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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 14 octobre 2008

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen et débat sur cette déclaration

M. François Fillon, Premier ministre

M. François Rochebloine

M. Jean-François Copé

M. Pierre Moscovici

M. Yves Cochet

M. Pierre Lequiller, président de la commission chargée des affaires européennes

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

2. Loi de finances rectificative pour le financement de l’économie

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi

Présidence de Mme Danièle Hoffman-Rispal

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan

Exception d'irrecevabilité

M. Jean-Pierre Brard

M. Frédéric Lefebvre, M. Jérôme Cahuzac, M. Daniel Paul, M. Charles de Courson

Discussion générale

M. Jérôme Cahuzac

M. François de Rugy

M. Charles de Courson

M. Bruno Le Maire

M. Paul Giacobbi

M. Jérôme Chartier

M. Hervé Mariton

M. Daniel Garrigue

M. Lionel Tardy

M. Michel Bouvard

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, depuis quelques semaines l’Europe affronte l’une des plus graves crises financières de son histoire. Une action déterminée était nécessaire. La Présidence française a entrepris de la conduire et je crois que nous pouvons ensemble reconnaître que, partout dans l’Union, le volontarisme du Président de la République est salué. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) C’est ce même volontarisme qui a caractérisé son intervention lors de la crise géorgienne.

En quelques mois et à deux reprises, l’Europe s’est révélée comme une force politique avec laquelle il faut compter. Depuis le 18 septembre, c’est-à-dire depuis que la crise financière qui sévit aux États-Unis depuis le début de l’été 2007 est entrée dans une phase aiguë, la France n’a pas varié. Elle a cherché, depuis près de trois semaines, à atteindre le même objectif, c’est-à-dire une réponse globale et massive à une crise financière elle-même globale et massive. Cela n’a pas été facile à obtenir, et il a fallu tout le pragmatisme de la présidence française pour aboutir progressivement – de la réunion du G4 qui a permis de mettre d’accord Britanniques et Allemands à la réunion de l’Eurogroupe d’avant-hier et, je l’espère, à celle du Conseil européen demain – à construire une réponse coordonnée, massive et globale européenne à la crise financière. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Le 12 octobre dernier, le Président de la République réunissait les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro. Je vous ferai d’abord remarquer que c’était une première, puisque jamais, depuis la création de la monnaie unique, un tel sommet ne s’était tenu, ce qui en dit sans doute long sur la considération que l’on avait du fonctionnement de nos institutions, puisqu’on estimait alors qu’il n’était pas normal que les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro se réunissent. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Maxime Gremetz. Vous parlez dans le vide !

M. François Fillon, Premier ministre. Jamais l’Europe ne s’était engagée de façon aussi massive. Il était clair que l’urgence de la situation appelait une réponse européenne commune. Il était clair que les quinze pays de la zone euro, parce qu’ils partagent la même monnaie, la même politique monétaire et la même banque centrale, devaient agir les premiers. C’est ce qu’ils ont fait en annonçant ensemble une action immédiate, puissante et concertée.

Trois décisions majeures ont été prises dimanche soir. D’abord, pour pallier le manque de liquidités des banques, les gouvernements pourront garantir directement ou indirectement leurs nouvelles émissions pour une période définie allant jusqu’à cinq ans. Ces garanties se feront naturellement sous conditions. En France, cette réactivation du marché interbancaire se fera par la création d’une caisse de refinancement, qui empruntera sur les marchés, avec la garantie de État, pour fournir des ressources financières aux banques qui le souhaiteront. Pour des raisons de bonne gouvernance et de transparence, nous avons préféré ce système centralisé, passant par une société de refinancement, à des garanties d’emprunts bancaires au cas par cas. La société de refinancement sera placée sous un contrôle étroit, conforme à la garantie exceptionnelle dont elle est porteuse. Ensuite, chaque État membre de la zone euro a décidé de mettre à la disposition des banques européennes des fonds propres supplémentaires pour leur assurer le « matelas de sécurité» dont elles peuvent avoir besoin dans ces temps de turbulences. L’objectif de cette mesure est évidemment de renforcer la confiance vis-à-vis des établissements financiers…

M. Maxime Gremetz. Ce sont des voleurs !

M. François Fillon, Premier ministre. …et de faire en sorte qu’ils puissent recommencer à exercer leur métier, c’est-à-dire à prêter de l’argent à l’économie réelle, aux entreprises, aux salariés, aux ménages et aux collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) En France, nous avons retenu la voie de l’apport aux organismes financiers qui en feront la demande, sous forme de titres subordonnés, sans droit de vote et, bien entendu, contre rémunération.Enfin, les pays de la zone euro ont rappelé leur engagement, comme la France l’a d’ailleurs déjà fait depuis plusieurs semaines, d’empêcher toute faillite de banque qui présenterait un risque pour le système financier, en y consacrant les moyens adaptés, y compris l’apport de capitaux nouveaux.

Comme je vous l’ai indiqué la semaine dernière, ces prises de participation devront se faire dans le respect des intérêts des contribuables…

M. Maxime Gremetz. Qu’est-ce que cela veut dire ?

M. François Fillon, Premier ministre. …et en veillant à ce que les actionnaires et les dirigeants de la banque assument entièrement leur part de responsabilité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Maxime Gremetz. De quoi s’agit-il ?

M. François Fillon, Premier ministre. Dans l’hypothèse où il devrait y recourir, l’État français les assortirait d’une intervention claire dans la stratégie de redressement de l’établissement et du remplacement de ses dirigeants, comme ce fut le cas lorsque nous avons décidé d’apporter notre soutien à l’établissement financier Dexia.

En ce moment même, comme convenu lors du sommet du 12 octobre, une réaction concertée est mise en œuvre par tous les pays de la zone euro. Vous allez examiner dans quelques instants le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie, qui décline au niveau national différents aspects du plan européen adopté dimanche dernier. Nous sommes conscients de la responsabilité qui nous incombe, au moment où nous nous apprêtons à solliciter de votre part l’autorisation d’engager la garantie de l’État à hauteur de 360 milliards d’euros.

M. Maxime Gremetz. Vous vous rendez compte !

M. François Fillon, Premier ministre. C’est pourquoi, devant les Français, je veux prendre, au nom du Gouvernement, trois engagements. Tout d’abord, il convient de gérer au mieux des intérêts du contribuable. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Maxime Gremetz. On a vu comment vous avez fait !

M. François Fillon, Premier ministre. Les montants indiqués correspondent à des plafonds. Ils sont d’une importance considérable, car nous devons apporter, face à l’ampleur de la crise, une réponse crédible. Ils sont d’ailleurs du même ordre que les annonces faites par nos partenaires, compte tenu de leur produit intérieur brut et de leur situation propre : 480 milliards d’euros pour l’Allemagne et 382 milliards d’euros pour le Royaume-Uni. La simple existence de ces outils devrait suffire à ramener la confiance dans le système interbancaire. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

En tout état de cause, les interventions seront temporaires. Elles seront aussi sécurisées que possible. Ainsi, les prêts bénéficieront de sûretés apportées par les banques. En cas de défaillance, les créances de l’État seront naturellement prioritaires. Ces interventions seront payantes, afin que les acteurs assument entièrement le coût de marché des financements et des investissements qu’ils obtiendront. Le système de rémunération sera mis en place de façon à inciter les bénéficiaires à les rembourser au plus vite, dès que les conditions de marchés seront rétablies.

Le deuxième engagement que je prends devant vous, c’est celui d’exiger des bénéficiaires de ces dispositifs des contreparties proportionnées à l’effort financier de l’État.

M. Maxime Gremetz. Lesquelles ?

M. François Fillon, Premier ministre. Ces contreparties seront prévues par la loi.

M. Pierre Gosnat. Que font les banquiers à Monaco ?

M. François Fillon, Premier ministre. Pour le volet « refinancement », elles seront détaillées dans une convention. Pour le volet « renforcement des fonds propres », elles feront partie intégrante de la politique d’investissement. Elles comportent, au premier chef, l’engagement d’orienter les fonds obtenus vers les prêts à l’économie française. Mais nous avons également tenu à ce que les établissements bancaires et leurs dirigeants s’engagent sur des règles de comportement, c’est-à-dire sur une série de principes éthiques conformes à l’intérêt général.(Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Roland Muzeau. Il n’y a pas d’éthique dans le capitalisme !

M. François Fillon, Premier ministre. Tous les établissements concernés devront ratifier la charte de déontologie sur les rémunérations des dirigeants. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Maxime Gremetz. Cela ne coûte pas cher !

M. François Fillon, Premier ministre. Ils devront adapter les rémunérations de leurs opérateurs financiers, afin d’éviter les comportements imprudents et irresponsables qui nous ont menés là où nous en sommes. Mais nous irons même plus loin. Ainsi, dans mon esprit, il n’est pas concevable qu’une banque concernée par ces dispositifs emploie les fonds obtenus pour procéder à des rachats d’actions ou pour se lancer dans une stratégie d’expansion prédatrice.

Mme Marie-George Buffet. Qu’est-ce qui les en empêchera ?

M. François Fillon, Premier ministre. On ne peut accepter non plus que les dirigeants d’une entreprise puissent la quitter en empochant d’importantes indemnités de départ, ou se fassent voter de généreux plans de stock options. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Maxime Gremetz. Vous les avez laissés faire !

M. Pierre Gosnat. Vous les avez soutenus !

M. François Fillon, Premier ministre. Je pense, s’agissant de ces mesures, qu’il sera plus utile de les voter que de pousser des cris qui n’ont naturellement aucun impact sur la réalité de l’économie française ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Enfin, la même résolution marque notre troisième engagement, celui de transformer en profondeur le système au niveau mondial, pour éviter que de telles dérives se reproduisent.

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. François Fillon, Premier ministre. Le Président de la République l’a rappelé : nous devrons tirer au plus vite les leçons de cette crise pour refonder le système financier international.

M. Maxime Gremetz. Le capitalisme !

M. François Fillon, Premier ministre. Il est hors de question de recommencer comme avant, comme si rien ne s’était passé. Il faut rebâtir l’architecture de la régulation mondiale en matière financière sur une véritable légitimité politique. Des marchés financiers mondialisés ne peuvent pas fonctionner en laissant persister dans leur système de supervision des trous béants, des failles, des pans entiers d’obscurité !

M. André Chassaigne. C’est pitoyable !

M. François Fillon, Premier ministre. Tous les pays, sans exception, doivent adopter des règles de supervision et de régulation rénovées, propres à rétablir les principes de confiance, de responsabilité et de transparence.

M. Jean-Paul Lecoq. Belle autocritique !

M. Maxime Gremetz. Pitoyable !

M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur Gremetz, j’ai dressé pour vous, la semaine dernière, une liste de dérégulations que vous avez vous-même soutenues ! Si vous voulez que je l’allonge, je suis à votre disposition, nous pourrons alors comparer vos responsabilités et les nôtres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Maxime Gremetz. Chiche !

M. Pierre Gosnat. C’est vous qui mettez la France en faillite !

M. le président. Poursuivez, monsieur le Premier ministre.

M. François Fillon, Premier ministre. Nous avons d’ores et déjà pris, en Europe, des décisions ou des orientations en ce sens. J’évoquerai la régulation des agences de notation dont il est, à l’évidence, clair qu’elles ont totalement failli dans ce dispositif (Exclamations sur les bancs du groupe GDR) ; la responsabilisation des dirigeants ; le principe de transparence et de performance dans la rémunération des dirigeants (Exclamations sur les bancs du groupe GDR) ; le renforcement des exigences en fonds propres imposées aux banques ; les règles prudentielles relatives aux produits « titrisés » ; le renforcement des règles de coopération entre pays, notamment en cas de crise. Si l’on veut que ces efforts soient efficaces, ils ne doivent pas rester l’apanage de l’Europe ! Il faut bâtir un nouveau consensus international…

M. Roland Muzeau. On n’est pas sortis de l’auberge !

M. François Fillon, Premier ministre… pour accorder entre elles les recommandations multiples issues de la crise financière. Des trous noirs comme les centres offshore, que j’évoquais la semaine dernière, ne doivent plus exister, et leur disparition doit préluder à une refondation du système financier international.

Dans ce système que nous appelons de nos vœux, le Fonds monétaire international doit avoir un rôle pivot dans un système financier rénové et un rôle d’alerte précoce pour prévenir les crises. Il doit pouvoir porter un diagnostic objectif et partagé sur les changes. Il doit collaborer plus efficacement avec le Forum de stabilité financière internationale qui rassemble les banquiers centraux et les régulateurs nationaux. Il doit profiter d’une légitimité politique renforcée. La Banque mondiale, elle aussi, doit faire évoluer sa gouvernance. Ces chantiers, vous le savez, vont de pair avec un meilleur partage des rôles au plan mondial.

M. Jean-Paul Lecoq. Et un partage des richesses

M. Roland Muzeau. Les coquins et les copains !

M. François Fillon, Premier ministre. Demain, les pays émergents doivent être parties prenantes au système que nous voulons rebâtir. Depuis plus d’un an, la France défend la proposition d’élargir la concertation entre pays développés, actuellement limitée aux huit États économiquement les plus importants à l’origine, aux quatorze États représentant les puissances économiques émergentes sur les différents continents. Cette proposition prend aujourd’hui tout son sens, quand il s’agit de porter de tels projets financiers à l’échelle mondiale.

Mesdames et messieurs les députés, il était indispensable, avant le Conseil européen des 15 et 16 octobre, que les pays de la zone euro montrent l’exemple et soient à la hauteur de leurs responsabilités. Je crois qu’on peut dire que c’est désormais chose faite.

Les 15 et 16 octobre, il faudra encore que l’action décisive de l’Eurogroupe s’accompagne d’un plan cohérent des vingt-sept États membres et de la Commission. Une étroite coordination avec le Royaume-Uni lors du sommet du 12 octobre a permis d’en tracer les prémices. Le Conseil européen sera l’occasion d’en étendre les principes à l’ensemble de l’Union européenne.

Il reviendra à ce Conseil d’envisager une série de décisions importantes : prendre toutes les mesures pour assurer la protection des dépôts dans l’ensemble de l’Union européenne ; reconnaître aux règles européennes la flexibilité nécessaire pour répondre aux circonstances exceptionnelles que nous traversons, ce qui concerne aussi bien les règles de concurrence que celles du pacte de stabilité et de croissance ; adopter un mécanisme européen améliorant la gestion de crise, comme l’Eurogroupe l’a demandé – nous voulons que le président du Conseil, le président de la Commission, le président de la Banque centrale européenne et le président de l’Eurogroupe puissent constituer une sorte d’état-major de crise capable de prendre dans un délai extrêmement court les décisions qui s’imposent pour permettre au système de s’adapter ; voter immédiatement les décisions nécessaires pour que les normes comptables reflètent mieux la valeur réelle des actifs bancaires ; arrêter une série de principes communs sur les « parachutes dorés », les stock options et le système de bonus des opérateurs financiers (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC), pour éviter que le système favorise une prise de risques excessive, ou une extrême focalisation sur les objectifs de court terme, dont on a trop vu le danger ; poursuivre les réformes structurelles de l’économie européenne et lui assurer un niveau de financement suffisant, y compris en utilisant les instruments européens disponibles, comme la Banque européenne d’investissement ; enfin, préparer avec nos partenaires une prochaine initiative internationale pour refonder le système financier international.

Le 1er septembre, la présidence française a répondu au conflit du Caucase par un plan crédible, émanant d’une Europe unie. Aujourd’hui, l’Europe est en train de répondre à la crise financière en s’unissant autour de mesures concrètes et immédiates.

Le sommet du 12 octobre et le Conseil européen des 15 et 16 octobre sont les deux volets nécessaires de cette réponse commune.

S’il est naturel que le Conseil européen se focalise sur les solutions à apporter à la crise financière, il ne devra pas laisser de côté les autres sujets qui sont à l’ordre du jour de la présidence française et que nous voulons voir avancer.

D’abord, sur la base des propositions de la présidence, le Conseil européen prendra des décisions pour sécuriser l’approvisionnement énergétique des Européens.

Un meilleur fonctionnement du marché intérieur de l’énergie est désormais assuré, grâce au compromis global obtenu vendredi dernier au Conseil. Reste à progresser sur les économies d’énergie et sur l’efficacité énergétique ; à poursuivre la diversification de nos sources ; à inventer un mécanisme européen de gestion de crise en cas de difficultés temporaires d’approvisionnement ; à renforcer et à compléter les infrastructures européennes, notamment les interconnexions électriques et gazières ; à développer les relations de l’Union européenne avec les pays fournisseurs, en premier lieu la Russie, mais aussi avec les pays de la mer Caspienne.

Le Conseil européen devra réaffirmer les objectifs volontaires que l’Union s’est fixés pour lutter contre le changement climatique. Nous restons convaincus que, quelles que soient les difficultés conjoncturelles, l’Europe doit montrer l’exemple avant la réunion de Copenhague en 2009 pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi la présidence française a défini des orientations précises pour parvenir à un compromis global sur les propositions de la Commission, tout en tenant compte des demandes légitimes de l’industrie et de la conjoncture actuelle.

Naturellement, le traité de Lisbonne sera au cœur des discussions du Conseil européen. Le Premier ministre irlandais livrera au Conseil son analyse de la situation et les solutions qu’il propose pour sortir de l’impasse dans laquelle l’Union européenne est engagée. La présidence rappellera qu’une solution doit être rapidement trouvée. Je pense que l’expérience de la crise que nous venons de vivre montre à quel point nous avons besoin d’une présidence de l’Union européenne stable et forte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) Cette crise, après celle de la Géorgie, en est, s’il en était besoin, la preuve éclatante.

Le Conseil européen devrait adopter par ailleurs le pacte européen sur l’immigration et l’asile,…

M. Jean-Pierre Brard. L’obsession !

M. François Fillon, Premier ministre. …qui constituera le socle d’une politique commune. L’ensemble des pays de l’Union européenne ont accepté l’idée d’un compromis, correspondant très largement aux demandes de notre pays, pour que la politique d’immigration et d’asile ne soit plus gérée seulement sur des bases nationales mais dans le cadre coordonné de l’espace européen.

Enfin, la présidence a transmis à tous les États membres les propositions du président du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Union, M. Felipe Gonzalez, concernant la composition de ce groupe qui doit entamer ses travaux à partir de janvier 2009. En cas d’accord unanime des États membres, la composition de ce groupe sera entérinée par le Conseil européen. Commencera alors une réflexion de fond sur le sens, le contenu et l’identité du projet européen pour le XXIe siècle.

Mesdames et messieurs les députés, une présidence de l’Union européenne se juge sur sa capacité à affronter les crises. Depuis le mois d’août, les circonstances n’ont pas ménagé la présidence française, et lui ont donné l’occasion de prouver sa volonté. Grâce à la détermination du Président de la République (Interruptions sur les bancs des groupes SRC et GDR), grâce à la confiance que nous accordent nos partenaires, grâce au soutien du Parlement français, nous continuerons à démontrer que l’Europe est le bon niveau pour répondre aux défis mondiaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

L’Europe est plus puissante qu’elle ne le croit. Elle peut répondre aux crises mais, pour cela, il faut que ses membres aient la volonté politique d’agir ensemble et d’adopter des solutions neuves et audacieuses.

J’ai la conviction que cette énergie européenne dépend beaucoup de l’énergie française. L’Europe a besoin d’une France unie et volontaire, et la France a besoin d’une Europe décidée à saisir son destin.

Dans la foulée de ce débat, Christine Lagarde et Éric Woerth vous présenteront le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie. Au-delà des différences politiques, j’invite le Parlement à se rassembler autour de ce projet. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur de nombreux bancs du groupe NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Ce rassemblement serait un signe fort de notre volonté commune de sortir de la crise et de protéger les Français. Ce serait un signe fort de notre capacité à agir ensemble et dans l’urgence, et cela aux yeux de tous nos partenaires européens qui ont confiance dans la présidence française de l’Union. Ce serait enfin l’illustration d’une ambition que nous partageons tous, d’une ambition singulièrement française : faire de l’Europe une puissance politique et économique,…

M. François Rochebloine. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. …une puissance solidaire qui, dans l’union de ses forces nationales, est bien décidée à peser sur l’avenir. C’est le sens du débat qui s’engage et ce sera, je l’espère, le sens du vote de l’Assemblée nationale. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe Nouveau Centre.

M. François Rochebloine. Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, chers collègues, si, à côté des difficultés et des incertitudes qu’elle fait subir à beaucoup, la crise actuelle peut avoir un effet utile, c’est de prouver la nécessité que l’Europe soit unie.

En ouvrant ce débat si opportun à la veille du Conseil européen, nous sommes appelés, nous aussi, à réfléchir à l’essentiel, et les circonstances donnent à nos travaux un écho et une portée nouvelle qu’il nous faut d’emblée mesurer : comment penser clairement l’avenir de l’Europe ?

Peut-être est-il bon, pour cela, d’imaginer un instant comment cette discussion aurait pu se présenter il y a quelques mois, quelques semaines seulement, avant que la crise ne se manifeste dans son ampleur planétaire.

On évoquait alors l’affaire des subprimes aux États-Unis, mais les racines en paraissaient si étrangères à nos usages qu’elle ne semblait pas exportable. Tout au plus s’interrogeait-on sur les risques inconsidérés que paraissaient avoir pris certains établissements financiers européens, voire français. On espérait cependant que la différence globale des comportements et des cultures empêcherait la transmission contagieuse de ce mauvais exemple à l’ensemble européen.

Lorsque la France a pris la présidence de l’Union européenne, les causes de la crise actuelle agissaient déjà d’une manière encore imperceptible au grand public, inspirant une crainte diffuse. La bonne préparation de la présidence française, la définition de priorités claires, l’heureuse intervention du Président de la République, président en exercice de l’Union européenne, dans le conflit russo-géorgien, étaient et demeurent des motifs de légitime satisfaction.

Mais voici que, sans détruire l’effet positif de ces constats, la déferlante de la crise financière gagne, à leur tour, les économies européennes. On annonce, et la nouvelle a de quoi stupéfier, qu’elle menace de faillite tout un pays, l’Islande, qui n’appartient pas à l’Union européenne. Nous voici confrontés à l’interdépendance manifeste des économies et des circuits financiers. Nous avons tous noté alors la question simple qui a surgi de l’opinion : que fait l’Europe ?

Chaque jour apporte son lot de questions et d’informations, hier médiocres, aujourd’hui bien plus encourageantes. Chaque jour démontre une difficulté collective à comprendre les causes et les implications de la crise financière. Chaque jour, l’importance d’une réponse politique collective est davantage démontrée. La preuve en est donnée par l’évolution positive de l’attitude de l’Allemagne à l’égard d’une coordination européenne de la politique bancaire.

Les dangers d’une information imparfaite ou partiale ont été également démontrés. Les déboires actuels des agences de notation ont rendu visibles les limites de leur intervention. C’est pourquoi, d’ailleurs, le Nouveau Centre préconise la création d’un système européen de superviseurs bancaires, calqué sur l’organisation européenne des banques centrales.

L’Europe, si critiquée par certains, devient alors le seul recours.

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. François Rochebloine. Eh oui ! L’affirmation politique d’une Europe forte, que le choc du non irlandais avait paru un temps menacer, reprend une vigueur nouvelle. La présidence française, et l’on ne saurait trop l’en féliciter, a rebondi judicieusement sur le renouveau des attentes européennes produit par la certitude intuitive qu’aucun des États membres de l’Union européenne n’a la capacité de parer seul aux effets visibles et invisibles de la crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

Il est heureux que la présidence de l’Union européenne ait été confiée, en un pareil moment, à l’un de ses membres fondateurs, et incarnée par une personnalité aux convictions européennes incontestables.

Sous l’effet de l’évidence de la crise, le bon sens est en passe de triompher des approches idéologiques qui ont si fâcheusement brouillé la discussion sur l’Europe, et qui apparaissent bien irréalistes au moment où la nécessité de la construction européenne est démontrée par les faits, n’en déplaise à certains.

Nous saluons les premiers résultats positifs de la concertation pratiquée ces derniers jours. Nous espérons fermement que, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le Conseil européen saura traduire en actions durables la force d’une prise de conscience née de la situation de crise. Le Président de la République, en tout cas, peut compter sur le soutien total du Nouveau Centre.

Bien entendu, nous soutenons et approuvons les initiatives que la France a prises pour proposer à ses partenaires européens les instruments nécessaires pour dénouer la crise financière et desserrer les contraintes que cette crise fait peser sur les économies.

Sans attendre qu’une nouvelle crise éventuelle ne les mette à l’épreuve, reconnaissons que les institutions européennes ont besoin de plus de cohérence et d’approfondissement. La présidence tournante est un danger permanent ; il faut à l’Europe une véritable structure politique, et le bien-fondé des innovations proposées par le traité de Lisbonne ne peut plus à cet égard faire le moindre doute pour toute personne responsable.

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. François Rochebloine. Nous espérons que les décisions et le climat du Conseil européen permettront d’ouvrir la voie à une solution positive du problème posé par le « non » irlandais. Nous disons en même temps qu’il serait erroné et dommageable de faire de ce « non » la cause de la fin de l’Europe, au moment où celle-ci manifeste une réelle vitalité dans l’adversité de la crise mondiale.

Nous n’oublions pas, au demeurant, que les institutions européennes travaillent et que les dossiers prioritaires inscrits à l’ordre du jour par la présidence française avancent : approche communautaire de l’immigration et de l’asile, paquet « énergie-climat », évaluation de la politique agricole commune, relance de l’Europe de la défense… Nous ne pouvons que nous en réjouir.

J’ai parlé précédemment de la crise géorgienne, autre temps fort de la présidence française. Il est certain que la puissance de la France, l’expérience déjà longue de sa présence diplomatique dans la région, mais aussi la qualité de ses relations bilatérales avec la Russie, ont été des atouts précieux pour la réussite de sa médiation. C’est bien, toutefois, au service de l’Union européenne et en son nom que ces atouts ont été mobilisés. L’affaire de la Géorgie apporte au demeurant un nouvel argument en faveur de la continuité de l’action de l’Europe et du renforcement de la permanence de ses institutions – en faveur, globalement, de la promotion d’un véritable esprit européen.

Pour que cet esprit se développe, il nous faut tirer les leçons du passé récent. Plus la nécessité politique d’une Europe unie et forte est imposée par les faits, plus il apparaît indispensable d’en aménager avec détermination les assises dans chacun des États membres, et cela passe par la mise en œuvre du principe de subsidiarité. Cela implique de faire des affaires européennes, dans chaque État, une préoccupation nationale, qui devra être traitée en France dans le cadre rénové de nos institutions – ce n’est pas le président Lequiller qui me contredira.

À cet égard, l’application des dispositions récemment insérées dans notre Constitution me paraît essentielle. Certes, leur entrée en vigueur est juridiquement subordonnée à la ratification définitive du traité de Lisbonne, mais elles traduisent aussi une vision plus ambitieuse de la préoccupation européenne, qui peut inspirer dès à présent nos pratiques parlementaires. La subsidiarité doit se traduire également dans les procédures internes à notre assemblée, et je sais que cette préoccupation est ici largement partagée.

Dans les décisions de crise, par le biais des politiques communes ou concertées, mais aussi dans les institutions nationales, l’Europe avance depuis cinquante ans, malgré les tempêtes et les soubresauts. Le groupe Nouveau Centre, pour qui la perspective européenne est une orientation fondamentale, soutient la conviction européenne du président de la République et du Gouvernement. Il souhaite que, lors du Conseil européen qui va s’ouvrir, la force de cette conviction entraîne l’Europe vers de nouveaux progrès.

M. le président. Merci de bien vouloir conclure.

M. François Rochebloine. Il s’associera avec enthousiasme à toutes les initiatives qui feront que, plus que jamais, « vive l’Europe ! » (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Copé, pour le groupe UMP. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Roy. Le pompier pyromane ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-François Copé. C’est au cœur d’une crise que souvent se révèlent les grandeurs et les faiblesses d’une époque. Dans la présente tourmente, les masques tombent et les tempéraments s’affirment. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Je serais à votre place, je garderais mes forces pour tout à l’heure ! (Mêmes mouvements.)

M. le président. Monsieur Copé, je vous en prie, poursuivez.

M. Jean-François Copé. D’un côté, les excès et les peurs ; de l’autre, la mesure et la détermination. D’un côté, des institutions financières dont on disait qu’elles menaient le monde, et qui se sont trouvées paralysées par une panique irrationnelle ; de l’autre, des responsables européens qu’on décrivait comme inutiles ou, pire, comme nuisibles, et qui sont à la manœuvre, apportant avec beaucoup de sang-froid les réponses nécessaires au rétablissement de la confiance.

M. Patrick Roy. Le pompier pyromane ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Lucien Degauchy. Et Royal ?

M. Jean-François Copé. Qu’il s’agisse de tensions diplomatiques ou militaires, de crise sanitaire ou financière, c’est toujours dans les moments où les acteurs ordinaires sont défaillants que les responsables politiques doivent montrer la force de leur tempérament. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) C’est très exactement ce qui est en train de se passer en ce moment, alors que nous vivons une véritable crise systémique qui ne menace pas seulement nos banques, mais encore l’équilibre même de nos économies.

Dans un tel marasme, le premier réflexe de chaque pays est souvent de jouer le « chacun pour soi », la carte du repli. C’est ce qui s’était passé lors de la crise de 1929, avec le retour du protectionnisme, et c’est que nous pouvions craindre à nouveau, après certaines réactions. Mais l’Europe de 2008 a voulu conjurer la malédiction de 1929, et quelque chose d’incroyable est en train de se produire : pour la première fois depuis bien longtemps, ce n’est pas l’Amérique qui vient au secours de l’Europe, mais l’Europe qui vole au secours du monde ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Maxime Gremetz. C’est grand-guignolesque !

M. Jean-François Copé. Sans préjuger de l’issue de cette crise, pour la première fois, devant un péril de cette nature, les gouvernements européens, sous l’impulsion de la présidence française, ont proposé une réponse coordonnée et d’une ampleur massive. Ce sont près de 1 500 milliards d’euros à l’échelle européenne qui sont annoncés dans toutes les capitales d’Europe…

M. Maxime Gremetz. Pour quoi faire ?

M. Jean-François Copé. … avec une parfaite simultanéité et une très grande lisibilité. Je tiens à rendre hommage à nos amis européens qui se sont rassemblés dimanche à Paris. Nous avons mis à profit ce qui nous rassemblait pour faire avancer ensemble une même idée de l’Europe. C’est cette Europe-là que nous aimons !

M. Maxime Gremetz. Celle des multinationales !

M. Jean-François Copé. Une Europe qui propose des solutions et fait tout pour répondre aux attentes des Européens, une Europe qui se fixe un but et s’appuie sur les États pour l’atteindre, une Europe qui s’affirme comme une force politique et non comme une simple machine technocratique !

Dans la gestion de la crise économique, nous devons la présente dynamique européenne, historique, à une mobilisation de talents et de compétences, à la détermination de Nicolas Sarkozy (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC), à l’imagination de Gordon Brown, à l’expérience de Jean-Claude Juncker, au pragmatisme d’Angela Merkel, de José Luis Zapatero, de Silvio Berlusconi et de tous nos autres partenaires européens, à la mobilisation totale de Jean-Claude Trichet et au soutien de Dominique Strauss-Kahn. (Mêmes mouvements.) C’est un mouvement de rassemblement exceptionnel face à des circonstances extraordinaires.

Mais qu’en sera-t-il lorsque nous quitterons l’extraordinaire pour retourner à l’ordinaire ? Une fois la crise dénouée, chacun reprendra-t-il ses habitudes ? Phares blancs et fromage lyophilisé pour tout le monde ? Non, rien ne pourra plus être comme avant.

M. Jérôme Lambert. La politique du Gouvernement doit changer !

M. Jean-François Copé. Je pense d’abord aux règles européennes de gouvernance politique. Nous avons commencé à quatre, pour passer à seize, puis à vingt-sept ; c’est une méthode à méditer. Ceux qui ont milité contre le traité simplifié…

M. Jean-Paul Lecoq. Avaient raison !

M. Jean-François Copé. … ont peut-être ressenti un léger remords (« Non ! » sur les bancs du groupe GDR) en voyant les problèmes d’une présidence européenne limitée à six mois.

Il faut également inventer une nouvelle gouvernance économique qui soit à la hauteur des nouveaux enjeux de la planète.

M. Maxime Gremetz. Oh la la !

M. Jean-François Copé. C’est l’incroyable défi qui est devant nous, et la crise que nous affrontons peut servir d’accélérateur. C’est ce que laisse penser l’action européenne de ces derniers jours.

M. Maxime Gremetz. Dogmatique !

M. Jean-François Copé. Depuis des années, nous parlions de politique économique européenne face à la Banque centrale. Les obstacles semblaient insurmontables, et voilà que ce qui apparaissait impossible il y a peu paraît à portée de main aujourd’hui. Avant ce week-end, le dialogue avec la BCE était interdit…

M. Pierre Gosnat. C’est vous qui en aviez décidé ainsi !

M. Jean-François Copé. À présent, il est acquis ! Ce doit être une nouvelle hygiène de vie, dans le respect de l’indépendance de chacun.

M. André Chassaigne. Grotesque !

M. Jean-François Copé. Il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Je pense notamment à la nécessité de mettre sur pied une surveillance bancaire européenne. Notre continent compte plus de 8 000 banques. Les échanges ne connaissent pas les frontières ; les règles nationales ne peuvent plus suffire.

Cela implique de lutter également contre le moins-disant réglementaire placé au mauvais endroit. Pendant trop longtemps, nous avons été, les uns et les autres, victime d’une méprise. Nous pensions, surtout à gauche, que l’État ne réglementait jamais assez du côté du travail, et, du coup, nous avons « sur-réglementé » dans ce domaine ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) En même temps, l’État n’a pas suffisamment réglementé dans le domaine des systèmes financiers. (Nouvelles exclamations et brouhaha sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Tel est l’effet pervers de cette méprise. Devant ce paradoxe, la gauche aurait bien besoin, elle aussi, de réactualiser ses tablettes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Nous allons devoir introduire de la transparence à tous les étages et mieux encadrer les mécanismes qui ont accéléré la déstabilisation de cette partie de notre économie, à commencer par les normes comptables et les systèmes de notation. La vente à découvert, la titrisation sont autant de pratiques qu’il faudra revoir.

Pour être plus efficaces, nous souhaitons proposer des solutions ; eh bien, chiche ! Nous aussi, parlementaires, nous aurons notre rôle à jouer, et j’espère que les députés communistes, particulièrement excités cet après-midi, sauront brûler leurs vieux livres et nous rejoindre du côté de la modernité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe GDR, où plusieurs députés brandissent des exemplaires du journal « L’Humanité ».)

M. le président. Pas de publicité !

M. Jean-François Copé. Dans ce contexte, nous aurons une troisième mission à accomplir : aller au-devant des Français pour les rassurer. (Brouhaha sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous qui sommes au contact permanent de nos concitoyens, nous savons bien que les Français suivent de très près cette crise, qu’ils expriment des peurs légitimes pour leurs économies et leur niveau de vie. Les chefs d’entreprise de nos circonscriptions expriment aussi leur inquiétude et leur vigilance, et nous devrons, pour y répondre, dire toute la vérité aux Français, ne pas craindre d’expliquer les différents mécanismes qui nous ont conduits là où nous en sommes, montrer que les solutions existent et que celles que nous sommes en train de mettre en œuvre sont les seules possibles. À la démagogie, il ne faudra pas craindre d’opposer la pédagogie, inlassablement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Nous ne laisserons pas ceux qui, à gauche, n’ont que l’invective à la bouche, dire tout et n’importe quoi. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. J’appelle un certain nombre de nos collègues, et en particulier M. Gremetz, à réfléchir à l’image que nous donnons de ce débat, dans lequel nous devrions nous écouter mutuellement. (Mêmes mouvements. – Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Jean Glavany. Président UMP !

M. Jean-François Copé. Ce n’est pas l’image que nous donnons, monsieur le président, mais celle que donne M. Gremetz !

M. le président. Monsieur Copé, tenez-vous en à votre discours, s’il vous plaît.

M. Jean-François Copé. Dans ce contexte, la décision du groupe socialiste de s’abstenir sur le projet de loi de finances rectificative m’a consterné… (Interruptions sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Glavany. Cela nous rassure, si vous voulez le savoir !

M. Jean-François Copé. …, parce que l’image d’une Europe unie commandait celle d’un Parlement français rassemblé, parce que, si les occasions de clivage et de polémique ne manquent pas, nous avions là un rendez-vous d’unité nationale.

Exiger, pour voter ce texte, des garanties sur le pouvoir d’achat et l’emploi des Français, comme le font les socialistes, c’est faire semblant d’oublier que, sans lui, l’ensemble de notre économie s’écroulerait, c’est une hypocrisie, une dérobade ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Je suis consterné, parce que l’abstention est la négation de l’engagement politique. S’abstenir, c’est admettre que l’on est d’accord mais que l’on ne veut pas voter avec la droite. Belle image de modernité ! J’aurais préféré que vous votiez « non », en proposant autre chose ; au moins, cela aurait eu un sens ! (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

En chinois, l’idéogramme désignant la crise est composé de deux signes : l’un signifie danger, l’autre opportunité.

M. le président. Merci de bien vouloir conclure.

M. Jean-François Copé. Aujourd’hui, le danger, c’est de ne rien faire, et de laisser notre économie étouffer par manque de liquidités. Voilà pourquoi nous allons voter sans réserves ce plan pour rétablir la confiance en Europe.

Quant à l’opportunité, mes chers collègues, c’est de profiter de cette crise pour lancer dès à présent une large initiative européenne et poser les bases d’un nouveau capitalisme (Exclamations sur les bancs du groupe GDR), mieux régulé, plus responsable, plus respectueux de l’homme. Ne laissons pas passer cette opportunité. C’est notre devoir. notre mission, et, je le dis : c’est notre honneur. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Moscovici, pour le groupe SRC.

M. Pierre Moscovici. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, le Conseil européen s’ouvre demain, avec un agenda chargé – pacte sur l’immigration et traité de Lisbonne –, mais ce sont évidemment les conclusions des chefs d’État et de gouvernement sur la crise financière qui retiendront toute l’attention.

Nous avons assisté, depuis quelques semaines, à une séquence politique quelque peu chaotique, à une réaction tardive…

M. Michel Herbillon. Vous parlez en expert !

M. Pierre Moscovici. …puisque la crise des subprimes datait d’un an, en réponse à la tornade qui s’est abattue sur les marchés financiers. Il y a eu une période de panique marquée par le chacun-pour-soi, durant laquelle les actions européennes se sont multipliées en ordre dispersé, puis l’Eurogroupe a finalement adopté, dimanche, un plan d’action qui permet d’introduire un premier niveau de coordination entre les partenaires européens. Ce plan est surtout articulé autour de grands principes, les mesures étant laissées à la discrétion des États : assurer des liquidités suffisantes aux institutions financières ; faciliter le refinancement des banques, qui est actuellement contraint ; apporter aux institutions financières les ressources en capital pour qu’elles continuent de financer correctement l’économie ; fournir une recapitalisation suffisante aux banques en difficulté ; renforcer les procédures de coopération entre pays européens. C’est sur cette base que vous présentez aujourd’hui le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie.

Les marchés reprennent des couleurs (Exclamations sur les bancs du groupe GDR),…

M. Maxime Gremetz. Ah ! la Bourse !

M. Pierre Moscovici. …sur fond de cacophonie européenne s’atténuant progressivement.

Mais, si le pic de la crise semble derrière nous, il y a, pour l’avenir, des leçons à tirer de ces semaines de panique boursière. Ces leçons sont, pour nous, de trois ordres : tout d’abord, il faut plus de régulation, pour remettre de l’ordre dans un système qui a lamentablement échoué ; ensuite, il faut plus d’Europe politique et plus de puissance publique (Interruptions sur de nombreux bancs du groupe UMP) ; enfin, il faut rapidement – et vous avez négligé de le faire, monsieur le Premier ministre – se pencher sur l’économie réelle qui est menacée, voire atteinte, par les secousses de la crise financière.

Il faut, disais-je, plus de régulation, pour remettre de l’ordre dans un système qui a échoué. Laissez-moi vous rappeler, en deux points très brefs, notre lecture des événements.

Premier point : un diagnostic : la crise financière qui secoue les marchés aujourd’hui n’est pas la défaillance d’un secteur. Elle est bien plus que cela : c’est la faillite d’un système néo-libéral (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR), qui, depuis plus de vingt ans,…

M. Michel Herbillon. Ce n’est donc pas nouveau !

M. Pierre Moscovici. …a fait de la dérégulation l’unique sentier de la croissance économique, un système marqué par la privatisation des profits, mais aussi par la mutualisation des pertes, par l’absence de contrôle, de supervision et de sanction.

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Pierre Moscovici. Ce système vient de montrer, de manière brutale et éclatante, sa toxicité. Nous devons le changer.

M. Maxime Gremetz. C’est le capitalisme !

M. Pierre Moscovici. On peut l’appeler ainsi, en effet. (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR)

Second point, qui découle directement du premier : la réponse à la crise financière ne peut passer que par la régulation. Il faut mettre au point des règles, des protections et des sécurités pour empêcher qu’une autre crise ne se déclenche à l’avenir et pour permettre une vraie prévention des tremblements de terre financiers.

C’est pourquoi un premier jeu de mesures devrait être pris rapidement. À un premier niveau, il faudrait rattraper le retard pris par la régulation face à l’innovation financière absurde qui s’est développée ces dernières années. Le Parlement européen a adopté, en septembre, une série de recommandations sur les fonds spéculatifs et les fonds de capital-investissement : mise en place d’un cadre harmonisé pour ces fonds, droit à l’information et à la consultation du personnel des firmes reprises. Ces recommandations doivent impérativement, monsieur le Premier ministre, se traduire par une proposition législative de la Commission.

À un second niveau, il faut moraliser les marchés financiers, c’est-à-dire supprimer les conflits d’intérêts et les excès. Il y a deux pistes pour y parvenir : il faut soumettre les agences de notation à un contrôle public, et il faut aussi plafonner les rémunérations, parachutes dorés et bonus que s’octroient les dirigeants de la sphère financière. L’absence de transparence dans ce domaine encourage les prises de risque extrêmes et le court-termisme, et elle récompense l’échec. C’est là-dessus que nous attendons un signal très fort et très ferme du Conseil européen des 15 et 16 octobre : à l’issue de ce Conseil, il faut que les chefs d’État et de Gouvernement européens envoient un message d’une clarté absolue à la Commission. Nous demandons des propositions législatives immédiates visant à réguler les marchés financiers. S’agissant de la France, nous sommes favorables à une grande loi de régulation financière co-produite avec le Parlement.

Deuxième leçon : il faut plus d’Europe politique et plus de puissance publique.

En effet, au-delà des premières pistes que j’ai indiquées, la leçon à retenir de la séquence de ces dernières semaines, c’est que seule une réponse politique coordonnée s’appuyant sur une puissance publique prenant toute sa place et toutes ses responsabilités à l’échelle européenne et, au-delà, à l’échelle mondiale, est susceptible d’apporter une réponse efficace. L’Eurogroupe a pris de premières dispositions, mais nous souhaitons, nous, que les chefs d’État et de gouvernement soient beaucoup plus offensifs et plus volontaristes dans leur soutien à une Europe politique renforcée, qui aurait les moyens de réagir en cas de crise. C’est pour y parvenir que nous suggérons d’indiquer clairement, à l’issue du prochain Conseil européen, que l’Union soutient les efforts du Fonds monétaire international pour mettre en œuvre, sur les recommandations de son directeur général, les propositions du Forum de stabilité financière visant à mieux surveiller les risques et à accroître la transparence. La feuille de route existe, et elle est bonne, mais il manque les autorités pour l’exécuter. Il faut donc renforcer le rôle du FMI.

Il est grand temps de créer ce gouvernement européen dont nous, nous parlons depuis Maastricht, et dont cette crise a prouvé l’absolue nécessité. En effet, la crise des derniers mois a démontré l’inefficacité des interventions étatiques ponctuelles et individuelles, qui n’ont jamais réussi à rassurer les marchés financiers, et, à l’inverse, l’efficacité de l’intervention publique lorsqu’elle est coordonnée au niveau européen. Il aura fallu que soient clairement soutenus les mécanismes régulateurs pour que les marchés se redressent enfin. Nous devrons, à l’avenir, conserver cette leçon, et changer de philosophie économique, fermement et sans hésiter. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, le Conseil européen devra faire le point demain sur le traité de Lisbonne : j’espère qu’il conservera à l’esprit les événements de ces dernières semaines pour faire rebondir l’Europe politique, et même pour la faire progresser, car elle nous a manqué cruellement. (Applaudissements ironiques sur les bancs des groupes UMP et NC.) Vous m’applaudissez, mais n’oubliez pas que l’Europe politique, les socialistes l’ont faite avant vous et bien plus que vous ! Je vous remercie de les applaudir, mesdames, messieurs de la majorité ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Enfin, troisième leçon : il faut dès à présent se pencher sur l’économie réelle, qui donne de dangereux signes de faiblesse, et même pis encore puisqu’elle est aujourd’hui entrée en récession. Certes, il faut sauver les banques, mais il ne faut pas perdre de vue un tableau plus large. (Mêmes mouvements)

M. Henri Emmanuelli. Monsieur le président, on n’entend rien !

M. le président. Monsieur Moscovici, je vous interromps un instant pour rappeler à nos collègues qu’il faut écouter chacun des orateurs avec l’attention et le respect requis. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mon cher collègue, veuillez poursuivre.

M. Pierre Moscovici. Dans ce tableau, il y a les particuliers, les petits épargnants, les employés des PME, les retraités, surtout les plus modestes. Ils sont touchés par la crise financière.

M. Dominique Dord. Démago !

M. Pierre Moscovici. Le chômage a fait un bond au mois d’août : plus 40 000 demandeurs d’emplois. C’est la progression mensuelle la plus importante depuis 1993, vous le savez bien, monsieur le Premier ministre. Une souffrance économique et sociale s’exprime, qui a besoin de recevoir une réponse. Les Français veulent que vous pensiez à eux, et pas seulement aux banquiers qui ont joué les pyromanes et pris des risques inconsidérés, et qui sont aujourd’hui sortis d’affaire grâce à 360 milliards d’euros dont on peut se demander si ce ne sont pas les ménages qui, en fin de compte, paieront la note. (« Très juste ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Il faut s’occuper de la santé des banques, il est urgent de se préoccuper de la garantie des crédits pour les entreprises et pour les particuliers, mais le Président de la République, donc le Gouvernement, n’échappera pas à la nécessité de modifier en profondeur sa politique économique.

Monsieur Copé, nous n’avons que faire de votre consternation, de votre commisération et de votre mépris ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dans l’opposition, nous jouons notre rôle (Protestations sur les bancs du groupe UMP), c’est-à-dire que nous prenons nos responsabilités : nous ne faisons pas obstacle à un plan technique voulu par les Européens, mais sans approuver pour autant la politique du Gouvernement, parce que celle-ci a échoué. Il faut remettre en cause le paquet fiscal, soutenir l’investissement, l’innovation et le pouvoir d’achat. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC.)

Il y a une semaine, les socialistes vous ont demandé, monsieur le Premier ministre, de promouvoir le lancement d’un grand emprunt européen pour soutenir l’activité de l’ensemble des pays européens. Cette proposition reste pleinement d’actualité.

M. Michel Herbillon. Vous enfoncez des portes ouvertes !

M. Pierre Moscovici. Changer pour réagir, ce sera difficile, compte tenu des objectifs parfaitement irréalistes retenus dans le budget. Mais c’est la priorité aujourd’hui. Le Gouvernement annonce un plan « emploi » dans quelques jours ; il était grand temps. Mais nous attendons des garanties et des engagements plus précis et plus fermes en faveur de tous ceux qui souffrent de la crise, car c’est à eux qu’il faut penser ; c’est pour eux que nous devons, au-delà de la crise, changer en profondeur un système qui a échoué. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Huées sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet, pour le groupe GDR.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, je parle au nom des députés Verts.

La catastrophe actuelle n’est pas une crise financière, économique, écologique, politique, sociale ou culturelle. Elle est tout cela à la fois et simultanément, ce en quoi elle est totalement inédite.

M. Marc-Philippe Daubresse. Tout est dans tout !

M. Yves Cochet. Elle est, en un mot, une crise anthropologique. Pour le comprendre, il nous faut remettre en question toutes nos croyances – et Dieu sait si elles sont nombreuses ici. Il nous faut décoloniser l’imaginaire. (Applaudissements ironiques sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Il nous faut penser l’impensable.

La débâcle financière actuelle n’est pas d’abord, comme on l’entend ici ou là, une crise de liquidité. C’est une crise de surgonflement des actifs financiers par rapport à la richesse réelle, c’est-à-dire l’opposé d’une crise de liquidité. Le marché financier, en d’autres termes le volume des échanges de papier virtuel, est plus de vingt fois supérieur aux échanges de l’économie réelle. La richesse réellement existante n’est plus suffisante, comme jadis, pour servir de gage à la dette financière. Un seuil a été dépassé : le seuil de liaison entre le capitalisme, fondé sur le crédit, et les ressources naturelles, qui sont la base de toute richesse réelle.

M. François Goulard. Cela ne veut rien dire !

M. Yves Cochet. Monsieur Goulard, prétendriez-vous que les ressources naturelles ne sont pas la base de toute richesse réelle ?

M. François Goulard. Mais non, c’est le pouvoir de l’homme !

M. le président. Monsieur Cochet, un discours à la tribune n’est pas un dialogue. Vous seul avez la parole.

M. Yves Cochet. Je veux simplement dire à M. Goulard : n’achetez plus de pétrole, ce n’est pas une richesse réelle !

L’effondrement financier actuel s’explique par le dépassement de ce seuil, par la rupture de cette liaison. Autrement dit : la dette est totalement dévaluée en termes de richesses réellement existantes. Avant l’intervention des États et en l’espace de quelques jours, personne ne désirait plus échanger une richesse réelle contre une dette, même rémunérée par un fort taux d’intérêt. La dévaluation de la dette s’explique par cette déconnection, et non pas par un manque de crédit, d’argent en circulation ou de prêts entre banques – cliché véhiculé ici et là.

La question principale est donc : la croissance de l’économie réelle peut-elle être assez forte pour rattraper la croissance massive de la dette ? (« Ce n’est pas cela ! » sur les bancs du groupe UMP.) Évidemment, la réponse est non. La croissance de l’économie réelle est désormais fortement contrainte par la raréfaction des ressources naturelles qui forment la base de tous les systèmes de sustentation de la vie économique et sociale. Cette contrainte s’exerce à la fois en amont par la déplétion minérale et fossile – par exemple le pic de Hubbert – et en aval par la pollution de l’atmosphère, des terres et des océans.

En outre, les inégalités croissantes de revenus depuis trente ans n’incitent pas les ménages à la consommer, sauf par le biais de crédits qui gonflent encore plus la dette. Ainsi, les coûts marginaux de la croissance sont désormais supérieurs à ses bénéfices marginaux. Autrement dit encore : la croissance physique réelle nous rend de plus en plus pauvres.

Pourtant, l’aveuglement des dévots de la croissance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) continue de plus belle ! Ainsi, la déclaration émise par l’Eurogroupe avant-hier commence de la façon suivante : « Le système financier apporte une contribution essentielle au bon fonctionnement de nos économies et constitue une condition de la croissance. »

M. François Goulard. Oui !

M. Yves Cochet. C’est une forme de religion, une théologie, une croyance. Mais l’économie réelle n’est plus en croissance – même négative, madame la ministre : elle est en récession ! Nous pourrions presque prendre des paris sur l’avenir, hélas, car tout cela est bien malheureux. Ceux qui, malgré des signes avant-coureurs objectifs, matériels et présents depuis des années, n’ont pas anticipé, se trouvent fort démunis, y compris dans leur imaginaire.

Quel objectif devons-nous donc viser, en France et en Europe ? Il faudrait que les banques tendent progressivement vers un taux de réserves idéal, c’est-à-dire égal à 100 % de leurs prêts. Toutes les banques devraient devenir graduellement de simples intermédiaires entre déposants et emprunteurs, et non plus des « machins » qui créent de la monnaie à partir de rien et la prête avec intérêt.

M. François Goulard. Elle vient d’où, cette monnaie ?

M. Yves Cochet. Comme je l’ai expliqué, la recherche de la croissance est désormais antiéconomique, antisociale et antiécologique. La croissance est appauvrissante. De toute façon, que vous le reconnaissiez ou non, que vous le vouliez ou non, la récession est là ! Vous n’avez pas su l’anticiper car vos modèles économiques sont périmés, et je crains, hélas, qu’à cause de votre aveuglement, elle ne soit longue et pénible, notamment pour les plus défavorisés, qu’ils vivent dans les pays de l’OCDE ou dans ceux du sud.

Toutes nos actions devraient être guidées par la volonté de faire décroître l’empreinte écologique des pays de l’OCDE. Je sais – et les sourires que je vois me le confirment – que les dirigeants du Conseil européen et vous-même, monsieur le Premier ministre, avez un autre modèle en tête afin de retrouver la croissance. Quelle illusion ! Vous essaierez de sauver la sacro-sainte croissance à laquelle vous croyez parce que vous êtes incapables d’imaginer un autre modèle économique, un autre type de société.

L’espoir d’une nouvelle phase A du cycle de Kondratiev succédant à la phase B que nous traversons depuis trente ans, est vain. Nous ne sommes pas à l’aube d’une nouvelle croissance matérielle ou industrielle, mais dans la phase terminale du capitalisme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), commele disait Immanuel Wallerstein il y a trois jours.

Les possibilités d’accumulation réelle du système ont atteint leurs limites, pour des raisons géologiques et économiques que vous ne voyez pas. II faudrait mettre en place quelque chose d’entièrement nouveau, une société de sobriété dont je ne peux dessiner, de manière très sommaire, que quatre orientations principales. Premièrement : tendre à l’autosuffisance…

M. Marc-Philippe Daubresse. En matière d’autosuffisance, vous vous y connaissez !

M. Yves Cochet. … locale et régionale en matière énergétique et alimentaire, au nord comme au sud. Deuxièmement : aller vers une décentralisation géographique des pouvoirs – bref, vers une France fédérale dans une Europe fédérale. Troisièmement : s’efforcer de relocaliser les activités économiques. Quatrièmement : viser une planification concertée (« À la soviétique ! » sur les bancs du groupe UMP) et l’instauration de quotas, notamment en matière énergétique et alimentaire.

À défaut d’une telle vision et d’une telle action, je crains que notre continent européen ne traverse bientôt des épisodes troublés dont nous apercevons déjà les prémisses. Je prends date aujourd’hui devant vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC.)

John Stuart Mill disait : « Aux grands maux, les petits remèdes n’apportent pas de petits soulagements, ils n’apportent rien. »

Mme Claude Greff. Vous non plus !

M. Yves Cochet. Les grands maux actuels de l’Europe et du monde réclament donc une créativité et une inventivité politiques inédites dans notre histoire. C’est à cette hauteur de pensée et d’action que j’appelle les dirigeants européens, afin de sauver la paix, la démocratie et la solidarité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller, président de la commission chargée des affaires européennes

M. Pierre Lequiller, président de la commission chargée des affaires européennes. Madame et messieurs les ministres, l’Europe a progressé à pas de géant au cours des derniers mois et des derniers jours.

M. Jacques Myard. Elle était au bord du gouffre et elle a fait un pas en avant ! (Sourires.)

M. Pierre Lequiller. Elle a su répondre aux formidables défis imprévus auxquels elle a été confrontée, sous l’impulsion du président de l’Union, Nicolas Sarkozy (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

M. Roland Muzeau. Fayot !

M. Pierre Lequiller. Avec la crise géorgienne et la crise financière, le besoin d’Europe n’avait pas été aussi criant depuis bien longtemps. C’est bien l’Europe qui nous protège.

S’agissant de la crise financière, ne nous leurrons pas : sans l’euro, nous subirions en plus une crise de change qui plongerait nos systèmes financiers nationaux dans l’abîme.

M. François Goulard. Très juste !

M. Pierre Lequiller. Sans la gestion avisée de la Banque centrale européenne, coordonnée avec la présidence de l’Union, la panique financière n’aurait pas butté contre notre première digue de survie. Surtout, sans l’émergence spectaculaire, dimanche dernier à Paris, d’un gouvernement économique de l’Europe – que vous appeliez de vos vœux, monsieur Moscovici –, nos égoïsmes nationaux nous auraient menés au désordre et à la catastrophe.

Cette semaine est historique. Dimanche, les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro ont pris des décisions qui marqueront l’histoire européenne car nous aurons à nouveau recours, dans des cas similaires, à ce sommet de la zone euro. Lors de cette grande première, les gouvernements ont su coordonner leurs actions, et mettre en place un plan européen de 1 700 milliards d’euros qui a stoppé l’hémorragie financière non jugulée par le plan Paulson.

Bien sûr, en ces temps difficiles, la prudence reste de mise. Toutefois, l’Europe peut jouer un rôle déterminant dans les affaires du monde si, à sa tête, se manifeste une volonté politique d’agir et d’unir. Madame la ministre, sachez que le rôle décisif de la France est salué par tous nos partenaires. Je peux en témoigner. Hier à Bruxelles, j’ai rencontré les délégations de toute l’Europe ; en commission des affaires européennes, nous avons discuté avec nos partenaires allemands et polonais. Tous ont unanimement loué la présidence française de l’Union pour sa gestion de la crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Les progrès avaient été tout aussi spectaculaires au cœur de l’été, lorsque la Russie a cru pouvoir jouer de nos vieilles dissensions et de la distraction électorale américaine, pour imposer le fait accompli en Géorgie. Là encore, sous l’impulsion de la France, l’Europe a su réagir vite et d’une seule voix, posant clairement les limites. Désormais, l’Europe s’efforce de négocier d’une seule voix avec ce partenaire difficile mais décisif.

Je veux rappeler les autres victoires, passées aujourd’hui au second plan mais tout aussi importantes, remportées sur le front de l’Europe, et qui ont des résultats concrets pour nos citoyens. Tous les sujets jugés prioritaires par la présidence française ont progressé de manière tangible et, à vrai dire, étonnamment rapide. L’Union pour la Méditerranée est devenue une réalité. Un pacte de l’immigration fort et généreux a vu le jour. Le paquet « énergie-climat », freiné par certains États membres arguant du contexte financier, devrait néanmoins franchir les étapes. Enfin, nous avons de vraies raisons d’espérer que l’Europe de la défense et la réforme de politique agricole commune vont avancer.

Tous ces progrès donnent une leçon à l’Europe : ils lui montrent la nécessité de mettre le plus vite possible en œuvre le traité de Lisbonne, tout simplement parce qu’il lui donne les moyens d’une volonté politique continue et durable, qu’elle n’a aujourd’hui que par intermittence. Il s’agit notamment de doter l’Europe d’un président stable qui ne soit pas un simple chairman, mais s’impose en vrai leader capable de forger les consensus et de donner les impulsions.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Pierre Lequiller. Bien entendu, madame la ministre, le sommet de demain traitera avant tout de l’urgence absolue : la crise financière. Cependant, le chantier des institutions reste important. Une feuille de route doit être dessinée pour sortir de cette crise. Il faudra apaiser les inquiétudes du peuple irlandais, il faudra que les ratifications suédoise, tchèque et polonaise s’achèvent avant la fin de l’année, et que l’Irlande se détermine ensuite. La capacité de l’Europe à faire face à la crise fera peut-être réfléchir ce pays, le plus touché par les événements récents.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Pierre Lequiller. La crise financière nous apprend au moins une chose : le moindre relâchement dans la vigilance politique se paie au prix fort.

M. Roland Muzeau. Elle nous apprend aussi que les riches le restent !

M. Pierre Lequiller. C’est pourquoi nous devons tous ensemble nous atteler à une tâche essentielle : définir les règles de gouvernance, financières mais aussi économiques, aptes à remettre l’économie mondiale sur les rails de la croissance et à écarter la résurgence de telles crises.

Madame la ministre, nous voterons votre plan. Je trouve d’ailleurs paradoxal qu’au moment où toute l’Europe s’engage en faveur de plans similaires, certains, dans cet hémicycle, s’abstiennent ou votent contre, en pleine crise financière. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

M. François Rochebloine et M. André Schneider. Très bien !

M. Pierre Lequiller. Demain, au niveau mondial, grâce à sa force d’impulsion, l’Europe pourra entraîner nos amis américains et les convaincre de la nécessité d’une régulation mondiale. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, il est un adage communautaire bien connu selon lequel « la réussite d’une présidence européenne s’apprécie en mesurant sa capacité à réagir face à l’imprévu. » Qui oserait se réjouir de la survenue d’une nouvelle crise, quelle qu’elle soit ? Personne, bien entendu. Pourtant, force est de reconnaître que l’imprévu a déjà fait irruption à plusieurs reprises au cours de ce semestre de présidence française et qu’à chaque fois ces événements ont servi de révélateur.

L’Europe a longtemps été cantonnée à la sphère économique et commerciale. Elle a naguère été présentée comme une entité trop repliée sur elle-même. Or l’Union européenne s’affirme aujourd’hui très nettement sur le terrain politique et diplomatique. De la crise russo-géorgienne de cet été à la tourmente financière actuelle, l’Europe a fait la démonstration de sa cohésion et de sa cohérence. À mes yeux, il ne s’agit pas d’un simple concours de circonstances.

Nous débattons cet après-midi des perspectives du Conseil européen qui s’ouvre demain. Cependant, d’ores et déjà, un Conseil européen exceptionnel s’est réuni le 1er septembre dernier, sur la situation en Géorgie.

À cette occasion, les chefs d’État et de gouvernement, à l’unanimité, ont rappelé leur préoccupation s’agissant des conséquences, notamment humaines, de cette situation, ainsi que leur condamnation de la décision unilatérale de la Russie de reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud.

Mes chers collègues, cela vous paraît peut-être aller de soi aujourd’hui, mais c’est un petit exploit diplomatique qu’a accompli à cette occasion, au nom de l’Union européenne, la présidence française.

M. Patrick Lemasle. Les Russes n’ont toujours pas quitté le terrain !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Cette médiation a débouché sur un cessez-le-feu, un meilleur acheminement de l’aide humanitaire aux victimes et un retrait substantiel des forces militaires russes en un temps record.

Le Conseil européen dont nous débattons sera d’ailleurs l’occasion de faire le point sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du plan en six points négocié par la présidence. La commission des affaires étrangères a pu s’en rendre compte lors des récentes auditions du chargé d’affaires de l’ambassade de Russie, de l’ambassadeur de Géorgie à Paris et de vous-même, monsieur le ministre des affaires étrangères. Dans cet épisode c’est l’Europe seule, c’est l’Europe unie qui a su réagir avec la fermeté et la lucidité nécessaires. Il faut rendre hommage à la ténacité de Nicolas Sarkozy pour son action en pareille circonstance. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Fayot !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Croyez-vous que cette réaction diplomatique exemplaire n’ait dû son succès immédiat qu’à l’absence conjoncturelle des États-Unis ? Est-ce uniquement parce que l’administration Bush est finissante et que la relève n’est pas encore en place que l’action de l’Europe est soudain devenue visible ? Évidemment non. L’Europe a depuis longtemps commencé à bâtir une politique étrangère et de sécurité commune, et l’épisode géorgien illustre ce que l’Union est désormais capable de faire sur le terrain diplomatique.

M. Patrick Lemasle. L’exemple est bien mal choisi, au contraire !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Souhaitons que, demain, elle en soit d’autant plus capable qu’elle se sera dotée du service d’action extérieure prévu par le Traité de Lisbonne. D’ailleurs, la réflexion sur les voies et les moyens de régler la question institutionnelle sera aussi à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.

Mes chers collègues, dans une autre crise, et avec d’autres leviers d’action, la réponse européenne a témoigné de la même cohésion : je veux bien sûr parler des plans coordonnés mis en œuvre par les États membres pour faire face à la tourmente financière. Celle-ci menaçait non seulement les places européennes, mais aussi toute la sphère de l’économie réelle mondiale. Je veux insister sur le moment très particulier que nous sommes en train de vivre : l’Union, qui s’est construite sur des projets économiques pour acquérir une stature politique, voit aujourd’hui, comme par un effet de symétrie, la politique consolider l’économie.

Il est frappant de voir, au-delà même de la zone euro, combien la réponse coordonnée des chefs d’État et de gouvernement, qui vont corroborer cette unité à l’occasion du Conseil européen, a su échapper au repli protectionniste. Qui pourrait nier que cette tentation soit toujours présente dans des circonstances difficiles ? C’est, bien au contraire, l’unité qui a prévalu, et avec une rapidité exemplaire. Je n’y vois aucune résignation, ni aucune acceptation déçue d’un plus petit commun dénominateur. J’y vois plutôt le choix résolu des États membres de poursuivre ce que j’appellerai un intérêt général commun.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les crises que nous venons de traverser auront eu un mérite : la prise de conscience par l’opinion publique européenne que l’Europe est devenue une entité constructive, voire indispensable, dans le règlement des problèmes difficiles qui nous touchent directement.

M. le président. Merci de bien vouloir conclure.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Je termine, monsieur le président.

Plus important encore : la perception par nos concitoyens de ce qu’est l’Europe, de ce à quoi elle sert et de ce qu’elle peut faire en temps de crise, aura évolué de façon déterminante. Je dirai même que la conscience collective européenne aura probablement franchi une étape fondatrice. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, si les opinions divergent encore, chacun aura constaté, avec un peu de retard pour les uns et plus d’allant pour les autres, que l’Europe avait réagi aux crises. J’en prends acte et vous en remercie, comme je remercie le Premier ministre pour son travail et le Président de la République, qui est celui qui a pris le plus de risques. En Europe, en général, on attend plutôt que les autres en prennent, comme certains sur ces bancs. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

Je vous invite à comparer le discours de Pierre Moscovici et la déclaration du Premier ministre : vous y trouverez, malgré les nuances – heureusement qu’il y en a – un fond et des propositions communs ; vous y trouverez bien plus d’arguments en faveur d’une Europe qui agit qu’en faveur du contraire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Votre assemblée s’apprête à débattre du plan gouvernemental relatif à la crise économique. Cependant, M. Poniatowski, M. Lequiller et M. Rochebloine ont fait part de leurs interrogations à propos de la Géorgie. Nous sommes arrivés sur place dès le deuxième jour de la guerre – car guerre il y avait – et, deux jours plus tard, un document en six points était signé, dont je rappelle qu’il est le seul auquel les protagonistes et le monde entier se réfèrent aujourd’hui. J’espère qu’il constituera le socle des pourparlers qui s’engageront demain à Genève.

En deux mois, du 10 août au 10 octobre, nous nous sommes efforcés d’apporter une réponse à la crise : je ne crois pas que, dans l’histoire des crises européennes, la réaction ait jamais été aussi rapide. Certes, le plan n’est pas parfait, et nous ne prétendons pas fournir la solution définitive – qui le pourrait ? – aux crises du Caucase. Je suis néanmoins sûr d’une chose : si le Président de la République n’avait pas su – sans l’aide de la Commission ni des vingt-six autres pays membres puisque, je le rappelle, nous étions au mois d’août – prendre de telles décisions, aussi risquées fussent-elles, Tbilissi aurait été envahie et le gouvernement de M. Saakachvili n’existerait plus.

On peut juger qu’une telle réponse n’est pas décisive ; j’estime pour ma part qu’elle est inédite en Europe. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Le débat est clos.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Loi de finances rectificative pour le financement de l’économie

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie (nos 1156, 1158).

La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, à supposer que l’on m’ait demandé, il y a un mois, si l’ensemble des banques d’affaires américaines pouvaient disparaître en un mois, et si le gouvernement américain pouvait, en l’espace de quelques jours, engager la réserve fédérale et le Trésor pour participer au capital de tous les grands établissements financiers américains, je crois que j’aurais répondu par la négative.

M. Roland Muzeau. Gouverner, c’est prévoir !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Pourtant, telle est bien la mesure de la crise que nous vivons actuellement. À bien des égards, elle est excessive, et c’est probablement d’ailleurs la crise des excès. Excès de spéculation tout d’abord, qui a conduit à l’apparition d’une bulle immobilière aux États-Unis et dans certains pays européens – en particulier en Irlande, en Espagne.

M. Patrick Roy. Ce sont les excès de la droite ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Lionnel Luca. Et revoilà le comique troupier !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Excès de crédit, aux États-Unis tout d’abord, où un système de distribution de prêts sans garde-fous a précipité tout un pays dans une crise immobilière sans précédent. Excès de complexité également, la profession financière ayant perdu la maîtrise des outils qu’elle avait créés. Excès de cupidité enfin, avec des politiques de rémunération qui incitaient bien souvent à saisir sur l’instant des bonus faciles pour laisser au lendemain des risques incommensurables.

M. Patrick Roy. Risques que vous n’aviez jamais dénoncés !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Dernier excès, enfin, celui qui a saisi les marchés depuis la défaillance de la banque Lehman Brothers, le 15 septembre. Cet excès est celui de l’irrationalité, de la panique de la Bourse et des investisseurs.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est qu’un excès… sentimental !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Aujourd’hui, certaines entreprises industrielles valent moins que les seuls immeubles dans lesquels elles exercent leurs activités.

M. Jean-Pierre Brard. C’est l’aberration du capitalisme !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. À tous ces excès, il faut opposer la vigueur, la détermination et la coordination, car, quand l’irrationnel prend racine au cœur du secteur financier, c’est toute l’économie qui s’arrête de fonctionner. En effet, c’est la finance qui soutient le financement des investisseurs, que sont les entreprises.

M. Jean-Pierre Brard. Sophisme !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Lorsque les entreprises ne sont pas en mesure d’investir, elles ne sont pas non plus en mesure d’employer, de créer de l’activité.

Avec le projet de loi qui est soumis à votre examen, nous proposons d’opposer la solidité de l’État à la volatilité des marchés, la permanence de l’État à l’évanescence de la liquidité. Nous mettons tout simplement la solidité et la permanence de l’État, par le biais de sa garantie, au service de nos concitoyens, pour vaincre la défiance. C’est en relançant le refinancement du système financier que nous éviterons des conséquences qui auraient été beaucoup plus graves pour l’ensemble du pays si nous n’avions pas mis en place le plan que nous vous proposons et que, je l’espère, vous voterez.

M. Patrick Roy. Le pompier pyromane !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. La force du plan du Gouvernement, c’est donc la vigueur, la détermination, mais c’est aussi un véritable élan européen. Le plan adopté hier en Conseil des ministres est l’aboutissement d’un processus de coordination international qui a commencé le 4 octobre avec un G4 convoqué par le Président de la République. La déclaration de Paris, le 4 octobre, a déclenché un processus qui s’est poursuivi à l’Eurogroupe, le 6, à l’ECOFIN, le 7, et, ensuite, la doctrine européenne ayant été fixée, au sein du G7, le 10, ce qui a permis de rallier les Américains, les Canadiens et les Japonais à une doctrine dont je précise qu’elle est européenne.

M. Jean-Pierre Brard. Back in business !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Au-delà du G7, c’est le G20, qui regroupe plusieurs pays émergents, déterminants pour la croissance future, qui se sont ralliés, en dépit des intérêts particuliers, à une position commune qu’il nous appartient aujourd’hui de défendre.

M. Frédéric Lefebvre. Beau travail !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Au-delà du G7 et du G20, c’est l’ensemble de la communauté internationale, au travers du Comité monétaire et financier du Fonds monétaire international, c’est-à-dire 178 pays, qui a accepté de défendre les principes que vous aurez à examiner aujourd’hui.

C’est donc un processus global de recapitalisation des établissements financiers et de financement de l’économie, pour que le moteur économique se remette en marche. Tous ces travaux ont débouché sur l’accord historique des chefs d’État et de gouvernement de l’Eurogroupe, avant-hier soir. Le 12 octobre au soir, en effet, les seize pays de l’Eurogroupe se sont accordés pour appliquer simultanément, selon leurs rythmes, leurs systèmes juridiques, leurs systèmes parlementaires respectifs, les mêmes principes au service des mêmes objectifs : soutenir l’économie par le financement des établissements de crédit, pour faire en sorte qu’aucun établissement financier ne tombe en faillite, que l’épargne et les dépôts de nos concitoyens soient protégés, que les entreprises de notre pays et nos collectivités locales puissent continuer à être financées.

Une telle coordination est indispensable entre pays européens qui partagent les mêmes espoirs, la même monnaie et la même banque centrale.

C’est cet accord que le Gouvernement vous propose d’adapter à la situation de notre pays et de nos établissements financiers, ainsi qu’à notre droit.

Concrètement, nous vous soumettons trois mesures simples et de bon sens,…

M. Jean-Pierre Brard. Ben voyons ! Le bon sens coûte cher, ces temps-ci !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …fondées sur l’apport par l’État de sa garantie.

M. Roland Muzeau. Ah ! Les vertus de l’État !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Tout d’abord, nous vous proposons de créer une société de refinancement. Avec la crise de confiance, les banques ne se prêtent plus entre elles.

M. Jean-Pierre Brard. Elles se connaissent trop bien !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Sans financement, elles cesseront de prêter aux ménages, aux entreprises ou encore aux collectivités locales. Et sans ces investissements, l’emploi souffrira : Nous ne pouvons nous résoudre à cette fatalité.

Cette société de refinancement lèvera des fonds sur les marchés avec la garantie de l’État, et utilisera les ressources ainsi obtenues pour prêter aux banques qui, à leur tour, pourront assurer le financement normal des ménages, des entreprises et des collectivités.

D’autres pays ont choisi de garantir directement la dette de leurs banques. La France, quant à elle, a fait le choix d’une solution plus efficace et plus protectrice des intérêts du contribuable.

M. Michel Bouvard. Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Celui-ci sera protégé à double titre. D’une part, nous facturerons la garantie à des conditions commerciales.

M. Roland Muzeau. Pour la refacturer ensuite aux citoyens !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous ne la facturerons pas pour rien, monsieur Muzeau. Nous allons emprunter à un taux x, puis prêter à un taux x y, y étant la rémunération de la garantie de l’État.

M. Roland Muzeau. Et les banques, à quel taux se reprêteront-elles grâce à ces fonds ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Pour résoudre les difficultés qu’éprouvent aujourd’hui les banques à se financer, nous proposons que la société de refinancement lève de l’argent à leur place grâce à la garantie de l’État. En effet, les investisseurs sont prêts à acheter des bons du Trésor et à souscrire aux emprunts lancés par l’État, en qui ils ont confiance. Dès lors, c’est la garantie de l’État qui améliorera le refinancement des banques. Il va de soi, je l’ai dit, que nous refacturerons ce service de garantie aux emprunteurs, car une telle garantie ne peut être consentie sans contrepartie.

Deuxiè–me garantie, les prêts que la société de refinancement accordera aux banques seront des prêts sur gage. Les garanties ne seront pas données sans contrepartie.

M. Jérôme Cahuzac. Gages pour qui ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. En effet, en contrepartie des prêts qu’elle leur consentira, elle recevra des actifs de bonne qualité en guise de gage –qualité qui sera contrôlée par la Banque de France elle-même. Ainsi, au cas où une banque ne parviendrait pas à solder son emprunt, la société de refinancement disposerait des actifs déposés en gage pour effectuer le remboursement.

M. Jean-Pierre Brard. On a vu ce que cela a donné avec Tapie !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Soyons clairs : notre proposition n’a rien à voir avec le « plan Paulson », cette structure de « défaisance » dans laquelle l’État américain stocke les actifs toxiques qu’elle a rachetés aux banques avant de les revendre, au risque d’y perdre.

M. Jérôme Cahuzac. M. Tapie connaît bien cette pratique !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Au contraire, la France n’achètera pas d’actifs, mais elle en prendra en gage – et elle ne se paiera sur le gage qu’en cas de défaillance de l’emprunteur.

M. Jean-Paul Lecoq. Qu’il est difficile d’éviter la nationalisation !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. La société de refinancement aura donc d’abord une créance sur les banques, et le gage ne servira, je le répète, qu’en cas de défaillance de l’emprunteur.

Le deuxième mesure que nous vous proposons, c’est de donner à l’État la possibilité de renforcer les fonds propres des banques françaises qui le souhaitent, par le biais d’un guichet garanti par l’État. Au fil des récentes réunions internationales, un consensus a émergé autour de cette priorité : le renforcement des fonds propres des organismes financiers est essentiel au retour de la confiance.

Que les choses soient claires : les fonds propres des banques françaises excèdent largement les minima réglementaires, et même souvent les fonds propres des banques d’autres pays, voisins notamment. Pour autant, la France ne doit pas être en reste. Elle doit disposer des mêmes moyens que ses partenaires pour renforcer les fonds propres de ceux de ses établissements financiers qui le souhaitent.

Voilà qui augmentera la capacité de l’État à intervenir pour stabiliser la situation de toute banque en difficulté. Le président de la République en a pris l’engagement solennel : l’État ne laissera pas tomber une seule des banques françaises, et aucun déposant français n’aura à souffrir de la défaillance d’un établissement financier.

MM. Jean-Pierre Brard et Roland Muzeau. Nous voilà sauvés !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Pour ce dispositif de renforcement des fonds propres, qui comprend la garantie de refinancement et la garantie en cas de prise de participation, l’État propose une enveloppe plafonnée à quarante milliards d’euros, sur laquelle je reviendrai dans un instant.

Enfin, la troisième mesure que nous vous proposons est la garantie dite « Dexia ». Le sauvetage de ce groupe était essentiel à la stabilité de notre secteur financier, mais aussi au financement de nos collectivités locales.

M. Louis Giscard d'Estaing. Absolument !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. L’État français a donc décidé de prendre ses responsabilité et d’intervenir aux côtés de la Belgique et du Luxembourg.

L’urgence étant réglée, il nous faut désormais pérenniser l’activité de cet établissement. Tel est l’objet de la garantie que nous vous soumettons, et qui porte sur les nouvelles émissions des entités du groupe Dexia. Je précise que le montant de cette garantie est réparti entre les trois États susmentionnés au prorata de leur participation dans le capital de la société de tête.

J’en viens donc au montant de ces garanties. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit que de garanties qui, en tant que telles, ne seront probablement jamais appelées ni, a fortiori, tirées – de même que les parents qui apportent leur caution à leurs enfants locataires ont rarement besoin de la libérer.

M. Jean Launay. Les enfants ne font pas dans l’économie virtuelle !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Ensuite, je rappelle que nous avons fixé des plafonds de garanties, qui ne seront sans doute pas atteints. Nous voulons simplement disposer des mêmes marges que nos voisins européens, qui ont décidé des mêmes mesures au prorata de leur produit intérieur brut. Une fois la confiance revenue, seule une part limitée de ces moyens nous sera utile et l’ensemble du dispositif sera appelé à disparaître.

M. Roland Muzeau. Quand les poules auront des dents ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Pour les trois dispositifs – société de refinancement, société de prise de participation et garantie « Dexia » –, nous proposons un plafond de garantie de 360 milliards d’euros, dont 40 milliards seront consacrés à garantir les émissions de la société de prise de participation de l’État destinée à renforcer les fonds propres des banques qui le souhaitent ou à intervenir au capital de banques en difficulté – sachant que les obligations des banques seront bien plus contraignantes dans ce dernier cas, puisque l’État intervient alors au plus haut du bilan de l’entreprise.

M. Jean-Paul Lecoq. Qui donne à qui ?

M. Jean-Pierre Brard. Mais il y a le bas du bilan – et les bas-fonds même !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Le reste, soit 320 milliards, seront consacrés aux besoins de la société de refinancement, ainsi qu’à ceux de Dexia.

Certains déploreront que ces garanties représentent beaucoup d’argent pour bien peu d’engagements.

M. Jean-Paul Lecoq. Et pour cause : les banques seront juge et partie !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Non : en contrepartie de ces garanties, le Gouvernement exigera une série d’engagements, d’ordre économique mais aussi éthique.

M. Jean-Pierre Brard. Ah ! De la morale !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Au plan économique, seuls seront éligibles à la garantie des refinancement les établissements qui respectent les exigences de fonds propres. Aucun établissement sous-capitalisé ne pourra y prétendre, sauf à entreprendre une recapitalisation.

D’autre part, les établissements refinancés devront consacrer leus moyens au financement de l’économie, c’est-à-dire des ménages, des entreprises et des collectivités locales. Des conventions seront signées à cet effet entre l’État et les sociétés empruntrices, lesquelles comprendront également des objectifs de prêt supérieurs au montant du refinancement consenti.

Ensuite, les établissements de crédit devront publier un rapport mensuel faisant état des montants consenti aux ménages, aux entreprises et aux collectivités.

M. Jean-Pierre Brard. Mon Dieu, quel sacrifice !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. À chaque trimestre, elles devront présenter une analyse de performances en matière de prêts à l’économie et justifier du respect de leurs objectifs.

M. Jean-Pierre Brard. Y aura-t-il sanction s’ils ne sont pas respectés ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. S’agissant des contreparties éthiques, nous exigerons un encadrement strict de la rémunération des dirigeants et l’interdiction de cumuler un contrat de travail et un mandat social.

M. Jean-Pierre Brard. Un cadre doré, en quelque sorte !

M. Marc Dolez. Comme si l’on pouvait moraliser le capitalisme !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous exigerons aussi le plafonnement des indemnités de départ…

M. Roland Muzeau. Voilà des mois que nous le demandons !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …et l’institution d’un comité des rémunérations.

Je demanderai aux établissements concernés de présenter à la commission bancaire une politique de rémunération de leurs opérateurs – y compris une politique de bonus – qui permettra d’éviter toute prise de risques déraisonnable.

M. Roland Muzeau. Ils vous enverront promener !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Aucun refinancement ne sera disponible sans ces contreparties, dont le projet de loi prévoit qu’elles seront fixées par une convention signée entre l’État et chaque banque participante.

S’agissant du renforcement des fonds propres pour les banques bien capitalisées, j’irai plus loin encore : je demanderai la renonciation aux parachutes dorés, l’interdiction des rachats d’actions et l’association de l’État aux performances futures de l’établissement.

M. Jean-Paul Lecoq. Il serait temps !

M. Roland Muzeau. Des soviets partout !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Au-delà de ces contreparties essentielles, nous devons bâtir un nouveau cadre pour le capitalisme : un cadre éthique et mieux régulé, au service du financement de l’économie réelle. Le président de la République s’est engagé à ouvrir bientôt ce chantier avec l’ensemble de nos partenaires européens et internationaux. Le premier ministre l’a dit tout à l’heure : il ne servirait de rien d’instaurer une régulation et des principes éthiques dans tel ou tel pays ou région dès lors qu’ailleurs sur la planète financière, des « trous » entraveraient le bon fonctionnement du système.

M. Jean-Pierre Brard. Votre système, c’est un véritable gruyère !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je pense par exemple à des zones fiscales qui proposent des mécanismes d’évasion non compatibles avec un système bien contrôlé.

À l’occasion de l’examen de ce projet de loi, mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis pour vivre un moment historique. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Il s’agit d’un tournant dans la relation qui lie la finance internationale au politique. Nous allons remettre la finance au service de l’économie, et non plus au service d’elle-même.

M. Jean-Paul Lecoq. Depuis le temps qu’on le disait ! Auriez-vous lu L’Humanité ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Ce mouvement, né au sein du G4, a grandi en Europe sous la présidence française : l’Eurogroupe a proposé plusieurs mesures et élaboré une doctrine, qu’a adoptée le conseil ECOFIN.

M. Jean-Pierre Brard. Quelle doctrine ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Aujourd’hui, le mouvement se propage outre-Atlantique : il y a quelques heures à peine, les Etats-Unis ont annoncé le quasi-remplacement du plan Paulson par un plan qui ressemble à s’y méprendre à la doctrine élaborée par l’Eurogroupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Paul Lecoq. Vive le plan Sarkozy !

M. Roland Muzeau. Sarko, président du monde !

M. Jérôme Cahuzac. Merci, Gordon !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Il se propage aussi au Japon et a même emporté l’adhésion des 178 États membres du Fonds monétaire international. Les conservateurs britanniques, qui ont annoncé leurs intentions constructives, soutiendront vraisemblablement le plan proposé par le gouvernement de leur pays. Dans la plupart des parlements européens, les partis d’opposition vont certainement leur emboîter le pas. Je serai franchement déçue si les députés qui siègent ici sur les bancs de gauche refusaient de voter ce projet de loi, ce à quoi un nécessaire élan de soutien à l’économie devrait pourtant les inciter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Henri Emmanuelli. Vos amis feront sans nous, madame !

(Mme Danièle Hoffman-Rispal remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Danièle Hoffman-Rispal,
vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, Christine Lagarde 1’a clairement expliqué : ce collectif a pour unique objet de permettre l’adoption, dans les meilleurs délais, des mesures destinées à restaurer, par la mise en place de garanties, la confiance des Français et des Européens dans le système bancaire.

M. Patrick Roy. Pompier pyromane ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) La vérité vous fait mal !

M. Éric Woerth, ministre du budget. En application de l’article 34 de la LOLF – je parle sous l’autorité du président de la commission des finances –, les garanties apportées par l’État sont du domaine exclusif des lois de finances.

Compte tenu de l’urgence, nous ne pouvions nous permettre d’attendre un amendement au projet de loi de finances : il était essentiel d’agir vite, et il était tout aussi essentiel de saisir sans attendre la représentation nationale. C’est la raison pour laquelle nous vous soumettons en urgence ce projet de loi de finances rectificative.

La présentation de ce collectif nous conduit, et c’est, là encore, une conséquence de la LOLF, à soumettre à votre vote une prévision révisée de déficit budgétaire pour l’année 2008. Mais, je le répète, les mesures prises pour restaurer la confiance dans le système bancaire n’ont pas d’impact direct sur les finances publiques.

M. Jean-Pierre Brard. C’est le début de l’aveu !

M. Éric Woerth, ministre du budget. Il s’agit en effet de garanties : il n’y a pas de déboursements de la part de l’État, aucune dépense nouvelle. Au contraire, les garanties prévues pour le refinancement des banques seront rémunérées.

Certains s’interrogent sur l’impact que ces mesures peuvent avoir sur la dette publique et, à terme, sur les déficits, via les charges de la dette. Je voudrais apporter quelques éléments d’explication, en distinguant les deux modes d’intervention retenus.

D’abord, emprunter sur les marchés pour prendre des participations ou souscrire à des titres émis par des banques, comme devrait le faire la société de prise de participation de l’État, accroît effectivement la dette publique.

M. Jean-Pierre Balligand. Oui !

M. Éric Woerth, ministre du budget.Les critères de Maastricht retiennent en effet la dette brute, de laquelle on ne retranche pas les actifs de l’État. Mais, face à cette dette, il y a un actif, qui peut se valoriser – nous avons tous en tête l’exemple de la prise de participation en 2004 dans Alstom, acquise par l’État pour 700 milliards d’euros en 2004, et valorisée à hauteur de 2 milliards. En l’occurrence, le contribuable a été gagnant.

Ensuite, comme l’a expliqué Christine Lagarde, apporter la garantie rémunérée de l’État pour le refinancement des banques ne devrait pas avoir d’impact sur la dette publique. Ce sera in fine à Eurostat de le confirmer – tous les États européens sont dans cette situation –, mais la nature du dispositif, similaire à ceux mis en place par nos partenaires européens, nous conduit à penser qu’il sera sans impact sur la dette publique.

Les dispositions budgétaires de ce collectif, relatives à l’équilibre du budget 2008, sont, quant à elles, conformes aux prévisions actualisées que j’ai eu l’occasion d’exposer devant votre commission, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, il y a deux semaines, lors de la présentation du PLF pour 2009. Le déficit budgétaire pour 2008 est évalué à 49,4 milliards d’euros, soit une augmentation de 7,7 milliards par rapport à la loi de finances initiale.

M. Henri Emmanuelli. Vous y croyez ?

M. Éric Woerth, ministre du budget. D’abord, il y a moins de recettes fiscales, car la croissance est faible.

M. Patrick Roy. Vous oubliez les cadeaux fiscaux que vous avez faits !

M. Éric Woerth, ministre du budget. J’ai tenu, depuis le début de l’année, à faire preuve d’une très grande prudence dans l’évaluation des recettes. J’avais ainsi indiqué, dès le mois de juillet, qu’il fallait s’attendre à des moins-values de recettes. La situation conjoncturelle nous conduit à les évaluer à 5 milliards d’euros.

Ensuite, la charge de la dette a augmenté plus vite que prévu, de 4 milliards d’euros, notamment à cause de l’inflation qui pèse sur la charge des obligations indexées à hauteur de 2,5 milliards d’euros. Il s’agit de la seule ouverture de crédits prévue dans ce collectif : nous conservons, pour le reste des dépenses, l’enveloppe votée par le Parlement en loi de finances initiale. Ces deux facteurs de dégradation sont partiellement compensés, à hauteur de 1,3 milliard d’euros, par une amélioration des autres postes du budget, recettes non fiscales et comptes spéciaux.

Les événements des dernières semaines ne me paraissent pas de nature à remettre en cause cette prévision de déficit pour 2008. (Rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Maxime Gremetz. Ah, il est bon !

M. Jean-Pierre Brard. Farceur ! Toujours le sens de l’humour !

M. Patrick Roy. Le ministre est un comique !

M. Jean-Pierre Brard. Cela vaut le Cavea de la Républiqq !

M. Éric Woerth, ministre du budget. L’évolution des taux peut conduire à réviser un peu la mauvaise surprise sur les charges de la dette. À l’inverse, il est vrai, les difficultés rencontrées par les établissements financiers laissent penser que l’acompte d’impôt sur les sociétés dû en décembre au titre de leurs résultats 2008 sera modeste. Mais c’est quelque chose que nous avons déjà provisionné : pour l’instant, les encaissements à fin septembre ne font apparaître aucune moins-value ; et c’est bien parce que nous sommes prudents pour le dernier acompte de décembre que nous présentons dans cette loi une révision à la baisse du produit de l’impôt sur les sociétés sur l’année.

M. Roland Muzeau. Cela s’appelle gouverner au doigt mouillé !

M. Éric Woerth, ministre du budget. Évidemment, prévoir l’impôt sur les sociétés est toujours un exercice délicat, et encore plus difficile, vous l’imaginez bien, cette année. Nous avons, en tout état de cause, rendez-vous dans quelques semaines, à l’occasion du collectif de fin d’année, pour discuter plus longuement de ces prévisions. Car il y aura, bien sûr, un collectif budgétaire à la fin de l’année 2008.

Mais, vous l’avez compris, ce n’est pas l’objet principal du texte que nous vous soumettons aujourd’hui. L’heure est à la discussion et au vote des mesures d’urgence, destinées à restaurer la confiance dans notre système financier, mesures qui n’ont, je le rappelle, pas d’incidence directe sur le budget. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Maxime Gremetz. Ah ! Un peu de vérité !

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Madame la présidente, madame, monsieur les ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie est déposé dans l’urgence afin d’apporter une réponse, la plus rapide possible, à la crise financière de ces dernières semaines.

M. Patrick Roy. Incendie que vous avez allumé ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Gest. Assez ! Passez-lui la camisole !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cette crise commence à affecter gravement le fonctionnement de l’économie. Nous avons constaté, en particulier la semaine dernière, une dégradation massive des marchés financiers. Dieu merci, depuis l’annonce, faite hier, d’une proposition de plan, cette dégradation est enrayée. Nous avons également assisté, ces dernières semaines, à une perte de confiance des investisseurs, ainsi qu’à la hausse du crédit et, surtout, à sa raréfaction, notamment pour le crédit servant au refinancement des banques.

Le principal problème auquel nous sommes confrontés en France est une crise de liquidités.

M. Maxime Gremetz. Et où sont-elles les liquidités ? Dans les banques !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il est donc nécessaire de restaurer la confiance : il faut redonner aux établissements financiers les capacités suffisantes pour lever les fonds nécessaires au financement des besoins des acteurs économiques, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises pour leurs investissements.

Les mesures proposées par le Gouvernement résultent d’un travail collectif approfondi mené au cours des dernières semaines, sur lequel les autorités françaises ont pesé d’une façon particulièrement efficace.

M. Jean-Pierre Brard. Nous verrons !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je voudrais, madame la ministre, souligner l’importance du rôle que vous avez joué lors de la réunion des ministres des finances du G 7, samedi dernier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP…

M. Jean-Pierre Brard. Cela relève de l’idolâtrie, madame Lagarde !

M. Roland Muzeau. Ou pour le moins de la complaisance !

M. Gilles Carrez, rapporteur général.…dans la préparation de décisions très importantes, prises dimanche, dans le cadre de l’Eurogroupe. Je salue également le dynamisme avec lequel le Président de la République a fait entendre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – « Ah ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR…) Il faut le dire, mes chers collègues, car c’est la vérité, il faut le répéter inlassablement ! la voix de la France a été particulièrement entendue et, au-delà, la voix de l’Europe. Car c’est plus le président de l’Union européenne que le Président de la République qui a fait entendre un certain nombre de propositions que les États-Unis eux-mêmes vont bientôt adopter.

M. Jean-Paul Lecoq. C’est le maître du monde !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est la première fois dans notre histoire que des solutions financières vont être proposées par l’Europe et adoptées par les États-Unis. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jérôme Cahuzac. Lafayette, nous voilà !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cela étant, pourquoi passer par une loi de finances rectificative ? Depuis l’excellente loi organique sur les lois de finances, pour apporter la garantie de l’État, il faut une autorisation du Parlement, laquelle ne peut être consentie qu’à travers une loi de finances.

M. Henri Emmanuelli. Quel dommage !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Mais, dès lors que le Gouvernement est conduit à soumettre une loi de finances, celle-ci doit obligatoirement apporter les actualisations nécessaires à la loi de finances initiale.

J’aborderai très rapidement le premier aspect de ce texte, que Éric Woerth vient de présenter, et qui consiste à actualiser la loi de finances initiale de 2008. Il s’agit de confirmer dans ce texte les dispositions qui nous ont été communiquées par le Gouvernement il y a quinze jours, à l’occasion de la préparation du projet de loi de finances pour 2009.

Nous constatons une moins-value de recettes fiscales – par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale – s’élevant à 5 milliards d’euros, lesquels se répartissent entre l’impôt sur les sociétés, la TVA et l’impôt sur le revenu…

M. François Hollande. Ce n’est rien ! Tout va bien !

M. Christian Eckert. Rien du tout !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Nous constatons également une majoration de 4 milliards d’euros des intérêts de la dette, du fait, notamment, de ce qu’une partie de la dette à long terme de l’État est indexée en nominal sur l’inflation, et que nous avons connu un ressaut d’inflation.

Je ne m’étendrai pas sur différents mouvements concernant les comptes spéciaux, à l’exception d’un point : le régime bonus-malus va conduire à un dépassement des bonus automobile propre, par rapport aux malus, de 200 millions d’euros, qu’il faut donc intégrer en dépenses dans le budget.

M. Jean-Paul Lecoq. Ce n’est rien par rapport aux 360 milliards que vous allez donner aux banques !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Tout cela conduit à une majoration du déficit prévisionnel, qui passe de 41,7 milliards d’euros à un peu plus de 49 milliards, soit une majoration de 7,7 milliards.

M. Patrick Lemasle. Huit milliard, ce n’est rien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. J’en viens à présent à ce qui constitue l’essentiel de cette loi de finances rectificative, c’est-à-dire le volet financier concernant l’octroi de la garantie de l’État.

La première mesure consiste à autoriser la mise en place d’une société de refinancement permettant aux établissements de crédit de faire face à leurs besoins de liquidités. Cette société va bénéficier, pour les émissions obligataires qu’elle fera sur le marché financier, de la garantie de l’État. Grâce aux fonds ainsi collectés, elle permettra aux banques d’obtenir des crédits pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans.

M. Henri Emmanuelli. On va jouer le rôle de banque centrale !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cette mesure est intéressante, car, pour l’heure, les banques peuvent se refinancer par le biais du système de banques centrales, mais dès lors qu’elles cherchent un financement, elles se heurtent à deux difficultés : d’abord, la durée, puisque ces financements ne sont apportés que pour des durées courtes, même si la BCE vient d’accepter de les prolonger jusqu’à six mois ; ensuite, les garanties apportées par les banques pour bénéficier de refinancements auprès des banques centrales sont limitativement énumérées – ce que l’on appelle les « collatéraux » font l’objet d’une définition restrictive. En revanche, la société de refinancement pourra prêter aux banques pour des durées plus longues, et donc, leur donner une visibilité afin de pouvoir prêter elles-mêmes aux acteurs économiques. En outre, les garanties apportées sont plus largement définies.

M. Jean-Paul Lecoq. Où est le plus d’Europe dans tout cela ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ainsi, les établissements de crédit pourront trouver les fonds nécessaires à leur activité de financement de l’économie, tandis que les mécanismes « normaux » – le financement des banques centrales ou, lorsqu’il sera rétabli, le financement interbancaire – reprendront peu à peu le dessus sur ce financement spécifique.

Je souligne que le choix du Gouvernement ne consiste pas, comme le plan Paulson, à instaurer un établissement de défaisance, qui regrouperait, nantis de la garantie de l’État, tous les actifs douteux des différents établissements financiers.

M. Jacques Myard. Que l’on ne connaît pas !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il vise au contraire à offrir une garantie totale au contribuable,…

M. Henri Emmanuelli. C’est faux !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …puisque, à l’inverse de ce qui se passe dans un établissement de défaisance, les prêts consentis par la société de refinancement aux banques seront adossés à des contreparties de grande valeur, en termes d’actifs.

M. Henri Emmanuelli. Ah bon ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. D’ailleurs, ces actifs apportés en garantie ne feront l’objet d’aucun transfert de propriété. La proposition fait consensus en Europe, puisqu’elle a été adoptée par l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui, à nos côtés, a activement contribué à l’élaborer. En outre, une dépêche vient de confirmer que les États-Unis l’ont également reprise à leur compte et vont réviser le plan Paulson pour la mettre en œuvre. C’est dire que nous pouvons être fiers de l’excellent travail accompli par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas sérieux !

M. Jean-Pierre Balligand. Merci pour Gordon !

M. Patrick Lemasle. Remerciez Londres !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. La deuxième mesure concerne l’octroi d’une garantie de l’État aux financements levés par une société chargée de renforcer les fonds propres des organismes financiers. Créée dès la semaine dernière, cette société de prise de participation de l’État a permis aussitôt d’affecter 1 milliard d’euros au capital du seul établissement en difficulté, en l’occurrence Dexia.

Il se pourrait cependant que nous ayons besoin de renforcer les fonds propres d’autres établissements financiers. L’Allemagne ou le Royaume-Uni sont en effet intervenus directement en prenant des participations dans certains des leurs, afin de les recapitaliser. Dès lors, le montant de fonds propres dont ceux-ci disposent est devenu très supérieur à ce que prévoit le régime de Bâle, et les nôtres, même s’ils bénéficient de ratios de fonds propres très satisfaisants au regard des critères de Bâle, risquent de connaître un décalage temporaire. C’est donc par précaution que le dispositif est proposé.

La troisième mesure concerne Dexia. Elle lui permettra, en marge de la recapitalisation opérée la semaine dernière en collaboration avec les États belge et luxembourgeois, de traiter son problème spécifique de refinancement. Dexia disposera en effet de la garantie de l’État, à proportion de la participation de l’État et de la Caisse des dépôts à son capital pour un pourcentage de 36,5 %.

Un plafond est toutefois prévu pour les trois garanties, puisque la LOLF, qui autorise le principe de la garantie de l’État, impose aux parlementaires d’en déterminer le montant maximal. Celui-ci s’élève à 360 milliards d’euros, répartis entre 40 milliards, au titre des interventions en fonds propres, et de 320 milliards, sur les interventions en refinancement. Le dernier paragraphe de l’article 6 du projet de loi prévoit à ce sujet une évaluation permanente, un rapport devant être remis chaque trimestre au Parlement.

La commission des finances, qui a poursuivi ce matin une discussion approfondie, a de nombreuses propositions à présenter au Gouvernement. Elle souhaite en particulier que soit mis en place un dispositif spécifique, sorte de comité de suivi (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR) où figureraient l’État, la Banque de France, qui possède une expertise en la matière, et le Parlement. Cette instance contrôlerait l’ensemble des mécanismes de garantie.

Nous aimerions être associés à l’élaboration de la convention type de la société de refinancement, qui liera l’État et chacun des établissements financiers qui bénéficiera de ses services. Ce document définira l’orientation des crédits qu’ils consentiront vers l’économie – entreprises, PME et ménages –, mais aussi les obligations éthiques sur lesquelles a insisté Mme la ministre.

Nous souhaitons que l’État soit présent dans cette société de refinancement et qu’il dispose d’une minorité de blocage, au-delà de la présence d’un commissaire du Gouvernement et de l’agrément que délivrera le ministère des finances sur les émissions obligataires. Par ailleurs, nous entendons que l’octroi de la garantie de l’État soit subordonné à l’expertise, par la Banque de France, Celle-ci n’aura aucun mal à s’acquitter d’une telle mission, qu’elle accomplit déjà auprès des services de la Banque centrale européenne, lorsque celle-ci doit refinancer des banques qui, en contrepartie, lui apportent des actifs. Pour reprendre une expression utilisée ce matin par notre excellent collègue François Goulard,…

M. Roland Muzeau. Pas d’attaques personnelles !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …cet organisme ne doit pas fonctionner de façon administrative ou bureaucratique, mais être aussi proche que possible des mécanismes de marché,…

M. Henri Emmanuelli. Ils ont si bien fonctionné ces temps derniers !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …afin que l’on puisse revenir, dès que possible, au financement normal de l’économie.

Pour terminer, je souligne que, face à la crise financière, que nous espérons avoir surmontée, il faut, sans perdre de temps, prendre des mesures pour l’économie,…

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …qui en portera les séquelles, au moins à court terme. (« C’est sûr ! » sur les bancs du groupe GDR.) En la matière, madame et monsieur les ministres, c’est notamment sur les deux fronts de l’emploi et de l’investissement des entreprises que nous devons agir. Les parlementaires, qui ont beaucoup de propositions à vous faire, espèrent être associés à une réflexion qui s’avère particulièrement urgente.

L’article 6, qui recouvre tout le dispositif financier du projet de loi, a été approuvé ce matin à l’unanimité par la commission des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. J’étais sorti !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Quant à l’ensemble du texte, qui prévoit des dispositions budgétaires, il a été approuvé par la majorité. Je vous demande, chers collègues, de bien vouloir suivre l’avis de la commission des finances et d’adopter par conséquent cet excellent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Madame la présidente, madame et monsieur les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la crise sans précédent à laquelle nous sommes confrontés est la marque du double échec d’un capitalisme sans bornes et d’un libéralisme qui aggrave les inégalités et voue une confiance totale dans la capacité d’autorégulation du ou des marchés. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Emmanuelli. M. Goulard n’en est pas convaincu !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Face à la crise financière qui atteint le crédit interbancaire, les marchés financiers et l’économie réelle, il convenait de réagir, dans un premier temps, par des mesures propres à rétablir la confiance, et ce de façon urgente et concertée au niveau européen. Mais reconnaissons que, jusqu’à une date récente, les initiatives n’ont été ni claires ni coordonnées. Cependant, ces mesures d’action immédiate doivent s’accompagner de réformes touchant au fonctionnement de la sphère financière et de mesures face à la crise économique dont les premiers symptômes – baisse de croissance, hausse du chômage et diminution du pouvoir d’achat – sont déjà apparus.

Les réponses seront apportées à plusieurs niveaux et selon plusieurs canaux. Un texte sur la régulation financière devra ainsi être débattu devant le Parlement français pour réparer les dysfonctionnements observés. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la commission des finances, qui travaille depuis plus d’un an sur le sujet, est prête à participer à la rédaction de ce texte, qui devra porter notamment sur les règles de gouvernance des entreprises – en limitant strictement le cumul des mandats des administrateurs –, sur l’encadrement de l’activité des fonds spéculatifs et sur les rémunérations des dirigeants d’entreprises et des opérateurs de marché.

M. Patrick Lemasle. Très bien !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. De même, elle pourra formuler des observations utiles au Gouvernement sur les positions à faire valoir aux niveaux communautaire et international pour réformer les normes comptables, encadrer les agences de notation et renforcer la régulation des marchés financiers.

Pour la crise de l’économie réelle, nous en discuterons de manière approfondie dans les jours prochains, à l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques et du projet de loi de finances pour 2009. Pour l’heure, j’observe simplement que ce premier collectif fait apparaître, outre une augmentation de la charge de la dette, une baisse significative de 5 milliards d’euros des recettes attendues en 2008 par rapport aux prévisions. Je crains même que la baisse ne soit, en définitive, plus sensible, le taux d’élasticité retenu pour le calcul des recettes en 2008 me paraissant optimiste. Il est malheureusement vraisemblable que le collectif de fin d’année corrigera, une fois de plus, les prévisions du Gouvernement.

Ce qui nous réunit aujourd’hui dans l’urgence – la commission des finances a examiné ce texte il y a seulement quelques heures et le rapporteur général a déjà remis son rapport – est un ensemble de mesures qui découlent du plan européen élaboré dimanche dernier par l’Eurogroupe, et dont chaque État applique pour sa part, dans un cadre national, les principales composantes. À cet égard, je vous remercie, madame et monsieur les ministres, d’avoir veillé à nous informer des initiatives que vous preniez.

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Pour ce qui est du contexte, un préalable a été rempli : une approche européenne des actions à mener. À défaut d’une gouvernance économique européenne, il était indispensable, pour que les actions des gouvernements européens soient crédibles et efficaces, qu’elles s’inspirent des mêmes principes et soient appliquées dans un même temps. Après les tours et détours de certains États qui ont souhaité ou cru possible de jouer chacun dans sa cour, et après le constat de la non-faisabilité d’un fonds européen à la Paulson, la réunion et les décisions de l’Eurogroupe vont dans le bon sens, malgré leur caractère tardif, incomplet et insuffisant pour faire face à la crise globalisée à laquelle nous sommes confrontés.

Les interlocuteurs de la commission des finances, notamment les autorités des marchés monétaire et financier, nous ont réaffirmé que le système bancaire français était solide dans ses fondamentaux, puisqu’il est bien capitalisé et qu’il fait la part la plus importante à l’activité de dépôt. Il n’empêche que, en raison notamment de l’existence de produits toxiques dont certaines banques ont pu se porter acquéreuses, nous sommes confrontés à une crise de confiance et à un risque de paralysie économique.

Deux moyens essentiels nous sont proposés, par le biais de deux entités : une société de refinancement et une société dont l’État est l’unique actionnaire, une société des participations de l’État. Il me paraît essentiel, madame la ministre, que nous obtenions de votre part des précisions et des éclaircissements sur plusieurs points, dont certains ont été rappelés par le rapporteur général. Ainsi, la nature juridique de la société de refinancement n’est pas explicitée. Quel sera son capital ? Comment sera composé l’organe qui l’administrera ? Quelle sera l’implication de l’État ? À mes yeux, celle-ci doit être forte, dès lors qu’il ne peut s’en remettre aux seuls acteurs du marché, dont nous avons vu où ils nous ont conduits. Les administrateurs seront-ils rémunérés ? De quelle compétence disposera cette société qui doit être créée dans les plus brefs délais ? Fera-t-on appel à la Banque de France ? Quant au Parlement, puisque c’est son rôle, compte tenu des pouvoirs des commissions des finances, il devra avoir toute sa place – de manière pluraliste – dans le suivi et la surveillance des opérations de l’établissement.

À la différence du fonds Paulson aux États-Unis, cette société n’a pas pour objet de racheter les actifs dégradés des établissements en difficulté mais, et c’est préférable, de refinancer les activités des établissements financiers et de relancer le crédit interbancaire, en contrepartie d’une rémunération de la garantie de l’État et de celles qu’apporteront les établissements qui en bénéficieront. Mais, là encore, à quelles conditions et à quel prix l’État accordera-t-il sa garantie ? Ce prix sera-t-il le même pour tous les établissements ou la décision sera-t-elle prise au cas par cas et, alors, selon quels critères ?

Les éléments d'actif pris en garantie seront plus larges que ceux acceptés actuellement par la BCE. Il s'agit notamment des prêts assortis d'une hypothèque, de certains prêts aux entreprises et des prêts à la consommation consentis aux particuliers. Comment s'assurer qu'ils seront d'une qualité suffisante ? Disposera-t-on de l'expertise nécessaire pour les évaluer ? Autant de questions sur lesquelles nous n’avons pas toutes les réponses pour l’instant.

Quant à la société de participation, dont l'Etat sera l’actionnaire unique, elle pourra être amenée à lever des financements, qui bénéficieront de la garantie de l'Etat, afin de souscrire des titres émis par des organismes financiers – en d'autres termes, afin d'entrer dans le capital de ces établissements. Quelle sera la nature juridique de cette société ? Quel sera son mode de gouvernance ? Comment le Parlement sera-t-il impliqué dans le suivi et dans la surveillance de son action ?

Enfin, en comptabilité patrimoniale, les actifs de cette société de participation seront-ils agrégés à ceux de l'Etat ? Et comment seront comptabilisés les montants qui seraient couverts par la garantie de l'Etat, au regard des critères de Maastricht et, tout simplement, de la nécessaire transparence ?

Plusieurs Etats de l'Union étant concernés par des dispositifs de cette nature, pouvez-vous nous dire ce qui est envisagé, au niveau européen, pour traiter cette question ?

Les mesures d'urgence qui nous sont proposées peuvent aller dans le bon sens. Si elles doivent rétablir la confiance des marchés, elles ne doivent toutefois pas nous exonérer de faire rapidement des propositions pour plus et mieux réguler. Elles constituent une réponse utile, mais partielle et insuffisante pour faire face à une crise économique qui exige une autre politique économique, budgétaire, fiscale, d’autres initiatives sur le plan européen. A ce niveau, il a été question de plan de relance. Encore faut-il prendre des initiatives pour aller dans ce sens.

De tout cela, nous devrons débattre lorsque nous examinerons la semaine prochaine les projets de loi de programmation des finances publiques et de finances pour 2009. Comment croire qu’un projet de loi de finances préparé depuis quelques mois soit de nature à répondre à la crise actuelle ? Madame la ministre, monsieur le ministre, il faudra que vous puissiez répondre à toutes ces questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Charles de La Verpillière. On est sauvés !

M. Jean-Pierre Brard. Madame la ministre, monsieur le ministre, vous étiez dans le désarroi ; voilà que vous éprouvez une sorte de lâche soulagement…

M. Charles de La Verpillière. C’est du Brard dans le texte !

M. Jean-Pierre Brard. …car vous confondez guérison et rémission. Au pessimisme a succédé l’euphorie ; vous êtes plongés depuis hier dans une sorte de béatitude, d’extase, parce que le maître a parlé. Mais au lieu de nous proposer un traitement curatif, vous imposez les mains.

Vous avez dit, monsieur le rapporteur général, que ce matin, c’est à l’unanimité que la commission des finances a adopté cette proposition. Effectivement, car je n’étais plus là ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Notre collègue Charles-Amédée de Courson faisant durer la réunion, je suis allé rendre compte au groupe GDR de l’état de la discussion. Dont acte. Mais parler d’unanimité en commission est excessif.

Nous allons bientôt consacrer deux mois à l’examen du budget de la nation, de moins de 300 milliards. Mais nous ne passerons qu’une demi-journée sur ce projet, qui porte sur 360 milliards !

Madame la ministre, vous avez dit « vigueur, détermination, élan européen ». En vous écoutant, je me disais que lorsque vous faisiez de la natation, vous deviez manifester une autre vigueur, sinon votre réputation ne serait pas parvenue jusqu’aujourd’hui. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. Ridicule !

M. Jean-Pierre Brard. Nous sommes donc amenés à nous prononcer dans la précipitation, dans l’urgence, autre forme de la fébrilité, et donc sous la pression des marchés qui, il est vrai, sont votre boussole.

Ce texte est intitulé « projet de loi pour le financement de l’économie ». Mais de l’économie, on n’en dit pas un mot. Il ne s’agit que de donner des subsides aux banques et d’alimenter les circuits financiers. Pourtant, l’économie réelle va mal. Les défaillances d’entreprises se multiplient : les liquidations ont augmenté de 28 % dans l’immobilier, 25 % dans la construction, 19 % dans l’hôtellerie-restauration, 12 % dans le commerce de détail. La production industrielle recule de façon significative. Les mises en chantiers et ventes de logements neufs s’effondrent ; les permis de construire des logements neufs étaient en recul de 16 % sur un an à la fin août, et les mises en chantier de 9,5 %. Les destructions d’emploi sont massives et ont concerné 35 000 postes entre mars et juin selon l’UNEDIC. Il y a eu 41 300 nouveaux chômeurs rien que pour le mois d’août. La consommation des ménages baisse.

M. Jean-Marc Roubaud. Oiseau de mauvais augure !

M. Jean-Pierre Brard. C’est cela, l’économie réelle. Mais dans vos discours, pas un mot à ce sujet – uniquement les regards de Chimène pour les banquiers.

A quoi sert le plan de consolidation des banques, si rien n’est fait pour la vraie création de richesses ? Et si nous en sommes là, qui est responsable ? Là-dessus non plus, vous ne dites rien. Pourtant, c’est le système dont vous êtes les thuriféraires.

En réalité, vous utilisez la situation actuelle pour préparer les Français à se serrer la ceinture de plusieurs crans. Et puisque vous n’aurez pas le courage de le dire, je vais citer celui que vous idolâtrez, le Président de la République. Dans son récent discours de Toulon, il constatait que « la crise actuelle aura des conséquences dans les mois qui viennent sur la croissance, sur le chômage, sur le pouvoir d’achat. » Mais qui disait qu’il serait le Président du pouvoir d’achat ? De la baisse du pouvoir d’achat, certainement ! Il poursuivait : « Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir. L’idée de la toute-puissance du marché qui ne devait être contrariée par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle. » Quelle autocritique !

M. Jean-Marc Roubaud. Vous n’avez rien à dire.

M. Jean-Pierre Brard. Et encore : « On a laissé les banques spéculer sur les marchés. » Mais pourquoi ce « on » indéfini ? La première personne du pluriel aurai été plus opportune !

M. Jacques Myard. Le PC aussi place ses économies sur le marché !

M. Jean-Pierre Brard. Et d’ajouter : « On a financé le spéculateur plutôt que l’entrepreneur. » Mais qui donc a imposé le bouclier fiscal, qui a réduit l’impôt sur la fortune ?

Toujours dans cette même réunion de Toulon, il annonçait : « On a soumis les banques à des règles comptables qui ne fournissent aucune garantie sur la bonne gestion des risques mais qui, en cas de crise, contribuent à aggraver la situation au lieu d’amortir le choc. » Mais qui a accepté ces règles comptables nouvelles, malgré les mises en garde de certains banquiers français, dont Michel Pébereau, qui n’est pourtant pas un gauchiste, mais qui, lui, avait vu où était l’intérêt national ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Nicolas Sarkozy explique ensuite que le capitalisme, c’est la propriété privée – ce qu’on savait déjà –…

M. Maxime Gremetz. Et avec quels résultats !

M. Jean-Pierre Brard.… et que « c’est une éthique » – traduction, la loi du plus fort – « et une morale ». Mais là, il confond. On sait qu’il lui arrive de faire des fautes de français. Ce dont il voulait parler, ce n’est pas de la morale, mais du moral des privilégiés qu’il fallait regonfler avec ce projet.

M. Charles de La Verpillière. Vous vous répétez !

M. Jean-Pierre Brard. Et de conclure ainsi sa phrase : le capitalisme, c’est « des institutions ». Mais pour lui, les institutions, c’est le MEDEF et la Bourse. Nos valeurs ne sont pas cotées dans les mêmes lieux ! Chez vous, on boursicote ; chez nous, on communie au Panthéon sur la base des valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.- Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vos hurlements sont l’hommage du vice à la vertu, cette vertu révolutionnaire qui vous fait frémir aujourd’hui encore !

Toujours selon le Président de la République encore, les dirigeants « ne doivent pas recevoir d’actions gratuites. Leur rémunération doit être indexée sur les performances économiques réelles de l’entreprise. Ils ne doivent pas pouvoir prétendre à un parachute doré […] Voilà quelques principes simples qui relèvent du bon sens et de la morale élémentaire sur lesquels je ne céderai pas. » Et d’ajouter qu’il ferait légiférer avant Noël sur les parachutes dorés. Mais tout cela est déjà remisé sur les plus hautes étagères de son placard, avec tant d’autres promesses électorales.

A Toulon toujours, il affirmait : « Il faudra imposer aux banques de financer le développement économique plutôt que la spéculation. » Pourquoi alors ne pas retenir notre proposition de faire financer les suppressions d’emploi par les actionnaires, par exemple chez Renault ?

Mme Laurence Dumont. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. Toujours dans la bouche du président : « il faudra bien aussi se poser des questions qui fâchent comme celle des paradis fiscaux. » Citez moi un grand établissement bancaire français qui n’a pas de représentation dans un paradis fiscal !

M. Daniel Paul. La Banque postale !

M. Maxime Gremetz. Oui, la Banque postale !

M. Jean-Pierre Brard. J’espère…

Expliquez-moi comment M. Carlos Ghosn peut rémunérer des salariés de Renault qui n’ont jamais mis les pieds en Suisse avec un statut de salarié suisse ? Puisque M. Sarkozy le voit régulièrement, que ne prend-il le taureau par les cornes et ne fait-il revenir à la raison le Napoléon de l’automobile ?

Mais toutes ces annonces, c’est pour le spectacle ! Dans la réalité, il ne faut surtout pas contrarier les amis et les copains : c’est ainsi que cela se passe sous le règne de Nicolas Sarkozy ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Derrière votre propos, on perçoit des intentions perverses contre notre peuple ! Pour Nicolas Sarkozy, « la crise appelle à accélérer le rythme des réformes, non à le ralentir ». Une réforme, disait Jaurès, c’est un jalon vers l’objectif définitif. Et la réforme n’est pas seulement de gauche. La droite la pratique, mais, à la faveur de la crise, pour aller plus loin encore dans le serrage de ceinture !

M. Charles de La Verpillière. Les conservateurs, c’est vous !

M. Jean-Pierre Brard. Nicolas Sarkozy, pour qu’on le comprenne bien, complétait ainsi son propos : « Réduire les exonérations de charges sur les salaires, ce ne serait pas reprendre un cadeau fait aux entreprises, mais contribuer à détruire l’emploi. » Mais l’emploi, vous le détruisez déjà !

M. Charles de La Verpillière. Vous parlez depuis dix minutes pour ne rien dire !

M. Jean-Pierre Brard. Notre bon Philippe Séguin…

M. Maxime Gremetz. Président de la Cour des comptes !

M. Jean-Pierre Brard.… a démontré que tous vos cadeaux ont été d’une inefficacité totale.

À Toulon, le Président de la République ajoutait encore : « j’assume donc la décision de financer le RSA en taxant légèrement les revenus financiers qui, depuis des années, augmentent plus vite que les revenus du travail. » Quelle confession après le « travailler plus pour gagner plus » ! Alors que ceux qui se lèvent tôt devaient voir leur peine récompensée, le Président de la République nous a ainsi révélé ce qu’il en était en réalité.

M. Charles de La Verpillière. Vous avez au moins convaincu M. Gremetz !

M. Jean-Pierre Brard. Qui est responsable ?

M. Marc Bernier. Vous !

M. Jean-Pierre Brard. Michel Camdessus nous donne la réponse. Selon lui, la responsabilité la plus lourde revient aux gouvernements : « Après avoir vécu les crises mexicaines et asiatiques, ils n’ont pas voulu reconnaître qu’il était grand temps de se doter d’une gouvernance financière mondiale…

M. Louis Giscard d’Estaing. Il dit bien : « mondiale ».

M. Jean-Pierre Brard.… à la hauteur des problèmes ».

Aujourd’hui la majorité découvre la lune alors que, dès 1997, tout était écrit dans les recommandations du comité intérimaire du FMI réuni à Hongkong. Il préconisait de surveiller les transactions financières, ce que vous n’avez pas fait.

M. Charles de La Verpillière. Et vous, qu’avez-vous fait ? Qu’a fait, pendant cinq ans, le Gouvernement de Lionel Jospin que vous souteniez ?

M. Jean-Pierre Brard. Jacques Mistral – j’espère ne pas lui porter tort en le citant, mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’un économiste brillant – n’a pas besoin de boule de cristal pour prévoir l’avenir, il se contente de sa capacité d’analyse. Ce n’est pas le cas du Premier ministre qui attend que la banque centrale envoie des signaux, probablement comme faisaient les indiens du Far West…

M. Patrick Lemasle. Ou comme au Vatican !

M. Jean-Pierre Brard. Allons, mon cher collègue, restons laïques… (Sourires.)

En 2005, Jacques Mistral, alors ministre conseiller à notre ambassade de Washington, faisait une analyse alarmante, particulièrement pertinente et aujourd’hui avérée, de la situation du crédit hypothécaire ; mais vous ne l’écoutiez pas. Vous avez préféré poursuivre une politique qui encourageait ce que vous dénoncez aujourd’hui. Ce n’est pas moi qui le dis – vous pourriez répondre que je ne suis pas objectif (Rires sur les bancs du groupe UMP) –, mais le conseil d’analyse stratégique du Gouvernement.

M. Charles de La Verpillière. Mais vous, que dites-vous ?

M. Jean-Pierre Brard. Selon un article paru dans la livraison du premier trimestre 2008 d’Horizons stratégiques, revue du conseil d’analyse stratégique : « Force est de conclure que l’actionnaire supplante le créancier à partir du milieu des années 1990. »

M. Charles de La Verpillière. Vous n’avez que des citations à la bouche ! (Approbation sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. Je comprends que ces citations soient cruelles pour la majorité. Elles lui tendent un miroir dans lequel elle se voit sous des atours qu’elle ne veut pas qu’on lui prête. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Maxime Gremetz. Les voilà touchés en plein cœur !

Mme la présidente. Je rappelle que seul M. Brard a la parole.

M. Jean-Pierre Brard. Le conseil d’analyse stratégique poursuit : « Ce constat confirme les pronostics des analyses qui mettent l’accent sur le rôle crucial de la finance de marché par rapport à la finance de banque dans le nouveau contexte de croissance qui s’est instauré avec la libéralisation des marchés financiers dans la seconde moitié des années 1980.

« La montée en puissance de l’actionnaire – là, on parle de votre idole – se manifeste par deux autres changements dans la répartition du profit net avant impôts des grandes entreprises cotées. »

Mme Claude Greff. On n’y comprend rien !

M. Jean-Pierre Brard. Tenez-vous bien, le conseil d’analyse stratégique constate : « La part des dividendes versés aux actionnaires fait plus que doubler en passant de 11,2 % à 23,8 %, ce qui représente un accroissement de 12,7 points. » Voilà les résultats la politique de la majorité, elle est à l’origine de la catastrophe que nous connaissons aujourd’hui ; ne vous en déplaise !

Je peux poursuivreavec d’autres citations (« Non ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP), toujours aussi désagréables, du mêle conseil d’analyse stratégique…

M. Maxime Gremetz. Il essaie d’être pédagogue ! Ce sont vos propres déclarations !

M. Jean-Pierre Brard. « La progression de l’investissement financier prend à nouveau le pas sur celle de l’investissement productif, puisque le premier gagne 13,5 points en s’élevant à 29,6 % de l’autofinancement brut, tandis que le second régresse en revanche de 5,5 points. » Vous avez bien entendu, l’investissement financier progresse dans des proportions considérables pendant que l’investissement productif régresse.

M. Jean-Paul Lecoq. Où sont les responsables ?

M. Jean-Pierre Brard. C’est votre politique qui a encouragé ce phénomène avec, entre autres mesures, le paquet fiscal ! Vous n’avez rien vu venir ! Dois-je vous citer à nouveau les propos de Nicolas Sarkozy que je vous ai lus la semaine dernière ? (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Herbillon. Une fois, c’est déjà trop !

M. Jean-Pierre Brard. Nicolas Sarkozy était fasciné par les crédits hypothécaires américains qu’il voulait étendre chez nous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Madame Lagarde, vos prévisions étaient un peu approximatives. Le 22 janvier 2008 sur Europe 1 vous disiez : « Je crois qu’il faut éviter les mots "spectre" ou "angoisse". Je crois que nous avons observé une correction brutale sur les marchés asiatiques et, dans la foulée, européens. » Le 10 février, au G7 réuni au Japon : « Nous ne prévoyons pas de récession dans le cas de l’Europe » et, le 15 février, à nouveau sur Europe 1 : « L’ensemble des autorités bancaires, le Trésor américain, les banques centrales, se sont concertés pendant plusieurs jours : les mécanismes sont en place. » Il n’y avait donc pas, selon vous, de panique à bord.

M. Pierre Gosnat et M. Jean-Paul Lecoq. Excellent !

M. Jean-Pierre Brard. Le 16 septembre, lors d’une conférence de presse, vous pouviez encore confier : « La crise aura des effets sur l’emploi et le chômage qui ne sont pour l’heure ni avérés ni chiffrables » – vous permettant ainsi, avec un courage certain, de contredire le Président de la République que vous ne pouviez pas ne pas avoir lu.

M. Roland Muzeau. Jean-Pierre Brard, vos citations sont très cruelles !

M. Jean-Pierre Brard. Madame la ministre, entre vos pronostics et le billet de loterie nationale, je sais avec qui j’ai le plus de chance de gagner.

Vous n’avez rien vu venir alors que les signes s’accumulaient. L’année dernière, un graphique paru dans Les Échos – je le tiens à votre disposition – s’intitulait ainsi : « Le doute atteint les promoteurs français. » En effet la conjoncture commençait à se retourner dès 2007 mais vous n’en avez tenu aucun compte négligeant de prendre la moindre mesure en faveur de l’économie réelle.

Mais, soyons rassurés : si l’on vous écoute, aujourd’hui, tout va mieux. Vous n’êtes d’ailleurs pas la seule à le dire. Hier, Dominique Strauss-Kahn, a affirmé : « nous avons le pic de la crise derrière nous ». (« Ah ! » sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Mais, prudent, il a ajouté : « Peut-être. » On le reconnaît bien là ! D’expérience, Dominique Strauss-Kahn sait bien qu’il est plus facile de prévoir le passé que l’avenir… Mais nous sommes d’autant plus rassurés que nous apprenons, en lisant Les Échos de ce matin…

Mme Claude Greff. Encore une citation !

M. Charles de La Verpillière. M. Brard est un perroquet, il ne nous propose pas une idée neuve !

M. Jean-Pierre Brard. …que, au FMI, Mme Lagarde a déclaré : « Back in business. » Décidément, il va falloir se mettre à l’anglais dans cet hémicycle, d’autant qu’il nous appartient de faire l’exégèse des textes importants. Vouliez-vous dire back dans la spéculation, ou back dans l’industrie réelle ?

Cela dit, nous ne pouvons qu’être rassurés depuis que le FMI a confié à Mme Lagarde la mission de… tirer les leçons de la crise et de recommander des mesures propres à rétablir la confiance et la stabilité du système financier !

M. Pierre Gosnat. Au secours !

M. Jean-Pierre Brard. Dès lors, pourquoi nous inquiéter ? Toutefois, sans outrecuidance de notre part, madame la ministre, nous vous offrons nos services, car l’expérience montre que nous nous trompons moins souvent que vous !

M. Yves Nicolin. Au feu !

M. Michel Herbillon. Pas ça, pas lui !

M. Jean-Pierre Brard. Vous proposez un financement de l’économie mais, en fait, seul le système financier est concerné. Vous proposez la création de deux « sociétés » avec un plafond de 320 milliards pour la première et de 40 milliards pour la recapitalisation des établissements financiers. Mais, madame la ministre, vous avez omis de nous faire part à la tribune d’éléments que nous avons abordés ce matin lors de la réunion de la commission des finances. Selon vous, pour échapper aux critères de Maastricht – il s’agirait donc d’une raison uniquement technique –, la société chargée de la recapitalisation des banques ne sera pas majoritairement contrôlée par l’État, mais par… des banquiers ! Autrement dit, on fait appel aux coupables pour susciter des comportements vertueux et éviter les errements dont ils sont eux-mêmes responsables ! Se moque-t-on de nous ?

Hier soir, à Montreuil, je participais à une réunion sur la crise financière à laquelle assistaient près de deux cents personnes (Rires sur les bancs du groupe UMP)

M. Charles de La Verpillière. Mais c’était l’euphorie !

M. Roland Muzeau. La crise les fait se marrer !

M. Jean-Pierre Brard. Les gens comprennent très bien ce qui se passe, même si vous essayez de leur faire croire que ces choses-là sont hors de portée du quotient intellectuel des habitants de nos banlieues. En tout cas, hier soir, j’ai eu hier le sentiment très net que, pour ce qui est de la confiance dans le Gouvernement, rien n’était gagné.

Quant à la minorité de blocage dont disposera l’État au sein de la « société » que vous allez créer, nous savons bien ce que cela vaut ! Nous avons déjà vu le contrôle de l’État à l’œuvre sous votre gouvernement. Dois-je rappeler comment dans l’affaire Tapie, malgré la présence de trois hauts fonctionnaires représentant l’État, l’intérêt général a été finalement trahi ?

M. Michel Herbillon. Cela n’a rien à voir avec notre débat !

M. Jean-Pierre Brard. Au contraire, monsieur Herbillon, il s’agit de la même logique. Comme le Président de la République ne le dirait pas : c’est la même immoralité ! Mais, monsieur Herbillon, je comprends votre réaction car vous n’êtes pas, vous-même, un homme immoral, je vous connais ; même si vous faites la courte échelle à l’immoralité ! Regardez-vous dans la glace ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Roubaud. C’est du grand guignol !

M. Maxime Gremetz. Que la majorité se calme, elle dit assez de bêtises quand elle a la parole !

Mme Laure de La Raudière. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !

M. Jean-Pierre Brard. Gilles Carrez a eu une idée géniale, comme souvent, certes, mais disons qu’il en a eu de meilleures. Il propose que les parlementaires ne participent pas à ces « sociétés » – après tout, aligner des chiffres, c’est loin de leurs préoccupations… Les questions économiques et financières seraient trop complexes pour eux. De Clemenceau, Gilles Carrez a bien retenu que lorsque pose un problème qu’on ne veut pas régler, on crée une commission. Mais comme il se doutait que, par un réflexe de Pavlov, on penserait immédiatement à Clemenceau, il a préféré parler de « comité de suivi ». Ce comité sera aux nouvelles « sociétés » ce qu’un directeur de conscience est à un pécheur impénitent dans la sainte église catholique : il le sait inredressable. À l’évidence, le comité de suivi ne servira que d’alibi.


Mes chers collègues, le Président de la République, qui décidément nous prend pour ce que nous ne sommes pas, a déclaré que « le contribuable sera gagnant du montant des commissions encaissées sur les garanties souscrites ». Mais que restera-t-il de ces commissions quand l’établissement bénéficiaire aura mangé la grenouille ? Il faut vraiment avoir peu de considération pour nos compatriotes pour leur vendre de telles billevesées !

Qui est responsable ? Nous, nous voulons préserver le système bancaire de l’effondrement pour en faire un levier du développement économique. Pour ce faire, il faut remplacer la logique du dividende par celle de l’intérêt général et du développement économique, faute de quoi nous sommes condamnés à retomber dans les mêmes ornières. Nous préférons la guérison à la rémission.

Il faut également sortir de la spéculation sauvage et de l’économie virtuelle, qui détruit l’économie réelle. Il faut un texte qui garantisse les banques, mais aussi l’économie, en investissant dans le logement et les infrastructures ; or, là-dessus, vous n’avez rien dit – je ne reviens pas sur les propositions de la semaine dernière. Vous donnez des garanties aux banques, mais où sont les garanties pour les salariés de Renault-Sandouville, que vous et votre ami Carlos Ghosn réduisez au chômage ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP - Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Tout cela doit être placé sous le contrôle de la nation. Or qu’est-ce que la nation ? C’est l’État, le Parlement, les syndicats et les usagers. Il faut constituer un pôle financier public, placé sous la protection de la représentation nationale, des salariés des établissements financiers et, le cas échéant, des déposants.

Unir, a dit le Premier ministre. Oui, il faut unir notre peuple contre ceux qui le ruinent, unir ceux qui travaillent face à ceux qui profitent, unir les tenants de la morale républicaine face à ceux du « tout bizness » et de l’affairisme, rassembler dans l’action ceux qui sont fidèles à la Déclaration des droits de l’homme, à l’héritage de 1848, de la Commune, du Front populaire et de la Résistance ! Ensemble, préparons l’avenir ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Les Bastille existent toujours ; rendons à notre peuple l’espoir de les prendre et de faire reculer les privilégiés dont, aujourd’hui, les figures emblématiques s’appellent Nicolas Sarkozy et Laurence Parisot ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité, la parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour le groupe UMP. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Frédéric Lefebvre. Nous venons d’entendre un discours consternant, qui n’est pas à la hauteur de la situation que nous vivons. Nous traversons une crise financière sans précédent et les Français attendent de la représentation nationale qu’elle y apporte une réponse digne. Hélas ! les pitreries de M. Brard illustrent l’attitude de la gauche française aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Vives exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Pierre Gosnat. C’est vous, le pitre !

M. Maxime Gremetz. Ne copiez pas Sarkozy !

M. Frédéric Lefebvre. Le débat que nous avons eu ce matin en commission des finances fut digne et, tout à l’heure, le président Migaud a posé un certain nombre de questions. La réponse apportée à cette crise qui frappe le monde entier…

M. Maxime Gremetz. Et que vous avez fabriquée, reconnaissez-le !

M. Frédéric Lefebvre. …a été élaborée par le G4, qui a été suivi par un appel des Vingt-sept.

M. Roland Muzeau. Ce n’est pas vous qui payez, c’est le peuple !

M. Frédéric Lefebvre. J’étais aux côtés de Christine Lagarde, il y a quelques jours, à Washington, et j’ai pu mesurer combien l’ensemble des délégations européennes – où la gauche est représentée, notamment par M. Gordon Brown…

M. Roland Muzeau. Il est de gauche ?

M. Frédéric Lefebvre. …et par le gouvernement espagnol – ont su apporter une réponse digne à la crise.

M. Pierre Gosnat. Parlons-en, de la dignité !

M. Frédéric Lefebvre. Le plan européen, que nous sommes en train de traduire dans le droit français, est imité, depuis ce matin, par les États-Unis, qui corrigent, heure après heure, le plan Paulson en ce sens.

Si je dis que le discours de M. Brard est consternant…

M. Maxime Gremetz. Le vôtre l’est encore plus !

M. Frédéric Lefebvre. …et qu’il illustre la situation de la gauche française, c’est parce que, à croire une dépêche de l’AFP, un débat aurait eu lieu au sein du groupe socialiste sur le point de savoir s’il fallait voter le projet du Gouvernement ou s’abstenir (Protestations sur les bancs du groupe SRC),…

M. Patrick Lemasle et M. Jérôme Cahuzac. C’est lamentable !

M. Frédéric Lefebvre. …M. Glavany aurait emporté la décision, le groupe socialiste choisissant finalement de s’abstenir. (Mêmes mouvements.)

M. Jérôme Cahuzac. Occupez-vous de vous avant de vous occuper de nous !

Mme la présidente. Laissez l’orateur s’exprimer !

M. Frédéric Lefebvre. Je le dis avec gravité, nos concitoyens attendaient une réponse unanime. Le Premier ministre a lancé un appel à l’unité nationale.

M. Maxime Gremetz. C’est consternant !

M. Christian Eckert. C’est lamentable !

M. Yves Durand. Ce n’est pas un député, c’est un aboyeur !

M. Frédéric Lefebvre. Le groupe socialiste et le groupe communiste auraient dû comprendre seuls que, pour être au rendez-vous qu’attendaient les Français, ils devaient renvoyer à plus tard les débats politiciens et prendre leurs responsabilités face à cette réponse juste, réactive et mesurée, en adoptant ce texte. Aujourd’hui, devant les Français, je préfère être à ma place qu’à la leur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP - Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Jean-Paul Lecoq. On en reparlera !

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Cahuzac, pour le groupe SRC.

M. Jérôme Cahuzac. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, habituellement, lorsqu’un orateur prend la parole après une exception d’irrecevabilité, c’est pour expliquer le vote de son groupe sur cette motion. Aussi, je trouve regrettable les propos qui viennent d’être tenus : nous sommes assez grands pour savoir ce que nous avons à faire. Vous appelez à la dignité de ce débat, monsieur Lefebvre ; chacun appréciera qui, des deux derniers orateurs qui viennent de s’exprimer, y a contribué le mieux.

Accuser la gauche en général, et une personne en particulier, cela peut plaire dans une assemblée de militants, mais ce n’est pas d’usage dans cette enceinte, où les débats doivent être empreints d’une certaine dignité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC - Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ces méthodes vous valent peut-être des succès d’estime sur les radios périphériques ou dans telle contrée de notre pays, où l’auditoire vous est de toute façon acquis d’avance, mais elles n’ont pas lieu d’être ici.

M. Roland Muzeau. Ils écoutent aux portes, maintenant !

M. Jérôme Cahuzac. Au demeurant, je regrette que beaucoup de nos collègues aient cru bon d’applaudir des propos qui, sur quelque banc qu’ils se tiennent,ne sont pas dignes de nos débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC - Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Sur le fond, le groupe socialiste, radical et citoyen estime que l’urgence existe bien. Notre collègue Jean-Pierre Brard, dont les propos sont parfois imagés et colorés, n’a évidemment pas démontré l’inconstitutionnalité du texte. Au reste, nous estimons que ce débat doit avoir lieu, afin que les Français sachent quelles mesures précises ont été prises. C’est notre rôle d’en débattre et de les expliquer, de convaincre le cas échéant mais aussi, parfois, de douter que les mesures prises dans des situations tragiques soient les bonnes. En conséquence, le groupe socialiste, radical et citoyen ne prendra pas part au vote sur l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – « Quel courage ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

M. Roland Muzeau. L’UMP n’est pas sûre de ses troupes !

Mme la présidente. Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe GDR.

M. Daniel Paul. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, si la droite, relayée par le MEDEF (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP),

M. Michel Herbillon. Caricature !

M. Daniel Paul. …déploie tant d’efforts pour convaincre de l’absence de responsabilité du système capitaliste dans la crise actuelle, c’est précisément parce qu’elle craint beaucoup que cette responsabilité n’apparaisse comme évidente aux yeux de tous les salariés, de l’automobile et du bâtiment notamment, victimes des effets de la logique financière inhérente au système capitaliste.

C’est pourquoi nous voulons vous en proposer une autre. La majorité souhaite, par exemple, mettre de l’argent dans les institutions financières et le retirer quand celles-ci iront mieux – sans doute pour qu’elles puissent recommencer ce qu’elles ont fait ces dernières années. Nous, nous suggérons de maintenir cet argent public dans les banques, de façon à pouvoir les contrôler et les empêcher de recommencer les erreurs, pour ne pas dire les fautes, commises depuis plusieurs mois.

N’est-il pas temps de constituer un pôle financier public qui donne la priorité absolue aux investissements utiles et d’arrêter toute nouvelle privatisation, toute remise en cause des services publics ? Je pense évidemment à La Poste : imaginez, mes chers collègues, ce que serait la Banque postale aujourd’hui si La Poste avait été privatisée ! C’est bien de garantir les dépôts bancaires des petits et moyens épargnants ; mais il faut également garantir les rémunérations en cas de licenciement ou de chômage technique, comme à Sandouville, garantir le droit au logement et interdire les expulsions, y compris pour les 30 000 victimes des crédits-relais. Il faut bien évidemment augmenter les salaires et les pensions, revenir sur l’aberrante, et même criminelle, liberté de circulation des capitaux, qui alimente l’incendie financier, et mener une lutte acharnée contre les paradis fiscaux.

M. Jean-Marc Roubaud. Vive l’URSS !

M. Daniel Paul. Il faut remettre l’Europe sur de bons rails, en proposant un nouveau traité fondateur de l’Union européenne. Bien sûr – et cela paraît évident à tous, sauf à la majorité –, il faut confier un nouveau rôle à la Banque centrale européenne : aujourd’hui esclave des marchés financiers, elle doit être mise au service du développement de l’industrie et des services.

Chers collègues, nous ne croyons pas que vos propositions permettront d’améliorer la situation de l’immense majorité de notre peuple. Nous pensons, au contraire, qu’elles contribueront à aggraver la situation des salariés, des petites gens. Elles sont toujours au bénéfice d’une minorité que vous défendez ; nous, nous défendons les intérêts de la majorité du peuple. C’est pourquoi nous voterons l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe Nouveau centre.

M. Charles de Courson. Comme souvent, hélas ! nous n’avons pas entendu parler une seule fois de la Constitution lors de la défense de cette exception d’irrecevabilité. L’article 6 ne porte évidemment atteinte à aucun principe constitutionnel.

Par ailleurs, que l’on soit pour ou contre tel dispositif, on a tout de même le devoir de proposer des solutions. Or nous les attendons toujours. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Jean-Paul Lecoq. Vous n’avez pas lu notre texte !

M. Charles de Courson. Déjà, la semaine dernière, le groupe Nouveau Centre avait proposé aux autres groupes de se mettre d’accord sur des positions politiques. En commission des finances, nos collègues socialistes ont voté l’article 6, ce qui démontre qu’ils jugent la proposition du Gouvernement raisonnable. Quant à nos collègues communistes – M. Brard l’a rappelé –, ils n’étaient plus là en fin de matinée.

Quelle que soit notre sensibilité politique, il y va tout de même de l’intérêt de notre pays. C’est pourquoi le groupe Nouveau centre votera l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'exception d'irrecevabilité.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

(L'exception d'irrecevabilité n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Cahuzac.

M. Jérôme Cahuzac. Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes au moins d’accord sur un constat : l’urgence est là ! Nous savons, en effet, que la paralysie du crédit interbancaire – ce que l’on appelle la crise des liquidités – et les risques qui pèsent sur la solvabilisation des banques menacent non seulement le secteur bancaire, mais, au-delà, l’économie réelle qui est menacée, celle dont les acteurs peuplent nos circonscriptions. Le plus souvent, ce ne sont pas les grandes entreprises du CAC40 qui créent de l’emploi et de la richesse dans nos territoires, mais plutôt les PME, qui sans le concours d’organismes bancaires ne peuvent investir pour améliorer leur compétitivité et auront peut-être, pour certaines d’entre elles, des difficultés à boucler leurs fins de mois ou d’année, au point que leur existence pourra être mise en péril.

Oui, l’urgence est là, et nous reconnaissons qu’une action rapide était nécessaire. Sommes-nous pour autant d’accord avec l’analyse qui a été faite de la situation, avec les mesures retenues et le calendrier fixé pour leur application ? Contrairement à ce que vous avez affirmé, madame la ministre, je ne crois pas qu’il s’agisse de la crise des excès. Depuis le XIXe siècle et la révolution pasteurienne, on sait que la génération spontanée n’existe pas. Les excès ne sont pas survenus par hasard, ils sont la conséquence d’un système qui, s’il n’est pas remis en cause, produira d’autres crises, peut-être plus graves encore. Le système dont il est question est celui dans lequel les contraintes exercées sur la rémunération des agents économiques, notamment les salariés, ont pesé d’un poids tel que le pouvoir d’achat de ces populations ne leur a plus permis de se loger, de consommer, d’assurer leur avenir et celui de leurs enfants. La crise ne résulte donc pas d’excès, mais constitue le résultat naturel d’un système qui a contraint les Américains à l’endettement forcé pour se loger et pour consommer. L’endettement pour se loger étant engagé sur la valeur du bien immobilier acquis à cette fin, tout est allé très bien tant que cette valeur montait, mais tout s’est écroulé lorsqu’elle s’est mise à baisser – ce qui était inéluctable, car l’immobilier ne connaît jamais de hausse constante qui ne soit pas suivie d’un mouvement inverse, connu sous le nom de dégonflement de la bulle immobilière. Ce n’est pas la crise des excès, mais la crise d’un système qui, refusant de donner sa juste part au travail salarié du fait de la captation excessive par le capital de la valeur ajoutée produite, contraint à l’endettement – comme il l’a fait aux États-Unis et a commencé à le faire en France, avec toutes les conséquences qu’entraîne un endettement excessif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

La France aurait pu connaître la même situation que les États-Unis : ainsi que l’a indiqué Jean-Pierre Brard dans le style fleuri que nous lui connaissons, l’une des promesses du candidat à la présidence Nicolas Sarkozy consistait à instaurer en France un crédit hypothécaire conçu sur le même modèle que celui utilisé par les Américains. Un des arguments utilisés était d’ailleurs que l’insuffisance des revenus d’un ménage ne devait pas constituer un obstacle à l’acquisition d’un logement. La France a donc failli adopter ce système, et l’aurait fait si l’explosion survenue entre-temps aux États-Unis ne l’en avait prévenue.

Nous craignons fort, madame la ministre, en vous entendant limiter les origines de cette crise à de simples excès – dont nous ne nions pas l’existence par ailleurs –, que vous ne sachiez pas préparer l’avenir, c’est-à-dire éviter que d’autres crises de même nature ne surviennent à nouveau. Vous préconisez, à l’article 6 de ce projet de loi, de rétablir les liquidités interbancaires. Sur ce point, je ne puis que vous donner raison, et il faut être quelque peu ignorant, voire malhonnête, pour affirmer que les 320 milliards d’euros prévus seront directement prélevés dans la poche des ménages. En réalité, les ménages n’auront pas à s’acquitter obligatoirement de cette somme en leur qualité de contribuables : c’est par le biais d’emprunts garantis par l’État que ceux qui le voudront, et eux seuls, apporteront leur contribution. Prétendre que ces 320 milliards d’euros pèseront sur le pouvoir d’achat des ménages n’est donc pas, me semble-t-il, la façon la plus honnête ni la plus lucide de critiquer cette mesure. En revanche, il est certain qu’en garantissant des emprunts jusqu’à un tel niveau, l’État contribuera à assécher l’épargne qui devrait profiter au secteur productif : l’argent utilisé pour assurer des emprunts d’État ne pourra être consacré au financement de l’économie réelle, sauf par l’intermédiaire des banques, avec le coût d’intermédiation que l’État y appliquera. Si elle ne conduira pas à prendre dans la poche des contribuables, cette mesure n’aidera pas pour autant au sauvetage d’entreprises confrontées à des besoins d’investissements majeurs.

La deuxième mesure, dont le coût s’élève à 40 milliards d’euros – ce qui porte à un total de 360 milliards d’euros le prix du « bon goût » des mesures adoptées, pour reprendre l’expression utilisée par Mme la ministre – ne devrait pas davantage amputer le pouvoir d’achat des Français. Il est même permis de penser que cette mesure n’aurait pas de conséquences sur les finances publiques ni sur l’économie, dès lors que les actifs obtenus en gage de ces 40 milliards d’euros verraient leur valeur augmenter sur les marchés. Il subsiste toutefois un risque – qui, pour être théorique, n’en est pas moins réel – de voir que les actifs donnés en contrepartie de ces 40 milliards d’euros n’aient pas la valeur que leur auront attribuée les éminents spécialistes chargés de se prononcer sur ce point, auquel cas l’État se verrait contraint d’inscrire le débit dans la colonne des pertes des comptes publics, augmentant d’autant la dette de notre pays.

L’urgence est là, mais si cela est vrai en matière financière, cela ne l’est pas moins en matière économique et sociale. Ce n’est pas, en effet, parce que la crise économique et sociale est bien plus ancienne que la crise financière – la première remonte au moins au début de l’année, si ce n’est bien avant, tandis que la crise financière aurait, estimez-vous, commencé il y a trois semaines – qu’elle serait moins urgente. Nous l’estimons, pour notre part, tout aussi prégnante. L’inflation, qui devait selon vous s’élever à 1,6 % en 2008, madame la ministre, atteindra en réalité au moins 3 %. Le pouvoir d’achat, qui devait progresser cette année, à en croire vos déclarations vibrantes d’enthousiasme et évidemment sincères, va au contraire régresser. Ni les retraités, grands oubliés de la politique gouvernementale, ni les salariés du secteur marchand, ni les fonctionnaires de l’État et des fonctions publiques territoriale et hospitalière ne verront leur pouvoir d’achat progresser. L’urgence économique et sociale est donc incontestablement là, d’autant qu’après l’accalmie que nous avons connue ces derniers temps, une nouvelle hausse du prix des matières premières est programmée dans le cycle économique des prochains mois, en raison de l’activité de pays émergents tels que l’Inde ou la Chine.

Que faites-vous, madame la ministre, pour répondre à cette crise économique et sociale ? Beaucoup d’énergie, de mouvement et de mobilisation ont été déployés, ces derniers jours, pour juguler la crise financière – ce dont on ne peut que se féliciter. Mais pour ce qui est de la crise économique et sociale, qu’avez-vous fait pour que 2009 ne soit pas une année à croissance nulle, ou pour le moins très faible ? Vous qui annonciez 2,5 % de croissance cette année, alors que nous n’aurons que 0,8 % ! Vous qui bâtissez un budget sur la base d’une croissance de 1,5 %, alors que nous devrons certainement nous contenter de 0,2 % dans le meilleur des cas ! Comme l’a dit le président de la commission des finances, on reste un peu sur sa faim avec ce projet de budget qui nous sera présenté la semaine prochaine – un projet qui fut élaboré dans une autre époque que la nôtre, pour ne pas dire sur une autre planète ! Tous les paramètres de base sont à revoir, à tel point que l’on se demande si le projet de budget que l’on s’apprête à examiner correspond à un budget réel ou à un budget virtuel, si le Parlement va vraiment débattre de ce que sera la politique budgétaire de l’année prochaine, ou s’il n’est réuni que pour obéir aux échéances prévues par les textes constitutionnels.

Oui, nous sommes en droit d’attendre qu’il soit consacré autant de temps et d’énergie à la crise économique et sociale que ce qui l’a été ces dernières semaines pour combattre la crise financière. Que d’agitation en effet, avec les réunions du G4, du G8, du G20 ! Que d’annonces, dont la cohérence et la lisibilité ont d’ailleurs pu paraître contestables ! Tout cela aura tout de même abouti à l’adoption d’un plan reposant sur ce qui me paraît être une bonne stratégie – au demeurant définie par Gordon Brown. Félicitons-nous que les Britanniques ne fassent pas partie de la zone euro car, plutôt qu’à l’actuel président de l’Union européenne, la paternité du plan adopté reviendrait alors de plein droit au premier ministre britannique, initiateur de la stratégie développée en Grande-Bretagne avant d’être mise en œuvre par les autres pays, notamment les États-Unis.

Rien, dans votre projet, ne vise à combattre les causes profondes des crises que nous traversons, ce qui est infiniment regrettable. Vous ne visez que l’urgence, à savoir les conséquences immédiates de la crise financière. Votre plan, tout en mobilisant 360 milliards d’euros, ne répond donc pas, pour autant, à ce qui constitue la préoccupation essentielle des Français.

J’ai entendu, notamment en provenance des bancs de la majorité, des appels à la responsabilité. Sachez que le groupe socialiste, radical et citoyen saura prendre ses responsabilités sur ce texte, et qu’il n’a pas besoin pour cela des déclarations méprisantes de Jean-François Copé, ni du venin craché avec ce qui ressemblait fort à de la délectation par un orateur du groupe UMP. Nous ne déposerons donc pas de motions de procédure ni même d’amendements, car nous avons, nous aussi, conscience de l’urgence qu’il y a à agir. Mais puisque vous nous enjoignez de prendre nos responsabilités – sur un ton malheureusement fort peu approprié –, permettez que nous vous demandions, à notre tour, de prendre les vôtres : qu’entendez-vous faire l’année prochaine, afin que l’inflation cesse de rogner le pouvoir d’achat ? Qu’allez-vous faire pour que l’augmentation de 25 % du minimum vieillesse devienne autre chose qu’une promesse électorale ? Qu’allez-vous faire pour que le pouvoir d’achat des salariés et des fonctionnaires progresse, comme le Président de la République et la majorité s’y étaient engagés ? Qu’allez-vous faire, dans l’hypothèse où les prix des matières premières repartiraient à la hausse, pour que cela cesse de peser sur les revenus des ménages ? Vous qui nous demandez de prendre nos responsabilités, mes chers collègues de la majorité, saurez-vous prendre les vôtres ? Car c’est vous qui faites le choix des politiques menées, et vous seuls qui avez le pouvoir de contraindre le Gouvernement à revoir sa copie ou à s’assurer de la direction à prendre. Nous qui prenons nos responsabilités, nous attendons que le Gouvernement et la majorité UMP qui le soutient prennent les leurs également. Il est trop facile d’appeler des voix dont vous n’avez pas besoin, alors que celles qui seraient fondées à le faire se refusent obstinément à désavouer les politiques menées précédemment – notamment celle relative aux heures supplémentaires –, dont tout le monde sait aujourd’hui qu’elles sont inadaptées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Le débat sur une défiscalisation et une désocialisation des heures supplémentaires peut avoir lieu en période de croissance, mais convenez qu’affirmer que cette mesure reste bonne en balayant les objections d’un revers de main, alors que la récession menace, est plus délicat. Admettez que quand la récession est là – car elle est là – cette mesure devient totalement contre-productive pour qui veut vraiment lutter contre le chômage, car il est évident que les entreprises qui le souhaiteraient n’embaucheront pas mais proposeront à leurs salariés des heures supplémentaires. Et il n’y a pas de hasard : le chômage a augmenté dans notre pays avant l’explosion de la crise financière ; il continuera d’augmenter, lors même que la crise sera résolue grâce aux mesures que nous nous apprêtons à examiner.

Mme Élisabeth Guigou. Évidemment !

M. Jérôme Cahuzac. On peut faire le même raisonnement pour la déductibilité des intérêts d’emprunt – et vous constaterez, madame la ministre, que j’égrène ici, non sans malice, les mesures que vous avez défendues avec beaucoup de foi, à défaut de raison, lors de l’examen, pendant l’été 2007, du projet sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat.

M. Jean Launay. Péché originel !

M. Jérôme Cahuzac. En effet, qu’est-ce d’autre qu’un encouragement à l’endettement que cette déductibilité des intérêts d’emprunt ? Pouvez-vous être certaine, madame la ministre, que cette mesure n’a pas contribué à gonfler la bulle immobilière ? Pouvez-vous être certaine que ce que l’État – c'est-à-dire nos concitoyens par leurs impôts – consent en la matière, ce ne sont pas les banques qui le captent en définitive, plutôt que les ménages ? Car je rappelle que cette mesure n’était pas ciblée et que tous pouvaient en bénéficier, du plus pauvre au plus riche, de ceux qui en avaient le plus besoin à ceux qui en avaient le moins besoin.

Il faut naturellement revenir sur cette mesure, car la crise a pour point de départ une crise immobilière et, comme toute crise immobilière, elle sera très longue. Plus vite les pouvoirs publics prendront des dispositions pour dégonfler la bulle immobilière et éviter qu’elle ne se reconstitue, mieux cela sera. C’est en tout cas ce que les Français attendent.

Même remarque pour la franchise d’impôt sur les successions et les différents patrimoines. Comment ne pas comprendre que la possibilité de transmettre son patrimoine en franchise totale d’impôt entraîne immanquablement un gel au moins partiel des transactions et donc un renchérissement des biens immobiliers, renchérissement auquel vous tentez de répondre par la déductibilité des intérêts d’emprunt, l’ensemble ne pouvant que contribuer à former cette bulle immobilière que vous dénoncez aux États-Unis, madame la ministre, mais que vous ne voulez pas voir dans ce pays, probablement parce qu’une partie de vos mesures y contribue fort malheureusement ?

Mme Élisabeth Guigou. C’est une incohérence majeure !

M. Jérôme Cahuzac. Alors, nous prendrons en effet nos responsabilités, en évitant que ce texte ne souffre d’une lenteur excessive de nos débats, car l’urgence est là. Pensez-vous cependant, chers collègues de la majorité, que le groupe socialiste peut vous suivre unanimement sur cette voie, quand vos orateurs nous le demandent dans les termes qui ont été les leurs et quand vous ne faites rien, par ailleurs, pour résoudre la crise économique et sociale, pourtant aussi douloureuse pour les Français que la crise financière, pour laquelle vous mobilisez 360 milliards d’euros ?

Vous en appelez à la responsabilité de l’opposition ; nous en appelons à celle de la majorité. La grande différence entre vous et nous, c’est que vous n’avez pas besoin de nos voix pour mettre en œuvre votre politique, tandis que les voix de l’UMP seraient nécessaire pour vous en faire changer. Or ce changement est indispensable pour sortir le pays de la crise économique et sociale.

Plutôt que d’entamer un débat de fond qui permette d’évaluer l’efficacité réelle des mesures du paquet fiscal, vous préférez l’invective à l’endroit de la gauche, attitude tout à fait déplorable que vous condamniez lorsque vous siégiez dans l’opposition mais qui vous amuse aujourd’hui.

Vous en appelez à la responsabilité et à l’unité nationale. L’union nationale est une bonne chose à condition de ne pas la convoquer à tort et à travers. Le dernier à l’avoir invoquée, c’est Jean-François Copé, hier sur le perron de l’Élysée, ce qui pourrait ressembler à une anticipation fantasmatique, dont seul l’avenir nous dira si elle se concrétisera…

Quoi qu’il en soit, soyez bien certains que, qu’il soit sincère ou qu’il s’amuse, quand il appelle à l’union nationale, Jean-François Copé ne peut être crédible à nos yeux, encore moins après le geste qu’il a fait tout à l’heure, après le rejet par notre assemblée de l’exception d’irrecevabilité. Ce n’était ni digne d’un parlementaire ni a fortiori du président du groupe majoritaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous ne sommes pas sur un terrain de sport en train de disputer un match amateur entourés de pom pom girls pour les encouragements ! C’est une attitude tout à fait inadmissible, d’autant plus regrettable que ce n’est pas la première fois.

Sans trop d’originalité, vous avez, vous aussi, madame Lagarde, appelé à l’union nationale. Je ne saurais trop vous conseiller cependant d’être prudente en matière de formules. Vous avez indiqué que ce projet de loi marquerait un tournant historique. Mais vous nous aviez presque dit la même chose à l’été 2007 avec le paquet TEPA ; vous avez eu des propos quasiment définitifs sur la hausse des matières premières, vos affirmations sur l’inflation ne se sont jamais avérées et, il y a quelques semaines encore, vous prédisiez que la croissance se situerait légèrement en dessous des 2 % : il a fallu l’intervention du Premier ministre en personne, dans les heures qui ont suivi votre déclaration, pour que la vérité officielle corresponde à la vérité réelle.

Si j’ai l’air de vous accabler, madame Lagarde, c’est que vous êtes ministre de l’économie et de l’emploi et qu’à ce titre vos responsabilités sont éminentes. Souffrez donc que nous attachions du prix à vos déclarations, et acceptez que nous vous mettions en garde contre des formules qui, sur l’instant, peuvent paraître dictées par l’enthousiasme, la sincérité et votre certitude de bien faire, mais qui, depuis un an et demi que vous êtes ministre, ont souvent été cruellement démenties par les faits.

M. Jean Glavany. Hélas !

M. Jérôme Cahuzac. C’est le Président de la République qui, le premier, a invoqué l’union nationale. C’est bien le rôle du chef de l’État, s’il l’estime nécessaire. Mais pour cela, il faut avoir revêtu les habits du Président de la République et non ceux d’un chef de parti ; il faut s’adresser au pays et non à une assemblée de quatre mille militants de l’UMP. Dans le premier cas, on est crédible ; dans le second, on ne l’est pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Dans le premier cas, on pense effectivement au pays et à son bien ; dans l’autre, on se comporte en chef de parti, c'est-à-dire en candidat perpétuel. Or ce n’est pas ce qu’attendent les Français du président qu’ils ont élu en 2007, au terme d’une campagne que nous ne sommes pas près d’oublier tant, chaque fois qu’il s’exprime devant une assemblée, c’est davantage avec les accents d’un candidat qu’avec ceux d’un chef d’État. Il faut lui expliquer qu’il a gagné, qu’il est Président de la République jusqu’en 2012 au moins et qu'en conséquence continuer à faire campagne quand il est locataire de l'Élysée est inutile. Ce qu'on lui demande maintenant, c'est de prendre la mesure de la fonction et de cesser de considérer les uns comme de bons Français et les autres comme des citoyens de seconde zone ! (Mêmes mouvements.)

M. Benoist Apparu. C’est exactement ce qu’il vient de faire !

M. Jérôme Cahuzac. Je suis d’accord, monsieur Apparu, et il n’est jamais trop tard pour bien faire ! Le Président, après tout, n'est élu que depuis dix-huit mois. Il est vrai que, ce week-end, ce sont incontestablement des habits de chef d’État qu’il a revêtus. Mais il y a si longtemps que nous le voyons se comporter en chef de parti, alors même qu’il exerce la charge suprême, qu’il nous fallait confirmation que le malade était bien guéri !

Nous ne déposerons pas d’amendements sur le texte, car nous estimons qu’il y urgence ; pour les mêmes raisons, nous ne déposerons pas non plus de motion de procédure. Nous estimons qu’il serait bon qu’il soit adopté dans les plus brefs délais, pour envoyer aux différents acteurs un signal positif.

Ne faites pas semblant, chers collègues de la majorité, de croire que nos voix vous sont nécessaires. Vous ne les avez jamais jugées utiles. En revanche, si nous souhaitons que l’examen de ce projet soit digne et rapide, nous serons au rendez-vous de la loi de finances initiale et de la loi de financement de la sécurité sociale pour vous proposer une autre politique.

Notre pays, en effet, n’a pas été préparé à la crise qu’il affronte, pour la raison simple qu’aucun de ceux qui le dirigent ne l’avait vu venir. Les déclarations récentes de nos dirigeants le prouvent amplement. De surcroît, les politiques menées ne vont faire qu’amplifier les dégâts de la crise, notamment auprès de celles et ceux de nos compatriotes qui ont le plus besoin d’un État fort et d’une société solidaire.

Nous serons donc présents à l’occasion du débat sur la loi de finances initiale et sur la loi de financement pour la sécurité sociale, les deux textes fondamentaux qui définissent les politiques économiques et sociales de ce pays. Les Français verront ainsi quels sont les choix et les priorités de chacun.

Nous souscrivons à votre souhait de traiter en urgence la crise financière. Mais nous attendons de vous qu’à l’occasion de l’examen du PLF et du PLFSS vous modifiiez des politiques qui ont fait la preuve de leur inefficacité. Nous avons des propositions à vous faire. Puisque vous en appelez à l’union nationale, c’est le sort que vous réserverez à nos amendements qui témoignera de votre sincérité ou de votre hypocrisie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Madame, monsieur les ministres, chers collègues, avant de m’exprimer sur le fond des choses et sur le texte qui nous est proposé, l’honnêteté intellectuelle et l’idée que nous nous faisons de l’éthique républicaine m’imposent de dire ceci : cette tourmente à laquelle tous les pays sont confrontés est sans précédent pour notre génération. Personne ne souhaite à aucun gouvernement de devoir affronter une telle situation. Nous sommes face à une crise financière qui secoue les marchés, mais menace aussi l’économie réelle, l’emploi, nos entreprises et le revenu de nos concitoyens.

Cette crise met en danger l’équilibre déjà précaire et injuste du monde actuel. C’est pourquoi nous reconnaissons la difficulté de la tâche de tous les responsables politiques qui sont confrontés à cette crise à travers le monde et leur témoignons notre respect, quel que soit notre jugement sur les réponses qu’ils apportent à ce séisme financier et sur les politiques de long terme qui doivent maintenant être menées.

Nous avons assez souvent l’occasion de mettre en lumière nos différences, qui sont la richesse de notre démocratie, pour pouvoir reconnaître aujourd’hui le caractère exceptionnel de la situation.

Dans la gestion de la crise financière, dans les réponses qui lui sont apportées, sur les suites qu’il conviendra de lui donner, nous avons, sur les bancs de cette assemblée des divergences d’approche et des jugements contrastés.

Nous vivons aujourd’hui un de ces moments rares dans la vie politique où, alors que nous nous apprêtons à voter dans l’urgence sur ce texte, nos collègues européens, au sein de leurs parlements nationaux, vont débattre de dispositifs du même ordre et censés répondre aux mêmes questions : comment garantir la survie du système bancaire, éviter un effondrement du système économique dont les conséquences sur l’emploi et la vie quotidienne seraient dramatiques, comment enfin permettre l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises ?

À ces questions, après la difficile adoption du plan américain, les gouvernements européens ont apporté une réponse concertée et coordonnée, alors qu’ils n’avaient pas eu au départ la même réaction face à la crise. C’est dire que notre discussion d’aujourd'hui n’est pas simplement un débat parlementaire franco-français mais bien l’élément d’une réponse plus large, européenne, à la crise mondiale. Le principe de responsabilité nous impose donc de ne pas jouer sur le terrain de la petite politique ou de la petite polémique pour tenter de tirer, par un vote favorable ou une opposition systématique, un bénéfice partisan de la situation, selon notre position dans cet hémicycle. De ce point de vue, je rejoins Jérôme Cahuzac : les propos polémiques de M. Copé sont assez désolants.

Cette crise souligne, s’il en était encore besoin, une évidence : c’est à l’échelle de l’Union européenne que se trouvent les solutions. Elle prouve que la coordination des politiques nationales, la recherche de solutions communes et l’action concertées sont possibles dès lors qu’existe une volonté politique. Elle révèle que la coopération entre les nations peut se révéler plus efficace que l’action d’institutions technocratiques sans légitimité démocratiques, comme la Commission européenne.

Elle démontre par l’absurde que l’Europe ne peut se construire sur le seul engagement du respect aveugle d’un dogme économique – dogme qui vole en éclats sous nos yeux aujourd’hui.

Toutes ces leçons, nous ne devrons pas les oublier. J’ai parlé de respect et de responsabilité ; je voudrais également parler de sincérité.

Être sincère, c’est reconnaître deux réalités : d’abord, c’est dire que les Français – et plus généralement les opinions publiques mondiales – ne comprennent plus rien à une situation qui met en jeu des sommes à proprement parler vertigineuses, des mécanismes boursiers et financiers totalement opaques, des fluctuations de cours absolument irrationnelles – nous venons encore de le vivre, hier à la hausse, les jours précédents à la baisse.

Être sincère, c’est ensuite reconnaître que vous, comme nous, et malgré les avis d’experts qui nous sont prodigués, n’êtes en rien assurés de la pertinence des solutions aujourd’hui proposées. Nous sommes appelés à nous prononcer sur des sommes astronomiques, sans connaître la consommation qui en sera réellement faite, et en les plaçant en quelque sorte « hors bilan », si vous me permettez l’expression. Il faudra bien un jour sortir de cet artifice comptable – mais au détriment de qui ? Nul ne le sait.

Ces solutions ont un but, et un seul : affirmer qu’aucun établissement financier ne sera abandonné, et que les États ne prendront pas le risque de laisser se développer une contagion qui, par effet domino, conduirait à l’effondrement total du système. Parce qu’elles sont le fruit d’une coopération intergouvernementale, parce qu’elles produisent leurs effets positifs – apparemment du moins, si l’on en croit les réactions des marchés hier et aujourd’hui –, parce qu’enfin il n’y a pas de proposition alternative crédible, nous ne pouvons pas, à mon sens, nous opposer à ce texte.

Mais le respect, la responsabilité et la sincérité ne signifient pas l’abdication ou l’oubli de nos positions politiques respectives. Il faudrait être pour le moins schizophrène pour considérer que la crise ne change rien à la situation de notre pays et qu’elle ne rend pas nécessaire la remise à plat du prêt-à-penser libéral qui fonde votre politique économique.

Au-delà de la dénonciation des parachutes dorés – dénonciation bien tardive et quelque peu anecdotique, eu égard aux sommes en jeu –, c’est bien la répartition des richesses qui pose problème. Ce qui doit être remis en cause, c’est la priorité donnée depuis des décennies à la rémunération des actionnaires au détriment des salariés et des capacités d’investissement des entreprises. C’est la question fiscale qui doit être posée : c’est la question de la pertinence de vos choix clientélistes et électoralistes, qui ont obéré et obèrent aujourd’hui les capacités d’action de l’État, accroissent les inégalités et ne soutiennent pas assez le développement de nos entreprises et de l’emploi.

Aujourd’hui plus encore qu’hier, il y a, madame la ministre, quelque chose de choquant à voir que, grâce au bouclier fiscal, les plus hauts revenus et les plus gros patrimoines vont être exonérés de l’effort pourtant demandé à l’ensemble des Français, à la nation tout entière : car les contribuables français paieront un jour la note, sans aucun doute ; ils la payent déjà, d’ailleurs, depuis un an et demi. Car ils subissent la baisse du pouvoir d’achat, conséquence aussi de décisions du Gouvernement. La revalorisation des retraites inférieure à ce que prévoyait la loi, les franchises médicales, les prélèvement annoncés cet été sur les cotisations aux mutuelles, ou le prélèvement supplémentaire que vous venez de créer sur l’épargne populaire pour financer le RSA : tout cela a contribué à faire baisser le pouvoir d’achat des Français, et a surtout fait que la grande majorité des Français payent la note de la crise.

Il y aurait eu un peu de dignité, et en tout cas un certain courage politique, par exemple à abandonner, ou tout au moins à suspendre, l’application du bouclier fiscal dans les circonstances exceptionnelles que nous vivons.

Au-delà de la clarification des règles comptables, au-delà de la sécurisation des produits financiers complexes que l’on nous annonce, il faudra bien combattre les paradis fiscaux ; il faudra bien rendre plus difficile l’évasion des capitaux, et surtout pas la récompenser par l’amnistie fiscale aussi immorale qu’insupportable que nous proposait notre collègue Bernard Accoyer il y a quelques jours à peine.

Il faudra bien, enfin, aborder la question de la taxation des mouvements financiers. Dans ce maelström boursier, il y a ceux qui ont perdu, sans doute parce qu’ils ont mal évalué leurs risques, ou parce qu’ils ont été abusés, ou parce qu’ils ont cédé à la panique, mais il y a aussi ceux qui gagnent ou gagneront, les spéculateurs qui jouent au yoyo avec le cours des monnaies, des actions, des matières premières, plongeant des régions entières de notre planète dans l’insécurité économique, la misère et le désordre écologique – ce n’est plus aujourd’hui un risque, mais une réalité. À quand une vraie réflexion et une réelle taxation de ces flux financiers qui influent tant sur nos vies, mais qui échappent au contrôle non seulement des citoyens, mais même des gouvernements, voire à tout impôt ?

Au-delà des artifices comptables d’aujourd’hui, qui masquent la dette née de ce plan nécessaire, qui peut encore croire à la sincérité du budget élaboré par votre Gouvernement il y a quelques mois ? Comment, surtout, peut-on dire aux Français qu’aucune action à caractère social, aucun mécanisme de relance de l’investissement, aucun soutien au logement ou à l’emploi ne sont possibles – puisque, comme vous le dites souvent, les caisses sont vides, puisque l’État est au bord de la faillite – alors même que nous nous engageons aujourd’hui sur des sommes autrement considérables ? Hier, on ne parvenait pas à trouver 1,5 milliard d’euros pour financer le RSA, et aujourd’hui, on s’engage sur 360 milliards d’euros, y compris 40 milliards de dettes supplémentaires, pour aider des banques qui sont pourtant en grande partie responsables de leur propre chute. Qui peut croire que les mesures que vous annoncez par ailleurs, sur les emplois aidés ou sur les PME, ne sont pas simplement des mesures opportunistes, qu’elles sont à la mesure des défis ?

Comment épauler réellement nos entreprises ? Que proposez-vous pour les entreprises confrontées à la raréfaction du crédit, à la concurrence de pays où n’existent pas les règles élémentaires de protection sociale ou de respect de l’environnement ? Comment épauler nos entreprises alors que la consommation des ménages va nécessairement diminuer ? Comment, sinon par un tournant économique significatif de notre politique nationale, comme de la logique de déréglementation aveugle qui guide les institutions internationales ?

Je voudrais citer les propos tenus ce matin, dans le journal Les Échos, par M. Michel Camdessus, qui est quand même ancien directeur du FMI et ancien gouverneur de la Banque de France : « les gouvernements sont les premiers responsables de la crise actuelle » et, poursuit-il en utilisant une image on ne peut plus explicite, « s’il n’y a pas de garde-champêtre dans le village planétaire, il deviendra vite un village de bandits, où les escrocs et les gens sans scrupules feront la loi, comme nous l’avons vu sur les marchés de l’argent ».

M. Jacques Remiller. Notre gouvernement n’est pas socialiste !

M. François de Rugy. Nous ne voulons pas nous contenter du constat, ce serait trop facile ; nous proposons d’aller plus loin. Nous proposons que l’Union européenne se dote dès que possible d’un paquet législatif qui fasse le ménage sur les marchés financiers, et nous demandons, madame la ministre, qu’il soit inscrit à l’ordre du jour du prochain conseil européen. Nous faisons plusieurs propositions simples : l’interdiction des ventes à découvert qui permettent aux spéculateurs de spéculer sans avoir à présenter la moindre garantie financière ; la limitation drastique de la possibilité de transformer les dettes en titres financiers – la fameuse « titrisation » qui est à l’origine, ne l’oublions pas, de la diffusion de la crise américaine à l’ensemble du système financier mondial ; plus que jamais, enfin, nous proposons la taxation à la source de tous les flux financiers. Pendant longtemps, on nous a expliqué qu’il ne fallait pas faire la fameuse taxe Tobin, car cela freinerait les mouvements internationaux de capitaux – mais n’est-ce pas justement le moment de les freiner ? La preuve est faite que cela eût été utile.

S’agissant des banques proprement dites, il faut tenir un langage clair. Êtes-vous prêts à mettre un terme à l’hébergement de filiales dans les paradis fiscaux pour échapper à l’impôt ? Êtes-vous prêts à mettre un terme aux produits financiers aussi opaques qu’inutiles ? Êtes-vous prêts à mettre un terme au non-respect du droit au compte pour les personnes en difficulté ? Êtes-vous prêts à mettre un terme aux rémunérations des dirigeants qui dépassent l’entendement ?

Il y a un aspect de la position du Gouvernement qui me paraît incompréhensible, et que M. le Premier ministre a pourtant fortement affirmée tout à l’heure. Comment justifier que les participations que l’État s’apprête à prendre dans certaines banques ne lui donnent aucun droit de regard sur la politique de ces banques ? La présence de l’État au conseil d’administration serait pourtant la meilleure des garanties. Pourquoi se l’interdire, si ce n’est parce que l’on continue à soutenir aveuglément les acteurs privés, qui sont pourtant à l’origine de cette crise ?

De même, au moment où vous vous apprêtez à nationaliser, au moins partiellement, d’après ce que l’on nous dit, des banques et des établissements financiers, il ne faut pas fragiliser la seule banque 100 % publique, accessible à tous les Français – je veux bien sûr parler de La Poste !

M. Pierre-Alain Muet. Très bien !

M. François de Rugy. De même, ne touchez pas au Livret A, comme vous l’avez envisagé ! Ne fragilisez plus la Caisse des dépôts et consignations, qui est, elle aussi, un établissement financier public, et qui a fait ses preuves depuis longtemps !

Il serait enfin incompréhensible que les indispensables mesures de conversion écologiques de l’économie soient encore différées, comme on l’entend ici ou là, et comme on commence à le lire. C’est au contraire maintenant qu’il faut engager une vigoureuse politique. Prenons l’exemple du logement : on peut à la fois soutenir le secteur du bâtiment, qui va nécessairement connaître de grandes difficultés, et répondre à une demande sociale forte. L’accès au logement de tous ne va pas s’améliorer avec la crise immobilière, car les prix vont certes baisser, mais les constructions aussi ; l’accès au logement sera dès lors plus difficile. Une politique écologique en faveur du logement contribuerait enfin à relever un défi écologique majeur, qui n’attend pas non plus : celui de l’énergie rare et chère.

On pourrait multiplier les exemples qui montrent qu’un nouveau mode de développement est la seule voie pour éviter que les crises se répètent.

Ces questions sont au cœur des préoccupations des salariés, des entrepreneurs, des retraités, de tous nos concitoyens, que nous rencontrons chaque jour dans nos circonscriptions. En refusant de les regarder en face, en nous contentant de perpétuer, même en la sécurisant et en la moralisant à la marge, la logique financière qui pèse sur notre économie, nous passerions à côté d’une occasion historique de reprendre en mains notre destin collectif.

Car finalement, ce collectif budgétaire reconnaît que nous sommes entrés dans une ère économique nouvelle – vous avez vous-même employé ce terme – mais une ère d’incertitude et de désordre dont il convient de juguler les effets les plus immédiats. C’est pour cela que nous ne nous y opposerons pas.

Mais au-delà du plan de sauvetage qui a pour but, vous l’avez dit et redit, de rassurer les marchés, il faut tracer des perspectives positives de réforme profonde du système pour rassurer les Français dans leur ensemble. Or nous ne voyons rien venir ; vous êtes étrangement silencieux.

Cette semaine noire sur les marchés financiers a profondément changé la donne ; pour faire face à cette nouvelle donne, il faut une nouvelle politique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la crise financière a atteint un niveau tel qu’elle affecte désormais le financement de l’économie réelle. L’aggravation de la situation des marchés financiers, l’érosion de la confiance des investisseurs, la hausse du risque de crédit et l’assèchement des liquidités qui en découle menacent de bloquer le fonctionnement du système financier international et d’avoir des conséquences négatives sur la croissance de notre économie.

Il est vrai que le plan Paulson n’a pas contribué à redresser la situation, puisqu’il constitue une grave erreur de politique économique en ce qu’il a eu recours à une structure de défaisance. Or la France a bien connu ce type de structure, et si l’administration Bush s’était rapprochée de l’administration française, celle-ci lui aurait expliqué pourquoi il ne faut pas faire de structure de défaisance : avec le Crédit lyonnais, avec le Comptoir des entrepreneurs, avec le GAN, nous avons déjà donné !

La crise que le monde traverse est avant tout une crise de confiance, qui se traduit par une crise de liquidité et par une crise de solvabilité, du fait de l’affaiblissement des capitaux propres des banques. Il s’agit d’une crise de la dérégulation, ou plus précisément d’une pseudo-auto-régulation américaine, qui s’est terminée en non-régulation.

Dans ce contexte, ce projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie est destiné à restaurer la confiance dans le système bancaire et financier et à assurer le bon financement de l’économie française et européenne. Le texte présenté vise à permettre l’octroi de la garantie de l’État qui, conformément à la LOLF, doit être autorisé par le Parlement dans le cadre d’une loi de finances.

Il comprend six articles ; je ne m’intéresserai ici qu’au sixième, les autres ne comportant aucune nouveauté.

Globalement, le Nouveau Centre soutiendra le Gouvernement dans sa volonté de rétablir le bon fonctionnement du système bancaire.

En effet, depuis longtemps, nous défendons l’idée d’une économie de marché régulée, de la liberté économique encadrée. Dans la situation actuelle, le plan de sauvetage bancaire doit être temporaire ; il doit être négocié avec les banques, et des contreparties doivent être exigées, tout simplement parce qu’il ne doit pas se faire sur le dos des contribuables et récompenser ceux qui ont fauté. Le Gouvernement va dans la bonne direction, puisque les deux dispositifs créés de refinancement et de recapitalisation des banques prévoient des contreparties, elles-mêmes temporaires.

Ainsi, le Nouveau Centre soutient les deux types de mesures d’application temporaire, une première destinée à réinjecter des liquidités dans l’économie, une seconde destinée à renforcer les fonds propres des organismes financiers.

Deux sociétés sont créées, une société de refinancement de nature privée et une société de prise de participation, publique celle-ci, qui aura la garantie de l’État pour lever jusqu’à 40 milliards d’euros environ sur les marchés afin d’accroître les fonds propres des banques.

En contrepartie de cet emprunt garanti par l’État pour refinancer et recapitaliser, les banques devront donner des gages : les établissements financiers demandeurs devront disposer de fonds propres suffisants pour en bénéficier ; les garanties seront adossées aux actifs des banques ; enfin, les opérations se déclencheront sous réserve de la signature « d’une convention fixant les obligations des établissements bénéficiaires », notamment, j’attire votre attention sur ce point, mes chers collègues, en matière de règles éthiques et d’engagements relatifs au financement de l’économie réelle.

Le Nouveau Centre a fait, à temps et à contretemps, des propositions en matière de règles d’éthique afin d’encadrer la rémunération des dirigeants, de mettre fin à la pratique des golden parachutes ou encore d’établir le principe du fauteur-payeur.

Vous nous en avez dit tout à l’heure un peu plus qu’en commission, madame la ministre, sur ce que vous entendiez par contreparties éthiques. Et même si nous sommes d’accord sur un certain nombre des points que vous avez évoqués, nous voudrions aller un peu plus loin. Nous vous suggérons plusieurs idées :

Un, interdire le cumul entre le statut de dirigeant mandataire social et celui de salarié. Vous avez dit que vous étiez d’accord. Reste le problème de la rétroactivité.

Deux, interdire à l’ensemble des mandataires sociaux de lever ou de céder des options tant qu’ils exercent des fonctions dans l’entreprise. Cette thèse, défendue par notre ex-collègue Balladur, me paraît pleine de bon sens : il s’agit de ne pas mettre les dirigeants des entreprises dans une situation dans laquelle ils ont des informations privilégiées et peuvent être à même de savoir s’il faut lever ou non les options.

Trois, supprimer le bénéfice des actions gratuites et des parachutes dorés lorsque les dirigeants ont commis des fautes ou mis leur entreprise en difficulté. Cela serait d’ailleurs complémentaire de ce que vous avez évoqué tout à l’heure dans votre discours, madame la ministre.

Quatre, conditionner l’intéressement ou les stock-options des dirigeants et des cadres dirigeants au fait que l’ensemble des salariés en bénéficient également. Vous n’en avez pas parlé dans votre intervention. Je pense que cette mesure serait équitable.

Cinq, renvoyer les dirigeants qui ont commis des fautes ou mis leur entreprise en difficulté, comme il est normal dans une société de responsabilité.

Le Nouveau Centre soutient ce plan de soutien aux banques doté de 360 milliards d’euros de garantie, d’abord parce qu’il est nécessaire, ensuite parce qu’il est européen. En effet, ce n’est que la traduction française du plan mis au point par les quinze pays de la zone euro, plus un certain nombre de pays hors zone euro, pour enrayer les effets de la crise financière. Une nouvelle fois, nous le constatons, nous qui sommes profondément européens au Nouveau Centre : quand l’Europe est unie, elle influence le cours du monde, quand l’Europe est désunie, elle ne pèse plus rien.

Dans la seconde partie de mon intervention, je voudrais, madame la ministre, vous poser cinq questions auxquelles le groupe Nouveau Centre aimerait que vous répondiez.

La première interrogation concerne le régime juridique des deux sociétés créées. La situation est claire s’agissant de la société de participation, qui dispose de 100 % de capitaux publics : la société s’endette, avec la garantie de l’État elle reprête, elle est dans le périmètre public. En revanche, s’agissant de la société de refinancement, je l’appelle ainsi bien qu’elle n’ait pas encore de nom dans le texte, il serait intéressant que le Gouvernement précise, plusieurs collègues l’ont demandé, où en est la création de cette société avec les banques puisqu’elle sera à majorité, semble-t-il, propriété des banques, et comment il voit la mise en œuvre de cette société de refinancement.

La deuxième question porte sur le choix du plafond de 360 milliards d’euros. Nous nous sommes beaucoup interrogés : pourquoi 360 milliards, pourquoi pas 300 ou 500 ? On nous a parlé de trois composantes : 40 milliards de plafond pour les prises de participation de la société, 55 milliards d’euros pour Dexia – à ce propos, il serait intéressant de savoir pourquoi on demande 55 milliards de garantie pour Dexia en plus des 6,4 milliards que les États belges, luxembourgeois et français ont mis en œuvre – et enfin, 265 milliards d’euros pour le refinancement proprement dit. D’après ce que nous a dit M. le rapporteur général, ce sont des ordres de grandeur. Il serait intéressant que vous nous expliquiez, madame la ministre, si, conformément à ce qu’indiquait le rapporteur général, ces chiffres représentent les besoins de financement pour les deux ans qui viennent, mais pas au-delà.

Troisième question, le Nouveau Centre s’interroge sur les tensions qu’un tel plan pourrait susciter sur le marché de l’épargne. Si on mobilise une partie de ces plafonds sur le marché de l’épargne, n’existe-t-il pas un risque, au regard du montant de l’épargne nationale, d’avoir des tensions par rapport à d’autres utilisations : il n’y a pas que les banques qui ont des besoins, les entreprises non bancaires également. Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur ce point, madame la ministre ?

Quatrième question, le Nouveau Centre souhaite mettre l’accent sur les droits du Parlement en la matière et sur le nécessaire suivi et le contrôle du dispositif mis en place par la représentation nationale. Gilles Carrez l’a indiqué tout à l’heure, nous sommes plusieurs à suggérer que soit créé un comité de suivi pluripartiste afin que les parlementaires puissent exercer leur droit de contrôle, a posteriori bien sûr, sur la société de refinancement comme sur la société de participation et Dexia. Il s’agit non pas de prendre part à la gestion de ces deux sociétés mais de contrôler l’utilisation de l’argent public, ou plus exactement des garanties publiques, afin d’en éviter les effets d’aubaine ou les dérives.

En dernier lieu, le Nouveau Centre voudrait connaître l’impact budgétaire de la recapitalisation des banques. M. Woerth en a parlé tout à l’heure. Nous voudrions avoir des précisions.

Certes, le solde d’exécution budgétaire pour 2008 n’est pas impacté par les 40 milliards d’euros d’éventuelles prises de participation de l’État, financées par de l’endettement, qui viendront accroître la dette publique en 2009 parce qu’il semble bien que cette société publique de prise de participation sera dans le périmètre des administrations publiques. Sachant que la dette publique devrait déjà atteindre 65,3 % du PIB en fin d’année 2008 et 66 % en 2009, si on prélève 40 milliards d’euros en 2009, cela représentera 2 points de plus, c’est-à-dire qu’on serait autour de 68 %.

Ce n’est pas négligeable mais il y a surtout le problème du coût de cette dette, de l’ordre de 2 milliards d’euros nets. Les prises de participation seraient-elles susceptibles, dans un premier temps, de couvrir la totalité du coût des intérêts liés à l’endettement pour intervenir en capital ? Il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous nous éclairiez là-dessus.

Pour le deuxième volet du plan, à savoir la société de refinancement des banques, le fait pour l’État d’apporter sa garantie aux activités de la société n’aurait a priori pas d’impact sur la dette publique, au sens maastrichien, si tout se passe bien puisqu’il me semble qu’il n’y aurait de coût éventuel que dans la mesure où il y aurait des sinistres et que cette société ferait jouer la garantie dont elle bénéficie de l’État – à ce moment-là, il faudrait une dotation de l’État.

Enfin, reste à savoir si l’État actionnaire fera une bonne opération, à terme, en recapitalisant les banques et en revendant ensuite ses parts, dans quelques années, comme ce fut le cas pour Alstom. Ce n’est pas exclu, mais l’aller-retour risque de ne pas être aussi rapide, que ce soit dans le cas des banques risquant de défaillir, comme Dexia, ou dans le cas des banques non menacées mais qui cherchent à renforcer leurs fonds propres pour se mettre au niveau de leurs concurrentes, notamment européennes. En tout état de cause, le Nouveau Centre exigera des garanties pour que les ventes futures des parts de l’État soient entièrement consacrées au désendettement.

En conclusion, le groupe Nouveau Centre votera en faveur de cette loi de finances rectificative, essentiellement son article 6, parce qu’elle est économiquement nécessaire, financièrement indispensable et engagée du point de vue européen, mais il restera vigilant quant au respect des droits du Parlement et à la stabilisation de notre niveau d’endettement public.

M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Maire.

M. Bruno Le Maire. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, personne ne l’en aurait cru capable et pourtant elle l’a fait. L’Europe qu’on disait faible, l’Europe impuissante et timorée, l’Europe désunie a su prendre son destin en main et faire face à la plus importante crise financière des dernières décennies. Elle aurait pu se diviser dans l’épreuve, elle s’est rassemblée. Elle aurait pu hésiter et attendre, elle a décidé.

Ce succès, nous le devons à la détermination de ses responsables, qui ont su prendre la mesure de la crise et proposer un plan de sauvetage à la hauteur des enjeux : 1 700 milliards d’euros injectés sur le marché financier pour soutenir l’activité des entreprises, par conséquent la croissance et l’emploi. Ce succès, nous le devons à Gordon Brown, nous le devons à Angela Merkel, qui ont fini par surmonter leurs contraintes nationales pour inventer ou approuver des mesures sans précédent dans l’histoire européenne, et nous le devons au Président de la République, au Premier ministre, et à vous, madame la ministre, dont l’engagement sans relâche depuis des jours au service de la stabilité et du retour de la confiance dans notre pays force notre respect.

Tout le sens du projet de loi que nous examinons aujourd’hui vient de là : ce n’est pas un plan national contre nos partenaires européens, c’est un plan européen dans l’intérêt national. Il n’a pas été conçu de manière isolée, dans un sauve-qui-peut protectionniste qui aurait été incapable de faire face à la crise, mais sereinement, dans la coordination la plus étroite avec nos partenaires du G7, de l’Eurogroupe et de l’Union européenne. Il ne crée donc pas davantage de concurrence entre les États membres, il signe, au contraire, une nouvelle solidarité, seul moyen de rendre confiance à l’ensemble du système économique.

Au-delà de la méthode, le plan que vous nous proposez répond précisément aux besoins des économies européennes. L’urgence est d’éviter une contagion massive de la crise financière à l’économie réelle par un manque de financement des entreprises. L’urgence est de fournir les liquidités nécessaires aux banques pour leur permettre de jouer leur rôle de prêteur auprès des entreprises comme des particuliers. L’urgence est de sortir de la défiance généralisée pour renouer un à un les fils de la confiance.

Pour retrouver un financement normal de l’économie, vous nous proposez deux types de mesures qui viennent d’être largement décrites. Plutôt que de revenir sur leur détail, je voudrais insister sur leurs atouts.

Premier atout : la durée. La création d’une société de refinancement de l’économie desserre la contrainte de temps qui pèse actuellement sur les banques. Les prêts consentis par cette société seront d’une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans. En ouvrant cette perspective, vous permettrez de libérer la décision de prêt des exigences immédiates de rentabilité qui bloquent la décision financière et grippent l’économie.

Deuxième atout : l’égalité de concurrence. La création de la société des prises de participation de l’État revient à accorder des prêts de très longue durée par l’intermédiaire d’une entrée dans le capital des banques. Elle améliorera donc le ratio de solvabilité des établissements financiers et leur permettra de faire jeu égal avec leurs concurrents européens. La seule interrogation que l’on peut avoir porte sur le montant des fonds engagés : 40 milliards d’euros risquent de ne pas être suffisants au regard des besoins exprimés.

Troisième atout de ce plan : les garanties prises par l’État. Au moment où beaucoup de responsables économiques et financiers ont failli, il aurait été injuste et inacceptable que l’État ne s’entoure pas de toutes les assurances nécessaires. Contrairement au plan Paulson, qui a fait le choix hasardeux d’un rachat de créances sans contrôle, sans examen préalable des actifs, sans dispositif de surveillance, vous avez mis en place les garde-fous indispensables : l’État sera rémunéré en échange de la garantie qu’il apporte ; l’État gardera un droit de veto par l’intermédiaire du commissaire du Gouvernement sur toutes les décisions de nature à affecter ses intérêts ; l’État sera assisté par la Commission bancaire pour le contrôle des conditions d’exploitation de la société des prises de participation. Nous ne saurions trop insister sur ce point : chaque citoyen doit avoir la certitude que le plan de soutien des banques se fait sous un contrôle étroit de la puissance publique, dans le sens de l’intérêt général.

M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

M. Bruno Le Maire. Tous ces atouts font de ce plan un projet à la fois ambitieux, réaliste et efficace. Il devrait suffire à éteindre l’incendie financier qui risque de se propager dans la maison européenne. Mais il ne résoudra pas pour autant, et du reste ce n’est pas son ambition, toutes les difficultés économiques à venir. De ce point de vue, il est de notre devoir de représentant national d’apporter notre pierre au débat et de proposer des pistes de réflexion.

Dans l’immédiat, il me semble indispensable d’accompagner la mise en place du plan d’explications à destination de nos concitoyens et des entreprises. Nos concitoyens appréhendent la crise financière, mais ils n’en mesurent pas bien les effets concrets. Tout leur semble à la fois virtuel, insaisissable et menaçant. À nous de faire preuve de pédagogie sur les mécanismes à l’œuvre. À nous d’apporter toutes les assurances nécessaires sur les questions qui se posent : la sécurité de leurs dépôts bancaires, l’impact du plan sur l’endettement de l’État, les conséquences sur la fiscalité. Bref, nous devons avoir l’engagement du Gouvernement que le plan de soutien au secteur bancaire garantira les dépôts des épargnants et ne se traduira, à terme, par aucune hausse d’impôt. Pour les entreprises, l’accès au crédit doit être fléché le mieux possible, afin de répondre dans les jours qui viennent à leurs besoins les plus pressants en trésorerie. Certaines PME fragiles réclament de l’assistance : nous devons la leur apporter dans les meilleurs délais.


À moyen terme, nous sommes en droit d’espérer que la gravité de la crise donnera l’impulsion nécessaire à la mise en place d’une véritable gouvernance économique européenne. Il s’agit non pas de détruire des instruments qui ont donné à l’Europe la stabilité financière et la maîtrise de l’inflation pendant plus d’une décennie, mais d’instituer par le droit un véritable partenariat entre les États et la Banque centrale, de telle sorte que les décisions de Francfort obéissent aux seuls intérêts du citoyen européen et non des marchés.

M. Jean-Pierre Brard. Vous y croyez ?

M. Bruno Le Maire. Il s’agit d’instituer une véritable coordination économique entre les principaux partenaires européens, notamment entre la France et l’Allemagne, pour que la concurrence soit profitable à tous et non à quelques uns. C’est le seul moyen de garantir à nos concitoyens le niveau de protection et de prospérité économique qu’ils sont en droit d’attendre de l’Europe.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est plus à la mode !

M. Bruno Le Maire. L’occasion est unique pour la présidence de l’Union de faire accomplir à notre continent, cinquante ans après le Traité de Rome, un nouveau pas majeur dans l’intégration européenne.

Enfin, à long terme, ne laissons pas croire que la crise exonérera la France des efforts de redressement nécessaires. Oui, il faudra poursuivre le travail difficile de réduction des déficits publics (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR), car le projet de loi de finances rectificative le montre bien, la charge de la dette nous laisse vulnérables dès lors que l’inflation augmente ou que les taux d’intérêt remontent. En 2008, c’est 4 milliards d’euros supplémentaires que nous dépenserons à ce seul titre. Oui, il faudra accélérer le renforcement de la compétitivité de nos entreprises sans hésiter à nous interroger sur la pertinence de nos choix en matière de financement de la protection sociale et d’imposition du travail. Oui, il faudra développer les aides à l’investissement, à l’innovation, à la recherche, sur le modèle de ce qui a été fait pour le crédit impôt-recherche, car lorsque la crise aura pris fin, il faudra que la France puisse reprendre pied rapidement dans l’économie mondiale et faire jeu égal avec l’ensemble de ses partenaires.

Madame la ministre, le plan que vous nous proposez aujourd’hui est à la hauteur de l’exigence du moment. Il dépasse les clivages politiques, il ne s’inspire d’aucun esprit partisan. Chacun, en conscience, devra se demander si l’intérêt de la nation dans ces heures difficiles est de se diviser ou de se rassembler, de s’abstenir ou de souscrire au règlement de la crise. Pour notre part, le groupe de la majorité présidentielle n’a aucune hésitation. Il apportera son soutien plein et entier à des mesures que tous les autres États européens viennent de décider collectivement.

M. Jean-Pierre Brard. Le mimétisme n’est pas une politique !

M. Bruno Le Maire. L’Europe vient d’afficher son unité. Il serait souhaitable que la nation fasse de même ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Ce qu’il y a de bien dans les cataclysmes économiques, c’est qu’ils bousculent d’une façon bénéfique les certitudes les mieux établies.

Ainsi, après avoir déclaré, le 20 septembre dernier, que le « risque systémique » était derrière nous, Mme la ministre de l’économie nous a affirmé ici même, le 8 octobre, répondant à une question précise de ma part, que les banques françaises étaient exceptionnellement dotées en fonds propres, qu’elles n’avaient donc pas besoin d’être recapitalisées et que, de surcroît, elles ne voulaient pas que l’État participe à une opération de recapitalisation à leur profit.

M. Jean-Pierre Brard. Mais Mme Lagarde s’est retournée depuis !

M. Paul Giacobbi. Votre raisonnement, madame la ministre, était fondé sur une différence entre la France et la Grande-Bretagne quant au niveau du ratio Cook. Dans la situation où nous sommes, ce n’est pas la question essentielle. Que peut bien signifier, en effet, d’avoir un ratio de 6 % ou de 8 % de fonds propres par rapport aux engagements de crédits quand on ignore totalement ce que sont les pertes des banques et leur capacité à maintenir encore des fonds propres dans une tourmente financière sans précédent ?

Toujours est-il que le Gouvernement, ou plus exactement la ministre de l’économie, après avoir indiqué ici même il y a moins d’une semaine que les banques françaises n’avaient pas besoin de l’État pour les recapitaliser et qu’elles n’en voulaient à aucun prix, nous demande aujourd’hui d’approuver dans l’urgence et à l’unanimité un plan qui consiste pour l’État à emprunter, par personne interposée mais avec sa garantie, 360 milliards d’euros pour recapitaliser nos banques ou pour les refinancer à moyen terme. Ce n’est plus du volontarisme, c’est du harcèlement que de vouloir imposer à ces banques françaises « bien fondées en fonds propres, bien contrôlées » une recapitalisation, un refinancement garanti par l’État dont elles ne veulent pas et dont elles n’ont pas besoin !

Cependant, maintenant que ce point est tranché, il reste deux questions essentielles.

La première est de savoir quel sera l’impact d’un financement par emprunt sur les marchés de tous ces plans coordonnés européens. En effet, la mise en œuvre des mesures décidées au sein de l’Eurogroupe élargi à la Grande-Bretagne, qui en est le principal inspirateur, représenterait, même si on n’atteint que la moitié des plafonds envisagés des emprunts opérés sur le marché par des institutions publiques garanties par l’État, plusieurs centaines milliards d’euros, soit beaucoup plus que ce qui se fait habituellement. Nous ne savons pas aujourd’hui quel niveau les emprunts atteindront réellement. Vous nous dites que tout va bien et que l’on n’en aura peut-être pas besoin. Tant mieux, mais personne ne peut déterminer globalement ce montant. D’un côté, les États apporteront du capital aux banques ou leur procureront des liquidités à moyen terme, mais, de l’autre, ils assécheront, ce faisant, les marchés financiers à un niveau très supérieur à ce qui se pratique habituellement.

La seconde question suppose de prendre un peu de hauteur. Le fondement même de la crise, ce ne sont pas les titrisations massives de créances immobilières à risque, ni les hedge funds, ni même la pratique des injections massives de liquidités ou l’abaissement anormal des taux d’intérêt aux États-Unis ; c’est plutôt le fait que, depuis plus d’un demi-siècle, ce pays et, dans une certaine mesure, d’autres pays occidentaux vivent à crédit en aspirant l’épargne du monde entier.

Cette analyse n’est ni nouvelle ni originale. La littérature économique regorge depuis des décennies d’analyses passionnantes sur la balance des paiements américaine, la folie de la multiplication monétaire sur la base de dollars détenus par des banques non résidentes américaines, et plus généralement sur l’inquiétante histoire du dollar. Pendant des décennies, on est toujours sorti des crises de ce type, qui étaient moins graves, par des injections massives de liquidités et l’abaissement des taux de la réserve fédérale. Dès janvier 2008, Georges Soros prévoyait que ce mécanisme allait atteindre sa limite. C’est ce qui s’est produit et c’est la raison pour laquelle partout dans le monde ou presque les États interviennent directement apportant leurs moyens financiers ou leurs garanties, dans un mouvement d’une ampleur sans précédent dans l’histoire financière.

Les perversions de marché qui ont consisté à multiplier les instruments opaques généralement fondés sur un principe bien connu des escrocs consistant à gonfler artificiellement les gains des souscripteurs non pas sur des opération réelles, mais à partir de l’apport de nouveaux souscripteurs ne sont qu’une des conséquences de la dérive fondamentale consistant, pour l’occident, et essentiellement pour les États-Unis, à vivre au-dessus de ses moyens.

Aujourd’hui, les mesures que vous proposez sont les seules possibles à court terme. Pratiquement tout le monde ici en convient.

M. Bruno Le Maire. Il faut les voter alors !

M. Paul Giacobbi. Nous espérons tous qu’elles permettront au système bancaire de fonctionner à nouveau, ou au moins de survivre.

En revanche, il serait exagérément optimiste de croire qu’elles suffiront à régler le cœur du problème, celui du déséquilibre fondamental des économies des États-Unis et d’une partie de l’Occident, pas seulement de l’Islande, habitués depuis si longtemps à vivre au-dessus de leurs moyens sur le dos des épargnants du reste du monde.

En dernière analyse, les mesures que nous allons approuver aujourd’hui consistent à rechercher la solution à une situation de surendettement chronique dans une nouvelle vague d’emprunts, ce qui à l’évidence ne peut régler définitivement le problème, même avec une garantie de l’État. Si votre plan, celui de la France, celui que nous allons voter tout à l’heure, celui qu’en tout cas j’approuverai en conscience, assure la survie de nos banques, il ne suffira pas à l’évidence à les remettre sur pied et à leur faire faire retrouver dynamisme et performance. Le malade est sauvé, mais il est grabataire et sous perfusion,…

M. Jean-Pierre Brard. Il est en rémission !

M. Paul Giacobbi. …ne nous attendons pas à ce qu’il se remette normalement au travail de sitôt et qu’il témoigne de dynamisme et de performance. Nous ne sommes pas à la fin de la crise. Pour paraphraser un discours célèbre, nous ne sommes même pas au commencement de la fin. Mais nous sommes peut-être à la fin du commencement.

La phase de défaillance des banques est en cours, mais elle n’est pas achevée. Si les marchés financiers ont bien réagi hier aux annonces européennes, rien n’est acquis pour demain et l’évolution des marchés reste aujourd’hui incertaine. Les bourses réagissent ces jours-ci de manière très psychologique et leur comportement est typique du syndrome maniacodépressif, alternant des phases de prostration morbide et des périodes d’exaltations euphoriques. Il faut attendre que les plans soient effectivement mis en œuvre, ce qui ne sera pas fait avant quelques jours, voire plusieurs semaines, pour juger de leur effet. En France, comme aux États-Unis, leur mise en œuvre aura une importance capitale et, par exemple, le point de savoir quels papiers on admettra au refinancement est extrêmement important. On nous explique ici que l’on ne prendra que des papiers d’une telle qualité que je me demande si le refinancement fonctionnera. Le vrai test sera la reprise ou non des marchés interbancaires, et le retour des taux entre banques à des niveaux proches des taux directeurs des banques centrales.

La deuxième phase, c’est évidemment la restriction massive du crédit qu’il sera difficile d’éviter, mais dont il faudra essayer de limiter l’impact par des mesures appropriées. Je dois le dire franchement, c’est ce que vous avez commencé à faire, notamment pour les PME, le logement et l’investissement des collectivités locales. Vous avez amorcé ces mesures au titre des contreparties aux garanties de refinancement et aux recapitalisations garanties par l’État ou par la réorientation des moyens disponibles de certains fonds d’épargne. Nous verrons quel résultat cela donnera. Pour le moment, tout cela est putatif.

La troisième phase, c’est la récession – je sais bien qu’aujourd’hui il est de bon ton de parler de croissance négative, mais en français cela s’appelle de la récession ! – qui apparaît de façon inévitable au moins pour l’année 2009 et qui intervient alors même que les budgets publics, à peu près partout dans le monde, sont dans l’incapacité de financer des plans de relance.

La quatrième phase consiste à trouver un nouvel équilibre économique pour notre monde. Bien qu’il soit devenu inconvenant de citer les prévisions d’une banque d’investissement américaine, je relève que Goldman Sachs indiquait dans ses études successives sur les projections de taux de croissance dans le monde que la Chine et l’Inde dépasseraient en PIB global les États-Unis et l’Europe bien avant le milieu de ce siècle – à peu près en 2040.

Tout semble indiquer aujourd’hui que si l’Asie émergente subira un contrecoup de notre crise, l’écart de nos taux de croissance respectifs restera au minimum constant, de telle sorte que les projections précitées demeurent parfaitement valables. Les situations financières respectives de l’Asie émergente, d’une part, et des États-Unis et de l’Europe, de l’autre, pourraient même nous laisser penser que les écarts vont se creuser en termes de taux de croissance. Quoi qu’il en soit, vous avez eu raison de souligner que l’on ne peut pas envisager de solutions profondes efficaces et pérennes à cette crise sans un accord fondamental avec ces économies qui allient une croissance très dynamique, notamment quand elle est fondée sur le marché intérieur –ce qui est le cas de l’Inde – et des situations financières bien plus saines que les nôtres.

Je termine en formulant le vœu qu’au-delà de ce débat et du vote qui va suivre, le Gouvernement, dans un contexte de crise durable, associe étroitement le Parlement à ses décisions. Vous me direz que c’est la moindre des choses puisque le Parlement est censé voter la loi, mais comme j’ai entendu dire qu’il ne devait pas prendre de décision dans la crise, je me réjouis que l’on en soit venu à le faire voter aujourd’hui ! Si les pays du monde peuvent s’unir dans une vision commune des solutions à mettre en œuvre, il n’est pas impossible d’espérer qu’au sein de notre pays nous parvenions progressivement à une communauté de vue sur l’essentiel. Mais cet accord demande des efforts de part et d’autre, de notre part certainement, de la vôtre assurément. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jérôme Chartier. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, après 1990, avec la crise japonaise et l’explosion de la bulle immobilière en Europe, après 2000, avec l’explosion de la bulle Internet, nous vivons, depuis quelques semaines la première vraie crise mondiale par sa vigueur, son ampleur et sa vitesse de contagion, crise issue du développement inconsidéré aux États-Unis des désormais trop fameux crédits subprimes.

Nous devons, en effet, faire face à une crise bancaire et financière dont la propagation trouve son origine dans la rupture de confiance des différents acteurs dans le système bancaire, moteur du financement de notre économie, depuis la faillite de la banque américaine Lehman Brothers. Cette perte de confiance a eu pour conséquence directe le blocage total du système bancaire et, ainsi, l’ensemble des acteurs de l’économie réelle – les entreprises, les ménages et les collectivités – sont devenus les victimes de la paralysie de la circulation de l’argent.

Face à une telle situation, plusieurs attitudes étaient envisageables : attitude dogmatique contre attitude pragmatique, attitude frileuse contre attitude volontariste, attitude isolée, monsieur Brard, contre attitude collective.

M. Jean-Pierre Brard. À Valmy, nous étions seuls !

M. Jérôme Chartier. Le dogmatisme libéral exacerbé du laisser-faire, le marché s’autorégulant n’ayant jamais été la ligne politique de notre majorité, il n’était donc aucunement question de regarder la situation se dégrader sans rien faire. Le pragmatisme, loin de toute approche idéologique, en de telles situations s’impose. Tel est bien le cas. En effet, mes chers collègues, il ne s’agit ici ni de gauche contre droite (Exclamations sur les bancs du groupe GDR) ni de socialisme ou communisme, monsieur Brard, contre capitalisme ou libéralisme, mais, purement et simplement, de restaurer la confiance,…

M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez apaiser vos victimes pour qu’elles succombent en paix !

M. Jérôme Chartier. …condition sine qua non au fonctionnement normal de notre économie. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

De simples mesures ponctuelles et isolées auraient pu être prises donnant l’impression que nous n’étions bons qu’à subir, qu’à réagir a posteriori, incapables d’anticiper telle ou telle nouvelle manifestation, tel ou tel avatar de la crise.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’avez rien anticipé, c’est sûr !

M. Jérôme Chartier. Loin d’une attitude passive, madame Lagarde, le Président de la République et le Gouvernement ont pris, dès le début,…

M. Jean-Pierre Brard et M. Roland Muzeau. C’est quand le début ?

M. Jérôme Chartier. …soin de réagir de manière déterminée en prenant un ensemble de mesures à la hauteur de la situation.

M. Jean-Pierre Brard. La propagande pour les crédits hypothécaires !

M. Daniel Paul. Pourquoi cela dégringole, alors ?

M. Jérôme Chartier. De plus, notre pays aurait pu réagir seul, sans tenir compte de la situation de ses partenaires. Eh bien, non, la concertation et le souci de l’efficacité ont présidé à la prise de décision ! Nous ne pouvons, ici, que nous féliciter de l’action du Président de la République, de celle du Premier ministre, de celles des ministres, en cette période de présidence de l’Union européenne. La cohérence de l’ensemble des mesures annoncées, en même temps, dans chacun des États membres de l’Union, donne tout son sens à la construction européenne : une Europe efficace et soucieuse de la défense de son économie, de ses emplois et donc, monsieur Brard, de ses citoyens.

Aujourd’hui, mes chers collègues, l’enjeu est donc de restaurer la confiance de manière pragmatique, volontariste et collective. C’est bien l’objet des mesures qui nous sont proposées. Il s’agit, d’une part, de faire en sorte que l’État puisse apporter sa garantie aux emprunts dont les banques ont impérativement besoin pour se refinancer, tout simplement en fluidifiant le crédit et en irriguant le système bancaire. Ainsi, le mécanisme proposé permettra-t-il aux établissements de crédit de trouver les fonds nécessaires à leur activité et contribuera-t-il au retour à un fonctionnement normal, pour ne pas dire rationnel, des marchés. Nous devons ici, mes chers collègues, souligner deux éléments du dispositif qui nous est soumis. Premièrement, il n’est pas question pour l’État d’apporter sa garantie à fonds perdus : la garantie donnée sera en effet payante et, cela, à un prix normal de marché.

M. Roland Muzeau. Quel est le prix du marché ?

M. Jérôme Chartier. Deuxièmement, cette mesure sera évaluée chaque trimestre et fera l’objet d’un rapport au Parlement, comme cela a été très bien souligné, ce matin, par le rapporteur général, Gilles Carrez.

Nous devons, d’autre part, pour restaurer la confiance, veiller à ce que les banques puissent se procurer les fonds propres qui leur sont nécessaires. En effet, il est inconcevable de laisser mourir une banque au regard de son rôle vital dans notre économie. Là encore, il ne s’agit pas pour les contribuables d’une aventure sans retour : en face d’un passif représenté par les fonds injectés au capital des banques en difficulté viendra s’inscrire un actif représenté par les actions de ces établissements. Ainsi, une fois la crise passée, à l’instar de la réussite du rétablissement de la société Alstom – grâce à l’intervention du ministre de l’économie de l’économie et des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy – les titres pourront être cédés et l’État souhaitons-le, réalisera, alors, une plus-value conséquente.

M. Daniel Paul. Et cela recommencera !

M. Jean-Pierre Brard. Si on parlait d’Adidas et du Crédit lyonnais ?

M. Jérôme Chartier. Ces mesures, à la fois par leur contenu et les conditions de leur élaboration, marquent la volonté du Gouvernement de protéger au mieux nos intérêts économiques et, par-là bien sûr, nos concitoyens. Je ne doute pas un seul instant que cette préoccupation ne soit partagée par l’ensemble des parlementaires de cette assemblée, depuis la droite jusqu’à l’extrême gauche.

M. Roland Muzeau. Enfin une vérité !

M. Jean-Pierre Brard. Moi, je me fais du souci pour l’héritière des Galeries Lafayette !

M. Jérôme Chartier. C’est pourquoi je souhaite vivement que nous votions tous ce texte, mes chers collègues.

Une fois ce texte adopté, ses effets produits et la crise passée, il conviendra d’en analyser les causes et d’en tirer toutes les conséquences sans aucun tabou.

M. Daniel Paul. Des têtes vont tomber !

M. Jérôme Chartier. En effet, s’il est du devoir du pouvoir politique d’agir vigoureusement en de telles circonstances, il en sera tout autant de définir de nouvelles règles.

M. Jean-Pierre Brard. Les parachutes dorés !

M. Jérôme Chartier. Il ne sera pas concevable de repartir sur les mêmes bases, le faire serait totalement irresponsable.

M. Roland Muzeau. C’est ce qui se produit !

M. Jérôme Chartier. Il nous reviendra donc de définir les nouvelles règles d’un système économique fondé sur le travail et non sur la spéculation, sur la responsabilisation et non sur « la fuite en avant », sur la récompense de succès réels et non virtuels.

M. Christian Eckert et M. Roland Muzeau. Ce sont des mots !

M. Jérôme Chartier. Mes chers collègues, je ne doute pas que nous saurons être inventifs et responsables, en redéfinissant le moment venu les fondements de notre système économique et financier. Mais auparavant, il nous revient, aujourd’hui, de montrer à l’opinion publique française et internationale, dans les circonstances exceptionnelles que nous traversons, notre détermination et notre union, l’unanimité de l’Assemblée nationale, en approuvant, tous ensemble, ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. C’est Saint-Jérôme !

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous allons voter tout à l’heure. C’est une bonne chose, parce que la crise, aussi sévère soit-elle, ne doit pas, même si c’est une alerte, éclipser la démocratie. Ce vote, au moment où des éléments de solution apparaissent, est particulièrement important, en ce qu’il est aussi un élément de la solution. La solution réside en effet, ce soir, en deux points : le très bon plan que le Gouvernement nous propose et le vote que l’Assemblée nationale va exprimer.

M. Roland Muzeau. Ce ne sont que quelque 360 milliards !

M. Hervé Mariton. Madame, monsieur les ministres, je veux partager avec vous cinq raisons de voter oui. Le premier oui, c’est que le plan que vous nous proposez est utile et efficace. Il exigera, en même temps, nous l’avons largement évoqué ce matin en commission des finances, beaucoup de finesse, de doigté et d’exigence dans le suivi et les décisions qui seront les vôtres en tant qu’exécutif, et dans le suivi et le contrôle qui seront les nôtres, en tant que Parlement.

Madame la ministre, j’aimerais que, dans la réponse que vous nous apporterez tout à l’heure, vous nous précisiez la définition et les conditions de mise en œuvre d’une circonstance exceptionnelle citée dans le projet de loi, que vous n’avez pas, me semble-t-il, abordée dans votre intervention liminaire et qui a été très peu évoquée lors de la discussion de cet après-midi. Il s’agit du paragraphe B du II de l’article 6 : donc, de la garantie exceptionnelle que l’État peut accorder aux titres émis par l’établissement de crédit. Votre plan, je l’ai bien entendu, comprend la dimension « refinancement », la dimension « fonds propres », la réponse particulière apportée à Dexia, mais il y a aussi cette circonstance exceptionnelle, souvent présentée au nom de la garantie interbancaire, un dispositif plus largement employé à l’étranger sur lequel notre échange a été jusqu’à présent assez discret. Il est nécessaire que la représentation nationale soit totalement éclairée sur ce point.

Deuxième raison de dire oui : nous votons aujourd’hui un collectif budgétaire. La procédure a pu paraître curieuse à certains, qui s’en sont peut-être quelque peu étonnés. Le collectif, c’est l’engagement du Parlement. Pour résoudre une crise dans notre société contemporaine sophistiquée, le talent de l’exécutif et la volonté de faire, quels qu’ils soient, ne suffisent pas. Il est nécessaire qu’il y ait un engagement pluriel et pluraliste : c’est le nôtre, ce soir, à l’Assemblée nationale. La solution n’appartient pas à un seul, elle est nécessairement collective.

L’inscription de votre plan dans un collectif budgétaire est le très utile message de la raison et de la discipline qui doivent rester les nôtres dans la gestion budgétaire. La mobilisation extraordinaire qui peut être aujourd’hui celle de l’État pour mettre ce plan en œuvre, pour venir à la rescousse de la finance et de l’économie, exige la signature de l’État, le crédit de l’État qui n’est tenable que si nous conduisons, par ailleurs, une politique budgétaire suffisamment disciplinée, sérieuse et rigoureuse. C’est également un message essentiel à l’égard de nos concitoyens qui se demandent parfois d’où viennent ces milliards. Est-ce cohérent avec ce qui est par ailleurs précisé, s’agissant de la nécessité de réaliser des économies budgétaires et de la discipline dont il faut faire preuve ? Oui, parce que l’État ne peut engager ces mesures extraordinaires que s’il est exemplaire dans son action quotidienne, en particulier dans sa gestion budgétaire. Nous en reparlerons lorsque nous discuterons le projet de loi de finances.

Troisième raison de dire oui : c’est un acte européen qui a fait l’objet d’une concertation dans sa définition, un acte simultané dans sa discussion devant les parlements. À dire vrai, je ne sais pas, à l’heure qu’il est, comment cette discussion s’est exactement déroulée dans les parlements de nos partenaires européens. Je ne sais pas s’il leur est apparu que le texte qu’ils devaient voter devait être nécessairement, à la virgule près, le même que celui proposé à l’origine. La comparaison serait intéressante pour mesurer notre capacité à nous engager conjointement. Cela nous permettrait de savoir que, dans tel pays, l’engagement rapide, immédiat, fort et utile suppose d’être exactement calé sur le texte de l’exécutif alors que, dans tel autre, la valeur ajoutée du Parlement peut s’exprimer différemment de ce qui se fait ici, à l’Assemblée nationale.

Quatrième raison de dire ou, ce sont les conséquences nécessairement apportées et que nous attendons en termes de gouvernance financière. Faut-il, comme l’affirment certains, refonder le capitalisme,…

M. Roland Muzeau. Le supprimer plutôt !

M. Hervé Mariton. …conséquence et approche quelque peu rapides ? Des progrès sont, en tout cas, évidemment nécessaires, nous l’évoquions la semaine dernière, en matière de transparence bancaire. Tout ce que l’on doit dire, voter, partager, en termes de durée, d’éthique et de vision de ce que le capitalisme apporte à l’économie et à notre pays demandera davantage de réflexion, mais c’est également important.

Un cinquième oui enfin, pour qu’ensemble nous définissions les conditions de rebond de notre système financier et de notre économie. Cela justifie une politique de réformes ambitieuse et audacieuse, des réformes hardies auxquelles nous vous appelons.

Je ne sais pas si le texte de ce soir justifie l’unité nationale. Il est, pour moi, fondamental que le débat soit libre. Il est essentiel que chacun prenne ses responsabilités. Je prendrai la mienne, bien sûr, avec mes collègues du groupe UMP, en votant bien volontiers « oui » à votre projet, simplement parce que je crois – et nous devrions pouvoir le partager sur tous les bancs ce soir – qu’il y va de l’intérêt national ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l’élément essentiel de ce projet de loi de finances rectificative, c’est bien sûr le plan de sauvetage de l’article 6. Une grande partie de ceux qui se sont succédé à cette tribune ont à juste titre souligné qu’il traduisait l’affirmation de l’Europe face à la crise.

Trois aspects méritent particulièrement d’être mis en lumière.

Premier aspect, le rôle de la présidence française, à travers les initiatives du Président de la République et la bataille que vous avez vous-même menée pendant toute cette période, madame la ministre, pour essayer d’apporter des réponses communes avec nos partenaires, soit pour faire face à des enjeux précis de sauvetage avec des pays limitrophes de l’Union, soit pour mettre en place ce plan de sauvetage d’ensemble.

Deuxième aspect, il faut souligner, et on ne l’a peut-être pas fait suffisamment, l’effort continu de cohérence de l’ensemble des pays de l’Union européenne, qui s’est marqué non seulement dans la période récente mais tout au long de ces dernières semaines. On a vu ainsi une volonté systématique de soutenir dans tous les États les établissements bancaires en difficulté, ce qui a contrasté tout de même fortement avec ce qui s’est passé aux États-Unis, notamment avec l’abandon de Lehman Brothers et les conséquences dramatiques qui ont suivi.

C’est vrai qu’il y a eu un moment de flottement après la réunion du G4, parce qu’on hésitait entre un soutien direct aux banques et la garantie plus ou moins généralisée des dépôts, mais les décisions du week-end ont très vite permis de surmonter ce moment d’incertitude.

Troisième aspect, ceux qui apparaissaient un peu comme les ennemis héréditaires, c’est-à-dire la zone euro d’un côté et le Royaume-Uni de l’autre, ont su parfaitement se rejoindre au moment décisif. C’est un élément particulièrement important.

Au-delà de cette affirmation, il y a des questions que je souhaiterais vous poser, et d’abord sur la place de la Banque centrale européenne.

Certains ont prétendu que la Banque centrale européenne avait été absente. Cela me paraît totalement faux car elle a injecté tout au long de cette période de crise des liquidités considérables, mais il y a tout de même des questions qui se posent au sujet de ce plan de sauvetage et notamment de tout le système de garantie du crédit interbancaire, car la Banque centrale ne peut intervenir que sur certaines catégories de titres et non pas sur les autres.

D’abord, une telle distinction est-elle vraiment légitime dans une période telle que celle que nous traversons aujourd’hui ? N’y a-t-il pas lieu de revoir les conditions d’intervention de la Banque centrale ?

Par ailleurs, ce n’est pas du tout la même chose, et en particulier pour les États, si c’est la Banque centrale européenne qui intervient pour apporter des liquidités ou si ce sont les États qui assument l’effort pour assurer les liquidités du système bancaire.

Les solutions auxquelles on est arrivé dimanche dernier sont-elles un peu le résultat des circonstances ou a-t-on défini précisément ce que doivent être le rôle de la Banque centrale et les rôles des États ? Je souhaiterais que les choses soient clarifiées car, si le plan qui nous est proposé et qui mobilise tout de même des sommes considérables traduit le rapport entre les interventions respectives des États et de la Banque centrale, cela pose tout de même un petit problème sur le poids véritable de la Banque centrale européenne.

On parle beaucoup de régulation et de surveillance des marchés. Je ne sais pas si ce sera à l’ordre du jour du Conseil européen des 15 et 16 octobre, c’est peut-être un peu prématuré, mais nous aimerions avoir quelques précisions, et d’abord sur la nature exacte de ce que l’on peut entendre par régulation ou surveillance. On sent bien qu’il y a une lacune aujourd’hui, mais il faut préciser ce que recouvrent ces deux fonctions.

Si l’on décide de mettre en place une surveillance ou une régulation, cela doit-il se faire au niveau de la Banque centrale européenne ou à un autre niveau ? Si l’on veut que la coopération qu’on a mise en place avec les Britanniques se poursuive dans le futur, ne faudrait-il pas envisager un espace plus large que la zone euro et considérer au moins la dimension européenne ?

Nous avons encore beaucoup à attendre du Conseil des 15 et 16 octobre. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus à ce sujet. Nous espérons en tout cas que l’on réaffirmera avec encore plus de force qu’il est nécessaire pour les Européens d’avoir une démarche commune.

Ce que l’on peut regretter, c’est que cet effort de cohésion que l’on constate à l’échelle européenne, on ait un peu de difficulté à le trouver à l’échelle nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous devons examiner et adopter aujourd’hui un texte urgent. Notre économie est en pleine tourmente et, si la bourse remonte aujourd’hui, elle peut rechuter tout aussi vite demain. Le Gouvernement se devait d’intervenir rapidement et il l’a fait.

Les conditions d’intervention n’ont pas toujours été évidentes. Il a fallu notamment quelques réglages au niveau européen. Maintenant que tout le monde est sur la même longueur d’onde, le temps de l’action est venu.

Je dois vous dire ma grande satisfaction devant ce texte et, plus globalement, devant l’action du chef de l’État et du Gouvernement depuis le début de cette crise. Quand j’entends les critiques de certains observateurs, je me pose la question de savoir ce que eux, critiques de salon, auraient fait à la barre du navire France en pleine tempête internationale.

Cette crise aura au moins démontré tout l’intérêt de doter très rapidement l’Union européenne d’un président fort et stable. L’Europe a joué un rôle moteur dans la résolution de cette crise, sous la houlette de notre Président, tout comme elle l’avait fait lors de la crise géorgienne.

L’Europe, et c’est tout le mérite de la présidence française, a pris une autre dimension sur la scène internationale.

La réponse qui nous est proposée ici me semble adaptée, car le gros risque aujourd’hui, ce n’est pas la baisse des cours de bourse. Ils remonteront tôt ou tard. Non, le vrai problème, c’est le financement au quotidien de l’économie réelle, et notamment les problèmes à venir de financement de la trésorerie de nos PME. À quand, madame la ministre, la création d’une véritable banque des PME, à capitaux publics ou mutualistes, là où OSEO se borne à garantir les crédits aux PME ? L’épargnant, tant qu’il n’a pas vendu, n’a pas perdu, alors que, pour la PME, le jour où le banquier ferme le robinet, c’est la cessation de paiement et c’est la mort.

Le Gouvernement et les pouvoirs publics n’ont d’ailleurs pas attendu pour agir, en permettant d’utiliser les fonds d’épargne réglementés pour le financement des PME, et en obtenant de l’UNEDIC un report de règlement des cotisations pour les entreprises de moins de cinquante salariés.

C’est une mesure d’urgence, qui, bien entendu, ne dispensera pas de prendre, le moment venu, d’autres dispositions pour une réforme de fond des marchés financiers et la mise en place de garde-fous beaucoup plus stricts.

Ce plan est également satisfaisant, car il ménage, pour une grande partie, nos finances publiques.

La première mesure, relative au refinancement des banques, consiste tout simplement à mettre en place un service payant de garantie. L’État joue ici le rôle de banquier, en assurant des prêts, mais également, et c’est là le point clé, en se portant caution auprès des banques. Les banques devront bien entendu rembourser cet argent, avec intérêts, sous cinq ans.

L’autre mesure, qui vise à renforcer les fonds propres des établissements les plus fragiles, nécessitera éventuellement de sortir de l’argent immédiatement et va peser sur nos finances. Mais c’est pour acquérir du capital, donc des avoirs susceptibles de prendre de la valeur : à terme, l’État pourra les revendre et rentrer dans ses fonds, avec une plus-value.

L’État français ne fait donc que des avances, à court terme pour le refinancement des banques, à moyen et long terme pour le renforcement de leurs fonds propres. Au regard des enjeux énormes pour notre économie, pour nos PME et donc nos emplois, c’est la bonne solution.

Dans ce contexte de crise, il est essentiel que nous soyons tous derrière le Gouvernement, car une partie de la réussite de ce plan réside dans la confiance, et celle-ci pourrait être écornée si les dirigeants politiques de la majorité et de l’opposition ne formaient pas un front uni et ne partageaient pas la même détermination à lutter contre cette crise internationale.

Je fais donc ici appel au sens de la responsabilité de nos collègues de l’opposition.

M. Pierre Gosnat. Parlons-en, de la responsabilité ! C’est vous qui avez créé la faillite !

M. Lionel Tardy. Ne mélangeons pas les problèmes. Ne mélangeons pas sauvetage de notre système financier et décisions à venir concernant le soutien à l’économie, aux emplois, au pouvoir d’achat.

S’abstenir ou voter contre, c’est faire preuve d’une incapacité à prendre ses responsabilités (Protestations sur les bancs du groupe GDR) et, quelque part, pour des dirigeants politiques, c’est une véritable démission alors que nos concitoyens nous regardent et attendent de nous tous que nous assumions les responsabilités qu’ils nous ont confiées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Gosnat. C’est vous les incapables !

M. Maxime Gremetz. Provocateur !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, il ne m’appartient pas, cela a été fait avant, de retracer les deux épisodes de cette crise majeure, crise des subprimes puis crise de confiance et absence de crédit interbancaire à la suite du dépôt de bilan de Lehmann Brothers.

Je voudrais en premier lieu saluer le volontarisme et la réactivité dont a fait preuve le gouvernement de notre pays et les initiatives qu’il a engagées pour coordonner les actions au niveau européen, à chaque fois que c’était possible, tant nos économies sont aujourd’hui interdépendantes, tant nos institutions financières sont elles-mêmes interdépendantes.

Je veux aussi saluer le rôle de régulateur de la commission bancaire. Elle a souvent été critiquée parce qu’elle était exigeante sur les normes. C’est un peu grâce à cette exigence que les banques françaises ont des fonds propres durs dont le niveau est aujourd’hui plus élevé que celui de la plupart des banques européennes et peuvent ainsi faire face dans de meilleures conditions à la crise qui secoue le monde et le continent européen.

Comme quelques-uns d’entre nous et Hervé Mariton à l’instant, nos concitoyens s’interrogent sur tous ces milliards qui valsent. Ils sont déroutés et se demandent d’où ils viennent, surtout lorsque, dans le même temps, on explique qu’on ne touchera pas au déficit budgétaire et qu’on s’efforcera de garder le cap, dont il ne faut pas dévier, celui qui consiste à tenir les dépenses de l’État.

Dans ces milliards, il y a bien évidemment les moyens dont dispose la Caisse des dépôts et consignations et qui sont placés sous le contrôle et la protection du Parlement.

Je tiens tout d’abord, madame la ministre, à saluer la qualité du dialogue que nous avons eu avec le directeur général de la Caisse des dépôts et avec la commission de surveillance durant cette période. Les décisions qui ont été mises en œuvre ont pris en compte les impératifs nationaux mais aussi ce que nous avons écrit dans la loi de modernisation de l’économie, c’est-à-dire les intérêts patrimoniaux de l’institution, et ceux de chacune et de chacun des Français qui confient une partie de leur argent à l’institution publique.

L’intervention s’est déroulée en trois temps, dont le premier concerne Dexia. Il était légitime que la Caisse devienne partie prenante, dans la mesure où le groupe de la Caisse des dépôts détient 14 % des actions de l’établissement et qu’il était en outre, par le biais de garanties, exposé au risque de disparition d’actifs de la Caisse.

Cependant, le risque pris dans la recapitalisation de Dexia a été réparti entre l’État et la Caisse des dépôts, avec un effort des uns et des autres, comme vous l’avez rappelé il y a quelques jours, madame la ministre, pour octroyer une minorité de blocage aux actionnaires français, leur permettant ainsi d’être à nouveau entendus, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé.

La deuxième mesure a été la réorientation d’une partie de l’épargne réglementaire. Cette réorientation n’était pas non plus illégitime dès lors que l’institution publique a connu, depuis le début de la crise, un afflux important de ressources. Deux facteurs ordinaires et un facteur extraordinaire ont joué dans ce processus. Les deux facteurs ordinaires ont été la montée des taux d’intérêt servis sur le Livret A et l’inquiétude de nos concitoyens quant à l’avenir, les incitant à épargner. Le facteur extraordinaire est lié aux incertitudes quant à la qualité des produits financiers distribués par les banques. Au total, 12,5 milliards de collecte supplémentaires sont venus alimenter les Livrets A , et ce montant sera sans doute compris entre 15 et 16 milliards d’ici à la fin de l’année.

Cette épargne supplémentaire provient des établissements de crédit qui, dans la même période, manquaient de liquidités. Le choix que nous avons fait a été de ne pas réorienter les fonds du Livret A, parce que ce dernier a des usages clairement établis, avec pour priorité le logement social, et qu’il est, jusqu’au 31 décembre, centralisé à 100 % à la Caisse des dépôts. En revanche, il était normal de mobiliser davantage le Livret de développement durable et le Livret d’épargne populaire, qui ne sont pas centralisés en totalité à la Caisse. Cela était d’autant plus légitime que nous avons, dans la loi de modernisation de l’économie, confirmé que la priorité du Livret de développement durable était le soutien aux PME. Cette même loi dispose d’ailleurs que la part de l’épargne décentralisée non utilisée en faveur des entreprises pourrait être recentralisée à la CDC.

Madame la ministre, j’ai été très sensible à l’engagement du Premier ministre sur un suivi mensuel de l’usage de cette épargne décentralisée, comme cela va être fait pour les fonds consentis dans le cadre de prêts interbancaires. Ce travail de suivi a été pendant très longtemps imparfait, quels que soient, d’ailleurs, les gouvernements ; cela a été mis en évidence au moment de la discussion de la loi LME. Il est très important de disposer d’un suivi de l’usage de ces fonds, et en particulier, comme le soulignait à l’instant Lionel Tardy, d’un suivi de leur arrivée dans les caisses des PME.

Le troisième et dernier temps de cette intervention concerne le volet immobilier. Il s’agit, d’abord, de la mobilisation des prêts ordinaires au logement social par le biais du Livret A, ensuite, de la mobilisation de ces prêts pour permettre des acquisitions de logements par les organismes de l’Union sociale pour l’habitat. De véritables opportunités existent actuellement, alors que nous avons buté, des années durant, sur les problèmes de disponibilité foncière. Ces problèmes sont aujourd’hui levés, puisque des programmes sont désormais en voie d’achèvement. Cela nous permettra à la fois de satisfaire des besoins de logement social et de donner du travail aux entreprises du bâtiment.

Il était légitime, là aussi, que la Caisse des dépôts intervienne, comme elle le fit dans les années 1990, ce qui s’était traduit alors par des plus-values dans les résultats du groupe, qui a pu acheter, dans ces années-là, des programmes à prix cassés.

Les intérêts patrimoniaux de l’institution publique sont respectés. En effet, le débours ne concerne que la recapitalisation de la Société nationale immobilière pour lui permettre d’acquérir 10 000 logements sur les 30 000 de son programme, ainsi que deux millions – sur quatre millions – de prêts à OSEO. Pour le reste, il s’agit du redéploiement de l’épargne supplémentaire collectée par la CDC au titre de l’épargne réglementée. Le Parlement peut à bon droit se satisfaire d’une telle formule, en cette période troublée. Période qui nous permet d’ailleurs de revenir à des modèles économiques fondés sur l’investissement à long terme et ne succombant pas aux sirènes des mouvement spéculatifs.

J’approuve totalement le plan qui nous est présenté à l’article 6 de ce collectif budgétaire, et ce avant tout parce qu’il crée un système de garantie plutôt qu’un système de dépenses publiques supplémentaires. Vous l’avez très bien expliqué tout à l’heure, madame la ministre, en le comparant à la situation dans laquelle les parents se portent garants de leur enfant qui souhaite acquérir un logement. La garantie ne joue que s’il y a défaillance. Ce que nous savons des institutions bancaires françaises permet de penser que cela ne se produira pas. Mais si des défaillances avaient tout de même lieu, les garanties de premier plan apportées par les établissements publics chargés de la recapitalisation ou du refinancement interbancaire sont de bonnes garanties, qui nous assurent d’une gestion saine des deniers publics. Ces modalités sont en tout état de cause préférables à celles qui ont été retenues en Grande-Bretagne, même s’il fallait que chaque pays prenne des mesures adaptées à sa culture, à ses traditions, et surtout qu’il les prenne rapidement.

Si, donc, ce qui nous est aujourd’hui proposé doit appeler une position consensuelle, il faut également que nous nous projetions dans l’avenir et que nous prenions à bras-le-corps le problème, évoqué par d’autres collègues, du défaut d’Europe et de la nécessaire réforme de la gouvernance européenne. Il s’agit également d’engager une réflexion sur les normes comptables et bancaires, qui s’avèrent aujourd’hui procycliques. Je me félicite du travail engagé à l’initiative du président de la commission des finances et du rapporteur général ; sur ce sujet, il ne faut pas travailler à chaud, mais faire en sorte que le politique formule des propositions pour corriger les abus et les errances constatés.

Enfin, je souhaite que nous puissions trouver les voies et moyens d’associer la représentation nationale au contrôle et à l’accompagnement des mesures adoptées. Je constate d’ailleurs les progrès qu’a d’ores et déjà permis la LOLF : dès lors que nous prévoyons la garantie de l’État, il faut pour cela obligatoirement qu’une disposition soit adoptée en loi de finances. C’est un progrès de l’institution parlementaire. Je n’ose imaginer ce qui se serait passé en d’autres temps si nous avions été confrontés à une telle situation ; le Parlement n’aurait pas été consulté en application des droits qu’il a acquis avec la LOLF et la réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme. la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie ;

Suite de la discussion du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)