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SOMMAIRE
Présidence de M. Jean-Marie Le Guen
1. Contrôleur général des lieux de privation de liberté. – Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat (nos 114, 162)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois.
discussion générale
MM. Michel Hunault,
Jean-Frédéric Poisson,
Christophe Caresche,
Michel Vaxès,
Mmes Françoise Hostalier,
Marietta Karamanli,
Huguette Bello,
MM. Émile Blessig,
Dominique Raimbourg,
André Wojciechowski,
Mmes Sylvia Pinel,
Laurence Dumont.
Clôture de la discussion générale.
Mme la garde des sceaux.
motion de renvoi en commission
Motion de renvoi en commission de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur, Jean-Frédéric Poisson, Michel Hunault, Dominique Raimbourg. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
discussion des articles
Article 1er
Amendement n° 16 : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 63 : MM. Michel Vaxès, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 41 : MM. Guy Geoffroy, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 43 : M. Michel Hunault. – Retrait.
Amendement n° 64 : M. Michel Vaxès.
Présidence de Mme Catherine Génisson
M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux, M. Michel Vaxès. – Rejet.
Amendement n° 17 : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 1 : MM. Jean-Frédéric Poisson, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Adoption.
Adoption de l’article 1er modifié.
Article 2
Amendement n° 71 : MM. Christophe Caresche, le rapporteur, Mme la garde des sceaux, MM. Jean-Frédéric Poisson, Michel Hunault, Jean-Jacques Urvoas. – Rejet.
Amendement no 18 avec le sous-amendement n° 68, et amendements nos 45 et 65 : M. le rapporteur, Mme Sylvia Pinel, MM. Michel Hunault, Michel Vaxès, Mme la garde des sceaux, MM. Jean-Frédéric Poisson, Christophe Caresche. – Rejet du sous-amendement n° 68 ; adoption de l’amendement n° 18 ; les amendements nos 45 et 65 tombent.
Amendements nos 72, 44 et 69 : MM. Jean-Jacques Urvoas, Michel Hunault. – Retrait de l’amendement n° 44.
M le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Rejet des amendements nos 72 et 69.
Amendement n° 2 rectifié : MM. Jean-Frédéric Poisson, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Retrait.
Amendement n° 73 : MM. Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Rejet.
Adoption de l’article 2 modifié.
Article 2 bis. – Adoption.
Article 3
Amendement n° 4 : M. Jean-Frédéric Poisson. – Retrait.
Amendement n° 20 : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 84 : MM. Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Rejet.
Adoption de l’article 3 modifié.
Article 4
Amendement n° 21 avec le sous-amendement n° 85 : MM. le rapporteur, Jean-Jacques Urvoas, Mme la garde des sceaux. – Rejet du sous-amendement n° 85 ; adoption de l’amendement n° 21.
Amendement n° 22 : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 54 : Mme Françoise Hostalier, M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Retrait.
Amendement n° 74 : MM. Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 23 avec le sous-amendement n° 42 rectifié : MM. le rapporteur, Jean-Frédéric Poisson, Mme la garde des sceaux. – Adoption du sous-amendement n° 42 rectifié ; adoption de l’amendement n° 23 modifié.
Adoption de l’article 4 modifié.
Article 5
Amendements nos 55 et 88 : Mme Françoise Hostalier, MM. Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Retrait de l’amendement n° 55 ; adoption de l’amendement n° 88.
Amendement n° 24. – Adoption.
Amendement n° 75 : MM. Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Retrait.
Adoption de l’article 5 modifié.
Article 5 bis
Amendement n° 25 : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Adoption.
Adoption de l’article 5 bis modifié.
Article 6
Amendement n° 26 avec le sous-amendement n° 86 : MM. le rapporteur, Jean-Jacques Urvoas, le président de la commission.
Suspension et reprise de la séance
M. le président de la commission, Mme la garde des sceaux, M. Georges Fenech. – Rejet du sous-amendement n° 86 ; adoption de l’amendement n° 26.
Amendement n° 49 : MM. Michel Hunault, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Retrait.
L’amendement n° 49 est repris : M. Michel Vaxès. – Rejet.
Amendement n° 56 : Mme Françoise Hostalier, M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux, MM. Jean-Frédéric Poisson, Michel Hunault. – Rejet.
Amendement n° 62 : MM. Jean-Frédéric Poisson, le rapporteur. – Retrait.
Amendements identiques nos 57, 66 et 87 : Mme Françoise Hostalier, MM. Michel Vaxès, Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur, Mme la garde des sceaux, MM. Jean-Frédéric Poisson, Michel Hunault. – Adoption.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Discussion d’un projet de loi
adopté par le Sénat
La parole est à Mme
La République doit montrer qu’elle ne s’arrête pas aux portes des lieux de privation de liberté. Elle doit pouvoir s’assurer du respect des droits fondamentaux de ceux qu’elle a décidé d’isoler.
Elle doit pouvoir garantir l’équité de traitement et le respect de la personne humaine dans tous les lieux de privation de liberté.
Mesdames et messieurs les députés, le projet de loi que vous examinez aujourd’hui s’attache à répondre à ces exigences. Je sais que vous souhaitez l’améliorer. Les débats au Sénat ont déjà permis de clarifier certains points. Votre commission des lois a des amendements avisés à vous soumettre. Je veux dire à M. Warsmann, président de la commission des lois, que je suis très sensible à la qualité des contributions de la commission. Je veux aussi remercier M. Philippe Goujon, votre rapporteur ; sa réflexion et sa connaissance du sujet apportent constamment un éclairage très pertinent. Elles seront fort utiles tout au long de l’examen du projet de loi.
Ce projet a une genèse. Il porte une volonté. Il fixe des principes.
L’idée d’un contrôle extérieur a mûri depuis une dizaine d’années. Elle doit beaucoup aux réflexions du Parlement. Elle résulte des engagements de la France. Je voudrais rappeler ici les grandes étapes de cette genèse. En 1999, Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, a pris l’initiative de réunir une commission. Celle-ci était chargée d’étudier les modalités du contrôle extérieur des prisons. Elle était présidée par le Premier président de la Cour de cassation. Dans son rapport remis en mars 2000, M. Guy Canivet préconisait l’instauration d’un organe de contrôle indépendant. Ses conclusions ont nourri vos réflexions. Elles ont donné l’impulsion à plusieurs initiatives parlementaires.
À l’Assemblée nationale, une commission d’enquête a été créée sur la situation dans les prisons françaises. Différentes propositions de loi ont ensuite été déposées. Je pense à celle de Mme Marylise Lebranchu ou à celle de M. Michel Hunault.
Au Sénat, les travaux d’une autre commission d’enquête ont débouché sur le vote d’une proposition de loi en 2001.
Toutes ces initiatives ont été déterminantes dans la genèse de notre projet. Elles ont enrichi la réflexion. Elles ont conduit à s’interroger sur les autres lieux d’enfermement que les prisons. Elles témoignent aussi de la qualité de vos investigations, au travers d’une mission peu connue de nos concitoyens : je pense à la visite des prisons par les parlementaires.
Enfin, ce projet est directement issu des engagements européens et internationaux de la France.
La France a, en effet, signé en 2005 le Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture, les traitements inhumains, cruels ou dégradants.
Ce Protocole préconise l’instauration d’un « mécanisme national de visites régulières dans tous les lieux où des personnes sont privées de liberté sur décision de l’autorité publique ».
En adoptant ce projet de loi, vous mettrez notre pays en position de ratifier cet engagement international au premier semestre de l’année 2008.
J’ajoute que nous voulons mettre en œuvre les nouvelles règles pénitentiaires européennes. Ce sont des recommandations du Conseil de l’Europe. Parmi elles figure la nécessité d’un « contrôle indépendant, mené par une autorité qui rendra publiquement compte de ses conclusions ».
Vous le voyez, les conditions sont aujourd’hui réunies pour instituer dans notre pays un contrôle indépendant et global des lieux de privation de liberté. C’est la volonté que porte notre projet de loi. Il est en effet porteur d’une volonté de transparence et d’humanité.
La transparence est au cœur de notre conception de la République. La République doit pouvoir rendre compte de ce qu’elle voit et de ce qu’elle fait.
L’institution du contrôle par une autorité indépendante marque une avancée de notre État de droit. Un État de droit n’a pas à craindre le contrôle d’une autorité indépendante du pouvoir exécutif. Au contraire, il a tout à redouter du soupçon d’opacité qui pèserait sur le fonctionnement de ses institutions.
Un soupçon qui serait injuste pour les personnels en charge des lieux de privation de liberté. Je pense aux fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, aux policiers, aux gendarmes, aux douaniers, aux personnels hospitaliers, aux militaires. Tous s’acquittent de missions essentielles, dans des conditions souvent difficiles, parfois dangereuses. Je tiens à leur rendre hommage.
Depuis mon entrée en fonctions, j’ai rencontré beaucoup de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Ils m’ont conforté dans ce projet. Leurs organisations syndicales m’ont confirmé qu’ils étaient les premiers à souffrir de l’image de leur métier et de leurs missions, qui est parfois dévalorisée.
Ils ont besoin d’un regard extérieur sur un univers par nature isolé, un regard extérieur sur un monde intérieur. Cela vaut tout autant pour les personnes qui sont privées de liberté.
La transparence est au cœur de notre conception de la République. L’humanité est au cœur de nos valeurs.
La privation de liberté est parfois nécessaire. En contester le bien-fondé, c’est refuser de voir en chacun un être responsable de ses actes, donc un citoyen. C’est aussi dénier le droit à la réinsertion et à la réhabilitation qu’elle rend possible.
Pour autant, toutes les personnes privées de liberté gardent des droits fondamentaux. Il faut les respecter. Ces droits, je vous proposerai de les renforcer pour les détenus. Ils feront l’objet du projet de loi pénitentiaire que je vous soumettrai au mois de novembre.
Sans attendre, nous pouvons nous donner les moyens de les faire respecter. C’est la mission du Contrôleur général que je vous propose d’instituer aujourd’hui.
Nous n’instituons pas un contrôle, mais un Contrôleur des lieux de privation de liberté. Les mots ont toute leur importance. Nous allons conférer une autorité à un homme ou à une femme. L’humanisation des conditions de vie dans les lieux de privation de liberté commence peut-être par là.
Notre volonté d’humanité est à l’origine même du projet de loi. Venons-en aux principes qu’il fixe.
L’examen des articles sera l’occasion de détailler le contenu du texte. Je veux insister sur les deux principes essentiels que nous avons retenus.
Nous voulons donner au Contrôleur général le statut d’autorité indépendante. Ses missions s’exerceront à l’égard de tous les lieux de privation de liberté.
Le Contrôleur général, nommé par le Président de la République, aura le statut d’autorité indépendante. Cela signifie qu’il en aura la légitimité et l’efficacité. Son indépendance sera garantie par un mandat de six ans, non renouvelable. Elle est renforcée par les incompatibilités prévues par le projet de loi. Elle se manifestera aussi dans la constitution de son équipe. Le Contrôleur général disposera de toute la latitude nécessaire pour organiser une équipe pluridisciplinaire. Il recrutera les contrôleurs qui l’assisteront : par voie de détachement s’il s’agit d’agents publics ; par voie de contrat s’ils viennent du secteur privé. Il en aura les moyens.
On le dit souvent : c’est l’homme ou la femme qui fait la fonction. C’est vrai ! La légitimité et l’efficacité du Contrôleur général viendront aussi de son action. Il s’imposera par la qualité de ses recommandations.
L’exemple du Médiateur de la République est parlant : les personnalités successives qui ont exercé cette fonction éminente ont enraciné le Médiateur dans notre paysage institutionnel.
Le second point sur lequel je souhaite insister concerne l’étendue et les modalités du contrôle : les missions du contrôleur général s’exerceront à l’égard de tous les lieux de privation de liberté.
C’est, me semble-t-il, la force du projet présenté par le Gouvernement. Mais c’est aussi son originalité.
La mission du Contrôleur général porte bien au-delà des frontières du monde carcéral.
La sanction pénale n’est pas la seule cause de privation de liberté. On peut aussi retenir quelqu’un contre sa volonté, pour le protéger de lui-même et d’une fragilité qui le met en danger à l’extérieur.
C’est pourquoi le projet de loi concerne tous les lieux de privation de liberté sur le territoire de la République, depuis les zones d’attente des aéroports jusqu’aux secteurs psychiatriques des établissements hospitaliers. On a recensé 5 788 lieux. Le projet de loi évite leur énumération. Il en donne une définition suffisamment large pour s’adapter à toute évolution.
Ces lieux dépendent de différents ministères : 219 relèvent du ministre de la justice. Les autres relèvent des ministres de l’intérieur, de l’immigration et de l’intégration, de la défense, de la santé et du budget.
Ces lieux n’ont pas les mêmes raisons d’être. Leurs populations n’ont parfois rien en commun, sinon un trait essentiel : la dignité humaine que chacun conserve, malgré sa situation, malgré la sanction pénale, malgré la maladie mentale.
« Une société se juge à l’état de ses prisons », disait Albert Camus. En ce début de XXIe siècle, nous devons étendre ce constat à l’ensemble des lieux d’enfermement. Il sera à l’honneur de la France de faire respecter les droits fondamentaux partout où se trouvent des personnes privées de liberté.
Les établissements pénitentiaires ne sont pas les seuls à répondre de cet impératif. Les étrangers en centre de rétention doivent être pris en charge avec dignité. Un interprète doit pouvoir être présent pour les aider à comprendre leur situation.
Les personnes gardées à vue ont des droits fondamentaux, qu’il convient de respecter. La vulnérabilité des malades dans les hôpitaux psychiatriques appelle un surcroît particulier de vigilance pour le respect de leurs droits. Leur faiblesse ne doit pas interdire le maintien de relations avec le monde extérieur. Ils doivent avoir la possibilité de garder une vie de famille. La mission du Contrôleur général sera d’y veiller. C’est une mission globale, confiée à une autorité nouvelle. Nous aurions pu faire d’autres choix. Le Protocole facultatif à la Convention de l’ONU nous en donnait la possibilité.
Je crois sincèrement qu’il était nécessaire de donner une lisibilité à l’action des différents organismes qui veillent déjà au respect de la dignité humaine dans les lieux de privation de liberté.
Des mécanismes de contrôle interne existent déjà depuis longtemps. Ils se doublent de contrôles extérieurs. Je pense par exemple à la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Depuis 2001, ses avis et ses rapports ont eu un impact réel sur les services et les lieux qu’elle a visités.
Comme la CNDS, les organismes et les inspections qui font du contrôle accomplissent un travail rigoureux et indispensable. La fréquence variable des interventions, la diversité des modes de saisine, la disparité des compétences posent problème. Elles expliquent l’effet d’éclatement de la perception de leur mission.
Le Contrôleur général n’aura pas vocation à se substituer à ces organes. Il travaillera, au contraire, en coordination avec eux. En prêtant un nom et une voix forte à leur cause, il renforcera l’efficacité de leur action. La voix d’un homme porte plus haut et plus loin que les conclusions d’un rapport.
J’étais, en juillet, avec Philippe Goujon, à Londres. Nous avons rencontré Mme Anne Owers, Inspectrice en chef des prisons britanniques.
En Grande-Bretagne, cette fonction existe depuis 1981. Mme Owers nous a fait partager ses observations. Son analyse m’a confortée dans le choix d’un contrôle concentré autour d’une personnalité unique et d’une équipe pluridisciplinaire. Le modèle britannique a inspiré notre projet. Il m’amène à évoquer les visites et les pouvoirs du Contrôleur général.
En Grande-Bretagne, chaque visite de l’Inspecteur en chef donne lieu à une information préalable, puis à un rapport, accompagné de recommandations aux autorités : 95 % de ces recommandations sont admises par l’administration ; 75 % en moyenne sont suivies d’effet dans les deux ans. L’Inspecteur en chef le vérifie à l’occasion d’une visite inopinée.
Vous le savez, il y a eu un débat en France sur cette possibilité de « visites inopinées ». Le Sénat a souhaité que toute ambiguïté soit levée. Le Gouvernement a donné un avis favorable à un amendement permettant au Contrôleur général, sous réserve de motifs graves et bien identifiés, d’effectuer des visites à tout moment.
Mesdames et messieurs les députés, j’ai conscience des efforts que la mise en œuvre de ce contrôle demandera aux administrations concernées. Je suis convaincue qu’un dialogue bénéfique pourra s’établir à l’occasion des investigations. Ce dialogue est d’ailleurs la meilleure promesse de résultats concrets.
« L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics ». Je vous propose de marquer ensemble un nouveau progrès aujourd’hui, en veillant au respect des droits fondamentaux jusque dans les lieux où l’on est privé de sa liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Ce contrôle est confié à une autorité unique, qui aura ainsi une vue d’ensemble des lieux de privation de liberté dans notre pays.
Ce texte fait l’objet d’une attente très forte, y compris des administrations en charge des lieux privatifs de liberté et des personnels de surveillance – il est important de le souligner. J’ai pu d’ailleurs rencontrer, de même que certains de mes collègues qui m’accompagnaient lors des auditions, les directeurs d’administration concernés ainsi que les syndicats de personnels : tous se sont déclarés favorables à l’instauration de ce contrôle.
De fait, faire ainsi entrer un regard extérieur dans un lieu clos présente un double intérêt.
Il s’agit tout d’abord de prévenir d’éventuels abus qu’un milieu fermé pourrait favoriser. Les lieux de privation de liberté sont par nature des lieux de violence : il s’y exerce une coercition légitime, institutionnelle, qui doit respecter certaines règles, dont il s’agit de vérifier le respect effectif. Mais il existe aussi une autre violence, non légitime celle-là, une violence entre les personnes privées de liberté. Tous ceux parmi vous qui ont usé – et ils sont nombreux – de leur faculté de visiter ces lieux le savent !
Mais il s’agit aussi de lever la suspicion sur les conditions de traitement des personnes enfermées. C’est pourquoi il est demandé par tous – ce qui, reconnaissez-le, est plutôt bon signe.
Le projet de loi s’inscrit aussi dans un contexte international : il permet à la France de respecter les stipulations du Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture que notre pays a signé et s’est engagé à ratifier avant septembre 2008. Ce Protocole prévoit la mise en place d’un « mécanisme national de prévention » indépendant, dans un délai maximum d’un an après la ratification du Protocole.
Notre pays prend donc – soulignons-le – un peu d’avance avec ce projet de loi puisque nous nous apprêtons à mettre en place ce mécanisme national avant même que les accords internationaux ne nous y obligent !
L’inscription de ce texte à l’ordre du jour des deux sessions extraordinaires que le Parlement aura tenues en juillet et en septembre, qui auront permis un examen tant par le Sénat que par l’Assemblée nationale dès les tous premiers jours de la législature, souligne la volonté politique forte du Gouvernement de mettre en œuvre rapidement le contrôle extérieur des lieux de privation de liberté – volonté que je tiens à saluer, comme, du reste, la persévérance de Mme la garde des sceaux.
Le projet de loi a été adopté par le Sénat sans qu’aucune voix ne se prononce contre le texte. Je tiens à rendre hommage à l’excellent travail réalisé par la Haute Assemblée. Le texte a été notablement amélioré, précisé et enrichi : pas moins de vingt-six amendements parlementaires ont été adoptés, certains émanant de l’opposition. Je ne doute pas que tel sera également le cas à l’Assemblée ! Les garanties accompagnant le statut du Contrôleur général ont été accrues, notamment sur le fondement des recommandations du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation présenté en 2006 par le sénateur Gélard sur les autorités administratives indépendantes.
Je tiens à préciser qu’en matière de contrôle extérieur, l’état de la réflexion est déjà bien abouti dans notre pays. Tant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, présidée par M. Mermaz et M. Floch, que celle du Sénat sur la situation des prisons françaises, en juin 2000, ont plaidé pour l’instauration d’un tel contrôle. Plusieurs propositions de loi, déposées par M. Hyest et M. Cabanel au Sénat, et M. Hunault et Mme Lebranchu à l’Assemblée nationale, ont eu pour objet de mettre en place un contrôle extérieur des prisons. Je voudrais ici tout particulièrement faire référence au rapport rendu en 2000 par M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, chargé par Mme Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, « d’étudier les manières d’améliorer le contrôle extérieur des prisons ». Ce rapport plaidait pour l’instauration d’un contrôle extérieur indépendant, distinct des fonctions de médiation et chargé de contrôler les conditions générales de la détention. Le projet de loi atteint cet objectif et va même plus loin, puisqu’il l’étend à tous les lieux de privation de liberté.
Les lieux d’enfermement sont d’ores et déjà soumis à de nombreux contrôles, qui apparaissent cependant dispersés et souvent trop limités : magistrats, commissions diverses et variées, inspections, organismes internationaux sont chargés d’une parcelle du contrôle, mais il manque une vision d’ensemble. La situation des établissements pénitentiaires est de ce point de vue paradoxale : peu d’administrations sont soumises à un nombre aussi élevé de contrôles et, pourtant, ces contrôles apparaissent insuffisants, notamment du fait de leur éclatement, ainsi que le dénonçait le rapport de M. Canivet.
Le projet de loi fixe le statut et les missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Je ne reviendrai pas en détail sur les dispositions du projet, qui viennent d’être exposées par Mme la garde des sceaux.
Je souhaite cependant vous faire part de trois préoccupations majeures qui ont guidé ma réflexion sur le texte.
La première a trait au statut du Contrôleur général et des contrôleurs auxquels il pourra déléguer ses pouvoirs. L’indépendance de toute autorité tient à son statut. Nous devons donc veiller à doter le Contrôleur général d’un statut garantissant pleinement son indépendance.
En la matière, le Sénat a apporté de très nombreuses garanties supplémentaires par un régime complet d’immunités, d’incompatibilités et d’inéligibilités. Mais je suis aussi soucieux du statut que le décret en Conseil d’État doit conférer aux contrôleurs et qui devra réussir la difficile conciliation de l’exigence de leur indépendance et leur nécessaire compétence.
Ma deuxième préoccupation concerne le contexte international dans lequel s’insère cette nouvelle autorité : le législateur doit veiller à ce que la loi qui institue le Contrôleur général respecte au mieux les stipulations du Protocole facultatif de l’ONU que la France devra prochainement ratifier, avec les nécessaires adaptations à notre droit.
Ma troisième préoccupation est celle de la nécessité de mettre en cohérence les différents contrôles qui vont coexister.
La pluralité des mécanismes de contrôle n’est pas une mauvaise chose en soi, bien au contraire : elle garantit des visites régulières des différents lieux. Il faudra pour autant veiller à clarifier les compétences des uns et des autres et à les coordonner.
Les clarifier, pour éviter la déresponsabilisation des organes de contrôle et les coordonner, pour éviter la démobilisation des administrations en charge des lieux contrôlés, confrontées à une multiplication désordonnée des contrôles.
Cela ne passe sans doute pas par la loi, mais par des sortes de Protocoles que les différentes instances pourraient passer entre elles pour éviter les doublons. Je fais mienne également la suggestion du rapport Canivet de créer une conférence d’établissement qui se réunirait chaque année dans chaque établissement pénitentiaire pour confronter les différents contrôles entre eux et assurer un réel suivi. Nous retrouverons ce débat lors de l’examen de la loi pénitentiaire.
La commission des lois, lors de sa réunion du 18 septembre, a adopté vingt-cinq amendements, dont dix-sept sont de nature essentiellement rédactionnelle. Je voudrais dire quelques mots de certains amendements « de fond ».
À l’article 2, sur les conditions de nomination du Contrôleur général, la commission a adopté deux amendements pour préciser les conditions de nomination du Contrôleur général.
Le premier précise que le Contrôleur général sera choisi en raison de ses compétentes et connaissances professionnelles, ce qui lui confère une garantie supplémentaire d’indépendance et permet par ailleurs de se conformer aux stipulations du Protocole de l’ONU, qui préconise que « les États parties prennent les mesures nécessaires pour veiller à ce que les experts du mécanisme national de prévention possèdent les compétences et les connaissances professionnelles requises ».
Le deuxième amendement est un amendement d’attente que j’avais présenté à la commission pour tenter de sortir du risque de contradiction entre le présent projet de loi et la future révision constitutionnelle. Le Sénat a adopté en première lecture un amendement qui précise que le Contrôleur général est nommé « après avis de la commission compétente de chaque assemblée ». Or, la commission présidée par M. Édouard Balladur doit rendre ses conclusions au mois de novembre prochain, dans la perspective d’une révision constitutionnelle qui devrait être adoptée en janvier 2008. Un des axes de sa réflexion concerne le rééquilibrage de nos institutions au profit du Parlement. Dans ce cadre, elle réfléchit à une procédure qui pourrait permettre d’associer le Parlement aux nominations les plus importantes effectuées par le pouvoir exécutif. L’amendement adopté vise à préciser que le Contrôleur général serait nommé « après consultation du Parlement dans les conditions prévues par la Constitution ». Cette rédaction n’est pas totalement satisfaisante, j’en conviens tout à fait.
Les précisions que vient de nous apporter Mme la garde des sceaux éclairent le débat d’un jour nouveau. Si le projet de loi doit être adopté définitivement avant même que la Constitution ne soit révisée, la rédaction du Sénat doit être préférée et l’amendement de la commission en conséquence retiré. Nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 2.
À l’article 5 bis, sur la saisine directe du Médiateur de la République, la Commission a adopté un amendement qui permet au Contrôleur général de saisir directement le Médiateur de la République, sans passer par le « filtre » parlementaire. S’agissant d’une autorité administrative indépendante saisissant une autre autorité administrative indépendante, ce filtre pourrait paraître assez curieux, d’autant que la complémentarité de leurs rôles pourrait rendre ces saisines fréquentes, ce qui est d’ailleurs souhaitable.
À l’article 6, la commission a adopté deux amendements précisant les conditions de report de visite : le premier précise que les motifs de report devront être graves « et impérieux », ce qui souligne leur caractère exceptionnel et reprend la rédaction du Protocole de l’ONU, qui précise que « l’objection à la visite d’un lieu de détention déterminé » suppose des « raisons pressantes et impérieuses ».
Le second amendement fait obligation aux autorités responsables du lieu, dès que le motif grave et impérieux à l’origine du report a cessé, d’en avertir sans délai le Contrôleur général pour que celui-ci puisse procéder à la visite initialement prévue. En aucun cas, le report ne peut être un report sine die.
À l’article 7, la commission a adopté un amendement qui introduit une procédure d’urgence, permettant au Contrôleur général, qui ne dispose pas d’un pouvoir d’injonction, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations en cas de constat de violations graves des droits fondamentaux de personnes privées de liberté et de fixer à ces autorités un délai de réponse.
Il va de soi que ce délai devra être raisonnable et compatible avec le temps matériellement nécessaire pour la résolution du problème constaté.
Cette procédure donnera au Contrôleur général un droit de suite, pour vérifier que la violation constatée a cessé. S’il le juge nécessaire, il pourra ensuite rendre publiques ses observations, ainsi que les réponses qui y auront été apportées.
Après l’article 11, la commission a adopté un amendement supprimant la mention, dans un texte de nature législative, de la Commission de contrôle des centres de rétention administrative et zones d’attente – CRAZA.
En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à adopter le projet de loi, au bénéfice des amendements que la commission des lois a adoptés.
Cette avancée majeure de notre État de droit attendue par tous depuis si longtemps, constituera demain un modèle, sinon une référence, pour tous ceux qui, en Europe et ailleurs, ne disposant pas encore d’un tel organisme, auraient décidé de s’engager plus avant dans la voie du respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles, validant ainsi l’approche du rapport Canivet : « On ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu’en la traitant comme un citoyen. »
Ce texte, madame la garde des sceaux, fait honneur au gouvernement auquel vous appartenez ; il fait honneur à la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Tout d’abord, madame la garde des sceaux, je salue votre volonté politique qui nous permet de débattre de ce texte, qui fait à la fois honneur au gouvernement auquel vous appartenez et à notre assemblée. Il marque l’aboutissement d’une longue réflexion. Et c’est pour moi l’occasion de rendre hommage à la commission Canivet, mise en place par Élisabeth Guigou, à Louis Mermaz et Jacques Floch et l’excellent rapport de la commission d’enquête parlementaire publié en juin 2000 ainsi qu’à tous mes collègues ayant travaillé sur des propositions de loi relatives à ce sujet ces dernières années, je pense en particulier à Marylise Lebranchu et Michel Hunault.
Grâce à vous, madame, nous pourrons nous conformer avec de l’avance aux dispositions du Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture et aux autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants que notre pays a signé le 16 septembre 2005 et qu’il s’est engagé à ratifier avant le mois de septembre 2008. Avec ce projet de loi, nous remplissons en effet l’obligation d’un mécanisme de contrôle national prévue dans le Protocole.
Ensuite, j’aimerais insister sur l’importance de garantir la plus large compétence possible au Contrôleur général des lieux privatifs de liberté, point d’accord unanime de la commission durant ses travaux : une très large compétence pour tous les lieux privatifs de liberté ainsi que de très larges possibilités de saisine et de visites. Nous vous proposerons ainsi par amendement de limiter les cas dans lesquels un report de visite peut être ordonné. Et j’apporte tout mon soutien à l’amendement de notre rapporteur sur la procédure d’urgence à mettre en œuvre lorsque le Contrôleur général voudra rendre certaines informations publiques ou mettre fin à certains agissements le plus rapidement possible.
Au regard de la qualité du texte à laquelle nous sommes parvenus, nous souhaitons qu’il entre en vigueur le plus rapidement possible. Le Gouvernement serait prêt – vous nous le confirmerez – à l’inscrire prochainement à l’ordre du jour prioritaire du Sénat et je voudrais vous en remercier, ainsi que votre collègue ministre des relations avec le Parlement. Ainsi pouvons-nous espérer voir la loi entrer en vigueur avant la fin du mois. J’ajoute que, grâce aux contacts noués avec mon homologue de la commission des lois du Sénat, la version à laquelle nous aboutirons pourrait être approuvée en l’état par la Haute Assemblée.
Enfin, des points nécessiteront d’être complétés dans les mois à venir.
Le premier concerne la nomination du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Le Sénat a prévu qu’elle intervienne après avis des commissions compétentes des deux assemblées. Néanmoins, une telle procédure ne paraît pas convenir alors que la commission Balladur émettra des recommandations qui aboutiront très vraisemblablement à une révision constitutionnelle, prévoyant de nouvelles modalités d’association du Parlement aux décisions relatives aux nominations les plus importantes, en particulier celles des autorités administratives indépendantes. Le choix que nous vous proposons est dicté par le réalisme : si la loi entre rapidement en vigueur, nous pourrons nommer un premier contrôleur sans attendre la réforme de la Constitution, quitte à modifier plus tard les dispositions pour les mettre en conformité avec le nouveau texte constitutionnel.
Le deuxième point sur lequel il nous faudra travailler – le rapporteur l’a évoqué –, c’est la nécessaire mise en cohérence des différents contrôles appliqués aux lieux privatifs de liberté, notamment aux établissements pénitentiaires, car l’existence du contrôleur général va modifier radicalement la situation. Une telle mise en cohérence n’est certes pas l’objet de ce projet de loi, mais je souhaite que nous puissions y travailler dans le cadre de l’examen du projet de loi pénitentiaire. La proposition du rapport Canivet d’établir des conférences d’établissement mérite d’être étudiée. Éviter les doublons dans les contrôles est une bonne idée : il faut recentrer chaque contrôle sur son cœur de métier et trouver une solution permettant à l’ensemble des organismes chargés de contrôler les lieux de détention d’harmoniser leurs actions afin d’accroître leur efficacité.
En conclusion, mes chers collègues, je vous appelle à voter ce projet de loi, qui, pour reprendre les mots du rapporteur, fera honneur à celles et ceux qui le voteront. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Avec ce texte, madame la garde des sceaux, vous concrétisez les recommandations de l’organisation des Nations unies, mais également du Conseil de l’Europe, dont les nouvelles règles pénitentiaires, établies en janvier 2006, préconisent l’instauration d’un contrôle indépendant. Mais votre projet de loi va encore plus loin car vous étendez les compétences de cette instance indépendante à l’ensemble des lieux privatifs de liberté.
Dans votre discours liminaire, vous avez marqué votre volonté d’ouverture en déclarant que vous seriez à l’écoute des amendements dont nous discuterons. Vous avez eu raison de mettre l’accent sur la volonté commune qui nous anime, au-delà des clivages. Depuis dix ans, notre assemblée, à travers les travaux de ses commissions d’enquête et ses propositions de loi cosignées par l’ensemble des forces politiques qui la composent, a démontré la nécessité d’un contrôle de l’ensemble des lieux privatifs de liberté. Le temps où les députés n’avaient pas le droit d’aller en prison (Sourires) n’est pas si loin, c’est une faculté qui leur a été récemment donnée.
Permettez-moi d’insister à présent, madame la garde des sceaux, sur le contenu de la mission du Contrôleur général. Vous avez mentionné le rôle du Médiateur de la République, à qui, dans certains pays d’Europe, la mission de contrôle est confiée. La piste d’un renforcement des pouvoirs du médiateur, envisagée, je le crois, par votre prédécesseur Pascal Clément, aurait pu être envisagée. Mais vous avez voulu aller plus loin, et c’est tant mieux, en étendant la mission de contrôle à tous les lieux privatifs de liberté.
Encore faudrait-il ne pas passer à côté de l’objectif que nous voulons assigner au contrôleur, qui ne doit pas être un simple visiteur. Dans certains pays européens – je pense notamment à la République tchèque –, la personne chargée du contrôle peut exercer les pouvoirs qui lui sont conférés dans toute leur plénitude, au bénéfice des détenus comme de l’administration pénitentiaire. Cette dernière, en France, est d’ailleurs tout à fait favorable à ce qu’il y ait un contrôle dans les prisons.
Mais sur quelle base s’appuiera le contrôle ? Au nom de mon groupe, j’ai proposé que ce soient les règles pénitentiaires réactualisées établies par le Conseil de l’Europe en janvier 2006 qui servent de référence. Le rapporteur de la commission nous a répondu que celles-ci n’avaient pas force juridique. Je le rejoins sur ce point, mais le droit est le dernier rempart contre l’arbitraire. Il faudra bien que le contrôleur se fonde sur des règles pour déterminer dans son rapport dans quelle mesure il y a eu des manquements, lesquels auront justifié son intervention auprès de l’administration pénitentiaire. Dans le cadre de la discussion des articles, ce sera un point important à soulever.
Autre proposition du groupe Nouveau Centre : la création d’un corps indépendant aux côtés du Contrôleur général, au regard de l’immensité de sa tâche. Vous avez précisé tout à l’heure, madame la garde des sceaux, qu’il aura la faculté, soit par contrat de droit privé, soit par détachement, de recruter des collaborateurs. J’en prends acte. Pour notre part, nous envisageons une autre solution. Dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, vous entendez rationaliser l’action de la justice avec une cour d’appel par région. Selon le même principe, nous proposons qu’il y ait un représentant identifié du Contrôleur dans chacune des vingt-deux régions.
En outre, il faut donner la plus grande liberté possible au Contrôleur et des moyens d’agir. Il n’est pas l’ennemi de l’administration pénitentiaire. Son rôle est, selon la finalité du projet que vous avez rappelée, de veiller à ce que la sanction, c’est-à-dire la privation de liberté, ne devienne en aucun cas atteinte à la dignité de la personne privée de liberté. Ce souci d’humanité n’est pas contradictoire avec l’exigence de sévérité.
L’examen de ce projet de loi doit être encouragé, d’autant que vous avez bien précisé qu’il constituait une première étape. Nous aurons l’occasion de débattre à nouveau de ces questions lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire, que vous comptez déposer au mois de novembre, ainsi que du projet de loi de finances pour 2008. La justice sera l’une des priorités du budget de la nation.
Voilà une étape décisive, qui est la concrétisation de recommandations faites par les parlementaires depuis dix ans ainsi que par les institutions internationales, en particulier le Conseil de l’Europe. Pour avoir été chargé par cet organisme de plusieurs rapports sur la situation dans les lieux privatifs de liberté, j’ai pu mesurer la nécessité d’un rempart contre l’arbitraire. Le rôle dévolu à un contrôleur indépendant doit lui permettre de gagner en crédibilité. À cet égard, je souhaiterais qu’il vienne chaque année devant le Parlement rendre compte de ses travaux. Nous devons lui donner les moyens de son action. C’est l’exigence d’humanité qui peut nous rassembler aujourd’hui : c’est à l’honneur du Gouvernement et c’est à l’honneur de votre action, madame la garde des sceaux, action que les députés du Nouveau Centre appuieront tout au long de cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
C’est un bon moment car la fenêtre ouverte, si je puis dire, par le Docteur Vasseur il y a presque dix ans ne s’est toujours pas refermée. Une succession de travaux gouvernementaux et une série de rapports parlementaires, tant à l’Assemblée qu’au Sénat, ont permis de faire prendre davantage conscience à nos concitoyens que derrière les murs, que nous sommes parfois contents de voir s’ériger entre les criminels et nous, peuvent se passer des choses qui nécessitent qu’on les regarde de plus près.
Sur ces questions, existe une certaine forme d’accord de principe, à défaut d’une unanimité. Si mes collègues de l’opposition me permettent cette remarque, le fait que ni exception d’irrecevabilité ni question préalable n’ait été déposée est significatif à cet égard, même si notre collègue Urvoas défendra tout à l’heure une motion de renvoi en commission.
C’est un bon moment car nous sommes dans une logique d’équilibre. Il est fait reproche à notre majorité d’avoir une trop grande propension à s’occuper des victimes et à charger les coupables ou ceux qui sont soupçonnés de l’être. Avec ce texte, madame la garde des sceaux, vous nous permettez de rétablir un équilibre entre le droit des victimes et l’impératif du respect de la dignité qui s’impose pour toute personne, qu’elle soit ou non privée de liberté.
Enfin, c’est un bon moment car, dans une assemblée parlementaire, c’est toujours le bon moment pour faire droit aux faibles. C’est le sens et la nature mêmes de la loi, si je peux me permettre ce rappel. La loi n’a de sens que si elle consiste à donner au faible des droits sur le fort.
Ce bon moment est conforté par les effets que nous attendons tous de ce texte : rassurer ceux qui œuvrent pour le respect des droits fondamentaux, protéger la réputation et le métier au quotidien de ceux qui sont chargés des personnes privées de liberté, enfin assurer l’information des citoyens sur ce qui se passe dans ces lieux.
C’est une bonne idée pour quatre raisons.
Premièrement, comme le disait à l’instant le rapporteur, il y a une attente des personnels qui travaillent dans les lieux de privation de liberté parce que, même si les choses ont été fortement améliorées depuis dix ans, il reste un fond de suspicion sur les conditions de traitement des personnes enfermées. Il est notre devoir de protéger les personnels chargés de la surveillance.
Deuxièmement, il est nécessaire d’ouvrir ces lieux vers l’ensemble du corps social. La création du contrôleur général des lieux de privation de liberté y contribue.
Troisièmement, le contrôle est une nécessité et une réalité. Même si les lieux de privation de liberté sont par nature violents, même si les règles qui s’y appliquent ne sont pas toujours d’une force juridique prééminente ou prégnante, il n’en demeure pas moins que la dignité de la personne reste une règle fondamentale. Nous devons nous assurer qu’elle est toujours et partout respectée.
Quatrièmement, le contrôleur général est investi d’une mission d’alerte par l’amendement sur la procédure d’urgence que la commission a adopté et que le rapporteur a évoqué tout à l’heure.
C’est un bon texte parce que les responsabilités du Contrôleur relèvent de missions précises qui sont confiées par le Président de la République, ce qui lui assure une légitimité et une indépendance parfaitement nécessaires. Le fait qu’il soit adoubé par les deux commissions parlementaires, sous une forme qu’il conviendra de préciser soit lors de nos débats, soit ultérieurement, renforce encore son poids démocratique.
Ce texte s’avère très utile pour tous les personnels qui sont en charge des lieux de privation de liberté, qu’il s’agisse des policiers, des gendarmes, des personnels de l’administration pénitentiaire, des hôpitaux psychiatriques ou des centres d’éducation fermés, bref tous les lieux de la République concernés.
Même si ce texte est bon, il n’en demeure pas moins que nombre de sujets, qui ont été évoqués tout à l’heure par le président de la commission et le rapporteur, restent en débat, comme l’injonction, le secret médical, les modalités de nomination et la coordination des différentes autorités de contrôle. Comme beaucoup d’entre nous, je me ferai sur ce dernier point le porte-parole des administrations concernées : il faut parvenir à coordonner les efforts des autorités de contrôle, de sorte que les personnes en charge de ces dossiers ne soient pas submergées par des demandes qui viendraient s’empiler les unes sur les autres et deviendraient ainsi totalement inefficaces. Le rapport Canivet insistait déjà sur cet impératif et des pistes de réflexion ont été ébauchées en commission. Même si je ne suis pas sûr que nous trouverons aujourd’hui la solution, cette volonté d’harmonisation et de cohérence entre les autorités de contrôle doit faire l’objet de toute notre attention et nous devons pouvoir rassurer les différentes administrations et les personnels sur ce sujet.
Si ces sujets font débat, c’est bien parce qu’il s’agit de conforter le Contrôleur général dans sa mission. Les commissions parlementaires se sont attachées à renforcer la portée des interpellations que le Contrôleur général doit prononcer, à préciser sa place dans les institutions de notre pays – cela nous ramène à la question de l’injonction – et à garantir la discrétion de ceux qui sont amenés à rencontrer le Contrôleur général mais aussi les suites qui seront réservées aux interventions du Contrôleur général.
C’est vrai, madame la garde des sceaux, nous sommes nombreux à attendre impatiemment la loi pénitentiaire dont nous débattrons dans quelques semaines. L’examen du présent texte nous permet d’aborder un certain nombre de problèmes en espérant qu’ils trouveront une solution d’ici là. C’est en tout cas le sens de certains des amendements qui vous sont proposés.
Enfin, je remercie le président de la commission des lois de l’hospitalité dont il a fait preuve à l’égard des membres des autres commissions.
Si le député Poisson peut remercier le rapporteur Goujon, ce n’est pas seulement en vertu d’une solidarité aquatique (Sourires)…
Mais si nous nous réjouissons qu’il vienne enfin en discussion, nous ne cédons pas pour autant à l’unanimisme. Si les prisons sont aujourd’hui dans une situation difficile, voire catastrophique, en état de faillite si je puis dire, ce n’est pas uniquement en raison d’investissements insuffisants, mais bien à cause d’une politique pénale qui, depuis plusieurs années, a contribué à accroître de façon significative la population carcérale. On ne peut pas, d’un côté, remplir les prisons et, de l’autre, s’étonner des conséquences qui en résultent. Du reste, nous avons eu l’occasion de vous faire part de nos inquiétudes sur l’état des prisons lors de l’examen du projet de loi sur les peines plancher. Je ne suis pas certain que le Contrôleur des prisons, en tout cas à court terme, pourra éviter les difficultés qui naîtront de son application.
Le présent projet de loi a été beaucoup amélioré au Sénat, tant par la majorité que par l’opposition, et nous devons nous en réjouir. À l’origine, il était quelque peu restrictif, tant au niveau des compétences du Contrôleur que sur son mode de nomination, puisqu’un simple décret était prévu. Tout cela a été revu et va plutôt dans le bon sens. J’espère cependant, madame la garde des sceaux, que l’Assemblée nationale aura un jour la primeur d’un texte sur la justice. Ce serait un signe de respect pour notre institution.
Cela dit, un certain nombre de points restent à préciser. M. Urvoas y reviendra largement en défendant la motion de renvoi en commission. L’absence de pouvoir d’injonction du Contrôleur général limitera, qu’on le veuille ou non, son pouvoir. D’ailleurs, on note que les autorités qui disposent d’un tel pouvoir ne l’utilisent pas dans la réalité, mais c’est une pression qui pèse et qui peut s’avérer tout à fait positive. Nous regrettons donc qu’aucune avancée n’ait eu lieu sur ce point, car cela met en cause le rôle de ce contrôleur. Vous comptez sur la publicité qui sera donnée à son rapport. Mais cela suffira-t-il ? On peut en douter.
Je pense qu’il était pertinent d’envisager de confier cette mission au médiateur de la République, au vu de la multiplication des autorités de contrôle de la situation carcérale : l’inspection générale pour ce qui concerne l’administration pénitentiaire, le Contrôleur des prisons, le Médiateur, qui est d’ores et déjà chargé d’une mission de médiation, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la HALDE. On peut se demander si on n’aboutira pas à une certaine confusion, à quelques difficultés pour l’administration carcérale à répondre à toutes ces autorités. Je reviendrai donc sur ce point en présentant un amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Un jugement aussi net, aussi sévère, aurait exigé des réponses plus promptes. Elles arrivent enfin, et nous pourrions nous en réjouir sans réserve. Pourtant, je suis contraint d’utiliser ici le conditionnel. La raison en est simple : malgré l’adoption par nos collègues sénateurs d’amendements de portée essentielle, des interrogations demeurent.
Certaines pourraient être levées dans le débat qui s’ouvre et qui permettra, peut-être, d’aboutir à des améliorations décisives. Cela dépendra de l’accueil que Mme la garde des sceaux et sa majorité voudront bien leur réserver. Cela répondra, du même coup, à une question dont la réponse ne peut pas être neutre de conséquence : est-ce la contrainte des obligations internationales de la France ou la volonté politique du Gouvernement qui a pesé le plus dans l’élaboration d’un projet de loi relatif au contrôle des lieux de privation de liberté ?
Madame la ministre, si l’indépendance de l’autorité de contrôle que vous proposez de mettre en place est une exigence, son efficacité dépendra de trois conditions essentielles. Je les rappelle ici sans les hiérarchiser, car elles sont toutes également indispensables pour que les objectifs que s’assigne le projet de loi se traduisent dans la réalité carcérale.
Il va de soi que l’autorité de la personne qui assumera la lourde charge de Contrôleur général sera une condition essentielle à l’exercice de ses missions. Une haute moralité, unanimement reconnue, assortie d’une expérience professionnelle avérée dans le domaine de la justice, du droit pénal, de l’administration pénitentiaire et policière, sera déterminante pour asseoir sa légitimité et son magistère moral. Sur ce point, nous ne saurions nous satisfaire d’engagements oraux ; la commission non plus puisqu’elle a déposé un amendement en ce sens. C’est dans la loi que ces exigences doivent être inscrites, comme elles le sont dans les Conventions internationales.
Mais, sans pouvoir, les compétences ne seront jamais un gage de résultat. J’ai cru comprendre, madame la ministre, que la culture du résultat dans l’action publique serait votre guide. Je ne comprendrais donc pas que vous n’alliez pas au bout de cette logique, par bonheur, suivie par nos collègues sénateurs. Le texte initial, reconnaissons-le, ne donnait pas grande crédibilité au dispositif que vous proposiez. Nous vous invitons donc à faire quelques pas encore dans la voie sur laquelle le Sénat vous a engagée en renonçant à invoquer, pour s’opposer aux visites du contrôleur, les motifs énoncés à l’article 6. Comment croire que la personne qui assumera cette haute fonction, que lui aura confiée le Président de la République, pourrait ne pas mesurer les conséquences de ses décisions, notamment savoir si ses initiatives pourraient mettre en danger quiconque ou si l’accès à toutes les informations qu’il jugerait utiles mettrait en péril l’intérêt supérieur de l’État ? De grâce, ne faites pas injure par anticipation aux capacités de discernement du futur Contrôleur général ! Votre obstination à limiter sa liberté d’action ne cacherait-elle pas des préoccupations que vous n’oseriez révéler à la représentation nationale ?...
Des compétences sans pouvoir ne seraient pas efficaces, mais pire encore serait le cas où les compétences et les pouvoirs resteraient sans moyens. Quels moyens seront donc alloués à cette haute autorité ? C’est la troisième et, à l’évidence, la plus déterminante des conditions.
Madame la garde des sceaux, si la loi de finances pour 2008 devait confirmer ce que vous avez annoncé, c’est-à-dire 2,5 millions d’euros de crédits et dix-huit collaborateurs, vous décrédibiliseriez entièrement la portée de votre projet de loi. Vous nous priveriez alors de la possibilité de soutenir une proposition que nous attendons pourtant depuis des années, et vous nous acculeriez à l’abstention. Cela signifierait également que votre seul objectif aurait été de mettre votre gouvernement à l’abri de la critique des institutions internationales, et votre seule ambition d’afficher, devant l’opinion publique, une intention louable, mais vouée à l’échec, faute de moyens pour la concrétiser.
Madame la ministre, j’apprécierais que vos réponses démentent mon propos en le réduisant, a posteriori, à un injuste procès d’intention. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Le texte qui nous est présenté ayant été largement amendé par le Sénat, il répond mieux désormais aux exigences internationales et se rapproche davantage des propositions de plusieurs institutions françaises, tout particulièrement du Médiateur de la République et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme dont les travaux eux-mêmes faisaient référence à d’autres contributions dans ce domaine. Je mentionnerai le célèbre rapport du commissaire européen aux droits de l’homme, Gil-Roblès, rendu le 15 février 2006 après sa mission en France du 5 au 21 septembre 2005. Je précise ces dates car, si certaines mesures ponctuelles qu’il préconisait ont été prises, force est de constater que, malheureusement, la situation décrite est encore, pour une grande part, d’actualité.
Certains mots sont très durs pour la France. Il décrit ainsi la prison des Baumettes à Marseille : « De ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n’ai vu un centre pire que celui-là. » Il poursuit, toujours dans son rapport : « Ainsi, j’ai été choqué par les conditions de vie observées à la Santé ou aux Baumettes. Ces établissements m’ont semblé particulièrement démunis. Le maintien de détenus en leur sein me paraît être à la limite de l’acceptable, et à la limite de la dignité humaine. » Plus loin encore : « La surpopulation empêche donc de mettre en pratique une véritable politique pénitentiaire, de séparer les prévenus des condamnés, les mineurs des adultes. Elle ne permet pas la mise en œuvre d’un traitement social, psychologique..., ni d’une action spécifique à la situation de chaque détenu. Cela a un effet totalement négatif sur le principe de réinsertion. Si on ne peut pas faire un travail dans ce sens, on touche à la sécurité future... »
Dans le monde entier et dans l’esprit de nos concitoyens, la France est la patrie des droits de l’homme ! Mais il faut se résoudre à l’évidence : nous donnons bien souvent des leçons aux autres, alors que nous devrions nous-mêmes les recevoir.
Lorsque la France a présenté sa candidature au Conseil des droits de l’homme au printemps 2006, elle s’était engagée à ratifier le Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture élaboré en 2002, qu’elle a signé le 16 septembre 2005. Ce Protocole a pour objectif « l’établissement d’un système de visites régulières effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants sur les lieux où se trouvent les personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture, et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
En effet, dans les pays démocratiques, où le lien social est fondé sur les droits de l’homme, il est indispensable de veiller à ce qu’ils soient respectés s’agissant des personnes les plus démunies ou les plus vulnérables. Les personnes privées de liberté, quelle qu’en soit la raison, ont droit au respect de leur dignité et de leur sécurité, comme tout être humain. J’irai même plus loin : comment rééduquer et tenter de réinsérer des personnes qui ont parfois tant de mal à se plier aux lois, à respecter les autres et à accepter le fonctionnement normal de notre société si, pendant qu’elles sont privées de liberté, leurs propres droits humains ne sont pas respectés ?
Je suis élue du département du Nord. Je passe au moins trois fois par semaine devant la prison de Loos, qui borde le périphérique de Lille, et, chaque fois, je pense à ces hommes entassés à trois ou quatre dans des cellules de dix mètres carrés. Certes, il y a maintenant la prison ultramoderne de Sequedin, mais Loos est toujours en usage !
La situation dont vous héritez, madame la ministre, est catastrophique. Dans le contexte budgétaire si difficile, les arbitrages en faveur de la rénovation et de l’humanisation des lieux privatifs de liberté ne seront pas faciles à obtenir. Cependant, je peux vous assurer de mon soutien car il y va de l’honneur de la France.
L’instauration du contrôleur des lieux privatifs de liberté sera pour vous un outil précieux, qui vous permettra d’obtenir chaque année une photographie exacte de la situation dans les prisons, mais aussi dans les autres lieux de détention, comme les hôpitaux psychiatriques, les centres éducatifs – fermés ou renforcés –, les centres de rétention des étrangers, et peut-être aussi ceux situés à l’extérieur du territoire national. De nombreux rapports ont déjà été rédigés à ce sujet, notamment par des ONG, mais ils n’ont pas la valeur officielle de celui du Contrôleur général.
Dans le texte qui nous est soumis, largement amendé par le Sénat, il ne reste à mon avis que quelques points à préciser, comme la situation des personnes détenues lors d’opérations militaires. Nos débats devraient nous donner l’occasion d’éclairer ce point.
Pour conclure, je vous redis ma satisfaction de voir enfin examiné ce texte dont nous attendons avec impatience l’application et je rappelle que beaucoup de pays, devenus récemment des démocraties, sont attentifs à la façon dont la France va mettre en place cette institution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je m’attacherai à trois expressions reprises par ce Protocole : « organismes nationaux indépendants », « prévenir la torture, les traitements cruels, inhumains et dégradants » et « lieux où se trouvent les personnes privées de liberté ».
De la combinaison des articles 1 et 6, il résulte que toutes les personnes privées de liberté, et tous les lieux où elles se trouvent peuvent être contrôlés. Conformément aux engagements internationaux, sont donc concernés les prisons, les centres de rétention, les zones d’attente, les établissements dépendant des forces de l’ordre et des forces armées, les lieux d’internement et les hôpitaux, les centres éducatifs fermés – qui abritent plusieurs centaines d’enfants et d’adolescents : M. Perben prévoyait la création de 600 places pour 2007 – et toute structure assimilable. C’est donc à juste titre que le Médiateur de la République avait estimé, dans un travail préparatoire au projet d’un contrôle général, que les lieux institutionnels concernés étaient au nombre de 6 000 à 8 000. Mme la garde des sceaux a parlé, quant à elle, de quelque 5 700 sites.
Je voudrais faire trois observations, qui sont autant de contre-propositions au texte gouvernemental.
Premièrement, il aurait fallu, dans l’article 6 qui concerne les personnes privées de liberté par décision d’une autorité publique, privilégier la formule du Protocole des Nations unies, qui précise : « sur l’ordre d’une autorité publique ou à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite ». Cette formulation engloberait les cas où la décision serait prise par une personne autre que l’autorité publique, mais avec le consentement explicite ou implicite de celle-ci. Les droits fondamentaux sont d’autant mieux garantis que les organismes destinés à leur sauvegarde s’adaptent mieux aux situations sans qu’il faille changer leurs statuts ou leurs missions. Pour paraphraser le Président de la République, il faut faire en sorte que les institutions interviennent et préviennent tôt.
Deuxièmement, le texte aurait pu, comme cela a été évoqué antérieurement, prévoir un collège de spécialistes entourant le Médiateur et dont les compétences professionnelles et les qualités reconnues auraient permis de prendre en compte la diversité des lieux d’enfermement. C’est d’ailleurs une idée qui va dans le sens de l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui s’est saisie du projet ! Elle estime que « compte tenu de la diversité des lieux privatifs de liberté et de la spécificité de chacun d’eux, il serait nécessaire de prévoir des organes spécialisés et des procédures adaptées pour certains d’entre eux ». Il est bon de rappeler que le candidat, devenu aujourd’hui Président de la République, s’est prononcé en faveur du renforcement des pouvoirs du Parlement, lequel devrait, selon lui, être associé à la désignation des autorités administratives. J’ajoute que, lors de l’allocution qu’il a prononcée lors de l’installation du Comité de rééquilibrage des institutions de la Ve République, au mois de juillet dernier, Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il était important, à ses yeux, que les pouvoirs du Président de la République s’exercent dans la transparence et qu’ils soient encadrés par de réels contre-pouvoirs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Troisièmement, il faut s’attacher aux moyens. Eu égard à la diversité et au nombre de lieux concernés, cette question se pose aussi bien en termes de qualité que de quantité. Des compétentes suffisantes doivent être mises à la disposition de celui ou de celle qui aura cette lourde et précieuse mission. Il semble donc important de réfléchir aux moyens du contrôleur, qu’il s’agisse de ses prérogatives, du personnel sous sa responsabilité, ou de ses moyens matériels.
Pour conclure, si l’on veut que ce projet soit une véritable réussite, il faut que le mandat confié au contrôleur soit aussi complet que possible, de sorte que tous les lieux, toutes les personnes privées de leur liberté, puissent être visités à tout moment. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la gauche démocrate et républicaine, ainsi que sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Ce projet de loi permet à la France de respecter les textes européens et ses engagements internationaux. Adoptées en janvier 2006, les règles pénitentiaires européennes prévoient en effet un contrôle indépendant des conditions de détention, tandis que le Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture, signé par la France en septembre 2005, commande d’instituer un système d’inspection régulière des lieux de détention.
Au-delà de cette mise en conformité législative, devenue urgente, l’enjeu est de savoir si l’instauration d’un Contrôleur général des lieux de privation de liberté contribuera à améliorer les conditions de détention, particulièrement dégradées dans les prisons françaises.
Les modalités de nomination de ce Contrôleur, qui demandent à être encore affinées, les pouvoirs qui lui seront reconnus, notamment en matière d’accès aux établissements, et, bien sûr, les moyens humains et budgétaires qui lui seront attribués nous éclaireront sur l’importance réelle que le Gouvernement entend donner à cette autorité. Plus largement, le texte adopté nous donnera des indications sur les intentions gouvernementales en matière pénitentiaire. Il constitue, en effet, la première étape d’un processus qui doit conduire à une grande loi pénitentiaire, très attendue elle aussi.
S’il est nécessaire de les contrôler, il est indispensable de transformer les établissements pénitentiaires, de manière qu’ils cessent d’être des bouillons de culture de la récidive et deviennent de véritables lieux de réinsertion.
Or si les prisons françaises sont, comme on le dit, les pires d’Europe, celles de la Réunion sont les pires de France ! Après la venue sur place d’une délégation parlementaire en 1999, une commission d’enquête sur les prisons a été créée à l’Assemblée nationale. Au début de son rapport, on peut lire, à propos de la maison d’arrêt de Saint-Denis de la Réunion : « L’état lamentable de cet établissement, une honte pour la République, comme a cru devoir le qualifier un des membres de la délégation, a permis d’entamer une nécessaire réflexion sur le système pénitentiaire français. »
Il est à craindre que ce terrible constat soit toujours d’actualité. Au cours des dernières semaines, deux syndicats de surveillants de prison ont alerté les médias et le Gouvernement sur la surpopulation carcérale et les conditions de détention dans les prisons réunionnaises, et un courrier vous a, madame la garde des sceaux, été adressé. De manière plus inattendue, le directeur de la prison Juliette-Dodu de Saint-Denis aurait lui-même dénoncé les conditions indignes de détention dans son établissement : 326 personnes s’y entassent alors que cette prison ne compte que 123 places.
En 2005, le Comité européen pour la prévention de la torture avait rédigé un rapport sur les conséquences de la situation des prisons à la Réunion. Ce texte déplorait les conditions de vie dégradées et dégradantes des détenus, en même temps qu’il soulignait « le dévouement et le professionnalisme du personnel de surveillance ». Il insistait sur la fréquence et la gravité des violences entre codétenus et stigmatisait une prise en charge sanitaire déficiente : présence médicale insuffisante, vétusté des locaux de consultation et d’hospitalisation. Dans ces conditions, la réinsertion relève du miracle et la privation de liberté constitue une atteinte à la dignité humaine.
Exerçant mes prérogatives de parlementaire, je visite régulièrement les prisons réunionnaises, sans jamais manquer d’alerter le ministère de la justice sur la gravité de la situation. Il faut savoir, par exemple, que les trente cellules de quinze mètres carrés de Juliette-Dodu accueillent parfois jusqu’à quinze détenus ; certains n’ont pas de matelas et dorment à même le sol !
Un nouvel établissement serait prévu sur le site de Domenjod. Pouvez-vous, madame la ministre, nous en confirmer officiellement l’ouverture en 2008 ? Qu’est-il prévu pour la maison d’arrêt de Saint-Pierre, installée dans un bâtiment vétuste et qui connaît, elle aussi, un taux d’occupation de près de 300 % ? Qu’est-il prévu pour le centre pénitentiaire du Port, qui, quoiqu’installé dans un bâtiment plus récent, connaît des difficultés comparables, avec, au mépris des règles européennes, un taux d’occupation de 220 % dans le quartier des mineurs ?
Face à une situation aussi grave et dangereuse pour la sécurité du personnel et des détenus, je souhaite que les prisons de la Réunion reçoivent en priorité la visite du futur Contrôleur général, et que le comité d’orientation restreint que vous avez installé pour l’élaboration de la future loi pénitentiaire leur accorde une attention particulière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Les lieux de privation de liberté font déjà l’objet de nombreux contrôles. J’en ai inventorié plus d’une vingtaine, de la part de corps d’inspection de l’administration, de magistrats, d’élus, d’associations habilitées, et même d’organes internationaux. Dès lors, pourquoi créer une autorité indépendante chargée de cette tâche ? Il ne s’agit pas seulement de respecter nos engagements internationaux : tous ces organes ont leurs limites, qui tiennent à leur sectorisation excessive et à une organisation administrative inadaptée. En revanche, l’autorité administrative indépendante de contrôle portera un regard général, complémentaire, indépendant et, surtout, extérieur sur la cohérence de l’ensemble du système.
Une telle cohérence garantit, à mes yeux, le respect des droits fondamentaux des personnes privées de leur liberté, qui est une exigence première de la démocratie et un critère d’évaluation de l’état d’avancement de notre société. C’est donc un pas extrêmement important qui est aujourd’hui franchi, dans la mesure où ce texte intègre l’ensemble de la notion de privation de liberté.
Sur le plan pénal, la création de l’autorité indépendante relance le débat sur le sens de la peine, dont nous aurons à débattre à l’occasion de la loi pénitentiaire qui nous a été annoncée par Mme la garde des sceaux. Faut-il considérer la privation de liberté exclusivement comme une sanction ou, aussi, comme un moyen de réadapter et de réhabiliter le détenu en vue de sa réinsertion sociale ? Il appartiendra au Parlement d’indiquer sans ambiguïté son choix ; à mes yeux, on ne saurait se limiter à une conception purement répressive.
L’autorité indépendante aura aussi à se préoccuper des personnes retenues dans des lieux où elles sont privées de liberté du fait de leur vulnérabilité. À cet égard, l’extension de son champ de contrôle aux hôpitaux psychiatriques et lieux assimilés constitue une avancée remarquable.
La mission de l’autorité est ambitieuse : contrôler le bon respect des droits fondamentaux en milieu fermé. Selon l’étude de la Commission nationale consultative des droits de l’homme de mars 2004, ces droits sont extrêmement larges, puisqu’ils incluent la protection de l’intégrité physique et psychique, le respect de la vie privée et familiale, le droit à l’enseignement et à la formation, l’application du droit du travail, la reconnaissance des droits collectifs, le respect des principes du droit pénal et le droit au respect et à la dignité. Vouloir dresser la liste exhaustive des droits fondamentaux serait hasardeux, voire impossible. Aussi convient-il de saluer la définition très large de la mission du Contrôleur que donne l’article 1er du projet de loi, car elle lui permettra de s’adapter à un contexte sociétal en constante évolution.
Au moment de la création d’une nouvelle autorité indépendante, se pose bien entendu la question des modalités de son contrôle et des moyens qui lui seront alloués. Indépendance d’action, transparence des recommandations et avis formulés constituent à mes yeux une première garantie d’efficacité. Peut-être ces dispositions seront-elles à affiner et à améliorer dans la pratique, notamment en matière de suivi ; à ce stade néanmoins, la mise en place d’un contrôle indépendant suivant des modalités adaptées à la situation actuelle est déjà un pas extrêmement important. En la matière, le mieux peut être l’ennemi du bien.
Alors, assumons pleinement cette première étape, et faisons confiance à celles et ceux qui seront en charge de cette mission. À ce sujet, je voudrais relever que l’autorité indépendante pourra être saisie, entre autres, par le Parlement – c’est-à-dire nous tous, mes chers collègues. Combien de fois, au cours de nos permanences, avons-nous été informés de dysfonctionnements ou de situations inacceptables ? Avec la possibilité de saisir le Contrôleur général, nous disposerons d’un outil supplémentaire pour faire respecter les droits démocratiques de nos concitoyens. Après avoir créé l’autorité indépendante en votant ce texte, il nous reviendra de contribuer à la faire vivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Approbation tout d’abord quant à l’étendue du contrôle. Y inclure, au-delà des établissements pénitentiaires, les locaux de garde à vue et les lieux d’hospitalisation est une innovation importante et bienvenue, sachant que plus de 300 000 personnes, je crois, sont placées chaque année en garde à vue et que plusieurs dizaines de milliers font l’objet d’une décision d’hospitalisation sous contrainte. On comprend d’autant plus mal qu’on ne soit pas allé jusqu’au bout de cette logique et que se trouvent exclus du contrôle les lieux de détention gérés par les forces armées françaises dans le cadre des opérations militaires extérieures : chacun sait que la guerre n’est ni le meilleur moment ni le meilleur lieu pour faire respecter les droits de l’homme.
Approbation également quant au caractère inopiné des contrôles, qui en assurera l’efficacité maximale. L’article 6 ne laisse cependant pas d’inquiéter, dans la mesure où il prévoit de nombreuses et importantes restrictions qui, prises au pied de la lettre, permettront, en pratique, de s’opposer au travail du Contrôleur. Il faudra voir ce qu’il en sera dans les faits.
Approbation enfin quant à l’esprit qui a présidé aux discussions sur la nomination du contrôleur. Nombreux ont été les amendements portant sur le rôle du Parlement comme sur les compétences de celui ou de celle qui sera nommé Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Un des orateurs précédents a évoqué la cérémonie médiévale de l’adoubement. C’est dire l’importance qui est accordée à la personnalité du futur contrôleur ou de la future contrôleuse : cet homme ou cette femme devra être à même de prendre en charge des questions concrètes, relatives notamment, en garde à vue, aux couvertures ou à la saleté des douches et des cellules de dégrisement, qui sont des lieux très difficiles à garder propres, sans oublier celle des violences infligées par des détenus à d’autres détenus, plus fragiles, je pense en particulier à ceux qui sont coupables ou prévenus d’agressions sexuelles. Il s’agit, je le répète, de questions difficiles qui n’ont pas trouvé à ce jour de réponse.
C’est dire l’importance qu’il y aura à nommer une personne dont on ne saurait contester le choix. J’espère, madame la garde des sceaux, que vous saurez ne céder à aucune tentation médiatique, d’autant que vous aurez quelque pouvoir en la matière. Je le répète : la personne qui sera nommée devra faire l’objet d’un consensus et savoir, avec le doigté nécessaire, faire usage de la publicité tout en se montrant proche des établissements qu’elle contrôlera.
Je tiens pour finir à rappeler que la loi est une chose, son application en est une autre. Nous reviendrons dans cet hémicycle sur les travaux du contrôleur et peut-être le consensus qui prévaut aujourd’hui ne sera-t-il plus tout à fait le même lorsque nous aborderons la question de la surpopulation carcérale ou celle du traitement général de la délinquance. Je souhaite toutefois que nous gardions le ton apaisé, qui est aujourd’hui le nôtre, lorsque nous examinerons ces questions sur lesquelles il existe entre nous des divergences. Nous gagnerons à désidéologiser la question de la délinquance en débattant de celle-ci de façon plus appropriée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Ce projet de loi montre clairement la volonté de la France de s’engager pleinement dans un contrôle indépendant, effectif et efficace, non seulement des établissements pénitentiaires, mais de l’ensemble des lieux de détention, quelle qu’en soit la nature – centres hospitaliers spécialisés, dépôts des palais de justice, centres de rétention administrative ou toutes les cellules des gendarmeries et des commissariats.
Le Contrôleur général devra effectuer des visites inopinées, en tout cas lorsque des circonstances particulières l’exigeront. Ne recevant, dans l’exercice de ses attributions, d’instruction d’aucune autorité, c’est à lui que reviendra d’apprécier ces circonstances : il faut qu’il ait un statut véritablement renforcé.
Plusieurs orateurs ont évoqué avant moi la question de la surpopulation carcérale : celle-ci demeure en dépit des efforts importants et louables consentis ces dernières années par la chancellerie en matière de constructions. Toutefois, selon l’administration pénitentiaire, près de 61 000 détenus peuplent aujourd’hui les 188 établissements français, dont la capacité d’accueil totale est de 51 000 places – 10 000 détenus sont venus grossir la population carcérale ces cinq dernières années. Or, toujours selon l’administration pénitentiaire, 80 000 personnes pourraient être détenues en 2017 pour une capacité évaluée à 64 000 places.
Ces chiffres sont inquiétants, comme le révèlent les effectifs des prisons de Metz-Queuleu et de Sarreguemines. Présentez-nous vite, madame la garde des sceaux, une loi de programmation des prisons !
Mais, s’il faut assurément poursuivre ces efforts pour améliorer le parc immobilier pénitentiaire français, il convient également d’aller plus loin, parce qu’il est temps, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, de porter un regard nouveau sur la prison, de transcrire dans notre droit les réglementations pénitentiaires européennes, d’accorder toute sa place aux impératifs d’insertion et de réinsertion à la sortie de prison et d’assurer un meilleur respect des droits fondamentaux des personnes détenues : la mise en œuvre d’une profonde réforme du système carcéral est aussi urgente que nécessaire.
Pour reprendre vos propos, madame la garde des sceaux, ce qui est en jeu, ce sont d’une part la sécurité des Français, d’autre part la réinsertion des détenus. C’est l’affaire de tous. La fermeté n’exclut pas l’humanité. Veillons donc à protéger la société et à ne pas laisser s’installer le sentiment d’impunité – il convient pour cela de prévenir, d’éduquer et de sanctionner –, mais sachons aussi favoriser la réinsertion des personnes les plus vulnérables. Telle sera la tâche du Contrôleur général, qui aura un libre accès à tous les lieux de privation de liberté sur le territoire de la République. Il pourra, par ses visites inopinées, contribuer à une véritable politique de prévention.
Je soutiendrai votre projet de loi, madame la garde des sceaux, parce que, comme vous venez de le montrer avec brio, il est efficace, transparent et concret. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je n’étais pas encore née, mes chers collègues, que déjà des associations, des avocats, des hommes et des femmes politiques s’engageaient en faveur de l’amélioration des conditions de détention et se mobilisaient pour le retour de la dignité humaine aussi bien derrière les barreaux des prisons que derrière les murs des hôpitaux psychiatriques.
Mais force est de constater que, depuis, la situation dans ces établissements n’a cessé de se dégrader – elle est, du reste, régulièrement dénoncée. On ne compte plus les rapports qui dressent tous le même constat accablant. L’un des derniers en date est celui du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui, en 2006, plaçait la situation de nos prisons au premier rang des atteintes aux droits de l’homme en France. Il rejoignait ainsi les conclusions des sénateurs Hyest et Cabanel, qui, en 2000, avaient rédigé un rapport au titre éloquent : « Prisons : une humiliation pour la République ».
Madame le garde des sceaux, combien de temps encore allons-nous faire l’économie d’une grande loi pénitentiaire accompagnée de l’ambition et des moyens nécessaires ? Un projet de loi est annoncé pour bientôt : pourquoi alors ne pas y avoir inclus le contrôle indépendant des lieux de privation de liberté ?
Vous appartenez à une majorité qui, depuis plus de cinq ans, trouve toujours du temps pour faire voter des lois sur la récidive et la délinquance qui accroissent inexorablement la surpopulation carcérale, mais vous n’en avez jamais pour présenter devant le Parlement la grande loi pénitentiaire attendue depuis des années sur tous les bancs de cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
L’instauration nécessaire d’un Contrôleur général des lieux de privation de liberté sera un outil supplémentaire nous permettant de mieux connaître encore la triste réalité de nos prisons, de nos centres de rétention ou de nos hôpitaux psychiatriques. Mais la mission d’alerte du contrôleur ne suffira pas à changer en profondeur la situation, a fortiori s’il ne dispose pas d’un pouvoir d’injonction. C’est pourquoi, dans l’attente d’une loi globale sur l’enfermement dans notre pays, nous pouvons nous interroger sur les conditions d’efficacité de ce contrôle et chercher comment en améliorer le dispositif.
En premier lieu, si l’indépendance du Contrôleur général semble assurée par son statut d’autorité administrative indépendante, il reste à renforcer son autorité véritable en encadrant davantage sa nomination. Des amendements aussi bien de notre commission que du groupe SRC vont dans ce sens.
Deuxièmement, au-delà de son autorité morale et de ses qualités personnelles irréprochables, le contrôleur devra bénéficier de pouvoirs larges et étendus. C’est ainsi qu’il devra disposer du pouvoir de se rendre quand il le souhaitera dans les établissements de son choix, de même qu’il devra pouvoir s’entretenir avec toute personne susceptible de l’éclairer et avoir accès à tous les documents qu’il jugera utiles de consulter. C’est pourquoi je suis opposée aux trop nombreuses formes de restriction contenues dans le texte. Le Contrôleur et ses collaborateurs devront évidemment être soumis au secret professionnel, comme le prévoit du reste l’article 4 : dès lors l’accès au secret médical serait très utile pour renforcer l’efficacité du contrôle. Ne serait-il pas possible de l’autoriser dans des cas bien précis, la notion de « secret partagé » offrant des garanties en la matière ?
Le projet de loi prévoit un contrôle trop restreint, en deçà de ce qui serait nécessaire. Il manque d’ambition, mais, pire encore, il témoigne d’une très grande méfiance à l’égard de la future institution. C’est pourquoi j’ose espérer que notre assemblée adoptera certains amendements de suppression. De même, en matière de saisine du Contrôleur général, c’est bien le droit d’amendement des parlementaires qui peut permettre son élargissement. Les sénateurs ont fort utilement ouvert la saisine du Contrôleur aux autres autorités indépendantes : il nous reste, mes chers collègues, à offrir au contrôleur la possibilité réciproque de saisir ces mêmes institutions.
En troisième lieu, après la question de l’indépendance et celle des pouvoirs du Contrôleur, demeure celles des moyens dont il disposera et de la suite qui sera donnée à ses contrôles. Il est indispensable qu’il dispose, dès son installation, des crédits adaptés lui permettant de recruter un nombre suffisant de contrôleurs pour visiter, chaque année, les 6 000 lieux relevant de sa compétence.
Enfin, comment faire en sorte que le travail du Contrôleur aboutisse à de véritables améliorations ? En rendant tout d’abord automatique la publicité de ses avis et de ses propositions. À cette fin, les parlementaires doivent pouvoir, au même titre que le Gouvernement, servir de relais aux recommandations du Contrôleur afin de les traduire dans la loi.
Toutefois, la publicité suffira-t-elle ? Non, c’est la raison pour laquelle il est nécessaire de doter le contrôleur d’un véritable pouvoir d’injonction pour les atteintes les plus graves aux droits de l’homme, faute de quoi son rôle serait amoindri. Car le risque est grand de voir le Contrôleur général rejoindre ces nombreuses autorités administratives indépendantes dont on se demande parfois à quoi elles servent.
Puisque ce risque est grand, le doute est permis. Madame le garde des sceaux, existe-t-il de la part du Gouvernement une réelle volonté politique d’instaurer un contrôle des lieux de privation de liberté ? N’est-ce pas plutôt le besoin formel de satisfaire à une exigence internationale qui nous réunit aujourd’hui ?
Madame la garde des sceaux, le temps est venu de s’interroger sur la place de l’enfermement dans notre société, afin de changer la prison française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Nous ne pouvons qu’approuver le principe qui fonde ce projet de loi. Toutefois, il résiste mal à l’étude détaillée du texte. En effet, comme Sylvia Pinel vient de le rappeler, le contrôleur ne disposera pas des moyens nécessaires à son action. De plus, son rôle, dont on ne mesure pas bien l’étendue, s’articule mal avec celui des instances de contrôle déjà existantes et nous ignorons toujours quels seront les lieux de privation de liberté concernés.
Alvaro Gil-Roblès, commissaire européen aux droits de l’homme, ne s’y est pas trompé lorsqu’il constatait en février dernier, à propos des conditions de détention, le décalage existant entre « le discours de la France, les bonnes volontés qu’elle affiche et sa pratique ». Malheureusement, depuis le début de l’après-midi, la discussion du projet de loi nous a offert de trop nombreux exemples de la persistance d’un tel décalage.
En ce qui concerne les seules prisons, qui ne constitueront, je le sais, qu’une partie des lieux à contrôler, les constats que cette nouvelle autorité administrative indépendante dressera sont connus depuis plusieurs années. À quoi sert de contrôler si on n’agit pas ou, pire, si on contribue par des promesses électorales inconséquentes à alourdir le constat ?
L’état des prisons – que vous n’avez pas abordé – et leur surpopulation sont les deux problèmes majeurs qui appellent aujourd’hui une solution. Ce n’est pas moi qui ai qualifié les prisons françaises de « geôles de la République du XXIe siècle ». Quant à la surpopulation carcérale, force est de constater que l’augmentation du nombre des détenus n’est pas tant due à l’augmentation de la délinquance qu’à un « véritable hymne à la prison » – l’expression est du vice-président du tribunal de grande instance de Paris, M. Portelli. Votre récente loi sur la récidive ne fera malheureusement qu’aggraver la situation.
En juillet dernier, j’ai, de nouveau, exercé le droit de visite que le gouvernement Jospin a ouvert aux parlementaires en 2001 : je suis allée à la maison d’arrêt de Caen.
Si les conditions de travail de certains personnels se sont légèrement améliorées – je pense aux personnels de cuisine –, ce n’est en revanche en rien le cas des détenus. On sait bien, en effet, que le travail des surveillants est rendu d’autant plus difficile que les droits minimums des détenus ne sont pas respectés.
À la maison d’arrêt de Caen, dont on parle beaucoup ces jours-ci, s’« entassent », dans le quartier des hommes, pas moins de 390 détenus pour 230 places, soit un taux d’occupation de 170 %. Dans le même ordre d’idées, vous évoquiez, madame Hostalier, la maison d’arrêt de Loos, dont je crois savoir qu’elle devait être fermée ; reste qu’avec une surpopulation générale de plus de 150 %, elle est toujours ouverte. Qui en est responsable sinon la politique pénale que vous défendez ?
Nous devons utiliser, nous, parlementaires, notre droit de visite inopiné. Mais vous, madame la ministre, ne donnez donc pas au Contrôleur général moins de droits et de pouvoirs que nous n’en avons nous-mêmes !
Il est temps, chers collègues, de prendre nos responsabilités et de traiter dignement les détenus de ce pays. Les conditions de détention dans nos prisons y sont inacceptables. Nous le savons tous. En 2003, le Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe évoquait « un traitement inhumain et dégradant » des détenus en France. En 2006, l’Observatoire international des prisons publiait les résultats d’un questionnaire dressant un tableau alarmant.
Vous-même, madame la ministre, vous avez cité la fameuse phrase de Camus selon lequel « la société se juge à l’état de ses prisons ». Dès lors, le présent texte perd en partie de son sens si n’est pas élaborée au préalable une véritable loi pénitentiaire. En effet, comme le notait très justement le rapport Canivet, cité par nous tous : « Un contrôle extérieur ne pourra pallier les carences du droit et de son application. » Marylise Lebranchu, un de vos prédécesseurs, avait réalisé un travail considérable sur le sujet. Si les élections de 2002 ne lui ont pas donné le temps de soumettre son texte au Parlement,…
Saurons-nous toutefois saisir l’opportunité de ce texte pour ouvrir un véritable débat entre nous sur le sens de la peine, dont tout découle ? Pour ma part – je conclus –, la peine ne doit constituer que la privation de liberté, jamais la négation de la dignité de la personne humaine, contrairement à ce qui, vous en conviendrez, est la situation qui prévaut dans la quasi-totalité des prisons françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Vous avez souligné quant à vous, monsieur Poisson, l’importance d’une coordination des instruments de contrôle. J’en suis bien d’accord. L’action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et celle des autorités administratives indépendantes doivent être cohérentes. Il s’agit de protéger les personnes privées de liberté. Le Gouvernement donnera donc un avis favorable, comme au Sénat, aux amendements renforçant la coordination du Contrôleur avec les autres autorités indépendantes.
M. Caresche a évoqué, pour sa part, la nécessité de doter le Contrôleur général d’un pouvoir d’injonction. Lorsque nous sommes allés au Royaume-Uni avec Philippe Goujon, l’Inspectrice en chef des prisons nous a dit que ce serait une erreur. D’abord, le Contrôleur doit convaincre et non ordonner. Il faut en effet susciter une relation de confiance entre tous les acteurs et non engager des rapports de force pouvant se muer en réactions hostiles. Ensuite, l’octroi d’un pouvoir d’injonction aux contrôleurs se heurterait à celui dont les juges disposent déjà.
Monsieur Vaxès, vous nous interrogez pour votre part sur les moyens mis à la disposition du contrôleur général. Il s’agit d’une question essentielle. Le budget prévisionnel s’élève aujourd’hui à 2,5 millions d’euros. Cette somme permettra au Contrôleur général de recruter une vingtaine de contrôleurs à plein temps. Rien, toutefois, ne l’empêchera d’utiliser les compétences de magistrats, de médecins ou d’autres personnels qui lui apporteront une expertise tout en demeurant indépendants. Les décrets d’application de la loi préciseront expressément ces possibilités. Dans cette hypothèse, le Contrôleur général pourra bénéficier, au total, du concours d’une quarantaine de contrôleurs. S’agissant du montant des crédits accordés, ils évolueront avec le temps. Il convient d’abord de nommer le Contrôleur général, puis d’évaluer sa mission.
Madame Hostalier, je partage votre souci de défendre, grâce à ce texte, la dignité des personnes vulnérables où qu’elles se trouvent. Vous avez évoqué la situation de la maison d’arrêt de Loos. Je souhaite vous préciser qu’un programme de rénovation de 2,5 millions d’euros est engagé, dont 320 000 euros pour la seule mise aux normes du quartier dit « disciplinaire ».
Mme Karamanli a évoqué la nécessité de mettre en place une autorité de contrôle pour chaque type de lieu privatif de liberté. Aucune autorité administrative indépendante ne contrôle l’ensemble des lieux de privation de liberté. Or les problèmes que l’on peut rencontrer dans ces lieux nécessitent l’intervention d’une autorité spécifique. C’est d’ailleurs une exigence posée par le Protocole facultatif à la Convention des Nations unies. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre en place une autorité unique pour tous les lieux de privation de liberté.
Vous avez évoqué, madame Bello, la situation dramatique des prisons. Sachez que le Gouvernement a entrepris une action résolue contre la surpopulation carcérale. Les efforts consentis par les précédents gouvernements depuis 2002 sur le plan immobilier restent sans précédent. Je les poursuivrai puisque nous obtiendrons une capacité de 63 000 places d’ici à 2012. À la Réunion, 574 places nouvelles seront créées l’année prochaine. Nous fermerons la maison d’arrêt de Saint-Denis et nous lancerons la rénovation du centre pénitentiaire du Port. Il s’agit d’engagements que nous avons contractés dès notre arrivée au pouvoir.
Je remercie M. Blessig d’avoir relevé la nécessité d’inscrire les hôpitaux psychiatriques dans le champ de compétences du Contrôleur général. Le Protocole facultatif des Nations unies, que nous entendons ratifier, n’établit pas de distinction entre les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté et les hôpitaux psychiatriques accueillant des personnes hospitalisées sous contrainte soit d’office, soit à la demande d’un tiers. Il est important qu’on puisse respecter les droits fondamentaux de ces personnes. Il n’y a donc aucune raison de les exclure du champ de compétence du Contrôleur général.
Je m’accorde avec M. Raimbourg sur l’indispensable légitimité que doivent conférer au Contrôleur général sa personnalité et sa compétence. Le texte prévoit toutes ces garanties.
De même, je suis totalement d’accord avec M. Wojciechowski sur la nécessaire réinsertion des détenus. C’est une priorité du Gouvernement. D’ailleurs, dès le 27 juin dernier, j’ai pris un engagement qui commence à porter ses fruits : le taux d’aménagement des peines atteint aujourd’hui près de 45 % et nous allons continuer d’œuvrer en ce sens.
Je souhaite ensuite rassurer Mme Pinel : la grande loi pénitentiaire que nous appelons tous de nos vœux sera soumise au Parlement en novembre prochain et abordera bien les grands principes tels que le sens de la peine, le respect de la dignité.
Vous avez évoqué, madame Dumont, la surpopulation carcérale. Comme je viens de le dire, le Gouvernement mène une politique active d’aménagement des peines. Ainsi, je vous rappelle que, depuis le 1er septembre, le taux d’aménagement des peines s’élève à plus de 43,7 % – taux sans précédent depuis de nombreuses années. À titre d’exemple, au 1er septembre 2007, 2 075 personnes sont munies d’un bracelet électronique, soit une hausse de 75 % en un an. Nous irons toutefois plus loin encore, en étendant notamment le champ d’application du bracelet électronique mobile. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.
Sur la forme, le Gouvernement propose la création d’une énième autorité administrative indépendante, cet « objet juridique non identifié », pour rependre le titre du rapport établit en 2006 par l’Office parlementaire d’évaluation de la législation. Une nouvelle autorité alors que les juristes n’arrivent déjà pas à se mettre d’accord pour établir une liste précise de celles qui existent déjà…
En sus, à nos yeux, ces autorités administratives posent un épineux problème, qui s’apparente même à une contradiction majeure : comment une autorité administrative pourrait-elle être réellement indépendante alors que la Constitution place l’administration sous le contrôle hiérarchique du Gouvernement ?
Pourtant, il s’en crée environ une par an, sous diverses appellations, ce qui vient encore compliquer les choses : autorité indépendante, autorité administrative indépendante, autorité publique indépendante... Reste qu’elles ont ceci de commun que le Parlement les dote de pouvoirs parfois importants sans avoir pour autant les moyens d’exercer sur elles un contrôle efficace.
Nous pourrions, en outre, nous demander si la multiplication inconsidérée de tels « démembrements de l’État » ne risque pas, à terme, de discréditer ce dernier. La question se pose alors, inévitablement, de savoir s’il est bien raisonnable de proposer d’en créer une nouvelle.
En l’espèce, notre collègue Christophe Caresche a souligné à juste titre que le Médiateur de la République pourrait parfaitement se voir confier les missions que le projet propose d’attribuer au Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous aurions ainsi témoigné de notre volonté de ne pas contribuer inutilement à l’empilement des structures administratives, et autorisé une économie de moyens non négligeable, compte tenu des dépenses que ne manquera pas d’occasionner la mise à disposition de locaux à la nouvelle instance.
On nous rétorquera qu’il convient de distinguer les fonctions de contrôle et celles de médiation. Paru en 2000, le rapport – très cité – de Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, préconisait pourtant leur cohabitation au sein d’un même organisme, qui aurait compris tout à la fois un « contrôle général des prisons » indépendant et un corps de « médiateurs des prisons » organisé à l’échelle des régions pénitentiaires. C’est d’ailleurs bien dans cette perspective qu’en octobre 2006 votre prédécesseur, madame la ministre, avait annoncé la décision de confier le contrôle extérieur et indépendant des prisons au Médiateur de la République.
Il était prévu que cette mission serait totalement distincte de l’activité de médiation confiée aux délégués du Médiateur dans les prisons et qu’elle nécessiterait la mise en place d’un corps spécifique de collaborateurs. M. Delevoye a d’ailleurs réalisé un travail considérable sur la question des lieux privatifs de liberté, rencontrant nombre de personnalités, étudiant à la loupe les dispositifs mis en œuvre à l’étranger. Or, de son importante étude publiée cette année, il ressort notamment que, dans nombre de pays, la fonction de contrôle relève bien du champ de compétences du Médiateur.
Peut-être d’ailleurs eût-il été possible de procéder de manière encore plus simple. Comme on l’a longuement répété, les prisons – pour se limiter à elles – font d’ores et déjà l’objet de multiples contrôles de la part des magistrats, de la commission de surveillance, de l’inspection des services pénitentiaires, des députés et des sénateurs, auxquels on peut ajouter le Médiateur de la République, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ou encore le Défenseur des enfants.
Chacun s’accorde à reconnaître que l’action de ces diverses structures reste trop souvent ponctuelle et leur impact réel limité. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, plutôt que de proposer la création d’une nouvelle structure, aurait pu s’appliquer à renforcer la coordination de ces différents instruments de contrôle, en quête d’une efficacité accrue. Elles ne manquent en effet ni de compétence, ni d’expérience, ni de bonne volonté – seulement d’un cadre cohérent et rationalisé leur permettant de susciter des synergies prometteuses.
Autre critique de forme sur votre projet, madame la ministre : nous regrettons que vous n’ayez pas cru devoir saisir, pour avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, en dépit du courrier qu’elle vous avait adressé le 16 avril dernier. Sans réponse de votre part, elle a donc été contrainte de publier un avis seulement le 14 juin, après avoir pris connaissance des premiers éléments rendus publics sur le projet après son passage devant le conseil des ministres. Le 19 juillet dernier, le Gouvernement n’ayant toujours pas répondu à sa demande de rencontre, elle a réitéré ses vœux avant d’être entendue par les commissions des deux Assemblées.
J’en viens aux critiques sur le fond, qui mériteraient donc que nous puissions en débattre à nouveau en commission.
Certes, tous reconnaissent, ce qui est une satisfaction, la nécessité d’un contrôle extérieur des lieux de privation de liberté. Le temps n’est plus où l’un de vos prédécesseurs – qui d’ailleurs siège maintenant sur ces bancs – se disait « réservé » sur cette question, tant « la définition » de la fonction de Contrôleur général lui « semblait floue ». Malheureusement, le Gouvernement estime visiblement avoir fait l’essentiel en proposant de créer la structure. Il ne s’agit pourtant là que d’un projet minimaliste qui pourrait utilement être enrichi, à condition, madame la ministre, que vous acceptiez d’intégrer les amendements de bon sens que propose l’opposition. Nous avons, en effet, la curieuse impression que ce Contrôleur général est imposé de l’extérieur, sous la pression internationale, et que, faute de pouvoir s’opposer à son émergence, on est bien décidé à lui rogner les griffes autant que faire se peut.
Nous avons noté avec intérêt les propos de M. le rapporteur, qui nous a affirmé que la loi devrait respecter au mieux les stipulations du Protocole facultatif de l’ONU. Cette louable et positive intention n’est, pour le moment, pas totalement suivie d’effet. J’énumérerai à cet égard l’imposante liste des mesures qui, inscrites dans le projet de loi, entrent en contradiction avec le Protocole facultatif.
Premier élément, le champ d’investigation du futur Contrôleur général est réduit au seul territoire de la République, ce qui exclut les lieux de privation de liberté placés sous la responsabilité d’une autorité civile ou militaire française à l’étranger. Or, à l’inverse, le Protocole facultatif, en son article 4, enjoint les États parties à autoriser les visites « dans tout lieu placé sous sa juridiction ou sous son contrôle ». Si la restriction géographique induite dans le texte français tient à des raisons de sécurité – c’est ce que l’on nous a indiqué –, comment expliquer, par exemple, qu’il entre dans les prérogatives de l’ombudsman finlandais de superviser les différentes unités des forces de maintien de la paix à l’étranger ? Qu’on nous dise pour quelle impérieuse raison, dans un tel cas de figure, notre pays ne serait pas, lui, en mesure de garantir l’intégrité physique de ses ressortissants !
De nombreuses associations de défense des droits de l’homme, à l’instar d’Amnesty International, ont déploré la frilosité presque suspecte du projet de loi sur ce point. Ne nous y trompons pas, elle conduira à laisser penser, comme l’a d’ailleurs déclaré Robert Badinter au Sénat, qu’il existerait, en Côte d’Ivoire ou en Afghanistan, par exemple, « des espaces réservés où le contrôle ne pourrait pas s’exercer, comme si l’on avait des doutes sur les actes qui pourraient s’y commettre ». Nous ne pouvons nous permettre une telle maladresse, qui ternirait notre image auprès de la communauté internationale.
Deuxième élément qui diffère du Protocole facultatif : le projet de loi multiplie inconsidérément les motifs permettant à une autorité de s’opposer à la transmission de pièces ou d’informations dont le Contrôleur général demanderait communication. Pourtant, l’article 14 b du Protocole facultatif ne prévoit aucune restriction aux « renseignements relatifs au traitement de ces personnes [privées de liberté] et à leurs conditions de détention ». De même, l’article 8-2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture fait obligation à l’État concerné de « fournir toute autre information [...] qui est nécessaire au comité pour l’accomplissement de sa tâche ».
Par ailleurs, le droit d’obtenir des informations est essentiel à l’efficacité du pouvoir d’alerte et d’influence des autorités administratives indépendantes. Mme Marie-Anne Frison-Roche, dans son rapport à l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, a souligné à cet égard que les secrets professionnels devaient être écartés pour que les autorités disposent des informations requises. Elle a estimé, plus globalement, que le maniement de l’information devait être présenté « davantage comme un pouvoir que comme une obligation ». L’Office parlementaire d’évaluation de la législation a, quant à lui, considéré que la capacité des autorités administratives indépendantes à obtenir de la part des administrations ainsi que des personnes physiques ou morales des informations pertinentes conditionnait l’exercice de leur mission et, par conséquent, leur utilité.
On pourrait évidemment – nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements – s’interroger sur l’éventuel maintien des exceptions liées au secret médical. Cependant, même sur ce point, l’expérience démontre que la levée d’une telle restriction se révèle hautement souhaitable. D’ailleurs, lors des auditions auxquelles a procédé la commission, le comité européen de prévention de la torture a reconnu avoir toujours considéré dans ses différents rapports d’inspection que le secret médical ne lui était pas opposable, au motif que l’accès au dossier médical et aux données à caractère médical lui était nécessaire pour prévenir tout mauvais traitement.
Troisième élément de différence, le projet de loi n’évoque nullement la question des moyens – qui, en revanche, a été plusieurs fois abordée cet après-midi – alors que ce sujet est central. Vous en êtes d’ailleurs si consciente, madame la ministre, que, lors du débat au Sénat, vous avez indiqué, comme à l’instant, que le futur Contrôleur devrait disposer, au départ, d’un budget de 2,5 millions d’euros et d’un effectif de dix-huit personnes – même si vous venez de reconnaître que tout cela pourrait évoluer.
Vous nous pardonnerez notre scepticisme, mais nous n’arrivons pas à comprendre comment dix-huit personnes pourraient exercer un contrôle efficace sur les 5 880 sites que vous avez cités. Dans une telle configuration, chaque Contrôleur aurait la charge de 321 locaux. Et un esprit cartésien pourrait même calculer que, pour préparer sa visite, pour se rendre sur place, pour effectuer l’inspection, pour revenir à sa résidence administrative, pour rédiger son rapport puis pour le soumettre à sa hiérarchie avant d’en assurer le suivi, chaque Contrôleur disposerait de cinq heures.
La tâche s’avère bien évidemment insurmontable, ce qui est là aussi en complète contradiction avec le Protocole facultatif, qui, dans son article 18, alinéa 2, stipule que « les États parties s’engagent à dégager les ressources nécessaires au fonctionnement des mécanismes nationaux de prévention ».
Le quatrième élément a trait au mode de nomination du Contrôleur général, qui, à tout le moins, nous paraît aisément perfectible.
Il est bien écrit dans le texte que le Contrôleur ne peut occuper « tout mandat électif », mais, si vous me permettez, ce n’est pas parce que l’on n’a pas réussi à être élu qu’il faut être nommé Contrôleur !
Nous n’en déplorons que plus le rejet de notre amendement en commission, qui prévoyait la nomination du Contrôleur général par décret du Président de la République sur avis conforme, acquis à la majorité des trois cinquièmes de la commission compétente de chaque assemblée. Une telle disposition serait pourtant conforme à l’esprit du Protocole facultatif et contribuerait à amplifier le rôle du Parlement, ce qui est unanimement souhaité.
Ces remarques sur la non-conformité, selon nous, du texte par rapport au Protocole facultatif n’épuisent cependant pas nos critiques et donc nos vœux que notre assemblée puisse améliorer le projet de loi.
Ainsi, nous regrettons que le Contrôleur ne puisse pas disposer du pouvoir d’injonction. Ce souhait n’est pas le fruit d’une volonté de surenchère. Nous nous contentons, en effet, de suggérer l’attribution d’un tel pouvoir à l’autorité uniquement si celle-ci est confrontée à une situation extrême, en cas de violations graves des droits fondamentaux de personnes privées de liberté. Pourquoi d’ailleurs refuser au Contrôleur général le recours à l’injonction, alors que le législateur n’a pas hésité à l’octroyer à des structures œuvrant dans des domaines voisins et parfois connexes – je pense au Médiateur de la République ou au Défenseur des enfants, par exemple ?
Vous estimez, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que l’attribution de ce pouvoir conduirait inéluctablement à des situations de blocage, rendant inopérante l’exercice effectif du contrôle, et que seule la concertation entre les différents acteurs pourrait se révéler efficace. Je me permets, là encore, de citer la conclusion du rapport de 2006 sur les autorités administratives indépendantes, qui affirme que celles-ci ne sont crédibles que si elles disposent du pouvoir de sanctionner – je cite le rapport du sénateur Gélard : « C’est pourquoi le législateur pourrait attribuer systématiquement un tel pouvoir [d’injonction] aux autorités administratives indépendantes. » Je ne crois pas, au demeurant, que le possible recours à l’injonction ait de quelque manière compliqué la tâche du Médiateur de la République. Bien au contraire, il s’en estime satisfait, et n’en use d’ailleurs qu’avec la plus extrême parcimonie.
Certes, l’amendement présenté par M. le rapporteur et adopté par la commission va dans un sens qui est louable, mais sa portée reste limitée par rapport à ce que l’on était en droit d’espérer. La disposition envisagée ne peut nullement, en tout cas, remplacer de manière efficace un éventuel recours à l’injonction. Doter le Contrôleur général des moyens de « constater » s’il a été mis fin à une violation caractérisée des droits fondamentaux d’un détenu est un premier pas, mais, dans un tel cas de figure, la mesure peut légitimement paraître bien anodine et inoffensive eu égard au degré de gravité du manquement constaté.
Nous estimons, enfin, que la remise du rapport annuel d’activité du futur Contrôleur général pourrait revêtir une forme plus solennelle que celle prévue dans le projet de loi. Pourquoi ne pas imaginer – nous déposerons un amendement en ce sens – une présentation, avec débat, devant les deux assemblées ? De même, il serait souhaitable d’envisager une audition régulière du Contrôleur devant les commissions compétentes des deux chambres. Depuis l’an dernier, nos collègues de la commission des lois du Sénat organisent justement, après la présentation du rapport en séance publique, une audition du Médiateur de la République, ouverte à tous les sénateurs. Nous gagnerions sans nul doute, monsieur le président de la commission, à nous inspirer d’un tel exemple.
Dans ces conditions, et parce que l’adoption par la représentation nationale d’un projet touchant aux garanties fondamentales des droits de l’homme gagnerait à être activement recherchée, nous vous invitons, mes chers collègues, à voter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Pour en venir à la motion de renvoi en commission, je vous appelle, mes chers collègues, à la rejeter, ne serait-ce qu’en raison du travail important fourni par votre commission et par tous les commissaires qui ont participé à ses travaux, sachant que, si les auditions étaient bien entendu ouvertes à tous nos commissaires, nous avons également accueilli ceux d’autres commissions, ce qui n’est pas sans importance pour la qualité de nos travaux parlementaires. Surtout, la commission a adopté plus de vingt-cinq amendements, le Sénat en ayant pour sa part adopté à peu près autant.
Tous ceux qui se sont exprimés ont souligné la nécessité de mettre en cohérence tous les mécanismes de contrôle. Pour autant, une telle mise en cohérence ne doit en aucun cas pouvoir contrevenir à la création de cette institution. En effet, – et nous sommes nombreux à le penser – si les contrôles ne sont pas tous efficaces, ils n’en restent pas moins nécessaires. Le rapport Canivet ne considère-t-il pas lui-même que, même si les nombreux contrôles ne sont pas tous d’une efficacité extrême, ils sont essentiels ? Ce qu’il faut, en revanche, c’est les clarifier, les préciser et, naturellement, les mettre en cohérence, ce qui, je n’en doute pas, sera l’objet de la future loi pénitentiaire.
Vous souhaitez, me semble-t-il, monsieur Urvoas, confier au Médiateur de la République la fonction de contrôle général des lieux de privation de liberté. Nous ne partageons pas cet avis. Il ne s’agit bien évidemment pas de contester ou de critiquer l’action du Médiateur, qui est excellente. Le titulaire de la fonction effectue un travail remarquable, notamment dans les prisons. Cependant, il s’agit de fonctions très distinctes.
Le Médiateur nous a d’ailleurs, lors de son audition, remis un document dans lequel, même s’il considère que les fonctions de contrôle et de médiation peuvent être complémentaires, il évoque bien l’obligation de séparation stricte des deux missions en soulignant « la nécessité d’un cloisonnement entre deux structures administratives distinctes » ainsi que « le recours à des compétences différentes dans des équipes différentes ». Et s’il prône, comme vous l’avez vous-même suggéré, mon cher collègue, la réunion de ces deux fonctions sous la responsabilité d’une même autorité – accessoirement la sienne –, il observe cependant que la nature de l’autorité en question serait celle d’un Ombudsman chargé d’une mission générale de respect des droits de l’homme et non pas seulement de médiation, c’est-à-dire une institution totalement différente de celle du Médiateur.
Pour sa part, la Commission nationale consultative des droits de l’homme préconise un Contrôleur général indépendant et distinct du Médiateur, tout comme le Commissaire européen aux droits de l’homme. C’est d’ailleurs ce qui ressortait également de l’avant-projet de loi sur la peine et le service public pénitentiaire de Mme Lebranchu, présenté le 18 juillet 2001, qui n’a pu, comme vous le précisiez, mon cher collègue, être voté.
J’en viens, après avoir répondu sur la forme, au fond de votre motion.
Certes, nous voulons nous rapprocher le plus possible des Conventions internationales et des prescriptions qui en découlent, mais nous devons aussi tenir compte du droit français. Si nous voulons aller le plus loin possible dans l’application de ces prescriptions, il faut également que nous puissions les adapter à notre droit interne, ce qui entraîne certaines modifications.
Pour ne pas allonger les débats, je renvoie à la discussion sur les amendements le sujet des opérations extérieures de la France, les OPEX, que vous souhaitez voir également tomber dans le champ de compétences du Contrôleur général.
S’agissant du secret médical, sujet extrêmement sensible, j’ai dit en commission, et je le répète, qu’il ne faut y toucher que d’une main tremblante, faute de quoi nous risquerions de manquer le but que vous visez.
Mme la garde des sceaux a clairement dit que les moyens du Contrôleur, en fonction de ses premiers résultats, pourraient se voir augmentés. Je rappelle que l’institution anglaise de l’Inspector chief of prisons, que nous avons visitée ensemble, mon cher collègue, avait commencé en 1981 avec six collaborateurs seulement.
J’en termine avec les conditions de nomination du Contrôleur général. Elles sont bien sûr perfectibles, mais nous y avons déjà apporté une amélioration en les complétant par les connaissances professionnelles, ce qui est sans doute de nature à vous rassurer. En outre, comme l’a annoncé Mme la garde des sceaux, le texte sera repris au Sénat le 23 octobre prochain, ce qui signifie que son adoption définitive interviendra certainement avant la révision constitutionnelle que préconisera la commission Balladur. Dans ces conditions, je retire mon amendement à l’article 2 et me rallie à la rédaction initiale souhaitée par le Sénat : le Contrôleur général sera nommé après avis des commissions des lois des deux assemblées.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous invite, mes chers collègues, à rejeter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Je ne reviens pas sur l’insuffisante prise en compte de l’existant. Je fais miennes et je vous renvoie aux remarques du rapporteur et aux textes auxquels il s’est référé, qui répondent parfaitement à la critique.
S’agissant des textes internationaux, je trouve curieux de considérer le Protocole des Nations unies, dont l’application est facultative, comme une obligation. D’ailleurs, les missions et le fonctionnement de la nouvelle institution ne me paraissent pas contraires aux recommandations du Protocole.
Quant aux moyens et aux pouvoirs dont dispose le Contrôleur, il n’est pas souhaitable que celui-ci visite systématiquement les 5 500 lieux de privation de liberté existant en France. Ce n’est ni son devoir ni sa mission. D’autres autorités sont chargées de veiller à leur bon fonctionnement, notamment l’administration pénitentiaire. Si celle-ci fait correctement son travail, ce n’est qu’exceptionnellement – telle est, je suppose, l’idée du Gouvernement – que le Contrôleur aura à se déplacer. M. Urvoas a évoqué le Comité de prévention de la torture, dont nous avons auditionné un représentant en commission. Celui-ci avait notamment mentionné son expérience en Tchétchénie. Je comprends que l’on puisse s’inquiéter de ce qui se passe là-bas, mais la situation n’y a quand même rien de comparable avec celle de la France ! Nos standards en matière de lieux de privation de liberté sont très supérieurs. Si le Contrôleur peut donc être saisi d’une demande de visite, il ne doit se déplacer que de façon exceptionnelle.
Enfin, s’agissant de la nomination, le rapporteur vient d’évoquer les relations entre le Président de la République et les chambres du Parlement. Pour ma part, je suis toujours surpris qu’on puisse s’interroger sur le caractère démocratique d’une nomination par le chef de l’État, alors que celui-ci est élu chez nous au suffrage universel !
Votre principale critique porte sur le nombre suffisant d’institutions compétentes pour contrôler les lieux privatifs de liberté. Or le Contrôleur ne peut pas être mis sur le même plan, car il constitue une institution réellement indépendante, avec des moyens et des pouvoirs d’investigation. Le Médiateur accomplit certes un remarquable travail et le Gouvernement aurait pu se contenter, comme c’était la tentation du précédent garde des sceaux, de conforter ses pouvoirs. Mais la création de cette nouvelle institution est un progrès supplémentaire. Mme la garde des sceaux a indiqué que le Contrôleur général aura pour mission de contrôler l’application de la future loi pénitentiaire. C’est une avancée considérable et un engagement suffisamment fort pour donner de la crédibilité à cette institution.
Votre motion de renvoi en commission ne tend qu’à affaiblir une institution que tous les députés, sur quelque banc qu’ils siègent dans cette assemblée, appellent de leurs vœux. Plutôt que de chercher à améliorer le texte par voie d’amendements, vous portez un mauvais coup à une institution nouvelle, que nous avons le devoir de créer. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous invitons à voter cette motion de renvoi en commission.
(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)
Suspension et reprise de la séance
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.
(L’amendement est adopté.)
La parole est à M. Michel Vaxès, pour le soutenir.
Je pense que c’est dans cet environnement global qu’il faut apprécier les missions du Contrôleur général, et lui permettre de les assurer. Peut-être cet ajout proposé par l’amendement n° 63 est-il sous-entendu dans le texte. Dans ce cas, autant le formuler plus précisément. Sinon, il faut délimiter les contours de la définition du contrôle, expliquer ce que recouvre l’expression « les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté ».
Je voudrais citer de nouveau le premier président de la Cour de cassation. Dans le rapport qu’il nous a remis, M. Vincent Lamanda conseille d’adopter la définition la plus large possible des missions du Contrôleur général.
De plus, cet amendement nous entraîne hors du cœur du métier du Contrôleur général, puisque les conditions de travail des personnels n’entrent pas dans le champ des missions confiées aux mécanismes nationaux de prévention tels que définis par l’article 19 du Protocole facultatif à la Convention des Nations unies.
En revanche, les conditions de prise en charge couvrent l’état des lieux, les conditions de vie des personnes d’une manière générale. Donc, l’amendement a été repoussé par la commission.
Admettons que le contrôle des conditions de travail du personnel soit effectué par l’administration. Pour ma part, je n’en suis pas convaincu car je pense que les conditions de travail du personnel participent de la définition de l’environnement des personnes détenues. Mais acceptons cette restriction. Il suffirait alors de sous-amender l’amendement n° 63 en supprimant la phrase : « Il contrôle également les conditions de travail des personnels de ces établissements. » On pourrait alors adopter le reste, c’est-à-dire la précision concernant les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté : « l’état, l’organisation et le fonctionnement des lieux privatifs de liberté ».
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le soutenir.
Quand on parle des lieux de détention, tout le monde a bien compris – et nos travaux en commission l’ont bien démontré – que, volontairement, le Gouvernement n’avait pas souhaité établir une liste limitative, prétendument exhaustive des lieux de privation de liberté. Nous partageons ce souhait et la volonté de rappeler, d’emblée, l’ambition de ce texte : confier au Contrôleur général une mission extrêmement large et globale.
Cette mission concerne bien sûr les lieux de détention, dont on sait qu’ils sont divers et nombreux, mais aussi les moments durant lesquels la personne est privée de liberté : je pense notamment aux transfèrements.
Afin de compléter le texte sans l’alourdir et de préciser encore davantage toute l’étendue de la mission du Contrôleur général, j’ai déposé le présent amendement, que la commission a bien voulu adopter.
Tout est question de sémantique : les moments que vous évoquez, monsieur Geoffroy, correspondent aussi à des lieux – en l’occurrence les véhicules de transfèrement –, lesquels sont par définition visés par le texte.
(L’amendement est adopté.)
La parole est à M. Michel Hunault, pour le soutenir.
Par cet amendement, je souhaite soulever une question relative aux pouvoirs réels du Contrôleur : comment celui-ci peut-il apprécier si les droits fondamentaux des détenus ou de toute personne privée de liberté sont mis à mal ? L’amendement propose que l’on se réfère aux règles pénitentiaires établies par le Conseil de l’Europe.
Lors de l’examen de l’amendement en commission, le rapporteur m’a précisé que les règles pénitentiaires n’avaient pas force de loi, puisqu’elles ne sont que des recommandations. Toutefois, il importe à mes yeux que le Contrôleur puisse asseoir sa mission sur des règles incontestables.
En répondant aux orateurs à l’issue de la discussion générale, madame la garde des sceaux, vous avez apporté cette précision en indiquant que le Contrôleur pourrait s’appuyer sur la loi pénitentiaire, que le Parlement examinera en novembre prochain. Compte tenu de votre engagement sur ce point, je retire mon amendement.
Je suis saisi d’un amendement n° 64.
La parole est à M. Michel Vaxès, pour le défendre.
Nos collègues sénateurs avaient déposé un amendement similaire, qui proposait que l’absence de déclaration préalable rende illégale la mesure de placement en détention. Le Gouvernement a rejeté un tel lien entre la déclaration préalable et la légalité de la privation de liberté, ce que je conçois fort bien : une décision de justice ne saurait être remise en cause au motif que le Contrôleur ne connaît pas le lieu de privation de liberté.
En revanche, madame la garde des sceaux, vous avez déclaré au Sénat que « transmettre au Contrôleur général la liste des lieux de privation de liberté ne suscit[ait] aucun problème ». Or nous pensons qu’une telle disposition est nécessaire : pour certains lieux, il y a des fluctuations – je ne parle évidemment pas des maisons d’arrêt ou des centres de détention –, et le Contrôleur général doit en être informé afin d’assurer sa mission.
(Mme Catherine Génisson remplace M. Jean-Marie Le Guen au fauteuil de la présidence.)
Vous avez rappelé les raisons du rejet de la disposition par le Sénat. Quelle pourrait être en effet la sanction si un lieu de privation de liberté ne fait pas l’objet d’une déclaration préalable ? Les forces de police ou de gendarmerie, par exemple, peuvent être amenées à commencer certaines gardes à vue dans des lieux improvisés.
C’est pourquoi je vous invite à retirer votre amendement, faute de quoi la commission préconiserait son rejet.
Une telle disposition risquerait de gêner le Contrôleur dans sa mission. Je le répète après l’avoir déjà indiqué au Sénat : le Contrôleur sera bien sûr destinataire de la liste de tous les lieux de privation de liberté. Il n’est pas nécessaire de le préciser dans la loi.
Avis défavorable à l’amendement.
Comme je l’ai fait après avoir présenté l’amendement n° 63, je prends acte, madame la garde des sceaux et monsieur le rapporteur, que, s’agissant des missions du Contrôleur ou de l’établissement de la liste, vous soutenez l’esprit de mes deux amendements : la jurisprudence pourra s’en servir ! (Sourires.)
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
(L’amendement est adopté.)
Je suis saisie d’un amendement n° 1.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le défendre.
La répétition de la préposition « d’ » me paraît fâcheuse du point de vue stylistique. Pour donner deux exemples d’élision à notre assemblée, ne dit-on pas : « chercher querelle » ou : « faire bombance » ? On m’accordera, dans ces conditions, que l’expression « recevoir instruction » pourrait convenir, et je n’ennuierai pas davantage l’Assemblée avec cet amendement historique. (Sourires.)
Nous pourrions néanmoins nous en remettre à la sagesse de notre assemblée.
(L’amendement est adopté.)
(L’article 1er, ainsi modifié, est adopté.)
La parole est à M. Christophe Caresche, pour soutenir cet amendement.
L’objet du projet de loi est de créer une nouvelle autorité indépendante, laquelle s’ajoutera à celles qui sont déjà censées exercer une mission de contrôle, à différents tires, notamment au sein des prisons. Comment, dès lors, coordonner le travail de ces différentes autorités ? Confier la mission de contrôle des lieux de privation de liberté au Médiateur de la République permettrait d’assurer une telle cohérence, d’autant que ce dernier s’est vu confier par le gouvernement précédent une mission de médiation pour les prisons dans laquelle il s’est beaucoup engagé. Dès lors qu’il exercerait la mission de contrôle de manière séparée, je pense que la solution est envisageable. Un amendement a d’ailleurs été défendu au Sénat en ce sens.
Certes, l’objection est connue : il ne faut pas confondre la mission de contrôle et celle de médiation. Mais dans les faits, il serait tout à fait possible de les distinguer sur le plan fonctionnel tout en les confiant à la même autorité. Dans son rapport, M. Canivet les avait liées et même associées à la mission d’inspection. Les arguments que l’on nous oppose ne me semblent donc pas tenir.
Enfin, du point de vue des moyens, il me paraîtrait plus rationnel de confier la mission de contrôle à une autorité existante, dont on connaît bien les capacités et qui dispose d’une structure logistique déjà constituée. Nous sommes nombreux ici à avoir rencontré le Médiateur de la République, que la commission a auditionné. Il nous a semblé convaincant : outre ses compétences, son implication personnelle dans le dossier des prisons était à nos yeux un gage de sa réussite au poste de Contrôleur général.
Notre collègue Jean-Jacques Urvoas a déjà abordé cette question. Pour ma part, je ne voudrais pas être désobligeant avec qui que ce soit, mais je ne vous cache pas, sinon notre inquiétude, du moins nos interrogations sur l’éventuelle nomination de la personne qui exercerait la mission de Contrôleur dans les prisons. Des noms ont circulé et nous examinerons tout à l’heure un amendement déposé par le rapporteur, visant à préciser que cette personne devait être compétente : loin de nous rassurer, ceci, monsieur Goujon, nous plonge dans une certaine perplexité. J’espère que nos interrogations seront levées au cours du débat.
Je ne répondrai pas à la dernière partie de votre intervention, cher collègue,
Malgré le respect, l’estime, et même l’amitié que je porte au Médiateur de la République, qui accomplit dans les prisons un travail remarquable – et sa charge de travail sera accrue au cours des prochaines années en raison de l’implantation de délégués du Médiateur dans nombre de prisons –, je rappelle que toutes les hautes autorités que nous avons consultées nous ont déconseillé de confondre les fonctions de Médiateur et de Contrôleur. La médiation vise essentiellement à résoudre des cas individuels restés en souffrance – plaintes et recours –, alors que le contrôle aura une portée plus générale, tenant à l’organisation de tous les lieux privatifs de liberté.
Le rapport Canivet, que vous avez exploité à contrechamp, précise que le Médiateur tend à rapprocher l’établissement pénitentiaire, les personnes qui déposent un recours et l’institution chargée de la médiation, alors que le Contrôleur doit, lui, prendre du recul pour appréhender les situations dans leur globalité. Le rapport Canivet ne préconise pas de fusionner les deux instances. En outre, comme je l’ai dit en réponse à la motion de renvoi en commission, dans ses rapports annuels, le Médiateur de la République plaide régulièrement pour une stricte séparation des fonctions de médiation et de contrôle, estimant nécessaire le cloisonnement entre les différentes structures administratives. L’unification de ces fonctions ne serait possible que s’il était, comme cela existe dans d’autres pays, un ombudsman.
Je rappelle que, sous l’égide de son secrétaire général, M. Forst, la Commission nationale consultative des droits de l’homme préconise également l’indépendance du Contrôleur général indépendant en charge de la fonction de vérification. M. Marcus Jaeger, directeur au Bureau du Commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, que nous avons entendu en présence de plusieurs membres de la commission des lois, a souligné dès sa première intervention l’importance extrême que le Conseil de l’Europe attache à la distinction des fonctions de contrôle et de médiation. Cette préconisation figure également dans l’avant-projet de loi sur les services pénitentiaires, déposé le 18 juillet 2001 et qui n’a pas pu aboutir dans notre assemblée.
Quant à la multiplicité des contrôles, il me semble nécessaire de les maintenir, comme le préconise le rapport Canivet, en assurant leur cohérence et en les articulant pour qu’ils soient plus précis.
Sur le plan des moyens, le fait de confier une mission supplémentaire au Médiateur ne coûterait pas moins cher que de créer une autorité indépendante dédiée.
Je souscris à l’argumentation du rapporteur, visant à expliquer l’avis également défavorable de la commission.
Le Gouvernement souhaite créer une autorité distincte du Médiateur de la République pour contrôler les lieux de privation de liberté. Selon vous, monsieur Caresche, le rapport Canivet indique qu’il peut s’agir d’une seule et même fonction. En réalité, le rapport identifie trois fonctions distinctes : la vérification, le contrôle et la médiation, cette dernière tendant plus particulièrement à résoudre les différends de toute nature survenant entre le détenu et l’administration. Ceci ne relève pas de la mission du Contrôleur général indépendant qui se rendra sur place pour effectuer un véritable contrôle, vérifiant que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté sont bien respectés. Il ne s’agira donc pas d’une médiation entre une administration et une personne privée de liberté : ce seront deux fonctions extrêmement différentes. Il est important que cette autorité soit indépendante tant pour les personnes privées de liberté que pour la crédibilité du contrôle, qui sera assurée par l’avis qu’elle rendra.
Quant votre souci de nommer une personnalité compétente, soyez certain que le Gouvernement le partage pleinement !
Le Médiateur intervient à l’occasion d’un conflit avéré entre un service public ou une administration et un ou plusieurs usagers. Or la mission première du Contrôleur n’est pas de trancher un conflit ou de tenter de trouver un arbitrage, mais de s’assurer des conditions de prise en charge des personnes privées de liberté. À l’évidence, les fonctions de médiation et de contrôle ne peuvent se confondre.
Je comprends le trouble de nos collègues de l’opposition, lié sans doute au fait que les gouvernements qu’ils ont soutenus n’avaient pas jugé bon de créer un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Cela étant, je les remercie pour leur hommage appuyé à notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye, aujourd’hui Médiateur de la République, dont je salue à mon tour l’excellent travail.
L’amendement est en retrait par rapport à l’ambition de ce texte. Mme la garde des sceaux a indiqué qu’il s’agirait d’un contrôle indépendant visant à faire appliquer des règles pénitentiaires prévues dans la loi, avec un véritable pouvoir d’injonction vis-à-vis de l’administration. La qualité du travail de M. Delevoye est connue de tous : en qualité de parlementaires, nous sommes tous amenés à lui confier certaines interventions qu’il mène avec beaucoup de sérieux et nous n’avons qu’à nous louer de ses services. Mais il faut veiller à ne pas affaiblir le texte. Si nous voulions réduire la fonction de Contrôleur général indépendant à celle d’une médiation, nous pourrions nous contenter de suivre l’exemple de certains de nos voisins européens. Mais, comme l’a indiqué Mme la garde des sceaux, l’adoption de cet amendement ne permettrait pas l’exercice d’un contrôle indépendant, avec un véritable pouvoir vis-à-vis de l’administration pénitentiaire.
Je citerai maintenant une déclaration du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe – dont je ferai parvenir une copie à M. le rapporteur. À la question : « Au niveau européen, quelles sont les plus belles réussites en matière de contrôle général des prisons ? », Thomas Hammarberg répond : « Les plus belles réussites sont celles qui combinent deux aspects : un système d’inspection générale des lieux de détention et un système qui recueille, traite et résout les plaintes individuelles. » De même, dans sa recommandation du 27 mai 2006, l’assemblée du Conseil de l’Europe invite expressément à combiner les fonctions de contrôle et de médiation, dans un souci de cohérence et d’efficacité.
(L’amendement n’est pas adopté.)
L’amendement n° 18 fait l’objet d’un sous-amendement n° 68.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 18.
Monsieur le rapporteur, si l’on veut garantir une efficacité maximale aux travaux du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il importe que cette nouvelle institution dispose d’une autorité incontestable lui conférant une réelle légitimité. Aussi, son seul statut d’autorité administrative indépendante ne saurait suffire. Pourquoi ne pas aller au bout de ce Protocole en ajoutant les mots : « dans le domaine de la justice, en particulier en matière de droit pénal, » ? Nous préciserions ainsi les missions du Contrôleur général et ses capacités.
Notre sous-amendement complète l’amendement du rapporteur, en précisant la nature des critères de compétence et de connaissances indispensables pour que le titulaire soit à la hauteur de la fonction et qu’il dispose ainsi de toute l’autorité nécessaire.
J’estime que la référence complète à l’article 5-2 du Protocole additionnel précise et enrichit la proposition de la commission, monsieur le rapporteur. Je ne comprendrais pas que ce sous-amendement ne soit pas retenu et, dans ce cas, il faudrait vous en expliquer. À défaut, l’amendement de M. Hunault et – pardonnez ce manque d’humilité ! – le nôtre me semblent mieux répondre aux vœux unanimes de notre assemblée.
Nous l’avons dit tout à l’heure, nous devons nous rapprocher le plus possible des Conventions internationales. Or, vous conviendrez que la « haute moralité » – qui va de soi s’agissant d’une personnalité nommée par le Président de la République, avec l’aval des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat – est une expression sans valeur juridique.
D’autre part, vous proposez de reprendre le texte de l’article 5-2 du Protocole, qui vise le sous-comité de prévention de la torture. La commission lui préfère l’article 18-2, qui concerne le mécanisme national de prévention, recommandé dans la plupart des pays.
Pour toutes ces raisons, la commission a rejeté les amendements nos 45 et 65, ainsi que le sous-amendement n° 68.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
(L’amendement est adopté.)
Je suis saisie de trois amendements, nos 72, 44 et 69, pouvant être soumis à une discussion commune, malgré la place.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l’amendement n° 72.
Le Sénat a déjà fait évoluer cet article dans le bon sens. Les débats en commission et ici même, ce soir, montrent que nous sommes tous d’accord sur deux points : le Contrôleur doit être le plus indépendant possible et jouir de l’autorité morale incontestable nécessaire pour établir sa crédibilité ; ensuite, les modalités de sa nomination, pour garantir cette indépendance, doivent être transparentes. Or un certain nombre d’associations, dont Amnesty International n’est pas la moindre, estiment que le projet de loi issu du Sénat ne répond pas à ces exigences.
Notre amendement vise à associer plus étroitement le Parlement. Le projet de loi ne lui donne qu’un rôle consultatif, ce qui n’est pas très glorieux pour les défenseurs des prérogatives parlementaires que nous sommes tous. Suivons l’exemple du Danemark, de l’Espagne ou encore de la Suède, où le Contrôleur est nommé par le Parlement. L’avis des commissions de l’Assemblée et du Sénat, pris à une majorité des trois cinquièmes de leurs membres, doit lier le Président de la République.
J’ajoute à l’attention de M. Poisson que, sur un sujet aussi difficile, chacun a le droit d’apporter sa contribution. Nous avons des sensibilités différentes, mais nous sommes tous animés de la même volonté d’améliorer le texte pour donner à l’institution que nous allons mettre en place la grandeur qu’elle mérite. Quand j’entends notre collègue porter certains jugements sur les amendements précédents, je voudrais lui dire qu’après l’ouverture dont ont fait preuve le rapporteur et Mme la garde des sceaux, nous devrions nous abstenir de faire certains commentaires. C’est un texte complexe et nous sommes là pour appliquer les recommandations du Conseil de l’Europe – notre collègue a d’ailleurs cité une recommandation que je connais bien, pour l’avoir rédigée. Notre ambition doit être d’améliorer le texte, non de donner des leçons aux autres intervenants.
La création du Contrôleur général devrait faire l’objet d’un consensus, car vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, les hommes et les femmes qui sont privés de liberté ont le droit de conserver leur dignité. L’une des missions du Parlement est de remédier aux manquements de l’institution pénitentiaire, que chacun de nous a pu dénoncer. Si nous parvenons, à la fin de notre discussion, à un vote unanime, le Parlement aura bien travaillé !
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l’amendement n° 69.
Le rapport Canivet proposait que le Président de la République nomme le Contrôleur général sur recommandation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ce qui garantit son indépendance. Cette idée nous paraissait intéressante, mais elle n’a pas été acceptée. Nous proposons par cet amendement d’y associer l’opposition en permettant aux commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat de proposer au Président de la République deux candidats chacune. Voilà qui renforcerait la garantie d’expérience et de haute moralité de la personnalité choisie.
J’ajoute que Mme la garde des sceaux vient de nous annoncer que la discussion de ce texte en deuxième lecture au Sénat est fixée au 23 octobre prochain. Ce texte pourrait donc entrer en vigueur avant la révision constitutionnelle – c’est ce qui a motivé le retrait de mon amendement n° 19. Ajoutez à cela la mention des compétences professionnelles, qui plaît tant à M. Caresche et répond aux Conventions internationales, et nous avons un texte parfaitement adapté qu’il ne convient pas de modifier. Nous ne sommes jamais allés aussi loin, notamment dans l’avant-projet de loi du 18 juillet 2001, relatif aux services pénitentiaires, qui ne prévoyait même pas l’avis des commissions compétentes. Je vous rappelle que de nombreuses personnalités se sont exprimées en faveur de cette nomination telle qu’elle est prévue dans le texte.
(L’amendement n’est pas adopté.)
(L’amendement n’est pas adopté.)
Je suis saisie d’un amendement n° 2 rectifié.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le soutenir.
Permettez-moi, madame la présidente, de répondre d’un mot à M. Hunault. Je ne crois pas avoir été désagréable à l’égard de nos collègues de l’opposition, et je les prie de m’en excuser s’ils ont été heurtés par mes propos. J’ai beau être un jeune parlementaire, cher collègue, je n’en connais pas moins la complexité du sujet, sur lequel je travaille depuis de nombreuses années.
Je suis saisie d’un amendement n° 73.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour le défendre.
(L’amendement n’est pas adopté.)
(L’article 2, ainsi modifié, est adopté.)
Je le mets aux voix.
(L’article 2 bis est adopté.)
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir cet amendement.
Je suis saisie d’un amendement n° 20.
La parole est à M. le rapporteur.
(L’amendement est adopté.)
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour le soutenir.
(L’amendement n’est pas adopté.)
(L’article 3, ainsi modifié, est adopté.)
Cet amendement fait l’objet d’un sous-amendement n° 85.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 21.
En conséquence, notre amendement propose de préciser et de compléter la notion de contrôleur, conformément aux dispositions de l’article 7-2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture : « Les visites sont effectuées en règle générale par au moins deux membres du Comité. Ce dernier peut, s’il l’estime nécessaire, être assisté par des experts et des interprètes. » Il s’inspire également de l’article 13-3 du Protocole facultatif : « Les visites sont conduites par au moins deux membres du sous-comité de la prévention. Ceux-ci peuvent être accompagnés, si besoin est, d’experts ayant une expérience et des connaissances professionnelles reconnues dans les domaines visés dans le présent Protocole. » La notion d’expert permettrait par exemple au Contrôleur général de recourir à des médecins si l’état de santé d’une personne privée de liberté le justifie. Le rapport Canivet proposait du reste que le contrôleur dispose des moyens budgétaires lui permettant de s’assurer ponctuellement, selon la spécificité des missions, la collaboration d’experts pour compléter l’équipe de contrôleurs permanents.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
(L’amendement est adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
(L’amendement est adopté.)
La parole est à Mme Françoise Hostalier, pour le soutenir.
Le Contrôleur général bénéficie, pour mener sa mission, de garanties personnelles prévues à l’alinéa 2 de l’article 2 : « Il ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions qu’il émet ou des actes qu’il accomplit dans l’exercice de ses fonctions. » Or dix-huit contrôleurs l’assisteront, chargés d’une mission officielle et connus par leur nom. Lorsque le Contrôleur général interpellera les autorités ou présentera un rapport, il le fera au nom de l’institution, et donc également en leur nom. Il me semblerait donc utile de leur faire bénéficier des mêmes protections et de la même immunité.
Je suis saisie d’un l’amendement n° 74.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour le soutenir.
M. Urvoas évoque « les » contrôleurs. Or, comme pour l’amendement que nous venons d’examiner, je précise qu’ils n’ont pas à échanger des informations avec leurs homologues, mais que cela doit être centralisé au niveau du Contrôleur général.
Je demande, en conséquence, le retrait de cet amendement, considérant qu’il est largement satisfait par l’article 9 bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 23.
(Le sous-amendement est adopté.)
(L’amendement, ainsi modifié, est adopté.)
Je mets aux voix l’article 4, modifié par les amendements adoptés.
(L’article 4, ainsi modifié, est adopté.)
La parole est à Mme Françoise Hostalier, pour soutenir l’amendement n° 55.
Or il apparaît que cette rédaction pourrait interdire à des institutions sociales, à des associations ou à des ONG de saisir le Contrôleur général des lieux de privation de liberté uniquement parce qu’elles n’auraient pas prévu cette activité dans leurs statuts. Lors des travaux préparatoires, il a été clairement exprimé que cette notion de « personne morale s’étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux » devait être entendue au sens large, et comprendre les barreaux ou les syndicats, par exemple. Il paraîtrait donc utile et plus sûr de lever toute ambiguïté ou toute difficulté d’interprétation en supprimant cette référence explicite.
Je rappelle également que toute personne physique peut saisir – et c’est là aussi une avancée importante – le Contrôleur général et qu’un président ou un membre d’une association est avant tout une personne physique.
Quant à l’amendement n° 88, ne soyez pas trop modeste, monsieur Urvoas, il ne s’agit pas de sagesse. Comme vous le savez, le diable se cache dans les détails. Cet amendement a donc toute son importance et a été adopté par la commission.
S’agissant des personnes morales, nous avons eu ce débat au Sénat et sommes tous tombés d’accord pour considérer que, si l’objet que s’est donné une association n’a pas de lien avec le respect des droits fondamentaux, mais dont un membre estime qu’il a une requête ou une saisine pertinente à faire, il peut agir en tant que personne physique. Nous ne pouvons donc pas élargir ce droit aux personnes morales. Sinon, le Contrôleur se verrait pratiquement dans l’obligation d’y répondre.
Le Gouvernement est, en revanche favorable à l’amendement n° 88.
La parole est à Mme Françoise Hostalier.
Je retire cependant mon amendement.
Je mets aux voix l’amendement n° 88.
(L’amendement est adopté.)
Je suis saisie d’un amendement n° 24.
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
(L’amendement est adopté.)
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour le soutenir.
L’actuel commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, que j’ai précédemment évoqué, a observé que, jusqu’à présent, quand il s’agissait de simples recommandations en matière de contrôle des prisons, les autorités avaient pu faire la sourde oreille et rien n’avait, de ce fait, évolué. Dès lors, il nous appartient de chercher les moyens de l’efficacité pour qu’on ne se limite pas à des recommandations, ce qui ferait pousser à certains des cris d’orfraie devant le mur de l’indifférence ! Aussi, mon amendement vise-t-il à ménager pour le Contrôleur général un pouvoir de saisine direct du juge pénal lorsqu’une infraction lui semble constituée. Il s’agit, je le rappelle, d’un pouvoir et non d’une obligation, particulièrement utile à nos yeux dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article 7 et lorsque l’administration ne répond pas à ses demandes d’explication. Ce pouvoir de sanction est, à nos yeux, le complément indispensable des prérogatives du Contrôleur général puisqu’il garantit l’efficacité de ses missions.
Il ne s’agit pas d’une invention de notre part, puisque c’est un pouvoir dont bénéficie déjà une autre autorité administrative indépendante – l’Autorité des marchés financiers – aux termes de l’article L. 121-14 du code monétaire et financier.
Pourquoi, toutefois, ne pas réformer le code de procédure pénale sous les yeux de nos collègues rassemblés, des Français et en présence de Mme la garde des sceaux ? Je ne vois cependant pas très bien à quoi correspondrait la saisine d’un juge. La saisine du procureur de la République nous semble plus opportune. Cet amendement va donc à l’encontre de notre procédure pénale.
Le Gouvernement est donc défavorable à l’amendement.
Je mets aux voix l’article 5, modifié par les amendements adoptés.
(L’article 5, ainsi modifié, est adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.
(L’amendement est adopté.)
(L’article 5 bis, ainsi modifié, est adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 26.
Contrairement à ce qu’affirme le rapporteur à la page vingt-huit de son rapport, la formulation des lieux contrôlés n’est pas maximaliste. En effet, en l’état, le contrôle des lieux de privation de liberté placés sous la responsabilité d’une autorité militaire ou civile française à l’étranger est impossible. Nous évoquons ici implicitement, chacun le sait, le théâtre d’opérations extérieures de l’armée française – n’oublions pas que 12 000 militaires français sont aujourd’hui déployés à l’étranger. Au nom de quoi le Contrôleur n’aurait-il pas accès aux locaux d’arrêt des armées ou de la gendarmerie, qu’ils soient situés sur terre ou sur mer, même si les autorités militaires peuvent y être quelque peu rétives ?
L’ombudsman finlandais réalise des inspections dans les différentes unités dépendant des forces armées et des forces finlandaises de maintien de la paix pour surveiller le traitement des conscrits, du personnel militaire et des gardiens de la paix.
Nous devons échapper à toute forme de soupçon, mais nous n’y parviendrons pas si nous estimons que le contrôle est nécessaire uniquement sur le territoire de la République.
Cette définition territorialisée du périmètre d’action du Contrôleur des lieux de privation de liberté est donc à nos yeux floue et restrictive.
En plus, maintenir une telle interdiction serait contraire à l’article 4 du Protocole facultatif, qui dispose que le mécanisme de prévention doit pouvoir s’exercer dans tout lieu placé sous la juridiction ou sous le contrôle d’un État.
J’en profite pour rappeler que, lors de son audition, le secrétaire général de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, M. Michel Forst, a souligné que le maintien du texte tel qu’il était aujourd’hui rédigé serait un élément de nature à porter atteinte à la candidature de la France en 2008 au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Il n’est pas acceptable, en effet, d’invoquer la sécurité du Contrôleur, comme le fait le rapporteur, pour lui interdire de venir. Quand un ministre ou des parlementaires se déplacent sur des opérations extérieures, leur sécurité est assurée.
Suspension et reprise de la séance
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures vingt.)
Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 86 ?
Les personnes arrêtées sont automatiquement remises aux autorités du pays ou aux tribunaux pénaux internationaux, tel le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, si elles font l’objet d’un mandat d’arrêt. C’est ce qui s’est passé également au Kosovo, en Côte-d’Ivoire ou en Afghanistan, où les prisonniers ont été remis aux autorités administratives ou judiciaires de l’État souverain.
S’agissant des militaires français punis de jours d’arrêt, il faut d’abord savoir – je viens moi-même de découvrir ces chiffres – que, pour l’année 2006, sur un total de 35 0000 jours d’arrêt, seulement dix-sept jours d’isolement ont été infligés au total. Vous voyez que ce sont des cas extrêmement rares.
Dans ces cas exceptionnels, le soldat qui, après examen médical, apparaîtrait particulièrement dangereux est soumis au régime de l’enfermement, mais immédiatement rapatrié sur le territoire national par ce qu’on appelle un « vol bleu » dans le jargon militaire, en vue soit de son placement en milieu psychiatrique, soit de son défèrement devant le procureur du tribunal des armées de Paris.
J’ajoute pour conclure que, ce matin même, M. Hervé Morin, ministre de la défense, auditionné par le comité Balladur sur la réforme des institutions, s’est déclaré favorable à ce que le Parlement exerce sur les opérations extérieures, les OPEX, un contrôle a posteriori qui tendrait à valider l’envoi de troupes à l’extérieur et à autoriser leur maintien au-delà d’un certain délai de trois ou quatre mois.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
(L’amendement est adopté.)
La parole est à M. Michel Hunault, pour le soutenir.
En notre qualité de parlementaires, nous avons la possibilité de visiter à tout moment les prisons, sans avoir à en demander l’autorisation à qui que ce soit. Je voudrais être certain que le Contrôleur général disposera de la même faculté d’exercer son droit de visite sans aucune autorisation. Il me semble inconcevable que cette autorité indépendante dispose de moins de pouvoir que les parlementaires pour exercer la mission qui lui est confiée.
Or l’alinéa 2 de l’article 6 prévoit des restrictions à l’exercice par le Contrôleur général de son droit de visite. Cet amendement est-il utile, monsieur le rapporteur, ou pouvez-vous me certifier que le Contrôleur général pourra exercer en toute liberté son droit de visite, qui est un élément essentiel de sa mission ?
Les visites du Contrôleur général pourront donc être, en fonction de leur finalité, soit programmées, soit inopinées, à l’instar de celles du Chief inspector of prisons britannique. Celui-ci ne prévient les autorités à l’avance qu’en cas de visites programmées : cela lui permet de mieux les organiser et d’être mieux informé.
La vérité, c’est que, ni dans le premier alinéa, ni dans le deuxième les choses ne sont claires, et qu’elles ne le seront que si nous votons cet amendement, et c’est pourquoi je le soutiens.
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à Mme Françoise Hostalier, pour le soutenir.
Le projet de loi qui nous est présenté limite le champ de compétence du Contrôleur général aux seuls lieux situés sur le territoire français. Pour se conformer aux prescriptions du préambule du Protocole que nous allons signer, qui rappelle l’obligation faite à tout État partie de « prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants soient commis dans tout territoire sous sa juridiction » – j’insiste sur ces derniers mots –, il est nécessaire de prévoir que le Contrôleur puisse également intervenir dans les lieux situés hors du territoire français.
L’amendement prévoit donc le principe de telles visites du Contrôleur général, après autorisation des autorités responsables – car nous ne sommes pas irresponsables et savons bien qu’en certains lieux ou à certains moments le secret défense pourrait être compromis ou la sécurité des personnes visitant les lieux de détention pourrait ne pas être assurée.
L’amendement n° 56 permet d’assurer, à la demande du Contrôleur général, une transparence totale sur tout lieu de détention, dès lors que les autorités françaises en sont responsables, l’autorisation préalable de la visite du Contrôleur général garantissant évidemment la sécurité de celui-ci ou la faisabilité de sa mission.
Avis défavorable, donc.
Sans revenir sur le débat que nous venons d’avoir sur le sous-amendement n° 86 à l’amendement n° 26, où il était question des opérations extérieures, je rappelle que je souscris aux arguments avancés par M. Fenech. L’amendement n° 56, quant à lui, évoque des visites qui pourraient être effectuées par le Contrôleur général hors du territoire national, sur autorisation d’une autorité publique qui pourrait n’être pas une autorité nationale. Dans la rédaction qui nous est proposée, cet argument pourrait laisser penser que le Contrôleur général pourra contrôler tous les lieux de privation de liberté, quel que soit l’État concerné et quelle que soit la décision prise. Cette imprécision rend l’amendement inutile, car le Contrôleur général n’aura ni cette mission, ni ces prérogatives.
Avis défavorable, je le répète.
Je rappelle en outre, monsieur le rapporteur, la discussion que nous avons eue en commission sur ce thème, compte tenu du fait que la notion de territoire de la République s’étend par exemple, pour autant qu’il m’en souvienne, aux avions dans lesquels voyagent des personnes expulsées du territoire ou aux vedettes servant à reconduire de Mayotte à l’île d’Anjouan celles qui ont traversé à la nage. Il convient donc probablement, et c’est là, madame la garde des sceaux, la précision que je vous demande, d’entendre la notion de territoire de la République au sens le plus large possible, en l’appliquant même là où, si j’ose dire, il n’y a pas de sol.
La question demeure ouverte sur le reste de l’article.
Sans doute serait-il regrettable de voter contre un amendement dont nous comprenons bien la philosophie et le bien-fondé, mais il faut aussi veiller à limiter l’action du Contrôleur général que nous sommes en train d’instituer, afin d’éviter qu’il n’empiète sur le mandat d’instances européennes au sein desquelles la France est déjà représentée et qui, précisément, satisfont déjà à la préoccupation qu’il exprime.
J’admets que cet amendement puisse être mal rédigé – je ne suis pas juriste –, mais je souhaiterais, s’il est repoussé, que nous soient données des garanties très fortes que le Contrôleur général que nous allons instituer pourra observer, connaître et, le cas échéant, faire figurer dans un rapport officiel des manquements aux droits de l’homme, des manquements à la dignité des personnes qui pourraient avoir lieu hors du territoire français dès lors que des institutions françaises ou des Français en seraient victimes.
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le soutenir.
La garde des sceaux s’est en effet engagée à modifier l’article A. 40 du code de procédure pénale, arrêté fixant la liste des personnes avec lesquelles les détenus peuvent échanger une correspondance confidentielle, pour ajouter à cette liste le Contrôleur général, comme c’est d’ailleurs le cas lors de la création d’une autorité administrative indépendante concernée.
Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 57, 66 et 87.
La parole est à Mme Françoise Hostalier, pour soutenir l’amendement n° 57.
Tout d’abord, nous ne comprenons pas ces restrictions et les explications données aux sénateurs ne nous ont pas convaincus. Quelles raisons liées à la défense nationale ou à la sécurité publique pourraient s’opposer à la simple visite du Contrôleur ? Pour ce qui concerne les catastrophes naturelles, il faut compter avec le bon sens du Contrôleur, qui ne doit pas exiger de visiter des lieux qui ne seraient pas visitables.
Quant aux « troubles sérieux », ils nous semblent pouvoir être une raison supplémentaire, pour le Contrôleur, de visiter l’établissement, étant entendu que le Contrôleur n’imposerait pas sa visite si elle devait mettre quiconque en danger.
Pour refuser cette suppression au Sénat, vous avez fait valoir, madame la garde des sceaux, le Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Or les restrictions aux visites prévues par le Protocole ne concernent que le sous-comité pour la prévention de la torture, et non le Contrôleur général, dont la liberté d’action n’est nullement limitée. C’est d’ailleurs pourquoi nous demandons la suppression de l’alinéa 2, qui a conduit du reste les sénateurs à demander eux-mêmes une nouvelle délibération sur l’article 6, estimant que les explications données tant par le rapporteur que par Mme la garde des sceaux n’ont pas de fondement. Nous souhaitons donc que le principe du libre accès commande le texte dans son intégralité.
Tel est le sens de cet amendement.
On voit mal, comme cela vient d’être dit, quelles raisons liées à la défense ou à la sécurité publique pourraient s’opposer à une simple visite. Quant aux catastrophes naturelles, le fait qu’il s’agisse de cas de force majeure devrait suffire : c’est une question de bon sens. Je tiens, en revanche, à m’arrêter sur la notion de « troubles sérieux » dans le lieu de détention, notion dont la définition n’existe pas et qui est susceptible de nourrir toutes les interrogations.
Le fait que des détenus refusent de remonter en cellule après la promenade, qui est aujourd’hui la réaction la plus badine de leur part, peut parfaitement être qualifié de « troubles sérieux » dans l’établissement visité. Cette notion de « troubles sérieux » est-elle opposable à un préfet qui veut venir visiter un établissement pénitentiaire ? Interdirait-elle à un procureur de la République qui le souhaiterait, en application de l’article D. 178 du code de procédure pénale, de se rendre dans une prison ? Ou à un parlementaire qui, en vertu de l’article 719 du code de procédure pénale, dont les dispositions ont été introduites par la loi du 15 juin 2000, est autorisé à « visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d’attente et les établissements pénitentiaires » ?
Il n’y est pas fait mention de « troubles sérieux ». Ceux-ci ne seraient donc pas opposables à un parlementaire ; on a dès lors du mal à comprendre pourquoi ils le seraient au Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
De deux choses l’une : soit la mission du Contrôleur est bien, comme l’affirme notre rapporteur, de prévenir d’éventuels abus qu’un milieu fermé peut favoriser et de lever la suspicion concernant les conditions de traitement des personnes enfermées, et, dès lors, sa liberté de mouvement ne peut être entravée et il convient de supprimer cet alinéa ; soit la vocation du Contrôleur général n’est que d’entretenir un dialogue avec les administrations, et alors nous sommes loin de l’esprit du Protocole facultatif.
De notre point de vue, il est évident que le principe de libre accès doit commander entièrement le texte que nous élaborons. La frilosité qui caractérise ces restrictions n’a pas sa place dans une loi instituant un contrôleur général indépendant. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Un premier amendement tend ainsi à compléter la qualification des motifs pouvant conduire au report de la visite du Contrôleur, pour préciser, en reprenant la terminologie internationale, qu’il ne peut s’agir que de motifs « graves et impérieux ». Il ne s’agit donc plus simplement de motifs graves – cela va beaucoup plus loin.
Un second amendement fait obligation aux autorités responsables des lieux à visiter de prévenir le Contrôleur général dès que les circonstances justifiant le report ont pris fin.
Aux deux bouts de la chaîne, il y a donc des restrictions à ces reports de visite, lesquels, je le souligne, ne sont pas des annulations. Les motifs de ces reports reprennent ceux mentionnés à l’article 14-2 du Protocole facultatif, effectivement applicables aux visites du sous-comité de prévention, mais cela n’exclut pas qu’ils le soient aussi au mécanisme national de prévention.
Je cite l’article 14-2 : « L’objection à la visite d’un lieu de détention déterminée suppose des raisons pressantes et impérieuses » – c’est-à-dire des motifs graves et impérieux – « liées à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles graves là où la visite doit avoir lieu. » Je pourrais aussi citer la Convention européenne pour la prévention de la torture, dont l’article 9 évoque « des motifs de défense nationale ou de sûreté publique ou en raison de troubles graves dans les lieux où des personnes sont privées de liberté », mais également « l’état de santé d’une personne ou d’un interrogatoire urgent, dans une enquête en cours, en relation avec une infraction pénale grave ».
Je passe sur les catastrophes naturelles. S’agissant de la défense nationale, il peut y avoir un certain nombre de restrictions, même si les cas sont assez rares. Quant aux motifs liés à la sécurité publique, ils peuvent concerner une manifestation autour de l’établissement pénitentiaire, qui en empêche l’accès, ou des troubles sérieux dans l’établissement tels qu’une mutinerie ou un refus de retour en cellule après la promenade, car les personnels sont entièrement mobilisés pour régler l’incident. Il peut s’agir aussi d’une évasion – je pense à l’évasion par hélicoptère, comme à Grasse, où l’on tirait dans tous les sens. Ce sont des exemples tout à fait objectifs. Et je rappelle que le Contrôleur n’a pas dans sa mission d’assurer la médiation pour mettre fin à des troubles dans l’établissement.
Reconnaissez, mon cher collègue, que, même si nous ne sommes pas aussi jusqu’au-boutistes que vos amendements, nous limitons et nous encadrons néanmoins de façon très forte…
Quand des détenus ne veulent pas remonter en cellule à l’issue d’une promenade, ce n’est pas badin, monsieur le député. Vous savez que, chez les personnels pénitentiaires, il y a presque deux agressions par jour. C’est extrêmement violent. Ils travaillent dans des conditions extrêmement difficiles. Si on a prévu de telles précautions, c’est parce que les mutineries peuvent être très graves. Il y a des blessés très sérieux parmi les membres du personnel. Pour le Contrôleur, ce n’est alors peut-être pas le meilleur moment pour effectuer sa mission. De même, vous savez très bien que certaines gardes à vue se passent très mal du fait de la violence des personnes appréhendées. C’est pourquoi nous avons souhaité que le Contrôleur puisse différer sa visite, peut-être pour quelques heures seulement, en de telles circonstances, à charge pour les autorités de le prévenir immédiatement lorsque sa venue redevient possible.
Il y a aussi la sécurité du personnel. Croyez-moi, pour l’administration pénitentiaire, ce sont des conditions difficiles au quotidien. Au 1er septembre, nous en sommes à 397 agressions à l’encontre du personnel pénitentiaire. C’est donc aussi pour respecter la sécurité du personnel que nous avons souhaité inscrire dans la loi ces précautions concernant les visites, sans forcément les annuler, et, je le répète, le Contrôleur sera informé immédiatement du report.
C’est pourquoi nous sommes défavorables à ces trois amendements.
Chers collègues, je m’interroge comme vous sur ce sujet, et j’ai déposé un amendement qui vise à objectiver les conditions dans lesquelles il peut y avoir un motif de reporter la visite, et, en même temps, à assurer que les autorités responsables des lieux de privation de liberté ne puissent pas être juges et parties lorsqu’elles évaluent une situation susceptible de conduire à un report. Mais il me semble tout de même que, en dehors des catastrophes naturelles et des troubles sérieux qui viennent d’être évoqués, certaines circonstances doivent conduire au report de la visite, qu’il s’agisse d’un niveau d’alerte particulièrement élevé dans une base militaire, d’une mesure de quarantaine ou d’un problème de santé publique de cette nature.
On doit faire confiance à la loi car il y a des situations dans lesquelles le bien public prime sur la faculté du Contrôleur d’exercer sa mission au moment où il le souhaite, et je suis sensible aux arguments du rapporteur : il est légitime de fixer des critères objectifs pour motiver le report de visite du Contrôleur et donc de prévoir que, dès que les circonstances du report prennent fin, non seulement – ce qui nous avait été proposé en commission par Amnesty International – le Contrôleur retrouve un droit immédiat de visite, et l’autorité de l’établissement l’en informe immédiatement.
Je pense aussi qu’il faut maintenir l’alinéa 2 de l’article 6 parce que, même si le Contrôleur est amené à retarder sa visite, il n’a pas de pouvoir de médiation. Rien ne l’empêche d’investiguer ensuite – il a tous les pouvoirs de le faire s’il le souhaite – sur les conditions qui ont expliqué le report.
On peut donc trouver un équilibre entre la nécessité du report dans certaines circonstances et, bien sûr, le maintien de son pouvoir d’investigation dès que celles-ci ont cessé. L’obligation, que nous allons certainement voter tout à l’heure, d’informer le Contrôleur dès que les circonstances ont pris fin permettra de trouver un tel équilibre.
Je comprends votre argumentation concernant la sécurité du personnel pénitentiaire. Nous sommes comme vous très attentifs à sa sécurité. Il fait un travail extrêmement difficile et il mérite toute notre attention et toute notre considération.
Mais l’alinéa 2 est trop restrictif. J’aurais préféré qu’il soit supprimé et que l’on fasse confiance au Contrôleur. S’agissant des instances de contrôle existant à travers l’Europe, que ce soit le Commissaire aux droits de l’homme ou les membres du Comité de prévention de la torture, il ne me semble pas que les uns ou les autres aient été à l’origine d’une visite alors qu’il y avait une catastrophe naturelle ou une mutinerie. Il vaudrait mieux faire confiance au Contrôleur indépendant pour qu’il puisse exercer sa mission dans des circonstances normales.
Pour les agents de l’administration d’abord, un contrôle extérieur sera le vecteur d’une meilleure connaissance par nos concitoyens de l’institution dans laquelle ils se trouvent et du système carcéral en général : ce sera un bon moyen de lutter contre l’exclusion pénitentiaire dont ils sont aussi les victimes.
L’administration pénitentiaire elle-même, en tant qu’institution, a besoin de ce contrôle extérieur parce que c’est un vecteur de transparence et un moyen de lever tout soupçon d’arbitraire ou d’injustice dans l’exercice de la violence légitime qui est sa fonction.
J’entends les remarques du rapporteur, mais je n’arrive pas à être convaincu par la notion de « troubles sérieux » parce qu’elle est la jumelle, ni plus ni moins, de celle de « trouble à l’ordre public », qui a ouvert une brèche très importante dans le respect de la présomption d’innocence en faisant de la détention provisoire d’un mis en examen, qui devait rester exceptionnelle, une procédure inévitable dès lors que ce motif était invoqué. Nous sommes là sur une question de principe. Je maintiens donc mon amendement visant à supprimer l’alinéa 2 de l’article 6.
(Ces amendements sont adoptés.)
Suite de la discussion du projet de loi, n° 114, adopté par le Sénat, instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté :
Rapport, n° 162, de M. Philippe Goujon, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton