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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Troisième séance du jeudi 12 mars 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Laffineur

1. Protection de la création sur Internet

Demande de suspension de séance

M. Jean-Pierre Brard

M. le président

Article 2 (suite)

Amendement no 176

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire

Rappel au règlement

M. Patrick Bloche

M. le président

Rappels au règlement

Mme Martine Billard

M. le président

M. Lionel Tardy

M. Jean-Pierre Brard

Article 2 (suite)

Amendements nos 176suite, 404

M. Patrick Bloche

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales

M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication

Rappels au règlement

M. Christian Paul

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis

M. Jean-Pierre Brard

M. Patrick Bloche

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois

Article 2 (suite)

Amendements nos 404suite, 318, 33

Rappel au règlement

M. Christian Paul

M. le président

Article 2 (suite)

Amendements nos 222, 34, 165, 177, 405

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Protection de la création sur Internet

Suite de la discussion d’un projet de loi
adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (nos 1240, 1486, 1481, 1504).

Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’amendement n° 176 à l’article 2.

Demande de suspension de séance

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, cet après-midi, vous vous êtes comporté à mon égard avec une grossièreté que je n’ai jamais constatée dans cet hémicycle depuis plus de vingt ans que je m’honore de la confiance de mes concitoyens. Aux lettres de cachet de Mme la ministre, vous avez ajouté le bâillon.

Cette assemblée est régie par des règles que vous avez bafouées. D’ordinaire, on laisse les députés s’exprimer, surtout au cours d’un débat d’une telle importance. En m’empêchant de prendre la parole avant le vote d’un amendement, ce n’est pas seulement moi que vous avez agressé, ce sont les personnes que nous défendons ici, qu’il s’agisse des internautes ou de celles et ceux que nous représentons.

Au-delà de ma personne – nous vous connaissons : des incidents-limite ont déjà eu lieu cet après-midi à l’égard de nos collègues socialistes –, votre comportement déshonore, et je pèse mes mots, la fonction que vous exercez. Bien sûr, un tel incident ne saurait se répéter, mais le seul fait qu’il se soit produit est déjà indécent.

Pour ce qui me concerne, je ne suis pas prêt à l’accepter. Je demande donc une suspension de séance.

M. le président. Vous ne présentez aucun motif pour demander une suspension de séance, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Elle est de droit !

M. le président. Non, elle n’est pas de droit. Il vous faut un motif.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’avez pas à faire l’exégèse du règlement mais à l’appliquer !

M. le président. Il n’y aura pas de suspension de séance.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’avez pas à discuter le règlement ! Vous devez vous contenter de l’appliquer !

M. le président. Certes, le président de séance doit appliquer le règlement. Seulement, pour obtenir une suspension de séance, il faut, j’y insiste, un motif.

M. Jean-Pierre Brard. Vous vous êtes montré grossier à mon encontre et d’une manière inusitée, outrageante, indigne !

M. le président. Monsieur Brard, je ne puis vous permettre de tenir ce genre de propos.

Article 2 (suite)

M. le président. Nous poursuivons l’examen de l’article 2.

La parole est à M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, pour soutenir l’amendement n° 176.

M. Jean-Pierre Brard. Je demande une suspension de séance, elle est de droit !

M. le président. Non, elle n’est pas de droit. Il faut une raison pour en demander une.

M. Jean-Pierre Brard. En raison de la grossièreté dont vous vous êtes rendu coupable !

M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez la parole.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Que personne ne se sente offensé, mais je souhaite que notre débat se déroule dans la sérénité.

M. Jean-Pierre Brard. Je demande une suspension de séance et sachez, mes chers collègues, que je ne cesserai pas de la réclamer !

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. Je souhaite que chacun se sente ici parfaitement respecté.

M. Jean-Pierre Brard. La suspension est de droit et je ne cesserai pas de la réclamer, au nom du règlement de l’Assemblée ! (La voix de M. Brard couvre celle de M. le rapporteur pour avis pendant toute son intervention.)

M. le président. Exprimez-vous donc, monsieur le rapporteur pour avis !

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. L’amendement n° 176 est de clarification. L’HADOPI étant une autorité administrative indépendante, elle ne peut posséder la personnalité morale puisqu’elle agit au nom et pour le compte de l’État.

M. Jean-Pierre Brard. Je suis titulaire de la délégation de mon groupe et vous devez donc m’accorder la suspension de séance que je réclame !

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. Si l’on souhaite conférer une véritable autonomie à l’HADOPI tout en levant d’éventuelles ambiguïtés juridiques,…

M. Jean-Pierre Brard. Madame la ministre, le Gouvernement jouant un rôle pendant la séance, faites donc respecter le débat démocratique !

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. …mieux vaut lui conférer la qualité d’autorité publique indépendante.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Brard. Je demande une suspension de séance ! Je vous rappelle, monsieur le président, qu’elle est de droit.

M. Patrick Bloche. Je demande la parole.

M. le président. Je vais mettre aux voix l’amendement n° 176…

M. Patrick Bloche. Alors, on ne peut pas s’exprimer ?

Mme Martine Billard. Ce n’est pas possible, ça !

M. le président. Monsieur Bloche, vous n’avez pas précisé la raison pour laquelle vous demandez la parole.

M. Patrick Bloche. Pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, vous avez interrompu M. Brard cet après-midi alors qu’il plaidait très légitimement en faveur d’un amendement loin d’être secondaire puisqu’il visait à supprimer l’article 2 créant cette usine à gaz, ce monstre juridique auquel nous nous opposons avec tant de vigueur.

Tout au long de l’après-midi, vous avez pu remarquer à quel point nous nous sommes comportés en parlementaires de bonne volonté : personne n’a prononcé le gros mot d’obstruction. Nous demandons simplement que notre discussion se poursuive au rythme qui convient, ne serait-ce que par égard pour nos concitoyens – et j’ai pu me rendre compte qu’ils étaient nombreux à suivre nos débats via Internet puisque, étant directement concernés, ils mesurent, à travers nos interventions, les risques qu’ils courront si cette funeste loi était votée.

Pour le bon déroulement de nos travaux, je fonde mon intervention sur l’article 58, alinéa 1, du règlement, et dans la mesure où Christian Paul vient de nous rejoindre, le groupe socialiste est à nouveau reconstitué pour la bonne cause :…

M. Lionel Tardy. Vous êtes au complet, en effet !

M. Patrick Bloche. …la défense des principes fondamentaux du droit.

M. Philippe Gosselin. Quel groupe nombreux !

M. Christian Paul. Monsieur Gosselin, vous trouvez-vous si nombreux vous-mêmes ?

M. Patrick Bloche. Fort de la présence de Christian Paul,…

M. Philippe Gosselin. Il est vrai que se réunir tout seul eût été difficile !

M. Patrick Bloche. …je ressens la nécessité urgente de réunir notre groupe pour que nous puissions faire le point sur les conditions du débat, pour préparer une séance plus sereine que celle de cet après-midi ou que celle de ce soir jusqu’à présent.

Je demande donc une suspension de séance qui, vous le savez, monsieur le président, est de droit.

M. le président. Vous avez demandé une suspension de séance pour réunir votre groupe, monsieur Bloche, ce qui constitue un motif valable pour que je vous l’accorde.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt et une heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour un rappel au règlement.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, l’article 58, alinéa 3, du règlement dispose que « les demandes de suspension de séance sont soumises à la décision de l’Assemblée sauf quand elles sont formulées par le Gouvernement, par le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond ou, personnellement et pour une réunion de groupe, par le président d’un groupe ou son délégué dont il a préalablement notifié le nom au président. Toute nouvelle délégation annule la précédente ».

Jean-Pierre Brard pouvait donc demander une suspension de séance au nom du groupe GDR sans qu’il ait à la motiver puisque deux cas sont prévus : la demande au nom du groupe pour le réunir ou bien une demande personnelle dont vous aviez en effet à apprécier le bien-fondé. Vous ne pouviez toutefois pas répondre à M. Brard que, sa demande n’étant pas motivée, elle n’était pas valable. Vous deviez nous informer de la raison de votre refus.

Nous allons avoir sur l’article 2 un débat long et nourri eu égard au nombre d’alinéas à examiner et à l’importance des dispositions qu’il comporte et de leur impact lorsqu’elles entreront en vigueur.

Il nous semble donc que donner du temps pour le débat est finalement plus intéressant que d’essayer de forcer le temps, monsieur le président. Depuis hier, nous avons, je pense, un débat intéressant sur les bancs de cette assemblée. Par moments, il s’agit d’un débat position contre position. Par moments, beaucoup de doutes sont exprimés, sur l’ensemble des bancs. Il y a également des appréciations différentes par rapport à la loi précédente. Je pense que nous sommes tous décidés à avoir un débat au fond, un débat qui soit l’occasion d’un échange d’arguments, et où nous puissions tenter de nous convaincre les uns les autres.

Le groupe GDR souhaite vraiment que ce débat se passe le mieux possible, que chacun s’exprime, mais sans abuser de la parole. Nous regrettons, monsieur le président, ce qui s’est passé tout à l’heure. Notre collègue Jean-Pierre Brard l’a dit, et c’est vrai que nous avons été très étonnés de la façon dont vous avez voulu accélérer les prises de parole sur l’article 2. Nous tenons à le dire, monsieur le président. C’était le sens de l’intervention de mon collègue Jean-Pierre Brard, et de sa demande de suspension de séance. Nous reposons donc la question : pouvons-nous avoir un débat serein, en ayant le temps de débattre, tous les groupes pouvant s’exprimer, comme notre règlement le prévoit ?

Nous ne sommes pas dans le cadre de la nouvelle organisation du temps législatif. Nous sommes encore dans l’ancien cadre. Nous souhaitons que ce débat se passe le mieux possible, monsieur le président. J’aimerais que vous nous expliquiez comment vous voyez la suite du débat ce soir. Et nous espérons que tout le monde pourra travailler dans de bonnes conditions, sans que de nouveaux rappels au règlement soient nécessaires.

M. le président. La présidence souhaite aussi un débat qui soit le plus serein possible. Sur l’article 2, six orateurs se sont exprimés.

M. Christian Paul. Ça, c’est le règlement. Il aurait pu y en avoir vingt-six.

M. le président. Ensuite, les amendements de suppression ont été défendus. Plusieurs députés se sont exprimés. La commission et le Gouvernement ont donné leur avis. Quand j’ai levé la séance, il était vingt heures dix, alors que normalement, elle est levée à vingt heures.

Quant à ce qui s’est passé au début de cette séance, il est vrai que j’accorde une suspension de séance quand elle m’est demandée par un député pour réunir son groupe. Mais, en l’espèce, la demande de suspension de séance n’était motivée par aucune raison particulière. Voilà pourquoi je ne l’ai pas accordée. Je souhaite maintenant que tout se passe dans la plus grande sagesse.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur Brard, la question du coût du site jaimelesartistes.fr est constamment revenue cet après-midi. Peut-être pourrions-nous reposer la question à Mme la ministre, pour détendre l’atmosphère.

M. le président. Je vous ai donné la parole pour un rappel au règlement, monsieur Tardy.

M. Lionel Tardy. C’était pour détendre l’atmosphère, pour M. Brard.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, vous récrivez l’histoire. Évidemment, vous êtes gêné, parce que vous vous rendez compte que vous avez commis une bévue, tout à l’heure, à vingt heures dix. C’est votre faute si nous sommes allés jusqu’à cette heure. Nos collègues Christian Paul et Patrick Bloche avaient demandé que la séance soit levée plus tôt, précisément pour ne pas faire les choses à la va-vite.

M. Christian Paul. Nous sentions la fatigue du président.

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez fait un autre choix. C’est exclusivement à vous qu’il appartenait d’en décider. À la limite, je dirai que nous n’avons pas à avoir d’opinion sur ce point.

Ce qui a été à l’origine de l’incident, et dont vous êtes seul responsable, c’est que lorsque, après que nos collègues se sont exprimés, j’ai demandé la parole, au nom du groupe GDR, vous me l’avez refusée d’une façon complètement arbitraire, avant le vote, et alors même qu’il s’agissait d’un débat où les positions sont très opposées et très identitaires.

Est-ce une bévue, un faux-pas ? Peu importe. Que vous le vouliez ou non, le résultat est le même : alors que votre position doit être obligatoirement une position de neutralité, parce qu’ainsi le veut notre règlement, et parce que c’est ainsi que le débat fonctionne bien, vous m’avez privé de la parole au moment où nous sommes en pleine confrontation avec le Gouvernement. Vous êtes ainsi apparu, à tort ou à raison, comme manipulant le bâillon au moment où je voulais répondre au Gouvernement. C’est inacceptable, pour les raisons que j’ai dites tout à l’heure.

Comme tous mes collègues, je représente des points de vue et je représente nos concitoyens. Nous sommes des élus de la nation. Et le président doit veiller à l’équité dans le débat. Vous n’avez pas été équitable, et vous le savez. C’est l’opinion qui s’exprimait tout à l’heure dans les couloirs, une opinion partagée par nos collègues.

M. Christian Paul. Même nos collègues de la majorité.

M. Jean-Pierre Brard. Ne récrivez pas l’histoire, comme vous venez de le faire à propos de la suspension de séance. Cette demande de suspension de séance n’était que l’écho de votre comportement à vingt heures dix.

Si vous voulez que le débat se déroule convenablement – ce que nous souhaitons tous, sauf vous, peut-être –, il faut que vous nous disiez comment vous avez pu ainsi me priver de la parole tout à l’heure.

M. le président. Écoutez,…

M. Jean-Pierre Brard. Je vous écoute. Je ne fais que ça.

M. le président. …je crois qu’il ne faut pas récrire l’histoire, comme vous le dites. M. Christian Paul, au début de la discussion dudit amendement, a demandé quand serait levée la séance. La logique constamment observée dans la discussion des articles veut que, quand nous avons commencé l’examen d’un amendement, nous allions jusqu’au bout. Je n’ai fait que cela : aller au bout de la discussion de l’amendement que nous avions entamée. C’est la raison pour laquelle j’ai levé la séance à vingt heures dix.

Nous allons maintenant reprendre la discussion.

M. Jean-Pierre Brard. Non !

M. le président. Si, monsieur Brard, c’est exactement comme cela que les choses se sont passées.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, je suis prêt à arrêter cette confrontation de procédure. Mais vous m’avez privé de la parole. Vous avez appelé le vote en me refusant la parole. Il peut arriver, au perchoir, que l’on ne voie pas un orateur qui demande à s’exprimer. Notre collègue Patrick Bloche a fort bien expliqué cet après-midi comment le champ visuel peut se rétrécir. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit tout à l’heure. Vous m’avez explicitement refusé la parole. Et ce n’est pas acceptable.

M. Jean Dionis du Séjour. Il faut pardonner !

M. Jean-Pierre Brard. Oh, moi, je suis prêt à pardonner, je suis prêt à tout ce que vous voulez, à condition que le président reconnaisse au moins qu’il m’a privé de la parole, ce qu’il ne dit même pas, pour l’instant.

M. le président. Nous en revenons à l’amendement n° 176.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’avez pas bien compris, monsieur le président. Est-ce que vous garantissez un déroulement normal du débat, ce soir ?

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Bien sûr !

M. le président. La présidence a tout fait pour que le débat soit le plus serein possible. Elle a toujours fait en sorte qu’il en soit ainsi et elle continuera à faire de même.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, est-ce que je peux conclure de ce que vous venez de dire que vous vous engagez à ne pas renouveler le comportement qui a été le vôtre à la fin de la séance de cet après-midi ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

J’en prends acte, et j’interprète cela comme des excuses publiques. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.)

Article 2 (suite)

M. le président. Nous en revenons donc à l’amendement n° 176, que je mets aux voix.

(L'amendement n° 176 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 404.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. L’amendement n° 404 va recueillir, selon nous, l’adhésion unanime de notre assemblée, surtout que nous avons tous encore à l’oreille les propos que Mme la ministre a tenus à la fin de la dernière séance.

Elle nous a parlé de l’exigence française. Et, s’agissant de la riposte graduée, elle a évoqué, sans sourire – bravo, madame la ministre –, le génie français. En cette affaire, malheureusement, c’est plutôt le mauvais génie français qui a œuvré dans la mise en place de cette usine à gaz qui produira des contentieux en série.

Bref, vous avez été amenée, madame la ministre, pour plaider votre cause, celle du Gouvernement, à dire qu’il n’y avait aucun problème : l’HADOPI est une gentille haute autorité administrative qui va, de façon très sympathique, envoyer un petit mail d’avertissement. Coucou, monsieur l’internaute, voilà, il y a un petit problème : petit téléchargement illégal, il faudra que ça s’arrête. Et puis après, une petite lettre recommandée – allez quand même chercher votre lettre à la poste, cela vaut mieux. Évidemment, il y aura peut-être une petite suspension de votre abonnement Internet, mais cela se fera après beaucoup de temps. Et puis, vous aurez le temps de faire valoir vos arguments. Bref, un conte de fées ! C’était la fée Mélusine qui nous parlait. Hélas, nous n’avons pas cette vision des choses.

Au-delà des bonnes intentions – ou, en l’occurrence, des mauvaises intentions, celles du Gouvernement –, il vaut mieux inscrire noir sur blanc, dans la loi, les garanties que nous devons à nos concitoyens internautes.

Puisque vous nous dites, madame la ministre, que le principe du contradictoire sera respecté à tous les niveaux de la procédure d’interpellation de l’internaute ; puisque vous estimez que les droits de la défense sont assurés comme ils peuvent l’être dans n’importe quelle procédure judiciaire ; puisque vous nous dites que l’internaute, ou plutôt le titulaire de l’accès qui recevra les interpellations de l’HADOPI, sera naturellement présumé innocent ; puisque vous nous dites que le principe d’imputabilité est également respecté par le dispositif que vous voulez mettre en place, il n’y aura donc, de ce fait, aucun problème pour que vous donniez un avis favorable à cet amendement n° 404.

Je vais le lire, ce sera plus simple :

« Le droit à une procédure équitable doit être respecté en toutes circonstances par la Haute autorité. Sont attachés à ce principe fondamental, les principes du contradictoire, du respect des droits de la défense, de la présomption d’innocence et d’imputabilité ».

Tout avis défavorable de votre part, ou de celle des rapporteurs, vous rendrait – excusez-nous du terme – immédiatement suspects quant aux intentions qui sont les vôtres avec cet article 2.

M. le président. La parole est à Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Si vous voulez que l’HADOPI puisse exercer ses missions, il faut qu’elle ait des moyens. Nous les lui donnons. Mais avant de vous avancer, monsieur Bloche, vous auriez peut-être mieux fait de lire entièrement le budget de la culture. Je vais vous le rappeler.

Le budget du programme « Création », auquel est rattaché le budget de l’HADOPI, s’élève, dans la loi de finances pour 2009, à 948,24 millions d’euros. Le budget de l’HADOPI correspond à 0,7 % du budget de ce programme.

Le budget de la culture, dans sa totalité, s’élève à 2,84 milliards d’euros. Le budget de l’HADOPI correspond à 0,24 % de ce budget.

Vous le voyez, nous donnons beaucoup de moyens à l’HADOPI, mais c’est très peu par rapport à l’ensemble du budget.

M. Christian Paul. Je diffuserai très largement vos propos, madame la rapporteure pour avis !

M. le président. La parole est à M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Cet amendement apporte une précision inutile. Le droit à une procédure équitable s’applique de plein droit à la procédure prévue par le projet de loi. La France est en effet soumise aux exigences des principes généraux du droit ainsi qu’au droit international, notamment l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme.

M. Philippe Gosselin. Bien sûr !

M. Franck Riester, rapporteur. Pour mémoire, la commission de protection des droits, composée de trois magistrats indépendants, est un tribunal au sens de l’article 6-1. À ce titre, elle doit respecter les principes du contradictoire : droits de la défense, non-participation du rapporteur au délibéré. Le principe du contradictoire et les droits de la défense seront donc respectés au moment de la prise des décisions porteuses d’effets juridiques pour les abonnés à Internet, c’est-à-dire les sanctions, mais pas les recommandations, qui ne font pas grief.

D’autre part, les internautes sanctionnés pourront former, devant le juge judiciaire, un recours pouvant être suspensif. Dès lors, vous voyez bien, monsieur Bloche, que cet amendement est inutile.

M. le président. La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Avis défavorable, pour les raisons exposées par le rapporteur.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. À entendre ses réponses, je sens que Mme la ministre est en train de faiblir.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Non !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Que dire d’autre quand le rapporteur a tout dit ?

Mme Martine Billard. On peut être fatigué, mais les droits de la défense sont tout de même un point important sur lequel je ne partage pas l’enthousiasme de notre rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Ce qui est demandé est de droit !

Mme Martine Billard. Bien sûr, c’est dans le droit, mais dans la pratique il risque d’y avoir un problème.

D’abord, on se réfère au droit pour les sanctions. Mais avant, il y a les avertissements. Or quelle conséquence auront ceux-ci pour l’internaute ? D’ailleurs, pas pour l’internaute, pour le titulaire de l’abonnement, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Dionis du Séjour et M. Jean-Pierre Gorges. Tout à fait !

Mme Martine Billard. Le titulaire de l’abonnement, donc, recevra un avertissement, et il sera fiché parce qu’il faut bien garder une mémoire pour le deuxième avertissement puis la sanction éventuelle. À cette étape, il n’y a pas de procédure contradictoire puisqu’il n’y a pas encore de sanction. Des amendements ont prévu que les abonnés auront la possibilité d’adresser à la commission leur appréciation de la réalité du manquement qu’on leur impute. Cet après-midi, Mme la ministre a indiqué qu’ils pourraient apporter la preuve qu’ils n’avaient pas procédé au téléchargement abusif avec leur disque dur. Mais ce type de preuve n’est recevable que dans une procédure où la police judiciaire débarque chez vous et vérifie in situ que le disque dur contient bien la preuve du délit commis. Or ce sera à eux de prendre leur disque dur sous le bras. Outre que je connais peu de nos concitoyens qui soient capables de démonter leur disque dur, si leur ordinateur est sous garantie, ils ne pourront pas l’ouvrir sous peine de perdre cette dernière, ce qui pose un problème. Du reste, cela ne prouverait rien du tout : vous pouvez très bien changer de disque dur ou en effacer certaines données – si vous êtes très doué, vous y arriverez beaucoup mieux que certains élus parisiens à propos des faux électeurs. (Sourires.)

C’est pourquoi j’appréhende mal la procédure contradictoire avant la sanction. C’est une des critiques, parmi beaucoup d’autres, que nous faisons à ce dispositif. Vous allez incriminer des titulaires d’abonnement qui n’auront rien à voir avec ce qui leur sera reproché.

Pour prendre un dernier exemple, une personne qui a souscrit un abonnement triple play pour avoir la téléphonie et la télévision n’a pas forcément Internet, même si elle a la ligne. Or cette ligne peut être piratée. Dans ce cas, la commission de protection envoie un mail signalant un téléchargement abusif via cette connexion internet. Mais la personne ne reçoit jamais ce mail puisqu’elle n’a pas de connexion internet ! Pour peu qu’elle ait quelques difficultés financières et n’ouvre pas non plus ses lettres recommandées, comme cela se produit souvent, elle se retrouve avec une coupure de connexion, ce qui en soi n’est pas très grave puisqu’elle n’a pas de connexion…

M. Philippe Gosselin. Effectivement, c’est un peu bancal.

Mme Martine Billard. Ce qui est bancal, c’est qu’elle a la sanction et qu’elle est fichée. Ce n’est pas n’importe quoi ! Quand on voit comment fonctionne le STIC, ce fameux fichier où des tas de personnes sont mises en cause alors qu’elles ne devraient pas l’être…

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. La commission des lois s’en occupe !

M. Christian Paul. Dormez tranquilles, braves gens !

Mme Martine Billard. Fantastique ! Si la commission des lois s’occupe de faire vider le STIC de tous ceux qui ne devraient pas y être,…

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Et il y a du travail !

Mme Martine Billard. ...et il y a, en effet, beaucoup de travail, comme l’a signalé un rapport récent,…

M. Philippe Gosselin. Excellent rapport de la CNIL !

Mme Martine Billard. …je vous invite, monsieur le président de la commission des lois, à veiller à ce que les abus de stockage ne s’y reproduisent pas, et à être tout aussi vigilant s’agissant du fichier des titulaires d’abonnement qui seraient mis en cause.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Si beaucoup semblent nous comprendre dans cet hémicycle, j’ai le sentiment que nous avons du mal à nous faire entendre de Mme la ministre et des rapporteurs, M. Riester vient de le démontrer. Malgré les références que nous avons faites aux délibérations du Parlement européen et à diverses recommandations exprimées sur ce projet de loi et cet article en particulier, vous n’avez pas l’air de comprendre que votre dispositif bafoue totalement le droit à la présomption d’innocence.

L’article 6, alinéa 2, de la convention européenne des droits de l’homme constitue l’un des principes de base du droit pénal, mais sa portée va au-delà de la garantie procédurale propre au procès pénal stricto sensu. La Cour de cassation impose le respect de la présomption d’innocence aux membres d’une autorité administrative indépendante. En application de ce principe, il appartient aux autorités poursuivantes d’établir la culpabilité de la personne visée selon une formule célèbre : la charge de la preuve pèse sur l’accusation et le doute profite à l’accusé.

Nous ne cessons de vous donner des exemples extrêmement concrets. Il suffit d’avoir un ordinateur et une connexion internet, des voisins ou un réseau wifi à proximité pour comprendre de quoi nous parlons. Cet après-midi, nous avons évoqué les télédéclarations d’impôts. Avec le triple play, HADOPI ce sera la quadruple peine pour celui qui déclare ses impôts par Internet, comme les autorités nous y incitent fortement : non seulement il ne pourra plus le faire à cause de la suspension de son abonnement mais, n’ayant pas déclaré ses revenus dans les délais impartis, il sera frappé d’une amende. Cela peut vous paraître anecdotique, mais c’est de l’argent pour les gens !

Je vois que cela n’a pas du tout l’air d’intéresser Mme la ministre. C’est extraordinaire ! Ce texte pénalise par avance de nombreuses familles et stigmatise la jeunesse, vous êtes en train de mettre en place une commission, M. Hirsch va faire des tas de choses, semble-t-il, pour les jeunes, et vous n’êtes pas capable d’entendre ce que nous vous disons. Écoutez-nous, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, répondez-nous ! Quid de la présomption d’innocence pour les abonnés mis en cause, qui seront pénalisés alors qu’ils ne seront souvent pas coupables de téléchargement ?

Il faut trouver des garanties, des moyens, comme ceux que nous proposons avec cet amendement. Son adoption grandirait l’ensemble de cette assemblée et montrerait au public, aux internautes, à leurs familles et à tous ceux qui, dans ce pays, ne s’attendent pas à ce qui va leur arriver, que vous avez mesuré l’ampleur des décisions que vous êtes en train de prendre. Adopter cet amendement serait un petit pas, mais un pas quand même dans la bonne direction.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je souhaite revenir sur l’intervention de Mme la rapporteure pour avis concernant les moyens mis à la disposition de la Haute autorité.

M. Christian Paul. Quelle gabegie !

M. Lionel Tardy. La commission de protection des droits, qui est le bras armé de l’HADOPI, c’est la promesse d’e-mails et de sanctions à la chaîne. Selon les chiffres fournis à plusieurs reprises par Mme la ministre, le projet sera calibré pour décider jusqu’à mille sanctions par jour, prises par un collège de trois personnes. Si l’on compte sept heures de travail effectif, cela représente 333 décisions par jour, 47 décisions par heure et par juge, soit un peu plus d’une minute par dossier.

M. Christian Paul. C’est Robocop !

M. Lionel Tardy. En effet. Si l’on rapporte tout cela au collège – puisque les décisions sont collégiales –, ces mille décisions par jour ou cent quarante-deux décisions par heure demanderont vingt-cinq secondes par décision.

M. Christian Paul. Et la première année, c’est Riester qui s’y collera !

M. Lionel Tardy. Mais la lecture de l’adresse IP n’est pas tout. À ces mille décisions par jour, qui prennent déjà de précieuses secondes aux trois magistrats, il faut ajouter…

M. Christian Paul. Le temps de la concertation !

M. Lionel Tardy. …ce que je ne vois pas dans le texte mais qui y est, paraît-il, le fameux principe du contradictoire que cherche à respecter scrupuleusement le projet.

Avant toute décision de suspension, d’injonction d’installer un logiciel ou un cadenas numérique sur la machine de l’abonné, ou d’opter pour le ralentissement des débits – dont nous parlerons plus tard et qui est inapplicable –, un échange contradictoire devra avoir lieu avec l’abonné. Le droit européen notamment l’exige dans la convention européenne des droits de l’homme. Dans ce laps de temps, l’abonné assurera sa défense et tentera de démontrer comme il le pourra que son IP a été repéré sur les réseaux peer to peer parce que sa box a été piratée par un tiers. Cette preuve, déjà pas facile à apporter, devient surnaturelle dès lors qu’on a vingt-cinq secondes pour la justifier. (Rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Christian Paul. Surnaturelle, c’est le mot !

M. Lionel Tardy. Autant dire qu’en une seule journée d’activité, le système s’écroulera sous le poids de cette usine à décisions.

M. Christian Paul. Le fonctionnaire aussi sera écroulé !

M. Lionel Tardy. Madame la ministre, comment allez-vous gérer, dans votre projet de loi, le respect du contradictoire ?

M. Christian Paul. Excellent ! Voilà la vérité !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je suis accablée par toutes les caricatures que j’entends…

M. Patrick Bloche. C’est terrible ! Il faut faire autre chose.

M. Christian Paul. Démissionnez !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. …sur tous les bancs.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Non, pas tous !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Pas tous, c’est vrai, heureusement.

S’agissant du coût de la Haute autorité, il est clairement identifié : il s’agit de mesures nouvelles, financées par des financements nouveaux.

M. Christian Paul. Par l’impôt des Français !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Elles ne sont pas venues s’imputer sur les crédits de la création, dont je signale au passage qu’ils ont été augmentés et entièrement dégelés, contrairement à tout ce que j’entends ce soir.

Mme Martine Billard. Vous entendez des voix !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Nous continuons à avoir le budget pour le spectacle vivant probablement le plus important d’Europe.

M. Christian Paul. Cocorico !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je sors des entretiens de Valois, où l’on a parlé près de 420 heures. Je crois en effet que les choses ne vont pas si mal.

M. Patrick Bloche. Tout va très bien, madame la marquise !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Les intermittents sont confortés, et je n’ai vraiment pas à rougir de la politique que nous menons.

M. Jean-Pierre Brard. Vous ne risquez pas de rougir !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je ne risque pas de rougir, en effet.

M. Christian Paul. C’est effrayant ! Sortez des palais dorés et allez dans les régions !

M. le président. Seule Mme la ministre a la parole.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Par ailleurs, la caricature affreuse, qui consiste à présenter cette Haute autorité composée de magistrats…

M. Patrick Bloche. Non, pas des magistrats !

M. Christian Paul. Des robots !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. …à partir de l’ART comme une sorte d’antenne de la Gestapo est particulièrement ridicule. (Très vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Sandrine Mazetier. Ça suffit ! Qui a parlé de Gestapo ?

M. Christian Paul. Retirez ces propos immédiatement !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Qu’aurais-je à retirer ? (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et apostrophent vivement Mme la ministre.)

M. le président. Laissez parler Mme la ministre !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Vous présentez cette Haute autorité comme une instance policière, dangereuse, qui veut attaquer les libertés. C’est honteux !

M. Guy Geoffroy et M. Philippe Gosselin. Tout à fait !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Ce n’est absolument pas cela.

M. Patrick Bloche. Retirez vos propos !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je retire le mot « Gestapo », mais la présentation que vous faites est absolument scandaleuse.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. C’est une caricature insupportable. Cette Haute autorité est composée de magistrats. Elle est là pour établir un dialogue avec les internautes, pour porter des messages pédagogiques. Je le répète, cela a été expliqué cent fois : il y a des envois de mails successifs.

Mme Sandrine Mazetier. C’est scandaleux !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Calmez-vous, madame Mazetier, laissez-moi parler !

M. Christian Paul. Vous vous oubliez !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Il y a des envois de mails successifs. Cela prend du temps.

M. Christian Paul. C’est scandaleux !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je vous en prie, monsieur Paul, arrêtez ! Un peu de respect !

M. le président. Monsieur Paul, vous n’avez pas la parole.

Veuillez poursuivre, madame la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je vous parle poliment et calmement. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Il y a donc une Haute autorité, composée de magistrats, qui envoie des mails d’avertissement. Tout cela prend du temps. On peut envoyer des observations en réponse au mail.

Cet envoi est fait à l’abonné parce qu’il est responsable de son ordinateur. C’est normal. Ce n’est qu’après cette longue séquence qu’il y a la possibilité d’une sanction, très mesurée et pragmatique.

À ce moment-là, toute la procédure du contradictoire se met en place. Il y a la procédure du contradictoire devant l’HADOPI et devant le juge, si l’on forme un recours contre la décision prise.

Tous les droits sont respectés. Une peinture très caricaturale est faite de ce projet, parfaitement respectueux des libertés.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour un rappel au règlement.

M. Christian Paul. Ce qui vient d’être dit me paraît dépasser très largement le cadre normal de l’échange républicain, que nous avons habituellement avec les membres de ce gouvernement, dont nous ne partageons pas, le plus souvent, les options.

Madame la ministre, j’ai un sentiment de malaise depuis hier. Vous ne vous comportez pas, dans ce débat, dans cet hémicycle, en ministre de la culture. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Ça alors ! C’est honteux !

M. Christian Paul. Je l’ai dit hier à la tribune, vous ne vous comportez pas en ministre de la culture.

M. Guy Geoffroy. C’est insupportable ! Retirez ces mots !

M. Christian Paul. Dans ce pays, le ministre de la culture est aussi le ministre des libertés.

Plusieurs députés du groupe UMP. Retirez ces mots !

M. Christian Paul. Il recherche les bons équilibres.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Si ce n’était pas une femme, vous ne tiendriez pas le même discours !

M. Christian Paul. Non, pas du tout !

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Cela ne vous honore pas !

M. Christian Paul. Monsieur Warsmann, vous n’êtes peut-être pas sensible au fait que…

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Je suis indignée !

M. le président. Monsieur le président de la commission, je vous donnerai la parole aussitôt que M. Christian Paul aura terminé.

M. Christian Paul. …nous avions les mêmes débats avec M. Donnedieu de Vabres. Nous avions de nombreuses différences d’appréciation, mais jamais M. Aillagon, jamais M. Donnedieu de Vabres, vos prédécesseurs, madame la ministre, n’ont fait référence à la Gestapo, …

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Elle a retiré le mot !

M. Christian Paul. …pour intimider les parlementaires, pour disqualifier leurs positions.

Madame la ministre, nos propos reprennent l’avis de la CNIL, présidée par un sénateur UMP.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Le président n’est pas UMP.

M. Philippe Gosselin. Il est non inscrit. Ce n’est pas la même chose !

M. Christian Paul. Pourquoi êtes-vous fébriles ?

C’est donc un sénateur non inscrit ; je le croyais à l’UMP.

Les critiques que nous formulons ce soir, au nom des libertés fondamentales, à propos de ce texte, reprennent ce que la CNIL a écrit dans son avis. C’est ce que de très nombreux juristes ont dit, de façon préventive – encore une fois, je ne comprends pas pourquoi vous allez chercher la Gestapo pour mettre en difficulté l’opposition dans ce débat. Je trouve que ce n’est pas digne. Vous avez retiré ce terme, sentant qu’il avait peut-être dépassé votre pensée. Dont acte ! Peut-être d’autres collègues souhaiteront-ils s’exprimer sur ce point.

M. Patrick Bloche. Oui !

M. Christian Paul. Je crois effectivement que Patrick Bloche souhaite faire un rappel au règlement.

Madame la ministre, je voudrais vous lire l’avis de la CNIL, puisque, manifestement, vous ne l’avez pas fait et parce que M. Gosselin, ici présent, qui est membre de la CNIL, au nom de notre assemblée, ne retransmet pas l’avis de la CNIL.

M. Philippe Gosselin. Je demande moi aussi la parole.

M. Christian Paul. La CNIL relève, sur le respect des droits de la défense et le recours au filtrage – c’est la même question que traite notre amendement, il s’agit de la CNIL et non des députés socialistes – : « Une telle disposition comporte un risque d’atteinte aux libertés individuelles, au rang desquelles figure la liberté d’expression. » Ce n’est pas la Gestapo qui le dit, c’est la CNIL.

Mme Martine Billard. Eh oui !

M. Christian Paul. On lit un peu plus loin : « La commission propose que le projet de loi prévoie que la compétence de la Haute autorité se limite à pouvoir saisir le président du tribunal de grande instance, qui serait alors amené à statuer dans les conditions actuelles. » Il s’agit notamment de tout ce qui concerne les intermédiaires techniques et donc le passage de la compétence du tribunal, ce qui était le cas jusqu’à présent, à l’HADOPI.

Madame la ministre, s’il est répondu à cette crainte de la CNIL dans le texte actuel ou dans celui qui vient du Sénat, éclairez-nous, puisque le rapporteur ne s’y emploie pas, pas plus que M. Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Je vais le faire tout de suite !

M. Christian Paul. Faites une analyse juridique précise. Cela évitera ces atroces dérapages, qui ne sont pas dignes, je le répète, du successeur de Malraux rue de Valois.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Je suis navré de ces mises en cause de Mme la ministre. Dans vos derniers mots, monsieur Paul, vous avez porté des jugements sur Mme la ministre, qui, selon vous, ne serait pas digne d’André Malraux. En tant que député, vous méritez le respect. En tant que ministre du Gouvernement de la République, Mme Albanel mérite le respect. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) J’ai été extrêmement choqué par les propos que vous avez tenus.

M. Christian Paul. C’est incroyable !

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Commençons par nous respecter les uns les autres et par échanger des arguments.

Monsieur le député, le débat que vous entamez ne repose pas sur des considérations exactes. En France, ce texte, comme toutes les lois, respecte les droits de la défense, la présomption d’innocence. Ce sont des principes généraux du droit qui s’imposent à toutes les lois.

Vous voulez par un amendement – revenons au texte – nous faire écrire quelque chose qui est de droit et s’impose à toutes les lois. Nous ne le voulons pas, car il n’y a pas de raison d’inscrire ce principe dans ce texte-là plus que dans un autre, puisqu’il s’impose à toutes les lois ; vous prenez à partie la ministre en lui reprochant de ne pas respecter ces principes.

Franchement, c’est un procès, qui ne relève pas de la bonne foi.

Chacun s’est exprimé. Monsieur le président, je souhaite, que l’on arrête les mises en cause et que nous revenions au texte.

L’intervention de M. Paul – je ne vous mets pas en cause, monsieur le président – n’avait absolument rien à voir avec un rappel au règlement, mais était une mise en cause discourtoise de Mme la ministre.

Je vous demande donc, monsieur le président, de bien vouloir mettre aux voix l’amendement soumis à notre assemblée.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. Madame la ministre, je voudrais indiquer que la commission des affaires économiques a été saisie d’un amendement identique, que nous avons repoussé pour les raisons, auxquelles je souscris pleinement, évoquées tout à l’heure par le rapporteur de la commission des lois.

J’ai reçu dans le cadre des auditions menées Mme la vice-présidente de la CNIL, à laquelle j’ai posé un certain nombre de questions extrêmement précises sur les garanties des droits de la défense, sur la possibilité de garantir un procès équitable.

J’ai repris mes notes. Mme la vice-présidente a dit qu’elle était satisfaite du texte tel que modifié par le Sénat. J’ajouterai un point important. J’ai le sentiment, sans vouloir être discourtois avec nos collègues, que l’avis dont vous venez de faire état est extrêmement ancien. Il remonte au temps où le texte était plus au moins en préparation. Il date au moins de 2008.

Depuis, le temps a passé, des discussions ont eu lieu. Et tous les apaisements ont été donnés sur ce sujet.

Je me suis également entretenu avec le président de la CNIL, M. Turck, sénateur non inscrit, de ce sujet. Il a été fait état de quelques points qui étaient encore incontestablement perfectibles. C’est pourquoi des amendements ont été déposés pour que les garanties pleines et entières, auxquelles chacun peut souscrire, soient parfaitement respectées en la circonstance.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, madame la ministre, il est utile de retrouver la sérénité.

Monsieur le président de la commission, les excès ont été commis par Mme la ministre. Personne d’autre qu’elle, ici, n’a fait référence à la police politique hitlérienne.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Le mot a été retiré !

M. Patrick Bloche. Monsieur le président de la commission, c’est trop facile ! Je demande la parole pour un rappel au règlement au nom de notre groupe.

M. Jean-Pierre Brard. Il peut arriver que la langue fourche,…

M. Patrick Bloche. C’est extrêmement grave. Je vous dirai tout à l’heure pourquoi j’ai été si choqué.

M. le président. Seul M. Brard a la parole.

M. Jean-Pierre Brard. …mais le dérapage verbal a au moins une fonction.

M. Patrick Bloche. Je suis bouleversé par ce que j’ai entendu. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. L’excès de la parole ministérielle, disais-je, aussi malheureux fût-il, a au moins une fonction. Il permet de déplacer le débat et de discréditer ceux qui contestent la position gouvernementale, …

M. Christian Paul. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Brard. …en faisant passer cette contestation pour excessive. Ce n’est pas convenable.

Revenons au fond. Nous n’avons pas l’intention de vous convaincre. Nous savons bien que vous êtes en service commandé. Nous nous adressons à nos collègues et plus encore à ceux qui nous regardent et qui doivent savoir la vérité.

Nous considérons que votre texte – nous l’avons démontré – est une atteinte insupportable aux libertés. Soyons concrets. Notre collègue Martine Billard a cité des exemples. Pensons à un jeune de dix-neuf ans ou à une personne âgée de quatre-vingt-cinq ans qui se retrouveront confrontés à vos fameuses lettres recommandées. Ils ne sauront pas comment réagir. Les choses vont empirer.

Vous ajoutez à cela le renversement de la charge de la preuve, qui est heureusement, dans notre droit, une disposition d’exception. C’est à la personne qui est accusée de prouver qu’elle n’a pas fraudé.

Je vais raisonner par analogie pour me faire comprendre. Quand vous êtes accusé par l’administration fiscale d’avoir donné un dessous de table sur la base duquel vous êtes taxé, alors même que ce n’est pas vrai, comment pouvez-vous faire la démonstration que vous n’avez rien donné ? C’est impossible. C’est le règne de l’arbitraire total.

Tout à l’heure, monsieur le rapporteur, vous faisiez référence à un avis très ancien de la CNIL, comme si 2008 était si loin de nous !

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. C’était avant le texte !

M. Jean-Pierre Brard. Très ancien ! Le Sénat a adopté le texte à la fin du mois d’octobre. Ce n’est pas ancien, c’est très actuel. Et cela éclaire notre débat.

L’avis de la CNIL est accablant. Monsieur le rapporteur, le poids de vos notes pour forger votre réflexion est certainement très important mais, en termes législatifs, cela ne vaut rien.

Seule la note de la CNIL vaut quelque chose. Celle-ci nous a été partiellement lue par Christian Paul. C’est un véritable réquisitoire, qui montre à quel point votre loi est attentatoire aux libertés.

Vous avez dit, monsieur le rapporteur, qu’il y aurait des amendements pour « perfectionner ». Mais on ne perfectionne pas ce qui est liberticide. On y renonce ou on le confirme.

M. Christian Paul. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. Le fait que vous mettiez un peu de miel autour ne change rien à la perversion du texte.

M. Christian Paul. Je n’ai pas vu beaucoup de miel ce soir !

M. Jean-Pierre Brard. Tout cela confirme la cohérence de votre politique et la dérive monarchique et autoritaire du régime.

Il y a eu la loi sur l’audiovisuel, où l’on a bâillonné les médias. Il y a la loi sur le règlement de l’Assemblée avec l’affaire du temps de parole, qui va dans le même sens. Maintenant, on bâillonne les internautes. C’est la dérive autoritaire du régime. Il est très important que les personnes qui nous regardent aujourd’hui comprennent bien la cohérence de votre politique. Il n’y a pas de hasard. C’est construit. Le grand organisateur réside au palais de l’Élysée, les ministres ne sont que les exécutants puisque, la plupart du temps, ils apprennent par les médias les textes qu’ils devront défendre ou les décisions qu’ils devront prendre, même quand ils ne sont pas d’accord avec elles.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58-1 du règlement touchant au déroulement de la séance.

Madame la ministre,bien que vous avez subrepticement retiré le « mot », force est de constater que vous avez dérapé dans ce débat comme nous ne l’avons jamais fait depuis que nous avons entamé cette discussion, hier après-midi.

Jamais, nous n’avons comparé le Président de la République à un dictateur parce que nous débattions du projet de loi HADOPI. Jamais, nous n’avons assimilé le Président de la République, le Premier ministre ou vous-même à je ne sais quel dictateur en faisant des références historiques lourdes de sens.

Vous êtes ministre de la République et, pour nous, cela signifie quelque chose. Vos propos m’ont bouleversé, madame la ministre. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.) Écoutez-moi, chers collègues, et vous comprendrez pourquoi.

M. Jean-Pierre Brard. Il y en a aussi qui ricanaient en 1942 !

M. Patrick Bloche. Accuser les députés de l’opposition de comparer, parce que nous critiquons votre projet de loi, l’HADOPI à la Gestapo, c’est intolérable.

M. Philippe Gosselin. Quel cinéma !

M. Patrick Bloche. À cause de la Gestapo qui était présente dans notre pays il y a soixante ans, je n’ai jamais connu ma grand-mère paternelle, parce qu’elle est partie, le 31 juillet 1944, par le convoi 76 de Drancy et qu’elle a été gazée à son arrivée à Auschwitz le 4 août 1944. La Gestapo, c’est cela pour moi.

M’entendre dire, dans cet hémicycle où je siège depuis douze ans en respectant chacune et chacun, qu’en critiquant une haute autorité indépendante qui n’est pas encore mise en place, je ferais une référence historique aussi lourde me touche particulièrement. Je ne me sens pas insulté, mais je considère que Mme la ministre est allée au-delà des limites de son verbe. En tant que ministre de la culture, elle est aussi ministre des mots. Je pense que, pour elle, les mots ont un sens. Pour ma part, je n’emploierai pas de grands mots car je suis bouleversé. Pour cette raison, je souhaite réunir mon groupe et je vous demande, monsieur le président, une suspension de séance.

M. le président. Avant de suspendre la séance, je donne la parole à M. le président de la commission des lois, puis nous passerons au vote sur l’amendement n° 404.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. J’ai apprécié le ton employé par M. Bloche à l’instant. Je vous respecte, monsieur Bloche, et je respecte vos opinions. Chacun doit prendre la résolution, y compris nos collègues de l’opposition, de se respecter. Je vous demande d’agir de même à l’égard de Mme la ministre, car certains lui ont manqué de respect ce soir.

Tournons cette page et faisons en sorte que le débat se poursuive sereinement.

Article 2 (suite)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 404.

(L'amendement n° 404 n'est pas adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Je suis saisi d’un amendement n° 318.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Cet amendement vise à étendre à l’offre légale non commerciale la mission assignée à l’HADOPI.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Il serait intéressant que cet amendement soit expliqué aux députés avant qu’on ne leur propose de le voter, parce qu’il ne va pas de soi. En dehors du regrettable et très désagréable incident de tout à l’heure, nous n’avons pas pris l’habitude, dans ce débat, de voter à la sauvette. Je suggère donc à M. Riester de nous donner quelques explications, après quoi nous pourrons voter son amendement.

M. le président. Monsieur Paul, je n’ai pas fait voter à la sauvette : l’amendement a été présenté par la commission.

M. Christian Paul. Il n’a pas été expliqué !

M. le président. Si, par le président de la commission.

M. Christian Paul. Très peu !

M. le président. J’ai ensuite demandé l’avis du Gouvernement, après quoi il est bien normal de mettre un amendement aux voix.

M. Christian Paul. Pouvons-nous au moins nous exprimer sur l’amendement ?

M. le président. Vous venez de le faire, monsieur Paul !

M. Christian Paul. J’ai pris la parole pour demander que cet amendement soit un peu plus longuement présenté par la commission. Si la commission considère qu’elle l’a suffisamment expliqué, je souhaite, avec votre permission, m’exprimer sur l’amendement. À quel stade en sommes-nous ? Je l’ignore. Peut-être faut-il interroger la commission.

M. le président. Non, monsieur Paul, ce n’est pas à vous d’interroger la commission.

M. Christian Paul. C’est bien pourquoi je disais « peut-être » !

M. le président. La commission a déjà présenté l’amendement. Je vous redonne la parole, cependant, pour que vous vous exprimiez sur l’amendement.

M. Christian Paul. Monsieur le rapporteur, puisque vous avez signé cet amendement, accepté par la commission, je souhaiterais savoir pourquoi il vous paraît indispensable d’étendre à l’offre légale non commerciale la mission de l’HADOPI. On a envie de dire : laissez-les vivre ! Pourquoi faut-il que l’HADOPI ait une fonction d’encouragement et de suivi ? Je crains que ce ne soit en fait davantage de la surveillance que de l’encouragement. Peut-être pourriez-vous nous démontrer le contraire, mais comme la commission a été extrêmement laconique, j’avoue avoir un peu de mal à comprendre ce que contient l’idée de labellisation de l’HADOPI.

Dans quoi allons-nous entrer ? Depuis hier, nous sommes invités à approuver un dispositif de surveillance et de sanction, et voici que l’on confie à l’HADOPI une mission qui s’étend jusqu’à l’offre non commerciale. Les artistes sont de plus en plus nombreux – on ne peut que s’en réjouir – à mettre leur musique en écoute gratuite sur Internet à des fins de promotion ou de découverte : l’HADOPI va-t-elle s’occuper d’eux ? Quelle chance ! Comment va-t-elle faire ? Je voudrais comprendre ce qu’est cette labellisation. C’est nouveau, ça vient de sortir ! Pourriez-vous nous donner quelques explications complémentaires, monsieur le rapporteur ?

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. J’ai l’impression que tous ces amendements nous entraînent dans des chicaneries. Nous sommes là pour débattre, certes, mais j’aimerais que nous en revenions aux fondamentaux et à la technique. J’ai posé dans la discussion générale des questions qui n’ont toujours pas reçu de réponse. Je répète donc ce que j’ai dit hier soir. Un jugement du tribunal de Guingamp, en date du 23 février, met à mal le bien-fondé de l’HADOPI : sans doute fera-t-il jurisprudence.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. Ce n’est même pas un jugement définitif !

M. Lionel Tardy. Lors de l’audience, l’adresse IP n’a pas été estimée suffisante pour déterminer la culpabilité du prévenu. Or le principe de riposte graduée, dont l’application sera confiée à l’HADOPI et dont nous discutons la moindre virgule, repose entièrement sur l’identification des adresses IP pour repérer les internautes qui s’adonneraient au téléchargement illégal. Les réseaux sans fil posent de sérieux problèmes : si, en plus, les adresses IP ne sont pas jugées des preuves suffisantes pour établir la responsabilité d’un internaute, tout le débat actuel n’a plus lieu d’être, car quelle serait la légitimité des décisions rendues par l’HADOPI ? J’aimerais que Mme la ministre me réponde sur ce point.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Franck Riester, rapporteur. Avant même le début de la discussion dans l’hémicycle, nous avons essayé, en commission, de travailler sur le fond et nous devons continuer. Je veux donc apporter à M. Paul des réponses transparentes sur le sens de cet amendement.

Je l’ai dit, ce projet de loi vise à développer l’offre légale.

M. Christian Paul. L’offre commerciale !

M. Franck Riester, rapporteur. Non, l’offre légale. Une des missions confiées à l’HADOPI, c’est d’encourager cette offre légale, qui peut être commerciale ou non commerciale. Certains ayants droit, certains auteurs, certains artistes tiennent en effet à mettre librement leurs œuvres à la disposition du public. C’est leur choix. Il est donc logique que, dans ses missions d’encouragement de l’offre légale, l’HADOPI puisse aussi prendre en compte l’offre légale non commerciale.

Mme Sandrine Mazetier. Ce n’est pas du tout logique !

M. Franck Riester, rapporteur. Dans les avertissements qui seront envoyés aux internautes hors-la-loi, il sera dit non seulement que le téléchargement illégal est répréhensible, mais qu’il existe des offres légales, commerciales ou non. L’HADOPI aura donc pour mission de mettre en valeur toutes les offres légales. C’est pourquoi cet amendement vise à supprimer, à l’alinéa 8 de l’article 2, le mot « commerciale ».

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. L’expression « offre légale » est très ambiguë. En effet, il existe à la fois des œuvres commerciales et des offres sans objet lucratif, et je ne vois pas très bien ce que vient faire l’HADOPI dans cette surveillance des offres sans but lucratif. Chaque auteur peut mettre ses œuvres à disposition sur Internet. Pourquoi, dans ce cas, aurait-on besoin d’une Haute Autorité pour surveiller cette mise à disposition ? Quand on pense au nombre de lettres recommandées qu’elle va devoir envoyer – si l’on en croit ce que l’on nous annonce –, elle risque d’être passablement débordée et il n’est peut-être pas très judicieux de lui confier en plus cette obligation, qui n’aura pas, en soi, beaucoup de conséquences.

D’autre part, dans votre exposé sommaire, monsieur le rapporteur, il est question de « réserver la labellisation de l’HADOPI aux seules offres commercialisées ». De quelle labellisation s’agit-il ? demandait avec raison notre collègue Christian Paul.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. Le rapporteur vient de répondre !

Mme Martine Billard. L’HADOPI pourrait-elle décider que telle offre commerciale ne peut pas recevoir son label ? Peut-être y a-t-il une erreur dans l’exposé sommaire, mais il faudrait que ce soit clair, car nulle part il n’est prévu que l’HADOPI labellise les offres, qu’elles soient commerciales ou pas. Il est important, monsieur le rapporteur, de clarifier vos intentions. Si, vraiment, il doit y avoir une labellisation des offres par l’HADOPI, cela ouvre un autre débat et pose de nouveaux problèmes. Nous avons réussi à perdre, en cours de route, les listes blanches de sites.

M. Christian Paul. On va sûrement les retrouver !

Mme Martine Billard. Espérons que non !

Il ne faudrait pas que nous en venions maintenant à labelliser les offres sur internet.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Franck Riester, rapporteur. Madame Billard, je vous renvoie à la sous-section 3 de l’article 2, alinéa 120 : « Dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, la Haute autorité attribue aux offres commerciales proposées par des personnes dont l’activité est d’offrir un service de communication au public en ligne un label permettant aux usagers de ce service d’identifier clairement le caractère légal de ces offres. »

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le rapporteur, il y a quelque chose qui cloche, dans cet amendement. La rédaction du projet de loi issue des travaux du Sénat indique que la Haute autorité assure « une mission d’encouragement au développement de l’offre commerciale légale ». S’il existe des offres commerciales légales, il doit y avoir aussi des offres commerciales illégales – c’est en tout cas ce que laisse entendre la présence des deux adjectifs. Mais Internet est tout sauf un espace de non-droit et, s’il existe des offres commerciales illégales, nous disposons de lois et de règlements pour les réprimer. Cependant, autant on imagine ce qu’est qu’une offre commerciale, autant on se demande ce qu’est une offre légale, notion qui n’est définie ni dans le code de commerce ni dans celui de la propriété intellectuelle. De quoi s’agit-il donc ?

Si vous supprimez l’adjectif « commerciale », seuls subsisteront dans le texte les mots « l’offre légale », réalité qui n’est définie nulle part. En fait, vous auriez été mieux inspiré de supprimer « légale » et de conserver « l’offre commerciale ».

(L’amendement n° 318 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 33.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Franck Riester, rapporteur. Cet amendement lève une ambiguïté rédactionnelle.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Permettez-moi, monsieur le président, de revenir sur l’amendement qui vient d’être adopté, bien qu’il me semble constituer un contresens total et trahir une incompréhension profonde de la démarche des groupes et interprètes que cite son exposé sommaire et qui ont décidé de mettre leurs œuvres à la libre disposition des internautes. Je pense notamment à Radiohead et à Robbie Williams qui ont signé un appel incitant les artistes à se libérer des majors, à se dégager des liens qu’elles leur imposent pour la diffusion de leurs œuvres – en rapportant cette information, je ne formule aucun jugement de valeur sur ces sociétés. Ils entendent profiter de ce bel espace qu’est Internet pour toucher directement leur public.

Si l’amendement que vous venez de faire voter doit aliéner de nouveau des artistes qui cherchent à se désaliéner d’un système, à toucher leur public sans intermédiaires, voire, demain, à être rémunérés directement pour leurs œuvres et à percevoir un peu plus d’argent qu’aujourd’hui avec ce que vous appelez des « offres commerciales légales », c’est bien la preuve que vous n’avez pas compris leur démarche, ce mouvement de partage, d’échange non lucratif. Le label HADOPI, je suis certaine que Radiohead n’en voudra surtout pas.

M. le président. Je rappelle que l’on ne peut revenir sur un amendement déjà voté. Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Franck Riester, rapporteur. Juste un mot, monsieur le président.

M. Christian Paul. Comme pour cet amendement, adopté au détour d’une phrase !

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission. Un peu de respect ! Personne n’a interrompu votre collègue qui vient de s’exprimer ! Écoutez donc M. le rapporteur !

M. Franck Riester, rapporteur. Le but de cette labellisation – je m’adresse en particulier à Mme Mazetier et M. Paul – est de valoriser les offres légales, et donc les artistes dont vous parlez, puisque nous encourageons la mise à disposition gratuite de leurs œuvres. Cette mise en valeur correspond précisément au souhait de ces artistes et de leurs fans !

M. le président. Je rappelle le règlement à chacune et chacun d’entre vous : nul ne peut reprendre la discussion relative à un amendement qui a déjà été voté. Nous examinons en ce moment l’amendement n° 33 ; je vais procéder à la mise aux voix.

M. Christian Paul. Je demande la parole pour répondre à M. le rapporteur.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 33.

(L'amendement n° 33, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Rappel au règlement

M. Christian Paul. Rappel au règlement, monsieur le président.

M. le président. Soit, vous avez la parole.

M. Christian Paul. Le règlement, que vous connaissez mieux que moi, monsieur le président, prévoit que les parlementaires puissent répondre au rapporteur. J’ai demandé à répondre au rapporteur avant la mise aux voix ; j’observe une fois de plus que le règlement n’a pas été respecté.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission. C’est inexact !

M. Jean-Pierre Brard. Les lunettes ne sont plus remboursées : voilà pourquoi !

M. le président. Je vous rappelle, monsieur Paul, que Mme Mazetier s’est exprimée sur l’amendement précédent pour répondre à M. le rapporteur. J’ajoute qu’elle a profité de cette occasion pour parler d’autre chose.

M. Christian Paul. Mais j’ai demandé la parole pour répondre à M. le rapporteur !

Article 2 (suite)

M. le président. Nous en venons à l’amendement n° 34.

M. Franck Riester, rapporteur. Il me semble que nous devons d’abord examiner l’amendement n° 222, présenté par M. Martin-Lalande.

M. le président. En effet, M. Martin-Lalande vient d’arriver. Je lui donne la parole pour défendre l’amendement n° 222.

M. Jean-Pierre Brard. Le président est fatigué : appelez la relève, la garde montante !

M. Christian Paul. Il vous faut une vision panoramique, monsieur le président !

M. Patrice Martin-Lalande. Cet amendement vise à rendre plus fluide la circulation des œuvres, aujourd’hui entravée par un certain nombre de pratiques, en confiant à la Haute autorité la tâche de veiller « à ce que les services de communication audiovisuelle ne puissent entraver la circulation des programmes qui doivent être remis sur le marché à l’issue de la dernière diffusion contractuelle, après un délai de carence raisonnable fixé par des accords interprofessionnels ou par un décret ». En outre, la Haute autorité devra s’assurer que « l’acquisition des droits de diffusion, leur identification et leur valorisation selon les différents modes d’exploitation, et la limitation de la durée de ces droits lorsqu’ils sont exclusifs, soient respectées ».

Dans la pratique, en effet, des blocages existent lorsque certains services de médias audiovisuels ne veulent ou ne peuvent plus exploiter des œuvres, mais refusent cependant de les remettre en circulation ou gèlent l’ensemble des autres exploitations possibles sans les utiliser ni les compenser. Naturellement, ces entraves ouvrent la voie à la piraterie, puisque ceux qui voudraient accéder aux œuvres en question ne peuvent y parvenir pendant un certain temps. Je vous propose donc de fluidifier la mise à disposition des œuvres.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Sur le fond, monsieur Martin-Lalande, je partage votre intention. Cet amendement rappelle d’ailleurs un autre amendement similaire que M. Bloche avait proposé en commission des lois. Je lui avais alors répondu que nous travaillerions sur un amendement dont la forme serait mieux adaptée à l’objectif d’une meilleure circulation des œuvres. C’est ce que nous avons fait : avant l’article 1er, nous avons adopté l’amendement n° 137 rectifié, qui vise à définir les usages de la profession permettant aux auteurs de vérifier si toutes les diligences des producteurs relatives à ces usages, et donc à la circulation des œuvres, sont mises en œuvre. Voilà qui satisfait votre amendement ; je vous propose donc de le retirer.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Même demande, monsieur le président : cette proposition relève davantage du domaine d’intervention du Conseil supérieur de l’audiovisuel et du Conseil de la concurrence. L’HADOPI n’est pas censée réglementer les rapports contractuels entre les ayants droit et les diffuseurs. J’ajoute qu’un amendement a en effet déjà été adopté, qui vise à faciliter la circulation des œuvres.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. M. le rapporteur a beau être jeune, il manie la langue de bois comme un vieux politicien !

M. Guy Geoffroy. Parole d’expert !

M. Jean-Pierre Brard. Décodons son propos, pour ceux qui nous regardent : sur le fond, il est d’accord, mais il ne faut surtout pas adopter l’amendement ! Or, d’une certaine façon, l’amendement de M. Martin-Lalande vise à combattre la prohibition. Chacun sait que la retenue et la prohibition ouvrent le terrain aux trafiquants, comme au temps d’Al Capone pour l’alcool. Certes, comparaison n’est pas raison, mais le système est similaire. Dès lors, M. Martin-Lalande est très bien avisé de favoriser la fluidité afin que les internautes aient accès dans de meilleures conditions aux produits qui leur sont offerts.

En vous écoutant, monsieur le rapporteur et madame la ministre, je me demande quelles sont vos marges d’appréciation réelles. Qu’est-ce que les arbitrages rendus par Matignon et surtout l’Élysée vous donnent l’autorisation d’accepter ? Nous gagnerions beaucoup de temps si vous nous disiez d’emblée que vous n’avez aucune marge et que tous les amendements seront refusés. Cela ne nous empêchera d’ailleurs pas de les défendre, mais au moins n’aurez-vous pas à répondre à chaque fois en langue de bois pour nous dire que, malgré l’intérêt qu’ils suscitent en vous, vous réprouvez leur adoption.

M. Franck Riester, rapporteur. Ce n’est pas de la langue de bois !

M. Jean-Pierre Brard. Je constate que M. Dionis du Séjour, qui est lui aussi un député très expérimenté, partage mon opinion – ce qui n’est pas toujours le cas, puisque nous ne siégeons pas sur les mêmes bancs.

M. Franck Riester, rapporteur. Ne faites pas parler M. Dionis du Séjour !

M. Jean-Pierre Brard. Nous sommes de connivence…

Si d’aventure M. Martin-Lalande renonçait à son amendement, il va de soi que je le reprendrais !

M. Patrice Martin-Lalande. Il y a donc un second marché de l’amendement ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. J’ai eu plusieurs fois l’occasion d’intervenir à ce sujet, comme le rappelait M. le rapporteur. M. Martin-Lalande et moi-même avons d’ailleurs été amenés à plusieurs reprises à œuvrer dans le sens de son amendement.

Je m’étonne de la réponse de Mme la ministre, qui fait référence au CSA et au Conseil de la concurrence – soit – en évoquant des problèmes liés à la relation contractuelle, que personne n’ignore. Or, le présent amendement trouve précisément sa justification à l’alinéa 8, et si nous n’avons pas déposé un amendement identique, mais plutôt un autre amendement qui, quoique poursuivant le même objectif, viendra ultérieurement dans notre débat, c’est parce que nous critiquons trop l’HADOPI pour lui confier des missions supplémentaires. Nous restons donc cohérents avec notre position dans le débat.

Cependant, M. Martin-Lalande, malgré ce qu’il nous a déclaré hier soir à cette tribune lors de la discussion générale, n’a peut-être pas la même prévention que nous. Il nous propose un amendement de cohérence. Je rappelle que j’ai présenté cet amendement à la commission mixte paritaire composée de quatorze députés et sénateurs saisis de la réforme de l’audiovisuel, qui s’est prononcée à sept voix pour et sept voix contre. Il aurait donc pu être adoptée si la règle n’exigeait pas qu’en cas d’égalité, l’adoption soit rejetée.

C’est un amendement de cohérence, qui vient après l’amendement de M. le rapporteur visant à confier à la Haute autorité une mission d’encouragement au développement de l’offre légale. Quoi de plus justifié, dès lors, que l’amendement de M. Martin-Lalande, tant le manque de fluidité dans la circulation des œuvres et le fait que certaines chaînes de télévision – que nous ne nommerons pas à cette heure tardive – puissent les bloquer sans les diffuser, incitent les internautes qui souhaitent y avoir accès à les chercher par le biais de moyens illégaux ?

L’amendement de M. Martin-Lalande permettra d’augmenter l’offre légale et, ce faisant, de réduire le téléchargement « illégal ». Ainsi, c’est un amendement imparable qu’il faut voter.

(L'amendement n° 222 n'est pas adopté.)

M. Jean-Pierre Brard. Tiens, la voix de l’Élysée vient d’arriver !

M. Christian Paul. Vous aviez pourtant accepté cet amendement en commission mixte paritaire, monsieur Lefebvre ; pourquoi voter contre aujourd’hui ?

M. le président. Je suis saisi d'un amendement rédactionnel de la commission, n° 34, auquel le Gouvernement est favorable.

La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Cet amendement, qui vient à l’alinéa 10, est l’occasion d’évoquer à nouveau la question de la labellisation, par l’HADOPI, des sites non commerciaux. Je tiens à attirer l’attention de M. le rapporteur et de Mme la rapporteure pour avis sur deux points concernant les critères de labellisation. De quoi parle-t-on au juste : s’agira-t-il de labelliser un site ou des œuvres ? Comment se feront les mises à jour ?

Certes, les sites commerciaux sont assez concentrés, mais les sites non commerciaux se comptent par centaines, voire par milliers ! L’HADOPI comportera-t-elle donc des magistrats ou des agents supplémentaires, et si oui, madame Marland-Militello, sont-ils prévus dans le budget de 6,7 millions d’euros péniblement redéployés du ministère de la culture aux frais du contribuable français ? Faudra-t-il en plus payer des fonctionnaires chargés de la labellisation des sites de musique non commerciaux qui, je le répète, se comptent par milliers et effectuent d’incessantes mises à jour ? C’est un véritable bataillon qu’il vous faudra pour cela ! Tous les internautes qui nous regardent, et que je salue, apprécieront cette farce extraordinaire !

Vous aurez certainement l’occasion ce soir, monsieur le rapporteur, de revenir sur la question de la labellisation des sites non commerciaux. Même si je ne peux emporter votre conviction sur l’ensemble du texte, convenez que, sur ce point au moins, vous commettez une erreur grossière ! Internet ne cesse de changer ; de nouveaux morceaux de musique y sont en permanence mis à la disposition du public sur des milliers de sites, y compris dans des conditions que vous – comme Mme la ministre – trouveriez « légales » ! Envisageriez-vous de labelliser certains sites et pas d’autres, au risque de provoquer une distorsion de concurrence ? Soyons clairs : ce label est impraticable. N’ajoutez donc pas un poids supplémentaire à cette loi que vous ne saurez déjà pas appliquer en l’état, comme la précédente – les vétérans du débat auquel elle avait donné lieu s’en souviennent. Je vous rappelle à la raison !

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. J’évoquerai d’abord la labellisation. Je reconnais, monsieur le rapporteur, que j’avais oublié l’alinéa 120, vous avez eu raison de le rappeler, car la labellisation est une question qui interpelle. Cela signifie-t-il que, dans les moteurs de recherche, les sites labellisés seront privilégiés ? Je regrette, monsieur le président, que nous n’ayons pas pu avoir ce débat, même si, en effet, il est décalé par rapport à l’ordre des alinéas. Cela aurait permis de clore la discussion à ce sujet. Quoi qu’il en soit, je préférerais être rassurée concernant les conséquences de ce label.

Mais je reviens à l’amendement n° 34. L’alinéa 10 indique que l’HADOPI s’occupe des mesures techniques de protection, ce qui prouve l’intérêt du débat précédent sur la suppression de ces mesures de protection ou sur l’interopérabilité. Avant la fin de la séance de cet après-midi, j’ai dit que je regrettais de ne pas pouvoir citer les propos tenus à ce sujet par le précédent ministre de la culture. J’ai retrouvé l’intervention s’y rapportant et je vais vous en lire quelques passages pour montrer qu’il y avait bien eu, parmi nos thèmes de discussion, le principe de l’interopérabilité des mesures de protection.

Je cite les propos du ministre de la culture et de la communication de l’époque, Renaud Donnedieu de Vabres, tenus le 14 mars 2006 : « Je voudrais d’autre part attirer votre attention sur le fait que les mesures techniques de protection ne sont pas qu’un dispositif de verrouillage sans aspect positif pour le consommateur. » Au moins, il reconnaissait que c’était un dispositif de verrouillage. « Elles rendent possible en effet une grande diversité de l’offre. » On a vu ce qu’il en a été…

M. Donnedieu de Vabres poursuit : « Je veux bien le redire haut et fort ce soir : [l’interopérabilité,] c’est la liberté d’utiliser le support de son choix, de choisir un logiciel libre ou propriétaire, et de faire en sorte que la lecture d’une œuvre légalement acquise soit possible sur tous les supports ». Voilà ce qu’il entendait par interopérabilité. Le débat avait bien abouti à ce que le ministre s’engage sur cette question.

Je continue à le citer : « Les créateurs de logiciels libres continuent à bénéficier de l’exception de décompilation qui est explicitement rappelée. Ils peuvent d’autre part s’appuyer sur les mesures garantissant l’interopérabilité pour développer des logiciels compatibles avec des œuvres protégées. Ce sont précisément les questions soulevées par les auteurs de logiciels libres qui nous ont conduits à ne pas sanctionner le contournement des mesures techniques à des fins d’interopérabilité. »

Ce principe avait donc été reconnu dans le débat sur la loi DADVSI par le ministre de l’époque. Je regrette que, trois ans après, nous en soyons toujours au même point, malgré la démonstration de l’inefficacité des DRM qui, contrairement à ce que pensait le ministre, n’ont pas entraîné une plus grande diversité de l’offre. On fait comme si rien ne s’était passé et l’on se contente de dire qu’il y a des accords pour ceux qui acceptent d’enlever les DRM. Faute de quoi, ils devront être surveillés, et ce sera la mission de régulation de l’HADOPI.

(L'amendement n° 34 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 165 et 177.

La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n° 165.

M. Lionel Tardy. Avant de défendre cet amendement, j’aimerais savoir si je peux espérer avoir, avant la fin du débat, une réponse sur le lien entre adresse IP et culpabilité, d’une part et, d’autre part, sur les moyens humains de l’HADOPI, que je ne retrouve pas dans le rapport, à la page 75.

Quant à l’amendement n° 165, il est défendu.

M. le président. L’amendement n° 177 est également défendu.

L’avis de la commission est favorable.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Favorable également.

J’apporterai toutefois une précision à l’intention de M. Tardy, qui a évoqué un jugement de Guingamp sur l’adresse IP. L’adresse IP est considérée comme un élément de preuve par la Cour de cassation, et ce de façon constante. Elle valide les procédures judiciaires conduites sur cette base, comme le montre le dernier arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 13 janvier 2009. Il s’agit d’un élément fort, même si le tribunal de Guingamp, à un moment, a pris une autre position, jugement qui, d’ailleurs, n’est pas définitif.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. Si M. Tardy lit le rapport que j’ai rédigé, il verra qu’il y est indiqué que l’HADOPI bénéficie d’un personnel de sept équivalents temps plein.

(Les amendements identiques nos 165 et 177 sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 405.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Lorsqu’on lit attentivement les alinéas qui concernent les missions confiées à la Haute autorité, c’est une liste à la Prévert qui ne peut que nous laisser interrogatifs ! Sur la mission de labellisation des offres commerciales et non commerciales, notre interrogation, qui reste entière, a été exposée avec une grande pertinence par Martine Billard et Christian Paul. Nous venons aussi de voir que la Haute autorité allait préparer notre travail. Certains, ici, en sont sans doute très heureux, ce qui n’est pas le cas des députés de l’opposition…

Quant à l’alinéa 12, dont nous proposons la suppression avec notre amendement n° 405, il nous interpelle fortement. Il précise en effet que la Haute autorité « contribue, à la demande du Premier ministre, à la préparation et à la définition de la position française dans les négociations internationales dans le domaine de la protection des droits de propriété littéraire et artistique sur les réseaux numériques. Elle peut participer, à la demande du Premier ministre, à la représentation française dans les organisations internationales et européennes compétentes en ce domaine. »

Avouez que confier cette mission supplémentaire à l’HADOPI n’a aucun sens ! J’ai eu l’honneur, en 1998, d’être pendant six mois parlementaire en mission auprès du Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, et je lui ai remis un rapport sur la présence internationale de la France et la francophonie dans la société de l’information.

M. Christian Paul. Excellent rapport !

M. Patrick Bloche. Je m’étais alors penché sur la question du développement, à l’extérieur de nos frontières et sur nos réseaux, d’une offre culturelle à l’international et d’une offre culturelle francophone. Abordant la problématique du droit d’auteur, j’avais pointé la complexité du problème, qui donnait traditionnellement lieu à polémique – nous le constatons encore aujourd’hui. C’est pourquoi, dans le rapport que j’avais remis au Premier ministre fin 1998, je suggérais la création d’une instance à laquelle il a été donné vie en 2001 : le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Le CSPLA, assisté d’un conseil scientifique composé de juristes et de représentants des professionnels du secteur, bénéficie d’une expertise reconnue. Pourquoi ne pas confier simplement cette mission au CSPLA plutôt qu’à l’HADOPI, dont on a pu constater, grâce aux demandes répétées de M. Tardy, qu’elle a beaucoup de choses à faire – même si ce ne sont pas toujours de bonnes choses ?

Nous demandons donc la suppression de l’alinéa 12, qui n’a pas grand sens.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement. Mais, à titre personnel, j’émets un avis favorable.

M. Lionel Tardy. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Ce rôle de conseil est une attribution que l’on trouve assez fréquemment pour les autorités indépendantes : sagesse.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. C’est le début de la sagesse, mais ce n’est pas une position de principe. Quelle légitimité a l’HADOPI pour participer à la représentation française dans les organisations internationales ? Aucune ! La légitimité du suffrage universel ? Absolument pas ! Le fait d’avoir été nommé un jour sans que l’on connaisse vraiment les critères de la nomination ? Certainement pas !

Je vais raisonner par analogie. Il y a une délégation française aux droits de l’homme auprès de l’OCDE, avec deux personnages censés représenter la France. Récemment, il y a eu un débat sur les organisations sectaires. Alors que, sur ce sujet, le gouvernement français a une position très claire, l’un des deux représentants de la France a mis la France en cause pour sa politique dans ce domaine.

Voilà ce qui arrive quand vous laissez représenter la France par des gens qui n’ont aucune légitimité pour le faire ! Le fait d’être nommé par décision discrétionnaire du prince ne suffit pas à conférer la légitimité. Ce n’est pas la démocratie, c’est le retour à l’Ancien régime !

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Je suis, moi aussi, d’accord avec l’amendement de M. Bloche. Je pense que l’alinéa 12 n’a pas lieu d’être.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien ! Pour vous aussi, c’est le début de la sagesse !

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Je ferai deux observations à propos de cet amendement.

Premièrement, l’alinéa 12 nous semble tout à fait inutile. M. Riester, parfois moins inspiré, a noté dans son rapport que cette mission devrait revenir plus naturellement, en partie au moins, au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Cela fonde sans doute son avis favorable à l’amendement.

Deuxièmement, Patrick Bloche – et il avait également raison – voyait une partie de cette mission dévolue au Conseil de la création artistique, qui est, on le sait aujourd’hui, le véritable ministère de la culture.

Ce sont deux bonnes raisons pour adopter cet amendement.

Sans tomber dans l’obsession, je voudrais revenir un instant, monsieur le rapporteur, au problème de la labellisation. Dans l’économie de marché, que vous défendez tous les jours, seul le pouvoir judiciaire est, selon nous, apte à se prononcer sur le caractère légal ou non des offres. Une autorité administrative ne peut pas se voir conférer ce rôle de façon aussi discriminante. Elle peut sans doute avoir à évoquer la légalité des œuvres, mais il est beaucoup plus compliqué de traiter de la légalité d’un site.

Qu’en sera-t-il également de tous les sites qui sont à l’extérieur de notre pays, auxquels les internautes ont accès et qui ne pourront pas être labellisés par l’HADOPI ? Il y a un immense problème matériel pour la labellisation des sites non commerciaux, mais il y a aussi un problème juridique essentiel pour la labellisation des sites commerciaux par une autorité administrative. Enfin, quid des sites extérieurs ? Ce n’est plus de l’exception culturelle, madame la ministre, c’est du protectionnisme à l’état pur ! Je me demande si cela passera à Bruxelles, d’ailleurs, même sans le traité constitutionnel ! Il s’agit en l’espèce d’une concurrence très faussée. Vous aurez à en rendre compte à chaque étape, et sans doute au-delà de cet hémicycle.

(L'amendement n° 405 est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'amendement n° 35 tombe.

La suite de la discussion est renvoyée à une séance ultérieure.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi dix-sept mars à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère, débat et vote.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures trente.)