans le logement social, pour que ceux qui en ont vraiment besoin en bénéficient.
M. Gabriel Amard
Que proposez-vous ? De laisser les gens à la rue ?
M. Guillaume Kasbarian
Nous sommes prêts à vous aider, si vous décidez de créer le choc d’offre que vos prédécesseurs n’ont pas eu le temps, pas réussi ou refusé de faire. Courage, monsieur le ministre ! (M. Stéphane Travert, président de la commission des affaires économiques, applaudit.)
M. Pierre Pribetich
Oh là là ! Et il n’y a pas beaucoup d’applaudissements
Mme la présidente
La parole est à Mme Claire Lejeune.
Mme Claire Lejeune
Nous nous retrouvons lors d’une après-midi particulière, veille du débat d’une motion de censure ; une après-midi lors de laquelle le gouvernement Lecornu 2 est comme le chat de Schrödinger : il existe sans exister vraiment, il n’est ni tout à fait mort, ni tout à fait vivant, nommé par un président dont la légitimité elle-même est évanescente, composé de personnes que les Français ne supportent plus de voir sans cesse revenir, accrochés au pouvoir comme des moules à leur rocher. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Karen Erodi
Exactement !
Mme Claire Lejeune
Nous nous retrouvons dans une longue crise, embourbés, où certains se plaisent à patauger et manœuvrent même pour ajouter la ligne « ministre » à leur CV. Parmi les ministres dont personne dans le pays n’a demandé l’arrivée, il y a celui-là : le nouveau ministre du logement, M. Vincent Jeanbrun, ciblé par une enquête préliminaire pour prise illégale d’intérêts, soupçonné d’avoir attribué indûment des logements à deux de ses collaborateurs, avec un signalement d’Anticor à ce sujet.
Mme Zahia Hamdane
Eh oui !
Mme Claire Lejeune
C’est dire le soin que la Macronie prend de la question du logement, qui préoccupe pourtant des millions de Français. C’est dire la pénurie de candidats pour embarquer sur Le Radeau de la Méduse qui, demain ou après-demain, ne manquera pas de couler. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Dans ce théâtre d’ombres, nous en venons à ce texte de simplification du droit de l’urbanisme et du logement, sur lequel nous devons aujourd’hui voter.
Tandis que M. Lecornu démissionne, est remissionné, puis renommé, pendant toute la durée de ce spectacle désolant, la situation des Français n’évolue pas. Elle est catastrophique. En 2024, 735 personnes sont mortes à la rue. Plus de 2,7 millions de ménages attendent un logement social. Plus de 15 millions de personnes sont en situation de mal-logement dans ce pays. La crise du logement est massive et la cause en est claire : les politiques néolibérales du président Macron qui, depuis huit ans, a tout fait empirer !
M. Guillaume Kasbarian
C’est tout l’inverse !
Mme Claire Lejeune
On ne peut que constater la disproportion entre l’immensité, la gravité de la crise que l’on décrit, et la nature des dispositions du texte que l’on étudie aujourd’hui. À notre sens, ce texte n’est pas seulement trop peu ambitieux, il est aussi dangereux. Il est dit de simplification – on commence à en avoir l’habitude – mais, en réalité, comme tous ceux du même nom, ce texte introduit des régressions en proposant des dérogations qui partent dans tous les sens.
Nous ne pouvons ni accepter ni soutenir cette logique !
Elle revient à diaboliser la norme, ce qu’adore faire l’extrême droite avec ses accents de plus en plus trumpistes, mais je voudrais vous rappeler, chers collègues, que la norme est la déclinaison et l’aboutissement de la loi que nous votons ici. La norme, lorsqu’elle est là pour protéger l’environnement, lorsqu’elle est là pour protéger les gens, lorsqu’elle est là pour introduire des précautions et garantir des équilibres, ne devrait pas être balayée et vilipendée par les élus que nous sommes. Non, elle devrait être défendue ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Monique Griseti
Oh là là !
Mme Claire Lejeune
Cette obsession forcenée du dézingage de la norme est emblématique du très mauvais esprit qui plane sur cette assemblée, sous l’influence de l’extrême droite. Cet esprit, confondant pragmatisme et simplisme, prépare le trumpisme. L’article 1er introduit un recul par rapport aux obligations de solarisation et de végétalisation des toitures des bâtiments publics, pourtant décidées il y a seulement deux ans dans une loi Aper déjà bien fragile et désormais sacrifiée avec l’accord du gouvernement.
M. Guillaume Kasbarian
Vous avez voté contre à l’époque, c’est drôle n’est-ce pas ?
Mme Claire Lejeune
L’article 2 prévoit la transformation des résidences hôtelières à vocation sociale en logements pour les travailleurs. Cette mesure consiste seulement à déshabiller Pierre – en l’espèce, des personnes dans des situations on ne peut plus précaires – pour habiller Paul.
À l’article 2 bis B, on retrouve la suppression de l’étude d’optimisation de la densité des constructions, préalable aux projets d’aménagement, que la loi « climat et résilience » avait introduite en 2021. Encore une régression !
La proposition de loi supprime également le caractère suspensif des recours gracieux et empêche quiconque n’ayant pas participé à l’enquête publique sur un projet d’ester en justice à son encontre. Nous vous alertons : c’est une atteinte grave et inconsidérée au droit de recours.
Nous voterons aujourd’hui contre ce texte.
M. Guillaume Kasbarian
Vous votez contre tout, de toute façon.
Mme Claire Lejeune
Face à la crise du logement, nous devons faire autrement et bien mieux. Il existe une majorité dans ce pays pour soutenir une politique massive et ambitieuse qui défendrait le droit au logement et relancerait la rénovation thermique, une politique en faveur de la programmation et de la planification de la construction de logements sociaux et très sociaux sans renoncer aux objectifs écologiques, une politique qui mettrait fin à l’accaparement et à la marchandisation de ce qui devrait être un bien commun. Pour y arriver, il faut tourner la page du macronisme et voter la censure dès demain matin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Julie Ozenne applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Pribetich.
M. Pierre Pribetich
Monsieur le ministre, c’est votre première séance dans vos nouvelles fonctions : permettez-moi de vous adresser nos salutations républicaines. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Vos interventions passées au sujet de la politique du logement, notamment sur la fin du logement social à vie ou sur le logement social uniquement réservé aux travailleurs, sont une source d’inquiétude pour nous tous, ainsi que pour le secteur du logement, qui fait depuis huit ans figure de grand brûlé du macronisme. À l’orée du débat budgétaire, vous êtes attendu au tournant.
J’en viens au sujet qui nous préoccupe aujourd’hui. Comme celle de la proposition de loi de notre collègue Daubié sur la transformation des bureaux en logement, la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi de notre collègue Harold Huwart a pris son temps, mais nous y sommes enfin arrivés !
Je souhaite d’abord saluer l’état d’esprit constructif de notre rapporteur et sa volonté constante de rechercher avec nous, tout au long des débats, des voies de compromis. Les bases étaient ainsi parfaitement posées pour parvenir à un accord en CMP sur un texte équilibré qui offrira des outils d’urbanisme rénové au bloc communal, à quelques mois des échéances municipales, en attendant naturellement une refonte totale des procédures d’urbanisme.
Bien sûr, le parcours législatif n’a pas été simple et, sur plusieurs sujets, notre débat a été animé.
Ce fut le cas au sujet de la solarisation des toitures, par exemple. La trajectoire fixée par la loi Aper de 2023 était certes exigeante, mais elle demeurait moins-disante que les obligations du futur cadre européen. Ce que certains ont décrit comme une surtransposition n’est qu’une anticipation, qui, par nature, ne pose pas de problème de compétitivité à nos entreprises, bien au contraire.
Je me réjouis qu’en CMP, le choix de la raison l’ait emporté, ce qui n’efface pas, bien entendu, la nécessité d’accompagner nos entreprises dans la mise en œuvre de ces obligations.
Nous sommes également opposés à la mobilisation de logements et d’hébergements destinés aux travailleurs dans le cadre de grands projets de réindustrialisation ou de construction de réacteurs nucléaires. Il y a trois ans, lors de l’examen du projet de loi d’accélération des procédures liées au nucléaire, le groupe Socialistes et apparentés avait d’ailleurs donné l’alerte à ce sujet, tout en proposant des amendements de programmation visant à répondre aux besoins de logement et d’hébergement. L’humilité n’était pas encore la marque du gouvernement d’alors, qui avait balayé ces propositions d’un revers de main. Le point d’atterrissage trouvé en CMP demeure insatisfaisant, mais il marque un progrès par rapport au texte issu de la première lecture. Nous mesurons bien les contraintes qui pèsent sur les territoires concernés.
Fidèle à son habitude, le Sénat a vu dans l’examen de ce texte l’occasion d’affaiblir toujours davantage la loi « littoral », comme la loi « montagne ». À cet égard, je me réjouis que la CMP ait permis d’écarter plusieurs articles.
Notre groupe a pris toute sa part dans la construction du texte, notamment en proposant une refonte des procédures de modification des documents d’urbanisme destinée à les simplifier et à donner plus d’agilité aux élus locaux pour les faire évoluer tout au long de leur mandat. Les études environnementales, lorsqu’elles sont pleinement nécessaires, sont conservées, ainsi que la participation du public.
Si je regrette que certaines propositions n’aient pas été retenues, notamment sur l’encadrement des délais d’instruction des recours liés à des projets d’intérêt général, je salue d’autres évolutions, en particulier la réduction de trente à quinze ans du délai applicable à la procédure de droit commun relative aux biens sans maître – sujet majeur pour les communes, notamment rurales.
La proposition de loi comporte des éléments d’un compromis équilibré – c’est dans l’air du temps, du moins peut-on l’espérer – offrant aux élus locaux des outils nouveaux et des procédures actualisées, afin qu’ils puissent accélérer la réalisation de projets et en réduire le coût.
L’urbanisme ne peut cependant pas être réduit à des procédures. Il doit demeurer un projet collectif, un projet de société, et traduire une obsession : placer l’humain au cœur de la construction de la ville. Il est grand temps, monsieur le ministre, de réformer et de simplifier, de rationaliser l’amoncellement des procédures, d’élaborer une grande loi sur l’urbanisme afin de produire du logement, et de permettre l’accès au logement. Dans l’attente de cette grande loi qui permettra que le droit au logement devienne effectif – que ce soit pour les gens modestes ou ceux issus de toutes les classes de la société –, le groupe SOC votera en faveur du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Josiane Corneloup.
Mme Josiane Corneloup
Nous traversons une crise du logement sans précédent. En 2023, moins de 380 000 logements ont été autorisés en France, bien en dessous des plus de 500 000 enregistrés en 2017. Alors que les besoins sont immenses – 500 000 logements par an sont nécessaires pour répondre à la demande – on ne peut plus parler d’un écart, mais bien d’un gouffre, lequel menace notre économie et pèse particulièrement sur les Français les plus fragiles. Dans ce contexte, l’urbanisme, au lieu de jouer son rôle de levier, est devenu un frein : le traitement des PLU peut prendre jusqu’à huit ans, les recours contentieux retardent les projets de près de deux ans en moyenne, bref les procédures se rallongent et les documents d’urbanisme deviennent obsolètes avant même leur adoption. Enfin, un enchevêtrement de normes complexes – le code de l’urbanisme a gonflé de 55 % en vingt ans – décourage les porteurs de projets. Cette paralysie doit cesser. Il est urgent de mettre fin à l’inertie.
Le présent texte constitue un premier pas dans la bonne direction. Il prévoit des simplifications attendues, redonne une certaine souplesse aux collectivités et vise à fluidifier la production de logements. Néanmoins, il est clair qu’il faudra aller plus loin.
M. Vincent Jeanbrun, ministre
Absolument.
Mme Josiane Corneloup
En matière de logement, le texte marque un progrès significatif en tenant compte des besoins spécifiques des travailleurs, notamment de ceux qui sont en mobilité professionnelle. À cet égard, la faculté de transformer les résidences hôtelières à vocation sociale en logements constitue une avancée majeure, dans laquelle le groupe Droite républicaine a joué un rôle clé. C’est en effet grâce à un amendement défendu par Vincent Jeanbrun qu’a pu être élargi l’accès aux RHVS prévu par le texte initial : ces résidences pourront désormais loger des travailleurs non seulement dans les zones concernées par de grands projets industriels, mais aussi dans les territoires où les besoins en logement sont liés au développement d’activités économiques. L’amendement de mon collègue l’a démontré, tout comme, en février dernier, la proposition de loi à l’ordre du jour de notre journée d’initiative parlementaire : le logement à vocation sociale doit répondre aux besoins des travailleurs.
Les députés de la Droite républicaine voteront donc en faveur du texte, mais il faudra aller plus loin pour résoudre la crise du logement. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire plusieurs fois, il nous semble notamment essentiel, d’une part, de réviser les règles de location, car leur rigidité pèse sur l’offre locative privée, en particulier dans les zones tendues, du fait des contraintes liées au DPE ; d’autre part, de réfléchir à la question du foncier, en particulier à la politique du ZAN, laquelle contribue à la raréfaction du foncier disponible. Protéger l’environnement ne doit pas se faire au détriment des classes moyennes et populaires, qui sont les premières victimes de la situation. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – M. Guillaume Kasbarian applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Ozenne.
Mme Julie Ozenne
Le projet de loi de finances pour 2026 qui nous a été présenté hier nous inquiète. Il s’inscrit dans une série de reculs alarmants, à l’instar de la diminution inquiétante des financements destinés à la transition écologique et énergétique. Parmi les signaux les plus préoccupants, citons la réduction drastique du budget alloué au fonds Vert, dont les autorisations d’engagement sont tout simplement divisées par deux dans le projet de budget. Ce choix envoie un message clair, celui du désengagement de l’État face à l’urgence climatique et à l’effondrement du vivant. La biodiversité n’est pourtant pas un luxe ; elle est essentielle à la préservation du bien-être humain, à l’équilibre des écosystèmes, à la sécurité alimentaire, à la qualité de l’air, des sols, de l’eau. Quand elle est menacée, la question même de la survie de notre espèce se pose.
L’artificialisation des sols figure parmi les causes principales de la disparition de la biodiversité rappelle l’IPBES – la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, est l’équivalent, pour la biodiversité, du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). En France, chaque année, 20 000 à 30 000 hectares de terres naturelles ou agricoles sont artificialisés. D’après le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, la France métropolitaine a perdu 2,4 millions d’hectares de terres agricoles entre 1982 et 2018 – l’artificialisation augmentant à un rythme 3,7 fois plus rapide que la population.
Pour remédier à cette situation, nous devrions bâtir un urbanisme durable, sobre, résilient, qui protège nos ressources, préserve nos sols et anticipe les effets du changement climatique. Or la proposition de loi prend le chemin inverse. Elle participe d’une remise en cause générale des engagements pris dans le cadre de la loi « climat et résilience » de 2021. Elle permet notamment le contournement de la loi « littoral » pour les bâtiments forestiers ou agricoles ; en facilitant le changement de destination de ces bâtiments dans les zones non urbanisées, elle encourage le mitage des espaces agricoles. Elle supprime également l’étude d’optimisation de la densité pour les projets soumis à évaluation environnementale, ouvrant ainsi la voie à l’étalement urbain, au détriment des objectifs de sobriété foncière.
Ce n’est pas tout. Le texte affaiblit aussi la démocratie environnementale. Il s’attaque à l’un des piliers essentiels de notre démocratie locale, en actant le remplacement de l’enquête publique par une simple participation du public par voie électronique, sans consistance juridique, affaiblissant ainsi le droit au recours effectif en matière d’urbanisme. En somme, il affaiblit le rôle structurant des documents de planification – PLU, Scot –, qui devraient être les leviers d’une transition territoriale ordonnée, concertée et résiliente. Il contribue à la multiplication des régimes dérogatoires, fragilisant la lisibilité du droit et la cohérence des stratégies locales.
Sur le plan de la nécessaire transition énergétique, la proposition de loi entérine l’affaiblissement, voire le report, des obligations de solarisation sur les parkings. Du point de vue social, elle instaure une hiérarchie entre deux besoins sociaux légitimes – le logement des travailleurs et l’hébergement des personnes en grande précarité – ouvrant la voie à des formes d’hébergement précaires dépourvues des garanties suffisantes. Pour couronner le tout, elle comprend un durcissement répressif à l’encontre de l’habitat léger, alors que ce dernier, malgré les difficultés locales qu’il soulève parfois, constitue aussi, lorsqu’il est accompagné et choisi, une réponse écologique et adaptée à la crise du logement.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons soutenir ce texte qui, sous couvert de simplifier ou de répondre à l’urgence des besoins en logement, affaiblit les outils de protection de l’environnement, recule sur les droits démocratiques des citoyens, fragilise les plus vulnérables. Nous demandons le retrait du texte en l’état et la tenue d’un véritable débat de fond sur un aménagement futur du territoire respectant à la fois nos engagements climatiques, les valeurs démocratiques et la dignité humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme Danielle Simonnet
Excellent ! Elle a raison !
Mme la présidente
La parole est à M. Mickaël Cosson.
M. Mickaël Cosson
Le groupe Les Démocrates salue le travail de M. Huwart. Ce texte était attendu. Il apporte une réponse à une double urgence : la crise profonde du logement et la complexité asphyxiante du droit de l’urbanisme. Il est le fruit d’un travail constructif et pragmatique, notamment en commission mixte paritaire.
Il est urgent de permettre à tous les Français de se loger de manière décente. C’est la condition pour pouvoir étudier, travailler, bien vieillir et faire ensemble société. L’urgence est factuelle. Les chiffres sont éloquents. Avec seulement 295 000 autorisations d’urbanisme délivrées en 2024 – en chute de plus de 22 % par rapport à 2022 –, la production de logements, déjà insuffisante, est en net recul. Dans le même temps, la demande explose : 2,7 millions de ménages attendent un logement social, sans compter toutes les personnes qui vivent dans des logements qui ne sont pas, ou plus, adaptés à leurs besoins – ou qui sont de véritables passoires thermiques.
Face à cette urgence, que nous constatons au quotidien dans tous les territoires, les maires ne doivent plus être des funambules, marchant sur le fil d’un droit de l’urbanisme toujours plus complexe, mais des bâtisseurs armés pour agir avec efficacité. Nous ne pouvons plus accepter que les élus locaux, en première ligne face à la demande, soient paralysés par des lourdeurs administratives.
Le temps est venu d’agir concrètement pour lever ces freins. Face à l’instabilité juridique, à la multiplication des normes, il est essentiel de restaurer la confiance entre tous les acteurs au service de l’équité territoriale. Faisons confiance aux maires, donnons-leur les outils pour aménager, réhabiliter, densifier, et ainsi construire, de sorte qu’ils puissent répondre à la demande légitime de nos concitoyens.
La proposition de loi apporte des réponses concrètes. Je n’en mentionnerai que quelques-unes. Elle simplifie d’abord la planification. En réduisant de quatre à deux le nombre des procédures d’évolution des documents d’urbanisme et en mettant fin à la caducité automatique des Scot, elle offre aux collectivités la maîtrise du cycle de vie de leurs documents. Elle généralise également, sous conditions, les permis d’aménager multisites, outil essentiel pour soutenir les opérations cohérentes sur des fonciers dispersés.
Elle apporte ensuite de la souplesse et encourage la densification, à l’opposé de la rigidité du ZAN, en autorisant la réalisation de logements dans les zones d’activité et en facilitant la reconversion des friches. Nous permettrons ainsi aux autorités compétentes de déroger au cas par cas aux règles du PLU pour des projets de logements, à condition d’avoir l’accord du maire – ce faisant, nous reconnaissons aussi le rôle central de l’élu local. Pour lutter contre la vacance, la proposition de loi simplifie en outre l’acquisition des biens sans maître, en abaissant le délai applicable de trente à quinze ans. Cette mesure est d’une grande portée pratique. Il est évidemment possible d’être plus vertueux et plus efficace sans ajouter de la lourdeur administrative.
Enfin, la proposition de loi sécurise le cadre juridique et raccourcit certains délais, dans le respect des enjeux environnementaux et de sécurité publique. Par exemple, elle réduit de deux à un mois le délai de recours gracieux ou hiérarchique contre une décision d’urbanisme. Il s’agit d’un signal fort envoyé afin de limiter les contentieux dilatoires qui retardent inutilement les chantiers.
Réduire la dépense publique, c’est aussi simplifier, ce qui permettra de favoriser la croissance des entreprises et de réduire les délais d’attente pour un jeune qui souhaite étudier ou pour des ménages qui souhaitent se loger à proximité de leur lieu de travail.
Mes chers collègues, cette proposition de loi constitue une réponse concrète, technique et nécessaire que nous devons aux Français et à nos territoires, même si elle ne répond pas à toutes les difficultés, profondes, du secteur du logement. Ce n’était d’ailleurs pas l’objet de ce texte, qui appelle à mener d’autres actions déterminées, par exemple sur le statut du bailleur privé – à l’aune du rapport que j’ai eu l’honneur, avec le sénateur Marc-Philippe Daubresse, de rendre à la précédente ministre du logement.
Nous avons besoin d’agir dès maintenant : cette proposition de loi contribue à tracer un chemin vers des procédures plus simples, plus sécurisées et respectueuses des enjeux de sécurité et d’environnement, au service de nos concitoyens.
Rien ne va plus, monsieur le ministre ! Pour offrir un toit aux étudiants et aux jeunes actifs, afin qu’ils ne renoncent pas à leurs études ni à un emploi par manque d’option, tout est à construire. Ne pas relancer la construction, c’est sacrifier l’avenir de notre jeunesse ; c’est sacrifier un pan de l’économie ; c’est fermer les yeux sur la réalité ; c’est renoncer à apporter une solution aux nombreux Français et Françaises qui sont dans l’attente d’un logement dans le parc locatif public et privé ; c’est fermer les yeux sur des ménages qui renoncent à quitter leur logement en location, faute de pouvoir devenir propriétaire ou faute de trouver un logement correspondant à leurs besoins.
Nous devons écouter les entreprises, écouter les Françaises et les Français – qui veulent quatre murs et un toit pour affronter l’avenir –, et ne plus écouter Bercy. C’est pourquoi nous attendons et soutenons des mesures d’envergure. Le groupe Les Démocrates, en accord avec l’objectif de simplification fixé par le gouvernement, votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. Éric Martineau
Très bien !
Mme la présidente
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Thomas Lam.
M. Thomas Lam
Le droit de l’urbanisme est devenu l’un des domaines les plus complexes de notre système juridique. Ce constat est largement partagé, aussi bien par les élus locaux que par les acteurs de la construction. Tous disent la même chose : la complexité du droit est l’une des sources de la crise du logement et l’un des freins au développement de projets locaux.
Concrètement, cette complexité se traduit par des coûts en forte hausse pour les collectivités. Au-delà de la question financière, c’est la sécurité juridique des projets qui est en jeu. L’instabilité et la multiplicité des règles, conjuguées au nombre croissant de contentieux, créent un climat d’incertitude permanent, aussi bien pour l’autorité publique que pour les porteurs de projets.
Cette proposition de loi ne vise pas seulement à simplifier les règles ; elle vise à libérer les initiatives locales et à redonner du sens à l’action publique. Redonner du sens à l’action publique, c’est avant tout permettre aux élus de terrain d’agir plus vite et plus efficacement ; c’est aussi reconnaître la légitimité de celles et de ceux qui connaissent le mieux les réalités locales.
Cette proposition de loi n’est pas un simple texte technique : c’est un texte de confiance et de responsabilité. Elle offre davantage de souplesse aux collectivités pour mener leurs projets en matière de logement, d’aménagement et de développement local. L’objectif n’est pas de bouleverser les équilibres du droit de l’urbanisme, mais d’intégrer des ajustements ciblés et proportionnés afin de clarifier et d’améliorer la prise de décision locale.
Le groupe Horizons & indépendants salue, à ce titre, le compromis trouvé en commission mixte paritaire. (Mme Christine Arrighi s’exclame.) Il incarne la méthode que nous défendons : le rassemblement des bonnes volontés au service de la simplification, en faveur des territoires. Le texte issu de la CMP, déjà adopté par le Sénat, comporte plusieurs avancées importantes.
D’abord, il simplifie l’évolution des documents d’urbanisme. Le nombre de procédures est réduit de quatre à deux, ce qui permettra de gagner en clarté et en rapidité. La périodicité de l’évaluation des Scot est allongée, afin d’alléger la charge administrative des collectivités ; il sera désormais possible d’adopter un document unique, valant à la fois schéma de cohérence territorial et plan local d’urbanisme, afin d’accélérer la mise en œuvre des projets.
Dans la même logique, la proposition de loi facilite la conduite des opérations d’aménagement et de construction. La généralisation du permis d’aménager multisites apportera une flexibilité nouvelle. Parallèlement, la sécurisation des permis modificatifs, introduite à l’initiative du groupe Horizons & indépendants, mettra fin à de nombreuses incertitudes juridiques. Les porteurs de projets bénéficieront de la stabilité indispensable pour avancer en toute sérénité.
Ce texte constitue également un levier puissant pour relancer la production de logements. Il permettra aux zones d’activités économiques en reconversion d’accueillir plus facilement des logements, contribuant ainsi à la revitalisation des friches et à la lutte contre l’artificialisation des sols. Par ailleurs, il crée de nouveaux outils, comme l’opération de transformation urbaine, destinée à favoriser l’évolution du bâti existant et à mieux utiliser l’espace disponible.
Nous saluons également les avancées en faveur des travailleurs en mobilité, notamment la création de résidences à vocation d’emploi, qui permettront de répondre à des besoins concrets de logement temporaire, en lien direct avec les bassins d’activité.
Enfin, le texte apporte des ajustements bienvenus en matière de contentieux. La réduction des délais de recours gracieux et hiérarchique sécurisera les démarches des collectivités et des porteurs de projets, sans porter atteinte au droit au recours.
Mes chers collègues, les collectivités ont besoin de retrouver des marges de manœuvre et d’agir sans craindre d’être paralysées par la complexité normative. En simplifiant les procédures, en apportant de la clarté et de la sécurité juridique, cette proposition de loi leur permettra de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens : produire du logement, accompagner les dynamiques locales, revitaliser les centres-villes et préparer l’avenir des territoires. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Texte de la commission mixte paritaire
Mme la présidente
J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.
Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, je vais d’abord appeler l’Assemblée à statuer sur les amendements dont je suis saisie.
La parole est à M. le ministre, pour soutenir les amendements nos 5, 2, 1, 3 et 4 du gouvernement, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
M. Vincent Jeanbrun, ministre
Il s’agit d’amendements rédactionnels ou de coordination. De nombreuses discussions ont fait évoluer le texte et lui ont apporté des améliorations notables. Sa rédaction s’en est trouvée modifiée et il convient, pour la rendre cohérente, d’adopter ces cinq amendements.
Je me réjouis que, à l’occasion de ma première prise de parole dans cet hémicycle en tant que ministre du logement, nous puissions envoyer un si beau symbole : celui de la simplification et de l’accompagnement des acteurs du logement. Je remercie M. le rapporteur et tous ceux qui ont participé au succès de ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission sur ces cinq amendements ?
M. Harold Huwart, rapporteur
Favorable.
(L’amendement no 5, modifiant l’article 1er A, est adopté.)
(L’amendement no 2, modifiant l’article 1er, est adopté.)
(L’amendement no 1, modifiant l’article 1er bis AAA, est adopté.)
(L’amendement no 3, modifiant l’article 3 bis, est adopté.)
(L’amendement no 4, modifiant l’article 4, est adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements adoptés par l’Assemblée.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 158
Nombre de suffrages exprimés 106
Majorité absolue 54
Pour l’adoption 65
Contre 41
(La proposition de loi est adoptée.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
4. Ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la convention no 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs (nos 969, 1355).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe
Je suis très heureux de vous présenter le projet de loi autorisant la ratification de la convention no 155 de l’Organisation internationale du travail – OIT – sur la sécurité et la santé des travailleurs.
Le gouvernement a souhaité relancer son processus de ratification car, bien qu’adoptée en 1981, cette convention demeure un texte de référence, une véritable boussole pour toute politique en matière de santé et de sécurité au travail. Elle n’a rien d’un texte daté ou symbolique ; elle est éminemment actuelle. Les faits le prouvent : quatre-vingt-sept pays, dont dix-huit États membres de l’Union européenne, l’ont déjà ratifiée – l’Allemagne et l’Autriche ont lancé le processus de ratification. Cette année encore, des pays amis – la Thaïlande et le Chili, par exemple – ont déposé à Genève leurs instruments de ratification de cette convention.
Il est donc essentiel de faire entrer ce texte dans notre droit positif. Nous savons que la protection de la santé et de la sécurité au travail est une préoccupation majeure de nos concitoyens. La pandémie de covid-19 a profondément bouleversé nos organisations et nos habitudes de travail. Au-delà de nos frontières, des drames comme celui du Rana Plaza, survenu en 2013 au Bangladesh – l’accident le plus meurtrier de l’histoire de l’industrie textile, avec plus de 1 000 morts et 2 500 blessés –, ont tragiquement rappelé l’universalité de ces questions. C’est dans cet esprit que l’OIT, en 2022, a fait du droit à un environnement de travail sain et salubre un principe fondamental du droit du travail. Il ne s’agit pas seulement d’une question de réglementation, mais bien d’un principe universel auquel aucun pays ne saurait déroger.
La convention no 155 occupe, à cet égard, une place particulière. Depuis 2022, elle fait partie des dix conventions fondamentales de l’OIT, au même titre que celles qui ont trait à la liberté syndicale, à l’abolition du travail forcé ou encore à la lutte contre les pires formes du travail des enfants. En ratifiant la dernière convention fondamentale de l’OIT qu’elle n’a pas encore ratifiée à ce jour, la France fera preuve d’exemplarité.
Permettez-moi maintenant de vous rappeler les objectifs de cette convention.
Tout d’abord, elle s’applique à toutes les branches d’activité du secteur privé comme du secteur public, et à tous les travailleurs. Elle prévoit la possibilité d’exclusions limitées. Le gouvernement n’a retenu, à ce titre, que des réserves strictement nécessaires et conformes au droit social en vigueur pour les travailleurs concernés, en ce qui concerne l’exercice du droit de retrait dans le secteur de la navigation maritime, dans celui de l’aviation civile et pour les militaires et les agents de la fonction publique chargés de missions de sécurité des biens et des personnes. Ces exclusions sont conformes à notre législation nationale et aux directives européennes. Comme le Conseil d’État l’a requis, elles ont fait l’objet de consultations larges avec les partenaires sociaux en amont du dépôt de notre instrument de ratification.
Nous avons entendu les débats et les interrogations que cette question a soulevés en commission et je tiens donc à vous le dire avec la plus grande clarté : le gouvernement entend procéder à cette ratification à droit social constant, y compris au sujet du droit de retrait du personnel navigant.
La convention, ensuite, énumère les mesures que les États doivent prendre en matière de santé et de sécurité au travail comme, par exemple, la détermination de procédés de travail en fonction des risques, la définition de la procédure de déclaration des accidents du travail ainsi que les obligations des employeurs.
Elle prescrit aux États membres, enfin, de mettre en place un système de contrôle de l’application des lois et de prescription concernant la santé et la sécurité au travail, en prévoyant des sanctions en cas d’infraction à ces règles ainsi qu’un système d’inspection approprié et suffisant.
Elle insiste, surtout, sur un point essentiel : la prévention et la participation des partenaires sociaux, en particulier par la consultation des travailleurs ou de leurs représentants sur les questions de santé et de sécurité au travail.
Ratifier cette convention, c’est donc affirmer avec force la volonté indéfectible de la France de promouvoir les droits fondamentaux au travail qui font l’objet d’une reconnaissance internationale. L’OIT est une organisation unique, réunissant gouvernements, représentants des travailleurs et des employeurs autour d’une même mission : la justice sociale. À travers elle, nous voulons envoyer un signal fort en faveur du multilatéralisme.
La France est l’un des dix membres permanents du conseil d’administration de l’OIT dont elle assure par ailleurs, depuis le mois de juin dernier, et pour un an, la présidence tournante. Elle est également le deuxième pays au monde à avoir ratifié le plus grand nombre de conventions de cette organisation.
En ratifiant cette convention, nous renforcerons notre engagement pour la promotion d’un environnement sûr et salubre au travail.
En ces temps où le multilatéralisme et la coopération internationale sont soumis à des vents contraires, toutes les actions que la France pourra entreprendre pour les promouvoir, les défendre et les illustrer prennent un sens particulier. Autoriser la ratification de cette convention, c’est permettre à notre pays de rester fidèle à son message universel de respect, de protection et de promotion des droits fondamentaux au travail. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur de la commission des affaires étrangères
« La vie d’un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d’un salarié. Il ne faut jamais l’oublier, parce qu’il peut tout perdre, lui – et il a moins de garanties. » Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, annonçait ainsi la couleur. Sa politique a toujours été guidée, en effet, par la conviction que les salariés – ceux qui ne sont rien, pour reprendre les mots qu’il a employés par la suite – n’ont pas la vie dure. Ils se la coulent douce, en attendant de pouvoir prendre des vacances aux Bahamas sur leurs allocations chômage, comme l’a dit l’un de ses ministres, une fois Emmanuel Macron devenu président.
L’offensive généralisée contre le droit du travail, commencée par Macron, ministre de François Hollande, et inlassablement poursuivie pendant ces huit dernières années après que l’élève a remplacé le maître, donne une tonalité pour le moins étrange à l’examen tardif, par notre assemblée, de la ratification d’une convention de l’Organisation internationale du travail sur la sécurité et la santé des travailleurs.
L’amour du symbole fait perdre à certains le sens des réalités. La ratification de cette convention ne changera rien au droit français, qui est mieux-disant que dans les années 1980. Vous avez même réalisé l’exploit de susciter l’inquiétude légitime du personnel navigant aérien : le gouvernement, en effet, prévoit que ce secteur soit exclu de l’application du droit de retrait, droit qui lui est pourtant garanti depuis plus de quarante ans et qu’une jurisprudence constante a confirmé. Ce serait un comble que cette ratification fasse peser la menace d’une régression alors que tout le monde convient qu’elle ne comporte aucune avancée pour les travailleurs et les travailleuses ! Pour que l’Assemblée puisse se prononcer en toute connaissance de cause, le gouvernement doit impérativement éclaircir sa position sur cette question. J’ai déposé, en ce sens, un amendement qui vient de recevoir un avis favorable de la commission des affaires étrangères. Interpellé par les syndicats du secteur, je m’en fais le relais.
Ce doute levé, il est clair que l’Assemblée devrait se prononcer en faveur de la ratification de cette convention. Je regrette, cependant, que les régimes d’exclusion n’aient pas été directement intégrés au texte, ce qui aurait permis aux parlementaires de discuter, secteur par secteur, de la pertinence de l’exclusion du droit de retrait.
Si beau qu’en soit le symbole, la ratification de cette convention ne saurait en rien vous blanchir – pas plus de vos actions que de votre bilan. Le bilan du macronisme est catastrophique. La violence sociale de la politique menée ces dernières années a des effets bien concrets, conséquences de l’application du projet du président des riches – un projet fondé sur la précarisation du marché du travail et sur les attaques contre les protections des travailleurs.
M. Matthieu Marchio
Vous avez voté pour lui !
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur
Chaque jour, en France, deux personnes meurent d’un accident du travail – deux fois plus que la moyenne européenne. On compte au moins 5 millions d’accidents du travail depuis 2017. Le recours de plus en plus massif à l’intérim – il a été multiplié par sept en trente ans – est un facteur connu de multiplication de ces accidents : 50 000 par an chez les intérimaires. La moitié des salariés en intérim déclarent être soumis à des cadences de travail élevées, propices à la multiplication des accidents.
L’explosion du nombre des apprentis est également un facteur de risque majeur. Les salariés de moins de 20 ans, qui sont pour moitié des apprentis, connaissent deux fois plus d’accidents du travail que les autres salariés. Le premier ministre vient d’ailleurs d’annoncer une baisse des salaires nets des apprentis ; or les bas salaires sont également un facteur aggravant le risque d’accident du travail. Dans le secteur public hospitalier territorial, le nombre de départs pour invalidité a augmenté de 30 % en dix ans.
Moussa Sylla est mort en juillet 2022 sur son lieu de travail ; ici même, dans cette Assemblée nationale que nous fréquentons quotidiennement. Il était employé par une société de sous-traitance – comme si nous n’étions pas capables de réinternaliser ces fonctions ! Je lui rends hommage en notre nom. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS ainsi que sur les bancs du groupe GDR.)
Voici l’envers de la médaille macroniste et de son expression, aussi mystique que confuse, la fameuse « libération des énergies ». En fait d’énergies, les seules que vous avez libérées sont des énergies destructrices pour les travailleurs et les travailleuses. Ce n’est pas tout : en 2018, vous avez supprimé les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), instances protectrices dont l’utilité à la protection des travailleurs était unanimement reconnue. Vous avez repoussé l’âge légal de départ en retraite à 64 ans ; vous savez pourtant très bien que les accidents les plus graves sont ceux qui frappent les travailleurs les plus âgés. Il suffit, pour le savoir, d’échanger avec celles et ceux qui sont dans cette situation – mais, pour vous, qu’importe.
Vous avez également supprimé les critères de pénibilité qui rendaient visibles les souffrances évidentes au travail : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, l’exposition aux risques chimiques.
L’abrogation de la réforme des retraites est donc un impératif pour la santé et la sécurité des travailleurs. L’abrogation n’est pas qu’un mot, c’est une réalité concrète pour des millions de travailleuses et de travailleurs, à même de leur garantir une protection pleine et effective. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Il en va de même pour la retraite à 60 ans pour quarante annuités, qui figure au programme du Nouveau Front populaire que les Françaises et les Français ont placé en tête lors des dernières élections. Or, pour toutes ces personnes, la ratification de la convention ne changera rien.
Pire, au moment de la ratifier, et alors que notre droit est supposément mieux-disant, la France ne respecte pas les obligations incombant aux membres de l’OIT en matière de contrôles des conditions de travail. Le corps des contrôleurs a été supprimé en 2013 et les départs en retraite non remplacés ont provoqué une situation telle que la France, aujourd’hui, en vient à manquer à ses engagements. Selon l’OIT, il faut un agent de contrôle pour 10 000 salariés ; nous disposons d’un agent pour 13 200 salariés. Nous ne respectons pas la norme d’une institution dont on nous propose de ratifier une nouvelle convention : tout le monde verra facilement le problème.
La conquête du temps libéré est le grand mouvement d’émancipation des travailleurs par eux-mêmes. Baisser le temps de travail dans la journée, dans l’année et dans la vie, voilà le mot d’ordre du mouvement ouvrier auquel l’Organisation internationale du travail doit son existence. Dans ces temps troublés, il s’agit de ne rien céder de cet héritage et de revendiquer fièrement la légitimité du combat social contre les puissances de l’argent. Je viens d’une circonscription où, dans une clinique, des infirmières et des aides-soignantes manquaient de cadres car toutes étaient en arrêt maladie. La dégradation des conditions de travail, c’est la dégradation des conditions de soins, laquelle dégrade à son tour les conditions de travail, puisque nous nous trouvons en moins bonne santé.
Voilà quelle est la spirale infernale dans laquelle nous entraînent vos politiques. Votre budget, aujourd’hui, ne déroge pas à cette règle. Avec tant d’autres qui nous soutiennent à cette heure, j’ai participé aux mobilisations contre la loi « travail », préparée par Emmanuel Macron en 2015. La république sociale, depuis lors, n’a cessé de reculer sous les assauts des affairistes qui nous gouvernent.
Nous ne pouvons faire abstraction du contexte dans lequel nous examinons ce texte : à la veille d’une motion de censure décisive pour l’avenir du pays. Vous laisser gouverner, c’est laisser se reproduire cette violence sociale que vous abattez sur le pays ; vous laisser gouverner, c’est permettre la discussion d’un budget dont les coupes massives – une nouvelle fois – menacent notre quotidien et nos services publics ; vous laisser gouverner, c’est laisser se perpétuer l’indifférence coupable que vous organisez à l’égard des travailleurs et des travailleuses.
Voter la censure, au contraire, c’est voter pour l’avenir du pays ; c’est voter pour les droits sociaux et la préservation de nos services publics et de nos protections sociales.
S’abstenir de la voter, c’est reconduire, pour quelque temps encore, les macronistes, leur logique et leur monde de violence sociale.
La responsabilité des uns et des autres, demain, sera lourde. Il reste une nuit pour y réfléchir, et j’espère que celles et ceux qui entendent sauver Macron y réfléchiront à deux fois. La nuit, dit-on, porte conseil : espérons que cela soit plus vrai que jamais. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Oui, espérons que vous tomberez demain ! Nous nous épargnerons ainsi, entre autres horreurs, l’imposition des indemnités perçues pour les maladies chroniques que prévoit votre affreux budget, imposition aux termes de laquelle une personne atteinte d’un cancer et gagnant 2 000 euros par mois payerait, chaque année, 850 euros d’impôt supplémentaires. Voilà toute la laideur de votre monde !
La ratification de la convention de l’OIT sur laquelle nous devons nous prononcer est une formalité qui, dans le meilleur des cas, ne changera rien. Le véritable changement, celui qui s’impose, c’est une rupture claire avec la destruction méthodique de l’État social à laquelle vous vous employez.
La vie d’un salarié est plus dure que celle de la poignée de responsables qui la malmènent : voilà la véritable leçon de huit ans de macronisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Julie Ozenne applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Bruno Fuchs, président de la commission des affaires étrangères
Selon l’Organisation internationale du travail, chaque année dans le monde, plus de 2,9 millions de personnes meurent des suites d’un accident ou d’une maladie liés au travail, et l’on dénombre plus de 395 millions d’accidents du travail non mortels. Ces chiffres sont ahurissants, et tout à fait inacceptables, d’autant que des outils existent pour prévenir ces drames.
La convention n° 155 de l’OIT, adoptée en 1981, est un instrument fondamental en matière de sécurité et de santé au travail. Elle impose aux États de développer une politique nationale de prévention des risques professionnels, fondée sur des principes clairs, applicables à tous les secteurs, et garantissant à chaque travailleur le droit à un environnement sûr et sain.
Alors, pourquoi la France, pays des droits sociaux, n’a-t-elle pas encore ratifié cette convention ? Et surtout, pourquoi le faire maintenant ?
La convention n° 155 n’est pas un texte symbolique, comme l’a rappelé le ministre il y a quelques instants. Elle promeut une vision préventive et systématique du travail. Il ne s’agit pas seulement de réparer après coup, mais d’agir en amont pour éviter les accidents et les maladies. Le nombre de maladies professionnelles liées aux troubles musculo-squelettiques explose depuis des années, et certains secteurs comme le bâtiment et les travaux publics (BTP), l’agriculture ou le secteur de l’aide à la personne sont particulièrement exposés. Cette approche est donc plus que nécessaire.
La France, acteur historique du progrès social, a ratifié la grande majorité des conventions fondamentales de l’OIT. Pourtant, plus de quarante ans après son adoption, elle n’a toujours pas ratifié la convention n° 155. Ce retard est d’autant plus surprenant que quatre-vingt-sept pays l’ont déjà fait, parmi lesquels de nombreux pays européens, mais aussi des pays en développement, confrontés à des défis bien plus importants en matière de moyens.
En outre, les chiffres sont alarmants en France : on a compté 679 000 accidents du travail en 2022, et 759 décès liés à des accidents du travail en 2023.
Une première tentative de ratification a été engagée en 1986, mais le Conseil d’État a émis un avis défavorable au motif que les partenaires sociaux n’avaient pas été consultés à propos de l’exclusion de certaines catégories de salariés relevant des ministères en charge des transports et de la mer. Une deuxième démarche a été engagée en 2006, mais le travail préparatoire interministériel avait mis en lumière des problèmes liés au champ d’application et à l’exercice du droit de retrait des salariés.
Ratifier cette convention permettrait non seulement d’aligner la France sur les standards internationaux, mais aussi d’envoyer un signal politique fort.
La commission des affaires étrangères a largement adopté ce projet de loi, malgré la position défavorable – assez surprenante – de notre rapporteur et de son groupe politique, alors que ce texte constitue une avancée en matière de droit du travail et de protection des travailleurs.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur
Vous en connaissez les raisons !
M. Bruno Fuchs, président de la commission des affaires étrangères
J’ai rappelé les chiffres de 2022 et de 2023 pour la France, qui sont tout à fait préoccupants. Il ne faut plus tergiverser : d’abord, à cause de la crise climatique, qui diversifie les risques professionnels ; ensuite, à cause des transformations du travail – digitalisation, télétravail, ubérisation – qui brouillent les responsabilités entre employeurs et travailleurs. La convention n° 155 impose justement de clarifier ces responsabilités en matière de santé et de sécurité.
Enfin, il ne faut plus tergiverser car la santé mentale devient un enjeu majeur en France. La prévention du burn-out, des risques psycho-sociaux et des suicides liés au travail reste encore lacunaire. En insistant sur une approche globale de la santé, la convention no 155 couvre aussi la santé mentale.
Autoriser la ratification de cette convention, comme l’a fait le Sénat, correspond à un engagement éthique, politique et social : c’est reconnaître que la santé des travailleurs ne peut être une variable d’ajustement, et affirmer que le progrès économique ne doit jamais se faire au prix de vies humaines. C’est aussi replacer la France dans le peloton de tête international, à une époque où les grandes puissances sont scrutées sur le respect des droits fondamentaux, notamment dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Je vous invite donc à adopter ce projet de loi, comme l’a fait la commission des affaires étrangères à une large majorité le 30 avril dernier. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. – M. Michel Castellani applaudit également.)
Discussion générale
Mme la présidente
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Ratifier en 2025 une convention de l’Organisation internationale du travail adoptée en 1981, c’est comme réparer un toit après quarante hivers. Cette convention consacre la santé et la sécurité au travail comme un droit fondamental. Elle aurait dû être ratifiée depuis longtemps, car elle traite de ce qui est au cœur du contrat social : le droit de travailler sans y laisser sa santé ni sa vie.
Ne soyons pas dupes : cette ratification n’est pas le grand progrès social auquel on voudrait nous faire croire ; elle constitue avant tout une formalité administrative, imposée parce que l’Union européenne exige désormais que les États membres ratifient toutes les conventions fondamentales de l’OIT. Ainsi, la France coche une nouvelle case – la dernière. Mais ratifier, ce n’est pas agir ; s’afficher protecteur, ce n’est pas protéger.
Depuis dix ans, les gouvernements successifs ont affaibli tous les leviers de la prévention, de la représentation et du contrôle dans le monde du travail. La loi Macron, la loi El Khomri, les ordonnances du 22 septembre 2017 : toutes ont lentement mais profondément érodé le droit du travail. La suppression des CHSCT a laissé des millions de salariés sans instance dédiée à la santé et à la sécurité. L’inspection du travail a perdu 16 % de ses effectifs en six ans : désormais, un agent doit contrôler plus de 13 000 salariés – un nombre bien supérieur à celui recommandé par l’OIT.
Pendant que nous débattons, la réalité se dégrade : deux personnes meurent chaque jour en France à cause d’un accident du travail ; en 2023, la vie de 759 salariés a été fauchée sur leur lieu de travail. Notre pays figure parmi les cinq plus meurtriers d’Europe pour les travailleurs, avec un taux d’accidents presque deux fois supérieur à la moyenne européenne. Derrière ces chiffres, il y a des visages, des familles, des ouvriers, des intérimaires, des sous-traitants, comme Moussa Sylla, agent de l’Assemblée nationale, mort au travail en juillet 2022, à qui je rends hommage.
La crise n’est pas seulement physique, elle est aussi psychique. L’an dernier, près d’un salarié sur deux déclarait un épuisement professionnel. Le nombre de burn-out a doublé en dix ans. Là encore, la France est l’un des pays d’Europe où la santé mentale au travail s’est le plus dégradée. Les médecins du travail tirent la sonnette d’alarme : leurs effectifs ont été divisés par deux en vingt ans. Dans de nombreux départements, il ne reste qu’un seul médecin du travail pour 10 000 salariés.
Cette réalité est celle d’un pays où les corps craquent, où les têtes lâchent, où le travail rend malade. Quand on demande toujours plus aux salariés, quand la précarité devient la norme et la reconnaissance l’exception, ce ne sont pas les chiffres de la productivité qui explosent, mais les arrêts maladie et les drames silencieux.
Cette ratification relève du symbole et, sans moyens, sans courage politique, ce sera un affichage de plus. Comment croire à une volonté sincère de protéger les travailleurs quand, ici, on affaiblit le droit de retrait, quand on remplace la prévention par la pression, et la sécurité par la rentabilité ?
Au fond, le macronisme social, c’est cela : célébrer les droits dans les discours, tout en les détricotant dans les décrets ; ratifier une convention sur la santé et la sécurité au travail, tout en poursuivant une politique qui épuise les corps et fragilise les salariés.
Monsieur le ministre, vous l’avez dit, mais pouvez-vous nous garantir que le personnel navigant ne sera pas exclu du champ d’application de cette convention ? Nous avons déposé un amendement, identique à celui du rapporteur, pour garantir que ce personnel soit pleinement couvert. Il n’y a aucune raison qu’un travailleur dans le ciel ait moins de droits qu’un travailleur sur terre. Nous serons très attentifs à l’engagement du gouvernement sur ce point.
Si vous voulez que cette ratification ait un sens, il faut des actes : il faut redonner des moyens à l’inspection du travail, rouvrir des postes, recréer des instances de santé et de sécurité dans toutes les entreprises. Il faut replacer la prévention et la dignité au cœur des politiques d’emploi car on ne construit pas la compétitivité d’un pays sur les cadavres du monde ouvrier. La vie des travailleurs vaudra toujours plus que les dividendes du CAC40.
Nous voterons pour cette ratification si le gouvernement garantit que personne n’en sera exclu. Mais surtout, ne nous parlez pas de progrès social si c’est pour mieux dissimuler des décennies de recul. En son temps, cette convention a été écrite au nom de la dignité du travail ; désormais, elle devra être appliquée au nom de la dignité des travailleurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et GDR. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit
Cette convention est reconnue comme fondamentale par l’Organisation internationale du travail. L’autorisation de sa ratification par l’Assemblée nationale renforcerait donc à la fois son statut juridique et sa portée symbolique, tout en envoyant un message clair : la santé et la sécurité au travail sont des droits humains universels.
Cette démarche s’inscrit dans une tradition ancienne et constante de la France, deuxième État au monde ayant ratifié le plus grand nombre de conventions de l’OIT. Depuis plus d’un siècle, notre pays s’est engagé de manière constante en faveur du progrès social et de la défense des droits des travailleurs. Depuis 1919, la France a ainsi ratifié 129 conventions et deux protocoles de l’OIT, témoignant de son engagement à respecter les normes sociales internationales.
Cet héritage illustre également notre profond attachement au dialogue social, à la justice du travail et à la dignité des salariés. En 1988, la France avait déjà envisagé de ratifier cette convention. Toutefois, le Conseil d’État s’y était opposé, estimant qu’une étude préalable et une concertation auraient dû déterminer les catégories de travailleurs et les secteurs susceptibles d’être exclus du droit de retrait.
Plus de trente ans plus tard, en juin 2022, cette convention a retrouvé toute son actualité lors de la 110e Conférence internationale du travail, au cours de laquelle la sécurité et la santé au travail ont été reconnues comme des droits fondamentaux, au même titre que la liberté syndicale, la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants, ou l’égalité de traitement.
Le gouvernement propose au Parlement de mettre fin à cette exception – pour ne pas dire cette anomalie – puisque la convention n° 155, relative à la santé et à la sécurité des travailleurs, est la seule des dix conventions fondamentales de l’OIT que la France n’ait pas encore ratifiée.
Il est temps de combler cette lacune, car cette convention n’est pas un simple texte technique : c’est une avancée majeure à l’échelle mondiale pour la protection de la santé, de la sécurité et du bien-être au travail. Son objectif est clair : garantir à chaque travailleur, quel que soit son statut ou son secteur d’activité, des conditions de travail sûres et saines. Elle promeut une véritable culture de la prévention, fondée sur la responsabilité partagée entre employeurs, salariés et pouvoirs publics.
La convention précise les obligations des États en matière de politique nationale de prévention, de formation, d’information et de dialogue social. Elle prévoit également la mise en place d’un dispositif de contrôle du respect des règles, ainsi que des sanctions adaptées en cas de manquement.
Notre pays dispose déjà d’un cadre juridique solide, fruit de décennies d’efforts collectifs et d’avancées législatives. Mais ce cadre, aussi complet soit-il, reste perfectible. La ratification de la convention n° 155 permettra d’inscrire notre législation dans une dynamique européenne et internationale cohérente, en renforçant la coordination entre les différents acteurs de la prévention et en assurant une meilleure gestion des risques professionnels, tant dans le secteur public que privé.
J’ai entendu les interrogations concernant le droit de retrait du personnel navigant. J’entends aussi les réserves exprimées sur le fait que cette convention ne traiterait pas de l’ensemble des enjeux liés à la santé et à la sécurité au travail.
Cependant, cette ratification ne remet pas en cause les protections existantes, comme l’a d’ailleurs indiqué M. le ministre, et notre droit interne continuera de primer dès lors qu’il est plus protecteur, conformément au principe de non-régression.
Au-delà de la conformité juridique, c’est un message fort que nous adressons, celui d’une France fidèle à ses valeurs, attachée à la dignité au travail et à la protection de chaque femme et de chaque homme qui contribue à la vitalité de notre économie. En ratifiant cette convention, nous faisons le choix de la cohérence, du progrès et de la responsabilité.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Démocrates votera la ratification de cette convention. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
M. Éric Martineau
Excellent ! Ce sera difficile de faire mieux !
Mme Sophia Chikirou
Ah oui, c’est sûr ! Pour ce qui est de parler pour ne rien dire, il y a une compétition au sein du socle commun !
Mme la présidente
La parole est à M. Bertrand Bouyx.
M. Bertrand Bouyx
Ce projet de loi vise à ratifier un texte désormais reconnu comme l’une des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail et qui consacre un principe essentiel : la santé et la sécurité au travail ne sont pas une variable d’ajustement mais un droit universel.
L’histoire de cette convention, comme celle de l’OIT, est intimement liée à une ambition de paix sociale et de progrès partagé. L’OIT a été fondée en 1919 à partir d’un constat lucide : la justice sociale est la condition de la stabilité internationale. Depuis, elle a bâti un socle de principes universels qui irriguent nos droits nationaux du travail.
En 2022, la Conférence internationale du travail a franchi une nouvelle étape en intégrant la santé et la sécurité au travail parmi ces principes fondamentaux. Ce geste fort rappelle que la protection de la vie et de la dignité des travailleurs constitue un pilier du travail décent.
La France ne découvre pas ce sujet. Notre droit du travail est l’un des plus avancés au monde en matière de sécurité et de prévention. L’article L. 4121-1 du code du travail fixe à l’employeur une obligation générale de sécurité et de prévention des risques.
Cette ratification n’en demeure pas moins utile et nécessaire. Tout d’abord, elle inscrit nos principes nationaux dans un cadre international cohérent qui permettra à la France de parler d’une seule voix avec ses partenaires européens et mondiaux. Ensuite, elle renforce la légitimité de nos politiques nationales dans un contexte où le monde du travail est confronté à des mutations profondes : transitions numérique et écologique, nouvelles formes d’emploi, intensification des risques psycho-sociaux.
En ratifiant la convention no 155, la France envoie un signal clair : celui de sa fidélité à un modèle social fondé sur la responsabilité et la prévention et non sur la simple réparation. Le texte engage les États à élaborer des politiques nationales intégrées, à coordonner les différents niveaux d’action et à associer les travailleurs à la définition des mesures de prévention. Cette approche, participative et pragmatique, rejoint la philosophie que nous défendons au sein du groupe Horizons & indépendants : faire du dialogue social et de la coconstruction les leviers d’une société plus protectrice et plus efficace.
Notre groupe salue également la réserve formulée par la France afin de tenir compte des réalités particulières des secteurs maritime et aérien – M. le ministre l’a d’ailleurs fort bien souligné lors de la présentation du texte –, où la sécurité de tous dépend parfois de la discipline d’un seul. Il est légitime que le droit de retrait s’y exerce différemment, dans le respect des impératifs de sécurité opérationnelle. Une telle adaptation n’affaiblit pas l’esprit du texte ; elle en garantit au contraire la bonne application, dans une logique de responsabilité partagée.
Cette ratification est aussi un acte politique fort sur la scène internationale. Dans un monde où la compétition économique tend parfois à s’accompagner d’un nivellement par le bas des protections sociales, la France réaffirme que la compétitivité ne doit jamais être recherchée au détriment de la santé et de la dignité des travailleurs. Notre pays rejoint ainsi les quatre-vingt-sept États déjà parties à cette convention, dont une majorité des membres de l’Union européenne. Par ce geste, il renforce sa crédibilité et son exemplarité au sein des organisations multilatérales à un moment où la régulation internationale du travail a besoin d’être réaffirmée face à la montée des incertitudes et à la fragmentation du monde.
La ratification de cette convention ne bouleversera pas notre droit positif ; elle le consolidera et le fera rayonner. Elle exprime ce que la France sait faire de mieux : transformer les principes en engagements et les engagements en politiques concrètes. Elle correspond enfin à la vision de notre groupe, celle d’une société du travail fondée sur la confiance, la responsabilité et la protection – une société où la dignité humaine reste le cœur du progrès économique.
C’est pourquoi le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de ce projet de loi, avec la conviction que protéger la santé et la sécurité au travail, c’est aussi protéger le pacte social et républicain qui fonde notre cohésion nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et Dem. – M. Joël Bruneau applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani
Nous sommes appelés à autoriser la ratification de la convention n° 155 de l’Organisation internationale du travail, un texte fondamental consacré à la santé et à la sécurité des travailleurs.
Adoptée en 1981, cette convention pose les principes essentiels d’un droit au travail dans des conditions sûres, saines et respectueuses de l’intégrité physique et mentale de chaque salarié – des principes qui doivent naturellement rester au cœur de notre modèle social.
Cette ratification marque un rattrapage symbolique attendu. Elle rappelle l’importance d’un cadre collectif de prévention des risques professionnels, fondé sur une responsabilité partagée entre l’État, les employeurs et les travailleurs. Dans un monde du travail en mutation, marqué par la précarité, les inégalités territoriales, les risques psycho-sociaux croissants et l’émergence de nouvelles formes d’organisation du travail, cette vigilance est indispensable.
La convention fixe trois grands objectifs que nous partageons pleinement : la mise en place d’une politique nationale de prévention, construite autour d’une stratégie claire et cohérente dans le temps ; l’obligation pour les employeurs de garantir la sécurité et la santé sur les lieux de travail par l’évaluation des risques, l’information, l’aménagement des postes et la prévention ; enfin, l’association des travailleurs à cette démarche par le dialogue social, la reconnaissance des représentants du personnel et des actions de formation et de sensibilisation.
Ces principes sont largement intégrés dans le droit français. Notre cadre, organisé autour d’acteurs tels que les CSE – les comités sociaux et économiques –, la médecine du travail, l’inspection du travail ou les partenaires sociaux, est parmi les plus complets au monde.
Cependant, l’application de ces principes reste inégale. Dans certaines branches d’activité ou dans les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME), qui ne disposent pas toujours des ressources ou de l’accompagnement nécessaires, la prévention reste parfois difficile à mettre en œuvre.
Sur le terrain, les risques professionnels demeurent une réalité : accidents du travail, maladies professionnelles, troubles musculo-squelettiques, stress, burn-out ou encore violences. Derrière ces mots se cachent – ne l’oublions pas – des vies bouleversées, des familles éprouvées, des parcours professionnels brisés.
C’est pourquoi le groupe LIOT soutient la ratification d’un texte qui, sans transformer notre droit, le consolide, le rend plus lisible et réaffirme la volonté de construire un monde du travail plus juste, plus sûr, plus humain.
Toutefois, notre groupe tient à exprimer une réserve importante. Le gouvernement a pris, de manière unilatérale, la décision d’exclure certains secteurs, comme le personnel navigant de l’aéronautique civile, du champ de la convention, notamment en matière de droit de retrait.
Une telle exclusion, opérée sans véritable débat parlementaire ni concertation avec les organisations syndicales concernées, est problématique, tant sur la méthode que sur le fond. Elle soulève un enjeu de cohérence juridique et une inquiétude légitime s’agissant d’une possible réduction implicite des protections existantes.
Nous réaffirmons un principe clair : la ratification ne doit pas affaiblir les droits existants ni créer de nouvelles inégalités entre travailleurs. Elle doit s’inscrire dans une logique de justice, de transparence et de respect du rôle du Parlement comme des partenaires sociaux – nous l’avons dit et répété à plusieurs occasions.
Le groupe LIOT, fidèle à ses principes d’indépendance et de responsabilité, votera pour ce projet de loi tout en appelant à une transparence totale sur ses modalités d’application et à une vigilance constante pour garantir les droits fondamentaux de tous les travailleurs, sans distinction. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. François-Xavier Ceccoli applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha
La convention no 155 de l’Organisation internationale du travail, classée comme convention fondamentale depuis la Conférence internationale du travail de 2022, est censée s’appliquer universellement. Tous les États membres ont donc l’obligation de la respecter même sans l’avoir formellement ratifiée. En droit interne, cela signifie qu’elle est déjà opposable : un justiciable peut l’invoquer devant le juge, même en l’absence de ratification.
À première vue, une ratification n’aurait donc pas dû poser de difficulté. Elle apparaissait presque symbolique. Les obligations posées par la convention, vieille de plus de quarante ans, sont déjà largement satisfaites dans notre droit national. Selon les propres mots de M. le ministre, la ratification s’opère à droit constant : aucune réforme, aucun ajustement réglementaire ne serait nécessaire. Dès lors, cette démarche aurait pu être une simple reconnaissance, certes tardive mais bienvenue, de l’importance de la sécurité et de la santé au travail, dans un contexte marqué par une crise profonde du monde du travail.
Or, comme souvent, le macronisme se cache dans les détails. Le deuxième alinéa de l’article 1er et surtout le deuxième alinéa de l’article 2 de la convention autorisent les États à formuler des exclusions et à écarter certaines catégories de travailleurs de son champ d’application. Le gouvernement n’a pas tardé à user de cette faculté et a décidé d’exclure de nombreuses professions : le personnel navigant de l’aéronautique civile, les travailleurs des branches de la navigation maritime et de la pêche mais aussi certains agents publics, notamment les militaires, comme l’indique l’étude d’impact.
Pire encore : ces exclusions ne figurent pas dans le projet de loi. Elles échapperont donc à tout débat parlementaire, à tout vote démocratique. Ce procédé rappelle le précédent de 1988, lorsque le Conseil d’État avait déjà rejeté une première tentative de ratification pour les mêmes raisons.
Les syndicats concernés ont alerté le gouvernement sur les conséquences de ces exclusions. À titre d’exemple, dans le secteur de la navigation aérienne, l’impossibilité d’exercer son droit de retrait « dès lors que la mission de l’équipage a débuté » suscite de vives inquiétudes. L’usage du terme « mission », dans le secteur aérien, recouvre à la fois le temps de vol, les phases de préparation, les arrêts au sol et les escales, ce qui pourrait conduire à des interprétations restrictives, donc à des reculs en matière de protection. Sans surprise, ces mises en garde sont restées lettre morte.
Ces choix politiques opérés par le gouvernement ne sont pas étonnants. Que pouvait-on attendre de ceux qui, depuis 2017, n’ont cessé de détricoter le droit du travail ? Les ordonnances Macron, parmi nombre de régressions, ont entraîné la fusion des instances représentatives du personnel. En 2017, 75 % des salariés étaient couverts par un CHSCT ; aujourd’hui, ils ne sont que 46 %.
Ces régressions du droit du travail ne sont pas sans conséquences sur la vie des travailleuses et des travailleurs. Ces dernières semaines, la question des accidents du travail a d’ailleurs resurgi avec force. La mort de plusieurs jeunes en formation a bouleversé l’opinion : un apprenti de 15 ans – en avril –, un lycéen de 17 ans en bac professionnel, puis un élève de 16 ans en stage d’observation. Ces tragédies ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En 2023, 759 personnes sont mortes au travail, soit 21 de plus qu’en 2022. Depuis 2020, ce chiffre augmente chaque année, témoignant d’une véritable crise de la sécurité au travail. En vingt ans, on dénombre 21 000 morts et 13,5 millions de blessés.
De tels drames ne sont pas le fruit du hasard mais d’une volonté politique : celle de privilégier la rentabilité économique au détriment de la santé et de la vie des travailleurs.
La France est aujourd’hui l’un des pays les plus dangereux d’Europe pour les salariés. En 2021, elle occupait le quatrième rang européen s’agissant du nombre d’accidents mortels pour 100 000 habitants, derrière la Lettonie, la Lituanie et Malte.
Dans ce contexte, le texte qui nous est présenté est à contre-courant des besoins du monde du travail. Non seulement il ne crée aucun nouveau droit pour les salariés mais il en supprime pour certains.
Face à cette mascarade, les députés du groupe GDR refusent de cautionner cette ratification. Une telle opération de communication ne répond en rien aux urgences sociales et humaines qu’affronte le monde du travail. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte, sauf si le gouvernement s’engage à ne pas exclure certains travailleurs du droit de retrait.
Mme la présidente
La parole est à M. Bernard Chaix.
M. Bernard Chaix
Voilà un mois et demi que les Français attendent de leur personnel politique une certaine responsabilité face aux crises budgétaire, économique et désormais institutionnelle que nous vivons. À cet égard, permettez-moi d’abord de partager mon étonnement face à la temporalité choisie pour l’examen de ce texte : alors que nombre de nos compatriotes demandent que nous apportions des réponses concrètes à leurs préoccupations – insécurité, immigration et pouvoir d’achat –, nous allons encore une fois passer un temps précieux à échanger autour d’un projet de loi portant ratification d’une convention internationale. Qu’il en soit ainsi : c’est la procédure parlementaire. Il n’en demeure pas moins que le temps consacré à ce texte, à un moment aussi critique que celui que nous vivons, témoigne encore une fois d’un gouffre qui sépare de plus en plus les Français du personnel politique. C’est le symptôme d’une crise politique profonde. Il est grand temps de rendre la parole au peuple, par un retour aux urnes, afin qu’il décide enfin des sujets qui le préoccupent et des textes dont la représentation nationale devrait se saisir en priorité.
M. Éric Martineau
On gagnerait du temps !
M. Bernard Chaix
Concernant le projet de loi en discussion, la convention n° 155 de l’OIT consacre des normes minimales de sécurité et de santé au travail. Il s’agit notamment de prévenir les accidents du travail et les maladies professionnelles, de permettre la participation des travailleurs et des employeurs à ces enjeux, enfin d’assurer un système d’inspection et un régime de sanction efficace en cas d’infraction.
Comme vous le soulignez, monsieur le rapporteur, notre droit national est souvent mieux-disant que la convention elle-même. La France dispose déjà d’un plan national de santé au travail élaboré avec les partenaires sociaux. Notre système d’inspection du travail est doté de pouvoirs de sanction directe, à l’inverse de nombreux États européens comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, pays dans lesquels l’inspection se cantonne souvent à un rôle de recommandation et où les sanctions sont prononcées par les autorités administratives ou judiciaires. Enfin, le code du travail prévoit l’obligation générale de sécurité, qui impose à l’employeur d’assurer la santé physique et mentale de ses salariés, sous peine de sanctions.
La France dispose ainsi d’un cadre juridique parmi les plus protecteurs au monde pour les travailleurs, avec une couverture sociale obligatoire, qui est notre fierté, un strict encadrement du licenciement, qui doit être motivé, des congés payés légaux, des durées maximales de temps de travail, un salaire minimum garanti et des filets de sécurité, telle une assurance chômage globalement généreuse.
L’enjeu n’est donc pas de nous conformer aux dispositions de la convention : c’est déjà le cas. Il s’agit pour la France de se conformer à ses obligations juridiques en vertu du droit international et du droit européen.
Nous, membres du groupe UDR, sommes attachés à la valeur travail, à récompenser l’effort et à assurer la santé et le bien-être de ceux qui contribuent à la richesse nationale. Nous constatons que le droit de retrait, c’est-à-dire la possibilité pour le salarié de se retirer d’une situation de danger grave et imminent, est consacré par la convention. Il semblerait que le gouvernement, dans l’étude d’impact et non dans le projet de loi, prévoie d’exclure certaines catégories professionnelles de ce droit de retrait. Il s’agit notamment du personnel navigant de l’aéronautique civile, qui ne pourrait plus jouir de ce droit, une fois la mission de l’équipage commencée. Or, en 1988 déjà, le Conseil d’État avait rendu un avis défavorable à la ratification de la convention, soulignant que les catégories professionnelles exclues de ce champ devaient être clairement inscrites dans la loi. Force est de constater que ce n’est toujours pas le cas. Il y a donc bien une carence d’harmonisation juridique, qui apparaît encore aujourd’hui.
L’entretien de ce flou laisse envisager que les filières concernées n’ont peut-être pas été assez consultées. Il s’agit là d’incertitudes juridiques qui pourraient avoir des conséquences pratiques importantes et nous tenions simplement à interpeller le gouvernement à ce sujet.
Cependant, la convention a été adoptée il y a maintenant plus de quarante ans et l’OIT l’a élevée au rang de convention fondamentale il y a trois ans. Pour cette raison, la France, en tant que pays membre fondateur de l’OIT, doit ratifier ce texte afin de se conformer à ses obligations internationales et européennes. En conséquence, le groupe UDR votera pour le présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. Éric Martineau
Ben alors ?
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Guiniot.
M. Michel Guiniot
Le texte que nous examinons tend à ratifier une convention de l’OIT relative à la sécurité et à la santé des travailleurs. Toutefois, ce texte est d’un autre temps, celui de M. Mitterrand, puisqu’il a été adopté en 1981. Depuis, si les risques n’ont pas évolué, la façon de travailler, elle, a changé ; la société et les normes aussi. Certaines mesures contenues dans la convention sont désormais satisfaites, voire désuètes au vu de notre droit national, tandis que d’autres s’opposent à notre droit en vigueur.
Dès 1988, le Conseil d’État avait rendu un avis défavorable à la ratification en raison d’un manque de travail du gouvernement de l’époque sur le texte, ce qui aboutit à l’abandon provisoire du processus de ratification. En 2022, ce processus a été relancé par le changement de qualification de cette convention par l’OIT, une agence spécialisée de l’ONU, qui l’a rendue juridiquement opposable.
Toutefois, le gouvernement souhaite discuter d’un acquis social quarantenaire et bien intégré dans notre droit et dans le droit européen : le droit de retrait. Je tiens à souligner qu’un grand nombre de secteurs d’activité, de la navigation maritime à la pêche en passant par celui des agents publics exerçant une activité de sécurité ou de défense, sont concernés par le texte qui nous est soumis pour ratification et non pour modification. Pensons à la situation des capitaines de navire qui pourraient être contraints de risquer leur vie, celles de leurs passagers et l’intégrité de leurs bâtiments s’ils ne pouvaient bénéficier de leur droit de retrait. Pensons au personnel navigant qui pourrait être privé de toute possibilité de réaction, même avec la formation adéquate. Comment réagir à un danger grave et imminent sans ouvrir la possibilité de l’apprécier ?
Le maintien du droit de retrait tel qu’il existe aujourd’hui permettrait de garantir que les professionnels se consacrent exclusivement à leur tâche dans des conditions optimales de sécurité. Aucun problème notable ne s’est posé en quarante ans. Alors pourquoi tout changer ?
Toute la question est là : pourquoi maintenant ? Le personnel navigant s’est vu accorder le droit au retrait par décret en juillet 1991 et une jurisprudence constante encadre l’exercice de ce droit au retrait – ou devoir d’abstention –, en particulier au titre du motif raisonnable établi par une décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 2019. De tels droits acquis et confirmés ne peuvent être remis en question.
Toutefois, nos échanges avec le ministère nous permettent d’envisager de changer de position de vote et je sollicite de votre part, monsieur le ministre, la confirmation que les travailleurs ne subiront aucune réduction de leurs droits acquis et que les avancées du droit national ont une valeur juridique plus importante. Cela inquiète particulièrement le personnel navigant, qui se demande quel est le sens de cette réserve alors que la législation actuelle est conforme à l’accord.
J’ajoute que, dans un contexte international où nous sommes prêts à accepter d’acheter à des pays qui n’ont pas les mêmes conditions de travail que nous– je pense à l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne –, il ne faut pas retirer des droits à ceux qui en ont déjà. Les accords de libre-échange font jouer une concurrence déloyale au détriment des Français et voilà que le gouvernement nous propose de leur retirer des droits après leur avoir fait perdre des marchés !
La protection des travailleurs français doit être une priorité pour le gouvernement car elle l’est pour la représentation nationale et particulièrement pour mon mouvement, le Rassemblement national.
Monsieur le ministre, vous avez émis des réserves concernant le personnel navigant. Nous vous demandons de nous garantir que vous souhaitez bien les lever, afin d’écarter un conflit de normes qui pourrait conduire à un recours. Le gouvernement nous assure-t-il qu’il n’y aura aucune volonté de revenir sur les garanties légales actuelles en termes de droit de retrait ? Votre réponse conditionnera le vote du groupe Rassemblement national. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Ledoux.
M. Vincent Ledoux
Nous sommes appelés à nous prononcer sur la ratification de la convention n° 155 de l’OIT relative à la santé et à la sécurité des travailleurs. Notre droit national a déjà intégré l’essentiel des principes contenus dans ce texte mais sa ratification lui confère une portée universelle : elle fait de la santé au travail un droit humain universel au même titre que la liberté syndicale ou l’abolition du travail forcé.
Cette convention fixe des principes simples et forts : une politique nationale de prévention élaborée en concertation avec les partenaires sociaux ; la responsabilité des employeurs pour garantir un environnement de travail sûr ; et le droit pour chaque travailleur d’être acteur de sa propre protection. Elle s’inscrit donc dans la continuité de notre histoire sociale et répond aux défis contemporains : l’évolution des formes d’emploi, le télétravail, la transition écologique, les risques climatiques ou numériques.
Sa ratification envoie un message clair : la France reste fidèle à un modèle social exigeant, fondé sur la prévention, la responsabilité partagée et le dialogue. C’est un engagement fort pour le respect de la personne au travail et pour la dignité de chacun.
Le gouvernement a formulé des réserves s’agissant de certaines professions soumises à des impératifs de sécurité particuliers, comme les personnels navigant ou militaire. Mais il faut rappeler que ces réserves ne diminuent en rien la protection déjà garantie par notre droit. Elles tiennent compte de situations spécifiques dans lesquelles l’exercice du droit de retrait pourrait compromettre la sécurité collective. Le principe de non-régression sociale demeure intangible : aucune convention internationale ne peut affaiblir les garanties que notre législation accorde déjà aux travailleurs.
Ainsi comprise, cette ratification ne retire rien à nos acquis : elle les conforte et les prolonge dans un cadre universel. Elle affirme que la santé au travail n’est pas une simple question réglementaire mais une question de justice, de dignité et de progrès humain. À l’heure où les conditions de travail se transforment profondément, cette convention rappelle que la performance économique ne peut se construire au détriment de la sécurité des femmes et des hommes qui travaillent. Elle invite les entreprises, les salariés et les pouvoirs publics à agir ensemble pour prévenir les risques, adapter les environnements de travail et promouvoir une véritable culture de la sécurité.
C’est aussi une occasion pour la France de renforcer son influence au sein de l’OIT, en réaffirmant que notre modèle social demeure une référence, du fait de l’équilibre qu’il assure entre compétitivité et protection, entre efficacité économique et humanisme.
Comme le proclamait le président Jacques Chirac : « Les droits de l’homme ne valent que parce qu’ils sont universels. » C’est exactement le sens de cette ratification : affirmer que le droit à la santé et à la sécurité au travail n’a pas de frontières, qu’il appartient à tous les travailleurs, où qu’ils soient.
Mes chers collègues, cette convention, loin d’être un simple acte formel, est une déclaration de principes vivante. Elle rappelle que la santé et la sécurité au travail relèvent de la dignité humaine, de la prévention des risques et du respect de chacun. C’est pourquoi le groupe EPR votera avec conviction en faveur de sa ratification, fidèle à la tradition humaniste et sociale qui fait la force de la France dans le concert des nations. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophia Chikirou.
Mme Sophia Chikirou
La convention no 155 de l’Organisation internationale du travail, qui date de 1981, a été ratifiée par plus de quatre-vingts pays et est reconnue comme une convention fondamentale depuis 2022. En réalité, elle garantit un minimum vital aux travailleurs puisqu’elle impose aux États de prévenir les accidents du travail, les maladies professionnelles et les atteintes à la santé ; elle consacre aussi, et c’est important, le droit de retrait des travailleurs face à une situation dangereuse. Je fais ce rappel pour qu’on se comprenne bien.
Il s’agit d’une ratification à droit constant – vous l’avez confirmé, monsieur le ministre –, ce qui signifie qu’elle se fait sans nouveaux droits pour les travailleurs et sans nouvelles obligations pour les employeurs. Or la réalité dans notre pays depuis les années 1990, c’est que le nombre d’accidents du travail n’a guère évolué : on est toujours aux alentours de 800 000 par an. Nous avions les CHSCT : vous les avez supprimés, vous, votre gouvernement, les macronistes ! Nous avions la reconnaissance de la pénibilité des métiers – ô combien difficiles : vous en avez effacé plusieurs critères, dont le port des charges lourdes, les postures pénibles ou encore les risques liés aux températures extrêmes, qui s’aggravent pourtant en cette période de changement climatique.
Surtout, je rappelle que nous avions 2 227 inspecteurs du travail en 2016 et qu’ils se sont réduits à 1 890 en 2024. Et le comble, c’est qu’on ne respecte même pas les recommandations de l’OIT, qui prescrit au minimum un contrôleur du travail pour 10 000 salariés… En France, on est à 1 pour 13 000. Il est donc assez ironique de voir le gouvernement vanter cette convention de l’OIT et détruire méthodiquement, dans le même temps, toutes les protections que nous avons acquises, nous, les travailleurs et travailleuses français. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Cette forme d’obscurantisme social fait que deux personnes meurent chaque jour d’un accident du travail. Tout récemment, on a vu aussi des enfants mourir au travail en France, sous Macron : un adolescent de 14 ans, tué lors de son stage d’observation ; Lorenzo, apprenti de 15 ans ; Lucas, 17 ans ; Axel, un lycéen de 16 ans, tué par la chute d’une palette ; Matis Dugast, 19 ans, mort enseveli sous du goudron, sur un chantier. Voilà le résultat de la violence, le résultat de cette politique antisociale que vous menez depuis que vous êtes arrivés au pouvoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Comme nous savons avec certitude que vous n’êtes pas les défenseurs du droit du travail, ni les défenseurs des travailleurs et des travailleuses, nous avons le devoir d’être toujours vigilants dès lors que vous vous présentez devant nous avec un texte. Nous savons que vous êtes parfaitement capables d’abaisser les protections sociales et le droit du travail français, de raboter les droits, afin de les ramener, en l’occurrence, à ce minimum vital que constitue ce texte de l’OIT. Cette convention est datée, puisqu’elle date de plus de quarante ans : elle laisse de côté tout ce qui concerne les risques psycho-sociaux liés au management, le plus grand problème des travailleurs aujourd’hui, puisque plus de 50 % des salariés français se plaignent de leurs conditions de travail et disent qu’ils éprouvent de la détresse morale au travail ; elle laisse aussi de côté l’exposition aux cancérogènes et la dilution des responsabilités dans les chaînes de la sous-traitance. Tout cela n’était évidemment pas évoqué à l’époque, ce qui rend la convention obsolète. Et surtout, elle est moins-disante par rapport aux directives européennes, en particulier la directive-cadre de 1989.
Ne vous avisez surtout pas de penser que vous pourriez fixer comme référence en matière de droit du travail une telle convention et nous mener ainsi vers une réduction des droits des travailleurs et des travailleuses. Vous avez tenté de le faire, une fois encore, mais notre rapporteur, M. Cadalen, nous a alertés et a déposé un amendement, afin de tirer la sonnette d’alarme : il n’est pas possible d’exclure le personnel navigant de l’aviation civile du champ d’application de cette convention, pas plus que le personnel navigant maritime. C’est grâce à la vigilance de notre rapporteur que nous avons voté contre la ratification de ce texte en commission : c’était un signal, une façon de vous dire que nous ne vous laisserions pas infliger cela à une catégorie de travailleurs – les syndicats aussi nous avaient alertés.
C’est d’autant plus important qu’il y a aujourd’hui une concurrence déloyale dans l’aviation civile qui permet à des compagnies étrangères de tirer les droits sociaux vers le bas. Nous appelons l’attention du gouvernement sur ce point. Monsieur le ministre, si vous confirmez que vous ne trahirez pas les engagements que vous avez pris devant nous tout à l’heure, si vous nous assurez que vous respecterez le droit de retrait des travailleurs de l’aviation civile, alors nous voterons évidemment pour la ratification de cette convention de l’OIT. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme Sophie Mette
Tout ça pour ça ? !
Mme la présidente
La parole est à Mme Pascale Got.
Mme Pascale Got
Le texte qui nous réunit est important parce qu’il touche à ce que tous les travailleurs devraient pouvoir attendre d’un emploi : la sécurité, la santé et la dignité. La ratification de cette convention n’est pas seulement un geste juridique : c’est un acte politique. Il s’agit en effet d’affirmer que le droit à un environnement de travail sûr et salubre est un droit humain fondamental. Sur le terrain, dans nos territoires, ce droit reste trop souvent théorique : je pense à ceux et à celles que je rencontre dans ma circonscription, ouvriers du bâtiment, aides à domicile, agents de nettoyage, soignants, saisonniers de l’agriculture ou du tourisme, qui tous exercent des métiers pénibles, parfois dans des conditions indignes ! Les ouvriers ont cinq fois plus de risques de perdre la vie que les cadres et les intérimaires sont deux fois plus touchés que les autres par les accidents mortels. Voilà qui doit nous alerter collectivement.
La convention que nous examinons fixe un socle de normes minimales. La législation française va souvent au-delà et tant mieux, mais ce n’est pas une raison pour relâcher notre vigilance. Ratifier ce texte, c’est affirmer que nous voulons renforcer l’exemplarité de notre pays en matière de protection des travailleuses et des travailleurs, et pas uniquement dans les discours. Cette ratification doit être claire, sincère et à droit constant, et en aucun cas fragiliser les droits existants. À cet égard, nous appelons en particulier à lever la réserve concernant l’exercice du droit de retrait par le personnel navigant du transport aérien dès lors que la mission de l’équipage a débuté. En effet, le terme de « mission » est flou et sans définition juridique stable, et une telle disposition pourrait permettre à certaines entreprises d’en restreindre l’application alors même que ce droit est pleinement reconnu par le code du travail et par notre jurisprudence. Ce serait donc un recul que rien ne justifie. Je rappelle que le Conseil d’État, dès 1988, avait mis en garde contre ce type de réserve non débattue au Parlement.
Nous avons par ailleurs un devoir de cohérence : on ne peut pas d’un côté se féliciter de la ratification d’un texte international et, de l’autre, comme cela a été fait ces dernières années, affaiblir les moyens de l’inspection du travail, supprimer les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ainsi que quatre des six critères de pénibilité qui ouvraient droit à une retraite anticipée. Il est donc urgent de faire davantage pour celles et ceux qui exercent des métiers pénibles, exposés aux risques physiques comme aux souffrances psychologiques.
Nous devons aussi regarder vers l’avenir. Le travail change et les risques liés au numérique, à la sous-traitance, aux plateformes, aux horaires décalés, aux pressions managériales ou encore aux produits toxiques sont une réalité croissante. Ils doivent être pleinement intégrés dans notre droit, ce que cette convention ne permet pas. Les travailleurs n’ont pas besoin de symboles : ils ont besoin de sécurité, de reconnaissance et de respect. C’est cela que nous défendons dans cet hémicycle comme dans notre territoire. Le groupe socialiste votera ce texte, mais en restant pleinement mobilisé pour que cette ratification soit le début d’une nouvelle étape plus ambitieuse et plus juste pour toutes celles et tous ceux qui, chaque jour, font vivre notre pays par leur travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Josiane Corneloup.
Mme Josiane Corneloup
Nous examinons cet après-midi un texte qui, sous des apparences techniques, touche à l’un des fondements de notre pacte social : la sécurité et la santé des hommes et des femmes qui travaillent et permettent ainsi à notre pays et à notre société de se développer. Il s’agit de la ratification de la convention no 155 de l’Organisation internationale du travail, adoptée en 1981, qui fixe les principes généraux d’une politique nationale de prévention des risques professionnels. Cette convention pose un principe simple mais essentiel : aucun développement économique, aucune compétitivité ni aucune prospérité durable ne peuvent se construire sur la mise en danger des travailleurs. La Droite républicaine a toujours défendu le travail tout en affirmant que celui-ci doit être protecteur et émancipateur, et non aliénant ou dangereux. Il ne s’agit pas de bureaucratiser davantage la vie de nos entreprises – nous y veillerons –, mais d’assurer que le progrès économique s’accompagne d’un progrès humain et social. Cette convention a été reconnue comme fondamentale par l’OIT, ce qui a renforcé son statut juridique et symbolique en établissant la santé et la sécurité au travail au rang de droits humains universels.
La convention a pour objectif principal de promouvoir un environnement de travail sûr et sain pour tous les travailleurs, indépendamment du secteur d’activité. Elle vise à prévenir les accidents du travail, les maladies professionnelles et d’autres problèmes liés à la sécurité et à la santé au travail. Plus précisément, elle établit un cadre juridique international qui oblige les États membres à adopter et à mettre en œuvre des politiques nationales cohérentes en matière de sécurité et de santé au travail ainsi qu’à assurer la mise en place de mécanismes de contrôle et d’inspection renforcés. Il s’agit en outre de faire adopter aux États membres une politique nationale de santé et de sécurité au travail fondée sur la consultation tripartite. Elle établit également des responsabilités claires pour les employeurs et les travailleurs, tout en engageant les États à évaluer régulièrement leurs politiques pour s’adapter aux nouveaux défis.
À ce jour, quatre-vingt-sept États ont ratifié la convention, dont dix-huit membres de l’Union européenne. La France a déjà ratifié, en 2014, la convention no 187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail de 2006 qui, selon l’OIT, est complémentaire à la convention no 155. Bien sûr, certains diront que notre législation nationale, avec son code du travail déjà dense, satisfait largement à ses exigences. Notre rapporteur a d’ailleurs rappelé que sa ratification ne créerait aucun nouveau droit pour les travailleurs, ni aucune nouvelle obligation pour les entreprises. En effet, comme nous l’a affirmé le gouvernement par la voix de ses représentants, cette ratification se fait à droit constant : aucun ajustement réglementaire ni aucune modification du droit du travail ne sont nécessaires pour se conformer aux exigences de la convention, le droit national étant dans la plupart des cas mieux-disant. Mais la ratification de ce texte a une portée politique et symbolique : elle montre que la France reste à la pointe des standards internationaux, qu’elle soutient activement l’action de l’OIT et qu’elle entend peser dans le dialogue social mondial. Dans un monde ouvert où la concurrence économique est parfois féroce, il est de notre devoir de promouvoir des règles du jeu équitables. Les entreprises françaises ne doivent pas subir une concurrence déloyale de pays où la sécurité des travailleurs est sacrifiée.
La convention no 155 nous rappelle une vérité trop souvent oubliée : la santé au travail n’est pas qu’une question de sécurité physique car elle inclut aussi la santé mentale, l’équilibre psychologique, la dignité dans un monde du travail qui change en raison du télétravail, de la pression numérique et de l’isolement croissant. Nous devons veiller à ce que la prévention s’adapte à ces nouveaux risques.
Enfin, concernant la réserve émise par le gouvernement s’agissant du personnel navigant du transport aérien, qui a occupé à juste titre une partie de nos débats en commission, je constate que d’une proposition de notre rapporteur de déposer un amendement d’appel en séance, nous sommes passés à un amendement de suppression de l’article unique, ce qui équivaudrait à rejeter la ratification. Or la Droite républicaine a toujours défendu la valeur du travail comme facteur d’intégration, de liberté et de dignité. Protéger la santé de ceux qui travaillent, c’est protéger la dignité de la nation tout entière. Notre groupe votera donc en faveur de la ratification de la convention no 155, dans un esprit d’équilibre, de responsabilité et de confiance dans les forces vives de notre pays.
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
Article unique
Mme la présidente
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 1 et 2, tendant à supprimer l’article unique.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 1.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur
Je confirme à notre collègue du groupe de la Droite républicaine qu’il s’agit d’un amendement d’appel visant à permettre au gouvernement de clarifier sa position sur le droit de retrait pour le personnel navigant aérien.
En effet, comme je l’ai indiqué plus tôt, ce point a suscité beaucoup d’inquiétudes auprès des syndicats. Il soulève par ailleurs la question plus générale de la consultation pleine et effective des syndicats et – ainsi que l’ont souligné des députés de plusieurs groupes – des parlementaires sur l’exclusion de certains secteurs du droit de retrait. C’est un sujet très important touchant aux conditions de sécurité des vols, qui peuvent s’en trouver compromises. Le commandant de bord faisant partie de l’équipage, il serait désastreux qu’il soit privé de son droit de retrait. En effet, pour que tout le monde puisse comprendre, je rappelle qu’une fois que le vol a commencé, une des prérogatives du pilote est de pouvoir l’interrompre s’il estime que la sûreté de l’appareil est en jeu. Si jamais sa compagnie conteste sa décision, il doit pouvoir faire valoir, y compris en justice, qu’il l’a prise dans le cadre de son droit de retrait.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi, pour soutenir l’amendement no 2.
Mme Sabrina Sebaihi
Comme M. le rapporteur l’a indiqué, il s’agit d’un amendement d’appel pour permettre au gouvernement de rassurer toute une partie du personnel navigant, que la ratification de cette convention inquiète. Nous attendons donc une réponse claire du gouvernement : un engagement de sa part pourrait nous amener à retirer nos amendements.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement sur ces amendements de suppression ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué
J’ai bien entendu les interrogations de M. le rapporteur, de Mme Sebaihi, de M. Guiniot et de Mme Chikirou, entre autres. Je vais y apporter une réponse précise et un peu longue qui vaudra avis sur les amendements. Je dis avec la plus grande clarté que le gouvernement entend procéder à la ratification de la convention de l’OIT à droit social constant, y compris en ce qui concerne le droit de retrait du personnel navigant.
La réserve formulée visait exclusivement à rappeler l’encadrement de l’exercice du droit de retrait pendant l’exécution d’une mission aérienne, en cohérence avec le droit existant, et n’induit aucune régression des garanties offertes aux salariés. Je prends donc devant la représentation nationale l’engagement que la ratification de la convention interviendra à droit constant et que le personnel navigant de l’aéronautique civile ne sera pas exclu de l’exercice du droit de retrait. Pour préciser les propos de M. le rapporteur, j’indique qu’en vertu des règles de sécurité, une fois que le vol a commencé, le seul membre de l’équipage qui peut exercer son droit de retrait est le commandant de bord. C’est l’équilibre qui a été trouvé entre le maintien du droit social et les règles de sécurité qui s’appliquent aux compagnies aériennes. Avis défavorable aux amendements.
Mme la présidente
Sur l’article unique, je suis saisie par les groupes Rassemblement national et Horizons & indépendants d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
(Les amendements sont retirés.)
Mme la présidente
Nous avons achevé l’examen de l’article unique du projet de loi.
Vote sur l’article unique
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 130
Nombre de suffrages exprimés 130
Majorité absolue 66
Pour l’adoption 130
Contre 0
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)
5. Ordre du jour de la prochaine séance
Mme la présidente
Prochaine séance, demain, à neuf heures :
Discussion commune et votes sur deux motions de censure déposées en application de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra