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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 5 mai 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Vautrin

. Protection de la création sur Internet

Article 2 (suite)

Amendements nos 139, 45, 87

Rappel au règlement

M. Jean-Pierre Brard

Article 2 (suite)

Amendements nos 1, 44, 152

M. Patrick Bloche

Amendements nos 88, 2, 91, 140

M. Lionel Tardy

Rappel au règlement

M. Patrick Bloche

Rappel au règlement

M. François Brottes

Article 2 (suite)

Amendements nos 46, 90, 47, 183, 141, 92, 142, 48, 143, 49, 95, 94, 50, 144

Mme Christine Albanel, ministre de la culture

Mme Christine Albanel, ministre de la culture

Amendements nos 100, 184, 3

Mme Christine Albanel, ministre de la culture

Mme Christine Albanel, ministre de la culture

Amendements nos 4, 102, 5, 97, 145, 6, 72, 7, 123

Mme Christine Albanel, ministre de la culture

Amendements nos 186, 185, 195, 73

M. Patrick Bloche

Amendements nos 98, 74, 207, 8, 101, 9, 126, 198

Mme Sandrine Mazetier

M. Jean Dionis du Séjour

Amendements nos 99, 124, 212, 146, 148

Mme Christine Albanel, ministre de la culture

Amendements nos 10, 11 rectifié, 103, 149, 24

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Protection de la création sur Internet

Suite de la discussion, en nouvelle lecture, d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (n° 1626).

Article 2 (suite)

Mme la présidente. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’amendement n° 139 à l’article 2.

La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir cet amendement.

M. Lionel Tardy. Madame la ministre de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, selon l’article 40 du code de procédure pénale, tous les fonctionnaires et autorités publiques sont tenus de dénoncer à la justice les crimes et délits dont ils auraient connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Il me semble important de préciser dans le projet de loi que ses dispositions s’appliquent à la HADOPI en tant qu’autorité publique, même si cela peut paraître évident à certains.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.

M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Avis défavorable. L’article 40 du code de procédure pénale s’appliquera à la HADOPI et il serait redondant d’en répéter les termes dans le projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, pour donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Avis défavorable.

M. Lionel Tardy. Je retire cet amendement, madame la présidente.

M. Jean-Pierre Brard. Je le reprends !

Mme la présidente. La parole est donc à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je ne sais d’où M. le rapporteur tirent ses affirmations, toujours est-il qu’il ne m’a guère convaincu. Voyez-vous, je fais davantage confiance à M. Tardy, dont la vigueur ne se dément pas, qu’à M. Riester.

Quand bien même cet ajout serait redondant, ne vaut-il pas mieux se répéter que se contredire ? On ne se montrera jamais trop prudent avec la HADOPI, cette structure d’exception, qui tient à la fois de l’ovni et de l’ectoplasme. Et la disposition proposée par M. Tardy est de nature à nous rassurer : elle réaffirme le rôle éminent de la justice par rapport à cette autorité administrative.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Je remercie Jean-Pierre Brard d’avoir repris cet amendement ô combien pertinent.

Il faut bien voir que, depuis le début de nos débats, une confusion sémantique est savamment entretenue. Elle vise à stigmatiser les 30 millions d’internautes de notre pays, notamment les 18 à 19 millions d’abonnés au haut débit, en les qualifiant de « pirates » ou de « pilleurs ». Or un pirate ou un pilleur est une personne qui tire profit soit d’un échange de fichiers, soit d’un téléchargement non légal, délits renvoyant à la contrefaçon.

À cet égard, cet amendement permet de repréciser les enjeux de la loi. Pour sanctionner les contrefacteurs, vous trouverez la gauche à vos côtés afin que les échanges lucratifs fassent l’objet de sanctions pénales. Mais elle ne peut adhérer au choix que vous avez fait de sanctionner massivement les internautes – 30 000 mails d’avertissement, 3 000 lettres de recommandation, 1 000 suspensions par jour –, car il repose sur une tout autre logique. En cohérence avec les positions que nous avons défendues depuis le début de cette discussion, nous plaidons pour qu’une distinction soit clairement établie entre les internautes qui s’inscrivent dans une logique de partage à but non lucratif et les internautes qui tirent profit de l’échange de fichiers, autrement dit les contrefacteurs, qui, eux, méritent sanction.

Il ne faut pas perdre de vue que les représentants des ayants droit vont avoir des pouvoirs exorbitants. Dès lors qu’ils auront relevé un acte de téléchargement dit illégal, ils auront le choix soit de saisir le juge, pour contrefaçon, afin que l’internaute soit sanctionné pénalement, soit de saisir la HADOPI, en vue d’une sanction administrative pouvant aller jusqu’à la coupure de l’accès à Internet. Votre dispositif est ainsi marqué par une fragilité juridique que nous avons soulignée à plusieurs reprises : du fait du rôle exorbitant donné aux représentants des ayants droit, l’internaute sera passible, de manière aléatoire, soit de sanctions pénales relevant du juge, soit de sanctions administratives relevant de la HADOPI.

L’amendement de notre collègue Tardy est pleinement justifié. Il appartient à la HADOPI de saisir le procureur de la République de tout acte de contrefaçon, car il s’agit d’un délit.

(L’amendement n° 139 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 45 et 87.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 45.

M. Jean-Pierre Brard. Je vois que nos collègues de la majorité sont pleins d’énergie quand il s’agit de lever le doigt pour voter, car, comme chacun le sait, ils n’ont pas le droit de s’exprimer. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Deflesselles. Ce n’est pas le cas de tout le monde !

M. Jean-Pierre Brard. Et quand je dis « s’exprimer », ce n’est pas, madame la présidente, émettre des onomatopées mais formuler des phrases claires et intelligibles, avec des mots choisis ayant du sens. N’est-ce pas, monsieur Deflesselles ?

Mme la présidente. Veuillez présenter l’amendement, monsieur Brard.

M. Jean-Piere Brard. Je me contentais de commenter les réactions un peu bruyantes de nos collègues, madame la présidente.

M. Philippe Gosselin. Des réactions amusées !

M. Jean-Pierre Brard. Cet amendement a pour but d’éviter l’instauration d’une double peine, proscrite par le droit européen. Il n’est pas à exclure qu’une personne autre qu’un ayant droit, estimant ses intérêts lésés, saisisse la juridiction et que celle-ci se déclare compétente avant même que la HADOPI ne soit saisie. Or votre dispositif ne peut éviter qu’un ayant droit saisisse la HADOPI, alors même qu’une décision de justice a déjà été prise.

Notre amendement vise à instaurer la protection à laquelle tout citoyen a droit, en vue de lui épargner le risque d’une double sanction portant sur les mêmes faits.

Monsieur le rapporteur, vous ne pourrez trouver d’arguments qui tiennent la route sur le plan juridique contre cette proposition subtile, soucieuse de mieux protéger les libertés individuelles.

M. Dominique Dord. Mais quelle prétention !

M. Jean-Pierre Brard. Mon cher collègue, pour votre part, vous ne pouvez prétendre à rien puisque vous n’avez pas déposé d’amendement.

Mme la présidente. Monsieur Bloche, peut-on considérer que la défense de M. Brard vaut pour votre amendement n° 87 ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Bloche. Madame la présidente, il existe encore deux groupes distincts dans l’opposition, le groupe SRC et le groupe GDR, et même si nous convergeons dans un même rejet de ce texte, vous me permettrez de soutenir cet amendement n° 87, qui est essentiel à nos yeux.

L’exposé des motifs du projet de loi, qui justifie la démarche dissuasive et pédagogique dont on nous a fait la réclame pendant plusieurs dizaines d’heures, indique que la HADOPI « a vocation en pratique à se substituer aux poursuites pénales actuellement encourues par les internautes qui portent atteinte aux droits des créateurs ». Nous estimons pour notre part que la HADOPI n’a pas à connaître des faits pour lesquels la juridiction judiciaire a été antérieurement saisie. Nous nous situons dans une démarche assez simple à comprendre visant à ce qu’il n’y ait pas de cumul entre sanction pénale et sanction administrative, cumul que nous avons significativement dénommé « double peine ». On pourrait même parler de « triple peine » car cette nouvelle lecture a été l’occasion d’instaurer – originalité funeste – une sanction financière : au mépris de toutes les règles du droit de la consommation, l’internaute dont la connexion aura été coupée sera contraint de continuer à payer son abonnement.

Ajoutons que la CNIL a conclu qu’elle n’était « pas en mesure de s’assurer de la proportionnalité d’un tel dispositif dans la mesure où il laissera aux seules sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur et organismes de défense professionnelle le choix de la politique répressive à appliquer, sur la base d’un fondement juridique dont les contours sont mal définis ». On se rend compte ici de l’inconvénient qui découle de l’absence d’évaluation de la loi DADVSI, qui n’a jamais été appliquée, et de votre refus d’en abroger les dispositions. Si vous n’aviez pas agi de la sorte, on aurait pu mettre de côté les sanctions pénales qui menacent désormais chaque internaute se livrant à des échanges de fichiers sans but lucratif.

Il importe également de rappeler la position de la Commission européenne, qui, dans le cadre de la procédure de la notification, a souligné le risque que « deux actions, l’une administrative, l’autre pénale, [soient] introduites en parallèle », « le cumul de moyens de mise en œuvre [pouvant] donner lieu à plusieurs décisions différentes pour un même fait. »

De ce fait, l’amendement vise à éviter la double peine et à ne pas laisser au représentant des ayants droit le pouvoir exorbitant de choisir soit la saisine du juge pour contrefaçon, soit la saisine de la HADOPI pour manquement à l’obligation de surveillance de sa connexion à Internet.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. La commission est défavorable à ces amendements.

Les fondements juridiques de la démarche pénale et de la démarche administrative que nous vous présentons à travers le présent projet de loi sont différents.

La procédure pénale, qui repose sur le délit de contrefaçon, est maintenue dans notre droit puisqu’il est nécessaire d’avoir une réponse pénale à des délits de contrefaçon importants d’internautes qui téléchargent pour en faire un commerce illicite. Mais il fallait aussi une réponse adaptée dont nous ne disposions pas jusqu’à présent. C’est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit une procédure administrative reposant sur le défaut de surveillance de l’accès à Internet.

La probabilité pour que l’internaute, qui commet un délit de contrefaçon, soit aussi le titulaire de l’accès à Internet ayant fait l’objet d’un défaut de surveillance est très faible. La probabilité d’une double peine est donc également très faible.

Par ailleurs, les ayants droit auront l’initiative de porter tel ou tel acte de téléchargement illégal vers une procédure pénale ou une procédure administrative. Ils nous ont très clairement indiqué qu’ils se tourneraient majoritairement vers la procédure administrative que nous proposons parce que le téléchargement illégal est le plus souvent « ordinaire », c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de contrefaçon à grande échelle.

En outre, si le parquet se retrouve avec un dossier relevant plutôt du ressort administratif, il pourra le réorienter vers la procédure administrative et classer l’affaire pénale.

Enfin, si la HADOPI s’aperçoit qu’il y a manifestement un délit de contrefaçon et un commerce illicite vraiment manifeste, elle pourra transférer le dossier au juge pénal – c’est l’article 40 du code de procédure pénale dont on vient de parler.

Il n’y a donc pas de risque de double peine : soit le parquet classera l’affaire s’il estime qu’il ne s’agit pas du tout d’un délit pénal, soit il le transférera à la HADOPI s’il considère qu’une procédure administrative est nécessaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Avis défavorable également. Le rapporteur vient de donner toutes les explications nécessaires.

Je veux simplement insister sur la très forte improbabilité qu’il y aurait à ce que des sociétés d’auteurs suivent des œuvres, constatent le piratage, tombent sur des adresses IP, saisissent le juge et, pour le même fait, saisissent en même temps la HADOPI. Notre projet de loi vise, au contraire, à donner une réponse plus adaptée à des faits de téléchargement banals.

J’ajoute qu’il serait inconstitutionnel d’interdire le droit au juge. Chacun, en effet, a droit à avoir recours au juge en cas d’infraction, de manquement ou de délit.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je suis toujours stupéfaite par les réponses que nous donnent Mme la ministre et M. le rapporteur.

On nous explique que le téléchargement illégal est en grande majorité du téléchargement « ordinaire » et que l’on se contentera de porter les infractions devant la HADOPI, Mme la ministre évoquant, pour sa part, une « très forte improbabilité ». Mais comment sommes-nous en train d’écrire la loi ? On fait confiance aux représentants des ayants droit nous dit-on, on espère qu’ils feront au mieux et qu’ils choisiront judicieusement la procédure qui doit être privilégiée. Et on nous explique que l’improbabilité est tellement forte, que ce n’est pas grave de faire figurer ainsi les choses dans la loi. Mais il est stupéfiant que des législateurs réagissent de la sorte!

Même si la probabilité n’est pas énorme, elle existe cependant. Lorsqu’on aura en effet affaire à une personne qui télécharge beaucoup pour elle-même, on aura la tentation à la fois d’obtenir très rapidement une coupure Internet et d’aller devant le juge pour obtenir réparation par décision de justice en lui faisant payer une amende.

Madame la ministre, vous n’avez pas tiré un bilan de la loi DADVSI, vous n’avez pas abrogé ses dispositions obsolètes. La HADOPI doit être saisie quand des internautes se livrent à des téléchargements illicites à usage personnel et la contrefaçon doit être réprimée pour ceux qui font commerce de téléchargements illicites. Voilà la faille de votre projet de loi que vous maintenez au nom d’une très forte improbabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Bien entendu, je partage les propos de Mme Billard.

Madame la ministre, j’essaie d’entrer dans votre logique.

M. Jean-Pierre Brard. S’il y en a une !

M. Patrick Bloche. Il faut toujours se mettre à la place des autres, monsieur Brard !

Vous nous avez longtemps présenté votre projet de loi comme étant dissuasif et pédagogique.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Oui, il l’est !

M. Patrick Bloche. Vous le dites moins maintenant, sans doute parce que nous avons montré que la HADOPI était avant tout un dispositif répressif disproportionné. L’exposé des motifs de ce texte précise que la riposte graduée via la HADOPI a vocation, en pratique, à se substituer aux poursuites pénales actuellement encourues par les internautes qui portent atteinte aux droits des créateurs. C’est la raison même de notre amendement que de décliner cet exposé des motifs.

Votre logique selon laquelle il y aura soit une sanction administrative, soit une sanction pénale et pas de double peine fera de toute façon peser sur l’internaute une incertitude, un aléa évident. En cas d’échange non lucratif de fichiers, l’internaute pourra se retrouver soit devant le juge, soit devant la HADOPI. Vous violez ainsi un principe essentiel, de valeur constitutionnelle, celui de l’égalité des citoyens devant la loi. C’est ce type d’incertitude que nous voulons lever. Dès lors que vous refusez d’abroger les dispositions de la loi DADVSI, vous rompez le principe d’égalité des citoyens devant la loi. En effet, pour des mêmes faits, les internautes pourront se retrouver, soit sanctionnés de manière administrative par la HADOPI, soit de manière judiciaire par les autorités compétentes.

(Les amendements identiques nos 45 et 87 ne sont pas adoptés.)

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Mon rappel est fondé sur l’article 58, alinéa 1, de notre règlement.

Personne ne peut contester la compétence juridique de M. Warsmann...

M. Philippe Gosselin. En effet !

M. Jean-Pierre Brard. ...qui ne me dément point.

Madame la présidente, nous devons avoir un débat de bonne foi. Or la mauvaise foi du rapporteur, confortée par Mme la ministre, est abyssale.

M. Bernard Deflesselles. En la matière, vous êtes un expert !

M. Jean-Pierre Brard. En effet, nous avons proposé de protéger, mais on nous répond que de tels cas sont très improbables. Prenons l’exemple d’une femme qui est battue par son mari et qui dépose plainte. Imaginez que le juge lui dise : je ne me saisis pas de votre plainte ; allez voir la déléguée départementale pour le droit des femmes qui va traiter votre affaire. Voilà ce que vous faites en excluant la possibilité de la double peine. Monsieur le rapporteur, vous êtes incroyable !

M. Éric Straumann. C’est vous qui êtes incroyable !

Un député du groupe UMP. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’avez pas d’argument, ce sont les lobbies qui s’expriment à travers vous.

S’agissant de Frédéric Lefebvre, un de nos collègues a dit qu’il avait tout compris et l’avait très bien exprimé. Le même indique également que l’extraordinaire mauvaise foi des opposants à la HADOPI l’insupporte et qu’il est très présent pour le travail en commission. Quel est ce farceur qui ne dit pas la vérité ?

Mme la présidente. Monsieur Brard, votre rappel au règlement ne porte pas sur le déroulement des débats.

M. Jean-Pierre Brard. C’est le même qui a dit : M. Brard mélange tout (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et la HADOPI ne vise pas à interdire le muguet.

Et qui est ce député farceur qui prétend être beaucoup en commission alors qu’il n’y est allé qu’une fois depuis le début de la législature ?

Mme la présidente. Monsieur Brard, les faits personnels sont évoqués en fin de séance !

M. Jean-Pierre Brard. C’est Jack Lang !

M. Yves Nicolin. C’est du baratin !

Article 2 (suite)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 1, 44 et 152, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 44 et152 sont identiques.

L’amendement n° 1 n’est pas défendu.

La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 44.

Mme Martine Billard. L’amendement n° 44 vise à rétablir une disposition votée par l’Assemblée nationale en première lecture proposant d’amnistier les contraventions lorsqu’elles ont été commises avant l’entrée en vigueur de la présente loi et de limiter cette amnistie aux seuls utilisateurs de logiciels permettant le téléchargement et non à ceux ayant participé à leur conception. Elle ne sera pas appliquée non plus à ceux qui se livrent à un usage commercial.

A l’alinéa 77, il est prévu que la commission de protection des droits ne peut être saisie de faits remontant à plus de six mois. Dès lors, pour engager une procédure à propos de faits antérieurs à six mois, les ayants droit peuvent être tentés de recourir à la loi sur la contrefaçon. Ce serait en contradiction avec l’esprit du projet en général. C’est pourquoi nous proposons, par l’amendement n° 59, que tous ceux qui ont fait commerce de ce qu’ils se sont procuré par un téléchargement abusif restent passibles de la loi sur la contrefaçon, donc de peines allant jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende, mais que tous ceux qui n’ont procédé qu’à un téléchargement à usage individuel relèvent de la loi HADOPI, avec aplication du délai de six mois, et cela, en amnistiant les faits qui ont eu lieu avant l’adoption de cette loi, pour repartir à zéro.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Paul pour défendre l’amendement n° 152.

M. Christian Paul. Au préalable, je souhaiterais savoir si l’amendement n° 1 est soumis à discussion commune.

Mme la présidente. Non, j’ai indiqué qu’il n’était pas défendu.

M. Christian Paul. Cet amendement allant dans le même sens que les nôtres, celui de l’amnistie, avait été déposé par des députés de l’UMP, MM. Suguenot, Le Fur, Lezeau et Remiller. Je voulais le rappeler, pour la simple clarté de nos travaux, bien entendu.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et alors ?

Mme la présidente. Veuillez défendre l’amendement n° 152.

M. Christian Paul. Il n’est pas si fréquent que des amendements provenant des deux groupes de l’opposition et de la majorité convergent. Cela devrait éveiller votre intérêt, à défaut de vous convaincre.

Il s’agit au fond d’un amendement de cohérence : il prévoit l’amnistie pour ceux qui ont effectué un téléchargement sous le régime des lois précédentes. En effet, toute l’argumentation de Mme Albanel repose sur l’idée que la loi DADVSI n’était pas un bon instrument pour prévenir le téléchargement que la ministre considère comme illégal…

M. Bernard Gérard. Vous êtes pour le piratage, nous pas !

M. Christian Paul. …et qu’une nouvelle loi qui, elle aurait toutes les vertus, était donc nécessaire. Il ne s’agit pas ici, je vous en donne acte, de la contrefaçon massive à partir de téléchargements qui constituent de véritables pillages ; je pense par exemple au commerce clandestin de CD et de DVD d’œuvres culturelles : cette activité tombe sous le coup de lois pénales. Ce dont nous parlons ici, c’est du téléchargement à des fins non marchandes. La ministre nous dit que l’on va voter une nouvelle loi et que la précédente ne s’appliquera plus. Pourtant, elle allait beaucoup plus loin dans les sanctions et avant cela, il existait des lois pénales qui prévoyaient comme sanctions des amendes de plusieurs centaines de milliers d’euros d’amendes et des peines d’emprisonnement. Certes, depuis longtemps les juges ne vous suivaient pas dans l’escalade répressive. Ils avaient mieux à faire et d’autres crimes et délits à poursuivre. Néanmoins, il y a eu des condamnations graves, jusqu’à plusieurs dizaines de milliers, d’euros. C’est dans ces cas-là d’échanges non marchands et non de contrefaçon lucrative…

M. Éric Straumann. Tous les échanges sont marchands.

M. Christian Paul. …que nous demandons l’amnistie. C’était bien dans cet esprit que des parlementaires de tous les groupes avaient déposé des amendements, et qu’un de ces amendements avait été adopté par l’assemblée, avant d’être, trop rapidement sans doute, abandonné en CMP. Nous en appelons donc de nouveau à la réflexion de nos collègues. Adopter cet amendement, c’est faire preuve de cohérence. Vous voulez adopter la loi HADOPI ; celle-ci prévoit des sanctions que nous combattons par ailleurs mais plus de peines d’emprisonnement ou d’amende très lourdes. Or il y a eu des cas, peu nombreux mais bien réels, d’internautes qui ont été condamnés auparavant. Soyez donc cohérents avec ce que vous voulez voter. Sans doute ma démonstration est-elle un peu pédagogique… (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Dord. Un peu longue surtout !

M. Christian Paul. …mais je crois faire appel à la justice la plus élémentaire et au bon sens du législateur.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Nous souhaitons que ce projet soit adopté et que le dispositif de riposte graduelle soit rapidement mis en œuvre car, pour l’instant, nous ne disposons pas de réponse adaptée pour lutter contre le téléchargement illégal ordinaire. Les statistiques de la justice le montrent, celui-ci n’est absolument pas sanctionné aujourd’hui. En effet, la réponse pénale n’étant pas adaptée, les tribunaux ne sanctionnent pas ces faits ordinaires.

M. Christian Paul. Il y a eu des condamnations.

M. Franck Riester, rapporteur. De ce fait, l’amnistie que vous proposez n’a aucune raison d’être.

D’autre part, vous opérez une confusion entre une procédure pénale dont le fondement est le délit de contrefaçon et une procédure administrative reposant sur le défaut de surveillance de son accès internet. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Effectivement, pour l’instant les actions judiciaires engagées visent exclusivement les responsables de mise à disposition de fichiers sur une grande échelle et pas du tout les pirates ordinaires. Je ne vois donc aucune raison de décider d’une amnistie pour des gens qui sont des pirates endurcis.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Je ferai à mon tour un peu de pédagogie, puisqu’il en est beaucoup question ce soir. Je regrette d’ailleurs que M. Brard ne soit pas là…

M. Dominique Dord. et M. Yves Nicolin. Nous, nous ne le regrettons pas !

M. Philippe Gosselin. Mais je ferai un instant le professeur Brard.

Mme Billard comme M. Bloche tentent de nous faire croire que c’est la notion de commerce qui détermine la nature frauduleuse ou pas du téléchargement. Cela n’a rien à voir. Prenons simplement le Petit Robert. Pour piratage je lis, « n.m. vers 1979. fait de pirater », avec comme exemple « le piratage des disques, des logiciels » et pour piraterie, entre autres, « copie frauduleuse de disques, de films etc ».

Mme Martine Billard. Pour le coup, cela n’a rien à voir !

M. Philippe Gosselin. Mais si : la notion de commerce n’apparaît pas, et le simple fait de télécharger illégalement est bien du piratage. Nous avons donc une fusée à deux étages : l’action en contrefaçon, qui est très lourde, trop sans doute pour les cas ordinaires ; et pour ces derniers, l’intervention de la HADOPI. C’était un petit rappel pédagogique.

Mme la présidente. Sur le vote des amendements nos 44 et 152, je suis saisie par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Je voudrais rappeler à tous ceux qui n’étaient pas là lors de la discussion en première lecture…

M. Patrick Roy. Et il y en avait !

M. Christian Vanneste. …que le vote en faveur de l’amendement présenté par notre collègue Suguenot, identique à ceux dont nous débattons, a été massif dans les rangs de la majorité. Il y a eu ensuite une double démission : démission, d’abord, de l’Assemblée nationale devant le Sénat, car manifestement, en CMP, on a durci le texte ; démission, ensuite, par rapport à l’esprit du texte qui nous est proposé. Il vise en effet essentiellement à remédier à la situation créée par l’annulation par le Conseil constitutionnel de la riposte graduée inscrite dans la loi DADVSI. De ce fait, c’est la loi sur la contrefaçon qui s’applique. Il est donc tout à fait logique de vouloir amnistier ceux qui sont poursuivis au nom de la loi DADVSI pour des délits tels que ceux que vise le projet de loi HADOPI. Ce n’est pas la peine, objecte-t-on : les tribunaux ne poursuivront pas pour de tels faits. Mais est-ce aux tribunaux d’en décider ? Non, c’est au législateur de dire dans quelle mesure la loi doit s’appliquer.

En second lieu, depuis le début de cette discussion, la raideur dont font preuve le ministère et le rapporteur nous empêche de voter un texte intelligent. Pensez bien au fait que la majorité a voté cet amendement en première lecture. C’est trahir l’esprit dans lequel elle l’a fait que de revenir sur ce vote.

M. Didier Mathus. Absolument.

M. Christian Vanneste. C’est se soumettre à la volonté du Sénat et au choix d’une rigueur manifestement excessive. Dans tout débat, il faut aller vers l’autre partie pour aboutir à une solution raisonnable, d’autant que la question n’est pas idéologique.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Cet amendement a en effet une logique et une histoire. Nous demandons simplement à l’Assemblée nationale de maintenir la cohérence entre son vote en première lecture et son vote d’aujourd’hui. Sans la censure du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006, nous ne serions pas dans cette situation où les sanctions applicables – 300 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement – sont tellement disproportionnées que nul ne cherche à y faire condamner un internaute, ce qui annule tout effet dissuasif. D’ailleurs, l’exposé des motifs du projet et le rapport de M. Riester disent clairement que c’est en raison de la censure du Conseil constitutionnel, d’où découle la non-application de la loi DADVSI, qu’il faut voter cette nouvelle loi. De plus, la jurisprudence est contradictoire, ce qui accroît l’incertitude.

C’est bien pourquoi, en première lecture, une majorité d’idées s’est dégagée, à l’initiative de M. Suguenot, pour voter en faveur d’une amnistie pour les internautes dans les cas que vise le projet HADOPI. L’amnistie a été votée à une forte majorité. Puis en CMP, à la demande des sénateurs, on a voulu durcir le texte, sur ce point et sur le paiement de l’abonnement par l’internaute après sa suspension.

Pour me souvenir fort bien de certaines interventions que j’ai entendues le 9 avril au matin, notamment de celles de M. Le Fur et de M. Dionis du Séjour, je pense que le durcissement intervenu en CMP n’a pas été pour rien dans le vote émis ce jour-là dans l’hémicycle.

En adoptant cet amendement sur lequel nous nous sommes retrouvés en première lecture, l’Assemblée nationale manifesterait sa volonté de rester en cohérence avec elle-même, après avoir fait table rase de certaines scories.

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur les amendements identiques nos 44 et 152.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 169

Nombre de suffrages exprimés 169

Majorité absolue 85

(Les amendements nos 44 et 152 ne sont pas adoptés.)

M. Christian Vanneste. Encore un vote de députés godillots !

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 88.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. C’est pour nous une nouvelle cause de perturbation que l’Assemblée en vienne à se renier ainsi à l’occasion de cette nouvelle lecture !

M. Yves Nicolin. On a compris !

M. Philippe Gosselin. Il ne peut pas s’agit d’un reniement puisqu’il s’agit d’une nouvelle lecture !

Mme la présidente. Poursuivez, monsieur Bloche.

M. Patrick Bloche. Au reste, ce vote entre en cohérence avec les termes de la lettre que M. Copé a adressée aux députés de son groupe à l’issue du vote du 9 avril : « Qu’importe le contenu du texte, qu’importe le fond, qu’importe ce que vous pouvez penser,…

M. Christian Paul. Qu’importe le droit !

M. Patrick Bloche. …l’essentiel est d’en finir ! » Voilà pourquoi il faut expédier cette nouvelle lecture. Que l’Assemblée se renie importe à peine à ses yeux. Une seule chose compte : faire plaisir à celui qui s’est engagé personnellement sur ce texte à l’occasion des accords de l’Élysée, c’est-à-dire Nicolas Sarkozy. (« Et les artistes ? » sur les bancs du groupe UMP.) Avions-nous besoin d’une nouvelle preuve du fait que nous légiférons sous pression élyséenne ?

Seulement, nous n’en avons pas encore fini, j’en suis désolé pour vous, chers collègues. En effet, par l’amendement n° 88, nous vous proposons d’insérer à l’article 2, après l’alinéa 78, l’alinéa suivant : « Les faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 » – il s’agit en l’espèce d’un manquement à l’obligation de surveillance de la connexion à Internet, puisque c’est ce délit qui est sanctionné, et non le téléchargement illégal – « doivent être graves, précis et concordants et démontrer l’intention fautive de l’abonné ou de la personne concernée par la recommandation. »

Nous estimons que le minimum que l’on puisse demander à la procédure administrative confiée à la HADOPI est de garantir à l’internaute les mêmes protections qu’une procédure judiciaire. Ce n’est pas le cas aux termes de la rédaction actuelle, qui fait peser sur l’internaute une présomption de responsabilité offrant toute l’apparence d’une présomption de culpabilité.

L’amendement vise donc, en renforçant les garanties apportées aux abonnés susceptibles de recevoir des recommandations, à éviter que l’on transforme tout internaute en suspect.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement est inapproprié. Vous l’avez dit vous-même, monsieur Bloche : ce n’est pas la faute de l’internaute, qui est sanctionnée, mais le défaut de surveillance de l’accès à Internet.

M. Jean-Louis Gagnaire. Oui !

M. Franck Riester, rapporteur. L’intention fautive, elle, relève de l’action en contrefaçon. Tel qu’il est rédigé, votre amendement priverait de portée effective tout le mécanisme de sanction que nous mettons en place par le biais de la réponse graduée.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Monsieur Bloche, il est facile de tout expliquer en invoquant le mythe d’un Parlement sous influence.

M. Jean-Louis Gagnaire. Vous en êtes la démonstration même !

M. Philippe Gosselin. Mais les votes obéissent à une logique, tout comme le texte élaboré par la commission mixte paritaire, qui repose sur un équilibre. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Roy. Celui de l’arrogance !

M. Philippe Gosselin. Je rappelle au passage que le groupe SRC s’est abstenu lors du vote au Sénat. Une fois encore, la schizophrénie du parti socialiste m’effraie.

À la logique de la CMP,…

M. Jean-Paul Bacquet. Une logique de godillots !

M. Patrick Roy. Une logique de soumission !

M. Philippe Gosselin. …répond, ne vous déplaise, celle des accords de l’Élysée, qui ne sont pas si vieux, puisqu’ils remontent à octobre 2007.

Nous nous sommes donc appuyés sur des éléments concrets, pratiques et tangibles. Je rappelle enfin le soutien fort du monde de la culture,…

M. Jean-Louis Gagnaire. C’est faux !

Mme la présidente. Laissez M. Gosselin s’exprimer !

M. Philippe Gosselin. …qui, là encore, a de quoi vous déplaire. Ce monde s’éloigne de plus en plus de la gauche. Je comprends bien qu’elle se montre un peu fébrile : on le serait à moins !

M. Jean-Louis Gagnaire. Allons donc ! Ils vous ont fait des promesses de fin de banquet !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pour ma part, loin d’invoquer les mânes de la culture, je me contenterai de tenter de contribuer à l’élaboration de la loi.

L’amendement n° 88 reprend la formule dont on se sert pour définir les éléments constitutifs d’un délit, parmi lesquels figure l’intention de se placer en situation d’irrégularité. Celle-ci devrait caractériser le manquement de l’internaute.

Or le rapporteur vient de nous expliquer que l’intention de commettre une faute n’est pas nécessaire pour caractériser l’infraction. De ce fait, nous sommes dans la même situation que lorsque l’on dresse une contravention à un chauffeur qui s’est garé sous un panneau d’interdiction de stationner : la situation de fait suffit à caractériser l’infraction.

Mais qu’arrivera-t-il quand quelqu’un contestera devant une juridiction la sanction prononcée par la HADOPI ? À plusieurs reprises, j’ai indiqué que les recours poseront problème. Comment une juridiction administrative ou judiciaire – ce point non plus n’a pas été éclairci – caractérisera-t-elle l’infraction de l’internaute ? Par le seul fait de la connexion ou par l’intention de frauder ? Je crois qu’on ne peut éluder ce débat, même si l’on ne peut régler le problème qu’en revenant au texte initial, comme le propose notre amendement.

Répétons-le : cette loi donnera lieu à des contentieux inextricables. Car, même si l’internaute a été victime d’une manipulation, la sanction sera infligée de manière automatique. De plus, elle s’appliquera sans procédure contradictoire, alors que celle-ci a été imposée par exemple à la CNIL. Enfin, l’internaute devra apporter la preuve qu’il n’avait pas l’intention de frauder.

En votant l’amendement, chers collègues, vous aideriez finalement le commissaire chargé de l’instruction à caractériser les manquements de l’internaute et vous réduiriez le risque que ses décisions soient contestées.

Mme la présidente. Merci, monsieur Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Chacun doit en avoir conscience : aux termes de la rédaction actuelle, l’internaute peut être sanctionné sans que la haute autorité apporte la preuve de son intention de frauder.

(L’amendement n° 88 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 2.

La parole est à M. Jacques Remiller.

M. Jacques Remiller. L’amendement n° 2, que j’ai cosigné avec Alain Suguenot, propose d’insérer après l’alinéa 78, l’alinéa suivant : « Aucune sanction ne peut être prise en l’absence d’une offre légale de l’œuvre phonographique, protégée par un droit d’auteur ou un droit voisin, téléchargée, et alors même que l’auteur ou ses ayants droit y auraient consenti. »

Cet amendement a pour objet de favoriser l’extension de l’offre. Il est anormal que, pour des raisons d’opérabilité, on ne puisse, aujourd’hui, télécharger l’œuvre des Beatles sur son iPod !

Par ailleurs, l’offre légale est souvent pauvre dans certains styles, notamment de musique, et ne peut répondre aux attentes de certains usagers qui recherchent des fichiers plus pointus que ceux proposés par la plupart des sites de téléchargement de musique en ligne.

Dans ces conditions, on ne devrait pouvoir sanctionner un internaute ayant téléchargé illégalement un fichier qu’il n’a pu trouver sur les sites d’offres légales.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. Le droit d’auteur étant un droit exclusif, on doit laisser aux auteurs la possibilité de mettre ou non leurs œuvres en écoute sur Internet. Je comprends bien le souhait des auteurs de l’amendement, qui veulent inciter les artistes à mettre davantage leur musique sur Internet. Mais on ne peut priver ceux-ci du droit légitime de disposer de leur œuvre.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Avis défavorable. Si désireux d’étendre de l’offre légale que soit le Gouvernement, il ne peut lier la sanction au choix des ayants droit de diffuser ou non leur œuvre sur Internet.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mathus.

M. Didier Mathus. Je soutiens l’amendement de notre collègue Remiller. Je pense que Mme la ministre et M. le rapporteur ne l’ont pas lu.

Mme Martine Billard. C’est certain !

M. Christian Paul. Ils émettent un avis de façon pavlovienne !

M. Didier Mathus. Il est précisé en effet qu’aucune sanction ne peut être prise en l’absence d’une offre légale de l’œuvre phonographique, protégée par un droit d’auteur ou un droit voisin, téléchargée, et alors même que l’auteur ou ses ayants droit y auraient consenti. Vous n’avez certainement pas lu cet amendement, madame la ministre, monsieur le rapporteur, car il contredit votre argumentation.

Par ailleurs, c’est la deuxième fois, après un amendement de Jean Dionis du Séjour, présenté hier soir, que vous vous opposez à une amélioration de l’offre légale. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous pouvons donc nous interroger sur le but ultime de ce projet de loi. S’agit-il uniquement de protéger le cash flow de l’industrie culturelle et de l’entertainment ou d’aider au développement d’une offre légale ? Car la question est là, mes chers collègues : il faut d’abord remarquer le coût – nous en avons parlé hier soir – extrêmement important des offres légales, alors qu’elles sont parfaitement dématérialisées. Pour les maisons de disques qui mettent en ligne certains fichiers, c’est 100 % de bénéfice s’agissant d’œuvres amorties depuis vingt ou trente ans.

M. Éric Straumann. Non !

M. Didier Mathus. La marge est extrêmement importante. Aucune industrie ne peut rapporter autant !

Outre le problème de coût, il y a un problème d’offre ; c’est vrai en particulier pour les plateformes d’offres en VOD qui sont aujourd’hui extrêmement pauvres : il y a moins de 4 000 titres sur les huit offres légales de téléchargement de films en France. Dans ces conditions, comment pourrait-on accepter de poursuivre quelqu’un qui, ayant constaté qu’il n’y a pas d’offre légale pour le titre ou le film qu’il cherche, se réfugie sur une plateforme de pear to pear qui lui offre un semblant de médiathèque universelle ?

Vous voilà face à vos contradictions, car si le but de ce projet était d’aider à la constitution, au renforcement, au développement d’une offre légale, voire commerciale, qui puisse dissuader certains jeunes de télécharger sur des plateformes de pear to pear, vous ne pourriez qu’être favorable à des amendements de cette sorte.

Notre collègue Vanneste l’a dit tout à l’heure : il s’agit de savoir ce que nous voulons.

M. Christian Paul. Il est privé de parole !

M. Didier Mathus. Souhaitons-nous un projet de loi visant uniquement à essayer de consolider, de conforter l’économie de la rente, que certains lobbies essaient aujourd’hui de défendre ? Ou voulons-nous entrer dans l’ère numérique et inventer la règle du jeu qui permettra à cette formidable profusion des échanges de trouver le modèle économique qui correspondrait à sa modernité ? En réalité, tout ce qui compte pour vous, aujourd’hui, c’est de protéger bon nombre d’intérêts privés dans cette affaire !

M. Christian Paul. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. D’où l’intérêt d’une nouvelle lecture : M. le rapporteur et Mme la ministre ont répondu sans avoir lu l’amendement déposé par nos collègues !

M. Jean-Louis Gagnaire. Comme d’habitude !

Mme Martine Billard. Pourtant, cet amendement a été modifié, car celui déposé en première lecture laissait la porte ouverte à des incertitudes et à certains problèmes s’agissant du cinéma. La question avait été soulevée lors du débat. Il porte aujourd’hui uniquement sur les œuvres phonographiques, puisque nos collègues, de bonne foi, avaient oublié de prendre en compte la chronologie des médias s’agissant du cinéma. Cet amendement a donc été modifié pour tenir compte des remarques faites en première lecture. La précision selon laquelle « l’auteur ou ses ayants droit y auraient consenti » a été, elle aussi, apportée pour répondre à une observation formulée à cette occasion. Je souligne donc l’intérêt de cette nouvelle lecture.

Certes, vous pourriez arguer du fait que cette situation ne se présente jamais. Pourtant, lorsque nous avons participé à une conférence de presse avec la plateforme regroupant des associations de consommateurs, d’internautes et des artistes, un cinéaste nous a expliqué qu’il avait été obligé de télécharger illégalement son propre film, lequel n’était pas disponible – alors que c’était un film ancien – sur une plateforme que vous qualifieriez de « légale ». Il avait donc été obligé de faire lui-même ce téléchargement illégal. Au regard de la loi, il était, comme l’auraient dit Mme Marland-Militello ou Mme de Panafieu, devenu un pirate, un délinquant…

M. Christian Paul. Un voyou !

Mme Martine Billard. Absolument ! Ce sont les termes qui ont été employés !

Il faut prévoir ces situations. Tel est l’objectif de l’amendement n° 2, dont l’intérêt est ainsi démontré.

(L’amendement n° 2 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 91 et 140.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l’amendement n° 91.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Notre amendement vise à modifier la première phrase de l’alinéa 79 qui, je le rappelle, constitue l’article L. 331-24 du code de la propriété intellectuelle, lequel commence ainsi : « Lorsqu’elle est saisie de faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3, la commission de protection des droits peut envoyer à l’abonné… ». Nous critiquons, dans cette formulation, le renversement de la charge de la preuve. En effet, la commission de protection des droits peut engager une démarche sans avoir caractérisé la réalité du manquement. De ce fait, la procédure d’avertissement, qui sera suivie de sanctions, est fondée sur des faits susceptibles de constituer une infraction. Cette susceptibilité est contraire aux principes fondamentaux du droit, qui reposent sur l’idée qu’il appartient à celui qui porte l’imputation d’apporter la preuve de la matérialité et de la réalité du manquement.

C’est pourquoi l’amendement que nous vous proposons vise à modifier le texte en remplaçant les mots « faits susceptibles de constituer un manquement » par les mots « faits constituant un manquement ». Cette formulation incitera la HADOPI à rechercher les éléments susceptibles de prouver la matérialité de l’infraction plutôt que d’engager un processus de sanction fondé uniquement sur des faits « susceptibles » de constituer l’infraction.

Il est inimaginable que ce dispositif entraîne un renversement de la charge de la preuve. La HADOPI ne doit pas pouvoir engager des poursuites en sanctionnant une infraction et en laissant à celui qui est poursuivi la charge de prouver qu’il ne l’a pas commise. Ce serait contraire aux principes fondamentaux de notre droit. En outre, j’appelle votre attention sur le fait que ce sont les principes fondamentaux du droit européen.

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n° 140.

M. Lionel Tardy. N’étant pas juriste, comme certains d’entre nous, je vais essayer d’expliquer la même chose que M. Le Bouillonnec, mais de façon plus simple ! (Sourires.)

Pour moi, la charge de la preuve est un vrai problème dans ce texte. C’est à la HADOPI de prouver que les faits sur lesquels elle base son action constituent bien un manquement. Or dans la rédaction actuelle de l’article, la charge de la preuve se trouve renversée, car la HAPOPI peut poursuivre sur la base de faits qui pourraient être des manquements. Ce serait alors à l’internaute poursuivi d’apporter la preuve que les faits incriminés ne sont pas des manquements.

La charge de la preuve doit reposer sur l’accusation, c’est un principe fondateur de notre droit pénal. Je citerai l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui est intégré dans le bloc de constitutionnalité et selon lequel tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. C’est, me semble-t-il, une explication très simple.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Nous en sommes au stade des recommandations qui n’entraînent par elles-mêmes ni grief ni sanction. Les manquements constatés demeurent présumés, puisque l’abonné a la possibilité, dans ses contacts avec la HADOPI, de démontrer, au cours de ce dialogue, qu’il est innocent et qu’il y a usurpation éventuelle de l’utilisation de sa ligne.

Enfin, mes chers collègues, il y a eu une première lecture, et la rédaction du Sénat a été modifiée grâce à un amendement présenté par notre collègue, M. Gérard, et soutenu par l’opposition, très fortement, d’ailleurs, par l’un de ses membres qui avait été jusqu’à dire que c’était un amendement de bon sens ! Je ferai grâce à son auteur de tous les propos qu’il a tenus en première lecture… Il me semble que vous faites preuve d’une opposition systématique en voulant chercher la petite bête (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Cet amendement, présenté par un de nos collègues de la majorité et soutenu par l’opposition, avait été adopté. Aujourd’hui, il faudrait, parce que cela vous arrange, que nous revenions sur ce qui a été voté par l’Assemblée ! Cette attitude n’est pas à la hauteur du débat !

M. Philippe Gosselin. Elle est à géométrie variable !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le rapporteur, c’est un comble de dire que nous cherchons la petite bête, alors que nous ne faisons que rappeler les principes fondamentaux du droit, qui déterminent les conditions dans lesquelles un citoyen se voit imputer des actes contraires à la loi et sanctionner en cas de non-respect ! Quoi que vous en disiez, le dispositif est répressif. Comment pouvez-vous dire que nous, élus de la nation qui faisons la loi, cherchons la petite bête quand nous rappelons l’ensemble des règles fondamentales de notre droit ?

J’appelle votre attention sur le fait que, contrairement à ce que vous venez de dire, la notion de faits susceptibles de constituer un manquement n’est pas employée dans votre texte à l’alinéa 79 seulement dans le cadre d’une première recommandation. Car à l’alinéa 80, dans le cadre de la réitération, on parle toujours de faits susceptibles de constituer un manquement, lesquels sont encore mentionnés à l’alinéa 81. Pourtant, à aucun moment il n’est mis à la charge de la HADOPI la moindre obligation de fournir à la personne à laquelle on impute cette responsabilité des éléments matériels sur lesquels elle repose.

Ce n’est pas chercher la petite bête que de rappeler qu’en droit, et pas seulement en droit français – notre collègue a rappelé l’antériorité de ces principes de droit dans notre Constitution, mais ce sont aussi des principes du droit international –, toute imputation repose sur la charge de celui qui impute d’apporter la preuve et il n’appartient pas à celui qui est mis en cause d’avoir à justifier le fait qu’il n’est pas coupable pour échapper à la condamnation.

Votre formule, monsieur le rapporteur, illustre, s’il en était besoin que, dans cette affaire, on a oublié tout ce qui constitue les conditions dans lesquelles une société peut organiser les procédures de sanction en cas de manquement à ses règles. C’est un aveu !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Roy.

M. Patrick Roy. Notre collègue Le Bouillonnec, vous le savez, est un juriste brillant. (Grognements et onomatopées sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, laissez M. Roy s’exprimer !

M. Patrick Roy. J’entends avec un ravissement cette chorale de droite (Mêmes mouvements sur les bancs du groupe UMP)

Mme la présidente. Poursuivez, monsieur Roy !

M. Patrick Roy. …cette chorale qui « godille » avec frénésie, ce qui est extrêmement touchant ! (Grognements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Poursuivez, monsieur Roy !

M. Patrick Roy. Vous avez été touchés par les propos de notre ami Le Bouillonnec, brillant orateur, brillant juriste (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP) dont la démonstration n’a malheureusement pas pu franchir le tympan de vos oreilles ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Si je voulais continuer, je reprendrais volontiers les propos de M. Tardy.

Il y a, à quelques mètres de notre présidente de ce soir, juste derrière le mur de cet hémicycle, une grande fresque. Chaque semaine, des groupes viennent visiter l’Assemblée et s’arrêtent devant la fresque qui représente Mirabeau, ce 23 juin 1789, dans une des scènes les plus célèbres de la Révolution. (Grognements et onomatopées sur les bancs du groupe UMP.) Cela conduira quelques semaines après, à la fin du mois d’août, à la rédaction des Droits de l’Homme. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Mme la présidente. Allons, mes chers collègues, laissez M. Roy s’exprimer !

M. Patrick Roy. Cette rédaction des Droits de l’Homme, texte fondamental pour notre République, stipule que tout homme est présumé innocent jusqu’au moment où est apportée la preuve de sa culpabilité. J’entends beaucoup de petites bêtes qui « godillent »,…

M. Éric Straumann. Nous, nous entendons de grosses bêtes !

M. Patrick Roy. …qui essaient de museler la voix de la raison et de l’opposition, mais qui ne le font pas avec le talent musical qu’elles devraient avoir. Je vous appelle donc à la raison démocratique, à la raison républicaine. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Eh oui, la République est aujourd’hui en danger (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) puisque ce texte n’a ni plus ni moins pour objectif que d’accuser (Protestations sur les mêmes bancs)

Mme la présidente. Mes chers collègues, laissez M. Roy s’exprimer !

M. Patrick Roy. …que de traiter de pirates et de délinquants des gens qui s’inscrivent tout bonnement dans la modernité (Exclamations sur les mêmes bancs)

Mme la présidente. Laissez M. Roy s’exprimer !

M. Patrick Roy. …et dans le progrès technologique !

Ceux qui ont entendu, qui ont eu le tympan ouvert – et non ceux au gosier avide d’ineptie ! – auront l’intelligence, le sens républicain de voter ces excellents amendements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Bloche. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Nous avons entendu vos rappels à l’ordre, madame la présidente. Mais ils ont été vains. Nous jugeons contraire à la dignité la plus élémentaire (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), qui doit caractériser les débats au sein de cet hémicycle, les grognements et les onomatopées dont l’intervention de notre collègue Patrick Roy a été l’objet. (Grognements sur les mêmes bancs.) Je constate que je suscite de votre part les mêmes grognements. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vais évidemment demander une suspension de séance. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je vous ferai remarquer, madame la présidente, que, depuis le début de l’examen de ce texte en nouvelle lecture, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche n’a demandé aucune suspension de séance. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Chers collègues, je ne l’aurais pas fait si vous n’aviez pas eu ces comportements tout à fait indignes (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Éric Straumann. Et le comportement de M. Roy ?

M. Patrick Bloche. …compte tenu du lieu où nous nous trouvons ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Nous sommes les représentants du peuple (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). Nous sommes dans le lieu où nous faisons la loi, au nom de l’intérêt général et votre comportement est indigne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Je demande donc une suspension de séance pour que vous repreniez vos esprits ! (Protestations sur les mêmes bancs.)

Mme la présidente. Monsieur Bloche, chacun doit rester calme dans cet hémicycle. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Straumann. Tout à fait !

Mme la présidente. Nous sommes habitués à entendre ce genre de bruits très régulièrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – « Non ! » sur les bancs du groupe SRC.) M. Roy sait parfaitement à quoi je fais allusion ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) C’est la raison pour laquelle, pour que chacun reprenne ses esprits, je suspends la séance pour deux minutes !

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures cinquante-deux.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

M. François Brottes. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Vous savez, madame la présidente, dans quelle estime personnelle je vous tiens puisque nous siégeons dans la même commission. Permettez-moi, à cet instant du débat, de vous dire ce que je pense de vos commentaires à l’égard de notre collègue Roy, lequel a, en tout état de cause, fait preuve d’une extrême rigueur dans son intervention et de sérieux dans son argumentation. Il a été effectivement chahuté par nos collègues, ce qui, j’en conviens avec vous, arrive à d’autres sur ces bancs. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Toutefois, je ne crois pas, permettez-moi de vous le dire, que la présidence puisse affirmer qu’il le méritait bien et que, finalement, les représailles organisées ici étaient légitimes.

Mme la présidente. Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit, monsieur Brottes !

M. François Brottes. C’est un peu ce que nous avons compris, madame la présidente.

Mme la présidente. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. François Brottes. J’espère me tromper. En tout état de cause, je souhaiterais, au nom du groupe socialiste, que ce type de commentaires ne se reproduise pas. En effet, dès l’instant où le comportement d’un de nos collègues est parfaitement cohérent avec la qualité du travail que nous exécutons ici, il n’y a aucune raison de lui reprocher des comportements anciens !

M. Philippe Gosselin. Vous voilà victimes !

Mme la présidente. Monsieur Brottes, vous avez bien voulu parler d’estime personnelle. Vous me permettrez de vous dire également mon estime. Je souhaiterais cependant que, dans cet hémicycle, chacun s’applique la règle à laquelle vous venez de faire allusion. Cela permettra à nos débats de se dérouler dans les meilleures conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Article 2 (suite)

Mme la présidente. Je vous propose, en conséquence, mes chers collègues, de passer, dans le calme et la sérénité, au vote des amendements n°s 91 et 140.

(Les amendements identiques nos 91 et 140 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 46.

La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Cet amendement concerne l’alinéa 79 et plus particulièrement la première phrase de l’article L. 331-24 du code de la propriété intellectuelle.

Aux termes de cet alinéa, lorsqu’elle est saisie de faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation de veiller à la sécurité de sa connexion au regard des droits d’auteur, la commission de protection des droits, membre de la HADOPI, peut envoyer à l’abonné ses recommandations.

Comme le précise l’alinéa 61, que nous avons précédemment examiné, la commission de protection des droits peut obtenir les données personnelles de l’internaute auprès des fournisseurs d’accès. Nous avons discuté du contenu de ces données personnelles et notre groupe s’est alors opposé à ce que toutes les coordonnées téléphoniques de l’internaute puissent être communiquées dans le cadre de l’obtention des données personnelles, considérant qu’elles n’ont rien à voir avec la connexion Internet mise en cause.

L’alinéa 79 stipule que la recommandation est envoyée par la voie électronique. Tout le monde entend par « voie électronique » le mail. Il est ensuite mentionné que cet envoi se ferait « par l’intermédiaire de la personne dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ayant conclu un contrat avec l’abonné,…». Cet alinéa laisse donc penser que les recommandations sont forcément envoyées par la messagerie Internet fournie par le fournisseur d’accès. Or de plus en plus de nos concitoyens n’utilisent pas la messagerie du fournisseur d’accès pour la simple raison que, lorsqu’ils changent d’abonnement, ils veulent garder leur messagerie. Ainsi, celle-ci n’a souvent aucun lien avec le fournisseur d’accès.

Je vous pose donc directement et clairement la question, monsieur le rapporteur, afin que vous répétiez ce que vous m’avez dit hors de l’hémicycle : cela signifie-t-il que le coût d’envoi de ces recommandations sous le timbre de la HADOPI devra être pris en charge par les fournisseurs d’accès à Internet ? Si tel n’est pas le cas, on ne comprend pas les raisons qui vous ont conduits à apporter cette précision. En effet, il est inutile de préciser que le mail est envoyé par l’intermédiaire du fournisseur d’accès à Internet. S’il s’agit uniquement d’adresser un mail, la HADOPI peut le faire toute seule – c’est d’ailleurs précisé dans le texte – pour son compte et sous son timbre. En revanche, si vous voulez éviter que le coût d’envoi de ces 10 000 recommandations par jour ne soit à la charge de la HADOPI, il convient alors effectivement de préciser que cette opération se fera par l’intermédiaire des FAI qui en subiront le coût.

Mon objectif n’est pas de prendre la défense des FAI, mais de savoir qui paie. Est-ce la HADOPI, donc le ministère de la culture, ou les FAI ? Il serait temps que la transparence soit publiquement faite sur ce point dans cet hémicycle.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Cela a déjà été dit !

Mme Martine Billard. Tout le monde saura alors à quoi s’en tenir à terme. Le ministère de la culture paiera-t-il l’envoi de ces recommandations ou cela incombera-t-il aux FAI ?

Mon amendement propose que le coût de ces recommandations soit supporté par la HADOPI, donc par le ministère de la culture, et non par les FAI.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Comme cela est précisé dans le texte, les fournisseurs d’accès à Internet enverront les mails et en assumeront donc le coût. La commission est, en conséquence, défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable également. Je tiens à ajouter que l’envoi des mails a un coût nul et que la HADOPI en prend l’initiative sous son timbre et pour son compte. C’est très clair.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je remercie Mme la ministre et M. le rapporteur de leur réponse. C’est, en effet, la première fois que cette précision est clairement apportée.

À partir du moment où il s’agit d’une obligation légale, les fournisseurs d’accès à Internet ont, aux yeux de la loi, tout à fait le droit de réclamer au ministère le remboursement des frais ainsi impliqués par l’envoi de ces mails.

M. Jean Dionis du Séjour. Eh oui !

Mme Martine Billard. C’est le principe même de la loi.

Donc, quand vous nous dites que les fournisseurs d’accès à Internet enverront ces mails et en subiront le coût, ce n’est légalement pas possible, monsieur le rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Dord.

M. Dominique Dord. Depuis le début de cette séance, l’opposition tente de nous faire croire qu’elle essaie d’améliorer le texte au nom de la souveraineté nationale, de son droit à l’expression que nous voudrions, par hypothèse, bafouer. En réalité, personne n’est dupe. L’opposition ne veut pas de ce projet.

M. Christian Paul. C’est vrai !

M. Dominique Dord. C’est son droit. Elle saisit donc, amendement après amendement, toute occasion pour tenter de dénaturer le texte.

Tout à l’heure, nous nous sommes fait injurier, insulter par M. Brard qui considérait la mauvaise foi du rapporteur et de la ministre. M. Bloche nous a dit que l’Assemblée nationale se reniait. Un de nos collègues a fait état de la soumission dans laquelle nous serions vis-à-vis du Sénat.

Vous êtes à nouveau, mes chers collègues de l’opposition, avouez-le, dans une logique d’obstruction. Nous sommes, nous, dans une logique de responsabilité. Nous voulons que ce texte soit appliqué.

M. Christian Paul. Votre première intervention dans ce débat est décevante !

M. Dominique Dord. Il a donné lieu déjà à de nombreux débats. C’est votre droit d’essayer de freiner la discussion mais n’essayez pas de nous faire croire que c’est pour améliorer le texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Martine Billard. Vous êtes vraiment mauvais !

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Erhel.

Mme Corinne Erhel. Je suis tout de même un peu étonnée des propos de M. Dord, comme de ceux du rapporteur nous reprochant de chercher la petite bête. C’est tout de même notre rôle. Nous sommes parlementaires, nous sommes là pour examiner un texte, pour regarder le sens et le poids des mots. Jean-Yves Le Bouillonnec l’a très bien dit tout à l’heure, il est juriste et il serait de bon aloi de l’écouter.

Quand on entend les arguments qui sont développés, mesdames, messieurs de la majorité, on comprend mieux pourquoi vous avez refusé hier qu’il y ait un rapport d’application. La seule explication possible, c’est que vous avez peur. Pourquoi refuser la présence d’associations de consommateurs ou d’associations d’internautes ? Pourquoi refuser celle de l’autorité de régulation, l’ARCEP ? C’est tout de même assez curieux.

En tout cas, vous n’avez pas à nous dire que nous sommes en train de titiller. Nous sommes des parlementaires et nous sommes là pour examiner le texte et regarder chaque mot. C’est notre rôle et c’est aussi le vôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(L’amendement n° 46 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 90.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Sauf erreur de ma part, c’est un amendement de coordination avec un amendement qui a malheureusement été déclaré irrecevable au titre de l’article 40.

J’ai d’ailleurs souligné dans un rappel au règlement préalable à l’examen des amendements que nous regrettions que la HADOPI ne mette pas à la disposition des internautes un numéro d’appel téléphonique pour permettre à nos concitoyens recevant un mail d’avertissement ou une recommandation d’en connaître exactement les raisons.

En première lecture, nous avions souhaité que ce service d’appel téléphonique soit gratuit, que ce soit en quelque sorte un numéro vert. Nous avons retiré l’élément de gratuité pour essayer de franchir le barrage de l’irrecevabilité. Cela n’a pas été le cas pour une raison qui reste pour nous incompréhensible.

Nous le regrettons parce que l’on nous vend à la fois un système automatisé de répression de masse et du cas par cas. Si votre intention est que la HADOPI traite les dossiers au cas par cas, il aurait été opportun de prévoir un numéro d’appel téléphonique.

Cela dit, l’amendement tombe.

Mme la présidente. Effectivement, il n’aurait jamais dû être appelé.

Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 47 et 183.

La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 47.

Mme Martine Billard. Je voudrais dire à mes collègues de l’UMP qui n’ont pas suivi nos débats depuis le début…

M. Christian Paul. C’est la majorité ce soir !

Mme Martine Billard. …que je comprends que, lorsque l’on est de permanence, il soit un peu désagréable d’être là, encore que certains d’entre eux suivent avec intérêt parce qu’ils découvrent que c’est un sujet très intéressant.

Monsieur Dord, si vous aviez été davantage avec nous,…

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Un peu de respect !

Mme Martine Billard. Ce n’est pas manquer de respect !

Mme la présidente. Présentez votre amendement, madame Billard ! Nous n’allons peut-être pas faire un état de présence des uns et des autres.

M. Christian Paul. Ce serait intéressant !

Mme Martine Billard. Je le disais sans aucune agressivité. Je voulais signaler à propos de l’amendement précédent l’intérêt d’une deuxième lecture. Pour la première fois, nous avons une réponse claire sur le sujet. Il ne s’agit pas d’embêter le Gouvernement ou de faire de l’obstruction.

M. Dominique Dord. Bien sûr que non !

Mme Martine Billard. C’est une réponse très intéressante parce qu’elle est contraire au droit.

M. Dominique Dord. C’est sûrement de la culture générale !

Mme Martine Billard. Non, c’est du droit, monsieur Dord.

Mme la présidente. Poursuivez, madame Billard.

Mme Martine Billard. Par l’amendement n° 47, nous demandons que l’internaute auquel a été envoyée une recommandation, qui peut aller jusqu’à une demande de sanction, puisse savoir quelle est la personne morale qui a porté l’accusation.

Ceux dont la connexion Internet sera suspendue pourront en effet subir des dégâts collatéraux, comme ceux qui en ont besoin pour leur travail.

S’ils ne sont pour rien dans le téléchargement illégal et que le mail leur a été envoyé non sur la messagerie qu’ils utilisent mais sur celle de leur fournisseur d’accès qu’ils n’utilisent pas, le premier avertissement sera la lettre recommandée et c’est alors qu’ils découvriront qu’ils sont mis en cause pour une faute qu’ils n’ont pas commise. Le temps qu’ils se retournent, leur connexion pourra très bien être suspendue.

S’ils ont été accusés à tort, ils doivent pouvoir se retourner contre la personne morale qui les a accusés – c’est un principe du droit assez général – afin d’obtenir des dommages et intérêts s’il y a eu des conséquences, pour leur emploi par exemple. C’est le sens de cet amendement. Imaginez que la connexion d’un médecin ait été piratée. Si elle est suspendue, ce sera dramatique. On peut également penser aux professions libérales ou aux petits entrepreneurs puisqu’un amendement de nos collègues socialistes concernant les très petites entreprises a été rejeté alors qu’il était de bon sens.

À partir du moment où le Gouvernement n’a pas trouvé d’autre solution que d’imposer une obligation de sécuriser sa connexion Internet et qu’une personne seule, que ce soit une personne physique ou un très petit entrepreneur, n’a pas forcément les moyens de payer un service informatique pour sécuriser sa ligne et peut se trouver prise dans cet engrenage sans l’avoir voulu, elle doit pouvoir obtenir réparation si elle a subi des dommages.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour défendre l’amendement n° 183.

M. Jean Dionis du Séjour. Le Nouveau Centre soutient la riposte graduée. Un volet répressif est en effet nécessaire et, pour l’organiser, nous n’avons pas mieux en magasin.

Cela dit, il faut être lucide. Même la phase de détection des contrevenants ouvrira contestation que ce soit pour une usurpation d’adresse IP ou pour d’autres motifs. Alors qu’un tiers des contraventions pourraient être contestées, nous avons donc objectivement intérêt à organiser la confrontation entre la personne qui recevra une contravention et celle qui l’aura dressée.

Cet amendement prévoit simplement que la recommandation doit mentionner la personne morale ayant signalé le manquement. C’est le bon sens compte tenu des chiffres évoqués.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.

M. Jean-Louis Gagnaire. Vous qui n’avez pas suivi les débuts de la discussion sur ce texte, vous devez être conscients que la plupart d’entre nous n’ont pas un accès à Internet sécurisé et que pouvez être victimes d’un certain nombre d’indélicatesses, voire d’étourderies de vos voisins, qui peuvent utiliser votre branchement Internet pour aller sur des sites de téléchargement. Promenez-vous dans les rues de Paris, vous verrez que, dans chaque rue, nombre d’accès Wi-Fi ne sont pas sécurisés et qu’on peut télécharger en se servant du Wi-Fi des autres.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Aucun rapport avec l’amendement ! Aucun respect de l’Assemblée !

M. Jean-Louis Gagnaire. Celui qui est mis en cause alors qu’il n’y est strictement pour rien a donc le droit de savoir qui l’a dénoncé afin de pouvoir réagir.

L’envoi d’e-mails systématiques de manière automatisée, parce qu’on a compris que ce sera fait par des machines, ne garantit absolument pas la régularité de la procédure et ce sont bien les lettres recommandées avec accusé de réception qui constitueront l’ultime preuve.

Or il est d’usage que les voies et délais de recours et le nom de celui qui met en cause soient notifiés à celui qui va subir la peine, c’est un principe général du droit. Il me semble bien d’ailleurs que, si les voies et délais de recours ne figurent pas, cela suspend de manière indéfinie l’application des sanctions.

Il y a donc une véritable inconscience à ne pas vouloir entrer dans ce débat. Vous vous exposez vous-mêmes à de sérieuses mises en cause, votre permanence ou votre domicile seront peut-être privés d’Internet. C’est un droit imprescriptible, on l’a dit. Plus personne aujourd’hui ne peut se passer d’Internet. C’est vrai sur le plan professionnel, c’est vrai sur le plan de la formation. J’avais évoqué lors de la première lecture l’exemple de la déclaration d’impôt. Certes, cela a été simplifié mais bon nombre de nos concitoyens la font désormais et sont incités à la faire par Internet. En général, on la fait de son domicile et pas de celui du voisin.

Vous devez donc prendre conscience de la gravité de ce que vous faites en ne voulant pas entrer dans le texte, en refusant systématiquement tous les amendements qui vous sont présentés, y compris quand ils viennent de vos propres rangs. Je crois que vous êtes de dangereux inconscients (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP)… Oui, je le maintiens. Il faudrait qu’en tout cas ceux qui n’ont jamais participé au débat rentrent dans le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Roy.

M. Patrick Roy. Je voudrais me tourner vers mes collègues de la majorité, nombreux ce soir.

Cette loi HADOPI, à gauche, nous y sommes résolument opposés, pour plusieurs raisons, et d’abord parce que c’est une loi perdant-perdant : perdant pour les internautes, perdant pour les créateurs, pas un euro n’allant à la création, alors que nos propositions auraient apporté 360 millions aux créateurs.

Certains dans la majorité sont favorables à la riposte graduée. C’est leur droit le plus démocratique. M. Dionis du Séjour, avec lequel je suis en opposition sur le texte, défend ce principe. Par contre, il n’arrête pas de dire, car il est là quasiment à chaque séance, que ce texte sera inapplicable, juridiquement condamnable, et qu’il comporte un tas d’idioties. Il vous l’explique, vous le démontre et, sur un constat qui montre que vous n’avez pas lu le texte, vous riez, faites du bruit de chorale. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous continuez… Vous allez contribuer au fait que l’on vote une loi idiote, condamnable, qui ne traduira même pas la philosophie que vous souhaitiez.

Écoutez au moins ceux qui, dans la même famille de pensée que vous, veulent vous permettre de faire la loi la plus équilibrée possible, à défaut d’écouter l’opposition.

(Les amendements identiques nos 47 et 183 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 141.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Cet amendement est important car il corrige l’une des imperfections du texte.

De nombreux internautes n’utilisent pas les adresses de courrier électronique qui leur sont fournies par leurs FAI, leur préférant des adresses sur d’autres plateformes, comme celles de Yahoo ou de Google. C’est un peu comme la question de la valeur des adresses IP.

Le problème, pour la HADOPI, sera de disposer de la véritable adresse de courrier électronique de l’internaute, celle qu’il utilise et relève régulièrement. Nous avons tous plusieurs adresses e-mail ; où sera envoyé le message d’information ?

L’aspect pédagogique de la démarche graduée suppose que l’internaute reçoive effectivement le courriel de la HADOPI, ce qui n’a rien d’évident. C’est pourquoi il est nécessaire d’inscrire dans la loi l’obligation de s’assurer que le courriel est bien parvenu à son destinataire, par le biais d’un accusé de réception.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. Le dispositif du texte est équilibré et adapté, prévoyant plusieurs recommandations : d’abord, une recommandation par e-mail, ensuite un e-mail puis une lettre recommandée au domicile du titulaire identifié de l’accès internet. Si celui-ci n’a pas reçu l’e-mail, il recevra la lettre recommandée à son domicile.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Ce qui me gêne, c’est que l’on parle de réponse graduée alors qu’en réalité, le premier contact de l’internaute avec la HADOPI sera, dans de nombreux cas, la lettre recommandée. Cela ne me satisfait pas.

(L’amendement n° 141 n’est pas adopté.)

M. Patrick Roy. Il faudrait recompter !

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 92 et 142.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l’amendement n° 92.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Les demandes d’ajout formulées dans les amendements successifs que nous présentons visent à donner une réalité efficace à la réponse graduée.

L’amendement n° 92, dans la droite ligne de l’amendement n° 91, vise à modifier l’alinéa 80, portant sur l’étape suivante de la graduation. Cet alinéa comporte la même imprécision que l’alinéa 79, à savoir que vous évoquez, non pas des faits constituant une infraction, mais des faits susceptibles de constituer une infraction.

Maintenir, au terme du délai de six mois, qui est le délai de la graduation, ce caractère de susceptibilité de constitution d’une infraction, représente un manquement à l’obligation qui est la vôtre de faire constater la matérialité d’un manquement.

Il est étonnant que vous mainteniez une telle imprécision. C’est comme si un agent de police vous interpellait : « Je vous adresse un avertissement parce que vous avez commis un acte susceptible de constituer une infraction » et que, six mois plus tard, il vous hélait de nouveau : « C’est encore vous ; je vous renouvelle mon avertissement : vous êtes dans la situation d’avoir commis un acte susceptible de… ».

Nous continuons de considérer la dimension juridique, judiciaire de la procédure, dont la conséquence est tout de même une atteinte à un droit fondamental – l’accès –, une condamnation pécuniaire non négligeable. Cela mériterait une procédure formalisée indiquant le caractère contradictoire, l’imputation des faits et, comme le prévoyait l’amendement précédent, la certitude que le titulaire de l’accès a été informé des poursuites.

De sorte, chers collègues, qu’il faut s’attendre à une multiplication des contentieux de contestation des décisions qui seront prises, qui se termineront devant les juridictions administratives et judiciaires, mettant en cause l’efficacité de votre dispositif.

Tel est le sens de l’amendement, qui demande d’écarter l’expression « susceptibles de constituer » pour la remplacer par le terme « constituant ».

Mme la présidente. Monsieur Tardy, l’amendement n° 142 a-t-il été défendu ?

M. Lionel Tardy. Oui.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. C’est effrayant ! L’argumentation de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, soutenue par M. Lionel Tardy, qui a déposé le même amendement, était très claire : notre collègue propose d’écarter tout risque d’arbitraire. Après avoir rejeté un amendement qui éliminait la possibilité des dénonciations anonymes rappelant les périodes les plus tristes de notre histoire, vous ajoutez à présent l’aléatoire et la possibilité de l’arbitraire dans la condamnation. C’est incroyable !

Chers collègues de la majorité, nous avons vu que vous aviez du mal à lever le bras, mais vous ne pouvez pas laisser passer des choses pareilles ! Vous aurez des comptes à rendre à vos électeurs, qui, eux, ne sont pas endormis. D’une certaine manière, en vous appelant à l’esprit de responsabilité, nous vous rendons service. Vous devriez être des sentinelles du droit, les défenseurs des libertés ; or, quand il s’agit de les défendre, vous êtes assoupis.

Je ne comprends pas, monsieur le rapporteur, vous qui êtes d’une ville où il y eut naguère les Templiers, qui se battirent pour la liberté d’expression, que vous vous asseyiez dessus aujourd’hui. Je suis sûr que les habitants de Coulommiers y seront attentifs…

Mme la présidente. Revenez à l’amendement, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Ils ne peuvent se satisfaire d’un député qui ne sait dire qu’un seul mot : « défavorable », sans préciser à quoi, ni prendre la peine de convaincre.

(Les amendements identiques nos 92 et 142 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 48.

Est-il défendu, monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, quand on a affaire à un auditoire revêche, il faut insister, persévérer, s’acharner, convaincus que nous sommes d’avoir raison.

Mme la présidente. Dans ce cas, veuillez présenter l’amendement, s’il vous plaît.

M. Jean-Pierre Brard. Cet amendement est l’écho de l’amendement n° 47, sur lequel nous n’avons pas été entendus.

Il s’agit de faire en sorte que ceux qui dénoncent soient identifiés. C’est tout de même la moindre des choses que vous sachiez qui a signalé le manquement dont vous êtes accusé ! Depuis quand s’appuie-t-on sur des dénonciations anonymes dans notre État républicain ?

Comparaison n’est pas raison, mais on compte 3 600 000 dénonciations anonymes pendant l’Occupation. (Murmures sur quelques bancs du groupe UMP.) Oui, j’entends cette rumeur, mais c’est pourtant vrai ! Et vous proposez de valider, en n’obligeant pas le dénonciateur à s’identifier. C’est tout à fait irrecevable.

(L’amendement n° 48, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 143.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Il est défendu.

(L’amendement n° 143, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 49.

Est-il défendu, monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, vous nous entraînez sur la voie des excès de vitesse, ce qui est très mauvais ! (Sourires sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Il s’agit de compléter l’alinéa 81 par la phrase suivante : « Cette demande expresse est suspensive de la procédure jusqu’à ce qu’il y ait été donné réponse par la commission de protection des droits. »

L’énoncé vaut argument. Aussi, monsieur le rapporteur, j’attends avec intérêt votre propre argumentation, au cas, improbable, où vous ne seriez pas favorable à cet amendement. (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Même avis. Les recommandations sont des avertissements, qui ne font pas grief par eux-mêmes, et des mesures d’information. Il n’y a donc pas lieu de suspendre cette procédure, qui doit être légère. En outre, dans le cadre d’une sanction, l’abonné, je le répète, aura accès à son dossier complet.

(L’amendement n° 49 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement no 95.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mme la ministre vient de nous expliquer qu’il s’agissait de recommandations, que ce n’était pas très important. Si l’on crée une procédure graduée, c’est pour dire des choses, sans quoi on ne la fait pas ! Cela veut dire que les griefs doivent être notifiés d’une manière formelle et claire.

Cet amendement vise justement à prévenir toute ambiguïté ; il complète l’alinéa 81 en indiquant que les recommandations doivent être motivées.

C’est d’une simplicité, j’allais dire, biblique, ce qui veut dire que c’est d’une extrême complexité, comme chacun le sait. La notification de la recommandation est susceptible, comme on l’a signalé, de poursuites, de sanctions, et il est impossible d’envisager qu’il y ait à cet égard une sorte de fait du prince. Or ce serait bien un fait du prince si toute motivation faisait défaut.

Je me permettrai de commenter l’amendement suivant…

Mme la présidente. Il s’agit de l’amendement n° 94. Allez-y, je vous en prie.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous essayez de me faire faire des excès de vitesse, madame la présidente ! (Sourires sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. Vous me l’avez vous-même proposé ; je suis ravie d’accepter.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est qu’il y a une logique.

L’alinéa 82 se lit ainsi : « Le bien-fondé des recommandations adressées sur le fondement du présent article ne peut être contesté qu’à l’appui d’un recours dirigé contre une décision de sanction prononcée en application de l’article L. 331-25. »

On crée une procédure graduée, dans laquelle des recommandations sont notifiées à deux reprises, sans contraindre la commission à s’assurer que la personne qui en est destinataire les a reçues, sans motiver ni expliquer les recommandations que l’on envoie, sans connaître l’origine de la dénonciation.

Cerise sur le gâteau,…

M. Jean-Pierre Brard. La cerise est blette !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …la personne est priée, si elle conteste, d’attendre d’être sanctionnée pour pouvoir faire un recours non seulement contre la sanction, mais aussi contre les recommandations qui ont donné lieu à ladite sanction.

C’est pourquoi, madame la présidente, je défends en même temps l’amendement n° 94. La mise en place d’une telle procédure serait totalement contraire au processus d’imputation des faits et à l’objectif de la loi d’instituer des recommandations graduées. En effet, ces recommandations n’auront aucune pertinence puisque l’on ne pourra pas les contester : six mois après la première, la deuxième recommandation sera automatique, et cela veut dire que la sanction interviendra. C’est seulement à ce moment-là que la personne incriminée pourra mettre en cause l’ensemble des procédures allant des recommandations à la sanction. Telle est la construction dans laquelle vous avez embarqué ce projet de loi. Cela nous amène à dire, une fois de plus, que non seulement ce texte sera inapplicable techniquement, mais qu’il ne parviendra pas à empêcher les infractions qu’il vise à sanctionner.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les amendements n°s 95 et 94 ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. Mettez-vous une minute dans l’état d’esprit qui est le nôtre. Cette loi est une loi de pédagogie (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Patrick Roy. Non !

M. Franck Riester, rapporteur. …pour expliquer à celles et ceux qui téléchargent illégalement que c’est contraire la loi, que celle-ci interdit de telles pratiques et que, du reste, il existe sur Internet de nombreuses offres licites qui permettent de télécharger légalement en respectant les auteurs, les compositeurs et les artistes de notre pays.

Dès l’avertissement, on va donc expliquer aux internautes qui téléchargent illégalement que la loi l’interdit, qu’il existe des offres légales et des systèmes pour sécuriser leur accès à Internet. À l’étranger, des expériences ont montré qu’un tel dispositif était efficace.

M. Patrick Bloche. Mais non !

M. Franck Riester, rapporteur. Nous sommes donc convaincus que celles et ceux qui recevront un avertissement cesseront de télécharger illégalement. De plus, ils recevront en même temps la date et l’heure du téléchargement illégal. Ensuite, s’ils le demandent auprès de la HADOPI, le descriptif des œuvres téléchargées leur sera communiqué. Enfin, ils pourront formuler des observations sur l’avertissement qu’ils auront reçu, observations qui, évidemment, enrichiront le dossier qui sera, in fine, étudié éventuellement par la commission des droits en vue de prononcer une sanction. Vous voyez bien, monsieur Le Bouillonnec, que les amendements que vous avez défendus ne sont absolument pas appropriés.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Même avis que la commission.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

M. Christian Paul. Pour un grand moment d’explication !

Mme Marylise Lebranchu. Peut-être pas, mon cher collègue (Sourires), car je n’arrive pas à comprendre le dispositif qui nous est proposée.

Monsieur le rapporteur, vous nous dites que l’avertissement comportera la date et l’heure de commission des faits « susceptibles » de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle. Il faudrait déjà nous expliquer ce que sont, en droit, les faits susceptibles de constituer un manquement.

Imaginons : chez moi, je vais recevoir un courrier m’informant que tel jour, à telle heure, des faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 ont été commis à mon domicile ; on ne me dit pas de quoi il s’agit ; je ne suis pas au courant des débats portant sur la loi HADOPI ; je ne comprends rien au document que je reçois ; conséquence : je ne réagis pas. Madame la ministre, quand aurons-nous le décret qui va expliquer comment devront être rédigées les recommandations pour que la personne puisse en connaissance de cause interroger la HADOPI sur les raisons qui ont conduit à ce courrier ? Je suppose qu’il sera indiqué que le destinataire du courrier pourra faire une demande de précision sur le contenu des œuvres ayant fait l’objet d’un téléchargement illégal, mais comment allez-vous procéder exactement, à quel moment ce point sera-t-il décidé ? Est-ce qu’un décret va définir ce courrier, et quelles informations contiendra celui-ci ? C’est très important de le savoir parce que, pour celui qui n’a pas passé au moins quarante heures ici,…

M. Christian Paul. Cinquante heures !

Mme Marylise Lebranchu. …ce sera incompréhensible. C’est d’autant plus important que, comme l’a souligné avec raison mon collègue Jean-Yves Le Bouillonnec, l’alinéa 82 est ainsi rédigé : « Le bien-fondé des recommandations adressées sur le fondement du présent article ne peut être contesté qu’à l’appui d’un recours dirigé contre une décision de sanction. »

Madame la ministre, quand aurons-nous des précisions sur les décrets qui vont déterminer la façon dont seront rédigés ces nouveaux moyens de droit ? Des recommandations de ce type n’existent pas actuellement. Pouvez-vous vous engager devant nous – la majorité, elle, a l’air de trouver tout cela normal – sur le contenu et le délai de publication des décrets à venir, et promettre de nous faire parvenir, si possible avant la fin de la séance, un exemple-type de la recommandation que l’on pourrait recevoir ? Vous avez sans doute préparé un tel document. Nous aurions ainsi la possibilité de nous prononcer en toute connaissance de cause.

Monsieur le rapporteur, je suis peut-être totalement obtuse (Protestations sur les bancs du groupe SRC), c’est sans doute pourquoi vous levez souvent les yeux au ciel,…

M. Jean-Pierre Brard. C’est normal, l’Ascension approche ! (Sourires.)

Mme Marylise Lebranchu. …mais je vous assure que pour un citoyen lambda qui n’a pas eu la chance de vous écouter pendant toutes ces heures, c’est incompréhensible. Mme la ministre a dit tout à l’heure, et c’est important parce que cela figurera au Journal officiel, que la recommandation ne fait pas grief. Nous sommes donc, en droit administratif, dans le cadre d’un simple avertissement. Dès lors, je ne vois pas du tout comment, à la énième recommandation, un tel document pourrait ouvrir droit à sanction.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Madame Lebranchu, nous n’avons bien évidemment pas rédigé les décrets d’application avant le vote de la loi. J’ajoute que ces décrets seront transmis le plus rapidement possible au Conseil d’État, dans les semaines suivant son adoption, sous le contrôle, bien sûr, de la CNIL. Par ailleurs, je répète que les recommandations ne font pas grief.

En outre, je m’associe aux propos du rapporteur : c’est vraiment un processus pédagogique et dissuasif, tout en étant très modéré. Car pour être sanctionné, rendez-vous compte : il faut déjà que les sociétés d’ayants droit suivent l’œuvre sur la Toile, repèrent un téléchargement illégal et tombent sur une adresse IP, et que celle-ci renvoie à un abonné ; quelque temps après, il faut que les mêmes choses recommencent et que l’adresse IP renvoie à la même personne ; puis vient le temps de la lettre recommandée ; et ce n’est qu’au terme d’une très longue période, lorsque c’est encore la même personne qui est identifiée, qu’on envisage une éventuelle sanction. C’est alors que l’on peut, avec toutes les garanties procédurales, étudier l’ensemble du dossier, y compris toutes les étapes antérieures qui, elles, ne faisaient pas grief. Il faut donc tout de même faire preuve de beaucoup d’opiniâtreté dans le téléchargement illégal pour arriver, in fine, à faire l’objet d’une des sanctions prévues. Nous sommes vraiment dans un processus extrêmement pédagogique et très respectueux de toutes les procédures.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Madame la ministre, vous êtes en train de nous expliquer que le processus que vous proposez ne servira à rien, qu’il sera tellement inefficace qu’en réalité, il n’aura pas de conséquences. Car s’il en avait, il ferait grief dès le début.

M. Franck Riester, rapporteur. Mais il ne s’agit au début que d’un avertissement, monsieur Le Bouillonnec !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. J’affirme que cette procédure fait grief puisqu’on ne peut pas la contester autrement qu’en faisant un recours contre les sanctions prononcées au terme de ladite procédure graduée prétendument pédagogique. Même si toute sanction, je tiens à le dire, a une dimension pédagogique, cette procédure n’est pas susceptible de modifier les comportements des personnes concernées.

Je me permets de rappeler à notre Assemblée que, selon l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, « l’accusation se définit comme la notification officielle émanant de l’autorité compétente du reproche d’avoir accompli une infraction pénale, encore qu’elle puisse dans certains cas prendre la forme d’autres mesures impliquant un tel reproche et entraînant, elles aussi, des répercussions importantes sur la situation du suspect ». Cette définition correspond très exactement aux voies graduées que vous intégrez dans votre dispositif. En effet, la notification du manquement aux obligations de l’article L. 336-3 est officielle puisqu’elle est envoyée par la commission de protection des droits qui, en l’espèce, est une autorité compétente au sens administratif du terme, et l’usager est passible de sanctions. On se situe bien dans le cadre de l’article 6 : il s’agit donc d’une accusation et non d’un simple avertissement.

Je rappelle, madame la ministre, l’avis de la Commission européenne sur votre dispositif : « Dès lors que le projet notifié établit une responsabilité objective du titulaire de l’accès à Internet pour manquement à l’obligation de sécurisation de son accès qui pourrait avoir pour conséquence une atteinte au droit d’auteur, sous peine de déconnexion du réseau, le fait que les recommandations envoyées aux abonnés de manière systématique ne soient pas sujettes à recours pourrait mettre en danger le droit fondamental à un procès équitable ». Voilà ce qu’a conclu la Commission ! Il s’agit bien de la mise en cause d’une procédure qui n’a rien de pédagogique. Vous avez d’ailleurs reconnu qu’elle ne l’était pas puisque vous avez essayé de nous convaincre qu’elle ne faisait pas grief.

Je le souligne à nouveau, nous sommes devant la mise en cause de droits fondamentaux et la procédure est une procédure d’imputation de faits susceptible d’aboutir, après une suspension de connexion, à une sanction financière. Cela est contraire aux principes que j’ai énoncés. Vous mettez en pratique un processus d’imputation et de sanctions, vous n’êtes pas dans la pédagogie, et la réponse graduée fait fi des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(Les amendements nos 95 et 94, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 50 et 144.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour défendre l’amendement n° 50.

M. Jean-Pierre Brard. Madame la ministre, vous avez dit que les décrets n’étaient évidemment pas prêts. Aussi, je vais vous donner un excellent exemple à suivre : quand nous débattîmes, ici même, du projet de loi sur les emplois-jeunes, nous connûmes une ministre exemplaire…

M. Christian Paul. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Brard. …qui, pour montrer sa bonne foi, avait déjà préparé les décrets d’application (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), et les avait fait distribuer aux députés – qu’ils fussent de droite ou de gauche d’ailleurs.

M. François Brottes et Mme Marylise Lebranchu. C’était Martine Aubry !

M. Jean-Pierre Brard. En effet, mes chers collègues, il s’agissait de Martine Aubry. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Cela va lui faire chaud au cœur ! (Sourires.)

Sans vouloir vous être désagréable, madame la ministre, je suis sûr que Martine Aubry – dont les bureaux sont proches – pourrait vous renseigner sur la manière de préparer les décrets tout en soutenant un projet de loi. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Monsieur Brard, pourriez-vous vous en tenir à l’amendement ?

M. Christian Paul. Nous sommes en plein dans le sujet !

M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, en tant que parlementaire expérimentée, vous savez qu’il faut faire durer le débat si l’on veut se faire entendre dans le pays.

Mme la présidente. À cet égard, je n’ai pas trop d’inquiétude, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Ce qui est extraordinaire, c’est que cela a attiré l’attention de collègues de l’UMP qui n’étaient pas encore venus participer au débat. Tout à l’heure, Mme Valérie Rosso-Debord semblait très attentive : visiblement, elle apprenait beaucoup ! D’où l’utilité de prolonger encore le débat pour répondre à l’attente de nos collègues de l’UMP.

Mme la présidente. Merci d’en revenir à l’amendement.

M. Jean-Pierre Brard. Cet amendement est très important.

En dépit des maigres avancées que vous avez concédées à l’article 331-25, nous déplorons que l’alinéa 82, malgré nos amendements de suppression en première lecture, soit resté en l’état. Cet alinéa, comme tant d’autres, est vraiment monstrueux et, dans une certaine mesure, emblématique de ce projet de loi.

Écoutez bien sa lecture, chers collègues de l’UMP, car si vous donnez votre aval, vous ne pourrez pas prétendre que l’on ne vous a pas prévenus, que vous n’avez pas consciemment prêté la main à un mauvais coup contre les libertés. L’alinéa 82 prévoit : « Le bien-fondé des recommandations adressées sur le fondement du présent article ne peut être contesté qu’à l’appui d’un recours dirigé contre une décision de sanction prononcée en application de l’article L.331-25. » En d’autres termes, le bien-fondé des accusations qui sont portées contre vous ne peut être contesté que lorsque la sanction de privation de votre connexion a été prononcée.

Transposons en droit commun : vous avez commis un délit ; vous êtes traîné devant la justice ; vous êtes condamné ; ce n’est qu’à partir de ce moment-là que vous pouvez vous défendre ! Jamais nous n’avons vu ça, je le répète, même en Union Soviétique où le processus était plus démocratique ! (Rires et vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il s’agit donc d’une remise en cause radicale du droit à un procès (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Pouvez-vous conclure, monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, je suis sans cesse interrompu, en particulier par M. Gosselin.

Mme la présidente. Concluez, s’il vous plaît.

M. Jean-Pierre Brard. Il s’agit donc d’une remise en cause radicale du droit à un procès équitable, pourtant reconnu comme un principe général de notre droit. Pour une personne qui ne télécharge jamais, imaginez la violence que représente le fait de recevoir une, puis deux recommandations l’accusant de téléchargement illégal, avec l’impossibilité de faire valoir auprès de la HADOPI que ces deux accusations consécutives sont infondées !

La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs maintes fois rappelé ce principe, et affirmé le principe d’égalité des armes, notamment dans un arrêt Dombo-Beheer de 1993 disposant, dans son point n° 33 : « Avec la commission, la Cour considère que, dans les litiges opposant des intérêts privés, l’égalité des armes implique l’obligation d’offrir…

Mme la présidente. Merci, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. … à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves. »

Mme la présidente. Merci !

M. Jean-Pierre Brard. Avec cet amendement, nous vous donnons l’occasion de vous mettre en harmonie avec le droit européen.

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour présenter l’amendement n° 144.

M. Lionel Tardy. Monsieur Brard, je vais pouvoir répondre à vos interrogations !

S’agissant de cet alinéa 82, nous sommes d’accord pour considérer qu’il est anormal de ne pouvoir immédiatement contester le bien-fondé des recommandations de la HADOPI et de devoir attendre le prononcé de la sanction.

M. Jean-Pierre Brard. Heureusement que vous êtes là !

M. Lionel Tardy. Cela étant, monsieur Brard, il y a eu un élément nouveau : le rapporteur s’est rallié à cette vision des choses puisqu’il a fait adopter un amendement en commission, devenu l’actuel alinéa n° 131 qui dispose qu’un décret devra prévoir « les conditions dans lesquelles peuvent être utilement produits par l’abonné, à chaque stade de la procédure, tous éléments de nature à établir qu’il a mis en œuvre l’un des moyens de sécurisation. » Comme je l’ai fait lors de mon intervention sur l’article 2, je tiens à saluer l’introduction de cette disposition.

Cependant, ce décret sera inopérant s’il est contredit par une disposition législative. Il faut donc supprimer cet alinéa 82, par souci de cohérence avec les nouvelles dispositions.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable : j’approuve les propos de M. Tardy, sauf la fin de son intervention.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Examinons l’alinéa tel qu’il est, même si j’entends les arguments de M. Tardy, car nous n’avons pas obtenu de réponse sur les éléments demandés.

Pourquoi est-il ainsi rédigé, se référant à une heure et une date de téléchargement mais sans préciser le contenu visé ? Peut-être s’agit-il de protéger la personne qui aurait téléchargé un contenu susceptible de déplaire à l’un ou l’autre des membres de la famille ?

M. Patrick Bloche. Ils nous l’ont dit, d’ailleurs !

Mme Marylise Lebranchu. Cependant, il est possible d’obtenir ce renseignement sur demande expresse à la Haute autorité, encore faudrait-il préciser ce que cela signifie en droit. Imaginons que quelqu’un a téléchargé, à une date et une heure définies, dans une maison qui compte trois adultes : deux conjoints qui ont souscrit un abonnement en commun, et un enfant majeur. Lequel des trois membres de la famille a le droit de demander à la HADOPI de quel téléchargement il s’agit ? Lequel de ces trois adultes détient l’autorité pour savoir quel est le contenu visé ? C’est une vraie question.

J’ai l’impression que vous avez cherché à éviter d’être accusés de semer la zizanie dans une maison, parce que l’un ou l’autre de ses occupants avait téléchargé des éléments comme des films X. Dans la famille précitée, lequel des trois adultes a le doit de faire une demande expresse et d’obtenir une réponse ? Est-ce que les trois personnes peuvent poser la question ? Bref, qui a le droit à l’information et quelle en est la valeur ? Pour ma part, je ne le sais pas.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Franck Riester , rapporteur. Le titulaire de l’accès à Internet peut faire cette demande.

M. Patrick Bloche. Pas le fautif, alors ?

M. Franck Riester, rapporteur. Si, puisque c’est le défaut de surveillance qui est le fondement juridique de tout le projet de loi, comme nous l’avons expliqué à de multiples reprises au cours des débats. (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. En fait, monsieur Riester, vous obligez à mettre en place une surveillance au sein des familles ! Que va dire Mme Morano, secrétaire d’État à la famille, qui est forcément pour la paix dans les foyers alors que vous, vous voulez installer la délation ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Oh !

M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr ! Il faut appeler les choses par leur nom.

Monsieur le rapporteur, vous manquez une occasion. Vous rapportez stoïquement depuis des semaines et des semaines, et vous avez mieux commencé que vous n’allez finir : vous terminez sans arguments et en justifiant des comportements tout à fait inadmissibles auxquels vous poussez, au sein même des familles.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. N’exagérons rien !

M. Jean-Pierre Brard. Si monsieur Karoutchi, souvenez-vous, dans votre propre famille, que se serait-il passé ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Je ne vous permets pas, monsieur Brard ! Faites attention à vos propos !

M. Jean-Pierre Brard. Si Internet avait existé !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Bien sûr !

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Si le dialogue privilégié entre M. Brad et M. le secrétaire d’État est terminé, je veux souligner que ce qui vient de se passer est extrêmement éclairant et instructif pour les députés de la majorité qui vont voter, notamment ceux qui assistent pour la première fois ce soir à nos débats…

M. Dominique Le Mèner. Nous avons Internet qui nous permet de suivre les débats !

M. Christian Paul. …et, surtout, pour les milliers d’internautes qui nous regardent. Ce soir, ils ont parfaitement compris.

Cela paraît tellement énorme qu’il fallait sans doute plusieurs lectures pour bien le discerner et l’établir : on peut être condamné par la HADOPI sans avoir intentionnellement téléchargé. Répétons-le ce soir, une fois de plus – Jean-Yves Le Bouillonnec a eu raison de pousser la ministre et le rapporteur dans leurs retranchements – : on peut être condamné par la HADOPI sans avoir intentionnellement téléchargé. On peut aussi être condamné par la HADOPI parce qu’un membre de la famille, un ami de passage ou un camarade des enfants venu passer un week-end a utilisé la connexion.

Quant à la sécurisation, nous ne croyons pas un instant qu’elle puisse nous mettre à l’abri des voisins. Feignons de le croire, madame la ministre, mais ce n’est pas possible techniquement. Cela étant, même dans une famille, il passe un certain nombre de personnes qui ont accès à ces terminaux.

Nous sommes donc en train de mettre en place un système de punitions collectives indifférenciées qui va être la source de situations inextricables sur le plan du droit pour des centaines et des milliers de familles. Soyez-en sûr, et les internautes viendront vous demander raison dans vos permanences avant de s’adresser au juge.

Vous voterez cette loi si vous le souhaitez, chers collègues de la majorité, mais vous ne pourrez pas reprocher à l’opposition de ne pas vous avoir prévenus ; vous ne pourrez pas dire : on ne savait pas.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Que le manquement visé dans ce projet de loi soit le défaut de surveillance d’accès à Internet, nous avons dû le répéter à peu près 100 000 fois au cours des quelque quarante-deux heures de débat que nous avons vécues, et encore depuis le début de cette nouvelle lecture.

Mme Valérie Rosso-Debord. Exactement !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. J’ai rappelé qu’il fallait vraiment télécharger illégalement, de façon obstinée, opiniâtre, et recommencer éternellement…

M. Patrick Bloche. C’est faux ! Comment pouvez-vous dire cela ?

Mme la présidente. Laissez madame la ministre s’exprimer, s’il vous plaît !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Laissez-moi m’exprimer, je vous prie !

M. Patrick Bloche. Ce n’est écrit nulle part !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. C’est parfaitement vrai, je crois l’avoir rappelé au moins dix fois !

Votre position repose sur l’idée que cela n’est rien de télécharger, et que nous sommes sous le regard des internautes. Quant à moi, je vous dis que les créateurs, les artistes nous voient aussi ; ils vous voient actuellement défendre cette idée que le téléchargement n’est rien (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR), alors qu’il représente des pertes estimées à un milliard d’euros de pertes pour nos industries culturelles. (Vives protestations sur les mêmes bancs)…

M. Patrick Bloche. Mais non ! D’où tirez-vous ces chiffres ? Arrêtez !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. …des pertes d’emplois considérables, 450 000 téléchargements de films par jours.

C’est pourquoi les créateurs sont mobilisés à nos côtés sur ce texte, alors que vous pensez que le téléchargement n’est rien et ne mérite aucune espèce de sanction, même douce après un long processus pédagogique et une longue période. Permettez-moi de vous dire que nous ne partageons pas votre façon de voir. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Avant de vous donner la parole, M. Bloche, je voudrais vous indiquer qu’on ne peut pas faire des rappels au règlement quand certains réagissent de l’autre côté de l’hémicycle, et ne pas laisser la ministre s’exprimer calmement. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Bloche. Madame la présidente, la nature humaine est faite de spontanéité. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. C’est vrai pour tout le monde, monsieur Bloche, et chacun doit apprendre à maîtriser sa spontanéité dans l’hémicycle.

M. Patrick Bloche. Au bout d’une cinquantaine d’heures de débats, la ministre nous explique qu’il faudra télécharger frénétiquement pour que la HADOPI s’intéresse à vous, alors que nous savons très bien que ce projet de loi prévoit un dispositif répressif disproportionné, automatisé, de masse.

Madame la ministre, vous avez fourni les chiffres vous-mêmes : 10 000 mails d’avertissements, 3 000 recommandations, 1 000 suspensions…

M. Jean-Louis Gagnaire. Par jour !

M. Patrick Bloche. …tout cela, bien entendu, par jour.

En l’occurrence, vous savez que votre démarche n’est pas dissuasive ou pédagogique, mais qu’il s’agit d’une démarche d’intimidation : il faut faire des exemples ! Les internautes seront donc des suspects en puissance ; ils ne seront pas présumés innocents comme dans toute procédure judiciaire, mais présumés responsables, voire présumés coupables. Voilà la vraie réalité de votre projet de loi !

Il y a quelques instants, vous nous assuriez que les recommandations ne feraient pas grief. Au besoin, madame la ministre de la culture, appelez à la rescousse la garde des sceaux ! D’ailleurs, cet hémicycle compte une ancienne garde des sceaux qui est intervenue de façon fort juste.

Comment pourriez-vous ignorer que le premier e-mail d’avertissement et la recommandation, émis par une haute autorité administrative, feront grief et auront valeur juridique pour l’internaute qui aura déposé un recours devant le juge judiciaire ?

Enfin, vous citez un chiffre impressionnant : 1 milliard d’euros !

Plusieurs députés du groupe UMP. Du calme ! Du calme !

Mme la présidente. Vous aussi, mes chers collègues !

M. Patrick Bloche. Or, selon les chiffres publiés aujourd’hui par le SNEP, le Syndicat national de l’édition phonographique, qui défend les intérêts des majors, la chute des ventes de CD représente 200 millions d’euros.

Si la taxe de 360 millions d’euros sur les fournisseurs d’accès et les opérateurs de télécommunication, que vous avez instaurée à l’automne dernier pour financer la suppression de la publicité sur France Télévisions, avait été destinée à la rémunération des auteurs et des artistes, nous l’aurions votée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Or vous avez décidé qu’elle devait financer France Télévisions, ses 11 000 salariés, son siège et ses frais fixes.

Quant à notre proposition de contribution créative, elle nous vaut d’être accusés d’électoralisme ou de démagogie à l’égard des internautes ; pourtant, l’idée de leur faire acquitter 2 ou 3 euros par mois pour rémunérer la création, voilà le vrai courage politique !

M. Franck Riester, rapporteur. C’est irréaliste, utopique !

M. Christian Paul. Pourquoi ?

M. Patrick Bloche. Cette contribution produirait 400 millions d’euros pour la création, quand votre projet de loi, nous le répéterons jusqu’au bout, ne lui rapportera pas le moindre euro ! C’est bien de ce côté-ci de l’hémicycle que l’on défend réellement les artistes (Protestations sur les bancs du groupe UMP), et sur les quelques bancs de la majorité où l’on s’oppose à ce mauvais projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(Les amendements identiques nos 50 et 144 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 100 et 184, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour défendre l’amendement n° 100.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’amendement procède des même analyses que ceux qui visaient à supprimer l’alinéa 82.

Avec tout le respect dû à vos fonctions, madame la ministre, je conteste l’interprétation que vous faites de nos observations sur les procédures de recommandation : nous ne sommes pas favorables au téléchargement sans contrôle, ni opposés au droit légitime des auteurs. Je n’accepte pas ce procès intellectuellement déloyal : on n’a jamais accusé l’un de nos collègues de défendre les voleurs alors qu’il s’efforçait d’imaginer une procédure pénale respectueuse des droits de la société comme de l’accusé. Telle est bien la règle de droit ; tel est bien l’instrument de notre bien républicain et de notre démocratie.

Affirmer que, si la loi impute un fait ou provoque un grief, elle doit générer une procédure de débat contradictoire revient à rappeler l’un des principes fondamentaux de notre société démocratique, destiné à éviter tout arbitraire dans l’exercice de la justice.

Or l’alinéa 82, je le rappelle, empêche la personne de contester le bien-fondé des recommandations qui lui sont adressées en dehors du recours dirigé contre une décision de sanction. C’est précisément cette disposition qui a conduit la Commission européenne à juger que la procédure visée faisait grief et que, à ce titre, elle contrevenait aux règles de droit fondamentales.

Elle a écrit : « Le projet notifié n’explique pas comment la Haute autorité sera en mesure d’éviter les erreurs matérielles dans la gestion de l’envoi de recommandations, en particulier, lorsque le système utilisé est un système d’envoi systématique, ni si les modalités de la “procédure contradictoire” du nouvel article L. 331-25 donneront à l’abonné la possibilité d’établir une éventuelle erreur. Or l’abonné victime d’une erreur matérielle pourrait se voir imposer une suspension sans avoir la possibilité de faire valoir sa position à défaut de voie de recours et de procédure contradictoire sans oublier le renversement de la charge de la preuve. Il faut rappeler ici que les décisions au fond devraient exclusivement s’appuyer sur des éléments de preuve sur lesquels les parties ont eu la possibilité de se faire entendre. »

Tel est le fondement de nos critiques et celui du présent amendement, par lequel nous proposons qu’un citoyen puisse s’adresser à l’autorité qui le met en cause pour s’expliquer, voire pour contester cette mise en cause.

La Commission poursuit : « S’il estime qu’une recommandation adressée en vertu du présent article lui a été signifiée à tort, l’abonné, justifiant de son identité, peut en contester par courrier son bien-fondé auprès de la Hauteautorité qui devra justifier sous trente jours l’envoi de cette recommandation, sous peine de nullité. »

Cela revient tout simplement à interroger l’autorité sur ses motifs de sorte qu’elle puisse revenir sur la recommandation en cas d’erreur matérielle, ou au contraire la confirmer, aux risques et périls de l’internaute. C’est un point de droit tout simple mais c’est dans les droits les plus simples que résident nos principes démocratiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour défendre l’amendement n° 184.

M. Jean Dionis du Séjour. Le projet de loi réserve le droit de contestation à la seule décision de sanction. Nos collègues de la majorité présidentielle estiment, semble-t-il, que la contestation de la lettre envoyée avec accusé de réception ne serait qu’une argutie dilatoire de la part du contrevenant. Je leur rappelle que la détection à partir de l’adresse IP est loin d’être infaillible. Sans l’amendement que je propose, les conséquences en cas de contestation de la sanction seront particulièrement lourdes.

Cet amendement permettrait à l’abonné de contester le bien-fondé de la lettre de recommandation qui lui est adressée, la HADOPI devant la justifier dans un délai de trente jours, sous peine de nullité. Il n’y a là rien d’exorbitant, tant il est évident que les recommandations prévues font grief : elles constituent un échelon de la riposte graduée et ouvrent ainsi la voie à la sanction ; or le passage à un échelon supérieur ne devrait intervenir que si la sanction étant confirmée.

Cette disposition du texte pervertit donc la riposte graduée, comme nous l’a indiqué la Commission européenne dans son courrier du 22 juin 2008, que je cite : « Il serait important que […] le premier message adressé à l’internaute soupçonné de s’être livré au piratage puisse lui-même faire l’objet d’un recours. » Cet avis n’a rien d’agressif. En voulant gagner du temps sur les deux échelons préalables de la riposte graduée, vous en perdrez beaucoup car, je le répète, la détection est loin d’être infaillible.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable, pour les mêmes raisons précédemment.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable également.

Mme la présidente. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Chacun aura compris que le sujet n’était nullement polémique.

M. Patrick Bloche. En effet : de vraies questions ont été posées ; on pourrait au moins daigner y répondre !

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission. Il y a eu de nombreux dérapages depuis une heure ! Un peu de respect ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Je vous en prie, mes chers collègues, veuillez laisser M. Brottes s’exprimer.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission. Il n’y a pas eu un mot d’excuse !

M. François Brottes. C’est justement à M. le président de la commission que je souhaite m’adresser.

Sur cette question, qui dépasse nos clivages politiques, il est en effet important qu’il nous donne son sentiment. Si l’on peut comprendre que le rapporteur s’enferme dans une argumentation un peu répétitive et que Mme la ministre, un peu agacée, veuille faire voter son texte au plus vite, le président de la commission des lois, qui est dans cette maison le garant de la cohérence du droit, devrait nous éclairer.

Que pense-t-il du fait qu’un contrevenant présumé, car le grief le fera considérer comme tel, puisse demander des comptes ? Interdire à celui qui est présumé coupable – ou innocent, on ne sait plus très bien – de poser seulement une question sur les raisons de sa mise en cause constituerait assurément un cas d’espèce. Je vous serais très reconnaissant, monsieur le président de la commission, de nous donner votre point de vue.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission. Je souhaite d’abord que notre débat se poursuive dans le respect des uns et des autres : certains mots ont sans doute dépassé les pensées.

Par ailleurs, je partage entièrement les arguments de notre rapporteur, qui sont tout à fait fidèles aux délibérations de la commission des lois. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

(Les amendements n°s 100 et 184, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard pour soutenir l’amendement n° 3.

Mme Martine Billard. Cet amendement, qui porte lui aussi sur l’alinéa 82, diffère de celui que j’avais défendu lors de la lecture initiale. J’ai en effet pris en compte les réflexions du rapporteur ; je le précise pour éviter les faux débats.

Le problème posé est technique. Nous savons en effet que l’adresse IP ne permet pas d’identifier formellement l’internaute ayant procédé à un téléchargement abusif. Récapitulons : le titulaire de l’abonnement recevra une recommandation envoyée par la commission de protection des droits. Or l’alinéa 81 prévoit que cette recommandation lui indique également les coordonnées où il peut adresser ses remarques. Il a donc effectivement la possibilité de le faire. Néanmoins la marge d’erreur, pour l’identification par l’adresse IP, est de 30 à 40 %, ce qui n’est pas rien. C’est pourquoi je propose que l’envoi de ses remarques par l’internaute suspende la procédure jusqu’à réception d’une réponse de la commission de protection des droits. Je ne propose donc pas, comme lors de la lecture initiale, un recours suspensif absolu.

Cependant les dix mille recommandations journalières prévues généreront assurément des difficultés dans le traitement des dossiers, comme dans beaucoup de nos administrations, où les temps de réponse dépassent parfois les délais légaux, souvent au grand dam des administrations elles-mêmes, qui doivent faire face à l’afflux des demandes.

C’est pourquoi je demande que la procédure de sanction soit suspendue tant que la commission de protection des droits n’a pas pris acte des remarques qui lui ont été envoyées, de sorte que celles-ci ne tombent pas dans un vaste trou noir permettant à la procédure de continuer comme si de rien n’était, l’internaute étant sanctionné in fine pour un manquement dont il n’est en rien responsable alors que ses remarques ont été ignorées et qu’il ne dispose d’aucune trace pour prouver, en cas de recours judiciaire, qu’il les a bel et bien envoyées mais qu’elles sont restées sans réponse. Il est plus facile en effet de prouver un fait avéré qu’un fait qui ne s’est pas produit.

Tel est le sens de cet amendement, que j’ai bordé pour répondre aux remarques que M. le rapporteur m’a faites en première lecture. Il me semble que vous pourrez l’accepter, afin de garantir les droits de tous les internautes de bonne foi qui risquent d’être mis en cause alors qu’ils sont innocents.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. Certes, cet amendement est bordé par rapport à la version que vous avez présentée en première lecture – et je vous en remercie – mais il n’est toujours pas conforme à l’esprit du projet de loi. Les recommandations ne font pas grief ! (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Marylise Lebranchu. Mais si !

M. Franck Riester, rapporteur. Non : elles ont valeur de carton jaune. (Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Deux cartons jaunes valent un rouge !

M. Franck Riester, rapporteur. Oui : à enchaîner plusieurs cartons jaunes, vous finirez par recevoir un carton rouge.

M. Christian Paul. Carton rouge au rapporteur !

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous en prie !

M. Franck Riester, rapporteur. Toutefois, tant qu’aucun carton rouge n’a été sorti, vous restez sur le terrain ! C’est au moment où il sera sorti, c’est-à-dire lors de la sanction, que les faits signalés dans les recommandations pourront être contestés.

Mme Martine Billard. Avec quelles preuves à l’appui ?

M. Franck Riester, rapporteur. Ainsi, toutes les observations reçues par la Haute autorité pourront être invoquées. Lorsqu’elles n’auront pas été reçues, le titulaire de l’accès à internet pourra de nouveau les lui transmettre, ou les transmettre après la sanction au juge appelé à se prononcer sur le recours. C’est aussi simple que cela !

Mme Martine Billard. Entre temps, son accès à Internet aura tout de même été coupé : drôle de simplicité !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

M. Christian Paul. Au moins elle connaît le football, elle ! (Sourires.)

Mme Marylise Lebranchu. Je vous rappelle que le carton jaune est contestable, car il fait grief.

M. Franck Riester, rapporteur. Il est contestable à l’appui d’un recours !

Mme Marylise Lebranchu. Dans toute grande compétition, une équipe de football est en droit de contester un carton jaune parce qu’il fait grief.

Nous tournons autour du pot : Mme la ministre a déclaré que la recommandation ne faisait pas grief ; de ce fait, si elle ne fait grief ni la première fois ni la deuxième, pourquoi y aurait-il sanction la troisième fois, puisque aucun grief n’a été fait ? La recommandation doit faire grief pour que la sanction soit prise.

Nous légiférons ; ce qui est dit au banc par les ministres – vous n’êtes heureusement pas concerné, monsieur le rapporteur – et, le cas échéant, par le président de la commission des lois, définit l’esprit de la loi. Tout magistrat et, surtout, tout avocat souhaitant être précis consulte le compte rendu des débats. Il y découvrira qu’il a déjà été dit à deux reprises que la recommandation adressée sur le fondement du présent article ne fait pas grief. C’est donc parce qu’elle ne fait pas grief que l’on n’a pas le droit de porter recours. Cela serait presque cohérent mais, à pousser ce raisonnement à son terme, il aurait fallu imiter le permis à point, plutôt que le carton rouge.

M. François Brottes. Ou instaurer la remontrance !

Mme Marylise Lebranchu. Chaque adresse IP aurait ainsi pu être dotée de trente points, le titulaire en perdant deux ici, deux là, jusqu’à ne plus en avoir du tout.

En l’occurrence, vous démontrez au banc, avec le soutien du rapporteur que le président de la commission des lois n’a pas contredit,…

M. François Brottes. Qu’il a même soutenu !

M. Christian Paul. De même que M. Karoutchi !

Mme Marylise Lebranchu. …que la sanction n’est pas contestable après voie de recours, mais qu’elle est contestable de droit, et peut ne pas être reçue de droit, puisque les deux recommandations préalables ne faisaient pas grief.

Où allons-nous donc ?

Mme Muriel Marland-Militello. Avec vous, nulle part !

Mme Marylise Lebranchu. Précisément : nous n’allons nulle part !

M. Christian Paul. Oui, la HADOPI est une impasse !

Mme Marylise Lebranchu. Je demande donc de nouveau à Mme la ministre de nous expliquer, puisque nous ne sommes pas d’éminents juristes, ce que signifie le fait que les recommandations ne font pas grief, que c’est la raison pour laquelle il ne peut y avoir recours ou interrogation de la Haute autorité, et comment une sanction pourrait être prise après deux recommandations ne faisant pas grief.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Les avertissements sont des actes préparatoires à la décision de sanction.

Je m’étonne d’entendre contester ce qui fait précisément la qualité pédagogique, la mesure et la douceur de cette loi.

Mme Martine Billard. Nous faisons le droit !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Ainsi, dans la loi DADVSI, une sanction pénale pouvait être envisagée dès le premier téléchargement.

M. Jean-Pierre Brard. Cela n’a jamais marché !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Ici aussi, nous aurions pu envisager une sanction directe.

M. Patrick Bloche. À la différence près que dans le premier cas, un juge était saisi ; pas ici !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Nous prenons la peine de prévenir et d’attirer l’attention des personnes à x reprises : voilà ce qui fait la qualité de ce projet de loi !

M. Jean Dionis du Séjour. Pas à x reprises, à deux seulement !

M. Christian Paul. Oui, x égale 2 !

(L'amendement n° 3 n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard pour défendre l’amendement n° 4.

M. Jean-Pierre Brard. Que de difficultés pose ce Gouvernement, madame la présidente ! Et M. Riester a déclaré dans une gazette parue cet après-midi que son rôle était de mettre de l’huile dans les rouages plutôt que sur le feu !

M. Richard Mallié. Et votre rôle, monsieur Brard, quel est-il ?

M. Jean-Pierre Brard. Or que fait-il depuis l’ouverture du débat, sinon mettre de la limaille dans les engrenages ? Il finira par casser la machine !

Vous savez bien, madame la ministre, que les outils nécessaires à la mise en œuvre de votre loi ne seront pas disponibles avant dix-huit mois. Demain, un texte européen sera adopté, qui fera de nous la risée de l’Europe entière ; et je passe sur les observations que vous a déjà communiquées la Commission européenne.

Le présent amendement a trait à la constitution d’un fichier recensant les données personnelles sur les personnes suspectées de téléchargement, qui pose de graves problèmes en matière de libertés individuelles. Traitées informatiquement, ces données peuvent en effet comporter de nombreuses erreurs, lesquelles pourront perdurer sans que l’on sache quand elles seront effacées. En outre, elles seront inscrites par une autorité administrative à l’issue d’une procédure qui inverse la charge de la preuve et ne permet pas la contradiction. Rappelons-nous enfin les dérives du système de traitement des infractions constatées, le STIC, et leurs conséquences sur la vie des personnes concernées.

Dès lors, nous demandons a minima la garantie que les données personnelles seront effacées si l’internaute a pu prouver sa bonne foi. Vous avez là, monsieur le rapporteur, une belle occasion de nous montrer que, burette à la main, vous mettez bien de l’huile dans les engrenages !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. À ce stade, les données à caractère personnel concernant un abonné qui a respecté la loi seront automatiquement et obligatoirement effacées des fichiers de la HADOPI.

M. Jean-Pierre Brard. Le texte ne le dit pas clairement !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Avis défavorable : la CNIL prévoit en effet des modalités d’effacement de ces données.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Si Mme la ministre nous tient des propos exacts, je ne vois pas pourquoi notre amendement ne serait pas pris en compte. Il vous offrirait en effet l’occasion de démontrer votre entière bonne foi.

Si vous refusez notre proposition, madame la ministre – qui prévoit : « la Haute autorité efface de son système de traitement automatisé, prévu à l’article L. 331-34, les données à caractère personnel portant sur les personnes faisant l’objet d’une procédure dès qu’elle constate la bonne foi de ladite personne quant à son absence de responsabilité pour les faits mis en cause au premier alinéa du présent article » – vous ferez la preuve – M. de La Palice n’aurait pas dit autre chose – que vous ne partagez pas cette intention.

En outre, nous savons que, s’agissant du casier judiciaire, des peines devant être effacées ne l’ont pas été, ce qui a porté préjudice aux personnes concernées.

De grâce : vous avez l’occasion de protéger les libertés ; faites-le !

(L'amendement n° 4 n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Paul pour soutenir l’amendement n° 102.

M. Christian Paul. Cet amendement, si l’Assemblée, comme je l’espère, l’adoptait dans quelques instants, aurait pour effet – très attendu dans le pays – de supprimer les alinéas 83 à 95 de ce texte, qui portent sur la sanction que vous entendez appliquer massivement aux internautes.

Il y aurait mille raisons de l’adopter ; je me contenterai d’en rappeler deux.

Tout d’abord, ce débat nous fait perdre un temps considérable, enlisé qu’il est depuis des mois au Parlement, par le fait du caractère si contestable de ce texte qu’il a suscité une courageuse dissidence dans vos propres rangs. Voilà six mois que le Gouvernement, en pleine crise économique, mobilise nuit et jour le Parlement de la République pour débattre de ce texte inutile.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. C’est vous qui le mobilisez !

M. Christian Paul. Et ce n’est pas fini : hier, Mme la ministre – peut-être mal conseillée – nous a dit un peu vite que le texte serait opérationnel à la rentrée des classes. Or Mme Lebranchu a attiré votre attention sur les nombreuses tâches préparatoires qu’il faudra accomplir avant l’application de la loi. Nous espérons la censure du Conseil constitutionnel, mais imaginons que vous franchissiez cet obstacle : il faudra ensuite prendre les décrets.

Ainsi, l’alinéa 94 prévoit qu’un « décret en Conseil d’État fixe les conditions dans lesquelles les sanctions peuvent faire l’objet d’un sursis à exécution ». Ce n’est qu’un décret parmi d’autres car, pour appliquer cette loi, il en faudra une rafale, une cascade même. Voyez l’alinéa 95 : « Un décret », qui ne sera pas pris en Conseil d’État, il est vrai, « détermine les juridictions compétentes pour connaître de ces recours ».

Ma première question est donc la suivante, madame la ministre : à défaut d’avoir préparé d’avance ces décrets, ce que vous n’avez pas fait car vous êtes bien trop respectueuse du Parlement pour cela, avez-vous au moins calculé combien de décrets seront nécessaires pour appliquer la loi HADOPI ? Combien de temps faudra-t-il pour les préparer après le vote de la loi ? Combien de temps faudra-t-il pour passer en Conseil d’État et franchir toutes les étapes de la fabrication d’un décret républicain ? Pendant combien de mois ferez-vous croire aux artistes que cette loi est la solution ?

Outre la parution des décrets, il faudra procéder aux recrutements au sein de la HADOPI et des opérateurs techniques, notamment les fournisseurs d’accès : ce sont des dizaines de personnes qu’il faudra embaucher, former et rémunérer aux frais du contribuable, pour une bonne part, et aux frais des clients des fournisseurs d’accès pour ce qui relève d’eux.

Ensuite, pensez aux dispositions techniques que les fournisseurs d’accès devront prendre. Je ne crois pas que soit annexée aux accords de l’Élysée la check-list de l’ensemble des mesures qu’il leur appartiendra de mettre en œuvre pour pouvoir appliquer votre loi.

Bref, nous disons que dix-huit mois au minimum seront nécessaires, en comprimant les délais. En fait nous pensons qu’il faudra davantage et nous aimerions vous entendre sur ce sujet. Encore une fois, on entraîne la France dans une bataille de retardement qui n’aura pas de fin.

La deuxième raison qui justifie cet amendement est évidente. Elle tient au fait que la sanction prévue porte atteinte à cette liberté fondamentale qu’est l’accès à Internet, l’une de ces libertés qui permet l’exercice de beaucoup d’autres : la liberté d’expression, la liberté de communication, la liberté de se former, la liberté d’accéder à la culture, la liberté de chercher un travail, et j’en oublie.

Voilà pourquoi le maintien des alinéas que cet amendement propose de supprimer est un scandale et une erreur historique.

Je n’ai insisté que sur deux raisons qui justifient de voter cet amendement, mais il y en aurait mille autres.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Erhel.

Mme Corinne Erhel. Les dispositions que nous proposons de supprimer entraîneront une difficulté de mise en œuvre technique et auront un coût important. En outre, la suspension de l’accès à Internet est en totale contradiction avec votre plan de développement du numérique. Dans le texte de présentation du plan « France Numérique 2012 », il est dit : « L’Internet haut débit constitue aujourd’hui, comme l’eau ou l’électricité, une commodité essentielle. Accéder à Internet haut débit, c’est accéder à l’information, à l’éducation, à la formation, à la culture, aux loisirs, au télétravail, au commerce à distance, aux formalités administratives en ligne. En être durablement privé, c’est être progressivement exclu d’un nombre sans cesse croissant de services, d’échanges et de relations. »

M. Christian Paul. C’est un texte gouvernemental, je le souligne !

Mme Corinne Erhel. Tout à fait !

Le même texte affirme également qu’il est « nécessaire de réfléchir à la mise en place d’un droit à Internet haut débit pour tous ».

Même si la sanction envisagée apparaît facile aux yeux de ceux qui vous soutiennent, c’est beaucoup plus complexe que cela. On ne peut pas, d’un côté, vouloir faire de la France un pays d’excellence numérique, et, de l’autre, proposer comme sanction la suspension de l’accès à Internet. C’est totalement disproportionné et en total décalage avec la société dans laquelle nous vivons.

M. Christian Paul. Très bien !

M. Patrick Bloche. Implacable !

M. Philippe Gosselin. Et les téléchargements illégaux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. L’article L. 331-25 que l’alinéa 83 propose d’introduire dans le code de la propriété intellectuelle prévoit que les sanctions peuvent être prononcées « lorsqu’il est constaté que l’abonné a méconnu l’obligation définie à l’article L. 336-3 ». Or ce dernier article porte l’obligation de sécurisation de sa connexion Internet.

Les sanctions sont donc prononcées lorsqu’un abonné n’a pas sécurisé sa connexion Internet. Mais comment ferez-vous pour prouver qu’il l’a fait ou qu’il ne l’a pas fait ? Implicitement, même si cela n’est pas dit, la HADOPI va considérer que la connexion de l’abonné accusé d’avoir procédé à un téléchargement illégal n’a pas été sécurisée. Comment l’internaute pourra-t-il se défendre, prouver qu’il a sécurisé sa ligne ? C’est le grand mystère.

Vous avez dit, madame la ministre, que cela ne posait pas de problème pour les internautes de bonne foi, parce qu’ils pourront prouver, au moyen de leur disque dur, qu’ils ont bien sécurisé leur ligne. Le problème, c’est qu’une telle démarche ne prouve rien. À moins que la HADOPI vienne chez l’internaute pour le prendre en flagrant délit – ce qui n’est évidemment pas possible, puisque c’est une autorité administrative –, il n’y a aucun moyen de savoir s’il avait sécurisé sa connexion Internet.

Cet article précisant les sanctions repose donc en fait sur une base qui n’a elle-même pas de fondement technique possible. C’est une question que nous posons depuis le début à M. le rapporteur et à Mme la ministre : comment les internautes de bonne foi vont-ils pouvoir démontrer qu’ils avaient bien sécurisé leur ligne et que des tiers ont, malgré cette sécurisation, utilisé leur connexion Internet pour procéder à des téléchargements abusifs ?

(L’amendement n° 102 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 5, 97 et 145, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 5.

M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, nous sommes dans une situation tout à fait étrange : nos collègues de l’UMP, qui sont ici en nombre significatif, nous laissent porter toute la charge du débat, toute la responsabilité de l’animation. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Paul. Ils sont tétanisés par l’effroi !

Mme la présidente. Veuillez défendre votre amendement, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. C’est il y a fort longtemps – le 23 novembre 2007 ! – que furent conclus les fameux accords de l’Élysée. Le 18 juin 2008, le conseil des ministres se réveille, et déclare qu’il y a urgence. D’urgence en urgence, nous voici arrivés au 6 mai 2009. Vous voyez combien il y avait urgence ! En fait, c’était pour amuser la galerie. En réalité, il s’agissait, sur instruction de sa majesté impériale, de complaire aux majors.

Notre amendement fait suite à nombre de nos propositions tendant à réintroduire l’autorité judiciaire dans le dispositif que vous nous proposez. Non seulement vous voulez supprimer le juge d’instruction, mais, sur le sujet qui nous occupe, vous voulez reléguer l’autorité judiciaire.

Ainsi que cela a été maintes fois rappelé de part et d’autre de cet hémicycle, y compris sur les bancs de la majorité, dans notre pays seule l’autorité judiciaire a la compétence exclusive de prononcer toute mesure de privation ou de restriction de liberté individuelle.

Ce principe, reconnu de manière constante par le Conseil constitutionnel et par les institutions européennes, a également, très récemment, été rappelé par nombre de juristes opposés à un texte suscitant la plus grande perplexité dans leur communauté d’experts du droit. En effet l’éviction du juge est sans doute l’un des éléments les plus déroutants de votre projet. Il signe la démission du Gouvernement et sa défiance vis-à-vis de l’autorité judiciaire.

En dépit des argumentaires candides de la ministre et de notre rapporteur – c’est de son âge et il est vraiment très candide –, un nombre toujours plus important de personnes prennent conscience du caractère répressif et liberticide de ce texte.

Dans la mesure où des libertés publiques sont en jeu, il est hors de doute que le juge judiciaire est le personnage le mieux placé institutionnellement pour mettre en œuvre les sanctions dont nous discutons. C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement, de remettre le prononcé des sanctions prévues entre les mains du juge, afin que notre pays ne persiste pas dans la voie d’une justice administrative d’exception fustigée par l’office parlementaire d’évaluation de la législation dans un rapport de 2006. Cette loi n’honore ni le législateur ni le Gouvernement. C’est une loi d’exception.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 97.

M. Patrick Bloche. Par cet amendement, nous essayons de sauver le Gouvernement et sa majorité malgré leur entêtement.

Nous sommes ici devant un élément mettant en cause des principes qui ont été rappelés avec force par le juge constitutionnel, notamment dans des décisions qui datent de l’année 1989. Nous considérons – et le débat que nous avons en nouvelle lecture ne peut qu’être plus éclairant sur ce point – que la HADOPI sera amenée à prendre, si l’on vous suit, des sanctions privatives de libertés individuelles, ou du moins les restreignant de façon conséquente.

Le débat que nous avons eu porte en définitive sur ce qu’est aujourd’hui une connexion à Internet. La Commission européenne elle-même a dit que « la réalité de l’utilisation actuelle d’Internet dépasse largement l’accès aux contenus ». À ce propos Corinne Erhel vous a lu des passages du texte de présentation du plan « France Numérique 2012 », lequel, sans moyens budgétaires mais aux objectifs ô combien ambitieux, affirme que l’accès à Internet est devenu un élément essentiel dans la vie de nos concitoyens. La suspension de cet accès est donc la remise en cause d’un droit fondamental.

L’amendement que nous vous proposons vise tout simplement à vous épargner une invalidation prévisible pour motif d’inconstitutionnalité. Vous ne pouvez déléguer un pouvoir de sanction restreignant les libertés individuelles ou privant nos concitoyens de ces libertés, à une haute autorité administrative. Ce n’est pas possible. Dans notre pays, dans l’État de droit qu’est la France, ces sanctions privatives de liberté ne peuvent être prises que par le juge judiciaire.

C’est la raison pour laquelle, au moment où nous entrons dans l’examen de ces alinéas ô combien essentiels, puisqu’ils concernent la sanction suprême – la suspension de l’accès à Internet – nous estimons que la HADOPI – après ses recommandations, dont nous continuons à considérer qu’elles font grief – ne peut être en capacité de prendre cette sanction. Voilà pourquoi nous faisons explicitement référence, dans cet amendement, au juge judiciaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n° 145.

M. Lionel Tardy. Je propose, par cet amendement, de réserver le prononcé des sanctions à un juge judiciaire. Le rôle de la HADOPI serait, dans ce cas, purement pédagogique.

Le Gouvernement répète, dans sa communication, que le simple envoi d’un message a un effet sur 90 % des pirates, qui arrêtent alors de télécharger illégalement. Le nombre de menaces directes de suspension de l’accès à Internet devrait donc être très limité. Du coup il n’y aurait pas de risque d’engorgement massif des tribunaux.

Cet amendement permettrait un équilibre entre l’efficacité dans la lutte contre le piratage et le respect de nos principes constitutionnels.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. Nous avons rappelé à de multiples reprises, depuis nos discussions en première lecture, pourquoi une autorité administrative indépendante comme la HADOPI pouvait prononcer les sanctions prévues dans ce projet de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Vous avez exprimé votre point de vue « à de multiples reprises », monsieur le rapporteur, mais nous vous interrogeons à nouveau. Nous sommes en effet dans un cas complexe.

Nous avons des recommandations qui ne font plus grief. Cela a été largement développé ce soir. C’est d’ailleurs une nouveauté dans le débat. Ensuite, nous arrivons au stade des sanctions. L’une d’elle est la suspension de la connexion Internet. À cet égard, Corinne Erhel a eu raison de faire référence aux services publics de base. Dans le même temps, l’abonné suspendu, et tous ceux qui vivent sous le même toit – ou travaillent dans la même entreprise, nous y viendrons – n’ont plus, eux non plus, de connexion Internet.

Dans chaque cas, existe un contrat entre un fournisseur d’adresse IP et un particulier, personne physique ou personne morale. Or, vous confiez à une haute autorité administrative la tâche de prononcer une sanction sans tenir compte de la qualité du contrat et vous ne prévoyez pas que le contrat, qui relève du droit privé, je vous le rappelle, doit comporter une clause explicite couvrant le contractant qui va continuer à recevoir de l’argent sans fournir de service. En l’absence d’une telle clause, le titulaire du contrat pourra se retourner contre lui,…

M. Jean Dionis du Séjour. Bien sûr !

Mme Marylise Lebranchu. …et vous le savez parfaitement. Il va bien falloir, à un moment donné, dire ou bien que cette autorité administrative…

M. Jean Dionis du Séjour. Est responsable !

Mme Marylise Lebranchu. …est responsable et, en amont, elle doit avoir prévu la rectification des contrats de droit privé ; ou bien que seul le juge judiciaire peut, comme pour un contrat avec l’eau, le gaz ou l’électricité à ce jour, trancher un recours. L’alternative est entre la révision obligatoire des contrats avant la mise en place d’une sanction éventuelle par la HADOPI le pouvoir donné au seul juge de prononcer la sanction et de trancher les recours.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je suis très dubitatif après les interventions de M. le rapporteur même s’il a été un peu plus disert que dans ses réponses précédentes.

Monsieur le rapporteur, vous êtes une personne singulière et unique, qui réunit dans une même enveloppe de multiples talents. C’est pourquoi il y a quelque chose que je ne comprends pas.

Demain, vous allez vous faire retoquer au plan européen, et j’ai lu, dans un journal de l’après-midi, que vous êtes responsable de la campagne de l’UMP pour les élections européennes. Vous vous tirez donc une balle dans le pied ! Vous devriez vous mettre en cohérence et écouter la voix de l’Europe, qui défend les libertés sur ce sujet, ce qui n’est pas toujours le cas.

On sent bien, monsieur Riester, que, sous le poids de la fatigue ou de la force de nos arguments, vous vous affaissez peu à peu. Rendez les armes ! (Sourires.)

Mme la présidente. Revenez à l’amendement, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. J’y suis, madame la présidente ! M. Karoutchi m’est témoin, qui surveille ce jeune espoir de l’UMP du coin de l’œil. (Sourires.)

Je souhaiterais que M. Riester, qui a consenti un petit effort pour être plus long, soit surtout plus convaincant.

(Les amendements nos 5, 97 et 145, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard pour défendre l’amendement n° 6.

M. Jean-Pierre Brard. Mes exhortations auront-elles un impact sur le rapporteur ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

M. Éric Straumann. Ça va être difficile !

M. Jean-Pierre Brard. Qui sait ? Sur vous peut-être aussi, cher collègue.

L’accès à Internet ne peut être suspendu s’il n’a pas été prouvé que la personne incriminée s’est livrée à du téléchargement. Qui peut être en désaccord avec cette affirmation ?

M. Éric Straumann. Personne !

M. Jean-Pierre Brard. Je ne vous le fais pas dire ! Alors, soyez cohérent, écoutez bien la suite et tirez-en les conclusions pour le vote sur l’amendement.

J’en reviens encore à rappeler que, selon l’un des fondateurs de l’Internet, Vinton Cerf, beaucoup d’ordinateurs sont piratés à distance. Leurs propriétaires n’ont pas les moyens de les sécuriser correctement. Vous le savez, car même certains professionnels sont tenus en échec. De plus, certaines modalités d’exploitation ne pourront être adaptées aux moyens de sécurisation labellisés par la HADOPI.

Il serait donc beaucoup plus juste et plus raisonnable de ne sanctionner les personnes que si – vous me suivez toujours, mon cher collègue ? – l’on a prouvé l’acte de téléchargement. À défaut, votre loi va sanctionner aveuglément, de façon arbitraire et totalement injuste. Seuls les petits, ceux qui ne sont pas des pros d’Internet, seront sanctionnés sans même pouvoir se défendre.

On pourrait réellement croire que ce que vous voulez, ce n’est pas vraiment stopper le téléchargement, mais bien mettre en place le contrôle d’Internet. En sanctionnant le défaut de sécurisation, vous obligeriez chacun à sécuriser sa connexion avec des logiciels mouchards, ce qui est extrêmement inquiétant pour les libertés dans notre pays.

(L’amendement n° 6, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour pour soutenir l’amendement n° 72.

M. Jean Dionis du Séjour. J’en demande pardon à nos collègues qui sont fatigués, mais il nous faut prendre un peu de temps pour semer quelques petits cailloux blancs pour les débats à venir, même si la messe est dite au niveau de la décision politique.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas une messe, c’est un Te Deum !

M. Jean Dionis du Séjour. C’est en effet maintenant que va se faire le choix qui va pervertir définitivement la loi : la coupure de l’accès à Internet plutôt que l’amende.

Alors que l’opposition, dont c’est certes le rôle, des collègues de l’UMP, peu nombreux il est vrai, les consommateurs dans leur ensemble, ce qui commence à représenter du monde, la fédération des télécoms, ce qui en fait encore, Alain Juppé, qui est un homme raisonnable, et l’opinion publique à plus de 73 %, disent qu’il faut choisir l’amende plutôt que la coupure de l’accès à Internet, il faudra bien expliquer pourquoi vous vous entêtez dans ce choix.

M. Franck Riester, rapporteur. On l’a déjà fait des milliards de fois !

M. Jean Dionis du Séjour. C’est là que se joue le destin de la loi HADOPI et que se scelle son échec.

Pourquoi un tel gâchis ?

J’ai mené mon enquête et je prends à témoin notre collègue Christian Vanneste. Dans la loi DADVSI, il y avait déjà la riposte graduée ; ce n’est pas une invention du texte HADOPI. Elle a été censurée par le Conseil constitutionnel, mais elle proposait l’amende.

Alors j’ai pensé aux accords de l’Élysée, et j’en ai recherché le texte. J’ai retrouvé la version officielle qui, dans sa recommandation n° 13, ouvre le choix : soit des poursuites ciblées, soit la riposte graduée avec coupure de l’accès à Internet. J’insiste bien, mes amis : à aucun moment, les accords de l’Élysée n’ont pris position pour la coupure contre l’amende. Qui donc a fait ce choix, madame la ministre ?

À mon avis, vous avez suivi un certain nombre d’acteurs majeurs du monde de la culture, et vous avez assumé ce choix. Je ne remets pas en cause votre sincérité vis-à-vis du monde culturel. Quand vous en parlez, on voit que c’est votre vie et que vous êtes mobilisée pour la culture. Je vous en donne acte. Néanmoins il y a, dans toutes vos prises de position, quelque chose de pathétique. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Restez convenable !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous aussi, nous sommes là depuis cinquante heures ; nous aussi nous sommes passionnés ! Et l’on peut dire, à ce moment clé du débat, qu’il est pathétique, sous prétexte de défense de la culture, de soutenir des positions ultra minoritaires de certains de ses acteurs.

Poursuivant mon enquête, j’ai vu très clairement chez un certain nombre de personnes une volonté punitive – je pèse mes mots – des opérateurs de télécoms et des consommateurs pour s’être « gavés sur le dos de la culture ». (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

M. Lionel Tardy. Très juste !

M. Christian Paul. On voit le niveau !

M. Jean Dionis du Séjour. C’est cette explication psychanalytique qui va conduire la loi à l’échec.

Mes amis, on l’a dit et redit, mais écoutez une dernière fois avant d’enterrer la loi.

Premièrement, ce dispositif est une erreur symbolique terrible : 71 % des gens sont contre. Entendez l’opinion publique !

Deuxièmement, il faudra dix-huit mois pour le mettre en œuvre.

M. Christian Paul. Dans le meilleur des cas.

M. Jean Dionis du Séjour. Troisièmement, son coût s’élèvera à 70 millions d’euros.

Quatrièmement, il ne rapportera rien aux créateurs.

Cinquièmement, il créera des problèmes de sécurité graves. En même temps que l’accès à Internet, vous allez couper la messagerie, des alertes, des informations de télémédecine.

Sixièmement, vous allez établir une liste noire des internautes contrevenants.

Mme la présidente. Merci de conclure.

M. Jean Dionis du Séjour. Septièmement, vous allez isoler complètement la France sur le plan juridique. Que va-t-il se passer si, demain, le Parlement européen confirme sa décision qu’on ne peut pas couper l’accès à Internet sans autorisation judiciaire ? Que ferons-nous avec notre loi ?

Et nous boirons le calice jusqu’à la lie, car, au bout de la coupure de l’accès à Internet, il y a la double peine, cette extravagance qui fait couper le service tout en exigeant le paiement, simplement parce que c’est la HADOPI qui commande.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Cela suffit maintenant !

M. Christian Paul. Écoutez-le, il a raison !

M. Jean Dionis du Séjour. Comme l’a très bien dit Mme Lebranchu, dès lors que la HADOPI intervient dans un contrat, vous obligez les FAI à le déséquilibrer et vous permettez aux internautes de suspendre le paiement. Et pour ne pas avoir à dédommager les internautes, vous prenez une disposition d’exception qui sera retoquée par le Conseil constitutionnel.

Mme la présidente. C’est fini, monsieur Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Je m’adresse aux collègues de la majorité présidentielle : c’est ici que vous enterrez la HADOPI ; il faut vraiment y réfléchir avant de prendre position. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christian Vanneste. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable.

Nous avons, à de multiples reprises, évoqué la question de l’amende. Nous avons répondu en long, en large et en travers aux sept péchés capitaux que vous avez invoqués.

M. Christian Paul. Moquez-vous !

M. Franck Riester, rapporteur. Je ne me moque pas du tout.

S’agissant de l’amende, je rappelle que le projet de loi se veut pédagogique et que la prévention nécessite de la dissuasion. La sanction dissuasive, c’est la suspension de l’accès à Internet.

M. Christian Vanneste. C’est très pédagogique, en effet !

M. Franck Riester, rapporteur. Comme nous ne voulions pas d’un texte répressif, nous avons refusé l’amende. Nous tenons à sortir du dispositif pénal actuel qui prévoit des peines d’amende et de prison.

M. Christian Vanneste. Payer sans avoir de service, ce n’est pas une amende ?

M. Franck Riester, rapporteur. En admettant qu’on choisisse l’amende, à quel montant la fixer ? À 11 euros ou à 38 euros, ce serait un permis de télécharger illégalement qui serait délivré aux internautes.

M. Jean Dionis du Séjour. Mais non !

M. Franck Riester, rapporteur. Un montant vraiment dissuasif devrait atteindre 150, 200 ou 300 euros.

M. Lionel Tardy. Ça ne rapporterait pas plus que les 100 millions !

M. Franck Riester, rapporteur. Or nous ne voulons pas sanctionner les internautes qui font du téléchargement ordinaire avec des amendes aussi lourdes.

M. Christian Vanneste. Elle était de 38 euros dans la loi DADVSI. Renseignez-vous un peu !

M. Franck Riester, rapporteur. C’est la raison pour laquelle nous préconisons la suspension de la connexion Internet, en rappelant, encore une fois, que les titulaires qui verraient leur accès suspendu pourront surfer sur le Net depuis d’autres accès que le leur : mairie, voisins ou famille.

S’agissant de l’Europe, nous nous sommes expliqués pendant des heures en première lecture, puis au début du débat de deuxième lecture. On ne va pas rappeler tous les arguments moult fois répétés !

Mme Catherine Lemorton. Vous n’en trouvez pas d’autres !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je m’associe complètement aux propos du rapporteur. Nous avons eu ce débat à maintes reprises et toujours de façon extrêmement forte. Je redis que la suspension à l’accès Internet ne vient qu’en ultime recours après une longue période, qu’il faut vraiment pirater avec opiniâtreté (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC) pour faire l’objet de cette mesure, qui a été préconisée dans les accords de l’Élysée.

M. Jean Dionis du Séjour. Ce n’est pas vrai, ils laissaient le choix !

Mme la présidente. Laissez Mme la ministre s’exprimer.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Cette mesure était préconisée dans les accords de l’Élysée. Ce choix a été opéré parce qu’elle est pédagogique, parce qu’il existe un lien direct entre le moyen de faire du piratage et Internet. C’est très logique.

Ensuite, comme l’a souligné le rapporteur, l’amende présente un aspect très injuste : soit elle est très petite –, venant après les deux emails et la lettre recommandée, etc, ce n’est guère envisageable – et c’est une forme de permis de pirater ; soit elle est lourde et ce serait très injuste pour de jeunes étudiants.

Je pense qu’elle serait extrêmement impopulaire.

M. Christian Paul. Alors que la coupure sera très populaire !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je crois qu’il faut se mettre en tête que ce sera extrêmement impopulaire, alors que la suspension d’accès à Internet – qui peut d’ailleurs être opérée si vous êtes un mauvais payeur –, n’est pas quelque chose d’atroce.

Nous souhaitons que la suspension soit extrêmement rare. Je pense que tel sera le cas, car nous mettons en place tout un processus pédagogique pour l’éviter. L’amende serait tout à fait injuste et s’inscrirait dans une logique de criminalisation du piratage.

M. Jean Dionis du Séjour. Mais non !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. C’est ce dont nous voulons sortir depuis le début avec l’accord de tous les acteurs d’Internet.

M. Christian Paul. Non pas de tous !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Notre collègue Jean Dionis du Séjour a parlé d’une double peine et M. le rapporteur nous a fourni une précision importante, en réponse à la question que j’avais posée sur le point de savoir qui avait le droit de s’adresser à la HADOPI pour connaître non seulement la date et l’heure du téléchargement mais aussi de quoi il s’agissait. Il m’a répondu : uniquement le titulaire.

Rappelez-vous le cas que j’ai évoqué, celui de trois adultes vivant sous un même toit : deux conjoints et un enfant adulte. Ceux qui en auront les moyens demanderont au conjoint de prendre un abonnement. Nul ne pourra les en empêcher. Les individus ne sont pas liés pénalement. Or nous sommes bien face à une sanction pénale.

M. Franck Riester, rapporteur. Absolument pas !

Mme Marylise Lebranchu. Le conjoint prendra l’abonnement, puis piratera allégrement ; j’utilise ce terme car je ne me souviens plus de celui employé par Mme la ministre.

Ensuite, ce sera l’enfant qui prendra l’abonnement. Vous êtes en train de créer des « micro-bandes » de piratage. Ils s’organiseront pour que l’un arrête son adresse après la première recommandation et que l’autre en prenne une. Nous aurons bientôt une proposition de loi sur les bandes ; nous allons, ici, faire une loi sur les micro-bandes de piratage.

Chaque fois que l’on avance dans le débat, des précisions sont apportées qui font chuter les arguments qui sont donnés par ailleurs.

Nous ne sommes favorables ni à la coupure ni à l’amende. Non seulement vous créez une violence – cette menace de sanction est une violence –, mais également quelque chose de tout à fait illégal en fonction des moyens d’appréciation technique et des moyens financiers.

Nous sommes face à un contrat de droit privé. Pendant que l’un prendra la deuxième adresse IP, l’autre attaquera son premier fournisseur pour qu’il rembourse le montant des deux mois. Ce que nous sommes en train de faire est extraordinaire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est une clause pénale privée !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Madame la ministre, j’ai creusé le sujet pour savoir qui a imposé le choix de la coupure d’accès Internet. Pour moi, je le répète, ce choix enterre votre loi.

Vous nous dites que ce sont les accords de l’Élysée. Or, dans la version officielle, page 25, la recommandation 13 précise : « mettre en œuvre soit » – j’insiste sur ce mot – « une politique ciblée de poursuite, soit un mécanisme d’avertissement de sanctions allant jusqu’à la suspension et à la résiliation du contrat d’abonnement ». Cela signifie qu’au moment des accords de l’Élysée, le choix était ouvert. Qui a tranché en faveur de la coupure ?

Ne faisons pas porter au Président de la République ce qu’il n’a pas fait. Il a montré une réactivité dans certaines affaires, mais vous l’avez enfermé dans un choix perdant. Qui a fait ce choix puisqu’il n’a pas été opéré au niveau des accords de l’Élysée ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. M. Dionis du Séjour cite les recommandations du rapport Olivennes.

Ce sont les signataires de l’accord de l’Elysée qui ont fait ce choix et qui ont privilégié la voie de la suspension de l’accès à Internet, après une très longue procédure, et non la voie de l’amende.

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je voulais m’exprimer sur l’amende, mais M. Dionis du Séjour vient d’en parler.

Je souhaite revenir sur l’historique.

M. Philippe Gosselin. Ah non !

M. Lionel Tardy. Je n’y reviendrai plus et vous pourrez considérer, madame la présidente, que mes autres amendements déposés sur l’article 2 auront été défendus ; ce sera plus simple.

La grande nouveauté en matière de sanction est le remplacement de l’amende par une suspension de la connexion Internet pour une durée pouvant varier, selon les cas, de un à douze mois. Cette dépénalisation du téléchargement est une avancée importante ; mais, encore une fois, nous ne sommes pas d’accord avec le processus qui conduit à l’interruption de l’abonnement Internet, car il est peu clair.

Je vais en rappeler le fonctionnement afin que vous compreniez bien tout l’intérêt de l’amende.

Une première injonction est réalisée par courrier électronique. En cas de récidive, un deuxième mail, doublé d’une lettre recommandée est envoyé à l’internaute. C’est là que tout se gâte ! En effet, si, en cas de nouveau téléchargement illégal dans un délai d’un an, si le principe veut que la coupure soit prononcée, le texte, lui, est franchement évasif.

Le nombre de mails – nous l’avons démontré lors de nos débats – est à géométrie variable. Il est aussi question – nous l’avions évoqué lors de la première lecture – d’une possible transaction avec la HADOPI afin d’échapper à la coupure. Son montant et les conditions de son application font cruellement défaut dans le texte.

Il reste un dernier point important : en cas de coupure Internet, les services associés à l’offre ADSL – télévision et téléphonie – seront conservés. Vous devrez donc continuer à payer l’abonnement triple play.

Je voudrais, après les grands principes, revenir sur les limites de ce texte.

La première est technique. Elle porte sur le repérage des internautes. Nous en avons déjà parlé : il y a des risques d’usurpation d’identité.

La deuxième est d’ordre juridique. Le texte n’est pas précis sur les possibilités de recours. Dès réception du mail signalant la détection du piratage, l’internaute pourra seulement demander à la commission de protection des droits l’intitulé du contenu piraté, mais il ne pourra pas contester avoir procédé à ce téléchargement.

Un recours restera possible lors de la réception de la lettre recommandée, mais il ne sera pas suspensif. Nous en avons déjà parlé : encore une incongruité, d’autant qu’il est fort probable que l’internaute aura retrouvé sa connexion Internet avant que le jugement ne soit intervenu.

Tout cela pose des problèmes organisationnels. La plupart estiment que 2011 est la date à laquelle le système de détection devrait être mis en place. C’est un délai important qui sera nécessaire à l’automatisation du processus, à la signalisation des adresses IP des contrevenants, à l’envoi des emails aux internautes. Il faudra faire communiquer entre elles les sociétés de détection privée – la HADOPI, la commission de protection des droits et les fournisseurs d’accès.

Quel sera le coût du système ? On nous parle de 70 millions d’euros. Dans un communiqué diffusé le 2 avril, la Fédération française des télécoms – SFR, Orange, Bouygues Télécom – prévient : l’État n’a pas à faire peser financièrement sur les opérateurs les coûts d’une mission d’intérêt général étrangère à l’activité de ces mêmes opérateurs. Ce principe a été consacré par une décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2000. Il reviendra donc intégralement à l’État d’assumer les coûts très lourds afférents à la mise en œuvre de l’ensemble du dispositif, notamment la suspension de l’abonnement, et toute la refonte des systèmes d’abonnement et de facturation pour la mise en œuvre de l’accès Internet.

Je dis stop ! Arrêtons les frais ! Nous avons un moyen fort d’arrêter les frais : remplacer la suspension par une amende. L’intérêt de l’amende est multiple.

Mme la présidente. Monsieur Tardy, je vous prie de conclure.

M. Lionel Tardy. Je termine.

Il n’y aura plus de double peine. On pourra contester l’amende sans voir son abonnement suspendu. Cela est important, sachant que plusieurs décisions, nous l’avons démontré plusieurs fois, seront prises à tort. Il n’y aura plus de coût prohibitif avec l’amende. Avec le texte proposé, il faudra mettre 100 millions d’euros dans un système qui ne permettra de sanctionner que quelques internautes

Si des décisions sont prises à tort, qui paiera les dommages et intérêts ?

Est-ce que, finalement, cela rapportera de l’argent pour la création ?

(L’amendement n° 72 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Nous en venons à deux amendements identiques, nos 7 et 123, sur le vote desquels je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Martine Billard, pour défendre l’amendement n° 7.

Mme Martine Billard. Cet amendement, déposé par le groupe GDR, a pour objectif de supprimer la suspension de l’accès Internet qui est prévue comme sanction.

La suspension est basée sur la constatation du manquement à l’obligation de sécurisation Internet. À cet égard, madame la ministre, je veux vous poser deux questions.

Premièrement, comment ce manquement peut-il être constaté, puisque ce n’est pas le fait de télécharger qui suffit à prouver qu’il n’y a pas eu sécurisation de la connexion Internet ?

Deuxièmement, de nombreux décrets sont prévus aux articles 331-25, 331-29, 331-30, 331-31, 331-34, 331-35 proposés par l’article 2. Nous n’avons pu obtenir en première lecture des informations sur le contenu d’un certain nombre de ces décrets. Nos collègues socialistes ont tout à l’heure reposé la question, et nous n’avons toujours pas eu de réponse.

Je suis très étonnée, madame la ministre, de votre silence. En effet, le 23 novembre 2007, lors de la remise du rapport Olivennes vous aviez expliqué que le dispositif législatif serait présenté au premier trimestre 2008 pour prévu. Vous précisiez même : « Nous préparons parallèlement les décrets d’application pour aller vite. » J’ai du mal à imaginer que le 5 mai 2009 vous n’ayez aucune idée du contenu d’un certain nombre de décrets qui devaient être rédigés concomitamment avec le texte.

J’espère que vous pourrez nous préciser le contenu de ces décrets dans un certain nombre de cas.

Je pense que la suspension de l’accès Internet est une sanction démesurée par rapport à l’incrimination, et compte tenu des erreurs qui pourront être commises, en raison de l’incertitude de l’adresse IP.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l’amendement n° 123.

M. Jean-Louis Gagnaire. Sur les bancs de la majorité, certains députés semblent considérer la suspension de la connexion à Internet comme quelque chose d’assez anecdotique : après tout, on peut vivre sans Internet ! Cette assertion est contredite par les faits. Cela socialement utile et c’est devenu un droit imprescriptible. L’usage social d’Internet est avéré. Je ne comprends pas que vous campiez sur cette position assez antiéconomique. Je crains que vous n’inscriviez la France dans une forme de régression sur le numérique par le biais de cette loi.

L’exposé des motifs du texte énumère l’utilisation d’Internet à des fins pédagogiques, d’information, ludiques. Il ne faut pas oublier le commerce en ligne. Personne n’a envie de laisser la trace de son numéro de carte bancaire sur l’ordinateur du voisin. On fait plutôt ses achats chez soi, surtout si l’on a une e-carte. C’est ce que nous faisons en permanence.

M. Franck Riester, rapporteur. Qu’ils fassent des achats de biens culturels en ligne !

M. Jean-Louis Gagnaire. Monsieur le rapporteur, j’en ai assez que vous nous soupçonniez en permanence d’être contre les artistes, (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) alors que nous apportons la démonstration, au quotidien, lorsque nous sommes en responsabilité, que nous soutenons les artistes, la création et la diffusion. Ce n’est pas en baissant le budget du ministère de la culture que vous ferez la démonstration que vous aimez les artistes.

Vous cherchez en fait à honorer des promesses de fin de soirée au Fouquet’s avec quelques-uns. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) C’est ce que vous cherchez à faire. C’est uniquement ce qui vous motive,...

M. Philippe Gosselin. Ça élève le débat !

M. Jean-Louis Gagnaire. …et non la défense de la majorité des artistes.

Ce texte est fait pour quelques-uns. La démonstration de son inutilité a été apportée.

M. Christian Paul. Karoutchi était au Fouquet’s !

M. Jean-Louis Gagnaire. Vous y étiez madame la ministre. Vous pourrez donc témoigner devant tout le monde.

Sans doute, ce soir-là, aviez-vous la tête à autre chose ! Bref, cette loi a été insuffisamment préparée. C’est pourquoi il faut supprimer cette disposition antiéconomique et antisociale.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Supprimer l’alinéa 84 reviendrait à supprimer la sanction. Donc avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable également.

Mme Martine Billard. Vous n’avez pas répondu à mes questions !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Je n’ai pas eu de réponse sur la « micro-bande » familiale. Je rappelle donc à M. le rapporteur que, pendant deux mois, les personnes d’une même famille vont cesser de télécharger légalement en acquittant 0,99 centime d’euro – parce que tout le monde n’est pas animé par la volonté de télécharger illégalement –, ce qui est une mauvaise nouvelle pour la culture.

Par ailleurs, je souligne que, pour obtenir une adresse IP, il n’est pas nécessaire de fournir une pièce d’identité. Il est tout à fait possible de recourir à un nom d’emprunt pour établir un contrat. Certaines utilisent ainsi leur nom de jeune fille. C’est particulièrement commode lorsqu’on est ministre !

Dans ces conditions, si le nom ne correspond pas à une identité, la seule pièce permettant l’identification d’une personne est la carte bancaire. Le Centre national du commerce a, du reste, soulevé ce problème majeur pour les ventes privées à domicile ainsi que sur Internet.

Je vous mets en garde ce soir : si vous adoptez cette disposition, vous autorisez la HADOPI à exiger la carte bancaire afin de permettre votre identification, ce qui revient à lever le secret bancaire car l’obligation de décliner son identité exacte n’est inscrite dans aucun texte. Je rappelle qu’en droit commercial, personne ne peut exiger une pièce d’identité. Or vous n’hésitez pas à lever le secret bancaire afin de permettre l’identification du contrevenant.

M. Christian Paul. M. Gosselin en reste muet !

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur les amendements identiques nos 7 et 123.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 104

Nombre de suffrages exprimés 100

Majorité absolue 51

(Les amendements n°s 7 et 123 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 186, 185 et 195, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour soutenir l’amendement n° 186.

M. Jean Dionis du Séjour. L’amendement est défendu.

Mme la présidente. L’amendement n° 185 est-il également défendu ?

M. Jean Dionis du Séjour. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. En est-il de même pour votre amendement n° 195, monsieur Tardy ?

M. Lionel Tardy. Mon amendement est défendu.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement sont défavorables à ces amendements.

La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. À plusieurs reprises, Mme Lebranchu a mis en évidence plusieurs failles dans le texte permettant de contourner votre dispositif. En première lecture, nous avons d’ailleurs fait remarquer qu’il était possible de se réabonner en cours de procédure – M. Riester serait abonné entre deux cartons jaunes pour éviter le carton rouge – ou de faire tourner l’abonnement au sein de la famille. Imaginez l’éventail de possibilités dans le cas d’une famille nombreuse, n’est-ce pas, monsieur Dionis du Séjour ? (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. Tout à fait ! Je suis pour les familles nombreuses. (Sourires.)

M. Christian Paul. On peut tout à fait gagner deux à trois ans. C’est dire l’absurdité de la situation ! Il est donc pour le moins dérisoire de mettre en œuvre des mesures, des contre-mesures, pour aboutir à des réseaux cryptés.

Cela étant, nous souhaitons, madame la ministre, vous entendre sur un point précis. Si tel n’était pas le cas, nous demanderions une suspension de séance afin que vos conseillers puissent trouver les réponses techniques qui semblent faire défaut. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Ça suffit !

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission. Un peu de respect, monsieur Paul !

M. Christian Paul. Personne n’est omniscient, monsieur Gosselin : ni vous, ni moi, ni la ministre.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission. Cela n’empêche pas le respect !

Mme la présidente. Poursuivez votre démonstration, monsieur Paul.

M. Christian Paul. J’en reviens à l’exemple de Mme Lebranchu sur l’anonymat de l’abonnement.

La preuve est faite qu’il est possible de s’abonner auprès d’un fournisseur d’accès sans donner son patronyme, sans décliner sa véritable identité, ce qui implique que, pour retrouver les internautes contrevenants, la recherche devra faire appel à des procédures d’investigation très poussées.

Ces questions vous avaient-elles échappé, madame la ministre ? Avez-vous prévu une parade ? Votre réponse doit permettre d’éclairer ce débat.

(Les amendements n°s 186, 185 et 195, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour soutenir amendement n° 73.

M. Jean Dionis du Séjour. L’amendement est défendu.

(L’amendement n° 73, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Il ne vous aura pas échappé que nous participons à ce débat avec un esprit constructif, ce qui amène un certain nombre de nos collègues, je pense notamment à Marylise Lebranchu, à Jean-Yves Le Bouillonnec, à Corrine Erhel et à bien d’autres, à intervenir pour poser de vraies questions qui sont à bien des égards autant de preuves que nous débattons sur un Meccano hasardeux, une usine à gaz, un monstre juridique. En tout état de cause, quel que soit le qualificatif retenu, nous pointons à chaque alinéa de l’article 2, dont tout le monde a compris qu’il est l’article central de ce projet de loi, des incertitudes, des aléas, en un mot, des fragilités juridiques.

Nous posons avec insistance des questions. Pourtant, aucune réponse ne nous est donnée. À plusieurs reprises, nous avons fait remarquer le silence de la loi. Nous avons donc été amenés à les reposer. Certes, je comprends que cela vous exaspère, mais si vous y répondiez, nous ne serions pas dans l’obligation de les reposer systématiquement.

Comme cette loi suscitera des contentieux dont on mesure d’ores et déjà l’ampleur, il est essentiel que nos échanges éclairent la volonté du législateur, l’esprit de la loi. Mme Lebranchu a, à juste titre, fait remarquer que l’on se référera aux déclarations du représentant du Gouvernement, en l’occurrence Mme Albanel, et que l’on essaiera de comprendre ce que le législateur a voulu formuler alors que tant d’incertitudes subsisteront après le vote et la promulgation de la loi.

Dans ce débat, nous n’avons fait que présenter des amendements, en rien surabondants, destinés à mettre le doigt sur les défaillances juridiques de ce texte. C’est la raison pour laquelle nous estimons qu’à cette heure tardive, il faut que Mme la ministre prenne l’air avant que nous ne reprenions nos débats…

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission. Oh ! Un peu de respect.

M. Patrick Bloche. …et qu’elle soit en mesure, enfin, de nous répondre. Je vous demande donc, madame la présidente, en vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués par mon groupe, une suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue pour cinq minutes.

(La séance, suspendue le mercredi 6 mai 2009 à une heure vingt-cinq, est reprise à une heure trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour défendre l’amendement n° 98.

M. Patrick Bloche. Madame la présidente, j’attends Mme la ministre afin qu’elle puisse m’entendre et nous fournir des précisions.

Mme la présidente. Un membre du Gouvernement est à son banc.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je vous écoute.

M. Christian Paul. Peut-être faudrait-il une suspension de séance pour lui laisser le temps de venir ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Monsieur Paul, ne commençons pas comme cela. Mme la ministre arrive d’ailleurs à l’instant.

M. Patrick Bloche. Mme la ministre étant au banc du Gouvernement…

Mme Claude Greff. Monsieur Bloche, vous êtes irrespectueux : c’est insupportable ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Madame Greff, seul M. Bloche a la parole.

M. Patrick Bloche. Mme la ministre étant donc au banc du Gouvernement…

Mme Claude Greff. Et vous debout à dire des bêtises ! (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. Madame Greff, je vous en prie.

Mme Catherine Lemorton. Mme Greff, acte II, scène 4 !

M. Christian Paul. Trop de café nuit à la santé !

M. Patrick Bloche. Nous avons participé ensemble à une mission d’information, madame Greff, et j’ai souvenir que nous avions des rapports plus urbains. Il est vrai qu’il est tard.

Mme la présidente. Je vous remercie de présenter l’amendement n° 98, monsieur Bloche.

M. Patrick Bloche. Cet amendement concerne le délai minimal de suspension de l’accès à Internet, sur lequel il me semble important de revenir car il a beaucoup varié au gré des lectures.

Dans son projet initial, le Gouvernement avait fait le choix d’une durée de trois mois, qui a été ensuite modifiée lors de la première lecture au Sénat, intervenue très tardivement. À cet égard, il faut rappeler, après M. Brard, que le calendrier des diverses étapes de ce projet de loi est accablant pour vous : les accords de l’Élysée ont été signés en novembre 2007 ; le projet de loi a été ensuite annoncé lors de plusieurs conseils des ministres successifs et n’a été adopté qu’en juin 2008 ; il a fallu attendre octobre 2008 pour une première lecture au Sénat et le mois de février 2009 pour la première lecture à l’Assemblée nationale.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission. Qu’en est-il de votre amendement n° 98 ?

M. Patrick Bloche. Le Sénat a réduit ce délai minimal à un mois et la commission de notre assemblée l’a porté à deux mois dans le texte qui a servi de base à nos discussions. En l’occurrence, la Haute assemblée a été bien inspirée, ce qui n’a pas toujours été le cas ; je pense en particulier à l’instauration d’une sanction financière qui contraint l’internaute, à l’encontre de toutes les règles du code de la consommation, à continuer de payer son abonnement après la coupure de l’accès internet.

Cet amendement a pour but de revenir à un délai minimal de suspension d’un mois.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. En première lecture, à l’Assemblée nationale, nous avions modifié ce délai minimal en le portant à deux mois afin de bien différencier la sanction de la transaction, pour laquelle le délai minimal est d’un mois. Si l’on veut privilégier la transaction – et l’un des objectifs de ce projet de loi est la discussion pédagogique entre l’internaute et la HADOPI –, il faut que la distinction soit clairement établie.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

(L’amendement n° 98 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour soutenir l’amendement n° 74.

M. Jean Dionis du Séjour. Cet amendement est défendu, madame la présidente.

(L’amendement n° 74, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 207 est-il également défendu, monsieur Dionis du Séjour ?

M. Jean Dionis du Séjour. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n° 207, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard, pour défendre l’amendement n° 8.

Mme Martine Billard. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 86, qui prévoit que la commission pourra prononcer une injonction d’installer des moyens de sécurisation. J’espère, madame la ministre, que vous serez en mesure de nous préciser comment la HADOPI pourra constater la présence de ces dispositifs. En l’absence de réponse de votre part, je ne vois pas comment les juges pourraient, à terme, se faire une idée des possibilités de constat.

Depuis le début de nos discussions, nous nous demandons comment ces moyens seront conçus. Un peu plus loin, dans ce même article 2, il est indiqué que la HADOPI étudiera et proposera des spécifications pour le développement de ces moyens de sécurisation. À d’autres moments du débat, ont été évoquées des techniques de marquage des œuvres, impliquant des fichiers d’empreintes qui permettront de déterminer si ces œuvres sont protégées ou pas. Toutefois un problème demeure : même s’il est établi que l’œuvre n’est pas libre de droits, rien ne permettra de prouver qu’elle a été ou non téléchargée abusivement. Ou alors, il faut aller encore plus loin et établir une surveillance des échanges de fichiers sur Internet, au-delà du peer to peer qui n’est qu’une technique d’échanges parmi beaucoup d’autres.

Vous avez indiqué en première lecture que des moyens de sécurisation, que nous appelons, nous, des « mouchards », devraient être activés afin que les abonnés à Internet puissent apporter la preuve que leur connexion était sécurisée.

Vous comprendrez que nous sommes en désaccord total avec cette volonté de surveiller constamment l’Internet.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.

M. Jean-Louis Gagnaire. Il me paraît nécessaire d’insister sur cet amendement car les « mouchards » ou « chevaux de Troie » installés à l’intérieur de l’ordinateur de tout internaute sont des logiciels espions dont la présence peut s’avérer extrêmement dangereuse à terme. On ne sait quelle utilisation pourra en être faite.

Par ailleurs, la législation implique une conception franco-française de ces systèmes et nous nous demandons comment nous parviendrons à les mettre au point pour faire appliquer une loi, très contestable, dont la durée sera très limitée. Nous attendons également des réponses précises sur cette question, madame la ministre.

Enfin, je rappelle que l’installation de ces logiciels de filtrage contribue à dégrader très fortement l’accès à l’Internet. Elle peut, par exemple, provoquer une telle réduction de la bande passante que l’on soit empêché d’accéder à certains sites ou de charger des fichiers volumineux, comme ceux contenant des photos. Il faudra développer l’ultra-haut débit dans notre pays pour compenser les inconvénients de ces logiciels de filtrage.

Nous attendons donc des précisions techniques sur ces sujets.

(L’amendement n° 8 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements, nos 101, 9, 126 et 198, pouvant être soumis à une discussion commune. Les amendements nos 9, 126 et 198 sont identiques.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 101.

Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement propose qu’aucune sanction ne soit prise en l’absence de l’existence d’une offre légale pour l’œuvre téléchargée, qu’elle soit protégée par un droit d’auteur ou un droit voisin. Il précise que la Haute autorité doit apprécier l’existence, l’accessibilité et le contenu de cette offre.

Il nous semble en effet paradoxal que la numérisation et la diffusion d’une œuvre qui ne serait pas disponible sous forme légale soient sanctionnées. L’adoption de cet amendement ne devrait pas poser de problème.

D’ailleurs, le début des échanges d’œuvres est le fait des internautes eux-mêmes qui n’en faisaient pas commerce, mais les diffusaient afin de les faire connaître à d’autres publics.

Nous ne sommes pas du tout orthogonaux à l’esprit du projet de loi que vous défendez et que nous combattons. Cet amendement ne présente aucune difficulté.

Nous attendons la réponse de Mme la ministre et du rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 9.

Mme Martine Billard. Cet amendement rétablit une disposition présentée en première lecture par le président de la commission des lois, soutenue par le rapporteur et votée par notre Assemblée.

L’exposé sommaire de cet amendement précisait : « Le législateur s’apprête à mettre en place un dispositif de protection des ayants droit contre le piratage sur les réseaux de communications électroniques. Par souci d’économie des deniers publics, il importe de préciser que cette procédure administrative ne pourra déboucher sur des sanctions s’agissant du piratage d’œuvres ou d’objets qui ne sont plus disponibles légalement sur Internet. »

Nous avions trouvé cette proposition du président de la commission des lois très intéressante et nous l’avions votée. Nous ne comprenons pas pourquoi elle a disparu de la CMP.

Comme il s’agit d’aboutir à la disparition des téléchargements abusifs, il faut pouvoir avoir accès à un maximum d’œuvres avec l’accord des auteurs et ayants droit. Cependant, en cas d’abus manifeste par rapport aux usages de la profession, il faut prévoir que l’internaute qui n’aura pas trouvé d’autre solution que de se procurer une œuvre en la téléchargeant illégalement ne soit pas sanctionné. Ce sera alors à la HADOPI de décider. Comme la procédure contradictoire a été renforcée, la haute autorité sera encore plus éclairée qu’elle ne l’était dans la première version dont nous avions discuté en première lecture. Toutes les garanties sont donc prévues pour que cette disposition puisse être appliquée dans quelques cas importants.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, pour défendre l’amendement n° 126.

M. Patrick Bloche. Quelle n’a pas été notre surprise en commission, lors de l’examen de ce texte en nouvelle lecture, de voir le beau travail d’équilibre, de consensus établi ici même en première lecture détruit par un funeste amendement du Gouvernement !

Je rappelle les propos que tenait notre rapporteur dans cet hémicycle le 1er avril dernier : « Nous avons eu hier de longs débats sur cette question particulière et cela a été pour moi l’occasion de rappeler à notre assemblée qu’un amendement rédigé avec M. Warsmann avait permis de faire la synthèse de toutes les discussions que nous avions eues en commission des lois à ce sujet. Je remercie Jean Dionis du Séjour de s’être rallié à cette rédaction. »

M. Jean Dionis du Séjour. Voilà du très bon Riester !

M. Patrick Bloche. Le président de la commission des lois avait rédigé un excellent amendement que nous avions voté en première lecture, mais il a été inopportunément supprimé à l’initiative du Gouvernement. Aussi, souhaitons-nous rétablir cet amendement dans un souci de cohérence.

Vous nous dites que la HADOPI est un pari – que nous considérons perdu d’avance – qui, comme la loi DADVSI, consiste à bouleverser les usages de millions de nos concitoyens pour les amener massivement sur les sites de téléchargement commerciaux. Pour que les millions d’internautes qui échangent des fichiers basculent sur les sites de téléchargement commerciaux, encore faudrait-il que ceux-ci soient attractifs et que l’offre légale soit suffisamment développée.

L’amendement n° 126 préserve les fondamentaux du droit d’auteur, droit à la fois moral et patrimonial, notamment le droit de l’auteur à autoriser ou non la diffusion de ses œuvres. De ce fait, il nous semble incohérent que le Gouvernement ait supprimé cet alinéa.

M. Christian Paul. C’est ce que disait M. Vanneste ! Vous reviendrez comme Saint-Paul sur le chemin de Damas. Confessez vos erreurs !

M. Patrick Bloche. Nous pensons que, dans cette affaire, il s’est agi avant tout pour le Gouvernement de ne pas contraindre les majors à libérer les catalogues. La HADOPI est l’arbre cachant la jungle de la déréglementation qui se trouve derrière ce texte car, en refusant cet alinéa, le terrible soupçon va peser que les majors resteront maîtres de la libération ou non de leur catalogue,...

Mme la présidente. Monsieur Bloche !

M. Patrick Bloche. Je conclus, madame la présidente !

...de développer ou non leur offre légale, en un mot de négocier, avant même l’échec de votre loi, des licences globales privées. C’est en cela que votre loi est faite pour les plus forts et qu’elle oublie les plus faibles, alors que le droit d’auteur a toujours été la défense du plus faible contre le plus fort.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour soutenir l’amendement n° 198.

M. Jean Dionis du Séjour. Dans un premier temps, j’avais présenté un amendement, avec Mme Billard, indiquant qu’il n’était pas nécessaire de mobiliser la HADOPI lorsque les ayants droit n’ont pas fait l’effort commercial de mettre leur offre à disposition de manière légale. Puis, le président Warsmann avait quelque peu arrondi cette disposition puisque son amendement prévoyait : « la commission peut se fonder sur le contenu de l’offre légale. » Franchement, cet amendement n’était pas révolutionnaire ! Il s’agissait d’un petit geste dans le sens de la promotion de l’offre légale sur lequel tout le monde s’était retrouvé. Enfin, le 7 avril, a eu lieu la CMP de la glaciation. Heureusement que M. Bloche a cité les propos que le rapporteur a tenus le 1er avril !

M. Franck Riester, rapporteur. Ce n’était pas un poisson d’avril !

Mme Martine Billard. Mais c’était le 1er avril !

M. Jean Dionis du Séjour. Mes chers collègues, rendez-nous le Riester d’avant la grande glaciation du 7 avril ! Vous feriez preuve d’une audace ultra-modérée ! Si seulement on pouvait introduire un peu de respiration par rapport à l’ordre politique qui a été donné, celui de s’en tenir à la ligne de la grande glaciation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Cette fois, monsieur Dionis du Séjour, vous ne nous avez pas parlé du Titanic, mais de la glaciation ! En tout cas, merci pour tous ces oxymores !

La commission est défavorable à l’amendement n° 101 pour les mêmes raisons que pour l’amendement n° 2.

L’amendement de M. Warsmann était une synthèse des travaux de l’Assemblée. En CMP, cette disposition n’a pas été retenue, sur la proposition de sénateurs socialistes, du Nouveau centre et de l’UMP ainsi que des députés de la majorité.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est la glaciation sénatoriale !

M. Franck Riester, rapporteur. Comme nous souhaitons nous inscrire dans la synthèse issue de la CMP, la commission est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. J’ai sous les yeux le rapport de la commission mixte paritaire. Il y est indiqué : « Puis, la commission a été saisie d’une proposition de rédaction de Mme Muriel Marland-Militello, députée, visant à supprimer du texte de l’Assemblée nationale la possibilité pour la commission de protection des droits de se fonder sur le contenu de l’offre légale avant d’apprécier l’opportunité de sanctions ». Visiblement, c’est une proposition de Mme Marland-Militello, députée du groupe de l’UMP, et non de sénateurs socialistes.

M. Franck Riester, rapporteur. Pas du tout !

Mme Martine Billard. Je pense que le rapport de la CMP fait foi.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. J’ai entendu parler de synthèse. Comme le disait Hegel – dommage que M. Brard ne soit plus là ! –, la synthèse c’est la réconciliation d’une thèse et d’une antithèse. Je pense que c’est ce que M. Warsmann avait fait en rédigeant ce texte. Il s’agissait d’une synthèse entre le droit des auteurs, droit fondamental dans notre culture, et le droit antithétique que vous ne soulignez pas suffisamment, madame la ministre, celui de l’accès du public aux œuvres des auteurs.

Cela étant on peut avoir d’autres conceptions de la synthèse, penser par exemple que, lorsque l’Assemblée nationale se couche devant le Sénat c’est une synthèse. Ce n’est pas tellement la définition que je me fais de la synthèse. Ce n’est pas le triomphe de l’un par rapport à l’autre.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Christian Vanneste. Je dis « le Sénat », mais je pourrais tout aussi bien dire « le Gouvernement ».

M. Christian Paul. Excellent !

M. Christian Vanneste. J’avais cru comprendre que nous avions voté une réforme de la Constitution qui consistait à revaloriser le Parlement par rapport au Gouvernement. Or, maintenant que le Gouvernement est présent dans la commission, voilà que ses amendements passent littéralement sur le corps des députés. Cela me paraît contestable.

Ceux qui souhaitent voter ce texte le feront, non parce qu’ils sont favorables au projet mais essentiellement pour démontrer qu’ils soutiennent l’action du Président de la République, et je suis d’accord avec cet esprit. Toutefois, je vous rappelle que, quand il était ministre et qu’il avait la possibilité de pratiquer une ouverture en acceptant un amendement de l’opposition, ce dernier le faisait.

Souvenez-vous par exemple comment, sur la question de l’immigration, il a su, de façon exemplaire, abandonner la double peine.

M. Franck Riester, rapporteur. Vous mélangez tout !

M. Christian Vanneste. Monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous dire que vous êtes un artiste en ce domaine !

Manifestement le Gouvernement n’applique pas ce principe que mettait en pratique l’actuel Président de la République, à savoir accepter assez d’ouverture pour parvenir à une synthèse.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Avis défavorable. Faire dépendre une sanction de choix commerciaux effectués par les ayants droit serait choquant sur le plan juridique. De plus, si la Haute autorité devait apprécier dans chaque cas la réalité d’une offre légale, cela ferait exploser le système.

M. Patrick Bloche. Je souhaite répondre à Mme la ministre.

Mme la présidente. Nous avons déjà entendu deux orateurs contre, madame Billard et monsieur Vanneste. Mais je vous donne la parole pour une minute.

M. Patrick Bloche. Je vous remercie et je n’en abuserai pas. Je m’attendais à ce que la ministre reprenne l’exposé sommaire de l’amendement de suppression de cette disposition que le Gouvernement a déposé en commission selon la nouvelle procédure. J’interviens car je suis surpris qu’elle ne l’ait pas fait.

Contrairement à ce que prétend le rapporteur, qui s’est fait hara-kiri avec tant d’allégresse sur des dispositions votées par l’Assemblée en première lecture, les deux difficultés auxquelles la ministre fait référence nous laissent extrêmement perplexes. J’y vois autant d’aveu. Je cite :

« La première difficulté tient au fait que la Haute autorité sanctionne le manquement à l’obligation de surveillance qui est le fait de l’abonné et non l’acte de contrefaçon qui est le fait de celui qui télécharge illégalement. Ces deux infractions peuvent être commises par deux personnes différentes » – ce que nous ne cessons de dire – « L’abonné n’est pas nécessairement l’auteur de la contrefaçon. Dès lors, il est délicat de faire entrer en ligne de compte le choix des œuvres effectué par le pirate lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité de l’abonné ». Je pense que tout le monde a suivi.

La seconde difficulté, poursuit l’exposé sommaire, tient à ce que la procédure de sanction administrative « est soumise aux grands principes du droit répressif ». Je croyais que votre projet était dissuasif et pédagogique. Votre aveu nous va droit au cœur.

(L'amendement n° 101 n'est pas adopté.)

(Les amendements identiques nos 9, 126 et 98 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Paul pour défendre l’amendement n° 99.

M. Christian Paul. Cet amendement a pour objet d’écarter l’un des dangers majeurs que présente le texte, la sanction des personnes morales, laquelle conduirait à la coupure de l’Internet dans une entreprise, une université, une ville ou un quartier, un village, enfin toute collectivité constituant une personne morale de droit public ou de droit privé, et a mis en place, par exemple, un Wi-Fi public accessible à tous ; ce peut être le cas dans les gares et les aéroports.

Le problème est que ces bornes publiques peuvent être utilisées pour télécharger. Mme la ministre ne nous a jamais répondu de façon satisfaisante à ce sujet. Elle a tenté de le faire dans un premier temps, mais a reculé devant l’hilarité générale que la solution présentée par le Gouvernement provoquait : il s’agissait d’établir des listes noires…

M. Jean Dionis du Séjour. Des listes blanches !

M. Christian Paul. …- effectivement dénommées listes blanches – qui seraient communiquées à toutes ces personnes morales pour qu’elles mettent en place un accès réservé. Imaginez ces listes blanches de centaines, de millions de noms, modifiées chaque jour par les équipes de la HADOPI ! Il y aurait eu des recrutements en perspective, aux frais du contribuable ! Cette solution a été écartée, mais on ne nous a toujours pas donné la recette pour sécuriser le Wi-Fi public.

Il commence d’ailleurs à y avoir des dérives. Ainsi la direction de l’informatique d’une des plus grandes écoles françaises contrôle de façon de plus en plus régulière les échanges des enseignants et des élèves sur Internet, avant même le vote de la loi ; c’est dire si les responsables de ces réseaux publics craignent ce qui est prévu. Ils mettent donc en place des systèmes de sécurité, qui risquent d’être des systèmes d’écoute. Résultat : une efficacité nulle contre le téléchargement, mais un climat de suspicion générale.

S’il existe des dispositifs imparables pour lutter contre le téléchargement sur ces bornes publiques, il faut nous le dire. Un système de filtrage plutôt qu’une liste blanche ? Dites-le nous, et dites-nous aussi combien de mois, combien d’années il faudra pour le mettre au point, car cela allongera encore le délai de mise en application de la loi, sur lequel vous restez bouche cousue.

Tout cela est très inquiétant. Le vote de l’amendement n° 99 écarterait au moins l’un des dangers majeurs de ce texte.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable pour des raisons que nous avons évoquées à de multiples reprises. D’abord, il ne convient pas d’instaurer un régime juridique différent entre personnes morales et personnes physiques en l’espèce.

M. Christian Paul. Je parlais de technique, pas de régime juridique !

M. Franck Riester, rapporteur. Je sais que vous avez coutume de parler de bien autre chose que de l’amendement, mais, en l’occurrence, c’est sur lui que je vous réponds.

Ensuite, il importe de maintenir une sanction pour les personnes morales, afin d’éviter que des associations se créent spécifiquement pour faire du téléchargement illégal et échappent à toute sanction.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Avis défavorable, pour les raisons que vient de donner le rapporteur.

En outre, pour répondre à la question de M. Paul, le fait que l’accès Internet soit offert par Wi-Fi plutôt que par fil ne change rien à la question de la sécurisation. Dans tous les cas, un serveur central distribue la bande passante et c’est sur ce serveur que la personne morale, collectivité ou autre, qui offre le Wi-Fi peut installer le logiciel coupe-feu.

M. Patrick Bloche. On croit rêver !

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Effectivement, cela ne s’améliore pas ! (Sourires.)

Madame la ministre, vous nous avez dit que le débit du Wi-Fi ne permettait pas le téléchargement, au moins des films de cinéma. Renseignements pris, parmi les différentes normes de Wi-Fi, la plus répandue dans le commerce offre un haut débit théorique de 50 mégabits et un débit réel de 25 mégabits, ce qui permet largement de télécharger. La nouvelle norme annoncée pour le courant de 2009 offrira un débit théorique de 600 mégabits et un débit réel de 100 mégabits. A Paris, le réseau Ozone qui propose le haut débit par Internet sans fil permet aussi de télécharger sans problème.

Le fournisseur d’accès à Internet propose à l’abonné de sécuriser sa connexion Wi-Fi, mais beaucoup de gens, qui ne sont pas des experts en paramétrage d’Internet, ne le font tout simplement pas. Il faudra que les fournisseurs d’accès renforcent l’information pour que les abonnés comprennent l’importance de sécuriser leur accès Wi-Fi, direz-vous. Cela fonctionnera ou pas. De plus, avec l’évolution technique constante, il faudra procéder à des mises à jour régulières si l’on veut que l’outil reste efficace : ce qui est vrai des antivirus vaudra de même pour les outils de sécurisation.

Vous ne pouvez donc pas affirmer, madame la ministre, que chacun pourra sécuriser sans problème son accès Wi-Fi. Ce n’est pas vrai, vous le savez très bien, et n’importe quel informaticien vous le démontrera. Pourtant vous vous obstinez. Les amendements de nos collègues sont donc de bon sens.

De même, je le répète, le fait pour ce gouvernement d’obliger les TPE qu’il prétend soutenir à sécuriser leur accès à Internet est une aberration totale. Ces petits chefs d’entreprise ne gagnent pas des 700 000 euros par an comme les dirigeants du CAC 40 en travaillant 35 heures. Ils ont des semaines assez lourdes. Si, en plus de faire fonctionner leur entreprise, de s’occuper peut-être de quelques salariés, ils doivent sécuriser leur ligne Internet, ils seront dans une situation impossible. Refuser de ne pas les sanctionner pour ne pas avoir sécurisé leur ligne est complètement antiéconomique.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.

M. Jean-Louis Gagnaire. Mme Billard a raison et il faut y insister : c’est une attitude complètement anti-économique.

Avec votre loi, vous allez pénaliser non seulement un certain nombre de familles, qui auront téléchargé quelques morceaux de musique ou quelques films, mais aussi le grand public, pour lequel cet accès à Internet offert dans les lieux publics par des personnes morales est un véritable service. Il risque d’en être privé si, au nom du principe de précaution, les personnes morales en question suppriment tout simplement ces accès. Pourquoi prendraient-elles des risques si on ne les assure pas d’une certaine immunité, ou impunité si vous voulez ? Pourquoi iraient-elles au devant d’un tas d’ennuis ?

La France va devenir un pays à part, alors que, partout dans le monde, y compris dans les pays en développement, on multiplie ces accès à Internet. C’est une régression pour notre pays. Quel passéisme ! Vous qui prétendez être à la pointe du développement, vous n’avez rien compris aux enjeux réels du développement.

(L'amendement n° 99 n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour défendre l’amendement n° 124.

M. Franck Riester, rapporteur. Cet amendement vise à lever une restriction inutile dans les garanties procédurales apportées aux abonnés. En effet, la commission des lois a prévu que la commission de protection des droits rappelle à l’abonné les deux recommandations dont il a déjà fait l’objet ainsi que leurs motifs. Néanmoins il se peut que la commission des droits ait envoyé plus de deux avertissements. Il convient donc de prévoir qu’elle leur rappelle l’ensemble des recommandations avec leurs motifs et donc de supprimer le terme « deux ».

(L’amendement n° 124, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard, pour défendre l’amendement n° 212.

Mme Martine Billard. L’alinéa 88, comme les deux suivants, a été récrit, ce qui a permis d’entourer la procédure contradictoire de quelques garanties, alors que les premières rédactions du texte n’en prévoyaient aucune. Je prends acte de cette évolution. Le Gouvernement et la commission ont dû deviner que le texte risquait la censure du Conseil constitutionnel, la garantie de la procédure contradictoire étant un droit fondamental.

Par cet amendement, nous proposons d’aller plus loin, en offrant à l’abonné la possibilité de s’entretenir avec les représentants de la HADOPI s’il nie la réalité des faits qui lui sont reprochés.

(L’amendement n° 212, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 146 et 148, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Quand je lis dans l’alinéa 90 que les décisions de la commission « précisent les raisons pour lesquelles les éléments recueillis lors de la procédure contradictoire ne sont pas suffisants pour mettre en doute l’existence du manquement présumé à l’obligation de vigilance », cela me fait bondir. Autant dire que l’abonné est présumé coupable et que c’est à lui d’apporter la preuve de son innocence. À défaut – mais comment pourrait-il apporter cette preuve ? –, il sera condamné.

Une nouvelle fois, je vous mets en garde : l’alinéa sera censuré par le Conseil constitutionnel. C’est pourquoi je vous propose d’en supprimer la dernière phrase.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement supprimerait ce que nous considérons comme des avancées.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Ces deux amendements encadrent l’alinéa 92, que nous n’avons pas évoqué, alors qu’il introduit des précisions qui ne figuraient pas dans le texte que nous avions examiné en première lecture.

Cet alinéa indique notamment qu’aucune sanction ne peut être prise sur le fondement de l’article 2 pour des faits concernant une œuvre ou un objet protégé dont tous les ayants droit résident dans un État étranger ou un territoire situé hors de France à régime fiscal privilégié. C’est donc seulement quand tous les ayants droits d’une œuvre – sans exception – sont domiciliés dans un paradis fiscal qu’ils cesseront d’être protégés par les dispositions du projet de loi.

Or les sites de téléchargement légaux dont la HADOPI favorisera la promotion – la labellisation, dirait le rapporteur – sont pour l’essentiel domiciliés fiscalement dans des paradis fiscaux européens, notamment au Luxembourg.

M. Franck Riester, rapporteur. Mais non !

Mme Sandrine Mazetier. C’est donc à l’étranger qu’ils acquittent leur TVA. Il en va ainsi du service iTunes d’Apple, qui couvre 60 % du marché du téléchargement légal, et d’Amazon MP3, et qui ouvrira dans le courant du mois. Le projet de loi vise donc à promouvoir des entreprises qui privent les contribuables français des recettes de la TVA. Prend-on la mesure de ce que représente cette perte ? Non content de refuser le principe de la contribution créative, le Gouvernement encourage l’évasion fiscale. Bravo !

(Les amendements nos 146 et 148, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 10.

Mme Martine Billard. La première rédaction du texte ne prévoyait aucun délai de recours.

M. Patrick Bloche. C’est juste !

Mme Martine Billard. C’est au terme d’un débat animé que, grâce à l’intervention du président de la commission des lois, un amendement de M. Brard introduisant un délai de trente jours a été adopté. Depuis, nous avons retravaillé sur cette question. Nous proposons par cet amendement de le porter à deux mois, conformément à ce qui est d’usage dans les procédures administratives. N’est-il pas de bonne législation de prévoir des délais identiques pour des procédures similaires ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. Nous avions beaucoup discuté avant de parvenir à une synthèse. Le délai de trente jours, que nous avions retenu, me paraît suffisant.

(L’amendement n° 10, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 11 rectifié et 103, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 11 rectifié.

Mme Martine Billard. L’amendement propose de compléter l’alinéa 93 par les deux phrases suivantes : « Ce recours est suspensif. La sanction n’est appliquée qu’à la forclusion du délai de recours. »

Eu égard à l’importance de la sanction, et sachant que 30 % à 40 % des internautes risquent d’être mis en cause alors qu’ils n’ont rien fait, il est primordial qu’ils disposent d’un délai pendant lequel la sanction ne pourra être appliquée, afin de pouvoir prouver leur bonne foi.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 103, qui procède de la même idée.

M. Patrick Bloche. Je rends hommage à votre sagacité, madame la présidente.

Sur ce point encore, le rôle des députés de l’opposition a été décisif au sein de la commission des lois. Nous devons en effet à notre insistance d’avoir pu inscrire dans le texte le principe d’un recours en annulation ou en réformation devant les juridictions judiciaires, ainsi que d’un délai.

Cela dit, je m’étonne, comme Mme Billard, que celui-ci ne soit pas de deux mois, puisque c’est le délai habituel pour tout recours d’une décision administrative. À cette heure tardive, je n’aurai pas la cruauté de rappeler au rapporteur celui de sept jours que, dans sa générosité, il avait souhaité accorder à l’internaute pour qu’il puisse se défendre.

Par ailleurs, notre rôle de législateur est de prévoir que le recours de l’abonné est suspensif et que la sanction ne sera appliquée qu’à sa forclusion, puisque c’est à la loi de définir les droits de la défense. C’est pourquoi nous vous proposons de supprimer l’alinéa 94 prévoyant qu’un décret en Conseil d’État fixe les conditions dans lesquelles les sanctions peuvent faire l’objet d’un sursis à exécution.

Mme la présidente. Merci, monsieur Bloche.

M. Patrick Bloche. Répétons-le : le texte renvoie trop souvent à des décrets certains points essentiels, qui relèvent de notre compétence. Il prévoit en effet que c’est par décret que seront déterminées les conditions dans lesquelles les sanctions pourront faire l’objet d’un sursis à exécution, et que seront définies la procédure de labellisation des outils techniques censée sécuriser nos ordinateurs, qui est à la base du nouveau délit de manquement à l’obligation de surveillance crée par le projet de loi, ainsi que les règles applicables à la procédure et à l’instruction des dossiers devant le collège de la commission de protection des droits de la haute autorité. Trop de décrets nuisent à la loi !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. Le renvoi à un décret en Conseil d’État pour définir les conditions de sursis à exécution se justifie juridiquement, puisque la procédure administrative et civile relèvent du domaine réglementaire.

Par ailleurs c’est au juge des référés de décider si ce recours sera suspensif ou non, comme l’indiquera le décret pris en Conseil d’État. Nous avons travaillé en commission et en séance pour fixer des délais permettant à l’internaute de former son recours – trente jours devraient suffire – et au juge de statuer sur son caractère suspensif, avant qu’intervienne la suspension de l’abonnement.

(Les amendements identiques nos 11 rectifié et 103, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n° 149.

M. Lionel Tardy. L’amendement propose de corriger la rédaction de l’alinéa 95.

Dès lors que des règles de droit commun existent dans le code de procédure pénale, pourquoi en instaurer d’autres, spécifiques à la HADOPI ? Introduire ce type de complexité n’est jamais bon. En matière de procédure et de délai, il faut toujours s’efforcer de se conformer aux règles générales.

De plus, le recours contre une décision de la HADOPI me semble devoir être suspensif.

Enfin, en tout état de cause, c’est à la loi et non à un décret d’en fixer les règles.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment. Je rappelle qu’il s’agit d’une règle administrative et non pénale.

(L’amendement n° 149, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard pour défendre l’amendement n° 24.

Mme Martine Billard. Cet amendement propose d’ajouter un alinéa indiquant: « Nul ne peut être poursuivi pénalement pour des faits pour lesquels la commission de protection des droits a déjà prononcé une sanction ».

Il s’agit d’un amendement important, car il y a dualité entre la loi HADOPI et la loi DADVSI qui ouvre la possibilité de poursuites pour contrefaçon.

Se pose ensuite la question des délais. Avec la HADOPI, des poursuites ne peuvent être engagées pour des faits antérieurs à six mois, ce qui n’était pas le cas avec la loi DADVSI.

Enfin, il y a une incertitude sur la question des fichiers. Il y aura deux fichiers : celui de la HADOPI qui va constituer une liste des internautes surveillés et celui des fournisseurs d’accès à Internet afin qu’ils puissent procéder, d’une part, aux coupures lorsqu’elles seront demandées et, d’autre part, au rétablissement de la ligne.

À l’heure actuelle, la rédaction du texte de loi et son articulation avec la DADVSI ne garantissent aucunement que les sanctions prévues respectivement par la HADOPI et par la DADVSI ne se chevauchent pas dans le temps. Il semble donc important de préciser qu’il ne peut y avoir de poursuite pénale pour des faits déjà sanctionnés administrativement.

(L’amendement n° 24, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Débat sur la compensation des charges transférées aux collectivités territoriales ;

Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 6 mai 2009, à deux heures trente.)